les nouvelles méthodes de navigation durant le moyen age

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Les nouvelles m´ ethodes de navigation durant le Moyen Age Michel Com’Nougue To cite this version: Michel Com’Nougue. Les nouvelles m´ ethodes de navigation durant le Moyen Age. Autre. Conservatoire national des arts et metiers - CNAM, 2012. Fran¸cais. . HAL Id: tel-00819271 https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00819271 Submitted on 30 Apr 2013 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destin´ ee au d´ epˆ ot et ` a la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publi´ es ou non, ´ emanant des ´ etablissements d’enseignement et de recherche fran¸cais ou ´ etrangers, des laboratoires publics ou priv´ es.

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  • Les nouvelles methodes de navigation durant le Moyen

    Age

    Michel ComNougue

    To cite this version:

    Michel ComNougue. Les nouvelles methodes de navigation durant le Moyen Age. Autre.Conservatoire national des arts et metiers - CNAM, 2012. Francais. .

    HAL Id: tel-00819271

    https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00819271

    Submitted on 30 Apr 2013

    HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.

    Larchive ouverte pluridisciplinaire HAL, estdestinee au depot et a la diffusion de documentsscientifiques de niveau recherche, publies ou non,emanant des etablissements denseignement et derecherche francais ou etrangers, des laboratoirespublics ou prives.

    https://hal.archives-ouvertes.frhttps://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00819271

  • COLE DOCTORALE ABBE GREGOIRE

    Histoire Techniques Technologie Patrimoine

    THSE prsente par : Michel COMNOUGUE

    soutenue le : 29 novembre 2012

    pour obtenir le grade de : Docteur du Conservatoire National des Arts et Mtiers

    Discipline/ Spcialit : Histoire des Techniques

    Les Nouvelles Mthodes de Navigation

    durant le Moyen Age

    THSE dirige par :

    GUILLERME Andr Docteur s lettres, Professeur au Cnam

    RAPPORTEURS :

    BOUILLON Didier HDR. Professeur, Ecole du Paysage de Versailles

    BENOIT Paul HDR Professeur mrite, ENS Architecture de Nantes

    JURY :

    PENEAU Jean-Pierre HDR. Professeur mrite. ENS Architecture de Nantes

  • 2

    Rsum : Les nouvelles mthodes de navigation durant le

    Moyen Age

    Le navire de commerce voile est propuls par le vent et doit donc suivre cette direction

    gnrale. La navigation peut se dfinir selon un aspect dabord stratgique comme le choix

    dune route en tenant compte des contraintes imposes par le vent et un aspect tactique

    concernant le trac et le contrle, en cours dexcution de cette route.

    1-La navigation vue.

    1-Dans un premier temps, la navigation antique ne se rfre quau seul vent qui est le moteur

    mais aussi le guide du navigateur pour suivre la route fixe par lobservation des traces quil

    imprime sur la mer. Cest la navigation vue. La limite de la mthode est atteinte quand le

    vent devient changeant au large, ce qui oblige alors une vrification de la direction par

    lobservation des astres.

    2-La mise au point de lestime.

    2- Lapparition de laiguille aimante rsout en partie ce problme. Lorientation

    gographique entraine la mise au point, la fin du XIIIe

    sicle, dune nouvelle mthode :

    lestime. Lestime est la rsolution graphique des problmes que pose le contrle de la route

    choisie. Cette rsolution suppose, dune part, lusage de la boussole et dune orientation

    gographique et, dautre part, une analyse vectorielle sur un support la carte marine qui est

    donc indissociable de la mthode Le plus gros dfaut de lestime est que les positions sont

    dfinies par projection dans le futur de paramtres, cap et distances parcourues actuels. Des

    diffrences sont donc prvoir qui entrainent une zone dincertitude sur le point estim.

    3-Les dbuts de la navigation astronomique, hauteurs arabes et mridiennes

    portugaises.

    3- Lorsquau dbut du XVe sicle les navigateurs se lancent dans linconnu, obligs de

    suivre le vent qui dcrit des boucles, les voyages sallongent sans voir la terre pour une

    confrontation avec des positions avres. La taille des zones dincertitude obligent le

    navigateur a prciser sa position finale par dautres mthodes bases sur des observations

    astronomiques. On peut distinguer deux mthodes : Tout dabord, la mthode des hauteurs de

  • 3

    polaire, de 1433 1480 environ, qui permet de finaliser la volta et deffectuer un atterrissage

    selon une route Est-Ouest. Lanalyse de la technique nautique de Colomb, quin utilise cette

    mthode, est trs semblable celle dcrite par Ibn Majid dans son trait de navigation. Il est

    probable quil y a eu transmission sans pouvoir prciser les circonstances exactes.

    Mais ds que les navigateurs franchissent lquateur la polaire devient indisponible, les

    navigateurs doivent observer le soleil. Cette deuxime mthode est plus dlicate car les

    paramtres du soleil changent chaque jour. Ils obligent donc le navigateur calculer

    la :latitude, partir de lobservation de la mridienne de soleil et par lusage de tables des

    donnes solaire : os regimentos do sol. Cest cette mthode qui permet Vasco da Gama de

    doubler le cap de Bonne Esperance, en 1498, ce qui marque la fin de la priode tudie.

    Conclusion.

    Pour conclure il faut remarquer que ces deux dernires mthodes sont le fruit dune

    coopration entre les usagers et les scientifiques sous lgide du pouvoir, dcid atteindre le

    but fix. Cest donc le fruit dune vritable recherche scientifique.

    En second lieu, il faut galement noter que les progrs de la navigation accompagnent des

    progrs parallles en architecture navale, le gouvernail dtambot, ainsi que de nouvelles

    procdures dans le commerce maritime. Ltude des interactions entre ces divers domaines

    reste faire.

    Mots Cls:

    Navigation vue. Aiguille aimante. Estime. Portulan. Hauteur de polaire. Volta. Mridienne

    de soleil. Latitude. Regimentos do sol. Edrisi. C.Colomb. Ibn Majid. Vasco da Gama.

  • 4

    Rsum:

    New Navigational Methods during the Middle Ages

    A sailing vessel is pushed forwards by the wind in the general direction towards it is blowing.

    Navigation should comply with strategic goals: i.e. the choice of a route to a port of

    destination, taking into account this wind constraint. A tactical aspect is involved when

    following this route and checking, the entire voyage long, the good guidance of the ship.

    Part I- navigation by visual contact.

    1-In the first ages of navigation, the mariner is referring to the sole element at his disposal: the

    wind. It gives him elements for the direction to choose, if it is a convenient time for sailing

    and also it supplies the means of checking and controlling the course of the ship, by

    observation of the marks it is printing on the surface of the sea. Variable wind is the limit of

    this method. In this case, only sky observation can give an indication of the direction to

    follow.

    Part II- Dead reckoning Navigation.

    2- The finding of the magnetic needle solves this problem and from this new tool, a new

    navigation method is implemented, around the end of the XIII.th century. Dead reckoning is

    a way to determinate ships position at any moment, using a vector analysis for solving

    graphically the problems that checking the chosen course can induce. This graphical method

    is using the compass indications and needs necessarily using a marine chart. The main

    problem of dead reckoning is that, using present data to reckon future positions , any error in

    assessing these data supposes an uncertainty in this position. Correction of the route is

    necessary by verifying with actual land falls. Longer the voyage without such confrontation

    and bigger the uncertainty zone to be faced.

    Part III- The beginning of astronomical navigation, Arab polar depth and Portuguese

    meridians.

    3-In the beginning of the XV.th century, Portuguese mariners started to run the open ocean.

    They had to follow the wind which runs along a long loop across the ocean, la volta.

    Therefore running in the open seas, without any land to be seen, in order to check the actual

    position, obliged mariners to elaborate new methods based on astronomical observations in

    order to reduce the size of this uncertainty zone, when arriving to the landing point. A first

  • 5

    method is based on the observation of the pole star depth; between the years 1433 to 1480. It

    is based on observation of the pole star depth. Analysis of C. Columbus nautical art shows

    similarities with the written work of Ibn Majid, his contemporaneous Arab nautical expert.

    Crossing the equator line made the polar star not available any more. Therefore, the method

    had to be changed and the second method involved sun observations. This is more complex as

    the sun data are changing every day. Therefore mariners had to reckon the latitude, using the

    observations of the meridian line and using of sun data tables: the so called regimentos do sol.

    Through this method Vasco da Gama was able to reach the Indian Ocean after passing the

    Cape of Good Hope. This closes the period of this study.

    Conclusion.

    The conclusion should take into account the fact that these astronomical methods were not

    entirely empiric but the result of a joint research of users, mariners and scientists. This

    endeavor was made possible because a central power, the Infant first , then King Joao II,

    were willing to proceed more south and gave their mariners the technical means to do so.

    A second conclusion observes that progress of navigation were accompanied by parallels

    progresses in naval construction and maritime new contracts and ways of handling

    commercial matters. There are surely interactions between these three domains, but we have

    still to put them into evidence.

    Key words:

    Visual landmarks navigation. Magnetic needle Compass. Dead reckoning. Nautical chart. Pole

    star depth. Volta.Meridian line position. Latitude. Regimentos do sol. Edrisi. C.Colomb. Ibn

    Majid. Vasco da Gama.

  • 6

    Table des matires

    Rsum de la Thse (Version franaise). p .2

    Rsum de la Thse (Version anglaise). p. 4

    Table des matires. p. 6

    0-Introduction gnrale p.18

    0-1 Intrt du sujet. p. 21

    0-2 Limportance de la question dlimite la priode. p, 23

    0-3 Limites gographiques. p. 24

    0-4 Limites de contenu. p. 24

    A- Manuvre et navigation. p. 24

    B- Commerce et transport maritime. p. 25

    C- Histoire maritime et Histoire navale. p. 28

    D- La galre. p.30

    E- Le navire de charge. p. 31

    F- Ambigut des types de navires, galres, gales et navires mixtes. p. 34

    G- La gale. p. 36

    H- Autres navires mixtes, le linh. p. 40

    0-5 La mthode. p. 43

    0-6 Les sources. p. 44

    A- Les chroniques. p. 44

    B- La littrature gnrale. p. 45

    C- Le rcit de mer. p. 47

  • 7

    D- Les sources juridiques. p. 48

    E- La littrature professionnelle. p. 51

    0-7 Justification du plan, p. 54

    Premire partie la navigation vue

    1-0.Introduction la navigation vue p. 72

    Le vent, le moteur et le guide.

    1-0.1 Aller la voile, p. 58

    1-0.2 Naviguer avec le vent, p. 63

    1-0.3 Naviguer malgr le vent, p. 67

    1-0.4 Chercher un vent favorable, p. 72

    Chapitre Premier

    La base de la navigation vue, la navigation ctire.

    1-0.Introduction, dfinitions. p. 76

    1-1.1 Les sources, p. 80

    A- Ibn Hawqal, le prcurseur. p. 81

    B- Edrisi, lve dIbn Hawqal. p. 83

    1-1.2 Edrisi, un guide de la navigation selon son texte. p. 87

    A- Lutilisation des brises thermiques en navigation ctire. p. 89

    B- Le reprage par rapport la cte. p. 94

    C- On suit la cte sans sinquiter du cap. p. 95

    1-1.3 Le problme des distances, p. 98

    A- Arpenter la mer en galre. p. 99

    B- Edrisi mesurait-t-il en milles romains ou arabes ? p. 103

  • 8

    1-1.4 Conclusion. Les limites de la navigation ctire. p. 105

    Chapitre 2

    Naviguer contre le vent.

    1-2.1 Les Sources. p. 109

    1-2.2 La navigation nilotique, p.110

    A- Naviguer avec le courant p 111

    B- La solution antique. p. 112

    1-2.3 Mettre en panne, p. 117

    1-2.4 Remonter au vent, p. 119

    A- Louvoyer, sa signification, p. 124

    B- Les anciens la manuvre. p. 125

    C- Le capitaine Amarantos et le lof pour lof, selon Synsios. p . 128

    D les anciens et le virement, vent devant. p. 130

    1-2.4 A dfaut de louvoyer, il faut pourtant remonter au vent, p. 134

    1-2.5 Conclusion. Grements carrs, grements latins, origines et diffrences. p.139

    Chapitre 3

    1-3.0 La navigation vue, navigation hauturire. p.146

    1-3.1 Les Sources. p. 149

    a- Le Priple de la Mer Erythre. p 150

    b- Le voyage du marchand Suleyman. p. 153

    1-3.2 Traverser au portant. Lallure et le cap. p.156

    1-3.3 Atterrir. p. 160

    A- Atterrissage par tentatives itratives. Les silences dibn Jubayr. p. 160

  • 9

    B- Atterrissage au terme dune traverse en droiture, latterrissage selon le Priple. p.161

    C- En ce qui concerne le document sur le voyage en Chine. p.164

    1-3.4 Arriver : la dimension temps. p.169

    1-3.5 Conclusion. p. 174

    1-4.0 Conclusion de la premire partie

    Les limites de la mthode. p. 179

    1-4.1 La source, le voyage de Paul. p. 180

    1-4.2 Le texte de Luc., p. 181

    1-4.3 Exemplarit du texte de Luc et conclusion. p. 193

    Deuxime partie : linvention de lestime. p. 196

    2-0. Introduction p. 197

    -Des problmes urgents se posent. p. 198

    -Se reprer dans lespace. p. 198

    -Mmoriser les routes. p. 199

    -Dfinition des termes. p . 201

    -Le problme historique de lestime, origine et datation. p. 201

    Chapitre Premier.

    2-1.0 La navigation scandinave. Les nordiques sur la route de lOuest, p. 203

    2-1.1 La navigation scandinave soriente sur les points cardinaux. p 207

    A Les sources, p. 208

    B Les mthodes de la navigation ctire, p. 208

    2-1.2 La ligne Est-Ouest, guide de la navigation hauturire. p. 215

    A Les prcdents, les arpenteurs romains. p. 215

  • 10

    B La navigation hauturire scandinave. p .220

    -Les sources. p. 220

    -Les faits. p. 222

    -Lexplication, des conditions parfois favorables. p. 223

    -Les mthodes de la navigation hauturire scandinave, p. 226

    2-1.3 Une hypothse sur les moyens de lorientation Est-Ouest scandinave, p. 231

    A Comment se pose dune faon gnrale le problme. p. 231

    B Constitution de lhypothse. p. 234

    2-1.4 Conclusion : Le voyage dIslande, une course dorientation, p.239

    Chapitre 2.

    2-2.0 Les instruments de lestime la mmoire de la route. p. 241

    2-2.1-Les sources p. 243

    A Un systme bas sur lorientation. Hron dAlexandrie et le dioptre. p. 243

    B Les cartes du ciel. p. 246

    C Les sources directes. p. 247

    2-2.2- Estimation des paramtres. p. 248

    A Lorientation gographique. p. 248

    -Laiguille aimante p. 249

    -De laiguille aimante au compas. p. 252

    B Lestimation de la distance. p. 256

    2-2.3 Mise en mmoire des donnes. p. 261

    A Du Priple au Compasso da navegare. p. 261

    B Le portulan transcription graphique du Compasso. p. 265

  • 11

    2-2.4 Validation de la mthode. p. 269

    A La carte des rhumbs et distances, approche thorique. p. 269

    -La projection dal-Biruni. p. 270

    -Le portulan et les cartes mdivales. p 273

    -La carte dEdrissi. p 273

    -La mappemonde Orbis Terrae. p. 273

    -Le retour tardif de Ptolme et de sa carte. p. 274

    B Nouveaux dveloppements du portulan, la ou les cartes de Colomb. p. 276

    2-2.5 Conclusion. Les limites de la carte par rhumbs et distances. p. 281

    Chapitre 3.

    2-3.0 La pratique de lestime. La mmoire de la route. p. 285

    2-3.1-Les sources. p. 287

    A Datation de la mthode. p. 288

    B Le journal de bord de Christophe Colomb. p. 290

    2-3.2 Lestime une mthode compatible avec le portulan. p. 294

    A Lestime. p. 294

    B Le portulan support de lestime, mode demploi. p. 298

    -Le marteloire instrument de lecture du portulan. p. 299

    2-3.3 Validation de la mthode. p. 300

    A Erreurs conceptuelles. p. 301

    -Premier biais : confusion entre larc de grand cercle et loxodromie. p. 302

    -Deuxime biais : Lorientation ne tient pas compte de la dclinaison magntique. p. 302

    -Troisime biais : le navigateur nglige la drive. p. 304

  • 12

    -Erreur sur les paramtres. Erreurs sur les donnes. p. 305

    B Application chiffre, lestime de Colomb. p. 307

    -Les deux estimes p. 307

    -Y a-t-il un biais dans les positions donnes par Colomb ? p. 309

    -Analyse de lestime de Colomb. p. 311

    -Position respectives des estimes le jour de larrive Santa Maria, p. 315

    2-3.4 Conclusion. p. 317

    2-4.0 Conclusion de la deuxime partie

    Une mthode toujours dactualit. p. 321

    Pour rsumer cette deuxime partie. p. 323

    Lexplosion gographique de lespace maritime est-elle une consquence de lestime, p. 325

    Le passage avait t dj forc avant 1278. p.325

    Le passage Est-Ouest est une entreprise gnoise donc neutre. p. 327

    En Orient cest lpoque du doute. p. 328

    A lOuest souvrent des opportunits. p. 328

    Troisime partie. Les dbuts de la navigation astronomique. p. 332

    3-0. Introduction p 333

    Chapitre Premier

    3-1.0 La transmission de lastronomie arabe en occident p 341

    3-1.1 LAstronomie arabe, une synthse p. 342

    -Observations et observatoires. p. 347

    3-1.2 Cosmographie et gographie scientifique, p.350

    -Les acquis de lantiquit. p. 351

  • 13

    -Lapport arabe en gographie scientifique. p. 352

    3-1.3 Cartographie antique et arabe, p.355

    A -Marin de Tyr p. 356

    B -Les cartes de Ptolme p. 357

    C- Les itinraires romains. p. 358

    D- Les relevs cadastraux. p. 358

    E -La cartographie arabe p 359

    F-De la cartographie scientifique la carte marine chez les arabes ? Le mystre de la carte

    marine de Moallem Cano. p. 364

    3-1.4 Transmission des savoirs lOccident. p. 368

    -Une occasion manque : la prsence franque en Palestine. p. 368

    -Une deuxime occasion manque la prsence des commerants italiens Alexandrie. p. 369

    -Une premire opration russie, les monastres catalans. p.372

    -Une deuxime opration russie, la Sicile normande. p. 373

    -La troisime opration russie, lcole des interprtes de Tolde. p. 373

    -Lastrolabe, un instrument hrit des Arabes. p. 376

    -Un instrument perfectionn par les Arabes, les tables astronomiques p. 377

    3-1.4 Conclusion. p. 378

    Chapitre 2

    3-2.0 Les Arabes et Ibn Majid. La navigation oblique, p. 380

    3-2.1 Les sources, Ibn Majid, Suleiman l-Mahri et Sidi Celebi. p.383

    A Les divers problmes exposs par Ibn Majid, les commentateurs. p. 385

    B La problmatique dibn Majid. p. 387

  • 14

    3-2.2 Les instruments thoriques de la mthode, p. 390

    A Instruments de lobservation astronomique ; les quiyas. p. 391

    -Les substituts de la mridienne, les bashi. p 394

    -Autre substitut de la mridienne, les hauteurs abdal. p. 397

    -Calcul de la latitude dans lhmisphre Sud. p. 399

    B Les instruments de lestime. Les zams. p. 401

    C les instruments de la navigation oblique. Les tirfa. p. 404

    3-2.3 La mise en uvre de la mthode, pratique de la navigation, p.408

    A Les observations astronomiques, p. 409

    -Prise de hauteur des astres et mridiennes. p. 411

    -La culmination, les gardes. p. 415

    B Mise en place de lestime. p. 417

    C Typologie des routes daprs ibn Majid. p 424

    D le contrle de la route par une suite de mridiennes p. 427

    3-2.4 Validation de la mthode, p.440

    A Les observations astronomiques, validation. p. 441

    B Le contrle de la route. p. 444

    3-2.5 Conclusion : La navigation oblique, un goulet vers le port, p. 448

    Chapitre 3

    3-3.0 Les mridiennes portugaises, un effort soutenu, p.451

    3-3.1 La conqute de lAfrique, son droulement, ses motivations, p .456

    A La premire priode Henri le navigateur. De 1415 1433. p .457

    B La deuxime priode cd Henri le navigateur de 1441 1460. p. 460

  • 15

    C Lpoque intermdiaire dAlphonse V, de 1460 1481. p. 462

    D La marche vers le Sud allure force, Jean II partir de 1481. p. 464

    3-3.2 La thorie nautique. p.466

    A La mise au point des instruments de mesure, Astrolabe et quadrant. p. 467

    -Astrolabe et quadrants nautiques, arbalestrille. p. 470

    B La volta dEanes et la mridienne de polaire. p. 473

    C La nautique dans lhmisphre Sud, mridienne de soleil et volta do Brasil. p. 475

    D Le dbat. p. 479

    3-3.3 Les mthodes de navigation de Colomb daprs son journal. p. 484

    A La volta selon Christophe Colomb. p. 485

    B La hauteur de la polaire selon Colomb ; Une application de la mthode arabe. p. 488

    C La latitude chez Colomb. p. 494

    3-3.4 Conclusion. Problmes de datation. p. 496

    3-4.0 Conclusion de la troisime partie, A chacun sa vrit. p. 504

    3-4.1 Comparaison des mthodes arabes et occidentales. p. 504

    3-4.2 Lobjectif du navigateur arabe : atterrir. p. 507

    3-4.3 Lobjectif des portugais : chasser le vent portant. p. 507

    4-0. Conclusion gnrale. p. 511

    Les progrs de la science nautique dans le contexte gnral. p. 512

    -Lvolution des mthodes. p. 512

    -Les progrs de la science nautique sinscrivent dans le cadre plus vaste de lvolution

    gnrale du monde maritime. p. 516

  • 16

    -Interactions entre les progrs de la science nautique, ceux de la construction et lvolution

    du commerce maritime en gnral. p. 519

    Bibliographie. p. 522

  • 17

    Introduction gnrale

  • 18

    0-Introduction gnrale

    On entend par navigation lorganisation dun voyage par eau vers un point dtermin. Comme

    toute entreprise volontaire humaine, elle se dfinit par un objectif, une mobilisation de

    moyens en vue datteindre ce but, des modalits dapplication de ces moyens et, enfin, un

    contrle suivi du dveloppement de cette action vers ce but. On dfinit lobjectif comme le

    port de destination. La mobilisation des moyens concerne le navire et surtout son mode de

    propulsion qui est ds le dpart, soit laviron, la voile, laction du courant ou encore une

    combinaison de ces moyens. Les modalits comprennent les techniques employes et aussi la

    route suivre, car il y a interaction entre les moyens choisis et la route suivie. Le domaine se

    divise accessoirement entre navigation maritime ou fluviale, encore que les anciens ne

    distinguaient pas forcement les deux. En revanche, une distinction essentielle dans notre

    propos vise la finalit du voyage qui peut tre une expdition guerrire, la pche ou le

    transport de passagers et/ou de marchandises, le commerant tant un voyageur qui

    accompagne ses marchandises. En ce qui nous concerne, nous ne nous intressons qu la

    navigation de commerce.

    Cette histoire est un parfait raccourci de la dmarche technicienne. A partir de moyens

    entirement sous linfluence directe des contraintes naturelles : la navigation vue, le

    navigateur a essay de sen affranchir par des mthodes empiriques, lestime qui lui a permis

    daugmenter son domaine daction, jusquau moment o cette mthode a atteint ses limites. Il

    tait alors temps de faire appel la recherche applique, et cest le dbut de la navigation

    astronomique. Car, cest, vers lastronomie que le marin sest tourn. Lintervention de cette

    science dans le domaine nautique constate lexistence de constantes, par exemple la hauteur

    de la polaire au dessus de lhorizontale, en un lieu. Cependant, ds que lon change de lieu

    dobservation, cette constante change de valeur. Il faut donc considrer que lobservateur est

    plac sur notre plante et que cette place nest pas indiffrente en ce qui concerne laspect des

    objets observs. Le lieu dobservation fait partie du vaste monde. On doit donc intgrer le

  • 19

    lieu dobservation dans cette science et on parle dsormais de cosmographie. On admet par l

    que le lieu dobservation a une influence sur lobservation. De l conclure que linverse est

    possible : cest--dire que par la mesure des valeurs astronomiques, on peut en dduire la

    position de lobservateur sur son support terrestre, il ny a quun pas, qui sera confirm par

    lexprience. Donc, dsormais la cosmographie a des consquences en gographie. Lhomme

    se situait dans son milieu terrestre par des mesures terrestre prises sur le sol, cest--dire,

    quil arpentait le sol en le mesurant par des pas ou au moyen de chanes darpenteur ou de

    perches. Ces mesures taient prises par rapport des repres emprunts au paysage qui

    lentourait. La cosmographie va ajouter dsormais ses mesures propres : la latitude, par

    exemple. Donc de lastronomie on arrive de proche en proche des repres au niveau

    gographique. On peut mme garder ces donnes en mmoire, en les reportant sur un support

    cartographique.

    Paralllement cette volution qui relie ces sciences de base, se dveloppent des applications

    dans les aspects concrets de la vie quotidienne. Cest ce que rsume parfaitement Ibn Yunus

    au dbut de ses tables hachmites rdiges au dbut du XIe sicle : Lobservation des astres

    est en lien avec la loi religieuse, car elle permet de connatre lheure des prires, celle du

    lever du soleil, qui marque linterdiction du boire ou du manger pour celui qui jene au

    moment o laurore se termine, de mme, celle du coucher du soleil dont la fin marque le

    dbut du moment des repas afin dy accomplir la prire correspondante et aussi de connatre

    la direction de la kaba pour tous ceux qui prient, galement connatre le dbut des mois et

    quels sont les jours o intervient un doute1 et de connatre le temps des semailles, de la

    fcondation des arbres2 et de la cueillette des fruits et de connatre la direction dun lieu

    partir dun autre et de se diriger sans sgarer 3

    Car, ce quil veut dire, cest qu partir du

    Xe sicle, avec le dveloppement des sciences exactes, dans le contexte bien prcis dune

    socit musulmane organise, on demande aux savants des diverses disciplines la solution

    dun certain nombre de questions dordre pratique, incidence sociale ou religieuse Cest

    ainsi quil revient aux astronomes, par exemple, de pouvoir rpondre techniquement aux

    1 Les mois arabes sont des mois lunaires dtermins par les phases de la lune, le dbut du mois est ainsi

    dtermin e n un lieu, de visu avec lapparition du croissant lunaire puisque cette date change avec la longitude.

    2 Allusion au palmier dattier qui ne peut fructifier que par fcondation manuelle.

    3 Rgis Morelon. Panorama gnral de lhistoire de lastronomie arabe. p.30 in Histoire des sciencees arabes

    Tome 1, Astronomie thorique et applique sous la direction de Roshdi Rashed . Paris, Edit. Le Seuil. 1997.

  • 20

    demandes des astrologues dont le rle social officiel reste important cette poque; les tables

    astronomiques pour le calcul de la position des astres seront dresses en particulier dans ce

    but. Mais surtout on met les astronomes contribution, pour rsoudre les problmes pratiques

    de calendrier, dheures, ou dorientation sur terre et sur mer4. Cest ce qui explique, en partie,

    lapparition des arabes dans ce sujet. En effet, on peut dire que lastronomie occidentale

    mdivale na exist que par le truchement des traductions des auteurs arabes. Ces auteurs ont

    repris lastronomie l o lavait laisse les grecs et lont mene, bien plus avant, en y ajoutant

    les apports perses et hindous5. De l transposer sur le plan nautique il ny a quun pas

    quil sera plus difficile de franchir, car lobservateur, dans ce nouveau cas, est plac sur un

    mobile par rapport son support, qui nest plus terrestre mais marin. Ceci complique

    singulirement le problme en effaant les repres fixes. Cependant dans ce domaine de la

    science nautique, lvolution que nous avons succinctement rsume, dans le cadre

    gographique occidental se trouve calque en parallle dans le monde musulman6. L aussi,

    les arabes, qui ont suivi dans ce domaine, leurs prdcesseurs perses, ont t de grands

    navigateurs. Ils se sont donc appliqus de leur ct ces problmes, non sans influer dune

    faon directe ou indirecte sur les occidentaux avec qui ils ont eu des interfaces reconnues.

    Cest la seconde raison de leur prsence dans cet expos.

    Rsumons schmatiquement cette volution pour dgager quelques dfinitions, en btissant

    un petit scnario imag. Au dbut lhomme a su par ses prdcesseurs que, sil prenait son

    canot, et en partant sur la droite, partir de la plage, il lui fallait suivre la cte durant dix

    jours pour apercevoir un cap bien caractris par une haute falaise tombant pic dans leau.

    Aprs avoir doubl ce cap, et deux jours aprs, on voyait lembouchure dune vaste rivire.

    En remontant cette rivire pendant huit jours encore, on arrivait dans une contre riche en

    obsidiennes si utiles pour faire des pointes de flches acres capables de percer le cuir de

    nimporte quel gibier. On est dans le domaine de la navigation vue.

    4 David A. King. Astronomie et socit musulmane : qibla , gnomonique, miqat . in Histoire des sciences

    arabesOp. cit .p. 173-215

    p 5 Rgis Morelon. Panorama gnral de lhistoire de lastronomie arabe. in Histoire des sciences arabes Op.

    cit.. p.17-33.

    6 Henri Grosset-Grange. La science nautique arabe in Histoire des sciences arabesOp.cit.p.234-269.

  • 21

    Or il existait aussi une route terrestre, pour aller dans la mme contre, en comptant le nombre

    de pas ou le nombre de coups de pagaie sur lune ou lautre route et en sachant combien on

    parcourt de pas pied ou de coups de pagaie en bateau dans une journe, on peut connatre la

    dure dun voyage par terre ou par eau. Ceci nest pas indiffrent sachant que par canot on

    peut ramener bien plus de pierres qu pied. On est, en prcisant la mesure, entr dans le

    domaine de la navigation estime.

    Maintenant, supposons que cette rivire a des priodes de crues o la vitesse du courant est

    exceptionnelle. Les huit jours de remonte nont plus, dans ces conditions, aucune

    signification, nous avons atteint une limite de lestime. Mais, cependant, si nous remontons la

    rivire jusquau moment o lon peut observer que le ciel a une configuration telle que nous

    avons t habitus voir seulement dans cette rgion, nous concluons que sommes arrivs

    dans cette contre. Par la mme occasion, nous sommes entrs dans le domaine de la

    navigation astronomique.

    0-1. Intrt du sujet

    La navigation va avancer dabord essentiellement dune faon toute empirique. Cependant,

    ds le Moyen Age, au XIIIe

    sicle, un instrument nouveau, la boussole, utilis au dbut

    comme une aide la navigation vue, permet de dvelopper une nouvelle

    technique : lestime, et cela, par un effort de rflexion, puisque lexprience dans ce nouveau

    domaine tait nulle.

    Il sagit donc dun processus dimitation. Ne pourra tre compltement garanti lachvement

    dune tche, que dans la mesure o quelque chose de similaire a dj t excut auparavant.

    Lhistoire de la dcouverte de lIslande et du Groenland est symptomatique. Les norvgiens

    avaient dj dcouvert les les de lAtlantique sans que nous en connaissions les dtails. Les

    sagas, par contre, font entrer la suite dans lhistoire. Le processus se rpte pour chaque

    dcouverte ultrieure selon un scnario identique. Un navigateur effectuant un voyage de

    routine sur les Fro, par exemple, dpasse son objectif, emport par un fort coup de vent ; au

  • 22

    cours de sa drive, il aperoit une terre inconnue. Ayant t assez chanceux pour survivre et

    revenir raconter sa dcouverte, la nouvelle terre est intgre, comme aperue, par la

    communaut maritime. Un jour, pouss par une ardente ncessit, un second navigateur

    dcide de reconnatre cette terre en vue de sy tablir. Pour cela, il reprend les traces de

    linventeur de cette terre. Lempirisme est donc une dmarche rationnelle. Elle pose

    comme hypothse : mmes causes, mmes effets. Notons que cette mthode est toujours

    actuelle, elle a mme t amliore, en ce sens que, par le biais de laccidentologie, on se sert

    galement de lexprience malheureuse des victimes dune catastrophe accidentelle pour

    rendre plus sres les procdures lusage des survivants.

    Un pas va tre franchi par la rationalisation et le passage au quantifiable. Il sagit pour

    lessentiel de prciser les procdures en les quantifiant. Cest la recherche de traits gnraux

    et communs tous les cas despce constituant une exprience, ils seront utiliss pour

    constituer des modles dment formaliss. Des situations nouvelles sont entres dans le

    modle, en faisant fonctionner le modle, on arrive dterminer des rsultats venir chiffrs.

    Cette modlisation et cette quantification cest, comme nous le verrons, lessentiel de ce

    quoffre linvention de lestime, qui permet de poser et dactionner ces modles de routes,

    graphiquement sur le portulan. Il faut trouver des solutions nouvelles, cest, nous semble-t-il,

    loriginalit du dveloppement de la science nautique la fin du Moyen Age. Cest le premier

    essai en ce sens. On va chercher de nouvelles techniques souvent dans diffrentes directions,

    et souvent par analogie, en se servant de techniques connexes qui ont de lointains rapports

    avec la science nautique. Ce fut le cas, par exemple, de larpentage au stade prcdent. Mais

    on les cherchera aussi dans la science pure et la thorie, ici la cosmographie, qui permet aux

    astronomes de dterminer la position dun point exact sur la terre. La solution ne fut que

    partielle. On put transposer le calcul de la latitude au cas particulier de la navigation, mais pas

    du tout celui de la longitude. Ce dernier problme dut attendre le XVIIIe sicle, et la mise au

    point du chronomtre par Harrison, pour commence recevoir un dbut de solution.

    0-2. Limportance de la question dlimite la priode

  • 23

    La navigation ayant dmarr ds la prhistoire, le dbut de la priode historique de la

    navigation est donc conditionn par lexistence des premires sources. Les latins ont dj

    laiss des traces explicites sur ce sujet qui dlimiteront la limite post quem. Mais pour

    lHistoire en gnral la priode antique ne prend pas fin en 496, date officielle de la chute de

    lempire romain. Cette date, qui est une affaire de fantassins, ne concerne en rien le domaine

    maritime. Venise nest quun avatar dAquilea, de mme Amalfi prend la place de sa voisine

    Puteoli, et cest dans le Digeste de Justinien que les marins italiens du Moyen Age lisent le

    droit maritime.

    En fait, ce sont les Normands, peu aprs lan 1000, qui liquident les vestiges de lEmpire de

    Justinien en Italie du Sud et cest en 1204 que les Vnitiens se sont dsigns comme les

    successeurs officiels du domaine maritime colonial de lEmpire. Pour nous, donc, lantiquit

    tardive fait partie intgrante de la priode

    Par contre on sarrtera au moment o les premiers rsultats concrets ont abouti. On peut dire

    que les grandes dcouvertes sont la conscration de la mise au point de ces techniques

    nouvelles, car elles ne doivent rien au hasard. Ces grandes dcouvertes marqueront donc la

    limite aval de la priode. Elles sont au nombre de trois. La plus connue, cest videmment la

    dcouverte de lAmrique par Christophe Colomb en 1492. Elle fut prcde par la

    dcouverte de Terre Neuve vers 1480, par les gens de Bristol, dont on connat peu de chose

    par la volont mme des dcouvreurs, soucieux de masquer leurs traces. Le voyage de

    Colomb prcde de peu le voyage de Vasco de Gama en 1498.. Le voyage de Colomb est

    exceptionnel, en ce sens quil sagit dune dcouverte volontaire, mais seul lobjet dcouvert

    tait totalement inattendu, tant donn que parti pour aller aux Indes, Christophe Colomb fut

    arrt en chemin par un obstacle inattendu, lAmrique. Il sagit, maintenant, de dfinir les

    bornes aval de cette recherche. Pour la fin de la priode nous ne prendrons pas 1492,7 mais

    plutt, 1497, date de larrive de Vasco de Gama aux Indes. Explicitons le choix de cette date

    7 1492 est une date symbolique mais en tant que telle forcement contestable. Elle est justifie car elle marque un

    e mais lont soigneusement cach pour une histoire de pche a la morue. Mais 1492 est un succs de hasard bas

    sur une recherche fausse, si bien que Christophe Colomb a pendant longtemps cru quil tait en Chine et que

    cest un autre, Amerigo Vespucci, qui a dmontr au monde cette dcouverte constituait un succs et a donne

    son nom a cette terre nouvelle. Par contre Jean le Navigateur a envoy sciemment Vasco de Gama trouver ce

    quil cherchait systmatiquement depuis des annes.

  • 24

    prcise. Larrive aux Indes est le rsultat dune recherche ttue qui a abouti la mise au

    point de deux techniques successives : la hauteur de la polaire vers 1440 et la latitude par la

    mridienne de soleil vers 1470. Dans un autre ordre dides cette arrive aux indes a eu un

    prcdent, celle de larrive des grco-romains dEgypte aux Indes au 1er

    sicle de notre re.

    Cet vnement ne peut cependant tre compar avec le voyage de Vasco de Gama car la

    diffrence de ce dernier il sagissait dun pur rsultat de la mthode empirique. Cest pourquoi

    ces deux dates sont cependant marquantes et nous couvrirons donc lpoque qui va du 1er

    sicle 1498.

    0-3. Limites gographiques

    Reste maintenant dterminer le cadre gographique. Etant donn que cest par le biais de

    lastronomie que la thorie sest introduite dans la navigation, il faut se rfrer la science

    arabe qui est passe directement dans la civilisation occidentale. Nous verrons que les

    navigateurs arabes ont fait de leur ct la mme dmarche que leurs collgues occidentaux et

    quils les ont prcds dans le domaine de la navigation astronomique. Nous en profiterons

    dailleurs pour tudier les sources arabes qui sont nombreuses et de qualit et qui seront les

    bienvenues dans un domaine o elles sont plutt rares. Nous ajouterons donc la

    Mditerrane et lAtlantique locan Indien au domaine gographique de notre tude

    0-4. Limites de contenu

    A- Manuvre et Navigation

    Une distinction qui peut tre faite est celle entre manuvre et navigation pure. En effet, les

    anciens faisaient la distinction entre ces deux spcialits. La manoeuvre tant le domaine du

    matre dquipage ou naute, qui soccupait de la manuvre et du rglage des voiles et des

    ancres sans compter la responsabilit physique du navire et de la cargaison. Par contre, le

    pilote tait responsable de la navigation, c'est--dire de la route et de la localisation du navire,

  • 25

    autrement dit du point. En effet, nous avons dj insist ds le dbut de lintroduction sur le

    fait que le navire voit ses volutions dans lespace limites par ses possibilits. Il ne peut aller

    que dans le sens du vent. En ce qui concerne le marin, ses objectifs pourront donc tre en

    contradiction avec ces possibilits, en ce sens quil aura besoin daller l o le vent ne le porte

    pas. Nous verrons quil faudra user de ruse et prendre des dtours. Ceci dfinit les problmes

    de manuvre : comment user du vent pour faire aller le navire ? Mais ce faisant, il lui faut

    garder un il sur la destination finale et, pour cela, savoir o il en est dans sa progression qui

    peut tre tortueuse. Cela dfinit le problme du point. Pour nous, les deux volets sont

    indissociablement unis, bien que faisant appel deux spcialistes distincts. En rsum, nous

    appelons navigation, au sens large, les moyens que nous donne la manuvre du navire pour

    assurer une progression vers lobjectif dsign, dment contrle par la navigation, dans son

    sens restreint dart de la localisation. Dailleurs, les anciens, sils faisaient le distinguo entre

    ces deux spcialits, les associaient ncessairement bord de chaque navire. Tout navire

    comprenait obligatoirement deux spcialistes. Dun cot, le matre de manuvre ou matre

    dquipage qui faisait aller le navire en optimisant sa marche grce aux rglages des voile, ce

    pourquoi il dirigeait lquipage, ncessaire instrument pour faire aller le navire.

    Conjointement, un pilote ne soccupait, lui et son aide, que de la position et tait le matre de

    la route. Tous deux taient sous lautorit du capitaine, reprsentant de larmateur qui veillait,

    quant lui, au bon droulement de lexpdition maritime qui, outre ces problmes techniques

    rsoudre, devait lui assurer un succs commercial. Cette troka est atteste travers tous les

    nombreux textes juridiques anciens ou mdivaux tels que le Digeste ou bien dans les statuti

    italiens ou les Consulats de la mer catalans, sans exclusives gographiques puisque Ibn Majid

    nomme ces acteurs et dfinit leurs fonctions. Pour la petite histoire, tant lui mme un pilote,

    il vivait une cohabitation difficile avec les matres dquipage, mais dut sen accommoder

    toute sa vie, car il resta toute sa vie tributaire de contrats au voyage avec les capitaines qui

    lemployaient. Cette diffrence de point de vue sexplique par une diffrence de culture

    dcoulant de la spcificit de ces deux mtiers. En effet le matre est lhomme qui connat le

    mieux le navire pour pouvoir en tirer le maximum, il est donc attach ce navire et son mtier

    sacquiert par une exprience sur le tas, ds son plus jeune age. Son savoir est essentiellement

    pratique et ne ncessite aucune culture gnrale. Le pilote, au contraire, est le spcialiste de la

    route, il reste sur cette route et passe de navire en navire au gr dengagements successifs, son

    savoir-faire lui est transmis par un ancien, car il commence son apprentissage comme aide-

    pilote, il lui faut une instruction de base pour exploiter les quelques rares documents dont il

    peut disposer, les priples par exemple. Le capitaine coordonne laction de ces deux

  • 26

    spcialistes. A la base cest un commerant, propritaire du navire ou son fond de pouvoir. Il

    doit avoir de srieuses notions de droit pour conclure des contrats de transports avec ses

    clients ou ses bailleurs de fonds ou mme son quipage. Il doit donc avoir une solide

    instruction ou dfaut se faire aider dans ce domaine par un scribe ou crivain de bord qui

    soccupe de mettre au clair les contrats et tient la comptabilit du navire. Bien entendu, il ne

    lui est pas interdit de cumuler cette charge avec lexercice conjoint de lune ou de lautre deux

    fonctions subordonnes, ou encore de cumuler sous une mme tte toutes ces comptences

    selon limportance du navire. Ces diverses spcialits nous introduisent la distinction du

    paragraphe suivant.

    B- Commerce et Transport maritime

    Il faut bien distinguer navigation et commerce maritimes. Bien videmment le lien est fort

    entre navigation commerciale et commerce maritime mais il sagit de deux domaines

    diffrents bien que lis. Alors que les units statistiques du premier sont le ducat, le florin, le

    dirham ou le dinar ou tout autre talon montaire, celles de la navigation sont le mille, la lieue

    marine, le tonneau, le last, le cantar ou tout autre talon de distance, de volume ou de poids.

    Lindex de rfrence de base pour le commerce, cest le chiffre daffaire, pour le transport,

    cest le volume transport exprim en tonnes/milles. Bien entendu, en ce qui concerne le

    commerce, les notions de qualit interviennent galement, car on pourra faire la distinction

    entre commerce en valeur et commerce en volume, selon que lon traite de faibles volumes

    prix lev ou de grosses quantits de marchandises de peu de valeur. On pourrait, par ailleurs,

    croire que toutes les marchandises transportes sont destines tre commercialises,

    autrement dit que le navire de commerce ne transporte que des marchandises relevant du

    secteur marchand. Il nen nest rien, car il existe deux importantes exceptions qui ont t

    primordiales dans ltablissement ou le succs de plusieurs routes importantes.

    1-Dans lantiquit dj, on sait que le transport des produits de lannone est important en

    volume et aussi source dune documentation trs riche, car cest lobjet dune lgislation

    gouvernementale trs dtaille. Or lannone est un produit fiscal, hors des circuits marchands.

  • 27

    2-De mme, au Moyen Age, le transport des plerins est lorigine dun trafic maritime

    intense entre lItalie du Sud et la Terre sainte. Bien avant les croisades, Amalfi, Trani et Bari

    ont bti leur flotte commerciale sur ce trafic. On peut noter galement lexistence dun

    courant induit par le plerinage de Compostelle, entre lEurope du Nord, et plus spcialement

    lAngleterre, et lOuest de la pninsule ibrique ds le XIe sicle. De mme pendant les

    croisades les quantits normes, dhommes et surtout de matriels sont transportes, si du

    point de vue du navire il sagit bien dun acte commercial, les donneurs dordre se placent

    bien au-del du simple trafic marchand habituel. Le cas nest pas si diffrent du prcdent car

    on pourrait aussi dfinir la croisade comme un plerinage arm. Bien entendu, ce trafic volue

    rapidement vers un transport de caractre mixte, transport de croiss ou de matriaux

    stratgiques laller et marchandises commerciales au retour. Acre et Tyr deviennent, avec le

    temps, des ports commerciaux aliments par les commerants poulains (francs rsidents

    permanents, voire ns en terre sainte). Ce sera surtout le cas dans la deuxime priode de

    lhistoire des territoires francs doutremer, aprs le dsastre de Hattin en 1187 inflig au

    Royaume de Jrusalem par Saladin, o ces territoires de fodaux et ruraux, deviendront

    fodaux quant lorganisation politique, mais commerants quant lconomie.

    Entre-temps, les navires qui participent aux grands passages(les croisades numrotes) ou aux

    passages intermdiaires, ne se consacrent pas en totalit aux transports lis ces passages, le

    retour, en particulier, demande des complments de cargaisons quil faut aller chercher,

    principalement, Alexandrie. Les Assises de Jrusalem8 stipulent, en effet, que les

    marchandises constituant la cargaison en remport pour lEgypte aprs dbarquement de celles

    destines Acre, sont exemptes de droits. Cest la trace crite de ce commerce triangulaire

    qui nest que la suite de celui initi par Amalfi : de lEurope occidentale vers la Terre sainte,

    puis de l, vers Alexandrie et enfin retour dAlexandrie vers lEurope occidentale. Il nest pas

    douteux que ce sont les croisades qui, directement ou indirectement, donnent limpulsion qui

    permet alors la monte en puissance des marines occidentales. Cependant ces trafics restent

    dans le domaine du transport maritime commercial car ils ont donn lieu des contrats de

    transport en bonne et due forme. Mme pour les passages principaux, un acte daffrtement

    est sign entre les souverains et les flottes entires quils mobilisent. Ceci nous fait prciser la

    8 Jean-Marie Pardessus, Collections de lois maritimes antrieures au XVIIIe sicle.

    Paris, 1828.

  • 28

    dfinition du transport maritime comme tant un transport par mer donnant lieu un contrat

    de transport. Est donc exclus du transport maritime le transport en compte propre, c'est--dire,

    le transport de marchandises appartenant galement au propritaire du bateau. La distinction

    entre marine de commerce et marine marchande est un peu dlicate, surtout historiquement,

    la naissance du transport maritime o des marchands dits parsoniers construisaient un navire

    pour aller vendre au loin leurs marchandises9. Cependant, elle est bien atteste trs tt, par les

    textes, dans le Digeste o elle est bien spcifie et bien avant cela, lorsque Claude interdit aux

    snateurs romains de possder des navires plus gros que ne le supposait le trafic induit par

    leurs latifundia et par l de devenir transporteurs maritimes pour compte de tiers.

    C- Histoire maritime et Histoire navale,

    Il faut aussi soigneusement distinguer marine de commerce et marine de guerre, qui font

    lobjet de deux histoires distinctes : lhistoire maritime et lhistoire navale. Ces deux

    domaines nont quun point commun : ils se placent en mer. Ces deux domaines sont presque

    totalement trangers lun lautre sauf pour une mince frange mixte. Cette frange, cest le

    domaine du corsaire, marin de commerce qui fait la guerre dans un but marchand. Il court sus

    lennemi de la nation, mais pas tant pour le dtruire que pour le capturer et vendre ses

    dpouilles. Entre le corsaire et le pirate qui fait le mme mtier , mais compltement hors

    la loi, il ny a que lpaisseur dune lettre de course, autorisation expresse de lautorit qui

    lgalise cette action de corsaire, tout en participant au partage du butin. Marine de guerre et

    marine de commerce se distinguent en particulier par les navires quelles utilisent, qui se sont

    spcialiss avec le temps. La galre est un navire de guerre et le bateau rond un navire de

    commerce. Ils sont compltement diffrents dans la logique de leur conception et de leur

    conduite car ils rpondent deux stratgies diffrentes.

    Dans la guerre ou la comptition sportive (qui est aussi une forme dulcore de guerre), les

    objectifs sont binaires : vaincre ou prir. On est dans une logique du maximum. En conomie

    9 Il faut distinguer le parsonnier qui construit un navire en coproprit et est propritaire dune partie bien

    identifie du navire o il entreposera ses marchandises et le quirtaire qui construit aussi en coproprit m !ais est

    propritaire dune partie indivise du navire en proportion de sa mise de fonds.

  • 29

    il y plusieurs optima car les objectifs sont multiples. Chaque denre a son march chaque

    march a ses propres lois. Sil est vrai que les lois de loffre et de la demande et de la

    dtermination du prix sont universelles, il serait faux de penser que le prix est une donne

    universelle, ce nest vrai que dans une situation toute thorique celle de concurrence pure et

    parfaite. Ce qui est plutt universel cest la recherche du profit maximum qui est un arbitrage

    entre le cot de production et le prix du march et cest par ce biais que les objectifs

    deviennent multiples, car un profit maximum peut se raliser selon diffrentes combinaisons

    o entrent le prix, le cot, la quantit mise sur le march, mais aussi la qualit et encore aussi,

    des rapports entre ces paramtres tels que le fameux rapport prix/qualit etc. Il sen suit que

    lon rentre non plus dans une logique du maximum mais doptima divers. Il ny a plus une

    stratgie binaire unique mais des stratgies envisageant autant de compromis divers.

    Exceptionnellement, si la galre fut utilise des fins commerciales, surtout Venise, cest en

    raison de lhistoire particulire de cette rpublique. De toute faon la galre en faisant du

    commerce est devenue la gale, son avatar marchand. On ne peut plus parler de galre au

    singulier comme genre unique, mais de galre sottile qui est un vaisseau de guerre et de gale

    qui est une galre di mercato, un bateau marchand.

    Ces notions conomiques sont bien entendu bien postrieures notre poque de rfrence, et

    on pourrait penser que cela ne sapplique donc pas des situations passes o la science

    conomique ntait pas encore invente. Au contraire, on est parfaitement en droit dappliquer

    des instruments danalyse modernes des situations anciennes, car ces instruments danalyse

    proviennent dune science qui est universelle. Dautre part, on peut remarquer que les anciens

    avaient une conscience aigu de ces problmes conomiques, mme sils les formulaient tout

    autrement. Nous citerons entre autres exemples lorganisation des marchs par les arabes. El

    Bokhari10

    nous explique que nul nest autoris se porter au devant des caravanes pour

    traiter sparment avec les marchands, la caravane doit dbarquer toute sa marchandise en un

    mme lieu, le khan, o elle est expose dans sa totalit aux regards de tous et les lots seront

    mis aux enchres devant lassemble des marchands. Cest un gros effort pour assurer les

    10

    El-Bokhri, Les traditions islamiques, traduit par O.Houdas et W.Marais, 2 volumes, Paris, 1984

    Les dispositions dcrites par cet auteur se retrouvent facilement dans lorganisation des fondouks portuaires qui

    ne sont que des Khans destins recevoir les marchandises venues par bateaux assimils a des caravanes, en

    particulier celui dAlexandrie tel que dcrit par :

    Makhzmiyyt, Le Midhdj, tudes sur lhistoire conomique et financire de lEgypte mdivale par Claude

    Cahen, Leiden 1977

  • 30

    conditions dun march totalement concurrentiel. El-Bokhari, quant lui, ne donne aucune

    raison conomique ces dispositions et ne justifie ces usages que par sa remarque

    habituelle : ce sont les usages entre nous autres musulmans. Cet exemple caravanier peut

    sembler hors sujet, cependant lorganisation du fondouk ou du fondaco institution musulmane

    du commerce maritime dimportation en est directement inspire. Ceci tant, si nous revenons

    aux optiques diffrentes entre marins guerriers et marchands nous allons voir que ces optiques

    vont avoir des rpercutions directes sur les types de navires en usage chez les uns ou chez les

    autres : la galre et le navire rond.

    D- La galre.

    Connue depuis la haute antiquit, cest le navire de guerre typique, elle se caractrise par une

    coque longue et troite pour prsenter une section au matre couple la plus rduite possible

    afin de favoriser la vitesse11

    . Le moteur est un moteur humain, la chiourme, ensemble des

    rameurs qui propulsent le navire. Plusieurs rgimes ou vogues sont envisageables, selon que

    lon privilgie la vitesse ou la dure. La grande vogue12

    est la mise en action de tous les

    rameurs, cadence maximale, pour dvelopper la vitesse maximum, celle dattaque. Elle nest

    tenable quenviron une heure, par suite de lpuisement physique de lquipage qui se traduit

    par des pertes de cadence des rangs de nage les plus faibles, qui se termine en un

    cafouillage gnral dans les rangs de nage. A ct de cette grande vogue, on trouve la

    petite vogue o la chiourme, le moteur, tourne rgime lent et rgulier, la cadence donne

    par des tambours descend dun cran dans le but dconomiser la chiourme, mais cette vogue

    ne pourra de toute faon tre maintenue quune dizaine dheures ce qui est suffisant car les

    combats nont lieu que de jour, la nuit masque ladversaire, cest la vitesse de croisire. Enfin,

    il est toujours possible dadopter la vogue par quartiers, o la chiourme est divise en

    quartiers qui ne voguent qu tour de rle, et toujours allure modre. Cette vogue est

    11

    M. Balard, La Romanie gnoise, Rome, 1978. p. 547. Galre ou gale, les historiens ont traduit

    indiffremment par lun de ces termes le mot galea, dsignant bien souvent tout btiment rames, quel que soit

    son type; pour ne point ajouter la confusion, il vaut mieux utiliser le mot galre, puisque ce btiment appartient

    aussi bien lEtat qu des particuliers, et quil passe facilement au XIII et au XIV sicles de la flotte marchande

    la flotte de guerre. Le mot recouvre en fait une grande diversit de types, moins connus par leurs dimensions et

    leurs caractristiques sur lesquelles les textes du XIII sicle sont avares de dtails aussi bien que de leurs prix ;

    12

    A. Zysberg, Les galriens, vies et destins de 60 000 forats sur les galres de France 1680-1748, Paris 1987

  • 31

    adopte pour des traverses plus longues, de quelques jours o il est ncessaire que la

    chiourme puisse dormir son banc, par quartiers, autrement dit par quarts. Elle est utilise

    pour les traverses au long cours, modeste long cours, car il faut faire des escales assez

    rapproches.

    Il faut, en effet, signaler que cest un engin de course dont le moteur, la chiourme, occupe tout

    lespace utile ; il est hors de question de penser emporter la moindre cargaison. Le moteur

    humain est peu puissant et trs gourmand en combustible, le galrien consomme pratiquement

    en une grosse semaine son quivalent en poids de vivres et surtout deau douce. On comptait

    huit litres par rameur et par jour. Dont 5 litres de boisson et le reste pour la confection de la

    soupe de haricots, menu habituel des galres vnitiennes. Cest donc un navire que lon

    pourrait comparer nos modernes F1 de comptition automobile. Toute la capacit demport

    est occupe par le poids du moteur et du combustible. On comprend aisment que la galre

    soit dpourvue de charge utile, 25 tonnes en moyenne pour une galre subtile de Venise. Ceci

    en fait un engin qui ne peut sloigner durablement de ses bases, ou bien ncessite, pour des

    trajets un peu longs, de nombreuses escales techniques de ravitaillement. Par contre, elle est

    incontestablement suprieure au navire voile dans les combats, car elle peut virer sur place,

    grce un effet contrari des avirons, elle peut, de plus, faire route sans vent ou contre le vent

    o elle ne perd quun demi nud de vitesse, aprs avoir mis ses mats sur le pont, daprs un

    professeur de navigation du XVIIe sicle

    13. Elle restera le bateau de guerre par excellence

    jusqu' lapparition de lartillerie embarque o ltroitesse de son pont en fait une pitre

    plate-forme dartillerie.

    E- Le navire de charge

    Il sagit dun navire dit rond de forte capacit ne navigant qu la voile. Le voilier en ce qui

    concerne son comportement la mer souffre de deux handicaps, cest en quelque sorte le

    jouet du vent, il ne peut se diriger vers nimporte quel point de lhorizon, il est hmiplgique,

    toute une moiti de la mer, celle qui est au vent, lui est interdite. Sa route est dicte par le vent

    13

    Commandant des Fontette, Trait des galres, 1672 manuscrit recopi par dHarancourt 1729 manuscrit

    conserv la Bibliothque municipale de Marseille.

  • 32

    et il est prisonnier de sa route comme un train sur son rail14

    . Il faut ajouter cela quil

    manque de prcision dans la manuvre. Cest un trait malheureux pour un navire de guerre,

    car lessentiel des combats consiste aller au contact avec ladversaire. Cette imprcision le

    gne lors des entres dans le port qui sont difficiles la voile seule, dautant plus que le navire

    na pas de frein, et que les voiles amenes, il continue courir sur son erre en raison de sa

    masse et donc de son inertie. Les entres au port se feront soit la remorque dune

    embarcation rame ou par dhalage la main par des cordages. Ceci explique galement la

    prsence dancres trs nombreuses15

    , elles ont plusieurs rles. Tout dabord, elles servent au

    mouillage, c'est--dire, immobiliser le navire en haute mer, dans la mesure o il y du fond,

    14

    Ceci explique la manuvre dattaque du pirate, cach dans une chancrure de la cote aux alentours dun

    passage oblig et restreint qui rduit la possibilit de manoeuvre du voilier : doublage dun cap ou dtroit, il

    dbouche au dernier moment et pousse son sprint vers labordage, laffaire doit tre faite dans lheure ou cest

    trop tard. Les flibustiers du XVII et les pirates modernes du dtroit de la Sonde ne procdent pas autrement. Une

    fois matre du navire, ils ne sintressent quaux marchandises de grande valeur et de peu de poids, le numraire

    et les hommes toujours monnayables dune faon ou dune autre. Sauf mettre un quipage de prise si la taille

    du navire le permet et arraisonner et dtourner le navire et sa cargaison. Cette analyse ne sapplique quaux

    navires pirates arms gnralement par des populations locales, il faut exclure la guerre de course o prdateurs

    et chasss utilisaient des navires comparables et voyaient souvent le bonheur de leurs armes fruit dune

    circonstance fortuite.

    15

    Elles sont nombreuses car de plusieurs types. Outre les ancres de jet dont la manuvre est explicite dans le

    texte, les ancres diffrent selon le fond ou elles devront crocher. De nos jours, le navire tient sur son ancre car

    lancre articule croche dans le fond, mais aussi par le poids lev de cette ancre (que lon relvera, sans peine

    par un guindeau a moteur puissant) et surtout celui de la chane. Lors du mouillage, on bat lgrement en arrire

    pour longer la chane sur le fond. Le navire tient par lancre et le poids de la chane, si le mouillage est trop

    lger et que lancre vienne chasser, on envoie encore de la chane pour augmenter la tenue.

    Dans le navire ancien, il ny a pas de chane ou trs peu, lancre est relie un cblot dont le poids relatif dans

    leau est nul, on ne peut compter donc que sur la croche de lancre. Cest pourquoi on en mouille plusieurs. Les

    ancres sont des ancres jas ; elle consiste dans une double pioche au bout dun manche, la verge, munie dun

    anneau o se fixe le cblot ; prs de lanneau est dispose le jas qui est un long bras dispos transversalement

    mais dans un plan perpendiculaire celui des pioches. Quand lancre touche le fond, elle se pose avec le jas

    allong sur le fond et donc une des pioche pose par la pointe sur le sol (ceci en raison de ce que le jas est plus

    long que les pioches et dtermine ainsi lquilibre de lancre sur le sol). Dsormais toute traction du cblot sur

    lancre va faire pntrer la pioche dans le fond.

    Si le fond est de vase dure (argile) la pointe senfonce dautant plus que la traction est forte, cest la pioche qui

    assure la tenue. Si le fond est de sable mou, la pioche ne croche pas, elle laboure simplement le sable, mais dans

    ce cas le jas est un jas de plomb trs lourd et plat. Il sappuie lourdement sur le sable, tir par le cblot, il racle le

    fond et repousse devant lui un bourrelet de sable qui grossit et finalement lenterre. Cest le jas qui assure la

    tenue, .la pioche ne sert qu maintenir lancre dans le sens de la traction, et donc le jas en travers, cest l o il

    est le plus efficace. Il y donc deux types dancre selon le fond : lancre sable a un jas de plomb et une pioche

    lgre mme parfois en bois, lancre pour fond vasard est munie dune pioche en fer, le jas lui peut tre en bois

    lourd. Enfin il faut noter que lon ne mouille jamais sur fond de roche, car la tenue peut tre alatoire si lancre

    est retenue par une asprit et peut draper tout moment ou au contraire se fixer dans une anfractuosit et on

    nest plus en mesure de la rcuprer.

    On comprendra que trs tt la sonde est munie dun dispositif (poix ou cire) pour remonter un chantillon du

    fond et choisir lancre en consquence

  • 33

    naturellement, soit en situation dattente (que le vent change, par exemple) soit pour des

    oprations commerciales, chargement ou dchargement sur rade par lintermdiaire de

    barges, accons, ou gabarres. Une deuxime utilisation est de servir de frein, elles cassent

    lerre dun navire qui entre trop vite dans un port trop resserr. Enfin, elles servent dhaler

    le navire sur ses ancres de jet. Ces ancres, au nombre de deux au moins, sont des ancres assez

    lgres pour pouvoir tre transportes par la chaloupe du bord16

    .

    Lquipage est rduit, quoique trs consquent selon nos standards actuels, mais le tonnage

    important et surtout lallure soutenue, jour et nuit, en font un instrument de transport la

    productivit leve et aux cots de transports sans comparaison aucune avec ceux prsents

    par les transports terrestres. Si la galre est oblige de faire des escales techniques

    nombreuses et donc de ne pas trop sloigner dventuels ports de relche, le voilier se trouve

    davantage laise au large. Il faut dissiper quelques malentendus, mais nous reviendrons plus

    en dtail sur ce sujet dans la premire partie. Depuis la plus haute antiquit on savait naviguer

    en droiture sur de longs parcours loin des terres, et cette navigation prsente, aussi

    paradoxalement que cela paraisse, un gage de scurit. Pour un marin, cest la terre qui est

    dangereuse, pas la haute mer, surtout pour un voilier qui manuvre bien moins facilement

    quune galre De plus, une fois au large, il a peu de chances de rencontrer des pirates qui

    chassent lafft, embusqus dans des recoins du rivages, prs de passages obligs o ils

    profiteront de lavantage relatif de leurs galres pour fondre par surprise et trs vite sur leur

    proie. Il suffit de noter pour linstant que le voilier est plus laise au large mais est bien

    moins manoeuvrant que la galre, ce qui donne cette dernire une efficacit maxima prs

    des ctes. Cest pourquoi, si on y ajoute son faible cot de mise en oeuvre, le voilier est le

    navire parfait pour le commerce au long cours, malgr linconvnient de limprcision relative

    de la navigation voile quant la dure du trajet, soumis au caprice des vents.

    16 Lancre est descendue dans la chaloupe qui lenvoie loin sur lavant du navire toujours relie au navire par un

    cblot, difficult mineure, le cblot est en textile et flotte gnralement derrire la chaloupe. Lancre est mise

    leau, et lquipage vire le cblot la main ou au cabestan. Le navire se dhale, il se dplace jusqu' venir la

    verticale de lancre moment o celle ci est releve et mise en pendant le long du bord pour tre reprise par la

    chaloupe et ritrer la manuvre. En fait, la prsence de deux ancres de jet envoyes alternativement acclre

    considrablement la manuvre car la chaloupe envoie une ancre pendant que lquipage est en train de virer

    lautre.

  • 34

    F- Ambigut des types de navires : galres, gales et navires mixtes.

    La galre est spcifiquement un navire de guerre. Nanmoins, il est certain que la galre a t

    utilise des fins commerciales, malgr ses faiblesses en ce domaine. Il faut expliquer cette

    contradiction. A lorigine, cest un dvoiement de lusage principal; les galres, navires de

    guerre, taient astreintes aux diffrents missions dEtat, dont certaines peu guerrires, mais

    dimportance stratgique. Cest ainsi que parmi les missions annexes de la marine de guerre

    figuraient le service de la poste et celui de la valise diplomatique17

    . Dans cette valise, circulait

    la soie byzantine qui faisait, pour les empereurs, partie de lattirail diplomatique, servant

    remercier et honorer les allis ou les cours trangres. Venise a commenc sa carrire

    maritime en sous-traitant les oprations navales dans lAdriatique pour le compte de lEmpire

    byzantin. Plus tard, Venise grce sa prfrence commerciale Byzance, obtenue,

    prcisment, en raison de services rendus sur le plan naval en Adriatique maritime est

    devenue une spcialiste du commerce oriental. Ce dvoiement est devenu la base dun

    courant commercial trs particulier spcialis dans les produits de luxe et ntait quune partie

    du trafic total de Venise. Dans ce cas trs particulier, le fret hors de prix, induit par la trs

    mauvaise productivit de la galre, nentrane que des consquences relativement limites

    pour des marchandises chres. Pour tablir un parallle avec des situations actuelles, disons

    quil y a un march pour le fret arien et un autre pour le fret maritime, bien que les taux ne

    soient absolument pas comparables, mais les besoins sont trs diffrents et la vitesse peut

    justifier cette diffrence. Cest non pas une question de vitesse mais de rgularit qui joue en

    faveur de la galre. La galre est un navire peu performant mais prvisible, cest un bateau

    qui fait lheure , on peut calculer au dpart la date darrive au port final ce qui nest pas le

    cas pour le voilier pur qui doit attendre le vent parfois pendant un temps interminable. Or le

    commerce de luxe de Venise, tel quil sest consolid et institutionnalis au Moyen-Age, est

    trs spcifique. La structure de ce march fait quil est coinc par des contraintes de dates

    entre larrive au Caire des pices qui dpend de la mousson, dune part et dautre part par la

    17

    F.C. Lane Venise, une rpublique maritime, p. 53-61. Paris 1985 traduit par Y. Bourdoiseau et M. Ymonet du

    titre original, Venice : A maritime republic, 1973. :

  • 35

    prsence des acheteurs allemands en Italie qui dpend de la neige dans les cols alpins18

    . De

    plus, aprs 1204, Venise sest constitue un solide empire colonial fournissant des bases sres

    et nombreuses pour garantir la scurit et la prennit de ces escales techniques. Cest pour

    cela quelle a fait voluer, au XIIIe sicle, la galre de guerre vers une galre marchande, un

    peu plus performante conomiquement19

    , la gale.

    R.S Lopez20

    dfinit la galre comme un navire presque aussi bien adapt la voile qu la

    rame, au commerce qu la guerre. Un systme complexe de voiles, de mats et de voiles

    comprenant quelques voiles triangulaires, dites latines, permettait la galre de tirer parti de

    nimporte quel vent, en dpit dune quille assez aplatie. Il a raison en un sens, la galre est

    un bateau de vitesse, fin et troit. Il est fait pour aller vite, on utilise pour ce faire la rame ;

    mais rien ninterdit dutiliser la voile, un bateau fin et troit va aussi trs vite la voile. A

    cette diffrence prs, que cela est vrai surtout aux allures portantes. Ds que lon se rapproche

    des allures du travers, le navire se met gter normment. En effet, le navire est troit et na

    aucune stabilit transversale, lui permettant, comme un navire rond, de sappuyer sur un flanc

    gnreux pour encaisser la gte. De plus, navire de faible tirant deau, il na pas, non plus, de

    quille profonde, munie dun lest trs bas, qui puisse le redresser et compenser cette gte. Bref,

    il lui manque de la stabilit de formes et aussi de la stabilit de poids, pour encaisser les vents

    de travers. A cette allure, il est toujours la limite du chavirage. Donc navire fin rapide la

    voile, mais difficile tenir. Il exige, en toutes circonstances de temps, une voilure la surface

    exactement ajuste au vent qui prvaut et il nencaisse absolument pas les surventes

    occasionnelles. Il ne marchera donc bien en mer que sil dispose dun jeu de voiles

    correspondant chaque rgime de vent rencontr. Cest ce que lon appelle : un bateau

    garde robe . Une galre a trois jeux de voiles, allant des petits airs au vent frais, en passant

    par les airs moyens, sans compter les voiles de fortune pour le grand mauvais temps. Cest

    une solution que seuls les guerriers, toujours richement dots par les princes, peuvent se

    permettre. Un modeste commerant, toujours oblig de compter pour minimiser ses cots,

    devra y renoncer, sauf circonstances exceptionnelles. Poursuivons la citation de R.S Lopez

    concernant la galre : Puisque les types les plus spacieux absorbaient mieux le cot de leur

    18

    F.C. Lane Venise, une rpublique maritime. Op. cit. p. 112-118 et galement : Jean-Claude Hocquet. Venise et

    la mer ;p. 93. Edit. Fayard. Paris 2006 . : 19

    Jean-Claude Hocquet. Venise et la mer. Op. cit. Voir lanalyse des cots et formation des prix du fret p 97-98

    20

    R.S. Lopez, Medieval trade in the mediterranean world. New York

  • 36

    quipage, on tendit les agrandir. Cest reconnatre lexistence dconomies dchelles21

    qui sont trs sensibles dans les navires et, effet, la galre dorigine, navire purement militaire,

    utilise occasionnellement pour des transports spciaux a volu vers la gale, plus adapte

    aux transports, un navire plus large donc emportant une charge utile accrue et surtout

    marchant mieux la voile sous toutes les allures22

    .

    G- La gale

    La gale a t mise au point par les vnitiens et copie par les gnois. La course la taille est

    en fait une course au volume ; la gale nest pas plus longue quune galre, elle est surtout

    beaucoup plus large En prenant du ventre le navire gagne en stabilit latrale et peut

    sappuyer sur son flanc quand il part la gte. Elle comporte peu ou prou le mme nombre de

    rameurs 160 190, sans vouloir entrer en comptition avec un voilier pur ses cots de revient

    la tonne/mille restent pertinents dans un march de niche, le commerce des pices de la soie

    et autres produits de luxe. La gale est un compromis btard, entre le navire de charge rond,

    utilisant un minimum de personnel et donc, avec une productivit par matelot trs grande, et

    la galre avec une productivit dans le transport minimale23

    . La gale est un navire mixte,

    marchant bien la voile, il reste structurellement, un bateau rame, donc fin et se dplaant

    21

    On dmontre que lorsquon augmente la taille dun navire, la vitesse ne croit quen raison de la racine carre

    de la longueur, la puissance ncessaire se calcule en fonction de la surface du matre bau multipli par le carr de

    la vitesse. Le matre bau varie en raison du carr de la longueur, mais le la vitesse, lment prpondrant varie

    moins que proportionnellement aux dimensions. Par contre, la capacit augmente selon le cube. Dautre part, le

    cot de construction est fonction de la surface de coque, soit selon le carre des dimensions, et lquipage

    ncessaire proportionnellement moins que la puissance ncessaire, des progrs en productivit importants sont

    obtenus, ds que la surface de voilure augmente par ladoption de machines simples, palans, cabestans etc. Il

    sen suit des progrs en productivit spectaculaires, ds lors que la taille du navire augmente. Cest la raison de

    la course au tonnage des que le march prend de lampleur.

    22

    Malgr sa spcialisation marchande la gale na pas un rendement extraordinaire. Portant au maximum 150

    tonnes elle ncessite un quipage de 250 hommes dont 170 rameurs, la dure de la mude est de 1 an ceci donne

    un rendement de 600 kilos transports par homme. On peut comparer ce chiffre aux chiffres que lon peut

    dduire de ce que lon sait du trafic caravanier tel quil est expliqu par Ibn Battuta ; une caravane ne fait quune

    traverse annuelle, les dromadaires devant se reposer au moins 6 mois aprs cette preuve. A 250 kilos de

    charge utile par dromadaire et trois dromadaires par chamelier, on arrive donc a 750 kilos par homme.

    Conclusion : Lefficacit de la gale et comparable celle de la caravane, on comprend mieux quelle puisse

    assurer la continuit maritime des mmes trafics transcontinentaux.

    23

    M.Balard, op. cit. p. 548 Au dbut du XIV sicle, dimportantes transformations affectrent la construction

    des galres. Dune part on commence distinguer les galres lgres, sottili, poussant lextrme les avantages

    du vaisseau long rames , finesse et rapidit, et bientt spcialises , en dehors de leur utilisation la course ou

    la guerre, dans le transport des marchandises lgres, mais de grand prix et les grandes galres ou galee grosse,

    dont les constructeurs sefforcent de combiner les avantages de la galre a ceux du vaisseau rond.- grande

    capacit de chargement- afin daccrotre la productivit des transports maritimes.

  • 37

    trs rapidement la voile par vent portant, il est dangereux par vent de travers en raison de

    cette mme finesse. Au mme titre, il est pratiquement inexploitable au prs. Mais cet

    inconvnient est trs relatif, puisque disposant dune chiourme importante, il peut saffranchir

    des vents contraires et des accalmies. Il tend combiner les avantages de la galre tout en

    essayant de compenser sa faiblesse au niveau conomique, par des traits emprunts au navire

    rond, il est loin datteindre la productivit du navire rond24

    . Cependant laccroissement de

    productivit est semble-t-il compens par le passage de la galre birme la trirme25

    .

    Cependant au cours du XIVe sicle les galee grosse ont augment dune faon significative

    leur port en lourd qui a atteint 200 tonnes, en moyenne, par rapport aux galee sottile qui nont

    gure dpass 50 tonnes maximum26

    . Mais alors si la gale profite des conomies dchelle

    par rapport la galre pourquoi la gale na-t-elle pas continu son volution vers des

    capacits suprieures ? Continuons citer R.S Lopez sur ce sujet : Cependant on prfra

    augmenter le nombre des vaisseaux plutt que leurs dimensions. Cette prfrence peut

    sembler trange : quest ce qui empcha les constructeurs de miser ds le dbut de la

    24 M.Balard, op. cit. p. 549 Galre lgre de 1333 : longueur 40,19, largeur au matre bau 5,024 creux sur

    quille 2,066.

    Galre marchande de 1340 : longueur 40,19, largeur 5,954, creux non indiqu.

    A partir des annes 1350, les textes distinguent plus frquemment grosses galres et galres lgres, ajoutant

    parfois que celles-ci sont armes ; progressivement les premires deviennent donc les seules galres marchandes,

    alors que les secondes se spcialisent dans une fonction descorte et de patrouille.

    25

    M.Balard, op. cit. p. 550 Laccroissement en largeur nest pas le seule transformation que subit la galre

    dans les premires dcennies du XIV sicle : les birmes sont progressivement remplaces par de trirmes, une

    date que Marino Sanudo Torsello place en 1290, mais qui en fait schelonna Venise de 1290 1320. Cette

    substitution fut sans doute un peu plus tardive en mer Tyrrhnienne ; elle y tait moins ncessaire dans la mesure

    o les besoins de la navigation gnoise ont t assurs par lusage des coques, introduit bien plus tt qu Venise.

    Ce nest quen 1334 quest faite lobligation aux patrons des galres de Romanie demporter au moins 185 rames

    et terzolli ou terzaroli ce qui suppose que les rameurs soient trois par banc. En fait la pratique dut prcder de

    beaucoup le rglement qui lentrine. En 1296, la galre S.Iohanes de Marchisio Bonaventura est encore quipe

    de 120 rames comme les grandes galres du XIII sicle : trente banc de part et dautre de la coupe. Vers 1350,

    la transformation est dfinitive : la galre dAntonio di Negro en 1351 est 27 rangs de trois rameurs 14

    bbord, 13 tribord, lespace vide tant occup par le portillon de la cuisine. Dsormais et jusquau dbut du XV

    sicle la galre gnoise comporte un effectif de 168 180 rameurs disposs sur 28 30 bancs dirigs en oblique

    par rapport aux lisses de plat bord.

    26

    M.Balard, op. cit. p. 565 Au cours du XIV sicle lessor des constructions navales est continu. Un rglement

    de 1344 limite 1000 cantares cest--dire 47,65 tonnes le port des galres lgres de Romanie, tandis que les

    galres marchandes ou grosses galres ne dpassent gure 150 200 tonnes de capacit. En fait laccroissement

    des tonnages a surtout concern les coques et les naves . Et il ajoute dans la note 122 de la mme page 30

    juillet 1401 deux galres de Romanie ont un chargement de 350 tonnes dalun et de coton ; elles portent en outre

    88 pondi dpices diverses, 75 caisses de mastic, des pains de cire et diverses autres marchandises diverses, de

    sorte quon peut dire leur attribuer une capacit dau moins 200 tonnes chacune. Ce qui est quand m^me un

    progrs trs sensible par rapport la vingtaine de tonnes de la galre du XIII sicle.

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    rvolution commerciale sur de grands voiliers tels que les bateaux de lage des grandes

    dcouvertes ? La rponse doit tre recherche principalement dans lconomie plutt que

    dans la technique. Tant quil fut difficile de remplir de grands bateaux dun seul coup en ne

    faisant escale qu quelques ports, la galre dut rester assez petite pour pouvoir entrer dans

    un plus grand nombre de port,s havres de moindre importance et mme de jeter lancre prs

    de plages ouvertes27

    . Nous rejoignons en gros Lopez dans son opinion. Il faut cependant la

    prciser comme suit : dans un premier temps on peut dire, contrairement ce que semble dire

    Lopez, que cest bien un problme technique qui a limit la longueur de la gale, ce problme

    tient la technique de laviron telle que la pratiquaient les occidentaux (la nage ou la vogue),

    qui a limit les plans de nage, et donc, la taille de la gale. Techniquement, on savait faire des

    coques plus importantes ; le Rocaforte au XIIIe sicle, qui tait une nef donc un voilier pur,

    dpassait semble-t-il les 1000 tonnes, alors que la capacit les gales contemporaines taient

    restes limites de 150 200 tonnes environ. Il aurait fallu pour sauter ce pas entreprendre

    une rvolution technique dans le domaine de la propulsion laviron, les exemples extrieurs

    existaient : la jonque de mer chinoise, bien connue des arabes qui la ctoyaient dans la plupart

    des ports quils frquentaient et dcrite par Marco Polo, qui avait navigu dessus. Et cest l

    o la remarque de Lopez prend toute sa valeur : rien nincitait les occidentaux faire un effort

    dans cette direction, la gale tait comptente dans le domaine spcialis du transport de

    produits chers et donc rares, dont le march tait trs limit. A quoi bon faire une gale de

    1000 tonnes, alors que le tonnage total des produits de luxe import en occident, pices,

    parfums, tissu de grand luxe avoisinait sans doute au maximum 2000 tonnes. On peut dire que

    la gale avait atteint une taille conomiquement optimale dans son domaine de comptence :

    un march de niche.

    Cest sans doute, cette mme raison de taille conomique qui a fait que lapparition de la

    jonque de mer chinoise, vers le VIIIe sicle, a stopp lexpansion maritime arabe vers lEst. Et

    pourtant, elle na jamais t copie par eux, ce qui est, en effet, trange. En effet la jonque de

    mer chinoise est un navire mixte et de trs grosse taille, elle a supplant le navire arabe sur les

    voyages de Chine, car elle pouvait, en continuant avancer la rame, naviguer pendant la

    priode de calme suivant la mousson et faire le voyage de Siraf puis dOrmuz en Chine en une

    seule mousson alors quil en fallait deux, ( avec entre les deux, un hivernage de 6 mois) soit

    27

    R.S. Lopez La rvolution commerciale dans lEurope mdivale p. 119,120

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    18 mois de laveu mme des textes arabes, un boutre qui ne naviguait qu la voile. Mais il

    est vrai que le march chinois tait dj colossal et portait sur des quantits non comparables

    avec celles alimentant le march arabe. Les arabes se sont donc contents de leurs boutres,

    modestes, certes, mais adapts leurs marchs, et se sont approvisionns en produits chinois

    Malacca qui est devenu un norme emporium. Lopez a donc pleinement raison, mais,

    cependant cela demeure aussi un problme darchitecture navale, et ce domaine constitue une

    science en soi, que nous naborderons pas. Cependant nous ne traiterons brivement ce point

    particulier quen incidente et donc en note.28

    28

    Les textes arabes et chinois nous signalent que les persans et les arabes allaient couramment jusquen Chine,

    mais ds lapparition de la jonque de mer, (et non pas cause des massacres de Canton comme le croient les

    chroniqueurs arabes), les arabes se sont arrts Malacca, et les chinois sont venus jusqu Ormuz. Les plerins

    chinois du VII naviguaient sur des bateaux persans. Marco Polo et Ibn Battuta naviguaient sur des jonques

    chinoises. Cest dailleurs grce Ibn Battuta que lon comprend pourquoi. Lui, qui naimait pas les navires, est

    enchant de la jonque chinoise et en fait une description minutieuse.

    La jonque chinoise est construite en bois avec des bords constitus de plusieurs paisseurs de lattes de bois

    cloues les unes sur les autres, certains auteurs prcisent quils sont parfois entrecroiss. On est donc en prsence

    de bords constitus de bois lamell ou mieux de contreplaqu. Ces matriaux peuvent se traiter comme de la

    tle moderne. Le type de construction est comparable celui de nos navires en tle. Alors que la construction en

    bois classique utilise des planches pour les parois poses ou renforces sur ou par des profils. Cette

    construction moderne raidit les tles par des tles en plans perpendiculaires : des cloisons. On est en prsence

    dune construction en caissons. La jonque est une barge de forme presque carre, dont la rigidit est assure par

    des cloisons transversales tanches. Elle est raidie dans le sens longitudinal par une multiplication des ponts qui

    sont renforces par un cloisonnement plus serr. Le pont est construit en nid dabeille, rservant donc de

    nombreux petits espaces, constituant autant de cabines qui enchantrent Ibn Battuta par leur confort et surtout

    leur intimit.

    Leur taille est norme, 60 mtres sur 20 mtres, semble tre chose courante. Et elles peuvent marcher la rame :

    10 avirons de chaque bord. Ibn Battu ta les dcrit normes et il est confirm par des fouilles archologiques en

    Chine. Mais ces avirons fonctionnent selon le principe de la godille (et non de la nage); placs verticalement,

    leur pelle reste constamment dans leau, ils sont suspendus et leur poids, de ce fait, importe peu. Ces avirons

    verticaux sont activs au moyen de deux cordages horizontaux actionns par deux quipes de rameurs disposs

    en file en sens oppos. La premire quipe, la plus nombreuse actionne la pelle de lavant vers larrire et fournit

    leffort propulsif, la pelle est alors oriente 90 degrs et tout en restant dans leau une quipe rduite na aucun

    mal la ramener sans effort vers lavant. En fait, il suffit de fixer les deux cor