l'évolution des rapports ville nature dans la pensée et la pratique

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HAL Id: tel-01002384 https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01002384 Submitted on 6 Jun 2014 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. L’évolution des rapports ville nature dans la pensée et la pratique aménagistes : la consultation internationale du Grand Paris Adrien Gey To cite this version: Adrien Gey. L’évolution des rapports ville nature dans la pensée et la pratique aménagistes : la consultation internationale du Grand Paris. Architecture, aménagement de l’espace. Université de Grenoble, 2013. Français. <NNT : 2013GRENH020>. <tel-01002384>

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  • HAL Id: tel-01002384https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01002384

    Submitted on 6 Jun 2014

    HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.

    Larchive ouverte pluridisciplinaire HAL, estdestine au dpt et la diffusion de documentsscientifiques de niveau recherche, publis ou non,manant des tablissements denseignement et derecherche franais ou trangers, des laboratoirespublics ou privs.

    Lvolution des rapports ville nature dans la pense et lapratique amnagistes : la consultation internationale du

    Grand ParisAdrien Gey

    To cite this version:Adrien Gey. Lvolution des rapports ville nature dans la pense et la pratique amnagistes : laconsultation internationale du Grand Paris. Architecture, amnagement de lespace. Universit deGrenoble, 2013. Franais. .

    https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01002384https://hal.archives-ouvertes.fr

  • Universit Joseph Fourier / Universit Pierre Mends France / Universit Stendhal / Universit de Savoie / Grenoble INP

    THSE Pour obtenir le grade de

    DOCTEUR DE LUNIVERSIT DE GRENOBLE Spcialit : Urbanisme mention amnagement.

    Arrt ministriel : 7 aot 2006

    Prsente par

    Adrien GEY Thse dirige par Yves Chalas

    prpare au sein du Laboratoire PACTE dans l'cole Doctorale Science de lHomme, du Politique et du Territoire, SHPT 454.

    Lvolution des rapports ville nature dans la pense et la pratique amnagistes : la consultation internationale du Grand Paris. Thse soutenue publiquement le 25 Octobre 2013. devant le jury compos de :

    Mr. Guy, BURGEL Professeur, Universit Paris X, (Rapporteur) Mr. Yves, CHALAS Professeur, Institut dUrbanisme de Grenoble, (Directeur de thse) Mr. Pierre, DONADIEU Professeur, Ecole Nationale Suprieure du Paysage de Versailles, (Prsident) Mme. Catherine, MAUMI Professeur, Ecole Nationale Suprieure dArchitecture de Grenoble, (Membre) Mr. Didier, PARIS Professeur, Universit Lille I, (Membre) Mme. Chris, YOUNES Professeur, Ecole National Suprieure dArchitecture de Paris La Villette, (Rapporteur)

  • Lvolution des rapports ville-nature dans la pense et la pratique amnagistes : la consultation internationale du Grand Paris.

  • 2

    Remerciements : Je remercie lensemble des architectes et urbanistes du Grand Paris

    qui ont bien voulu me recevoir dans le cadre de cette tude. En particulier Yves Lion, Antoine Grumbach, Sylvia Cassi, Franois Decoster, LIN. Je remercie galement Nicolas Tixier, responsable de la cellule scientifique du Grand Paris de mavoir clair sur la mcanique institutionnelle de cet objet complexe. Je remercie lensemble des doctorants et chercheurs qui ont pu, au cours dune discussion formelle ou informelle, rapide ou approfondie, mapporter un retour prcieux sur mon travail, en particulier Henri Thorgue, Olivier Soubeyran et Brigitte Kayser. Je remercie lensemble des documentalistes des Archives de la ville de Paris, de la Bibliothque Historique de la Ville de Paris et de la Cit de lArchitecture et du Patrimoine qui mont permis daccder rapidement certains documents prcieux. Je remercie bien sr ma famille et mes proches pour mavoir soutenu dans cette entreprise risque. Enfin je remercie Yves Chalas dont les crits et les retours aviss mont toujours permis de me remettre cheminer quand les doutes incitaient limmobilisme.

  • 3

    Rsum : Le concours international pour lagglomration parisienne qui a eu lieu fin 2008, dbut 2009 a rassembl une part importante du champ de larchitecture et de lurbanisme sur la question de la ville territoire durable. Ce moment spcifique nous offre la possibilit dtudier les cadres de la pense amnagiste sur la question des rapports ville- nature et de les mettre en perspective avec les formes urbaines passes ainsi quavec les grands courants de pense en amnagement.

    Nous commenons par le descriptif de ces rapports tels quils se sont incarns dans les formes historiques de la ville europenne ainsi que dans les textes thoriques ayant accord une place spcifique lune des dclinaisons possibles de la nature . Nous comparons ensuite ces rapports et les reprsentations de la nature qui les ont motivs avec les utilisations des lments naturels qui ont t faites dans les projets du Grand Paris. Grce un commentaire hermneutique des dossiers de rendu du concours, analysant non seulement les usages des lments naturels mais aussi les valeurs associes ceux-ci, comme la matrialit du discours sur la nature, nous identifions les chos et carts en termes de reprsentations.

  • 4

    INTRODUCTION .................................................................................................................... 9

    I. Situation et intrt de la recherche. ..................................................................................... 9 II. Dfinitions des termes et nonc de la problmatique. ................................................... 13

    II.1 Ville et nature. ........................................................................................................... 13 II.2 Les rapports ville-nature comme rapport entre les formes. ....................................... 15 II.3 Lvolution des pratiques comme volution des formes. .......................................... 18 II.4 La pense amnagiste et la thorie urbaine. .............................................................. 19 II.5 Dfinir lvolution des rapports ville-nature dans la pense amnagiste. ................. 22 II.6 Le rapport au politique dans la thorie et les formes urbaines. ................................. 22 II.7 Dfinir le contenu des dossiers du Grand Paris. ........................................................ 24

    II.7.1 Gense du Grand Paris........................................................................................ 24 II.7.2 Le contenu des dossiers. ..................................................................................... 30

    Problmatique et hypothses............................................................................................. 38 Rcapitulatif des attendus de recherche : ........................................................................ 40 III. Mthodologie. ................................................................................................................ 41

    III.1 Lanalyse des formes urbaines. ................................................................................ 41

    III.1.1 La description des formes physiques. ............................................................... 41 III.1.2 Le sens des formes urbaines et naturelles. ........................................................ 43

    III.2 Les comparaisons avec les thories durbanisme..................................................... 45 III.2.1 Principe de slection des textes. ........................................................................ 45 III.2.2 Sur lexplication gntique des propositions : la question du champ et du paradigme. .................................................................................................................... 51

    III.3 Lanalyse des reprsentations et des valeurs............................................................ 54 III.3.1. La reprsentation comme structure dynamique................................................ 54 III.3.2 Valeurs et systme de valeurs. .......................................................................... 55

    III.4 Ltude du discours. ................................................................................................. 56 III.4.1 Rappel sur ltude du discours. ......................................................................... 58 III.4.2 Dfinition et statut du discours durbanisme..................................................... 59 III.4.3 Comment dcrire le discours du Grand Paris ? ................................................. 59

    Conclusion et nonc du plan ........................................................................................ 62

    PREMIERE PARTIE : HISTOIRE DES FORMES ET DES IDEES .............................. 64

    I. Histoire des formes urbaines et des rapports ville- nature. ............................................... 64

    I.1 La ville antique ........................................................................................................... 65

    I.1.1. Structuration morphologique des villes. ............................................................. 65 I.1.2 La prsence effective de la nature dans la ville. ................................................. 70 I.1.3 La ville antique comme ville territoire................................................................. 72 I.1.4 Reprsentations et pratiques. ............................................................................... 74 I.1.5 Paris : origine et fondation. .................................................................................. 76

    I.2 La ville mdivale. ...................................................................................................... 78

  • 5

    I.2.1 Le systme spatial ville/campagne....................................................................... 79 I.2.2 Prsence de la nature: la ville champtre ............................................................. 80 I.2.3 Mentalits et reprsentations de la nature. ........................................................... 82 I.2.4 Paris mdival. ..................................................................................................... 83

    I.3 La ville classique......................................................................................................... 87 I.3.1 Permanences historiques et prsences de la nature. ............................................. 87 I.3.2 Les jardins et promenades travers les sicles. ................................................... 91 I.3.3 La prsence de leau travers les sicles : de la ville champtre la putrfaction....................................................................................................................................... 95 I.3.4 Emergence dune pense sur la ville.................................................................... 97 I.3.5 Paris travers les sicles.................................................................................... 100

    I.4 La ville industrielle. .................................................................................................. 107 I.4.1 Dynamiques urbaines......................................................................................... 107 I.4.2 Prsence de la nature en ville............................................................................. 109 I.4.3 Pense antiurbaine et volont de desserrement.................................................. 111 I.4.4 Paris du XIXme et du XXme sicles.............................................................. 113

    I.5 La ville contemporaine.............................................................................................. 118 I.5.1 La nature dans la ville fragmente. .................................................................... 119 I.5.2 La nature dans les villes cologiques. ................................................................ 124 I.5.3 Nature, environnement et paysage comme objets de pense. ............................ 126 I.5.4 Formes urbaines contemporaines et nature....................................................... 129 I.5.5 Le Paris daujourdhui et la nature.................................................................... 148

    Conclusion :.................................................................................................................... 153 II. Histoire des ides........................................................................................................... 154

    II. 1 La nature dans les utopies....................................................................................... 156

    II.1.1 Une nature sparatrice et insulaire.................................................................... 156 II.1.2 Le milieu naturel comme lieu de la refondation............................................... 159 II.1.3 Nature soumise/ partenaire ............................................................................... 160 II.1.4 La luxuriance indicielle .................................................................................... 161

    II.2 Lusage artistique de la nature................................................................................. 163 II.2.1 Vrit du site et beaut essentielle.................................................................... 164 II.2.2 Leffet et le pittoresque..................................................................................... 166 II. 2.3 Vgtal et pictural............................................................................................ 170

    II.3 Le village et la nature domestique. ........................................................................ 175 II.3.1 Sens du village transcommunautaire. ............................................................... 175 II.3.2. Les cits-jardins, une exprience part........................................................... 177 II.3.3 Le village sgrgation. Des valeurs amricaines au New Urbanism................ 182

    II.4 Mystique de la nature.............................................................................................. 194 II.4.1 Le Heimat et la nature. ..................................................................................... 195 II.4.2 Morphologies des villes paysage. ..................................................................... 196

    II.5. Penses des systmes verts. .................................................................................... 208 II.5.1 Conception du projet durbanisme. .................................................................. 208 II.5.2 Considrations sur la ville et sur la nature........................................................ 210 II.5.3 Morphologie des systmes............................................................................... 213

    II.6 La pense technique de la nature. ............................................................................ 217 II.6.1 Origines et influences. ...................................................................................... 217 II.6.2 Statut des lments naturels : cintique et statique........................................... 220

    II.7 La nature comme moyen de dissolution des villes .................................................. 225

  • 6

    II.7.1. Constats ngatifs et conditions de nature. ....................................................... 226 II.7.2 Les fondements politiques des projets de dissolution. ............................... 230 II.7.3 Les projets de dissolution ................................................................................ 234

    II.8 La pense de lextension de lagglomration parisienne......................................... 246 II.8.1 Rappels historiques........................................................................................... 247 II.8.2 Les documents de 1919. ................................................................................... 248 II.8.3 Les suites de la pense de lextension. ............................................................. 253

    Conclusion gnrale premire partie : une tentative de classement des reprsentations............................................................................................................................................. 259

    DEUXIEME PARTIE : LA NATURE DANS LES PROJETS DU GRAND PARIS. ... 264

    I. La nature potique revendique ...................................................................................... 265

    I.1.Lapproche sensible comme mthodologie et comme justification.......................... 267

    I.1.1 Lurbanisme sensible comme mthode dapprhension de la ville. ............ 267 I.1.2 Le projet artiste et ouvert. .................................................................................. 268 I.1.3 Limmersion sensible dans la nature.................................................................. 271 I.1.4 Les origines du sensible. .................................................................................... 272 I.1.5 Etre touriste dans sa propre ville ou les ressources du paysage................... 274

    I.2 La posie des lieux................................................................................................... 278 I.2.1 Les lieux de leau : la berge et le rivage. ........................................................... 279 I.2.2 Le port comme lieu de la rencontre entre nature et technique. .......................... 287 I.2.3 La lisire comme figure du tiers espace............................................................. 290 I.2.4 Les espaces agricoles comme amnits paysagres........................................... 291

    I.3 Dynamiques potiques .............................................................................................. 293 I.3.1 Dynamique denfouissement et intensification.................................................. 293 I.3.2 Vitalisme de la nature micro-chelle............................................................... 295

    I.4 La mobilit comme rvlatrice de la ville nature...................................................... 299 I.4.1 La mobilit potique dans la nature. .................................................................. 300 I.4.2 Cheminements et parcours potiques : marche et vlo. ..................................... 302

    I.5 Permanences et diffrences dans la pense urbaine de la nature potique. .............. 307 I.5.1 Nature ordonne et collages............................................................................... 307 I.5.3 Le social comme partenaire potique. ............................................................... 313 Conclusion sur la nature potique : vgtal, eau et proximit. .................................. 315

    II. La nature thrapeutique. ................................................................................................ 316

    II.1 La nature au secours du social et du politique........................................................ 317

    II.1.1 La nature comme projet de civilisation. ........................................................... 317 II.1.2 Laccs aux espaces naturels comme signe de lgalit. ................................. 321 II.1.3 Les lieux de lagriculture comme refondation du lien social .......................... 322 II.1.4 La nature comme agent de refondation sociale et politique. ............................ 332

    II. 2. La nature autothrapeutique. ................................................................................. 346 II.2.1 Nature en ville. ................................................................................................. 347 II.2.2 Ensauvagement et espaces vierges. .................................................................. 351 II.2.3 Autopuration et processus naturels. ................................................................ 361

    II.3 Thrapeutique de la ville. ........................................................................................ 370 II.3.1 Lembellissement.............................................................................................. 370

  • 7

    II.3.2 Usages techniques de la nature dans la ville.................................................... 381 II.3.4 Lcrin naturel comme scurit. ....................................................................... 397 Conclusion sur la nature thrapeutique : lhyper nature dans les projets du Grand Paris..................................................................................................................................... 404

    III. La nature structurante................................................................................................... 406 III. 1 Les structurations indirectes. ................................................................................. 408

    III.1.1 La prise en compte de la gographie dans lapprhension des territoires. ...... 408 III.1.2 La nature comme externalit dans les politiques de transports. ..................... 417 III.1.3 Structuration indirecte de lhabitat. ................................................................. 429

    III.2 La structuration morphologique directe ................................................................ 438 III.2.1 Structures globales .......................................................................................... 438 III.2.2 Modes de structuration .................................................................................... 474 Conclusion sur la nature structurante : La nature comme espace de structuration et de dissolution. ................................................................................................................. 544 Conclusion gnrale deuxime partie ..................................................................... 547

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  • 9

    INTRODUCTION

    I. Situation et intrt de la recherche. Ce travail a pour ambition dapporter une modeste contribution

    ltude des cadres de la pense amnagiste. Initi par Yves Chalas dans les annes 901, ce type de recherche a pour but de comprendre les ressorts de laction et de la pense en urbanisme, les grands repres cognitifs qui fondent et justifient lamnagement du territoire par les professionnels. Il sagit alors de dcrire et de mettre en vidence lensemble des reprsentations, des schmes, rationalisations, images et justifications qui fondent ce quYves Chalas rassemblait sous le terme dimaginaire amnageur 2. Il ne sagissait pas alors, il ne sagit toujours pas aujourdhui, de rentrer dans le difficile dbat qui concerne la nature des reprsentations, leur existence possible et leur rapport la pense, mais plutt de partir de faits admis qui font des reprsentations les moteurs plastiques et modifiables, dune pratique qui agit en retour sur elles. Partant de l ce champ de recherche sest patiemment appliqu partir de ltude des discours, cartographier, dcrire, expliquer les cadres de la pense en amnagement, identifiant par exemple le rle associ au quartier dans la rnovation urbaine, les ressorts de laction face lincertitude et plus gnralement lmergence dune pense faible en urbanisme, caractristique de la fin du rationalisme en urbanisme. La pense faible se dfinit comme une pense pratique, ouverte et non dogmatique et ce travail sinscrit dans le prolongement de cette cartographie de la pense faible, lheure o lurbanisme est trs largement travers par les questions de la durabilit et de lcologie, c'est--dire par la question des valeurs environnementales. Aussi notre travail retrouve galement une tradition de recherche trs largement anglo-saxonne et qui concerne les valeurs dans lamnagement, valeurs entendues au sens Weberien de principe guidant les choix. Ce champ de recherche initi par Peter Marcuse en 1976 posait la question de la possibilit dune thique de lamnageur en rapport avec ses missions. Ces travaux ont ainsi progressivement examin les principes axiologiques guidant lvaluation et laction sur la ville, notamment les valeurs inspires de lthique conversationnelle dHabermas et Apel, ainsi que de

    1 Chalas, Y., Thorgue, H. Le complexe de No ou limaginaire amnageur : espaces et pratiques dimaginaire dEchirolles, Grenoble, IREPS-CEPS, 1987. 2 Par imaginaire amnageur en mutation, il faut donc entendre lensemble nouveau et ouvert des reprsentations, des significations, des ides prgnantes ou rcurrentes, des rfrents et des rfrenciations, des orientations, etc, implicites ou explicites, contradictoires mais aussi complmentaires, qui paraissent dsormais structurer les pratique urbanistiques. Chalas, Y. (Dir.). Limaginaire amnageur en mutation, Paris, Lharmattan, 2004, p. 15.

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    la justice sociale de Rawls. Aujourdhui les travaux sur les valeurs en urbanisme se font rares et un trs rcent numro de la revue Planning Thory1 soulignait la ncessit de se rengager sur ce terrain de recherche. Applique notre objet dtude, la rflexion en terme de valeur consiste sinterroger sur la monte des valeurs environnementales en tant que signe dun retour la pense forte, entendue comme pense dogmatique et doctrinaire. Ce rapport a galement une perspective historique et il prtend comparer la pense amnagiste actuelle avec les grandes doctrines urbanistiques passes, ou en tous les cas les paradigmes2 qui ont trs largement influenc la production de la ville au cours de lhistoire. Ainsi, ce travail retrouve les perspectives ouvertes par les travaux de Vincent Berdoulay, Olivier Soubeyran et Paul Claval propos de la naissance de lEcole Franaise dUrbanisme3 ou du rapport entre la pense gographique possibiliste du dbut du vingtime, et lcologie urbaine4.

    Tous ces travaux, comme le prsent rapport, oscillent entre sociologie des connaissances et histoire des ides, tentant chaque fois, dans le cadre ncessairement pluraliste des tudes urbaines, de dcrire et de souligner les ruptures, les filiations ou les antagonismes entre diffrents paradigmes. Ds lors quon se place sur le terrain de lHistoire des ides, lexigence pistmologique impose videmment de prendre en compte les travaux de Michel Foucault. Or sur ce point, si ce travail se rclame dune inspiration foucaldienne, il ne peut en rien se tenir aux exigences programmatiques dfinies dans lArchologie du savoir. Le travail devrait commencer par une cartographie de cette formation discursive combien complexe quest le discours sur la ville, et aprs lui, le discours durbanisme, avec lidentification des rgles de production des noncs, soit le rgime dapparition et de construction des concepts, la description des variations thmatiques, le descriptif des instances nonciatives et des stratgies. Ensuite ces objets, concepts et thories se devraient dtre clairs la lueur du jeu de combinaisons des corrlations, analogies et diffrences dfinies par lpistm en cours5. Enfin les rapports ville- nature devraient eux-mmes faire lobjet dun travail archologique lintrieur de cette formation. On voit lampleur de la tche et il nous serait difficile dy souscrire ici. Par ailleurs, une profonde diffrence pistmologique nous spare ; pour Foucault le discours ne renvoie pas des reprsentations6 alors que cest lun de nos postulats pistmologiques.

    1 Planning Theory, 2012, 11, (4). 2 Nous entendons ici le terme paradigme comme ensemble de concepts et thmatiques communes un certain champ une certaine poque. Nous navons pas lambition pistmologique de rapprocher notre travail des thses classiques en histoire des sciences et bien sr de Kuhn. Nous suivons en cela les remarques dOlivier Soubeyran. Soubeyran, O. Imaginaire, science et discipline, Paris, LHarmattan, 1997. 3Berdoulay, V., Claval, P. Au dbut de lurbanisme franais : regards croiss de scientifiques et de professionnels, fin XIX-dbut XXme sicle, Paris, lHarmattan, 2001. 4 Berdoulay, V., Soubeyran, O. Lcologie urbaine et lurbanisme, Paris, La dcouverte, 2002. 5 Foucault, M. Larchologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969. 6 Encore que sur ce problme, le radicalisme de Larchologie du savoir contraste avec le contenu des tudes pratiques antrieures. Sur les rapports entre Larchologie du savoir et Les mots et les choses, voir Foucault, M. Les mots et les choses , in Dits et crits, 1954-1975, Paris, Quarto Gallimard, 2001, pp. 526-532.

  • 11

    Cependant, le fait de ne pouvoir mobiliser les outils laisss par Foucault ne doit pas nous conduire ngliger et ignorer les apports de son travail et ainsi pratiquer une histoire des ides dbride, sappuyant sur les airs du temps ou les filiations jusque l insouponnes. Lapport de larchologie peut consister en ces trois pratiques simples que sont le refus des continuits sous jacentes qui rduit le travail des ides ltablissement dun dj vu, et qui voit dans un texte ou chez un auteur, lannonce ou mme la totalit de ce qui sera pens, crit ou thoris par la suite. Dmarche qui a probablement conduit lenfermement du texte durbanisme dans cette partition binaire entre rgle et modle comme figures discursives persistantes du discours sur la ville travers lhistoire. Le deuxime apport concerne la notion duvre et la mise en vidence du caractre minemment rticulaire du projet durbanisme, qui comme toute production discursive est un nud au cur dun rseau dintertextualit qui le constitue et lui donne sens. Enfin, la description simple des thories, objets et concepts prsents dans le discours de la ville durable, peut constituer le premier pas de cette dmarche archologique de plus grande ampleur.

    Dans cette perspective dhistoire des ides, ltude du concours international du Grand Paris relve dun grand intrt. Premirement parce quun concours dides en architecture et en urbanisme est une formalisation explicite des questions, problmatiques et enjeux qui traversent le champ de lamnagement un moment donn. Le concours dides, qui plus est international et portant sur lavenir dune mtropole, rend saillantes les grandes tendances qui animent la discipline en mme temps quil contribue les ancrer dans la pense et la pratique amnagiste. La tche du chercheur qui tudie les cadres de la pense amnagistes sen trouve facilite puisque la problmatique nest pas constitue par lui travers le rassemblement de donnes et faits pars, mais elle se donne voir, comme une preuve de ltat de la rflexion du champ disciplinaire. Le prochain colloque organis propos des apports des travaux de la commission dextension de Paris de 1913 et du concours pour cette extension en 1919, tmoigne de cet intrt grandissant pour ce genre dpreuves dans le cadre de lpistmologie des pratiques damnagement. Deuximement, lintrt du concours du Grand Paris rside bien sr dans le contenu de son cahier des charges dont lune des deux ambitions tait de dfinir et penser la ville durable. Il ne sagit pas l de renier la spcificit parisienne, cependant lencodage du concours comportait une trs forte dimension environnementale applique lchelle territoriale. Le concours dides du Grand Paris, parce quil rassemble une part importante et influente du champ de lamnagement, appuye par des centres de recherche en sciences dures ou sociales, nous offre lextraordinaire possibilit dtudier les discours, reprsentations et valeurs attachs la ville durable. Jusquici, jamais une rflexion aussi pousse et complte, embrassant les dimensions physiques, conomiques, sociales et politiques de lurbain navait t propose propos dun cas concret de mtropole durable. Si lon peut se dsoler du dcalage entre ces projets et les effectives ralisations en cours aujourdhui1, on ne doit pas

    1 Burgel, G. Pour la ville, Paris, Creaphis, 2012, p. 71, notamment.

  • 12

    oublier limportance de ces dossiers dans lactualisation de la pense amnagiste. Les dossiers du concours constituent donc un matriau extrmement riche qui pourrait tre tudi sous des angles multiples et varis. Lun des lments qui fonde cette richesse, cest la considrable augmentation de la part du discours crit dans cet urbanisme prospectif. Ainsi, lun des intrts sous-jacent cette tude, rside dans la possibilit dtudier larchitecture et les caractristiques discursives de ces dossiers. Non pas seulement les isotopies, ou les termes clefs qutudiait par exemple Yves Chalas dans ses travaux sur la priphrie1, mais le systme de largumentation et les mcanismes dobjectivation ou de subjectivation prsents dans le discours sur les rapports ville-nature.

    Enfin lintrt de cette recherche porte galement sur la possibilit de comprendre et de dcrire notre rapport la nature. Urbanisme et architecture relvent la fois de la technique mais galement de lart appliqu ncessitant une part de sensibilit artistique dans la composition et lorganisation des espaces architecturaux ou urbains2. En tant que techniques de lhabiter, ces disciplines participent la dfinition dun certain rapport la nature et la construction in fine dun ordre naturel 3 propre chaque poque. La psychologie sociale a depuis longtemps soulign cette construction culturelle de la nature dans laquelle lhomme nest pas matre et possesseur de cette dernire mais inventeur de celle-ci4. Cette invention est le fait des sciences et des arts qui travers leurs pratiques dfinissent la nature et lui assignent une place dans le champ reprsentationnel humain. Les techniques de lhabiter ont une grande responsabilit dans la construction de ce rapport et tudier les rapports ville nature travers le concours du Grand Paris, cest par consquent tudier cet ordre naturel plus global qui caractrise chaque poque. Plutt quune dmarche dductive, qui ferait de ces propositions les consquences dun esprit du temps ou dun paradigme englobant, cette recherche prtend oprer par induction en sattachant dfinir de faon fine et dtaille, jusqu mettre en vidence des tensions, voire des contradictions, le rapport la nature que construit lurbanisme prospectif contemporain. Cette enqute naura rien de dfinitif et naura pas la prtention dlucider la totalit de notre rapport la nature impliqu par lurbanisme, simplement apporter quelques lments de connaissance qui se devront dtre complts par dautres tudes sur dautres projets, ou dautres techniques que celle de lhabiter.

    1 Chalas, Y (dir.). Urbanit et priphrie, Paris, Plan construction et architecture, 1997. 2 Pote, M., Bardet, F., Bardet, J. G. Introduction Lurbanisme, Paris, Sens et Tonka, 2000. 3 Moscovici, S. Essai sur lhistoire humaine de la nature, Paris, Flammarion, 1968. 4 Lhomme est non pas possesseur ou rvlateur , mais crateur de son tat de nature. Cest assez dire que son dessein nest pas de sapproprier un univers qui lui serait tranger, auquel lui-mme resterait extrieur : il consiste au contraire accomplir sa fonction de facteur interne et rgulateur de la ralit naturelle. Ibid, p. 18-19. La psychologie sociale na bien videmment pas t la seule souligner le caractre culturel et historique de la notion de nature, nous faisons rfrence Moscovici pour son concept dordre naturel. Nous ne retraons pas ici les dtails de ce dbat cul entre relativisme culturel et ralisme propos de lide de nature qui trouve toujours de nouveaux moyens dexpression travers le temps. Nous prenons le parti dun constructivisme tempr.

  • 13

    II. Dfinitions des termes et nonc de la problmatique.

    Nous dfinissons ici chacun des termes contenus dans le sujet de

    thse afin de pouvoir noncer une problmatique claire et un jeu dhypothses correspondant.

    II.1 Ville et nature. Par ville nous entendons ici simplement un Milieu physique form

    par une runion plus ou moins considrable de constructions et dvolu entre autres, lhabitat et lexercice des fonctions primitives de lhomme. 1. Nous augmenterons partiellement cette dfinition en y incluant lensemble des dispositifs techniques et spatiaux 2 de lurbain, destins organiser les diffrentes fonctions accomplies dans la ville. Par ville nous entendons de plus ce phnomne historique et situ de formation dun certain type dhabitats humains se dmarquant des formes traditionnelles dassociation3, et plus prcisment nous nous focaliserons sur les villes europennes, considrant que certaines logiques historiques de constitution leur sont communes. Nous envisageons la ville telle que dfinie par la typomorphologie, c'est--dire en tant que forme la fois physique et sociale4.

    Linstabilit 5 de la notion de nature a conduit de nombreux

    dbats et cette question a notamment t investie de la discussion propos de la place de lhomme et du social par rapport au naturel. La question des

    1Morisset. L.K. Pour une hermneutique des formes urbaines , in Morisset, L.K, Breton, M.E, (dir.). La ville phnomne de reprsentation, Quebec, Presses de luniversit du Quebec. 2 Toussaint, J.Y. Usages et techniques , in Stb, J.M, Marchal, H (dir). Trait sur la ville, Paris, PUF, 2010, pp. 461-507. 3 La ville ne correspond qu un moment de lhistoire de lagglomration des populations. Elle fait suite aux cits de lantiquit, se dmarque des hameaux, bourgs et villages par sa taille et par des activits et des institutions plus nombreuses et plus diversifies. Elle voit rapidement ses enceintes devenir obsoltes, et seffiloche dans des faubourgs aux destines incertaines. Elle finit par se fondre dans un espace urbain qui impose un nouvel ordre lensemble du territoire . Frey, J.P. La ville des architectes et des urbanistes in Paquot, T., Lussault, M., Body-Gendrot, S. La ville et lurbain, ltat des savoirs, Paris, La dcouverte, 2000, p. 106. 4 Dune part la ville est un ensemble dagencements matriels, que lon considre la localisation des units urbaines dans un territoire dtermin ou lorganisation interne de chacune delles. Dautre part, la ville ne se rduit pas une collection dobjets urbains, ni mme une combinaison de fonctions. Elle abrite une population, dote de certains caractres sociaux, ethniques, dmographiques ; elle est une collectivit ou une somme de collectivits . Roncayolo, M. Lecture de villes, Marseille, Parenthses, 2002, p. 22. 5 Latour, B. Politiques de la nature. Comment faire entrer les sciences en dmocratie, Paris, La dcouverte, 2004, pp. 77-85. Nous renvoyons cet auteur pour un descriptif des diffrentes positions sur ces rapports, ainsi qu Dagognet, F. Considrations sur lide de nature, Paris, Vrin, 1999 pour une enqute historique quant aux diffrents sens attribus la nature au cours de lhistoire des ides.

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    rapports entre socit et nature, culturel et naturel, artfact et tre naturel a conduit un certain enlisement de la rflexion sur la nature qui sest incarn dans des dbats trs vifs illustrant quel point lobjet reprsentationnel nature tait surinvesti dattitudes1 diverses. La stratgie argumentative est souvent la mme, oprer une lecture critique de la naturalit instaure dans les projets techniques ou scientifiques partir dune dfinition normative de la nature. Des travaux dhistoire des ides ont depuis remis en cause cette distinction fondatrice entre nature et technique, ou plus largement nature et culture2, et ont rappel la contingence des constructions culturelles de la nature face des propos cologistes toujours plus critiques vis--vis de loccupation humaine de la plante et de la dnaturation qui aurait cours en ce moment. Dans ses rapports avec la ville, les rflexions sur la nature se font lcho de ces dbats et la gographie culturaliste a par exemple de nombreuses fois dnonc le caractre largement artificiel des lments naturels proposs dans la ville occidentale moderne3.

    Il nest pas dans notre intention dentrer dans de tels dbats, nous adoptons un constructivisme modr, c'est--dire que nous considrons la reprsentation de la nature comme historiale et construite partir dun socle de ralit matrielle. Lenqute se devant de partir dlments concrets de ralit, nous considrons conformment la dfinition aristotlicienne de la Physis, comme tant naturel tout lment ayant en lui-mme son propre principe de croissance et de gnration4. Nous nous intressons aux non-humains et nous considrerons comme naturels lensemble des artfacts et des processus qui lient ces artfacts, soit ce que Catherine et Raphal Larrre, reprenant certains concepts de lhistoire de la philosophie, ont qualifi de natura naturata et natura naturans 5. A la fois des lments statiques et objectuels comme leau, la terre, le vgtal et certains minraux, mais galement lensemble des processus physico-chimique indpendants de lhomme.

    Cette dfinition liminaire et principielle nous permet ainsi de rester ouverts toutes les manifestations ou dclinaisons de la nature dans et hors la ville que cela soit sous sa forme vgtale, minrale, vivante et quelle soit encadre ou laisse libre . Reprenant une classification tablie par dautres, nous pourrions rassembler la diversit des incarnations matrielles de la nature dans les socits industrielles selon ces trois modes que sont la nature sauvage, domestique et entretenue6. Cette ouverture

    1 Au sens dfini par la psychologie sociale. Voir Deschamps, J.C., Beauvois, J.L. Des attitudes aux attributions, Grenoble, PUG, 1996. 2 Larrre, C., Larrre, R. Du bon usage de la nature. Pour une philosophie de lenvironnement, Paris, Flammarion, 1999, Descola, P. Par del nature et culture, Paris, Gallimard, 2005, pour les plus rcents. 3 Augustin Berque principalement, dans lensemble de sa bibliographie. 4 Aristote. Physique, Paris, Garnier-Flammarion, 1999. 5 Larrre, op.cit. 6 Arnould, P., Le Lay, Y-F., Dodane, C., Mliani, I. La nature en ville : limprobable biodiversit , in Gographie, conomie, socit, vol.13, 2011, pp. 45-68. Dautres chercheurs adoptant dautres types de distribution sensiblement quivalentes. Sur la base de lobservation de la ville de Rouen, Nicole Mathieu et son quipe caractrise la nature synthtique, artfact, domestique ou encore sauvage . Voir Hucy, W., Mathieu, N., Mazellier, T., Raynaud, H. Lhabitabilit des milieux urbains : un objet au croisement

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    nous permet de mme de pouvoir intgrer notre tude le paysage ou la campagne en tant qulments dune nature domestique. Cette assimilation nest en rien une ngation de la spcificit de ces termes, mais au contraire la reconnaissance du fait quils sont issus dun traitement particulier de la nature ; le paysage comme une construction culturelle dun rapport sensible la nature1, et la campagne comme issue de lactivit agricole2.

    En dfinitive nous optons pour une dfinition plurielle de la nature ou plutt pour une dclinaison plurielle de celle-ci sans souci de considration normative. Ainsi le lecteur ne devra pas tre surpris de voir se recouper les dfinitions de la nature et de lenvironnement, de voir voqus les produits de lagriculture en tant que produits naturels3. Ce pluralisme na pour but que de dcrire la diversit des usages et des formes que peut prendre cette nature dans la ville contemporaine, considre comme nous lavons dit en tant que forme urbaine et sociale, et donc en tant que matrialit et systme de pratiques.

    II.2 Les rapports ville-nature comme rapport entre les formes.

    Dans ces conditions, les rapports ville-nature renvoient ces deux lments conus en tant que formes urbaines. Introduite dans les annes 70 par Muratori et Aymonimo4 propos des villes italiennes, la forme urbaine a dabord renvoy la morphologie des tissus urbains. Aprs de nombreux dveloppements dans des directions diverses engags par diffrents chercheurs issus de plusieurs disciplines, le terme forme urbaine a fini par perdre de sa pertinence tant les acceptions et les emplois ont t nombreux. Lpistmologie des sciences urbaines a trs vite dnonc le flou de lexpression et le manque de srieux quant sa dfinition exacte5.

    des disciplines. in Mathieu, N., Guermond, Y., Cemagref, CIRAD, Ifremer. La ville durable, du politique au scientifique, Paris, INRA ditions, 2005. 1 La notion de paysage apporte, sans ambiguts, non seulement la vue et le visible, mais aussi la globalit du sens de la relation visuelle, et plus largement sensible au monde ambiant Donadieu, P. Le paysage. Un paradigme de mdiation entre lespace et la socit ? , in Economie rurale, n297-298, 2007, p. 5. Et de mme Un paysage est une partie de lespace quun observateur embrasse du regard en lui confrant une signification globale et un pouvoir sur ses motions , Baridon, M. Naissance et renaissance du paysage, Arles, Actes Sud, 2006. 2La campagne se dfinissant comme une configuration spatiale dun espace rural ou dpositaire dune partie de son hritage et caractrise par des densits faibles ou moyennes . Levy, J. Campagne , in Levy, J., Lussault, M. (Dir.) Dictionnaire de la gographie et de lespace des socits, Paris, Belin, 2003. La dfinition de la campagne ayant galement volu, voir Mathieu, N. La notion de rural et les rapports ville-campagne en France. Des annes 50 aux annes 80 , in Economie rurale, n197, 1990, p.35-41 et La notion de rural et les rapports ville-campagne en France. Les annes 90 , in Economie rurale, n247, 1998, pp.11-20. 3 Il nous arrivera demployer lexpression tant naturel , selon une terminologie aristotlicienne pour dsigner les lments ou objets naturels. 4 Aymonimo, C. et al. Lo Studio dei fenomeni urbani. La citt di Padova, Roma, Centro studi di storia urbanistica, 1970. 5 Choay, F., Merlin, P. (Dir.) Dictionnaire de lurbanisme, Paris, PUF, 1988, article Forme urbaine ; Genestier, P. Forme urbaineFormes urbaines ? , in Villes en parallle, 1988, 12/13, pp. 9-18, Burgel, G. La ville aujourdhui, Paris, Hachette, 1993,

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    Si effectivement des prcisions restent apporter quant la dfinition tendue et loprativit du concept, il reste quune zone stable de signification sest progressivement impose. Nous exposons ici les lments sur lesquels nous nous appuierons dans notre tude.

    Dans la continuit des tudes italiennes, ltude de la forme urbaine a t envisage comme lexamen du tissu urbain, dfini comme rapport du parcellaire, au viaire et au bti, mais galement en tant que trac et dessin de lespace de la ville. Ce type danalyse typo-morphologique est pratique notamment par les architectes ou les historiens de la ville comme Pierre Lavedan dans la gnse historique des tracs. Une autre tradition sest intresse la forme urbaine en tant que forme sociale, entendue comme distribution et structuration des populations, fonctions et activits dans lespace. La tradition de morphologie sociale initie par Emile Durkheim, Maurice Halbwachs ou lEcole de Chicago, sera reprise et approfondie par Marcel Roncayolo et inflchie dans le sens dun lien avec la smiologie par Raymond Ledrut1 ou rintgre une sociologie urbaine avec Yves Graffmeyer. Partant dune adaptation du concept de morphologie issu de la tradition Durkheimienne, Henri Lefebvre en arrive concevoir la forme urbaine comme forme pure indpendante de toute matire sociale ou physique2.

    Par consquent les rapports ville-nature dsignent en premier lieu la forme des espaces urbains et naturels, leurs proportions les uns par rapport aux autres, les rapports de distance ou de proximit, de frontalit, de prolongement, qui sont crs entre eux. Ils dsignent notamment la place des espaces naturels dans le tissu urbain, c'est--dire les relations de ces espaces la rue, au parcellaire et larchitecture qui les entoure. Si donner forme la ville, cest imprimer une certaine composition, un jeu de vides et de pleins de lespace construit, cest aussi crer des reprsentations qui en rendent compte ou qui en idalisent la forme. 3, alors ltude des rapports ville-nature dsigne lexamen de la structure des vides qui composent la ville, la mise en vidence des alternances ou des continuits, de la matrialit de ces continuits comme de ces creux ou des intensits. Cependant tudier les rapports ville-nature, cest conformment au discours de la morphologie sociale, tudier galement les rapports sociaux induits par ces formes physiques, tout comme les types de populations frquentant ces espaces naturels ou le type dactivits y ayant cours. Lvaluation de ces rapports se doit dtre faite sous le double point de vue du physique et du social.

    pour les premires dnonciations quant au manque de rigueur conceptuel. En 1999, Dominique Raynaud rappelait la polysmie du terme forme en sappuyant sur une tude tymologique prcise, constant que ces diffrents smes avaient engag les diffrentes orientations de la recherche urbaine quant la morphologie. Voir Forme urbaine : une notion exemplaire du point de vue de lpistmologie des sciences sociales in Langages singuliers et partags de lurbain, Actes du colloque de LOUEST, CNRS UMR 7544, Paris, lHarmattan, pp. 93-120. 1 Roncayolo, M. Lectures de ville, Formes et temps, Marseille, Parenthses, 2002 , Ledrut, R. La forme et le sens dans la socit, Paris, Librairie des Mridiens, 1984. 2 Lefebvre, H. La rvolution urbaine, Paris, Gallimard, 1970. 3 Pumain, D., Paquot, T., Kleinschnager, R. Dictionnaire de la ville et de lurbain, Paris, Anthropos, 2007, p. 32.

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    Analyser une forme, ou un rapport entre des formes, passe par

    lattribution dun sens ces morphologies. De la mme manire quune forme urbaine nexiste pas en soi mais incarne dans ses reprsentations, elle nexiste pas non plus sans un sens qui lui est propre. Le sens dune forme urbaine, et priori dune forme naturelle dans la ville, est issu de la double mdiation entre les intentions du concepteur de cette forme, et de lappropriation de cette forme par les usagers. La forme urbaine installe, lest au nom dune certaine conception de lespace de la part des amnageurs. Matrialit des formes et appropriation sont lies dans un processus de production du sens :

    Les paysages urbains prennent leur sens, si lon veut viter des relations trop primaires ou trop immdiates, entre les formes et leffet psychologique quelles ont sur les habitants (ce qui relverait somme toute dautres comptences ou dun autre jugement) , de tout un rseau de relations qui appartiennent aux pratiques urbaines et unissent matrialit urbaine et conduites sociales. 1 La smiognse des formes est donc ce processus qui voit la

    proposition dun ou de plusieurs sens par les concepteurs et lactualisation ou non, de ceux-ci par les usagers. Ces conceptions des formes de la part des concepteurs dfinissent un espace des possibles, douvertures, qui sera sanctionn par la pratique des usagers de cette forme. Le sens dfinitif , ou en tous les cas un moment t de la morphogense, est issu de cette mdiation, de cette hybridation des reprsentations et des intentions.

    Quant au sens construit par les concepteurs, et plus particulirement dans les phases de projection, il sincarne dans des schmas mais galement dans des discours qui encadrent et fixent le sens de ces formes :

    Il est difficile de sparer laspect concret dune transformation des propos avancs pour la justifier, des intentions qui lont vraisemblablement inspire, de la culture, des images, des croyances, et des traditions dans lesquelles les diffrentes dcisions ont pris forme, mme si cela largit considrablement le champ quil faut observer et tudier 2. Le sens dune forme est troitement tributaire du discours qui

    lencadre. Afin de dterminer le sens dune morphologie projete ou construite, il est ncessaire de comprendre et de dtailler le contexte du discours, son architecture globale et la place de cette morphologie au sein de cette architecture discursive. Voil pourquoi nous ne pouvons adhrer totalement au projet de Paola Vigano qui entreprend comme nous une tude du projet en tant que producteur de connaissances, en se basant uniquement sur les schmas et diagrammes, sans jamais faire rfrence aux discours qui les accompagnent3. Le discours fixe, dlimite, oriente une zone de sens.

    1 Roncayolo, op.cit, p. 187. 2 Secchi, B. Premire leon durbanisme, Marseille, Parenthses, 2001, p. 15. 3 Vigano, P. Les territoires de lurbanisme, le projet comme producteur de connaissance, Genve, Mtis Presse, 2012.

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    Les rapports ville nature dsignent donc galement le sens que les concepteurs de ces formes leur attribueront, ainsi que lappropriation pratique de ces espaces et les sens que les usagers de la ville vont leur donner. Aussi une continuit ou une rupture dune trame verte dans la ville ne pourra par exemple tre dclare comme telle, que si elle est propose par les concepteurs et vcue comme telle par les citadins. Lanalyste des formes construites qui existent effectivement dans la ville, ou imagines dans les projets damnagement, ne peut par consquent pas prtendre valuer seul les rapports ville-nature, mais doit prendre en compte lensemble des processus morpho et smiogntiques.

    II.3 Lvolution des pratiques comme volution des formes. Consquemment, lvolution des pratiques amnagistes dsigne

    lvolution des formes au cours de lhistoire, en tant que ces formes sont les actualisations de ces pratiques. Bien sr cette dfinition de la pratique est restrictive, les pratiques amnagistes renvoyant lensemble des actions administratives, communicationnelles et techniques que connaissent les amnageurs, ainsi que lensemble des procdures dvaluation, de production, de mdiation compris dans le processus de production de la ville. En nous focalisant sur les formes, nous nous intressons la dimension concrte de cette pratique, son aboutissement dans le rel et ce qui ne peut tre considr que comme une trace, un indice de cette pratique.

    Mesurer une ventuelle volution cest donc comparer les formes proposes dans le concours du Grand Paris celles hrites du pass et qui sincarnent concrtement dans la ville. Cependant lidentification dune forme, ou dun tat des rapports ville nature dans les formes de la ville hrite nest pas si simple. Toute forme urbaine est compose de son pass et porte en elle virtuellement son avenir1. Aucune forme ne peut faire table rase de ce qui la prcd et il peut paratre difficile dvaluer ce qui appartient une autre poque et ce qui a merg rcemment.

    La forme urbaine est un processus continue et sil est possible de la dcrire ou de la caractriser une priode prcise, on ne peut ngliger, pour la comprendre, ltude des priodes antrieures qui ont conditionn son dveloppement et lont littralement forme 2. Le processus continu de dveloppement de la forme urbaine, dont

    ltat un moment t , est issu dun croisement entre pass, prsent et avenir rend les dcoupages par poques quelque peu difficiles. Ces dcoupages sont forcement artificiels et rduisent la complexit du rel pour les ncessits de lanalyse, mais cest le propre dune dmarche analytique3. La forme urbaine est par essence volutive et il sagit donc

    1 Secchi, B. Premire leon durbanisme, Marseille, Parenthse, 2001. 2 Panerai, P., Depaule J.C., Demorgon, M., Veyrenche, M. Elments danalyse urbaine, Paris, AAM ditions, 1982, p. 16. 3 Ainsi Marcel Roncayolo estime que lon parle tort de ville baroque, classique ou industrielle car la ralit urbaine est composition, non pas au sens dun ordre impos, mais dune cote mal taille entre les apports du pass, les adjonctions et les remaniements

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    plus de mesurer et constater des processus, des mouvements, que de dcrire des images arrtes.

    Dans ces conditions, que peut vouloir dire volution formelle ? Il est probable que cette expression dsigne le changement en terme quantitatif, c'est--dire la rduction, laugmentation de la taille des espaces naturels, et des proportions des rapports bti-espaces naturels. Ce changement peut galement concerner la place, lorganisation et la rpartition des espaces naturels dans la ville, soit leur apparition, disparition, dplacement, linstauration de continuit ou de rupture avec dautres lments de lespace urbain. Enfin cela peut concerner la nature de ces espaces, soit leur changement daffectation, de fonction et la possibilit dhybridation avec dautres espaces.

    De mme, le changement peut concerner le sens de cette forme, et donc conformment ce que nous avons tabli au pralable, la fonction attribue par les concepteurs ou les usagers de cette forme urbaine. Il est possible quun mme espace soit pratiqu et encod diffremment selon les poques, changeant ainsi le sens de la forme urbaine.

    Si la suite des travaux de Lewis Mumford on accepte lide dun dveloppement historique de la ville partant de la cit close de lantiquit et du Moyen Age, dborde ensuite par le phnomne des banlieues dans la cit industrielle, phnomne lui-mme port son paroxysme dans la ville tale depuis la fin du XXme sicle1 ; voquer lvolution des rapports ville-nature, cest voquer lvolution des formes de nature dans ce vaste processus historique.

    II.4 La pense amnagiste et la thorie urbaine. La pense amnagiste ne doit pas tre confondue avec la recherche

    urbaine dont la sociologie a retrac la gense et les dynamiques de constitution2. La recherche urbaine ne concide pas avec un champ de recherche bien dfini mais plutt un thme tudi par des disciplines connexes, qui par ailleurs se seront formalises et consolides ltude de la ville. La recherche urbaine rassemble ltude des consquences sociologiques, conomiques ou cologiques de lactivit amnagiste ainsi que ltude de cette activit elle-mme, l encore dun point de vue qui pourra tre celui dune science humaine en particulier. La pense amnagiste nest pas celle des universitaires sur lamnagement mais lensemble des connaissances et modes de pense de ce groupe social hybride que constituent les amnageurs. Cette distinction nest pas si vidente puisque la pense amnagiste se nourrit fortement des apports de la recherche urbaine. Ainsi cette dernire inclut la pense amnagiste qui correspond donc un territoire beaucoup plus circonscrit et qui sest constitue progressivement un domaine dtude spcifique.

    du temps, parfois les projections davenir qui constituent les rfrences, dfaut dun paysage ; un compos si lon prfre. . Op.cit, p.183. 1 Mumford, L. La cit travers lhistoire, Paris, Seuil, 1989. 2 Voir louvrage devenu classique de Lassave, J. Les sociologues et la recherche urbaine, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 1997. On verra comment la recherche urbaine a t domine par telle ou telle discipline suivant les poques.

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    En 1973 Andras Faludi tablit la premire typologie des objets de

    recherche de la Planning Theory en distinguant substantive et procedural planning. Le premier traitant des problmes pistmologiques et le deuxime des partis pris thoriques accompagnant lamnagement en tant que pratique, rflexion laisse selon lui au soin des architectes et des urbanistes et ayant pour but dtablir la bonne forme urbaine1. Ces efforts de dfinition accompagnent la formalisation et lautonomisation de ce champ de recherche principalement dans les pays anglo-saxons et aux Etats Unis2.

    Ainsi la pense amnagiste porte autant sur les procdures institutionnelles et administratives dtablissement des projets, ce que A. Faludi appelle le substantive planning, que sur les modalits de production de la juste forme urbaine, soit le procedural planning 3. Au sein de la premire, les thories consistent en la production dune grille de comprhension de laction amnagiste et sinscrivant dans des perspectives pistmologiques diverses. Ainsi depuis les travaux sminaux de Bolan et Forester4 examinant respectivement les formes urbaines et lagir communicationnel engag dans lamnagement, la planning theory sest intresse la mdiation et la ngociation, comme des rflexions dordre thique durant la dcennie 80. Le communicative turn occupe principalement les annes 90, sintressant aux processus de construction de laction amnagiste travers une grille de lecture des sciences cognitives et de la communication et le XXIme sicle verra la problmatique de lexpertise et de la rationalit amnagiste merger5.

    Au sein de la procedural theory, on regroupe les activits qui consistent en la production de modles architecturaux et urbains justifie par un ensemble de considrations normatives. Ce sont ces thories formelles qui nous intressent ici, nous nous focalisons ici strictement sur la thorie des espaces btis, c'est--dire sur la production des formes architecturales et urbaines de diffrentes chelles partir dun ensemble de rgles ou de prceptes rgissant lespace. La thorie urbaine concernant la morphologie est aujourdhui finalement dfinie par lpistmologie anglo-saxonne comme un ensemble de rgles et de considrations dordres morphologiques, politiques et sociales destines la production dun espace bti. Les thories de lespace bti retrouvent alors le sens premier

    1 Faludi, A. Planning theory, Oxford, Pergamon, 1973. Distinction reprise et affine par Yftachel. Yiftachel, O. Towards a new typology of urban planning theories in Environment and planning B: Planning and design, n 16, 1989, pp 23-29. 2 Avec la constitution des objets de recherche que nous avons cits, mais galement travers lintgration des savoirs dans les cursus universitaires et la cration de revues, notamment Planning theory en 1990 par Luigi Mazza, ou Planning theory and practice en 1998 par Patsy Healey. Ces organes de presse ont vritablement permis lexplosion des rflexions pistmologiques quant lamnagement en autorisant la parution darticles qui sans cela nauraient jamais vu le jour. 3 Faludi, op.cit, p. 56. 4 Bolan, R, S. The practitioner as theorist: the phenomenology of the professional episode, in Journal of the American planning association, 46, n3, 1980, pp. 261- 274 et Forester, J. Critical theory and planning practice, Ibid, pp. 275- 286. 5 Pour une histoire plus precise des differents objets de la Planning Theory, voir, Klosterman, R, E. Planning Theory education: A thirty year review, in Journal of planning education and research, 31 (3), 2011, pp 319-331.

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    du mot thorie, (du Grec teorien ), signifiant observer, expliquer un phnomne. Les thories de lespace bti proposent une matrice dintelligibilit du monde urbain, une comprhension de ses dysfonctionnements et la mise en place de rgles gnratives ou de modles1, afin de remdier ces problmes. Ainsi dans lordre logique, les thories urbaines naissent de lobservation de la phnomnalit urbaine, de lapprciation dun dcalage par rapport une norme, ce que devrait tre lespace urbain, et la promulgation de mesures correctives. Sappuyant sur des savoirs pluridisciplinaires, ainsi que sur un certain nombre de techniques de production de lespace, la thorie urbaine ne sest pourtant jamais dpartie de certaines dimensions idologiques qui sont impliques par la spcificit de lobjet ville 2. Ainsi la thorie urbaine en tant quensemble de rgles destines la production dun espace difi ne correspond pas aux exigences de scientificit dfinie par les sciences dures puisque ltablissement dune norme et dun fonctionnement normal de lespace urbain relvent de partis pris anthropologiques sur le bien tre et le bon rapport lespace3. Toute thorie implique donc une vision du monde et de lhomme, en mme temps quelle participe la construction dune conception de lhabiter qui lui est propre et qui dterminera lorganisation spatiale future. Surtout, la production dun modle architectural et urbain saccompagne toujours dun modle dusager qui fait partie intgrante de la forme urbaine. Examiner une thorie, cest examiner galement un habitat et un habitant projets. Finalement tudier la pense amnagiste, cest tudier lensemble des reprsentations, des schmes, rationalisations, images et justifications qui fondent ce quYves Chalas rassemblait sous le terme dimaginaire amnageur 4. Si lamnagement de lespace est une action dune collectivit sur son territoire5, une action volontaire et rflchie , ou encore un ensemble de pratiques intentionnelles de transformation des espaces habits 6, alors la pense amnagiste est bien cet ensemble de considrations, normes et reprsentations qui guident ces pratiques.

    1 Selon les thories de Franoise Choay. 2 Allmendinger, P. Planning theory, UK, Palgrave,-MacMillan, 2002. 3 Nous rappelons que nous ne traitons ici que des thories destines la production typomorphologique de lespace et non aux autres branches de la planning thory telles que ltude des processus dcisionnels ou des gestions de lespace public. Ces dernires pouvant selon les cas prtendre des lments de scientificit. 4 Par imaginaire amnageur en mutation , il faut donc entendre lensemble nouveau et ouvert des reprsentations, des significations, des ides prgnantes ou rcurrentes, des rfrents et des rfrenciations, des orientations, etc, implicites ou explicites, contradictoires mais aussi complmentaires, qui paraissent dsormais structurer les pratique urbanistiques. Chalas, Y. (Dir.). Limaginaire amnageur en mutation, Paris, Lharmattan, 2004, p. 15, 5 Brunet, R., Ferras, R., Thry, H. Les mots de la gographie : dictionnaire critique, Collection Dynamiques des territoires, Montpellier, Reclus, La documentation franaise, 1993. 6 Devismes, L, in Lvy, J., Lussault, M. (Dir.). Dictionnaire de la gographie et de l'espace des socits, Paris, Belin, 2003.

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    II.5 Dfinir lvolution des rapports ville-nature dans la pense amnagiste.

    Lvolution des rapports ville-nature dans la pense amnagiste, cela

    dsigne donc lvolution des reprsentations, des schmes, justifications et rationalisations qui concernent la ville et la nature rassembles dans des morphologies particulires. Mesurer lvolution de la pense amnagiste, cest donc tablir des diffrences, des points communs, dventuels retours ou continuits, entre diffrentes poques ou diffrents paradigmes de la pense amnagiste. Sachant que, en anticipant quelque peu sur ce qui sera discut dans la mthodologie, la pense prospective et projective en amnagement na pas toujours t porte par la mme catgorie dacteurs dans la socit, et sous les mmes formes ni les mmes rapports, que celle qui sincarne dans les projets du Grand Paris. Il conviendra dtablir clairement les termes de la comparaison, c'est--dire les objets thoriques que nous clairons par cette mise en rapport. Par consquent la dialectique des ruptures et des continuits est utiliser avec prcaution. Dans une optique foucaldienne, il sagit plus de mesurer lespace de dispersion des thories entre elles, le rgime de leur diffrences, de leurs points communs qui tient compte de lirrmdiable diffrence de contexte historique, que de dclarer la permanence ou la rupture radicale entre une pense et une autre. Lvolution des rapports ville-nature dans la pense se fait travers un jeu dchos, dintertextualit, de renvois, soit via un systme de relations multiples et disperses qui rend lutilisation du vocable de la rupture et de la continuit dlicate. De mme les projets dtablissement de nouvelles formes urbaines, et donc potentiellement dun nouveau rapport ville-nature, ne vont jamais rellement au bout de leur logique radicale et subissent toujours des processus dhybridation avec lexistant du fait de lincertitude : la figure de linachvement quant elle invalide la dialectique de la continuit et de la rupture utilise pour comprendre lorigine de ces mmes projets 1.

    Ainsi nous parlerons plus volontiers danalogies, ou dchos que de continuit ou de rvolution propos de lhistoire des ides en amnagement. Prcisons galement que nous serons plus attentifs relever les nouveauts, les flures ou les brches ouvertes par des solutions inattendues que les usuelles continuits de la pense de recyclage 2.

    II.6 Le rapport au politique dans la thorie et les formes urbaines.

    Une part de lpistmologie des sciences urbaines saccorde pour

    tablir la dpolitisation du discours durbanisme en tant que condition de possibilit de son mergence comme discipline3. Le terme dpolitisation peut paratre discutable car il implique lide dune

    1 Chalas, op.cit, p. 264. 2 Soubeyran, O. Imaginaire disciplinaire et cologie urbaine , in Quaderni, 43, 2000, p. 119, in Chalas, op.cit, p. 260. 3 Benevolo, L. Histoire de la ville, Marseille, Parenthses, 1983, Choay, F. Lurbanisme, Utopies et ralits. Une anthologie, Paris, Seuil, 1965.

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    sparation, dune perte de la dimension politique et dune purification dune entit qui serait dj prsente auparavant et qui se serait spare, leste progressivement des entraves sa scientificit, ou du moins sa neutralit disciplinaire. On sait depuis les travaux de Foucault et Canguilhem que les formations discursives voluent par mutation, et non par processus de purification progressifs . Il est beaucoup plus probable que le discours durbanisme se soit modifi et ait acquis, sous linfluence de la gographie, de lhistoire, et bien sr de lhyginisme, des modes de production de ses noncs plus proches des sciences sociales. Mais en mme temps quil a marqu son indpendance par rapport au discours politique qui lavait jusqualors encadr et thmatis , il sest profondment transform. Ainsi, des travaux plus prcis quant lhistoire de lurbanisme en France ont montr que plutt quune dpolitisation de la discipline, sest en fait instaur un rapport plus complexe entre pouvoir politique et urbanisme. Ce dernier ayant t mis au service dune pratique de gouvernement, il sest effectivement rendu plus scientifique , mais afin de pouvoir au mieux justifier et accompagner une politique hyginiste et planificatrice damnagement1. Lurbanisme a donc t mis au service de lactualisation de certaines formes de pouvoir et de gouvernementalit. Enfin il faudrait prciser la dfinition du terme politique , car si lon suit les dfinitions classiques tablies par la science politique la dfinissant comme la pratique rglementant les rapports de pouvoir, de conflit, de contrle et de domination, la science urbaine ne sen est que partiellement carte2. Emprunte de considrations normatives, cette dernire implique des dfinitions et des conceptions particulires de lespace et en particulier de lespace public, ce qui renvoie directement au vivre ensemble et au politique. Le projet urbain est toujours porteur dune relation autrui, la communaut, lordre et la vie en socit ; en ce sens il relve bien du politique dfini en tant que moyen de gestion de la conflictualit sociale. Les morphologies influent sur les comportements et la vie en groupe. Sans entrer sur le dbat entre forme physique et forme sociale, il apparat indniable que la ville en tant que forme physique a in fine une influence sur les relations sociales. Dans la mesure o lagencement des formes physiques est le fait des pouvoirs publics, elles doivent tre considres juste titre comme des lments des dispositifs dont dispose le pouvoir afin de grer, organiser, orienter la vie de la population. Ainsi la forme urbaine est une des incarnations de la gouvernementalit propre une poque. Si Foucault a au dbut circonscrit lusage de ce concept lmergence des techniques de pouvoir en lien avec la naissance du concept de population au XVIme, le philosophe a par la suite gnralis la gouvernementalit toutes les formes et techniques de pouvoir3.

    Ainsi tudier les rapports ville-nature tels quincarns une poque dans des morphologies concrtes, ou en tant que projections dans des thories urbaines, cest invitablement tudier un type de gouvernementalit. Comme toute forme, ou rapport entre les formes, les

    1 Gaudin, J.P. La gense de lurbanisme de plan et la question de la modernisation politique , in Revue franaise de Sciences Politiques, n3, 1989, pp. 296-313. 2 Alcaud, D., Bouvet, L., Contamin, J,G., Crettiez, X., Morel, S. Dictionnaire de sciences politiques, Paris, Dalloz, 2010. 3 Foucault, M. Scurit, territoire, population, Paris, Gallimard-Seuil, 2004a.

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    relations ville-nature impliquent des rapports sociaux particuliers. Ces rapports sinscrivant aujourdhui dans le cadre plus large de la ville durable, lconomie de cette gouvernementalit se justifie dautant plus. En effet les propositions quant ltablissement de la ville durable ne se limitent pas la construction dun rapport morphologique ville nature, mais embrasse un nombre de ralits considrable et notamment le comportement des usagers dans la ville. Comprenant que la ville post-Kyoto est un fait social total, les quipes ont non seulement propos des dispositifs matriels mais galement conomiques, administratifs ou sociaux, destins organiser tous les aspects de la vie des usagers.

    II.7 Dfinir le contenu des dossiers du Grand Paris.

    II.7.1 Gense du Grand Paris.

    II.7.1.1 Le fait dun temps long et dun temps court.

    Il apparat difficile dtablir une gnalogie claire du concours du

    Grand Paris tant les appropriations ont t nombreuses et polmiques. Lex-prsident de la Rpublique Nicolas Sarkozy en a par exemple revendiqu la paternit, soutenu en cela par un certain nombre de textes et darticles vise gntique1, mais aussi par des personnalits, le prsident du conseil scientifique Paul Chemetov attribuant par exemple cette naissance au coup de tte du prsident. Les conseillers municipaux de la ville de Paris eux-mmes ont revendiqu une part de responsabilit dans cette rflexion, le conseiller Pierre Mansart dclarant que ce projet tait dans les cartons de Bertrand Delano depuis 2004. Lavnement du Grand Paris est beaucoup plus srement le rsultat dactions multiples et entrecroises que le fait dun seul homme ou dun seul organisme. Ainsi comme nous le disions il apparat fort difficile dtablir une progression historique claire et nette quant lexistence du concours, celui-ci tant un objet de luttes symboliques importantes, cependant nous pouvons retracer brivement la conjonction des quelques lments qui lont trs probablement fond.

    Depuis 2000 le BRAUP, Bureau de la Recherche Architecturale

    Urbaine et Paysagre, appartenant lui-mme la Direction de lArchitecture et du Patrimoine (DAPA), au sein du Ministre de la Culture, est dirige par Eric Lengereau. Le BRAUP lance partir de 2000 des appels doffre dans le domaine de la recherche architecturale et paysagre afin de rflchir diffrents enjeux urbains contemporains comme les villes nouvelles ou la ville crative.

    1Ainsi louvrage Le Grand Paris. Les coulisses de la consultation contribue largement lide que le concours du Grand Paris tait linitiative de Nicolas Sarkozy. Leloup, M., Bertone, M. Le Grand Paris, Les coulisses de la consultation, Paris, Archibooks, 2009.

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    Le 23-25 Novembre 2005 est organis Lille le colloque EURAU intitul Lespace de la grande chelle en question qui sera le point de dpart dune rflexion collective sur la possibilit du projet urbain lchelle de lagglomration. Cette rflexion conduira la rdaction de lappel doffre du projet interdisciplinaire de recherche intitul Larchitecture de la grande chelle (AGE). Cet appel doffre est ralis par le BRAUP, le programme de recherche tant par la suite gr dans sa conception et sa mise en uvre par la DAPA associe au DGUHC (Direction Gnrale de lUrbanisme, de lHabitat et de la Construction).

    Le programme stale sur quatre ans et le but est alors de financer chaque anne huit quipes pluridisciplinaires sur le thme impos de la grande chelle mais propos duquel le sujet reste libre c'est--dire traitant dun objet particulier et choisi par les quipes. La rponse ces appels doffre devant rpondre la triple exigence dallier recherche architecturale, pratique du projet et pdagogie. Chaque projet prsent obit un strict cahier des charges, il doit dfinir clairement son projet de recherche, ses principes mthodologiques, les perspectives de valorisation, lidentit des participants et le calendrier prvisionnel1. A lissue dune slection par un comit de pilotage et scientifique du programme, huit projets sont slectionns pour tre mis en uvre et dits2. Les objectifs de ce projet AGE sont de plusieurs ordres. Tout dabord penser le logement dans sa dimension territoriale, c'est--dire articul au problme de la mobilit, penser les outils institutionnels et pratiques du projet urbain, proposer des outils projectuels innovants car articulant thorie et pratique3. Chaque quipe pluridisciplinaire devra dvelopper son projet partir dun territoire en particulier et proposer certaines innovations pdagogiques dans la mise en place de ce projet. Il est important de noter lexigence de coopration interdisciplinaire impose par le programme de recherche, le cahier des charges voquant mme la ncessit dhybridation des pratiques scientifiques4.

    En 2007, un des sminaires de recherche sur la grande chelle porte justement sur lagglomration parisienne. Lors de ce sminaire la Villette, Paul Chemetov, Yves Lion, et Louis Burgel discutent trs prcisment des possibilits de rorganisation du territoire parisien. A mi-parcours du programme AGE, merge alors la volont dapprofondir cette rflexion sur la mtropole parisienne. A linitiative dEric Lengereau, est propose au ministre de la culture un projet de recherche portant sur ce territoire et destin tre pilot par le BRAUP. Enthousiasm par cette ide, le chef de ltat profite de linauguration de la cit de larchitecture et du patrimoine le 17 Septembre 2007 pour lancer le concours dides sur le Grand Paris. Comme pour les prcdents, cest Eric Lengereau quchoit la tche de rdiger le cahier des charges de lappel doffre auquel rpondront 43 quipes, parmi lesquelles dix seront slectionnes.

    1 Voir annexe 1, LArchitecture de la Grande Echelle. Programme interdisciplinaire de recherche. Bilan de lappel propositions de recherche. Sessions 2006, 2007. DAPA, DGUHC, Paris, 2007. 2 Ibid pour le calendrier des sessions et le descriptif prcis des dates de rendus, sminaires et ditions. 3 Ibid. 4DAPA, DGUHC, op.cit, p. 12.

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    Paralllement un comit de pilotage, un conseil scientifique et une cellule scientifique oprationnelle sont mis en place par le ministre de la culture. Cette dernire aura pour mission dorganiser des comptes-rendus, des synthses et des confrontations entre les quipes lors du processus de rflexion aliment par les quipes. Le concours du Grand Paris est dabord le fruit dun encodage particulier de la part de la matrise douvrage savoir du Ministre de la Culture et de la Communication. Le concours, tel quil a t rdig procde dune lecture particulire de lespace urbain parisien, ainsi que de la problmatique environnementale. Ainsi le cahier des charges, comme les thmatiques imposes aux quipes participent de la construction des projets dans la mesure o ils prescrivent un cadre de rflexion en fixant les limites de ce qui devra tre pens et thoris pour le Grand Paris. Les propositions vont se dvelopper partir de cette problmatisation et de cet encodage particulier.

    Ceci nous porte donc faire quelques remarques quant au projet durbanisme en gnral, et du Grand Paris en particulier. Le projet durbanisme est toujours le fruit dune mdiation entre des instances porteuses dune problmatique urbaine et des acteurs porteurs de rponses ces questions. Ainsi, la lecture du projet durbanisme ne renvoie pas directement aux reprsentations des concepteurs uniquement, mais galement lensemble des acteurs sociaux et institutionnels qui ont formul cette demande partir de lidentification dun problme urbain. Par consquent, plutt que de sparer ces diffrentes catgories dacteurs, il serait plus judicieux dtendre la notion de concepteurs , et dy intgrer lensemble des acteurs scientifiques, politiques, institutionnels et professionnels qui seront intervenus un moment ou un autre dans la construction de ces formes urbaines effectives ou venir. Le concours du Grand Paris est un dispositif social, discursif et institutionnel total qui doit tre pens dans cette totalit. Ceci ne signifie pas que ds lors toute identification des reprsentations spcifiques aux architectes ou aux politiques soit impossible, cependant cela devra nous conduire temprer et nuancer nos interprtations quant ces reprsentations qui seront comme nous lavons dit issues de mdiations et de processus de traduction.

    Le cahier des charges a dfini les problmes de lagglomration, il a donc particip indirectement la construction des rponses dveloppes par les quipes en dterminant et impliquant un certain nombre de problmatiques et de cadres destins penser cette problmatique. Cependant, cet encodage na pas entirement dtermin ces rponses, les quipes ont lu et interprt ces problmatiques, de mme quelles en ont cr de nouvelles. En effet ces quipes tant constitues dexperts et de centres de recherche, chacune des quipes avait une ide bien prcise des caractristiques de lagglomration parisienne et de ses dysfonctionnements. En plus du surencodage de ces lectures opres par le BRAUP, a t pratiqu tout simplement une lecture propre aux quipes qui a non moins orient les rponses au concours. Faire la part de ce qui tait impliqu par le cahier des charges et de ce qui tait d aux quipes proprement dit est impossible ; il est simplement ncessaire davoir lesprit que ces rponses sont co-construites et quelle mergent dun champ et de pratiques qui les ont prcdes.

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    II.7.1.2 Le Grand Paris comme expression dun champ disciplinaire.

    Plus spcifiquement, le Grand Paris a runi sur ces questions prcises

    concernant la mtropole et la ville durable, une part importante des architectes et des urbanistes les plus actifs et les plus influents de notre poque. Limportance de ces figures clefs du champ architectural ne relve pas dun jugement de valeur de notre part ; leur importance est valuer en fonction de lampleur de leur production, des distinctions et reconnaissances accordes par leurs pairs ainsi que du retentissement mdiatique li leur travail. Ces diffrents critres dfinissent le nomos et les critres de hirarchisation du champ architectural, cest--dire la loi du champ, ce qui dtermine la structure de lespace des positions lintrieur de ce champ de production culturelle quest larchitecture1.

    II.7.1.2.1 Situation par rapport au pouvoir et principe de hirarchie.

    Le champ de la cration architecturale et urbaine est un champ

    domin lintrieur de lensemble plus vaste du champ du pouvoir. Rappelons que le champ du pouvoir est lespace des rapports de force entre des agents ou des institutions ayant en commun de possder le capital ncessaire pour occuper des positions dominantes dans les diffrents champs (conomique et culturel notamment) 2. Ce champ est domin structurellement car il est entirement dpendant dune demande politique et conomique externe, qui conditionne lexistence du projet darchitecture et durbanisme. Le degr dautonomie nest pas inexistant mais trs faible ce qui sincarne dans les principes de hirarchisation.

    Le champ de la cration architecturale est structur de faon assez complexe. Il est important de souligner la diffrence avec les champs de production culturels classiques. Le statut hybride de larchitecture et de lurbanisme, tenant la fois de la technique et de lart appliqu3 entrane une hybridit du champ lui-mme et de ses critres de hirarchisation. Bourdieu avait constitu le volume du public touch en tant quindicateur par excellence de la position dans le champ et du degr de subordination au critre commercial. Le principe de hirarchisation externe, tabli selon des critres temporels mesurs des indices de succs commercial et de notorit sociale, structure pour une grande part le champ de la cration architecturale. Ce critre est toujours valable et ladhsion du public aux ralisations spectaculaires comme les tours de Tawan, le nid doiseau Shanghai, ou plus gnralement tout ce qui manifeste de la dmesure et des prouesses techniques, illustrent ce principe de reconnaissance commerciale. Cependant il y a un autre type de reconnaissance, galement commerciale et qui se manifeste par le chiffre daffaires et le nombre de mtres carrs construits, peu importe la qualit architecturale. Larchitecte

    1 Ou principe de vision et de division qui dfinit le champ artistique , propos du champ artistique et de son organisation ; propos gnralisables tout type de champ de production duvres culturelles. Pour des prcisions sur le nomos, Bourdieu, P. Les rgles de lart, Paris, Seuil, 1992, pp. 365-373. 2 Ibid, p. 353. 3 Pote et alii, op.cit.

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    est reconnu pour sa performance et son activit commerciale, c'est--dire quil obtient une place correcte dans lespace social comme nimporte quel autre agent, simplement parce quil fait du chiffre . A ce principe de hirarchie externe sajoute un principe interne plus classique et qui sincarne dans la reconnaissance par les pairs et notamment par les prix comme le Grand Prix dUrbanisme, lEquerre dArgent ou le Pritzker Prize au niveau international1. Le champ de larchitecture est particulier dans le sens o il ny a pas vraiment dopposition entre les purs , tenants de lart pour lart, se dfendant contre la veine commerciale de la profession. Ceux qui connaissent la reconnaissance par les pairs ont galement des commandes importantes et donc les retours commerciaux.

    Cest au regard de ces diffrents critres que nous pouvons considrer que le Grand Paris a effectivement mis en comptition une part importante des agents dominants le champ de lamnagement. Michel Cantal Dupart, Roland Castro et Yves Lion ont fait partie du dispositif banlieue 89 ; Yves Lion, Marc Mimram, et David Mangin se sont connus sur les bancs de lEcole des Arts et Mtiers. C'est--dire quune part importante de ces architectes se connaissent, se ctoient, directement ou par lintermdiaire des concours damnagement. Nous sommes bien face un champ. Par ailleurs il faut rappeler que Christian de Portzamparc, Jean Nouvel et Richard Rogers ont tous les trois obtenu le Pritzker Prize, Yves lion et David Mangin ont obtenu le Grand Prix dUrbanisme, Bernardo Secchi est un expert international reconnuC'est--dire que nous sommes bien en face dagents qui dominent le champ de la cration architecturale, mme si bien sr il manque certains des protagonistes les plus influents aujourdhui, dont Rem Koolas, lun des commentateurs et critique de la modernit les plus influents.

    II.7.1.2.2 Le concours dides comme preuve de ltat du champ et symptme de lurbanisme.

    Ce qui est tout fait intressant, cest que ce dispositif particulier du

    concours dides va permettre dactualiser et de mettre en vidence ltat des relations au sein de ce champ, et ce en une seule prise pourrions nous dire. Le concours dides incarne lensemble des prises de positions possibles concernant les problmes de la ville durable et de la mtropole de demain et correspondant elles mmes des positions dans le champ2. Le chercheur naura pas chercher et retrouver ces prises de positions a et l au gr des diffrentes productions formelles grenes travers le temps, puisquelles sincarnent toutes ici dans cet espace dopposition dynamique quest le Grand Paris. Il faut donc avoir lesprit que nous sommes face des documents, ou prise de position, qui sont issus (pas uniquement bien

    1 Bourdieu, op. cit, p. 355-357. 2 Les concepts de champ ou dhabitus tant rmanent dans la sociologie bourdieusienne on nindiquera chaque fois quune ou deux rfrences explicites afin de ne pas saturer lespace de note. Pour un bref rappel des notions de champ et dhabitus en rapport la sociologie des uvres, voir Pour une sciences des uvres , in Bourdieu, P. Raisons pratiques, Paris, Seuil, 1994, pp. 59-91.

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    sr1), dune dynamique de champ conu en tant quespace concurrentiel de producteur de biens culturels.

    Ainsi nous devons garder lesprit le fait que chacune des propositions faite pas les quipes doit tre envisage dans ses relations dopposition, de collusion ou dinversion non seulement avec les autres propositions du Grand Paris, mais galement avec les anciennes prises de positions en architecture et urbanisme et qui constituent lhistoire de la discipline. Les architectes et les urbanistes, munis des mmes rfrences, des mmes critres dvaluation et dapprhension du rel, ont devant eux un champ de possibilit stratgique 2 parmi lesquelles ils doivent choisir et sincarner . Ce champ de possibilits est inscrit dans les positions quoccupent les architectes dans le champ et dans ltat du champ au moment des prises de position. Il y a donc des dynamiques discursives dintertextualit, ainsi que des dynamiques sociales de confrontation et de lutte au sein du champ3.

    Deuxime point, le fait que le champ opre comme instance de rfraction par rapport aux ralits extrieures et quil ny ait pas de dtermination mcani