les nationalismes basque et catalan sont-ils solubles...

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Annales de l’Université Omar Bongo, n° 13, 2007, pp. 33-52 LES NATIONALISMES BASQUE ET CATALAN SONT-ILS SOLUBLES DANS LA DEMOCRATIE ESPAGNOLE ? Angeline ASSANGONE NKOULOU épse MVE MBEGA Université Omar BONGO Libreville (GABON) Résumé : Avec l’entrée en vigueur de la Constitution de 1978, l’Espagne inaugure une nouvelle phase de son Histoire, basée sur une forme d’Etat qui permette de satisfaire les revendications à l’autonomie des peuples et régions qui la composent. Toutefois, ce choix unitaire et autonomique, contenu dans l’article 2, ne convient pas aux Communautés Autonomes dites « historiques ». Elles réclament une autonomie plus avancée, comme ce fut le cas jusqu’au XVII ème siècle avec l’existence des fueros. L’abolition de ces fueros par Philippe V, à travers les Decretos de la Nueva Planta en 1700, suivie de l’instauration d’un régime centraliste, entraîne la perte des identités culturelles, des us et coutumes propres, ainsi que tous les avantages liés aux traditions de chaque région. C’est la naissance des nationalismes. Ainsi, bien que se considérant « historiques », et s’appuyant sur des particularités linguistiques, économiques, sociales et culturelles, les nationalismes basque et catalan sont diamétralement opposés. Le premier a un caractère séparatiste, raciste et utilisant souvent la violence pour tenter d’obtenir son indépendance ; quant au second, il affiche un caractère modéré et différentiel, aspirant plutôt au fédéralisme. Mots-clés : Espagne – Nationalisme – Fueros – Communautés Autonomes – Constitution de 1978 – Autonomie – Catalogne – Pays Basque Démocratie – Indépendance. Abstract: With the 1978 Constitution in force, Spain opens a new page of its History, based on a kind of state which satisfies the claims for the autonomy of people and regions that compose it. However, this unitary and autonomous choice, stated in the article 2, is not suitable to the Autonomous Communities, called “historical”. They claim more autonomy as it was the case until in the 17 th century with the existence of fueros. The abolition of these fueros by Philippe V, through the Decretos de la Nueva Planta in 1700, followed by the instauration of cultural identities, proper mores and customs as well as all the advantages related to the traditions of each region. This gave birth to nationalisms. Then, these catalan and basque nationalisms, though being “historical” and based on linguistic,

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Annales de l’Université Omar Bongo, n° 13, 2007, pp. 33-52

LES NATIONALISMES BASQUE ET CATALAN SONT-ILS SOLUBLES DANS LA DEMOCRATIE

ESPAGNOLE ? Angeline ASSANGONE NKOULOU épse MVE MBEGA

Université Omar BONGO Libreville (GABON)

Résumé : Avec l’entrée en vigueur de la Constitution de 1978, l’Espagne

inaugure une nouvelle phase de son Histoire, basée sur une forme d’Etat qui permette de satisfaire les revendications à l’autonomie des peuples et régions qui la composent.

Toutefois, ce choix unitaire et autonomique, contenu dans l’article 2, ne convient pas aux Communautés Autonomes dites « historiques ». Elles réclament une autonomie plus avancée, comme ce fut le cas jusqu’au XVIIème siècle avec l’existence des fueros. L’abolition de ces fueros par Philippe V, à travers les Decretos de la Nueva Planta en 1700, suivie de l’instauration d’un régime centraliste, entraîne la perte des identités culturelles, des us et coutumes propres, ainsi que tous les avantages liés aux traditions de chaque région. C’est la naissance des nationalismes. Ainsi, bien que se considérant « historiques », et s’appuyant sur des particularités linguistiques, économiques, sociales et culturelles, les nationalismes basque et catalan sont diamétralement opposés. Le premier a un caractère séparatiste, raciste et utilisant souvent la violence pour tenter d’obtenir son indépendance ; quant au second, il affiche un caractère modéré et différentiel, aspirant plutôt au fédéralisme.

Mots-clés :

Espagne – Nationalisme – Fueros – Communautés Autonomes – Constitution de 1978 – Autonomie – Catalogne – Pays Basque – Démocratie – Indépendance.

Abstract:

With the 1978 Constitution in force, Spain opens a new page of its History, based on a kind of state which satisfies the claims for the autonomy of people and regions that compose it.

However, this unitary and autonomous choice, stated in the article 2, is not suitable to the Autonomous Communities, called “historical”. They claim more autonomy as it was the case until in the 17th century with the existence of fueros. The abolition of these fueros by Philippe V, through the Decretos de la Nueva Planta in 1700, followed by the instauration of cultural identities, proper mores and customs as well as all the advantages related to the traditions of each region. This gave birth to nationalisms. Then, these catalan and basque nationalisms, though being “historical” and based on linguistic,

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economic, social and cultural particularities, are diametrally opposed. The first has a separatist and racist aspect, and always uses violence to reach its goal: independence. As for the second, it presents a moderate and differential aspect, which rather aspires to federalism.

Key words:

Spain – Nationalism – Communities Autonomous – Constitution of 1978 – Autonomy – Catalonia – Basque region – Democracy – Independence.

Introduction

L’Espagne est un pays qui présente une organisation administrative assez complexe basée sur l’existence d’une forme d’autonomie très avancée dont jouissent ses différentes régions. Depuis 1978, le pays est unitaire et multiple à la fois. Cependant, même si la Constitution parle d’Etat unitaire, le nouveau système qu’elle présente est plutôt décentralisateur car l’article 2 prévoit le droit à l’autonomie des nationalités qui composent le pays. L’Espagne se compose donc de dix sept Communautés Autonomes dont quinze péninsulaires et deux insulaires1. Il existe deux types de Communautés Autonomes : les Communautés dites « historiques », le Pays Basque2, la Catalogne3 et la Galice4 qui possèdent des Statuts d’autonomie obtenus durant la Seconde République (1931-1939) et les autres. Elles disposent de compétences accrues dans tous les domaines liés à la gestion locale de leurs territoires respectifs, laissant les compétences d’ordre stratégique, militaire à l’Etat. En tenant compte de ces statuts d’autonomie, il faut remarquer que toutes ces Communautés Autonomes ne bénéficient pas des mêmes avantages, des mêmes prérogatives. Il existe des inégalités structurelles ou économiques entre elles que d’aucuns qualifient d’injustes et discriminatoires. C’est le cas des Communautés Autonomes dites « historiques » qui se sentent lésées car ne bénéficiant pas des avantages et prérogatives liés à leurs Statuts. Elles veulent donc marquer leurs différences vis-à-vis des autres Communautés Autonomes.

Cette revendication d’un traitement particulier se manifeste de plusieurs façons dont la plus courante est le nationalisme. Il est donc question des nationalismes basque et catalan et de leur place dans le

1 Andalousie, Aragon, Asturies, Catalogne, Pays Basque, Galice, Navarre, Cantabre, Murcie, Castille-Leon, Castille-la-Manche, Extremadura, Iles Baléares, Iles Canaries, Madrid, La Rioja, Valence. 2 Ses trois provinces : Alava, Guipúzcoa, Biscaye ; autonomie : 22/12/1979 ; superficie : 7261km2 ; population : environ quatre millions d’habitants. 3 Quatre provinces : Barcelone, Gérone, Lérida, Tarragone ; autonomie : 22/12/1979 ; superficie : 31.930km2 ; population : environ deux millions d’habitants 4 Quatre provinces : La Corogne, Lugo, Orense, Pontevedra ; autonomie : 07/11/1980 ; superficie : 29.434km2 ; population : environ trois millions d’habitants.

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système démocratique qui voit le jour avec la promulgation de la Constitution de 1978. Autrement dit, quelle est la place donnée aux nationalismes dans le nouveau régime alors que la reconnaissance de leur autonomie a été l’une des causes majeures du soulèvement de 1936 ?

Nous précisons qu’il existe plusieurs nationalismes et régionalismes en Espagne ; mais il ne saurait être question ici de procéder à un inventaire de tous ces nationalismes, ce qui exigerait une étude approfondie. Mais plus modestement nous allons analyser deux nationalismes, ceux dits « historiques » mais diamétralement opposés : le catalan et le basque.

La présente étude ne pose donc aucun problème tenant lieu du cadre géographique ; elle porte sur l’Espagne entité politique située au Sud-Ouest de l’Europe. Elle est limitée au Nord par la France, la Mer Cantabrique et Andorre ; au Sud par le Détroit de Gibraltar, la Mer Méditerranée et l’Océan Atlantique ; à l’Est par la Mer Méditerranée, et à l’Ouest par le Portugal et l’Océan Atlantique. Avec une superficie de 503.746 Km2 et une population d’environ quarante millions d’habitants, l’Espagne est une monarchie parlementaire. Le roi règne mais ne gouverne pas, il n’est pas élu mais doit son pouvoir par son appartenance à une dynastie. En revanche, il bénéficie d’un prestige à l’étranger car c’est le plus haut représentant de l’Espagne dans les Relations Internationales. Administrativement, l’Espagne est divisée en dix sept Communautés Autonomes, dont quinze péninsulaires et deux insulaires. Les deux Communautés Autonomes qui font l’objet de notre étude sont situées respectivement au Nord et au Nord-Est de l’Espagne.

La présente étude se justifie par l’intérêt que nous portons à l’évolution de la vie politique espagnole, aux changements intervenus en Espagne durant ces trois dernières décennies et aux idées politiques défendues et véhiculées par certains leaders des grandes formations politiques5 espagnoles.

De plus, la perception que l’on a aujourd’hui de l’Espagne est souvent confuse, voire approximative ; et d’ailleurs, les espagnols rencontrés lors de nos nombreux voyages à Madrid, à Barcelone et à Saint-Jacques de Compostelle ne savent pas très bien quelle réalité recouvre le mot Espagne.

Quant aux autres européens, ils sont perplexes. Ne voient-ils pas là une entité qu’ils croyaient unique, qu’ils avaient l’habitude de percevoir globalement, mais qui apparaît désormais – au moment précis où l’Europe aspire à effacer ses frontières et se cherche un destin supranational – sous un aspect composite et pluriel, tel un puzzle dont

5 Cas de Manuel Fraga Iribarne, fondateur de Alianza Popular en 1976, devenu Partido Popular après la refondation du parti en 1989. cf « Manuel FRAGA IRIBARNE, histoire d’un parcours politique singulier », Thèse de doctorat Nouveau Régime soutenue à l’Université de Perpignan en décembre 2000 par Assangone Nkoulou Angeline.

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certaines pièces (la Catalogne et le Pays Basque en particulier) demandent à être considérées dans leur spécificité régionale et culturelle qui ferait passer la cohérence de l’ensemble au second plan ?

Selon le dictionnaire Larousse, Le nationalisme est une doctrine qui affirme la prééminence de l’intérêt de la nation par rapport aux intérêts des groupes, des classes, des individus qui la constituent. C’est un mouvement politique des individus qui veulent imposer la prédominance de la nation à laquelle ils appartiennent dans tous les domaines6. Plus précis, le dictionnaire de La Real Academia établit que el nacionalismo es la aspiración o tendencia de un pueblo o raza a constituirse en estado autónomo.7 Comme nous le constatons, il existe plusieurs définitions de ce concept vague et complexe qui s’affirme en Europe au début du 19ème siècle.

Il existe également diverses formes de nationalismes : le nationalisme « progressiste », le nationalisme « réactionnaire », le nationalisme « politique » et le nationalisme « culturel ». On peut également subdiviser les différents mouvements nationalistes en « séparatiste », « unificateur ou intégrateur » et « stable » en fonction de leur idéologie.

Notre propos n’est pas de faire une étude générale des nationalismes. Nous nous limiterons à analyser le mode de fonctionnement des nationalismes catalan et basque dans ce nouveau cadre politique qu’est le système démocratique espagnol en nous appuyant sur trois points : les origines des nationalismes basque et catalan ; les caractères de ces deux nationalismes car antérieurs à la Constitution de 1978, et enfin nous analyserons ce que la Constitution de 1978 prévoit par rapport à cela.

I- Origines des nationalismes Basque et Catalan

A- l’importance des fueros

Il convient de souligner que jusqu’à l’arrivée des Bourbons, c'est-à-dire jusqu’au roi PHILIPPE V (début 1700), la Catalogne et le Pays Basque étaient des royaumes à part avec des organisations administratives internes. La Castille n’avait pas de fueros8 qui étaient à l’origine de cette structuration. Mais, par la promulgation des Decretos de la Nueva Planta, Philippe V procède à l’abolition de ces fueros et concentre tout sur Madrid qui devient la Cour du roi. Ainsi, face à cette situation, les catalans et les basques expriment donc leur mécontentement en revendiquant leurs identités culturelles respectives

6 Dictionnaire unilingue, Petit Larousse Illustré, édition 1996. 7“le nationalisme est l’aspiration ou la tendance d’un peuple ou d’une race à se constituer en état autonome”, La Real Academia Española, Diccionario de la lengua española, Tomo 2 , Madrid, 1992, p. 1423. 8 Le mot Fueros peut se traduire par coutumes (lois particulières à une province, à une ville) ; privilèges ; ensemble ou compilation des lois ; libertés.

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(surtout linguistiques), leurs droits ; en somme, leurs anciens statuts. D’où la naissance du mouvement nationaliste.

Les nationalismes basque et catalan trouvent donc leurs origines dans l’abolition des fueros, ces statuts juridiques particuliers, privilèges octroyés par le roi à une région, une ville ou une personne, et en vigueur au Moyen âge.

Nous dirons que les fueros constituaient une espèce de pacte solennel entre la population et le roi, et par extension, c’étaient aussi les lois qui régissaient une localité ou région déterminée. Aussi avions-nous des fueros locales ou fueros municipales9 qui étaient los estatutos jurídicos que recogían en la Edad Media las costumbres de cada localidad, además de los privilegios otorgados por los reyes a las mismas, así como el conjunto de disposiciones que preservaban la nobleza, el clero y el vassallage de una zona.10

Pendant la Reconquête (entre le VIIIème et le XVème siècle), les rois chrétiens du Nord de l’Espagne avaient initié une lutte contre les Arabes afin de récupérer les terres qui étaient en leur possession et les expulser de l’Espagne. Pour ce faire, l’aide et la collaboration de la population leur étaient nécessaires puisqu’il n’y avait pas d’Armée et qu’il fallait aussi penser au Repeuplement, à l’occupation de ces zones laissées vides par la fuite des Arabes. D’où la mise en place de la législation forale ou des fueros. Si la communauté acceptait de participer à la lutte ou de prendre part à cette mission de Repeuplement, le roi lui octroyait certains privilèges, qui s’obtenaient par la signature d’un pacte avec le roi. Plus les dangers étaient grands, plus les privilèges que réclamait la population étaient importants. Au départ, les privilèges étaient seulement d’ordre fiscal, c'est-à-dire basés sur une simple exonération de certains impôts. Mais avec le temps, les pactes ont entraîné une législation de plus en plus complexe, chaque ville ou contrée voulant appliquer son propre droit foral.

- Que contenaient les fueros ? Les fueros, cet ensemble de lois et libertés n’était octroyé qu’à

une villa c'est-à-dire à la population capable de rendre justice et qui dépendait directement de l’autorité royale. Parmi ces lois se detallaban las libertades, como la elección de alcalde, tributos a la corona, la obligación de prestar auxilio a la mesnada real con peones y caballeros villanos, y muchas prerrogativas que hacían del hombre de la ciudad más libre que el campesino de régimen feudal. A cada fuero le correspondía, aparte de la ciudad o villa, un alfoz o territorio, que contaba con varias aldeas y municipios, dependientes de la villa principal. La población tenía un consejo que gobernaba y representaba

9Ensemble de lois locales ou municipales. 10 Http : //es.wikipedia.org/wiki/fuero : les statuts juridiques qui rassemblaient, pendant le Moyen – Age, les coutumes de chaque localité, en plus des privilèges accordés par les rois à ces mêmes localités, tels que l’ensemble des dispositions qui protégeaient la noblesse, le clergé et les vassaux d’une zone.

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a la ciudad en las cortes. El consejo tenía gran poder sobre el alfoz y la ciudad, sin embargo no podía dar título de villa a cualquier aldea.11

Ainsi, pendant le Moyen Age beaucoup de fueros furent octroyés à la plupart des royaumes : Aragon, Castille, Navarre, Castille et León. Soulignons tout de même que lors de la réunification des deux royaumes de Castille et d’Aragon par les Rois catholiques Ferdinand et Isabelle, la condition exigée par ces territoires était la préservation de ce statut particulier ainsi que tous les avantages que leur conféraient les fueros.

A- La suppression des fueros et la promulgation des Decretos de la Nueva Planta

Les fueros furent supprimés par Felipe V à travers la promulgation d’une série de décrets dénommés Decretos de la Nueva Planta que, entre 1707 y 1714, terminaron con los fueros y las instituciones propias de los cuatro territorios de la Corona de Aragón, y continuaron con el establecimiento del modelo administrativo castellano en toda España12.

Los Decretos de la Nueva Planta son un conjunto de decretos con los cuales se cambió la organización territorial de los reinos de la Corona de Aragón, que habían luchado contra FELIPE V en la Guerra de Sucesión. (…) Abolieron los antiguos fueros propios de los reinos y condados de la Corona de Aragón (excepto en el Valle de Arán) y extendieron la organización administrativa del Reino de Castilla y el uso del castellano a estos territorios, siguiendo el modelo centralista de los Borbones franceses.13

Ils furent promulgués par Philippe D’Anjou suite à sa victoire pendant la Guerre de Succession sur l’Archiduc Charles D’Autriche. Le

11 http : es.wikipedia.org/wiki/fuero : on détaille les libertés, comme celle de choisir le Maire, les tributs payés à la Couronne, l’obligation d’apporter de l’aide à la suite royale composée d’ouvriers et de chevaliers, ainsi que plusieurs prérogatives qui faisaient que l’homme de la ville soit plus libre que le villageois dans le régime feudal. Chaque ensemble de lois correspondait à une ville, à un territoire qui était composé de plusieurs villages ou municipalités, qui dépendaient de la ville principale. La population avait un conseil qui gouvernait et représentait la ville aux Cortes. Le conseil détenait un grand pouvoir sur la banlieue et la ville ; cependant, elle ne pouvait pas donner le titre de ville à n’importe quelle contrée. 12Fe Bajo Alvarez, Historia de España, Madrid, SGEL, 1998, p. 129: los Decretos de la Nueva Planta qui, entre 1707 et 1714, mirent fin aux fueros et aux institutions propres des quatre territoires de la Couronne d’Aragon, et établirent le modèle administratif castillan dans toute l’Espagne. 13 http://es.wikipedia.org/wiki/Decretos-de-Nueva-Planta: los Decretos de la Nueva Planta sont donc un ensemble de décrets qui changeaient l’organisation territoriale des royaumes de la Couronne d’Aragon, qui avaient lutté contre PHILIPPE V pendant la Guerre de Succession. (…) Ils ont aboli les anciens fueros des royaumes d’Aragon (sauf dans el Valle de Arán) et ont imposé l’organisation administrative du Royaume de Castille et l’usage du castillan à ces territoires, selon le modèle centraliste des Bourbons en France.

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Royaume d’Aragon avait soutenu ce dernier tandis que ceux de Castille et de Navarre étaient partisans de Philippe De Bourbon. Los Decretos de la Nueva Planta sont donc perçus comme une espèce de revanche organisée qui a permis de mettre fin à la tradition confédéraliste appliquée par les rois de la Maison d’Autriche en Espagne et dont le but était de punir tous ceux qui s’étaient opposés à Philippe D’Anjou qui régna sous le nom de Philippe V. Les décrets d’Aragon furent publiés le 29 juin 1707 et ont eu comme résultat la abolición de todo el derecho civil y privado particulares de los reinos de Valencia y de Aragón.14

Quant à la Catalogne, son décret fut publié le 16 janvier 1716. La Généralité de Catalogne, les Cortes, le Consell de Cent furent abolis. En outre, se sustituía al virrey por un capitán general y se dividía Cataluña en corregidurías, como Castilla y no en las tradicionales vigueries. Se estableció el catastro gravando propiedades urbanas y rurales y los beneficios del trabajo, el comercio y la industria. Igualmente, el idioma oficial dejó de ser el catalán y fue sustituido por el castellano, aplicándose desde entonces obligatoriamente en las escuelas y juzgados. También se cerraron las universidades catalanas que apoyaron al archiduque Carlos.15 Enfin, un autre décret, intervenu en 1716, supprima les institutions politiques de la Catalogne.

Au Moyen Age, la Catalogne était une région qui avait toujours eu une culture propre basée sur une langue vernaculaire que la population avait su conserver. A partir du XVIème siècle, une longue étape de décadence commença, mais le mouvement culturel de la Renaixença mit fin à cette situation. La Renaixença es un movimiento cultural que reivindicaba la lengua y los caracteres peculiares de la región, y como consecuencia el descontento por la política centralista llevada a cabo por el Gobierno central.16 Sa tendance politique se transforma en un mouvement régionaliste, le catalanisme, qui, au fil des années, se dota d’éléments teintés de nationalisme avec comme leader politique Enrico Prat de la Riba (1870-1917). Le catalanisme bénéficia de l’appui de l’oligarchie économique de la région favorable à une politique économique protectionniste ; et il disposa, à partir de 1902, d’un parti politique, la Lliga Regionalista, présidé par Francisco

14 http://es.wikipedia.org/wiki/Decretos-de-Nueva-Planta: l’abolition de tous les droits civils et privés particuliers aux royaumes de Valence et d’Aragon. 15 http://es.wikipedia.org/wiki/Decretos-de-Nueva-Planta: le vice-roi fut remplacé par un capitaine général et la Catalogne fut divisée en zones d’influence légale, comme dans la Castille et non pas selon les modèles traditionnels. On établit alors le cadastre en traçant des propriétés urbaines et rurales, ainsi que les bénéfices du travail, du commerce et de l’industrie. La langue officielle n’était plus le catalan et elle fut remplacée par le castillan ; et on l’imposa dès lors dans les écoles et les tribunaux. On ferma aussi les universités catalanes qui avaient soutenu l’archiduc CHARLES. 16 Jesús SANCHEZ FERNANDEZ y otros, Historia.2° Bachillerato, Mc Graw-Hill Editorial, Madrid, 2000, pp. 135-136: la Renaissance est un mouvement culturel qui revendiquait la langue et les caractères propres de la région, et elle eut comme conséquence le rejet de la politique instaurée par le Gouvernement central.

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Cambo. La Lliga se présenta alors comme un parti disposé à revendiquer les droits de la Catalogne pour atteindre l’autonomie au sein de l’Etat espagnol. Mais ce projet séparatiste fut condamné par l’opinion publique et, surtout, par l’Armée qui y voyait une menace pour le modèle d’Etat libéral, unitaire et centraliste construit durant le XIXème siècle.

En ce qui concerne le Pays Basque, un Décret Royal du 21 juillet 1876 supprima les exonérations fiscales et militaires dont bénéficiaient le Pays Basque, créant un nouveau forfait entre celles-ci et l’Etat espagnol.

Un élément clé pour comprendre la dynamique politique du Pays Basque est l’existence des institutions propres héritées du Moyen Age et qui configurent le système foral. Les organes de gouvernement existant dans chaque territoire basque (Juntas Generales) avaient la possibilité de ne pas respecter certaines dispositions de la Couronne qui impliqueraient la violation des fueros, la liberté du commerce et l’exonération des impôts pour les territoires basques. Ce système a fonctionné sans aucune variation jusqu’au XIXème siècle, période au cours de laquelle il s’est heurté ouvertement au projet centraliste des libéraux modérés. Les guerres carlistes ont été, dans une certaine mesure, un reflet de ce conflit, puisqu’elles ont permis l’identification de la revendication forale avec le catholicisme et le légitimisme, contenus dans le slogan : Dios y fueros17.

Pour mieux cerner le nationalisme basque, il faut prendre en compte deux éléments importants: le cadre politique de la région, basé sur les institutions forales et le développement du processus carliste, ainsi que l’industrialisation avec les transformations sociales qui l’ont accompagné.

Ainsi, la suppression des fueros dans le Pays Basque a donné naissance à un mouvement dénommé le fuerisme18, qui préconisait une politique d’union de tous les basques, en marge des partis politiques existants, et dont l’objectif était l’autonomie de la zone : c’est l’Union Basco Navarraise.

Au niveau culturel, la création du parti Societat Euskalerria de Bilbao, en 1876, a permis, comme dans le cas du catalan, la récupération de la langue basque, el euskera, comme langue culte grâce à l’organisation des Juegos Florales19, à la promotion des études linguistiques et à la propagande à travers la presse.

La conséquence de toutes ces mesures est la perte directe des identités culturelles et de certains avantages liés aux traditions des territoires concernés. La réaction logique à cette situation fut la création des mouvements revendicatifs permettant de récupérer la chose perdue : la langue et les coutumes propres. Elles constituèrent les éléments à 17 Dieu et nos coutumes. 18 Relatif aux fueros. 19 Des Jeux Floraux.

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partir desquels se basèrent ces mouvements revendicatifs qui, au fil des années, revêtirent un caractère politique : c’est la naissance du nationalisme.

II- Caractères des nationalismes Basque et Catalan

Les nationalismes basque et catalan s’affirment au XIXème siècle comme la plupart des nationalismes européens. En Espagne, ces deux mouvements nationalistes revendiquent l’existence d’une nation spécifique en s’appuyant sur des faits différentiels comme la langue, la religion, la race, la situation économique, les droits historiques. Partant de ce principe, quelles sont les particularités du nationalisme basque ?

A- Le nationalisme basque : un nationalisme radical et raciste

Le nationalisme est la première force politique du Pays Basque. Il se présente sous trois tendances principales : deux tendances modérées - le Parti Nationaliste Basque (PNV)20 et Solidarité basque ou Eusko Alkartasuna (EA), fondé en 1986 par Carlos Garaikoetxea, et né de la scission interne du PNV - et une tendance extrémiste indépendantiste favorable à la violence (le parti s’appelle Herri Batasuna21).

On peut dire que l’une des caractéristiques principales du nationalisme basque est le fait qu’il a été formulé par une seule personne, Sabino Arana-Goiri (1865-1903) et a réellement pris racine au Pays Basque en 1895, à partir de la création de son parti, le Parti National Basque (PNV). Il se base sur la revendication de la tradition et offre une plateforme d’activité politique adaptée aux nouvelles circonstances politiques nées du processus d’industrialisation de la région. Sa théorie se caractérise par l’affirmation de la race, la défense des us et coutumes, le catholicisme, l’anti-espagnolisme, la proclamation de l’indépendance de la nation composée de la Biscaye, Guipúzcoa, Alava et la Navarre. C’est Sabino Arana-Goiri qui est à l’origine de l’emploi du terme Euskadi pour désigner la patrie commune des Basques. Sa pensée se caractérise aussi par son antimaketismo22. L’affluence des travailleurs immigrants, pendant la Restauration (en 1874), a provoqué une réaction hostile d’une frange de la population basque. Ces immigrants furent donc présentés comme des gens pauvres, de race inférieure, obligés de voyager vers des régions riches pour gagner leur vie. L’immigrant (le maketo) était alors considéré comme la cause de tous les maux de la société basque.

20 PNV signifie en basque Euzko alderdi jeltzalea, ou parti basque du JEL. C’est une contraction de Jaungoikoa Eta Lege zarra, c'est-à-dire « Dieu et nos vieilles lois », qui est la devise du parti. 21 Coalition Populaire. 22 Maketismo vient de maketo pour désigner les immigrants, les autres espagnols, les non basques ; antimaketismo est donc ce mouvement de lutte contre les autres espagnols.

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En effet, Sabino Arana-Goiri, né au sein d’une famille carliste, formule ses fondements idéologiques sur des mythes, sur l’histoire du peuple basque et sur les aspects politiques, sociaux, économiques et culturels de la société basque du XIXème siècle, construits depuis le Moyen- Age.

Il se réfère, par exemple, au mythe de la bataille de Arrigorriaga, au mythe de Tubal, au mythe de la pureté de sang chrétien ou de la noblesse universelle du peuple basque pour justifier la supposée supériorité raciale, religieuse, traditionnelle et linguistique du peuple basque par rapport aux autres espagnols.

Par ailleurs, d’autres éléments sont également exploités par lui : l’exaltation de la tranquillité de la société rurale basque qui représente la base de leur activité économique (l’agriculture par exemple) ; le libéralisme et ses effets néfastes sur la vie traditionnelle des basques, surtout la petite bourgeoisie rurale, et l’abolition des Fueros en 1876.

En somme, le nationalisme basque repose sur les préceptes développés par le fondateur du Parti National Basque, Sabino Arana-Goiri. Ces préceptes peuvent se résumer de la manière suivante : défense de l’être basque, défense à outrance de la religion catholique, création d’un Etat basque indépendant qui engloberait le Pays Basque français, la Biscaye, Alava, Guipúzcoa et la Navarre, le radicalisme anti-espagnol et l’exaltation du peuple basque à travers le maintien de la pureté, de la supériorité de la race basque, unique et différente des autres habitants de la Péninsule Ibérique. Son anti-espagnolisme se manifeste dans les déclarations suivantes : (…) habiendo llegado a conocer a mi Patria y caido en la cuenta de los males que la aquejaban duramente, extendí mi vista en derredor buscando ansiosamente un brazo generoso que acudiera en su auxilio, un corazón patriota, por todas partes tropecé con la invasión española que talaba nuestros montes y que, en vez de ser rechazada, era loca y frenéticamente secundada por indignos hijos de Bizcaya, y no hallé en ninguna página un partido, una sociedad, un libro, un periódico, una página, una sola página, bizkaínos que me escuchais, verdaderamente bizkaína.23

Ses idées se résument dans la devise de son parti : Jaungoiikoa Eta Lege zarra c'est-à-dire Dios y Leyes viejas,24 à travers la promotion

23Sabino, ARANA-GOIRI, « El discurso de Larrazabal » in Obras completas, Edición Bayona, Buenos -Aires, 1893, pp. 155-156: (...) j’ai fini par connaître ma Patrie et comprendre les maux qui la frappent durement ; j’ai jeté un regard autour de moi, en cherchant anxieusement un bras généreux qui viendrait à son (Pays Basque) secours, un cœur patriote ; partout j’ai constaté une invasion espagnole qui dévastait nos montagnes et qui, au lieu d’être repoussée, était follement et frénétiquement soutenue par des fils indignes de la Biscaye ; et je n’ai rencontré nulle part un parti, une société, un livre, un journal, une page, pas une seule page, m’entendez-vous ressortissants de Biscaye, qui soient véritablement de Biscaye. 24 « Dieu et nos vieilles lois ».

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de la langue basque et le rejet de la culture espagnole qualifiée d’étrangère et pernicieuse.

Le Parti Nationaliste Basque n’a pas modifié ses positions originales, même si dans la pratique, il se démarque des méthodes belliqueuses utilisées par les indépendantistes de ETA qu’il condamne fortement.

Le Parti Nationaliste Basque reste assez rattaché à l’Eglise. Il soutient le statut d’autonomie entré en vigueur en 1980 mais, pour certains leaders, l’autonomie n’est qu’une étape vers l’indépendance, et le droit à l’autodétermination est toujours exalté.25

Il faut reconnaître que l’expression politique du nationalisme basque a traversé de nombreuses zones de turbulences ponctuées par des scissions internes. La fondation, en 1959, de l’ETA26 par les jeunes nationalistes issus du Parti Nationaliste Basque, qui utilisent la violence pour lutter contre Franco et son régime, donna une orientation marxiste-léniniste et indépendantiste à cette formation politique.

C’est la naissance de la deuxième voie du nationalisme basque dont la seule méthode reste et demeure, malheureusement, la lutte armée ou le terrorisme contre l’Etat espagnol. En 1974, l’ETA se divise en deux tendances : l’ETA militaire, soutenu par Herri Batasuna, et l’ETA politico-militaire, hostile à la lutte armée. Cette organisation indépendantiste basque est dirigée par ses militants les plus extrémistes soutenus par sa vitrine légale : Herri Batasuna. Le programme de ce parti de gauche préconise : l’amnistie, le retrait de la police et de l’armée espagnoles du Pays basque, une réforme sociale. A long terme le but est de créer un Pays Basque indépendant réunissant les quatre provinces basques espagnoles et les trois provinces basques françaises27.

Aussi, à partir de 1984, les actions terroristes orchestrées par l’ETA n’ont cessé de croître :assassinats des officiers de l’Armée et de la Guardia Civil 28, assassinats des conseillers municipaux basques, d’abord des socialistes et ensuite des militants du Parti Populaire, attentats aveugles (généralement voitures piégées), attentats contre les intérêts économiques français, enlèvements des industriels (libérés après paiement d’une rançon), campagnes d’intimidation à travers des tags menaçants sur les murs des maisons appartenant à ceux qu’ils qualifient de « traîtres », sans oublier l’exigence de l’impôt révolutionnaire à certaines entreprises. Tous les moyens sont bons pour obtenir la libération des prisonniers basques et, surtout, l’indépendance. On recense près de huit cents morts entre 1958 et 2006, et des milliers

25 Pierre LETAMENDIA, les partis politiques en Espagne, collection que sais-je ? Paris, PUF, 1995, p. 93. 26 ETA : Euskadi Ta Askatasuna, c'est-à-dire País Vasco y Libertad ou Pays Basque et Liberté. 27 Pierre, LETAMENDIA, les partis politiques en Espagne, op. cit,. p. 95 28 Gendarmerie espagnole

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de blessés, parmi lesquels des femmes et des enfants, victimes des actions terroristes de l’ETA.

Après une trêve décrétée en 1998, l’ETA a renoué avec la violence en 2000. Il faut dire que l’ETA est sur la liste des organisations terroristes européennes et rencontre un rejet massif non seulement auprès des espagnols mais surtout au sein du Pays Basque car, rappelons-le, les actions terroristes de l’ETA visent aussi les basques eux-mêmes29.

Avec l’arrivée de José Luis Zapatero à la tête du gouvernement espagnol en 2004, l’ETA semble modérer son discours en choisissant la négociation comme moyen d’action et en décrétant cette fois-ci une trêve définitive, mais la prudence reste de mise.

Quant au gouvernement basque, un nouveau projet de Statut est en cours de négociation avec Madrid dont le principe est de redéfinir les relations avec l’Espagne. Son objectif demeure toujours l’autodétermination du Pays Basque.

Ainsi, à ses origines, le nationalisme basque, dont le Parti Nationaliste Basque était l’expression politique, avait une orientation raciste, réactionnaire et indépendantiste. Il a évolué vers deux grands courants d’orientation, de méthodes et d’attitudes différentes, même s’ils partagent, à leur horizon, l’existence d’un Euskadi30 indépendant de l’Etat espagnol.

B - Le nationalisme catalan : un nationalisme modéré et différentiel

Le nationalisme catalan est moins radical et plutôt pragmatique. Ses origines remontent à la première moitié du XIXème siècle, autour du développement d’une bourgeoisie industrielle et du mouvement culturel de la Renaixença, qui revendique la langue et les caractéristiques de la région.

Il faut dire que jusqu’au XVIIIème siècle, la Catalogne a maintenu une structure politique propre au sein de l’ensemble de la Péninsule. La politique centralisatrice instaurée par les Bourbons à la suite des Décrets de la Nouvelle Plante lui enlève ses derniers privilèges. Cependant, le « catalanisme » a survécu grâce à la renaissance littéraire des années 1830-1835. Derrière la formulation de la Renaixença, la Catalogne apparaît comme un symbole mythique basé sur la langue, la terre et l’histoire. Le catalanisme défend le principe de l’identité ethnique basée sur la défense de l’historicisme patriotique (revendication de l’histoire médiévale catalane), du catholicisme (dans sa tendance traditionnelle) et du pluralisme (exaltation du monde rural comme dépositaire des essences de la catalinité). Même si ses missions principales tournent autour de la littérature, sa contribution la plus importante a été l’idéologie. 29 Exemple de l’assassinat de Miguel Angel BLANCO en 1997. 30 Pays basque dans la langue basque

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En effet, la renaissance de la culture catalane s’est transformée en une volonté politique autonomiste avec la fondation d’un parti politique ; la Lliga Regionalista par Francesco Cambo.

De plus, la déroute militaire de l’Espagne face aux Etats-Unis suivie de la perte de ses dernières colonies en 1898 (Cuba, Porto rico, Philippines…) n’est pas seulement un désastre politique, économique et militaire. Elle est également perçue comme un désastre moral qui plonge le pays dans un profond mépris. Aussi, l’Histoire et la culture espagnoles ainsi que la valeur de son unité nationale sont elles mises en question ?

Ces faits marquent l’essor et la consolidation du nationalisme des catalans qui ne se reconnaissent plus dans cette Espagne perdante, faible, incapable et surtout centralisatrice.

Cet état des choses est exploité par l’un des précurseurs du nationalisme catalan ; Enrico Prat De La Riba, qui lance un nouveau projet politique qui préconise la reconnaissance politique de la Catalogne et défend ses valeurs historiques et culturelles. Il propose donc une structure autonomiste et non pas indépendantiste car, selon lui, la Catalogne doit se développer au sein d’une Espagne moderne considérée comme étant la tête de proue de l’empire ibérique qui va de Lisbonne et se projette sur l’Afrique. Cette invitation à la modernité passe nécessairement par la reconnaissance et l’acceptation de l’identité catalane en général et de sa langue en particulier. La Catalogne, par son passé historique, est une partie intégrante de l’Espagne, d’où le rejet de toute tentative séparatiste. Sa pensée peut se résumer ainsi :(…) somos españoles como miembro de este Estado … no somos, pues, enemigos de España... Queremos otra cosa que rehacerlo con equitad y justicia y con una organización más adecuada y perfecta, dentro de la cual Cataluña puede encontrar una vida de libertad y de progreso... queremos ver la patria catalana unida con vínculos de hermandad con los demás pueblos de España, formando una familia fuerte y bien venida, sin Cenicientes explotadas, sin herederas altivas31.

A partir du XIXème siècle, une volonté de regrouper tous les catalans disposés à collaborer pour défendre les intérêts de leur région se fit sentir. C’est dans cette optique qu’ont souvent œuvré les associations et partis politiques comme le Centre Nacional Català (créé

31 B., RIQUER, Lliga Regionalista. La burguesía catalana ; el nacionalismo (1878-1907), Barcelona, Vicens vives, 1977, p. 38 : nous sommes espagnols et membre de cet Etat... nous ne sommes donc pas ennemis de l’Espagne... nous ne voulons que la refaire avec équité et justice, avec une organisation plus adéquate et parfaite, au sein de laquelle la Catalogne peut trouver une voie de liberté et de progrès… nous voulons voir la patrie catalane unie, entretenant des relations de fraternité avec les autres peuples d’Espagne, formant une famille forte et unie, sans erreurs du passé à exploiter, ni héritages hautains.

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en 1882) dont la devise était : Catalunya i avant32 et la Unió Catalanista33(créée en 1891).

Après le désastre de 1898, la question de l’instauration de l’autonomie administrative des régions devient effective, avec la fondation de la Lliga Regionalista, dans le but de revendiquer les droits de la Catalogne et d’atteindre l’autonomie au sein de l’Etat espagnol. Toutes ces actions aboutissent à la promulgation du Statut d’autonomie de la Catalogne pendant la Première République (1873) et la Seconde République (1931).

La formation, en 1974, de Convergence Démocratique de Catalogne (CDC) par Jordi Pujol,34 et celle de l’ Union Démocratique de Catalogne (UDC), permet de créer la coalition Convergence et Union. Cette dernière constitue la force politique nationaliste la plus importante de la Catalogne. La Convergence Démocratique de Catalogne, qui a souvent occupé la présidence du gouvernement autonome catalan, est aussi un parti clé à l’échelon national en l’absence de majorité absolue.

L’enjeu du nationalisme catalan ne se trouve donc pas dans une logique séparatiste encore moins violente. La Catalogne veut appartenir à une Espagne démocratique, moderne, industrialisée et plurielle au sein de laquelle elle peut exprimer ses différences linguistiques et culturelles, et non pas faire partie intégrante d’un Etat uniforme où la langue catalane se trouve réduite à la catégorie d’une identité folklorique.

Ainsi, en s’appuyant sur leurs richesses (surtout économique et culturelle) et sur leur histoire, les catalans veulent développer le fait différentiel. Il consiste à réclamer davantage que ce obtenu par les autres Communautés Autonomes, au motif que la société catalane est différente et qu’elle ne peut être mise sur le même pied d’égalité que les autres régions espagnoles.

La Catalogne est la première zone industrielle d’Espagne et la plus riche. Le nationalisme catalan est donc modéré, même s’il existe un parti de gauche, fortement nationaliste qui s’affiche comme étant indépendantiste, mais hostile à la violence. Il s’agit de Esquerra Republicana de Cataluña (ERC). Dans tous les cas, la Catalogne préconise plutôt la mise en place d’un Etat fédéral qui permettrait à chaque Communauté Autonome de mieux exprimer ses particularités.

Alors, que prévoit donc la Constitution de 1978 par rapport à ce que nous venons d’analyser ? Ses dispositions tiennent-elles compte des particularités et revendications sus évoquées ?

32En avant la Catalogne. 33 Union Catalane. 34 Militant anti-franquiste et président de la Généralité de Catalogne de 1980 à 2004.

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II- Constitution de 1978 et nationalismes

Rappelons que la création de l’Etat autonomique a pour objet le transfert de certaines compétences, normalement exercées par l’Etat, aux communautés constituées pour permettre une gestion de proximité des intérêts de la population par les autorités locales. La Constitution de 1978 établit donc, pour chaque Communauté Autonome, une Assemblée législative élue au suffrage universel, un Conseil de Gouvernement, un Président élu par l’Assemblée et nommé par le roi, et un Tribunal Supérieur de Justice. Les compétences des Communautés Autonomes sont fixées par l’article 148 et correspondent aux secteurs suivants : santé, assistance sociale, tourisme, aménagement du territoire, urbanisme, habitat et logement, agriculture, élevage et pêche côtière, artisanat, développement économique régional, foires d’expositions locales, ports et aéroports de loisirs, forêts, chasse et pêche en eau douce, protection de l’environnement. Les autres compétences, contenues dans l’article 149, sont réservées exclusivement à l’Etat central espagnol ; c’est l’autonomie maximale à laquelle aspirent les Communautés Autonomes dites « historiques ». Ainsi, La structure générale de l’Etat, mise en place par ce texte fondamental, est caractérisée par deux traits essentiels : le maintien d’une forme unitaire et la reconnaissance d’une large autonomie aux communautés autonomes.

A - Un choix unitaire et autonomique

L’adoption du modèle de l’Etat unitaire était la conséquence inévitable du refus de la forme fédérale.

En effet, l’établissement d’un Etat fédéral se heurtait à plusieurs objections. Dans la culture politique espagnole, le fédéralisme est associé au désordre et au localisme qui a prévalu lors de la Première République (1873-1874) et il est suspecté de nourrir les forces centrifuges qui se sont manifestées dans les guerres civiles qui ont ensanglanté l’histoire de l’Espagne contemporaine.

Cette forme d’organisation de l’Etat était également considérée comme inadaptée à une situation marquée par l’inégale intensité du sentiment autonomique existant dans les diverses parties de l’Espagne. Pour la plupart d’entres elles, une simple décentralisation était suffisante pour satisfaire le désir de voir reconnaître les intérêts et les particularités ou spécificités locaux.

Aussi, le caractère unitaire de l’Etat se manifeste par plusieurs dispositions d’importance fondamentale.

Selon l’article 1, alinéa 2 de la Constitution espagnole, la souveraineté nationale réside dans le peuple espagnol, dont émanent tous les pouvoirs de L’Etat35. Cette disposition a des conséquences importantes. Elle implique d’abord que le peuple espagnol, constitué

35 http://mjp.univ-perp.fr/constit/es1978.htm.

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par l’ensemble des Espagnols et non par une quelconque agrégation des groupes et communautés ethniques et culturelles qui la composent, est le titulaire originaire et exclusif de la souveraineté. Il s’ensuit qu’aucune partie de celui-ci ne peut revendiquer son exercice pour, notamment, mettre en œuvre une quelconque prétention à l’autodétermination.

Ensuite, l’unité de l’Espagne n’est pas le résultat d’un pacte qui aurait été conclu par les communautés régionales, ethniques ou historiques qui existent sur le territoire espagnol, comme cela existe dans le cadre d’un Etat de forme fédérale. Le droit de sécession d’une partie de la nation n’existe pas et n’aurait aucune base juridique.

Enfin, le pouvoir constituant, expression fondamentale de la souveraineté, appartient seulement au peuple espagnol dans sa globalité et ne peut être légitimement revendiqué par aucune de ses parties.

Quant à l’autonomie, le principe de sa reconnaissance est affirmé, de manière générale par l’article 2 de la Constitution : (…) la Constitution reconnaît et garantit le droit à l’autonomie des nationalités et régions qui la composent et la solidarité entre elles.36

Le fait que la Constitution emploie des notions différentes pour définir les titulaires possibles du droit à l’autonomie n’est pas la manifestation de l’incompétence ou du laisser-aller du constituant, mais la conséquence des conditions dans lesquelles le problème de l’autonomie était posé.

Il n’est pas inutile de rappeler que si l’Espagne a toujours conservé une diversité culturelle, linguistique et de tradition historique dans les régions qui la composent, c’est surtout dans les deux grandes régions périphériques du Pays Basque et de la Catalogne que l’on peut parler d’ensembles nationaux caractérisés par une histoire, une langue, une personnalité culturelle et une volonté politique de voir le droit de la population à l’autogouvernement. C’est également de ces deux régions que la revendication nationaliste a pris une forme ouverte et parfois violente.

En fin de compte, l’établissement d’un Etat autonomique est destiné à permettre à des communautés, dont les membres se sentent unis par des liens culturels, linguistiques, économiques et historiques, d’exercer des compétences correspondant à des intérêts propres dans le cadre d’un Etat unitaire. En outre, il s’efforce de combiner le maintien de l’unité de l’Espagne avec la reconnaissance de la volonté de gestion autonome manifestée par des provinces ou des communautés historiques.37

36 http://mjp.univ-perp.fr/constit/es1978.htm. 37 Dimitri-Georges LAVROF, Le régime politique espagnol, collection que sais-je ? Paris, PUF, 1985, p. 27.

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B - Une démarche pragmatique

Les solutions qui sont apportées ne sont peut être pas des réponses définitives, mais elles sont la marque d’un pragmatisme qui montre bien que l’on veut à tout prix éviter le retour des démons d’une histoire politique tourmentée et marquée par l’interventionnisme militaire dans la vie politique. Nous faisons, bien sûr, référence aux multiples pronunciamientos38 qui ont jalonné l’Espagne du XIXème siècle, à la guerre civile de 1936-1939 et à la tentative de coup d’Etat militaire de février 1981. Ces multiples crises déshonoraient l’Espagne et retardaient jusque là son épanouissement.

Ce qui importe c’est la démocratie. La monarchie parlementaire fera donc l’affaire.

En outre, l’article 2 de la Constitution de 1978 proclame l’unité indissoluble de la nation espagnole, patrie commune et indivisible de tous les Espagnols. (Mais) reconnaît et garantit aussi le droit à l’autonomie des nationalités et des régions qui la composent et la solidarité entre elles39.

L’introduction du concept « nationalités » se justifie par la volonté de répondre aux aspirations politiques des Basques et des Catalans qui réclamaient un traitement spécial par rapport à leurs statuts d’autonomie obtenus pendant la Seconde République. La Catalogne accède à l’autonomie après la promulgation du Statut de Nuria le 9 septembre 1931, et le Pays Basque obtient son Statut d’autonomie le 1er octobre 1936. Cependant, ce dernier ne sera pas appliqué à cause de la guerre civile. C’est ce qui constitue une différence avec les autres régions espagnoles40. Quant au Titre 8 de la Constitution,41 il prévoit les transferts de compétences aux Communautés Autonomes et leur articulation avec celles de l’Etat.

En maintenant le principe d’un Etat unitaire, tout en organisant des transferts de compétences, la Constitution, à bien des égards, rappelle davantage l’organisation des Etats fédéralistes. A cet effet, la Constitution de 1978 est avant tout le produit d’un environnement déterminé, car obligée de tenir compte des possibles résistances à la démocratisation. Elle ne constitue en aucun cas un cadre rigide, car un grand principe est posé : toutes les régions d’Espagne ont le droit d’accéder à un Statut d’autonomie. Derrière l’apparente générosité du principe, il y a la volonté de limiter les prétentions des nationalismes dits « historiques », comme le Pays Basque et la Catalogne, qui ont été à l’origine de toutes les revendications nationalistes depuis le XIXème siècle. La logique juridique des constituants défendue par les partis à vocation « espagnole » ou « nationale » vient donc heurter de front la 38 Soulèvements militaires ou putschs. 39 http://mjp.univ-perp.fr/constit/es1978.htm. 40 Le Décret royal du 29 septembre 1977 rétablit la Généralité de Catalogne et l’instauration d’un Conseil Général au Pays Basque en décembre 1977. 41 Voir les articles 143 alinéa 1, 147 et 148 de la Constitution espagnole de 1978.

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dynamique politique des nationalités régionales. D’ailleurs, le Pays Basque ne vote pas en faveur de la Constitution de 1978, mais la violence perdure jusqu’à ce jour, même si elle est parfois ponctuée de trêves ces dernières années.

En somme, la création d’une forme originale d’Etat, qualifiée d’autonomique, peut être considérée comme une réalisation intéressante, de ce que l’on appelle actuellement l’ingénierie politique, ou « State engineering » dans le vocabulaire anglo-saxon 42.

Conclusion

Force est de constater qu’après avoir analysé les dispositions de la Loi Fondamentale espagnole de 1978, le Pays Basque et la Catalogne sont les deux Communautés Autonomes qui bénéficient d’un Statut d’autonomie assez avancé. On note par exemple, au niveau du mode de financement des Communautés Autonomes, la cession aux gouvernements régionaux de 15% de l’Impôt sur le revenu perçu dans chacune des Communautés autonomes en 1993 . Et suite à un accord signé entre le Parti Populaire et la Convergence Démocratique de Catalogne de Jordi PUJOL, ce taux est passé à 30% en 1996.

Il est clair que la Constitution de 1978 aurait besoin d’un dépoussiérage et d’une clarification. Mais engager la révision constitutionnelle c’est prendre le risque d’ouvrir la boîte de Pandore dans une situation politique qui présente le risque d’être difficilement contrôlable.

En réalité, ce que veulent les nationalistes basques c’est l’indépendance peu importe les évolutions que pourraient connaître la Constitution de 1978 et leurs Statuts d’autonomie respectifs. Ainsi, en dépit des droits que leur octroie la Constitution en vigueur, le but visé est l’indépendance. Ils ne se reconnaissent pas en tant qu’Espagnols.

Quant aux nationalistes catalans, ce qu’ils veulent c’est une large autonomie qui déboucherait sur le fédéralisme. A la différence du Pays Basque, la Catalogne est une Communauté Autonome où la violence n’a pas été choisie comme moyen d’action politique. Elle a obtenu du pouvoir central, par la négociation, d’importants avantages financiers et des privilèges politiques. Grâce à sa politique de normalisation linguistique, le catalan est devenu la seconde langue officielle de la Catalogne, dont l’usage est obligatoire dans l’Administration. La Catalogne est plutôt dans une dynamique fédérale qui se manifeste notamment par ce désir de renforcer l’usage de sa langue ainsi que tous les autres symboles qui lui permettent d’affirmer son identité et de se faire connaître dans le monde.

42 Dimitri Georges LAVROFF, Le régime politique espagnol, op. cit., p. 12

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De plus, l’Espagne étant membre de l’Union Européenne43, cette intégration vise à terme la constitution d’une identité européenne. Elle a aussi adhéré au Traité constitutionnel de Maastricht. Il est donc paradoxal que certains de ses nationalismes cherchent absolument à s’autodéterminer et ensuite à adhérer à l’Union Européenne, comme c’est le cas avec le Parti Nationaliste Basque qui adhère à l’Union Européenne dans le groupe des démocrates-chrétiens.

C’est ce que le Président François Mitterrand a appelé en 1991 « le contraire » en parlant de l’éclatement de la Yougoslavie au moment où la construction européenne était en phase d’accélération. Le Statut d’autonomie ne représente donc qu’un pis-aller pour les Basques.

Toutefois, cette indépendance une fois acquise ne pourrait-elle pas provoquer ce qu’on appelle le transvasement qui, à terme, pourrait mettre en danger l’unité espagnole et l’existence même de l’Etat espagnol ?

Bibliographie

Dictionnaires

- Dictionnaire unilingue, Petit Larousse Illustré, édition 1996. - La Real Academia Española, Diccionario de la lengua española, tomo 2, Madrid, 1992.

Autres ouvrages

- ARANA-GOIRI, Sabino, “El discurso de Larrazabal” in Obras completas, Edición Bayona, Buenos Aires, 1893, 258 p. - FE BAJO ALVAREZ, Julio Gil, PECHARROMAN, Historia de España, Madrid, Ediproyectos Europeos, 1998, 222 p. - LAVROF, Dimitri- Georges, Le régime politique espagnol, collection que sais-je ? Paris, PUF, 1985, 127 p. - LETAMENDIA, Pierre, Les partis politiques en Espagne, collection que sais-je? Paris, PUF, 1995, 120 p. - PEREZ PICAZO, María Teresa y LEMEUNIER, Guy, L’Espagne au XXème siècle, Paris, Armand Colin, 1994, 191 p. - RIQUER, B., Lliga Regionalista. La burguesía catalana; el nacionalismo (1878-1907), Barcelona, 1977, 286 p. - SANCHEZ FERNANDEZ, Jesús y otros, Historia. 2° Bachillerato, Madrid, Mc Graw-Hill Editorial, 2000, 383 p.

43 L’Espagne intègre la Communauté Economique Européenne sous le gouvernement de Felipe González en 1986.

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- VILAR, Pierre, Historia de España, collection Que sais-je?, Paris, 1994, 127 p.

Sites internet

- http: //es.wikipedia.org/wiki/fuero - http://es.wikipedia.org/wiki/Decretos-de-Nueva-Planta - http://mjp.univ-perp.fr/constit/es1978.htm

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