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Introduction Les trois grands modes d’amélioration des processus d’une organisation sont dans un ordre croissant de gains potentiels et de risques associés : l’amélioration participative incrémentale continue (APIC) représentée par le gemba kaizen, complétée par l’amélioration participative intense focalisée (APIF) représentée par le kaizen blitz (parfois appelé à tort en France « chantier hoshin ») et par le kaikaku qui est une amélioration participative de chamboulement ; l’amélioration robuste algorithmique contrôlée (ARAC) représentée par les trois approches : Theory of Constraints, lean, six sigma ; l’amélioration de rupture imposée radicale (ARIR) représentée par le Business Process Reengineering (BPR) dans sa forme la plus révolutionnaire et la Business Process Innovation (BPI) pour laquelle il n’y a pas de processus existant en place. Une organisation excellente articule ces trois modes dans son système de management intégré. Le périmètre couvert par cet ouvrage est celui du troisième mode : l’amélioration de rupture imposée radicale. L’état de l’art dans ce domaine est aujourd’hui à l’articulation entre plusieurs approches : l’ingénierie et la réingénierie des processus ( Business Process Design and Redesign, Business Process Engineering and Reengineering : BPE & BPR, Business Process Innovation : BPI ; Business Process Change : BPC) ;

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Introduction

Les trois grands modes d’amélioration des processus d’une organisation sont dans un ordre croissant de gains potentiels et de risques associés :

►► l’amélioration participative incrémentale continue (APIC) représentée par le gemba kaizen, complétée par l’amélioration participative intense focalisée (APIF) représentée par le kaizen blitz (parfois appelé à tort en France « chantier hoshin ») et par le kaikaku qui est une amélioration participative de chamboulement ;

►► l’amélioration robuste algorithmique contrôlée (ARAC) représentée par les trois approches : Theory of Constraints, lean, six sigma ;

►► l’amélioration de rupture imposée radicale (ARIR) représentée par le Business Process Reengineering (BPR) dans sa forme la plus révolutionnaire et la Business Process Innovation (BPI) pour laquelle il n’y a pas de processus existant en place.

Une organisation excellente articule ces trois modes dans son système de management intégré.

Le périmètre couvert par cet ouvrage est celui du troisième mode : l’amélioration de rupture imposée radicale.

L’état de l’art dans ce domaine est aujourd’hui à l’articulation entre plusieurs approches :

►► l’ingénierie et la réingénierie des processus (Business Process Design and Redesign, Business Process Engineering and Reengineering : BPE & BPR, Business Process Innovation : BPI ; Business Process Change : BPC) ;

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►► la reconfiguration des processus (downsizing, outsourcing, offshoring, etc.) ;

►► le management de la performance par les processus (Business Process Management : BPM) ;

►► l’introduction des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) : la gestion des flux de travail (workflow), les progiciels de gestion intégrée (PGI) (Enterprise Resource Planning : ERP) ;

►► la gestion de la chaîne logistique (Supply Chain Management : SCM) ;

►► la transformation organisationnelle (Business Transformation : BT) ;

►► l’entreprise collaborative (Collaborative Working : CW, Collaborative Business Process Engineering : CBPE, Entreprise 2.0, Web 2.0 et 3.0, etc.) ;

►► l’industrie 4.0 qui correspond à des usines dites « intelligentes » (smart factories), virtualisées, avec des systèmes interopérants, où les systèmes cyberphysiques peuvent prendre des décisions en temps réel, orientées « services », modulaires et rapidement adaptables aux évolutions contextuelles ;

►► la conduite du changement (Change Management : CM).

La plupart des auteurs du Business Process Reengineering comparent la réingénierie radicale des processus (RRP) aux deux autres modes de la manièreillustréedanslafigureI.1.

Bien qu’accusé de tous lesmaux à la fin du siècle dernier, le troisièmemode (l’approche radicale) est plus que jamais d’actualité dans un contexte mondialisé instable, fortement concurrentiel, à la fois crisogène et crisophore. Nouveauté pour lui : alors qu’il était focalisé à sa naissance sur la satisfaction exclusive des actionnaires par la satisfaction des clients, il doit intégrer progressivement le développement durable et, par conséquent, prendre en compte les attentes des autres parties prenantes. Peu à peu s’est imposée l’idée que les personnels devaient également en retirer un bénéfice pour que les projets de RRP soient des succès. Puis, avec la généralisation de l’outsourcing, l’offshoring, la mondialisation des chaînes d’approvisionnement, les partenaires et les fournisseurs ont également été pris en compte comme parties concernées à part entière. Ce n’est que depuis peu que la société-collectivité a fait son apparition explicite dans les projets de réingénierie radicale des processus. Aujourd’hui, tout projet de RRP se doit d’intégrer la prise en compte des attentes et des exigences des cinq grandes familles de porteurs d’enjeux : souverains (actionnaires,

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régaliens, propriétaires, etc.), clients, personnels, partenaires-fournisseurs, société-collectivité.

Figure I.1 La comparaison des trois approches d’amélioration des processus

Depuis que nous conduisons des projets de réingénierie radicale, nous ressentons le manque crucial d’une méthode structurée pour former les consultants, les experts métier et les managers à ce type d’approche. Les ouvrages sur le sujet datent, pour la plupart, d’avant l’an 2000 et il n’y a pas eu de synthèse des leçons apprises sur trois décennies pour capitaliser suruneméthodeefficacepermettantd’avoiruneassuranceraisonnablederéussir les projets de cette nature. Nous avons ainsi constitué cette synthèse méthodologiqueau fil denotreexpérienceet nous l’avons structuréepourl’enseigner aux acteurs de nos projets. Ces dernières années, le monde universitaire nous a également demandé d’enseigner la matière aux étudiants. Cet ouvrage est donc largement redevable – par-delà les auteurs

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du BPR et de la conduite du changement – aux cadres et aux personnels des entreprises et autres organisations dans lesquelles nous avons mené des projets de réingénierie radicale des processus puisqu’ils nous ont permis de garder ce qui fonctionne et d’abandonner ce qui ne marche pas. Il est également redevable aux étudiants qui, par leurs questions, nous ont permis d’enaffinerlecontenu.Grandmerciàtous!

Innover en matière de processusL’amélioration de rupture est une réelle innovation en matière de processus comme la création de nouveaux processus qui n’ont pas existé auparavant. Cette innovation « processus » est souvent mise en comparaison avec l’innovation « produit-service » qu’elle suit chronologiquement.

Ilexiste,eneffet,deuxmomentssignificatifssuccessifsd’uncycledeviedemarché(voirfigureI.2):

►► la phase d’innovation « produit-service » ;

►► la phase d’innovation « processus ».

Figure I.2 La différenciation par les produits et les processus

Si l’innovation « produit-service » est un facteur clé d’entrée sur un marché, l’innovation « processus » aide une entreprise à sécuriser sa position sur le marché ; elles sont donc complémentaires. Il n’y a pas de réelle limite de

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temps à ces phases et chacune peut prendre des mois, voire des années. Quand l’innovation sur le produit se ralentit, soit cette phase est relancée par l’innovation d’un nouveau produit, soit on passe à la phase d’innovation sur le processus.

Les innovations « processus » sont des innovations en matière de modes opérationnels selon lesquels une entreprise conduit ses affaires, par exemple ses techniques de production et/ou de mise en marché de ses produits et services.

« L’innovation technologique des processus est l’adoption de méthodes de production nouvelles ou sensiblement améliorées, y compris des méthodes de livraison de produits. Ces méthodes peuvent impliquer des changements d’équipement, ou de l’organisation de production, ou des deux à la fois, et peuvent être dérivées de l’utilisation de nouvelles connaissances. Les méthodes peuvent être prévues pour produire ou livrer des produits nouveaux ou améliorés du point de vue technologique, qui ne peuvent pas être produits ou livrés en utilisant des méthodes de production conventionnelles, ou pour augmenterradicalementl’efficiencedeproductionoudelivraisondesproduitsexistants. » (Oslo Manual, p. 32, OECD, 1992.)

Les innovations « produits-services » peuvent amener des innovations « processus » et vice versa. De plus, ce qui est une innovation « produit- service » pour une organisation peut être une innovation « processus » pour une autre. Par exemple, si La Poste crée un nouveau service de distribution (innovation « produit-service »), cela peut être pour ses clients une nouvelle manière de distribuer leurs produits et services à leurs propres clients (innovation « processus »).

James Utterback (Mastering the Dynamics of Innovation, 1996) articule l’innovation « processus » avec l’innovation « produit-service » dans un modèle à trois phases. Dans la phase d’innovation « produit-service », il y a peu d’innovation « processus » au sens de structuration de processus capables de commercialiser, produire, maintenir, etc. le nouveau produit ou service. On change les prototypes rapidement et on adapte en conséquence les activités de mise au point de ces prototypes à leur évolution.

Dès qu’un design dominant est acquis pour le nouveau produit ou service, l’accent est mis sur l’innovation « processus » pour se doter d’une capacité de production ou de servuction en masse. L’effort d’innovation « produit-service»ralentitalorsauprofitdecetteinnovation«processus».

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Après cette phase d’innovation radicale vient la phase d’amélioration incrémentale des processus pour en réduire les coûts et en améliorer la qualité. Ilenrésulte,aufinal,unprocessusassezrigideetoptimisésurun« produit-service » vieillissant.

Pour qu’une quatrième phase (celle de réingénierie radicale) survienne, il faut qu’il y ait l’irruption d’une contrainte forte (nouvel entrant sur le marché, produit de substitution, concurrence exacerbée sur les coûts, etc.). La littérature en matière d’innovation « produit-service » n’aborde quasiment jamais la question. Or, la question de savoir s’il vaut mieux mener un projet de réingénierie radicale des processus dédiés à un catalogue de produits et de services existant que de bâtir de nouveaux processus pour des produits et des services de relève n’est pas anodine pour des dirigeants confrontés aux évolutions du marché et de la concurrence.

Par ailleurs, pour qu’un projet de RRP se rentabilise, il faut soit qu’il y ait une perspective de maintien du « produit-service » actuel sur le marché, sur une durée permettant au moins d’avoir un retour sur investissement acceptable, soitquelenouveauprocessusacquièreuneagilitéetuneflexibilitétellesqu’ilsoit capable de s’adapter à une gamme de produits et de services et/ou aux évolutions de ces produits et de ces services.

Il arrive donc qu’un effort d’innovation-amélioration du produit soit mené dans les premières étapes du projet de réingénierie radicale des processus. Dans le cas d’une réingénierie radicale de processus de services, les deux innovations se superposent et se confondent quasiment pour constituer une innovation«service-processus»(voirfigureI.3).

La méthode qui articule avec le plus de rigueur l’innovation « processus » avec l’innovation « produit-service » est celle du déploiement de la fonction qualité (QFD)miseaupoint àpartir de la findesannées1960pardeuxJaponais,YojiAkaoetShigeruMizuno.DansleQuality Function Deployment (QFD), l’innovation « processus » est prise en compte dans la troisième maison qui est celle des processus.

Les quatre maisons de cette méthode sont en effet :

►► la maison du client ;

►► la maison du produit-service ;

►► la maison du processus ;

►► la maison de contrôle qualité.

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Figure I.3 L’innovation processus et l’innovation produit

Dans l’étape d’élaboration de la maison du processus, on conçoit les processus qui fabriqueront les composants du produit ou réaliseront les composants du service, qu’ils soient internalisés ou externalisés (si les partenariats le permettent).LafigureI.4montrel’articulationentrecettemaisonetlestroisautres.

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Figure I.4 Le déploiement de la fonction « qualité » : la maison du processus

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Les différences entre l’avant et l’après réingénierie radicale peuvent porter surlesdifférentescomposantesd’unprocessus(10M)(voirfigureI.5):

►► matière : maîtrise accrue de la qualité des intrants physiques et informationnels ;

►► matériels : équipements plus performants, automatismes, robotisation, systèmes d’information refondus, etc. ;

►► milieu : redéploiement des activités, externalisation, affranchissement complet des lieux où se déroulent les activités du processus, etc. ;

►► main-d’œuvre : pouvoir de décision descendu aux mains des opérationnels…

►► méthodes:équipespluri-ettransdisciplinaires,simplificationetrecentragesur la valeur, etc. ;

►► management : aplatissement de la ligne hiérarchique, subsidiarité maximale ;

►► monitoring :systèmestempsréeldesurveillancedesflux,etc.;

►► mesures : nouvelles mesures de performance, meilleures efficacité etprécision du système de mesure, etc. ;

►► marché : segmentation des clients repensée et valeur client revisitée pour chaque segment, etc. ;

►► menaces maîtrisées : plan de continuité d’activité mis en place, etc.

Figure I.5 Le diagramme d’Ishikawa des 10 M d’un processus

Les différences portent aussi sur les liens, les relations, les interactions entre ces composants. La réingénierie radicale vise, en effet, à mettre en place une nouvelle cohérence entre tous les composants du processus pour obtenir une percée de performance. Cette cohérence repose en grande partie sur des intangibles comme la culture de la performance, des valeurs

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revisitées, l’orientation client, la capacité partenariale, l’instruction collective des problèmes, la création de sens, etc.

Le périmètre de transformation radicale peut varier fortement comme le montrelafigureI.6:delatâcheàlachaînelogistiqueglobale.

Figure I.6 Les niveaux d’innovation de processus

Voici des exemples pour illustrer ces différents niveaux d’innovation « processus » :

1. Réingénierer la chaîne logistique :

►► une plateforme comme ebay™ met en relation directement les clients avec les clients, supprimant tous les intermédiaires qu’il peut y avoir sur une chaîne traditionnelle de revente de biens de toute nature ;

►► une chaîne logistique internationale comme celle de Nike® optimise la relation entre tous les acteurs impliqués, des fournisseurs de matières premièresauxdétaillants,voireauxclientsfinalsavecleNike®-Storeenligne.

2. Réingénierer le métier ou une chaîne de valeur :

►► en France, le ministère des Finances a déployé depuis quelques années un projet de réingénierie des processus budgétaires et comptables de l’État qui a eu comme objectif d’améliorer radicalement l’ensemble de sa chaînedevaleurcomprenantunedizainedemacroprocessus;

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►► la banque en ligne comme INGdirect® a changé radicalement le métier du banquier. Ce dernier n’a plus besoin ni d’agences, ni de bataillons de chargés de clientèle, ni de gestionnaires ; et les clients n’ont plus besoin de se déplacer physiquement et n’ont plus aucune contrainte d’horaires.

3. Réingénierer un processus :

►► un transporteur comme UPS® a, avec le Radio Frequency Identification (RFID), transformé complètement son processus de transport et son service au client est désormais en mesure de suivre la situation et le déplacement des biens relatifs à ses commandes ;

►► plusieurs assureurs ont implémenté la numérisation des documents et des workflowsdetraitementdecesdocuments,supprimantainsitouslesfluxphysiques de ces documents dans les bureaux, entre les bâtiments et entre les sites distants.

4. Réingénierer une activité ou un sous-processus :

►► chezuncourtier,l’accèspartéléphoniemobileauportefeuilleclientsetàlasituation de chaque client a permis d’optimiser les tournées commerciales avecungaind’efficacitéde30%;

►► dans un autre groupe bancaire, la création d’une variante de traitement d’uneactivitédecréditpourlapriseenchargedesdossiersspécifiquesa permis de diviser par trois le temps d’accord de crédit sur les dossiers courants,représentantplusde80%duflux.

5. Réingénierer une tâche :

►► dans un établissement public d’assainissement, le relevé des niveaux d’eau salie dans les canalisations du réseau effectué précédemment par les égoutiers a été remplacé par des capteurs analogiques permettant une connaissance en temps réel des niveaux d’eau sur tout le réseau de canalisations ;

►► dansunemutuelle, la tarification faiteparunactuairesurdemandeparcourriel de la part d’un apporteur d’affaires a été transformée par une tarificationenlignevia un système expert ;

►► destéléprocéduresfiscalespermettentdésormaisauxprofessionnelsdedéclarer leurs résultats (procédure TDFC) et le montant de TVA (procédure TéléTVA),depayerleursimpôtsetdeconsulterleurcomptefiscalenligne.

Les niveaux 1, 2 et 3 sont sans conteste intégrables dans la RRP. Les niveaux 3 et 4 font partie de démarches d’amélioration algorithmiques comme le ToC, lean, six sigma. Les niveaux 4 et 5 font également partie du kaizen et du

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kaikaku local. On voit bien là que les frontières entre les types d’amélioration des processus ne sont pas précises et que les approches se recoupent sur leurs bords.

L’ingénierie/réingénierie radicale des processus (RRP) présentée dans cet ouvrage est avant tout une technique d’innovation « processus » radicale s’attaquant aux grandes transversalités, qui vise la réduction drastique des coûts, l’amélioration consistante de la qualité des produits et des services, l’augmentation notable de la réactivité pour une meilleure satisfaction des clients.

« Nous préférons le terme d’“innovation processus” pour plusieurs raisons. La réingénierie est seulement une partie de ce qui est nécessaire dans le changement radical des processus ; elle focalise sur la conception de nouveauxprocessus.Leterme“innovationprocessus”englobeladéfinitionde nouvelles stratégies de travail, la conception technique des processus et l’implémentation du changement dans toutes ses dimensions complexes aussi bien technique, humaine et organisationnelle. » (Davenport, 1993.)