les squats d'artistes parisiens_emmanuelle destremau document

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LES SQUATS D'ARTISTES PARISIENS Emmanuelle Destremau La Découverte | Mouvements 2001/1 - no13 pages 69 à 72 ISSN 1291-6412 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-mouvements-2001-1-page-69.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Destremau Emmanuelle, « Les squats d'artistes parisiens », Mouvements, 2001/1 no13, p. 69-72. DOI : 10.3917/mouv.013.0069 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour La Découverte. © La Découverte. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 93.2.189.113 - 08/04/2012 14h51. © La Découverte Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 93.2.189.113 - 08/04/2012 14h51. © La Découverte

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LES SQUATS D'ARTISTES PARISIENS Emmanuelle Destremau La Découverte | Mouvements 2001/1 - no13pages 69 à 72

ISSN 1291-6412

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-mouvements-2001-1-page-69.htm

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Destremau Emmanuelle, « Les squats d'artistes parisiens »,

Mouvements, 2001/1 no13, p. 69-72. DOI : 10.3917/mouv.013.0069

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Distribution électronique Cairn.info pour La Découverte.

© La Découverte. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière quece soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

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MOUVEMENTS N°13 janvier-février 2001 ● 69

Le premier espace « emprunté » à la ville est l’ancien lycée Diderot,surnommé Polpi et qui reste ouvert de septembre 1996 à février1998. En deux semaines, les salles du lycée s’emplissent d’un col-

lectif de trois cents artistes, peintres, sculpteurs, musiciens, troupes dethéâtre, mixeurs, vidéastes, plasticiens, qui se répartissent l’espace en fonc-tion de leurs besoins. Le succès de cette initiative, dont la vocation était dedistribuer gratuitement des espaces de travail, révèle alors les difficultésrencontrées par les artistes pour travailler à Paris.

L’immobilier parisien est cher et les locaux mis à disposition des artistespar les pouvoirs publics sont rares. Le patrimoine de la Délégation aux artsplastiques du ministère de la Culture est évalué à cinq cents ateliers et celuide la ville de Paris à mille deux cents, régis par des conditions d’attributiondraconiennes. Les lieux de création sont donc peu nombreux, comme lesont ceux destinés à l’exposition. La commercialisation de l’art contempo-rain s’opère dans des galeries concentrées dans les quartiers chics, qui nepermettent que rarement aux artistes encore inconnus d’exposer leur tra-vail. À défaut de centres artistiques jouant ce rôle, quelques centres d’ani-mations parisiens offrent ici et là certaines possibilités de diffusion, maisavec des moyens singulièrement limités. Se développent alors dans lesbars parisiens des systèmes d’expositions temporaires, d’installations élec-troniques et vidéo (la Flèche d’or), de concerts et de représentations théâ-trales, rémunérées au chapeau, qui ont l’avantage de permettre un contactentre les œuvres, les artistes et le public. Après la fermeture de Polpi, accé-lérée par l’accentuation de la délinquance dans les derniers mois, lesartistes squatters n’en restent pas là. L’expérience a fondé un mouvement.Près du canal Saint-Martin s’ouvre le squat de la Grange aux Belles, en facedu musée Picasso, le Ssocapi, puis Matignon, Châteaudun, Notre-Dame-de-Lorette, La Boétie, et surtout la Bourse, immense squat dont la localisa-

PAR

EMMANUELLE

DESTREMAU*

Les squats d’artistes parisiens

Au milieu des années quatre-vingt-dix, de nouveaux squatsd’artistes apparaissent dans la capitale. Fondée par de jeunesartistes ayant fait leurs armes de squatters à Berlin et dans lesgrandes villes européennes, cette « nouvelle vague » se distinguedes précédentes expériences de squats artistiques (Frigos, hôpitaléphémère, Quai de la Gare…) où les ateliers étaient loués auxartistes par les collectifs chargés de gérer les relations avec lespropriétaires.

* EmmanuelleDestremau est metteuren scène. Elle réaliseactuellement undocumentaire sur les squats d’artistesparisiens.

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tion symbolique (face au Palais Brongniard)eut un grand retentissement médiatique.Désormais, on compte une petite dizaine desquats d’artistes dans Paris, dont les plusanciens ont presque deux ans d’existence(Châteaudun). Tous sont situés sur la Rivedroite, comme pour renouer avec la tradi-tion artistique du Paris du début du siècle, àl’époque où les théâtres et les lieux d’ani-mations populaires étaient concentrés de cecôté de la Seine. Tout se passe comme si lessquats s’opposaient au Paris mythique deSaint-Germain-des-Prés, où se regroupentaujourd’hui les galeries « trop bien instal-lées » qui font le marché parisien de l’artcontemporain.

Les bâtiments occupés appartiennent auxinvestisseurs institutionnels (Consortium deréalisation chargé de gérer l’ancien parcimmobilier du Crédit lyonnais, qui possède170 000 m2 de locaux inoccupés, AXA,Generali...). Le choix de telles cibles estrevendiqué par les collectifs, qui veulentdénoncer la logique spéculative des pro-

priétaires, à l’origine de l’exclusion des artistes et des classes populaires dela capitale. Localisés dans les quartiers populaires du nord et de l’est oudans les quartiers symboliques du pouvoir parisien, les squats dessinentune géographie fluctuante, au gré des fermetures (la Grange aux Belles,Notre-Dame-de-Lorette, Matignon, la rue Pierre Charron, la Bourse,Ssocapi, Pastourelle...) et des réouvertures, qui s’opèrent de manière aléa-toire. Ainsi une tentative d’ouverture d’un squat dans un immeuble appar-tenant au ministère de l’Intérieur, rue Lamarck, a avorté au début du moisd’octobre. Une autre tentative, menée par le collectif des anciens de laGrange aux Belles, a réussi quelques jours plus tard, rue Blanche dans lesanciens locaux de l’ENSATT.

Même s’ils s’inscrivent dans un mouvement commun, les squats d’artistesparisiens fonctionnent suivant des logiques très hétérogènes. Dans tous lescas, le collectif n’existe pas a priori. C’est toujours l’ouverture d’un lieu parquelques « activistes » qui attire les uns et les autres, qui fédère le regrou-pement des artistes. Suivant les cas, ce regroupement débouche sur unengagement collectif, ou sur la simple fédération d’artistes partageant unespace de travail. Mais l’expérience n’est jamais neutre, les contraintes dusquat obligeant les artistes à réfléchir sur leur propre démarche, à mettredes mots sur leur expérience, à assumer ce rôle de contestataires qui estattendu d’eux. Même pour ceux qui sont les plus rétifs, la démarche dusquat oblige à une telle réflexion, en ce qu’elle remet en cause le droit depropriété.

D O S S I E R : PA R I S , L E S V R A I S E N J E U X D ’ U N E C A M PA G N E

L’immobilier parisien estcher et les locaux mis à disposition des artistespar les pouvoirs publicssont rares. Le patrimoinede la Délégation aux artsplastiques du ministèrede la Culture est évalué à cinq cents ateliers etcelui de la ville de Parisà mille deux cents, régispar des conditionsd’attributiondraconiennes.

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Tous les squats débouchent sur une vie collective, et tout particulière-ment dans ceux où les artistes sont aussi résidents (la Duée, la Miroiterie,les Falaises). Cette dimension collective constitue un impératif, non seule-ment pour assurer la survie d’un lieu hors-la-loi, mais aussi pour faciliter lareconnaissance des artistes. Car les squats ne sont pas seulement des lieuxde création, mais jouent un rôle de diffusion. Dans sa forme la plus abou-tie, le squat d’artistes parisien est un véritable happening urbain. La scé-nographie du lieu est en elle-même une démarche artistique, et la circula-tion du public contribue à concrétiser le mot d’ordre de l’art pour tous.Ouvert au public quotidiennement, le collectif Chez Robert, électron libre,rue de Rivoli, est particulièrement représentatif de cette ouverture sur laville. On circule dans les ateliers et on observe les artistes en train de tra-vailler, les expositions sont constamment renouvelées, les spectacles dethéâtre et de danse alternent avec les concerts de jazz et les cours de dansecontemporaine et orientale. Les artistes se relaient pour accueillir les visi-teurs, qu’ils estiment à cent mille depuis un an. Parmi ces visiteurs, ontrouve de nombreux galeristes et programmateurs de musée qui ont pro-posé aux artistes des expositions (Kunst Accademie à Berlin, GaleriesLafayette, Écomusée de Savigny-le-Temple…).

En même temps qu’il diffuse les œuvres et fait connaître les artistes, lesquat réveille la ville autour de lui. Les propriétaires qui avaient laissé cer-tains immeubles vides pendant des années élaborent des projets de réamé-nagement pour éviter de laisser s’installer les squatters, même si la plupartdes squats ayant subi les procédures d’expulsion sont toujours vides àl’heure actuelle. Une pétition a été signée par les commerçants et les habi-tants voisins du squat de la rue de Rivoli, en faveur du collectif, afin qu’ilspuissent y passer l’hiver. Les œuvres des artistes gagnent les cafés du quar-tier : devantures, décorations et performances dans la rue ont créé une ani-mation à laquelle les riverains se sont attachés. Même lorsqu’ils apparais-sent totalement intégrés dans la vie des quartiers, les artistes squatters nerevendiquent pas le droit à s’installer définitivement dans ces « béancesurbaines », mais cherchent plutôt à légitimer une démarche d’occupationtemporaire des lieux inoccupés. Tout en demandant un bail ou son« renouvellement » lors des procès, les collectifs valorisent les principe demobilité, de précarité et de fusion : le risque d’expulsion apporte l’énergieet la créativité nécessaire pour faire vivre un lieu. Au fil des procès, lesartistes squatters ont structuré leur message, revendiquant le droit de« glaner les espaces urbains », d’interroger temporairement le droit de pro-priété, de se déplacer à travers Paris, d’immeubles en immeubles, tous lessix mois ou tous les ans, et de tracer ainsi un parcours pour leur « perfor-mance urbaine ». Cet aspect distinguerait leur démarche artistique de celledes artistes contemporains installés officiellement, dans le parc immobilierpublic ou privé. Par nécessité ou par conviction, les squatters redéfinissentl’art contemporain dans la mobilité et le mouvement.

Le message des artistes squatters semble désormais trouver un échodans le débat parisien. Jusqu’à présent, le devenir des squats s’est décidéau cas par cas, en fonction des jugements des tribunaux ou d’accords avec

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les propriétaires. Deux squats parisiens (Châteaudun et Rivoli) ont ainsi pubénéficier d’un sursis de six mois avant leur expulsion ; les autres comp-tent souvent sur la trêve des expulsions de l’hiver qui leur garantitquelques mois de sécurité. Certains élus socialistes des mairies d’arrondis-sement ou du Conseil régional commencent à se mobiliser en faveur desartistes. Face à l’inertie de la mairie de Paris, ils proposent d’envisager l’ins-titution de « baux précaires » permettant le maintien dans les lieux desartistes. Ils rejoignent ainsi le soutien actif du ministère de la Culture pource type d’expérience artistique. En commandant à un de ses chargés demission (Jean-Hugues Piettre), un rapport sur les squats et leur devenir, leministère a souhaité initier une commission de réflexion faisant intervenirtous les acteurs de ce happening urbain : artistes squatters, propriétaires,mairie de Paris et d’arrondissements, ministère, galeristes, etc. afin de valo-riser la dynamique créative des squats. Pour accélérer ce mouvement, lesartistes du collectif Chez Robert ont accroché sur leur façade un avis derecherche de Catherine Tasca, ministre de la Culture, qu’ils invitent, par ceclin d’œil, à visiter leurs locaux de la rue de Rivoli.

Ces bonnes intentions relèvent-elles de l’argumentaire électoral outémoignent-elles d’un réel intérêt pour ces nouveaux lieux de création ?Rien ne permet de le dire, mais il est sûr que les squats contribuent à res-taurer le dynamisme artistique de Paris, qui semble s’être étiolé au profitdes autres capitales européennes. À Berlin, la création contemporained’avant-garde s’est fortement structurée et diffusée ces dix dernièresannées grâce à la tolérance des pratiques d’occupation temporaire desespaces « flottants » de Berlin-Est, après la chute du Mur. Et si, en plus destouristes et des passants, les galeristes se promènent aujourd’hui dans lessquats parisiens, c’est peut-être parce qu’ils commencent à reconnaître cedynamisme.

Conscients du danger que peut représenter pour eux la reconnaissancede leur action par les autorités administratives et culturelles, les artistessquatters sont encore, volontairement ou non, dans la contestation, qui estune des formes d’expression intrinsèquement liée à toute démarche artis-tique d’avant-garde. Auraient-ils intérêt dans ce cas à être reconnus et sou-tenus par les institutions ? Par la définition qu’en donnent eux-mêmes lesartistes squatters, les squats ne doivent pas s’installer, de quelque façonque ce soit : c’est parce qu’ils sont temporaires et hors-la-loi que les squatspermettent l’émergence de nouveaux rapports entre les artistes et le publiccitadin. ●

D O S S I E R : PA R I S , L E S V R A I S E N J E U X D ’ U N E C A M PA G N E

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