les ondes en physique de pythagore à nos jours - georges mourier

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INTRODUCTIONLes ondes et les vibrations ont de nos jours envahi tout lespace dans lequel nous vivons, et il ne sagit pas seulement de celles qui transportent les programmes de radio, de tlvision, les messages de nos tlphones portables ; il sagit aussi des ondes de diverses natures qui servent aujourdhui expliquer le comportement de la matire. Celle-ci, jusquici symbole de la solidit et de la permanence, suppose prsente mme lorsque nous ne la regardons pas ou ne la sentons pas, se rvle tout autre aux moyens dinvestigation puissants dont nous disposons : elle manifeste des proprits fugaces, difficilement tangibles, dont certaines sont dcrites par des ondes. Or, lhistoire de la physique nous enseigne que les dbuts de cette science peuvent tre situs il y a environ 2500 ans, avec les premires observations quantitatives sur les oscillations des cordes de la lyre. Lenvahissement de notre espace par les ondes ne sest donc pas produit soudain, mais au cours dun long travail thorique et exprimental, parfois ponctu de crises. Intress ds mon enfance par les phnomnes lmentaires que je pouvais observer, sensible aux beauts des mathmatiques, de la musique, jai voulu plus tard me consacrer des recherches appliques sur les ondes lectromagntiques, tout en dveloppant mes connaissances en physique fondamentale. Cest ce qui ma permis dentrevoir la continuit du dveloppement qui, initi par Pythagore, a tant contribu la physique et aux techniques modernes, et ma donn le dsir dcrire les pages qui suivent.

**Suivant la tradition, Pythagore (env. 570-480 av. J.-C.) dcouvrit que les longueurs de cordes identiques qui mettent des sons consonants sont dans des rapports simples, par exemple de trois deux pour lintervalle que nous appelons une quinte. Cette dcouverte concernait des phnomnes chargs de beaucoup dmotion. Sans doute a-t-on reconnu l un phnomne de rsonance : les motions musicales sont en effet ressenties comme une sorte de rsonance de lauditeur avec linstrument ou avec celui qui en joue. Les nombres ne sont pas non plus affectivement neutres ; ils ont toujours sembl chargs de proprits extraordinaires, voire magiques. Or, Pythagore dcouvrait par ses observations leur rle direct dans un phnomne minemment sensible. Ces rapports numriques constituent une proprit moderne par son caractre gnral et quantitatif. De ce point de vue, rien de comparable ne devait apparatre avant longtemps dans lhistoire des sciences. On ne trouve rien de pareil chez Aristote. Certes, Archimde (287-212 av. J.-C.) conut aussi des lois quantitatives : lgalit de son propre poids et de celui du volume deau quil dplaait, les proprits des leviers. Mais ce furent surtout Galile

(1564-1642) et Kepler (1571-1630) qui, avec leurs lois sur le mouvement des corps, inaugurrent lge scientifique moderne. cette poque, lacoustique connut galement un renouveau spectaculaire. Toutefois, les proprits des oscillations sonores et des ondes qui les transmettent dans lespace ne constitueraient quun chapitre intressant mais limit de la physique si lanalyse mathmatique navait rvl au XVIIe sicle leur parent avec lhydrodynamique et les dformations des solides. Il se constituera sur cette base une physique thorique qui permit de traiter de nombreux phnomnes peu peu dcouverts, en particulier lectriques et magntiques. Elle allait mme, aprs 1860, prdire lexistence des ondes lectromagntiques, et montrer que la lumire est de mme nature. Loptique et llectromagntisme runis constituaient dsormais lun des deux versants de la physique fondamentale, lautre groupant la mcanique et ltude des proprits de la matire. La physique au sens large avait t jusque-l domine par les proprits et les mouvements des corps, et en particulier des astres, celle des ondes couvrait ds 1900 un vaste territoire. Mais les efforts pour runir ces deux versants taient rests vains. En outre, alors que les mouvements des corps sont immdiatement perceptibles, et que la nature des ondes sonores fut comprise de bonne heure comme un mouvement de vibration de la matire, la nature des ondes lectromagntiques restait mystrieuse. En particulier, on appelait ther le milieu dans quel elle se propage, mais on navait attribu aucune proprit prcise ce milieu. Au dbut du XXe sicle, les proprits de la lumire furent avec la radioactivit lobjet essentiel de la physique fondamentale pendant plusieurs dcades. Cette dernire connut plusieurs crises graves, puis de grandes unifications conceptuelles, pour aboutir aux extraordinaires dveloppements thoriques dont chacun entend parler, et aux innovations techniques qui modifirent peu peu notre existence. On sait gnralement que la premire crise fut rsolue par la thorie de la relativit entre 1905 et 1920. Des physiciens cherchaient dterminer les proprits de lther. Einstein raisonnait diffremment et cherchait se reprsenter ce quil observerait sil pouvait voyager assis sur un rayon de lumire. Les premiers firent des expriences probantes quils ne pouvaient expliquer. Einstein aboutit, comme chacun sait, une nouvelle conception de lespace et du temps. Llectromagntisme et la physique de la lumire restrent inchangs, mais la mcanique fut profondment modifie, quoique dune manire qui napparat quaux trs grandes vitesses. La seconde crise survint propos des proprits optiques des atomes et molcules. Les gaz chauds rayonnent ou absorbent de la lumire de certaines longueurs donde caractristiques des atomes quils contiennent. Loin dexpliquer cette proprit, llectromagntisme fournissait des prdictions absurdes. Cest en considrant ces atomes comme les supports dondes dun type inconnu, et de ce fait comparables aux cordes des instruments de musique, que lon parvint fournir une explication. Mais il fallut abandonner

un principe qui avait rgn sur la physique depuis Galile : celui de la continuit dans le temps et lespace. Natura non facit saltus, a dit Leibniz. Ce principe dit que ce qui se prsentera un instant ne peut diffrer beaucoup de ce qui sest pass immdiatement auparavant, que ce qui se passe ici ne peut tre trs diffrent de ce qui se prsente dans le voisinage immdiat. Nanmoins, depuis un demisicle dj, les gaz, les fluides et les solides ntaient plus considrs comme des milieux continus ni uniformes, mais comme des ensembles de petits blocs de plusieurs sortes, tous identiques pour chaque sorte : les atomes et molcules des diffrentes espces chimiques. Plus rcemment, la lumire galement tait apparue comme corpusculaire. Mais les mouvements de toutes ces particules taient toujours considrs comme continus. Lmission ou labsorption de lumire fut attribue des changements internes soudains et imprvisibles des atomes qui, autrement, restent dans un tat de mouvement immuable. Dans la nouvelle physique, linstant de tels changements ne peut tre prvu que statistiquement, et le processus mme du changement ne peut tre observ pendant quil se produit. Le mouvement des particules, comme les rsonances internes des atomes, fut compris comme conditionn par la propagation de certaines ondes dun type nouveau. Une nouvelle et trange mcanique fut dveloppe. Elle renona une vritable description du monde physique et se limita prdire des probabilits, mais elle sortit de la crise avec un pouvoir dexplication et de prdiction considrablement accru : elle fut lorigine de toute llectronique moderne. Les notions dondes doscillation ont jou un rle fondamental dans cette volution.

**Cest de cette belle histoire que jai voulu tracer les diffrentes tapes sous plusieurs aspects. Malheureusement, elle chappe gnralement au public, parce que le comportement des ondes est beaucoup moins intuitif que celui des objets ou mme des substances chimiques, parce que le fonctionnement des appareils lectroniques est aussi trange que leur efficacit est vidente. Dans cet ouvrage, jai cherch prsenter les faits de la physique comme un chercheur peut les percevoir. Un trait, une tude historique ou les biographies des plus grands physiciens prennent des volumes. Jai prfr rassembler, dans la perspective composite qui mest propre, des dveloppements historiques, biographiques, thoriques, parfois exprimentaux ou techniques qui mont paru marquants. Jai souvent favoris un fait ou une personnalit peu connue. plutt que de mtendre sur les plus clbres. Cest pourquoi jai rserv une place particulire Pythagore, qui a jou un si grand rle dans la civilisation occidentale, et qui est si peu connu malgr le grand nombre de tmoignages indirects qui sont parvenus sur lui ainsi que sur ses innombrables disciples.

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Cette histoire se veut en mme temps une introduction la physique quantique, souvent rpute incomprhensible, mais omniprsente dans les techniques modernes. Beaucoup daspects de cette physique si fertile restent obscurs, mais ltude des ondes est une bonne prparation son tude. Je madresse des lecteurs de profils assez diffrents, plus ou moins verss dans la physique ou les mathmatiques. Mon exprience mayant montr que lon est souvent contraint dcouter ou dobserver sans tout comprendre, jai suppos que le lecteur peut accepter ventuellement de faire de mme. Nous ne comprenons pas tous les personnages lorsque nous lisons un roman. Le praticien utilise des traits quil ne comprend gnralement pas entirement. Le lecteur acceptera peut-tre de ne pas savoir utiliser, ni mme comprendre chaque formule mathmatique prsente ici. Les passages thoriques sont les plus difficilement accessibles, semblables des pics ou des cavernes plutt qu des collines ou des replis de terrain. Mais je sais que dassez nombreux lecteurs seraient frustrs si on ne leur prsentait pas au moins la forme que prennent les lois, les thories, ce qui leur permet souvent de trouver une rponse aux questions quils se posent. Jai cherch ce que le texte garde un sens si lon passe les dveloppements mathmatiques, de faon que des lecteurs sans formation mathmatique puissent y trouver leur intrt. Cest pourquoi on trouvera des passages, trs lmentaires ct dautres inaccessibles dassez nombreux lecteurs. Lindex situ la fin du livre doit aider le lecteur comprendre les concepts qui ne lui sont pas familiers Jespre surtout avoir mis en vidence le sentiment sous-jacent et permanent au cours des sicles dun certain ordre de la nature, et de notre rapport avec elle. Jespre aussi que le lecteur aura la fin de cet ouvrage acquis une ide plus proche et moins dsincarne de la science physique, dont les lois sont en constante volution comme nous-mmes ; quil prouvera un plus grand sentiment de familiarit avec le monde scientifique et technique ; enfin, que ces pages lui donneront envie den savoir plus.

TABLE DES MATIRESPremire Partie.Chapitre 1. Des Grecs au Sicle des Lumires De Pythagore Newton Les origines Qui-tait Pythagore ? Pythagore et les cordes vibrantes La rsonance Naissance de la science moderne Lacoustique La lumire La rfraction de la lumire Le premier principe de minimum de la physique La vitesse de la lumire La premire conception ondulatoire de la lumire Les dbuts de la mcanique Les oscillations, mesure prcise du temps La science newtonienne Newton et la mcanique Remarques sur les mathmatiques Le calcul diffrentiel et intgral Technique de la drivation Lintgration Gnralisations Les ondes et le calcul diffrentiel Jean Le Rond dAlembert Regard sur la science aprs Newton Lquation de dAlembert Vitesse de propagation des ondes Les oprateurs 6 6 6 6 9 9 10 10 12 12 12 13 14 15 16 16 16 17 17 19 20 20 21 21 21 22 23 23

Chapitre 2.

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Oprateurs linaires, fonctions propres et valeurs propres Une solution de lquation de dAlembert par les oprateurs linaires Chapitre 3. Oscillations et ondes Multiples solutions de lquation de dAlembert La propagation Les ondes stationnaires ou oscillations La phase Quest-ce quune onde simple ? Extensions de la thorie des cordes vibrantes Les trois dimensions et les symtries Le rayonnement La phase et la distance

23 24 25 25 25 26 28 28 29 30 31 31

lectricit, magntisme, ondes lectromagntiques Prlude la thorie de tout Nouveaux effets lectrodynamiques La thorie lectromagntique Une physique complte ? Chapitre 6. Les oscillations et les ondes dans la physique et la technique Gnralits La domestication des ondes lectromagntiques Les rsonances dans la technique Le bruit Diverses techniques de radiolectricit Modulation et dmodulation De diverses ondes Ondes lastiques dans les solides Ondes de surface ; vitesse de phase et vitesse de groupe Non-linarits dans les ondes Effets de lentille, ondes sismiques Lentilles gravitationnelles Ondes dans les plasmas Les ondes lumineuses La lumire lre quantique : masers et lasers Les hologrammes

43 44 44 46 46 47 47 48 49 50 51 51 52 52 52 53 53 54 54 54 55 55

Deuxime Partie.La matrise de la lumire et de llectricit Fourier et les phnomnes priodiques Jean-Baptiste Fourier Diffrents espaces Sries de Fourier dans un espace born entre 0 et 1 Gnralisation aux fonctions priodiques Nouvelle gnralisation : intgrales de Fourier Lespace et le temps revus par Fourier Restrictions la validit de lanalyse de Fourier Importance de lanalyse de Fourier De Thomas Young Max Planck Lumire, lectromagntisme et physique des ondes Les interfrences ; lexprience dYoung Diffraction des pinceaux ou faisceaux lumineux Le son, la lumire et les spectres de frquences Le spectre du corps noir Lumire et lectromagntisme 32 32 32 34 34 34 36 36 37 37 38 38 38 41 42 42 43 Chapitre 7.

Chapitre 4.

Troisime Partie.Lge quantique ou le monde dcrit par des ondes Retour aux particules et au discontinu Proprits tranges de la lumire des atomes Planck introduit les quanta La mcanique statistique Einstein bombarde la matire avec des quanta de lumire Retour Pythagore 58 58 58 58 59 59 60

Chapitre 5.

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Chapitre 8.

Les atomes, la quantification et les ondes Niels Bohr quantifie les mouvements des particules La mcanique quantique et la mcanique classique Lcole de Copenhague Intervention de Louis de Broglie Les ondes de de Broglie Les ondes de de Broglie existent ! Comment tre simultanment onde et particule La mcanique quantique Erwin Schrdinger et la mcanique quantique Lquation de Schrdinger Les nombres complexes Sries de Fourier complexes Intgrales de Fourier complexes Les nombres complexes et les oscillations Les nombres complexes et les ondes La mcanique de Werner Heisenberg Le principe dincertitude de Heisenberg Quelques chiffres Dirac et Pauli Particules et antiparticules en cosmologie

61 61 62 64 64 65 65 66 66 66 66 67 68 68 69 69 70 70 70 71 72 73 73 74 75 75 76 77 78 78 79 80

Chapitre 11. Le monde quantique La rduction de la fonction donde La mesure suivant Bohr et la conscience Au-del du systme de mesure Statistiques, hasard, probabilits pilogue Appendices APPENDICE I. APPENDICE II. APPENDICE III. APPENDICE IV. Les grands noms de la physique des ondes Sur le calcul diffrentiel Les gammes et le chant des oiseaux Transitions quantiques

81 81 81 82 82 83 84 84 84 87 89

Chapitre 9.

Chapitre 10. Ltat quantique Interprtation de la fonction donde Un problme simple : llectron rflchi entre deux parois parallles Le principe de superposition et la mesure Quest-ce que ltat dun systme quantique ? Les transitions ; le temps quantique Mort naturelle sans vieillissement Incertitude sur la constitution dun systme Le paradoxe du chat de Schrdinger Le paradoxe EPR (1935) Le thorme de Bell. Lexprience dAspect et la non-localit

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CHAPITRE 1

DE PYTHAGORE NEWTONLES ORIGINESQui tait Pythagore ? Pythagore naquit vers 580 av. J.-C. Samos, au large de lactuelle Turquie, en Ionie, ppinire de philosophes et penseurs. On a pu dire quil fut le fondateur de la philosophie, des mathmatiques et de la physique1. Il fonda une cole, presque une religion, qui eut de nombreux adeptes pendant des sicles, peut-tre jusqu notre poque. Platon emprunta beaucoup cette cole. Il est exact que la personne de Pythagore est partiellement lgendaire, mais sr quelle est historique. Pythagore fut, en tant que mathmaticien occidental, prcd par Thals de Milet (env. 635-548 av. J.-C.), galement clbre dans nos coles pour un thorme gomtrique. Partiellement ou totalement phnicien de naissance, Thals voyagea en gypte et Babylone. Il tait connu pour ses explications des clipses et des quinoxes. Les mathmatiques babyloniennes taient trs dveloppes2. Elles comprenaient la rsolution des quations du second degr, mais lart de la dmonstration leur tait peu prs inconnu. linverse de Pythagore, Thals tait de tendance rationaliste, peut-tre athe comme son contemporain Hippon et, dit-on, dmocrate. Il fut compt comme le premier des sept sages . Lart de la dmonstration semble avoir t inconnu Thals. On na sur Pythagore que des renseignements indirects, mais leur nombre considrable tmoigne de limmense influence que lui-mme et ses disciples exercrent3. Ces renseignements sont tardifs et souvent pars, mais nous savons quil a exist des tmoignages dtaills, dont lun aujourdhui disparu, d Aristote (384-322 av. J.-C.). Il se peut que les deux premiers livres des lments dEuclide (450-380 av. J.-C.) viennent directement des pythagoriciens. Comme cet ouvrage reste la base de lenseignement de la gomtrie, on aurait encore l notre poque un contact presque direct avec Pythagore.

PREMIRE PARTIE

DES GRECS AU SICLE DES LUMIRES

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1. Nous utilisons ici largement une courte mais intressante tude sur Pythagore dans louvrage de Singh, qui sest lui-mme bas sur Leslie Ralph : Pythagoras, a short account of his life and philosophy, Krikos 1961. 2. Noreddine Mohammed, Histoire des quations algbriques, Diderot multimedia, 1998. 3. Voir Les prsocratiques, dition tablie par Jean-Paul Dumont, Bibliothque de la Plade, Gallimard, 1988.

Il est sr que Pythagore tudia les sciences des gyptiens et des Babyloniens, que les Grecs tenaient en haute estime. Il est peu prs sr quil a visit lgypte, probablement Babylone et mme lInde. Grands marins, les Grecs vivaient au contact de peuples trs divers. Leur criture est dorigine smitique ; ils furent soumis de trs fortes influences asiatiques, dont certaines sont pour nous de nature mystique , alors quils sont pour nous les pres de la rationalit. Le mythe dOrphe, qui charmait les animaux et mme les puissances infernales par sa lyre, est un exemple de la sensibilit grecque dalors : le charme agissait parce que la musique a un pouvoir universel. Aprs ses longs voyages, Pythagore revint Samos, tombe entre temps sous la coupe du tyran Polycrate, qui chercha sattacher le savant philosophe. Son dessein tait probablement de le neutraliser, car il avait des ides dfinies sur le gouvernement de la cit. Pythagore se rfugia dans une caverne de lle, et eut dabord un seul disciple, apparemment nomm aussi Pythagore, et que, initialement il payait lui mme. Le disciple devint fort brillant et, lorsque le matre jugea linstruction termine, le disciple demanda ce quelle soit prolonge ses frais. Le matre voulut former une cole, mais ses vues sur lorganisation de la socit le firent chasser. Il se fixa Crotone dans le sud de lItalie, alors colonie grecque fertile en bl et galement fconde en penseurs. Il y trouva la protection du richissime athlte Milon. La rputation de Pythagore dans le monde grec tait dj grande, mais celle de Milon la dpassait encore : il avait t douze fois champion des jeux olympiques et pythiques ; de plus, il sadonnait la philosophie et aux mathmatiques. Pythagore put alors tablir une cole, sorte de fraternit pythagoricienne, qui compta, si lon peut croire les chiffres, jusqu six cents membres adonns la rflexion et aux mathmatiques. Non contente de trouver des procds de calcul, la nouvelle cole tablissait des dmonstrations, nouveaut qui deviendra lune des caractristiques de notre civilisation. La dcouverte tait que, ayant pos au pralable quelques dfinitions, postulats ou axiomes, on peut en dduire de faon rigoureuse un grand nombre de vrits ou thormes. Cest en ce sens que Pythagore peut tre considr comme le fondateur des mathmatiques. Les membres de la communaut devaient lui faire don de toutes leurs possessions, comme dans beaucoup de sectes, mais, sils la quittaient, on leur rendait le double de leurs dons. La vie tait austre, lhabillement devait tre simple. Il y avait un certain nombre dinterdits. La fraternit comportait quelques sueurs, dont la belle Theano, fille de Milon, que Pythagore pousa. On pratiquait intensment la musique, en particulier la flte. La communaut tait vgtarienne. Certaines de ses prescriptions ont sembl tranges, comme celle de ne pas manger de fves, parce quelles ressemblent des testicules. Cela illustre la difficult que nous avons nous reprsenter lesprit de cette poque. Lternit de lme et la mtempsychose taient parmi les fondements de la doctrine.

La mtempsychose tait cyclique. La notion de lme tait sans doute trs diffrente de la ntre. Elle tait considre comme une harmonie des tres. Les pythagoriciens avaient une vnration particulire pour Hrakls, intercesseur auprs dApollon, dieu solaire, politique car bienfaiteur de lhumanit (Pythagore veut aider les hommes), astronomique (les douze travaux dHercule renvoient aux signes du zodiaque) et musical (Hrakls est le chef des Muses). Les dcouvertes de la fraternit devaient, par serment, rester secrtes. Peu aprs la mort de Pythagore, lun des membres fut noy pour avoir rvl lextrieur lexistence de lun des polydres rguliers, le dodcadre rgulier, form de douze faces pentagonales rgulires. En effet, les Pythagoriciens sintressrent beaucoup aux cinq polydres rguliers : le ttradre, le cube, loctadre, le dodcadre et licosadre. Ils furent suivis en cela par Platon. Ces dcouvertes restaient en outre anonymes dans la communaut. La rgle du secret et lanonymat expliquent que nous sachions si peu de chose directement sur Pythagore et son cole. Selon une tradition, Pythagore lui-mme aurait noy un disciple qui avait rvl lextrieur lexistence des nombres irrationnels. On croyait cette poque une diffrenciation des fonctions dans la socit. Les Pythagoriciens pensaient que les hommes suprieurs se consacraient ltude de la vrit. Cest chez eux que naquit le terme philosophie , amour de la sagesse. Ils se dmarquaient aussi bien des politiques que des prtres, et cest bien ainsi que Pythagore est le fondateur de la philosophie. Cela ne signifie pas que la communaut tait referme sur elle-mme : elle voulait agir sur la cit, ce qui provoqua de violents conflits Samos, puis Crotone. Les dcouvertes mathmatiques furent considrables. Elles concernaient notamment larithmtique, et notamment certaines proprits des nombres auxquelles on attachait volontiers une signification universelle, on dirait volontiers mystique, si le sens de ce mot tait bien dfini. On sintressait par exemple aux diviseurs des nombres, sujet rest actuel, mais les pythagoriciens cultivaient particulirement les nombres parfaits , cest--dire ceux qui sont gaux la somme de leurs diviseurs. Le premier est 6 = 1 + 2 + 3, le second est 28 = 1 + 2 + 4 + 7 + 14. Viennent ensuite 496, puis 8 128, et une suite apparemment infinie. Les pythagoriciens avaient aussi une sorte de vnration pour le nombre 10 = 1 + 2 + 3 + 4, forme considre comme cratrice. Ils firent une dcouverte majeure pour notre poque, et qui fut trs difficilement admise: il existe des nombres qui ne peuvent tre reprsents par un rapport de deux entiers. Ils comportent donc un nombre infini de dcimales. On les appelle irrationnels. Il est facile de dmontrer que la racine carre de 2 (1,41421356237...) est irrationnelle. Une dfinition rigoureuse de ces nombres nen fut donne quau IXe sicle. Encore cela ne satisfait-il pas tous les mathmaticiens. Il est en pratique impossible dexcuter des calculs

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comportant un nombre infini doprations avec la prcision parfaite laquelle prtendent les mathmatiques. On sait depuis le XIXe sicle quil y a infiniment plus de nombres irrationnels que de rationnels. De nos jours, Pythagore est surtout connu pour le trs important thorme sur les cts des triangles rectangles. Si c est la longueur de lhypotnuse, a et b celles des autres cts, on a : c2 = a2 + b2. Ce thorme possde des gnralisations trs puissantes, bases de la thorie des mesures dans lespace. Cette relation peut aussi tre remplie par des nombres entiers, par exemple 3, 4, 5. Il existe une infinit de groupes de trois entiers de ce type. Ces lments furent certainement rapports par Pythagore de ses voyages, mais il leur apporta un perfectionnement considrable : la dmonstration, qui est pour nous lessentiel des mathmatiques, par opposition aux techniques de calcul qui peuvent tre purement empiriques. Si a et b sont gaux 1, c est gal la racine carre de 2. Voil donc une proprit gomtrique lmentaire qui introduit un nombre irrationnel, alors que les pythagoriciens croyaient le monde rgi par les entiers. Nous verrons quils trouvaient au contraire dans lacoustique confirmation que la nature est rgie par les nombres entiers. Cest dans ce domaine que Pythagore fut le premier physicien scientifique , exprimental et quantitatif. Il fut galement astronome. On dit quil maintenait que la terre est ronde et tourne autour du soleil, deux mille ans avant Copernic. Sur le deuxime point, lhliocentrisme, on verra que sa conception tait sensiblement diffrente de celle de Copernic. Les notions de cette poque taient encore empreintes de chamanisme, une vue trs globale ou holiste du monde, et Pythagore apparat comme un chanon entre ces notions et la science dmonstrative. Il fut aussi un moraliste. On la dcrit1 comme un philosophe essentiellement religieux, tendance mystique, mais aussi comme avant tout politique. Les moralistes et les saints ont souvent des difficults avec leurs contemporains, et Pythagore en connut plusieurs reprises. Il naimait ni les tyrans ni les dmocraties. Sa vie se termina, daprs certains, dans le trouble et la violence. Le tyran de la ville proche de Sybaris, Telys, attaqua Crotone avec 300 000 hommes pour poursuivre des rfugis politiques2. Milon dfendit Crotone avec 100 000 hommes, fut victorieux (510 av. J.-C.) et dtruisit Sybaris. Il laurait inonde en dtournant le fleuve Crathis. Sur ce, les Crotoniens se disputrent le butin. Le peuple craignait que les Frres se taillent la part du lion, et peut-tre leur matre ou certains adeptes firent-ils des efforts dans ce sens. Cela ntait pas conforme leur doctrine, qui tait de ne pas se mettre du ct des dominants

ni du ct des domins, mais dobserver et de comprendre. Peut-tre cherchrent-ils nanmoins tendre leur influence la faveur des troubles. Un certain Cylon, qui autrefois navait pas t admis dans la fraternit pour manque de moyens intellectuels, prit la tte dun soulvement qui assigea la maison de Milon et lcole attenante. Il y mit le feu. Milon put senfuir, mais Pythagore prit dans lincendie. Selon une autre version1, Pythagore et ses disciples furent chasss de Crotone par les dmocrates en 510 cause de leurs tendances litistes. Pythagore se rfugia Mtaponte, dans te golfe de Tarente. Philolaos de Crotone, pythagoricien qui naquit trs probablement aprs la mort de Pythagore, fut combattu par ses condisciples. On dit aussi que lui et un certain Hipparque furent les seuls qui survcurent un incendie allum par Cylon Mtaponte2. Il se rfugia en Lucanie, puis en Grce Thbes, o il fonda une communaut qui ntait pas soumise au secret. Il laissa des crits signs qui sont en majeure partie perdus mais qui ont d se rpandre assez largement : De la Nature et Les Bacchantes, sorte de cosmographie. Philolaos fut probablement la principale source de nos connaissances sur le Pythagorisme. Il eut une grande influence sur Platon et, avec plus de rserves, sur Aristote. Il fut peut-tre lauteur du systme pyrocentrique. Dans sa physique, les quatre lments taient associs quatre des cinq polydres rguliers : le cube a produit la terre ; la pyramide, le feu ; loctadre, lair ; licosadre, leau. Le dodcadre correspondait la sphre de lunivers. Voici une des versions de la cosmologie de Philolaos : cest le feu qui occupe le centre de lunivers. Autour du feu central tournent dix corps divins le ciel et, aprs lui, la sphre des fixes ; les cinq plantes et le soleil, sous le soleil la lune, sous la lune la terre, et sous la terre lanti-terre, ncessaire pour quil y ait dix corps. Voil comment on inventa dj une (grosse) particule par ncessit thorique au VIe sicle av. J.-C. Daprs Diogne Larce, Philolaos prit assassin car on croyait quil aspirait la tyrannie. Mme si une partie des doctrines pythagoriciennes est le fait de ses disciples, Pythagore fut lun des plus grands penseurs de loccident, sinon le plus grand. Le prsent ouvrage est en un sens consacr aux prolongements de la pense pythagoricienne. Celle-ci est plutt un mode de pense universel, quil a exprim avec une vigueur particulire, quune doctrine personnelle. En ce qui concerne la physique, les nombres ont t remplacs dans la science moderne par des structures mathmatiques plus volues, voire par des symtries qui ne sont pas sans rappeler les polydres rguliers.1. Je ne puis ici non plus me fier entirement la version assez dtaille de Singh ou de Leslie Ralph. Jemprunte au chapitre de Bertrand Russell consacr Pythagore dans History of the Western Philosophy, 1946. Nombreuses rditions et traductions. 2. Voir Les Prsocratiques, Gallimard.

1. Voir Encyclopaedia Universalis. 2. Ces chiffres considrables font douter de lexactitude du rcit de Singh. Il est bas en partie sur Diodore de Sicile, historien du premier sicle av. J.-C.

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Pythagore et les cordes vibrantes Nous en venons maintenant la physique. Les Grecs avaient identifi la consonance des intervalles musicaux que nous nommons octave et quinte, ainsi que celle de leurs combinaisons la douzime, la quinzime. Il est certain quils avaient reconnu un phnomne de rsonance aussi bien entre les cordes des instruments de musique, quentre divers phnomnes naturels et les motions des hommes. Orphe avait le pouvoir dagir par sa lyre sur les hommes, les animaux et mme sur les puissances de lEnfer. Les Grecs avaient la notion forte dun certain ordre dans lunivers, et utilisaient ce sujet le terme d harmonie . Le terme signifiait primitivement jointure, assemblage , puis accord, convention , enfin juste proportion , conduisant tous les sens que nous lui donnons aujourdhui.Les philosophes antiques firent partie du monde chrtien jusqu la fin du XIIle sicle. En 1277, les vques de Paris et de Canterbury condamnrent 216 propositions dinspiration averroste ou aristotlicienne dfendues par lUniversit.

de 1 2 pour loctave de 2 3 pour la quinte de 3 4 pour la quarte de 4 5 pour la tierce majeure de 5 6 pour la tierce mineure.

La rsonance Dans le sens gnral, le phnomne de rsonance est la raction particulirement forte dun tre ou dun objet certaines manifestations dun autre tre ou objet. Il a probablement voqu pour les Grecs les motions diverses que suscitent certaines musiques ou mme certaines combinaisons lmentaires de sons. Il prend un sens trs prcis pour les phnomnes vibratoires : la vibration dune corde met en vibration des cordes du voisinage accordes sur certaines notes, de mme que la balanoire prend une amplitude trs forte si lon la pousse en cadence . On attribue Pythagore la dcouverte que la juste proportion est, dans le cas des instruments de musique cordes, effectivement une proportion numrique simple. La correspondance entre les nombres et les phnomnes naturels tait depuis longtemps tablie par lastronomie, mais les nombres impliqus dans cette science ne sont pas simples. Les proprits des cordes introduisent des entiers simples et suggrent que lunivers est conforme une raison mathmatique dont lharmonie musicale est lexpression la plus vidente. Cest ce que, suivant Molire, Monsieur Jourdain apprit de son matre de musique, et cest la conception platonicienne des tres gomtriques comme ides , qui est encore fort rpandue, notamment chez ceux qui cherchent une expression mathmatique unique de toutes les forces de lunivers. Voyons donc plus en dtail quelles sont les observations qui ont servi damorce un courant de pense si puissant. Si lon cherche obtenir une srie de sons consonants avec deux cordes de mme nature et de mme tension, on trouve quil faut leur donner des longueurs dans des rapports simples, par exemple

Par exemple, si lon accorde deux cordes lunisson, et que lon veut obtenir sur la seconde un son qui sonne bien avec le premier, il faut modifier sa longueur dans un rapport simple. Si lon veut obtenir une quinte, il faut rduire la seconde corde de 1/3. Pour un intervalle de quarte, de ut au fa suprieur, ou de sol ut, il faut que les longueurs soient dans le rapport 4/3. La corde la plus longue donne le son le plus bas. Les instruments modernes permettent de modifier aisment la longueur active de la corde sans modifier sa tension : les violons, la guitare permettent dobtenir toutes les notes au-dessus de celle quelles donnent vide, en limitant la longueur utile entre un doigt et le chevalet, la partie situe entre le doigt et la cheville ntant pas excite. Les rapports ci-dessus permettent de dterminer la place des doigts, que linstrumentiste sait trouver dinstinct ou laide des sillets sur la guitare. Les intervalles caractriss par des rapports infrieurs 6/5 ne sont pas reconnus comme consonants notre poque, quoiquils soient trs frquemment utiliss. Nous nous dlectons de la tierce, qui fut encore considre comme dissonante au moyen ge, alors que lon avait prfr jusque-l loctave et la quinte, qui nous donnent une impression de vide. Quoi quil en soit, les pythagoriciens dfinirent les gammes musicales par des rapports mathmatiques. En effet, allant plus loin, on dfinit de nouveaux intervalles par des combinaisons dintervalles tablis. Ainsi, lintervalle de tierce mineure, qui est de 6/5 suivant les donnes ci-dessus, est obtenu en retirant une tierce majeure dune quinte. La loi est quil faut traduire les intervalles par des rapports et non pas des diffrences: (3/2) / (5/4) = 12/ 10 = 6/5 De la mme manire, on obtient un ton en soustrayant une quarte dune quinte, ce qui scrit, toujours en rapports: (3/2) / (4/3) = 9/8 Cette magie des nombres et de leur correspondance avec un art aussi puissant motionnellement que la musique fit une impression dautant plus profonde quelle fut nourrie par le dveloppement prodigieux des mathmatiques, des sciences exactes et de leurs applications techniques. Il faut apprcier la signification des lois pythagoriciennes. On peut se demander si elles concernent de faon fondamentale la structure de lunivers, car les instruments de musique ne se trouvent pas dans la nature. Ils sont fabriqus par lhomme, avec des cordes aussi homognes que possible. Cest donc notre propre cration que nous tudions l, et o

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nous trouvons des proportions en nombres simples. Nulle part dans la nature, on na trouv de cordes vibrantes, ni dailleurs de nombres simples, sans lintervention de lhomme. Quinze cailloux trouvs sur la plage ne sont pas le nombre quinze. Les oiseaux, qui sont dexcellents musiciens, nont pas dcouvert par eux mmes ces intervalles magiques doctave, quinte, tierc ; certains ls ont appris d nous ; la plupart ls ignorent. Alors que nous croyons dchiffrer lunivers, cest nous-mmes que nous regardons dans un miroir. Mais il n faut pas pousser la modestie trop loin : toute cette dmarch est cratrice. Cest bien l une caractristique essentielle d lhomme. Et, aprs tout, lhomme est crateur parce quil est une partie d la nature, qui est cratrice.On pourra vrifier les lments numriques que nous avons donns sur une guitare ou un violon. Sur une corde de sol, par exemple, on obtiendra la srie de notes suivante en faisant rsonner successivement la corde, sa moiti, son tiers, etc. : sol sol r sol si r L L/2 L/3 L/4 L/5 L/6 On peut aussi bien mesurer la longueur de la corde pour chacune de ces notes, cest-dire la distance du doigt ou du sillet au chevalet. Une exprience quivalente consiste mesurer la longueur des tuyaux des instruments vent. Elle ne peut tre faite sur une flte, car il existe un effet de trou qui fausse les longueurs, mais sur les tuyaux dun orgue, ou sur la note grave de diverses fltes.

Galile (1564-1642) fit beaucoup dobservations fondamentales, relates et discutes dans ses Discorsi e dimostrazioni matematiche intorno a due nuove scienze attenenti alla meccanica e i movimenti locali , publis Leyde en 1638. Il perut le son produit par les cordes comme une oscillation comparable celle du pendule et il introduisit la notion de frquence : si les sons sont plus ou moins aigus, cest quils correspondent des oscillations rgulires diffrentes frquences. La frquence est le nombre dallers et retours par seconde, par exemple 440 pour le la de notre diapason officiel. Elle se compte en Hertz ou oscillations par seconde. La frquence est linverse de la priode T, dure dun aller et retour (T = 1/f). Galile observa que la frquence dun systme oscillant ne dpend pas de lampleur ou plutt amplitude de son mouvement. Il est exact quelle dpend trs peu de lamplitude tant que celle-ci est petite. Il conclut quelle nen dpend pas du tout, mme pour les grandes amplitudes . Nous attribuons tort Galile la dcouverte de lisochronisme des petites oscillations. Ses mesures de temps taient trs imprcises, et il avait une tendance la gnralisation, ce qui est un des principes de la science : si lon ne gnralisait pas, on ne pourrait jamais rien prvoir. Ltude des petits mouvements ou perturbations est devenue une des approches principales de la physique thorique, lapproche linaire. Mais Galile ntait pas parvenu au point o limportance de cette dmarche pouvait se rvler.Robert Fludd (1574-1637), alchimiste anglais, entretint une controverse avec Johannes Kepler (1571-1630) au sujet du monocorde cosmique . Sur une gravure du temps, lunique corde de linstrument, accorde par la main de Dieu, est divise conformment aux notes de deux octaves. Les intervalles infrieurs correspondent aux quatre lments traditionnels : terre, eau, air, feu. Puis viennent la Lune, Mercure, Vnus, le Soleil, Mars, Jupiter, Saturne, la vote des toiles, et des espaces suprieurs. Les rapports simples des intervalles musicaux sont ceux reconnus par Pythagore, mais la comparaison avec les rapports des orbites des plantes, ncessaire pour obtenir une vue globale de lUnivers, est lointaine. Dans la mesure o les alchimistes cherchent une analogie entre des phnomnes diffrents grce des rapports mathmatiques, leur dmarche est dj celle de la science classique.

NAISSANCE DE LA SCIENCE MODERNELacoustique Limportance considrable donne par ls Grecs la musique fut conserve dans la philosophie et ls religions au moins jusqu la Renaissance. On a donc beaucoup d traits sur la musique. Diverses gammes lgrement diffrentes furent proposes et utilises, souvent avec lide d trouver la seule bonne, et par l d trouver une cl d la comprhension d lunivers et d la plac que lhomme y occup. En mme temps, on cherchait des rapports numriques dans dautres phnomnes naturels, et ls priodes ou ls orbites ds plantes taient un champ d recherches activs. Kepler (1571-1630) tira ds observations astronomiques d Tycho Brah (1546-1601) ls trois lois qui portent son nom. Elles sont ls bass sur lesquelles Newton devait tablir la loi d la gravitation et confirmer celle d la dynamique1. Mais, dans ses ouvrags d 1609 et 1619, limportance est donne aux rapports entr ls orbites quil crut avoir trouvs aprs beaucoup defforts et quil interprta comme lharmonie cleste, la cl d lunivers.1. Voir en particulier Jean-Marie Vigoureux, Les pommes de Newton, Diderot Multimedia,1997.

Dans louvrage cit, Galile dcrit de faon correcte comment la frquence f dpend des caractristiques de la corde : elle est inversement proportionnelle sa longueur L et la racine carre de sa masse linique (tant de kilogrammes par mtre de corde, dans nos units internationales actuelles), et proportionnelle la racine de sa tension F, qui est une force, exprime maintenant en Newtons ; cette unit vaut environ (le poids la surface de la terre dune masse de) 102 grammes. Ces rgles sexpriment par la formule suivante, condition dintroduire un coefficient, suppos ici universel, que nous dsignerons par a :

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Galile, bon musicien, considre les intervalles musicaux doctave et de quinte exclusivement, conformment la stricte tradition pythagoricienne, alors que la gamme de Zarlino et mme la gamme tempre taient dj proposes de son temps.Labb Marin Mersenne (1588-1648), de lordre des minimes, tait le condisciple et lami fidle, parfois encombrant, de Descartes. Thologien, philosophe, mathmaticien, physicien, il tait partisan du travail scientifique collectif. Il fut le correspondant scientifique de nombreux savants, dont Hobbes, Gassendi, Fermat, Galile, Torricelli, Beeckmann. Il fonda lAcademia Parisiensis (1635), moule de la future Acadmie royale des sciences. En tant que mathmaticien, il attira lattention sur la courbe dite cyclode, la clbre roulette propos de laquelle Pascal sillustra. Bon exprimentateur, il tudia la rsistance des solides, lcoulement des fluides, les instruments de musique et effectua en 1636 la premire mesure de la vitesse du son grce leffet dcho.

Le pre Marin Mersenne (1588-1648) contribua considrablement la cration de lacoustique scientifique moderne. An et ami de Descartes (15961650), thologien, mathmaticien, il tait pratiquement le correspondant du monde scientifique europen, lpoque o il nexistait gure dautres publications quorales ou pistolaires, et peu de traits. Il accomplit un travail considrable sur les instruments de musique, en particulier lorgue, leurs principes, leur facture. Il semble quil connaissait les lois de la frquence des cordes avant la publication de Galile. Il publia en 1636 un important trait Harmonie Universelle. On voit sur le frontispice Orphe et sa lyre coute par divers animaux et il est clair que Mersenne se situe partiellement mais consciemment dans la tradition grecque, rattache lorphisme et au pythagorisme. Il est vident quil dsirait en mme temps perfectionner un instrument de glorification de son Dieu.Un thme dinspiration orphique se retrouve jusque dans le frontispice de lHarmonie universelle (voir illustration de couverture) de Marin Mersenne (1588-1648), lun des plus remarquables acousticiens de tous les temps. Cet auteur, moine de lOrdre des Minimes, a cit sous la gravure un extrait du Psaume 70 : pour te clbrer, mon Dieu, et ta fidlit, sur la cithare, je jouerai pour toi, Saint dIsral. (traduction TOB). Le Pre Mersenne, condisciple et ami fidle de Descartes, fut le correspondant scientifique de toute lEurope avant les fondations de la Royal Society en 1660 et de lAcadmie Royale des Sciences en 1666.

Il utilisa systmatiquement la notion de frquence pour lanalyse de la musique, ce que nous pouvons prciser en reprenant le tableau des longueurs des cordes consonantes dj donn propos de Pythagore, en ajoutant cette fois les frquences: sol sol r sol si r L L/2 L/3 L/4 L/5 L/6 f 2f 3f 4f 5f 6f La grandeur f varie selon la corde, conformment la formule donne cidessus. La proprit importante est que non seulement ces rapports simples donnent des intervalles consonants, mais aussi que cette srie de sons peut tre obtenue avec une seule corde : ce sont les sons harmoniques. Les intervalles successifs sont : octave, quinte, quarte, tierce majeure, tierce mineure. On passe loctave suprieure ou infrieure1 en divisant ou en multipliant la longueur de la corde par 2. Lintervalle doctave entre deux notes est considr comme tellement consonant que lon donne le mme nom aux deux notes en question. Si la note grave ou son fondamental est le sol grave du violon, f vaut 440/(9/8), soit environ 391 par seconde, on dit 391 s-1 ou 391 Hertz. La frquence est donc caractristique de la note, dont le nom est indpendant des autres caractristiques de linstrument telles que dimension, timbre ou sonorit.Calculer les frquences des uts partir de la frquence du la et de lintervalle de tierce mineure.

Galile et Mersenne navaient pas les moyens thoriques de dterminer le coefficient a par le calcul, mais les mesures auraient montr que, exprim dans notre systme dunits ou dans tout autre systme cohrent , il vaut 1/2. Comme on utilisait des pouces ou des pieds, des livres, bref un systme qui nest pas cohrent , on ne pouvait pas obtenir une telle valeur simple, indice de quelque processus simple, comme on le verra plus loin. Avec les tuyaux dorgue, la relation est plus simple parce quils sont tous remplis du mme air, indpendamment de leur diamtre ou mme, peu de choses prs, de la position gographique de linstrument : f vaut environ 170/L pour les jeux de fond , qui sont de simples fltes, et 85/L pour les bourdons , dont une extrmit est ferme. Lut 1 de 66 Hertz demande un tuyau denviron 2,55 m. Il est nomm un tuyau de 8 pieds (8).

Mersenne tait un bon exprimentateur. Il fut le premier dterminer la vitesse du son, ainsi que les frquences sonores.

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1. Voir lappendice III

Sur un piano, on reprera les touches de la srie de notes ci-dessus. On enfoncera doucement celle de la note la plus basse, la fondamentale, de manire soulever ltouffoir sans activer le marteau. On attaquera alors successivement les notes suprieures de faon brve. chaque fois, on entendra le son de la note frappe prolong par la corde grave : celle-ci est entre en rsonance. On vrifiera que toute autre note frappe nexcite pas de rsonance. On pourra aussi constater que, rciproquement, les notes suprieures indiques sont excites lorsque lon attaque la plus grave. Sur une guitare, il sera facile dobserver loeil les oscillations dune corde grave lorsque lon attaque de la mme faon lun de ses harmoniques sur une autre corde.

La rfraction de la lumire On voit facilement que la lumire se dplace en ligne droite, avec rfraction sur les surfaces limitant des milieux diffrents. Un bton oblique immerg partiellement dans leau semble bris. Cest ce phnomne que traita Descartes (1596-1650) dans sa Dioptrique (1637), o lon trouve la fameuse loi de la rfraction (dcouverte auparavant par le Hollandais Willebrod Snell (15911626) ds 1621 mais non publie) : un rayon lumineux change de direction en passant dun milieu transparent dans un autre, par exemple en pntrant dans leau ou dans le verre, et de mme en sortant. Le changement de direction seffectue suivant une caractristique de chaque milieu appele lindice de rfraction, gnralement dsign par n. Peu de temps auparavant, les instruments doptique taient apparus : Hans Lippershey (1570-1619) prsenta en 1608 une lunette au parlement de Hollande. Le principe, qui rsulte de la combinaison de deux lentilles montes aux extrmits dun tube, se rpandit. En 1609, Lippershey construisit le premier microscope par une autre combinaison de deux lentilles. La lunette atteignit Venise en 1610 et Galile en construisit immdiatement une que, le premier, il utilisa pour lobservation astronomique. En quelques heures, il fit quelques dcouvertes fondamentales : les montagnes sur la lune, deux satellites de Jupiter, les phases de Vnus, la nature de la voie lacte. Il fallait que Galile soit un exprimentateur et observateur tout fait exceptionnel. En effet, si ses lunettes atteignaient un grossissement de 30, elles taient trs peu lumineuses, trs sensibles aux vibrations, entaches de dformations et daberrations chromatiques (irisation au bord des objets) et donnaient des images secondaires par rflexion : une vitre laisse passer la lumire, mais prsente aussi un effet de miroir. Ces images secondaires sont faibles, mais elles faisaient dire que les images taient fabriques par la lunette. Cette lunette avait comme oculaire une lentille divergente, comme nos jumelles, et ninversait pas limage. Galile utilisait les lentilles de faon purement empirique, alors que lastronome et mathmaticien allemand Johannes Kepler (1571-1630) dcrivit en 1611 le tlescope rfraction, form de deux lentilles convergentes et donna une thorie de son fonctionnement. Ces tlescopes inversent limage. Cest grce la courbure des surfaces vitreuses que la rfraction peut faire converger diffrents rayons en un seul point et former une image. Vers 1650, loptique applique tait bien dveloppe et multipliait nos possibilits dobservation, bien que la nature de la lumire elle-mme ft ignore. Le premier principe de minimum de la physique Sur le plan thorique, Fermat (1701-1765), auteur dun fameux thorme qui ne put tre dmontr que rcemment apporta une remarquable contribution loptique. Pour dterminer les trajets des rayons lumineux, il ne se contente pas de les suivre pas pas comme Kepler ou Descartes ; il considre une quantit qui caractrise tout le parcours dun rayon de lumire depuis son point de cration M celui dobservation N. Il pose en principe

Les violonistes utilisent ces proprits pour obtenir les sons harmoniques, qui appartiennent la srie ci-dessus. Sur chaque harmonique, la corde vibre sur plusieurs fuseaux spars par des points immobiles ou noeuds. Le nombre de fuseaux est donn par lordre : 2 pour 2f, 3 pour 3f, etc. On illustrera plus loin ces divers modes doscillation (fig. 2a). Elle peut vibrer sur toutes ces rsonances la fois et donner toutes les notes, et cest ce qui donne le timbre . Les trs bons musiciens, et les accordeurs, peuvent reconnatre les diffrents sons lmentaires mis par une corde. Ce mode doscillation simultane sur plusieurs notes sera appel plus tard superposition linaire , et ce sera une des cls de la thorie quantique, qui tudie les atomes, les molcules et autres particules.Une corde de piano qui donne le lai (442 Hertz) a une longueur de 30 cm et un diamtre de 1 min. La densit de lacier est dans le Systme International de 7 700, soit 7 700 kg par m3. Calculer la tension de la corde avec le coefficient a = 1/2. On obtiendra la valeur en newtons.

La lumire La lumire fut de tout temps un objet de fascination. Selon la Bible, ce fut la premire cration dlohim. Euclide traita de loptique (llle sicle av. J.-C.). Vers lan 1000, Ibn Al-Haytham (Alhazen) publia un trait de dioptrique qui traitait de la rfraction, des proprits des miroirs, bref de la marche des rayons (optique gomtrique), mais les consquences pratiques, sil y en eut, ne sont pas connues. En occident, la dioptrique fut reprise principalement par Kepler, Snell, Descartes. Lide que la lumire est vibratoire apparut bientt. Quoiquoppos cette ide, Newton observt la dispersion de la lumire par le prisme, qui fait sortir de la lumire blanche un morceau darc-en-ciel, y distingua sept couleurs et les compara aux sept notes de la gamme. La dioptrique permit de construire de nombreux instruments de plus en plus perfectionns. La nature ondulatoire de la lumire ne fut confirme que vers 1800. Loptique occupe une large place dans lhistoire des vibrations et des ondes.

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que, parmi tous les parcours que lon peut envisager, celui que suit le rayon lumineux rend cette quantit minimale ou, dans certains cas, maximale. Cette quantit est maintenant exprime par lintgrale : o ds est un lment infinitsimal de longueur du trajet, et n lindice de rfraction locale, qui dans le cas le plus gnral varie suivant chaque point de lespace. Fermat ne connaissait pas le calcul vritablement infinitsimal de Newton et Leibniz. Il considrait une suite de milieux dindices ni, le rayon lumineux ayant dans chacun deux, entre les surfaces rfractrices, une longueur si. La somme est, suivant le principe, minimale pour le parcours effectif du rayon. Ce principe a pour consquence la loi de Descartes. Il jouera ultrieurement un grand rle dans le dveloppement de la physique thorique. Il a souvent t compris comme un principe dconomie de la nature, voire comme lexpression dun certain finalisme. Il est li au fait que les lois de la dynamique nont pas de direction prfrentielle pour le temps : en chaque point, le rayon se comporte daprs ce qui va se passer jusquau point N (futur) aussi bien que daprs ce qui sest pass depuis le point M (pass). La vitesse de la lumire Venons-en la propagation. Il a t jusquici question surtout doscillations, vibrations, rsonances. Les chos, le tonnerre montrent que le son ne se propage pas immdiatement. Galile tenta de mesurer la vitesse de la lumire en masquant des lanternes et conclut que, si elle nest pas instantane, elle doit tre trs grande.

un temps de rvolution denviron 42,5 heures. Les heures doccultation sont parfaitement connues Greenwich ou Paris. Calcutta ou Cuba, on peut savoir lheure de Greenwich en observant une occultation, ce qui permet de dterminer la longitude locale et de dresser des cartes. Cest pourquoi les astronomes Cassini, Picard et Rmer1 observrent les mouvements de Io avec prcision. Ils dtectrent des irrgularits de quelques minutes, que Rmer attribua au temps de propagation de la lumire. La distance de la Terre Jupiter pendant une opposition (positions T1 et J1 de la Terre et de Jupiter), est plus courte que lors dune opposition (positions T2 J2, 200 jours plus tard). La diffrence est gale au diamtre de lorbite terrestre.

n1s1 + n1s1 + n1s1

La vitesse de la lumire fut dtermine pour la premire fois en 1676 par lastronome danois Olaus Rmer (1644-1710). Ctait un vnement trs important, car on pensait gnralement que la propagation est instantane. Louis XIV et Colbert avaient depuis peu fond lAcadmie des Sciences et lObservatoire de Paris. Ils attiraient les savants trangers, dont Jean Dominique Cassini (1625-1712), qui organisa lObservatoire partir de 1671. On observa soigneusement les satellites de Jupiter, qui sont des horloges naturelles visibles partout de la terre par beau temps et certaines heures, et dont les occultations derrire Jupiter se produisent des instants assez prcis. Cela fournit aux marins, en labsence dhorloges prcises, un moyen de dterminer la longitude laquelle ils se trouvent. Olaus Rmer, assistant de Cassini, trouva des irrgularits dans les mesures et les interprta de la manire suivante : la terre et Jupiter tournent autour du soleil des vitesses fort diffrentes et leur distance varie constamment. Elle est minimale lorsque les deux plantes sont en conjonction, maximale lorsquelles sont en opposition, et un trac lmentaire montre que la diffrence est gale au diamtre de lorbite terrestre. En divisant cette distance par le dcalage en temps, on obtient la vitesse de la lumire. Rmer2 estima le dcalage environ 11 minutes et en dduisit la vitesse denviron 210 000 km.s-1. Les valeurs sont plus proches de 1640 et 300 000 km.s-1. Rmer avait donc obtenu l ordre de grandeur et il avait tabli un phnomne physique de premire importance.Le Danois Olaus Rmer (1644-1710), lve de Erasmus Bartolin, fut distingu par labb Jean Picard (1669-1670), qui avait mesur un arc de mridien entre Abbeville et Paris en 1971, et qui se rendit au Danemark pour reconnatre les restes de Uranieborg, lobservatoire de Tycho Brah. Attir Paris, Rmer donna la premire dtermination de la vitesse de la lumire. Il retourna Copenhague en tant que prfet de police, charg notamment de surveiller la prostitution et la mendicit. Cela ne lempcha pas de construire vers 1702 le premier thermomtre points fixes (conglation et bullition de leau), dont Fahrenheit eut connaissance, ainsi quune lunette mridienne pour tablir lheure avec prcision, et enfin un observatoire priv.1 2 Remy Lestienne, Les fils du temps, causalit, entropie, devenir, Presses du CNRS, 1990. Voir Astronomie, sous la direction de Philippe de la Cotardire, Larousse, 1994.

Figure 1. Mesure de la vitesse de la lumireLa mesure du temps devint fiable au XVIIe sicle, grce aux horloges balancier de Huygens. Dautre part, les satellites de Jupiter sont dexcellentes horloges naturelles car leurs occultations derrire cette plante sont parfaitement rgulires. Le plus proche, Io, a

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La premire conception ondulatoire de la lumire Francisco Maria Grimaldi (1618-1663), mathmaticien, philosophe et astronome jsuite de Bologne crivit vers 1650 ce qui fut peut-tre le premier trait doptique physique, publi en 1665 sous le titre Physicomathesis de lumine, coloribus et iride aliisque adnexis libri II1. Dans ce trait, il dfend une thorie ondulatoire de la lumire, dclare que la lumire ne va pas toujours en ligne droite et dcrit des expriences de diffraction sur une tige et sur un instrument bien connu des opticiens et des spectroscopistes, le rseau. Le grand chimiste et physicien anglais Boyle (1627-1691), prcurseur de Lavoisier et premier dcouvreur de la loi de Mariotte , dfendit lhypothse ondulatoire aprs avoir observ les irisations des lames minces dhuile que lon peut voir sur un sol mouill. Celles-ci forment parfois des anneaux concentriques colors qui ressemblent aux ronds dans leau , part le fait quils sont immobiles. Puis eut lieu la mesure de la vitesse de la lumire par Olaus Rmer. Entre temps, Newton fit de nombreuses expriences sur la lumire. Il rpta les expriences de Grimaldi, mais nen fut pas pour autant gagn la cause ondulatoire. Sa dcouverte de la dcomposition de la lumire blanche par le prisme provoqua de grandes discussions la Royal Society, en particulier avec Robert Hooke (1635-1703). Newton en garda une profonde amertume qui empcha ou retarda toutes ses publications. Le trait Opticks napparut quavec vingt ou trente ans de retard, en 1704. Certaines des observations de Newton sont pour nous des preuves de la nature ondulatoire de la lumire, en particulier les anneaux de Newton , familiers tous ceux qui ont plac un ngatif photographique au contact dune plaque de verre. Newton prfrait une thorie de lmanation corpusculaire de la lumire . Il y a l un a priori philosophique2. Il se fondait aussi sur le simple que la propagation de la lumire est rectiligne alors que le son, qui tait reconnu comme une onde, contourne les obstacles. Les expriences sont souvent difficiles interprter. Cette position dun homme si minent freina ltude physique de la lumire pendant plus dun sicle.

Le Hollandais calviniste Christiaan Huygens, personnalit ouverte et attachante, fut un des fondateurs de la mcanique thorique et sut lappliquer au perfectionnement des horloges et des chronomtres. Grce une lunette perfectionne, il observa la vritable forme des anneaux de Saturne, son satellite Titan (1656), et la surface de Mars. Il formula, inspir par la mesure de la vitesse de la lumire par Rmer, une thorie de la propagation des ondes qui se retrouve jusque dans llectrodynamique quantique. Il tait lun des dixneuf membres fondateurs de lAcadmie Royale des Sciences fonde en 1666, quil quitta la promulgation de ldit de Nantes.

La mesure de Rmer inspira Christiaan Huygens (1629-1695) une thorie de la propagation incomplte, qui devait nanmoins inspirer beaucoup de physiciens jusqu nos jours. Pour lui, chaque point qui reoit un signal dune source lumineuse se comporte luimme comme une source pour ceux qui en sont plus loigns. Lors de la propagation, il y a donc une infinit dondes minuscules engendres par tous les points de lespace atteints par londe. Par analogie avec le son, Huygens percevait clairement la lumire comme une vibration, de nature inconnue bien sr, correspondant quelque mouvement des corps. Par un argument gomtrique, il produisit une construction gomtrique pour expliquer que les ondes lmentaires sajoutent exactement le long dune propagation rectiligne en milieu homogne, ce qui nest pas le cas dans les directions latrales. Cette thorie lui permit dtudier la propagation dans des milieux trs divers et non uniformes, et dexpliquer les proprits optiques tranges des cristaux.

Les ondes sont dcrites comme des manations de particules. Nous en retenons que les points BbbhbG de londe sphrique mise en A mettent leur tour des ondes sphriques qui se composent pour former une nouvelle onde sphrique DCEF. On peut expliquer la rfraction par une surface qui spare deux milieux o la vitesse de propagation est diffrente, et ainsi toute loptique gomtrique

La construction dHuygens1. Francisco Maria Grimaldi, Trait de la lumire, des couleurs et de larc-en-ciel et dautres questions connexes, en deux livres. 2. manation, du latin manare, scouler. Le dictionnaire nous apprend que lmanatisme est une doctrine indienne de lmanation des principes des tres partir du principe divin, les principes mans tant infrieurs, et sources dautres manations. Cette doctrine fut reprise par la cabale, par Plotin, et condamne par le christianisme comme contraire au crationnisme.

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Huygens eut dautres pressentiments gniaux : il attribua les proprits des cristaux une anisotropie due leur structure atomique rgulire. Son trait contient des diagrammes qui sont probablement les premires reprsentations graphiques datomes, et en tire des consquences correctes.

o les proprits sont diffrentes en chaque point, et o nanmoins celles des points voisins sont lies mais diffrentes. Les techniques mathmatiques qui lont permis sont connues sous le nom de calcul diffrentiel et intgral. Comme elles furent inventes pour rsoudre des problmes de mcanique, il nous faut faire une brve incursion dans le domaine de cette science.La double rfraction dcouverte en 1669 par le Danois Erasmus Bartolin dans le spath dIslande tait pour Huygens la preuve de la structure anisotropique des cristaux, quil expliqua par une structure ordonne des atomes. Ce schma, publi en 1690, fut prsent Paris ds 1678. Cest probablement la premire reprsentation dun arrangement atomique qui garde toute sa valeur aujourdhui. Lhypothse atomique ne fut pleinement admise quau dbut du XXe sicle.

Les dbuts de la mcanique Sur le plan exprimental, le renouveau de la mcanique sappuie sur les travaux de deux exprimentateurs gniaux. Le Danois Tycho Brah (1546-1601) fit, avec des instruments de principe lmentaire, des observations sur les mouvements des plantes suffisamment prcises pour mettre en dfaut la thorie de Ptolme (Ile sicle ap. J.-C.). Cette thorie tait utilise depuis des sicles pour les prdictions astronomiques. Galile (1564-1642) tudia, de faon quantitative, la chute des corps. On lui conteste le titre de fondateur de la mthode exprimentale, mais il est sr quil en fut un pionnier, quil y excella et quil sut allier ses rsultats de mesure ses mathmatiques assez rudimentaires. Ses observations astronomiques apportrent peu sur le plan quantitatif. Dailleurs, il ne reconnut pas la valeur de celles de Tycho Brah. Sa mcanique est donc principalement terrestre. Le point important pour nous ici est que Galile sut rendre compte dun mouvement vitesse variable : Il dcouvrit que la vitesse dun corps en chute libre est proportionnelle au temps coul. On appelle acclration la variation de vitesse par unit de temps. Dans la chute libre, rsistance de lair mise part, lacclration est constante. Comment peut-on alors calculer exactement de quelle manire varie lespace parcouru en fonction du temps? Galile rsolut ce problme par un procd graphique. Si le temps est compt depuis le dpart au repos, lespace parcouru est proportionnel au carr du temps. Ces travaux furent publis de 1602 1609, juste avant lapparition de la lunette astronomique. Sur le plan thorique, ce fut Johannes Kepler (1571-1630), mathmaticien, astrologue et astronome, philosophe et physicien, qui au prix dun travail de calcul inhumain, tira des mesures de Tycho les trois lois fondamentales qui portent son nom : les plantes dcrivent des ellipses dont le soleil est un foyer (1609) ; les rayons qui les relient au soleil balaient des aires gales en des temps gaux (1609); les cubes des grands axes des ellipses parcourues par les plantes sont proportionnels aux carrs des temps de rvolution (1619). La premire loi tait aussi rvolutionnaire que la thorie de Copernic car elle liminait les combinaisons de cercles complexes avec lesquelles Ptolme dcrivait les mouvements des plantes. Or, les cercles taient depuis les Grecs symboles de perfection et ce qui tait cleste ne pouvait tre que parfait. Il a t pour Kepler trs difficile, tant sur le plan du calcul que sur le plan spirituel, de se rsoudre admettre une courbe aussi impure que lellipse.

Structure dun cristal, daprs Huygens Il attribua galement lmission de la lumire des mouvements dsordonns des particules dans les corps chauds.

On peut comprendre daprs cette figure comment les rayonnements des points dune bougie se superposent pour former un front donde .

Rayonnement lumineux dune flamme, daprs Huygens Mais il semble que personne ne savisa alors quune onde peut se reprsenter mathmatiquement comme une alternance de quantits positives et ngatives, comme peuvent le suggrer les crtes et les creux des vagues. Il peut y avoir dans certaines directions une addition de toutes les ondes partielles des deux signes, et dans dautres une annulation : cela explique la diffraction observe par Grimaldi. On aurait pu ainsi anticiper de plus dun sicle la dmonstration de Thomas Young (1802). Complte par cette notion mathmatique, la conception de Huygens est devenue lune des plus importantes de la physique. Elle est reste jusqu nos jours un mode de pense, base de beaucoup de raisonnements en physique des particules. Pour analyser la propagation avec efficacit, il fallait pouvoir traiter des milieux continus,

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La loi de la chute des corps aussi bien que les lois de Kepler introduisent des mouvements relativement complexes. Les mathmatiques de Kepler et Galile taient insuffisantes. Newton, sappuyant sur ces travaux de mcanique ainsi que sur les outils mathmatiques dvelopps par Descartes, accomplit le pas de gant dont les consquences transformrent la science occidentale. Les oscillations, mesure prcise du temps Descartes (1596-1650), Huygens (1629-1695), Leibniz (1646-1716) firent aussi dimportantes contributions la mcanique. En particulier, Huygens fournit lexpression de la force centrifuge, corrigea lnonc de Galile sur les oscillations en le limitant aux petites oscillations. Il construisit des horloges dune prcision considrablement amliore, synchronises sur un balancier, puis sur un oscillateur ressort spiral. Ce principe, qui fut utilis dans nos montres jusqu linvention du transistor, amena un progrs considrable dans la mesure du temps. Les consquences pour la navigation furent importantes. Huygens fit aussi quelques observations astronomiques ; il dcouvrit la structure en anneaux de ce que Galile avait dcrit comme des anses de Saturne. Huygens tait assez diffrent des autres savants. Comme Descartes et Leibniz, il voyagea et sjourna ltranger, rencontra beaucoup de savants. Mais il navait pas comme la plupart dentre eux un caractre difficile. Galile aimait la polmique et se plaisait ridiculiser ses adversaires, trait qui ne contribua pas dans une petite mesure ses clbres malheurs, ajout la haine et la mauvaise foi de certains de ses adversaires, aux circonstances politiques, enfin la nouveaut du mode de pense quil proposait. Descartes tait gnralement fort civil, mais ne croyait quen lui-mme1. Tous les tmoignages reprsentent Newton comme extrmement ombrageux et mfiant. Huygens savait au contraire reconnatre les mrites des autres, mme sil tait en complet dsaccord avec eux sur certains points essentiels. Il rejetait la thorie corpusculaire de la lumire laquelle Newton tait si attach, mais il reconnaissait publiquement la valeur de ses travaux sur la composition de la lumire. Il donnait de la loi de la rfraction une explication diffrente de celle de Descartes, mais correcte, et reconnaissait la valeur des contributions du philosophe franais en physique, sensiblement plus modestes que les siennes. Huygens (1629-1695) fut le plus grand physicien du sicle aprs Newton. Il fut un des premiers membres de lAcadmie des Sciences franaise. Protestant, bien quinvit rester, il partit lors de la rvocation de ldit de Nantes.

CHAPITRE 2

LA SCIENCE NEWTONIENNENEWTON ET LA MCANIQUENewton fit la jonction entre le ciel et la terre, entre la mcanique cleste de BrahKepler et la mcanique terrestre de Galile, comme lillustre lpisode de la pomme de Newton . Cest l attraction universelle qui permit cette jonction. Cet pisode est peuttre lgendaire, bien que confirm par la nice de Newton, Catherine Barton, mais il rsume bien lacte inventif qui permit cette jonction. Sur le plan mathmatique, un problme considrable se posait. On tait amen considrer des forces de comportement assez variables : lattraction terrestre uniforme convenait pour la physique de Galile, mais comment traiter les effets des forces de gravitation qui changent partout de direction autour des plantes ? Une certaine aide tait fournie par la Gomtrie de Descartes (1596-1650), parue la mme anne que le Discours de la mthode, en 1637, quelques mois aprs Le Cid de Corneille (1606-1684). Cet ouvrage tendit considrablement un certain domaine des mathmatiques : en reprsentant les courbes du plan par des quations algbriques, on ntait plus limit par la droite, le cercle, les coniques. Cet outil tait indispensable pour dcrire des phnomnes dapparences trs diverses. Descartes lutilisa pour dcrire entirement des figures gomtriques par des quations. Newton lutilisa pour dcrire entirement une situation physique par des quations. Il tablit les lois du mouvement des corps, cest--dire la mcanique, et les appliqua principalement lastronomie, plus spcialement au systme solaire, dans son ouvrage historique, Principes mathmatiques de la philosophie naturelles1. Lauteur tant dgot de publier cause de critiques qui lui avaient t adresses lors de ses exposs sur la lumire et sa dcomposition par les prismes, cet ouvrage ne fut publi quen 1687 par les soins diligents et dsintresss de Halley, celui qui par ailleurs donna son nom une comte dont il prdit assez exactement le retour. Halley obtint sans peine l imprimatur du prsident de la Royal Society , Samuel Pepys, connu pour ses mmoires personnels trs dtaills. Les Principes mathmatiques sont peut-tre la plus grande cration de lesprit humain dans le domaine scientifique. Newton lui-mme, professeur de mathmatiques Cambridge, tait un personnage trs difficile, de laveu mme de ses amis. Loin de se limiter aux sciences exactes, il tait1. Isaac Newton, Philosophiae naturalis principia mathematica, 1687.

1. Genevive Rodis-Lewis, Descartes, Calmann-Levy, 1995.

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intensment intress par lastrologie, lalchimie et la thologie. Dans cette matire, il tait unitarien1, et dut le cacher pendant toute sa vie. Il tait non seulement un mathmaticien et un thoricien (ce qui est trs diffrent) exceptionnel, mais aussi un des grands exprimentateurs et constructeurs dinstruments de lhistoire des sciences, notamment en optique. Il tait avant tout physicien et ne vit gure dans les mathmatiques autre chose quun outil pour la physique. On a toujours su quil se livrait des activits que nous qualifions dextrascientifiques, mais on a refus de les connatre rellement, jusqu ce que le grand conomiste J. M. Keynes (1883-1946) publie une premire tude sur ce sujet. On en a maintenant consacr de nombreuses, et on a souvent adopt le point de vue que ces activits ont en fait t un moteur pour sa contribution immense la science moderne. Les Principes sont peu prs totalement dbarrasss de toute rflexion de tendance mystique. Ils sont au contraire un modle de la pense des temps modernes. Ils sont bass sur le calcul diffrentiel, mais la prsentation est gomtrique2 et de ce fait gnralement difficile suivre pour un lecteur du vingtime sicle. Elle a naturellement t depuis remplace par la forme analytique : celle des quations. peu prs en mme temps que Newton, et indpendamment, le mathmaticien, philosophe mtaphysicien et diplomate allemand Leibniz (1646-1716) inventait le calcul diffrentiel et intgral sous une forme diffrente, quivalente, mais plus explicite et plus souple. Les entourages intervenant, il en rsulta une triste et violente querelle, des accusations de plagiat qui ntaient nullement fondes. On utilise maintenant essentiellement le langage de Leibniz pour prsenter le calcul diffrentiel et la dynamique Newtonienne. Newton commena par donner des dfinitions aussi claires que possible de la vitesse, la masse, la quantit de mouvements , qui est leur produit, la force dinertie, la force applique, la force centrifuge, le temps et lespace absolus. Il nona alors trois lois ou principes du mouvement Tout corps reste dans son tat de repos, ou en mouvement uniforme en droite ligne, moins quil ne soit contraint changer cet tat par des forces qui lui sont appliques. Cest ce que lon appelle le principe dinertie, dj nonc par Giordano Bruno (15481600) et dautres, puis par Galile, sous une forme incorrecte, corrige par Descartes3.1. Newton rejetait le dogme de la Trinit, ce qui tait particulirement insupportable de la part dun professeur duniversit. Il tait probablement le seul professeur laque Cambridge. 2. Le laurat Nobel Richard Feynman, David L. et Judith R. Goodstein ont prsent le raisonnement de Newton dans The Motion of Planets around the Sun, W.W. Norton & Cy 1996, traduit par Marie Agns Treyer, Le mouvement des plantes autour du soleil, Diderot Multimdia, 1997. 3. Jusqu Descartes, on considrait le mouvement circulaire comme inertiel, cest--dire libre ou naturel, car les plantes se dplacent ( peu prs) en orbites circulaires. Galile ne croyait pas lattraction gravitationnelle, dj envisage.

Tout changement de mouvement est proportionnel la force motrice applique ; et il seffectue dans la direction de la droite suivant laquelle cette force est applique. Cest la fameuse loi de lacclration, f = m ou f = ma, suivant la notation prfre. chaque action est toujours oppose une gale raction ; et les actions mutuelles de deux corps lun sur lautre sont toujours gales, et diriges en sens inverse. Cest la loi dite de laction et de la raction. Pour mettre en oeuvre des principes aussi gnraux, ne spcifiant a priori aucune disposition particulire dans lespace, il fallut Newton inventer cette technique nouvelle de calcul qui allait devenir pour plusieurs sicles non seulement le langage prfr de la physique thorique mais aussi lun des principaux outils des mathmatiques : le calcul diffrentiel et intgral. La physique des ondes est entirement tributaire de cette mthode de calcul, quil sagit des ondes sonores, des vagues de la mer, des ondes de radio, de radar, de tlvision, ou de celles de la mcanique quantique. Cest pourquoi nous invitons le lecteur rafrachir ses notions sur ce sujet sil est besoin, ou de faire un effort pour au moins en comprendre la nature, sinon pour le matriser. Remarques sur les mathmatiques Une mathmatique exacte pour dcrire approximativement des phnomnes physiques: cest, direz-vous, ce que font constamment les mathmatiques alors que lon ne peut additionner que des grandeurs semblables, on compte des carottes qui ne sont pas toutes identiques, on mesure la surface dun champ qui nest pas plan, on parle dun cylindre de mtal qui porte la trace de loutil qui la faonn. Les tres mathmatiques ne dcrivent jamais exactement les situations auxquelles on les applique. Une mathmatique exacte prophtique? Pythagore avait-il vu juste? Ltude, si superficielle soit-elle, de ces mathmatiques exactes ne serait daucun intrt pour le lecteur de ces pages si elles ne dcrivaient une ralit dont on dcouvrira plus tard des exemples, dans les phnomnes lectromagntiques dabord, puis dans la physique quantique ensuite. Lorsque nous en arriverons l, nous pourrons nous demander sil nexiste pas vraiment un monde idal la Platon et des correspondances pythagoriciennes mystrieuses entre les nombres et la ralit. Ces questions restent jusqu nos jours dautant plus troublantes que ces mathmatiques idales, loin dtre un simple jeu de lesprit, sont la cl de la plupart des techniques qui sont en train de changer la face du monde. Le calcul diffrentiel et intgral Cest pour lui permettre dapercevoir les aspects mathmatiques de la physique que nous proposons au lecteur les pages suivantes sur le calcul diffrentiel et intgral, que vous pourrez ignorer, ou bien parcourir, ou bien tudier dune faon presque scolaire.

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Les lois de Newton ne parlent que du changement de mouvement. tant donn un certain tat, elles prdisent ltat qui suivra immdiatement. Que veut dire le mouvement qui suivra immdiatement ? Comment dfiniton linstant qui suit immdiatement le prsent? Cette notion drangea beaucoup de mathmaticiens et de philosophes ds le dpart. On admettra facilement quune voiture en pleine acclration, se dplaant un instant donn de 30 mtres en une seconde, naccomplira pas exactement un dplacement de 30 millimtres en 30 millisecondes, parce que sa vitesse varie en gnral pendant la seconde considre. On veut donc faire des estimations dans les temps les plus courts possible, des cent millionimes de secondes par exemple. Pendant des temps aussi courts, on peut simplement faire des rgles de trois pour trouver les variations. Le calcul diffrentiel et intgral dfinit comment effectuer ces rgles de trois (technique des drives) et comment on peut faire la somme des infiniment petits (techniques dintgration). Le terme infiniment est dailleurs impropre, on devrait dire : aussi petits que vous le demanderez, mais en fait toujours finis, cest--dire, prcisment, pas infiniment petits. Venons-en au formalisme. On considre des positions et des vitesses des temps trs voisins, et qui ont donc des valeurs trs voisines, ne diffrent que par de petites diffrences, que lon nomme diffrentielles . On les caractrise en plaant la lettre d devant le symbole de la grandeur en question, par exemple dt pour une trs petite variation de temps, dv pour une variation de vitesse, dx pour une variation de position. Il ne sagit videmment pas dune multiplication par d. Galile avait compris une chose qui ntait certainement pas vidente la plupart de ses collgues : la vitesse dun corps en chute libre varie constamment et elle sobtient chaque instant en divisant un trs petit espace parcouru par le temps correspondant. Comme la vitesse varie pendant ce temps, lopration nest pas facile. Avec les conventions du calcul diffrentiel, on peut crire cette opration :

expliques dans lappendice II. Ainsi sexplicite la dfinition de la force donne par Newton : il considra quelle est proportionnelle lacclration quelle produit et la quantit de matire acclre, plus prcisment une caractristique de cette quantit, la masse, dfinie comme le produit de la densit par le volume1 :

f=ma

Comme le mouvement nest pas en gnral rectiligne, il faut crire une quation semblable dans chacune des trois dimensions, avec trois composantes de dplacement, trois de vitesse, trois dacclration et de force, ce que rsu- mera plus tard la notation vectorielle, indique en plaant des flches horizontales au dessus de ds, dplacement le long de la trajectoire, de composantes dx, dy, dz, ainsi quau dessus de v, a et f. La masse reste un scalaire (nombre ordinaire) : elle na pas de direction ; celle-ci est contenue dans la dfinition vectorielle des grandeurs :

Lintroduction de ces notions galilennes et newtoniennes reprsente des pas de gants. Galile rompait avec une culture en saffranchissant des notions dAristote officiellement admises, en lespce, de celle quune force accompagne ncessairement et constamment tout mouvement. Newton donnait un sens prcis la force au moyen dune galit, gnratrice dun procd de calcul et dune mthode de mesure2. Ce sera le modle de toute description de nouveaux phnomnes. Par exemple, si lon considre une route de montagne, on pourra appeler h laltitude, s la distance compte le long de la route, en pousant ses sinuosits et on crira :

dh = p ds ; p =

v = dx/dt

dh ds

On appelle acclrations les variations de vitesse, et lon dfinit la grandeur acclration , note a ou , comme la variation de vitesse divise par le temps correspondant. Rien de plus facile avec la notation diffrentielle, quelle que soit cette variation sur un temps prolong. Ce que lon crit sapplique un instant dtermin :

ce qui dfinit la pente p dans des units appropries. Si p = 0,015 cela veut dire que la route monte de 1,5 mtre sur 100 mtres. Mais si la pente augmente vite, comme au dbut dune cte, il vaudra mieux dire 1,5 centimtre pour 1 mtre et, si lon est trs pointilleux, 1,5 millimtre pour 10 centimtres. On voit pourquoi il faut en toute rigueur passer la limite:

a = dv/dtPour combiner les deux oprations, il faut crire : Par convention, on note cette double opration :

a = d(dx/dt)/dt a = d2x/dt2

d2x nest pas un carr ; cest une variation de variation de longueur. Au contraire, dt2 est un carr car on a divis deux fois par un intervalle de temps. Ces distinctions sont

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1. Je suis ici la formulation des collges. Les noncs de Newton, donns plus haut dans notre traduction, dfinissent la quantit de mouvement p = mv et expriment sa loi sous la forme f = dp/dt. Cette forme est quivalente si la masse est constante, mais plus gnrale : elle sapplique aux fuses, qui jectent de la matire, et elle est correcte en thorie de la relativit. Il semble y avoir l une intuition gniale de Newton. En tout cas, il prfra utiliser une variable dynamique, p, plutt que a qui est une variable cinmatique. 2. Voir Cosmopolitiques /1, Linvention de la mcanique, I. Stengers, La dcouverte, les empcheurs de penser en rond, 1997.

20 mtres de distance, la pente peut tre de 0,017. Cest ce passage la limite que lon exprime en plaant des d devant les symboles des grandeurs variables. En gnral, on donne les pentes en pour cent ; dans lexemple ci-dessus, on doit alors crire p = 15 (%) et, en gnral : dh = 0,01 pds On dit souvent que la drive est une pente, ce que lon voit sur un graphique. Au sommet dune montagne douce ou un col, laltitude est maximale, la pente nulle. Au sommet mme dun pic, la pente nest pas dfinie, mme si elle lest sur les flancs immdiats. Il faut maintenant savoir comment manier ces diffrentielles et ces drives. Elles prennent leur sens grce la notion de fonction : les fonctions sont toutes les expressions algbriques que Descartes a introduites dans sa Gomtrie, et bien dautres encore. La variable peut tre une coordonne x, ou toute grandeur autre. On considre que le temps t, disons la variable t peut prendre toutes les valeurs numriques, avec autant de dcimales quil faut, et qu chaque valeur correspondent des valeurs de x, y, z, et des composantes correspondantes de v et a. On peut tracer des courbes de ces grandeurs en fonction de a. On a vu que Galile a trouv que la hauteur de chute z dun corps est proportionnelle au carr du temps de chute, et sa vitesse proportionnelle au temps. On crira :

Lorsque lon multiplie une fonction par une constante, sa drive est multiplie par la mme constante. On vient de voir un exemple de ce thorme. On montrera sans peine que la drive dune somme de fonctions est la somme des drives de ces fonctions. La drive dune constante est videmment nulle. Pour donner une ide de la diversit des situations, le cas de la masse pendue au ressort pourra tre trait par les familiers de la trigonomtrie lmentaire, ou laide du tableau ci-dessus des fonctions et drives. Partant de : ils trouveront :

x = h cos 2 nt

v = -2 nh sin 2 nt 2c = g

a = -(2n)2 h cos 2 nt

Dans le cas de la chute, on trouve une relation entre les constantes: Suivant la dynamique Newtonienne, tous les corps sont soumis dans leur chute une force verticale f = ma = mg, qui est due lattraction gravitationnelle terrestre. Galile navait pu voir cet aspect de force. Il pensait que ctait une proprit intrinsque des corps. Dans le cas de loscillation, on trouve que lacclration varie dans le temps comme la position, mais avec le signe contraire et une proportionnalit au carr de la frquence n. Lacclration tant gale la force divise par la masse ; on trouve une caractristique des mouvements oscillatoires : ils sont dus une force proportionnelle et de signe inverse au dplacement. Ces exemples montrent que le calcul diffrentiel peut fournir rapidement, sans calcul numrique, des rsultats importants dans une tude physique. Voici quelques rsultats de drivation importants :

z = c t2

v=gt

o c et g sont des constantes. Pour un corps qui oscille, pendu au bout dun ressort, on aura :

z = h cos 2 nt

o n est la frquence doscillation : le nombre dallers et retours par seconde. Technique de la drivation Si z est une fonction de t, il en est de mme de dz/dt, que lon appelle la drive de z par rapport t. Une autre fonction est d2z/dt2, drive seconde de z par rapport t. Prenons le cas de la chute libre de Galile. On crira, daprs les dfinitions des diffrentielles :

z = c t2,

z + dz = c (t + dt)2

Un peu dalgbre :

dz = c (t + dt)2 - c t2 = c (2 t dt + dt2) dz/dt=c(2t +dt)

Ici sexplicite le passage la limite, qui est la variation infinitsimale comme les diffrentielles doivent tre prises aussi petites que lon veut, on est en droit dcrire :

dz / dt = 2 c tOn remarquera que la constante c est reste sans changement son poste, continuant multiplier les grandeurs du monme o elle se trouve. Voil la technique de drivation. On en dduit trois thormes importants :

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Suivant un des thormes noncs plus haut, on peut ajouter toutes les fonctions une constante sans que les drives soient changes Lintgration Il nest pas suffisant de trouver, comme nous lavons fait, des proprits gnrales des lois, si intressantes soient-elles. Les lois de Newton ont la simplicit, la gnralit, la beaut de la gomtrie grecque, mais elles ne contiennent que les drives ou les drives secondes des grandeurs qui nous intressent : vitesses et positions. Il faut trouver les fonctions dont elles donnent les drives. Si une fonction quelconque de x, que lon notera F(x), a pour drive f(x), on dit que F(x) est une primitive de f(x). Si lon ajoute une constante F(x) on obtient une autre primitive de x, car la drive dune constante et nulle. Lexamen de la situation physique permet souvent de dterminer la constante ce sera par exemple la hauteur de laquelle on a laiss tomber un corps. Lorsque la constante est fixe, la primitive devient une intgrale . Le calcul intgral a la rputation dtre difficile. Il est possible, sur ordinateur, si lon ne cherche pas dexpression littrale de lintgrale. Autrement, il est en gnral impossible: il nexiste pas de technique permettant de trouver directement lexpression littrale de la primitive dune fonction. On prend donc un chemin dtourn : on prend une table de drives de fonctions connues, et lon y cherche la drive intgrer. En somme, on lit le tableau cidessus lenvers :

points pourvus de masse. On dveloppa ensuite aussi bien ces mthodes de calcul que leur application dautres corps tels que les fluides et les fils. Ce fut louvre de Leonhardt Euler (1707-1783), des Bernoulli, tous suisses, et du Franais dAlembert (1717-1783). Ces physiciens mathmaticiens soccuprent notamment de la dynamique des fluides. On considre les coordonnes X, Y, Z, de chaque lment, disons de chaque molcule de fluide en fonction du temps, les composantes des vitesses u, v, w, en chaque point en fonction du temps. Ainsi u, v, w, sont des fonctions de ces variables, que lon ne suppose pas ncessairement connues a priori et que lon explicite seulement en crivant :

dX/dt = u = u (x, y, z, t) dY/dt = v = v (x, y, z, t) dZ/dt = w = w (x, y, z, t)X, Y, Z sont les coordonnes dun lment matriel, mais x, y, z sont des repres gomtriques qui ne sont attaches aucun lment physique. Par exemple, on tudie le courant dune rivire. Le liquide a en chaque point une vitesse, qui dpend de la position du point et ventuellement du temps. Les trois composantes de la vitesse sont donc des fonctions de x, y, z, t, conformment aux trois quations ci-dessus. On voudra trouver ou dcrire comment varient ces composantes dans la section de la rivire, perpendiculaire x, axe principal dcoulement. Pour cela, on calculera la drive par rapport y (ou x) en maintenant x (ou y) et z constants. Par convention, pour spcifier quune seule variable varie, on crit la drive avec des ds ronds :

primitive

fonction de x

Cela consiste donc inverser le problme , mthode souvent fconde en mathmatiques. GNRALISATIONS Ces mthodes possdent une versatilit sans aucun rapport avec celle des formules algbriques. Cest pourquoi elle permit Newton aussi bien ltude de la chute des corps sur terre que celle des mouvements des plantes. Lexplication des trajectoires elliptiques des plantes introduites par Kepler restait un grand mystre. Newton la fournit : ctait la force dattraction universelle et sa variation inversement proportionnelle au carr de la distance Il put de mme prdire laplatissement de la terre aux ples, expliquer les mares. Toutefois, linteraction de plusieurs plantes, qui obit naturellement aux mmes quations, demanda et demande encore des perfectionnements considrables des mthodes mathmatiques. Les lois sont simples. Leur mise en oeuvre mathmatique prsente des difficults insouponnes. Ces rsultats ne cessrent de provoquer lenthousiasme et la foi dans la science, la croyance dans le dterminisme, exalte lorsque, en 1846, lastronome Galle (1812-1910) trouva la plante Neptune annonce, sur la base de calculs, par Le Verrier (1811-1877). On traita dabord le mouvement de corps bien localiss que lon peut assimiler des

u xOn dveloppa ainsi le calcul par les quations aux drives partees . Par exemple, on montre quun fluide incompressible, tel que leau, obit lquation :

u v w + + =0 x y zSous forme condense, cette uation scrit encore, par convention :

div V = 0

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On lit : la divergence du v