les techniques de séquençage “moyen débit” et leurs

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Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. III - n° 1 - janvier-février-mars 2014 12 NGS dossier thématique Les techniques de séquençage “moyen débit” et leurs applications en génétique somatique des tumeurs Median throughput sequencing techniques and their applications for somatic tumor genetics Aude Lamy*, Jean-Christophe Sabourin* * Laboratoire de génétique somatique des tumeurs, service de pathologie, CHU de Rouen. RÉSUMÉ Summary » Les techniques de séquençage haut débit dites “de nouvelle génération” présentent un intérêt dans la prise en charge personnalisée des cancers : elles permettent d’envisager de cartographier plusieurs régions cibles d’intérêt théranostique pour plusieurs patients en même temps. L’Ion PGM® (Life technologies®) et le MiSeq® (Illumina®) sont 2 séquenceurs haut débit reposant sur différentes technologies adaptées à ce type d’application. Leur implémentation dans les laboratoires de génétique somatique des cancers, soutenue par l’Institut national du cancer (INCa), permettra certainement une optimisation du criblage théranostique des tumeurs. Celle-ci requiert néanmoins une étape de validation, qui est en cours. Mots-clés : Séquençage haut débit – Cancer – Traitement person- nalisé – Théranostic. High-throughput next-generation sequencing appears as an important tool in personalized oncology: it allows to consider mapping several target regions of theranostic interest simultaneously for several patients. The Ion PGM® (Life Technologies®) and MiSeq® (Illumina®) are 2 high-throughput sequencers based on different technologies suitable for this type of application. Their implementation in cancer somatic genetic laboratories, supported by the French National Cancer Institute, will certainly enable optimization of theranostic tumor screening. However, it requires a validation step that is currently underway. Keywords: High-throughput sequencing – Cancer – Personalized treatment – Theranostic. L’ identification de cibles moléculaires spécifiques des cellules tumorales est un prérequis pour le traitement personnalisé des cancers. Ainsi, la présence de mutations somatiques au niveau des gènes RAS, EGFR et BRAF est prédictive d’une réponse aux anticorps monoclonaux anti-EGFR, aux inhibiteurs de l'activité tyrosine kinase de l'EGFR (ITK-EGFR) et au vémurafénib dans les cancers colorectaux, les adéno- carcinomes du poumon et les mélanomes (1-4). Ces diagnostics moléculaires sont réalisés au sein des plateformes de génétique somatique des cancers (labellisées par l’Institut national du cancer [INCa]) par des méthodes “à petite échelle”, qui ne permettent de mettre en évidence qu’un petit nombre de mutations lors de chaque technique. Au vu du nombre croissant de cibles moléculaires et de la faible quantité de matériel tumoral parfois disponible pour réaliser ces analyses, les approches à petite échelle montrent aujourd’hui leurs limites, et des approches à grande échelle sont devenues nécessaires. Le séquençage en parallèle de millions de molécules d’ADN est réalisable par les techniques de séquençage haut débit (SHD) : il permet d’envisager de cartographier en un seul temps, à partir d’un même pré- lèvement tumoral, l’ensemble des mutations somatiques d’intérêt théranostique et d’effectuer cette cartographie en parallèle pour plusieurs patients. L’Ion PGM® (Life Technologies®) et le MiSeq® (Illumina®) sont 2 SHD “de paillasse” (on parle également de moyen débit) qui présentent des capacités de séquençage et des temps de travail adaptés à ce type d’application : ils permettent d’envisager d’analyser 20 régions cibles de 150 paires de bases pour 3 à 300 patients, dans le cas de l’Ion PGM®, ou 100 à 1 500 patients, dans le cas du MiSeq®, en parallèle sur 5 jours (calcul théorique fondé sur les capacités des différentes puces de séquençage disponibles pour les 2 SHD). L’Ion PGM® et le MiSeq® présentent 2 stratégies de séquençage distinctes, repo- sant sur une combinaison d’étapes communes : la préparation de la bibliothèque de fragments d’ADN à séquencer ;

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Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. III - n° 1 - janvier-février-mars 201412

NGS

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Les techniques de séquençage “moyen débit” et leurs applications en génétique somatique des tumeursMedian throughput sequencing techniques and their applications for somatic tumor geneticsAude Lamy*, Jean-Christophe Sabourin*

* Laboratoire de génétique somatique

des tumeurs, service de pathologie,

CHU de Rouen.

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y » Les techniques de séquençage haut débit dites “de nouvelle

génération” présentent un intérêt dans la prise en charge personnalisée des cancers : elles permettent d’envisager de cartographier plusieurs régions cibles d’intérêt théranostique pour plusieurs patients en même temps. L’Ion PGM® (Life technologies®) et le MiSeq® (Illumina®) sont 2 séquenceurs haut débit reposant sur différentes technologies adaptées à ce type d’application. Leur implémentation dans les laboratoires de génétique somatique des cancers, soutenue par l’Institut national du cancer (INCa), permettra certainement une optimisation du criblage théranostique des tumeurs. Celle-ci requiert néanmoins une étape de validation, qui est en cours.

Mots-clés : Séquençage haut débit – Cancer – Traitement person-nalisé – Théranostic.

High-throughput next-generation sequencing appears as an important tool in personalized oncology: it allows to consider mapping several target regions of theranostic interest simultaneously for several patients. The Ion PGM® (Life Technologies®) and MiSeq® (Illumina®) are 2 high-throughput sequencers based on different technologies suitable for this type of application. Their implementation in cancer somatic genetic laboratories, supported by the French National Cancer Institute, will certainly enable optimization of theranostic tumor screening. However, it requires a validation step that is currently underway.

Keywords: High-throughput sequencing – Cancer – Personalized treatment – Theranostic.

L’ identification de cibles moléculaires spécifiques des cellules tumorales est un prérequis pour le traitement personnalisé des cancers. Ainsi,

la présence de mutations somatiques au niveau des gènes RAS, EGFR et BRAF est prédictive d’une réponse aux anticorps monoclonaux anti-EGFR, aux inhibiteurs de l'activité tyrosine kinase de l'EGFR (ITK-EGFR) et au vémurafénib dans les cancers colorectaux, les adéno-carcinomes du poumon et les mélanomes (1-4). Ces diagnostics moléculaires sont réalisés au sein des plateformes de génétique somatique des cancers (labellisées par l’Institut national du cancer [INCa]) par des méthodes “à petite échelle”, qui ne permettent de mettre en évidence qu’un petit nombre de mutations lors de chaque technique. Au vu du nombre croissant de cibles moléculaires et de la faible quantité de matériel tumoral parfois disponible pour réaliser ces analyses, les approches à petite échelle montrent aujourd’hui leurs limites, et des approches à grande échelle sont devenues nécessaires. Le séquençage en parallèle de millions de

molécules d’ADN est réalisable par les techniques de séquençage haut débit (SHD) : il permet d’envisager de cartographier en un seul temps, à partir d’un même pré-lèvement tumoral, l’ensemble des mutations somatiques d’intérêt théranostique et d’effectuer cette cartographie en parallèle pour plusieurs patients.L’Ion PGM® (Life Technologies®) et le MiSeq® (Illumina®) sont 2 SHD “de paillasse” (on parle également de moyen débit) qui présentent des capacités de séquençage et des temps de travail adaptés à ce type d’application : ils permettent d’envisager d’analyser 20 régions cibles de 150 paires de bases pour 3 à 300 patients, dans le cas de l’Ion PGM®, ou 100 à 1 500 patients, dans le cas du MiSeq®, en parallèle sur 5 jours (calcul théorique fondé sur les capacités des différentes puces de séquençage disponibles pour les 2 SHD). L’Ion PGM® et le MiSeq® présentent 2 stratégies de séquençage distinctes, repo-sant sur une combinaison d’étapes communes :

✓ la préparation de la bibliothèque de fragments d’ADN à séquencer ;

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Les techniques de séquençage “moyen débit” et leurs applications en génétique somatique des tumeurs

✓ l’immobilisation des fragments d’ADN et leur ampli-fication clonale ;

✓ le séquençage des fragments d’ADN et l’analyse bio-informatique des données obtenues.

Préparation des bibliothèques à séquencer

La stratégie de préparation des bibliothèques qui semble la plus adaptée à la génétique somatique des cancers est fondée sur une première étape d’amplifica-tion par PCR des régions cibles. Différentes séquences sont ensuite liées aux produits d’amplification :

✓ des séquences complémentaires des amorces per-mettant l’amplification clonale des fragments d’ADN immobilisés sur le support de séquençage ;

✓ des séquences complémentaires de l’amorce uni-verselle de séquençage ;

✓ un index (“tag”) qui correspond à une combinaison unique de nucléotides pour chaque patient. Cet index sera séquencé avant la région cible et permettra de rattacher chaque séquence de région cible à un patient.

Amplification clonale des échantillons

Les systèmes d’acquisition de signal utilisés dans les SHD n’étant pas adaptés à la détection d’événements isolés, l’amplification de chaque fragment d’ADN à séquencer (amplification clonale) est nécessaire avant le séquençage (5). Elle est réalisée sur un support solide dans des conditions favorisant la séparation spatiale de chaque fragment d’ADN. Cette étape d’amplification clonale se fait par PCR en pont (MiSeq®) ou par PCR émulsion (EmPCR, Ion PGM®).

PCR en pontLe support solide sur lequel est réalisé la PCR en pont est une lame de verre (flow cell) recouverte par les amorces universelles d’amplification : les fragments d’ADN y sont hybridés de façon à maintenir un envi-ronnement d’amorces libres autour de chacun d’eux, puis l’amplification est réalisée (figure 1A et B, p. 14). Jusqu’à 1 000 copies identiques de chaque fragment immobilisé sont ainsi produites. Ces groupes de copies identiques, également appelés clusters, seront ensuite séquencés de façon individuelle.

PCR en émulsionPour la PCR en émulsion, une émulsion huile dans l’eau est réalisée afin d’emprisonner dans des gouttelettes aqueuses, également appelées “microréacteurs”, un frag-

ment d’ADN simple-brin, une microbille recouverte par les amorces sens de l’amplification, et les réactifs d’ampli-fication comprenant les amorces antisens. À l’issue de l’amplification, les microbilles sont recouvertes par des milliers de copies identiques du fragment d’ADN initia-lement emprisonné dans les microréacteurs (figure 2A, p. 15). Après rupture de l’émulsion, les microbilles sont capturées puis chargées sur la puce de séquençage. La profondeur des puits de la puce est telle qu’une seule microbille occupera chaque puits, où un fragment d’ADN unique sera ainsi séquencé.

Séquençage des clusters

Les clusters sont ensuite traités par des techniques de séquençage par synthèse au cours desquelles un brin complémentaire du fragment d’ADN immobilisé est poly-mérisé à partir des amorces universelles de séquençage. Pour chaque cluster, l’incorporation des nucléotides au niveau du brin d’ADN néo-synthétisé est suivie en temps réel par différents systèmes de mesure : l’acquisition d’un signal fluorescent émis par le nucléotide incorporé, pour le MiSeq® (système de détection optique), ou la mesure d’une impulsion électrique, pour l’Ion PGM®.

Le séquençage par MiSeq®Le séquençage par MiSeq® se fait par incorporation de nucléotides modifiés par l’addition d’un groupe inhibi-teur de terminaison clivable (5). Ce groupe inhibiteur de terminaison empêche l’incorporation d’un nucléotide en aval : ainsi, un seul nucléotide terminateur de chaîne réversible est incorporé par cluster. Ces nucléotides sont, de plus, marqués par des fluorochromes spécifiques qui permettront de déterminer l’identité des nucléotides incorporés. Le séquençage par les nucléotides termi-nateurs de chaîne réversible est un procédé cyclique. Lors du premier cycle, les 4 types de nucléotides sont injectés sur la flow cell ; au niveau de chaque cluster, un nucléotide complémentaire du fragment immobilisé est ensuite incorporé, puis une mesure des signaux fluores-cents émis par les nucléotides incorporés est effectuée, permettant de déterminer l’identité du nucléotide incor-poré ; une ultime étape de clivage du groupe inhibiteur de terminaison est nécessaire avant de passer au cycle suivant (figure 1C, p. 14). Les cycles sont ensuite répétés, et une image est générée pour chacun d’entre eux. À l’issue du séquençage, la série d’images produite permettra de déterminer une séquence de nucléotides incorporés au niveau de chaque cluster : cette séquence est complémentaire du fragment d’ADN immobilisé au niveau de chaque cluster.

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Figure 1. Stratégie de séquençage MiSeq®. A. Des adaptateurs, séquences complémentaires des amorces attachées à la flow cell, sont liés aux extrémités des fragments d’ADN. Les fragments d’ADN simple-brin sont hybridés sur la flow cell par ces adaptateurs, et un brin complémentaire est ensuite polymérisé. Après dénaturation des hybrides formés, le fragment matrice est éliminé, et le fragment néo-synthétisé reste accroché sur la flow cell. B. Ce fragment s’hybride par son extrémité libre sur une amorce adjacente formant un pont, et un brin complémentaire est polymérisé. Les ponts d’ADN double-brin sont ensuite rompus par dénaturation, et un nouveau cycle d’amplification commence. À l’issue de l’amplification, les clusters, groupes de fragments d’ADN identiques, recouvrent la flow cell. C. Au niveau de chaque cluster, les fragments d’ADN attachés à la flow cell par une amorce antisens (en vert) sont éliminés, et une amorce de séquençage (en mauve) est hybridée sur les fragments d’ADN attachés à la flow cell par une amorce sens. Les 4 types de nucléotides terminateurs de chaîne réversibles marqués par des fluorochromes sont ensuite injectés par cycles. Dans l’exemple ci-dessus, au premier cycle, un dTTP est incorporé dans le premier cluster, entraînant la capture d’un signal rouge, et un dATP est incorporé dans le second cluster, entraînant la capture d’un signal bleu. Sur l’image correspondante, ces signaux sont représentés sous forme de points de couleur, qui correspondent chacun à une coordonnée spatiale qui le lie à un cluster. Les groupes terminateurs de chaîne sont ensuite clivés, la synthèse des brins complémentaires des fragments d’ADN de chaque cluster se poursuit : l’image saisie à la suite du second cycle d’injection montre l’incorporation d’un dCTP (signal vert) au niveau du premier cluster et d’un dGTP (signal jaune) au niveau du second cluster.

A Immobilisation des fragments d’ADN sur la flow cell

B PCR en pont

C Séquençage par incorporation de nucléotides terminateurs de chaîne réversibles

Laser d’excitation

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Figure 2. Stratégie de séquençage Ion PGM®. A. L’amplification est réalisée dans des gouttelettes formées par émulsion afin d’emprisonner une microbille recouverte par les amorces sens (en orange), les amorces antisens biotinylées (en vert), un fragment d’ADN simple-brin et les réactifs de PCR. Le fragment d’ADN s’hybride sur la microbille, et un brin complémentaire est synthétisé à partir de l’amorce sens. La molécule d’ADN double-brin formée est ensuite dénaturée, et un nouveau cycle d’amplification commence. À l’issue de l’amplification, la microbille est recouverte de milliers de copies double-brin du frag-ment d’ADN initialement emprisonné, l’émulsion est rompue et les microbilles sont capturées : l’utilisation d’amorces antisens biotinylées permet leur capture par des billes aimantées recouvertes de streptavidine. B. Le séquençage est réalisé dans les puits d’une puce au fond de laquelle des matériaux semi-conducteurs permettent de transformer une variation de pH en signal électrique. Les fragments d’ADN double-brin qui recouvrent la microbille sont dénaturés, et une amorce de séquençage (en mauve) est hybridée. L’exemple ci-dessus suit 2 séquences d’injection de nucléotides. Des dATP sont d’abord injectées : dans le premier puits, un dATP est incorporé à partir des amorces de séquençage pour chaque fragment d’ADN recouvrant la microbille ; ces incorporations entraînent une variation du pH liée à la libération de protons et, donc, une impulsion électrique ; le dATP n’étant pas complémentaire du fragment d’ADN recouvrant la microbille du second puits, aucun signal électrique n’est mesuré. Après élimination des dATP résiduels, des dGTP sont injectés : dans le premier puits, 2 dGTP sont incorporés pour chaque frag-ment d’ADN, entraînant une impulsion électrique qui est double ; dans le second puits, un dGTP est incorporé par fragments : une impulsion électrique simple est mesurée.

A PCR en émulsion

B Séquençage par synthèse

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Le séquençage par Ion PGM®Pour le séquençage par Ion PGM® (figure 2B, p. 15) [6], c’est une mesure indirecte des protons libérés à la suite de l’incorporation de chaque nucléotide qui permet de suivre en temps réel la synthèse du brin complémen-taire du fragment d’ADN recouvrant chaque microbille : la libération d’ions H+ provoquée par l’incorporation d’un nucléotide entraîne une diminution du pH qui est détectée par un capteur situé au fond de chaque puits de la puce de séquençage puis convertie en une tension numérisée par l’électronique située à l’extérieur de la puce. Les nucléotides sont injectés au niveau de chaque puits de façon séquentielle, et un signal électrique est mesuré après chaque injection.

Analyse des données de séquençage

Les données brutes de séquençage (série d’images en 4 couleurs ou série d’impulsions électriques) sont ensuite analysées sur 3 niveaux par un ensemble de logiciels bio-informatiques (figure 3) [7].

Analyse primaireAu cours de l’analyse primaire, les données brutes du séquençage sont décryptées en séquences nucléoti-diques, également appelées “lectures” ou “reads”, qui sont ensuite regroupées par index (un index correspon-dant à un patient). Cette analyse produit des fichiers FASTQ.

Figure 3. Traitement bio-informatique des données brutes de séquençage. À l’issue de l’analyse tertiaire, un fichier de variants consultable sous Excel est généré pour chaque patient. Dans l’exemple ci-dessus, une mutation du codon 12 de KRAS est détectée pour 27 % des 876 lectures correspondant à cette région (surlignage rouge). Les surlignages verts correspondent à la détection de polymorphismes. Les autres variants détectés sont des artéfacts : les couvertures de ces régions sont inférieures à 30.

Décryptage des données brutes

Démultiplexage

Alignement des lectures sur le génome de référence

Annotation des variants

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Analyse secondaireAu cours de l’analyse secondaire, les fichiers FASTQ sont alignés sur le génome humain de référence, et des coor-données génomiques sont attribuées à chaque lecture. Les fichiers BAM ainsi produits peuvent être ouverts avec des outils bio-informatiques tels que le logiciel Alamut®, permettant une visualisation directe des dif-férentes lectures. La quantité de données produites par un SHD ne permet toutefois pas de visualiser la totalité des fichiers BAM, et une analyse bio- informatique ter-tiaire est nécessaire.

Analyse tertiaireAu cours de l’analyse tertiaire, les fichiers BAM sont ana-lysés par des logiciels d’annotation de variants (variant calling). Les mutations potentielles sont ainsi repérées, et des fichiers VCF reprenant les variants identifiés pour un index donné sont produits. Le terme de “variant” est privilégié avant la comparaison à la séquence de l’ADN constitutionnel afin de vérifier que ce variant n’existe pas chez le patient. Une comparaison avec les bases de données des variants connus dans la population géné-rale est également faite (1 000 Genomes, dbSNP, etc.).S’il existe plusieurs logiciels de cartographie et d’anno-tation du génome, dont certains sont dépendants des plateformes de séquençage, il manque aujourd’hui un consensus pour déterminer quels outils sont les plus aptes à répondre à nos attentes. Trois raisons majeures expliquent cette incertitude :

✓ les logiciels utilisés pour les analyses secondaire et tertiaire sont en évolution constante ;

✓ certains logiciels sont adaptés à une plateforme de séquençage et ne prennent pas en charge les données de séquençage issues des autres plateformes ;

✓ de nombreux logiciels de cartographie et d’anno-tation sont peu performants sur les mutations qui ne sont pas ponctuelles (par exemple, pour détecter les variations du nombre de copies et en particulier les insertions et délétions, des programmes spécialisés sont aujourd’hui nécessaires).Enfin, la notion de profondeur de lecture est impor-tante dans l’analyse des résultats : chaque fragment d’ADN étant séquencé de multiples fois, la profondeur correspond au nombre de séquences identifiées pour une base donnée. Une profondeur minimale de 30 est nécessaire afin de différencier les variants induits par la technique de séquençage (artéfacts) des vrais variants, notamment. De plus, le seuil de détection des mutations est inversement proportionnel à la profondeur : une pro-fondeur de 1 000 est indiquée en génétique somatique afin de pouvoir identifier des variants à 1 % d’allèles mutés dans un bruit de fond d’allèles sauvages (8).

Exemples d’applications somatiques utilisant une approche par séquençage haut débit

Le SHD est un outil qui paraît particulièrement appro-prié à la médecine personnalisée dans sa version la plus optimiste où chaque patient bénéficiera d’un traitement “à la carte” avec des médicaments adaptés aux particularités de sa tumeur. Cette approche a été proposée par S. Roychowdhury et al. en 2011 pour 2 patients présentant un cancer de stade avancé et que l’absence d’alternative thérapeutique amenait à inclure dans des essais cliniques (9). Pour chaque patient, les ADN extraits à partir de biopsies en zone tumorale et non tumorale ont été séquencés par des approches haut débit criblant la totalité du génome, de l’exome et du transcriptome. Les résultats de SHD ont pu être obtenus dans un délai de 24 jours suivant la biopsie, et des cibles thérapeutiques ont pu être identifiées pour chacun des patients. Des approches à plus faible débit, se limitant à l’ana-lyse des régions cibles pour lesquelles des mutations prédictives de la réponse à une thérapie ciblée ont été décrites, semblent toutefois plus adaptées à la pratique quotidienne des plateformes de génétique somatique des cancers. Ainsi, en 2013, C.M. McCourt et al. ont analysé, par 2 techniques de SHD (Ion PGM® et 454 GS Junior® de Roche®), les régions cibles des gènes BRAF, EGFR et KRAS à partir de l’ADN extrait de 13 tissus tumoraux (poumon, côlon et mélanome) fixés au formol et inclus en paraffine (10). Les auteurs ont montré que les mutations identifiées par les tech-niques classiques de diagnostic (séquençage de Sanger et PCR quantitative) sont toutes détectées par SHD. Toutefois, ils ont également constaté, en séquençant un ensemble plus large de 43 gènes sur Ion PGM®, que de nombreuses mutations étaient identifiées par erreur : ces mutations apparaissaient surreprésentées dans le panel d’échantillons analysés en comparaison des fréquences rapportées dans la base de données des mutations somatiques COSMIC. La confirmation par un séquençage de Sanger de toutes les mutations identifiées en SHD n’étant pas compatible avec une pratique diagnostique de routine, il semble préférable de se limiter à l’analyse des régions cibles actuelle-ment étudiées au sein des plateformes de génétique somatique des cancers.Enfin, le séquençage de nouvelle génération, par sa capacité à séquencer de nombreuses fois une même région cible, permet d’envisager de détecter des muta-tions faiblement représentées, comme les mutations spécifiques de la tumeur portées par l’ADN tumoral

Les techniques de séquençage “moyen débit” et leurs applications en génétique somatique des tumeurs

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circulant. En 2013, Y. Kukita et al. ont développé une approche de SHD permettant de détecter des mutations de l’EGFR avec une sensibilité de 1 pour 10 000 à partir de l’ADN extrait de plasma (11). Les auteurs ont évalué cette approche sur l’ADN extrait du tissu tumoral et du plasma de 177 patients présentant un cancer du poumon : pour plus de 70 % des patients, la mutation identifiée dans la tumeur primitive a été retrouvée dans le plasma, et une mutation de résistance EGFR T790M a été identifiée pour 22,8 % des patients développant une résistance aux ITK-EGFR. Ce type d’approche pourra être utilisé au sein des plateformes de génétique somatique des cancers pour suivre l’évolution des tumeurs, prédire leur récidive et suivre l’efficacité des traitements et la survenue d’éventuelles résistances.

Conclusion et état des lieux

Si le SHD est un outil prometteur pour la génétique somatique des cancers, des travaux de validation sont nécessaires afin de trouver :

✓ une façon de préparer les bibliothèques permettant que chacune des régions cibles ait la même représenta-tivité afin que, à l’issue du séquençage, les profondeurs de lecture soient homogènes (une mutation présente dans une région cible sous-représentée risque de ne pas être détectée) ;

✓ les solutions de cartographie et d’annotation les plus adaptées.Par ailleurs, si l’on considère la grande capacité des SHD, il convient d’envisager l’automatisation des étapes en aval du séquençage (préparation des bibliothèques).En juillet 2012, l’INCa a mené une enquête afin de faire un état des lieux concernant l’implémentation du SHD dans les laboratoires de génétique : 8 des 46 labora-toires de génétique somatique (23 plateformes) ayant répondu à cette enquête étaient équipés d’un SHD, et 13 projetaient de s’en équiper avant 1 an. Différents projets de détection des mutations somatiques étaient en cours de validation pour les cancers du poumon, du côlon et les mélanomes. Toutefois, il ressortait de cette enquête un besoin de validation du SHD avant son implémentation en génétique des cancers. Aussi, en juin 2013, l’INCa a lancé un appel à projets afin de structurer le SHD à visée diagnostique en cancérologie. Cet appel à projets présente un triple objectif :

✓ permettre l’implémentation du SHD en routine dia-gnostique, en soutenant la phase de validation pour les laboratoires équipés d’un SHD ;

✓ permettre le développement d’équipes bio- informatiques référentes ;

✓ évaluer l’impact économique du SHD.À la fin de ce projet, le SHD devrait être intégré à l’acti-vité de génétique à visée diagnostique, pour le bénéfice des patients. ■

1. Douillard JY, Oliner KS, Siena S et al. Panitumumab-FOLFOX4 treatment and RAS mutations in colorectal cancer. N Engl J Med 2013;369(11):1023-34.

2. Amado RG, Wolf M, Peeters M et al. Wild-type KRAS is requi-red for panitumumab efficacy in patients with metastatic colorectal cancer. J Clin Oncol 2008;26(10):1626-34.

3. Mok TS, Wu YL, Thongprasert S et al. Gefitinib or carbopla-tin-paclitaxel in pulmonary adenocarcinoma. N Engl J Med 2009;361(10):947-57.

4. Bollag G, Hirth P, Tsai J et al. Clinical efficacy of a RAF inhibitor needs broad target blockade in BRAF-mutant melanoma. Nature 2010;467(7315):596-9.

5. Metzker ML. Sequencing technologies — the next genera-tion. Nat Rev Genet 2010;11(1):31-46.

6. Rothberg JM, Hinz W, Rearick TM et al. An integrated semi-conductor device enabling non-optical genome sequencing. Nature 2011;475(7356):348-52.

7. Ulahannan D, Kovac MB, Mulholland PJ, Cazier JB, Tomlinson I. Technical and implementation issues in using next-generation sequencing of cancers in clinical practice. Br J Cancer 2013;109(4):827-35.

8. Stead LF, Sutton KM, Taylor GR, Quirke P, Rabbitts P. Accurately identifying low-allelic fraction variants in single samples with next-generation sequencing: applications in

tumor subclone resolution. Hum Mutat 2013;34(10):1432-8.

9. Roychowdhury S, Iyer MK, Robinson DR et al. Personalized oncology through integrative high-throughput sequencing: a pilot study. Sci Transl Med 2011;3(111):111ra121.

10. McCourt CM, McArt DG, Mills K et al. Validation of next generation sequencing technologies in comparison to current diagnostic gold standards for BRAF, EGFR and KRAS mutational analysis. PLoS One 2013;8(7):e69604.

11. Kukita Y, Uchida J, Oba S et al. Quantitative identification of mutant alleles derived from lung cancer in plasma cell-free DNA via anomaly detection using deep sequencing data. PLoS One 2013;8(11):e81468.

R é f é r e n c e s

Les auteurs n’ont pas précisé leurs éventuels

liens d’intérêts.

SU