les premières de molière

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Lyonnet, Henry (1853-1933). Henry Lyonnet. "Les Premières" de Molière, préface de Jules Truffier. 1921. 1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numériques d'oeuvres tombées dans le domaine public provenant des collections de la BnF.Leur réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978 : *La réutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source. *La réutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par réutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produits élaborés ou de fourniture de service. Cliquer ici pour accéder aux tarifs et à la licence 2/ Les contenus de Gallica sont la propriété de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques. 3/ Quelques contenus sont soumis à un régime de réutilisation particulier. Il s'agit : *des reproductions de documents protégés par un droit d'auteur appartenant à un tiers. Ces documents ne peuvent être réutilisés, sauf dans le cadre de la copie privée, sans l'autorisation préalable du titulaire des droits. *des reproductions de documents conservés dans les bibliothèques ou autres institutions partenaires. Ceux-ci sont signalés par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothèque municipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisateur est invité à s'informer auprès de ces bibliothèques de leurs conditions de réutilisation. 4/ Gallica constitue une base de données, dont la BnF est le producteur, protégée au sens des articles L341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle. 5/ Les présentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica sont régies par la loi française. En cas de réutilisation prévue dans un autre pays, il appartient à chaque utilisateur de vérifier la conformité de son projet avec le droit de ce pays. 6/ L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions d'utilisation ainsi que la législation en vigueur, notamment en matière de propriété intellectuelle. En cas de non respect de ces dispositions, il est notamment passible d'une amende prévue par la loi du 17 juillet 1978. 7/ Pour obtenir un document de Gallica en haute définition, contacter [email protected].

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Page 1: Les Premières de Molière

Lyonnet, Henry (1853-1933). Henry Lyonnet. "Les Premières" de Molière, préface de Jules Truffier. 1921.

1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numériques d'oeuvres tombées dans le domaine public provenant des collections de laBnF.Leur réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978 :  *La réutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source.  *La réutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par réutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produitsélaborés ou de fourniture de service. Cliquer ici pour accéder aux tarifs et à la licence 2/ Les contenus de Gallica sont la propriété de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques. 3/ Quelques contenus sont soumis à un régime de réutilisation particulier. Il s'agit :  *des reproductions de documents protégés par un droit d'auteur appartenant à un tiers. Ces documents ne peuvent être réutilisés, sauf dans le cadre de la copie privée, sansl'autorisation préalable du titulaire des droits.  *des reproductions de documents conservés dans les bibliothèques ou autres institutions partenaires. Ceux-ci sont signalés par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothèquemunicipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisateur est invité à s'informer auprès de ces bibliothèques de leurs conditions de réutilisation. 4/ Gallica constitue une base de données, dont la BnF est le producteur, protégée au sens des articles L341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle. 5/ Les présentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica sont régies par la loi française. En cas de réutilisation prévue dans un autre pays, il appartient à chaque utilisateurde vérifier la conformité de son projet avec le droit de ce pays. 6/ L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions d'utilisation ainsi que la législation en vigueur, notamment en matière de propriété intellectuelle. En cas de nonrespect de ces dispositions, il est notamment passible d'une amende prévue par la loi du 17 juillet 1978. 7/ Pour obtenir un document de Gallica en haute définition, contacter [email protected].

Page 2: Les Premières de Molière
Page 3: Les Premières de Molière
Page 4: Les Premières de Molière

LES

B|IEMIÈRES"

i1 ':"£] DE

^LIÊRE

Page 5: Les Premières de Molière

DU MÊME AUTKURi

A travers l'Espagne Inconnue, RICHARD»,LAMHet C. 1 vo>.

Excursions historiques et littéraires, P. OIXBNDORPF. l »

Le Théâtre en Espagne, P. OLLEKDOBF?, l »

Le Théitre en Portugal, » 1 »

Le Théâtre en Italie, » 1 »

Pulolnella & C1*,Prêf. do G, Larroumet, P. OLLESDOBFP.t »

Mademoiselle Raucourt et les Comédiens français du

Prince Eugène (1806-1814), CH.SCHMID 1 >

La Grande Armée, Epopées centenaires, A. FAYARD. . 1 *

Dlctlonmlrè des Comédiens français, Ceux d'hier,10.000 biographies, 500 clichés, E. JOREL,ouvrage

récompensé par la Société de l'Histoire du Théâtre; 2 »

Au Rideau et Derrière la toile, Préface de Louis

Schneider, E. JOREL 1vol.

EN PRÉPARATION:

« Les Premières » de Pierre Corneille.

Page 6: Les Premières de Molière

HENRY LYONNET

VVM"*rwWwW*

LES

-PREMIERES''

DE

MOLIÈRE

Préface de Jules THUFF1BR

PARIS«•4

LIBRAIRIE DELAGRAVE

15, RUE SOUFFU>T, 15

1921

Page 7: Les Premières de Molière

Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptationréservés pour tous pays.

Copyrightby Librairie Dtlagraie, 1921.

Page 8: Les Premières de Molière

PREFACE

La superfluitê des préfaces est notoire, et cependant onsemble y attacher encore quelque priv ; tant il est vrai

qu'ici'bas on ne saurait se priver du superflu.La litanie des petits « hors d'oeuvre » laudatifs enre*

gistrés en tête des ouvrages de nos pères, les préludesêlogieux signés de noms plus ou moins célèbres et tenantlieu pour les auteurs de brevets d'exellence, tous ces appelstant à la curiosité qu'à la bourse des amateurs, ne sont

point devenus « vieux jeu » pour le public, ce public quenous croyons sceptique... et qui reste toujours le même.

lié jouissons nous donc de ce statu quo, et profitons dela mode tenace qui nous permet aujourd'hui de signalerà l'attention générale un bon livre qu'il « fallait faire ».En avoir eu l'idée eût été déjà très louable ; mais réalisée,cette idée est admirable et digne d'un moliêrojhile.

Les Premières de Molière n*auraient pas besoin pour.être remarquées du public des soixante'Sept pièces poly-glottes placées en tête des Chevilles de Maître AdamBillaut, ni des soirante-dix-sept opuscules précédant laMuse naissante du jeune Beauchasteau, dont, auXVIIe siècle, se délectaient nos aïeux.

L'auteur du présent livre est l'un des hommes deFrance qui le mieux connaissent l'Histoire du Théâtre.Nous devons à M. Henry Lyonnet, outre de précieuxouvrages : le Théâtre en Espagne, le Théâtre enPortugal, le Théâtre en Italie, Pulcinella et Cle, laCommedia dell'arte en France, les Comédiens révo-

Page 9: Les Premières de Molière

Vfll PRÔPACB

lutiônnairos, ete., at inestimable Dictionnaire desComédiens français en deux volumes, devenus rares, dontun habile Mécène des lettres dramatiques nous devraitbien donner une édition nouvelle, considérablement

augmentée.C'est à juste titre que nous nous plaignions, lors de

l'apparition de ce Dictionnaire, de l'absence de documents

généraux, groupés et réunis sur notre Théâtre en France,car si l'histoire des monuments, salles, entreprises, direc-

tions, etc., reste difficilement réalisable, l'histoire des

pièces représentées se pourrait effectuer en recourant auxtravaux d'un Joannidès et de ses émules, sans parler desarchives inexplorées du Bureau des Théâtres au Minis-tère des Beaux-Arts. Il n'y faudrait qu'une longuepatience et... la certitude de trouver un éditeur. Il en iraitde même pour l'histoire des auteurs, grâce aux bulletinsde notre Société de la rue Ilenner ; et quant à l'histoire des

comédiens, elle n'est plus qu'à compléter après le premiertravail accompli par M. Henry Lyonnet, travail qu'il con-tinue en notes manuscrites. Ne désespérons donc pas de

posséder un jour un « Ensemble » de connaissances théâ-

trales, digne d'un pays où l'Art dramatique tient tant de

place.D'autre part, les trop pesantes Encyclopédies effrayent

un peu le public, et les livres coûtent cher aujourd'hui lMieux vaut donc, d'abord, sérier les travaux et les offrirséparément, au fur et à mesure de leur apparition.

C'est ce que fait en l'occurence notre sagace moliêriste,qui profile de la célébration du tri-centenaire de Molière

pour publier ce «registre» plus détaillé, plus à notre portéeque celui de La Grange, et fécond en renseignements .detoutes sortes. Le présent recueil des Premières de Molièredoit devenir, je le répète, le bréviaire de tout françaismoliérisant.

Au lendemain de la guerre de 1870-71, une recrudes-cence d'affection pour l'oeuvre de Molière se fil sentir aucceur de maints jeunes gens épris de théâtre. C'est à celle

Page 10: Les Premières de Molière

PRÉFACE * I3C

époque que Georges Monval entrait avec moi au Corner*

valoir e, en même temps que Albert Carré, Baillet, Mme*

Barretta, Bartet, Bêjane, etc. Monval restera le modèleachevé du « Moliériste » militant. Ce fut lui qui décida

Ballande à célébrer le bi-centenaire de la mort de Molièreau Théâtre Italien en février 1873, et qui s'occupa de

toutes choses. J'ai conté dans le Figaro quelques anecdotessur cette Exposition de la Salle Ventadour.

Dès celte époque, Monval avait tenté de fonder saRevue : Le Moliériste ; mais ses ressources de jeune avocatet d'apprenti comédien étant modestes, ce ne fut qu'àpartir d'avril 1879 au*il put offrir au public, le 1er de

chaque mois, en m-8° carré, imprimé à la presse à brassur papier vergé des Vosges, en caractères elzéviriens, cet

organe de la petite église littéraire dont nous faisions par-tie, et que l'on compara gaîment aux Annales de propa-gation de la foi de notre religion spéciale. Le premiernuméro contenait un sonnet-frontispice, « Aux Molié-ristes » de François Coppèe ; le second, un sonnet deJules Truffier : « l'Enterrement nocturne de Molière ».

C'est en celte année 1879, que parut à la maisonHachette le tome IV du Molière des grands écrivains dela France, cette belle et définitive édition, commencée parle regretté Eugène Despois, continuée puis mise à fin parMM, Paul Mesnard et A. Desfeuilles. On n'a pas assez

proclamé quel admirable outil devint pour nous tous,après la publication des treize volumes et de Valbum, cet

incomparable monument dont les architectes étaient si

modestes, si simplement accueillants. Qu'ils reçoivent ici '

l'hommage profondément tendre et reconnaissant d'un«comédien français » qui vécut, en somme, du merveilleuxlabeur de ces maîtres vénérés.

Pour en révenir au Moliériste, nous avouerons que celteRevue si féconde en trouvailles piquantes au cours despremiers temps, ne fut plus à la longue — la matière .

s*épuisant—

que le vain refuge de polémiques et de ren-seignements plus ou moins négligeables. Elle cessa

Page 11: Les Premières de Molière

X 'PRÉFACE

d'ailleurs de paraître en 1889, et, coïncidence curieuse,ce fut à partir de ce moment que le classique subit une

sorte, je ne dirai pas d'éclipsé, mais de « crise ». La« tranche de vie » faisant fureur, on fut un peu désorienté

par les audaces « d'avant-garde »que l'on prenait pour dela force. Les jeunes a souriceaux » se disant libérés, trai-taient du haut de leur supériorité primaire, le Répertoirede : caduc, et les artistes sincères qui s'en occupaient« d'esclaves du passé », de « traditionnards »...

Sotte et fâcheusehi-mcur de la plupart des hommes,Qui,suivant ce qu'ils sont, jugent ce que nous sommes...

dit Malhurin Régnier. H est plus facile de brûler le

Temple d'Éphèse que de le bâtir.Un prurit de dévastation animait ces naïfs révolution-

naires dont le mot d'ordre semblait être avant tout :aGuerre à la discipline ». Nous avons vu le résultat de cesdissolvantes théories à quoi Von doit le malaise actuel duthéâtre de « style ».

S'obstiner alors à garder aux vers leur nombre de

syllabes, se faire entendre du public, proclamer la néces-sité de cet indispensable « style », ne point confondre la

vulgarité avec le vrai, le naturel ; continuer ce qui doitêtre au théâtre, en cultivant la vérité clioisie, parce qu'iln'y a pas deux façons d'être un « artiste » digne de de ce

nom; bref, l'observance de ces vertus cardinales vous dési-

gnait à Vanimadversion des nouveaux prophètes et deleurs disciples.

Mais, la volte-face étant ce qu'il y a de mieux comprisdans les révolutions, les plus malins ne tardèrent pas à se

calmer, puis à se prétendre plus moliéristes que les enfantsde Molière eux-mêmes l Des temps meilleurs se levèrent

enfin, grâce à la ténacité de quelques traditionnalistes

impavides sur qui les injures et les menaces n'eurent etn'auront jamais de prise.

C'est à qui, maintenant, se vient offrir pour faire tacliaîne et passer, avec l'eaii lustrale, leflambeau de Molièreaux lampadophores plus ou moins convaincus. Or, on ne

Page 12: Les Premières de Molière

PRÉFACE XI

devient pas moliériste du jour au lendemain ; il y fautquelque entraînement, et le présent livre sera d'un grandsecours aux prosélytes si bien intentionnés. En quarante-huit heures, ils en sauront autant que nous.

L'auteur — modeste à l'excès — nous assure que son

entreprise n'apprendra rien aux moliéristes avertis (ceen quoi il se trompe', car les plus entraînés ont parfois lamémoire courte et demandent à être promptement ren-

seignés). Espérons que son effort ne sera pas vain, puis-qu'il réduira de beaucoup, en faveur des esprits curieux,la peine de chercher dans les archives, dans les biblio-

thèques publiques ou privées, des documents souvent éparset peu connus ; et, — ce qui n'est point à négliger en ces

temps de « vie hors de prix » — permettra de se procu-rer maints livres rares dont l'acquisition, quand elle enest possible, devient de plus en plus inabordable.

M, Henry Lyonnet a voulu donner — et il y a réussi —

une idée exacte du milieu dans lequel vécurent, circulèrentMolière et les personnages qu'il coudoya ; des villes et dessalles où furent jouées les pièces,parmi différentes atmos-

phères, des endroits où ces pièces furent conçues, exécu-

tées; interprétées.Ce ne sont donc point des découvertes sensationnelles

mises à jour, ni de profondes études moliéresques i la

Beffara, Taschereau, Bazin,* Fournier, Souliê, Vilu,Monval, Loiseleur, Larroumel, Michaul, Coiiet et autres,que nous offre M. Henry Lyonnet : c'est un vivant kaléi-

doscope qu'il se plaît à développer devant nos yeux, dansla manière de cette « imagerie scénique » si goûtée actuel-

lement, en y employant un texte dont la brièveté, la clarténe sont pas les moindres agréments.

Le Cycle des « Premières de Molière » est clos avec leMalade imaginaire, et M. Lyonnet a judicieusementremis dans leur cadre les portraits et les tableaux en les

exposant sous leur véritable jour. Mais ce dont il fautféliciter l'excellent évocaleur, c'est de s'être efforcé de nousdonner une idée exacte de cette « vie » du XVI1Q siècle si

Page 13: Les Premières de Molière

XII PRÉFACE

mal connue même des gens de lettres. Nous en avons la

preuve par les ênormitês contenues dans nombre deromans, de pièces ou d'articles d'auteurs notoires, et dans

lesquels les personnages de Molière et de son entouragesont déformés comme à plaisir, el disent des choses éton-nantes I

M. Henry Lyonnet n'a pas dédaigné non plus quelquespetits côtés de notre « petit monde », et ses brèves annota-tions nous aident souvent mieux que d'interminablesdissertations à goûter tant d'oeuvres passionnantes dèsleur apparition. Nous aimons, pour ainsi dire, mieuxencore un chef-d'oeuvre, lorsque nous nous imaginonsavoir assisté à sa première représentation.

Il manquerait cependant au recueil, avant les débuts de

Molière, ce que j'appellerai «la Première des Premières »,celte réunion du 30 juin 1643, d Paris, chez les Béjarl,où se décida la cause de Jean-Baptiste Poquelin, où fuisigné le contrat de l'association initiale de l'IllustreThéâtre.

J'ai cru devoir donner autre part, un aperçu dialoguéde ce qui avait pu être dit el fait dans cette journée « histo-

rique » de la jeunesse du poète, entre J.-B. Poquelin etses amis. Je compte publier celte reconstitution dans ta« Comédie des Comédiens » que nous préparons avecmon ami,Lyonnet, el dont le chapitre premier sera toutnaturellement: «Chez-les Béjart».

': JULES TRUFFIER.

Page 14: Les Premières de Molière

Jtf S PREMIÈRES DE MOLIÈRE

CHAPITRE PREMIER

L'É'ïdtfRDI ou LES CONTRETEMPS

Comédieen vers en 5 actes.Lyon : Janvier ou Mars 1653.

Arrivéede Molière à Lyon. — Premiers déboiresà Paris. — La

troupe reconstituée à Nantes et sa composition.— Pérégri-nations en province. — Passage à Grenoble. — Les spec-taclesà Lyon el lesjeux de paume. — Molière sur la paroisseSaint Paul. — Mariage de du Parc. — Installation d'unthéâtre.— Ileprésentaiion au profil des pauvres. — Première

représentation à Lyon de /'Étourdi (mars 1653). — Succèsde l'ouvrage.

Nous sommes à Lyon, à la fin de l'année 1652. Lesamateurs de spectacle apprennent qu'une troupe dra-

matique française vient d'arriver en leur ville, etcette nouvelle n'est pas sans intérêt pour des gensqui,depuis un demi-siècle, ont vu passer les meilleures etles plus célèbres compagnies d'acteurs italiens. Ceux-ci, en effet, se rendant à la Cour de France, appeléspar Marie de Médtcis, sous les règnes d'Henri IV etde Louis XIII, s'arrêtaient invariablement à Lyon, àl'aller et au retour, inspirant ainsi en cette ville, le

goût du répertoire italien.Mais, cette fois, il s'agit bien d'une troupe française,

D'où vient-elle ? Du Languedoc, à coup sûr, mais enpassant par. Grenoble où elle se trouvait encore aumois d'août précédent (1). Cette troupe, qui depuis

(1)16 août 1652.— Baptêmeà Grenobled'un enfant du ménagede»ri«.Parrain: J.-B. Mnltém;marraine: Madeleine.Béjart,

Page 15: Les Premières de Molière

2 LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

sept ans parcourait les provinces avec des vicissitudes

diverses, était celle appelée « de la Béjart ».Les débuts de Molière dans la carrière dramatique

ont été maintes fois racontés. A l'âge de vingt-et-unans, le fils du tapissier do la rue Saint-Honoré (1)s'est jeté à corps-perdu dans la comédie en fondant,avec la famille Béjart dont nous parlerons plus loin,l'Illustre Théâtre, d'abord au tripot de la Perle, ruede Thorigny, puis, après un premier déplacement à

Rouen, au Jeu de paume des Mestayers, à Paris (2).Cette fois, la troupe a obtenu la protection de S. A. R.

Gaston, duc d'Orléans. L'ouverture de ce jeu de paume(13, rue de Seine, 12-14, rue Mazarine), situé a auxfossés de Nesle », comme on disait alors, eut lieu le1er janvier 1644. Le genre tragique fut celui adoptépar nos jeunes comédiens.

Tous les biographes de Molière ont répété à satiété

que les affaires n'y furent pas brillantes, et l'on connaîtles vers du pamphlet de Le Boulanger de Chalussay :

Les jours suivants n'étant ni festes ni dimanches,L'argent de nos goussets ne blessa point nos hanches,Car alors, excepté les exempts de payer,Les parents do la troupe et quelque batelier,Nul animal vivant n'entra dans notre salle.

Notons cependant un fait intéressant : le 28 juin,

(1) Jean Poquelin,dit Jean-BaptisteMolière,fils de Jean Poquelin,tapissier,et de MarieCressé,sonépouse,né rue Saint-Honoré,au coindela ruedesVicilles-Etuves,avait été baptiséle 15janvier1622,à Saint-Eustache.

(2)LeJeu depaumedesMestayersouPlltutlreThéâtre,d'aprèslesdocu-mentsinédits,avecplansde restitutionpar Aug.Vitu, Paris, AlphonseLemerre,1883.

LeBâloisThomasPlatter,venuà Parisen 1599,nousapprendqueletotaldesjeuxdepaume,ycomprisceuxdesfaubourgs,pouvaitêtreévalué&onzecents.En supposantquecochiffresoit fort exagéré,il faut recon-naîtreque la moitiéen constitueraitencoreun nombrefort respectable.Legoûtpourcetamusement,audiredecevoyageur,était si prononcéque,toutesles foisque l'on démolissaitune maison,on établissaitun jeu depaumesur sonemplacement.Bonnombren'étaientpas couvert».Onlesappelaitdes « tripots ».— La Promenadeà Parti au XVil* iiècleparMarcelPoète,Paris,Colin,1913,p. 22.

Page 16: Les Premières de Molière

L'ÉTOURDI 3

à l'occasion do l'engagement d'un danseur, Jean

Poquelin signa pour le première fois DE MOLIÈRE.Le départ de Monsieur pour la guerre vint tout à coup

porter à nos débutants un coup funeste. Le duc de

Guise, qui le suit, leur a fait, il est vrai, présent deriches habits :

La Béjart, Beys et MolièreBrillants de pareille lumièreM'en paraissent plus orgueilleux...

disent les Stances adressées à ce seigneur pour le remer-cier des cadeaux qu'il avait faits aux comédiens dotoutes les troupes. Mais cette défroque n'emplit pasla caisse, et la compagnie s'endette. On quitte la rivo

gauche, et lo théâtre ost remonté au Jeu de paumede la Croix noire, rue des Barrés, au Port Saint-Paul (1).L'ouverture en est fixée au 8 janvier 1645. Les embar-ras s'accroissent. Du 2 au 4 août suivant, Molière estccroué pour dettes de son théâtre au Grand Châtelet,à la requête du maître chandelier, et il n'en sort quele 5, sous caution, grâce à Léonard Aubry, paveur desbâtiments du roi (2). Cette dette fut garantie parPoquelin père l'année suivante, et, coïncidence singu-lière, lo fils de ce Léonard Aubry épousera plus tardGeneviève Béjart, une des actrices de la troupe recons-tituée.

Il nous faut, en réalité, passer à l'année 1648 pourretrouver, à Nantes, la troupe groupée autour deMadeleine Béjart qui en est l'âme, et dirigée par Charlesdu Fresnc, fils d'un peintre du roi, qui cumule lesfonctions d'administrateur, de metteur en scène, etde peintre décorateur (3). Dans cette société, nous

(!) La Salledu théâtredeMolièreau Port St-Paut,par Pb. Colardeau,Paris,J. Bonnassies,1876.

(2| Eud.Soulié,Recherchessur Molière,Paris,Hachette,1863.(3)Il existeunelacunefortcurieuseencequiconcerneMolièrependant

tesannées1646-1647.Derécentsdocumentsnousontappris«qu'uncomé-diendeS.A. R. convertip.r M.Olicr»faisaitpartiede la maisondeM.dePontenay-Mareuil,ambassadeur&Romeen 1647.Or,si nousnousrappe-

Page 17: Les Premières de Molière

4 LES PREMIÈRES DE MOLIERE

allons voir réapparaître Molière, et c'est de Nantes

que la troupe, recrutant partout sur son chemin deséléments sérieux, va commencer ses pérégrinationsdans le Sud-Ouest et dans le midi de la France.

Madeleine Béjartatteint déjà la trentaine en 1648 (1).Femme de tête, esprit plein de ressources, elle calcule

tout, prévoit tout, veille aux intérêts communs. Grâceà clic, la compagnie est la mieux pourvue, la plusmagnifique en habits qu'il y ait en province. Pour le

moment, elle joue les rôles tragiques, en attendant

qu'elle devienne la soubrette idéale du théâtre deMolière.

Joseph Béjart, son frère aîné (2), associé dès ledébut à toutes les tentatives théâtrales de sa soeur

Madeleine, a pour partage les premiers rôles, bien qu'ilfût, ou qu'il ait été bègue, chose à peine croyable, mais

qui nous est prouvée cependant par un acte dans lequelun médecin d'Angers s'était engagé à le guérir en

vingt jours de « la difficulté de parler (3) ».Geneviève Béjart, leur soeur (4), fait aussi partie

de toutes les combinaisons dramatiques de la famille.Mais pour éviter la répétition du nom de Béjart, elle a

adopté au théâtre le nom de sa mère, Hervé.Charles du Frcsnc (5) avait déjà dirigé plusieurs

IonsqueGuise,ex-protecteurde la compagnie,queModène,ex-amantdeMadeleineBéjart, sont à Romeà cette mêmedate, ainsi que le peintreMîgnardqui deviendrapar la suite un des plusgrandsamisde Molière,nepeut-onpassedemandersi celui-ci,aprèsavoirrenoncéau théâtreà lasuitedesesdéboires,ne seraitpas cecomédienconverti,dont la présenceest signaléeen Italie? Maisruus attendonsencorele documentqui nousle prouve.

(1)Baptiséeà Saint-Gcrvaisle8 janvier1618.Filled'un huissieraudien-cierh la GrandeMaîtrisedeseauxet forêts.

(2)Néen 1C1Cou1G17,d'uneunioncontractéeen1615.(3)L'actefut passéà Parisle14avril1644.Publiéparla Correspondance

littéraire,n°du25janvier1869.(4)Baptiséea Saint-Paul,le2 juillet1624.(5)Charlesde Postcl,filsde ClaudeDuFresnc,peintredu roi,était né

&Argentanvers1611.

Page 18: Les Premières de Molière

L'ETOURDI 6

entreprises théâtrales lorsqu'il connut les Béjart (1),En qualité de directeur de troupe, c'est lui qui adresseaux municipalités les demandes pour avoir l'autorisa-tion de représenter la comédie (2). Il restera pendantplus de dix ans attaché à la forluno de la compagnieoù il tient les seconds rôles tragiques.

René Berthelot, dit du Parc, né à Nantes vers 1630,,.'était encore fort jeune lorsqu'il se trouvait à Catcas-sonne avec du Fresne en 1647. Son obésité précoce valui servir dans les rôles de valets, et ce René deviendra

bientôt Gros-René.Mais lorsque les biographes écrivent que du Fresno

entra dans la troupe de Molière, ils se trompent évidem-

ment, puisque c'est Molière qui, à cette époque, entradans la troupe de du Fresne (3).

C'est enfin Pierre Réveillon, comédien qui se trou-vait déjà l'année précédente avec du Fresne et du Parcà Carcassonnc (4), et qui fait baptiser sa fille Isabelleà l'église Saint-Léonard à Nantes, le 18 mai.

Suivons la caravane à Fontenay-le-Comte, Poitiers,Chatcauroux, Limoges (5), Angoulême. A Toulouse

(t) C'estainsiquel'onconstatesonpassageà Lyon,en1643,oùil assistaà Sainte-Croixà un mariage.En octobre1647,sa présenceest signalée&Carcassonnc.

(2)On a retrouvéune requêtesignéepar lui à Fontenay-le-Comtele9 juin 1648.[Recherchessur te séjourdeMolièredansFOuestdela Franceen1648,par Benj-iminFillon,Fontenay-Ie-Comle,1871.)

(3)C'estM.Molandqui,lepremier,publiaun extrait d'unregistremuni-cipalnantais,nousrévélantqu'a la date du 23avril 1648,le sieurMon-LIERRE(sic)comédiende la troupedu sieurdu Fresne,venaitsolliciterducorpsde ville,la permissionpour lui et ses camarades,de montersur lethéâtrepour y représenterleurs comédies{Registredesdélibérationsde1645à 1650,Fol.188V°).

(4)Quittancede 500livressignéedu Fresne, du Parc et RéveillonàCarcassonnc,en octobre1647.

(5)On n'a pas jusqu'icide documentcertain établissantque Molièreait été à Limoges,et cependant,commel'a fait remarquerdanssonétudeMolièrecl les Limousins,Limoges1883,M.RenéPage, on est persuadéqueMolièreconnaissaitcette ville. Letraiteur Petit-Jean,la promenadedu cimetièrede*Arènes,l'ÉgliseSaiot-Étiennc,cités par M. de Pour-ceaugnac,nesontpasdepuresinventions,maisdesréalités.

Page 19: Les Premières de Molière

6 LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

certainement avec du Fresno en mai 1049 (1), à Carcas-sonnc et à Narbonnc en décembre.

A Carcassonnc, nous retrouvons le nom de Nicolas

Dcsfontaincs, acteur-auteur, qui avait fait partie des

premiers camarades de Molière à Paris. Il mourut à

Angers le 4 février 1652 (2).Enfin, le 10 janvier 1650, Molière est parrain à

St-Paul de Narbonnc, et la marraine n'est autre queCatherine du Rozct qui va devenir sous peu la femmed'Edmc Villcquin, sieur de Brie.

Ainsi, peu à peu, se forme cette troupe qui va devenirla première de toutes les troupes de France. Et quelleacquisition ! Mcllc de Bric, l'éternelle ingénue deMolière (3). Quant à son mari, âgé de 23 ans de plusqu'elle, il se contentera de jouer les utilités (4). Cemenu fait nous prouve, en passant, que les de Brie,comme on l'a dit maintes fois, ne faisaient pas partied'une troupe rivale lorsque Molière vint à Lyon en

1652, mais qu'ils étaient déjà avec lui à Narbonne en1650.

Continuons à tracer à grands traits les principalesétapes de cette odyssée. Le 13 février suivant, du Fresneest à Agon où ont lieu des réjouissances à l'occasionde la réinstallation de la Cour des aides (5). Du Fresne,venant en ce jour rendre ses devoirs à la Maison deVille de la part de sa compagnie, dit fort bien qu'il est

(1)« 16 may 1649,payé au sieur Dufresncet autres comédiensde satroupe la sommede soixanteet quinzelivrespour avoir du mandementde Messieursles Capitouhjoué et fait une comédieà l'arrivéeen celtevilledu Comtede Roure,lieutenantgénéralpour le roy en Languedoc.»Citépar EmmanuelRaymond,JournaldeToulouse,6 mars1864.

(2) Le 21 décembre1G49,à Carcassonnc,N. Dcsfontaincsest parrain,et le26décembre,Ch.du Fresneet MadeleineBéjartsontparrainet mar-raineh Saint Paulde Narbonne.

(3)CatherineI^clcrcdu Rozctétait néevers1630.Onpeut fixerla datede son mariageavec de Bricauxenvironsde 1650.

(4)KdmcVillequtn,sieur de Bric,né à Fcrrièresen Brie e 24octobre1C07,était le frèredu peintreEtienneVillcquin.

(5)IMTroupede Molièreà Agen,par AdolpheMagen,Paris-Bordeaux,1877.

Page 20: Les Premières de Molière

L'ÉTOURDI 7

en cette ville « par l'ordre » de Monseigneur le Gou-

verneur.Lo 24 octobre, ouverture des États à Pézenas. Le

17 décembre, en cette ville, Molière donne quittancede 4000 livres ordonnée aux comédiens par M.M. desÉtats (1).

Les travaux de l'année suivante restent un peu dansl'ombre. Nous savons toutefois que Molière était àParis pendant la semaine de Pâques (9 avril), et qu'ily signe une reconnaissance à son père des sommesdues (2). Le 16 août 1652, tocte la troupe est à Gre-noble où l'on procède au baptême du premier enfant

des de Brie, Molière parrain, et Madeleine Béjartmarraine (3).

Nous touchons au but.Le 19 décembre, Molière est à Lyon, et Pierre

Réveillon parrain en l'église Sainte-Croix.Où vont avoir lieu lis représentations de la nouvcllo

troupe ?Il n'y avait pas alors à Lyon des salles de spectacle

roprciitcnt dites. Le théâtre qu'avait fondé Jean

Neyron, dans le quartier des Augustins, pour y jouerdes farces et des moralités, n'existait plus depuis1541. Et, lorsqu'on 1600, Henri IV et Marie de Médicisvinrent à Lyon, il fallut disposer la salle des clergeons

St-Jean pour les représentations que les comédienstaliens devaient donner pendant le séjour de cesottvcrains ; plus tard, vers le milieu du xvne siècleles comédiens s'établissaient momentanément à Lyon,t louaient une salle de jeu de pau.mc vers St-Paul (4).Les avis des historiens lyonnais sont partagés. Les

(1)G.Monval,ChronologieMoliéresque,p. 84, LibrairiedesBibliophiles,aris, 1897.(2)Eud.Soulié,Recherchessur Molière,Paris, Hachette,1863.Il a'agis-

ait d'une reconnaissancegénéralede 1965livres touchéesen quatre foise sonpère,en 1643,1646-49,1651.p. 64et 227.-(3; Découvertedue récemmentà M. l'rudhomme,archivistede l'Isère.(4)Descriptionhistoriquede Lyon,p. 166.— Archivesdu Rhônet. VIII,

. 488.•—Molièreà Lyon,par A. Péricaud,Lyon,1835.

Page 21: Les Premières de Molière

8 LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

uns pensent que le jeu de paume où joua Molière était

situé entre la rue de PAngile et l'impasse de la Doi.uno,c'est-à-dire tout proche do St-Paul, ou encore rue

du Boeuf, dans le même quartier. Une note qui accom-

pagne l'article a rue du Boeuf » (1), dit qu'il y avaitencore en 1828 les vestiges de sept jeux de paumedepuis la rue St-Georgc jusqu'au quai de Bourgneuf,bien que les registres de Saint-Paul ne nous aient fait

connaître jusqu'à présent qu'un jeu de paume dans

l'étendue de cette paroisse, celui du « porc scellé »,du nom de son enseigne, et démoli en 1861 (2),

Et cependant M. Brouchoud, auteur des Originesdu théâtre à Lyon, incline plutôt pour le quartier de la

paroisse Sainte-Croix où cinq maîtres paumiers tenaientdes établissements de cette nature. C'est aussi àSainte-Croix que va se marier du Parc. Mais le fait dese marier à la paroisse de la fiancée implique-t-il quele fiancé habite sur la même paroisse ?

Il existait à Lyon depuis 1635 un « opérateur »

nommé Giacomo de Gorla, originaire des Grisons,

lequel de Gorla, ou de Gorlc, avait comme les opéra-teurs fameux de cette époque une troupe de comédiensà son service. Cette troupe était dirigée par un certainAbraham Mittallat, sieur de la Source, originairede Metz. Tous deux étaient associés (3). Le sieur deGorla possédait au moins une fille à laquelle il avait

donné les noms de Marquise, Thérèse en 1633. La

jeune Marquise—dont le prénom original fut souventconfondu avec un titre—était fort belle... Du Parcs'en éprit follement,, et l'épousa à Lyon le 23 février

1653. Molière, du Fre3ne, Joseph Béjart et Pierre

Réveillon avaient signé le 19 au contrat. Nous verrons

(1)Archivesdu RMne,t. VIII,p. 91.(2)C.Brouchoud,lesOriginesdu théâtredeLyon,p. 37,Lyon,N.Scheu-

ring,1865.—Nousdironsplusloinpourquoiil setrompait.(3)G.Monvala découvertel publicdansleMoliéristedeseptembre1886

l'actedemariagedeceMittallatquiavait épouséà Sens,le27février1634,JeanneDuronserre,filledusieurdeBellefontainesedisantécuyer.

Page 22: Les Premières de Molière

L'ÉTOURDI d

comment Melle du Parc va devenir, sinon de suite,du moins sous peu de temps, une des principalesétoiles de la troupe de Molière.

Voici donc lo jeu de paume au quartier Saint-Paul (1), presqu'en bordure de la rive droite de la

Saône, peut-être dans une de ces ruelles grimpantes,accrochées au coteau que domine Fourvières. Il est

prêt à recevoir acteurs et spectateurs. Deux mots''d'abord de cette installation.

Il est impossible, évidemment,-de définir quelle étaitla grandeur de ce jeu de paume, mais nous pouvonsprocéder par comparaison, puisque nous avons desdonnées sur d'autres jeux de paume qui abritèrentMolière et sa troupe. Car, fait à remarquer, à Paris,à Rouen, à Grenoble et dans bien d'autres villes, cefut toujours dans des jeux de paume que s'établirentles premières salles de spectacle, et sur leur emplace-ment que se construisirent les premiers théâtres (2).

Le terrain d'un jeu de paume moyen présentaitenviron 30 mètres de profondeur. On y parvenaitgénéralement par une allée. Le côté droit, bordé parle « grand mur » n'était percé d'aucune ouverture,disposition nécessaire pour empêcher que des étrangersvinssent troubler le jeu. En face du grand mur, et enretour d'équerre, sous le pignon d'entrée, régnaitune galerie réservée aux spectateurs, galerie tardive-ment protégée par un filet contre des accidents dusaux ricochets des balles.

(1)Cetendroitne fait aucundoute.Chappuzeauquiavaitassistéà cesreprésentations,écrit (p. 123de la réimpressionde son Théâtrefrançais,Paris,JulesBonnassies,1876)quela troupede Molièreavaitfait déjàcon-naîtresesmérites«au quartierSaint-Paul,à Lyon».—Nouslisonsd'autrepartdansLyonancienelmoderne,publiéparLéonBoitel,avant1844: t Lapremièrereprésentationde r Etourdieut lieuà Lyondansunedessallesd'unjeudepaumesituéà Saint'Paul,et qui,au milieudu xvn*siècleser-vaitauxreprésentationsdes troupesde comédiensde passage.Lamaisonexisteencore;elleportelen°154,»'trlequaideFlandre.>Ladénominationduquaia changé,et sansdouteaussilenumérotagedesmaisons.Maisnouaignoronssurquelsdocumentscetauteurs'appuyait.

(2)ArthurPougin,Dictionnaireduthéâtre,ArticleJeudePaume,p. 449.

Page 23: Les Premières de Molière

10 LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

La hauteur de l'un et l'autre mur était d'environ

cinq mètres. La salle, couverte en tuiles, recevait le

jour par des baies placées sous le toit angulaire, entredes poteaux portant sur les murs. Le plafond pouvaits'élever ainsi à une hauteur de 10 à 12 mètres au-dessusdu sol pavé de carrés en pierre, afin que les chaussuresdes joueurs ne rencontrassent aucune inégalité sousleurs pas, tandis que les murailles et lo plafond étaient

peints en noir de façon que l'on pût suivre de l'oeille parcours des balles* qui étaient blanches (1).

Lorsqu'une troupe de comédiens, comme celle de

Molière, voulait tranformer un jeu de paume en théâtre,elle y faisait construire des galeries et des loges (2).

Appliquant les données ci-dessus (soit un jeu do

paume moyen de 32 mètres), une salle de 18 mètres 56de long sur 12 mètres de large et 11 à 12 mètres dehaut était réservée aux spectateurs. La scène devait

occuper 8 mètres 96 de profondeur, et le fond du thé-âtre 4 mètres 48 pour les dégagements et les logos desacteurs. Le théâtre Déjazet, boulevard du Temple,établi dans le dernier des jeux de paume subsistantà Paris (ancien jeu do paume du Comte d'Artois),renferme 1100 places (3). Enfin les comédiens devaientse préoccuper de rendre praticables les abords de leurthéâtre pour permettre aux spectateurs qui arrivaienten carrosse ou en chaise de ne pas enfoncer dans lesornières et la bouc du chemin (4).

(1)Aug.Vilu,leJeudepaumedesMeslayers,Pari*,Lemcrre1883,p. 41.— En Italie,au contraire,on lançaitdespaumesnoirescontredesmursblancs.

(2)Extrait du baildu 12septembre1643passéaveclescomédiensdeYIllustreThéâtre: Permissionde jouirdu local«à commencerlejourquelesdictspreneursaurontcommencédefaireporterdu boisau dictjeu(desMestavers)pourfaireleurthéâtre,gallcricset logespourfairelacomédie...»Et plusloin: «mesmeremporteronten la dictefindu dictbailtousleursthéâtres,logeset gatlerieset toutcequ'ilsaurontfait faire».

(3)Noted'Aug.Vitu. ,(4)MarchépasséentreLéonardAubry,paveurordinairedesbâtiments

du roiet lescomédiensdel'Illustrethéâtrepourfournirtout le pavéneufafindefaciliterl'accèsdu JeudepaumedesMeslayers,28décembre1643.—PièceproduiteparEudoreSoulié,RecherchessurMolière,déjàcité.

Page 24: Les Premières de Molière

L'ÉTOURDI 11

Quel était à présent le prix des places ?Une ordonnance de police de l'an 1609, à Paris,

avait défendu aux comédiens de prendre plus de cinqsols au parterre, et dix sols aux loges et galeries, àmoins de jouer à Yextraordinaire, cas où l'on doublaitle prix de certaines places. Mais l'ordonnance parisiennede 1609 était bien tombée en désuétude au milieudu xvne siècle. De Villiers écrivait (1) en 1652 :

Venez apporter votre trognoDedans notre Hôtel de Bourgogno;Venez en foule ; apportez-nousDans le parterre quinze sous,Cent dix sous dans les galeries...

On écrit en 1663, au moment des représentationsde YAttila de Corneille :

Un clerc pour quinze sous, sans craindre le holà,Peut aller au parterre y siffler Attila.

En province les prix variaient selon l'importancedes villes et la vogue des troupes (2).

A Lyon, nous savons que les comédiens devaient

jouer, au rr> -s une fois pendant leur saison, au béné-fice des pan j. Les recteurs faisaient établir des billetssur lesquels aient apposées les armoiries de l'Hôtel-

Dieu, et cet 'epresentation de gala avait lieu dans la

grande salit . Gouverneur, qui était en même tempsl'Hôtel de 1 archevêque. Les places —dont les cartonsnous ont étj conservés — étaient désignées premièreloge, seconde loge, amphithéâtre et parterre, et la

représentation produisait une somme de 400 livres (3).

(1)DeVillierspère,ClaudeDeschampsdit : acteur-auteur,néen!60l. —Théâtredu Marais,HôteldeBourgogne,retirévers1670,morten1681.—V. Henry Lyonnet,Dictionnairedes Comédiensfrançais,Ar|. Villiers. (2)Jules Loiseleui,lesPointsobscursde la ViedeMolière,p. 186-187Paris,IsidoreLiseux,1877.

(3)LesBillettdespidaeledeL'jtnpourlespauvresdeVHôtelDieu,articledeM.E.knUl,d&nih Moliéristedu l'r juin 1880,accompagnédela repro-ductionde cinqbillets.

Page 25: Les Premières de Molière

12 LES PREMIÈRESDR MOLIÈRE

Tel est le milieu dans lequel Molière va donner sa

première pièce, YEtourdi. Est-ce bien sa premièrepièce ? N'a-t-il pas, depuis qu'il court les provinces,esquissé maints canovas dont les fragments lui servi-ront plus tard pour écrire d'autres pièces sur desbases plus sérieuses ? Quoiqu'il en soit, officiellement,VEtourdi est sa première pièce, et celle-ci fut donnéeà Lyon* au mois de janvier 1653, selon les uns (1),ou au mois do mars, selon les autres (2), cetto deuxième

supposition étant la plus vraisemblable, lo carnavaltombant cette année-là au commencement de mars (3).Or, on sait qu'à l'époque du carnaval les comédiensavaient toujours soin do rehausser leur programmopar quelque nouveauté sensationnelle.

Le sujet de YEtourdi avait été emprunté au réper-toire italien et YInavverlilo, ovvero Scappino disturbatoe Mezzetlino travagliato de Barbieri Niccolo, plus connusous lo nom de Beltramo, avait été imprimé pour la

première fois à Turin en 1629 et réimprimé à Veniseen 1630, dédié à la « Sérénissime Madame Christinede France, Princesse do Piémont » (4). Barbieri, quijouait sous le nom de Beltrame, était venu à Parisen 1600, au service de Henri IV, puis y avait séjournéde 1613 à 1618 et de 1623 à 1625(5). Il mourut peuaprès 1640.

Certes, Molière n'avait pu connaître Beltrame à Paris,mais il connaissait son oeuvre restée au répertoireitalien, ce répertoire qui charma sa jeunesse, à peude distance de la maison paternelle (6). Il connaissait

par coeur de longue date cet Inavvertito qu'il avait

(1)JulesLoiseleur,LesPointsobscursdela ViedeMolière,ouvr.déjàcité.(21G.Monval,LaChronologieMoliéresquê,ouvr.déjàcité.13}Piquestombaitle 13avrilen1653.(41Christinede France,MadameRoyale,secondefilled'HenriIVet de

Mariede Médicis,ni* au Louvrele 10Février1608,mariéeà treizeansen1619àVictorAmédée,PrincedePiémont,puisDucdeSavoie. '

(51LuigiRasi,/ ComiciItatiani,FratelliBocca,Florence,1897. ,-(6) Les Italiensjouaientà l'Hôtelde Bourgogne,rue Tiquetonne,et

MolièreétaitnérueSaint-Honoré,au coindelaruedesEtuves.

Page 26: Les Premières de Molière

L ÉTOURDI 13

peut-ôtro même vu représenter en Italie, si l'on peutdémontrer un jour, comme nous l'avons explique plushaut, qu'il passa à Rome l'année 1647. Seulement, enécrivant son Etourdi, il refondit le tout dans un moule

français, et de quelle manière !Dès le début, YInavvertito, selon la mode italienne

do la Commedia dell' Arte, ou comédie sur canevasn'avait été qu'un scénario sur lequel avaient Lrodôles comédiens. Ce n'est quo par la suite que Bcltrameavait fixé le texto par écrit. De plus, lo principal per-sonnage, Scappino, jouait sous le masque, et comme

Bcltrame, lo créateur du rôle, était milanais, il avaitvoulu continuer à parler la langue do son pays, et enavait gardé le costume : celui d'un valet du temps, ou

d'un peu avant. Le masque était marron, avec desmoustaches châtain. Passant sur la scène françaiseavec Molière, lo personnage prit des vêtements rayés

(vert et blanc, ou rouge et blanc, ou bleu et blanc). Du

masque, on italien maschera, il no conserva quo lo nom :

Mascarille.Le caractère seul est resté: toujours valet, il chango

souvent de maître ; intrigant, bel esprit, bavard et

menteur, il jouit d'une fort mauvaise réputation. C'est

un brouillon, un peu quémandeur, tant soit peu voleur,mais fort bien en cour auprès des soubrettes. Sur la

scène italienne ce «masque »s'appelle aussi Brighella(l).Quant aux détracteurs systématiques de Molière,

qui lui reprochent d'avoir pris çà et là toi ou tel sujet,

qu'ils veuillent bien, s'ils ne peuvent lire YInavvertitodans l'original, prendre connaissance de l'analysesommaire qu'en a donnée M. Louis Moland (2). Sans

dédaigner Beltrame, ils béniront l'auteur de YEtourdiou les Contre-temps.

'(1)MauriceSand,MasquesetBouffons,t. II, p. 226,K ris,A.Lévyfils,

1862.(2)LouisMoland,Molièreet la Comédieitalienne,p. 149,'Paris,Didier

et C>,1867.

Page 27: Les Premières de Molière

14 LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

Cette première pièce, dans laquelle Molière tenaitle rôlo principal, celui de Mascarillo, un des plus longsdu répertoire, eut à Lyon un succès prodigieux. Quanta ses partenaires, il y a tout lieu de croire que du Fresne

jouait le rôle de Lélie (1) et du Parc celui d'Ergaste.Joseph Béjart tint inconstestablement le rôle de Pan-

dolfe, qui fut le dernier dans lequel on le vit plus tardà Paris, et M0,l° de Brio, celui do Célio.

(I) Quelqueséditionsde MolièreindiquentLagrangecommelocréateurdu rôlede Lélie.C'estabsolumentinexact,puisquela piècefut jouéeàLyonen 1653,et queLagrangen'entradansla compagniequ'en1659.Ilseraitplusjustededirequ'il repritle rôleà Parisaprèsle départdeduFresne.

Page 28: Les Premières de Molière

CHAPITRE il

LE DÉ* IT AMOUREUX

Comédieen vers eu 5 actes.Bezlers:décembre1656.

Voyageen Languedoc,— Deux troupes rivales à Pézenas. — LéPrince de Conti.— Quartiers d'hiver à Lyon.— Deux témoinsirréfutables : Chappuzeau et d'Assoucy. — Comment vivaitla troupe en voyage. — Bordeaux. — Première du Dépitamoureux à Béliers (1656). —•Molière créa-t-il te rôle deMascarille dans cette pièce? — Nouvellespérégrinations. —•La troupe se rapproche de Paris.

L'accueil fait à Lyon à nos comédiens avait été tel

qu'ils résolurent aussitôt de faire de cette ville le centrede leur exploitation, le lieu où ils devaient revenir

périodiquement pendant plus de quatre ans, au retourde leurs expéditions dans le midi et le sud-ouest dela France. Certains sujets de la troupe comme CyprienRagueneau de l'Estang y prendront même à bail des

appartements (1).Au mois de septembre 1653, la troupe « de Molière

et de la Béjart » comme on disait alors, se trouvanten Languedoc, fut subitement mandée à La Grangedes Prés, près Pézenas, par l'abbé Daniel de Cosnac,premier gentilhomme de la Chambre du Prince deConti. Le Prince avait auprès de lui sa maîtresse,Madame de Calvimont, et, comme il se hâtait d'activer

(I) CyprienRagueneau,dit de l'Estang,était le filsde Jacquet Rague-neau,pâtissier,rue Saint-Ho*.ioré.Il avait pris à bail pour troisans, le15octobre1653,à Lyon,un appartementdansunemaisonsituéeprèsdecelledes jésuitesde Saint Joseph. Il y mourut lo 18 août 1654,et futinhuméen l'égliseSt-Michel(ouSt-Nirier?>Sa filleMarie,néeen 1639,femmede chambrede M"*de Brie,devaitplus tard épouserLagrange.(H. Lyonnet,DictionnairedèsComédiensfrançais,Art. Ragueneau.)

Page 29: Les Premières de Molière

16 LES PRRMISRB3 DE MOLIÈRE

ses préparatifs de départ pour aller épouser à ParisMarie-Anne Martinozzi, nièce do Mazarin, il n'y avaitpas de temps à perdre (1).

Mais au moment où .Molière et ses compagnons se

disposaient à obéir aux sollicitations de Cosnac, ilarriva à Pézenas uno autre compagnie de campagne,laquelle avait pour directeur un ancien operateurdu Pont-neuf, nommé Cormier.

La situation se trouva fort embrouillée. Cosoac entenait pour Molière qu'il avait fait venir, et le Prince

pour Cormier qui avait fait des présents à Mme deCalvimont. Pendant ce temps Molière demandait

qu'on lui payât ses frais de dérangement (2).Cosnac, piqué au jeu, résolut de faire monter ses

protégés sur le théâtre de Pézenas, et de leur donnermille écus de son argent plutôt que de leur manquerde parole. Tout finit par s'arranger pour le mieux dumonde. Le Prince fit venir la troupe au château, oùl'on reconnut qu'elle surpassait de beaucoup celle deCormier « soit par la bonté des acteurs, soit parla magni-ficence des habits ». Sarrazin, le secrétaire du Prince,devenu l'un des adoiateurs de la du Parc, ne songeaqu'à la retenir sous ses yeux, et d'un commun accordil fut résolu de congédier la troupe de Cormier (3),tandis que le Prince fit donner pension à celle de Molière,nouvelle confirmée plus tard par Lagrange dans lestermes suivants (4) :

« Ce Prince qui l'estimoit (Molière) et qui alorsn'aimoit rien tant que la comédie, le reçut avec des

marques de bonté très obligeantes, donna des appoin-tements à sa troupe et l'engagea à son service, tant

auprès do sa personnequepourles États du Languedoc. »Si nous entrons dans ces détails qui semblent nous

(1)Cetteunioneut lieule22févriersuivant.(2)MémoiresdeCotnae(éditésseulementen 1852),t. I, p. 127-128. '(3)Le20juillet 1665,ceCcimt«répousaà RouenMadeleineFùset.(4)Registrede Lagrange.— Nousauronsl'occasionplus loinde nous

expliquerau sujetdecedocumentdepremierordre.

Page 30: Les Premières de Molière

LE DÉPIT AMOUREUX 17

éloigner de notre sujet— la seconde « première » de

Molière—-ce n'est que pour faire voir l'importance,quasi officielle, que la troupe acquiert avec le temps.

Le 10 novembre, Molière et ses camarades sont à

Montpellier et jouent dans la maison du Président

d'Atgel. Le 16, ouverture des États, et le 6 janvier,Molière -est parrain d'un enfant du Jardin en l'égliseSaint-Pierre de Montpellier (1).

Il nous parait presque hors de doute que Molière a

regagné ses quartiers d'hiver à Lyon pour l'époque ducarnaval. Le 8 mars Mlle du Parc accouche en cetteville d'un garçon j Cyprien Ragueneau de l'Estang ymeurt en août, et l'on croit retrouver fin septembre,à Vienne, en Dauphiné, des traces du passage do la

troupe do retour à Lyon le 3 novembre (2).L'ouverture à Montpellier des États du Languedoc

par le Prince de Conti, le 7 décembre 1654, rappelleencore Molière en ces parages. Joseph Béjart, l'aîné,auquel ne manque pas le sens de l'à-propos, vient de

composer à Lyon un Recueil des titres, qualités, blasonsetarmes des seigneurs des Etats généraux de la Province de

Languedoc tenus en la ville de Montpellier l'an 1654 (3).Le 14 mars de l'année suivante, la troupe reçoit 8000livres pour quatre mois de séjour .

Retour à Lyon,où Molière est témoin, à Sainte-Croix,au mariage de deux comédiens do sa troupe : MartinFoulle et Anne Reynis (29 avril).

Nous interromprons ici notre récit pour citera labarre deux témoins irréfutables qui nous diront, le

premier quelle était la valeur des représentations do

(1)G.Monval,ChronologieMoliéresque,p.75,ouvr.déjàcité.(2)G.Monval,ChronologieMoliéresque,p. 11,ouvr.déjàcité.(3)CerecueilIn-'*',dontle privilègefut accordéà J. Béjartle 14mai

suivant,ne fut achevéd'imprimerà Lyon,chezScipionJafferme,quele31juillet.Il valutà sonauteur 1.500livresqui lui furentaccordéespardélibérationdesÉtals(quittancedu24février1656)et 500livresle16avril1657,cesdernièrespayéesde mauvaisegrâce,l'ouvragen'ayantpas étécommandé.[Rapportsur unautographe,par 31.de la Pijardière,Montpel-lier 1873.)

Page 31: Les Premières de Molière

18 LES PRBM18RBSDE MOLIÈRE

Molière à Lyon, en ces années 1653-1657, et lo

second, de quelle façon vivait la troupe à Lyon et en

voyage.Le premier est un habitant de Lyon, Samuel Chap-

puzcau, auteur do Lyon dans son lustre publié en 1656.Le second, Charles Coipeau d'Assoucy, qui s'intitulaitlui-même YEmpereur du burlesque, à la fois poète et

musicien, parcourant la France un luth à la main,

toujours suivi de deux pages. D'Assoucy, en 1655,passa plusieurs mois avec la troupe.

Samuel Chappuzeau était un parisien (i), fils d'un

avocat, et muni lui-même d'un titre d'avocat au Par-lement de Paris, « aventurier de lettres », secrétaireen Écosso, professeur en Allemagne, précepteur enHollande. Chappuzeau se trouvait alors à Lyon en

qualité de correcteur d'imprimerie (2). Mais, peu nous

importe, c'est un lettré qui habitait Lyon depuis sixans lorsqu'il publie Lyon dans son lustre. Il a connuMolière et les comédiens de sa troupe. Il a pu assisterà la première représentation de YEtourdi dans le jeude paume « proche St-Paul », à celle à'Irène, tragédied'un jeune avocat lyonnais, Claude Basset, où Molière,qui partageait avec Joseph Béjart, alternativement,les héros} joua le rôle de Mahomet IL

Ceci dit, lisons Chappuzeau au chapitre Spectaclespublics : « Le noble amusement des honnêtes gens,la digne débauche du beau monde et des bons espritspour la comédie, pour n'être pas fixe comme à Paris,ne laisse pas de se jouer icy à toutes les saisons qui la

demandent, et par une troupe ordinairement qui,toute ambulatoire qu'elfe est, vaut bien celle dol'Hôtel (de Bourgogne) qui demeure en place. » Éloge

(t) Néà Paris«procheduLouvre»enf£25.M.VictorFournel,en1863,danssontomeI desesContemporainsdeAf^fière,a publiéuneintéressantenoticesur Chappuzeau,noticecomplétéepar*G. Monvaldans la préfacede la réimpressiondu Théâtrefrancoisdecetatfteur,Paris,JulesBonnàs-sies,1875.

(2)V.Péricaudatné,DocumenUsur Lyon.

Page 32: Les Premières de Molière

LE DÉPIT AMOUREUX 19

précieux à recueillir sous la plaine d'un connaisseur (1).D'Assoucy, notre second témoin, est beaucoup plus

loquace. Mais comme il s'occupe surtout du côté maté-

riel, il ne s'attardera guère à nous donner le compte-rendu des représentations auxquelles il assistera, maisil nous parlera de son bien-être.

Ce fut vers mars 1655 que notre poèto ambulantrencontra la troupe à Lyon. Ce bohème àtousciins,dont l'odyssée pittoresque est au moins curieuse, s'estdonc embarqué sur la Saône. Il arrive en cette ville

qui, « au respect de Paris, lui parut d'abord un trèsbeau village », donne des séances musicales à tous lescouvents de « religieuses chantantes » auxquelles ilvend ses oeuvres, mais, s'écrie-t-il tout à coup, « ce quim'y charma le plus (à Lyon), ce fut la rencontre deMolière et de Messieurs les Béjart. Comme la comédiea des charmes, je ne pus sitost quitter ces charmans

amys ; je demeuray trois mois à Lyon parmy les jeux,la Comédie et les festins. »

Il habite tout proche des comédiens : a J'étois logésur la Sône, et mon logis avoit une issue sur le bordde cette rivière. » La troupe part, et d'Assoucy accom-

pagne ses amis : a Je m'embarquay avec Molière sur leRhône qui mène en Avignon ». Seulement d'Assoucyest un incorrigible joueur. 11 s'en va dans un tripottenu par des juifs, et s'y fait dépouiller de sa dernière

pistole. Sa confession est amusante : « Mais comme unhomme n'est jamais pauvre tant qu'il a des amis,ayant Molière pour estimateur et toute la maison des

Béjards pour amie, en dépit du Diable, de la fortuneet de tout ce peuple Hébraïque, je me vis plus riche

(1)Lyondanssonlustre,un vol. in-4°fut publiéà LyonchezScipîonJaderme«aux dépensde l'autheur>en 1656,avecprivilègedu roy.—Chappuzeau,quiétait protestant,forcédes'expatrieraprèsla révocationdel'iïditde Nantes,mourutpauvre...commeil avait toujoursété...gou-verneurdespagesdu Ducde Brunsmck-Lunebourg,Georges-Guillaume,à Zeil(Basse-Sax;),le18août1701,âgéde76ans. Il éuit devenuinfirme*t aveugle.

Page 33: Les Premières de Molière

20 LES PREMIÈRESDE MOLIÈRE

et plus content que jamais. Car ces généreuses per-sonnes ne se contentèrent pas de m'assister comme ami,ils me voulurent traitter comme parent. Estans com-mandez pour aller aux États (du Languedoc), ils n.emenèrent avec eux à Pézenas où jo no sçaurois direcombien do grâces jo reçus ensuite de toute la maison.On dit que le meilleur frère est las au bout d'un moisde donner à manger à son frère, mais ceux-cy, plusgénéreux que tous les frères qu'on puisse avoir, ne selassèrent pas de me voir à leur table tout un hyver (1),et je puis dire :

Qu'en cette douce compagnieQue je repaissoisd'harmonie,Au milieu de sept ou huit plats,Exempt do soin et d'embarras, 'Je passois doucement la vie.Jamais plus gueux no fut plus gras ;Et quoy qu'on chante, et quoy qu'on dieDe ces beaux Messieursdes KslatsQui tous les jours ont six ducats,I>aMusiqueet la Comédie,A cette table bien garnie,Parmi les plus frians muscats,C'est moi qui souiloit la rostieEt qui beuvois plus d'ypocras. (2).

« En eftet, quoy que je fusse chez eux, je pouvoisbien dire que j'estois chez moy. Je ne vis jamaistantde bonté, tant do franchise ny tant d'honnesteté queparmy ces gens-là, bien dignes de représenter dans lemonde les personnages des Princes qu'ils représententtous les jours sur le théâtre (3). »

D'Assoucy passe encore six bons mois dans cette

(1)1655-56.(2)Il nefautpasoublierquela troupesetrouvaitalorsdansunpaysoù

l'onvivaitgrassementà l'hôtelpour15sousparjour.Maispourlavaleurde l'argent,tout est relatif,et l'indemnitéqueMolièretouchapourdeuxsaisonsdereprésentationsdurantla tenuedesÉtats,nes'élevajamaisqu'à11.000livres.

13)Aventuresburlesquesde Dassouey,nouv.éditionColombey,Paris,Gantierfrères,1876,p.112et suiv.

Page 34: Les Premières de Molière

LE DÉPIT AMOUREUX ai-

« cocagne », reçoit des présents du Prince de Contiet du Président de la Cour des aides de Bordeaux, puisaccompagne Molière jusqu'à Naibonne fin février.

Précieux détails qui nous font voir quo la troupe deMolière et do la Béjart menait un train de vie bien dif-férent de celui de ces misérables saltimbanques queScarron nous a dépeints et auxquels des critiques mal

renseignés voulaient assimiler les camarades de Molièreen province (1). A cette époque Madeleine Béjart faitun prêt à la Provinco (2), et Molière donne à M. Lo Secq,trésorier de la Bourse des États du Languedoc, ime

quittance de 6000 livres accordées à la troupe par Mes-sieurs du Bureau des comptes (3).

C'est ainsi que nous arrivons insensiblement à laseconde « première » do Molièro, le Dépit amoureux, quieut lieu à Béziers à la fin de l'année 1656.

Molière était allé avec sa troupe passer l'été à Bor-deaux (4), puis il était revenu à Bézters où s'ouvraientcette année les États du Languedoc sous la directiondu comte de Bieule, lieutenant du roi, le prince de Contiétant à Paris. Mais il faut reconnaître que, depuis le

départ du Prince, nos comédiens ne rencontraient

plus les mêmes bonnes dispositions auprès de Messieursles États. Tant que le Prince avait été là, l'indemnité

(11.000 livres pour deux années de présence pendant

(1)Consulterà cesujetla trèsintéressanteétudede M.HenriChardon,LaTroupeduRomancomiquede Scarrondévoiléeet lesComédiensdecam-pagneau XVIf siècle,LeMans,1876.

(2)1*'avril 1655.—ChronologieMotièrcsque.(3)Pézenas,24février1656.Cettequittancedesixlignesest le pluslong

de touslesautographesconnusdu poète.Ellefut retrouvéepar M.de laPijardièro(Rapportsur ta découverted'unautographedeMolièreparM.dela Pijardiére,archivistedu Départementde l'Hérault,Montpellier1873,avecreproductionde l'autographeen fac-similé).—V.aussile Moliériste,Novembre1885.

(4)Molièrefutparrainle 15aoûten l'égliseSaint-André,au baptêmedeJ.-8. filsde FoulleMartinet deAnneReynisquenousavonsvu semarierà Lyonle 29avril1655.L'enfantétait néà Bordeauxeur la paroisseSi-ChrUtoly,et la marraineétait M"*de Brie.—Nousavonsfaituneconfé-renceà l'AthénéemunicipaldeBordeaux,enjanvier1914,sur le séjourde

^ Molièreen cette ville.ï

Page 35: Les Premières de Molière

33 LES PREMIÈRESDE MOLIÈRE

la session des États) avait été payéo aux comédienssans observation. Prodigue volontiers do l'argent des

autres, le Prince faisait même lever des impôts sur leshabitants des petites villes où les comédiens allaienten excursion (Montagnac, Agdo, Marseillau, Mèzo,Gignac), mettant en réquisition les chevaux et lesvoitures pour lo transport des acteurs, des bagages etdes décors (1). Puis, on jouait aussi dans los châteaux.

Mais, lo Princo parti, Molière n'ignorait pas qu'ilne fallait guère plus compter quo sur lui-même.

Ce fut alors qu'il jugea opportun de donner sa seconde

pièce diguo do co nom, le Dépit amoureux, espérantainsi que lo bruit des applaudissements qu'il allait

soulover, fermerait la boucho aux opposants. JosephBéjart, pendant co temps, no faisait-il pas hommagode son Armoriai, augmenté d'un Supplément, et con-tenant des planches fort coûteuses ?

Mieux encore : le jour de la première représentationarrivé, Molière fit distribuer gratuitement des billetsd'entrée aux députés. La réponse ne so fit pas attendre :l'Assemblée des États fit notifier aux comédiens parl'archer dos gardes du roi et la prévôté do l'hôtel «d'avoirà retirer les billets distribués, et faire payer, s'il leursemblait bon, les députés qui iraient à la comédie,défendant' expressément à messieurs du bureau des

comptes de, directement ou indirectement, accorderaucune somme aux comédiens, et au trésorier do laBourse de payer, etc. » Cette délibération étant du6 décembre 1656, nous fixe approximativement surla date do la première du Dépit amoureux (2).

Telles furent los circonstances dans lesquelles futdonnée la première du Dépit amoureux, qui pouvaitpresque s'intituler représentation d'adieux. La sourcedes gratifications princières était tarie.

(1).T.LoiseIeur,-Le«Pointsobscursdela viedeMolière,ouvr.déjàcité,p. 195.

(2)D°,p. 209-210.

Page 36: Les Premières de Molière

LE DÉPIT AMOUREUX tt

L'Etourdi, nous l'avons vu, c'était YInavvertito deBeltrame accommodé de quelques traits de YEmiliade Luigi Groto, ou de YAngelica de Fabritio de For-naris, mais lo tout fondu avec un tel art, avec une telleverve, que lo style de YEtourdi passe encore pour le

plus vif quo l'on ait jamais admiré sur la scène fran-

çaise.Le Dépit amoureux, où l'auteur mit beaucoup plus

du sien, avait été inspiré par YInteresse de NicoloSecchi (1). Mais YInteresse,parla complication de l'in-

trigue et par le. caractère des personnages, formaitsurtout un excellent canevas pour la commedia dell'arte

(comédio à l'impromptu). Molièro donne au tout uneforme précise, inventant pour son compte les meilleures

scènes, quo personne ne saurait lui revendiquer, cellesde la querello et de la réconciliation d'Érasto et de

Lucile, do Gros-René ot do Marinette. Ces scènes nose trouvent ni dans la comédie de Nicolo Secchi, niautre part, et ce sont, comme on sait, les plus vivantes,les plus impérissables, quo l'on conserva lorsque l'onrefondit la pièce do cinq en deux actes (2).

Ici, nous placerons une observation. Tous les cri-

tiques s'accordent à dire que Joseph Béjart créa lerôle d'Éraste, amant de Lucile, du Parc celui de Gros-

René, Louis Béjart (3),récemment incorporé à la troupe

(1) 31.LouisMolanddans son Molièreet la Comédieitalienne,PariiDidieret Cle,1867,a donné,p. 227et suiv.uneanalysecomplètede cettepièceitalienne,le modèle,cettefoisencore,nefaisantpasregretterl'adap-tation.

(2)Cene fut qu'à la findu xvni*siècloqueleDépitamoureux,comédieencinqactes,fut jouéeen deuxactes,commede nosjours. Lesarrange-ments(oudérangements)lesplusconnussontceuxdeColson,deBcllecouret de Letourneurdit Valville.Ceuxde Rvhard Fabert (1acte 1816)et dePieyre(3actes1818)n'ont passurvécu.L'Annuairedramatiquede1821-22nousdit que la versionde Valville,venuede province,déjà adoptéeauxthéâtresde Fcydcauet de la Républiquependantla Révolution,fut jouéepourlapremièrefoisau Théâtrefrançaisle4janvier1821.CeValville.frèredeLetourneurde laManche,MembreduDirectoire,avaitdébutéauThéâtrefrançaisle 17juin 1776.Il mouruta Nlmcsen 1800,âgédeplusde80ans.

(3)Béjart,Louis,le cadet, dit l'Éguisé,frèrede Joseph,MadeleineetGenevièveBéjart,était néà Parisen 1630.

Page 37: Les Premières de Molière

14 LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

à Ljon, celui de Valère, de Brie celui de la Ramère

(supprimé dans la refonte en deux actes), et M"e deBrie Lucile, tandis que Madeleine Béjart donnait touteson autorité à celui de Marinette.

Mais quel personnage représentait Molière? L'opi-nion générale est qu'il devait représenter Albert,père de Lucile (rôle supprimé dans la refonte). Or,nous risquerons une hypothèse. Pourquoi pas celui deMascarillo ?

La. raison en est toute simple : do même que du Parcva jouer désormais plusieurs de ses rôles sous lo nomde Gros-René (le Dépit, Sganarelle ou lo Cocu imagi-naire), pourquoi Molière n'aurait-il pas adopté le nom

4e Mascarille ? N'a-t-il pas été Mascarillo de l'Étourdi ?No sora-t-il pas Mascarille des Précieuses ridicules.

Pourquoi pas Mascarille du Dépit amoureux ?Le rôle est trop court, dira-t-on. Oui, dans la version

en deux actes que l'on nous donno actuellement, mais

pas dans celle en cinq actes. Sans être très long, lerôle de Mascarille n'a pas moins de 308 vers ; un seul

monologue en contient 46. Le rôle de Mascarille, dansla pièce en cinq actes, est lo digne pendant de celui deGros-René. Un'y a aucune raison pour que Molière neTait pas tenu sous son invariable nom de Mascarille,comme ^'affectionnera plus tard celui de Sganarelle.

Rentré en possession de son indépendance, Molière

plia bagage, quittant sans regrets ces Messieurs desÉtats de Bézicrs, pour regagner son séjour favori, Lyon,où les Registres de l'Hôtel-Dieu nous apprennent quele 19 février 1657 fut jouée> au profit des pauvres unecomédie qui rapporta 234 livres 2 sols et 3 deniers à

l'hospice, et qu'il fut prélevé sur la recette 14 louis d'or

pour les acteurs (1). Ne peut-on admettre que ce futle Dépit amoureux, comédio nouvelle, qui motiva cette

(I) M.Périeaud,Molièreà Lyon,M. Ëud. Soulié,M.Jules Loiseleur«'accordentàpenserquecettereprésentationfut donnéepar laTroupe'deMolière.

Page 38: Les Premières de Molière

LE DÉPIT AMOUREUX 25

grosse recette ? Le Dépit dans lequel l'apparition seuledu gros du Pare avait le don de mettre la salle en joie.

C'en est fait. Le Prince de Conti a retiré à la troupede Molière le titre «de Troupe de M. le Prince de Con-

ti»^) et celle-ci, délivrée de l'obligation de so rendre

chaque année aux États du Languedoc, va tournerdésormais ses regards vers la capitale.

Dijon peut-être (2), Nîmes, Orange, Avignon voient

passer nos comédiens. Puis, après un hiver à Lyon,le dernier (3), c'est la saison du carnaval à Grenoble.

Cependant les pourparlers ont abouti—non aveo

Paris, ce serait trop beau—mais avec Rouen. C'est lamarche au nord qui se dessino. Les derniers jours du

carêmo, la semaine sainte, Pâques (le 21 avril), ont étéutilisés pour ce grand voyage. Il a fallu tout liquider à

Lyon, sansespoir

do retour, et, en attendant la troi-sième « Première » qui aura lieu désormais a Paris,la troupe va s'installer pour cinq mois à Rouen, là

où, quinze ans auparavant, son illustre chef avaitfait ses premiers débuts.

(1)Le Princede Contien avisede Lyonl'abbéde Ciron,en date du15 mai 1657.

(2)Unepermissionen date du 15juin avait été accordéeà la troupepourdonnerdesreprésentationsau i tripot>dela Poissonnerie.Onignoresi elley vint.

(31La représentationd'adieuxdonnéeà Lyonau bénéficedespauvres,le 27 février1658,avant le départ pour Grenoble,rapporta101 livres4sols.[Molièreà LyondoSI.Péricaud,et RapportdeM.Kud.Soutié.)

Page 39: Les Premières de Molière

CHAPITRE III

LES PRÉCIEUSES RIDICULES

Comédieen proseen 1 acte.Théâtredu Pctit-Iîourbon:18novembre1639.

La troupe de Molière à Rouen. — Les deux Corneille.— Unenouvellerecrue : du Croisy.— Molièts joue devantle roi auLouvre.— La Salle du Petit-Bourbonlui est accordée.—Débutsà Paris. — Désertiondes du Parc. — Retraitededu Fresne.—•Nouveauxvenus: l'Espy, Jodelet,Lagrange.—Mort de Joseph Béjart.— Premièredes Précieusesridicules

(18novembre1659).— Jugementscritiques.

« Les amis de Molière, lisons-nous dans la Préface del'édition de ses oeuvres 1682, lui conseillèrent non pasde venir à Paris, mais de s'en approcher, de se posterau moins dans une ville voisine, afin de profiter ducrédit que son mérite lui avait acquis auprès de plu-sieurs personnes de considération, qui, s'intéressantà sa gloire, lui avoient promis de l'introduire à la Cour. »

La ville de Rouen offrait tous les avantagesdésirables; d'autre part, la troupe de « Molière et dela Béjart » comme on disait alors, se trouve en excel-lentes conditions : Molière a 36 ans et trois mois ;Madeleine Béjart 40 ans et cinq mois ; Joseph Béjart,42 à 43 ans ; Louis Béjart près de 25 ans, et Geneviève

Béjart qui joue sous le nom d'Hervé, 25 ans et neufmois. Du Fresne, qui doit toujours remplir les fonctions

d'administrateur, est encore solide à son poste; il a47 ans. Quant aux nouvelles recrues dont s'est enrichiela troupe, elles sont de premier ordre : M,le de Brie,grande, bien faite, jolie, avec un visage qui restera

toujours jeune, chantant et dansant à ravir, person-nifiant la charme, la douceur et la grâce ; Me,Ie du Parc,éclatante de beauté, faisant tourner toutes les têtes :

Page 40: Les Premières de Molière

LES PRÉCIEUSESRIDICULES 27

elle a 25 ans. Enfin les maris de ces deux actrices,de Brie qui se spécialise dans les rôles de bretteurset de spadassins, et du Parc dont la rondeur met lo

public en joie sous la figure de Gros-René.Los deux Corneille habitaient Rouen à cette époque ;

Pierre venait de passer la cinquantaine, et Thomas latrentaine. L'arrivée de la troupe de Molièro fut un véri-tablo événement pour les deux frères. Le 19 mai, Pierre .écrit à un de ses amis : « Je voudrais qu'elle voulûtfaire alliance avec celle du Marais ; elle en pourraitchanger la destinée (1). »

La beauté de M,,e du Parc fit une vive impressionsur les deux frères qui, selon l'usage de l'époque, luiadressèrent des vers en lui donnant poétiquementle nom d'Iris (2).

Il y avait alors à Rouen deux jeux de paume où lescomédiens donnaient de préférence leurs représenta-tions : l'un, dit Jeu de paume des deux Maures, situérue des Charrettes, à l'encoignuie de la rue Ilcrbière,l'autro, dit Jeu de paume des Braques, au bas de la ruedu vieux Palais. Ce dernier, dont les quatre mursétaient construits en pierres de taille, mesurait 94 piedsde long et 31 pieds de largeur au dedans.

C'est à co jeu de paume des Braques quo Molière,croit-on, donna ses représentations en 1658, puisque« les comédiens jouant aux Braques furent attaquésle 6 juin par une bande de valets qui vouloient entrer

malgré les ordonnances de police (3). »

Cependant Molière ne devait pas seulement profiter

(1)LeThéâtredu Marais,où PierreCorneilleavait fait représentersesgrandsouvrages,était situérueVieilleduTemple,entrelaruedela Perleet laruedesCoutures,côtépairactuel,verslesn°*82-84.

(2)Lespluscétèbressontceuxde PierreconnJSsousle titrede Sonnetperduaujeu.—•Thomasécrivituneélégiede136verset Pierreluiadressade tendresadieux:,' Aller,belleMarquise,allezend'autreslieux,

Semerlesdouxpérilsqui naissentde vosyeux,(3)LaTroupedeMolièreellesdeuxCorneilleàRouenen1658parF.Bou-

quet,Paris,Claudin,1880,travaildesplusconsciencieux.

Page 41: Les Premières de Molière

28 LES PREMIÈRESDE MOLIÈRE

de son séjour à Rouen pour lier connaissance avec les

deux frères Corneille ; il devait rencontrer aussi encette ville une autre troupe de comédiens dirigée pardu Croisy.

Philibert Gassot, sieur du Croisy, comédien de pro-vince (1), puis directeur, âgé à cette époque de 32 ans,allait devenir six mois plus tard un des principauxsoutiens de la troupe de Molière. D'un talent très

souple, bel homme, intelligent, il avait compris du

premier coup que son intérêt était de fusionner avec

plus fort que lui. Son parti fut vite pris, et, ses enga-gements terminés, il fut rejoindre Molière à Paris,à Pâques, début do l'année théâtrale, complétant ainsila supériorité d'une compagnie dont la réputations'affirmait de jour en jour, tant à cause de l'excellencedes pièces que du talent des acteurs et de la richessedu vestiaire.

Cependant, le désir de rentrer à Paris ne cessait de

préoccupée Molière, qui se rendit plusieurs fois dans la

capitale pour y servir les intérêts de ses camaradeset les siens. Dès les premiers jouis d'octobre, il avaitfini par atteindre son but. Après quelques voyagesqu'il avait tenus secrets, il eut l'avantage de faire agréerses services à Monsieur, frère unique du roi, qui, lui

ayant accordé sa protection et le titre de sa troupe,lui permettait de la présenter en cette qualité au roiet à la reine-mère (2).

On juge quelle put être la joie de Madeleine Béjartet du reste de la compagnie en recevant cette bonre

(l)DuCroiiyse trouvaità Poitiersen1652-53.Il avaitépouséa Saint-Cybarde PoitiersMarieClaveau,veuvede Nicolasde l'ÉcoleSr. deSt-Maurice,néevers1630à Saint-HermineenBas-Poitou.Actricemédiocre,ellesuivitsonmaridanssespérégrinationset jusquechezMolière.

(2)Préfacedel'éditiondeMolière1682.L'abbédeCosnacquenousavonsvuprèsdu PrincedeContienLanguedoc,étaitdevenupremieraumônierde Monsieur.Maisonpeutsupposer,d'autrepart, avecM.Moland,quelepeintreMignard,grandamideMolière—rencontrépeut-être(?)hRomeen 1647—sûrementen Avignon—el forten créditauprèsduCardinalMazarin,luifutaussid'unegrandeutilité.

Page 42: Les Premières de Molière

LES PRÉCIEUSES RIDICULES 29

nouvelle qui, dans la première quinzaine d'octobre,mettait fin à leur séjour à Rouen. Évidemment,.ce*n'était pas tout encore ! Il s'agissait de plaire, de réus-

sir, et de se montrer, sinon supérieurs, du moins égauxaux comédiens de l'Hôtel de Bourgogne qui avaientla faveur du roi.

Le 24 octobre, — date mémorable —un théâtre futdressé dans la salie des Gardes du Vieux Louvre. Cettesalle, dite aujourd'hui Salle des Cariatides du Muséedes antiques, est celle où Henri IV avait épousé sa

première femme, et où il fut apporté mourant levendredi 14 mai 1610. Elle fut construite par PierreLcscot, sous Henri II, et renferme des sculptures deJean Goujon.

Les nouveaux venus furent écoutés avec plaisir ;on fut surtout satisfait « de l'agrément et du jeu desfemmes ». Les fameux comédiens de l'Hôtel de Bour-

gogne, qui avaient tant à craindre de leurs concurrents,assistaient à cette représentation.

Nous laisserons la parole aux contemporains : a La

pièce (Nicomède) (1) étant achevée, M. de Molière vintsur le théâtre, et après avoir remercié Sa Majesté (2)en des termes très modestes de la bonté qu'elle avoiteue d'excuser ses défauts, et ceux de toute sa troupequi n'avoit paru qu'en tremblant devant une assembléeaussi auguste, il lui dit : « Que l'envie qu'ils avoienteue d'avoir l'honneur de divertir le plus grand Roy dumonde, leur avoit fait oublier que Sa Majesté avoit à sonservice d'exccllens originaux, dont ils n'étaient que dé trèsfoibles copies (3) ; mais que puisqu'elle avoit bien voululeurs manières de campagne, il le supplioit très hum-blement d'avoir agréable qu'il lui donnât un de ces petits

(1)Tragédieen5actej, enversdePierreCorneille,crééeen 1652.(2)LouisXIVétaitalorsunjeunehommede20ans.(3)Flatterieà l'égarddescomédiensdel'IIôtetde Bourgognequi^inti-

tulaient«Comédiensdu Roy».

Page 43: Les Premières de Molière

80 LES PREMIÈRESDE MOLIÈRE

diverlissemens qui lui avoient acquis quelque réputation,et dont il régaloil les Provinces (1).

« Ce compliment, dont on no rapporte ici que la

substance, fut si agréablement trouvé, et si favora-blement reçu, que toute la Cour y applaudit, et encore

plus à la petite comédie, qui fut celle du Docteur amou-reux. .Cette comédie, qui ne contenoit qu'un acte, et

quelques autres de cette nature, n'ont point été impri-mées ; il les avoit faites sur quelques idées plaisantes,sans y avoir mis la dernière maiii ; et il trouva à

propos de les supprimer, lorsqu'il se fut proposé pourbut, dans toutes ses pièces, d'obliger les hommes à se

corriger de leurs défauts. Comme il y avoit longtempsqu'on ne parloit plus de petites comédies, l'inventionen parut nouvelle, et celî ui fut représentée ce jour-là, divertit autant qu'elle surprit tout le monde ;M. de Molière faisoit le Docteur, et la manière dont il

s'acquitta de ce personnage le mit dans une si grandeestime, que Sa Majesté donna ses ordres pour établirsa troupe à Paris. »

La Salle du Petit-Bourbon lui fut accordée.L'Hôtel du Petit-Bourbon longeait le quai, comme

un prolongement du Louvre dont la colonnade n'était

pas encore construite. Il était remarquable par l'étenduede ses bâtiments, recouvrant toute la partie méridio-nale de la Place du Louvre actuelle, par ses galerieset sa chapelle. Quand le Connétable de Bourbon trahitla France, en combattant contre elle à Rebcc (1524),où Bavard expirant lui reprocha sa félonie, son hôtelavait été confisqué au nom du roi, et peint en jaune

(1)Cettefarcen'étaitpasuneexceptiondansle répeitoiredela troupequijouaitencoreGrosRenéécolier,leDocteurpédant,Gorgibusdanslesac,leFagoteux,la JalousiedeGrosRené,le Grandbénétdefilsaussisotqueson rire. GrosRenépetitenfant,la Casaque,Joguenetou les Vieillardsdupés,lesTroisDocteursrivaux,le Maîtred'école,le Médecinvolant,laJalousiedu Barbouillé.Toutescesfarcesouparadesnonimpriméessont-ellesdeMolièreouarrangéesparMolière?Toutcequel'onpeutaffirmer,c'estqu'ily puisadesélémentspourécrireplusieursdesespièces,telles,queGeorgesDandin,leMédecinmalgréluiet lesFourberiesdeScapin.

Page 44: Les Premières de Molière

LES PRÉCIEUSESRIDICULES 31

couleur infaniante, par le bourreau. Si l'on veutadmettre la légende de Charles IX tuant les huguenotsle jour de la Saint-Barthélémy, c'est d'une des fenêtres

de l'Hôtel du Petit-Bourbon et non de celle de la

Galerie des antiques, au Louvre, qu'il aurait tiré sur

les protestants fuyant le long des quais (1).La Grande Salle du Petit-Bourbon avait été notam-

ment utilisée pendant la tenue des États générauxen 1614 (2). Elle servit ensuite aux représentationsthéâtrales de la Cour et aux ballets du roi. C'est là

que les comédiens espagnols et italiens vinrent, à

diverses époques, essayer leur répertoire devant le

public parisien. La salle n'était pas louée, mais prêtéeseulement par ordre du roi, aux troupes qui y jouaientla comédie. Mais elle avait dû subir des remaniements

successifs, tout en conservant sa forme et son caractère

d'architecture, avec son premier rang de loges, sesdeux étages de galeries et son parterre, lorsque lescomédiens italiens et la troupe de Molière s'y établirentà demeure en 1658 (3).

Les choses s'arrangèrent à merveille entre les deux

troupes. Il fut convenu que la troupe de Molière

paierait aux Italiens 1.500 livres pour les couvrir d'une

partie de leurs frais d'installation, et que, si les Italienscontinuaient à jouer le mardi et le dimanche, les

Français joueraient les lundi, mercredi, jeudi et samedi.I^es débuts en public furent fixés au 2 novembre avecYEtourdi ou les Contretemps, pour la première fois à

Paris, en attendant le Dépit amoureux donné le 9 dé-

fi) GustavePessard,NouveauDictionnairehistoriquede Paris Art.Placedu Louvre.—L'HôtelduPetitBourbon,dontnousavonsreproduitla vueextérieuredans notreDictionnairedesComédiensfrançais,t. 11,p.503,est parfaitementvisibledeuxfois,deprofilet à vold'oiseau,surleplande Gomboust,1653.

(i).Dessind'Ed. Wattier,d'aprèsuneancienneestampedu cabinetdeM.leChevalierHennin,gravésur boisparAndrewBest,in-4°.Cettegra-vurea étéreproduite,p.317,t. VIIe,Magasinpittor.1840.

(3)PaulLacroix,IconographieMoliéresque,Paris,Aug.Fontaine,1876,P. 69.

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32 LESPRBMIÈRBSDE MOLIÈRE

cembre suivant. Pendant-ce temps Molière avait étéfixer sa demeure sur le quai voisin de l'École (quai du

Louvre) en la maison de l'Image St-Germain, et jouaitle répertoire cornélien dont il avait reçu les traditionsà Rouen. Mais si Héraclius, Cinna, le Cid passaientsans encombre, Rodogune et la Mort de Pompée étaient

outrageusement accueillis.C'est que Molière ne manquait pas d'ennemis qui

l'eussent vu, volontiers, reprendre la route de Rouenou do Lyon. D'abord les Comédiens de l'Hôtel de Bour-

gogne (Rue Françoise et rue Mauconseil, où passeactuellement la rue Étienne-Marccl),. constituant la

Troupe royale, devant qui les nouveaux venus avaientdu s'excuser modestement de jouer Nicomède en cadetsde tragédie. Ensuite, ceux du Marais (rue Vieille du

Temple) que nous allons voir travailler à désorganiserla Troupe de Monsieur, c'est-à-dire de Molière ; enfinles Italiens, qui auraient préféré être seuls au Petit-

Bourbon, sans avoir à partager leur salle avec desconcurrents français.

En ciTet, à Pâques 1659, ouverture de l'année

théâtrale, voici quelques changements survenus dansla troupe : du Parc, dit Gros-René, le camarade du

Languedoc et de Lyon, passe au Marais avec sa femme,la belle du Parc, ou mieux le mari a suivi sa femme.Mais cette défection ne causera au couple que des désil-

lusions, et nous verrons plus loin les deux transfugesrevenir au bercail.

Du Fresne, qui avait suivi les Béjart depuis onzeans —

depuis Nantes — et qui avait été administrateurde la troupe, prend sa retraite pour s'en aller vivreavec quelque bien dans son pays natal, à Argentan, oùil se maria ou remaria en 1664 (1). Par contre, l'Espy,plus connu du public sous le nom de Gorgibus (2), et

(1)DuFresnemourut,croit-on,vers168't,à l'a^ede73ans.(2)FrançoijBedeau,ditl'Kspy,dit Gorgibus,étaitlefrèreafnédeJode-

let. Il appartiendra&la troupejusqu'en1663.

Page 46: Les Premières de Molière

LES PRÉCIEUSES RIDICULES 83

10 fameux Jpdelpt, son frère cadet (1), le Çlit,on tfuAfen(eurt le 3t}de\el de Scarron, versant du Marais,entrent dan? la troupe, ainsi que du Croisy et safemme,déjà rencontrés l'année prçcédçnte à Rou,en. Enfin

Lagrange, qui deviendra l'historié i de la tipupe, mais

qui omet dans son Registre de nou j çtfre d'o$ jl venait*Charles Varlet, sieur de Lagrange (du nom de sa

mère), était né près d'Amiens vers 1639. Orphelin debonne heure, instruit, possédant une éducation dis-tinguée, mais sans fortune, Lag. nge avait embrassé,ainsi que son frère Achille VarTfex-dit de Verneuil (2),la profession de comédien. Une soeui*, Justine, étaitentrée en religion..

La famille Varlet habitait Paris,, au moins depuis 1642,mais on ignore par quelles s< ites de circonstancesMolière s'attacha ce jeune homrn de vingt ans, le typerêvé de l'amoureux de bonne - me qui, dans tout lethéâtre du Maître, personnifier lésormais la-jeunesse,la grâce, la tendresse ; l'hoi ite homme accompliqui va noter au jour le jour & r son fameux Registre« Extrait des affaires et rec< tes de la. Compagniedepuis Pasques de l'année 165 ?tout ce qui lui paraî-tra digne d'être connu (3).

Tout d'abord un événement ineste : le 11 mai 1659,la Troupe de Monsieur donne t deux représentationsde YEtourdi l'une au Petit-B. >urbon pour le public,l'autre au Louvre pour le roi. . a première de ces deux

représentations, se passa bicti* mais à la Cour JosephBéjart se trouva si souffrant q. 'il eut peine à terminerson rôle do Lélie. Le 22, ses c» narades fermaient leur

théâtre, et le 26, Molière cou lisait au tombeau cet

fl) Julien,GeoflrinBedeau,frèrecadet i précédent.Hôteldu Marais1620,Hôtelde Bourgogne1634,Hôteldu arais1642.

(2)Comédiende campagne,puisdu thù, -edu Marais1668.Il n'entradansla troupeoufiguraitsonfrèrequ'apr< iamortdeMolière.

(3)Ed.Thierry:Ch.Varletdela GrangeetsonRegistre.Paris,Claye,1876,p.8.— Préfaceprécédantla public*tiondu Registre,faitechezcemêmeéditeur,par lessoinsde la Comédiefrançaiseen janvier1876.

2

Page 47: Les Premières de Molière

U LES PREMIÈRESDE MOLIÈRE

ami de sa jeunesse, qui, frappé le premier sur la scène,lui donnait l'exemple d'achever son rôle avant d'allermourir (1).

En juillet, grande nouvelle : la troupe italienne

repasse les monts, et Molière reste seul maître duPetit-Bourbon. Il pourra désormais jouer le dimanche,le mardi et le vendredi, les mimes jours que l'Hôtelde Bourgogne et le Marais, et à la même heure : onannonce 2 heures sur les affiches, mais la coutume estde commencer beaucoup plus tard. La troupe duMarais s'intitule « Comédiens du Roy entretenus parS. M. » celle de l'Hôtel de Bourgogne « la seule, trouperoyale » ; celle de Molière reste « la Troupe de Mon-sieur » (2).

Cependant Molière veut frapper un grand coup audébut de la saison d'hiver. Il fait afficher pour le mardi18 novembre la première représentation des Précieusesridicules.

Voyons avec quel soin minutieux il va procéderpour la distribution des rôles de sa pièce. La troupecompte actuellement onze parts, car il s'agit bien icid'une association en commun, et non d'une exploi-tation individuelle. Ces parts sont réparties entre :

MOLIÈREBÉJARTCADETDE BRIE

- L'ESPY(GORGIBUS)JODELETDu CROISYLAGRANGE

MenésBÉJART(Madeleine)DEBRIEHERVÉ(GenevièveBéjart)DitCROISY

(1)JosephBéjartmourutsur le quaide l'École(quaidu Louvre)et,aprèsdesobsèquescélébréesh Saint-Germainl'Auxerrois,futinhumé*uCimetièreSsint-Paul(rueSaint-Paulcl rueSaint-Antoine).(LeCharnierdeVancitncimetièreSt-Pautparl'abbéValc/itinDufour,p.15,Paris,Revueuniverte'ledesArts,1866,et articledu mêmedansle"Moliériste,n° 50,mai1883.)—Le10juilleteutlieusoninventaireauprofitdesamère,cequinousprouvequ'ilnelaissaitpasdeveuve,MaispourquoiG.Monvallefait-ilmourira 51ans? Alorsqueselontoutesprobabilitésil étaitnévers1G17?V.JalDictionnairecritiqueArt.Béjart,

(2)La troupede Molièreest tellementassuréedese fixerdésormaisa

Page 48: Les Premières de Molière

LES PRÉCIEUSESRIDICULES ' 35

Molière joua-t-il, dès le début, ces rôles de Mascarillesous le masque ? Nous serions tentés de le croire,d'après ce passage de la Vengeance des Marquis : « Ilcontrefait d'abord les marquis avec le masque de

Mascarille, il n'osait le jouer autrement : mais à lafin il nous a fait voir qu'il avait lo visage assez plaisant,pour représenter sans masque un personnage ridicule. »II ne faut pas oublier d'autre part que le mot Masca-rille vient en ligne directe de Maschera (masque en

italien), et que ce personnage était toujours-joue sousle masque dans la comédie italienne. Quant au fron-

tispice des oeuvres de Molière, représentant Mascarilledes Précieuses et Sganarelle, on peut observer quele visage de Sganarelle est clair, et celui de Mascarilleterriblement noir. Il ne peut s'agir que d'un nègre, ce

qui n'est pas, ou d'un personnage masqué.Par une manoeuvre fort habile Molière laissera dans

sa pièce nouvelle aux deux frères Bedeau les noms parlesquels ils sont connus du public. A l'Espy, dit Gorgi-bus, homme frisant la soixantaine, il donnera le rôlede Gorgibus. Quant à Jodelet, le fameux Jodelet,transfuge du Marais, il lui laissera le nom de Jodelet.Ainsi le public se trouvera en pays de connaissances.Ce dernier sera le « vicomte de Jodelet » que lui,Molière, toujours sous les traits de Mascarille, typequ'il affectionne depuis YEtourdi, présentera en disantaux précieuses : ? Mesdames, agréez que je vous pré-sente ce gentilhomme-cy. Sur ma parole, il est digned'etre connu de vous. »

Et comme Jodelet avait l'habitude au Marais de

paraître toujours le visage enfariné, tel notre Pierrot,Molière a voulu lui conserver ce signe particulier, d'oùcette phrase que les commentateurs n'expliquentjamais, sans doute parce qu'ils ne l'ont pas comprise :

ParisqueMadeleineluivendses<vieillesdécorations»RegistredeLagrange,p-9.—rCequiprouve,soitdit enpassant,qu'enprovincelematérielétait>apropriété.

Page 49: Les Premières de Molière

3*'

LÈÔPREMIÈRESDE MOLIÈRE

« No vous étonnez pas do voir le vicomte de là sorte ;il ne fait que sortir d'une maladie qui lUy a rendu le

visage pasle comme vous le voyez. »"-—«Ce sont fruit des Vi/dles de la Cour et des fatigues

de la guerre », répond Jodelet.Tout le public reconnaît alors JodeI"t qu'il avait

l'habitude d'applaudir depuis plus de vingt ans rueVieille du Temple, et éclate en applaudissements.

Les deux amoureux ? Là encore, Molière Veut les

présenter au public parce qu'ils sont nouveaux. Illeur conservera leurs noms de théâtre : ils serontdu Croisy et Lagrange dès le lever du rideau :

DU CROISY— Seigneur Lagrange ?LAGRANGE Quoi ?DUCUOISY— Regardez-moi un peu sans rire...

Et voici la pièce engagée.*

Les précieuses ? Mlle Catherine de Bric fait assu-rément l'une d'elles Calhos (1), et l'autre, Madeleine

Béjart, Madelon. Les noms sont percés à jour. Ici, nousrectifierons l'erreur commune : M,,e du Parc ne pou-vait représenter une des précieuses, pour cette bonneraison qu'elle avait quitté la troupe depuis Pâques.Quant à do Brie, voué aux utilités, il pourra fort bienêtre Aimais ?, lo laquais des précieuses, tandis quenous reconnaissons sotls le sobriquet de MarotteMarie Ragueneau de l'Estang, fille de ce CyprienRagueneau, mort à Lyon, et devenue femme de chambrede Mn° de Brie. Elle suit la troupe depuis Lyon,sans être comédienne en titre, mais rendant deé servicestantôt comme buraliste, tantôt comme distributricede douces liqueurs, etc. Qui aurait cru alors que cettemodeste Marotte deviendrait un jour la femme do

Lagrange (2) ?

(1)Accouchéed'unefdlele17octobreprécédent,sagrossessenepouvaitplusêtreunobstacleà sonservice.

(2)Enavril1672.Cettedistribution,encequiconcernele*femmes,estabsolumentcelledonnéepar t>uMonceau(Monval)dans le Moliéristed'avril1882,p. 30. .'

Page 50: Les Premières de Molière

LES PRÉCIEUSES RIDICULES 37

Ainsi donc, tout le personnel artistique— à l'excep-tion de Mlle du Croisy (utilité) est employé. Molièrea su tirer parti de tout son monde.

Cependant les Précieuses qui n'ont qu'un acte, ne

peuvent suffire à toute une représentation. AussiMolière commence-t-i! par Cinna, pour finir par sanouvelle pièce, le premier jour à l'ordinaire, c'est-à-dirèà 15 sols au parterre (1). Or voici que la recette qui,les jours ordinaires oscillait entre 300 livres (Cinna)et 70 livres (le Menteur), monte subitement à 533 livres,soit 43 livres au partage pour chaque comédien, fraisdéduits. En présence de ce succès inusité, la troupeaffiche pour le mardi 2 décembre Alcionée (2) et lesPrécieuses à l'extraordinaire, c'est-à-durc avec le par-terre à 30 sols. La recette bondit à 1400 livres, pourse maintenir encore à des chiffres fort élevés pendantdeux mois, toutes les fois que cette pièce est sur l'af-fiche (3). Aussi les comédiens enthousiasmés votent-t-ils à leur auteur et directeur une première gratificationdes 500 livres, suivie de plusieurs autres plus petites,pour arriver au total de 1000 livres (4).

Bientôt les Précieuses, accompagnées le plus souventde YEtourdi, vont faire lu tour de la haute société —

où l'on joue le soir — sans faire tort à la représentationen public pendant la journée, lorsque les deux tombentle même jour. Ces «visites »— tel est le terme adopté

ont lieu chez M. Le Tellicr, M. de Guénégault, chezMrae Sanguin pour Mr le Prince, chez M. le Chevalierdo Grammont, chez Mme la Maréchale de l'Hospital.Chaque « visite » non tarifée sans doute, rapporte

(1)RegistredeLagrange,p. 13.(2)Alcionéeou Combatdel'HonneureldeFAmour,tragédiedeDuR>er,

1639.(3)100Ï-730-1000-867-1200,etc. tandis que les recettesordinairesne

dépasientpas pourle mêmetemps285livres.(4)RegistredeLagrangep. 13et 15.—Anoterqu'il n'y avaitpasalors

dedroitsd'auteurs,et queceux-cirecevaientdescomédiensunetommefixepourAvoirle droitde représenterleursouvrages.

Page 51: Les Premières de Molière

33 LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

à la communauté de 220 à 330 livres. La prospéritématérielle de l'entreprise est assurée.

Quelles étaient les causes de ce succès retentissantet mérité ? Parmi les principales, à notre avis, il

faut tenir compte de l'actualité brûlante, de la satiredivertissante des ridicules du moment. Cette fois,il ne s'agit plus d'imitations plus ou moins fidèlesde la scène italienne ; il n'est plus question d'embrouil-ler ou de débrouiller des intrigues. Molicie apporteune comédie de moeurs, entreprise hardie, car les plusgrands noms de la noblesse et de la littérature vontse reconnaître. Parle-t-on autrement à l'Hôtel deRambouillet (1) ? Aussi s'explique-t-on l'exclamationde ce spectateur qui, pendan t la représentation, s'écria :« Bravo, Molière ! Voilà la véritable comédie ! ••

Les Précieuses sont la condamnation du langagemétaphorique et du raffinement dont l'immortel triode cette pièce nous offre la caricature, en exagérantet grossissant ce qu'il fallait tourner en ridicule, selonle droit du poète comique. Mais c'est aussi une belledéfense de notre langue française, et, à ce titre seul,nousdevrions en être reconnaissant à Molière qui savaiten même temps spirituellement se moquer de la réci-tation ampoulée de ses grands confrères de l'Hôtelde Bourgogne.

MASCARILLE.— Entre nous, j'en ai composé une

(comédie) que je veux faire représenter.CATIIOS.— lie! A quclscomédiens la donnerez-vous ?

MASCARILLE.— Belle demande ! Aux grands comé-diens (ceux de l'Hôtel de Bourgogne) ; il n'y a qu'euxqui soient capables de faire valoir les choses ; les autressont des ignorans qui récitent comme l'on parle ; ilsne sçavent pas faire ronfler les vers, et s'arrester aubel endroit ; et le moyen de connoistre où est le beau

(1)I."HoteldeRambouillet,rendez-vousdetouslesprécieuxet précieusesde l'époque,setrouvaît àdeuxpasduLouvre,rueSaint-ThomasduLouvre,emplacementactueldesjardins,derrièrele monumentde Gambelta.

Page 52: Les Premières de Molière

LES PRÉCIEUSES RIDICULES S*

vers, si le comédien ne s'y arreste et ne vous avertit

par là qu'il faut faire le brouhaha. »

Le hasard a voulu — chose assez rare —que deux

contemporains nous aient laissé une trace de l'impres-sion produite par la pièce : Loret dans sa Mute histO'

rique, et Mlle des Jardins, plus connue sous le nom

de Mme de Villedieu, laquelle fit paraître peu de temps

après la représentation un Récit en prose et en vers de la

farce des Précieuses (1).Nous commencerons par Loret :

Lettre 48e du (samedi) 6 décembre 1659.

APOSTILLE.

Cette Troupe de comédiens,Que Monsieur avoue être siens,Rcprézcntant sur leur TéâtreUne action assez folâtre,Autrement, un suzet plaizant,A rire sans cesse induizantPar des choses facézieuses,Intitulé Les Précieuzes,Ont été si fort visitezPar Gens de toutes qualitez,Qu'on n'en vid jamais tant ensembleQue ces jours passez, ce me semble,Dans l'Hôtel du Petit-Bourbon,Pour ce sujet mauvais, ou bon.Ce n'est qu'un sujet chymérique,Maïs si boufon et si comique,

^ Que jamais les pièces Du-Ryer,Qui fut si digme de laurier ;Jamais l'OEdtpe de Corneille,Que l'on tient être une merveille ;La Cassandre de .Bois-Robert ;Le Néron de monsieur Gilbert,Alcibiade, Amalazonfe (do Mr. Quinaut),Dont la Cour a fait tant de conte ;Ny le Fédéric de Boyer,Digne d'un immortel loyer,

(I) Récit réimprimépar Ed. Fournierdans les Variétéshistoriquesetlittérairesde la Bibliothèqueelzévirienne,par E. DespoisdanssonéditiondesOEuvresdeMolièreet par M.Paul Lacroixdans la NouvelleCollectionMoliéresque.

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40 LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

N'ùrcnl une vogue si graude,Tant la Pièce semble friandeA pluiieurs, tant sages que fous ;

• Pour moy j'y portay trento sous jMais oyant leurs fines parolesJ'en ry pour plus de dix pistoles (1).

MUe des Jardins, néo en 1G32, avait connu Molière

fiendantses années de vie nomade ; elle était restée

iée avec lui et lui rendit toujours justice. Molière,en retour, lui joua en 1665 sa tragi-comédie le Favory.Elle a donc assisté à une représentation des Précieuseset veut nous raconter la pièce sous forme d'une lettreécrite à une personno do qualité. Récit original, serrantde près lo texte, mais abandonnant fréquemmentla prose pour continuer la narration en vers.

A vrai dire, ce récit ne nous apprend rien de nouveau,mais nous y trouvons un renseignement très précieuxà savoir quo Molière jouait lo rôle do Mascarillo tout-à-fait a en charge ».

« Imaginez-vous donc, Madame, que sa perruqueestoit si grande qu'elle balayoit la place à chaque fois

qu'il faisoit la révérence, et son chapeau si petit qu'ilostoit aisé de juger quo le marquis le portoit bien plussouvent dans la main que sur la teste ; son rabat SÔ

pouvoit appeler un honneste peignoir, et ses canonssembloient n'estre faits que pour servir de cache auxenfants qui jouent à la clinemusette... ses soulierscstoicnt si couverts de rubans qu'il ne m'est pas pos-sible de vous dire s'ils estoient de roussy de vache

d'Angleterre, ou de maroquin », et après s'être extasiéesur la hauteur démesurée de ses talons, Ml,e ues Jar-dins so demande a comment des talions si hauts etsi délicas pouvoient porter le corps du marquis, ses

rubans, ses canons et sa poudre ».L'auteur termine son récit en mettant en vers Ir>

dialogue entre Mascarille et les deux précieuses.

(1)LaMus»historiquede Loret,Édit.P.Daffis,Paris1878,Cb.L.Livet,t. III, p. 137.

Page 54: Les Premières de Molière

tES PRÉCIEUSES RIDICULES Û

La description de ce costume —sauf quelques exagé»rations — est donc conforme à celui de la gravure ser-vant do frontispice à l'édition des oeuvres de Molière1666 (Mascarille et Sganarelle). Elle fut souvent repro-duite, notamment dans lo tome XXYIII du Magasinpittoresque, p. 280, et c'est elle qui sert encore d'en-téte aux lettres de la Société actuelle de l'Histoire duThéâtre.

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CHAPITRE IV

SGANARELLE

ou

LE COCU IMAGINAIRE

Comédieen versen t acteThéâtredu Petit-Bourbon: 23 mal 1660

Honorable succès de Sganarelle. — La Troupe à Vincennes.—

Le nom de Sganarelle.— Mort de Jodelet.— DémolitionduPetit-Bourbon. — A la recherched'une salle. — Celle du

Palais-Iloyal. — Description de ce théâtre. — Dispositiondes places.— Lesspectateurssur la scène.— Uneorganisationthéâtrale au XVIIe siècle.

Le début de l'année 1C60 vit continuer la vogue des

Précieuses, et comme ce genre de « farce » en un acte

(car les Précieuses passèrent pour une » Farce » (1),plaisait à son auditoire et remplissait la caisse, Molièrealla chercher dans lo.-*canevas qu'il arrangeait autre-fois en province, des sujets comiques dans le but deretenir la faveur du public.

S'inspirant d'une pièce italienne II rilratto o Arlec-chino cornulo per opinione (Le portrait ou Arlequincocu imaginaire) il mit sur pied, et en vers, son Sgana-relle ou le Cocu imaginaire dont il donna la premièreavec Nicomède le dimanche 30 mai, avec 350 livresde recette.

fi) Leslazzidontlescomédiensagrémentaientcellepièce,selonlamodeitalienne,pouvaientpermettrecettedénomination; lestraditionsdu restes'en sontconservées: le costumeridiculede MascaJ"e, le nombreinfinidegiletsdontsedépouilleJodelet,lesrépliquesdugenredecelle-ci(Masca-rillefaisanttâter lederrièredesa tête): C'estuncoupdecolrct...non,de'mousquetveux-Jedire,queje reçusla dernièrecampagnequej'ai faite.

Page 56: Les Premières de Molière

SGANARELLE 43

Sans aller aux nues comme les Précieuses, Sgana'relie qui visait les travers de la bourgeoisie fut joué34 fois de suite, c'est-à-dire trois fois par semaine

pendant trois mois avec des recettes fort respectables,dépassant parfois 700 livres, co qui valut à l'auteurtrois gratifications do 500 livres chacune (1). Le29 juillet, la troupo va jouer au bois de Yincennes,pour lo roi, YEtourdi et les Précieuses (2) ; le 31 le

Dépit et le Cocu, et le 21 août encore une fois le Cocu

auquel le roi prenait plaisir. Enfin, Monsieur, dontc'est la Troupe, ne l'oublions pas, veut connaître le30 août, au Louvre, les Précieuses et le Cocu (3).

Nous avons dit plus haut que l'on cite ordinairement,comme ayant fourni la trame du Cocu, un canevasitalien dont nous avons donné le nom. D'autres cri-

tiques prétendent, au contraire, que ce canevas, tel

que Cailhava le traduisit plus tard, est certainementd'une date plus récente que la comédie de Molière.Comment décider en pareil cas jusqu'à quel pointnotre poète fut imitateur, ou bien imité ? Le mieuxne serait-il pas de conclure qu'il existait, avant Molière,quelque imbroglio sur l'équivoque du portrait. Ce

(1)«13juin.DonnéparlaTroupeà Mrde Molière500livres.—13août.Donnépar la Troupeà Mrde Molièreencorpour le Cocu500livres.—7septembre.Achevédepayer M*deMolièrepourleCocu,enluydonnantpourla3*fou500livres.•—RegistredeLagrange,p. 21,23et 24.

(2)Il faut se rappelerquele roi, absentdepuisde longsmois,mariéaFontarabiele3juin,et à Saint-JeandeLuxle9,nesetrouvaitpasà ParislorsdespremièresreprésentationsdesPrécieusesni du Cocu.Il ne fit sonentréesolennelledanssa capitaleavecla reinequele26août—originedunomde la Placedu Trône._(3)Bienque Lagrangen'indiquâtpas sur son Registre,l'encaissement

d'aucunepensionou gratificationroyale,noussavonsque Molièrereçutle30 juin de cette annfe,de M.Lambert,sieurde Bautru, trésorierdel'épargnede S. M.la sommede 500livres,pour le 1ersemestrede 1660(SignatureJ.-B.P.Molière),pourfraisetdépensesoccasionnésparsonséjouri Paris[ChronologieMoliéresque,p.110).Iln'yadoncpaslieudes'étonnersîla troupene recevaitriena chaquereprésentationà la Cour.—Verslemêmetemps,—12juillet—unetroupedecomédiensespagnols,venusà lasuitedelajeunereine,avaitjouétroisfoisau Petit-Bourbon.Léscomédiens«e"Parisleur offrirentun souperle 21.Cettetroupe,dirigéepar JpsédePrado,s'iùtitulaif.*Comédiensde la reine». '

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«4 LES PRBMIÈRES DE MOLIÈRE

quiproquo appartient en propre à l'école italienne de laC'ommedia deWarte.

En rovanche, fait observer un commentateur, rienn'est plus français que l'esprit qui anime d'un boutà l'autre le dialogue ; or y trouve le tour naïf et desléminiscences nombreuses de nos conteurs du seizièmesiècle. Par le ton de la raillerie, Sganarelle est incon-testablement de notre veine gauloise; ainsi les deux

écoles, l'italienne et la française, y sont merveilleu-sement réunies et conciliées (1).

Ce titre de Sganarelle, dont Molière va s'affublerdans plusieurs de ses créations, était-il absolumentnouveau ? Il l'avait déjà employé dans la petite farcedu Médecin volant qu'il avait promenée dans le midide la France, et d'où il tirera plus tard les élémentsde son Médecin malgré lui, Mascarille, c'est le valet,toujours. Sganarello, type moins déterminé, sera, selonles circonstances, valet aussi (dans Don? Juan), paysan,mari ridicule, père ou tuteur (2).

Si nous regardons de près la distribution des rôlesde la nouvelle pièce, nous remarquerons tout.d'abordqu'auprès de Molière-Sganarelle, l'Espy tient encoreun rôle sous le nom de Gorgibus, sous lequel il est inva-riablement présenté au public ; que du Parc, déserteurde. l'année précédente, est rentré au bercail et a reprissa'place sous le nom de Gros-René ; que Lagrange —

Lélie continue sa carrière d'amoureux - c'est le Leliode la comédie italienne (3)—;que de Brie, en remplis-

(1)LouisMoland,Molièreet la Comédieitalienne,p. 255,256,Paris,Didieret C'\ 1867.

(2)Ilexisteà laBibl.nat.unecurieuseestampedeSimoninreprésentantle vrayportraitde M.deMolièreenhabitdeSganarelle»,costumeserap-

prochantde celuides Zannide la Comédieitalienne: vesteet culottegalonnéessur lescouturesavecdeslamellesd'étoffe,manteau,colleretteet béretà lamain.MaiscecostumefutdiversifiéparMolièrelui-même.Ceportrait,gravéà l'eau-forteparF. Hillemacher,a été reproduiten têtedel'IconographieMoliéresquede PaulLacroix.

(3)MauriceSand,danssesMasquesetBouffons,t. I, a longuementparléde cepersonnagede la Comédieitalienne,dont le nomfut adoptépar denombreuxcomédiens,dontlepluscélèbrefutLouisRjccobopi(167V1753).

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SQANAREUE 0

sant le rôle de Yillebrequin, avait accepté de benne

grâce à la scène la plaisanterie que l'on était habitué àfaire entre comédiens sur son nom de Villequiu. Quantaux femmes, il est à présumer, suivant leurs emplois,que Madeleine Béjart se présentait sous les traits dela suivante de Célie, tandis que M,,€8de Brie et du Parc— cette dernière réintégrée avec son mari—se parta*geaient les deux autres rôles.

Et Jodelet ? Hélas 1 Jodelet est nïort pendant laclôture de Pâques, le vendredi saint 26 mars, et a étéenterré à Saint Germain l'Auxerrois. Il était dit quece vieux comédien du Marais devait finir sa carrièrechez Molière.

L'année théâtrale commencée à Pâques 1660battait donc son plein depuis six mois, lorsqu'unévénement des plus imprévus vint s'abattre sur la

troupe, risquant de briser à tout jamais son élan. Or ilfaut bien songer qu'à cette époque Molière n'est encorel'auteur que de quatre pièces imprimées, dont deuxen un acte représentées à Paris.

Le dimanche 10 octobre, la troupe avait donnécomme à l'ordinaire une représentation du Dépitamoureux dans la salle du Petit-Bourbon, lorsque le

lendomain, lundi, sans avertissement préalable, lethéâtre fut envahi par des ouvriers qui en commen-cèrent la démolition, sur l'ordre de Mr de Ratabon,surintendant des bâtiments du roi.

Plainte de nos comédiens au roi, à qui Mr de Ratabon

pour toute excuse déclara que cet emplacement luiétait indispensable pour la construction de la colon-nade du Louvre, ajoutant que, puisque l'intérieur dela salle avait été aménagé pour les ballets de Sa Majesté,il n'avait pas cru « qu'il fallait entrer en considérationde la comédie » pour la réalisation de son projet. Or,les fondements de la colonnade n'ayant été posésque cinq ans plus tard, certains voulurent voir dans le

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49 LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

gesto du surintendant les arguments sonnants de

l'Hôtel de Bourgogne (1).•

Quoiqu'il en soit, voilà Molière, à l'improviste, surle pavé. Nous laisserons la parole à Lagrange : Grâce auroi à qui la troupe avait le bonheur de plaire, la troupefut gratifiée de la Salle du Palais-Royal, Monsieur

l'ayant demandée pour réparer le tort qu'on avait faità ses comédiens : « Le Sr. de Ratabon (surintendantdes bâtiments du roi) reçut un ordre exprès de faireles grosses réparations de la salle du Palais-Royal. Il

y avait trois poutres de la charpente pourries et étayéeset la moitié de la salle découverte et en ruine. La troupecommença quelques jours après à faire travaillerau Théâtre, et demanda au roi le don et la permissiondo faire emporter les loges du Bourbon et autres chosesnécessaires pour leur nouvel établissement ; ce quifut accordé à la réserve des décorations que le Sr. de

Vigarani, machiniste du roi, nouvellement arrivé à

Paris, se réserva sous prétexte de les faire servir au

palais des Tuileries ; mais il les fit brûler jusqu'àla dernière, afin qu'il ne restât rien de l'invention deson prédécesseur qui était le Sr. Torelli, dont il voulaitensevelir la mémoire.

« La Troupe, en butte à toutes ces bourasques, eutencore à se parer de la division que les autres comédiensde l'Hôtel de Bourgogne et du Marais voulurent semerentre eux, leur faisant diverses propositions pour en

attirer, les uns dans leur parti, les autres dans le leur.Mais toute la Troupe de Monsieur demeura stable ;tous les acteurs, aimaient le Sr. de Molière leur chef,qui joignait à un mérite et une capacité extraordinaireune honnêteté et une manière engageante qui les obligeatous à lui protester qu'ils valaient courir sa fortuneet qu'ils ne le quitteraient jamais, quelque proposition

(1)KarlMantzius,Molière,ouvragetraduitdudanoisparMauricePellît'ton; Paris,ArmandColjn,190?,p. 162.

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SOANARBLLB 47

qu'on leur fit et quelque avantage qu'ils pussenttrouver ailleurs (1) ».

Le morceau est trop beau, trop sincère pour que nouseussions osé en retrancher une ligne. Il nous fait con-naître le dévouement inaltérable de ces comédiens

pour leur chef qu'ils jugent à sa juste valeur, et cesrévélations privées,

— car Lagrange n'écrivait pas pourdes lecteurs — nous sont un gage précieux de l'estime

réciproque do Molière et de ses fidèles collaborateurs.

Loret, de son côté mentionne l'événement dans lestermes suivants (2) :

On a mis bas lo TeâtreFait de bois, de pierre et de plâtre,Qu'ils avoit'nt (les comédiens) au Petit-Bourbon :Mais notre Sire a trouvé bonQu'on leur donne et qu'on leur aprèste,(Pour exercer après ta FcstoLeur Métier docte et jovial),La Sale du Palais Royal,Où diligemment on travailleA leur servir, vaille que vaille.

Voici donc la Troupe momentanément sans une

sali*, au début d'octobre 1660, à l'époque de Tannéeoù i*>sthéâtres font recettes, et réduite à aller jouer îacorai lie en ville, tandis que le Sr. de l'Espy est spécia-lemet »tchargé de surveiller les charpentiers, serruriers

maçor»s et autres ouvriers. Heureusement le roi faitremetû »à nos comédiens 30001ivres pour cinq «visites»au Lou re et une à Vincennes. Ce sont toujours le

Dépit an. >ureux, YEtourdi et les Précieuses qui formentla base dt **esreprésentations (3).

Ixvret, tl ns sa Muze historique (Lettre du 30Octobre)

{!)Registred Lagrange,p. 25-26.(2)Loret, Mh •historique,Lettredu 30 octobre ICCO,t. 111,p. 273,

Edit.Daflïs,m?(3)Piècesauxqi liesil faut ajouter le Médecinvolant,liomJaphil, le

Cocu,Jodeletprince,D.Bertrandel la Jalousiede GrosRené(chacuneunerois).

Page 61: Les Premières de Molière

49 LES PREMIÈRESJE MOLIÈRE

1660), T. III, P. 273, Edit. Dàffis 1878, a rendu ain*i

compte d'une de ces « visites » chez Mazarin :

De Monsieur, la Troupe ComiqueEut, l'autre jour, bonne pratique,Car Monseigneur le CardinalQui s'etoit un peu trouvé mal,Durant un meilleur intervalle,Les fit venir, non dans sa salle,Mais dans sa chambre justement,Pour avoir le contentementDe voir, non pas deux Tragédies,Mais deux plaizantes Comédies,Sçavoir celle de VEtourdu,Qui m'a, plusieurs fois, éb&udy,Et le marquis de Mascarille,Non vray Marquis, mais Marquis DrilleOù l'on reçoit, & tous momens,De nouveaux divertissemens.Jule, et plusieurs Grandes PersonnesTrouvèrent ces deux pièces bonnes :Et par un soin particulierD'obliger leur autheur Molier,Cette généreuse EminenceLeur fit un don en récompenseTant pour luy que ses Compagnons,De mille beaux écus mignons.

C'est la première fois que,' dans sa Gazette rimée,Loret cite le nom de Molière, qu'il écrit Molier.

Lagrange' qui, sur son Registre, avait marqué d'unlozange noir la date fatâlo de lundi 11 octobre—démo-lition du Petit-Bourbon — se hâte de tracer un jolirond bleu à celle du 20 janvie" 1661, en ayant soind'écire en grosses lettres :

LA TROUPE A COMMANCÉ AU PALAIS ROYALLE 2 0 JANVIER 1661 par le Ûespit amoureux etle Cocu imaginaire, Réceu 500 livres

Partagé 37,10 J

11 n'en est pas moins vrai que cette installationavoit déjà coûté plus de 2000 livres, et qu'il va falloir"

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SûÀNAKEltU 4*

encore solder dés comptes pendant plusieurs mois,au détriment des recettes, bien entendu (1).

Cette désignation dé « Théâtre du Palais-Royal »a égaré bien dés gens pèU familiers avec la topographiede Paris ait XVII* siècle, le théâtre actuel portantce nom n'ayant été construit jpar l'architecte Louis

qu'en 1784 (2). ,Lé souvenir du Théâtre du Palais-Royal occupé par

Molière nous est rappelé seulement par une jjnaaueapposée sur le mur du Palais-Royal proprement djt,à l'angle gauche de l'entrée de la rue de Valois : « Icis'élevait la salle de spectacle du Valais Cardinal, etc..

occupée parla troupe do Molière de 16C1 à 1673. » Cette

salle, construite par J. Lemércier en 1637, d'après losordres dû 'Cardinal dé Richelieu, située à droite enentrant dans là cour dit Palais-Royal (alors appeléPalais-Cardinal) abrita l'Opéra après la mort de Molièreet fut détruite par un incendie eh 1763.

A l'extérieur, rien n'indiquait qu'il y eut là une sàllède spectacle : elle avait été érigée uniquement pour lesdivertissements privés du Cardinal. Quand elle futaffectée à la troupe de Molière, puis à l'Opéra, lô publiedut y arriver par une impasse qui devint plus tardl'entrée de la rue de Valois.

Nous avons dit, en parlant des jeux de paume, quelorsque le théâtre naquit en France, il n'existait pasd'édifice construit exprès pour des représentationsthéâtrales. Le fameux Hôtel de Bourgogne n'échappaitpas à cette règle. Ce ne fut que plus tard que l'on adoptapour les salles de spectacle la courbe, inspirée par laforme des théâtres antiques, et se rapprochant plusou moins de celle d'un 1er à cheval, tout en con-

ti) RefU&ideLig/aHg\ p. «7à 31.(2).<9RùAJlon»t>«ùïî*r.tour à tourSalleftiujolds, thU\t%desVirâ-

tes,ThiHrb & a JÏeatàùliier,Théâtre3u Pertttyfcdu Jardtù Efciliiî,Théâtrede là StonUffie,VariétésUontàntie*et ériGnThéâtred? Pàltit-royal1831.

Page 63: Les Premières de Molière

W LUS PREMIÈRES DE MOLIÈRE

servant pour l'édifice entier le rectanglo allongé duxvii° siècle (1).

Mais, qu'il s'agisso d'un jeu de paume ou d'un local

quelconque, on devine sans peine le grave inconvénient

qui devait résulter d'un plancher horizontal, et nonen pente. C'est pourquoi Richelieu qui, pour la repré-sentation de sa tragi-comédie de Mirante (1639), avaitfait construire cette salle, la première en France bâtioavec l'intention d'y donner des représentations théâ-

trales, avait conseillé à Lemércier, son architecte,d'élever graduellement la majeure partio du parterre.Nous en laisserons la partie descriptive à Sauvai (2).

« Co lieu, écrit-il, est uno longue salle parallélo-gramme, largo de neuf toises en dedans (17 m. 82),oeuvre que le Cardinal et Mercier (Lemércier) s'effor-cèrent de rendre le plus admirable do l'Europe. » Puis,

après avoir expliqué que le Cardinal fit faire plusieursprojets par divers architectes : « On se tint à celuide Mercier (Lemércier) comme plus solide,plus commodeet plus majestueux tout ensemble.

« Là manière do ce théâtre est moderne, et occupe,comme je l'ai dit, une longue salle couverte carrée

longue. La scène est élevée à un des bouts, et le reste

occupé par vingt sept degrés de pierre, qui montentmollement et insensiblement, et qui sont terminés

par une espèce de portique, ou trois grandes arcades.Mais cette salle est un peu défigurée par deux balcons

dorés, posés l'un sur l'autre do chaque côté, et qui,commençant au portique, viennent finir assez prèsdu théâtre.

a Le tout ensemble est couronné d'un plafond ou

perspective où Le Maire a feint une longue ordonnancede colonnes corinthiennes, qui portent uno voûte fort

(1)D'aprèsunenoticedeRoyer(llist.Univ.duTh.t. III,p.47)ceseraitl'ItalienCarloPontanquiauraitinventéla formeduferà chevalen 1675,deuxans aprèsla mortde Molière,formeadoptéepar Françoisd'Orbaylorsqu'ilconstruisitla nouvellesalledela Comédiefrançaiseen 1688,rue,desFossésSaint-GermaindesPrés(ruede l'AncienneComédie).

(2)AntiquitésdeParis,t. II, p. 163.

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SGANARELLE 51

hauto enrichie de « rozons », et cela, avec tant d'art,que non seulement cette voûte et le plafond semblent

véritables, mais rehaussent de beaucoup le couvert dela sallo.et lui donnent toute l'élévation qui lui manque.»

Plus loin, Sauvai s'extasie sur la couverture du

théâtre, couverture de plomb posée sur une fort légèrecharpente, et particulièrement sur huit poutres de

chêne, chacune do deux pieds (66 cm) en carré sur dixtoises (19 m. 80) de long. Ces poutres colossales avaientété taillées dans les forêts royales de Moulins.

Reste à savoir combien de spectateurs pouvaitcontenir une telle salle. Sauvai dans son admirationdit trois mille • Une étude très approfondie de * laScène de Molière et son organisation » (1) nous rap-proche beaucoup plus de la réalité.

Lorsque Sauvai nous dit que la scène était élevéeà un des bouts de cette salle vaste et que le reste était

occupé par vingt sept degrés sur une longueur de 10 à11 toises (plus de 20 mètres) il oublie de nous parlerdu parterre, espace où l'on se tenait debout entre

l'amphithéâtre et la scène (2). Or, nous savons quedu temps de Lulli, qui fut le successeur direct de Molièreau Palais-Royal, ce parterre contenait 300 personnesserrées les unes contre les autres. Un escalier ou perronde cinq marches — du temps de Richelieu au moins —

reliait le milieu de la scène au parterre (3). Derrière

(1)Introductionà TAvarede Molièrepar le Prof.II.Fritsche.Perlin,WeidmannicheBuchhandlung,traduiteen françaispar M. Metrger,LeMoliériste,juin,juilletet août1887.

(2)L'usagedesetenirdeboutauparterre,conservélongtempsenFrance,existeencoredanscertainesvillesd'Italie.Seulementceparterredebouteil placéenarrièredesfauteuilsd'orchestre,et nondevantla scène.

(3)PaulLacroix,Iconographiemoliéresque,p.72-73,Paris,Aug.Fontaine,1876.—N<>239.LouisXlIIàlacomédiedanslasalledu Palais-Royal.GravéparBalthasarMoncornet,in-f°en largeur.La salleest tellequ'elleétaita la représentationde Mirame,avant queMolièreeût obtenula permis-siond'y faireétablir des loges.Celte gravure, reproduitep. 39 dansi'ouvragedeM.KarlMantzius,Paru,Colin,1908,est indiquéepar erreurcommela vuede la salledu Petit-Bourbon.—N°240.Plande l'ancienne*aUedespectacledu Palais-Royal,fait immédiatementaprèsla mortde

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62 LfS PREMIÈRES DE MOLIÈRE

ce parterre, séparé ou non par une grille ou par un

couloir, se trouvait donc l'amphithéâtre dont lesmarches assez larges pour recevoir un spectateur assis,étaient recouvertes de planches ; mais il est à supposerque les premières marches inférieures étaient ou enle-

vées, ou inoccupées, sinon il eût été impossible de cette

place de voir par dessus la tête des spectateuis du

parterre.Étant donné la largeur de la salle (17 m. 82) il est

facile de supposer que chaque marche, en défalquantl'espace occupé par les couloirs latéraux indispen-sables et un passage de milieu, pouvait recevoir trente

personnes. Nous arrivons ainsi en chiffres ronds à 700

pour l'amphithéâtre.Nous savons que les galeries latérales s'élevaient

sur deux étages, et nous en connaissons la longueur.L'auteur du travail cité compte un maximum de 8

personnes par rangs de loges, avec deux bancs placésl'un derrière l'autre, ce qui fait environ 330 spectateurspour 4 rangs de loges de ce genre. Si nous admettonsà présent que 70 personnes pouvaient encore trouver

placo sous les arcades du fond de la salle, arcades signa-lées par Sauvai, nous arrivons au chiffre de 1400 per-sonnes, auquel il convient d'ajouter encore les quelquesplaces sur la scène dont nous allons parler plus loin,Or, le chiffre de 1450 spectateurs, maximum, concorde

parfaitement avec celui des plus fortes recettes de

Molière, soit 2000 liv»*es.Rappelons-nous qu'on payait15 sous au parterre, et un demi-louis d'or ou 5 livresaux: places les plus chères (1).

Nous ignorons si le plancher de la scène était un peuplus élevé vers le fond, mais nous savons quo le rideau,qui se levait en se tirant en l'air comme aujourd'hui,

Molière,lorsquecettesallefutdonnéepar leroià Lullipoury transporterle Th. de l'Académieroyalede musique.Deuxdessinsd'architecteà laplume,mai1673.Cabinetdesestampes,de la Bibl,nat. TopographiedeP«ri»,Quartierdu Palaisroyal.

(1)LeMoliirittedéjàcité,juin1887,p.75,

Page 66: Les Premières de Molière

SQANARBLLE M

venait tomber près de la dernière loge du coin. On neconnaissait pas encore la boite du souffleur, et ce

modeste, mais très utile'fonctionnaire, se tenait dansune coulisse latérale (1). Quant aux musiciens — géné-ralement six violons — on les reléguait dans la plusmauvaise loge du 2e rang, et par conséquent près do lascène (2).

Ce fut aux représentations du Cm\donné en décembie1636 au théâtre du Marais, que, pour la première fois,on vit des grands seigneurs, des magistrats, des officiersenvahir la scène pour y occuper des places. Sur ce pointon a le témoignage de Mondory, directeur-acteur de cethéâtre (1594-1651) qui fut le créateur du rôle de Ro-

drigue. Dans une lettre adressée à Guez de Balzacle 18 janvier 1637, il dit en effet : « Notre lieu s'esttrouvé si petit que les recoins du théâtre, qui servaientles autres fois comme de niches aux pages, ont étédes places de faveur pour les cordons bleus, et la scène

y a été d'ordinaire parée do croix de chevalier dol'Ordre. »

La modo s'en mêla ; tous les petits marquis voulurentavoir place sur la scène, et les directeurs avisés jugèrentbon de tirer parti de cet engouement ; ils garnirentles côtés'de. chaises de paille, et firent payer six livres

(environ trente à quarante francs de notre monnaie),le droit de s'y asseoir (3).

Il est facile de deviner de quelle façon les acteurs setrouvaient ainsi à l'étroit sur tous les théâtres. La

(t)Chappuzeau,Lethéâtrefraneoisdéjàcité,p. 145-146.—H. Lyonnet,Bulletinder Histoiredu Théâtre,1918,LeSouffleur.

(2)Chappuzeaudit encore: Ci-devanton les plaçait (l«smusiciens)derrièrele théâtre, ou sur lesailes,ou dans un retranchemententre lascèneet leparterre,commeen uneformede Parquet.Depuispeu(1675),onlesmetdansunedeslogesdu fond,d'oùils fontplusde bruitquedetoutautrelieuoùon pourraitlesplacer.»

(3)PaulGaulot,le Publiesur la scène,LeFigaro,4 janvier1914.—Molièrea critiquécet usagedanslesFâcheux.Il n'en est pasmoinsvraiqu'ilen tirait profit commeses confrères.Y.aussiAdolpheJullien,LesSpectateurssur te Théâtre,Paris,A. Détaille,1875.Cetabusne fut aboliqu'en1759.

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54 LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

scène du Palais royal était heureusement un peu pluslarge que les autres, bien que son cadre fût peu élevé.Mais combien la mise en scène devait souffrir de cet

empiétement, d'où cette unité de lieu imposée auxauteurs par cette méthode, exception faite pour les

représentations de pièces dites « à machines » comme

Pstfchê.Sur les 32 pièces de Molière, sous le rapport de l'unité

du décor, par conséquent du lieu, sauf quelques pro-logues et intermèdes qui n'étaient représentés qu'occa-sionnellement, 29 se jouaient à une seule et même place ;3 seulement exigeaient des changements de décors :Dom Juan, Psyché et le Médecin malgré lui. De ces29 pièces, 11 se jouent dans la rue ou sur une placepublique, 12 dans une chambre ou un salon, 6 dans un

jardin, un parc, ou une foret (1).Avec Chappuzeau qui fut le contemporain de Molière,

nous allons nous initier à l'administration d'une entre-

prise théâtrale dans le milieu du xvuc siècle.

Indépendamment des comédiens, qui, chez Molière,étaient de véritables associés, voici donc les officiersde théâtre, nom pompeux qui comprend les hauts

officiers « qui ne tirent pas de gages » et les bas officiersou gagistes.

Parmi les premiers qui se contentent de l'honneurde leur charge, nous relevons le Trésorier, le Secrétaireet le Contrôleur. Ainsi, chez Molière, Lagrange quinous a laissé son précieux Registre mentionnant larecette de chaque jour et la distribution des frais,était incontestablement le Secrétaire.

Les gagistes sont le concierge, le copiste, les violons,le receveur au bureau, les contrôleurs de portes, les

portiers, les décorateurs, les assistants (figurants), lesouvreurs de loges, de théâtre et d'amphithéâtre, le

chandelier, l'imprimeur et l'afficheur.Les distributrices de limonades et autres liqueurs

(1)LeMoliériste,juillet1887,p. 102.

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SOANARBLLE 65

ne reçoivent pas de gages, mais paient une assez forteredevance à l'État pour avoir le droit d'exercer leur

petit commerce.Au concierge est remis le soin de « l'Hôtel ». Il ouvre

et ferme les portes, procède au nettoyage, et fait saronde après lo spectacle par crainte d'incendie.

Le copiste est tout à la fois copiste, archiviste etsouffleur. Il se tient, pour exercer cette dernière fonc-

tion, à l'une des ailes du théâtre.Le receveur qui distribue les billets est seul : c'est le

même bureau qui reçoit la recette pour le Théâtre

(sur la scène), l'Amphithéâtre, les Loges et le Parterre.Les contrôleurs des portes placent les spectateurs

selon la place à laquelle ils ont droit. Les Portiers,en pareil nombre que les Contrôleurs, sont commis

pour empêcher les désordres qui pourraient se produire.Ces Portiers furent remplacés plus tard par des soldatsdu Régiment des Gardes.

Les décorateurs, dont le nombre ne dépasse pasdeux pour les pièces sans mise en scène, font la policedu plateau. Il est de leur devoir de se pourvoir de deuxmoucheurs pour les lumières qui sont des chandellesde suif. « Ils doivent s'en acquitter promptement(de cet office), nous dit encore Chappuzeau, pourne pas faire languir l'Auditeur entre les actes ; et avec

propreté, pour ne pas lui donner de mauvaise odeur.L'un mouche le devant du théâtre, et l'autre le fond,et surtout ils ont l'oeil que le feu ne prenne pas auxtoiles. » Du reste, en prévision d'accident, des muids

pleins d'eau et nombre de seaux remplis d'eau sont àla disposition de la main. Les déchets des lumièresfont partie des petits profits des décorateurs.

Les a Assistants », que nous appelons de nos jours«Figurants » se recrutent surtout parmi les domestiquesdes comédiens ; les ouvreurs (et non ouvreuses) de

loges, de théâtre et d'amphithéâtre, au nombre de

quatre ou cinq, donnent aux gens do qualité les meil-

Page 69: Les Premières de Molière

66 LES PREMIÈRESDE MOLIÈRE

leures places ; il ne leur est point défendu d'en revecoir

quelques * douceurs ».Le chandelier doit fournir de bonnes lumières du

poids, de la longueur et grosseur qu'elles sont comman-dées. Quand le roi vient au théâtre, les chandellessont remplacées par des bougies.

L'imprimeur doit rendre le lendemain du jour qu'ona annoncé, et de grand matin, le nombre ordinaired'affiches bien imprimées sur bon papier, l'originallui ayant été envoyé dès le soir par celui qui annonce,et qui a coutume de le dresser. L'afficheur doit être

ponctuel pour poser de bonne heure ses affiches à tousles carrefours et lieux qui lui sont indiqués. Les affiches

(en 1675) étaient rouges pour l'Hôtel de Bourgogne,vertes pour l'Hôtel de la rue Mazarine (ancienne troupede Molière), et jaunes pour l'Opéra (1).

(1)ArthurPougin,Dictionnairedu Théâtre,Art.Affichage.Lesaffichesdecegenreparvenuesjusqu'ànoussontfortrares.Nousenavonspuvoirquelques-une»danstesexpositionsthéâtrales.LeMuséedelaComédie-fran-çaise(CatalogueMonval)n'enpossèdequedesphotographies.Desorigi-nauxsontconservésà là B:bl.del'Arsenal,à la Bibl.del'Opéra.Celledel'HôteldeBourgognemesure0,29dehautsur0,34delarge.D'autres0,30dehautsur0,45delarge.Ony voitfigurerla désignationdela troupe,letitredelapièce,lenomdel'autour,lejourdelareprésentation,et souventl'annoncedûspectaclesuivant,el tout.aubas(dumoinssurcelledontnousavonsun modèlesouslesyeux),l'adresse: «C'està l'Hosteldu Marais,vieillerueduTemple,àdeuxheures».3!aislenomd«scomédiensquijoue-rontdanslapiècen'y figurejamais.Cetusageneviendraqueplusdecentans plustard.

Loretn'a-t-ilpasdit danssaMutehistorique.T.III,p.437.Edit.Daffis.Lesaffichesmarquentl'endroit.L'heure,leprixet la journée,Et c'esttoujoursl'aprés-dtnée.

Page 70: Les Premières de Molière

CHAPITRE V

DOM GARGIE DE NAVARJtE

ou LE PRINCE JALOUX

Comédieen versen 5 actes.Théâtredu Palais-Royal: 4 Février1661

Fonctionsde /'Orateur. — Dom Garcic de Navarre ou le Prince

jaloux. — Echecde la pièce.— Six troupesà Paris.'— Aban-dondu genrehéroïque.— La maison de la rue Saint-Thomasdu Louvre. — Armande Béjart. — Projets de mariage deMolière.

Si nous ajoutons à ces données exactes —puisque

contemporaines— sur l'organisation d'une entreprise

théâtrale au xvne siècle, qu'il y avait encore dans

chaque compagnie dramatique un Orateur, et si nousen définissons la fonction, nous aurons à peu prèstout dit pour donner l'idée complète de ce que pouvaitêtre une représentation dans cette salle du Palais-Royaloù Molière va jouer pendant douze ans.

L'Orateur est choisi parmi les comédiens. Aujourd'huinous l'appellerions « le Régisseur parlant au public ».Mais cependant il est quelque chose de plus que le

régisseur, car non seulement il compose l'affiche du

lendemain, mais il est encore chargé de se présenterà l'issue de la représentation pour faire valoir en termeschoisis le programme de la représentation suivante.

Fonctions extrêmement délicates, si l'on sqnge qu'ilfaut toujours trouver quelques phrases bien tournéespour capter la confiance du public. 11commence donc

par remercier l'assemblée de sa. présence, il annoncela pièce prochaine, il glisse quelques éloges pour cette

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53 LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

oeuvre, afin de provoquer la curiosité. Tout cela entermes brefs, qui ne sentent pas l'apprêt. Il ne sortde cette réserve qu'en présence du Roi, de Monsieur,ou de quelque Prince du sang ; alors le compliment,quelque peu médité, peut être appris par coeur etrécité de mémoire.

L'annonce s'allonge à la veille d'une pièce nouvelle

qu'il est besoin de vanter ; et surtout le jour de la ferme-turc de l'année théâtrale, qui survient le vendredi

précédant le premier dimanche de la Passion. Ce sontde véritables adieux au public. Mais où l'orateur auraà se surpasser, ce sera dans le discours d'ouverture

après Pâques, non seulement pour faire part des chan-

gements survenus dans la troupe, mais pour étaler aux

yeux du public ébloui un programme plein de promessespour toute l'année qui commence, et o faire reprendreau peuple le goût de la comédie », dont il s'est déshabi-tué pendant les derniers jours du carême.

Les théâtres de Paris au xvne siècle eurent des ora-teurs éminents, qui laissèrent derrière eux de brillantssouvenirs. Les habitués attendaient impatiemmentla harangue de l'orateur, et y prenaient autant de

plaisir qu'à la pièce. L'Hôtel de Bourgogne eut Belle-

rose, Floridor, Hauteroche, ce dernier auteur lettré (1).Le Théâtre du Marais eut Mondory, Dorgcmont,

Floridor également, lorsqu'il fit partie de la troupe,Laroque qui garda l'emploi vingt sept ans (2).

L'Orateur devait encore répondre au public quand ilétait interpellé, mettre de son côté les rieurs par devives réparties, payer de sa personne quand on avait

(1)Lestroupesne choisissaientjamaiscomme«orateur• qu'unacteurayant tout à fait l'oreilledupublic.C'étaitle caspourceuxquenousve-nonsde nommer:Belleiose,qui fut un desmeilleursacteursdu régnedeLouisXIIf,et lecréateurduMenteur,morten 1670.—Floridoruniversel-lementestimé,et d'originenoble,morten1671.—Hauteroche,1616-l684.

(2)Mondory,déjà cité,1594-1651,visageagréableet expressif.—Dor-gemontqui lui succédaau Maraiscommeorateuren1637créa,croit-on,le rôlededon Diéguedu Cid.Il était mortavant1673.Nousavonsdéjàparlé de Floridorci-dessui.

Page 72: Les Premières de Molière

DÙMOARCIE 59

à faire à des mousquetaires, des laquais ou des pages

pris de vin.

Or, si une comparaison nous est permise, tandis quel'orateur de l'Hôtel de Bourgogne était réputé poursa belle prestance et son éloquence, et celui du Marais

pour sa fermeté et sa vaillance, Molière plaisait surtout

pour son « honncsteté )>comme on disait alors, et pourses traits d'esprit à l'impromptu. La gravure de Simo-

nin, que nous avons citée au précédent chapitre, et

connue sous le nom du « vray portrait de Mr de Molièreen habit de Sganarelle »nous le représente précisémentadressant un compliment au public. Nous le verrons

s'acquitter de cette tâche pendant trois ans encore,

jusqu'au jour où il se débarrassera de cette véritable« corvée » sur son fidèle et dévoué Lagrange.

Voici donc Molière en ce moment seul maître de lasalle du Palais-Royal où, à peine installé, il rêve de

frapper un grand coup en donnant une pièce nouvellede lui : Dom Garde de Navarre ou le Prince jaloux,comédie en cinq actes, en vers, dont la première repré-sentation eut lieu le vendredi 4 février 1661. Pourcette fois —

qui n'est pas coutume —, ce coup sera un

coup d'épée dans l'eau.Nous allons en chercher les raisons.Molière qui, au fond, est un grand timide, n'ose pas

encore voler de ses propres ailes. Sur quatre piècessignées de lui, trois ont été empruntées à des sujetsitaliens. Pour sa cinquième, il ne se sent pas encorede force à marcher seul, et c'est à une pièce italienne,intitulée le Gelosie fortunate del Principe Rodrigo (lesheureuses jalousies du prince Rodrigue, du poète floren-tin Giacinto, Andréa Cicognini) qu'il va emprunteren entier sa pièce du genre dit héroïque, Dom Gardede Navarre.

Ainsi parle, preuves en mains, l'auteur de Molièreet la Comédie italienne (1).

(1)LouisMoland,ouvragedéjàcité, p. 261,

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60 LES PREMIÈRES DR MOLIÈRE

— Pardon, objecte un autre (1), qui, dans ses Etudes

critiques de littérature comparée rapporte tout, non sansraison souvent, au théâtre espagnol, la sorte de jalousiede Dom Garcie de Navarre qui caractérise le hérosde Molière est, par excellence, de couleur espagnole.Dans le théâtre castillan, les caballeros sont d'une

incroyable susceptibilité pour tout ce qui touche àl'amour ; la moindre chose provoque leur jalousie ;ils sont prompts à soupçonner leurs dames et à com-mettre les actions les plus extravagantes pour desmotifs insignifiants.

—- La pièce est italienne, à n'en pas douter, et commetelle passionnée, déclare de son côté M. Louis Moland.Les sentiments des personnages y ont toute leur énergieet tout leur abandon ; les emportements de Rodriguesont de véritables fureurs ; ses retours font sans réserve;atix injures brutales succèdent d'amoureuses litaniesoù se déroule tout ce que la langue italienne possèded'expressions de tendresse :

— 0 mio bene l— 0 mio cuore !— Ti ricevo, mia vita l— Ti ritrovo, ô mio tesoro I

Oui, mais Cignognini écrivait en prose italienne, etMolière écrivait en vers français, donc dans un styleplus châtié.

Après avoir analysé le caractère de Dom Garcie,irréfléchi et ombrageux, et celui d'Elvirc d'une fiertétoute castillane, le défenseur du théâtre espagnolajoute en manière de conclusion : o Du reste, il n'y a

pas un seul personnage de cette comédie qui n'aitune allure espagnole ; l'intrigue, le dialogue qu'animeun souille de passion, le dénouement même sont tout-à-fait dans le goût de la comedia (2).

Soit ; mais puisque Molière a suivi de très près le

(1)Molièreett Espagne,Paru. Champion1907,p. 157.(2)GuillaumeHuszar,Ouvr.déjàcité,p. 158.

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DOMOÀ10IB 61

dialogue italien, il faudrait dméttre que Cicognitiis'était inspiré d'une comédie • pagnole dont le textene nous est pas parvenu.

Coup d'épée dans l'eau, nous a'ms dit, car ce genre,la comédie héroïque, a l'inconv "lient de réunir lesdéfauts de la comédie et ceux de la ti àgédie ; genre dans

lequel il ne s'est produit en français' "ien de bon, genresans intérêt, dont la paternité ap «artient bien authéâtre espagnol, et dont Molière Corneille, quiavait aussi tenté de l'aborder, auraietf ' dû lui laisseret l'honneur et l'ennui (1).

L'échec fut dur pour Molière que le pif! lie renvoyaittout simplement à la bouffonnerie. Ceux 'jui avaient

applaudi Mascarille et Sganarelle ne pou ^ifent con-cevoir Dom Garcie. Le grand homme, ou,» ^u moins,celui qui va le devenir, le comprit si bien qtt il aban-donna le rôle dès la seconde représentation ('z

La première de Dom Garcie avait été doni'< * avec

Gorgibus dans le sac (3) et 600 livres de rece» S. \J

surlendemain, dimanche, le bureau perçoit t. core500 livres. Mais à la troisième, lo mardi, ce ne sont \\\x%que 168 livres. Vite, il faut avoir recours à une reprisadu Cocu pour faire passer un second dimanche Dorn

Garcie, avec 700 livres, la plus forte recette avec cette

pièce. La cause est perdue néanmoins ; la septièmene fait encaisser que 70 livres, et Lagrange écrit tris-tement sursoit Registre: «Part,néant.»Dom Garcien'a

plus qu'à quitter l'affiche. Il faut en revenir à YEtourdiaux Précieuses, au Dépit amoureux et au Cocu.

L'entreprise n'est pas des plus faciles à mener.

(1)Notesde G.Monval,Th.completdeJ.-B. PoquelindeMolière.Edit.D.Jouaust,t. II, p. 367,Paris1882.—DomGarcieAétéimitéunefoisenAngleterre,dansTheMasquerode,représentéeen17I9,etécriteparCharlesJohnson,unavocat,devenuplustardaubergiste.—H.VanLaun,leMolié-riste,i« août 1880,p. 235.

(2)NotesdéG.Monval,Edît. Jôuaust,t. II, p. 368.(3)Petite farceattribuée&Molière,et non imprimée.Cetitre semble

déjàindique?lecanevasde la célébréscènedesFourberieideScapin,oùcelui-cifait mettreGérontedansle saé.

Page 75: Les Premières de Molière

62 LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

D'abord, cette installation nouvelle au Palais-Royal aconsidérablement grevé le budget de nos comédiens.A chaque page de son Registre Lagrange écrit en margede petites notes du genre de celles-ci : « Retiré pour lesfrais de la salle du Palais-Royal », ou « Retiré pour les

charpentiers 480 livres. * Les représentations ne se

passent pas toujours dans le calme le plus absolu, etce n'est pas sans raison que le dimanche 20 mars ondonne à St-Germain, portier, pour sa blessure, 55 livres.Ce bon serviteur avait eu à lutter contre les traîneursde rapières et la valetaille qui voulaient toujoursentrer sans payer (1).

Bref, la part de cette année théâtrale (vendredi 9 avril1660- 1er avril 1661) n'aura pas,pour toutes ces raisons,été des meilleures, car chaque associé n'a pu inscrire,côté recettes, que les sorrynes suivantes :

Théâtre du Petit-Bourbon 1679 livres 9 sols» du Roy 250 »» du Palais-Royal 547 » 17 »

2477 livres 6 sols

Enfin, avant de recommencer après Pâques, auPalais-Royal, « Mr de Molière, nous dit Lagrange,demanda deux parts au lieu d'une qu'il avait.LaTroupclui accorda pour lui ou pour sa femme s'il se mariait.Ainsi, la Troupe ayant continué sur le pied de douzeparts depuis 1660, 9 avril, fût augmentée d'une parten 1661 « (2).

Ce mariage ne devait avoir lieu qu'un an plus tard.Comme directeur, comme auteur, Molière devait

se trouver singulièrement embarrassé à ce tournantde sa carrière. ^

Directeur, il lui faut soutenir la concurrence de ses

(1)RegistredeLagrange,p. 31.Cetévénementn'estpasleseuldesongenre.Il se reproduiraplusieursfois.

(2)Registredé Lagrange,p. 31.Ilestindispensable,toutefois,de tenircomptede la valeurproportionnellede l'argent.

Page 76: Les Premières de Molière

DOMGARCIE 63

redoutables rivaux. Jamais Paris n'a encore abritéautant de troupes dramatiques et comiques à la fois.C'est ce que nous apprend Loret dans sa lettre du1" janvier 1661 (1) :

Une Troupe toute nouvelle,Qui se dit à Madcmoizcllc,Qu'on attendoit, de longue main,Joûc au Fauxbourg de Saint-Germain.

Celle de Monsieur se préparcA donner maint spectacle rare.

Les Comédiensdu MarestFont un inconcevable aprest,Pour jouer, comme une Merveille,IJC Jazon de monsieur Corneille.

Ainsi, pour plaire aux beaux Esprits,On void cinq Troupes dans Paris,Y comprize celle d'Espagne ;Et dans la prochaine Campagne,C'est-à-dire en Avril ou May,Où le temps devient doux et gay,îN'ous aurons celle d'Italie,De Scaramouche et d'Aurélie,(Ou, si l'on veut, Aurélia)Avec Trivelin, tant-y-aQue voilà six Troupes comiques;Et je croy qu'aux siècles antiques,Paris, quoy que séjour des Rois,N'en vid jamais tant à la fois.

II n'est pas aisé de lutter avec l'Hôtel de Bourgognedans le genre héroïque. Les comédiens du Marais, quitraînent à leur suite une foule de vieillesfarcesdémodécset n'ont à leur service qu'une interprétation médiocre,sont moins à craindre. Et puis, le centre aristocratiquede Paris se déplace. La Place-Royale a eu ses beaux

jours sous Louis XIII. Le soleil, à présent, brille auLouvre. Sous ce rapport, la salle du Palais-Royal estmerveilleusement située. C'est elle qui doit attireret retenir la « société ». Mais il faut du nouveau, del'inédit. Entre les tragiques de la rue Mauconscil,

(I) Loret,LaMutehistorique,Edit.Daflfïs,1878,t. III, p. 303.

Page 77: Les Premières de Molière

«4 LES PRBMIÈRB8 DE MOLIÈRE

et les bas comiques de la rue Vieille du Temple, ilfaut chercher une voie,

.Auteur, en homme d'esprit qu'il est, Molière a

compris, avec son grand sens théâtral, qu'il faut servirà présent, à la Cour et à la ville, autre chose que devieux canevas italiens, aussi habilement démarquésfussent-ils, en excellents vers français, et il nous sembleassister à une espèce de conseil de famille tenu danscette grande maison de la ruo St Thomas du Louvre,maison dont nous nous occuperons plus loin, et oùdemeurent tous ensemble la tribu des Béjart, le ménagede Bric et Molière.

Femme de tête et d'initiative, en qualité aussid'ancienne directrice, Madeleine Béjart prend la paroleavec autorité, du haut de ses quarante ans sonnés :a Molière, tu as passé l'âge des essais ; tu dois, dès à

présent, voler de tes propres ailes. Tu as toujours aiméles rôles de héros, je le sais. Laisse là les héros, ils nete réussissent guère. C'est dans la comédie que tu rem-

portes, comme auteur et comme acteur» tes plus beauxsuccès. Tu vois bien que les Parisiens ne te connaissent

que sous les noms de Mascarille ou de Sganarelle.Pourquoi te fatiguer à décalquer des sujets empruntésau répertoire italien ? Tu raffines, tu épures, c'estfort bien. Mais notre public veut autre chose. Il veutun théâtre qui soit français.

« Abandonne la déclamation ampoulée à ces beaux

messieurs, de l'Hôtel et les basses farces au Marais.Crée un genre, qui, par le style, puisse rivaliser aveccelui dont se servent les premiers, et qui, par la gatté,sans t'écarter du bon goût, fasse oublier les autres.

« C'est de ton propre fond qu'il te faut tirer à présentle suc qui doit alimenter ton théâtre. Dix-huit ans

d'apprentissage ne te suffisent-ils donc pas ? Nous nesommes plus là-bas, en Languedoc où il s'agissaitseulement de contenter quelques lourdauds venus auxÉtats. Nous sommes les comédiens de Monsieur,

Page 78: Les Premières de Molière

DOMGARCIE 65

frère du roi. Nous jouons à la Cour. Il faut plaire,charmer, éblouir. C'est sur toi seul, auteur, acteur,directeur qu'il te faut compter. Nous sommes là, mon

frère, ma soeur, nos camarades, les de Brie, les du Parc,Lagrange, du Croisy, tous enfin, pour te souteniret t'encourager dans cette lutte suprême qui commence.Écris-nous des pièces, Molière, et donne-nous des rôles.La chute de Dom Garcie est pour toi une leçon salutaire,car elle t'indique la route à suivre et délie les liens

étrangers où ton génie restait emprisonné. »C'est ainsi que Molière, après avoir fait son examen

de conscience, va prendre sa plume pour écrire dansun esprit nouveau cette suite de chefs-d'oeuvre, inin-

terrompue pendant douze ans.Au sortir de cette salle du Palais-Royal, que nous

connaissons à présent de fond en comble, nous suivronsun instant, avant d'aller plus loin, Molière encore céli-bataire dans sa vie domestique.

Le premier logement du quai de l'École, habité parles Béjart et Molière, alors que la troupe partageaitla possession du théâtre du Petit-Bourbon avec les

Italiens, a été quitté pour se rapprocher du Palais-

Royal. Tous ensemble ont établi leur demeure dansune vaste maison sise au coin de la rue St-Honoréet de la rue St-Thomas du Louvre, ayant vue sur cesdeux rues et sur la Place du Palais-Royal qui se déve-

loppait à l'extrémité de la rue St-Thomas.Cette maison,relevant de la paroisse St-Germain l'Auxerrois, portasuccessivement les noms de Maison de la Crosse, puisdu Singe (1).

La rue St-Thomas du Louvre fut supprimée en 1849

pour le percement de la rue de Rivoli (dégagement desabords du Louvre entre la rue de PArbre-Sec et laPlace des Pyramides) (2). Mais le Plan monumental

(1)JulesLoiseleur,LesPointsobscursdelaviedeMolière.Paris,Liseux,1877.—Notesur lesdifférentsdomicilesde Molière,p. 393.

(2)0. Pessard,DictionnairehistoriquedeParis,Art. Placedu Palais-Royalet ruedeRivoli.

3

Page 79: Les Premières de Molière

t» LES PREMIÈRESDB MOLIÈRE

de Paris au xyne sièc\e par Jacques Gomboust (4-653)»nousenfaitcqnnaîtrel'eniplacemen).sprsaPIancheYÏli.

Supposez une ligne droite partant du quai du Louvre,passant derrière le monument aptuej de pambetta,pour aller aboutir dans l'axe de l'entrée* prjncipale dela cour du Palais-Royal, et vous aurez une idée exacte

du tracé de cette rue dans laquelle se trouvait lefameux Hôtel de Rambouillet (1). La maison occupéepar Molière faisant l'angle de la rue St-Honoré, setrouvait donc sur l'emplacement de la Place actuelle

agrandie, à quelques mètres de son théâtre où il pou-vait se rendre en traversant la petite place d'alors.

Dans cette maison habitent, outre Molière, la vieilleMarie Hervé, veuve de Joseph Béjart et mère de tputela tribu de ce nom, Madeleine Béjart sa fille aînée,Geneviève Béjart qui se mariera en 1664 avec Léonardde Loménie de la Villaubrun, bourgeois de Paris ;Louis Béjart, leur frère ; le ménage de Brie ; Ja futurefemme de Molière, Armande Béjart. C'est dans cettemaison que Molière se mariera l'année suivante, etnous savons par les pièces signées à différentes époquesqu'il y demeurait en 1662, qu'il y habitait encore en

1670, après le décès de son père, et lorsqu'il prêtaitde l'argent à Lulli ; en 1671, après la mort de MarieHervé; en •mars 1672, après la mort de.MadpleineBéjart ; en juillet 1672, lorsqu'il prenait en locationson appartement de la rue de Richelieu où il devaitmourir lui-même l'année suivante (2).

Seulement, comme cette adresse était triple : rueSt-Thomas du Louvre, rue St-Honoré, Place du Palais-

Royal, il en est résulté que beaucoup de moliéristesn'ont pas compris qu'il s'agissait toujours de la mêmemaison. Un seul coup d'oeil jeté sur le plan de Gomboust

(1)Seconddunom,carle premier,situésur l'emplacementdela eourd'honneurdu Palais-Royal,avait été démolipourla constructionduPalais,dit Cardinal,sousRichelieu.

(2)BndoreSoulié,RecherchessurMolière,p. 203,220,239,242,249,et

Page 80: Les Premières de Molière

DOMGAtiClÈ 61

eût suffi pour les convaincre qu'il no pouvait être

question d'aucune autre.Dans cette tiialson de la Crûsse ou du Singe, va se

jouer de 1661 à 1662 tout un drame dé famille, angois-sant pour Madeleine Béjart, troublant pour Molière,déconcertant pour la jeune Armande, que nous venons

d'y voir introduite.Armande Béjart ? Nom qui sonné comme celui d'une

énigme. Une énigme qui fit couler des torrents d'encre.D'où sort-elle, cette Armande à qui l'acte de baptême,introuvable jusqu'à ce jour, donnait pour mère lavieille Marie Hervé, et qui passait aux yeux de tous les

contemporains pour la fille — et non la jeune soeur —

de Madeleine Béjart ?Problème indéchiffrable, disons-nous, mais dont la

recherche échappe à notre sujet qui consisté à montrer

surtout, au point de vue de l'histoire du théâtre,dans quelles conditions et dans quel milieu furentdonnées les premières représentations des comédies doMolière.

Nous avons résumé autre part (1) le peu que l'onsait de la première jeunesse d'Armande passée dans lemidi de la France. Un pamphlet, écrit après la mortde Molière (2) a même précisé : dans le Languedoc,

(1)HenryLyonnet,Dict.desComédiensfrançais,Art. M"*Molière,t. II, p. 447.

(2)LaFameuseComédienneou Histoiredeta Guérin,pamphletrééditéparCh.L. Livet,Paris,1878,sousle titredeIntriguesdeMolièreeldesafemme.

Parmilesdiversesopinionsémisesau sujetde la naissanced'ArmandeBéjart,onlitdanslesMémoiresdeBrouettesurlaviedeBoileau:«M.Des-préauxm'aditqueMolièreavaitétéamoureuxpremièrementdela comé-dienneBéjartdontil avaitépouséla fille*.Taschereau,Bazin,JulesLoi-teleur,A. Houssaye,L. Lacourla considèrentcommefillede Madeleine.Certainsendésignentmimelepère: leComtedeModéne.G.Monval,tou-jourssibienrenseigné,écrit&proposdecelui-ci: <Onnepourraitleregar-dercommepèred'Armandequ'enidentifiantcettedernièreavecla Fran-çoisenéeen1638deM.de Modéneet de MadeleineBéjart,a quoije mesentirais,je l'avoue,assezdisposé.* {Intermédiairedeschercheurset deseurituiXxVI,134).N'oublionspasque,d'unepart,onneretrouTepatléstracesde cetteFrançoise,et qued'autrepart, le Comtede Modénesera

Page 81: Les Premières de Molière

68 LES PREMIÈRES.DE MOLIÈRE

chez une dame de qualité. On croit généralement qu'ellefut retirée de chez cette dame vers l'âge de dix oudouze ans et qu'elle parut pour la première fois sur un

théâtre, à Lyon, en 1653, dans la troupe de Molière.On l'appelle alors d'un nom enfantin, MllQ Menou,et Chapelle, écrivant à son ami Molière en vers, selonla mode de l'époque, lui parle de « branche fleurie »,de a naissants appâts », lui conseillant de ne montrercette poésie qu'à Mlle Menou seulement, car, ajoute-t-jl, ces vers sont faits à son image.

M1Ie Menou est attachée dès lors au sort de la troupeentière en province, à Paris. Elle grandit sous les yeuxde Molière... Alors commence dans cette maison com-mune des scènes intimes qu'il est facile de deviner,et que Grimarest nous a laissé entendre. Molière estdevenu amoureux de la jeune Menou, malgré les vingtans qui les séparent. Madcleine,qui a compris le manège,sème des obstacles sous ses pas. Armande, inconsciente,à moins qu'elle n'aspire à devenir la femme de son

directeur, dans l'espoir de recevoir en présents de richescostumes et de somptueuses parures, ne se montre pasautrement rebelle.

Cependant Molière semble bien résolu à se marierdès Pâques 1661, et ce qui nous le prouve surabon-damment c'est la note de Lagrange déjà citée. En

Jarraio,avecMadeleineBéjart marraine,d'Esprit-Magdeleine,fillede

tôlière(Saint-Ëustache,4 août1665).Jal (Dict.critique)neveuts'inclinerquedevantlesactes,et l'onn'a pas

retrouvél'acte de baptêmed'Armande.Maispourquoicette faussedéclarationau momentdu contrat? La

raisonnousenparaittoutesimple: enforçantla vieilleHervéa prendre&ton comptecettematernitétardive,on laissaitignorerauxprofanescrueMadeleineétait fille-mère; onfaisaitcroireque,mère,c'étaitellequidon-naità ta filleunedotassezronde,alorsqu'ilestprouvéquelavieilleHervé,restéesansunsolà la mortde ionmari,avait toujoursvécudepuislorsàlachargedesesenfants.SecretdePolichinellepourlesintimes,assurément.Maislesapparencesétaientsauvées.

M. L. Lacourqui publieaux Editionsd'Art, un ;•marquabletravailsurlesMaîtressesetla FemmedeMolière,nousa donnélepremiervolume(lesMaltresses)en 1914.Nousattendonsavec impatiencele second(1*Femme)dontl'apparitionfut retardéeparlaguerre.

Page 82: Les Premières de Molière

bok OAÈCÎÈ 69

demandant à l'avenir deux parts au lieu d'une, et en

stipulant que cette part supplémentaire sera cellede sa femme s'il se mariait, il ne peut mieux dévoilerses intentions prochaines.

Détermination que. Grimarest (1) nous confirmeen ces termes, après nous avoir laissé entendre queMadeleine fut longtemps opposée à ce projet: « Maiscomme elle (Madeleine) l'observait de fort près, il

(Molière) ne put consommer son. mariage pendant.plus de neuf mois. » Les choses en étaient arrivées à untel point, nous apprend-t-il encore, que Molière auraitmême pris un moment la partie de se marier sans riendire.

Telle était l'état d'âme — si l'on peut employer ceterme — de Molière, au moment où sa situation théâ-trale devenait passablement compliquée pour lesraisons que nous avons dites : inauguration d'une salle

nouvelle, concurrence, chute de Dom Garcie, néces-sité de produire.

Il faut donc, coûte que coûte, maintenir la réputationde la troupe. La clôture annuelle de Pâques (1-25 avril)donne bien quelque répit, mais on en profite surtout

pour monter une pièce de S. Chappuzeau, le Riche

impertinent, qui, jouée le 6 mai, ne put se maintenir

que 6 fois consécutives sur l'affiche.Relâche encore de 15 jours pour le jubilé (29 mai-

12 juin). Enfin la sixième production de Molière est

prête, et va pouvoir paraître aux chandelles au Palais-

Royal.

(1)J. L. LeGalloisdeGrimarest,(1659-1713)auteurd'uneViedeM.deMolière,qu'il ne faut consulterqu'avecméfiance,bienque l'auteurditequ'il tient unepartiede sesrenseignementsde Baron,qui fut l'élèvedeMolière.

Page 83: Les Premières de Molière

CHAPITRE VI

L'ÉCOLE DES MARIS

Comédieen versen 3 actes.Théâtredu Palais-Royal: 24 Juin 1661

Distribution el Dédicace -JeVÉcole des Maris. — Succèsde la

pièce.— LesurintendantFouquel.— Le Châteaude Vaux.—La troupe de Molière mandéeà Vaux, puis à Fontainebleaudevant le roi. — Fouquetcommandeà Molière une comédie-ballet.— Molièredanseur etchanteur.

L'Ecole des Maris, comédie en trois actes en vers,fut représentée pour la première fois sur le Théâtredu Palais-Royal le 24 juin 1661. Nous en connaissonsla distribution.

Sganarelle . . I » , MOLIÈREAristc . . . . J

lrôrcs ' * ' L'ESPYValère, amant d'Isabelle . . . LAGRANGEErgastc, valet de Valère . . . Du PARC.Un Commissaire DE BRIE.Un NotaireIsabelle 1 M,le DE BRIE.I , t soeurs ... r, 'Léonor J ARMANDEBÉJARTLisette, suivante de Léonor . . MADELEINEBÉJART.

Dans la dédicace adressée à « Mgr. le duc d'Orléans,frère unique du Roy », nous lisons, entre autres choses,cette phrase : « Mais, MONSEIGNEUR,ce qui doit meservir d'excuse, c'est qu'en cette avanture je n'ay euaucun autre choix à faire, et que l'honneur que j'ayd'estre à voslre Altesse Royale m'a imposé une néces-sité absolue de luy dédier le premier ouvrage que jemets de moy-mesme au jour. Ce n'est pas un présentque je luy fais, c'est un devoir dont je m'acquitte... »

Page 84: Les Premières de Molière

L'ÉCOLEDES MARIS 71

Ainsi, Molière, par cet aveu, semble reconnaître

que toutes ses pièces précédentes, y compris les Pré-

cieuses, ne sont pas entièrement de son crû. L'exagéra-tion est certainement voulue par la flatterie. Il n'enreste pas moins vrai que YEcole des Marii marquele début d'une nouvelle période : celle où Fauteur vamarcher seul.

La distribution de cette pièce provoque encore

quelques réflexions. C'est la première fois que nous

voyons apparaître sous son nom Armande Béjart, qui,dans le rôle de Léonor, représente la jeune pupilleque SganareHc-Molière prétend épouser, ce dernierne craignant pas de se montrer sous des traits quelquepeu ridicules.

La première de YEcole des Maris fut, en somme,un petit événement pour les habitués du théâtre, quiattendaient avec impatience une nouveauté. Maiscomme la pièce n'avait que trois actes, on donna pourcommencer le Tyran d'Egypte (1).

La défiance du premier jour dissipée, la nouvellecomédie marcha vers un franc succès. On peut s'enassurer en jetant un coup d'oeil sur le montant desrecettes (2).

24 juin l'« représentation 410 livres26 » 2e fi50 »28 » 3e » 701 »29 » 4e » 760 »1 juillet 5e » 750 »3 » 6e » 812 a5 » 7« » 805 »8 » 8e » 15 logis louées 1131 »

10 » 9e » II loges louées 1132 » etc.

La seuiedi 9 juillet on avait encore joué, enlte deux

représentations pour le public, chez Mme de la Tri-

(1)LeTyrand'Egypte,piècenouvelledeGilbert,avait été jouéepourlapremièrefoisparla Troupede Mo!ière,danscettetalledu Palaiî-Royal,l«25lévrier1661.—C'étaitlaonzièmereprésentation.

(2)RegistredeLagrange,auxdatesindiquée!.

Page 85: Les Premières de Molière

72 LES PREMIÈRESDE MOLIÈRE .

mouille. Bref, le bruit de la réussite de YEcole des marisavait dépassé les limites du quartier du Palais*Royal.Fouquet, le surintendant Fouquet, alors au combledé sa puissance et de sa splendeur, voulant encorerehausser l'éclat de la fête qu'il se préparait à donnerà la Reine d'Angleterre, à Monsieur et à Madame, fit

appeler Molière et sa troupe à son château de Vaux-le-Vicomie.

Nicolas Fouquet, vicomte de Melun et de Vaux,marquis de Belle-Isle, avait alors quarante six ans.De riche naissance, il avait acheté en 1650 la chargede Procureur général au Parlement de Paris. Aprèsavoir rendu des services d'argent à Mazarin, àluReine-Mère et à la Cour, pendant la période troublée de la

Fronde, il était devenu surintendant des Finances en1653. Tâche ardue, car il avait trouvé le Trésor vide.

Engageant une partie de ses biens pour subvenir auxfrais de la Cour et de l'armée, il fut l'homme utile.De là à se croire indispensable il n'y avait qu'un pas.Dès lors, le prêteur ne va pas seulement se rembourser.S'il remet les finances sur pied, c'est pour mieux les

dilapider. Son orgueil ne connaît plus de bornes ;ses prodigalités sont inouïes. Une île est à vendre :il l'achète, et la fortifie pour s'en faire une place desûreté en cas 'd'accident. Son faste dépasse celui du roi.C'est au château de Yaux-lc-Vicomte, à quatre kilo-mètres au Nord-Est de Melun,près du village de Maincy,qu'il va accomplir les folies qui devaient lui êtrefatales.

Il y avait en cet endroit une demeure seigneuriale.Fouquet la fit reconstruire en entier par l'architecteLevau (1), qui la transforma en une magnifique rési-dence qui passe encore pour un chef-d'oeuvre.

« Ce palais, a écrit Voltaire (2), et les jardins luiavaient coûté dix huit millions de livres, qui en valent

(1)levau (Leveaudit),Paris,1612-1670.(2)SiècledeLouisXIV,t.IL

Page 86: Les Premières de Molière

VÉCOLEDES MARIS'

73

près de trente six aujourd'hui (1). Il avait bâti le

palais deux fois, et acheté trois villages entiers, dontle terrain fut enfermé dans ces jardins immenses

plantés en partie par Le Nôtre (2), et regardés alorscomme les plus beaux d'Europe. Les eaux jaillis-santes de Vaux, qui parurent depuis au-dessous dumédiocre après celles de Versailles, de Marly et de

Saint-Cloud, étaient alors des prodiges. Mais quelquebelle que soit cette maison, cette dépense de dix-huit

millions, dont les comptes existent encore, prouve qu'ilavait été servi avec aussi peu d'économie qu'il servaitle roi. » Il est vrai qu'il s'en fallait de beaucoup queSaint-Germain et Fontainebleau, les seules maisonsde plaisance habitées par le roi, approchassent de labeauté de Vaux.

Le château, auquel on accédait par deux ponts-levis,était entouré de larges fossés remplis. d'eau vive.L'avant-cour était décorée de portiques. Tous lesbâtiments étaient vastes et magnifiques. Le pareenglobait 600 arpents, disent les uns, 800 arpentsdisent les autres (3).

«Ce monument, peut-on lire dans le Guide Joanne (4)est empreint de cachot de noblesse et de grandeur quifrappe vivement l'imagination... La décoration des

appartements a peu changé depuis Fouquet. Les

peintures sont de Charles Le Brun (5) et Mignard (6). »

(1)Dutempsde Voltaire,soitenviron125millionsde notremonnaie,oupeut-êtreplusencore.

(2)LeNotre,André,Paris,1613-1700.Architecteet dessinateurdejar-dins,il mît le premierà la modelesportiques,grottes,rochers,rocailles,•tatues,labyrinthes,berceauxet treillagesquiornentsesjardins.

(3)J. A.Dulaure,HistoiredesenvironsdeParis,ParisH.Boisgard,1853,p. 323.P. Lacroix,dansson IconographieMoliértsquesignalela vueenperspectivede Vaux-le-Vicomtedu cotédu jardin,par IsraëlSilvettrt,II.510", L. 77 ta.

(4)GuideauxenvironsdeParis.(5)CharlesLeBrun,1619-1690,étaitparisien.Protégéparte chancelier

Seguicr,Fouquetse l'étaitattachéen tutfaisant12.000livresdepension,outrelepaiementdesesouvrages.HtrouvadanssestravauxdeVauxlasourcedesafortuneauprèsdéMazarin,dela Reine-MèreetduRoi.

(6)Mignard,Nicolas,néàTroyes1606-1668,étaitl'amiintimedeMolièredontilpeignitplusieursfoisleportrait.

Page 87: Les Premières de Molière

74 LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

Partout, dans cette maison, les armea et la devisede Fouquet : un écureuil avec les paroles a Quo nonascendant? » (où ne monterai-je pas ?). Le roi devaitse les faire expliquer un jour, tandis que les courtisans

remarquaient que l'écureuil peint partout était pour-suivi par une couleuvre — or la couleuvre figurait dansles armes de Colbert.

Fouquet, ignorant sans doute qu'il ne faut jamaishumilier lin maître, et que les fêtes trop éclatantescachent ou préparent souvent des désastres particu-liers, n'eut dès lors d'autre ambition que celle d'éblouirle roi. Déjà, en juillet 1660, Loret nous a parlé d'une

première fête (1) :

Fouquet bien aimé des PuissancesSeul Sur-Intendant des Finances,De plus, Procureur Général,Etant, de ses biens, libéral,Traita, Lundy, la Cour RoyalePar un superbe et grand RégaleDans sa belle Maizon de Vaux, etc.

Une seconde fête, au moins, avait eu lieu six mois

plus tarcl((2) :

Samcdy, MonseigneurFouquetAvoit, ce dit-on, le Bouquet,C'est-à-dire, en autre langage,Que cet illustre Personnage,Sur-Intendant de la ToizonDans son opulente Maizon,Rien éclairée et bien musquée,Receut toute la Cour masquée,Qui fut, lors, selon sa grandeur,Traitée avec tant de splendeur,Par ce Magistrat très habile,Et sa Femme belle et civile,Que nôtre Prince Omnipotent,En sortant parut fort content.

(1)Loret,LaMutehistorique.Lcttr*du 24juillet1660.(2)Loret,d°Lettredu22janvier1C6I.—Cettefêtemasquéedonnéeàla

veilleducarnaval,avaiteulieuà Paris,dansl'HôtelduSurintendant,rueduTemple,surl'emplacementdesnuméros101et 103actuels.

Page 88: Les Premières de Molière

L'ÉCOLEDES MARIS 7P

Le 11 juillet suivant,, Fouquet prépare encore une

splendide fête, non pour le roi, cette fois, mais pour laReine d'Angleterre, pour Monsieur et pour Madame (1).

La Troupe de Molière est mandécen hâte.Lesiilustresinvités entendront la nouveauté du jour, YEcole des

maris, et comme on a joué au Palais-Royal le 10,qui était un dimanche, avec une fort belle recette,nos comédiens se mettent en route pour Vaux le 11 aumatin. Loret nous a laissé un court aperçu de ce que futcette représentation (2).

Après qu'on eut de pluzicurs TablesDcsscrvy cent mets délectablesTous confits en friands apas,Qu'icy je ne dénombre pas :Outre concerts et mélodie,Il (Fouquet) leur donna la comédie;Sçavoir VEscole des maris,Charme (à, prézcnt) de tout Paris,Pièce nouvelle et fort prizée,Que sieur Molier a compozée,Sujet si riant et si beau,Qu'il fallut qu'à Fontainebleau,Cette Troupe ayant la pratiqueDu sérieux et du comique,Pour Reyncs et Roy contenter,L'aHât, encor, rcprézcntcr...

On remarquera seulement qu'en la circonstance

Fouquet avait eu la primeur de la pièce nouvelle, et

que le roi passait après son surintendant. Petitsfroissements d'amour-propre, qui se paient tôt ou

tard, et comment !Voici donc la troupe, qui a joué le 10 à Paris et le 11

à Vaux, en route pour Fontainebleau, où elle jouerale 13, après-midi, devant lé roi, à la Mi-Voie, YEcoledes Maris et le Cocu. Le soir, même spectacle chezMadame la surintendante, et le 14 chez le Marquis

(I)LaReined'Angleterre,c'est-à-direla femmedeCharlesIL Monsieur,frèredu roi, avait épousérécemmentHenrietted'Angleterre,filledeCharles1er,et petite-filled'HenriIV.

(21Loret,LaMuréhistorique,Lettredu17juillet1661.

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76 LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

de Richelieu, YEcole des Maris, devant les filles de laReine. Enfin départ la nuit pour Paris, par la route

d'Essonne, localité que l'on atteint le 15 à la pointedu jour. A midi, la caravane comique au grand completa réintégré le Palais-Royal où l'on a affiché pour le

jour même : Huon de Bordeaux et YEcole des maris,pièce toujours demandée (857 livres de recette et 9 logeslouées). Lagrange qui nous fournit ces détails ajouteque le marquis de Richelieu donna à la troupe 80 pis-tôles d'or, soit 880 livres, et le surintendant 1500 livres

pour le déplacement (1).Ce qu'il aurait pu dire aussi, c'est que Molière avait

quitté Vaux-le-Vicomte avec la perspective d'unecommande pour la grande fête projetée pour le moissuivant en l'honneur du roi. Quelques jours plus tardla commande deviendra ferme, à livrer en 15 jours,et l'ordre est exprès : il faut du nouveau, de l'inédit,de la comédie, de la musique et des ballets.

Autre tournant de la carrière du poète. Nous l'avonsvu forcé de donner des ouvrages de son crû. Le voici

qui, pour plaire à sa nouvelle « clientèle », va se voir

obligé d'ajouter à sa prose ou à ses vers des «agrémens »comme on disait alors, c'est-à-dire de la musique etde la danse.

« Que Louis XIV ait eu du goût pour la belle poésie,nous ne le nions pas, écrit M. Maurice Pcllisson dans sa

remarquable étude sur les Comédies-Ballets de Molière

(2), mais il est certain que la danse et la musique étaientses arts de prédilection. En musique, il n'était passeulement amateur, mais connaisseur ». Nous savonsd'autre part que le' Cardinal Mazarin lui avait faitvenir d'Italie un maître de guitare qui lui enseignafort convenablement son art en dix-huit mois, et qu'ilne fallait pas qu'un musicien se hasardât à faire une

(1) Registrede Lagrange,p. 34. '

(2)MauricePellissos,les Comédies-Balletsde Molière,Paris,Hachettefn-16,1914,p. 19,

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L'ÉCOLEDESMARIS 11

fausse note en sa présence. Quant à la danse, dont ce

monarque raffolait, il prit pendant longtemps des

leçons de M. de Beauchamps, qui s'intitulait, du reste,« maistre des ballets du roy » (1). Nombreux sont lestitres des ballets qui nous sont parvenus, dans lesquelsle roi figurait comme danseur.

La danse, d'ailleurs, faisait fureur à cette époquedans tous les rangs de la société. Molière, en écrivantdes comédies-ballets, allait donc, non seulement plaireau roi, mais au public.

L'auteur cité plus haut, tout en constatant queMolière auteur de comédies-ballets est mal connuou méconnu, fait remarquer, non sans raison, quecertaines de ses pièces, privées de ces « agrémens »—

pour maintenir le mot — n'ontplus leur physionomiepropre. Évidemment. Mais il reconnaît aussi volontiers

que la représentation intégrale de cette sorte d'ouvragene saurait aller sans frais extraordinaires, sans parler .de difficultés de différents genres.

Quoi qu'il en soit, cette partie oubliée du théâtrede notre grand comique, à laquelle nous allons êtreforcément obligé de toucher, est-elle donc si négli-geable ?— a En étudiant les comédies-ballets, conclutM. Maurice Pellisson, nous nous sommes efforcé de.montrer que, lorsqu'on les ignore, lorsqu'on ne lesconnaît qu'en partie, ou lorsqu'on les dédaigne, on nesaurait être en état de rendre à Molière toute la justicequi lui est duc. »

C'est absolument notre avis. Aussi tiendrons-nous

compte de cette observation en parlant des « premières »où la musique et la danse voisinent avec la comédie.

Et puis Molière était-il donc si profane en matière

(1)Il y eut touteunedynastiede cesde Beauchamps,sur lesquelsontrouveradesdétailsbiographiquesdans le Dictionnairecritiquede Jal,articleBeauchamps(les).— « Plusieursmaistresde dansedispersésendifférentsquartierssontaussid'unehabiletédistinguée.M.deBeauchamps,maistredesballetsduroy,estlepremierhommedel'Europepourlacompo-sition.— RueBailleul.—L'AcadémiededansechezM.deBeauchamr*,rueBailleul.[AtmanaehouLivrecommodedesadressesdeParis,1691.)

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78 LES PREMIÈRESpB M.QLIÈRR

de danse et de musique pour ne p^s correspondreaux désirs dq roi et aij goût du jour ? Molière, commetous les comédiens,toutes les comédiennes de SQntemps,savait danser, et chanter quand il le fallait.

A Montpellier, en 1655, Molière dansait dans leballet des Incompatibles où il représentait un poèteet une harangère (1). Dans le rôle de Lysandre des

Fâcheux, nous allons le voir — au chapitré suivant —;danser une courante devantleshôtesroyaux de Fouquet.« Molière, écrivit un contemporain, n'était ni tropgras ni trop maigre ; il avait la taille plus grande que

petite, le port noble, la jambe belle... » (2) Et, sans

poser en chanteur, Molière ne craindra pas de mettredes morceaux de musique dans ses rôles. Outre l'im-

promptu chanté dans les Précieuses ridicules, ne chîmte-ra-t-il pas encore dans les Fâcheux, dans la Princesse

d'Elide, dans le Nlédeçin malgré lui, dans la Pastorale

comique, dans le Sicilien ? N'est-ce pas lui qui dans le

Misanthrope rappellera à Oronte, en la chantant, la

chanson :

J'aime mieux ma mie,O gué,

J'aime mieux ma mie !

Dans sa troupe, Madeleine Béjart, M11? de Brie»M,ledu Parc, Armande Béjart dansent admirablement.Cette dernière,qui possédait une fort jolie voix,chantaitégalement en italien.

Qui donc oserait soutenir que, lorsque Molière com-

mença à composer des comédies-ballets, il n'était paspréparé à ce genre, bien de son époque, et vers lequelses goûts et ses aptitudes l'attiraient ?

(1)PaulLacroixa reproduitceballet&lasuitedesaJeunessedeMolière•t M.Despoisau t. I desonéditionsurMolière.CitéparJulesLoiselèur.

(2)Lettresau Mercuresur Molière,Paris,nouvelleéditionMoliéresque,Jouautt,1887,p. 54.

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CHAPITRE VÎI

LES FACHEUX.

Comédieen vers en 3 actes.Vaux-le-VIcomte: 17Août1661.

Théâtredu Palals-Rbyâl: 4 Novembre.

Fêtede Vaux-le>Vicomléoffertedu Roi par Fouquet.— La pre-mièredés Factieux.— Lettre dé La Péritoine.—Le compile'rendu de Lorét.— Les Fâcheux à Fontainebleau.—Succèsà Paris. — Arrestationdé Fouquet.— Distributiondis rôles.

La fameuse fête offerte par Fouquet en l'honneurdu roi à Vaux-le-Vicomte ayant été fixée au 17 août,.Molière reçut l'ordre de se tenir prêt avec une piècenouvelle pour cette date, coûte que coûte. C'est lui-même qui nous lé dit (1) :

* Jamais entreprise au théâtre ne fut si précipitéeque celle-cy, et c'est une chose, je croy, toute nouvelle

qu'une comédie ait esté çonceuë, faite, apprise et repré-sentée en quinze jours. »

Pour aller au plus vite, Molière ne cherche donc pasen cette circonstance un sujet de comédie à proprementparler. Il écrit une pièce du genre dit a à tiroirs »,une sorte de revue, comme nous dirions de nos jours.Il s'en explique, du reste, fort bien lui-même.

« Mais, dans le peu de temps qui me fut donné, ilm'estoit impossible de faire un grand dessein, et deresver beaucoup sur le choix de mes personnages etsur la disposition de mon sujet ».

(t)Avertissementplacéeniile deVÉditiondesFâcheux.

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80 LES PREMIÈRES DR MOLIÈRE

Alors, que fait-il ?Il songe à faire défiler sous les yeux de ses spectateurs

t toutes sortes de types de fâcheux, c'est-à-dire d'impor-tuns, de gêneurs, de raseurs, de barbeurs,—le nom

change, selon l'époque— mais ce genre de personnage

reste toujours a fâcheux ».« Je pris ceux qui s'offrirent d'abord à mon esprit,

et que je creus les plus propres à réjouir les augustes. personnes devant qui j'avois à paroistre ; et pour lier

promptement toutes ces choses ensemble, je me servisdu premier noeud que je pus trouver ».

Ce noeud, dont parle Molière, c'est Éraste, qui seracomme nous dirions, le < compère », Eraste devant quivont défiler tous les type3 variés, et qui se permettraune petite réflexion sur chacun d'eux. Il n'en est

jamais autrement dans une revue.Puis l'auteur veut encore nous faire savoir comment

des danses ont été intercalées entre ses actes :«Le dessein estoit de donner un ballet '; et, comme

il n'y avoit qu'un petit nombre choisi de danceurs

excellens, on fut contraint de séparer les entrées deCe ballet, et l'avis fut de les jetter dans les entre-actesde la comédie, afin que ces intervalles donnassent

temps aux mesmes baladins de revenir sous d'autreshabits ».

Enfin l'auteur nous révèle la façon dont il se

prit pour faire agréer sa pièce : « D'abord que latoille fut levée, un des acteurs, comme vous pourriezdire moy, parut sur le théâtre en habit de ville, et,s'adressant au Roy, avec le visage d'un homme surpris,fît des excuses en desordre sur ce qu'il se trouvoit là

seul, et manquoit de temps et d'acteurs pour donnerà Sa Majesté le divertissement qu'elle sembloit attendre.En mesme temps, au milieu de vingt jets d'eau natu-

rels, s'ouvrit cette coquille que tout le monde a veuë,ci l'agréable nayade qui parut dedans s'avança aubord du théâtre, et, d'un air héroïque, prononça les

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LESFACHEUX 81 .*>,V*

vers que Monsieur Pelisson (sic) (1) avoit faits, et qui- *

servent de prologue ». /De cette « première », nous ne pouvons mieux faire /'

que de reproduire le compte-rendu que La Fontaine '"\en fit à son ami de Maucroix en date du 22 août 1661 (2).Cette lettre, dont nous ne reproduirons que les prin-cipaux passages relatifs à la représentation des Fâcheuxdit entre autres choses :

« Je ne te conterai donc que ce qui s'est passé àVaux le 17 de ce mois. Le roi, la reine mère, Monsieur,Madame, quantité de princes et de seigneurs s'y trou-vèrent : il y eut un souper magnifique, une excellente ~

comédie, un ballet fort divertissant... \

a... Le souper fini, la comédie eut son tour : on avaitdressé le théâtre au bas de l'allée des sapins.

En cet endroit qui n'est pas le moins beauDe ceux qu'enferme.un lieu si délectable,

Au pied de ces sapins et sous la grille d'eau,Parmi la fraîcheur agréable

Des fontaines, des bois, de l'ombre et des zéphyrs.Furent préparés les plaisirsQue l'on goûta cette soirée.

De feuillages touffus la scène était parée,Et de cent flambeaux éclairée :

Le ciel en fut jaloux. Enfin figure-toiQue, lorsqu'on eut tiré Tes toiles,

Tout combattit à. Vaux pour le plaisir du roi :La musique, les eaux,' les lustres, les étoiles.

Les décorations furent magnifiques, et cela se passasans musique.

On vit des rocs s'ouvrir, des termes se mouvoir,Et sur son piédestal tourner mainte figure.

Deux enchanteurs pleins de savoirFirent tant, par leur imposture,Qu'on crut qu'ils avaient le pouvoirDe commander à la nature.

(1)Pellisson,l'amide Foaquetquipartageasa disgrâce(16*24-1693).(2)Cede Maucroixétait alors&Romeoùil s'était rendusousle faux

nomd'abbéde CroisypourremplirunemissionsecrètequeFouquetlaiavaitdonnée.

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83 LES PREillÈRES DE MOLIÈRE

L'un do ces enchanteurs est le sieur ToircJti(I).Magicien expert et faiseur do miracles5Kt l'outre, c est Lo Brun (2), par qui Vaux embelliPrésenta aux regardants mille rares spectacles :Lo Brun, dont on admiro et l'esprit et la main,Père d'inventions agréables et belles,Rival des Raphaels, successeur des Apelles,Par qui notre climat no doit rien au romain.Par lavis de ces deux la choso fut réglée.

D'abord aux yeux do l'assembléeParut un rocher si bien fait,Qu'on lo crut rocher en ciTot5 *

Mais, insensiblement so changeant en coquille, (3)Il en sortit uno nymphe gentilleQui ressemblait h, la Béjart (4)Nymphe excellente dans son art,Et quo pas uno no surpasse.

Aussi récMa-t-clleavec beaucoup do grâceUn prologue estimé l'un des plus accomplis

Qu'en co genre on pût écrtro,Et plus beau quo je no dis,On bien que jo n'ose diro'jCar il est do la façonDe notre ami Pcllisson.

Aussi, bien quo jo l'admire,Jo n'en tairai puisqu'il n'est pas permis

Do louer ses amis.

(t) Torclli,dontle nomest déjàvenusousnotreplumeen parlantduPetit-Bourbon(1608-1678)était un gentilhommede Fano (Italie)où ilmourut,aprèsy avoirconstruitun magnifiquethéâtre.LôuîsXIVl'avaitattiréenFrance,el c'està h CourdeFrancequ'ilfitsafortune.

!2JVoirla noteau chapitreprécédent.

3)Cettecoquilleémerveillapositivementl'assemblée:Peut-onvoirnympheplusgentilleQu'étaitBéjartl'autrojour,Lorsqu'onvit ouvrirsacoquillo?Toutleniondodisaità l'cntour,Lorsqu'onvit ouvrirsa coquille:Voicila Mèred'Amour.

Recueilmanuscritdechansonshistoriquesel critiquesih-f*,t. IV,p. 285,cité par 51.C.A.Walckenacr,La Fontaine,Firmin-Didot,1857.

(4)51.C.A. Walckenacrdéjàcité,so trompedanssesnotes(Édit.LaFontaine)encroyantquecetteBéjartétait Armande.Il s'agitde Made-leineBéjart«Nympheexcellentedanssonart »—et «Mèrod'Amour»—*commandantauxdivinités>.Detellesexpressionsnopeuvents'appliquerà unejeunefilledevingtansencoreinconnue.

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LESFACHEUX b3

« Dans co prologuo, la Déjart, qui représente la

nymphe de la fontaine où so passe cotto action, corn*mande aux divinités qui lui sont soumises do sortirdos marbres qui les enferment, ot do contribuer dotout leur pouvoir au divertissement do sa Majesté :aussitôt les termes ot los statuos qui font partio del'ornement du théâtro so meuvent, et il en sort, jo nosais comment, dos faunes et des bacchantes qui fontl'uno des ontréos de ballet. C'est uno fort plaisantechosoquo do voir accoucher un termo, et danser l'enfanten venant au monde. Tout cela fait placo à la comédio,dont lo sujet est un hommo arrêté par toutes sortesdogens, sur lo point d'allor a uno assignation amourcuso

C'est un ouvrage do Molière.Cet écrivain par sa manière,.Charmo à présent touto la Cour.De la façon dont son nom court,Il doit être par delà, Romo (1) :J'en suis ravi car c'est mon homme.To souvient-îl bien qu'autrefoisNous avons conclu d'une voixQu'il allait ramener en FrancoLo bon goût et l'air do Térenco?Plauto n'est plus qu'un plat bouffon,Et jamais il no fut si bonSe trouvor à la comédio;Car ne ponsopas qu'on y rioDo maint trait jadis admiré,Et bon in illo tempore :Nous avons changé de méthode ;Jodelet n'est plus à la modo, (2)Et maintenant il no faut pasQuitter la nature d'un pas.

«On avait accommodé le ballet a la comédio, autant

qu'il était possible, et tous les danseurs représentaientdes fâcheux de plusieurs manières : en quoi certes ilsne parurent nullement fâcheux à notre égard : au

(1)Oàte trouvaitdeMaucroix.(2)Jodeletcitéicicommele typedu bascomique.Nousavonsdit qu'il

venaitdemourir.

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81 LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

contrairo, on les trouva fort divertissants, et ils ve

retirèrent trop tôt au gré do la compagnie. Dès quo ce

plaisir fut cossé, on courut a celui d'un feu » (1).C'est-à-dire d'un fou d'nvtifico.Passons i\ la description do Loret (2) î

Après co somptueux Repas,Pour goûter do nouveaux apas,On alla sous uno FeuilléoPompeuzement opareillcc,Où, sur un Téâtro charmant,Dont h. grand'poino un Saint-Amand,Un feu Ronsard, un feu Malherbe,Figurcroient l'aspect superbe,Sur co Téâtre, quo jo dis,Qui paraissoit un Paradis,Fut, aveo grande mélodie,Récitée uno Comédie,Que Molier, d'un esprit pointuAvoit compozéo, in promptu,D'uno manièro assez exquize,Et sa Troupe, en trois jours, aprizo :^Mais qui, (sans flatter peu, ny point)Fut agréablo au dernier point,Etant fort bien rcprézcntée,Quoy quo si peu préméditée.

D'abord, pour lo commencementDe ce beau Divertissement,Sortit d'un Rocher en coquille,Uno Nayade, ou bcllo Fille,Qui récita quarante versAu plus grand Roy do l'Univers,Prônant les vertus dudit Sire ;Et, certainement, j'oze diroQu'ils no seraient pas plus parfaitsQuand Apollon les auroit faits.

Puis, après avoir rappelé qu ces vers sont de Pcllis-

son, « amy solido et fidelle » :

Durant la susdite Action,On vid par admiration

(1)OEuvre»ioiApUlesdeJeandeLaFontaine,Paris,FirminDidot,1857,p«639etsuiy;

(i) Lotit,là Mutehistorique,t. III, p. 391,déjàcitée.Lettredusamedi20.août1661.

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LES FACHEUX W

(Quoy qu'en nparonce, bien fermes)Mouvoir des Figures, des Termes,El douzo Fontaines coulerS'élovans do dix pieds en l'air.

Mais il no faut pas quo jo dioLo resto do la Comédie,Car bientôt Paris la verra,On n'ira pas, on y courra 5Et chacun prêtant les oreillesA tant do charmantes merveilles,Y prendra plaisir a. gogo,Et rira tout son saoul ; ergo,Pour no pas faire, aux Acteur*, outrage,Jo n'en diray pas dvaantago.

La nièco avait pleinement réussi, Lo roi, venu do

Fontainebleau, ayant dans sa calècho Monsieur, laf.omtosso d'Armagnac, la duchesso d» Valentinois etla Comtesse do Guicho ; la reine-mère et plusieursdames dans son carrosso ; Madame en litière, repar-tirent à doux heures après minuit. Mais le roi, en com-

plimentant Molière, lui avait indiqué une autre scèneà faire '..celle du chasseur, ne dédaignant pas ainsi decollaborer avec un comédien. Il avait fait plus encore Ïil l'avait invité à venir donner la seconde représenta-tion do son ouvrage à Fontainebleau d'où la reineno s'absentait guère, étant alors enceinte de plus de

sept mois. Et c'est ainsi quo nos comédiens, rentrésà Paris lo 20 août, en repartaient le 23 pour Fontai-nebleau. Dans l'intervalle on avait joué le dimanche21, au Palais-Royal, Nicoméde (1) et YEcole des Maris.

Le 25 était lo jour do la fêto du Roi, Pour cetteseconde Molière avait ajouté en hâte la scène du chas-

seur, et lo ballot avait été renforcé par la présenced'une demoiselle Giraut qui nous est connue par lalettre suivante de Loret (2) :

La pièce tant et tant louée,Qui fut dernièrement jouée

(1)Nicomède,Tragédiede PierreCorneille,1652.(2)LaMutehistorique,déjàcitée.Lettredu 27août1661.

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88 LES PRtMliïRRS DE MOLlttRR

Avec ses ogrémens nouveaux,Dans la,belle maison <JoVaux,Divertit si bien noiro Siro,Et fit la Cour tellement rire,Qu'avec los mesmes beaux apréts,El par commandement exprès,La Troupe Comique excellenteQue ceito pièce reprézonte,Est allée, eneor do plus beau.La jouer A Fontainebleau,Etant, illec, fort approuvée,Et, mesmorrient, enjolivéoD'un Itolet gaillard et mignon,

, Dansé par maint bon Compagnon,Oîi cette jeuno DemotzclloQu'en surnon, Giraut on apetlo,Plût fort ft tous par les npasDo sa personne et do ses pas.

Dans un article du Moliériste Ylll, p. 152, Motidorgc(G. Monval) écrit à propos do la Reprise des Fâcheux(30 juin 1886) quo Molière jouait le chasseur, lo dan-

seur, lo joueur et Caritidcs. C'est beaucoup pour unseul, Quant nu chasseur, il n'y a pas do doute. L'inven-taire do ses habits do théâtre nous lo dit assez i « Le

justc*au-corps do chasso, sabre ot la sanglo,ledit juste-ou-corps garni do galons d'argent fin, uno pairo de

gants de cerf, uno pairo do bas à bottes do toilo jaune. »

Bref, Ja troupo après deux représentations à Fontai-

nebleau, reprenait le cours do ses représentations àParis lo 2 septembre Elle reçut pour ses deux voyages(Vaux et Fontainebleau) 15,428 livres (1) chiffre quipeut paraître considérable pour l'epoquo, et qui no so

peut expliquer quo par les frais occasionnés par larichosso des habits, la mise en scène des ballets, lesdécors et trucs do Torclli, les appointements supplé-mentaires des danseurs, danseuses ot musiciens, etenfin pour les frais do déplacement.

Do si bolles fôtes devaient êtro suivies du coup defoudre quo l'on sait. Quelques jours plus tard, lo 5 sept,

(1)G.Monval,ChronologieMol\éretque,p. 122.

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LkS FACHEUX 8?

(19 jours après la célèbre fôto de Vaux) Fouquot était

arrêté par d*Artagnan à Nantes où il avait suivi lo roi,Mazarin en mourant, et Coîbert en prenant lo pouvoirl'avaient pordu dans l'esprit du monorquo. Il fallait

à présent rendre dos comptes, ot expliquer la prove-nance d'un tel faste. C'est co quo Lorot nous raconto

dans sa lottro hobdomadairo du lOsoptombro :

Notre Ray, <(ui par politujuo,So transportait vers l'Arinonque, (Bretagne)Pour raizora qu'on no sçavoit pas,S'en revient, dit-on, \ grands pas.

Jo n'ay sceu par aucun message,Les circonstances du voyage :Mais j'ay du bruit commun apris,C'cst-A-dirodo tout Paris,Que, par uno expresse Ordonnance,Le Sieur Sur-Intendant do France,Je no sçay pourquoy, ny comment,Est arrêté prézentemont(Nouvelle des plus surprenantes)Dans la Ville et Château do Nantes.

Plus loin, Loret, tout en so reconnaissant l'obligédo Fouquet, qui lui sembla toujours a bon et sage », lo

plaint de tout son coeur, et déclaro qu'il serait heureuxdo pouvoir lui rendre service s'il le pouvait.

La Fontaine, do son côté, ne cessa jamais de défendroson ancien protecteur qu'il eut lo courage de no pasabandonner dans le malheur. Par son élégio « PourM. Fouquet, aux nymphes de Vaux », en vain essaya*t-il d'adoucir les rigueurs du roi. Sa lettre à son ami do

Maucroix, annonçant l'arrestation du surintendant,montro assez la part qu'il prit à cet événement. Salettre à Fouquet (30 janvier 1663), son ode au roi (1663)nous prouvent quo le fobulisto no fut pas un ingrat.Mais Fouquet condamné au bannissement, peinechangée en prison perpétuelle, devait oxpier dix-neufans encore dans la forteressode Pigncrol—et jusqu'àla mort — ses malversations et son orgueil démesuré.

Ne quittons pas enfin ce château de Vaux, sans

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88 LES PREMIÈRES DR MOLIÈRE

rapnolor qu'il devint par la suite la propriété du mare*chat do Yillars, dont il prit lo nom do Vaux-Villars.Le duo do Villars, fils du maréchal, cessa d'entretenirla cascades, bouleversa los jardins, et vendit cettebollo propriété au duo do Prnsliu, alors ministre de la

mariuo, d'où lo nom nouveau Vaux-Praslin. Ello étaitencore dans cclto famille en 1853. Lo Bottin do 1920

l'indiquo commo propriété do M. F, Sommier, sous lenom do Château do Vaux-le*Vicomte.

La promièro représentation des Fâcheux en public,au théâtre du Palais-Royal, eut lieu sculemont lo 4 nov.

suivant, mais bien qu'elle oit été donnée avec ses« agrémens », commo on disait alors, nous doutons fort

quo les ballots y aient été aussi somptueux qu'à Vauxot qu'à Fontainebleau. Les faunes et les dryades, sibien à leur placo dans les jardins do Vaux « au bas dol'alléo do sapins » n'avaient plus autant raison d'êtreruo St-Honoré. Quoiqu'il en soit, los Fâcheux curent39 représentations consécutives.

Reste à fixer quollo fut la distribution des rôles.

L'opinion longtemps maintenue fut que Molière devait

jouer le rôle d'Erasto,lo principal—celui du acompère»,comme nous avons dit. Mais quo penser alors do coltonoto rolovéo sur lo Registre de Ltgrange en date du14 novembre, c'est-à-dire après la cinquième représen-tation à Paris : « Icy jo tombay malade d'une fièvrecontinue doublo tierce, et j'eus deux rechutes. Je fusdeux mois sans jouer. Mr du Croisy prist mon roslod'Érasto ».

Or, si Lagrange était lo titulaire du rôle d'Éraste— un rôle d'amoureux d'ailleurs, et par conséquent deson emploi

— quel rôle pouvait remplir Molière dans sa

pièce ? Nous répondrons sans hésiter le ou les plusdifficiles : au premier acte Lysandre, l'homme quichante, parle et danse sa courante tout ensemble, etau second acte (à Fontainebleau sans aucun doute)celui de Dorante, le chasseur, dans la scène indiquée

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LES FAQHBUX 89

par lo roi. Nous remarquerons seulement en passantquo si l'on supprimait cotte scène lo second acto seraitbien couiti co qui forait supposer qu'à Vaux on en

jouait uno autro à la placo,A moins quo Molière ait joué lo rôlo d'Érasto à Vaux,

et l'ait laissé à Lagrango dans la suito — sûrement pourles représentations à Paris, tout occupé qu'il était alorsdes préparatifs do son prochain mariago. Armando

Béjart nous semble tout indiquée pour lo rôle d'Orphiso,l'Espy pour celui do Damis, du Paro pour celui deLa Montagne (1).

Molièro préleva commo droits d'auteur, sur losrecettes do sa troupo, cent louis d'or, lesquels—-détailcurieux — furent remis entre los mains do Madeleine

Héjart qui n'avait pas cessé depuis seize ans d'ôtro sacaissière Ello la sera encoro après son mariage (2),

(1)Oaa reprisquelquefois,par curiosité,lesFâcheux,Coquelinaîné,fidèletansdouteà la tradition,y jouaitlesdeuxrôlesde Lysandre(lechanteur)etdoDorante(lochasseur)danslamêmesoirée.Cerécitdechasseluivalaituneovation:«Cedéfitédefâcheux,écrivaitSarceydan*sonfeuil-letondu5juillet1886,avaitfiniparlasserlepublic,quicommençaità n'yj.lusprêterla mémoattention; Coquelinentre,il sembloaussitôtquelascènes'illumine.Unmurmuredojofocourtdanstoutl'auditoire; onvoltteredressertouteslestêtes.C'estqu'aussicetteentréoavaitétéadmirable.Alevoirarriversur la scènea grandesenjambées,habitrouge,bottesénormeset sonnantes,et surla tête un chapeauoùsobalançaientdeuxplumesdecouleurdifférentes,onsentaitqu'ildescendaità peinedecheval,qu'ilétaitencoretoutchauddel'événement; quandila dit :

Tu mevolsenragéd'uneassezbellechasseQu'unfat.,.C'estunrécitqu'ilfautquejote fasse,

unrirea circulédel'orchestreauxloges.Corécit,c'estunemerveille...»QuioseraitprétendrequeMolièrenel'avaitpasécritpourledébiterlui-ruéme?

(2)RegistredeLagrange,p.38,39,44.

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CHAPITRE VIII

L'ÉCOLE DES FEMMES

Comédieon vers en cinq actes.Théâtre<hiPatols-Uoyal: 20 Décembre1G62.

L\esComédiensItaliens au Palais-Itoyat. ~~La femmede Molière,son mariage.—/.'Ecolo ries femmes.—Ml,° de Brie, éternelleAgnès.— Les '»2ans d'Arnolphe. —-Succèsà la villeel à Incour.

L'nnnéo 10G2 commença par un petit changementsurvenu dans Pordro dos représentations au Théâtredu Palais-Royal. Los comédiens italiens qui venaientdo passer cinq mois à Fontainebleau, pondant la gros-sosse, los couches et lo rétablissement do la reine (1)avaiont obtenu l'autorisation do s'installor aussi dnnsla sallo do la ruo St-IIonoré, ot d'y alterner leurs repré-sentations avec les représentations françaises, commeils avaient fait autrefois au Petit-Bourbon.

Il ftt{.'donc convenu quo les Italiens joueraient les

lundis, mercredis, jeudis et samedis, ot la Troupe doMolièro los mardis, vendredis et dimanches. DansPordro économique, Molièro fit observer toutefois a sesconfrères italiens, quo, lorsqu'il avait pris possession,en octobro 1658,du Petit-Bourbon,on lui avait demandé15001ivrcs pour participation aux frais do l'installation.

Aujourd'hui los rôles étaient renversés, ainsi quo les

jours de représentations. Il était donc do toute justicequo les Italiens payassent à leur tour la moitié des

(l) La reineétait accouchéedu Grand Dauphinh Fontainebleauleternovembre,et cettedélivrancoavailétéfétéolejourmêmepardesdansesexécutéespar descomédiensespagnolsqui se trouvaientà fa Cour,outrelescomédiensitaliens.

Page 104: Les Premières de Molière

L'ECOLEDES FEMMES Ot

frais do l'établissomcul au Palais-Hoyal. Ainsi, du

rcito, on décida lo roi, ot les nouveaux vomis verseront*2000livres a leurs camarados français.

Mois bien autrc^ sont los préoccupations do Molièroà cctto époque. Il s'agit pour lui, malgré tous los empê-chements suscités dans sa propro maison par Madeloine,tic signer lo contrat, co contrat qui YUlo lier pour tou-

jours à Armande.11no nous appartient pas

— nous le répétons— do

prendre ici partio dans la discussion qui consisto àrelaircir co point obscur : Armando, fillo ou soeur doMadeleine ? Nous no sortirons pas du domaino pure-ment théAlral, nous contentant do fairo observer quo,si nous quittons un instant la comédio, co n'est quepour y rentror. Comment appeler, en effet, autrement,iet acto passé par devant notaire, on date du 23 janvier1662, dont le libellé fut retrouvé par M, Kudoro Souliôvers 1863, dans los minutes do Me Acloquo.

La jeune Armando qui ne se rappelle plus son âge, sofait octroyor « vingt ans ou environ » co qui nous incli-nerait à penser quo sa naissanco romonto en deçà dol'année 1642, La vieille Hervé désignéo commo sa mère,et qui, à la connaissanco do tous, rostéo sans un sol à lamort de icn mari, vit depuis vingt ans à la chargo deses enfants, la vioillo Hervé promet « bailler ot donnorauxdits futurs époux, à causo do ladito domoisello,sa fille, lo veille do leurs épousailles, la sommo do dixmille livres tournois » (1).

Où les aurait-elle pris, la pauvro femmo ? Puis, aubas des signatures, à la dato du 24 juin suivant : «Leditsieur Poquelin de Molièro, nommé en son contrat do

mariage ci-dessus, reconnoît et confesse quo laditodemoiselle Marie Hervé, veuve dudit sieur Béjard (sic)aussi y nommée, mère do ladito damoisclle Armando,Grésinde Béjard, lui a payé ot d'elle confesse avoir reçu

(1)Eud.Soulié,RecherchessurMolièretl safamille,Paris,Hachette1869,Documents,p. 20i.

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03 LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

ludite somme do dix mille livres quo ladito avoit promisbailler et donner audit sieur de Molièro par ledit contratet en favour d'icolui, dont quittance ».

Or, cetto sommo, en supposant qu'cllo ait été jamaisverséo, ne pouvait provenir que du deux personnes :

Madoleino, qui fera plus tard Armando son héritière,ou Molièro, ou des deux &la fois, Mais passons,

Voici donc lo fait accompli après neuf moisdépo-

sition —c'est-à-diro depuis le jour où Molièro a fait partà ses camarades do ses viséos matrimoniales en récla-mant uno part supplémentaire pour sa futuro femme— avril 1661-janvicr 1662 <—

(1), Il no reste plus qu'acélébror lo mariage lo 20 février suivant, jour du lundi

gras, et non du mardi, commo l'a écrit Lagrango quiconfondit peut-ôtro lo jour du mariage religieux aveccelui du festin do noce. Uno autre noto nous laisseencore entendro quo le mariage eut lieu «au sortir dela visite ». Mais, étant donné quo lo mariago religieuxeut lieu lo matin, commo nous allons lo voir, et quela « visito » ou représentation en ville, no pouvait avoirHou quo l'après-midi, assez tard, ou lo soir, il est clair

quo lo mot « mariago » est employé ici pour « repasde noco ».

Lo 47° des actes do mariago inscrits en l'annéo 1662sur lo registre do St-Eustacho fut en effet celui doJn. Bapt. Poquolin et d'Armando Béjart, Il est le

premier à la dato du 20 févrior, sept autres ayant été

enregistrés à la suite (2). D'où il résulte quo la cérémonieeut lieu lo matin, vors 10 ou 11 heures, et quo si unoréunion eut lieu le jour suivant à la sortie d'une «visite »

co no put être à l'égliso, mais autour d'une table bien

garnie.. Quant aux « visites », il n'y en eut quo deux du 14 au

23 : l'uno avec YEcole des maris chez Madamem

fil Celapi detempscorrespondauxneufmoisdontparleGrimarest.(S)DictionnairecritiquedeJal, art. Molière.—Celteprofusionde ma-

riageslemêmejourn'a riend'étonnant,sil'ensongequel'onallaitentreren ctrém*.

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L'ÉCOLEDBS FEMMES 93

d'Kquovilly, qui demeurait ruo St-Louis, l'aulteavec les Fâcheux choz M. do Guenegault, quaiMalaquais,

Revenons bien vito au théatro dont nous noussommes écartés un instant j notre excuso sera queMolière no so maria qu'uno seulo fois.

Pendant cetto promièro année do ménage; qui sora

peut-être la seulo tranquille, l'auteur somblo toutd'abord avoir ralenti sa production. On finit l'annéethéâtrale avec los piècos du répertoire,

Le 8 mai,laTroupo so met en route pour Samt-Gormahven-Layepar ordro du roi, et y joue lo soir mémo D, Japhel (1)et la Jalousie du Gros llené (2).

Héportoiro a St Gormain : le d Dépit amoureux, lo 10

YKtourdi, lo 11 Ecole des maris et Cocu, lo 13 Jodelet

prince (3), lo 14 les Fâcheux, La Troupe reçut pour co

voyago 1500 livres (4).Lo 10 juin, la Troupo s'augmenta do deux parts

par suito do la réception do doux comédiens nouveaux,do la Thorillière et Brécourt, qui étaient auparavantau Marais,

François Lo Noir, écuyer, siour do la Thorillière,était alors un homme de trente six ans. Il avait été

capitaino d'une compagnie de gens do pied dans le

régiment do Lorraino, et maréchal do camp. Il n'avaitdonc embrassé quo fort tard lo parti do la comédio,après avoir, à l'âge de 32 ans, épousé Marie Petit-Jean,fille de Petit-Jean, dit Laroquo, administrateur etacteur do la troupe du Marais.

Bel homme, bien fait, La Thorillière avait alors

(1)DomJapheld'Arménie,comédieen5actes,envertdeScarron,1653.—LavueduChâteaudeSt-Germain-en-Laye«Dontl'assietteesttoutàfaitgaye»dit Loret,a étédessinéeetgravéepar IsraëlSilvestre,H.118m/mL.197IconographieMoliéresquepar PaulLacroix,p.242.

(2)Piècemanuscriteattribuéeà Molière.Ontrouvaitdanscepetitacteuncanevasinformedu3*actede GeorgeDandin.

(3)Levéritablenomde cettepièceest le Geôlierdesoi-même,comédieen5actesenversdeThomasCorneille,1655.

(4)RegistredeLagrange,p. 43,

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94 LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

abandonné lo métier dos armes pour entrer au théâtredo son beau-pèro, et si, lo*10 avril 1660 il so qualifieencoro « capitaine », un an plus tard, le 16 aviil 1661,il n'est plus quo « cy-dovant capitaine », Rostoit à

apprendre lo côté «métier ». Molièro l'engagea donc sans

omploi fixe, tout en lo chargeant de certaines fonctions

administratives, car il est bien évident quo Lagrangeno pouvait pas tout fairo (1J.

Ouillaumo Marcourcau, sieur do Brécourt était filsdo comédien» étant né sur la paroisse St-Gervais, à

Paris, en 1638. Il avait joué, commo son père, lacomédio en Hollande, et épousé a Paris en 1659 sacamarado Etiennctte Désurlis (2). 11 entrait dans la

troupo du Palais-Uoyul pour jouer les paysans etlos rois (3).

Copcndant lo roi, toujours à St-Gormain, avaitmanifesté lo désir do rovoir encoro les comédiensdo la « Troupo do Monsieur » qui Pavaient charmé aumois de mai, Ceux-ci reçurent dono l'ordre do rovenirà la Cour lo 14 juin, « On a joué treize fois devant leurs

Majostez, écrit Lagrango. La Troupe est revenue le

Vcndrcdy llm 0 aottst. Lo Hoy a donné à la Troupequatorzo mil livres, croyant qu'il n'y avoit quo qua-torze parts. Cependant la Troupo ostoit do quinzepartz ».

Entre temps la Reine-Mère avait fait venir lescomédiens do l'Hôtel do Bourgogne, lesquels l'avaientsollicitéo « do lour procurer l'avantage de servir le roi».

{1)HenryLyonnet,Dict.desComédiens,t. II, Art.Lathorilllère,p.301.G.Monvala publiéen 1890,a lalibrairiedesBiblioph.,lePremierRegitlrtdeLa Thorillière(t663-6'»)avecnotice.C'estun registredes receltesttdépensesjournalièrestenupar lo secrétaire-trésorier(quin'étaitpas tou-jourslemême)et quel'ona appelédeLaThorillièreparcequeionnom)'figurele plussouvent.

(6)ÉUennetleDésurlis,néevers1630,était la soeurdecetteCatherin»Désurlisquifut unodespremièrescamaradesde théâtrede Molière.Ellane fit jamaispartiede la troupedu Palais-Royal,survécut28ans à sonmari,et mourutà Parisen1713,a 83ans.

(3)HenryLyonnet,Dict.desComédiensfrançais,i. I, Art.Brécourt.

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L'ÈCOfiBDES FEMMES W

Hest certain quo la troupo rivale de Molière leur causait

uno jalousie profondo allant jusqu'à la calomnio et

la haine.Co séjour do Molièro et do sos compagnons a Saint-

(îennain nous est raconté par Loret do la façon sui-vante dans sa leltro du 13 août ;

Do Monsieurla Troupo Comique,Quido biendivertir so pique,Est nrezontemontdo retourDoSt-Ormain, lieu do la Cour,Ayant joué, quelquessemaines,Devant lo Roy, devant les Reines,Qui sont d'elle, a n'en mentir point,Satisfaites nu dernier point,Et pour guerdondo leurs service ,Tous les Acteurs et les ActricesQuisont quinze, de eoinplo fait,(Tous gcivsentendans bien leur fait)Outrod'assez doucesparoles,Ont reccu chacun cent pistolcs,Nôtre-dit Roy no plaignant rienA ceux, dit-on, qui servent bien.

Il nous faut donc aller jusqu'à In fin de cetto mméo1GG2pour assister à la

représentation au théâtro du

Palais-Royal do'YEcole des femmes lo londomain do

Noël, 26 décombro, avec uno reectto oxtraordinoirodo 1518 livres partagéo en 17 paits, dont deux pourlesdroits d'auUur.

Qui pourrait s'imaginer do nos jours, à la lectureou à la représentation do cette pièce paisible, quo sesvers aient alors bouloversé littéralement Paris et misaux prises des gens d'ordinaire raisonnables ?

Nous lo verrons un peu plus loin lorsque nous parle-rons do la Critique, écrite par l'auteur lui-mêmo.

Pour présent ci*dignement cet ouvrago à son public,Molière a voulu uno interprétation de premioi ordre.Après s'être chargé lui-même du rôle écrasant d'Ar-

nolphe, il a donné celui d'Agnès à Meno de Brie, l'ingé-nuo idéale, Horace, l'amoureux par excellence,

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•6 LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

ce sera Lagrange ; Chrysaldc, le raisonneur, do l'Espy ;Alain, lo paysan, Brécourt, le nouveau venu. On n'est

pas bien d'accord sur le nom de l'actrice qui créa lerôle de Georgette.-Madcleinc Béjart nous paraît alorsbien marquée. Certains éditeurs, non scrupuleux,ont mis en avant les noms de MelIe Marotte, d'autrescelui de Mel,e Beauval. Ils auraient dû savoir que cesdeux comédiennes ne sont entrées dans la trouperespectivement que six ans et sept ans plus tard.

Et puisque nous faisons allusion à l'âge de Madeleine

qui avait alors 46 ans, on pourra nous objec*or quel'ingénue, MeHô de Brie, en avait trente trou-, pourreprésenter une jeune fille de seize ans. Mais cette

ingénue était Melle do Bric qui ne sut jamais vieillirau théâtre, témoin l'anecdote suivante qui a couru

partout : quelques années avant sa retraite qu'ellene prit qu'à i'âge de 55 ans, ses camarades l'avaient

engagée à céder le rôle d'Agnès à une autre actrice

plus jeune, Mclle Angélique du Croisy. Mais lorsquecelle-ci parut en scène, .le parterre demanda MelIe deBrie avec tant d'insistance qu'on fut obligé de l'allerchercher chez elle. Elle vint, joua en habit de ville,car on ne voulait pas lui donner le temps d'en changer,reçut les applaudissements « qui ne finissaient point »

et conserva son rôle d'Agnès jusqu'à la fin de sa carrièretandis que l'on faisait ces vers sur elle :

Il faut qu'elle ait été charmante,Puisqu'aujourd'hui, malgré ses ans,A peine des attraits naissantsEgalent sa beauté mourante.

Quo n'a-t-on pas écrit à propos de cette Ecole des

femmes I Certains commentateurs, qui ont voulu voirdans plusieurs des pièces de Molière uno autobiogra-

phie, n'ont pas manqué de nous dire : Arnolphe, c'estMolière. Agnès, c'est sa femme. Pourquoi ? Est-ce

parce qu'Arnolphe est un personnage de 42 ans sonnés,

Page 110: Les Premières de Molière

VÉCOLEDES FEMMES 97

— alors que l'auteur va en avoir 41 ? Et que celle qu'il

projette de prendre pour femme est beaucoup plusjeune quo lui ? Mais Agnès a 16 ans, et Mel,e Molièreau moins 21 ou 22 ? Si Molière eut voulu réellementse mettre en scène lui-même, la seule conclusion quis'imposait c'était son mariage avec Agnès. Or, c'esttout le contraire qui se produit. La jeune Agnès épousele jeune Horace, en vertu de l'axiome qui fit le succèsd'une chanson populaire deux cents ans plus tard :

A jeune femme, il faut jeune mari.

En se personnifiant sous les traits d'Arnolphe,l'auteur se fût donné de belles verges pour se fouetter.

Que Molière, dans cette pièce, comme dans biend'autres qu'il signa, ait exprimé des idées siennes,cela ne fait aucun doute. Mais ne voit-on pas ici que,laissant de côté son propre cas, il a exagéré l'écart

d'âge entre les deux personnages. Et si cette différenceest grande pour nous, elle l'était encore bien plus deson temps. Ainsi quo lo faisait remarquer FrancisqueSarcey dans une de ses chroniques (1) nous avons beau-

coup reculé l'âge où il est permis à un homme d'aimer.Aux siècles passés, un homme qui avait de 35 à 40 ans,s'écriait de bonne foi, comme La Fontaine : o Ai*jepassé le temps d'aimer ?» Et le mot si caractéristiquepour nous et si surprenant de Montesquieu : « A vingtsept ans, j'aimais encore 1»

Les quarante deux ans d'Arnolphe sonnent donc

(1)Chroniquedu23août1886,Quaranteansdethéâtre,t. II, p.68.Nousn'ignoronspascombienilestdemodededécrieraujourd'huitesjugementsdeSarcey,maisnousnoussouvenonsaussidel'opinionémisedevantnousparunhommede théâtre,M.Antoine: • Sarceyétait unhommequicon-naissaità fondle théAtre,et qui n'eut qu'un tort, a mesyeux,celuideméconnaîtreta nouvelleécole.Unjourqueje lui en faisaisdoucementlereproche: Quevoulez-vousmedil-d,j'écrisdansun journaldebourgeois,leTtmps.Quediraientmeslecteurssi je leurconseillaisd'allerauThéâtrelibre? Puiscecharmanthommeajoutai Moncherenfant,l'avenirest àvous.Laissez-moiseulementle temps*'demourir,— Pourla connaissanceduthéâtreancien,il n'avaitpassonpareil,>

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98 LES PREMIÈRESDE MOLIÈRE

comme le feraient cinquante cinq ans aujourd'hui. Ence temps-là les célibataires étaient rares à la villecommo à la Cour ; à trente ans, c'était l'usage, onétait père de famille. Arnolphe fait comprendre ques'il ne s'est pas marié plus tôt c'est que, railleur patnaturel, il a passé son temps à railler les maris trompes ;il s'est tant, et si souvent moqué des autres, qu'il ÏI

conçu une peur horrible des brocards.D'autre part, quel rapprochement peut-il y avoir

entre Mel,e Molière, âgée de plus de vingt ans, «demi-

vierge », élevéo dans un milieu de comédiens et de

comédiennes, habituée à entendre les fadeurs des

galants, d'une éducation très complète, au courantde toutes les intrigues des coulisses, avec cette « oieblanche » qu'est Agnès ?

Arnolphe a mis de son côté toutes les chances desuccès en imposant à sa crédule élève le respect qu'ins-pirent naturellement le maître, la reconnaissance qu'ondoit au bienfaiteur, la religion dont il se sert commed'une arme ; mais la frivole Armande aurait ri au nezdo son époux s'il eût voulu, en guise de déclaration

d'amour, lui faire sentir en termes graves sa supérioritéintellectuelle et morale. Et puis ces façons là sont siloin du caractère de Molière qui, loin de sermonnersa femme, se serait mis à genoux devant elle poursatisfaire à ses caprices I

Laissons donc là toutes les subtilités des commen-tateurs qui veulent, la plupart du temps, trouver dansune oeuvre ce que l'auteur n'a jamais songé à y mettre,et ne retenons que cette feçon que celui-ci nous enseigne— au lendemain du jour où il vient précisément detenter l'expérience contraire — à savoir qu'il y a uneloi de nature qui veut que les filles de seize ans aimentles jeunes gens de vingt-cinq.

Aux ergoteurs s'écrîant : « Quelle profondeur d'obser-vation philosophique l Quel analyste de. passions quece Molière I » contentons-nous donc de répondre avec

Page 112: Les Premières de Molière

L'ÉCOLEDES FEMMES 00

Sarcey déjà cité: «Non, ce n'est pas cela. — Mais quelhomme de théâtre que ce Molière ! Avec quelle fran-

chise, après avoir amené une situation, il la poussejusqu'au bout et en tire tout ce qu'elle enferme dedouleurs et de rire I » Quant à Bccque, il n'allait pasnon plus voir plus loin : « L'Ecole des femmes, disait-i),c'est la révolte instinctive de la jeunesse et de l'amourcontre une vieille bête qui a cru pouvoir, grâce à desmalices cousues do fil blanc, triompher de ces deuxforces » (1).

Recherchons à présent quelles furent les raisons

qui, en 1662, provoquèrent un tel tapage ? Elles noussont fort bien expliquées par un grand comédiendanois très renseigné sur tout ce qui touche Molière (2)

« Pour comprendre ce qui se passa alors, il faut so

rappeler que Molière fut le rénovateur do la comédieen Franco. Dans les cercles littéraires à la mode quiconsidéraient à ce moment la tragédie commo la seuleforme qui valût la peine que l'on composât pour le

théâtre, on regardait les oeuvres plaisantes commo un

genre beaucoup inférieur et plus aisé, et la plus grandepartie dos comédies que l'on représentait n'avaient,en effet, quo bien peu do voleur avec les personnagestaillés sur le même patron et les situations bouffonnes

qui formaient lo coeur de l'action ».C'était le cas de la comédie italienne, ou l'on voyait

invariablement défiler Arlequin, Brighella,Mr Pantalon,lo Docteur, Lelto, Isabelle et Colombine. Donc, à côtédo ces spectacles auxquels on pouvait assister quatrefois par semaine dans cette mémo salle du Palais*

Royal, voici Molière qui survient, apportant dans un

genre jusqu'alors sans portée, un fond de réalité saisis-sante. Au lieu de fantoches, il met en scène des person-nages vivant la vie contemporaine ; il leur fait parler

(1)Chroniquedéjàcitée.(2)Molièrepar KarlManlzius,trad, du danoispar MauricePellisson,

taris,ArmandColin,1908,

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100 LES PREMIÈRES DRMOLIÈRE

Une langue dont la vigueur, la hardiesse, le naturelsont quelque chose de tout à fait neuf.

Peut-êtro bien lo grand public ne comprit-il pasdu premier coup la valeur essentielle de cet te nouveauté.Mais il fut amusé et charmé, comme en témoigne cettelettre de Loret, à la suito de la sixième représentationqui eut lieu le samedi 6 janvier 1663, jour des Rois,au Louvro (1) :

Lo Roy fétoya l'autre jour,La plus fine fleur de sa CourSçavoir sa Mère et son Epouse,Et d'autres jusqu'à plus de douze,Dont co Monarque avoit fait choix.Ce fut la veille ou jour des Rois.Certes, ce festin admirable,N'eut jamais rien do comparable,Plusieurs sont d'accord sur ce point ;Et quoique*jo n'y fusse peint,J'en puis bien tenir ce langage,Car un solide personnage,

Suivit co rare souper-là,

'en a parlé commo cela,Mais sans me dire chose aucune ;Des noms de chacun et chacune,Qui furent du susdit repas,Ainsi je ne les nomme pas.Pour premier et charmant Régate,Avant cetto chôre Royale,

, Où rézonna maint violon,Dans une Sale, ou beau Saton,Pour divertir Seigneurs et Dames,On jofla YEcole des femmes,Qui fit rire Leurs MajestezJusqu'à s'en tenir les cotez,Pièce, aucunement, instructive,Et, tout à fait, récréative,Pièce dont Molièroest autheur,Et, mesme, principal acteur,

(1)Lettredu 13janvier,—Aremarquerque l'on «esouciaitpeuà hCourdesdeuilsdefamille.LapetiteMadame,néele18octobre16», avaitété enterréele30déc.,t«ptjoursavantcetteféte.Leservicefunèbren'auraHeuque le 17janvier.Et cependant,durantce mois,il y tut, outrélesreprésentationsthéâtrales,sixballetsauPolaiJ-Koyal.uabalchè*Monsieuret unchezle roi.

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L'ÉCOLEDESFEMMES 101

Pièce qu'en plusieurs lieux on fronde jMais ou, pourtant, va tout le monde.Que, jamais, Sujet importantPour lo voir n'en atira tant,Quant à moy, co que j'en puis diroC'est que, pour extrêmement rire,Faut voir, avec atention,Cette représentation,Qui peut, dans son genre comique,Charmer lo plus mélancolique,Surtout, par les simplicitez,Ouplaisantes naïvetezD'Agnès,d'Alain, et de Gcorgeltc,Maîtresse,Valetet Soubrette :Voilà dès le commencementQuel fut mon propresentiment,Sans être, pourtant, aversaircDe ceux, qui sont d'avis contraire,Soit gens d'esprit, soit innocens,Car chacun abonde en son sens.

Prudente réserve du chroniqueur qui ne veut pasperdre de lecteurs. Ceci n'est pas tout à (ait particulierau xvnc siècle.

Lo succès dépassa toute attente ; les recettes, dontla moyenne était tombée à 407 livres pour les 10 pre-mières représentations de Tonnaxare, pièce nouvellede Boycr (1), rebondissent à 1164 livres pour les dix

premières de PÉcolc des femmes, et l'auteur reçoitdeux parts (sur dix-sept) pour ses droits d'auteur, soitun peu plus de dix pour cent.

(1)OropasleouleFaut Tonnaxaredel'AbbéBoyor,17novembre1662,

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CHAPITRE IX

LA CRITIQUE DE L'ÉCOLE DES FEMMES

Comédieen proseen unacte.Théâtredu Palals-Hoyal: 1" Juin 1663.

Stances de Despréaux. — Molière pensionné. — Critiques etélogessans le vouloirdu jeune de Visé.— Le grand Corneilles'inquiète.— Questionsde boutiques.— Molièredevientsonpropre critique. —-Appréciations de Loret. —De Visé nedésarme pas. — Zélindc el la Critique de la Critique.—

Attaques de Boursault. —•Cinglante réponsede Molière.—Un exemplesuivi par tlegnard.

Voici donc YEcole des femmes au pinacle. Despréauxprend sa plume, et envoie les Stances suivantes à sonami (1).

En vain, mille jaloux esprits,Molière, osent avec mépris,Censurer un si bel ouvrage :Ta charmante naïvetéS'en va pour jamais d'âge en âge,

• Enjoucr la postérité.

Ta Musc avec utilitéDit plaisamment la vérité,Chacun profite à ton école,Tout en est beau, tout en est bon ;Et ta plus burlesque paroleEst souvent un docto sermon,

Que tu ris agréablement 1Que tu badines savamment ICeluiqui sut vaincre Numanco (Scipîon)Qui mit Carthage sous sa loi,Jadis sous le nom de Térence,Sut-il mieux badiner que toi ?

(t) CesStancessetrouventà la findecertaineséditionsdeMolière.

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LA CRITIQUEDE L'ÉCOLEDES FEMMES 103

Laisse gronder tes envieux,Ils ont beau crier en tous lieuxQuo c'est à tort qu'on te révère ;Que tu n'es rien moins que plaisant :Si tu savais un peu moins plaire,Tu ne leur déplairais pas tant.

I,c 17 mars, Molière reçoit 1000 livres de pension du,oi en qualité de bel esprit « excellent poète comique ».On sait qu'il répondit à cette libéralité par le « Remer-ciaient au Roy J»en vers libres (1),

Toutefois, à côté des compliments du bonhommeLoret et des vers de Despréaux, il y a les coups de

patte qui égratignent plus ou moins, à commencer

par ceux do de Visé (2). Parlant de cette comédie, le

chroniqueur jaloux à l'égard des grands écrivainsdo son siècle, n'hésite pas en effet à écrire :

« La dernière de ses comédies (do Molière) et celledont vous souhaitez le plus que je vous entretienne,parce quo c'est elle qui fait le plus de bruit, s'appelleYEcole des femmes. Cette pièce a cinq actes. Tousceux qui l'ont vue sont demeurés d'accord qu'elleest mal nommée, et que c'est plutôt l'Ecole desmaris que l'Ecole des femmes ; mais comme il y ena déjà une sous ce titre, il n'a pu lui donner le mémonom.

« Elles ont beaucoup de rapport ensemblo ; et dansla première, il garde une femme dont il veut faire son

épouse, qui, bien qu'il la croie ignorante, en sait plusqu'il ne croit, ainsi que l'Agnès de la dernière, qui joue,aussi bien que lui, le même personnage, et dans YEcoledes maris et dans YEcole des femmes / et toute la diffé-rence qu'on y trouve, c'est que l'Agnès de YEcole dés

femmes est tin peu plus sotte et plus ignorante quoYIsabelle de YEcole des maris.

(1)Publiéa h findesesoeuvres.Cemorceaufut éditépourla premièrefoî§enpetitln-4»parf.uyneset Quinct,1663.

(2)Troisièmepartie de ses NouvellesNouvelles.Cité par les FrèresParfait,Ilist.duTh.Français,t. IX,p. 172et tuiv.

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104 LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

« Lo sujet des doux pièces n'est point de son inven-

tion, ajoute le jaloux chroniqueur ; il est tiré en divers

endroits, à savoir de Boccace, des.contes d'Ouville,do la Précaution inutile do Scarron, et co qu'il y a de

plus beau dans la dernière, est tiré d'un livre intituléles Nuits facétieuses du Seigneur Slraparolle, dans uneHistoire duquel un rival vient tous les jours faire confi-dence à son ami, sans savoir qu'il est son rival, desfaveurs qu'il obtient de sa maîtresse, ce qui fait toutle sujet et la beauté de YEcole des Femmes ».

Quo nous voilà loin de ceux qui prétendent voir donscette pièce une autobiographie! Quant au côté philoso-phique de l'oeuvre, il semble avoir échappé totalementau critique qui n'envisage que l'action, laquelle, d'unavis unanime, est bien mince. En co qui concerne la

question du plagiat, qu'il nous soit perm'19 de dire

qu'aucune oeuvre ne pourrait résister à un examenaussi subtil. Le Barbier de Sêville n'est-il pas un chef-d'oeuvre ? Va-t-on accuser Beaumarchais do s'être

inspiré de Scarron et do Molièro ?

Cependant, après les critiques, de Visé ne peuts'empêcher de décerner des éloges — sans le vouloir ;cette pièce, ajoutc-t-il, a produit des effets tout nou-veaux ; tout le mondo l'a trouvée méchante, et tout lemonde y a couru « Les dames l'ont blâmée, et l'ontété voir ; clic a réussi sans avoir plu, et elle a plu à

plusieurs qui ne l'ont pas trouvée bonne. » Ce qui ne

l'empêche pas do reconnaître « qu'il s'y trouve deschoses si naturelles quo la nature même semble y avoir

travaillé, qu'elle contient des endroits incomparables,qu'il ne trouve pas d'expressions assez vives et assezfortes pour les faire bien entendre ».— Quant à l'inter-

prétation : « Jamais comédie no fut si bien repré-sentée avec tant d'art : chaque acteur sait combienil doit y foire de pas et toutes ses oeillades sont

comptées ».Franchement Molière eut souhaité avoir beaucoup

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LA CRITIQUEDE L'ÉCOLEDES FEMMES 105

de détracteurs aussi enthousiastes l Mais ce n'était pasde la critique écrite dont il se méfiait, mais de la calom-nie verbale. Celle-là, il en connaissait l'origine : les

propagandistes adverses n'étaient autres quo les bons

petits camarades do l'Hôtel do Bourgogne, quoique...en matière théâtrale, décrier uno pièce n'est-ce pasbien souvent engager lo public à l'aller voir ? En atten-

dant, les recettes du Palais-Royal en hausse — et com-ment ! — n'était-ce pas fatalement celles de l'Hôtelen baisse ? Voilà ce qu'on ne pardonne pas entre con-frères.

Serait-il donc vrai quo le grand Corneille se soit aussi

inquiété de co succès ? Peut-être bien, s'il faut en croirel'abbé d'Aubignac (1) qui lui impute celte jalousie,affirmation qu'il no faut cependant aceueillir quo souslesplus expresses réscrves,cet abbé ayant été un ennemiacharné de l'auteur du Cid.

Corneille avait eu la faiblesse de s'être attribue la

particule nobiliaire de. L'irascible abbé prend aussitôtsa plume : « De quoi vous êtes-vous avisé sur vos vieux

jours d'accroître votre nom et do vous faire nommerMonsieur de Corneille ? L'auteur de YEcole des femmes,je vous deinandc pardon si je parle de cette comédio

qui vous fait désespérer et que vous avez essayé dedétruire par votre cabale dès la première représentation,l'auteur, dis-je, de cette pièco fait conter à un de sesacteurs qu'un de ses voisins, ayant fait clore d'un fosséun arpent de pré, se fit appeler Mr de l'Islc, que l'ondit être le nom de votre petit frère » (2).

(1)Quatrièmedissertationconcernantte Poèmedramatique.Citépar lesFrhcsParfait,tlisl. duTh.Français,t. IX,p. 178-179.

(2)Voicilesver*auxquelsilest faitallusion{EcoledesFemmes):Actei,Quelabusde quitterlevrainomdesespères. (Se.t.Pouren vouloirprendreun bâti sur deschimères?Dela plupartdesgensc'estla démengeaison;Etsansvousembrasserdanslacomparaison,Je'sai»un paysanqui s'appelaitGros-Pierre,Quin'ayantpourtoutbienqu'unseulquartierde terre,Y fit tout alentourfaireun fossébourbeux,Et deMonsieurdeL'Isleen prit lenompompeux.

Page 119: Les Premières de Molière

106 LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

Il est certain que chez Molièro l'allusion est voulue,si l'on se rappello que Thomas Corneille avait pris cenom de De l'Isle pour se distinguer de son frère aîné,et ne signait plus ses pièces quede co dernier nom.

Il serait plus juste, à notre avis, de ne voir dans celtemauvaise humeur de Pierre Corneille qu'une questionde boutique. Les frères Corneille n'avaient nullementrenoncé au théâtre en 1663. Monsieur Corneille del'Isle avait fait représenter à l'Hôtel Pirrus, roi d'Epire,en 1661, Maximian puis Persêe et Démétrius en févrieret décembre 1662. Pierre Corneille avait donné auMarais Serlorius le 25 février 1662 et à l'Hôtel Sopho-nishe le 18 janvier 1663. Les deux frères tenaient doncabsolument les deux scènes de Paris, l'Hôtel de Bour-

gogne et le théâtre du Marais. Il était désagréable poureux de voir le public prendre le chemin du Palais-

Royal.Cependant Molière est loin de s'irriter du bruit que

l'on fait autour de sa pièce nouvelle. Il s'en expliquefort bien dans sa Préface : « Bien des gens ont frondéd'abord cette comédie, écrit-il j mais les rieurs .ont été

pour elle, et tout le mal qu'on en a pu dire n'a pu faire

qu'elle n'ait eu un succès dont je me contente ».Il ne faut pas oublier que Molière n'est pas seulement

auteur et acteur ; il est directeur, et sous ce rapport,il ne peut se désintéresser de la recette. Celle-ci avait

surpassé ses prévisions. Une raison de plus pour se

moquer des envieux.« Je sais, ajoute-t-il, qu'on attend de moi, dans cette

impression, quelque préface qui réponde aux censeurs,et rende raison do mon ouvrage... Mais il se trouve

qu'une grande partie des choses que j'aurais à dire surce sujet est déjà dans une dissertation que j'ai faiteen dialogue et dont je ne sais encore ce que je ferai.L'idéo de ce dialogue me vint après les deux ou trois

premières représentations do ma pièce. Je la dis, cette

idée, dans une maison où je me trouvai un soir, et

Page 120: Les Premières de Molière

LA CRITIQUEDE VÊCOLEDES FEMMES 107

d'abord une personne de qualité, dont l'esprit est assezconnu dans le monde, ot qui me fait l'honneur de

m'aimer, trouva le projet à son gré ».

Puis l'auteur nous explique que la personne de qua-lité en question fit en deux jours un canevas qu'il lui

montra. Mais il y trouva trop d'éloges à son adresso « et

j'eus peur, avoue-t-il, que, si je produisais cet ouvragesur notre théâtre, on ne m'accusât d'abord d'avoirmendié les louanges qu'on m'y donnait. Cependantcela m'empêcha, par quelque considération, d'acheverce que j'avais commencé ».

Telle serait la cause du temps relativement long —

cinq mois —qui s'écoula entre la premièrere présen-

tation do YEcole des femmes et l'apparition de la Critiquequi ne fut donnée que le 1er juin. Dès lors, chaque repré-sentation de YEcole des femmes sera accompagnéed'une autre de la Critique.

Dès le lendemain, 2 juin, Loret écrivait dans saGazette rimée :

Les Comédiens de Monsieur,Pour (fui, dans mon intérieurJ'ay de l'amour et de l'estime,(Et, surtout, pour uno Anonime)Ont aussi mis sur le BureauQuelque chose de fort nouveau,Sçavoir une pièce Comique,Qui s'intitule la Critique :Sans doute que très-bien de gens,De la voir seront diligens,Etant, dit-on, fort singulière,Et venant du rare Molière,C'est-à-dire, de bonne main ;Je la verray (je croy) demain.

De Visé, dont la basse jalousie contre Molière nedésarmait pas, s'empressa d'insinuer que la piècen'était pas de lui (1). Après avoir dit que l'auteur a

(!) NouvtUtsNouvetle*,t.XH, p, 23cW, cité par le*frères Parfait,y

Page 121: Les Premières de Molière

108 LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

passé en revue toutes les fautes quo l'on relève dans sa

pièce pour les excuser en même temps : « Elle n'est

pas de lui, fait-il dire à un personnage ;. elle est del'abbé Du Buisson qui est un des plus galants hommesde ce siècle.—J'avoue,repartit un autre, que cet illustreabbé en a fait uno, et que, l'ayant porté à l'auteur,dont nous parlons, il trouva des raisons pour ne pas la

jouer, encore qu'il avoua qu'elle fut bonne ; cependant,comme son esprit consiste principalement à so savoirbien servir do î'occasion et quo cette idée lui a plu, il afait une pièce sur le mémo sujet, croyant qu'il était seul

capable de lui donner des louanges ».

Cette dernière phrase est tout à fait perfide. Nousavons vu plus haut comment Molièro raconte la genèsedo la Critique dans sa Préface de YEcole des femmes.Nous no ferons pas à de Visé l'honneur de le réfuter parle menu. Mais ce quo Visé no dit pas, c'est que Molière

qui savait si bien « so servir do l'occasion », commeil dit, profita de cette occasion pour copier le langage etle caractère des convcrsàrions ordinaires des personnesdu monde, et qu'il nous a peint sur le vif un salon

parisien en 1663. Pour le reste, comment peut-on envouloir à un auteur si vivement attaqué do se défendre,— et avec quel esprit !

Dans cette Critique, Molière se garde bien de paraîtreen personne. Il confie sa cause à ses meilleurs lieute-nants : Lagrange, (le marquis), Brécourt (le Chevalier),du Croisy (le poète). Les femmes sont Melle do Brie,Meîle Molière, Melle du Parc.

Décidément cette Critique empêchait de Visé dedormir, Jean Donneau, sieur de Visé, destiné d'abordà l'état ecclésiastique, fort ambitieux, auteur à 18 ans,était alors un jeune homme de 23 ans. Et celui à quiMolière, en pleine maturité, aurait pu conseiller d'allerencore à l'école, avec le bel aplomb que donne l'incons-

cience, conçut alors Zélinde ou la Véritable critique

Page 122: Les Premières de Molière

LA CRITIQUEDE L'ÉCOLEDES FEMMES 109

de l'Ecole des femmes et la Critique de la Critique,comédie en un acte, en prose (1).

Du salon où se trouvent groupés les personnagesde la Critique de Molière, nous voici, avec de Visé,descendus dans la chambre d'un marchand de dentelles

de la rue St-Denis, tout cela pour nous démontrer

que YEcole des femmes n'est qu'qno méchante pièce,qu'elle ne doit sa réussite qu'au jeu des interprètes,qu'aux « grimaces » d'un acteur, et qu'en écrivantsa Critique l'auteur n'a fait que devancer l'intentiondes autres, agissant comme un père qui a trop d'indul-

gence pour ses enfants.En attendant, Molière est demandé partout avec

son double spectacle de YEcole et de la Critique. Ail

théâtre, les recettes tombées en mai à des chiffres déri-soires—le 29 avec le Menteur on avoit fait 100 livres,soit 3 livres par part

—atteignent 1600 et 1700 livres (2)

La troupe est demandée avec le même programmo a

Conflans, chez lo duc de Richelieu, et le roi daignevenir en personne au théâtre le lundi 9 juillet. Il rede-mandera le même spectacle lo 12 septembre à Vin-

cennes, et le 29, la troupe s'en va par ordre de Mf. le

Prince à Chantilly pour une semaine (3).Loret avait mentionné en ces termes le voyage de

Conflans dans sa lettre du surlendemain 7 juillet :

Jeudy, si ma mémoire est bonne,(Co m'a dit certaine personne)Pans Conflans, noble et charmant Heu,La Duchessede Richelieu,

(t) LesFrèresParfait,dansleur Itist. du Th.français,t. IX, p. 215,laissententendrequecettepiècenefutjamaisreprésentée.Ellefut cepen-dant impriméeen 1663.

[ï) Lespremièresreprésentationsde la CritiqueprécédéedeYEcoledesFemmesavaientdonnédesrecettesde1357,1130,1355,1426,1600,1357,1731,1265livres,chiffresfortélevésen comparaisondesrecettesjourna-lières.

(3)Latroupejouadu29septembreau 5 octobreVEcoledesfemmes,laCritique,D. GareU,VEcoledésmaris,FEtourdiet le Dépit,reçut 1800livre*.

Page 123: Les Premières de Molière

110 LES PREMIÈRES DE MOLlÈ>i'i

Fort sago et fort habile Femme,Régala la Reine et Madame,En grande jubilation,D'une exquize Cotation,Qui, pour le fruit et la viande,Fut, tout h fait, rare et friande :De plus, après, ou bien devant,(Car jo n'en suis pas trop sçavant)La Critique du Sieur MolièrePièco Comique et singulière,Fut un autro mets précieuxPour les oreilles et les yeu$.Etant presquo pour faire rireAutant qu'autre qu'on puisse écrire.

Parmi les nombreux ennemis de Molière, il fallaitencore compter Boursault. Celui-ci était alors un jeunehomme do 25 ans. Arrivé à Paris à l'âge de 13 ans, ne

parlant encore quo le patois bourguignon, sans aucune

instruction, Boursault avait eu lo mérite do se formerlui-mêmo. La lecture do bons livres, des dispositionsheureuses, l'avaient mis bientôt en état de parler otd'écrire élégamment. Mais ayant commencé à donnerdes comédies à l'âge où l'on sait à peine les règlosdu théâtre, il no pouvait pardonner le succès à unauteur qui, comme Molière, étudiait depuis vingt anssans relâche, et avec son génie, toutes les ressourcesdo son art.

Boursault, à tort ou à raison, avait cru se reconnaîtredans le poète Lysidas de la Critique. Il prit aussitôtsa jeune plume pour écrire lo Portrait du peintre ou la

Critique de la Critique de YEcole des femmes, un actoen vers qu'il alla porter aux comédiens de l'Hôtel quil'accueillirent avec transport.

Quelques passages de cette satire oubliée sont, à la

vérité, amusants :LISIOOR.

...Ensuite est-il rien qui ne plaiseDans ce que dit Arnolphe, et la fille niaise ?Rien de plus innocent se peut-il faire voir ?Il arrive 6Je*champs, et désjro savoir

Page 124: Les Premières de Molière

LA CRITIQUEDE VÉCOLBDES FBMMES lit

Si durant son absence elle s'est bien portée ;Hors les puces là nuit qui m'ont inquiétée.Répond Agnès. Voyez quelle adresse a l'auteur,Comme il sait finement réveiller l'auditeur,Do peur que lo sommeil ne se rendit lo maître.Jamais plus à propos vit-on puces paraître ?D'aucun trait plus galant se peut-on souvenir ?Et ne dormait-on pas s'il n'en eut fait venir...

Et plus loin :

DORANTE,Marquis ridicule.

Je soutiens, sans l'aimer, quoiquo l'envio oppose,Quo sa pièce tragique est une belle ehose.

La compagnio se récrie sur co titro de tragédie queDorante donne à YEcole des femmes.

DOtlANTE.

Mais je sais le Théâtre, et j'tn lis la pratiquo ;Quand la scène est sanglante, uno pièce est tragique.Dans celle quo jo dis le petit chat est mort.

DAMIS.

Quoi I Le trépas d'un chat ensanglanta la scène ?

AMARANTE.

Dans une tragédie, un Princo meurt, un Roi.

DORANTE.

Nous sommestous morfelset chacun est pour soi.Et jo tiens qu'une pièce est également bonno.Quand un matou trépasso ou quclquo autre personne.

On connaît Ja répliquo cinglante do Molièro dansYImpromptu de Versailles dont nous allons parler plusloin. C'est en présence du roi qu'il prendra sa revanche,sans s'attarder dans les sous-entendus.

Pendant la feinte répétition du commencement d'une

pièce, où Molière fait paraître différents personnagesqui critiquent ses ouvrages, MeI,e de Brie, comédienno

qui répète le rôle d'une sage coquette, dit :« Vous voulez bien, Mesdames, quo nous vous don-

Page 125: Les Premières de Molière

118 LES PREMIÈRESD9 MOUÈBB

nions en passant la plus agréable nouvelle du mondo.Voilà M. Lysidas qui vient de nous avertir qu'on a faituno pièce contro Molière, que les grands comédiensvont jouer,

MOLIÈRK,Marquis ridicule.

« Il est vrai, on me l'a YOUIUlire, et c'est un nomméBt... Brou... Brossaut qui l'a faite.

Du CUOISY,Poète,

« Monsieur, elle est affichée sous lo nom do Boursaultmais, à vous dire lo secret, bien des gens ont mis lamain à cet ouvrago, et l'on en doit concevoir une assezhauto attcnto. Comme tous les auteurs et tous les comé-diens regardent Molière comme leur plus grand ennemi,nous nous sommes tous unis pour le desservir, chacunde nous a donné un coup de pinceau à son portrait,mais nous nous sommes bien gardés d'y mettre nosnoms... et pour rendre sa défaite plus ignominieuse,nous avons voulu choisir tout exprès un auteur sans

réputation ».Et plus loin dans la bouche de Molière :« Le plus grand mal quo je leur aie fait, c'est que

j'ai eu lo bonheur do plaire un peu plus qu'ils ne l'au-raient voulu, ot tout leur procédé depuis quo noussommes venus à Paris a trop marqué co qui les touche;mais laissons les faire tant qu'ils voudront Î toutes leurs

entreprises ne doivent pas m'inquiéter. Ils critiquentmes pièces, tant mieux, et Dieu me garde d'en faire

jamais qui leur plaise, ce serait uno mauvaiso affaire

pour moi ».

Quant à Boursault, cet « honneste monsieur qui semêle d'écrire pour les comédiens » de l'Hôtel, il a son

compte dans une des tirades suivantes.De ce passage, nous détacherons pourtant cette

superbe leçon où le Maître trace les devoirs et leslimites de la critique : « J'en ferai ma déclaration publi-

Page 126: Les Premières de Molière

LA CRITIQUEDE VECOLEDES FEMMBS m

quement ; je ne prétends faire aucune réponse à toutesleurs Critiques et leurs Contre-Critiques ; qu'ils disenttous les maux du monde de mes Pièces, j'en suisd'accord ; je leur abandonne de bon coeur tous mes

ouvrages, ma figure, mes paroles, mon ton de voix, etma façon de réciter, pour en faire et dire tout co qui leur

plaira, s'ils en peuvent tirer quelque avantage. Maisen leur abandonnant tout cela, ils me doivent faire la

grâce de me laisser le reste, et de ne point toucher à desmatières de la nature de celles sur lesquelles on m'a dit

qu'ils m'attaquaient dans leur Comédie ».

Molière, avec sa propre Critique, avait créé un genre.Regnard, le meilleur de ses imitateurs ,ne pouvait se

dispenser de suivre l'exemple. Aussi écrivit-il la Critiquede l'Homme à bonnes fortunes (1690) et la Critique du

Légataire (1708).

Page 127: Les Premières de Molière

CHAPITRE X

L'IMPROMPTU DE VERSAILLES

Comédieen proseen un acte,A Versailles,pour le roi t 14 Octobre1663.

Théâtre tlu Palais-Royal! 4 Novembre.

La Troupe demandéeà Versailles.—- Qrennirereprésentationde

/'Impromptu. — Imitations des comédiensde l'Hôtel. —Molièrea^ait-il le droit dedonnerdes conseilsaux autres ? —

Son talent d'acteur. — Seines intimes. — L'Impromptu en

public. — Reprisede celtepièceaux XIX* et XX9siècle*.—

Répliquede la troupe rivale. — L'Impromptu do l'Hôtel deCondô et la Vcngeancodes marquis.

h'Impromptu de Versailles no tient pas uno grandeplace dans l'oeuvre do Molière, et combien peu l'ontlu ! Mais il n'en demeure pas moins pour nous, qui cher-chons à reconstituer pièce par pièce la vie théâtralede Molière, un monument des plus précieux, car c'estle seul de tous ses ouvrages qui nous permette de péné-trer dans les coulisses et do coudoyer ses comédiens.Nous allons vivre quelques instants de la vie de la

troupo.Voyons d'abord dans quelles circonstances fut donné

YImpromptu.o Le jeudi 11° octobre, écrit Lagrange, la Troupe est

partie par ordre du roi pour Versailles. On a joué lePrince jaloux ou D. Garde, Sertorius, YEcole des maris,les Fâcheux, YImpromptu dit, à cause de la nouveautéet du lieu, de Versailles, lo Dépit amoureux et encoreuno fois le Prince jaloux. Pour lo tout reçu 3300 livresde Mr Bontemps, 1er valet do chambre sur la cassette.

Partagé 231 livres. Le retour a été le mardi 23e octobre.»

Page 128: Les Premières de Molière

L'IMPROMPTUDE YERSMUES U5

Et c'est tout. Reste à examiner dans quel but Molièreécrivit VImpromptu.

L'Impromptu est la riposte aux attaques, aux ou-

trages, dont Molière était l'objet de la part de quelquesauteurs et de tous les comédiens de l'Hôtel de Bour-

gogne. (1) Sa vengeance consistait dono à mettre cesderniers en scène, à contrefairo leur jeu, et selon

l'expression d'uno des illustrations de la Comédiefrançaise au xixe siècle, du profosseur P. Régnier,de démontrer en maître comédien ce quo leur talentavait do faux, do ridicule et d'outré (2). Nous ne

pouvons, du reste, mieux faire quo do tenir

compte des observations émises par P. Rognior surco sujet (3).

Molière avait, paraît-il, un don de mimique etd'imitation très particulier ; dans YImpromptu, unodo ses actrices en fait la remarque ; il excollait à con-trefaire. Il pouvait donc ainsi se permettre sur la scènela caricature de ses ennemis, et leur donner, en lesfaisant reconnaître, une leçon quo le riro du publicrendait plus cruello encore.

Cctto leçon, se demande Régnier, Molière avait-ilautorité pour la donner ? Il n'en faut pas douter.

(1)Nousavonsmisen reliefau chapitreprécédentl'acharnementdescomédiensde l'HôtelcontreMolière.Maisil y eut ver*le mêmetemps,avantetaprès{Impromptu,biend'autressatireset chansonsquicoururentlesruelles.Chacunprenaitpartiedansl'unoul'autrecamp.NousciteronsaprèsG.Monval: leRefrinde ta Contre-Critiqueà M.Boursault.— LeRrfrinsurlesimpromptuà M.de Montfleuryle jeune.

—LeRefrinsurtEteotede*jalouxau même.—Refrinsur le»différend*de*Troupe*deniotttt etduPatai*par I. C.(LeCamus),in-4°de4p. (Réimprimés&lasuitedel'ImpromptudeCIIo$UldeCondi.)

(2)RégnierdelaBrière,François,Joseph,Philoclès(1807-1885).Th.deMontparnasse,de Metz,de Nantes,du Palais-royal,Comédiefrançaise,1831,sociétaire1835,retraité1871,professeurau Conservatoire,régisseurgénéralde la Comédie,directeurde la scènedol'Opéra,chevalierde laLégiond'Honneur,undespluséminentscomédiensdu xix*siècle,et desplusérudits.C'està luiquerevientl'honneurd'avoirretrouvéleRegistredeLagrangeauquelnousfaisonsde si fréquentsemprunts.Régnierfutle professeurdeCoquelinaîné,de M"*Reichenberg,deM"*Réjane,etc.

(3)DeuxièmeCentenairedela FondationdelaComédiefrançaise.NoticeparP.Régnier,Paris,LibrairiedesBibliophiles,1880.

Page 129: Les Premières de Molière

116 ISS PREUIÈRBSDR HQIIBRB

Molière, tout le prouve, a été un excellent comédien ;et si la curiosité, aujourd'hui éveillée sur tout ce qui le

touche, s'irrite du petit nombro do renseignements queTon obtient sur lui malgré la persistance des recherches,on en possède assez cependant pour être certain quo lo

comédien,enlui,fut de premier ordre ;e'est la renomméedu poète qui a rendu insignifiante celle de l'acteur.

Ici, nous citerons mot a mot lo passago do cette inté-ressante dissertation fort peu connue (1) :

<cEt cependant quelle passion l'a d'abord entraînévers le theâtro ? Celle d écrire des pièces ou de les

jouor ? La dernière évidemment. Lagrange l'affirmeen assurant qu'il « excellait » dans l'art du comédien«par des talents extraordinaires », et il est certain qu'ildoit le commencement de sa réputation et les premiersencouragements do Louis XIV moins & son génie de

poèto qu'à son talont d'acteur.« Ses pièces, disaient ses ennemis, n'ont do succès

que parce que c'est lui qui les joue ; après sa mort,on verra co qu'elles valent.

« Il est mauvais poète et bon comédien, dit la Cri'

tique de Tartuffe.ceEt, ajoute un autre, ce qui fait rire dans sa bouche

fait souvent pitié sur le papier.« Que dit aussi le Mercure, presque, au lendemain

de sa mort ?« Il était tout comédien depuis les pieds jusqu'à la

tête : il sembloit qu'il eut plusieurs voix ; tout parloiten lui, et, d'un pas, d'un sourire, d'un clin d'ceil etd'un remuement de tête, il faisoit plus concevoir dechoses que le plus grand parleur n'auroit pu dire enuno heure.

« Citons encore un historien dauphinois, un contem-

porain de Molière, Nicolas Chorier, qui, dans un livreen latin, a écrit cette phrase : « Molière, qui a écrit

(1)L'ouvragedéjàcitén'a ététiréqu'àquelquesexemplairesnumérotéspour amateurs.

Page 130: Les Premières de Molière

VMPROMPTUDE VERSAILLES 117

les plus ingénieuses comédies, fut le maître de tous les

acteurs et le Roscius do notre âgo ».

o Jo pourrais encoro rappeler ce cjue Chappuzeau,ce que La Serre, co quo Marcel ont dit de l'excellence

de ses talents comme acteur : « C'est par la vérité des

sentiments, assure l'un d'eux, par l'intelligence des

expressions et par toutes les finesses de l'art, qu'ilséduisait les spectateurs, au point qu'ils ne distin-

guaient plus lo personnage représenté d'avec le comé-

dien ; aussi so chargeait-il toujours des rôles les pluslongs et les plus difficiles ».

« Ainsi donc, à part quelques rivaux qui ont essayéde combattre le sentiment général, amis et ennemis

ont été do l'opinion du P. Bouhours, qui appelleMolière un oincomparablo aeteur»,et do Mmedo Sévignô

qui, faisant l'éloge do l'un des talentVdo son fils, dit ;'<Mon fils nous lit des comédies comme Molièro les

joue ».On nous objectera la légendo de Molièro détestable

tragédien. Régnier estime que ce reproche mérite d'être

discuté, et les raisons qu'il nous donne sont intéres-

santes a retenir.« Mais n'est-il pas possible aussi, et j'incline à le

croire, quo Molièro, commo tragédien, fût en dehorset au-dessus des idées de son temps », qu'il ne sut pas« ou ne voulut pas » faire ronfler le vers et s'arrêterau bel endroit ? « L'auteur-poète qui forma le talent

dramatique de Baron devait sentir la tragédie d'unetoute autre manièro que les Montfleury et les Beau-château ; tout autre devait être son accent. Et quipourrait dire que ses idées fussent fausses en pareillematière, quand nous le voyons se rencontrer avec

Shakespeare sur cette question d'interprétation dra-

matique ? Les deux poètes, tous deux comédiens,étaient du même avis » (1).

(1)flamttt.Recommandationsauxcomédien.*.

Page 131: Les Premières de Molière

118 LES PREMIERES DE MOLIERE

Le Versailles, où le roi appelait la Troupe de Monsieur,n'était pas précisément celui que nous connaissons.La Cour de Louis XIV eut d'abord comme résidencesles plus vastos des anciens châteaux royaux : lo Louvre,St-Germain, Fontainebleau. Dans lo bourg presqueinconnu do Versailles, il n'y avait, en 1603, qu'un petit,mais gracieux château, construit par Louis XIII. Cene fut que l'année suivante, en 1664, que Louis XIVconfia l'exécution do son nouveau palais aux artistes

qui s'étaient fait connaître par la construction ducélèbro château do Vaux élevé par Fouquet, Nousavons cité déjà leurs noms : l'architecte Lo Vau,le jardinier Lo Nôtre, lo peintre Le Brun.

Molière no connut donc jamais Versailles dans toutesa splendeur. Les travaux n'en furent activement

poussés qu'un an après sa mort, et devaient se pour-suivre pendant plus de trente ans (1).

On connaît le sujet do YImpromptu. L'action est à

Versailles, dans la salle de la Comédie Molièro so metlui-même en scène, et appelle ses comédiens pour répé-ter la pièce que l'on doit jouer devant le roi. Ceux-cidéclarent qu'ils ne savent pas leurs rôles, d'où le cride leur chef :

— Ah I les étrangos animaux à conduire que des

comédiens INous voilà donc mêlés, sans lo vouloir, à leurs petites

« affaires do cuisine ». Les comédiens si rcbiiïent,maisla volonté du roi est formelle. Les monarques veulentdes plaisirs qui ne se fassent pas attendre. Nous assis-tons même à une scène do ménage.

MUeMOLIÈRE.

.Voulez-vousque jo vous dise ? Vous devez faire une comédieoù vous aurez joué tout seul.'(I) En1682,28.000hommessurleschantier!et 6.000chevaux.En1685,

36.000hommes.En 1684,la Galeriedesglace*.—En1686,lesSalonsdela Paixet de la Guerre.—En 1689,lesailesdu raidiet dunord.De1699à 1709,constructiondela Chapelle.

Page 132: Les Premières de Molière

VIMPROMPTUDE VERSAILLES 119

MouÈne.

Taisez-vous,ma femme, vous êtes une bête.

• MK*MOLIÈRE.

Grand merci, Monsieurmon mari. Voilà ce que c'est : lomariagechange bien des gens, et vous no m'auriez pas ditcela il y a dix huit mois.

MOLIÈRE.

Taisez-vous, jo vous prie.

MUeMOLIÈRE.

C'est unechoseétrange qu'unopetite cérémoniesoit capablede nous ôter toutes nos belles qualités.

Mademoiselle Béjart, qui figure aussi sous son nom,comme du reste tous les autres comédiens de la troupe,fait observer que les sujets à traiter ne manquent pas.Et puisque les comédiens do la troupe rivale ont entre-

pris do peindre Molière en personne, pourquoi donclaisserait-il échapper l'occasion de les peindre aussiavec cette distinction, toutefois, que contrefaireun comédien dans un rôle comique, ce n'est jamaisque peindre d'après lui les personnages qu'il représente,tandis que contrefaire un comédien dans des rôles

sérieux, c'est le peindre par ses défauts. Ainsi se trouve

justifiée la scèno des imitations.Voici d'abord la caricature de Montfleury « un roi

gros et gras comme quatre». Au diable un jeune hommebien fait I II faut un roi «qui soit entripaillé comme il

faut, un roi d'une vaste circonférence, et qui puisseremplir un trône de la belle manière ».

Puis suivent les inv. tions de Me,,e Beauchasteau,dont Molière se plait à . ire admirer lo visage riant

qu'elle conserve dans les plus grandes afflictions ;de Beauchasteau, dans les Stances du Cid, de Haute-roche dans Sertorius, de Villiers... Tous défilent et

provoquent les rires do l'auditoire.

Page 133: Les Premières de Molière

ISO LUSPREMIÈRES DE MOLIÈRE

Ceci fait, Molièro passo en revue tout son personnelartistique, ne craignant pas do dire à chacun ses vérités.Il donno à Melle du Parc un brevet « d'oxcellente comé-dienne »; il choisit du Croisv, au ton sentencieux, à la

prononciation notto, pour jouer un rôle do poète; ilrecommando à Brécourt do prendro un air posé et de

gesticuler lo moins possiblo; il consacra enfin publi-quement Lagrango par ces simples mots :

— Pour vous, je n'ai rien à vous dire.Mais il nous intéresse surtout on s'adressant à la

partie féminino do sa troupe. Dans ces appréciations,MeII° Béjart nous apparaît quelque pou prude, « unodo ces femmos, qui pourvu qu'elles ne fassent pointl'amour, croient que tout le resto leur est permis ».M0"0 do Brio, l'ingénuo idéale, serait-elle à la villouno do celles « qui pensent être les plus vertueusos

porsonnes du monde, pourvu qu'elles sauvent les

apparences, do ces fommcs qui croient quo le péchén'est quo dans lo scandale ? » Mel,° du Croisy « quidonno toujours le petit coup do languo en passant rno semble pas trop aimer diro du bien de son prochain,et Mel,e Hervé apparaît comme lo typo rêvé de lasoubrette do la précieuso.

h*Impromptu fut donc joué à Versailles pour le roi,le dimanche 14 octobre 1663, et au Théâtro du Palais-

Royal, trois semaines plus tard, lo dimanche 4 nov.avec uno recette do 1090 livres. Puis, indépendammentdos représentations en public, la Troupe alla le joueren « visite » chez le Maréchal de Grammont, à l'Hôteldo Condé pour lo Mariage de S. A. S. Mgr. lo Duc, chezM' Le Tcllier.

On a pu se demander pourquoi YImpromptu deVersailles avait disparu de l'affiche pendant 160 ans.

D'abord, YImpromptu est une actualité, une scènede revue, comme nous dirions aujourd'hui. Ensuite,après la mort do Molière, une lettre. de cachet deLouis XIV avait ordonné aux deux troupes rivales de

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L'IMPROMPTUDE VERSAILLES 131

so réunir (1). Les intérêts des uns ©t des autres deve»liaient communs désormais. Comment les anciens colla-borateurs de Molière auraient-ils pu so moquer de leursanciens collègues devenus leurs associés ?

Co no futquo

dans les premières années du règnedo Louis-Philippe, quand lo public commença à

reprendre du goût pour lo vieux répertoire, que lescomédiens d'alors qui venaient de jouer la Critiquede VRcole des femmes, furent amenés par le grandsuccès qu'ils y avaient obtenu, à tenter la reprisodo YImpromptu (2),

Co fut le 12 mai 1838 qu'eut lieu cette repriso, àl'occasion de la souscription pour le monument deMolièro (3). Lo rôlo do Molière fut tonu par Samson (4),Toutefois, malgré le talent qui lui était habituel, etdont il donna dans ce rôlo une nouvelle preuve, il seheurta à uno difficulté insurmontable : l'impossibilitéd'imiter dos acteurs qu'il n'avait pas pu voir, sous

prétexto do ridiculiser les travers que Molière leur

reprochait.

Après uno seconde représentation, la pièce fut encoreune fois abandonnée... jusqu'au 20 octobre 1880,époque à laquelle eut liou uno série do spectaclesa l'occasion du 2° Centenaire de la Comédie fran-

çaise. Cette fois, lo rôle do Molière échut à Coquclin

(1)Cefut le 25août1680quefut ordonnéela réuniondesacteursdeniôtel deBourgogneavecl'anciennetroupedeMolièredéjàrenforcéedecelledu Marais,et établieaprèslamortdesonchefdansla ru»Mazarioe.Cettedatede1680estdonccelledela fondationréelledelaComédiefran-çaise.

(2)P.Régnier.Noticedéjàcitée.(3)Autrementdit, la fontaineMolière.Larecettede ladite représen-

tationatteignît17.300frs.(havgitr,Dela Comédiefrançais*depuis1830,Paris.Tresse1844.)

(4)Samson,Joseph,Isidore(1753-1871),Rouen,Odéon,Comédiefran-çaise,Palais-royal,Comédiefrançaise,Rentrée183?,Sociétaire,Profes-seurau Conservatoire,Doyen1842.Retraité1863,Chevalierde la Légiond'Honneur1864.Undesplusgrandscomédiensdu six*siècle,Professeurde Rachel.

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m LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

aîné (1J. Mais YImpromptu, pour les raisons ci-dessus,nesera jamais qu'une curiosité à l'usage des moliéristes.

De même que la Critique avait donné naissancedans le camp ndverso à d'autres Critiques* YImpromptune devait pas rester isolé. Les railleries piquantesde Molièro sur le jeu do ces Mossicurs do l'Iiôtol deman-daient uno réplique Ceux-ci firent écrire aussitôt

par Montfleury fils YImpromptu de VHôtel de Condê,un acte en vers. Encoro un jeuno homme de 23 anschoisi par les comédiens pour répondre à leur adver-saire. Après avoir manqué d'initiative en la circons-

tance, ils n'avaient pas la main très heureuse commeauteurs. Non pas quo ces jeunes gens fussent dé-

pourvus d'esprit, mais l'autorité leur faisait défaut

pour s'attaquer a si forto partie (2),Dans YImpromptu de VIlôtel de Condê représenté sur

10 Théâtre do l'Hôtel do Bourgogne, la scène so passeau Palais dans la sallo marchande (3). Le Marquis, la

Marquise, Alcidon, Alis marchando do livres,Beauchâ-tcau ot de Villiers, comédiens (4), sont les acteurs

(1)L'Impromptu,pendantcette série,fut joué avecune merveilleutedistributionles20,21,22,25et 27octobre1380.Depuiscetteépoque,nousrelevonsla repriseà l'Odéon,1erdécembre1892,une représentation,etuneautreà l'Odéon,également,le 20janvier1908,2 représentations.

(2)AntoineJacobdeMontfleury,néà Parisen1640,mortà Aixen1685,était fil*del'acteurMontfleur}'.Avocat,il fut choisiparColbertpourallerrégleren Provenceuneaffaireimportanteet délicate.Onnepeutluirefuserdel'esprit,de la facilité,maisonlui reprochesontropdelicencedanssonthéâtrecomique,assezcopieux.C'està lui que Roileaufait allusiondan*cesversde IMrl poétique:

Maispour un faux plaisantà grossièreéquivoque,Qui,pourmedivertirn'a quela saleté,Qu'ilt'en aille,s'il veut,surdestréteauxmonté,Amusantle PontNeufdesessornettesfades,Auxlaquaisassemblésjouersesmascarades.

(3)Depuisle xv*siècleles Galeriesdu PalaisdeJusticeétaientlelieude réuniondesoisifsqui y venaientparlerpolitique.Commeil s'y tenaitun grandnombrede boutiques,et surtoutde librairies,ondisaitaussilePalaisdesMarchands.Cesboutiquesfurentsuppriméesen 1843.

(4) Bcauchàteau(François,Chasteletde),l'Hôtel de Bourgogne,1633.11y était encoretrenteans plustard, peut-êtreaprèsavoirpassépar leMarais.Mouruten 1665.— Villierspère(ClaudeDeschainpsde),acteur-auteur,1601*1681.Théâtredu Maraiset Hôtelde Bourgogne.

Page 136: Les Premières de Molière

L'IMPROMPTUDE VEROAILLES 123

do cette pièce qui n'est plutôt qu'une conversation.l.e Marquis étant lo partisan de Molière, Alcidon, d'avis

contraire, s'empresse de le tourner en ridicule.

ALCIDON.

Il est vrai qu'il récite avecque beaucoupd'art,Témoin dedans Pompéealors qu'il fait César.Madame,avez-vousvu dans ces tapisseriesCesHérosdo romans?

LAMARQUISE,

Oui.

LEMARQUIS.

Hellesrailleries.

ALCIDON.

Il est fait tout do même; il vient, le nez au vent,Les pieds en parenthèse, et l'épauloen avant,Sa perruque qui suit le côté qu'il avance,Plus pleinede laurier qu'un jambon de Mayence;Les mains sur tes côtés, d'un air peu négligé,La tête sur le dos, commeun mulot chargé,Les yeux fort égarés, pub débitant ses rôles,D'un hoquet éternel, sépare ses paroles,Ht lorsquo l'on lui dit : et commandezici,

Il répond :

Connaissez-vousCésardo lui parlerainsi? (imitation)etc.

LEMARQUIS.

Non, pour lo sérieux, c'est un méchant acteur.J'en demeure d'accord, mais il est bon farceur.

Il contrefait, morbleu, ceux do l'Hôtel.

ALCIDON.Ecoute.

S'il contrefait si bien leurs tons et leurs détours,Il devrait, par ma foi, les Imiter toujours.

Plus loin l'auteur accuse Molière d'avoir souvent

payé son écot chez dos grands par ses imitations qu'ila colportées dans Paris depuis trois ans.

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124 LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

De Villiers, que Molière avait contrefait dans OEdipene se contenta pas de la réponse de Montfleury fils.Il voulut écrire à son tour la Réponse â VImpromptude Versailles ou la Vengeance des Marquis, comédie enun acte en prose qu'il fit représenter sur le théâtrede l'Hôtel de Bourgogne.

« Quelque faible que soit YImpromptu de l'Hôtelde Condê écrivent les Frères Parfait (1), on le trouvera

cependant un chef-d'oeuvre, si on le compare à la

Vengeance des Marquis de Villiers, dont la pièce nefit que répéter grossièrement ce que Montfleury a misdans sa petite comédie.

Ce dernier Impromptu marqua la fin d'une lutteen public. La partie était gagnée pour Molière qui avaitle roi pour lui.

(1)Histoiredu Th. Français,T IX, p. 233.

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CHAPITRE XI

LE MARIAGE FORGÉ

Comédie-Ballet,en trois actes,musiquede LulH.

Au Louvre,dans l'appartementbas de la Reine-Mére,devant le Roi : 29 janvier 1661.

Théâtredu Palais-Royal: 15 Févriersuivant.

LeMariagoforcéeballetde cour. »— Les balletsde cour elleRoidansant avec les comédiens.— Compte-rendude Loret. —-Le Mariageforcé au Palais'Royal. — Les frais d'une repré-sentation.—Brécourtest remplacépar Hubert.

11nous sera toujours difficile de nous faire une idéeexacte de ce que put être la première représentationdu Mariage forcé, non de la comédie en un acte que nous

connaissons, mais du Mariage forcé « ballet du roy,dansé par S. M. lo 29e jour de janvier 1664 ».

Louis XIV avait désiré pour le carnaval de cetteannée une pièce où il eût lui-même un rôlo. Mais le roi,très épris de la danse, ne pouvait avoir qu'un rôlede danseur. C'est alors que Molière écrivit une comédie-ballet en trois actes, pièce dans laquelle il se réservale rôle de Sganarelle —>

rôle-pivot autour duquel tourne

l'action, tandis que le roi paraîtrait sous la figure d'un

Egyptien dansant. Car ce no fut que plus tard, en 1668

que Molière tira de sa comédie-ballet une comédie enun acte, laquelle se ressent nécessairement des rema-niements apportés (1).

Le Ballet de la Cour, dont Victor Fournel a si bien

11)Notesde'G, Monval,Edit, du Tb. completde Molière,Libr.de*Bibllopb.Mî.

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126 LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

écrit l'histoire (1), avait joué un grand rôle à la Courdo Henri IV et à celle de Louis XIII. Il devait jouird'une faveur bien plus grande encore sous le règne deLouis XIV, du moins pendant la première partie deson règne. Divertissement ingénieux et galant quidevait précéder et préparer l'opéra.

Le Ballet do Cour avait été chez nous un produitd'importation étrangère. Avant de paraître en France,il florissait en Italie, d'où Catherine do Médicis l'intro-duisit avec elle, quand elle épousa en 1533 le deuxièmefils de François 1er. Peu à peu le ballet succéda aux

tournois, carrousels et combats à la barrière.Le Ballet se produisit alors sous la forme de masca-

rade. Qui croirait que Henri IV, en vrai Béarnais,aimait follement la danse (2) et quo presque tous ces

divertissements, d'après leurs titres et les renseigne-ments qui nous ont été conserves, appartenaient au

genre comique, et même bouffon? La passion de laCour pour les Ballets, nous apprend Bassompicrrcdans ses Mémoires, était devenue telle, que Mario deMédicis n'eut jîas la patience d'attendre la fin de sonsecond deuil pour revenir àccdivcrtisscment.Louis XIII

malgré sa timidité et ses scrupules religieux, figuradans un assez grand nombre de représentations de ci

genre, et Tallcmant des Réaux nous apprend, dansl'historiette qu'il lui a consacrée, qu'il ne faisait

jamais que des personnages ridicules ISous Louis XIV, c'est l'âge d'or des ballets. Le roi

est jeune ; il aime la magnificence et la galanterie.Maislecaractèrc du ballet change avec lui. Les boutades,les bouffonneries, les mascarades disparaissent en partiepour un temps,tout en se conservant & la petite Courde Gaston d'Orléans, au Luxembourg. En 1660, leballet de Cour atteint son opogéo au Louvre, à la

(1)V.Fournel,lei ContemporainsdeMolière,t. Il, p. 173et tuiv. l'ati»,FiftninDidot,1866.

(2)SetMémoire»,patsim,particulièrementT.1,XXV,an 1608,

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LE MARIAGEFORCÉ 127

suite de la paix avec l'Espagne et du mariage du roi.Il trouve même un auteur qui va régner à peu prèsexclusivement en ce genre pendant dix-huit ans, de1651à 1669. Cet autcur,c'est Benserade, type par excel-lence du poète de Cour, ingénieux et délicat, galantet fin, aimable et frivole. Le roi danse pour la premièrefois dans Cassandre, un ballet de Benserade, sa premièreproduction. La retraite de l'auteur et celle du royaldanseur se firent presque simultanément,

Benserade crée un genre : l'éloge en vers adresséaux acteurs du ballet —-vers sous forme d'épigrammesaussi sur la plupart des personnages. Il manie avec

élégance l'ironie souriante et légère. Tout le mondeveut travailler aux ballets du roi î l'italien Bouty,Hessclin, Clément, Mr de Tuboeuf, le duc de Saint

Aignan, le duc de Guise, et surtout le marquis de

Villequier. Beauchamp et Vcrtpré règlent les danses ;Torclli ou Vigarani se chargent des machines et desdécorations. Lambert, Desbrosses, Lallouette puisBaptiste Lulli (gendre de Lambert) font la musique.Ce dernier, qui va éclipser tous ses rivaux, et que sonhabileté de danseur, de mime, de comédien fera figurersouvent dans les entrées des mascarades de Cour, va, dece fait, devenir le collaborateur musical de Benserade,de Molière et de Quinault. C'est enfin Louis de Mollier,

compositeur, auteur et acteur très expérimenté danslascience des ballets, «musicien ordinaire de la Chambredu Roi ».

Le goût de Louis XIV étant des plus prononcés pourles ballets, comme pour tous les exercices du corps—

aujourd'hui nous dirions les sports— il va sans dire

que tous les princes et gentilshommes, ne fut-ce quepar calcul et pour faire la cour au maître, partagèrentimmédiatement cette inclination. Et voilà dans quellesconditions Molière venait d'écrire une comédie-balletpour lo carnaval.

A lui la charge, non minime, de réunir dans un

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12» LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

ouvrage la danse, la musique, la littérature, proseou vers ; de chercher un « nouveau secret de plaisir »,de grouper tant d'éléments divers, de former un

ensemble—qualité inconnue jusqu'à lui dans ce genre—lequel péchait toujours par un manque d'intérêtoù l'esprit pût so prendre (1).

On comprendra combien un tel événement avait dû

piquer la curiosité du gazetier Loret, que M^e de

Bcauvais, do la suite de la Reine-mère, fit entrer auLouvre le jeudi, car le mardi il n'avait pu trouver

place. Assis sur une « bancelle », nous dit-il, mais tantôt

assis, tantôt debout, il voit le ballet et la comédie,dont il nous rend compte en ces termes dans sa Lettredu samedi 2 février 1664 :

Un jaloux charmé d'un ObjetRavissant et de belle taille,Veut l'épouser, vaille-que-vaille,Ou, du moins, il promet celaAux Parcns de cet Objet-là :Mais connoissant que sa MaîtresseEst plus coquette que Tygressc,Redoutant, comme un grand méchef,Le fatal pennache du chef,S'étant dégagé v rs lo Père,Il arive, enfin, que le Frère,Qui parolt doux comme un mouton,Le contraint à coups de bâton,Dé conclure le Mariage,Ce qu'il fait, dont son Âme enrage ;Mais ce que je dy du BaletNe vaut pas un coup de sillet,Ou.du moins, ce n'est pas grand'chose,Ny de la Comédie en proze,Qu'on peut nommer certainementUn exquis divertissement.Je ne dis rien des huit Entrées,Qui méritent d'être admirées,Ou Princes et Grands de la Cour,Et nôtro Roy digne d'amour,

(I) MauricePellÏMûD,let Comédies-Ballet*deMolière,p. 44, Hachette,191%,

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LE MARIAGEFORCÉ 129

En comblant nos coeursd'allégresse,' Font éclater leur noble adresse;Je laisse les Concerts galnns,Et les habits beaux et brillant?,J'omets les deux Egyptiennes,Ou, si l'on veut, Bohémiennes,(1)Qui jouèrent audit BaletAdmirablement leur rolet,Et parurent assez charmantesAvec leurs atours et leurs mantes :De la Du-Parc, rien je ne dis,Qui rendoit les Gens ébaudis,Par ses apas, par sa prestance,Et par ses beaux pas et sa dance ;Enfin, je ne décide rien •De ce Balet qui me plût bien :Cette Pièce assez singulièreEst un in-promplu de Molière;Et commeles Bourgeois,un jour,Verront ce spectacle h leur iour,Où l'on a des plaisirs extresmes,Ils en pourront juger eux-mesmes.

Ici, nous relèverons une erreur commise par divershistoriens do théâtre qui se sont imaginés que le

Mariage forcé n'avait été représenté en comédie-ballet

que devant la Cour, et seulement en comédie devantle public. Cette méprise provient surtout de l'Avertis-sement de l'éditeur des oeuvres Je Molière en 1739 ;quand l'auteur fit représenter cette comédie sur lethéâtre du Palais-Royal, y lisons nous, « il supprimales récits et les entrées de ballet et réduisit la pièceen un acte » (2),

11nous suffira de consulter le Registre de Lagrangepour apprendre comment les choses se sont passées.

La comédie-ballet avait été représentée au Louvreles 23 et 31 janvier, puis chez Madame, au Palais-

Royal,les 4 et 9 février. C'est alors que Molière, voulant

profiter du bruit fait autour do ces représentationsauxquelles n'avaient pu assister que ceux qui avaient

0) MademoiselleBegeard(«le),MademoiselledeBrie(NotedeLotet).m In-12,P*rli1739,t. III, p. 247.Citéparlet FrèresParfait.

5

Page 143: Les Premières de Molière

130 LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

leurs entrées à la Cour, transporta sa pièce telle que,sur son théâtre, en remplaçant naturellement par desdanseurs de profession tous les personnages de l'entou-

rage royal qui avaient pris part au ballet. Il étaitinadmissible quo lo roi lui-même dansât devant un

public payant. Or, Lagrange nous dit formellement :« Vendredy 15eme (février). Mariage forcé avec le

Ballet et les ornemens ». Voilà qui est clair. La recettes'éleva à 1215 livres 10 sols, et monta même jusqu'à1509 livres à la seconde.Une petite note nous renseignemême au sujet des frais !

Frais ordinaires .......... 50 Livres.Frais extraordinaires . 3 »Soldat* 12 »Feu et chandelle . 6 »12 violons . 3G »Ritourncl et Clauessin 7 »Danseurs 45 »Musique 5 »Crosnicr 3 »Bas do soye 55 »En vin répétitions 30 »Hautbois, retranchez . 40Bas do soye 66 15 solsà M.de Brécourt 14 LivresEscarpins 45 »h Pruosl 10 »Habit/ 330 >&M. BaraillonCas imprévus

« Donné à M. de Reauchainps pour faire le Ballet

cinq*6 Louis d'or, cy 550 Livres.

«Donné aux Capucins tous Icsvc3tc3 des chambréesde 20 sols, 45 sols, 24 sols, etc. »

On sait que les capucins faisaient l'office de pompier»au théâtre.

Quant a la distribution de la pièce, elle avait étéainsi répartie ;

Sganarelle MOLIÈRE.Geroniino. LA Tuonittrên*,

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LE MARIAGEFORCÉ 131

Dorimènc Ml,e Du PARC.Alcantor BÉJART.Lycantc LAGRANGE.PremièreBohémienne ...... M,le BÉJART.SecondeBohémienne M,,e DE BRIE.Premier Docteur BRÉCOURT.SecondDoclcur Do CROISY.

On remarquera que Me,le Molière ne figurait pasau programme. La raison en est qu'elle venait d'accou-cher le 19 janvier de son premier enfant, Louis, quimourut en bas âge.

La réduction du Mariage forcé en un acte sur lothéâtre du Palais-Royal ne date donc pas de 1664,comme on le croit généralement, mais de février 1668,époque de la reprise (1).

L'argument du Ballet et îc texte*do la Comédie enun acte figurant dans les oeuvres de Molière, nousn'avons pas à insister sur les remaniements survenus.

Qu'il nous suffise de constater que le Roi n'avait pasdédaigné, devant toute la Cour, de danser vis-à-visde deux célèbres comédiennes, Me,,es Béjart et de Brie.

Les disséqueurs à la loupe voulurent encore trouverdans cette pièce des emprunts faits à Rabelais : leshésitations et les questions do Sganarello sur le cha-

pitre du mariage font nécessairement penser à Panurgo.Mais nous soutiendrons qu'aucuno pièce ne pourraittrouver grâce devant un tel procédé d'analyse ou de

critique (2).La saison théâtrale du Théâtre du Palais-Royal se

termina par un petit changement survenu dans la

(1)G.Moaval,ChronologieMoliérttque,p.193.(2)Toutrécemmentencore,auhasarddenoslectures,il nousarrivade

feuilleterunevieillecomédie-vaudevilleen3actesduTh.duPalais-Royal{1832J.NousvoulonsparlerdeVert-Vert,deÀ,deLeuvenet Deforgeâqui,certainementt'étaienteux-mêmesinspirésd'un ancienconte.Quelnefutpasnotreétonnemententrouvantdanscettepiècel'argumentpourlemoinsdetroisautresdutfirentlesbellessoiréesdelaComédiefrançaise,desBouffesparisiensetduThéâtreCluny.Cesexemptespeuventserépéter,denosjours,parcentaines.Il est fortheureuxpournosauteursquelesspectateursnelisentpaspartrop.

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132 LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

troupe. Brécourt, qui venait de créer avec succès lerôle de Pancrace (le premier Docteur) dans le Mariageforcé, sortit de la troupe do Monsieur pour entrer danscelle de l'Hôtel de Bourgogne, qu'il devait, du reste,quitter bientôt aussi. Il fut remplacé par Hubert quisortait de la Troupe du Marais (1).

(1)Brécourt,d'un tempéramentassezviolent,fut contraint,senable-t-il,dequitterdeuxfoislaFrance,à la suited'aventuresfâcheuses,rixes,dettes,etc.G.Monval,quis'estoccupéà deuxreprisesdeBrécourtdansleMotié-riste,n'a pu cependantpréciseroù il était passéà sa sortiede l'HôteldeBourgogne.Unchercheurbelge,M.HenriLiebrechtvientde nousécrireà cesujet.Il a retrouvéuneprocurationnotariéede Brécourt,en faveurdesafemmeÉtiennettedeSurhs(ouDésurlis),sansdoutedemeuréeà Pari),et cetteprocu-rationfutsignéepar lui&Bruxellesle27mars1665.

Quant&HubertAndré(1634-1700),c'était alorsun jeunehommedetrenteans,à lamineéveillée,vif,espiègle,et pouvantà la rigueur(cequ'ilfit)jouerdesrôlesde femmes,à uneépoqueoùaucunefemmenevoulaitsechargerdesrôlesdeduègnes.Il fut deceuxquirestèrentlesplusfidèlesa la traditionde Molière,et Lagrange,qui le tenait en haute estime,leprit plus tard poursonsecond.

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CHAPITRE XII

LA PRINCESSE D'ELIDE

Comédieenverset en prose,en 5 actes«meslécde danseset de musique*Jardinsde Versailles; S mal 1661.

Théâtredu Palais-Royal: 0 novembresuivant.

La Princessed'Elidc écrite sur commande.—•Les Plaisirs del'Ile enchantée.— Les Comédiensdajis le cortège.—•La

représentationdans lesjardins. — Trois actesde Tartuffe.—Mortdedu Parc. — Lagrangeorateurde la troupe.

« La Princesse d'Elide, ont écrit les commentateurs,n'est pas faite pour ajouter beaucoup à la gloire deMolière ». C'est évident. Mais il faut se rendre comptedes conditions dans lesquelles cette pièce

— livrableà jour fixe, sur ordre du roi —, fut écrite à la diable,avec une rapidité telle que le premier acte et le com-mencement de la scène première du second acte sont tseuls en vers, tandis que tout le reste de l'ouvrage

'

est en prose.H est donc nécessaire, avant de porter un jugement

sur un pareil travail d'improvisation, de rappeler lescirconstances qui présidèrent à sa mise au jour.

Tous ceux qui ont ouvert les oeuvres de Molière,connaissent la.longue et fastidieuse relation des Fêtesde Versailles encadrant la Princesse d'Elidc. A vrai dire,cette relation des Plaisirs de Vlsle enchantée n'est pasde Molière, mais il n'est guère admissible que ce compte-rendu, imprimé sous ses yeux, n'ait eu toute son appro-bation, La Princesse d'Elide «comédie mesîée de danses

Page 147: Les Premières de Molière

134 LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

et de musique »et représentée dans la deuxième journéefait corps avec les Plaisirs de l'Isle enchantée, si bien quel'on ne peut parler des Plaisirs sans parler do la Prin-

cesse, et réciproquement.Le petit Avant-Propos qui précède ces ouvrages

(relation et comédie) nous fixe absolument sur le but

pourt uivi : « Le roi, voulant donner aux reines et àtoute sa cour le plaisir de quelques fetes peu communes,dans un Heu orné de tous les agréments qui peuventfaire admirer une maison do campagne, choisit Ver-

sailles, à quatre lieues de Paris ».Nous avons déjà expliqué, en parlant do YImpromptu

de Versaillest que cette ville ne possédait pas encore àcette époque lo vaste palais ni les merveilleux jardinsque nous connaissons. Le tout était modeste en compa-raison de ce que Louis XIV devait faire surgir dix ou

quinze ans plus tard. Le narrateur ne s'en extasie pasmoins sur ce qu'il voit :

« C'est un château, dit-il, qu'on peut nommer un

palais enchante tant les ajustements de l'art ont bienseconde les soins que la nature a pris pour le rendre

parfait : il charme en toutes manières, tout y rit dehorset dedans, l'or et lo marbre y disputent de beauté et

d'éclat, et, quoiqu'il n'ait pas cette grande étendue

qui se remarque en quelques autres palais de Sa

Majesté, toutes choses y sont si polies, si bien entendueset si achevées, que rien ne lo peut égaler ».

Allusion a Fontainebleau, sans doute. Mais celte

grande étendue, il no tardera pas à l'avoir, — Revenonsà 1664.

Il s'agissait donc pour le roi, qui se rendit avec toutela Cour à Versailles lo 5 mai, do traiter plus do sixcents personnes jusqu'au 14 « outre une infinité de

gens nécessaires à la danse et à la comédie, et d'artisansde toutes sortes venus de Paris, si bien que cela parais-sait une petite année ». '

Toute la troupe de Monsieur, Molière en tête, a été

Page 148: Les Premières de Molière

LA PRINCESSED'ELIDE 135

mobilisée. Partie de Paris lo 30 avril, elle n'y rentrera

que lo 22 mai (1).C'est Mr de Vigarini, gentilhomme modénois « fort

sçavant en toutes ces choses » qui a proposé et fait

agréer le programme des fêtes, dont l'exécution a étéconfiée au Duc de St-Aignan, premier gentilhommede la Chambre, alors en fonction, et auquel on doit déjàplusieurs sujets de ballets jugés fort agréables.

Dans ces sept journées, nous ne relèverons que co

qui est particulier à nos comédiens.

L'organisateur des Fetes a pris pour sujet un épisodede l'Arioste : le brave Roger, personnifié par le roi en

personne, suivi de plusieurs autres bons chevaliers,va so trouver retenu dans le palais de l'enchanteresseAlcine — d'où le titre : les Plaisirs de Vlsle enchantée—.Il n'en sera délivré, après beaucoup de temps consommédans les délices,quc par la bague qui détruit les enchan-tements. Cette bague est celle d'Angélique, que Mélisse,sous la figuro du vieil Atlas, mettra enfin au doigtde Roger.

« On fit donc en peu de jours orner un rond, nous ditlonarrateur, où quatre grandes allées aboutissent entrede hautes palissades, de quatre portiques de trente-cinqpieds d'élévation, et do vingt-deux en « quarré »

d'ouverture, do plusieurs festons enrichis d'or, et dediverses peintures avec les armes de Sa Majesté.

«Toute la Cour s'y étant placée le septième (le 7 mai),il entra dans la place, sur les six heures du soir, unhéraut d'armes représenté par M. de Bardins, vêtud'un habit à l'antique couleur de feu et broderied'argentet fort bien monté ».

Lo héraut est suivi de trois pages, dont le premier,celui du roi, n'est autre que Mr d'Artagnan, Puis ce sontle « mareschal de camp », huit trompettes, deux tim-

baliers, le roi représentant Roger, montant un superbecheval dont lo harnais couleur de feu étincelle d'or,

(1)RegistredetApange,p. 61.

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186 LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

d'argent et de pierreries ; il est armé à la grecque,(ou du moins à la façon que l'on appelait alors « à la

façon des Grecs » ;) il porte une cuirasse de lames

d'argent, couverte d'une richo broderie d'or et dediamants. Son casque est surmonté do plumes égale-ment do couleur de feu.

Puis ce sont les princes, ducs, comtes, marquisdont les costumes et les montures rivalisent de richesse ;le char d'Apollon de 18 pieds de haut, de 24 de longet de 15 de large. Aux pieds du dieu sont groupésquatre siècles : d'or, d'argent, d'airain et de fer. Surles côtés cheminent les 12 heures du jour, et les 12 signesdu Zodiaque.

Enfin le défilé s'arrête, et au milieu d'un profondsilence, Melio de Brie personnifiant le Siècle d'airain,récite à Apollon des vers à la louange de la reine.

Malheureusement le narrateur omet de nous direle no'm du poète et ceux des autres artistes person-nifiant Apollon et les trois autres siècles, donnant la

réplique à leur camarade.Nos comédiens figuraient donc dans le cortège.

La preuve nous en est encore fournie dans le passagesuivant do la Relation. La course de bague vient de se

terminer, et le marquis do la Vallière, le vainqueur,reçoit de la main de la Reine-Mère le prix consistanten une epée d'or enrichie do diamants.

« La nuit vint cependant h la fin des courses, par la

justesse qu'on avait eu à les commencer ; et, un nombreinfini de lumières ayant éclairé tout ce beau lieu, l'onvit entrer dans la même place Î

« Trente-quatre concertants fort bien vêtus, quidevaient précéder les Saisons, et faisaient le plusagréable concert du monde.

« Pendant que les Saisons se chargeaient de metsdélicieux qu'elles devaient porter pour servir devantleurs Majestés la magnifique collation qui était prépa-rée, les douze signes du Zodiaque et les quatre saisons

Page 150: Les Premières de Molière

LA PRINCESSED>BL1DB 187

dansèrent dans lo fond une des plus belles entréesdo ballet qu'on eût encore vue.

oLe Printemps parut ensuite sur un chevald'Espagnereprésenté par Afel,e du Parc, qui, avec les avantageset le sexe d'une femme, faisait voir l'adresso d'unhomme : son habit était vert, en broderie d'argentet de fleurs au naturel.

a L'Été le suivait, représenté par le sieur du Parc, surun éléphant couvert d'une riche housse.

« L'Automne, aussi avantageusement vêtu, repré-senté par le Sieur La Thorillihe, venait après, montésur un chameau.

« L'Hiver suivait, sur un ours, représenté par le Sieur

Déjar {sic) (1).« Leur suite était composée de quarante-huit per-

sonnes qui portaient toutes sur leurs têtes de grandsbassins pour la collation. »

Le Pi intemps (Melle du Parc), l'Été (du Parc),l'Automne (La Thorillière), l'Hiver (Béjart) récitentdes compliments en vers à la Reine. Le narrateur oublieencore de nous dire les noms de ceux qui récitèrentles suivants sous les traits de Diane et de Pan (2).

(1)LeChâteaude Versaillespossédaitalorstouteunecollectionzoolo-gique,dontonvantait«la diversitédesbestescontenuesdanslesdeuxparcset danslamesnagerie».Cettedernièrefutreproduiteentaille-douceparG.Pérelle(1600-1675).Onpeutlavoirdansl'ouvrageLaCourduRoiSefrifparA.Parmentier,p.60,ArmandColin,Paris.

(2)LudovicCellerdanssonouvrage: Le*Décor*,lesCostume*ettaMisetnscèneanxvn*tiède,Paris1869,nousdonnoaussiunebienjoliedescrip-tiondudécordelaPrince***d'Elue.*c11consistait,écrit-il,enunparterreencadréde charmilleset de bosquets;c'était la GrèceantiquehabilléecommeVersailles,et lespersonnages,d'aprèslesdessinsd'IsraëlSylvestre,n'étaientguèred'apparenceplusvéridique.Laprincesseest extrêmementdécolletée,avecuncorsageà manchesdemi-longues; ta coiffureestempa-nachéetoutautour;uneaigrettebrilleaucentre; la robeest&doubleJupe;ladeuxièmeest traînante,ouverte,et soutenueparunpage.Leshommesportentlasaladeà plumes,taperruquebouclée,leplastron,la jupecourteetplisséecommeune«ustanetle,lesabrarecourbé.LespagessontceuxdelaCourde 1664,Pouréclairertout cesmasques,cinqlustresa bougiesont suspendusauhautdetascène,surledevantduthéâtreet dixéclairentlasallededroite&gauche.»

(2)LaMutehistoriquedeLoretdu10mal,nousdonneen verstemêmerécit.

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1S3 LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

Mais laissons cctto collation dont la somptuositéétait éclairée par un nombro infini do chandelier*

peints do vert et d'argent, portant chacun 24 bougies,et 200 flambeaux do ciro blancho tenus par autant de

personnes vêtuos en masques, pour aborder do suitela secondo journée principalement réservée à la Comédie.

« Lorsque la nuit du second jour fut venue, Leur»

Majestés se rendirent dans un autre rond environnédo palissades comme lo premier et sur la même lignes'avançant toujours vers lo lac, où l'on feignait que le

palais d'Alcino était bâti.« Le dessein de cette seconde fêto était que Roger

et les chevaliers do sa quadrille, après avoir fait desmerveilles aux courses que, par l'ordre do la belle

magicienne, ils avaient faites en faveur de la Reine,continuaient en co même dessein pour lo divertissement

suivant, et que, l'isle flottante n'ayant point éloignele rivage do la France, ils donnaient à Sa Majesté le

plaisir d'uno comédie dont la scène était en Élide.o Le Roi fit donc couvrir de toiles, en si peu de temps

qu'on avait lieu de s'en étonner, tout ce rond d'une

espèce de dôme, pour défendre contre le vent le grandnombre de flambeaux et de bougies qui devaientéclairer le théâtre, dont la décoration était fort agré-able. Aussitôt qu'on eut tiré la toile, un grand concertde plusieurs instruments se fit entendre, et l'Aurore,représentée par Mademoiselle Hilairo, ouvrit la scène ».

Pendant le récit chante de l'Aurore, quatro valetsde chiens sont couchés sur l'herbe, dont l'un, nous ditle narrateur, « sous la figure de Lyciscas, représentépar le sieur de Molière, excellent actour, de l'invention

duquel étaient les vers de toute la pièce, se trouvaitau milieu des deux, et un autre à ses pieds, qui étaientles sieurs Estival, Don et Blondcl, de la musique du

roi, dont les voix étaient admirables ».èAinsi Lyciscas-Molière parle, les autres chantent,

des cors et des trompes de chasse se font entendre,

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LA PRINCESSED'ELIDE ISO

concertés avec les danseurs Paysan, Chieanneau,Noblet, Pcsan,Bonard et In Pierre, costumés en valetsde chiens. C'est lo prologue do la Princesse d'Elidedont la distribution nous a été conservée. Nous respec-tons l'ordre établi dans les premières éditions de Molière :

La Princçsso tl'EIFdo. ...... MHoMOLIÈRE. (1)Aglante M»»Du PARC.Cinthie Jl»« DK«RIE.Philis JI«« IIÊJÀRT.Ipbitas HUBERT.Eurialo LAGRANGE.Arîstomèno Du CROISV.Théoclc . BÉJART.Arbate LATIIORILIIÈRE.Moron MOLIÈRE.Unsuivant PRÉVOST.

Après le premier acte en vers, et le deuxième inter-mède (Moron poursuivi par un ours et délivré par des

paysans dansants), on so demande pourquoi Molièro alaissé subsister quarante vers dans la scène premièrodu second, puisque tout le reste est en prose. Cet endroitsemble ctro exactement celui où le poète fut interrompudans son travail par les exigences du roi. Un avis au

lecteur, placé après ces quarante vers nous le dit clai-rement :

« Le dessein de l'auteur était de traiter ainsi toutola comédie, mais un commandement du roi, qui pressacette aiTaire, l'obligea d'achever tout le reste en prose,et de passer légèrement sur plusieurs scènes, qu'ilaurait étendues davantage s'il avait eu plus de loisir.

Loret de son côté nous rend compte do cette repré-sentation dans sa Lettre du 10 mai :

Le second jour la Comédie,Par le Sieur do Molièroourdie,

(I) Extraitde l'Inventairefait aprèsle décèsde Molière: (habitsdothéâtrepourlademoiselleveuve).Unejupedetaftetascouleurdecitron,garniedeguipure; huitcorpsdedifférentesgarnitureset un petitcorpsenbroderieoret argentfin,îlel'habitd«la Princessed'Elide.Eud.Soulié,Documents,p. 279.

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140 LES PREMIÈRES DE MOUÈRE

Où l'on remarqua pleinement,Grand esprit et grand agrément.(Cet auteur ayant vent en poupe)Occupa tant fui que sa Troupe.Avec de célestes récits (1),A toucher les plus endurcis :Animés des douceurs divines,De deux rares voix féminines ;(Qui sont comme j'ai dit un jour)Les Rossignolles de la Cour,Quo personne no contrecarre,A sçavoir, Hylaire et la Barre.

Pauvre Princesse d'Elide sur laquelle se sont acharnésles commentateurs, les uns considérant cetto rapideesquisse faite sur commande pour livrer à jour fixecomme une oeuvre sérieusement faite, les autres'

s'efforçant de nous prouver qu'il ne s'agissait que d'une

espèce de traduction de la célèbre pièce de Moreto,El Desden con el Desden.

Molière avait-il pris son sujet à Moreto seul ? CertesDédain pour Dédain passe pour la plus parfaite comédiedu théâtre espagnol. C'est à cette pièce que Moretodoit son renom impérissable. Mais on a l'habitudede reprocher à Moreto do prendre ses pièces à toutle monde (2)

Il serait plus juste de dire, à notre avis, que Moretofit oublier ses modèles, si modèles il y eut, et que lui-même fut imité. Quant à Molière, bien qu'il se soit,en effet, quelquefois contenté de traduire l'originalespagnol (3), on ne saurait cependant prétendre qu'il

(1)La miniquede cette fêteest de Lulli(Notede lorei).(2)AI.AlfredGassierdanssonétudeapprofondiedu ThéâtreEspagnol,

ParisP. Ollendorff,1898,p. 377,a citéquelquescomédiesoùMoretoauraitpuisépourEt Desdenconet Desden.Cesont : le*Miracle*du Méprit,laBetteLaide,la Vengeancede*femme*,trois oeuvresde Lope; PQUTvaincrerameuril fautlevouloirvaincredeCalderon; la Jalousieguéritdela Jalou-sieparTirso; leMépritenquiaimedeMontalvan.elAquoiobligetedédaindeRojas.Lesujetn'est-ildoncpaséternel?N'avons-nouspaseuplustard,Turandotde Gozzî,La Locandierade Goldoni,le Jeu de FAmouret duhasarddeMarivaux,OnnebadinepasavecramourdeMusset,etcentautres?

(3)Cf.PrincesseII, 4 et Desden1,7.—PrincesseIV,etDetdenIII, 5.

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LA PRINCESSE&RL1DB 141

n'ait fait oeuvre que d'adaptateur et de traducteur,et M. Maurice Pellisson a pris la peine de nous fortbien démontrer que Molière a composé un ouvragetrès différent du Desden, non pas tant encore pouravoir modifié l'allure, l'accent, la couleur de la comédiede Moreto, que pour avoir vraiment

crlldespersonnagesen leur donnant une ftmo vraiment nouvelle (1).

Ces considérations sortent de notre cadre, et nousne nous y arrêterons pas plus longtemps.

Cette représentation de la Princesse d'Elide donnéelo deuxième jour des Fêtes do Versailles fut la seulede cette sério. Le lendemain, Me,l° du Parc, person-nifiant la Princesse Alcino, et Mellei de Brie et Molièreles nymphes Célie et Dircé, récitèrent des vers à la

louange de la Reine-Mère et du roi.Le cinquième jour, qui était un dimanche, l'on repré-

senta les Fâcheux : «' Le soir, nous dit le narrateur,Sa Majesté fit représenter, sur l'un de ces théâtresdoubles de son salon que son esprit naturel a lui-même

inventés, la comédie des Fâcheux, faite par le sieurde Molière, mêlée d'entrées de ballet, et fort ingé-nieuse ».

Le lundi, ce fut le tour de Tartuffe, dont Molière so

hasarda à produire devant le roi les trois premiersactes. Gros événement sur lequel nous aurons l'occasiondo revenir, quand il s'agira de la véritable première en

cinq actes devant le public. Et, enfin, le sixième jouret dernier, toujours le soir, le Mariage forcé avec lesballets et les récits. Le lendemain, le roi prenait le

chemin de Fontainebleau, et la Troupe rentrait à

Paris le 22 mai, après avoir reçu 4000 livres pour cette

expédition (2). Du reste, nous la retrouverons encore à

(1)MauricePellisson,lesComédiet-Ballet*deMolière,Paris,Hachette1914,p. 99et suiv.

(2)Pouravoiruneidéeexactede cesfêtes,il' suffitde consulter1erplanchesd'IsraëlSitvestrequel'onpeutacquérirencoreàlaChalcographieduLouvre.Ellessontaunombredeneuf.Nousciteronsnotamment,peutéclairerce quel'onvientde lire: !• Vuedu ChâteaudeVersailles—Les

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142 LES PREMIÈRESDE MOLIÈRE

Fontainebleau du 21 juillet au 13 août, où l'on donna

3uatronouvelles représentations de la Princesse

'Elide devant le Légat, ce qui valut encore à nos comé-

diens, par l'ordro du roi, 3000 livres.Ce no fut que le neuf novembre que l'on donna la

Princesse d'Elide sur lo théâtre du Palais-Royal. Certes,on aurait pu croire que cetto pièco dépourvue d'intérêtet cerito spécialement pour le roi n'obtiendrait aucunefaveur du public. H en fut tout autrement. Elle attei-

gnit 25 représentations, chiffre très respectable pourl'époque, alors que le Mariage forcé qui lui est bien

supérieur, n'avait été joué quo treize fois,Des événements s'étaient produits dans la troupe

pendant ce mois de novembre. Le gros du Parc, maride la du Parc, était mort le 4 novembre (1). C'étaitun compagnon de la première heure qui disparaissait,après avoir associé, au moins pendant onze ans, sonsort à celui de la Béjart et de Molière.

Do plus, le 14 novembre, Lagrange avait commencéà annoncer pour Molière. Nous nous sommes expliquéplus haut sur les fonctions de l'orateur dans une com-

pagnie dramatique du xvae siècle. Nous n'y reviendrons

pas. Molièro était 'alors surchargé de travail. Pour la

pièce nouvelle, ne devait-il pas paraître non seulementdans la comédie en 5 actes, mais dans les intermèdes ?Danser aussi, peut-être? Lagrange, honoré de la confi-ance du Maître, plaisait déjà comme acteur. Il allait

Plaisirsde l'ileenchantée; 3-*Lesrécilsd'Apollonet les4sièclesassissurle charde triomphe; 5° Lacomparéedes4 saisonsavecleurssuitesdeconcertantset porteursde présents; machinesde Panet de Diane; 7»Théâtrefaitdanslamêmeallée,et surlequellaPrincessed'BlideJulrepré-sentée.Celledernièreplancheest un documentdu plushautintérêtpourl'étudedescostumeset de la miseea scène.Reproduitedansla CourduRoi Soleilpar A.Parmentier,ArmandColin,Paris.

(1)Nousne pouvonsnousdispenserde faireremarquerquecettedatedu 4novembreadoptéeparLagrangedanssonRegistreet parG.Monval,est encontradictionaveclesRegistresdeSaint-Germainl'Auxerrois,quifontremonterle décèsau mardiprécédent,28oct.et fix«otlesobsèquesaulendemain.Unfaitdemeureacquis:C'estqueOuParcmourutà34ans,unmardi,(28oct.ou4nov.)et quel'onfîtrelâchecetdeuxjours-la.

Page 156: Les Premières de Molière

LA PRINCESSED'ELIDE 14$

plaire aussi comme orateur. Il en imposera par sa

politesso aimable, par le respect qu'il inspire. Lesturbulents du parterre n'auront plus devant eux un

directeur-acteur, dont ils cherchaient, par leurs inter-

pellations, à provoquer les bons mots. On ne pourraplus lancer la balle à Mascarille ou à Sganarelle. Ilfaudra s'incliner devant la correction ot l'attitudecourtoise de Lagrange.

Page 157: Les Premières de Molière

CHAPITRE XIII

DOM JUAN ou LE FESTIN DE PIERRE

Comédieen proseen 5 actes.ThéâtrAdu Palais-Royal: 15 Février1665.

Originesdu Festin do Pierre.— Ouvragesde ce nom: espagnols,italiens, français. — Distribution de ta pièce.— Le tombeaudu commandeur.— Succèsdela pièce,cabalesetpamphlets.—

Coupuresnécessaires.—>La piècequittel'affiche.

C'est-assez la coutume de dire que Molière connutle Séducteur de Sèville par la compagnie espagnolevenue en France en 1659, pour les fêtes du mariagede Louis XIV (1). Nous ferons remarquer toutefois

que les italiens exploitaient le sujet au moins depuis1652 (2) et que Villiers, auteur-acteur de l'hôtel de

Bourgogne (3) qui fit représenter le Festin de Pierreou le Fils Criminel, tragédie-comédie, traduite del'italien en français, n'hésite pas à déclarer dans sonAvis au Lecteur qu'il a rais en vers, sur la demandedo ses camarades, — « pour l'intelligence de ceux quin'entendent pas l'italien » — la pièco qui fit courir toutParis aux Italiens. Or ceci se passait en 1659. Il n'en

(1)LescomédiensespagnolsdeMadridavaientétéappelésen Franceen1659.Ilsy restèrentprotégéspar la reineMarie-Thérèsejusqu'auprin-tempsde 1673,«oitpendantquatorzeans.— Petit-Bourbon,Hôte!deBourgogne(Ballet,Chantet Comédie),St-Cloud,PalaisMazarin,Vin-cannes,t660— Fontainebleau1661—chezla reine1664— Versailles1667—St-Germaint668.CescomédiensavaientforméàSt-Germainuno

Îetitecoloniedont G.Monvala contél'histoiredansle MolilristeVII,

95et suiv.,317et suiv.

!î)Il ConvitatodipietradeLioneAlluciparutàNaplesen1652.

3)Villierspère,ClaudeDeschamps,dit de —ou Philippin— (1601-1681),avaitappartenud'abordau Tb.du Maraisavantd'entieràI Hôteliïe Bourgogneverî 1CÎ7.Il reretiravers 1670,laissantun petit bagagelillérai.-c,parfaitementoublié.

Page 158: Les Premières de Molière

DOMJUAN 145

changea même pas le titre adopté par ceux-ci ; IlConvitalo di Pieira. Pendant ce temps Dorimond

parcourait les provinces avee un autre Festin dePierre dont il était l'auteur ou tout au moins lotraducteur (1),

Le héros appartient à Tirso de Molina (2) qui s'était

inspiré lui-même de la Chronique. Mais à l'époque oùnous sommes, Espagnols, Italiens, Français s'en empa-rent, et chacun l'accommode à sa manière. Molière,en créant lo Dom Juan français, va faire oublier tousles autres assaisonnements.

D'abord,il saura fairo justice de la tradition ; l'odieuxle brutal, le mauvais fils qui frappe son père devantses laquais, le bandit qui égorge dans un guet-apensn'existe plus ; celui-là est mort, et bien mort.

Maintenant il n'est pas inutile de rappeler dans

quelles circonstances Molière va mettre son Dom Juanà la scène. Il vient d'éprouver une grosse déception.Après avoir mis au point son Tartuffe, sur lequel il

comptait pour sa saison théâtrale 1664-65, après enavoir joué les trois premiers actes devant le roi

pendant les fêtes de Versailles, voilà qu'il s'esttrouvé tout à coup, selon l'expression heureuse deM. Ed.- Thierry (3) «au devant d'un désaveu royal,

(1)Dorimond,NicolasDrouindit, né à Parisvers 1628,comédien-auteur,directeurdelaTroupedeMademoiselle,avait faitreprésentersonFestindePierreà Lyonen 1653.Il vintà Paris en 1660,et donnadesiepré*entationsdansunjeudepaumede la ruedesQuatrevents.Onperdsa tracedanslesPays-Basvers1664.M.LouisMotand,dansunarticletrèsdocumenté,LesTroisFestin*de Pierre,(LeMotiiriste,III, 358),aessayéd'apporterunpeudeclartédanscettoquestionassezembrouillée.

(2)cFrayGabrielTelles(ouTirso),néàMadriden1585,ouplusvraisem-blablementen 1570,le plusglorieux,leplusféconddramatuteespagnolaprèsLope.Entrédanslesordresen 1613,commePèrede N.-D.de laMerci(rachatdescaptifs),onnesaitdeluiquebienpeudechoses.Maîtreenthéologie,prédicateur,il mourutcommandeurdu CouventdeSoriaen1648.Unjourarrivacependantoùlesoeuvresdu«Mercenaire>furentpros-critesparleConfessionnal,et il fallutattendreunsiècleet demipourassis-tera la résurrectiondecemerveilleuxthéâtre.Depuisce tempsTirsodeMolinaestleplusjouédetouslesanciens.

(3)Ed.Thierry,le FestindePierre,leMotiériste,t. II, p. 291et suiv.32'Jet suiv. »

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146 LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

sans désaveu, et d'une interdiction sans blâme ».A Fontainebleau, le 4 août, il en a fait la lecturo auCardinal Chigi, neveu et Légat a latere du papeAloxandro VII.

Lo 31 août, premier placet au Roi pour Tartuffe. Leroi est muet. Démarches, sollicitations : lo Princo deCondé s'intéresso à l'oeuvre nouvollo, et la troupe,par son ordre, so rend au Ra'incy où Madame la Prin-cesse Palatine a sa maison do plaisance, pour y repré-senter Tartuffe en entier—-et pour la premièro foisen entier - lo samedi 29 novembre.

En attendant, la pièco ne passe toujours pas en

public. Les recettes au Palais-Royal baissent d'une

façon lamentable, et cela au plus fort do la saison

d'hiver, en janvier. Il faut frapper un grand couppour lo Carnaval. Et c'est alors, sur l'instigation deses camarades, dit-on, que Molièro so décide à écrireà son tour un Dom Juan.

En prenant un sujet aussi populaire, en lui laissantmême son titre en sous-titre «Lo Festin do Pierre » ilest à peu près certain d'attirer la foule. Seuloment ilno peut s'empêcher do dépasser lo cadre. De même queson Pierrot du deuxième acte, lo pauvre autour éprouvele besoin do « débonder son coeur ». Ne vient-on pas de

l'empêcher do stigmatiser l'hypocrite suborneur ?Il fora plus : sous le couvert do Dom Juan il stigma-tisera l'hypocrisio do l'athée. Qui ne reconnaîtra unedouce vengeance de l'auteur de Tartuffe éconduitdans ces paroles qu'il va mettre dans la bouche de sonhéros : « Aujourd'hui la profession d'hypocrite a demerveilleux avantages... l'hypocrisie est un vice privi-légié, qui de sa main ferme la bouche à tout le mondeet jouit en repos d'une impunité souveraine ».

L'hypocrisio de l'athée, telle est la conception de

Molière, et cette manière de voir va rester à tel pointacquise que lorsque Rosimond (1) donnera plus tard

(1)LeMoliériste,t. IX, p. 301et suiv.

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DOMJUAN 14?

un quatrième festin de Pierre au Th. du Marais, il

ajoutera comme sous-titre : ou YAthée foudroyé,Molière n*a, en écrivant Dom Juan, qu'une préoccu-pation : l'interdiction qu'on vient de lui fairo do repré*senter en public son Tartuffe,

L'autour profondément déçu doit s'incliner devantles obligations du directeur. Il faut relever les recettes ,il faut quo lo public reprcnno le chemin du Palais*

Royal. Aussi de quels soins va-t-il entourer cette pre-mière do Dom Juan fixco au dimanche le plus appropriéde la saison, lo dimancho du Carnaval, avec la secondele mardi gras. Quant à la distribution des rôles, il laconfiera à ses tout premiers interprètes :

Dom Juan . , LAGRANGE.Sganarcllc . MOLIÈRE.Dom Louis BÉJART.Pierrol .HUBERT.M. Diiij;.'iche Do CROISY.I.. I;:iri.c. , , DE BRIE.Ei.t* M"« Du PARC.Charlotte Mn° MOLIÈRE.Mathurino MUeDE BRIE.

Indépendamment de l'interprétation, il faut s'occu-

per do la mise en scène. Ce mot appliqué à un ouvragedu xvue siècle peut étonner.On no voit pas bien l'impor-tance quo pouvait prendre uno mise en scène avec des

marquis sur le théâtre. Mais Dom Juan ost une excep-tion. Les Italiens, qui les premiers ont donné la pièce,l'ont entourée d'un luxe de décors (on disait alors

machines) inaccoutumé. Le tombeau du Commandeursurtout a fait sensation. Beaucoup ne sont allé voirla pièco que pour admirer lo tombeau. Molièro a dûsur ce point respecter la tradition.

Nous n'avons aucune gravure représentant cetombeau du temps do Molière, mais G. Monval aretrouvé dans les Archives de la Comédie française unMémoire de Peinture et.de Décorations faites pourMessieurs les Comédiens françois qui nous donne quel-

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143 LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

ques indications précieuses. Ce mémoire, il est vrai,est bien postérieur à Molière, puisqu'il est daté du24 mai 1Y46, mais puisqu'il ne s'agit que d'uno remiseà neuf d'uno vieille décoration, il nous donne un aperçude ce qu'elle avait pu être (1).

C'est ainsi quo nous savons par co mémoire que ce

tombeau, monté sur trois marches, était peint enimitation marbres de plusieurs couleurs, avec uncartouche renfermant l'epitaphe ; qu'il était orné detrois figures, dont deux de femmes pleurant, en gran-deur naturelle, et une, en bas, représentant un génieéteignant un (lambeau près d'un trophée, le tout peint,et rehaussé d'or.

Puis, derrière le tombeau, lo mémoire nous signaleune ferme « représentant un fond d'architecture, cir-culant sur son plan, avec pilastres et panneaux dedifférents marbres, au devant duquel s'élève une

pyramide aussi de marbre, portant uno urne rehausséed'or ; au-dessus de la pyramide est un baldaquin, d'où

partent deux rideaux d'étoffe cramoisie doublée

d'hermine, qui vont s'attacher aux deux côtés avecdes glands d'or, formant des chutes sur les pilastres ;lo baldaquin est couronné d'une pomme de pin, et setermine sur les côtés en volutes et consoles, d'où

partent deux lampes en forme de vases ; tous les orne-menta de ce morceau sont rehaussés d'or ».

Voilà certes un tombeau qui n'était pas banal. Ondirait aujourd'hui qu'il était le «clou «de la pièce.Songezque sa seule remise à neuf coûtait plus de 150 livres,somme qu'il faut au moins multiplier par cinq pour sefaire une idée de sa valeur.

Le gazetier Loret, alors bien malade, et ne pouvantpas sans doute se déplacer, s'empresso d'annoncerla pièco à la veille de la première, en engageant vive-ment ses lecteurs à l'aller voir (2).

(1)LeMoliiritle,t. IX, p. 301et suiv.(2)Lettredu14février.Loretmouruta la findemai.

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DOMJUAN 149

L'Effroyable Festin de PierreSi fameux par toute la terre,Et qui réussUsoitsi bien,Sur le Théâtre Italien (1),Va commencer l'autre semaine,A paroître sur notre scène,Pour contenter et ravir ceuxQui no seront point paresseux,Do voir ce sujet admirable.Et lequel est, dit-on, capable,Par ses beaux discours do toucher,Les coeursde bronze et do rooher ;Car le rare esprit do Molière,L'a traité de telle manièreQuo les gens qui sont curieuxDu solide et du beau sérieuxS'il est vrai ce qu'on en conte.Sans doute y trouveront leur compte.

Et touchant lo stile enjoué,Plusieurs déjà m'ont avoué,Qu'il est fin à son ordinaire,Et d'un singulier caractère ;Les Actrices et les Acteurs,Pour mieux charmer les Auditeurs,Et plaire aux subtiles oreilles,Y feront, dit-on, des merveilles :C'est co quo nous viennent conterCeux qui les ont vu répéter ;Pour les changemens de Théâtre,Dont lo Bourgeois est idolâtre.Selon le discours qu'on en fait,Feront un surpenant effet,Mais je no suis pas un oracle,Et n'ayant pas vu ce Spectacle,Que sçab-je moi, je puis errer ;Ainsi pour mieux s'en assurer,Soit aux jours gras, soit en Carême,Que chacun l'aille voir soi-même.

Le but visé par le directeur est atteint. Les recettestombées à 112 livres 10 sols le 30 janvier avec YEcole

(1)OnremarqueraqueLoretnefaitaucuneallusionauthéâtreespagnol.Il est doncbienavéréquede Villiers,Dorimondet Molière(nouscitonspar ordrede date) connaissaientle Festinde Pierrebienplutôtpar lesreprésentationsitaliennesdonnéesde cet ouvragequepar lesespagnols.

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150 LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

des maris cl les Fâcheux, rebondiss'ent à 1830 livres

pour la premièro, et atteignent 2390 livres à la cin-

quième, avec des frais do décorations extraordinaires

qui n'avaient guère dépassé 1000 livres (1), comme h

prouve la part payée par Lagrange, sur 13 parts.Néanmoins quelques «traits hasardés sont blessé

une partie du public do la première. Certains ont voulutrouver dans la pièco nouvelle « un mélango monstru-eux de religion et d'impiété, do moralo cl do bouffon-nerie ». Quolqucs passages ont dû mémo étro modi-fiés dès la secondo, et les critiques so résumèrent dansuno brochuro miso en vente trois mois plus tard :Observations sur une Comédie de Molière intitulée leFestin de Pierre, par B. A. de Rochemont, Paris, in-12,

Pépingué, 1665, permission du 10 mai.Nous en reproduirons, après les Frères Parfait,

un passage (2) ; « Il est vrai qu'il y a quelque chosedo galant dans les ouvrages de Molière, et je seraisbien fâché do lui ravir l'estime qu'il s'est acquise. Ilfaut tomber d'accord que s'il réussit mal à la Comédie,il a quelque talent pour la Farce, et quoiqu'il n'aitni les rencontres de Gaultier Garguille, ni les impromp-tus do Turlupin, ni les bravoures du Capitan, ni lanaïveté de Jodelct, ni la panse do Gros Guillaume,ni la scienco du Docteur, il ne laisse pas de plairequelquefois et de divertir eu son genre... »

Trop aimable en vérité ce critique qui vient do nousfoire juger de son bon goût. Mais continuons :

« Voilà en peu de mots, co que l'on peut dire de plusobligeant et de plus avantageux pour Molière ; et

certes, s'il n'eût joué quo les Précieuses, et s'il n'eneût voulu qu'aux petits pourpoints et aux grandscanons, il no mériterait pas une censure publique,et ne se serait pas attiré l'indignation de toutes les

personnes de piété. Mais qui peut supporter la har-

(1)RegislredeLagrange,p.71,à ladatedu17février.(2)LesFrèresParfait,Hist.duTh.Français,t. IX,p. 346.

Page 164: Les Premières de Molière

DOMJUAN m

diesse d'un Farceur, qui fait plaisanterie de la Religion,qui tient Écolo du libertinage, et qui rend la Majestédo Dieu lo jouet d'un Maltro et d'un Valet de Théâtre,d'un Athéo qui s'en rit, et d'un Yalot plus impio queson Maître, qui en fait riro les autres ». - Dans un autre

passage, l'auteur demando pour Molièro l'excommuni-

cation, uno réparation publique, et l'interdictiond'entrer a l'église.

A quoi l'auteur des Mémoires surla Vie et les Ouvragesde Molière so contenta do répondre : « 11 est faciledo connaîtro quo le Sieur de Rochemont en donnant sesobservations sur lo Festin de Pierre, en a moins voulufaire la critiquo, dans laquclto cependant il traiteMolièro do corrupteur de la jeunosse et d'athée, qu'iln'a eu dessein do so joindre à la cabalo, qui commençaità se former contre la comédie du Tartuffe, dont lestrois premiers aetes avaient été représentés trois foisdans l'année 1661. On peut juger de l'effet quo ces

premières représentations produisirent par les traits

injurieux dont co passage est rempli ».La brochure do Rochemont n'était pas restée sans

réplique. Un anonyme y répondit sous le titre suivant :

Réponse aux observations touchant le Festin de Pierrede Molière, Paris In-12, Gabriel Qtiinet avec permission,1665. Mais cet écrit est anonyme, et laisse même sup-poser que celui à qui il répond pourrait bien n'être

qu'un nom supposé. Après tout, il n'importe, puisquenous no voulons, par ces citations, quo résumer les

opinions en cours à la suite de cette représentation.« Mais lorsquo je vois le livre do cet inconnu (do

Rochemont), nous dit le contradicteur, qui, sans sesoucier du tort qu'il fait à son prochain, no songe qu'àusurper la réputation d'homme do bien, je vous avoue

que je no saurais m'empêcher d'éclater ; et, quoiquoje n'ignore pas que l'innocence so défende assez d'elle-

même, je ne puis que je ne blâme une insulte si con-damnable et si mal fondée ».

Page 165: Les Premières de Molière

152 LES PREMIÈRESDB MOLIÈRE

Un second auteur répondit encore au prétendu deRochemont. Cette réponse est intitulée : Lettre surles Observations d'une Comédie du Sieur de Molière,intitulée le Festin de Pierre, Paris, In-12, Gabriel

Quinet, 1665, avec permission. On peut y lire page 22 :« A quoi songiez-vous, Molière, quand vous fîtes desseinde jouer les Tartuffes ? Si vous n'aviez jamais eucette pensée, votre Festin de Pierre ne serait pas sicriminel ». Et plus loin, page 46 : « Sçavez-vous bien,Monsieur, où tout ce beau raisonnement aboutit ?A une satire de Tartuffe ; l'observateur n'avait garded'y manquer, puisque ses remarques ne sont faites

qu'à ce dessein. Comme il sçait que tout le monde est

désabusé, il a appréhendé qu'on ne le jouât ».Ce à quoi fait allusion dans sa lettre en vers du 8 août

le gazetier Robinet, le continuateur de Loret :

Partisans du Festin de Pierre,Indignés de l'injuste guerreQu'un atrabilaire Docteur,A fait à son célèbre auteur ;Je vous avertis qu'une plume,Artisane de maint Volume,L'a défendu, mais du bel air,En un stile énergiqueet clair,Et tout-à-fait avec méthode, .Sans citer Digîslc, ni Code,No prenez pas Marc pour Renard,Car ici, raillerie à part,Et sans que personne s'offence,Ce n'est pas certaine deffenec,Qui depuis dix jours a para,D'un Auteur armé, non à cm,Qui carabinant et peu ferme,Effleure à peine l'Epidémie.Je parle d'un Auteur galant,Je parle d'un autre assaillant,Et d'une escarmouche nouvelle,Autant vigoureuse que belle.Et vous apprendrez chez Quinet,Ce qu'ici vous dit Robinet.

Mais si Quinet publiait les brochures éerites pour

Page 166: Les Premières de Molière

DOMJUAN 168

la défense de Dom Juan, la pièce n'avait pas les mêmeshonneurs de l'impression. Des passages en avaientété supprimés à la représentation, et Molière ne voulaitsans doute pas s'dbaisser à publier ses oeuvres tron-

quées. Dom Juan ne devait être imprimé que dix-septans plus tard—et encore avec des suppressions.—Molièreétait mort depuis neuf ans, et sa veuve, pour remettrela pièce à la scène, avait dû demander à ThomasCorneille de la refondre en vers, sans y rien laisser^de ce qui pût offusquer la susceptibilité de personne (1).

Pouiquoi cette pièce, dans sa nouveauté, ne put-elleatteindre que péniblement la quinzième représentation?Sans doute parce que, du haut de la chaire, la comédiede Molière, avait été mise à l'index. C'est dans la cabaledes faux dévots, déjà ameutés contre Molière parla connaissance des trois premiers 'actes de Tartuffe,qu'il faut chercher la véritable cause de la chute deDom Juan, et non dans la pièce elle-même qui ren-ferme un caractère admirablement tracé.

Et maintenant pourquoi avons-nous écrit ici Dom

Juan, et non Don Juan ?

Lorsque l'affiche de la Comédie française adoptacette orthographe qui surprit, la question fut poséede suite dans YIntermédiaire des chercheurs et des

(1)Le12février1677,premièredu FestindePierreau ThéâtreGuéné-gaud.Ml,eMolièrereconnutparécritqu'elleavaitfaitnietire en verslad'il»pièce<squiluiappartenait»,etThomasCorneillenefilaucunedifficultépourreconnaîtredans un avant-proposque celle pièceétait celledeMolière; « Quelquespersonnesqui ont tout pouvoirsur moi, écrit-il,m'ayantengagéà la mettreenvers,jemeréservailalibertéd'adoucircer-tainesexpressionsquiavaientblesselesscrupuleux.J'ai suivilaproseasscaexactementdanstoutlereste,a l'exceptiondesscènesdutroisièmeet cin-quièmeacteoùj'ai fait parlerdesfemmes.»

G,Monval,toujoursn précù,a commisunelourdeerreurenparlantdecettepiècedanssesNotesdel'ÉditionJouausl.Hcruten effetquecettepiècede Thomasavait été représentéeen 1C67(et non1677),ce qui luifaitajouter; <Il fautquel'insuccèsait étébiengrand,et qu'iloit paru&Molièrebiendéfinitif,pourqu'ilait consentia laisserainsidéfigurerunepiècequ'ildevaitrlasscrau premierrangdanssonthéâtre.»

HélasInon.Molièren'a paspuconsentiracettedéGgurationpourcettebonneraisonqu'ilétait mortdepuisquatreans.C'esta sa veuvequecereproche,si reprocheil y a, doits'adresser.

Page 167: Les Premières de Molière

154 LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

curieux (1). D'où vient cette bizarrerie déconccrtanto ?demandait-on. Quelle raison peut-on invoquer pourinfliger au trop légcndairo homme à bonnes fortunesun qualificatif jusqu'ici réservé aux Bénédictins ?

Les réponses ne manquèrent pas (2). Toutes furentd'accord pour rappeler que l'orthographe Dom étaitcelle du temps de Molière, que cette orthographese maintint pendant la première partie du xvin'siècle (Édition de Molière 1734) et qu'elle aVait changéquarante ans plus tard (Édition 1773). Depuis ce temps,seuls les érudits ont remis en honneur le titre de DomJuan dans leurs éditions. D'où il résulte que l'afficheactuelle de la Comédie française ne fait que de se con-former à l'usage du temps où Molière écrivit sa pièce.Mais, ajoutions-nous, quelle était la nécessité de ressus-citer cette forme archaïque ? Si l'affiche annonceDom Juan, il n'y a aucune raison pour qu'elle ne nous

présente pas aussi YEscole des femmes et les Fascheux.Nous avons voulu marcher de conformité avec l'édi-tion do 1682 et l'affiche actuelle, bien que cette par-ticularité, nous l'avouons, ne se fît réclamer parpersonne.

Reste enfin à nous expliquer sur le titre du Festinde Pierre titre impropre qui ne traduit nullementEl Combidado de piedra le Convié de pierre, car c'estla statue du Commandeur qui est en pierre, et non le

repas. Mais il existera toujours des traditions quiauront force de loi, et Molière ne put changer le titre

déjà adopté en français avant lui, sous peine de fairecroire qu'il s'agissait d'un autre sujet.

(1)10mars1917,C.183.(2)Intermédiairedu 10avril suivant.OntréponduAlbertCim,Henry

Lyonnet,Soulgé-Riorges,Ibère,J. Ct.

Page 168: Les Premières de Molière

CHAPITRE XIV

L'AMOUR MÉDECIN

Comédieen proseen 3 actesThéâtrede la Courà Versailles,avecmusiqueet ballet :

14 Septembre1665.Théâtredu Palais-Royal,sans ornements:

22 Septembre1665.

La troupede Molière à Versailleset l'Amour Médecin,comédie-ballet.—•La Pièce à Paris. — Succès.— Une reprise en1920. — Campagne de Molière contreUs Médecins.

Entre Dom Juan représenté au mois de février

précédent et lo Misanthrope en préparation pour l'annéesuivante, YAmour médecin nous apparaît comme unentr'acte dans l'oeuvre de Molière, lequel prit soin,du reste, de nous en raconter l'histoire :

« Co n'est icy qu'un simple crayon, nous dit-il, un

petit impromptu dont lo roy a voulu se faire un diver-tissement. Il est le plus précipité de tous ceux que Sa

Majesté m'ait commandez, et lors que je diray qu'il aesté proposé, fait, appris et représenté en cinq jours,je ne diray que ce qui est vray » (1).

Que l'on n'aille pas, d'ailleurs, plaindre outre mesurel'auteur, d'une telle bousculade. Quand il ne s'agitque d'écrire de petites pièces, comme l'a fait très juste-ment remarquer M, Maurice Donnay, « cela ne luicoûte aucun effort, aucune peine, mais le détend, ledélasse... on sent qu'il s'amuse lui-même beaucoupen les écrivant, et il entend d'avance les rires du par-terre » (2).

!l)Avertissementau lecteur.

2)Molièrep. 222.— 1011.

Page 169: Les Premières de Molière

166 LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

Au mois do septembre 1665, Molière ne peut rienrefuser au monarque. Sa troupe, qui jusqu'alors n'avaitété que la « Troupe de Monsieur »— lequel lui continuasa protection

— n'a-t-elle pas obtenu le mois précédentl'autorisation de s'intituler « La Troupe du Roy au

Palais-Royal » avec 6000 livres de pension ? Précieux

avantage si l'on songe que la Troupe rivale del'Hôtel de Bourgogne est depuis longtemps la « TroupeRoyale ».

Le 13 de ce mois de septembre, toute la compagniepartit donc à Versailles, sur ordre reçu, pour cinqjours. On avait fait déjà relâche le 11 pour mieux

préparer ce spectacle improvisé. Le dimanche soir,jour de l'arrivée, on représente déjà YEcole des mariset l'Impromptu* La première de YAmour médecin estfixée au lundi 14. Mais cette pièce en trois actes,comporte alors un prologue, deux entr'actes, et un

ballet, musique de Lulli. Ce fut même, à cette occasion,la première collaboration de Molière et de Lulli, tandis

que la pièce était la quatrième de ses comédies-ballets,dont il produira encore huit après elle.

Molière attachait-il grande importance à ces amuse-ments qui ne constituaient qu'un agréable passe-temps ? On pourrait le croire lorsque l'on s'aperçoitdes précautions qu'il prend lorsqu'il se résout, presqueà contre-coeur, à livrer ce genre d'ouvrages à l'impres-sion :

« Il n'est pas nécessaire de vous adverlir qu'il y a

beaucoup de choses qui dépendent de l'action, nous

dit-il; on sçait bien que les comédies ne sont faites quepour estre jouées, et je ne conseille de lire celle cyqu'aux personnes qui ont des yeux pour découvrirdans la lecture tout le jeu du théâtre ; et ce que jevous diray, c'est qu'il seroit à souhaiter quo ces sortes

d'ouvrages pussent toujours se monstrer à vous avecles omemens qui les accompagnent chez le Roy. Vousles verriez dans un estât beaucoup plus supportable,

Page 170: Les Premières de Molière

L'AMOURMÉDECIN 157

et les airs et les symphonies de l'incomparable Monsieur

Lully, meslez à la beauté des voix et à l'addresse des

danseurs, leur donnent, sans doute, des grâces dontils ont toutes les peines du monde à se passer ».

Une question se pose : vendait-on alors beaucoupde pièces de théâtre ? Nous ne le croyons pas. On al-lait les voir, mais on ne les achetait guère.

Lagrange, dans son Registre, nous apprend quel fut

le sort de cette pièce. La troupe partit donc à Versaillesle dimanche 13 septembre et revint le jeudi 17 aprèsavoir joué YAmour médecin trois fois, les 14, 15 et 16,«avec musique et ballet ». Mais il ne fallait pas songer àdonner à Paris cette comédie avec les a ornemens *

de la Cour, tandis que, d'autre part, Molièie ne voulait

pas renoncer à priver ses habitués de la partie de comé-die qui avait si bien réussi à Versailles. Il est vrai queles trois petits actes, dépourvus à présent de musiqueet de danse, n'avaient plus que la longueur d'un acte.On se contenta donc d'en renforcer le Favory (1), dontla recette était descendue à 275 livres l'avant-veille,(avec YEcole des maris), ce qui la fit remonter desuite à 1966 livres. La nouvelle pièce eut 27 repré-sentations consécutives, et resta au répertoire, perdantsa qualification de comédie-ballet et prenant dès la

cinquième un autre titre : Les Médecins.Les Frères Parfait nous apprennent même dans leur

IXe volume de YHistoire du Théâtre françois publiéen 1746, que cette comédie, qui se jouait encore assezsouvent de leur temps, prenait sur l'affiche le tîtiedes Quatre médecins.

C'est qu'en effet, la scène typique où quatre médecinss'enferment pour une consultation, ne parlent entreeux que d'objets absolument étrangers à la maladie

pour laquelle ils ont été appelés, et, pressés d'en finir,donnent hardiment une ordonnance sans avoir dit

(I) LeFavoryde M114DesJardins,tragi-comédie,avait été représentéturleThéltreduPalais-Royalle24avrilprécédent.

Page 171: Les Premières de Molière

168 LES PREMIERES DE MOLIERE

un mot du cas dont il s'agit, cette scène, disons-nous,est restée la scène inoubliable.

Quant au corps médical, — du passé, du présent etde l'avenir — il aurait bien tort d'en vouloir à Molière.Ce grand observateur, choqué des manières graves,des dehors étudiés, du vain étalage de mots scienti-

fiques que les médecins de son temps affectaient, pouren imposer au public, crut simplement pouvoir tirerde ces ridicules un fond de comique des plus fins, des

plus divertissants, et il n'a jamais prétendu viser autrechose. Enfin, Molière, n'a pas moins malmené lesclients. Lorsque Argan, dans le Malade, parvient encausant à extirper une consultation gratuite à Dia-

foirus, les médecins ont dû se déclarer enchantés.« Mais il y a autre chose, écrit M. Roger de Fiers

dans un de ses feuilletons dramatiques. Les médecins

étaient, au dix-septième siècle, fort éloignés des chosesdu théâtre et les considéraient volontiers comme de

simples plaisanteries sans importance. Ils n'allaient

jamais au spectacle. Un médecin ou un magistratqu'on aurait aperçu souvent au théâtre aurait, parcela même, perdu toute considération dans l'opinionde sa clientèle... Mauvillain était traité en paria par laFaculté pour divers motifs dont l'un était qu'il passaitfréquemment la soirée dans les coulisses. Que les tempssont changés 1 »

La Comédie françaisceutl'excellentcidéedereprendreen janvier 1920 YAmottr médecin, avec les chants,ballet et divertissements, tel qu'il avait été donné àVersailles devant le roi. La presse fut à peu près una-nime à trouver cette reconstitution d'une drôlerieet d'un agrément extrêmes. Les costumes étaient

charmants, les pantomines burlesques des médecins

réglées avec une fantaisie ne sentant pas l'effort, et la

musiquo de Lulli fut déclarée délicieuse bien que d'un

rythme souvent trop lent. Mais cette lenteur même

ajoutait au style quelque chose d'un peu solennel

Page 172: Les Premières de Molière

L'AMOURMÉDECIN 159

contrastant de façon plaisante avec le comique débor-

dant des situations.La distribution de YAmour médecin à l'origine ne

nous est pas parvenue : Sganarellc, incontestablementce fut Molière; il fut le Sganarelle.de toutes cellesde ses pièces qui en comportent un : Clitandre ?

Lagrange, selon toute apparence. Quant à Lucinde,ce rôle nous semble tout indiqué pour Melle Molière,comme celui de Lisette pour Madeleine.

Et maintenant nous rectifierons une légère erreur

qui s'est accréditée au moment de cette reprise de 1920.Certains de nos confrères ont écrit que celte pièceétait la première de celles de Molière où il se moquedes médecins. Il avait commencé dans Dom Juan. Le

point de départ de ces plaisanteries se trouve dansla première scène du 3e acte de cette comédie, lorsqueSganarelle déguisé en médecin dit à son maître :— Mais savez-vous, Monsieur, que cet habit me met

déjà en considération, que je suis salué des gens que jerencontre, et que l'on me vient consulter ainsi qu'unhabile homme ?

Plus loin c'est Dom Juan qui lui répond :— Pour quelle raison n'aurais-tu pas les mêmes privi-lèges qu'ont tous les autres médecins ? Ils n'ont pasplus de part que toi aux guérisons des malades, et toutleur art est pure grimace. Ils ne font rien que recevoirla gloire des heureux succès, et tu peux profiter commeeux du bonheur du malade, et voir attribuer à tesremèdes tout ce qui peut venir des faveurs du hasardet des forces de la nature.

SGANARELLE.— Comment, Monsieur I vous êtesaussi impie en médecine ?

^ÔMJUAN.—C'est une des grandes erreurs qui soientparmi les hommes.

Et le Médecin votant qui date des toutes premièresannées de carrière do Molière, et qui ne figure pas dansses oeuvres ? Cette farce qu'il promena partout en

Page 173: Les Premières de Molière

160 LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

province, ne témoigne-t-elle pas — avant la lettre,si l'on peut dire — des sentiments agressifs du grandcomique contre tous les médicants et les médicamen-teurs ?

Humeur ? Ressentiment ? Raillerie simple ? Nousne le saurons jamais. Tout ce que nous voulions cons-tater c'est qu'il ne commença pas cette satire avecYAmour médecin. Il la poursuivra jusqu'à sa mort.

Page 174: Les Premières de Molière

CHAPITRE XV

LE MISANTHROPE

Comédieen vers, en 5 actes.Théâtredu Palais-Royal: 4 Juin 1666.

Le Misanthrope fut-il un four? — Pourquoi fut-il donnéen étéet retirémomentanémtnlenaoût?— Comptes-rendusdeSubli-gny et de Robinet.— Appréciations de de Visé.— Le râled'Alceste.— Pourquoi Molières'en chargea.

11faudrait en finir une fois pour-toutes avec cette

légende représentant le Misanthrope comme une piècetombée dès son apparition.

Tombée ? Pourquoi tombée ? La plupart des commen-tateurs se recopient les uns les autres, sans jamaisaller aux preuves. Résultat d'une connaissance impar-faite de la vie théâtrale de Molière. Le côté littéraireefface tout le reste.

Récapitulons les faits depuis près de deux ans :interdiction de jouer Tartuffe, la pièce sur laquelleon comptait pour attirer la foule. — Dom Juan retiréde l'affiche après 15 représentations seulement, pour lesraisons que nous avons dites. —• Mort de la soeur deMolière — Racine, protégé de Molière, passant armeset bagages dans le camp ennemi, emportant aveclui la tragédie d'Alexandre qu'il avait donnée toutd'abord à la Troupe du Palais-Royal.

— Froissements

d'amour-propre de tous côtés. — Contrariétés intimesdans le ménage. — Tristes recettes. — Maladie gravede Molière et fermeture du théâtre en pleine saison, le29 décembre. — Mort do la Reine-Mère en janvier, etdeuil de Cour réglé par l'étiquette.—Relâche forcé dans

0

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163 LES PREMIÈRESDE MOLIÈRE

tous les théâtres.— Réouverture après 55 jours d'inter-

ruption, six semaines seulement avant la clôture an-nuelle 15 jours avant Pâques. — Recettes dérisoires.

Voilà pourtant les conditions dans lesquelles Molièreécrivit son immortel chef-d'oeuvre 1

Enfin la nouvelle pièce est prête pour le 1er juin.Mais la Cour est partie à Fontainebleau le 2, entraî-nant avec elle une partie do la clientèle sur laquellel'auteur eût été en droit de compter. Il n'importe :il faut remplir la caisse qui se vide, et ce que nous

reprocherons volontiers à beaucoup de commentateu-c'est précisément qu'ils oublient trop facilement queMolière était chef de troupe, et en cette qualitéresponsable vis-à-vis de ses camarades qui étaient enmême temps ses associés.

Faut-il, après avoir écrit les deux derniers vers du

Misanthrope, que Molière mette son oeuvre dans unebalance pour savoir quel en est le poids ? C'est la pos-térité— dont il se soucie fort peu, croyons-nous,

—•quidécidera. Molière travaille pour son temps, et ne va

pas regarder plus loin. Ses charges sont énormes, et ilse préoccupe do la recette. Qui l'en blâmerait? Etvoilà pourquoi la première du Misanthrope fut fixéeirrévocablement au 4 juin.

On nous reprochera peut-être de trop nous appe-santir sur les côtés matériels de l'entreprise. Ils étaient

cependant de premier ordre aux yeux des associés.Ouvrons le Registre le Lagrange à cette date do juin166G. Qu'y voyons-nous ? La moyenne des recettestombée à 247 livres depuis la réouverture de Pâques

l'on n'avait pu jouer que cinq fois du 9 au 30 mai, —

remonte à 1124 livres pour les cinq représentationssuivantes avec le Misanthrope, et la pièce se joue vingtet une fois de suite sans intervalle.

On la retire de l'affiche, direz-vous. Et oui, on lar.îtire parce que l'on est ou mois d'août, au plus fort

des ch alcurs do l'été, mais on la reprend en septembre,

Page 176: Les Premières de Molière

LE MISANTHROPE 1G3

en l'accompagnant du Médecin malgré lui dont nous

parlerons un peu plus loin. Du 3 septembre au 21 nov.le Misanthrope se joue encore 14 fois, soit un totalde 35 fois pour le semestre. Est-ce le cas d'une piècetombée, à une époque où beaucoup d'ouvrages n'attei-

gnaient pas la vingtième représentation ?D'où vient donc la légende ? Comment a-t-elle pu

s'accréditer ? Car ce n'est pas le Médecin malgré luila seule cause du succès de la reprise. Cette nouvelle

pièce avait été représentée douze fois isolément avantd'être jointe au Misanthrope.

Cette légende vient, à notre avis, d'une phrase deGrimarest dans sa Vie de Molière : i Le Théâtre futdésert dès le troisième jour... » Grimarest n'avait pasconsulté certainement le Registre de Lagrange. Leschiffres lui eussent démontré le contraire (1). Ou encorede ce passage : « Le Misanthrope étant tombé, Molièrele retira : il le remit au théâtre un mois après ». L'auteuraurait dû ajouter : a le retira pendant le mois d'août

pour le reprendre au mois de septembre. »

Ce qui serait plus juste de dire, c'est que le public—nous disons le gros public—ne connaissait alors guèrele genre noble dans la comédie de caractères. On n'avait

pas encore diverti le public avec des visages naturels,a écrit l'Abbé du Bos (2) et l'on était surpris de ne plusvoir de masques à grimaces sur le visage des acteurs.C'était un genre nouveau que les uns déclaraient sansdurée possible, et dans lequel les gens de goût décou-vraient le parti immense que l'on en pourrait tirer.L'avenir justifia à cet égard la prédiction de Despréaux.

A ceux qui s'obstinent à dire que le Misanthropetomba, nous mettrons sous les yeux les compte-rendusde l'époque, ce qui nous dispensera de plus longs com-mentaires.

(1)LaViedeM.deMolièreparJeanLéouorLeCallotj,Sieurde Grima-rest, Paris,J. Lefebvre1705,in-12.(2)Réflexionscritique**urta Poésieetta Peinture,parM.l'Abbé«luIlos,

tomeII, p. 410et suiv.Edit.1740.

Page 177: Les Premières de Molière

164 LES PREMIÈRESDE MOLIÈRE

Subligny,dans la M use Dauphine {Y),s'exprime de la

façon suivante :

Pour changer un peu de discours.Une chose de fort grand cours,Et de beauté très singulière,Est une Pièce de Molièro:Toute la Cour en dit du bien,

Après son Misanthrope, il ne faut plus voir rien.C'est un chef-d'oeuvre inimitable :Mais moi, bien loin de l'estimer,Je soutiens, pour lo mieux blâmer,Qu'il est fait en dépit du diable.

Ce n'est pas que les vers n'en soient ingénieux ;Ils sont les plus charmants du monde,Leur tour, leur force, est sans seconde,Et scroit lin qui fcroit mieux.Mais je prouve ainsi ma censure.Il peint si bien tous les péchés

Que le diable fait faire à toute la nature,Que ceux qui s'en croiront tachés.Les haïront sur sa peinture ;Et qu'ainsi tes diables à eu,N'y gagneront plus un fétu.

Il daube encor si fort le Marquis ridicule,Que de l'être on fera scrupule ;Et ce n'est pas un petit tort,Que cela feroit à nos Princes,Qui de ces Marquis de Provinces,Par fois se divertiront fort.

1 Cela me fait dire en colère,Ce qu'autrefois j'ai dit,

Qu'on dovroit défendre à, Molière,D'avoir désormais tant d'esprit.

Robinet, de son côté, écrit dans sa Lettre en vers du12 juin :

Le Misanthropeen fin se joue,Je le vis Dimanche et j'avoue,

(1)LaMuseDauphineestuneGazetteenver»,danslegoûtdecellesdeLoretet de Robinet; elleest aussidivûéepar semaines.La premièreGazetteeit datéedu3juin1666etladernièredu24décembredeI*même?nnée; cesdiversmorceauxcomposentun volumein-t2 qui parut à**arisen 1667chezCLudeBarbin.Sublignyt>«continuapat cetouvrage.(NotedesFrèresParfait.)

Page 178: Les Premières de Molière

LE MISANTHROPE 165

Que Molière son Auteur,N'a rien fait de cette hauteur.Les expressions en sont belles,Et vigoureuses et nouvelles.Le plaisant et le sérieux,Y sont assaisonnés des mieux,Et ce Misanthrope est si sage,En frondant les moeurs de notre âge,Que l'on diroit (Benoit Lecteur)Qu'on entend un Prédicateur.Aucune morale Chrétienne,N'est plus louable que la sienne,Et l'on connolt évidemment,Que dans son noble emportement,Le vico est l'objet de sa haine,Et nullement la race humaine,Comme elle étoit à ce Timon,Dont l'histoire a gardé le nom,Comme d'un monstre de nature.Chacun voit donc là. sa peinture,Mats de qui tous les traits censeurs,Le rendent confus de ses moeurs,Le piquent de la belle envie,De mener toute une autre vie.Au reste, chacun des Acteurs,Charme et ravit les Spectateurs,Et l'on y peut voir les trois Grâces,Menant les amours sur leurs traces,Sous le visage et les attraits,De trois objets jeunes et frais,Molière, Du Parc et De Brie,Allez voir si c'est menterie.

A noter en passant que c'est extrêmement rare devoir, dans des chroniques de ectto époque, citer lesnoms des interprètes, lesquels noms no figuraientmême pas sur les affiches.

Enfin de Visé lui-memo, dont on connaît la jalousieque faisait naître en lui le mérite do Molière, ne puts'empêcher d'écrire une Lettre sur le Misanthrope, oùil rend compte de l'ouvrage acto par acte en en faisantvaloir toutes les qualités, lettre que le libraire crutdevoir publier en la précédant de cet Avis au Lecteur:* Le Misanthrope, dès sa première représentation

Page 179: Les Premières de Molière

166 LES PREMIÈRESDE MOLIÈRE

ayant reçu au Théâtre l'approbation que le Lecteur nelui pourra refuser, et la Cour étant à Fontainebleau

lorsqu'il parut, j'ai cru que je ne pouvois rienfaire de plus agréable pour le Public, que de luifairo part de cette lettre, qui fut écrite un jouraprès, à une per- sonne de qualité sur le sujet do cette

Comédie, etc. ».Aucune critique ne parut contre le Misanthrope,k sa

création, et cela malgré les envieux, malgré les troupesconcurrentes de l'Hôtel et du Marais, malgré la hordedes bigots déchaînés contre Molière- depuis les trois

premiers actes de Tartuffe et la représentation duFestin de Pierre.

M. Edouard Thierry dans une série d'études remar-

quables sur le théâtre de Molière et son répertoire,a parfaitement résumé en quelques lignes la carrièredtt Misanthrope à cette époque :

« Lo succès lui arriva cependant (au Misanthrope).D'abord on avait passé le relâche de l'Assomption ;août marchait vers septembre, et puis Molièfc avait

repris les Fâcheux pour accompagner le Médecin malgrélui. L'affiche était riante:la comédie-ballet, (même sansles agréments des grands jours) et la farce bourgeoise,l'amusement et la variété des scènes, les beaux cos-tumés et le gros rire, un véritable spectacle d'été arri-vant un peu tard, mais arrivant encore à propos. Lacombinaison fut heureuse. Il ne manquait au Médecin

malgré lui que la longueur, mais, la longueur manquant,il fallait toujours compléter le spectacle. Les Fâcheuxétaient tout à point pour cela, et l'affiche qui réunis-sait les deux pièces donna, en six représentations,une moyenne de 700 livres ou peu s'en faut. Toutefoisil était temps de remplacer les Fâcheux qui n'avaient

plus d'action sur la recette ; ce fut alors que Molière

reprit le Misanthrope, et Auger a eu raison de dire :« 11n'est pas vrai que le Médecin malgré lui ait soutenule Misanthrope. » Il est plus vrai, aurait pu ajouter

Page 180: Les Premières de Molière

LE MISANTHROPE 167

l'excellent commentateur, que le Misanthrope a soutenule Médecin malgré lui (1). »

Ce ne fut même pas l'insuffisance de la recette quiraya plus tard le Misanthrope de l'affiche. Molière

jouait dans le même spectacle Alceste et Sganarelle,et cet effort imprudent était au-dessus de ses forces.L'état de sa santé lui commandait le repos.

Disons à présent quelques mots de la distributionde la pièce.

Alceste, c'est Molière. Philinte, le raisonneur,l'homme du monde, c'est la Thorillière. Oronte convient

parfaitement à du Croisy qui s'est spécialisé dans les

philosophes et les poètes. On retrouve Lagrange sousles traits d'Acaste, Quant aux femmes, ne dirait-onpas que les rôles ont été faits sur mesure. Célimène,la grande et jeune coquette, n'est-ce.pas Melle Molière,de même que la douce Éliante est personnifiée parMelle de 3rie, et la prude et belle Arsinoé par Me,ledu Parc.

Oh I ce rôle d'Alceste, que de torrents d'encre il fitcoulerl La plupart ont voulu voir dans Alceste un grandpremier rôle, et cependant il fut créé par Molière, un

premier comique. Comment l'interpréter ? Les unsl'ont dramatisé, les autres l'ont joué en butor (2).Bien peu ont compris que si Molière s'était chargédu rôle, c'est qu'il a voulu passer pour un personnageridicule et faire rire de lui. Il sait fort bien qu'il a misdans la bouche de son personnage les paroles les plussensées, mais il a compris que de son temps, commedu nôtre, c'était une absurdité d'oser parler ainsi dans

je monde. Il est donc en apparence sérieux, il est droit,il est logique, et par cela même il est grotesque. Il estla risée non seulement des personnages de la pièce,mais du public qui l'écoute.

(1)LeMolièrlste,t. V,p. 199et «uiv.Cetteopinionest contestable.IlseraitplutjustededirequeleMédecin,piècegaic.complétaitagréablementle «pectacle.

(2)l* MoliérisU,t. VII,p.99,AttestecomiqueD°,p.Jlfi, Alcestesérieux.

.rtî

Page 181: Les Premières de Molière

168 LES PREMIÈRESDR MOLIÈRE

Un exemple, pris dans le répertoire de Labiche,fera bien mieux comprendre la pensée de Molière :un bourgeois misanthrope, persuadé que l'honnêtetén'existe plus sur terre, est surpris de voir un brave

auvergnat lui rapporter un portefeuille qu'il a perdu.Heureux d'avoir rencontré un tel « phénomène », il

l'engage de suite à son service, lui donnant comme

unique mission de dire toujours, en toutes circons-

tances, la vérité. Mais au bout do quelques heuresde cet essai il le congédie, car l'auvergnat

— tout endisant la vérité — l'a fait fâcher avec toute sa familleet se3 amis (1).

« Toute vérité n'est pas bonne à dire » pourrait êtrele sous-titre du Misanthrope, si les théâtres de provinceso servaient encore de sous-titres. Et c'est pourquoi,si l'on veut y regarder de près, Molière dans sa chambre

pense comme Alceste, mais dans le monde estime qu'ilvaut mieux penser comme Philinte. Il sait bien, parexpérience, que les idées d'Alceste ne peuvent êtremises en pratique, qu'un tel personnage sera vouéaux moqueries du parterre. Aussi, pour jouer cette

partie difficile, se chargcra-t-il lui-même du rôle

ingrat d'Alceste. Son emploi,—

qu'il soit Sganarelle,Arnolphe ou Orgon, ne consiste-t*il pas à faire rire ?

Qu'il soit berné par sa femme, sa pupille ou un impos-teur, il sera toujours un sot ou un naïf. 11le sera unefois de plus dans Alceste, puisqu'il n'a pas compris la

façon de vivre dans notre société. Molière n'a pasconçu le rôle autrement. De son temps surtout, — n'ou-blions pas que Molière jouait devant la Cour — le per-sonnage d'Alceste, bien que tenu sérieusement par son

interprète, se rangeait dans la galerie des grotesques.Pour bien saisir ectto nuance, il faut se reporter a

l'époque où ce chef-d'oeuvre fut créé. C'est à cettecondition qu'on lo verra sous son vrai jour, Aujoiir-

(1)LeMisanthropeetVAuvergnat,corn,enunacteparLublte,LabM»•t Sfraudin,Th.du Palais-royal,19août1852.

Page 182: Les Premières de Molière

LE MISANTHROPE 169

d'hui, nous ne rions pas trop des idées d'Alceste, parceque nous les trouvons saines. En 1666, elles ne parais-saient qu'absurdes.

L'inventaire des habits de théâtre, dressé après lamort de Molière, relève : « Une autre boîte où sont leshabits de la représentation du Misanthrope, consistanten haut de chausses et juste-au-corps de brocart rayeor et soie gris, double de tabis, garni de ruban vertla veste de brocart d'or, les bas de soie et jarretières ;

prisé trente livres » (2).Quo vaudrait aujourd'hui cette relique si elle nous

avait été conservée ?

(2)Recherche**urMolièreetsursa famillepar Eud.Soulie,document»,p. 274.

Page 183: Les Premières de Molière

CHAPITRE XVI

LE MÉDECIN MALGRÉ LUI

Comédieen prose,en trois actes,Théâtredu Palais-Royal: 6Août1666

Le Médecin malgré lui, réminiscencede farces précédentes.—

Comptes-rendusdeRobinetet de Subligny.—•Cellepiècecorsela représentationdu Misanthrope.— Succès.— CostumedeSganarelle.

Le Médecin malgré lui, quo Molière allait mettreà la scène en plein été, n'avait, dans l'esprit de son

auteur, qu'une importance très secondaire. C'est quepour lui, il ne s'agissait pas d'uno pièce nouvelle, maisd'une refonte de quatre a farces » faites sur le même

sujet, et jouées par sa troupe, en province ou à Paris,sous les titres suivants : le Fagolier, le Fagoteux, leMédecin par force et le Médecin volant, qui ne sontelles-mêmes que le développement du fabliau le Vilainmire. Les comédiens italiens jouaient depuis longtempssur leur théâtre, à Paris, un canevas semblable,et Boursault, de son côté, avait donné à l'Hôtel de

Bourgogne son Médecin volant en 1661 (1).Est-ce à dire que Molière, en écrivant lo Médecin

malgré lui sous une forme définitive, n'ait pas donné authéâtre une farce incomparable, un chef-d'oeuvre

d'esprit, do vivacité et de bonne humeur ? Tout lemonde est d'accord là-dessus. Mais il no se vantail

guère de cette compilation à laquelle il avait apporte

M)Aproposdecelitresanscesserépété,ilcalpeut-cireutiledorappelerquun valetdéguiséen médecintaule d'unofenêtre&l'autrepourjouercesdeuxpersonnages,d'oùletitre.

Page 184: Les Premières de Molière

LE MÉDECINMALGRÉLUI 171

son génial tour de main. Aussi ne la traitait-il, commenous le verrons plus loin, que de «bagatelle ».

11 ne fait aucun bruit autour de son apparition ;il donne sa nouvelle pièce le 6 août, à la suite de laMère coquette, et la recette ne dépasse pas 632 livres

pour la première. Mais il a l'excellente idée, au moment

où, les vacances tirant sur leur fin, il va reprendre le

Misanthrope, d'en corser son spectacle.Spectacle idéal s'il en fût 1 Le Misanthrope et le

Médecin malgré lui I La recette remonte à 973 livresdix sols. Mais la tâche est trop ardue pour un seul

homme, et Molière ne peut se permettre que cinq foisde jouer Alceste et Sganarelle dans la même représen-tation. Il tiendra désormais l'un de ces deux rôlesseulement Je même jour.

La distribution du Médecin malgrj lui à la créationne nous est guère connue. A part Molière (Sganarelle),Lagrange (Léandre) et Me,le Molière (Lucinde), nousne pouvons faire que des suppositions. L'inventairedes habits de théâtre dressé après la mort de Molièrenous permet même de dire quel était le costume de safemme en cette pièce : Jupe de satin couleur de feu,avec trois guipures et trois volants et le corps de toile

d'argent et soie verte.Quant au costume de Sganarelle, trouvé dans un

coffre de bahut rond, le même inventaire nous le décritainsi : <tPourpoint, haut de chausses, col, ceinture,fraise et bas de laine et escarcelle, le tout de sergejaune garnie de radon vert ; une robe de satin avec unhaut de chausses de velours ras ciselé » (1).

Quelques jours après la première du Médecin malgrélui Robinet écrivait dans sa lettre rimée du 15 août :

Un médecin vient de paroitreQui d'Hyppocratc est le grand maîlre,

Or ce médecin tout nouveau,

(1)Eud.Soulié,Retherche*surMolièreetsursafamille.Inventaireaprèsdfcei,p. 278.

Page 185: Les Premières de Molière

m LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

Et de vertu si singulière,Est le propre Monsieur Molière,Qui fait sans aucun contredit,Tout ce que ci-dessus j'ai ditDans son Médecin fait par force,Qui pour rire chacun amorce :Et tels Médecins valent bienPar ma foi ceux.... je ne dis rien,

Opinion confirmée par Subligny dans sa Muse

Dauphine qui nous parle en CC3termes de la même

pièce :

Pour changer de propos, dites-moi, s'il vous platt,Si le temps vous permet de voir la Comédie?Le Médecinpar forceétant beau commeil est,

Il faut qu'il vous en prenne envie.Rien au monde n'est si plaisant,Et si propre à vous faire rire :Et je vous jure qu'à présent,Quo je songe à vous en écrire,Le souvenir fait (sans le voir)Que j'en ris de tout mon pouvoir.Molière,dit-on, ne l'appelleQu'une petite bagatelle :

Mats cette bagatelle est d'un esprit si fin,Qu'il faut que je vous le die,

L'estime qu'on en fait est une maladie,Qui fait que dans Taris tout court au Médecin.

Conclusion : Le Médecin malgré lui, bien que consi-déré par Molière lui-même comme une oeuvre de peud'importance, fut un succès dès le début.

Page 186: Les Premières de Molière

CHAPITRE XVII

MÉLICERTE et LA PASTORALE COMIQUE

TroisièmeEntrée du Balletdes Muses.Châteaude St-Germaln-en-Laye: (Mélicerte)2 décembre1666.

» » » {LaPastorale)5 décembre1666.

Mélicertepar ordredu roi. — Le Ballet des Muses.— DébutsdujeuneBaron.— Collaborationdeschanteursetdesdanseurs.—Perle d'une partie du manuscrit.

« Le mercredi Ie* décembre (1666), écrit Lagrangedans son Registre, nous sommes partis pour St Germain-

en-Laye par ordre du Roy. Le lendemain on commençale Ballet des Muses, où la troupe estoit employéedans une pastorale intitulée Mélicerte, puis celle deCoridon ».

Voici encore du travail précipité sur commande,et cette fois du mauvais travail. Le roi ordonne. Pourles fêtes qui se préparent à St-Germain, et qui se pro-longeront jusqu'au carnaval de l'année suivante,Benserade a fait un ballet — le Ballet des Muses à 13entrées. Or la troisième entrée comporte une pasto-rale, et Molière a été choisi pour l'écrire.

« Cette comédie n'a point été achevée, nous ditla note à la fin du deuxième acte ; il n'y avoit queces deux actes de faits lors que le Roy la demanda.Sa Majesté en ayant esté satisfaite pour la festeoù elle fut représentée, le sieur de Molière ne l'a pointfinie ».

Ce dont se félicitent les admirateurs de Molière les

plus sincères.

Mélicerte, postorale héroïque, et lo Pastorale comique(ou Coridon qui lui succéda trois jours plus tard) sont,

Page 187: Les Premières de Molière

174 LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

a-t-on proclamé de toutes parts, absolument indignesde Molière, malgré le succès qui les accueillit à la Cour.On voudrait même, avoue G. Monval dans ses Notes (1)pouvoir les exclure de ses oeuvres. Sans doute, maistelle est l'autorité du nom do Molièro que tout co qu'ila écrit s'est imposé jusqu'à ce jour à ses éditeurs.

Pour toute excusp, il faut se rendre compte du tempset du milieu. Est-ce donc de gaieté de coeur, au momentoù la saison théâtrale bat son plein (1er décembre) qu'undirecteur va fermer son théâtre pour deux mois ettrois semaines, perdant ainsi le bénéfice des fêtes deNoël et du Carnaval ? Est-ce de gaîté de coeur qu'ilne rouvrira ses portes que le 25 février, c'est-à-direle lendemain du mardi gras ?

Molière s'est rendu à Saint Germain :1°— Parce que lo Roi l'a ordonné ;2° — Parce que sa Troupe est pensionnée par le Roi.3° — Parce qu'il est toujours en instance pour faire

représenter son Tartuffe, et qu'il cherche par tous les

moyens possibles à faire lever cette interdiction.Il faut sacrifier au mauvais goût du jour, c'est

entendu. II s'imposera cette corvée, et pour aller plusvite, dans ce genre qui ne lui plaît guère, il tirera le

sujet de Mélicerte du roman d'Artamène ou le Grand

Cyrus de MclIe de Scudéry. La Pastorale comique nereste jamais qu'à l'état de canevas.

Qu'était-ce donc que co Ballet des Muses ?

11 ne faut pas oublier qu'il vient au moment oùLouis XIV, bien que jeune encore, touchait à l'apogéode sa grandeur. Toutes les gloires de son règne soréunissaient dans sa gloire et s'élevaient avec elle.Tous les arts lui devaient un tribut de reconnaissancepublique.

« Les Muscs, dit l'argument du Ballet, charméesdo la glorieuse réputation de notre Monarque et du

(I) ThéâtrecompletdeJ.-B.Poquelinde Molière,publiépar Jouautt,annotéparG.Monval,Paris1882,t, IV,p.323.

Page 188: Les Premières de Molière

MÉLIOBRTB 116

soin que Sa Majesté prend de faire fleurir les arts

dans l'étendue de son Empire, quittent lo Parnasse

pour venir à sa Cour.« Mnémosyme (en marge : « C'est la Mémoire ») qui,

dans les grandes images qu'elle conserve de l'Antiquité,ne trouve rien d'égal à cet auguste Prince, prendl'occasion du voyage de ses filles pour contenter le

juste désir qu'elle a de le voir ».Les neuf Muscs, accompagnant leur mère, abordent

aux rives de notre belle France, et les voilà chantanten choeur :

Rangeons-nous sous ses lois,11 est beau de les suivre ;Rien n'est plus doux de vivre

A la cour de Louis, le plus parfait des rois.

Il n'est peut-être pas inutile de "remarquer que lesMuses chantantes étaient figurées par sept pages de la

musique de la Chambre, et deux de la musique duRoi. Mnémosyme était Mel,e Hilaire la brillante chan-teuse.

Tous les arts nouveaux établis dans le royaume seréunissent pour feter les immortelles filles d'Apollon.Chacune d'elles est honorée par une entrée particu-lière assortie à ses fonctions.

A Uranie, correspond le pas des sept planètes, etc.Une seule entrée retient notre attention, la troisième :

« Thalie, nous apprend l'argument, à qui la Comédieest consacrée, a pour son partage uno pièce comiquereprésentée par les comédiens du roi et composéopar celui de tous nos poètes (en marge : Molière etsa troupe) qui dans ce genre d'écriture peut le plusse comparer aux anciens ».

De son côte Benserade esquisse ces quatre vers

pour accompagner cette entrée :

Le célèbre Molière est dans un grand éclat :Son mérite est connu de Paris jusqu'à Rome ;

Page 189: Les Premières de Molière

176 LES PREMIÈRESDE MOLIÈRE

Il est avantageux partout d'être honnête homme,Mais il est dangereux avec lui d'être un fat (1).

Lcs.deux actes de Mélicertenc furent publiés qu'aprèsla mort de leur auteur, en 1682, dans l'édition desoeuvres posthumes. Néanmoins dix-sept ans plus tard,lo fils do la veuve do Molière et de Guérin d'Étrichceut la singulière idéo do mettre en vers libres les deuxactes de Mélicerte que Molière avait écrits en alexan-

drins, et de compléter la pièce par un troisième acteen y ajoutant des intermèdes. C'est sous cette nouvelleforme que Mélicerte fut représentée le 10 janvier 1699à la Comédie française sous le litre nouveau de Myrlilet Mélicerte. Cette pitoyable production obtint toutl'insuccès qu'elle méritait.

Mélicerte, à St-Germain, servit de début au jeuneBaron, alors âgé de 13 ans (2). Son apparition fit révo-lution. Sa beauté, sa gentillesse, ses grâces charmèrenttoute la partie féminine de l'auditoire. « Il était, a dit

Grimarest, au milieu des actrices comme on le voitici au milieu des bergères, et Molière, qui veillait surlui avec une sollicitude toute paternelle, eut assezde peine à le sauver de tant do séductions ». Ce quin'empêcha pas le jeune protégé et élève du Maîtrede quitter la troupe, où il devait revenir d'ailleurs

quatre ans plus tard.

Lagrange, de son côté, ne paraît pas des plus charmésde ce séjour forcé à Saint-Germain, Est-ce par discré-tion qu'il a fermé avec un peu de mauvaise humeurson Registre lo jour de son départ pour ne le rouvrir

que le jour de son retour ? Ne se croit-il pas le droitd'inscrire ce qui se passe à la Cour ? Tout au plussavons-nous que la Pastorale comique (Coridon) a

(1)LeBalletdesMuse*parEd.Thierry,leMoliérisle,avril1884.(2) MichelBoyon,dit Baron,le plusgrand tragédiende la (in du

xvii*siècle,était né &Parisen 1653.Petitcomédiendu Dauphin,élèvedeMolière,TroupedelaVveRaisin,ilnedevaitrentrerchezMolièrequ'en1670.Morta Parisle 22décembre1729,inhumédansla netde l'EgliseSt-Benolt,devenueplustard leThéâtreduPanthéon.

Page 190: Les Premières de Molière

MÉLICERTE 177

remplacé à la 3e entrée du Ballet des Muses la Pastorale

héroïque de Mélicerte, et que le Ballet des Muses sedonna encore au moins 5 fois ctt janvier.

Du reste, la Troupe de Molière n'était pas seule àSaint-Germain, La Troupe Royale de l'Hôtel de Bour-

gogne y parut avec une mascarade espagnole, et descomédiens espagnols et italiens y donnèrent des repré-sentations. La délivrance de la Reine (naissance deMarie-Thérèse de France) donnèrent encore lieu le2 janvier 1667 à de nouvelles réjouissances.

Nous ferons remarquer que la Troupe de Molièren'était pas entièrement utilisée dans la Pastorale

comique. Elle n'y avait que quelques interprètes, telsMel,e de Brie (Iris, jeune berger), Molière (Lycas,riche pasteur), Lagrange (Coridon, jeune pasteur). Lesautres rôles étaient tenus par des chanteurs et desdanseurs étrangers à la troupe, tels Destival (Filène,riche pasteur), Blondel (berger enjoué), Chasteauneuf

(un pâtre). Destival et Blondel étaient deux pages de la

musique du roi.Les noms des autres danseurs et chanteurs nous ont

été conservés : La Pierre, Favier, Le Gros, Don, Gaye,Chicaneau, Bonard, Noblct le Cadet, Arnald, Mayeu,Foignard, Dolivet, Paysan, Desonets, du Pron, Mercier,Pesan, Le Roy.

Égyptienne dansant et chantant : Noblet l'aîné.

Quatre joueurs de guitaro : Lulli, Beauchamp,Chicaneau, Vagnart.

Quatre joueurs de castagnettes : Favier, Bonard,St André, Arnald.

Quatre joueurs de gnacares : La Marre, Des Airs

second, du Feu, Pesan.N'oublions pas que c'est l'époque où la Cour est

passionnée pour les Maures, les Égyptiens et les Bohé-miens ; tout était alors à la mauresque, et souventde longs divertissements s'organisaient dans le seulbut d'offrir au roi un Ballet de Maures, Ainsi le Ballet

Page 191: Les Premières de Molière

178 LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

des Muses, suite de scènes sans ordre, passait en revueles peuples du monde uniquement pour justifier larevue des Maures à la fin de la soirée (1).

Des deux éléments qui composaient la Pastorale

comique, l'opéra et la comédie plus ou moins bouffonne,les scènes de l'opéra seules ont été imprimées ; cellesde l'impromptu ne sont pas même indiquées parl'argument le plus sommaire. D'aucuns ont avance

que Molière avait détruit le manuscrit. Y eut-il jamaisdes scènes écrites ? N'est-il pas plus probable que,pressés par le temps, les acteurs de Molière ont jouéces scènes à l'impromptu, à la modo italienne ? Nousserions tentes de le croire.

(1)LudovicCcller,IA*Décor*,es Cosltumeset la Mise en scèneauxvii*siècle,Paris18G9,p.135.

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CHAPITRE XVIII

LE SICILIEN ou L'AMOUR PEINTRE

Comédie-balleten proseet en un acte.Châteaude St-Germain: 14 Février1667(1).

Théâtredu Palais-Royal: 10 Juin 1667.

/> Sicilien à St-Germain.— Chute d'Attila de P. C.rneille.—

Départde A/11®duPare. — MaladiedeMolière.— Fermeturedu théâtre. — Le Sicilien au Palais-Royal.

On ne peut concevoir qu'un homme aussi actif

que Molière ait pu rester trois mois*à St-Germain pourne paraître que dans quelques entrées de ballets.N'a-t-il donc joué devant la Cour, pendant ce laps de

temps, quelques pièces de son répertoire ? Nous avons

déjà fait remarquer que Lagrange n'en dit rien. A

peine consent-il à mentionner que, quelque temps aprèsla Pastorale « dans le mesme Ballet des Muses, on yadjousta la comédie du Sicilien ».

Selon toute apparence, Molière a donc écrit à St-Germain ce Sicilien qui ne comporte qu'un acte, etdestiné à être intercalé dans un ballet où figurait leroi en personne. C'est la dernière fois où, dans des cas

semblables, Molière va se trouver, pour ainsi dire,hors de page. A partir de 1668, c'est à lui seul désor-mais que sera confiée la tâche, non seulement de com-

poser les oeuvres destinées aux divertissements du roi,mais d'arrêter ce qui convenait à leur exécution maté-

rielle, tout en restant soumis, bien entendu, aux tradi-

11)D'autresdisentJanv.NousavonsadoptéladatedonnéeparG.Mon-

dant ta Chronologiemoliéresque.EmilePicotdans un articledocu-menté,t la Datedela Premièredu Sieilien». (/> Motiérhte,i»rjanvier1*82),adoptele 9 ou 10février1667.

Page 193: Les Premières de Molière

180 LES PREMIRÈES DE MOUÈRB

tions des ballets do Cour, avec lesquelles il no pouvaitrompre.

Voici, d'après los frères Parfait, les noms des per-sonnes qui ont réeité, dansé et chanté dans lo Sicilienà Saint«Germain*on-Layo,

Dom l\Mrt' MOMKIH?.Adrasto. IIAGIIANGK.Isidort- M»* DK URIB.ZaTdo. ............ M,,e MoufcRK,liait ............. LA THOIULUKHE.Unsénateur. Du Cnoiav,

Musiciens chantants : les Sieurs Blondel, Gayo, Noblet.Esclaves turcs dansants ; tes Sieurs lie Prêtre, Chicaneau,

Maycu, Pc*ans,Matins de qualité : I* HOI, Mr. Lo Grand, les Marquis do

Villoroyet tlo Hasan.Mauresques «le qualité î MADAME, M,l« de la Yallicre,

Madame tlo Kochcîort, Mu« tlo Urancas.Maures nus : MessieursCotquet et do Souvilloj les Sieurs

Deauchainp, Noblet, Chicaneau, La Pierre, Favier et Des Airs-Galant.

Mauresà capot : lesSieursde la Mare.Dufcu,Arnald, Vagnard,Bonard.

Quelques mois plus tard, lo privilège octroyé oulibraire Jean Hibou, pour lo Sicilien (31 octobre)qualifie la pièco de « belle et très agréable ».

a La Troupe est rovenuo do St Germain lo dimancho20* février 1667, écrit Lagrange qui retroitvo enfinla parole. Nous avons reccu pour co voyage et la pan-sion quo lo Roy avoit accordée à la troupo deux annéesde la dito pension do douze mil livres cy 12,000 livres

Partagez en douze parts 998). 16 s.Recommencé en 1667 le vendredy 25mo févrior parMariane et lo Médecin malgré luy ».

Cependant Molière no pouvait so résoudre à mettredans un tiroir lo manuscrit du Sicilien qui avait sibien réussi à St-Germain, Il attendit son rétablissement

pour monter la pièco à Paris.Cetto année 1667 avait mal débuté pour notre

Page 194: Les Premières de Molière

LE SICILIEN 181

auteur-directeur, Nous avons vu comment il avaitété forcé, par ordro du roi, d'abandonner son entre-

priso du Palais-Royal eu pleiuo saison théâtrale.A son retour, il veut frapper un grand coup en montantuno tragédie nouvcllo do Piorro Cornoillo, Attila, qu'ilpaio 2000 livres, prix convenu. Mauvaiso affaire Cetto

pièce est sifilée, Dès lu nouvièmo représentation, afindo romontor la reectto tombéo à 273 livres, il est forcédo renforcer lo spectacle aveo lo Médecin malgré lui.

M0l,° du Parc, uno dos colonnes do sa troupo, lo

quitto pour aller à l'Hôtel do Dourgogue où l'attiroRaoiuo qui écrit pour ello lo rôlo d'Andromaquo,Luwnêmo, Molièro, tombe gravemont mnlado, à tel

point qu'en avril on est obligé do démontir lo bruitdo sa mort. Lo théâlro resto formé un mois et demi. Laréouvorturo après Pâques n'a lieu.quo lo 15 mai, maislo public no revoit pas encoro son acteur favori. Nou-vcllo interruption du 27 mai au 10 juin. Enfin, à cette

date, on so décide à donner lo Sicilien mi Palais-Royal,à la suito d'uno représentation do co fâcheux Attila

qui no va pas tarder à quitter l'affiche.Il est curieux do voir en quels termes Robinet

annonce la première do cetto représentation en public :

lettre en vers du 11 Juin 1667.

Depuis hier, pareillement,On a pour divertissement,1.0 Sicilien quo Molière,Avec sa charmanto manière,Mêla dans lo Hallct du Iloy,Et qu'on admire, sur ma foi.Il y joint aussi des entrées,Qui furent trôs considérées,Dana ledit ravissant Ballet.Et lui, tout rajeuni du lait,De quelquo autre Infante d'Inache,Qui so couvre do peau do Vache,S'y remontre enfin a nos yeux,Plus quo jamais facecieux.

La façon de nous faire savoir quo Molièro avait été

Page 195: Les Premières de Molière

m LES PREMIÈRESDE MOLIÈRE

mis au régimo du lait, est au moins originale. En atten-

dant, cetto pièco a tellement plu à notro chroniqueurqu'il rctourno la voir.

Lellre en vers du 19 juin,

Jo vis «\mon aise, et très bien,Dimanche, lo Sicilien i (t)C'est un chef-d'couvre,jo vous juro,Où paroissent en mignature,Et comme dans leur plus beau jour,Et la ialousio et l'amour,Co Sicilien quo Molièro

Représcnto d'uno manière,Qui fait rire do tout lo coeur,Est donc tlo Sicile, un Seigneur,Charme, jusqu'à, la jalousie,D'une Grecque son altranchie.D'autre pari, un Marquis FrançoisQui soupiro dessous ses loix,So servant do tout stratagème,Pour voir co raro objet qu il nimo,(Car, commoon sçait, l'amour est lin,)Fait si bien qu'il l'enlôvo enfin,Par uno intrigue fort jolie,Mais quoiqu'ici ie vous en die,Co n'est rien, il faut sur les Houx,Porter son oreille et ses yeux.Surtout on y voit deux esclavesQui peuvent donnerdesentraves ; (2)Deux Grecques, qui Grecquesen tout,Peuvent pousser cent coeurs à bout,Commoétant tout à fait charmantes ;Et dont enfin les riches mantes,Valent bien do l'argent, ma foi :Co sont aussi présens du Roy.

Un souvenir do St-Germain, sans doute.Un chroniqueur do nos jours n'eut certes pas manqué

non plus de mentionner l'habit du Sicilien porté parMolière, les chausses et manteau de satin violot, avecuno broderie or et argent doublé do tabis vert, et le

(1)13Juin.(2) M»'«Molièreet deBrie(NotedeRobinet).

Page 196: Les Premières de Molière

LE SICILIEN m

jupon de moiro d'or, à manches do toilo d'argent, garnide broderio ol d'argont, et un bonnet do nuit, uno ner-

mquo et une épée, lo tout prisé... soixante quinzelivres (!) à l'inventaire (1).

Nous ne quitterons pas lo Sicilien sans mentionneruno ftno remarquo do M. Maurice Pellisson (2). Entrole Sicilien (janvier on février 1667) et Amphitryon(janvier 1668) Molièro n'a rien donné j les deux piècesso succèdent immédiatement j ellos semblent avoirété apportées par lo cours non interrompu d'uno mémoveino. On trouvo dans la secondo des passages qui sontcomme des a rappels »do la première. Au début dVlm*

phitryon, par exemple, Sosie so plaint sur lo mémo ton

quo Ilalidu Sicilien ;

Solte condition quo cello d'un esclaveDo no vivre jamais pour soiEt d'étro toujours tout entierAux passionsd'un maître, etc. {Sicilien,2)

Sosie, a quelleservitudeTesjourssont-itsnsujoltis,etc. (Amphitryon,l, t.)

Ce qui faisait diro à un nutro commentateur : « C'esten écrivunt lo Sicilien, comme un musicien assouplitses doigts avec des oxcrciccs do gammes, c'est en somontrant à lui-mcmo co quo cette forme pouvaitlui donner, qu'il (Molière) s'est fait la main pour écrire

Amphitryon». (3)Opinion peut-être oxogéréo, et qui ferait croiro à

plus do calcul qu'il n'y en eut en celle nlfaire, ajouteM. Pellisson, mais assez juste au fond. Préparationinvolontaire, mais préparation.

Co qui n'empêcha pas un lollrô do nos jours do

proclamer à grands cris dans la presse quo Molièro

(1)EudoreSoulié,Rtchtrchtasur Molièreetmr ta familledéjàcite,Inventaireaprèsdécès,p. 277.

(2)LesComédif4-Baltet*deMolière,déjàcité,p. '201.(3)A.deMontaiglo»,NoticeentêteduSicilien,l'arii1801.

Page 197: Les Premières de Molière

m LES PREMIÈRESDE MOLIÈRE

no savait pas faire lo vers libre, et que c'était...Corneille

qui los faisait pour lui (l).Lo Sicilien ou YAmour peintre a donné lieu à doux

éludes quo nous no pouvons passer sous silence î l'unosous co mémo titre, pur M. Eugène Sauzay, professourdo violon au Conservatoire, lequel avait mis l'ouvrageen îmisiquo (après Lulli, après Dauvergno, aprèsJustin Cndaux) (2) ; l'autre do M, Arthur Pougin sous

la dénomination Molière el YOpéra-Comique (3). Cettodernière publication ayant surtout pour but do cons-tater quo Molière, qui a touché en maitro à tant do

genres divers, a mémo découvert celui do l'opéra-comique moderne, ot du premier coup, cent ans avantl'éclosion réelle do celui-ci,

Lo 13 février 1667, rendant compto d'uno repré-sentation à la Cour, qui avait eu lieti lo 5, le gazetierRobinet écrivait :

Le Grand Ilallet s'y danso encore»,Avec uno scono do Mores,Scôno nouvelle, et qui vraimentPtaist, dit-on, merveilleusement,L'on y voit aussi mtre Sire,Et cela, jo crois, o'est tout dire,Mais do plus Madamoy paroist:Jugez, lecteurs, co quo o'en est.

M. Arthur Pougin croit que cetto scèno « do Mores *

était au moins le germo ou l'embryon do la comédiodu Sicilien, et qu'elle servait à en préparer l'apparitionqui devait en être prochaine En offet, n'est-ce pas unosomaino après quo nous la voyons so présenter, commonous l'apprend la Gazette, après avoir mentionné une

(!) Fuibteéchod'unepolémiquesoulevéedanslojournalLeTemps,enoclobce1919,et dontIciconclurontreçurentunaccueildocumentéaisesfraisdantComotttia(novembre1919),le MercuredeFrance(15décembre1919),ta NouvelleRevue(!•' mai1920),etc.

(S)l> Sititienout Amourpeintre,par M.Eug.Sauzay,Paris,FirminDîdotin-40avecillustrations,1882.

(3) MolUr*et fOpéra-Comijue,par Arthur Pougin,Péris,J. Uaur,^•8°, 1882.

Page 198: Les Premières de Molière

LE SICILIEN 183

représentation du ballet offert lo 12 aux ambassadeurs

étrangers i « Le 14 et lo 16 lo ballet fut encore danséavec deux nouvelles entrées do Turcs et de Maures,

qui ont paru des mieux concertées, la dernière étant

accompagnée d'une comédie françoise aussi des plusdivertissantes »,

C'est-à-diro du Sicilien,

Cependant, tandis quo Mélicerle, puis la Pastorale

comique avaient formé la troisièmo entrée du Balletdes Muses, lo Sicilien constituait la 14° et dernièroselon lo livrot du ballet, sans doute à cause de l'ap-parition du roi.

Fetes splcndidos auxquelles avaient collaboré quatretroupes dramatiques, commo nous l'apprend encoroHobmot dans sa lettre du 20 février, nous faisant partquo la comédie

... on son jourDivertit do mesmo a son tour.Par quatre troupes différentesEt qui sont toutes excellentes.

Les troupes do Molière, do l'iloto! do Bourgogno,italienne cl espagnole.

Page 199: Les Premières de Molière

CUAP1TIW XIX

AMPHITRYON

ComMloçn verslibres,en 3 8ctes,Théâtredu Palals-Itoyal<13 Janvier1GGS.

Trhle situation du théâtredu Palais-Royal.— TartufToe*ttoù'fours interdit.—Lagrangetl l<aThorillièreau siègedeLille.—

Amphitryon. — Compte-rendude Robinet.~- Amphitryonaux Tuileries.

L'année 1G67, nous Pavons dit, avait été uno annéedé.sastreuso pour Molièro et sa troupe : interruptionforcéo en pleine saison théûtralo par ordro du roi,

pour donner des représentations à Saint-Germain-cn-

Layo ; désertion do Me,,° Dupare, attirée à l'Hôteldo Bourgogno par Haciuo (1) ; grave maladie doMolièro ; chute do YAttila, trogédio payéo deux millelivres tVPierre Corneille (2); un seul acte nouveau doMolièro (lo Sicilien 10 juin) dont la recetto, a la pre-nd èie, avec Attila, no dépassa pas 142 livres 10 sols.Du veste, les reecttos du 14 (95 livres 10 sols) et du21 {00 livres), no permettaient plus do distribuer undividende aux comédiens.

Cetto situation no pouvait évidemment pas so pro-longer. Pour conjurer cetto guigne noire, Molièro n'a

pns abandonné son idée do jouor Tartuffe en public,ce Tartuffe qu'il gardo en portefeuille depuis quatre

(1)M1-*DuParcmourutle U décembre1668,tuedeRichelieu,a l'àgode35an*,et (ut inhuméeauxCarmct-UUIette».

(2)Onconnaîtlesdeuxver*quiont Iratriépartout:AprèsAgtsila*,

HélasIMatsoprésAttila,

itotM

Page 200: Les Premières de Molière

AMPHITRYON 187

ans, et h la représentation duquel il attache tant d'im-

portance. Nous raconterons dans un do nos chapitressuivants cotte nouvelle déception, L*unique représen-tation du 5 août ne peut avoir de lendemain par suitede l'interdiction du premier Président Mpde Lamoignon,La porte de la Comédie est fermée et gardée, et lothéâtre fera relâche du 6 août au 25 sept ombre. Entreces deux dates, Lagrango et La Thorillièro auront ététrouver lo roi au siègo do Lille,

Molièro qui partage alors son tomps entro la rueSnint-Thomas'du-Louvro et Auteuil (1), aurait-il euencore uno rechuto vers la fin do cotte année? Co seraita croire, car les programmes du Ooctobro à fin décembrono portent plus aucune pièco do ce rôpertoiro où ila coutume do figurer en première place, et pas mêmea Versailles, où la troupo est appeléo par ordre du roidu 6 au Onovombre, pour la Saint-Hubert.

Eh bien, e'ost dans do telles conditions quo Molière,déçu de toutes façons, aussi bien dans sa vie privéequo dans sa vio théâtrale, malade, réduit au régimodu lait, brouillé avec Armando, écrit son chef-d'oeuvre s

Amphitryon.Niais pourquoi choisir un sujet mythologiquo ? On

no peut diro cetto fois qu'il a été influencé nar lo roi,qu'il a roçu des ordres do la Cour. Pourquoi renoncerà so3 études do moeurs qui lo captivent tant, ou à sesfarces qui lo délassent ?

L'auteur du Misanthrope et du Médecin malgré lui

attaqua résolument un genro nouveau.G. Monval dans ses Notes nous en donne uno raison,

qui, bien qu'appartenant au domaine do la supposi-tion pure, ne nous semble pas a dédaigner.

« Averti, nous dit-il, par les censuros qu'avaitencourues Dom Juan, et mis en gardoparla conspira-tion qui empêchait encore la représentation do Tar-

(1)Ontrouveradetrèsintéressantsdétailssurlamaisond'Auteuil,dan*îiOïseleur,ouvr.déjàcité,p.318etsuiv.

Page 201: Les Premières de Molière

188 LES PREMIÈRES DE filOUÈRE

tuffe, il (Molière) no dut pas trouver prudent d'attaqueralors de front les vices do son tomps, et un sujet prisdans la mythologio lui apparut sans doute comme un

moyen facilo d'épancher indirectement sur ses coi\tcm«

porains sa vervo satirique (1) ».

Quant à ceux qui croient rabaissor Molièro on lui

reprochant lourdement do e'etro inspiré do Plante,nous leur conseillerons do relire Plante d'abord, puisRotroit qui avait déjà donné dans les Deux Sosies unetraduction de l'auteur latin. Ils no trouveront pas do

plus bollo occasion d'admirer notro plus grand auteur

comique.Molièro, dont lo thôfttro rouvrit lo 3 janvier, fixa

donc au vendredi 13 lu premièro représentationéYAmphitryon (2). Il en avait soigné tout particuliè-rement la distribution :

Sosie. ............. Motu';Ré.Jupiter ............. I,A TlIORItMKRE.Mercure Dv CROISY.Amphitryon LACIIANCB.Alcmèno M*MeMontai?.

On ne sait do façon précise à qui fut confié lo rôlodo la Nuit ni celui de Clcanthis.

La premièro *\%Amphitryon ramena au thôâtro du

Palais-Royal délaissé depuis un au uno fonte considé-

rable, avec une reectto do 1505 livres 10 sols, pourattoindro lo dimanche suivant, pour lo deuxième,1668 livres 10 sols. Succès qui se maintint pendant29 représentations consécutives jusqu'à la fermotutode Pâques.

Lo lundi 16 janvier, trois jours après la première,Amphitryon est joué aux Tuileries, suivi tVuti souperdans Pappavtemont du roi,

|l) Th. completde J. Poquetinde Molière(Ed. Jousust), déjà cité,t. V,p. 084.

(2)Levendrediétait lejourgénéralementréservéaux premièresrepré-sentations.

Page 202: Les Premières de Molière

AMPHITRYON m

Voici en quels tortues. Robinet parle de cette repré'fcntation à la Cour dans sa Lettre en vers du 21 janv. ;

Lundi chez lo nomparcUSIRE (!)On vit les deu* Amphitrions,Ou s» Ton veut les deux Sosies,Qu'on trouve dans les poësicsDu feu Sieur Plante, frano Utin,Et quo dans un françoh tria (In,Son digne successeur Molière,A travesti d'uno manière,A faire ébaudir les esprits,Durant longtemps do tout Taris :Car depuis un tort beau Prologue,Qui s'y fait par un Dialogue,

. Do Utercuroavecquo ta Nuit,Jusqu'à la fin do ce déduit,L'aimable enjouement du comique,Et les beautés do l'héroïque,Les Intrigues, les passions,Et bref, los décorations,Avec,des machines volante?,Plus quo des astres éclatantes,Font un «pcdaclo si charmant,Que fe ne doute nullement,Qu'on y courreen fouteextrême.Bien par delà la ini-Carème,J©n'ai rien touché des Acteurs,Mais jo vous avertis Lecteurs,Qu'ils sont en coucho très superbe,Jo puis user do cot adverbe,Et quo chacun, do son rollot,Soit sérieux, ou *oit follet,S'acquitte do la bonno sorte,

Vous y verrez certaine nuit,Fort propre à l'amoureux déduit ;Et do mémo certaine Alcmono,On bien sa remembrancohumaine,Qui voudroit bien, sam on douter,Qu'un remembrant do Jupiter,Plein do co feu qui le coeurbrûle,Lui lit un remembrant d'Hercule.

Le 25 avril, la troupe mandco par ordre du roi, joua

(1)Enmarge: 16janvitr.

Page 203: Les Premières de Molière

190 ISS PRWIÙRRS DE MOLIÈRE

encore Amphitryon a Versailles, et nous savons par unmanuscrit de la Uibliothèque ch PArsenal quo la piècejouissait encore d'un plein succès en

septembre ;« Lo 18 septembre 1668, lisons-nous dans ledit mamis-

crit(l) latroiqiodu sieurdoMo!içroreprésentalMm/>/u-tryon avec des machines ot dos entrées do ballet quiîdurent extrêmement à l'ambassadeur ot a son filsa qui on présenta sur l'amphithéâtre où ils étaientdeux grands bassins, Pun do confitures seiches, l'autredo fruits, dont ils no. mangèrent point, mais ils burentet remercièrent les comédiens ».

En attendant, le succès d'Amphitryon avait permisde remonter la part de sociétaire, joliment compromisepour cetto année théâtrale (15 niai 1667-18 mars 1668)bien quVHo no fût quo do 2608 livres 13 sols, au lieudo 3352 livres 11 sols pour l'annéo précédento corres*

ftondante,Il fallait attendro l'apparition de Tartuffe

'année suivante pour ramener cetto port à 5477 livres35 sols,

Quant aux costumes d'Amphitryon, il no nous est

Karvenuque co document, puisé dans l'inventaire do

lolièro après décès Î « Uno outro boite où est l'habitdo la représentation de YAmphitryon contenant untonnelet do taffetas vert avec uno petite dentelle

d'argent fin, une chemisette de mémo taffetas, deuxcuissards do satin rouge, uno nairo dosouliors avec leslassures garnies d'un galon d argent, avec un bas dosoio céladon, les festons, la ceinture et un jupon, eten bonnet brodé or ot argent fin ; prisé soixantolivres (2). »

(I) Le journal de Pierre JohanniiféiPoltrquiq (Potcnkin)en 166£<trouvédam letMémoire»du BarondoBrcteuil(N°222II.F. in-fol.ont.)Ditl.de l'Arstnal.

(3)InventairedeMolière»Eud.Soulif,Itceherchts*urMotitrtet sursafamille,déjà cité.

Page 204: Les Premières de Molière

CIIAPITUE XX

GEORGE DANDIN ou LE MARI CONFONDU

Comédieen tuWt en trol»acte*,IVtlt PâtedoVersailles(avecla Promit) ; 18juillet 1668.Théâtredu Palais-Rojal(sansla Pasloralt)t 9novembre.

Nouvellesfiles à Versailles.— Relationde FéliUen,— Descrip-tion du théâtredans te Pelit-Pw, —-Panière de GeorgeDandin. — Dépensessomptueuses,—-La pièceà Paris. —•Succès.

I.o Traité d'Aix-la-Chapelle donnant la Flandreà la Franco avait été signé lo 2 mai 1668. Il fut aussitôtrésolu quo l'on célébrerait ce joyeux événement pardo grandes fôtos donnéos à Versailles, et dont la rela»lion nous est heureusemont parvenue de différentscôtés (1),

Pour l'exécution do ces fôtes, lo duc do Créquy, en

qualité do premier gentilhomme de la Chambre, fut

chargé do co qui regardait la comédie : le sieur Vigaranireçut l'ordre de dressor un théâtrodanslo PetitPorc ;d'autres eurent pour mission do veiller aux: préparatifsdu souper, du bol ot des foux d'artifice.

Cetto fois, Molièro ne semble pas avoir été pris au

dépourvu, ayant en portofouillo lo manuscrit d'unecomédio touto prête, sinon presque achovéo, George

(1)RelationdetaFesledeVersaillesdudixhuitjuilletmilsitcentsoixantehuitpar Féliblen,l«etomeVIduMolière-Hachettereproduiten«ppendic*lecurieuxlivrotduGrandDiverlis*cmentroyal,ainsiqueeetterelation.Maisil exUteune«utrerelationécriteparl'abb*de Montigny,poêleetacadémicien(évoquede Léonen1671),souiformedelettrendre*»ée,au.,marauUde la Fuent*,imp.LaHayecheiJean DanklSféncker,1669,louiletitré:Recueildediversespiècesfaite*parplutiettrtpersonnesillustres,3*partie,pages3à331la FestedeVtrtaitlndu18/tiiflrl166$,

Page 205: Les Premières de Molière

1&3 LUS PRRMIÈRBSDR MQLIÈRB

Dandin, ou lo Mari confondu. Toutefois, solon Ptuageétabli a la Cour, la comédie soulo ne suffit pas. Il fautdes intermèdes do chaut et do danse, tout au moinsun do ces intermèdes où lo roi puisse paraître en per-sonne, et, sans rien changer a sa pièce, Molièro so mità l'oeuvre pour lo romplissago demandé, Tout cecidemandait certains préparatifs, et touto la troupes'était mise en route dès lo 10 juillet. Déjà, le 26 juin,nous savons quo Molièro avoit touché 400 livres pour« habit de la feste do Versailles ».

Lo mercredi 18 juillet, lo roi étant parti de Saint-

Gcrmain-eu-Layo, vint dîner a Versailles avec la

reine, lo dauphin, Monsieur et Madame, Sur les sixhourcs du soir, accompagné de la rciuo, et suivi d«touto la cour, lo roi sortit du château. Mais nous nepouvons quo renvoyer a la Relation do Félibien pourla description do la décoration des jardins, des grandeseaux, des cabinets do vorduro ot dos tables somptucu-nient servies. Lo théâtre où va jouer Molièro nous inté-resse seul ici.

« A côté do la grando allée royalo, écrit Félibien,il y en a deux attires qui en sont éloignées d'environdeux cents pas. Ccllo qui est a droito, en montant venlo château, s'appcllo l'alléo du Roy, et ccllo qui est à

gaucho l'alléo des Prez. Ces trois allées sont traversées

par uno outre qui so termine à deux grilles, qui fontla clôturo du petit parc. Cos deux allées des côtés etccllo qui les traverse, ont cinq toises do large ; mais àl'endroit où ellosso rencontrent, elles forment tin grandespace, qui a plus do treizo toisos en carré. C'est donscet endroit de l'Alléo du Roy quo lo sieur Vigarani avait

disposé lo lieu do la Comédio. Lo théâtre, qui avançaitun pou dans lo carré do la place, s'enfonçait do dixtoises dons l'alléo qui monto vers lo Château, et laisait

pour la sallo un espace do treize toises do face sur neufde large.

« L'exhaussement do ce Salon était do trente pieds

Page 206: Les Premières de Molière

OEOROftDANDIN . 193

jusques A la çornicho, d'où los côtés du plafond s'éle»vaient encore do huit pieds jusques au dernier cnfon»cément, H était convoit do fouilléo par dehors, et pardedans paré do riches tapisseries, que 16sieur du Met/.,Intendant des meubles do la Couronne, avait prissoin do faire disposer do la manièro la plus betlo et la

plus convouablo pour la décoration do co lieu. Du hautdu plafond pendaient trente-deux chandeliers doetislnl,

portant chacun dix bougies do ciro blanche,o Autour do la sallo étaient plusieurs sièges disposés

en amphithéâtre, remplis do plus do dntizo cents

personnes j et dons lo parterre il y avait encore sur dosbancs uno plus grando quantité do mondo. Cetto salleétait pcrcéo par deux grandes arcades, dont l'uno étaitvis-à-vis du théâtre, cl l'autre du côté qui va versla grando atléo. L'ouvert uro du théâlro étant do trente-six pieds ; et do chaque côté, il y avait deux grandescolonnes torses do bronze et do lapis, environnées dobranches et do fouilles de vigne d'or. Elles et nient

posées sur dos piédestaux do marbre, et portaientune grando corntcho aussi do marbre, dans lo milieu,do laquelle, on voyait les ormos du Roy sur un car-touche doré, accompagné do trophées. L'Architcottiroétait d'ordre ionique Ï entre chaque coloiuto il y tuaituno figuro : colle qui était à droite représentait lu paix,et celle qui était à gaucho figurait la victoire.,.

« Lorsquo leurs Majestés furent arrivées dans co lieudont la grandeur et la magnificence surprirent toutola Cour, et quand elles curent pris leurs places sous lohaut dais qui était au milieu du parterre, on levalu toilo qui cachait la décoration du théâtre s et alorsles yeux so trouvant tout n fait trompés, l'on crutvoir effectivement un jardin d'uno beauté extraordi-naire »,

Texte â rapprocher do cet autre passage :« On voitici sortir, en moins do rien, du milieu des jordinSylcssuperbes palais et les magnifiques théâtres, do tous

7

Page 207: Les Premières de Molière

101 LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

côtés enrichis d'or et do grandes statues, que la verdure

égayé et quo cent jets d'eau rafraîchissent r.

Tel est le cadre où Molièro va donner sa premièredo George Dandin. Mais une comédie seule eut fait

maigre figure eu un lieu semblable. Il fallait l'accom-

pagner de musique, do chants et de danses. Ce qui futfait avec la collaboration de Lulli. Or, nous auronsdonné une idéo do ces somptuosités lorsque nous auronsdit que la dépense totale du Divertissement encadrant

George Dandin, s'élevait (décors et costumes) â lasomme de 52,972 livres, et que dix habits de Molièroet de sa troupe avaient coûté 2400 livres (1), sommes

qu'il faut au moins multiplier par dix pour obtenirla valeur actuelle équivalente.

Maintenant, comme le fait fort judicieusement obser-ver M. Maurice Pellisson ^2), n'cst-il pas permis do

supposer que Molière, qui dans la vie privée aimaitâ s'entourer de belles choses, comme le prouve l'inven-taire établi après sa mort, n'était pas heureux, comme

auteur, comme directeur do troupe, do produire sesoeuvres et ses acteurs dans do semblables conditions ?

Nous renverrons encore à la Relation complète pourl'argument du ballet, que Molière n'a pas fait figurerdans ses oeuvres, (les paroles chantées ont seules été

conservées), et nous rapporterons les quelques passagessuivants do la lettre en vers de Robinet (et quels vers) 1du 21 juillet !

O le charmant lieu que c'étaitIL'or partout, certes, éclatait ;Trois rangs de riches hautettecs,Décoroîcnt ce lieu de délices,

(1)Détailfournipar M.Nuitterdan*ta préfaceen tête de l'AlbumdeSOplanche»a l'eau-forleen couleurspubliépar GuilUumotfil*,tout letitre d*Costume*detOpéra.1.1883,CitéparM,MauricePellisson,

(2)Le*Comédies-BalletsdeMolièrepar MauricePellisson,ouvragedéjàcité,p. 22,

Page 208: Les Premières de Molière

OEOIIOEDANOIS 195

Aussi haut, sans comparaison,Que la vaste et haute cloison,Do l'Eglise do Notre-Dame,Où l'on chante en si bonne gamme.Maintes cascades y jouoient,Qui de tous côtés l'égayoient,Et pour en gros ne rien obmettre,Dans les limites d'une lettre,En ce beau rendez-vous des jeux,Un Théâtre auguste et pompeux*,D'une manière singulière,S'y voyoit dressé par Molière,Le Morne cher et glorieux,Du bas Olympe de nos Dieux,Lui-même donc, avec sa Troupe,laquelle avoit les ris en croupe,Fit là, le début des ébats,De notre Cour pleine d'appas, tPar un sujet nrchi-comique,Auquel riroit le plus stpïquc,Vraiment malgré, bon gré ses dents,Tant sont plaisans les accidents,Cette petite Comédie (I).Du crû de son rare génie,Et je dis tout disant cela,Eloit aussi, par-ci, par-là,De beaux pas de ballet mêlée,Qui plurent fort à rassemblée,Ainsi que les divins conccrls,El les"plus mélodieux airs,Le tout du sieur Lully Baptiste ;Dont maint est le singe ot copiste,D'ailleurs de ces airs bien chantes,Dont les setis éloient enchantés,Molière avoit fait les paroles,Qui valoient beaucoup de pistoies,Car en un mot, jusqu'à ce jour,Soit pour Bacchus,soit pour l'amour,On n'en nvoit pas fait de telles,C'est comme dire d'aussi belles,Et pour plaisir plutôt que tard,Aile/,voir chez le sieur Ballard, (2)

11)Enmaffe'-GeorgeDandin(Notede Robinet}.(2)LeGrandDivertissementRoyat,\i\tetin-4*»ch«11.Ballird.iOjuillet.

Cecilaisserait&penserquele*spectateursavaientenmain*l'argumentàlà représentation.

Page 209: Les Premières de Molière

106 LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

Si je vous mens ni peu ni prou,Et si vous ne sçavu-z pas où,C'est à renseigne du Parnasse :Allez y donc, vite, et do grâce.

Mais revenons ù nos Mouton.*,Et pour achever ajoutons,Que chacun lit là des merveilles,Qui n'eurent jamais de pareilles :Et qu'à l'envt, soit les Acteurs,J.fS Baladins et les Chanteurs,Tous en ce jour se surpassèrent,Et bravement se signalèrent.Mais entre tous ces grands zélés,Qui se sont fi bien signalés,llemarquablc est hi Thorillièrc,Qui prêt de tomber dans la bière,

^ Ayant clé durant le cours,Tout au plus d'environ huit joui*,Saigné dix fois pour une fièvre,Qui dans son sang faîsoil la mièvre,Quitta son grabat prestement,lit voulut héroïquement,Du gros Lubin faire le rôle,Qui sans doute éloil le plus drôle,

La pièco avait tellement plu dès son apparition,qu'on la redemanda à la Cour, à St-Cîerinain-en-Layc,pour les fêtes de la Saint-Hubert. La Troupe la jouadonc encore trois fois devant le Koi, les samedi 3,dimanche -i et mardi G, indépendamment de YAvare,une nouveauté dont nous parlerons plus loin, et qui futdonnée le lundi 5. Le retour à Paris s'elfcctua le 7 etIn II, Molièro loucha 440 livres pour les nourrituresdes 5 jours à St-Germain,

La réouverture du Théâtre du Pnlaîs-Hoyal eutlieu le 9, et cette fois avec George Dandin qui étaitencore inconnu du public, Il y eut 39 représentationsconsécutives.

Le suppression du Divertissement à Paris où l'onne pouvait supporter les frais faits à la Cour, fit peut'être paraître le dénouement un peu triste. On so rap-pcllo la phrase dernièro do George Dandin :

Page 210: Les Premières de Molière

"Or.OWB DAUDÎN 197

a Lorsqu'on a, comme moi, épousé une méchanto

femme, le meilleur parti qu'on puisse prendre, c'est des'aller jeter dansd'cau la tête la première. »

George Dandin est douloureux, a dit Michclot.Le dénouement de Gcorgo Dandin est un suicide, a

écrit Gounod qui certainement exagère.Dans le livret du Divertissement nous lisons : « Dans

ce dernier acte, l'on voit lo païsan (George Dandin)dans le comble de la douleur par les mauvais traite-ments de sa femme. Enfin un de ses amis lui conseillede noyer dans le vin. toutes ses inquiétudes, et l'emmène

pour joindre sa troupe, voyant venir touto la foulo des

bergers amoureux qui commence à célébrer par deschants et des danses le pouvoir de l'amour. Ici la déco-ration du théâtre so trouve changée en un instant, etc. ».

Dandin allait donc noyer son chagrin dans le vin,(l'était plus gai. Mais les habitués du Palais-Royal,en lui entendant dire qu'il ne lui restait plus qu'à so

jeter a l'eau, ont-ils pris cette boutade au sérieux?Nous ne le croyons pas. Aussi est-ce une erreur ù nolroavis de vouloir découvrir un drame à la fin de cettebouffonnerie.

Page 211: Les Premières de Molière

CHÀPlTItK XXI

L'AVARE

Comédieen prose,en cinq actes.Tliéatrc<lilPatnU-lloyiit: 0 Septembre1668.

L'Avare au Palais-lloyal. --• Came* de sou insuccès. —•Onn'admit pus cinq iules en prose.— Compte-rendude Itohinct.-—Le pièceest retiréede Vaffichémais fouèeà ta Cour.

Co fut le dimanche 9 septembre quo Molière sehasarda à présenter à son publie habituel sa nouvelle

pièce YAvare. Nous disons « so hasarda » car jamaispièce ne fut plus mal accueillie, mémo avant d'avoirvu le feu des chandelles.

Si l'on songe «pie cette comédie moliéresque est unode celles qui soit restée au répertoire depuis deuxsiècles et demi, toujours avec succès, qu'elle a do tout

temps donné lieu à des débuts sensationnels pour lesartistes se destinant â l'emploi des grimes et des man-

teaux, on peut se demander sur quoi se basaient les

préventions du parterre à cette époque ? Tous lescoiituicnliilcur.s ont cherché à éclaircir cetto énigme ;certains diront : ce manque de goût.

Eh bien, la meilleure explication que l'on ait pudonner jusqu'à présent de cet échec immérité est Insuivait tu t YAvare est une comédie en cinq actes et eu

prose, Or le publié de 1GG8ne pouvait admettre qu'unepièce sérieuse, une pièco de moeurs fût écrite autrement

qu'en vers, surtout lorsqu'elle comportait cinq actes.Passez en revue toutes les pièces du répertoire destrois théâtres, Hôtel de Bourgogne, Marais et Palais-

Royal, vous ne trouverez pas une grande pièce quine soit autrement qu'en vers. On no supporte la prose

Page 212: Les Premières de Molière

L'AVARE 109

que dans les farces de un ou trois actes au plus, etMolière jusqu'à ce jour, à uno exception près, s'étaitconformé à l'usage.

h*Etourdi, lo Dépit, Dom Garde, YEcole des femmes,lo Misanthrope en cinq actes, sont en vers. lit mcu eles Fâcheux, 3 aetes.

Les Précieuses, la Critique, YImpromptu, lo Sicilien,pièces en un'acte sont en prose. L'Amour médecinet le Médecin malgré lui, en prose également ne dé-

passent pas trois actes.Nous avons parlé d'une exception : Dom Juan, cinq

actes on prose. Mais Dom Juan était considéré commeune espèce d'adaptation du théâtre italien. Encore la

pièce ii'ulhvl'clle pas loin.Molière donne YAvare, et on lui reproche aussitôt

do ne pas avoir versifié ces cinq, actes. Quant à la

question do savoir s'il a plus ou moins empruntéquelques situations à YAultttaria de Plante, nous la

laisserons, si vous voulez bien, au second plan. Leshabitués du Palais-Royal ne se souciaient quo modé-rément de Plaute. On avait affiché uno comédie en

cinq actes, et l'on s'attendait à un langage noble envers. Le public fut désorienté. Co n'était plus la farce

pure en prose, et ce n'était pas la grande pièce en cinqactes en vers. Ne nous étonnons pas do ces prétentions.Qu'un auteur de nos jours présente un ouvrage en deux

actes, coupe qui fut fort à la mode de 1830 à 1860,et le directeur de théâtre auquel on s'adresseravous dirade suite qu'il lui faut u\\ troisième acte, n'eussiez-vousrien à dire. Etonnez-vous après cela que tant de pièces,de vaudevilles surtout, aient un acto vide. On Vous

répondra : « C'est l'usage ». Or, du temps do Molière,à moins que ce ne fût une farce, ce n'était pas l'usaged'écrire en prose, et encore moins d'écrire cinq actes

qui ne fussent pas en vers. Et, pas plus du temps deMolière que du nôtre, on n'aura jamais raison des

modes, usages et coutumes.

Page 213: Les Premières de Molière

200 LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

Molière so doutait-il du sort réservé à sa pièce ?On pourrait le croire lorsque l'on voit la timiditéavec laquelle il la présente pour In premièro fois en

public, non pas un vendredi, jour do mode, mais ledimanche 9 septembre 1668, non à la Cour, comme ilavait souvent coutume de faire pour ses ouvragesnouveaux, mais h son tliéâtrc.On vient le protnicr jourpar cttriosité.Muis la Tecettc do 1069 livres 10 sols pourla première, ne tarde pas à retomber à 495 pour ladeuxième et à 271, 10 sols pour la septième. C'eûtété folio do s'entêter. La pièce est retirée de l'affiche

après neuf représentations seulement consécutives. Il

faudra, quand on reprendra YAvare en décembre, com-

pléter ces cinq actes avec la farce du fin lourdaud.Et cependant Molière a monté l'ouvrage avec soin.

C'est lui-mêmo qui s'est chargé du rôlo écrasant d'Har-

pagon. Son inventaire après décès nous a même apprisquel était son costume : « Uno autre boîto de la repré-sentation ùoY Avare, consistant en un manteau, chausseet pourpoint de salin noir, garni de dentelle ronde desoie noire, chapeau, perruque, souliers ; prisé vingtlivres n. (1)

Quant a l'interprétation clic est de premier ordre :n côté do Molière-Harpagon, voici Mel,c Molière-Élise,Mette doDric-MarianCjMadelcine Béjarl-Frosinc. Béjartcadet, devenu boiteux par suite d'un accident^ a atta-ché son nom au rôle de la Flèche (2).

L'ouvrago trouve cependant grâce devant Robinet,qui écrit dans sa lettre en vers lu 15 septembre :

Prenant soin du plaisir public,Moi, qui marchant ne fais point clic,J'avertis que le sieur Molière,De qui l'âme est si familière,Avccquo les neuf doctes Soeurs,Dont il reçoit mille douceurs,

(1)B. Soulié,ouvr.d*jacité,p. 276.(2)t Je fieMeplaî»pointà voiresehi«nde boiteux-là.»Actef ,icêoetir.

Page 214: Les Premières de Molière

L'AVARE 201

Donnoà présent sur son Théâtre,Où son génie on idolâtre,Un Avare qui divertit,Non pas certes pour un petit,Mais au delà ce qu'on peut dire,Car d'un bout à l'autro il fait rire,Il parle en prose, et non en vers ;Mais nonobstant les goûts divers,Cetto Pièco est si théâtrale,Qu'en douceur les vers elle égale.Au reste, il est si bien joué,

ÎC'estun fait de tous avoué),

Jar toute sa Troupe excellente,Quo cet Avare que je chante,Est prodigue en gais incidens,Qui font des mieux passer lo temps.

Malgré toutes les précautions dont il s'entoure, lobrave Robinet laisse bien entendre que le public futétonné d'entendre cinq actes qui ne fussent pas envers." L'Avare est tombé pour ne pas s'être conforméà l'usage.

Ce qui n'empêcha pas cependant le public de venirencore quelquefois l'applaudir. Robinet nous le dit

positivement dons sa Lettre en vers du 22 suivant :

Et lo divertissant AvareAussi vrai due je vous le di,Dimanche fut très applaudi.

Il s'agit du dimanche 16 septembre. En quoi il estd'accord avec Lagrange qui enregistre 664 livres derecette pour ce jour-là.

Enfin,à l'occasion delà Saint-Hubcrt,(2-7novembre)Molièro joue encore une fois YAvare devant la Courà Saint-Germain.

Et dans son excellent Avare,Que ceux de l'esprit plus bizarre,Ont rencontré fort à leur goûtDu commencement jusqu'au bout, (i)

(1)L«ttradu20novembre1668.

Page 215: Les Premières de Molière

C1IAPITHE XXII

LE TARTUFFE ou L'IMPOSTEUR

Corneilleon vers, en 5 actes.Théâtredti i'.il.tts-Iloy:il:lr« ri-présentationsanslendemain(Interdite)

5 août UÎG7.• 5 févrierlC>C9(nulorhee).

Représentation des trois premiers actes de Tartuffe. — Interdic-tion. — Lecture au Légat. —~Premier Placet au roi. — Pro-tectiondu grand Coudé.— Unereprésentationsans lendemain.— Lagrange et La Tliorillièro au siège de Lille. — SecondPlacet. —• Première représentation. — Compte-rendu deRobinet. — Succèssans précédent.

Aucune pièce de Molière no fil couler autant d'encre :non seulement parce qu'elle est son chef-d'oeuvre, parcequ'elle est celle de ses comédies qu'il affectionnaitle plus, mais aussi â cause des vicissitudes qui accom-

pagnèrent son .apparition.1/autcur a pris le soin, du reste, de nous en avertir

dans sa Préface : « Voie y une comédie dont on a fait

beaucoup de bruit, qui a esté longtemps persécutée ;et les gens qu'elle jolie ont bien fait voir qu'ilsesloient plus puissants eu France que tous ceux quej'ay jouez jusqu'icy. Les mat qui?, les précieuses, lescocus et les médecins ont souffert doucement qu'on lesait représente/, et ils ont fait semblant de se divertir,avec tout le monde, des peintures que l'on a faitesd'eux. Mais les hipocrilos n'ont point entendu raille-

rie, etc.. n

Toute cette admirable préface est à lire.En 166'i, Molière a écrit son oeuvre, et lorsqu'il est

convié ù la Cour, à Versailles, pour jouer la Princesse

d'Elide, dont nous avons rendu compte, il trouve le

Page 216: Les Premières de Molière

LE TARTUFFE 203

moyen, avec la complicité du roi, si l'on peut dire,de représenter le 12 mai—sixième journée des Plaisirsde Vile enchantée—les trois premiers actes de Tartuffeou VHypocrite.

Aussitôt grand scandale. La « cabale >>,et par ce moton désignait les jansénistes, se met en campagne pourarrêter la représentation publique, et lorsque le roi

quitte Versailles doux jours plus lard, pour se rendreà Fontainebleau, la Gazelle annonce la mise à l'indexdont la comédie a été frappée. Il va sans dire qu'elleimpute cette interdiction au roi lui-même.

Ce n'est pas totit : un certain Pierre Roullé, curé de

Saint-Barthélémy (1) à Paris, Docteur en Sorbonnc,dans un écrit intitule Le Iloi glorieux au monde, ouLouis XIV le plus glorieux de tous les rois du monde,se met à vilipender Molière duus'lcs termes les plusgrossiers, les plus injurieux, l'appelant « un démonvcsttt de chair et habillé en homme, et le plus signaléimpie et libertin qui fût jamais dans les siècles passés»,annonçant par un trait d'audace rare que le roi avaitdéfendu de faire représenter ou imprimer Tartuffe,et co « sous peine de mort » (2).

Molière avait trop l'oreille du roi pour ne pas so

plaindre, et c'est ce que nous laisse entendre Loretdans sa Mute historique (lettre du 24 mai) :

..... Un quidam m'écritQue le comédien Molière...Avoit fait quelque plainte au roi,Sans m'cxphquer trop bien pourquoi,Sinon que sur son Hypocrite

IPiècedit-on, do grand mérite

'Atrès fort au gré de ta Cour),Maint censeur daube et nuit jour,Afin do repousser l'outrage,Il a fait coup sur coup voyage,Et le bon droit représentéDe son travail persécuté. »

(1)Dansl'Iledela Cité,emplacementactuttdu TribunaldeCommercé.(2)L»TartuffeparordredehuisXty,fat LouisLac^ur,P«ri»,Claudia,

U19.

Page 217: Les Premières de Molière

204 LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

Molière fuit plus encore. 11apprend que lo Légat du

Pope, le Cardinal Chigi, Légat a latere, neveu d'Alexan-dre VII, vient d'arriver eu Franco peur donner satis-faction de l'injure qui avait été faite à Rome à notre

ambassadeur, et quo ce ite sont à Fontainebleau

que fêtes, chasses, comédies et bals (Il y joua quatrefois la Princesse d'Elide devant le Légat, dans la

grande salle). Molière donc obtient do lire son Tartuffedevant le L gat,lc \ août, et peut-être bien les cinqactes.

Mais qu'en pensait le roi ? L'auteur du compte-rendu des Fêtes de Versailles, a pris soin do nous ledire Î VSixième Journée des Fêtes de Versailles :... Le

soir, Sa Majesté fit jouer les trois premiers actes d'unecomédie nommée Tartuffe, que le sieur de Molière avaitfait contre les hypocrites ; mais, quoiqu'elle eût ététrouvée fort divertissante, le ttoi connut tant do con-formité entre ceux qu'une véritable dévotion met danslo chemin du ciel et ceux qu'une vainc ostentationdo bonnes ecuvres n'empêche pas d'en commettredo mauvaises, que son extrême délicatesse pour leschoses de la religion ne put souffrir cette ressem-blance du vico et de la vertu, qui pouvaient être prisl'un pour l'autre. Et quoiqu'on ne doutât pas des bonnesintentions de l'auteur, il la défendit pourtant en public,et se priva soi-même de ce plaisir pour n'en pas laisserabuser d'autres moins capables d'en faire un justediscernement ».

Le roi a été circonscrit par les intrigues des jansé-nistes, par mesdames de Conti et de Longueville, et

par amour de la paix dans sa famille, il a cédé.

Cependant la lecture faite nu Légat a encouragéMolière à relever* la tête. De ce jour la question do

Tartuffe lui tient au coeur. Le 31 du même mois illance un pamphlet auquel il donne ta forme de sup-plique. C'est le premier Placet au roi: « Votre Majestéa beau dire, et M. le Légat et M,M, les prélats ont

Page 218: Les Premières de Molière

LE 7AB1VFFB 205

beau donner leur jugement, ma comédie, sans l'avoir

vue, est diabolique ; je suis un démon vêtu do chairet habillé en homme, un libertin, un impie digne d'un

supplico exemplaire. Ce n'est pas assez que le feu cxp'oen public mon offense, j'en serais quitte à trop bonmarché : le zèle charitable de co galant homme debien... (le curé de St Barthélémy) veut absolument

que je sois damné, c'est une alTairo résolue... les roiséclairés comme vous, n'ont pas besoin qu'on leur

marque ce qu'on souhaite ; ils voient, comme Dieu,ce qu'il nous faut ».

Personnellement, le roi ne s'effarouche guère. Le25 septembre, pendant une série de fêtes offertes àlueurs Majostés par Monsieur, frère du Roi, â Viilois-

Cotterels, il assiste fort bien à une seconde représen-tation des trois premiers actes de Tartuffe,

Le Prince de Condé est plus curieux ; il veut con-naître les cinq actes, et c'est par ordre que Molièreet sa troupe sont mandés par ce. Prince au Roincy,maison de plaisance de la Princesse Palatine (1). C'estdonc au 29 novembre de cette année qu'il faut

fixer, au Raincy, la première représentation des cinqactes, co qui nous prouve surabondamment que l'ou-

vrage était entièrement terminé, bien que l'on n'enait joué que trois actes devant la Cour deux mois aupa-ravant. Cette représentation valut à la Troupe ilOO

livres, et c'est même ou retour de cette expéditionqu'eut lieu un légor accident, Les bagages ayant versédans un bourbier, nos comédiens durent faire une haltedans une hôtellerie à Bondy.

Un an se passe, et la représentation en public n'est

toujours pas autorisée. On devine que Molière multiplieses démarches et ses lectures, fs'ouvel ordre du Princede Condé, qui décidément se fait lo protecteur de

(11LeehâlrauduRaituyavait{fé)>â1iauXVII*.«îMepourJacques}]orJter,comeilfcret terrllairrdu tri. Onuti-if,dis,CiLiéLebeuf,«juelacon»(t«ictÎMienavaiteofité4.5OO.O00livres.j\|iê* l'.uéWr,îlrrf r.ritrrt&là princc*sePalatine,

Page 219: Les Premières de Molière

200 LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

Molière, pour donner au mémo lieu, et en présencedes mêmes spectateurs, uno seconde audition de 7'«r-

tuffe en 5 actes avec les Médecins (l'Amour médecin),le 8 novembre 10C5. Nouvelle gratification de 1100

livres.Nous «vous dit ou chapitre do Dom Juan comment

Molière avait exhalé ses plaintes dons cette pièce,donnée le 15 février suivant. M. Louis Lacottr, dons soncurieux travail Lo Tartuffe par ordre de Louis XIV,veut reconnaître dans le Dont Juan de Molière un

portrait de Conti, cet ancien protecteur de la Grangedes Prés à Pézcnas,cc prince dissolu devenu tout à coupl'ennemi irréconciliable des spectacles, avec des ma-

nières de capucin. « Nous nous étonnons quo tant detraits de ressemblance n'aient pas été signalés jus-qu'ici», écrit le commentateur.

« Un grand seigneur méchant homme est une ter-rible chose » (Dom Juan).

« Il (Conti)nc croyait pas trop en Dieu» (Mademoiselle,Mémoires).

« Le ciel I Nous nous moquons bien de cela 1» (DomJuan).

Plus loin, acte V scène 1, la conversion de Dom Juanest à peu près décalquée sur la conversion de Conti.M. Louis Lacour a publié en regard les deux textes (1)

Mais revenons à Tartuffe et à ses péripéties.

(1)Le Princede Contimourutl'annéesuivantele 20 février1666aLaGrangedes Prés,a l'âgede3?ans.Maissa conversionqui fitquelquebruitavait eu lieubienavant,et il est aisesétrangequeMolièreait euconnaissancede ce texte,qu'il a suivide très près.Ci. LeTartuffeparordrede LouisXIV,p. 46,déjàcité; Conti,Discour*sursaconversionparle I*.des Champs,lettresdu 1'.deCironet passimdansla PrincessedeContide il. de B., 1875.

Le libelledu Princede Contine lut imprimé,il est vrai,qu'aprèssamort [Traitéde ta comédieetdesspectaclesselonlestraditionsdef Eglise,Paris,LouisDillâine,1671,in-8°),maisMolièreconnaissaitsi biencetouvrage,fait remarquerM.LouisLacour,que%Apréfacede Tartuffeestconsacréepresqueentièrement&enréfuterlesarguments.

Il a été publiédans le III* vol.du Moliirisle(!*' octobre1881)uncurieuxdocument«fianousne pouvonspassersous silence.C'est unecommunicationdu Duc d'Aumalê,lequel avait retrouvédans les

Page 220: Les Premières de Molière

LE TARTUFFE 20?

Nous avons vu dans les précédents chapitres queMolière occupé par les travaux do son théâtre et parles commandes do la Cour avait dû renoncer, bien à

contre-coeur, à son chef-d'oeuvre. Aussi le camp deses ennemis fut-il tout à. coup en émoi lorsqu'il appritque Molièro allait mettre ses cinq actes de YHypocritesous un nom nouveau a la scène. Panulphc devenait

Tartuffe, et YHypocrite s'était changé en Imposteur.Et cependant, l'auteur veut s'entourer encore de

toutes sortes de précautions. Cinq jours avant cette

grave décision, il va faire la lecture de son Tartuffechez Madame (31 juillet). Fort de ce nouvel appui,il annonce sa première pour lo 5 août sur le Théâtre du

Palais-Royal. La foule accourt, le caissier encaissé1890 livres, mois dès le lendemain survient un huissierde la Cour du Parlement, do la part du premier Pré-

sident, M. de Lamoignon, pour défendre aux comédiensde jouer la pièco uno seconde fois. La porte de la

Archivesdé Condi,portefeuille75'i,unelettre du Ducd'Engtiicn,llenrJulesdeiiourbonà unM,deHicousquifaisaità Parislesaffaire*deson

Eère.Il s'agissaitd'organîîerau Itaincyla représentationqui eut lieu

i8novembre1665.On y lit entreautrescho«es: «On y voudroitavoirMolièrepourjouerla comédiedesMédecinset l'onvoudroitaussiy avoirTartufe.Pârles-luydoncpourqu'il lienecesdeuxcomédiespresteseta'ily aquelquerôfcàrepasserqu'illesfasserepassera ce)(sic)camarades.S'ilenvouloitfairequelquesdifficulté»,pariesiuyd'unemanièrequi luifacecomprendrequeMonsieurmonl'èreet moyenavonsbienenvieet

3u'ilnousferaplaisirde nouscontenteren fêlaet de n'y pointaporter

e difficulté.Si le quatrièmeactede TartufeesloitfaictdemandésIuys'ilnelepouroitpasjouer.Et requ'ilfaut luirecommanderparticulière-mentc'estde n'en parlera personeet l'onne veutpoint que l'on le«cachedevantquecelasoitfaict....*

Commentsefait-ilalorsqueLagrangeavaitdéclaréquetescinqactesavaientétéjouésunanplustoi.Cettecommunicationfilnaîtrenaturelle-mentdescontroverses.P. Ifcgnierréponditd'aborddansle Tempsdu8octobre1881,cetexcellentarticlefut reproduitdans le Moliéristedu1" Novembre.Nousnepouvonsentrerdanscettelongueargumentation,maisnousenciteronsla conclusion.Lagrangen'a pas du se tromper

Suandil dit quela piècefut jouéeen cinqactesunepremièrefoisau

laîncy,maisily a tout lieude supposerquelegrandCondéconseillaàMolilrederetouchersonquatrièmeacte.Il faudraitdonelire«refait*aulieude t fait>dansla lettredu filsdugrandCondé,et voirdanscettedemandeledésirqu'avaientle pèreet lefilsdes'assureril leursconseilsdeprudenceavaientété suivis.

Page 221: Les Premières de Molière

203 LUS PREMIÈRES DE MOLIÈRE

Comédio est ferméo par ordre cl gardéo militairement,Louis XIV, protecteur naturel do Molièro en cetto

nffairo, est nu camp devant Lillo. Molière saisit sa

plumo cl écrit un « Second Placet » nu roi. Il le fera

porter au monurquo par Lagrange cl La Thorillière,ces deux comédiens aux allures do gentilshommes,lesquels partirent eu iioslo. Lo voyago, nous apprendI«ogiungo dans son Jlcgistre coûta 1000 livres à laSociété.

Pendant co tomps, à Paris, Molièro était allé dès le7 août so pluindro ù Madame qui avait approuvél'ouvrage uno semaine plus tôt. Lamoignon s'y rendù son tour. Molière et Despréaux s'en vont chez Lamoi-

gnon qui so retranche derrière l'absence du roi, et lesinvile à attendre son retour. Lo Théâtre du Polais-

lloyal n'en reste pas inoins fermé pendant sopl semaines.l<o 11 août l'archevêque do Paris, dans une ordonnancedevenue historique, avait lancé i'anathème conlro le

poète et son oeuvre (1).Quo disait lo « Second Placet » ? Après s'être excusé

do venir importuner le monurquo nu milieu do ses

glorieuses conquêtcs,l'aulctirréclamo aide et protection.11rappcllo les bontés du roi qui avait cependant bienaccueilli ccllo comédio : « En vain jo l'ai produite,écrit-il,- sous le litre de YImposteur, et déguisé le per-sonnage sous rajustement d'un homme du monde ;j'ai eu beau lui donner un petit chapca.i, do grandscheveux, un grand collet, uno épée, et des dentellessur tout l'habit ; motlre on plusieurs endroits des adou-cissements et retrancher avec soin tout co quo j'aijugé capable de fournir l'ombre d'un prétexte auxcélèbres originaux du portrait quo je voulais faire ;tout cela n'a de rien servi » (2), Le toi fit boit accueil

(1)OrdonnancedeMonseigneurl'archevêquedePéris.Del'imprimeriedeFrançoisMuguet,imprimeurordinairedu royet de Monseigneurl'arche-vêquede Paris.(Affichein-f°,Il août1667.)

(2)SecondPlacetprésentéau Roydanssoncampdevantla villedeLisleenFlandre.Kdit.desoeuvrescomplètesdeMolière.

Page 222: Les Premières de Molière

LE TARTUFFB 209

aux comédiens, et promit quo la pièce serait oxaminéoà nouveau lors do son retour à Paris.

Lo Princo do Condé, pour son compte, no so lasse

pns d'cnlcndro Tartuffe. Il fait appeler Molièro chezlui, en sou hôtel, ù Paris, (1) lo h mars 16GS, puis à

Chantilly lo 20 Septembre où lo vainqueur do laFranche-Comté donne des fêles,dcvautlo Duc d'Orléanset Mrae la Duchesse Henriette.

Molièro toucho enfin à son but. Tous les obstaclessont levés, et lo 5 février 1069, la premièro do YImpos-teur est affichée au Palais-Royal. La recette, nous ditIjugrango atteignit 2860 livres et comme la piècofut donnéo 44 fois do suite, fait sans exemple, avec unmaximum presque chaque jour, ht part do l'auteurs'éleva à la sommo do G.871 livres.

Co jour même, Molière adresse son « troisième Placet »au roi, non pour lo remercier, mais pour lui demanderune grâco {un canonicat vacant à Vincciincs) : «Oscrais-

jo demander encoro cetto grâco à Voire Majesté lo

propre jour do la grande ressurreelion do Tartufferessuscité par vos bontés ? Jo suis par cette premièrefaveur réconcilié avec les dévots... etc. »

A rappeler aussi le dernier paragraphe do cetto

magnifique Préface du Tartuffe, préface trop oubliée,el qu'on no lira jamais assez : « Finissons par le motd'un grand princo sur la comédio du Tartuffe.

« Huit jours après qu'elle eut été défendue, on repré-senta devant la cour uno pièce intitulée : Scaramoucheermite (2) et le roy, en sortant, dit au grand princeque jo veux dire : « Jo voudrais bien savoir pourquoiles gens qui se scandalisent si fort de la comédie doMolièro no disent mot de celle de Scaramouche ». A quoi

(1)L'Ildtelde Condése trouvaitsurles terrainsoccupésactuellementparla HuedeConde,locarrefourde l'Odéon,jusqu'àla rueMonsieurlePrince. f

(2)Le16aoûtau Th. Italien,Piècetrèslicencieuse,danslaquelleunermitevêtuenmoinr,montelanuitparunefenêtrechezunefemmemariée,ety reparaitdetempsentempsendisant:Questopermortiflcartaearns.

Page 223: Les Premières de Molière

310 LES PREMIÈRES DR MOLIERE

lo princo répondit : « La raison de cela, c'est que lacomédio do Scaramouche joue lo Ciel et la religion,dont ces messieurs-là no se soucient point ; mais celledo Molièro les jotto cux-mômcs : c'est ce qu'ils ne

peuvent souffrir ».

Retraçant ici surtout la vio théâtrale do Molière et la

façon dont, ses pièces furent accueillies à leur appari-tion, nous ne nous attarderons pas à recherchor, commeont fait tant do commentatours,sans se mettre d'accordentre eux, lo ou los personnages qui purent sorvir demodèle à Molière pour tracer lo caractère do son

Tarluffo, pas plus quo nous no rechercherons la pater-nité de co mot. ÎSous aimons mieux reproduira leslettres en vers do Robinet, qui constituent, hélas,à peu près tous les compte-rendus de l'époquo.

L\ellredu 9 Février 1669

A propos do surprise ici,I*a mienne fut très grande aussi,Quand Mardi (1) je sçus qu'en lumièreLe beau Tartuffe (2) de Molière,Alloit paroltro, et qu'en effet,Selon mon très ardent souhait,Je lo vis, non sans quelque peine,Co mémo jour-là. sur la Scèno :Car je vous juto en vérité,Qu'alors la curiosité,Abhorrant, comme la nature,Lo vuide, en cetto conjoncture,Eilo n'en laissa nulle part,Et que maints coururent hazard,D'être étouffés dans la presse,Ou l'on oyoit crier sans cesse,» Jo suffoque, jo n'en puis plus ;» Hélas, Monsieur Tarluffius,» Faut-il que do vous voir, l'envio« Me coûte peut-être la vio INul néanmoins n'y suffoqua,Et seulement on disloqua,

(!) Mardi5 Février(Xoted' Robinet).(2)Autrementl'Imposteur(NotedeRobinet).

Page 224: Les Premières de Molière

LE TARTUFFE 211

A quelques-uns manteaux cl côtci,A cela près, qui fut leur faute,Car a la presse vont les foux,On vit, en riant & tous coups,Co Tartuffe, cet hypocrite,I^qu»! faisant la chate-milto,Sous un masque de piété,Déguise sa malignité,Ht trompe ainsi, séduit, abuse,Le simple, la dupe, (a buse.Ce Molière,par son pinceau,En a fait le parlant tableau,Avec Innt d'art, tant do justesse,El bref, tant de délicatesse,Qu'il charme tous les viai* dévots,Comme il fait enrager It-s faux.Et les caractèic-s, au reste,(C'est uno chose manifeste)Sont tous si bien distribuas,.Et naturellement joués,Que jamais nulle Comédie,No fui aussi tant applaudie.

Cependant Robinet ne so contente pas de constater

l'empressement de la foule à se rendre à Tartuffe, et losuccès considérable do l'ouvrage, il nous parle, con-trairement à ses habitudes, de l'interprétation de la

comédie, et cite en marge les noms des interprètes.

Lettre du 23 Février 1669

A propos d'ébat ThéAtral :Toujours dans le Palais-Royal,Aussi lo Tartuffe se joue :Où son Auteur (t), jo vous l'avoue,Sous lo nom de Monsieur Orgon,Ainasso pécuno et renom.Mab pas moins encor jo n'admiroSon épouse la jeune Etmire (2),Car on sçauroit constammentJouer plus naturellement.Leur mère, Madame Pernelle (3),Est un» frigante femelle,

(1)M.Molière. (NoiedeRobinet),(2)MademoiselleMolière, —(3)LeSieurBéjart, ~

Page 225: Les Premières de Molière

SI3 LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

Kilo s'acquilc ma foi des mieux,De son rôle faeécieuv.Porine (t) maîtresse servante,Ivil cncor bû-it divertissanle.Et Citante (2) nichante et ravit,Dans les excellei.s vers qu'il dit.Os deux autres, ou Dieu nie damne,l)amit (3) et sa sieur Marianne l/i),Qui sont les deux enfaus d'Orgon,Y font merveille tout de bou.VaUre (5), amant do celte belle,Des galaus y semble un modèlo :Et l« bon Tartuffe (6), en un mot,Charme,en son rôle do bigot.

On a pu voir par la distribution ci-dessus quo lesrôles do dttègnos comme celui do Madame l'criiellcétaient encore tenus par des hommes.

Il nous reste à dire quelques mots du costumo trouvéchez Molièro : « Une autre boîte où est l'habit de la

représentation du Tartuffe, consistant en pourpoint,chausses et manteau do vénitienne noir»), lo manteaudoublé do tabis cl garni do dentelles d'Angleterre,les jarretières et ronds de souliers et souliers pareil-lement garnis • comme il résulto do l'inventaire aprèsdécès (7).

Paul Lacroix, dans son Iconographie Molièresque (8)so demando, non sans raison, si ce costume est biencelui d'Orgon, ou celui de Tartuffe ? Nous manquonsabsolument de détails sur la représentation des trois

premiers actes joués dovant lo roi et la Cour lo 12 mai1664. Or n'y a-t-il pas lieu de supposer que Molière

s'y était réservé lo rôle de la pièco qui demandaito plus d'adresse et de prudence pour ne pas paraîtretrop hardi ou trop révoltant ?

(1)MademoiselleBéjart(SoledeRobinet).

i2)

LeSieurla Tborillitre. —

3| M.Hubert. —4) Mademoisellede Brie. —5) LeSieurla Grange. —6) LeSieurdu Croisy. —(7)InventairedeMolière,E.Soulit,p. 275.(8)IconographieMotitrt$«,ue,p. 86.

Page 226: Les Premières de Molière

LE TARTUFFE 213

Kn tous cas, et la preuve en est faite, c'est du Croisy

qui créa lo rôle de l'artuIfo lorsque la comédio inter-dito fut en lin représentée Robinet vient encoro denous lo dire dans sa lettre en vors. Mais cet habit nous

parait bien sombro pour Orgon, d'autant plus quo lorôle doTarluliosc joue aussi en noir.

Indépendamment des représentations au théâtredu Palais-Royal, Molièro fui demandé partout « envisite ». C'était alors lo « chic » suprèmo, si l'on peutappliquer co mot a cette époquo, do fairo représenterTartuffe chex soi. Lo 15 mars, lo privilègo du Tartuffepour 10 ans fut accordé a son auteur. Défenses à Jean,l'rauçois ot Jacques Ilosnnult pèro et fils d'imprimermi do vendre des contrefaçons du Tartuffe. Lo 22 ou 23,la pièce est impriméo « aux dépens do l'auteur », et sovend un écu chez Hibou, in-12 avec la préface. A lamême date paraissait chez. Hibou et P. Lo Petit, LaGloire du DAme du Val de Grâce, poème do Molièro

in-4°, orné de belles estampes do l\ Chauvoau, d'aprèsMilliard.

Tartuffe et la Gloire du Val de Grâce en librairiele niômc jour, est-ce un hasard ou un fait voulu ?

Robinet annonça en ces termes, lo 6 avril 1669, la

publication du Tartuffe :

MonsieurTartuffe ou lo Pauvro homme,Co qui les faux dévots assomme,Devient public plus quo jamais,Comme au Théâtre désormaisIl so montre chez le libraire,Qui vend l'écu chaque exemplaire.

On eut pu s'attendre, comme après YEcole des femmes,touto uno sério do critiques, de parodies, de contro-

verses mises à la scèno. Il n'en fut rien. Le coupavait été trop rudement porté et restait sans riposte.En effet, la Lettre sur la Comédie VImposteur (20 mai

1667) rédigée dans l'entourage de Molière mais non parlui, n'est qu'un assemblage do renseignements sur la

Page 227: Les Premières de Molière

211 LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

pièce, dont ello suit la composition, en indiquant lesmodifications faites pour la représentation de 1667,

Quelques ciiliques I attribuent a Chapelle, ami del'auteur. Kt la Critioue du Tartuffe, comédio en vers,avec uno préfaco riméo (par Pradou, disent quelques-uns) n'es't (pt'tino pièco imprimée fut décembro 1669,rcéditéo en 1868, avec une préfaco de Paul Lacroix,et dont on ne connaît pas positivement l'apparitionnu thcalro (1).

Telle est l'histoire en raccourci, non do la «première»,muis des « premières » do l'immortel chef-d'oeuvre deMolière, dont la miso définitivo a la scèno lui causa

plus do peines que celle do toutes ses autres piècesréunies.

(I)Cen'eit pasl'avisdeG.Monvalqui,danssaChronologieMvliirtvjur,mentionnea la datedu 18avril(jeudisaint)1069: • MolièrefaitconstaterchezIUsn^ultpèreet fît*,laventedesixexemplairesà Î5 solspièce,d'unecontrefaçondu Tartuffe.Saisiedu reste.

«LaCritiquedeTartuffe,en vers,jouéesurun théâtreparticulier,chezunseigneurdu faubourgSt-llonoré,puisà l'HôteldeBourgogne.»

1*1Frèresl'arfaitdeleurcotéécrivent(lli.l. du théâtrefrançais,t. X,p. 411): «Onn'oieasiureruuecettepièceait étéreprésentée,maiscepen-dant onn'a aucunepreuvedu contraire.*Ellefîtdoncbienpeudebruit.

Page 228: Les Premières de Molière

CHAPITRE XXlll

MONSIEUR DE POURCEAUGNAG

Comédieen proseen trois actes.Châteaude Chambord: 6 Octobre1669.

Théâtre du l*alaU-Iloyal: 15Novembre1669.

Monsieurifo Pourccaugnac ri Chambord.—•Distribution de ta

pièce.—-Costumede Molière.—•Ce quecoûtaient15 repré-sentations.— IMpièceà Pari». -—Compte-rendude Hobine'.

La vogue do Tartuffe remplit la cuisse, ot lorsquenos comédiens si longtemps éprouvé"? arrêtèrent

loms comptes à Pâques 1669, ils purent s'apercevoirquo la part do sociétaire tombée pour la période do

l'année précédente (1667-68) à 2608 livres 13 fols, so

chiffrait pour celle-ci (1668-69) à 5477 livics 3 sols.La réouverture du 30 avril so fit avec Amphitryon,

précédantuno reprise do Tartuffe dont le succès était

loin d'être épuisé. Cetto pièce alternera désormaissur l'affiche avec George Dandin, YAvare, le Médecin

malgré lui, le Misanthrope, etc. de telle sorte quo l'on

potirin dire désormais que le Théâtre du Palais-Royalest bien décidément lo Théâtre de Molière.

Après quelques voyages à Saint Gcrmain-cn-Lajc (1).la Troupe reçut l'ordre do partir lo 17 Septembre,à Chambord où la Cour devait arriver cllc-mêmo lo 19.On y joua 15 comédies, et l'on revint > Paris le 20 oct.Mais la grande nouveauté avait été la première repré-sentation do Monsieur de Pourceaugnac lo 6 octobre.

(1)3 août,parordredu roi: l'Avareet Tartuffe,retourle5.—23août,quatrefoisla Princessed'Elidedans la Galeriedu Châtetuneuf.Retour1" septembre.— Lavuedu ChiteauoeufdeSt-Germaina étédestinéepar I. Sitveslre.—Cf.IconographieMoliéresque,p. 246.

Page 229: Les Premières de Molière

SU LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

On donna cetto pièco on tout 5 ou 6 fois. La Gautte (1)nous a laissé un court aperçu de ces représentations.I«o récit en est ainsi conçu : « L'ouverture s'en fit patun délicieux concort suivi d'uno sérénade do voix,d'instruments et de danses, et dans lo quatrièmeintermède il parut grand nombre do masquos qui, parleurs chansons et leurs danses piment grandementaux spectateurs. La décoration de la scène était pareil-lement si suporbo que la magnificenco n'éclata pas'moins eu co divertissement quo la galanterie, do manière

qu'il n'était pas moins digue do ccllo bcllo. Cour quetous ceux qui l'ont précédé ».

La distribution do Monsieur de Pourceaugnac nousesl parvenue :

PourceaugnacOrontoJulioErastcNérinoLucettoSbrigani

MOLIÈRK.UÊJART.Mell«MOIIKRB.LAGRANGE.MADELEINEDÉJART.HUBERT.Du CROISv.

Les noms des chanteurs, danseurs, musiciens, etc.des intermèdes et des ballets, musiquo do Lulli, figurentdans l'ouvrago do M. Campardou Nouvelles piècessur Molière, recueillies aux Archives nationales (2).Quant au costume que Molièro portait dans Pourceau-

gnac, il se trouve décrit en ces tormes dans l'inventaire

après décès : (3)« Uno boite dans laquelle est un habit pour la repré-

sentation de Pourceaugnac consistant en un hautdo chausses do damas rouge garni do dentelles, un jus-taucorps do velours bleu garni d'or faux, un ceinturonà franges, des jarretières vertes, un chapeau gris garnid'une plumo vorlc, l'écharpe de taffetas vert, uno paire

(1)La Gatelte,année1669,p. 996.(2)Berger-Levraultet O, Paris,1876,p. 78.(?) Eud. Soulié,Recherchessur Molière,p. 275.

Page 230: Les Premières de Molière

MONSIEURDRPOUROBAUONAO t\10

do gants, uno jupe do taffetas vert gurnio de dentelleset un manteau do taffetas noir ».

Nous savons par les Dons ù payer nu Trésor desMenus-Plaisirs et Affaires do la Chambre du Roi, quoles dépenses pour les 15 comédies données à Chambordont coûté 6263 livres 8 sols (1), et qu'il fut îiayô ù laTroune des Comédiens da Palais-Royal pour lo voyageet séjour à Chambord faits par ordro, 6000 livres endeux fois (2).

Lo 4 novembre, nouveau départ pour quatre joursà St-Gormain, â l'occasion do la Saint-Hubert, etle 7 «présentation do Pourceaugnac devant l'envoyéturc incognito. Retour lo 8. — lînfin lo 15 novembre,jtrcmièio représentation tlo Monsieur de Pourceaugnacau Th. du Palais-Royal avec les intermèdes. — Vingtreprésentations consécutives.

Dans sa leltro eu vers du 12 octobre, Robinet n'avait

parlé que par ouï-dire do la nouvello pièce, n'ayant pasété à Chambord :

Un petit livre dont jo tir©Tout co qu'ici jo viens d'écriro . .

Mais lorsque Monsieur de Pourceaugnac fut repré-sente au Théâtre du Palais-Royal, lo critiquo déliesa langue dans sa Icttro du 23 novembre. Cetto fois,il a assisté à la représentation.

La perle, la fleur des Marquis,De la façon du sieur Molière,Si plaisante et si singulière ;Tout est dans co sujet follet,De Comédio et do Ballet,Digno do son raro génie,Qu'il lourno certo et qu'il manie,Commo il lui platt incessamment,Avec un nouvel agrément,

(1)Faita Saînt-Gcrmain-en-l.ayele9 novembre1669,signé; LouisetCelbert.

(2)Fait à Saint-Germainles25janvieret 19février1670,signéLouisetColbert.

Page 231: Les Premières de Molière

2t8 LES PREMIÈRES DEMOLIÈRE•Commo il tourne aussi sa personne,Ce qui pas moins ne nous étonne,Selon les sujet* comme il veut.Il joue autant bien qu'il so peut.Ce marquis de nouvelle fonte,Dont par hazard, h ce qu'on coliteL'original est h Paris, (I).En colère autant que surpris,De s'y voir dépeint do la sorte,Il jure, il tempête, il s'emporte.Kl veut faire ajourner l'auteur.Kn réparation d honneur,Tant pour lui que pour sa famille,i.aquello en Pourceaugnac* fourmille.

Quoi qu'il eu soit, voyez, la l'ièce,Vous tous, citoyens de Lutèce.Vous avouerez en bonne foi,Quo c'est un vrai plaisir do Roi.

(I)AllusionàuneliWloirequicourutlesnicllf*.OnprétendaitqueMotitoavait choisipourmodèleun gentilhommelimousinqui,un jour de spec-tacle,et surle théâtre,eut unequerelleaveclescomédiens,en étalantcipublictout sonridicule.

Page 232: Les Premières de Molière

C1IAPITRK XXIV

LES AMANS MAGNIFIQUES

Comédiemêléede muilqueet d'entréesde balleten proseet en cinqactes.

VlcustChâteaude St*Germatrwn-I.aye; 4 Février1670.

Jjt Troupeà St-Cermain-en-Laye.—*/<#*Amansmagnifiques.—Ce quecoûtait une comidie-ballet.— Comptede*menus. —Louis XIV collaborateurde Molière.—-Changementsdansla troupe.— Ilentrte de Baron, -—Le coupleBeauvat,

L'histoire do la vingt-quatrième pièce de Molièroest très courte. Le 30 janvier 1670, la Troupe des comé-diens du roi s'on va par ordro à Saint-Gcrmain-cn-Layopour 20 jours, et y représente le 4 février, au Vieux

Château, les Amans magnifiques, comédie-ballet com-mandée par Ixmis XIV qui en a donné lo sujet. Onredonne la pièce devant lo mémo auditoire les 13 nt17 février, puis les 4 et 8 mars, et Molièro fait si peudo cas do cet ouvrage qu'il ne songe ni ù lo jouer à son

théâtre, ni à lo fairj imprimer.Co n'est quo plus tard, après sa mort, quo Lagrange

ot Yinot curent l'idéo do la comprendre dans leurédition de 1682. Miso à la scène en 1088, ello atteignitavec peino la neuvième représentation.

La Gazette ello-mêmo (1) est très sobre de détailsau sujet de ces fet os données à St-Germain : a 13 février1670. — Leurs Majestés ont continué do prendre avectouto la Cour lo divertissement royal où so trouva ausshier le roi Casimir de Pologne qui admira la magni-ficence et la beauté de ce spectacle, composé de comé-dies et d'entrées de ballets, dans lesquels le Comte

(1)Année1670,p.1CS.

Page 233: Les Premières de Molière

820 LES PREMIERES DE MOUÈRE

d'Armugtiue et lo Marquis de Villéroi représententNeptune et Apollon en place du roi qui n'y danse pas.i

M. Campardon a retrouvé aux Archives nationales —

Maison du roi, Menus — lo compto des dépenses pourles représentations des Amans magnifiques et do Mr de

Pourceaugnac (repriso) données à St-Gcrmain-en-Laye.On y voit mentionné jusqu'au prix do la calèche qui

porta Molière do Paris a St-Germain ot quil'enramcna(l).On y lit les prix des habits des danseurs, ce que

coûtèrent les cravates, caleçons, bas, jarretières,écharpes, gants, perruques, barbes et pommade fourni»tant aux premiers sujets, qu'aux figurants. On yremarque môme la mention do la sommo donnée à

Ballard, l'imprimeur do musiquo du roi, pour \alivrets des ballets. Dix sept cent soixante do ces livret»destinés aux courtisans ordinaires, étaient do petitslivres tout simples ; deux cent qttatro vingts olfcrUau roi, aux princesses et aux porsonnes de leur intimité,avaient une couverture en papier marbré, et so fer-maient avec des rubans. Enfin on y voit figurer jusqu'àla sommo dont on gratifia Lulli pour les rubans cl

garnitures qui agrémentaient son costumo (2).Nous npprenons encore que la location d'un costume

pour chaque représentation coûtait cent sols, qu'il n'yavait pas moins de 74 costumes pour une seulo do ce*

représentations, et qu'un costumo neuf, soit d'Égyp-tienne, soit do Bergère, no rovenait pas a moins do 200livres.

Du reste, si l'on veut so rendre compto do la somp-tuosité do ces comédies-ballets et des dépenses qu'elle!occasionnaient, il nous suffira do compulser ces mômesArchives (Maison du Roi-Monus) sans oublier, pour une

(1)*UnecaléehcpourleSieurMolièrea raitonde 11livret par jour;2 jour*font22livre*,»L»icomédien*voyageaienten4carrossesa qualrtchevauxchaque; le chargementet le déchargementde*bagage*Coû'J32livre»10«ol».

(2)Campardon,Nouvellespièce*sur Molière,ouvragedéjà cité, p. S-et »uiv.

Page 234: Les Premières de Molière

LES AMANSMAGNIFIQUES m

estimation exacte, «pie la valeur do l'argent a décupléaujourd'hui.

C'est d'abord l'édificalion d'un théâiro dans lo vieuxChâteau do St-Germain, sous les ordres do Yigarani.

Charles Yigarani, uni if do Mqdèno et naturalisé

français plus tard par lettres patentes en dat do 1676,était alors réputé pour construire des machines dothéâtre. Nous enregistrons donc, d'après les recherchesde M. Emile Campardon, déjà cité, et à propos do ces

représentations des Amans magnifiques :21 décembro 1669 — A Yigarani, a compto do la

dépense à faire pour lo théàtrc,machinos et décorations,charpentes, échafauds et autres ouvrages nécessaires

pour la comédie et ballet (à fairo dons la salle des balletsdo St-Germain pour fin janvierprochain) 10t000 liv.

24 Décoinbro — A compto pourlo inèma objet 6.000 »

18 Janvier 1670 — A comptodos dépenses à faire pour la nour-riture dos comédiens et autres gensd'augmentation qui seront au

grand ballet qui doit être dansé ù

St-Gcrmain-en-Layo . . . . ^ 10.000 »2 Mars — A Yigarani pour son

'

parfait paiement des dépenses du

théâtre, machines, décorations,charpentes et échafauds . . . 10.000 »

2 Mars — A Yigarani nour la

dépense d'uno gnlcrio qui a étédresséo à côté du théâtre du vieuxchâteau 1.092 *

19 Février— Aux comédiens du

Palais-Royal pour les représenta-lions données à St-Germain enlévrier 6.000 »

A reporter . 43.092 »

Page 235: Les Premières de Molière

222 LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

Report. 43.092 »

15 Avril —pour le divertisse-

ment do Chambord (reprise de

Pourceaugnac) et pour le dernierballet (les Amans magnifiques)recommencé à St-Gcnnaiu-cn-

Layc, par le commandement de sa

Majesté, depuis le 26e février jus-ques au 9e mars 1670—Tailleur,location de costumes, habits neufs,parures, fournitures, masques,ustensiles, armes, bas de soie,gants, rubans, plumes, éventails,miroirs,cscarpins,logcmcnts,nour-riturcs,livrets, cariosscs,coiicicrgc,port des bagages cl des instru-

ments, menues dépenses, etc. (1) . 16.800 - 2 sols

59.892 liv. 2 sob

Voilà donc ce quo coûtait — en 1070— un Ballet à laCour. On comprendra aisément que Molière n'avait

mi)lcmcntl'cuvic,tii la possibilité, de faire de semblable?frais sur son théâtre du Palais-Royal, il nous laissa

bien, entendre, du reste, dans l'Avant-Propos de son

ouvrage, que celui-ci ne fut jamais qu'une pièce decommande : « Le Roi qui ne veut que des choses extra-ordinaires dans tout ce qu'il entreprend, s'est proposade donner à la Cour un divertissement qui fût composédo tous ceux que le théâtre petit fournir,et pour embras-ser cette vaste idée et enchaîner ensemble tant dechoses diverses, Sa Majesté a choisi pour sujet de*

princes rivaux qui, daiu le champêtre séjour de Invallée de Tempe, où l'on doit célébrer la fête des jeuxPythicns, régalent à l'envi une jeune princesse et sa

(1) Voir pour le détail l'ouvragede M. Campardondéjà cité, p. Met suiv.

Page 236: Les Premières de Molière

LES AMANSMAGNIFIQUES 223

mère do toutes les galanteries dont ils se peuventaviser ».

Louis XIV collaborateur de Molière ? Le mot faitrêver. A moins quo Molièro n'ait rempli dans cettecollaboration l'emploi de souffleur — euggeritore, disentles italiens — tout en laissant croire à son royal « con-frère oquo c'était lui qui avait tout trouvé.

L'année théâtrale 1669-70 s'était terminée le 23 marsavec quelques changements. C'est Lagrange qui nous

l'apprend.Louis Béjart

— devenu boiteux, comme on sait —

avait été mis à la pension de 1000 livres, par délibéra-tion de toute la troupe,ct était sorti de la compagnie(1).Celte pension fut môme la première établie dans la

troupe de Molière, à l'exemple de celles quo l'on don-nait aux acteurs de la troupe de l'Hôtel de Bourgogne.

Puis, quelques jours après la réouverturo de Pâques,Molière faisait venir de Dijon, par lettre do cachet,son cx-élève Baron, pour le faire rentrer dans sa troupeavec une part.

Lo 31 juillet, le couple Bcauval quittait Maçon pourentrer également au Palais-Royal, par ordre du roi,avec une patt pour Mc,,c Bcauval, et une demie pourson mari, à charge cependant de payer tous deux500 livres sur la pension Béjart, et 3 livres chaquejour de représentation u Chastcauucuf, gagiste. Nousaurons l'occasion de reparler du couple Beauval,

La campagne 1670-71 recommençait donc sur lo

pied do 12 parts 1/2, et d'un pensionnaire. La part desociétaire pour l'année 1669-70 avait été de livres

4034,11 sols.

(I)LouUlléjartmourutfo13octobre1678,à 'i8an*,—et non45—•ruedeGuénégaud,paroisseSl-âulpiee,qualifiéofficierdu RégimentLaFerté.Titrehonorifique,oudissimulantun«impieemploidansunbureaudelaguerre?

Page 237: Les Premières de Molière

CHAPITRE XXV

LE BOURGEOIS GENTILHOMME

Comédie-balleten prose, on cinq actes.Château do Chambord: 11 Octobre1670.

Théâtre «lu Palais-Royali 23 Novembre1070

La Troupe du Palais-Royal à Chambord. — Collaboration duChevalier d'Arvieux pour la Cérémonieturque. —Débuts ducouple Beauval. — Le BourgeoisGentilhomme cause d'abordune désillusion. — Succès aux représentationssuivantes. —Costumede M. Jourdain. — Le laquais de Molière.

Le Théâtre du Palais Royal avait clôturé ses repré-sentations le 30 Septembre 1670, avec une représen-tation do Pourceaugnac. Puis, le 3 Octobre, la troupeétait partie par ordre du roi pour Chambord. Le 9arrivée au Cltâtcati do Leurs Majestés, do Monsieur,de Madame et do Mademoiselle, Réception, harangueset chasses. La première représentation du Bourgeoisgentilhomme, la nouvelle pièce de Molière, fut doncfixée au 14.

11 est d'usage d'admettre que c'est sur l'ordre duroi que Molièro composa son Bourgeois gentilhomme.Peut-être bien; toujours est-ilque Molière savait être

particulièrement agréable au roi en se moquant des

bourgeois qui voulaient prendre des airs de gentils-hommes. Nous dirions aujourd'hui des « nouveauxriches ». De même pour la Cérémonie turqua. Louis XIVla lui aurait commandée en souvenir de l'ambassadeottomane qui était venue en Franco au commen-cement de l'année, et dont les usages l'Avaient quelquepeu diverti,

Page 238: Les Premières de Molière

LE BOURGEOISORNTlLTtOMMB 225

Lo Chevalier d'Arvicux qui avait voyagé en Orientet séjourné longtemps dans les échelles du Levant,se vante dans ses Mémoires publiés après sa mort en

1735, d'avoir aidé Molière à composer la Cérémonie

turque du Bourgeois Gentilhomme. Voici ce qu'ilraconte (1) :

« Le Roi, ayant voulu faire un voyage à Chambord

pou»*y prendre le divertissement de la chasse, voulutdonner à sa Cour celui d'un ballet ; ot commo l'idéedes Turcs qu'oit venoit do voir à Paris éloit récente,il crut qu'il seroit hon de les faire paroître sur la scène.Sa Majesté, m'ordonna do me joindre à MessieursMolière et de Lulli, pour composer une pièce de théâtre,où l'on pût faire entrer quelque chose des habillemenset des manières des Turcs. Je mo rendis, pour cet effet,au village d'Autcuil, où M. de Molièrcavoit une maisonfort jolie. Ce fut là que nous travaillâmes à cette piècede théâtre, que l'on voit dans les oeuvres de Molièrosous le titre do Bourgeois gentilhomme, qui so fit Turc

pour épouser la fille du Grand-Seigneur. Je fus chargéde tout co qui regardoit les habillemens et les manièresdes Turcs. La pièce achevée, on la présenta au roi quil'agréa, et jo demeurai huit jours chez Baraillon,maître tailleur, pour faire les habits et les turbansà la turque. Tout fut transporté à Chambord, et la

pièce fut représentée, dans le mois de septembre (sic) (2)avec un succès qui satisfit le Roi et toute la Cour. Sa

Majesté eut la bonté do dire qu'elle voyoit bien que lechevalier d'Arvicux s'en étoit mêlé ; â quoi M. le ducd'Aumont et M. Dacquin répondirent ; « Sire, noua

pouvons assurer Votre Majesté qu'il y a pris mie très

grande joie et qu'il cherchera toutes les occasions dofaire quelque chose qui lui puisse être agréable, « LeRoi leur répliqua qu'il en étoit persuadé et qu'il nem'avoit jamais rien commandé que je n'eusso fait à sa

il)CitéparPaulLacroixdan*nonleonograpkleMotiiresquep.245.

2)Erreurdemémoire.C'estle14octobrequ'ilfallaitdire.S

Page 239: Les Premières de Molière

223 LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

satisfaction ; qu'il auroil soin de moi, et qu'il s'ensouvicndroit dans les occasions y.

Le chevalier ajoute même plus loin que l'on eut unmoment l'idée de faire entrer ces scènes turques donslo ballet de Psyché que l'on préparait pour le carnaval

suivant,mais qu'après réflexion l'on jugea que les deux

sujets ne pouvaient aller ensemble.Molière, selon son habitude, avait soigné tout parti-

culièrement la distribution do sa pièce. Il s'est taillé

pour sa part le rôlo de M. Jourdain,ct comme les femmesne jouent pas encore â celte époque, sur la scène, lesrôles de vieilles ridicules, il a chargé Hubert do celuide Madame Jourdain. Hubert, second comique dela troupe s'est fait une spécialité dans ce genre. Il n

déjà été Mmc Pernclte de Tartuffe, Mme de Sollenviltede George Dandin, Lucctte de- Pourceaugnac. Cléonlec'est Lagrange; Dorante, La Thorillière; lo maîtred'armes est échu à do Bric qui passa toujours pourun bretteur, et le maître de Philosophie est représentépar du Croisy à qui l'on confia toujours les rôles do

poètes et de pédants. La distribution féminine com-

prend M*,,e Molière (Lucile), Mc,,e do Brie (portaient-;)et la nouvcltosociélaitc Mel,cBeauvaI (Nicole).

Le couple Bcauval, venu de Bourgogne, avait été

signalé, croît-on, à Molière, par Baron qui en arrivaitaussi (1). L'histoire de Mel,c Beauval (Jeanne Olivier

Bourguignon) tenait du roman. Exposée tout enfantà la porte d'une église de Hollande, elle avait étérecueillie par une blanchisseuse qui l'avait cédée à

Filandre, directeur d'une troupe ambulante, celle-làmême qui s'intitule plus tard i Troupe de M. le Princede Condé, et que M. Chardon croit être celle décrite

par Scarron dans le Boutait comique.

(I) I/Cfaitc»ld'autantcerl.iinquele 31aoûtMolièrecnulionnaBaronVM-.VvîjdeMoncliaingreet desafemme,ansujetd'uneventedecostumes,llaronfaisaitdouepartiede la mêmetroupequele*IJeauval,Nousavonsreproduittextuellementa l'articleBeauvaldenotreDitUonna'trede*eomi-dieh*français,l, 1,p. 115,l'ordredu roiendatedu31juillet16*0,retrouvéparJâl.

Page 240: Les Premières de Molière

LE BOURGEOISGENTILHOMME 227

Quoiqu'il eu toi:, hipcl^c l)oii;gu)gnoji—quand etoù prit-elle ce nom ? on l'ignore —

parcourut avecFilandre la Hollande, la Flandre et vint à Lyon.L'enfant avait grandi. Entre temps son directeur avait

pris le nom doMonchingcou Moncbaingre dit Paphetin.El'c no changea donc point de troupc,comme on le crut,et c'est ainsi qu'elle épousa Bcauval, simple moucheurde chandelles, lequel, grâce à sa femme, devint uncomédien excellent dans les rôles de timides et de niais.

MelleBcauval n'était pas belle, mais elle était grandeet bien faite, et, ce qui la singularisait, c'était un rire

presque continuel dont Molière allait aussitôt tirer

parti. On se souvient de l'entrée de Nicole dans le

Bourgeois gentilhomme.M. JOURDAIN.— Nicole INICOLE.— Plait-U ? - .M. JOURDAIN.— Écoutez.NICOLE.— Hi ! Hi ! Hi l Hi I Hi lM. JOURDAIN.— Qu'as-lu à rire ?NICOLK.— Hi ! Hi 1Hi 1Hi I Hi 1M, JOURDAIN.— Que veut dire cette coquine là ?NICOLK.— Hi l Hi l Hi I Comme vous voilà bâti 1

Hi I Hi 1 Hi 1jVfeit*Bcauval ne plut pas au roi tout d'abord. Mais

ce qu'on oublie de dire c'est que cette actrice était alorsenceinte de huit mois, puisqu'elle accoucha d'une fillele 15 novembre suivant (1). Première impression réviséebientôt par ces paroles royales adressées à Molièroau sortir d'une représentation : « Je reçois votre'actrice ».

Malgré toutes les précautions prises pour intercaler

(1)Aproposdesvingt-huitentant»quel'ona prêtésAUménageBeauval,•Tala démontréqu'ilfallaitconsidérablementen rabattre,commesi dixenfantsnesuffisaientpasen 19années.L'aînée,Louise,quiserala petitel.oui*onduMaladeimaginaire,étaitnéeà Lyon.Lesecondenfant,Fran-çois,mouruta t'arîs,ruedu Chantre,au Louisd'or,le30octobre1670,\6 joursaprèscellereprésentation,âgéde3 anset demi.PuisvinrentPhilippeet Jeanne,Catherine,cettedernièrenée le 15novembre1670ettenu»surlesfontsbaptismauxparMolièreet M11*dellrie,

Page 241: Les Premières de Molière

228 LES PREMIÈRES DE MOLIÈRB

dans les cntr'aetes de la comédie de somptueux balletsavec musique de Lulli, il est certain que la premièrereprésentation du Bourgeois gentilhomme à Chambordfut une désillusion pour la Cour et pour Molière. Aprèsles Amans magnifiques qui avaient flatté le goût du

jour, on fut déçu de ne voir, au lieu de princes et de

princesses richement vêtus, que do simples bourgeois.On ne comprit pas l'étude des caractères. On ne voulut

—peut-être à cause delà Cérémonie turque,—voir danscet ouvrage qu'une grosse farce, et, s'il faut en croire

Grimarest, le roi n'adressa pas la parole à l'auteurle premier soir, tandis que les courtisans prenaientplaisir à mettre la pièce en morceaux. Ce ne fut donc

qu'à la seconde que Louis XIV se prononça, entraînantà sa suite l'opinion do la Cour qui ne devait jamaisn'avoir que celle du roi.

Robinet écrivit le 18 Octobre i

Les deux Majesté à Chambord,Ont reçu tout de plein abord,Harangues, mauvaises ou bonnes,Des plus Magistrales personnes...

Mardi (1) Ballet et Comédie,Avec tri* bonne mélodie,Aux autres ébats succéda,Où tout, dit-on, du mieux alla,Par tes soins des deux grands Daptistcs (2),Originaux, cl non copistes,Comme on sait, dans leur noble emploi,Pour divertir notre grand Roi.

Quant aux frais du Ballet, ils avaient été, comme

pour tous les spectacles à la Cour, considérables, Jules

Clarctie, dans sa Chronique du Temps le 31 août 1880,en publia les détails sous le titre de : Ce que coûtaitune représentation de gala sous Louis XIV (3), Ces

(11LoBouteeoiegentilhomme(NotedeRobinet).(Y)Lulliet Molièret'appelaienttoutdeuxJean-Baptiité.(8)Cettecurieuje pièceavaitétécopiéeen1864auxArchivetnationalit.

(Maisondu roi,Menu*,Piècesjustificativesde*années1619â 1700,0,14,083),par M,Eud.Soutié,et communiqué*parson&endrt,Yktori«nSardou,

Page 242: Les Premières de Molière

LE BOURGEOISGENTILHOMME'

220

dépenses sont à rapprocher de celles que nous avonsmentionnées en parlant des Amans magnifiques.

Les noms des artistes qui chantèrent et dansèrentdans lo Bourgeois gentilhomme, à Chambord, et à

St-Gcrmain-cn-Layè, se trouvent au complet dansl'Histoire du Th. Français par les Frères Parfait,T. XI, p. 03 et suivantes.

Le Bourgeois gentilhomme fut représenté à nouveauà Chambord les 1G, 20, 21 Octobre et la troupe revintà Paris le 28. Chaque sociétaire reçut pour nourritureset gratification 600 livres 10 sols. Autre départ àSt-Germain par ordre du roi le 8 Novembre. Troisautres représentations du Bourgeois les 9, 11 et 13,retour lo 10. Chacun avait reçu pour les « nourritures »Glivres par jour, soit 54 livres.

Ce fut le dimanche 23 Novembre que le Bourgeoisgentilhomme fut représenté pour la première fois en

public sur le théâtre du Palais-Royal avec 1397 livresde recette. La citation suivante va nous apprendrecpio la pièce y fut donnée avec tous ses « ornemens »comme on disait alors, c'est-à-dire avec les balletset les chants. Voici, en effet, en quels termes Robinetannonce la seconde représentation pour le mardi 25,dans su lettre riméc du 22 :

..... sur le théAire de Molière,

Mardi l'on y donne au publicDe bout en bout cl rie à rie,Son charmant Bourgeoisgentilhomme,G'cst-à-dirc, presque tout comme,A Chambord, cl dans iaiitt-Gcrmain,L'a vu notre grand Souverain :Et même avec des EntréesDu Ballet, des mieux préparées,D'harmoincux et grands concerts,Et tous les ornemens divers, . . .

Le Bourgeois gentilhomme eut à Patis, 24 représen-tations consécutives.

Page 243: Les Premières de Molière

230 LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

Il nous resto à dire quels furent lc& costumes deMolière dans le rôle do M. Jourdain, tels que les décritl'inventaire dressé chez lui après décès (1).

a Une mntmo dans laquelle il y a un habit pour la

représentation du Bourgeois gentilhomme consistanten une robe de chambre rayée, doublée de taffetasaurore et vert, un haut de chausses de panne rouge,une camisole de panne bleue, un bonnet et une coiffe,des chaussures et une écharpe de toile peinte à l'indienne,une veste à la turque et un turban,un sabrc,des chaussesde brocart aussi garnies de rubans verts et aurore, otdeux points de Sedan ; le pourpoint de tafTctas garnide dentelle d'argent faux ; le ceinturon, des bas de soieverts et des gants, avec un chapeau garni de plumesaurore et vert ; prisé ensemble soixante dix livres ».

Nous no quitterons pas Chambord, sans signalerune particularité, mise au point par G. Monval dansson livre « Le Laquais de Molière ». On sait que lescomédiens avaient l'habitude de faire figurer leurs

laquais dans les comédies. Celui de Molière qui l'accom-

pagnait à Chambord (Histoire du bas mis à l'enversracontée par Grimarest), était un nommé Provençal quiparut, vraisemblablement dans le Bourgeois gentil'homme. Or, ce Provençal s'appelait do son vrai nom

François Du Mouriez Du Perler. Devenu comédiende province sous le nom de Du Péricr, il eut uno vietrès remplio, esquissée par nous dans notre Diction'naire des Comédiens français T. I, p. 618 C. 1. - DuPérier aurait eu 24 garçons et 8 filles. G. Monval aretrouvé les traces de 15 de ces enfants.

Quoiqu'il en soit, il finit ses jours comme fabricant

patente de toutes les pompes à incendie du royaume,et fut le grand-père du général Du mouriez,

(1) Inventairede Molière,E. Soulîé,p. 275.

Page 244: Les Premières de Molière

CHAPITRE XXVI

PSYCHÉ

Tragédle-Comédie-Balleten vers, en 5 actes.GrandeSalledes Machinesaux Tuileries: 17 janvier 1671.

Théâtredu Palais-Royal: 21 Juillet1671.

Histoire dé la collaborationde Psyché.— La salle des machinesaux Tuileries.— Descriptionde la salle.— Mise en scènedePsyché.— Réparationsde la salle du Palais-Royal.— Psychéa» Palais-Royal. — Frais ordinairesdecetouvrage.

Molière a pris soin de nous éclairer sur la façon dontfut composé cet ouvrage sous forme d'un « Avis duLibraire au lecteur » :

« Cet ouvrage n'est pas tout d'une main ; Quinault'

en fit les paroles qui s'y chantent en musique, à laréserve de la plainte italienne iM, de Molière a dresséle plan de la pièce et réglé la disposition, où il s'est le

plus attaché aux beautés et à la pompe du spectaclequ'à l'exacte régularité. Quant à la versification, il n'a

pas eu le loisir de la faire entière. Le carnaval approchaitet les ordres pressants du Roi qui se voulait donnerce magnifique divertissement plusieurs fois avant le

carême, l'ont mis dans la nécessité de souffrir un peudo secours. Ainsi il n'y a que le prologue, le premieracte, la première scène du second, et la première scènedu troisième, dont les vers soient de lui. M. Corneillea employé une quinzaine au reste ; et par ce moyen,Sa Majesté s'est trouvée servie dans le temps qu'ellel'avait ordonné ».

Point besoin de faire remarquer, comme l'observefort judicieusement M. Ed. Thierry clans une étude

Page 245: Les Premières de Molière

232 LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

sur Psyché (1) ce que trahit l'expression « l'ont misdans la nécessité de souffrir un peu do secours » ni...ce peu de secours amoindri de Corneille, réduit à unoétroite quinzaine, sans un mot qui le remercie.

Il s'agissait en outre d'utiliser le théâtre construitaux Tuileries dans la grande salle, appelée désormaisla « Salle des Machines ». On verra par ce qui suit quole roi avait dû recommander aux auteurs de Psyché defaire valoir dans leur ouvrage tous les « trucs » commeon dirait aujourd'hui, inventés par Vigarani. H fautéblouir la Cour par des décorations féeriques. La Gfl-zetle du 24 Janvier nous a laissé fort heureusement un

aperçu do cette représentation extraordinaire (2).« Le 17 de co mois, Leurs Majestés, avec lesquelles

estoyent Monseigneur lo Dauphin, Monsieur, Made-

moiselle, Mademoiselle d'Orléans, et.tous les Seigneurset Dames de la Cour, prirent pour la première fois, dansla salle des Machines, au Palais des Thuillcrics, ledivertissement d'un grand Ballet, dansé dans los

' entr'actes d'une tragi-comédie de Psiché, représentéepar la Troupe du Roy, avec tout l'éclat et toute la

pompe imaginable >».On voit par ce qui précède que le Ballet semble

tenir la principale place en l'affaire.

Quelques mots d'abord de la distribution de la pièce,en ce qui concerne les artistes de la Troupe do Molière :

JupiterL'AmourZéphyrcLe RoiCléoméneAgénorLycas

Le Dieu d'un fleuveDeux petits Amours

Du Cnoisv.BARON.MOLIÈRE.LA TnoniLtiKHK.HUBERT.LAGRANGE.CtlATEAUNEUP.De BRIE.LA TitonittifeRB fils.nAtiif.to.vNeT.

(I) LeMotilriste,i. I.V,p. I c,l .13.J2)Citéepourla premièrefoi*par PaulLacroixdan»«onIconographie

Moliiresque,p. 2'i7-2'*8.

Page 246: Les Premières de Molière

PSYCHÉ 233

VénusCégialePhaèncPsychéAglanreCidippe

M«u«DE BRIE.LA PETITELATuoniLtiÈne.LA PETITEDu CROJSV.M*»eMOLIÈRE.SfAnOTTE.M«"«BEAUVAL.

On remarquera que Madeleine Béjart no fait pluspartie d'aucune distribution depuis celle des Amans

magnifiques, et quo Mcl,e Bcauval récemment engagéela remplace dans l'emploi des servantes. Malade

peut-être, ou fatiguée ? Elle devait mourir un an

plus tard, en février 1672.La liste complète de tous les danseurs et chanteurs

qui participèrent à cette représentation se trouve dansl'Histoire du Théâtre français par les Frères ParfaitT. IX, p. 128 et suivantes.

Quelle était donc cette Salle des Machines où nousallons conduire le lecteur pour y assister à la «première»de Psyché ? Construite sur les ordres du roi, dans lePalais même des Tuileries dont on n'avait pas changél'extérieur, clic était partagée nécessairement en deux

parties : la scène proprement dite, adossée aux Ecuries,c'est-à-dire à la rue de Rivoli actuelle, et la Salle adosséeaux appartements royaux. En d'autres termes l'acteuren scène avait le jardin à sa droite, et la cour (du Car-

rousel) à sa gauche, d'où les dénominations qui pré-valurent plus tard et qui ont été conservées au théâtre,le «Côté Cour »et le Côté Jardin ».

Voici du reste la description de cette Salle telle

qu'elle figure en tetc du Programme in-4° du Balletde Pstjchê :

« Le lieu destiné pour la représentation, et pour les

spectateurs de cet assemblage de tant de magnifiquesdivertissements est une Salle faite exprès pour les

plus grandes fêtes, et qui seule peut passer pour untrès superbe spectacle. Sa longueur est de 40 toises (1) ;

(1)79mètre»20.

Page 247: Les Premières de Molière

254 LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

elle est partagée en deux parties, l'une est pour le

Théâtre, et l'autre pour l'assemblée. Cette dernière

partie est celle qu'on voit la première ; elle a des

boautés qui amusent agréablement les regards, jusquesau moment où la Scène doit s'ouvrir. La Face du

Théâtic, ainsi que les deux retours, est un grand ordre

Corinthien, qui comprend touto la hauteur de l'édi-fice. On entre dans le Parterre par deux portes diffé-

rcntes,àdroite et à gauche.Ccs Entrées onldesdcuxcôtésdes Colonnes sur des piédestaux, et des Pildslrcs carrés

élevés à la hauteur du théâtre : on monte ensuite

sur un haut dais, réservé pour les places des personnesroyales et do ce qu'il y a de plus considérable à la Cour,

Cet espace est borné d'une balustrade par devant et do

degrés eh amphithéâtre tout alentour ; des colonnes

posées sur le haut de ces degrés soutiennent des galeriessur lesquelles, entre les colonnes, on a placé des balcons

qui sont ornés, ainsi que lo plafond, et tout ce qui

paraît dans la Salle, de tout ce que l'Architecture, la

Sculpture, la Peinture et la Dorure ont de plus beau,de plus riche et de plus éclatant * (1).

(1) CettesalleConstruitepar Vigarani,inauguréeU7 février1662petErcoleAmante,opérade Cavalli,et un ballet, fut abandonnéeaprèslesreprésentationsde Psythê,jujqu'cn 1716.Klle fut alorsréparéeet servità des ballets.Complètementteaniforméepar les architectesSoufllotetGabrielqui n'en utilisèrentque la moitié,elle abrita l'Opéra,aprèsl'in-cendiede la Salledu Palaii-Hoyalsurvenute 6 avril 1703, la Comédiefrançaise1770-1782,le Théâtrede Monsieur1789.Sur sonemplacementle PremierConsulfit construire: une chapelle,une sallepour le Conseild'État, une nouvellesallede spectacle(pluspetite).Ambulanceen août1870,cette dernièresalle disparutdans l'incendiedu château,dans lanuit du 25 mai 1871.On trouveencoredans l'ouvrageintitulé Idiede*Spectacle*ancienset nouveaux,parl'Abbéde Pure,unedescriptionde lapremièresale, rédigéed'après les renseignementsque lui avait fournisCharlesVigarani,filsde Gaspard.

Nousenretiendronslesdimensionsenlestraduisantenmesuresactuelles:Longueurde l'édificeenclavédansle château, mètre*79,20Profondeurde la scène —• 43,56Il y a lieude croirequedanscette profondeur,étaient

comprisesleslogesdesacteur*dont on ne parlepas.Ouverturede la scène — 10,56Hauteurdeschâssispourplantationde*décors — 7,92

Page 248: Les Premières de Molière

PSYCHÉ 285

Nous allons voir à présent, d'après la Gazette déjàcitée le parti que les auteurs avaient su tirer des nou-velles machines mises à leur disposition,

La pièce commence par un récit de Flore, en deslieux champêtres et délicieux, accompagnée du dieu desJardins et de celui des Eaux, chacun assisté d'une

grosso troupo de divinités. Vénus est conviée à venir

jouir avec eux des Plaisirs que produit la Paix, oeuvredu plus grand dos monarques, et, en môme temps cettoDéesse descend du ciel dans une vaste machine, avecson fils et six petits Amours, tandis que les Grâces lasuivent dans deux autres machines.

Changement à vue. Une longue allée de cyprès, ornéede tombeaux des anciens rois de la famille de Psyché,avec un bel arc de triomphe et un éloigncment à pertede vue.

Pour foire un contraste à tant de merveilles, voiciune solitude remplie de rochers. Première entréed'hommes c't de femmes affligés de la disgrâce de

Psyché, laquelle est enlevée au second acte par un

Zéphyr sur un amas de nuages,« Une Cour succède, nous dit la Gazette, pour lo

second intermède avec un grand vestibule, à traverslequel on découvre un riche et brillant Palais quel'Amour a destiné à Psyché. Et des Cyclopes y fontune entrée, travaillant avec empressement, d'acheverdes vases d'or qui leur sont apportés par des Fées,pour augmenter la magnificence de ce palais,

« Au troisième acte, deux Amours font un agréableHauteurau-dessusde*chisiis pourle mouvementdes

machine* ~ 12,11Profondeurtoutle plancherdela scènepourle*change-

ment*à vue . . — 4,95Largeurdela salleentrelesmurs — 20,79Largeurentrelescorridor* — 16,17Largeurde*corridor* — 1,98ProfondeurdeIJ iâllejusqu'àla scène — 30,69Hauteurdu parterreauplafond — 16,17ts Plafonden carton-pferreétait remarquablepar «a beautéet «a

richesse.

Page 249: Les Premières de Molière

236 LES PRRMIÈRES DR MOLIÈRE

dialogue en musique ; puis, un jardin parait à l'instantavec tous les ornements imaginables, et un autrePalais non moins stiperho que le premier, où se passeuno partio du qtiatiièmo ncto, pendant lequel une vaste

campaguo succède à co délicieux jardin.« La scène, pour lo quatrième intermède, représente

uno mer de feu, au milieu do laquelle paraît lo Palaisde Philou ; cl des Furie:» avec des Lutins, y font uno

danse, en laquelle ils essayent d'épouvanter Psychédescendue aux Enfers. Lo 5e ncto s'exécute avec donouvelles machines très pompeuses, en laquelle Vénus

parait sur son char, disputant avec son fils, qu'elleveut engagor en la vengeance qu'elle désire prendredo Psyché, et Jupiter, dons une autre, qui vient lesmettre d'accord, et commande à l'Amour d'enlevercette amante dans lo ciel pour célébrer leurs noces.Alors le Théâtre se change, pour le dernier intermède,en un Palais de Jupiter, qui descend et .laisse voir,dans l'éloignement ceux des autres principaux dieux ;et l'Amour, avec Psyché, ayant été emporté sur un

nuage, une Troupe d'Amours vient, danscinqmachines,leur témoigner sa joie.

« En mémo temps Jupiter et Vénus se rangent auprèsdo ce beau couple, et les Divinités qui avaient été

partagées dans le démêlé, s'élant réunies, paraissentau nombre do trois cents, aussi, sur des nuages, dontla scène est remplie, et par des concerts, des danses et

plusieurs autres entrées, célèbrent les noces de l'Amouret terminent co pompeux divertissement, qui futcontinué le 18 en présence du Nonco du Pape, de l'Am-bassadeur de Venise, et de quelques autres ministres,

qui en admirèrent la magnificence et la galanterie,avouant, avec grand nombre d'autres étrangers, qu'iln'y a que la Cour de France et son incomparableMonarque, qui puissent produire de si charmants et siéclatants spectacles >\

Nous aimons à croire que lorsqu'il est question de

Page 250: Les Premières de Molière

PSYCHÉ fit

300 divinités en scène, une bonne partie devait être

peinte sur les nuages.Il est aisé de comprendre que Molière hésitait à

transporter sur son théâtre du Palais-Royal une tellemise en scène. Il y songea cependant. Les représen-tations à la Cour, s'étaient terminées aux Tuileriesavec lo Carnaval. Molièro décida do profiter de la

fermeture annuelle de Pâques pour faire remettreà neuf sa salle do spectacle, et de donner ainsi, chez lui

un écrin tout brillant à sa «première» en public. Nous

laisserons la parole à Lagrange, qui, contrairement à

son habitude, est loquace sur ce sujet.

« PSYCHÉ

« Il est à remarquer que le Dimanche 15 mars de la

présente annéo, écrit-il, avant que de fermer le Théâtre,la Troupe a résolu de faire rétablir les dedans de la

salle qui avaient été faits à la hâte lors de l'établissementet à la légère, et quo par délibération il a été conclu

de refaire tout le Thé âtre.particulièrement la charpente,et le rendre propre pour des machines : de raccommodertoutos les loges et amphithéâtre, bancs et balcons,tant pour ce qui regarde les ouvrages de menuiserie

que de tapisseries et ornements et commodités, plusde faire un grand plafond qui règne par toute la salle,

qui jusques au dit jour 15° Mars n'avait été couverte

que d'une grande toile bleue suspendue avec des

cordages. De plus, il a été résolu de faire peindre ledit

plafond, loges, amphithéâtre et généralement tout ce

qui concerne la décoration de ladite salle, où l'on a

augmente un troisième rang de loges qui n'y était

point ci-devant, plus d'avoir dorénavant à toutes sortes

de représentations, tant simples que de machines, un

concert de douze violons ce qui n'a été exécuté qu'aprèsla représentation de Psyché.

«Sur ladite délibération de la Troupe, on a commencéà travailler aux ouvrages de réparation et décoration

Page 251: Les Premières de Molière

t*S LES PREMIÈRES DB MOLIÈRE

de la sallo lo 18e Mars qui était un mercredi, et on afini un mercredi 15 Avril do la présente année. La

dépenso générale s'est montéo en bois do menuiserie,

charpenterie, serrureries, peintures, toiles, clous, cor-

dages, ustensiles, journées d'ouvriers, et généralementtoutes choses nécessaires, à dix neuf cent quatre vingtneuf livres dix sols, ci. . . . 1989 Livres 10 sols.

« Los Italiens sont entrés dans la moitié de la dépenseet ont remboursé à la Troupe pour ladite moitié,neuf cent quatre vingt quatorze livres quinze sols,ci 99'i livres 15 sols.

« 1.0 dit jour Mercredi 15 Avril, après une délibéra-tion do la Compagnie de représenter Psyché qui avaitété faite pour le Roi, l'hiver dernier, et représentéesur lo grand Thénlro du Palais des Tuileries, on com-

mença à faire travailler tant aux machines, décorations,musique, ballet, et généralement tous les ornementsnécessaires pour co grand spectacle.

« Jusques ici les musiciens et musiciennes n'avaient

point voulu paraître en public ; ils chantaient à laComédio dans des loges grillées et treillissécs, maison surmonta cet obstacle, et avec quelque légèredépense on trouva des personnes qui chantèrent surle Théâtre à visago découvert, habillées comme les

Comédiens, savoir :

M«"« Do RieuxMrs. Forestier

SfosnierChampenois

MelleTurpinGrandpré, etc.

Mrs. Hibou,Poussin

Tous les frais et dépense* pour la préparation do

Psyché en charpenterie, menuiserie, bois, serrurerie,peintures, toiles, cordages, contrepoids, machines,ustensiles, bas de soie pour les danseurs et musiciens,vin des répétitions, plaques de fer blanc, ouvriers,fils de fer et laiton, et généralement toutes choses,

Page 252: Les Premières de Molière

psïcné as*

se sont montées à la somme do quatre mille trois cent

cinquante neuf livres, un sol, ci . . 4350 Liv. 1 sol. »Voici à présent, h titro do curiosité, lo montant des

frais ordinaires, pendant les cours do ces représen-tations do Psyché.

FRAIS ORDINAIRES12danseurs4S). 10s.ci . . 661.4 petits danseurs 31.ci . . 121.3 voiiàlt).,ci 331.4 voixh 51.tO s. ci .... 221.

Symphonie,4 écus ..... 121.12 violons 361.2 petites grâcesà 51.10$. ci. 111.Gassistants, amours, zéphirs.

etc . 91.Baigneuret garçon tailleur . . 61.2 sauteurs 111.

Machinisteet 2 menuisiers . . 71.Ouvriersà 11 161.M«»«deL'Estang 111.M*de Bcauchamp 111.Chandelle 301.Conciergeà causo du feu... 31.Soldats . 151.Frais ordinaires 401.

En tout 351I.

Dans le cours de lapièce Mom. de Beau-champs a reçu de ré-compense pour avoirfait les ballets et con-duit la musique, onrecents livres, ci 1100 1.non tompris les 11 I.

{>arjour que la Troupe

ui a données, tant. pr. battre la mesureh la musique que pr.entretenir les ballets.

Trois cent cinquantetino livres.

l*cs répétitions pour Psyché avaient commencé au

Palais-Royal le 7 juin. La première en public cul Heule 24 juillet avec une recette de 1022 livres 10 sols,et eut 37 représentations consécutives jusqu'au 23 oct.en attendant la reprise du 15 janvier suivant.

Page 253: Les Premières de Molière

CHAPITRE XXVII

LES FOURBERIES DE SGAPIN

ComMIeen prose,en trots actes.Thtttre du Palais-Royal<24 mal 1671.

Reprochesadressésà Molière au sujet de celtepièce.— Nécessitéde boucherun trou. — Distribution de la pièce.— Pourquoil'on ne retrouvepas le costumede Scapin.

Nous avons vu dans le précédent chapitre commentla Salle du Palais-Royal avait été restaurée en prévi-sion de la représentation de Psyché, transportée de laSalle du château des Tuileries à la ville. La premièrepièce nouvelle donnée après la réouverture du 10 avrillurent les Fourberies de Scapin, lo dimanche 24 mai,avec le Sicilien (reprise).

Représentation sans grand éclat, dont la recette nes'éleva qu'à 545 livres 10 sols, et dont Molière faisait

peu de cas. Mais pourquoi certains commentateurs sesont-ils montrés si sévères pour cette pièce ? Boileaului-même semble faire la moue en n'y reconnaissant

plus l'auteur du Misanthrope. Mais Molière n'est pasque raulcur du Misanthrope et de Tartuffe. 11a dansson bagage le Médecin malgré lui et le Bourgeoisgentilhomme. Commo directeur, il a tout un genre declientèle à contenter. Les Fourberies, qui feront rire,boucheront un trou en attendant que los machinesde Psyché soient prêtes sur son théâtre, et il faudraencore passer deux mois d'été. Que lui importe donc

que l'on dise qu'il a pris l'idée de sa pièce dans lePhormion de Térence, qu'il a emprunté la scène XIdu deuxième acte au Pédant joué de Cyrano, et que lafameuse phrase « Que diable allait-il faire en cette

Page 254: Les Premières de Molière

IBS FOURBERIESDB SCAPIN Ht

galère ? > n'estpas de lui I A-t-il donc jamais penséà la postérité en opérant ce rapiéçage... nas plus qu'enécrivant ses autres oeuvres, sans doute r

Prenons donc les Fourberie* pour ce qu'elles sont...

pour une de ces pantalonnades auxquelles les Italiensavaient habitué lo public do ce même théâtre, et ne

soyons pas plus exigeants que les spectateurs do l'an1671 pour qui la pièce avait été faite.

Molière a monté la pièce avec lo soin qui présidaità toutes ses distributions : il tient le rôle de Scapin,comme il a tenu celui de Mascarille, Les deux pères sont

représentés par Hubert et du Croisy, les deux jeunesgens par Lagrange et Baron, et, selon la tradition, c'estco brcttcur de de Brio qui devait tenir le rôle do Sylves-tre. Me,leBoauval est facilement reconnaissable sous lestraits de la rieuse Zerbinelte, et M*UoMolière est toutocharmante sous les traits de Hyacinte.

On s'est étonné que le costumo do Scapin n'ait pasété retrouvé dans l'inventaire de Molière, après décès.Le Bibliophile Jacob (Paul Lacroix) fait, à ce sujet une

remarque assez juste dans son Iconographie Molié-

resque. Ce costumo, insinue-t-il, ne se retrouve pas,pas plus du reste que celui de Mascarille, parce que,selon toutes probabilités, ces costumes typiquesdevaient rester dans la garde-robo du théâtre.

Page 255: Les Premières de Molière

CHAPITRE XXVIII

LA COMTESSE D'ESCARBAGNAS

Comédieen proseen t acteThéâtrede laCourftSt-Germalnen-Laye: 2 Décembre1671et PuttateJk.

Théâtredu PalaURoyal18Juillet 1673sansPattoraï.

La Comtesse d'Escarbagnas à St-Germain-en-Lat/e,intercaléedans des ballets.—Distributionde la pièce.— ProgrammeduBallet des Ballets. — Mort de Madeleine Béjarl. — Unepart de sociétaire en 1672.

Le 21 Novembre 1G7I, avait eu lieu le mariage deMonsieur avec Elisabeth-Charlotte de Bavière, fillede l'Électeur Palatin. Le 27, la Troupe de Molière

reçut l'ordre de partir pour St Gcrmain-cn-Laye oùl'on attendait la nouvelle Duchesse d'Orléans, Prin-cesse Palatine, qui y arriva, en effet, le 1er Décembre.La première représentation do la Comtesse d'Escar-

bagnas, comédie en un acte en prose, agrémentée d'unePastorale dont il ne nous est resté que In liste des per-sonnages eut lieu le lendemain. Le tout composait undivertissement intitulé le Ballet des Ballets (1).

Indépendamment du livret imprimé pour la Cour, etservant seulement de programme, la pièce en entierno fut jamais imprimée du vivant de Molière, et figurapour la première fois dans l'édition collective de 1682.

Il s'agissait tout simplement de donner un diver-tissement à Madame, et, le roi, avant fait choix des

plus beaux endroil J des ballets qui avaient clé repré-sentés devant lui depuis quelques années, avait ordonnéà Molière de composer une comédie qui enchaînâttous ces différents morceaux do musique cl de danse.

(I)Livretin-4»deR.Ballarâ*,!« décembre1671

Page 256: Les Premières de Molière

LA QOMTUSSED'BSÇARBAQXAS *«

La pièco qui nous est parvenue no peut donc donner

qu'une faible idée de sept actes, précédés d'un pro-loguo et suivis chacun d un intermède

Acteurs de la Comédie,

La Comtessed'EscarbagnasJulie.Cléantc.Le petit Comte, filsdo la Comtesse.BouinetM.Tibaudier, ConseillerIlarpin, Receveurdes tailles.Andrée,suivante do la ComtesseCriquetJeannot

Me"°MAROTTE.M*"«BBAUYAt.LACRANCB.GAVDOX.'BEAUYAI.HVBERT.Du CROISY.>MeueBO.XNEAV.FlXET.BoUtONNOIS.

On remarquera que pour des rôles secondaires,la Troupe, en cetto circonstance, S'était adjoint desauxiliaires qui n'étaient nullement sociétaires.

Acteurs de la Pastorale

Un©NympheLa Bergèreen hommoLa Bergèreen femmoUn BergeramantPremier pal roSecondpâtroUn Turc

«««• DE BRIE*MOMERE.

» MOLIÈRE.BARON.MOLIÈRK.LATIIORILLIERE.MOLIÈRE.

Prologue

Le Prologue réunissait le premier Intermède desAmans magnifiques avec les chants et les danses du

Prologue do Psyché. Vénus, descendue du Ciel, jetaitles fondements de toute la Comédie et des divertis-sements qui vont suivre.

Premier acte de la Comédie.

PRBMIBn INTERMÈDE

La Plainte qui fait le premier Intermède de Psyché,

Page 257: Les Premières de Molière

2U LES PREMIERES DE MOUÈRE

Second acte de la Comédie.

SECONDINTERMÈDE.

Cérémonie magique do la Pastorale comique, repré*sentée dans la troisième entrée du Ballet des Muses.

Troisième acte de la Comédie.

TROISIÈMEINTERMEDE..

Combat des suivants de l'Amour et des suivantsdo Bacchus, qui fait le quatrième Intcrmèdo de GeorgeDandin.

Quatrième acte de la Comédie.

QUATRIEME INTERMÈDE.

Entréo d'uno Égyptienne, dansante et chantante,suivio de douze Égyptiens dansants, tirée do la Paslo*raie comique, représentée pour la troisième cnU'éodu Ballet des Muses.

Entrée de Vulcain, des Cyclopes et des Fées, quifait le second Intermède do Psyché.

Cinquième acte de la Comédie.

CINQUIÈME INTERMÈDE.

Cérémonie Turque du quatrième acte du Bourgeoisgentilhomme.

Sixième acte de la Comédie.

SIXIÈME INTERMÈDE.

Entrée d'Italiens, tirée du Ballet des Nations, repré-senté à la suite du Bourgeois gentilhomme.

Entrée d'Espagnols, tirée du môme Ballet des Nations

Septième et dernier acte de la Comédie.

SEPTIÈMEET DERNIERINTERMÈDE.

Entrée d'Apollon, de Bacchus, de Morne et de' Mars

qui fait lo dernier Intermède de Psyché.Il s'agissait, comme on le voit, de mettre sous les

Page 258: Les Premières de Molière

LA COMTESSEVESCARBAOSAS 343

yeux do la nouvelle princesse, toutes les scènes deballets qui avaient remporté le plus do succès à la

Cour, et ce sont encore les Ballets do Molièro, ou com-

poses pour des pièces de Molière, qui tiennent la

plus graudo place.Sans doute ces intermèdes se rattachaient fort peu

à l'action, ou même no s'y rattachaient pas du toul,mais nous no comprenons guère comment la Comtesse

d'Escarbagnas <[\\ine nous est parvenucqu'enunacte,—mémo en y ajoutant la Pastorale que nous no con-naissons pas

—pouvait remplir sept actes? 11est vrai

que, dans une représentation semblable, les balletstenant touto la place, peu importait le texte que l'ondébitait entre deux intermèdes.

I^e 7 Décembre la Troupo revint de Saint-Germain,chaque comédien ayant reçu « "pour nourritures »66 livres, puis repartit par ordre, pour Saint-Germain

toujours,le 9 février suivant, pour n'en revenir que le26.

Lagrange noto sur son Registre, a cette dernière dato :« lleccu pour nourritures 135 livres, et gratifications84 livres pour un habit, deux cent dix neuf livres.

ESCARBAGNAS,balct, ci... 135 livres ». Cotto dernièresomme pour sa part.

C'est pendant co second séjour à Saint-Germain pourla Comtesse a"Escarbagnas—le 17 Février—un an exac-tement avant Molière —

quo mourut Madeleine Béjart,dans sa maison vis-à-vis le Palais-Royal. Elle voulutêtre enterrée au cimetière St-Paul, sous les charniers,

près des siens. Molière revenu sans douto en toute hâtede Saint-Germain, signa Pacto d'inhumation le 19, en

compagnie de Béjart cadet. Ainsi disparaissait laconseillère des années de lutte et de vie nomade,

laissant quelques biens à son frère Louis et à sa soeur

Geneviève, et instituant sa légataire univcrselloArmandc Béjart, femme de Molière, sa jeune soeur,selon les actes plus ou moins fausses, sa fille, scion

l'opinion de tous les contemporains.

Page 259: Les Premières de Molière

2W bES PREMIERESDE MOUERB

La clôtura annuelle eut lieu cctto année le 5 avril1672.1«a part entière de sociétaire avait été do 4233 liv.1,0 Dimancho do Quasimodo, 24 avril, notre fidèlehistorien do la Troupo do Molière, Lagrango, so fiança.Lo lendomain 25, il fut marié h St Gcrmain-l'Auxerroisavec Mario Raguencau do l'Est an g, qui fut reçue dansla Compagnie & demie-part, à la charge do payerChastcauneuf, gagiste, soit 3 livres par jour (jusqu'au11 août, différend aplani).

Lo même jour, c'était encore, à la mémo église, lo

mariago de Jean Baraillon, tailleur ordinaire des Balletsdu Roi, avec Jcanno Françoiso Brouart,soeur do Mcl,edo Brie (soeur de mère). Kilo était fille d'un des violonsdu roi.

Quant à la Comtesse d1Escarbagnas, mise en un acte,elle fut représentée pour la première fois en publiclo 8 juillet, eu même temps qu'une reprise, du Mariageforcé. Celto dernière pièce seulement avait conservéses « ornements ».

Page 260: Les Premières de Molière

CHAPITRE XXIX

LES FEMMES SAVANTES

Comédieen ver*,en 5 actes.Théâtredu IVtaî*.Royal; II Mars1072.

LesFemmessavantes, ouvragepréparéde longuemain. — Fro»-deurdes spectateurs.— Causesdecedemi-échec.— Compte-rendude de Visé.—•Allusionstransparentes.— CostumedeChrysale.— Clôturede la saison.

On admet généralement que les Femmes savantesfurent jouées devant la Cour, avant de paraître auxchandelles sur la scène du Théâtre du Palais-Royal,le vendredi 11 mars 1672, c'est-à-diro quatre mois avantla Comtesse <fEscarbagnas dont nous nous sommes

occupé dès son apparition à St-Germain.Un fait existe : c'est que l'ouvrage ne fut pas conçu

au dernier moment. Aucune pièce peut-être, dans toutlo répertoire inoliéresque—sauf Tartuffe—no fut pluspondérée. Un an auparavant, le 13 mars 1671, Molièreen avait fait enregistrer le privilège. Quelques joursavant la première, le mercredi des Cendres, 2 mars,il en faisait la lecture chez M. de la Rochefoucauld.

L'annonce do la pièce nouvelle fait encaisser 1735

livres, et cependant il faut changer l'affiche après 20

représentations consécutives. Pourquoi co demi-succès ?Cet ouvrage n'csl-il pas un des meilleurs du Maître ?

M. G. Mouval, à qui nous avons toujours recours

lorsque nous nous trouvons embarrassé, semble nousen avoir donné les raisons ( l).

(t) ThéâtrecompletdeJ.-B. PoquelindeMolière,Ed. Jouauif,annotépar G 3Ionval,I. VIII.

Page 261: Les Premières de Molière

lis LES PREMIERES DE MOLIERE

Les Femnies savantes, nous dit-il en substance»sont pour ainsi dire la continuation des Précieusesridicules. Mais depuis quinze ans, le vent a changé.De la littérature les précieuses sont passées à la science.C'est un nouveau travers à combattre. Nous pourrionsajouter que la première de ces pièces, en un acte seu*

lement, n'avait pas do grandes prétentions. On n'yparlait qu'en prose, et l'on y voyait de véritablescaricatures. Les Femmes savantes sont en 5 actes, envers ; l'allure n'est plus la même. Revenons auxréflexions do Monval.

La froideur des spectateurs s'explique, ajoute-l-il,par le manquo d'intrigue et d'intérêt, car les questionsque l'on agito sont indifférentes à la plupart des spec-tateurs. Autant dire quo la pièce n'a été écrite quo pourune élite. 11fallait donc être dans le secret pour savoir

quo Trissotin, q«.ii s'appelait tout d'abord Tricotin,masquait à peine lo nom do Colin, célèbre abbé alorsen disgrêce auprès du roi. Dans le personnage de Vadius,on voulait voir lo poète Ménage, en s'appuyant surce que la dispute entre Vadius et Trissotin n'était quola reproduction d'une scène qui avait en lieu chezMademoiselle entre Ménage et Colin.

On a beaucoup épilogue sur les personnalités doVadius et de Trissotin (1), mais, nous le répétons, cesont des détails qui ne pouvaient intéresser qu'un

(I) L'Abbéd'OUvet,llittoirederAcadémiefraiicoite,t. Il, p. 185.Selonui,la scènes'estpa«te entrel'abbéColinet MénagechezMademoiselle.—Mémoire»pourserviràVhittoirede»centdelettre»parlePèreNiccron,t.XXIV,p. 225et 226.Tourlui, il «'agitde l'abbéCoth, ennemilittérairedeDespréauxet de Molière.— Menagiana,t. III, p. 25,édit. 1720.Molièrea ridiculiséCotin.—Boloeanain-12,p.3t. C'estDespréauxquiindiquaàMolièrela scèneà faire.Elles'étaitpasséeentrelefrèredusatirique,CilleBoileau,et l'abbéCotin.Molièrerecherchaitun mauvaisouvragepourexercersa critique,et Dcspréauxlui apportale propresonnetde l'abbéCotinavecunmadrigaldumêmeauteur.Lesdeuxpiècesfurentimpriméesdanslesoeuvregalantes,t. II, p. 512,Paris1665,etc. LesFrères-Parfait,dans leurHistoiredu Th. Fronçait,t. XI, p. 214indiquenten notequepourMénage-Vadius,il suffitdelirela scèneoù lesouvragesdecesavantsontdésignéspourseconvaincrequ'iln'y a pasd'erreurpossiblepourlapersonnalitédésignée.

Page 262: Les Premières de Molière

IES FEMMESSAVASTES 8«

nombre restreint de spectateurs. Il n'était pas donné

n tout lo monde de connaître les petites intrigues

qui se dénouaient ou se nouaient a l'Hôtel do Ram-

bouillet, rendez-vous do tous les beaux esprits, et où

Molière, du reste, avait libre accès, jusqu'au jour

cependant,où ayant appris quo Cotin et Ménage le

raillaient, il n'y remit plus les pieds. On voit comment

il prit sa revanche.Les compte-rendus do la première des Femmes

savantes sont très rares. Le plus connu est celui do

de Visé i mais il no faut pas oublier que de Visé fut

toujours un adversaire de Molière, Ne nous attendons

pas à trouver ici beaucoup d'indulgence j il est cepen-dant bien forcé de reconnaître les mérites de l'ouvrage.

Do Visé avait entrepris au commencement de l'annéo1672 son ouvrage périodique « Le Mercure galant ».Voici en quels termes il s'exprime dans sa lettre du12 mars (2) :

« Jamais dans une seulo année l'on ne vit tant dobelles pièces de théutro, et le fameux Molière ne nous a

point trompés dans l'espérance qu'il nous avait donnéeil y a tantôt quatre ans do faire représenter au Palais-

Royal uno pièco comique de sa façon qui fût tout à fait

achevée. On y ost bien diverti, tantôt par ces précieusesou Femmes savantes, tantôt par les agréables railleries

d'uno certaine Henriette, et puis par les ridicules

imaginations d'uno visionnaire, qui so veut persuaderquo tout le mondo est amoureux d'elle. Je ne parlopoint du caractère d'un père qui veut faire croire à unchacun qu'il est le maître de sa maison, qui se fait fort

de tout quand il ost seul, et qui cède tout dès que safemme paraît. Jo ne dis rien aussi du personnage doM. Trissotin, qui tout rempli de son savoir, et tout

gonflé de la gloire qu'il croit avoir méritée, paraitsi plein de confiance do lui-même, qu'il voit tout le

genre humain fort au-dessous de lui. Le ridicule enté-

(S)Mercuregâtant,1.1.

Page 263: Les Premières de Molière

250 LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

tement qu'une mère que la lecture a gâtée, fait voir

pour ce M. Trissotin, n'est pas moins plaisant ; et cet

entêtement, aussi fort que celui du père dans Tartuffe,durerait toujours, si, par un artifice ingénieux de lafausse nouvelle d'un procès perdu, et d'une banque-route, (qui n'est pas d'une moins belle invention quel'exempt dans VImposteur), un frère, qui, quoique bien

jeune, paraît l'homme du monde du meilleur sens, nele venait faire cesser en faisant le dénouement de la

pièce.« Il y a, au troisième acte une querelle entre ce

Monsieur Trissotin et un autre savant, qui divertit

beaucoup ; et il y a au dernier un retour d'une cer-taine Martine, servante de cuisine, qui avait été chas-sée au premier, qui fait extrêmement rire l'assemblée

par un nombre infini de jolies choses qu'elle dit enson patois, pour prouver que les hommes doiventavoir la préférence sur les femmes.

« Voilà confusément ce qu'il y a de plus considérabledans celte comédie qji attire tout Paris. Il y a partoutmille traits d'esprit,beaucoup d'expressions heureuses,et beaucoup de manières do parler nouvelles et hardies,dont l'invention ne peut être assez louée, et qui ne

peuvent cire imitées. Bien des gens font des appli-cations, de cette comédie, et une querelle de l'auteur,il y a environ huit ans, avec un homme de lettres qu'onprétend être représenté par M. Trissotin, a donné lieuà ce qui s'en est publié ; mais M. Molière s'est suffi-samment justifié de cela par une harangue qu'il fitau public deux jours avant la première représentationde sa pièce ».

Après ces coups d'encensoir, de Visé tente do réha-biliter l'abbé Cotin :

« Et puis ce prétendu original de cette agréablecomédie ne doit pas s'en mettre en peine, s'il est aussi

sage et aussi habile homme que l'on dit, et cela noservira qu'à faire éclater davantage son mérite! es

Page 264: Les Premières de Molière

LES FEMMESSAVANTES 251

faisant naître l'envie de le connaître, de lire ses écritset d'aller à ses sermons. Aristophane ne détruisit

pas la réputation de Socratc en le jouant dans une deses farces, et ce grand philosophe n'en fut pas moinsestimé de toute la Grèce ».

Le couplet se termine néanmoins par une invitationau public d'aller voir la nouvelle comédie de Molière :

« Mais pour bien juger du mérite de la comédie dont

je parle, je conseillerais à tout le monde de la voiret de s'y divertir, sans examiner autre chose, et sanss'arrêter a la critique de la plupart des gens qui croient

qu'il est d'un bel esprit de trouver à redire ».Nous avons cité le morceau en entier parce qu'il est

le compte-rendu le plus complet que nous connaissionssur une pièce de Molière à son apparition, et que de

Visé, malgré tout esprit de boutique qui lui faisait

jalouser le grand Maître, a bien été forcé de reconnaîtreles mérites dvî l'ouvrage. La dernière phrase est pré-cieuse à retenir. Dans un certain monde, il n'était pasde bon ton d'approuver ces critiques.

On ne s'étonnera pas de ne pas trouver un mot do

l'interprétation dans cet article. Ce n'était pas l'usage.Nous savons pourtant que la distribution des rôlesen avait été faite avec un soin parfait. Le bonhomme

Chrysalc, c'est Molière. Le rôle de Philaminte, femmede Chrysalc est encore tenu par un homme: Hubert.On ne connaîtra que plus tard l'emploi de duègne confiéà des femmes. Baron et Lagrange jouent Ariste etClitaudre. Quant aux deux poètes, Molière en a remisla caricature à La Thorillière-Trissotin et du Croisy-Vadius .Ce dernier comédien a toujours eu la spécialitéde peindre, sur le vif les cuistres et les pleutres.

Les deux soeurs sont personnifiées par les deux

Rlusjeunes actrices de la Compagnie : Armando

leH« de» Brie, et Henriette Melle Molière. Geneviève

Béjart qui frise déjà la cinquantaine est chargée durôle un peu outrnncicr de Bélise, mais sous le nom de

Page 265: Les Premières de Molière

252 LES PREMIÈRESDE MOLIÈRE

Melle Villaubrun (1). Quant à Martine, la traditionveut que ce rôle ait été tenu par une servante de

Molière, laquelle portait peut-être véritablcmcnnom.

Le costume que portait Molière dans les Femmessavantes nous est connu par l'inventaire après décès :

« Un habit servant à la représentation des Femmes

savantes, composé de justc-au-corps et haut de chaussesde velours noir et ramage à fonds aurore, la vestede gaze violette et or, garnie de boutons, un cordon

d'or, jarretières, aiguillettes et gants ; prisé vingtlivres». Un portrait reconstitué d'après ces indications,a été dessiné par Gefïroy pour l'édition des oeuvres de

Molière, Paris, Mellado, 1868.La «première »des Femmes savantes avait été donné**

le 11 mars avec 1735 livres de recette. La onzièmeclôtura la saison théâtrale le 5 avril, avec 593 livres.Les parts entières de l'année se montaient à 4233 livres.On rejoua encore huit fois les Femmes savanles à laréouverture après Pâques, avec de faibles entrées

puis la pièce fut enfin retirée de l'affiche.

(I) Ila toujoursétéassezdifficiled'établirlabiographiedecetteactrice,a causedela variétéde sesnom».GenevièveBéjart,soeurdeMadeleine,Josephet Louis,avaitd'abordprisau théâtrelenomdesa mére,Hervé,afind'éviterla repétitiondumêmenom.Baptiséele2juillet16*24aSaint-Pau),elleépousale sieurLoméniede Villaubrun,nomsouslequelontadésigna.Devenueveuvevers1671,ellese remariaavecun sieurJ.-B.Aubrydes Carrières,d'où le nomd'Aubry.[Dictionnairede»Cor.itdientpar HenryLyonnet,T. I, j».129.)

Page 266: Les Premières de Molière

CHAPITRE XXX

LE MALADE IMAGINAIRE

Comédie-Balleten proseet en3actesThéâtredu Palals-Royat: 10 Février1673.

£« Malade imaginaire, comédie-ballet.— LecheminparcouruL'approchedu carnaval.— Montant desIrais journaliersDistributionde la pièce.— Mort de Molière. — Fondationde la COMÉDIEFRANÇAISE.

De toutes les comédies de Molière, le Malade imagi-naire est celle dont les premières représentations atti-rèrent le plus l'attention des moliéristes, sans dout-

parce que ce fut au sortir de la'quatrième que leMaître mourut.

Aujourd'hui, le Malade imaginaire nous apparaîtcomme une comédie en trois actes. Quelquefois, dansune circonstance exceptionnelle, un jour d'anniver-saire (le 15 janvier) ou le Mardi gras, la Comédie fran-

çaise et l'Odéon font suivre cette représentation de la

Cérémonie, ce qui fournit le prétexte de faire défilerdevant le public tous les sociétaires et tous les pension-naires, dans un costume moliéresque recouvert d'unerobe de médecin. «Dignus, dignus est tnlrare, in nostrodocto corpore » chante le choeur. Mais cet ouvrage, danssa nouveauté, fut donné en comédie-ballet, c'est-à-dire

agrémenté de chants et de danses. Celte représentationsuggère les réflexions suivantes à M. Maurice Pcllis*son (1) : a Quel chemin parcouru du Mariage forcé,crayon léger et rapide, au Malade imaginaire, compo-sition ample, et tout près d'être parfaite 1»

Avec quelle mesure, en effet, avec quel goût l'auteura su fondre cette fois les éléments divers dont il dispose

(1)Le*Comédies-BalletsdeMolière,p. 85,ouvr.déjàcité.

Page 267: Les Premières de Molière

254 LES PRBMIÈRBSDE MOLIÈRE

Comble d'habileté qui lui a permis, tout en subordon-nant la musique et la danse à la poésie, de ne pointles lui sacrifier, et de maintenir au contraire, entrela poésie, la danse et la musique, uno étroite corrélationsans contrainte.

Molière, au seuil de la cinquantaine, est arrivé ausummum de son génie. Jamais, dans le domaine comiqueil n'a donné une pièce qui soit mieux conçue ; il y a

poussé jusqu'à ses dernières limites ses dons d'obser-vation. Est-ce parce que, malade invétéré, il ne guéritpas, qu'il va chercher de mettre à nu l'inanité de lamédecine — de son temps ? Peu nous importe. Bien

que frappé à mort, il va rassembler tout ce qui luireste de forces vitales pour mettre les rieurs de son côté.Lo Carnaval approche. C'est l'époque des grossesrecettes. Pour rester conforme à la tradition, il va

frapper un grandcoup—avant cette fermeture annuellede Pâques, qu'hélas ! il ne verra pas cette année. Etcelte fois, ce n'est pas pour la Cour, qui le bousculeet le presse, c'est pour son public qu'il a travaillé.

Lagrangc nous laisse entendre avec quels soins on amonté la pièce : « Les frais de la dite pièce du Malade

imaginaire, nous dit-il, ont été grands à cause df pro-logue et des intermèdes remplis de danses, musiqueet ustensiles (accessoires) et se sont montés à 2400 liv.

« Les frais journaliers ont été grands, à cause de12 violons à 3 livres, douzo danseurs à 5 livres 10 sols,trois symphonistes à 3 livres, sept musiciens ou musi-

ciennes, dont il y en a deux à 11 livres, les autres à5 livres 10 sols. Récompenses à Mr8 Bcauchamp pourles ballets, à Mr Charpentier pour la musique. Une partà Mr Barailton pour les habits. Ainsi les dits frais sesont montés par jour à 250 livres.

« Lorsqu'on cessa les représentations à Pâques, la

troupe devait encore plus de 1000 livres des dits fraisextraordinaires (1) ».

(I)RegistredeÏAgrange,p. 142.

Page 268: Les Premières de Molière

LE MALADEIMAGINAIRE 255

On aurait pu, il est vrai, mettre en regard les chiffresdes recettes, qui furent pour les quatre premièresavec Molière, de 1992,1459,187910 sols, 1219, et pourles neuf suivantes, à partir de la reprise du 3 mars,avecLaThorillière dans le rôle d'Argan,d'une moyennede 1185 livres (1).

On s'accorde à fixer comme suit la distributionde la comédie du Malade imaginaire :

Argan MOLIÈRE.Béralde Du CROISY.Ciéantc LACRANCE.M.Diafoirus DE BniE.Thomas Diaforius BEAUVAL.M. PurgonFleurant . LATIIORILMÈRBBélinc MelIeLAGRANGE.Angélique Me,IeMOLIÈRE.Toincttc M«u*BEAUVAL.Louison LAPETITEBEAUVAL.

Quant au costume d'Argan, on ne le trouve pas dansl'inventaire dresse chez Molière après décès. Il y atout lieu de croire qu'il était resté au théâtre, et qu'ilservit à son successeur dans ce rôle.

(I)LagrangeécritdanssonReghtre:«Vendredy3"emarsonrecommen-ces le Maladeimaginaire.SI.de la Thorilliêrejoua le rooslede M.deMolière.»D'autrepart lesFrèresParfait,quiécrivaientleurHitloireduThéâtrefranco!»cinquanteans|>luslard,ontdéclarép. 2S5,t. Xi : «Rosi-mond,lemeilleurarleurcomiquede laTroupedu Marais,s'engageadanscelledu Palais-royalpourremplirlesrôlesde Molière;pourcetelTcttilsepréparaà celuiduMaladeimaginaire,qu'ilfuienétatdejouerlevendredy3 mars,et qu'il continuajusqu'àla clôtureordinairedu Théâtrequi seilt le21du mêmemois.»

Aen croireLagrange,Rosimondne fut attachéà la troupequ'aprèslaréouverturedePâques,le3mai.Hn'enestmoinsvraiqut M.PaulLacroixet Liend'autresontadoptéla ver»iondesfrèresParfait,t eut-cirenecon-naissaient-ilspasla notede Lagrange? QueRosimondait reprisle rôle,ceciest incontestable,matspourquoiavantla réouverturede Pâques,etavant d'être attachéà la troupe? Disonsen passantquece Rosimond(16t0-ltô6)fut un comédienlettré,auteurde piècesreprésentées,et le

J>lusgrandcollectionneurdepiècesdethéâIredesonsiècle.CommeMolière,

Imourutpresquesubitement,et decefait,soninhumationnocturnedansle cimetièredesmorts-nésdeSaint-Sulpiceressemblaparplusd'unpointà cellede ton prédécesseur.

Page 269: Les Premières de Molière

256 LES PREMIÈRES DE MOLIÈRE

La mort de Molière entraîna fatalement le démem-brement de la troupe qu'il avait mis tant de peine àformer. La Thorilliêre, Baron, Beauval et sa jfemnïc

passèrent à l'Hôtel de Bourgogne. Mais cet événe-ment fut suivi d'un autre encore plus fâcheux. Lulli,qui avait le privilège de l'Opéra, obtint du roi l'au-torisation de faire représenter ses ouvrages de musiquedans la salle du Palais-Royal.

En d'autres termes, la veuve de Molière, entouréedes comédiens qui lui étaient restés fidèles, se trouvaitsans théâtre... jusqu'au jour où, le roi ayant déclaré

qu'il ne voulait à Paris que deux troupes de comédiens

français, dont l'une à l'Hôtel de Bourgogne, la troupede Molière fusionna avec celle du Marais sous le nomde troupe Guénégaud, du nom de la nouvelle salledont l'ouverture eut lieu le 9 juillet 1673, avec Tartuffe.Mais il fallait attendre l'année 1680 pour assister à laréunion de toutes les troupes, d'où la date de « fonda*tion » de la COMKDIKFRANÇAISE.

Page 270: Les Premières de Molière

TABLE DES MATIÈRES

s,PlffeFAOtî.^' VU"l>^î^tfOVRDl ou LES CONTRETEMPS.— Arrivée de

Molièreà Lyon. — Premiers déboiresà Paris. — La troupereconstituée à Nantes cl sa composition.— Pérégrinationsenprovince. — Passage â Grenoble.— Lesspectaclesà Lyonet les jeux de paume. — Molièresur la paroisseSaint-Paul.— Mariage de du Parc. — Installation d'un théâtre. —

Représentation au profit des pauvres. —Première représen-tation à Lyon de VEtourdi (mars 1653). — Succès del'ouvrage 1

IL — LE DÉPIT AMOUREUX.— Voyageeu Languedoc —Deux troupes rivales à Pézenas.— Le Prince de Conti.—

Quartiers d'hiver à Lyon. — Deux témoins irréfutables:Chappuzeau et d'Assoucy. — Commentvivait la troupe envoyage. — Bordeaux. — Première du Dépit amoureux àBéziers (1656).-—Molièrecréa-t-il le rôle de Mascarilledanscette pièce?— Nouvellespérégrinations.—La troupe se rap-proche de Prr-s 15

III. — LES PRÉCIEUSES RIDICULES. — La troupe deMolièreà Rouen. — Les deux Corneille.— Une nouvellerecrue : du Croisy.— Molièrejoue devant le roiau Louvre.—La salle du Petit-Bourbon lui est accordée. •—Débuis àParis. — Désertiondes du Parc. — Retraite de'du Fresnc.—Nouveaux venus : l'Espy, Jodelet, Lagrange. —•Mort deJoseph Béjart. — Première des Précieusesridicules(18 no-vembre 1658).— Jugements critiques . 26

IV.—SGANARELLE ou LE COCUIMAGINAIRE.—Hono-rable succès de Sganarelle.— La Troupe à Vincennes.—Le nom de Sganarelle.— Mort de Jodelet. — Démolitiondu Petit-Bourbon. — A la recherched'une salle.— CelleduPalais-Royal.-r- Descriptionde ce théâtre.— Dispositiondesplaces.— Les Spectateurs sur la scène. — Une organisationthéâtrale aux vne siècle -42

V. — DOM GARCIE DE NAVARRE ou LE PRINCEJALOUX. — Fonctions de l'Orateur. —• Dont Garde deNavarre ou te Prince jaloux. — Échec de la pièce. — Sixtroupes à Parts. — Abandon du genre héroïque.— La maison

'de la rue Saint-Thomas du Louvre.— Armandc Béjart. —

Projets de mariagede Molière 57VI. — L'ÉCOLE DES MARIS.— Distribution et Dédicacedo

VÉcoledesMaris. — Succèsde la pièce. — Le surintendant

Page 271: Les Premières de Molière

258 TABLEDES MATIÈRES

Fouquet. — Le château de Vaux. — La troupe de Molièremandée à Vaux, pub h Fontainebleau devant le roi. —

Fouquet demande & Molièreune comédie-ballet. — Molièredanseur et chanteur 70

VIL — LES FACHEUX. — Fête de Vaux-le-Vicorateofferteau roi par Fouquet. — La premièredes Fâcheux. —. Lettrede La Fontaine. — Le compte-rendu de Lorct. — LesFâcheux à Fontainebleau. —-Succès & Paris. — Arrestationde Fouquet. — Distribution des rôles 79

VIII. —L'ÉCOLE DES FEMMES.— Les comédiens italiensau Palais-Royal. — La femme de Molière, son mariage. —L'École des femmes. — Ml,e de *Brie, éternelle Agnès. —Les 42 ans d'Arnolphe. — Succèsà la ville et à la Cour 90

IX. — LA CRITIQUE DE L'ÉCOLE DES FEMMES. —Stances de Despréaux. — Molièrepensionné. —

Critiques etélogessans le vouloir du jeune de Visé.—Le grand Corneilles'inquiète. — Questions de boutiques.— Molièredevient sonpropre critique. — Appréciations de Loret. — De Visé nedésarme pas. — Zélinde et la Critique de la Critique. —

Attaques de Boursault. — Cinglante réponse de Molière.—Un exemple suivi par Régnard 102

X. — L'IMPROMPTU DE VERSAILLES. — La troupedemandée à Versailles. —•Première représentation de l'Im-promptu.'— Imitations des comédiens de l'Hôtel. — Molièreavait-il le droit de donner des conseils aux autres ? —>Sontalent d'acteur. — Scènes intimes.— L'Impromptu en public.—•Reprise de cette pièce aux xixe et xxe siècles. — Répliquede la troupe rivale. — L'Impromptu de l'hôtel de Condéet laVengeancedes marquis . 114

XL — LE MARIAGE FORCÉ.— Le Mariage forcé t ballet deCour ».—Les ballets de Cour et le roi damant avec les comé-diens. — Compte-rendu de Loret. — Le Mariage forci auPalais-Royal. — Les frais d'une représentation. — Brécourtest remplacépar Hubert . 125

XII. — LA PRINCESSE D'ÉLIDE. — La Princesse d'Élideécrite sur commande. — Les plaisirs de l'Ile enchantée. —Les comédiensdans le cortège.—•La représentation dans lesjardins. — Trois actes de Tartuffe. — Bfortde du Parc. —

Lagrangeorateur de la troupe. ........... 133

XIII. — DOM JUAN ou LE FESTIN DE PIERRE. — Ori-ginesdu Festin de Pierre. — Ouvragesde ce nom : espagnols»italiens, français. — Distribution de la pièce. — Le tombeaudu commandeur.—Succè* de la pièce, cabales et pamphlets.— Coupures nécessaires.— La pièce quitte l'affiche . 144

Page 272: Les Premières de Molière

TABLEDES MATIÈRES 269

XIV. — L'AMOUR MÉDECIN. — La troupe de Molière àVersailles et l'Amour Médecin, comédie-ballet. — La pièceà Paris.—Succès. — Une reprise en 1920. — Campagne deMolièrecontre les médecins 155

XV.—LE MISANTHROPE.— Le Misanthropefut-il un four ?— Pourquoifut-il donné en été et retiré momentanément enaoût ? — Comptes-rendusde Subligny et de Robinet. —

Appréciationsde de Visé. — Le rôle d'Alceste. — PourquoiMolières'en chargea

' 161XVI. — LE MÉDECIN MALGRÉ LUI. —Le Médecinmaigri

lui, réminiscencede farces précédentes. — Comptes-rendusde Robinet et de Subligny.—Cette pièce corse la représenta-tion du Misanthrope.—-Succès.—Costumede Sganarelle 170

XVII. — MÉLICERTE ou LA PASTORALECOMIQUE.—Mélicertepar ordre du roi.— LeBalletdesmuses.— DébutsdujeuneBaron.—Collaborationdeschanteurs et des danseurs.—Perte d'une partie du manuscrit . 173

XVIII. — LE SICILIEN ou L'AMOUR PEINTRE. — LeSicilienh Saint-Germain. —•Chiite d'Attila de P. Corneille.— Départ de M,,edu Parc. —->Maladie de Molière. — Fer-meture du théâtre.—• Le Sicilienau Palais-Royal. . . 179

XIX. — AMPHITRYON. — Triste situation du théâtre duPalais-Royal. — Tartuffe est toujours interdit. — Lagrangeet LaThorilliêreau siègede Lille.— Amphitryon.— Compte-rendu de Robinet. — Amphitryonaux Tuileries . . . 186

XX. — GEORGE DANDIN ou LE MARI CONFONDU.—Nouvelles fêtes à Versailles.— Relation de Félibien. —

Descriptiondu théâtre dan) le Petit-Parc. —>Première deGeorgesDandin.— Dépensessomptueuses.—La pièceà Paris.— Succèî 191

XIX. —L'AVARE.—L'AvaretMPalais-Royal.—Cause**osoninsuccès.—On n'admet pas cinq actes en prose.— Compte-rendu de Robinet. —•La pièce est retirée de l'affiche maisjouéeà la Cour 198

XXII. — LE TARTUFFE ou L'IMPOSTEUR.— Représenta-tion des trois premiers actes de Tartuffe. — Interdiction.— Lecture au Légat. — Premier Placet au roi. — Protectiondu grand Condé. — Une représentation sans lendemain. —

Lagrange et La Thorilliêreau siègede Lille.— Second Placet.— Premièrereprésentation. — Compte-rendude Robinet. —Succèssans précédent . 202

XXIII. — MONSIEUR DE POURCEAUGNAC.— Monsieurde Pourceaugnack Chambord.— Distribution de la pièce —Costume de Molière.— Ce que coûtaient dix-huit représen-tations.— La pièce&Paru.—Compte-rendu de Robinet. 215

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260 TABLEDBS MATIÈRES

XXIV. — LES AMANS MAGNIFIQUES.— La troupe àSainl-Germain-en-Laye.— Les Amans magnifiques. — Ceque coûtait une comédie-ballet.— Compte des menus. —Louis XIV collaborateur de Molière. — Changementsdansla troupe. — Rentrée de Baron. — Le coupleBeauval. 219

XXV. — LE BOURGEOIS GENTILHOMME.— La troupedu Palais-Royal à Chamburd.— Collaboration du chevalierd'Arvicux pour la Cérémonie turque. — Débuts du coupleBeauval. — Le Bourgeois Gentilhommecause d'abord unedésillusion.— Succès aux représentations suivantes. —•Cos-tume de M. Jourdain. — Le laquais de Molière. . . . 224

XXVI.— PSYCHÉ.— Histoire de la collaborationde Psyché.—•La salle des machines aux Tuileries. — pescription dela salle. — Mise en scène de Psyché. — Réparations de lasalle du Palais-Royal. — Psyché au Palais-Royal. —•Fraisordinaires de cet ouvrage ,„. . . 231

XXVII. — LES FOURBERIES DE SCAPIN. — Reprochesadressés à .Molièreau sujet de cette pièce. — Nécessité deboucher un trou. — Distribution de la pièce.—Pourquoi l'onne retrouve pas le coâiumcde Scapin 240

XXVIII. — LA COMTESSED'ESCARBAGNAS.— La Com-tessed'Escarbagnas à Saint-Germain-cn-Laye,intercaléedansdes ballets. — Distribution de la pièce. — Programme duBalletdesBallets.—-Mortde MadeleineBéjart. — Unepart desociétaireen 1672 242

XXIX. —LES FEMMESSAVANTES.—LesFemmessavantes,ouvrage prépaie de longue main. — Froideur des specta-teurs. — Causes de ce demi-échec.— Compte-rendu de deVisé.— Allusionstransparentes. — Costume de Chrysalc.—Clôture de la saison * 247

XXX. — LE MALADE IMAGINAIRE. — Le Malade Ima-ginaire, comédie-ballet.—Le cheminparcouru. •—L'approchedu carnaval. — Montant des frais journaliers. — Distributionde la pièce. — Mort de Molière.— Fondation de la ComédieFrançaise ,v.\. * . . . . 253

PARIS.— 1MP.CM.DELAORAVE(T.-t.3f-2-2t).

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TABLE DES MATIERESPREFACE.I. - L'ETOURDI ou LES CONTRETEMPS. - Arrivée de Molière à Lyon. - Premiers déboires à Paris. - La troupe reconstituée à Nantes et sa composition. - Pérégrinations enprovince. - Passage à Grenoble. - Les spectacles à Lyon et les jeux de paume. - Molière sur la paroisse Saint-Paul. - Mariage de du Parc. - Installation d'un théâtre. -Représentation au profit des pauvres. - Première représentation à Lyon de l'Etourdi (mars 1653). - Succès de l'ouvrageII. - LE DEPIT AMOUREUX. - Voyage en Languedoc. - Deux troupes rivales à Pézenas. - Le Prince de Conti. - Quartiers d'hiver à Lyon. - Deux témoins irréfutables:Chappuzeau et d'Assoucy. - Comment vivait la troupe en voyage. - Bordeaux. - Première du Dépit amoureux à Béziers (1656). - Molière créa-t-il le rôle de Mascarille danscette pièce? - Nouvelles pérégrinations. - La troupe se rapproche de ParisIII. - LES PRECIEUSES RIDICULES. - La troupe de Molière à Rouen. - Les deux Corneille. - Une nouvelle recrue: du Croisy. - Molière joue devant le roi au Louvre. - Lasalle du Petit-Bourbon lui est accordée. - Débuts à Paris. - Désertion des du Parc. - Retraite de du Fresne. - Nouveaux venus: l'Espy, Jodelet, Lagrange. - Mort de JosephBéjart. - Première des Précieuses ridicules (18 novembre 1658). - Jugements critiquesIV. - SCANARELLE ou LE COCU IMAGINAIRE. - Honorable succès de Sganarelle. - La Troupe à Vincennes. - Le nom de Sganarelle. - Mort de Jodelet. - Démolition duPetit-Bourbon. - A la recherche d'une salle. - Celle du Palais-Royal. - Description de ce théâtre. - Disposition des places. - Les Spectateurs sur la scène. - Une organisationthéâtrale aux VIIe siècleV. - DOM GARCIE DE NAVARRE ou LE PRINCE JALOUX. - Fonctions de l'Orateur. - Dom Garcie de Navarre ou le Prince jaloux. - Echec de la pièce. - Six troupes àParis. - Abandon du genre héroïque. - La maison de la rue Saint-Thomas du Louvre. - Armande Béjart. - Projets de mariage de MolièreVI. - L'ECOLE DES MARIS. - Distribution et Dédicace de l'Ecole des Maris. - Succès de la pièce. - Le surintendant Fouquet. - Le château de Vaux. - La troupe de Molièremandée à Vaux, puis à Fontainebleau devant le roi. - Fouquet demande à Molière une comédie-ballet. - Molière danseur et chanteurVII. - LES FACHEUX. - Fête de Vaux-le-Vicomte offerte au roi par Fouquet. - La première des Fâcheux. - Lettre de La Fontaine. - Le compte-rendu de Loret. - Les Fâcheuxà Fontainebleau. - Succès à Paris. - Arrestation de Fouquet. - Distribution des rôlesVIII. - L'ECOLE DES FEMMES. - Les comédiens italiens au Palais-Royal. - La femme de Molière, son mariage. - L'Ecole des femmes. - Mlle de Brie, éternelle Agnès. - Les42 ans d'Arnolphe. - Succès à la ville et à la CourIX. - LA CRITIQUE DE L'ECOLE DES FEMMES. - Stances de Despréaux. - Molière pensionné. - Critiques et éloges sans le vouloir du jeune de Visé. - Le grand Corneilles'inquiète. - Questions de boutiques. - Molière devient son propre critique. - Appréciations de Loret. - De Visé ne désarme pas. - Zélinde et la Critique de la Critique. -Attaques de Boursault. - Cinglante réponse de Molière. - Un exemple suivi par RégnardX. - L'IMPROMPTU DE VERSAILLES. - La troupe demandée à Versailles. - Première représentation de l'Impromptu. - Imitations des comédiens de l'Hôtel. - Molière avait-ille droit de donner des conseils aux autres? - Son talent d'acteur. - Scènes intimes. - L'Impromptu en public. - Reprise de cette pièce aux XIXe et XXe siècles. - Réplique dela troupe rivale. - L'Impromptu de l'hôtel de Condé et la Vengeance des marquisXI. - LE MARIAGE FORCE. - Le Mariage forcé "ballet de Cour". - Les ballets de Cour et le roi dansant avec les comédiens. - Compte-rendu de Loret. - Le Mariage forcé auPalais-Royal. - Les frais d'une représentation. - Brécourt est remplacé par HubertXII. - LA PRINCESSE D'ELIDE. - La Princesse d'Elide écrite sur commande. - Les plaisirs de l'Ile enchantée. - Les comédiens dans le cortège. - La représentation dans lesjardins. - Trois actes de Tartuffe. - Mort de du Parc. - Lagrange orateur de la troupeXIII. - DOM JUAN ou LE FESTIN DE PIERRE. - Origines du Festin de Pierre. - Ouvrages de ce nom: espagnols, italiens, français. - Distribution de la pièce. - Le tombeaudu commandeur. - Succès de la pièce, cabales et pamphlets. - Coupures nécessaires. - La pièce quitte l'afficheXIV. - L'AMOUR MEDECIN. - La troupe de Molière à Versailles et l'Amour Médecin, comédie-ballet. - La pièce à Paris. - Succès. - Une reprise en 1920. - Campagne deMolière contre les médecinsXV. - LE MISANTHROPE. - Le Misanthrope fut-il un four? - Pourquoi fut-il donné en été et retiré momentanément en août? - Comptes-rendus de Subligny et de Robinet. -Appréciations de de Visé. - Le rôle d'Alceste. - Pourquoi Molière s'en chargeaXVI. - LE MEDECIN MALGRE LUI. - Le Médecin malgré lui, réminiscence de farces précédentes. - Comptes-rendus de Robinet et de Subligny. - Cette pièce corse lareprésentation du Misanthrope. - Succès. - Costume de SganarelleXVII. - MELICERTE ou LA PASTORALE COMIQUE. - Mélicerte par ordre du roi. - Le Ballet des muses. - Débuts du jeune Baron. - Collaboration des chanteurs et desdanseurs. - Perte d'une partie du manuscritXVIII. - LE SICILIEN ou L'AMOUR PEINTRE. - Le Sicilien à Saint-Germain. - Chute d'Attila de P. Corneille. - Départ de Mlle du Parc. - Maladie de Molière. - Fermeture duthéâtre. - Le Sicilien au Palais-RoyalXIX. - AMPHITRYON. - Triste situation du théâtre du Palais-Royal. - Tartuffe est toujours interdit. - Lagrange et La Thorillière au siège de Lille. - Amphitryon. - Compte-rendu de Robinet. - Amphitryon aux TuileriesXX. - GEORGE DANDIN ou LE MARI CONFONDU. - Nouvelles fêtes à Versailles. - Relation de Félibien. - Description du théâtre dans le Petit-Parc. - Première deGeorges Dandin. - Dépenses somptueuses. - La pièce à Paris. - SuccèsXIX. - L'AVARE. - L'Avare au Palais-Royal. - Cause le son insuccès. - On n'admet pas cinq actes en prose. - Compte-rendu de Robinet. - La pièce est retirée del'affiche mais jouée à la CourXXII. - LE TARTUFFE ou L'IMPOSTEUR. - Représentation des trois premiers actes de Tartuffe. - Interdiction. - Lecture au Légat. - Premier Placet au roi. - Protection dugrand Condé. - Une représentation sans lendemain. - Lagrange et La Thorillière au siège de Lille. - Second Placet. - Première représentation. - Compte-rendu de Robinet. -Succès sans précédentXXIII. - MONSIEUR DE POURCEAUGNAC. - Monsieur de Pourceaugnac à Chambord. - Distribution de la pièce. - Costume de Molière. - Ce que coûtaient dix-huitreprésentations. - La pièce à Paris. - Compte-rendu de RobinetXXIV. - LES AMANS MAGNIFIQUES. - La troupe à Saint-Germain-en-Laye. - Les Amans magnifiques. - Ce que coûtait une comédie-ballet. - Compte des menus. - LouisXIV collaborateur de Molière. - Changements dans la troupe. - Rentrée de Baron. - Le couple BeauvalXXV. - LE BOURGEOIS GENTILHOMME. - La troupe du Palais-Royal à Chambord. - Collaboration du chevalier d'Arvieux pour la Cérémonie turque. - Débuts du coupleBeauval. - Le Bourgeois Gentilhomme cause d'abord une désillusion. - Succès aux représentations suivantes. - Costume de M. Jourdain. - Le laquais de MolièreXXVI. - PSYCHE. - Histoire de la collaboration de Psyché. - La salle des machines aux Tuileries. - Description de la salle. - Mise en scène de Psyché. - Réparations de lasalle du Palais-Royal. - Psyché au Palais-Royal. - Frais ordinaires de cet ouvrageXXVII. - LES FOURBERIES DE SCAPIN. - Reproches adressés à Molière au sujet de cette pièce. - Nécessité de boucher un trou. - Distribution de la pièce. - Pourquoi l'onne retrouve pas le costume de ScapinXXVIII. - LA COMTESSE D'ESCARBAGNAS. - La Comtesse d'Escarbagnas à Saint-Germain-en-Laye, intercalée dans des ballets. - Distribution de la pièce. - Programmedu Ballet des Ballets. - Mort de Madeleine Béjart. - Une part de sociétaire en 1672XXIX. - LES FEMMES SAVANTES. - Les Femmes savantes, ouvrage préparé de longue main. - Froideur des spectateurs. - Causes de ce demi-échec. - Compte-rendu dede Visé. - Allusions transparentes. - Costume de Chrysale. - Clôture de la saisonXXX. - LE MALADE IMAGINAIRE. - Le Malade Imaginaire, comédie-ballet. - Le chemin parcouru. - L'approche du carnaval. - Montant des frais journaliers. - Distribution dela pièce. - Mort de Molière. - Fondation de la Comédie Française