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1 LES ESPACES LIBRES DES GRANDS ENSEMBLES HANDICAP OU POTENTIEL ? Marion Bonnet Mémoire de deuxième cycle, Master Habitats & Énergies Encadrants : Paul Landauer, Ana Bela de Araujo, Guillaume Grall ECOLE NATIONALE SUPERIEURE D’ARCHITECTURE DE LA VILLE & DES TERRITOIRES A MARNE-LA-VALLEE DOCUMENT SOUMIS AU DROIT D’AUTEUR

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LES ESPACES LIBRES DESGRANDS ENSEMBLES

HANDICAP OU POTENTIEL ?

Marion Bonnet

Mémoire de deuxième cycle, Master Habitats & ÉnergiesEncadrants : Paul Landauer, Ana Bela de Araujo, Guillaume Grall

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Préambule p. 5Introduction p. 7

1. Les espaces « libres » ou l’impensé du projet p. 13

2. Les espaces libres et la pratique paysagère p. 23

3. Le poids d’un héritage foncier paralysant p. 29

4. « Vagues, vides, verts »1, ou la question de l’indéfinition p. 35

5. Le «vide», atout pour une transformation durable des grands ensembles p. 45

Conclusion p. 53Bibliographie p. 55

SOMMAIRE

1 BÉGUIN François, « Vagues, vides, verts », Le Visiteur n°3, Paris, Publication de la Société Française d’Architecture, p.56-69

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Dans le cadre de mon mémoire de licence, j’ai été ame-née à explorer la question des interstices de la ville, de ces espa-ces de l’attente où règne un sentiment d’indéfinition et souvent de rejet mais qui constituent une véritable matière pour répondre au manque d’espaces constructibles de plus en plus conséquent des villes et permettre à la ville de continuer de se développer. Au cours de mes recherches, mon attention s’est portée sur un livre de Philippe Vasset, un livre blanc*, dans lequel l’auteur raconte ses déambulations dans Paris et sa proche banlieue, en quête de découvrir à quoi correspondent ce qu’il nomme « les zones blanches » des cartes IGN. Il s’agit en grande majorité de terrains vagues, de friches industrielles, d’édifices en ruine, de chantiers ou encore de zones inondables devenues inexploita-bles. Je suis, moi aussi, allée explorer ces espaces et ai décou-vert certains d’entre eux réinvestis par des projets d’architectes atypiques. Ces « non-lieux » étaient devenus matière pour les architectes. J’ai souhaité inscrire mon mémoire de Master, dans la continuité de cette problématique des espaces vacants aux forts potentiels exploitables des villes. Le mémoire ayant pour thème commun « Les Grands ensembles », la question des espaces publics, ca-ractéristiques de cet urbanisme, m’a semblé correspondre à mon désir de prolonger mes recherches sur la problématique de l’in-terstice urbain.

PRÉAMBULE

* VASSET Philippe, Un livre blanc, Paris, Fayard, 2007, 135p.

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Le territoire dans lequel s’est inscrit le modèle du grand ensemble dans les années 1950 subit depuis près d’un demi-siècle de vives critiques et fait l’objet de nombreux discours controversés. La tendance générale de la presse et des médias à ne véhiculer qu’une image dégradée, défavorisée et crimino-gène de ces quartiers en difficultés, fait de ce territoire au pied des barres et des tours « la scène par excellence où s’extériorise la crise urbaine »1. Cependant, des discours plus nuancés et plus volontaristes des politiques et acteurs de l’aménagement urbain, fondés sur une analyse plus fine des fondements et du fonction-nement actuel de ce mode d’urbanisme, témoignent d’un pro-gressif changement du regard et des considérations portés sur ces quartiers et particulièrement sur les grandes étendues de sols libres au pied des immeubles d’habitations.

1 LEBOIS Valérie, « Habitants et architectes : des créateurs d’images », Labyrinthe, Juillet 2008, http://labyrinthe.revues.org/470

INTRODUCTION

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L’urbanisme des grands ensembles, qui se situe à l’op-posé - tant dans sa fabrication que dans sa pratique - de l’urba-nisme de rue, a généré des territoires « difficiles ». Dans la ville traditionnelle, l’espace dit « public » est dessiné par la juxtapo-sition des bâtiments et leur alignement sur rue. L’espace « libre » situé au pied des immeubles des grands ensembles présente un tout autre schéma : il est la résultante de l’application des doc-trines urbanistiques du Mouvement Moderne selon lesquelles la question de l’objet architectural prévaut sur la question du contexte et des lieux de vie commune à offrir aux habitants de ces quartiers. L’existence à donner à ces espaces extérieurs est de fait souvent reléguée au second plan lors de la conception de ces grands projets de quartiers d’habitats modernes. Avant même les premières constructions des grands ensembles, Le Corbusier s’interrogeait déjà sur l’avenir de ces territoires diffi-ciles à appréhender. Il soulignait, à propos de ses projets avant-gardistes de villes nouvelles :

« Les vides immenses que je créais dans cette ville imaginaire, dominé par un ciel répandu partout, j’avais une grande angois-se qu’ils fussent morts, que l’ennui n’y régnât, que la panique ne saisit ses habitants. »2

Ces vastes espaces libres, qui à leur origine répondaient aux be-soins hygiénistes et matérialisaient la rupture avec l’insalubrité et la congestion de la ville classique, se voient finalement ac-cusés des maux que subissent les grands ensembles depuis les années 1970. Le manque d’usage et de lisibilité des espaces, dû à une absence de délimitations identifiables, ainsi que des difficultés de gestion liées à des questions de propriétés, sont les principaux dysfonctionnements mis en cause dans le déclin socio-économique de ces quartiers. Cependant, les espaces li-bres au sol sont de plus en plus envisagés comme une vérita-ble réserve, un champ d’intervention pour la « (re)fabrication » et le renouvellement de ces territoires en déclin. Bon nombre

2 Cité par BESSET Maurice, Le Corbusier, A. Skira, 1975, p.175

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d’acteurs et de politiques voient dans ces espaces une réelle matière foncière qu’il s’agit de réinvestir afin de permettre le développement de ces quartiers. En effet, face à une raréfaction du foncier disponible dans les villes, ainsi qu’à leurs extensions périphériques désordonnées (investissement des zones rurales par les nappes pavillonnaires), la réintégration de ces territoires, situés en banlieue proche, dans les politiques de développement urbain, semble nécessaire. Les vastes programmes d’interven-tions mis en place par l’Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine (ANRU) en 2004, soutenus par l’Etat et divers parte-naires sociaux, témoignent d’une volonté forte de transformer et de changer l’image de ces quartiers, ainsi que le quotidien de ces habitants. A travers ce Projet de Rénovation Urbaine, il s’agit aussi de relancer la dynamique du marché immobilier et donc une dynamique économique dans ces quartiers qui possè-dent des atouts rarement considérés et exploités. En effet, bien qu’ils soient situés en périphérie des grandes villes, ces territoi-res sont souvent plus proches et mieux desservis (ou tendent à l’être) par les transports en communs que certaines banlieues ou communes plus éloignées des centres villes. C’est d’ailleurs l’enjeu vers lequel tend le projet de métro du Grand Paris. En desservant les nombreux quartiers de grands ensembles situés dans les villes en proche banlieue, le métro permettra ainsi de relancer la dynamique du marché immobilier et de l’économie dans ces territoires restés jusqu’à présent difficiles d’accès de-puis le Paris intra-muros. Toujours dans cette vision prospective de la question des grands ensembles, un second changement de regard est plus étroitement liée aux politiques du développement durable et aux démarches écologiques et environnementales qui s’appuient de plus en plus sur les progrès en matière d’énergies renouvelables et les interventions que l’on peut faire sur le parc bâti afin d’améliorer leurs performances énergétiques. A une époque où le réchauffement climatique et l’es-soufflement progressif des ressources énergétiques dont nous disposons et dont nous dépendons fortement, font l’objet d’in-

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quiétudes véhiculées dans l’actualité quotidienne, une nouvelle attention est portée sur ces territoires. Certains architectes, ur-banistes ou maîtres d’ouvrages, engagent des réflexions sur une transformation durable de ces quartiers, sur les innovations à y apporter et sur l’exploitation en profondeur des potentialités et des ressources qu’ils possèdent. Dans un numéro spécial de la revue Ecologik3, plusieurs architectes et urbanistes, principa-lement enseignants et chercheurs de l’Ecole d’Architecture de la Ville et des Territoires de Marne-la-Vallée, introduisent des notions telles que « ville latente »4, « résilience urbaine »5 et « terres d’avenir »6, dans une succession d’articles traitant de la question des grands ensembles et de leur devenir. Depuis leur réalisation, la perception des espaces libres des grands ensembles n’a donc pas été une perception linéaire et constante. Face à une image négative trop souvent véhiculée, certains discours, moins connus, se sont toujours attachés à en défendre leur valeur. Ce mémoire s’attache à retracer ces per-ceptions successives portées sur les espaces publics modernes afin de comprendre comment d’espaces peu considérés par les doctrines urbanistiques dès années 1950 et de fait difficiles à appréhender, ils sont aujourd’hui réinterrogés, reconsidérés, et sont amenés à être réinvestis aux vues des potentialités qu’ils ont à offrir. Prenant la forme d’une succession de chapitres traitant chacun d’une thématique propre à la question de l’espace public présent dans les grands ensembles, les questions ou les points de vue soulevés dans ce mémoire appuient leur développement sur les discours, souvent divergents, d’acteurs de l’aménagement urbain tels que des architectes, des urbanistes, des paysagistes, des chercheurs, etc. Ces discours présentent cependant la carac-téristique commune de tenir une position affirmée allant dans le sens d’une revalorisation de la qualité de ces espaces souvent

3 « Grands et ensembles », Ecologik, N°28, Août/Septembre 2012, 140p.4 ALONZO Eric, MAROT Sébastien, « La ville latente », Ecologik, N°28, Août/Septembre 2012, pp.44-475 LANDAUER Paul, « Grands ensembles, terres d’avenir », Ecologik, N°28, Août/Septembre 2012, pp.40-436 Idem

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mis à défaut, ainsi qu’un discours volontariste d’ouverture vers l’avenir de ces espaces publics dans la requalification qui se joue actuellement au sein des grands ensembles. En réintroduisant la question de l’espace public dans son contexte d’origine, à l’épo-que du Mouvement Moderne, et des différents facteurs qui l’ont amené à devenir l’élément fédérateur de l’urbanisme des grands ensembles, les deux premiers chapitres s’attachent à analyser les démarches opposées des deux disciplines principalement concernées par la fabrication de ces espaces : la conception sou-vent abstraite et hors sol, centré sur l’objet, de l’architecte, en opposition à la volonté de révéler le site du paysagiste. Le cha-pitre suivant témoigne des conséquences directes qu’ont eu ces espaces restés les impensés du projet lors de leur conception, sur le fonctionnement actuel de ces quartiers et sur la façon dont ces « vides » ont fait l’objet de vives critiques dès les années 1970. Ceci amène à questionner, dans un nouveau chapitre, la part de définition ou d’indéfinition à attribuer à ces espaces, et comment les discours portés vers l’une ou l’autre de ces notions dévoilent chacun les atouts et qualités de ces espaces. Le dernier chapitres procède à un examen plus prospectif de ces espaces qui présentent la matière nécessaire à une restructuration globa-le des grands ensembles, visant à en faire des quartiers durables réintégrés à la ville voire même les berceaux des futurs enjeux territoriaux de la ville de demain.

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Dans le cadre du Projet de Rénovation Urbaine (PRU) mené par l’ANRU, les intervenants sont souvent confrontés à la question de la gestion et de la transformation de l’espace ex-térieur des grands ensembles qui pose dès lors bon nombre de problèmes de gestion, de propriété et d’image. Ils nécessitent une réflexion en profondeur sur comment redonner corps à ces lieux partagés et comment les sortir de l’image dégradée et in-sécurisante qu’ils véhiculent très largement.Si ces espaces ne semblent plus remplir le rôle social auquel ils étaient prédestinés, lieux de détente, de loisir et de rencontre, un manque certain de prise en compte et de réflexion portées sur ces espaces par la maîtrise d’ouvrage et par les architec-tes eux-mêmes, lors de la construction des grands ensembles, constituent l’une des principales causes des maux sociaux dont souffrent ces « quartiers en difficultés ».

LES ESPACES « LIBRES » OU L’IMPENSÉ DU PROJET

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La France de l’Entre-deux-guerres est animée par de violents débats concernant le développement de ses zones ur-baines : résorption des taudis qui engorgent les villes les plus denses, désordre pavillonnaire qui envahit les zones rurales et développement anarchique des banlieues. Une succession de lois sur le logement tentent, à l’époque, d’endiguer ce glisse-ment pavillonnaire périphérique et d’encourager la réalisation de cités-jardins qualifiées dans la Charte d’Athènes de « Paradis illusoires et de solutions irrationnelles » par les membres des CIAM (Congrès Internationaux d’Architecture Moderne). Pour Le Corbusier, membre des Congrès dès 1928, « la question du logement doit être résolue de manière globale et à l’échelle du territoire, toute initiative locale étant vouée à l’échec »7. C’est seulement dans le contexte fragilisé de l’Après-guerre que l’État engage une politique volontariste d’aménagement du territoire afin de répondre à d’importantes crises sociales et humaines. Face aux villes insalubres et congestionnées, et pour répondre à l’urgence de loger une population croissante (boom démogra-phique, accueil des Pieds-Noirs rapatriés à la fin de l’Empire colonial, main-d’œuvre immigrée recrutée pour la reconstruc-tion du pays, etc.), la grande urbanisation de masse des années 1950, basée sur le modèle des grands ensembles, se déploie dans les territoires périphériques (zones agricoles, vides paysagers, terrains vagues), profitant d’un foncier disponible bon marché.

Les espaces publics modernes, souvent qualifiés d’« es-paces libres », sont nés avec le modèle du grand ensemble. Les vastes territoires, vierges de toute construction, sur les-quelles ce nouveau mode d’urbanisation s’est implanté, consti-tuent l’un des facteurs d’un possible dégagement du sol entre et autour des bâtiments qui le contiennent. Ces terres inhabitées pendant l’ère industrielle ont permis l’application de doctrines urbanistiques et hygiénistes énoncées dès les années 1930. La nécessité de sortir les populations de l’asphyxie et de l’insalu-

7 Le Corbusier cité dans DIRECTION DU PATRIMOINE, Les Grands Ensem-bles : une architecture du XXe siècle, Paris, Carré, 2011, p.11-12

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brité de la ville ancienne, à l’époque symbole d’entassement, de promiscuité et berceau des dérives sanitaires, engage les acteurs politiques et professionnels du développement urbain à rompre avec le modèle de la ville traditionnelle (Fig. 1). La pensée hy-giéniste des Trente Glorieuses trouvera écho dans la synthèse des travaux menés par les membres des CIAM, publiée dans sa version définitive en 1943, la Charte d’Athènes. Principe fonda-teur de cette charte, l’espace au sol se doit d’être dégagé pour garantir les éléments nécessaires à l’amélioration de la qualité de vie et du confort des nouveaux logements : « air, lumière, so-leil, espace » est devenu le slogan de la réussite de l’urbanisme moderne. Les dimensions, sans précédent, attribuées à l’espace au sol sont par ailleurs rendues possibles par les progrès tech-niques et industriels réalisés dans le secteur du bâtiment. La préfabrication par le procédé CAMUS, les chemins de grue et l’avènement du béton vont permettre une prise de hauteur des constructions supposant dès lors une implantation des bâtiments à grande distance les uns des autres dans un souci de respect des règles de prospects de 45° qui conditionnent l’éclairement intérieur des logements. Cette implantation distendue « libère le sol en faveur de larges surfaces vertes »8 et permet ainsi de re-trouver un rapport direct à la nature, souvent absente de la ville ancienne, au pied des immeubles.

La conjonction économique, politique et sociale favo-rable d’un pays qui se modernise, ainsi que l’enthousiasme gé-néral porté aux premiers grands ensembles, profitent pleinement à la promotion immobilière qui utilise cette nature retrouvée comme garante de la moralité. Un extrait d’un dépliant publi-citaire pour la vente d’appartements d’une résidence, construite en 1955, en témoigne :

« si vous aimez les espaces verts aux belles perspectives, si vous retrouvez la joie de vivre en renouant avec la nature tout en

8 FAURE Anne, Entre les tours et les barres : restructurer les espaces publics des grands ensembles, Lyon, CERTU, 1996, p. 22

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Fig. 1 - Représentations schématiques accompagnant le plan de reconstruction de la ville de Mayence (section du Plan, 1946-1948) par Marcel Lods.

« En sombre, figure de la ville ancienne, chaotiques; en clair, les promesses de la ville ra-tionnelle. Le contraste des schémas est redoublé par des coulbes d’opposition de termes: « ordre » contre désordre, « lumière » contre « ténèbres ».

(Sources: DEVILLARD Valérie, JANNIÈRE Hélène, Mémoires urbaines, retrouver les identités historiques des espaces publics )

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conservant le confort de la ville, si enfin, dans l’intérêt de la santé physique et morale de vos enfants, vous désirez imprégner leur mémoire de souvenirs heureux, vous apprécierez notre for-mule : vivre dans un parc. »9

Cet idéal d’une ville verte et ouverte, faite de bâtiments dispo-sés librement ou articulés autour d’un espace libre est appuyé par l’une des règles de composition urbaine essentielle du grand ensemble qui consiste à « ne jamais fermer complètement les es-paces extérieurs, privilégiant cette « fluidité spatiale » qui était l’un des signes distinctifs de l’espace autant intérieur qu’ex-térieur de l’architecture moderne. »10. Cependant, bien que la création d’un espace vert accessible à tous se doit de constituer, selon la Charte d’Athènes, « le cœur et l’élément fédérateur de l’aménagement urbain moderne », celui-ci est très peu pensé et défini en tant qu’espace paysager de qualité, espace de loisir ou de détente. Le grand ensemble pensé avant tout comme un espace ayant pour fonction première celle de loger une popula-tion nombreuse, la résultante au sol de l’objet architectural est vite rapportée au seul rôle fonctionnel d’irrigation du territoire. Le modèle du grand ensemble, constituant l’extrême opposé du modèle de l’habitat sur rue, la fonction d’accès au logement que remplissait la rue est réattribuée à un espace extérieur qui hié-rarchise les flux et dessert la pièce urbaine.

D’autre part, les termes employés par la Charte d’Athè-nes pour décrire ces espaces restent très abstraits dans leurs usages et leurs statuts en comparaison avec les terminologies de l’espace « libre » présent dans la ville traditionnelle (place publique, parvis, parc, jardin, square, etc.). Ces espaces publics modernes, qualifiés de « surfaces vertes », d’« espaces libres» ou encore de « surfaces plantées » résonnent plus en termes de

9 DEHAN Philippe, JULLIEN Béatrice, « Au détour des chemin de grue »,dans Les espaces publics modernes : situations et propositions, Paris, Le Moniteur, 1997, p.3410 TOMAS François, BLANC Jean-Noël, BONILLA Mario, Les grands ensembles : une histoire qui continue... , Saint-Etienne, Publications de l’Université de Saint-Etienne, 2003, 260p.

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quantité - « pour les modernes, c’est l’augmentation de la sur-face libre qui compte »11 - tant leur qualité n’en est que peu dé-finie. Sur ce point, la doctrine est totalement muette. Comme le souligne Philippe Dehan et Béatrice Jullien, dans leur article « Au détour des chemins de grue » :

« Entre l’échelle de l’urbanisme, avec son zoning et ses flux sé-parés, et celle du bâtiment, assemblage de cellules, on constate une absence de théorisation et de définition de l’espace collectif, tant dans les textes de références tels que la Charte d’Athènes que dans les directives institutionnelles encadrant le développe-ment des grands ensembles. »12

Ces silences théoriques sur l’espace public des grands ensem-bles semblent avoir généré un quasi-total affranchissement de la question de leur aménagement chez les architectes qui tentaient, à l’époque, de concevoir ces quartiers d’habitations en donnant une dimension pratique aux principes théoriques.Dans toute la machine du nouvel urbanisme des années 1950, les espaces publics apparaissent donc comme les impensés du projet. Dans De l’espace libre à l’espace public, les auteurs dis-tinguent les positions de Kenneth Frampton et André Corboz sur la façon qu’ont les architectes du Mouvement Moderne d’ap-préhender l’espace libre et le paysage périurbain.

Selon Frampton : « les architectes du début du Mouvement Mo-derne cherchaient moins à domestiquer la nature qu’à y blottir leurs bâtiments. » Corboz considère plutôt que « pour les Modernes, « l’espace » est un concept isotrope jamais clairement défini : la généra-tion des CIAM pense implicitement que l’espace est un « vide », c’est-à-dire ce qui entoure les « pleins » […] et si cette généra-

11 DEHAN Philippe, JULLIEN Béatrice, « Au détour des chemin de grue »,dans Les espaces publics modernes : situations et propositions, Paris, Le Moniteur, 1997, p.3512 Idem

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tion ne pousse pas plus loin l’enquête sur le phénomène spatial, c’est parce que l’espace lui paraît évident : il est disponible, il nous entoure, il est quantitativement illimité et il n’offre pas de résistance. »13

Ces deux points de vue illustrent bien un certain désengagement de la part des architectes vis-à-vis de la définition de ces vides. Cela confirme l’idée selon laquelle, à l’époque, les attentions se portaient principalement sur l’objet architectural, sur le be-soin de répondre massivement à la pénurie de logements, et que les espaces au sol ne sont que la résultante d’une application radicale des aspirations modernistes. La conception des grands ensembles est donc, dans la plupart des cas, une conception hors-sol. L’article « Les grands ensembles, entre Beaux-Arts et Modernes »14, paru dans la revue Ecologik de août/septem-bre 2012, questionne la dimension « acontextuelle » des grands ensembles. Jean-Louis Cohen interroge Jacques Lucan : « un possible entrainement à l’ignorance des conditions spatiales, dans lesquelles les grandes compositions des grands ensembles [sont] souvent déployés », n’aurait-il pas été influencé par les pratiques de l’Ecole des Beaux-Arts ? Les sujets de projets de concours proposés aux élèves présentent des sites très abstraits avec quasiment aucune donnée géographique ou topographique et se bornent à dresser un cadre purement descriptifs : « aux abords d’un lac, dans un site de montagne, etc. »15. L’absence de précisions quant aux dimensions des terrains transforme les projets en des exercices de pure composition ou le vide de l’es-pace extérieur est de plus en plus lâche et ne semble plus tenir le poché du bâti. Selon Jacques Lucan, « le champ d’applica-tion tardif de ces grandes compositions, ignorant toutes condi-

13 TREUTTEL Jérome, GARCIAS Jean-Claude, TREUTTEL Jean-Jacques, De l’espace libre à l’espace public : architecture des espaces publics modernes, Paris, PCA, 1996, p.6714 COHEN Jean-Louis, LUCAN Jacques, « Les grands ensembles, entre Beaux-Arts et Moderne », Ecologik, N°28, Août/Septembre 2012, pp.34-3915 Idem

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tions spatiales », sera bel et bien, « à une échelle inouïe, celui des grands ensembles des années 1950 à 1970 »16. L’idée selon laquelle la conception des grands ensembles s’est parfois faite sans prise en compte du contexte et du site, semble donc fondée. D’autre part, l’approche verticale dont font état les recherches compositionnelles des grands ensembles, vont dans le sens de cette hypothèse. Sans réelle pratique et imprégnation du site par les architectes, « les ensembles de bâtiments constituant le paysage des nouvelles agglomérations (les quartiers de grands ensembles) sont élaborés sur la planche à dessin et à partir de maquette »17, et sont donc observés par le dessus, telle une vue aérienne. Il ressort du travail de plan de masse, une abstraction compositionnelle parfois déroutante par opposition au tissu den-se et aléatoire inculqué par la ville traditionnelle. Dans une ma-jorité des cas, le poché du bâti évoque des formes géométriques, semblables à « des morceaux de sucres » dont on se servirait pour jouer à un jeu de domino. « Les grands ensembles sont de-venus des objets indépendants les uns des autres, des morceaux de sucres, sans prise en compte des espaces et des vides qui les séparent »18, de leurs atouts et de leurs potentialités exploitables. L’espace extérieur est (non)représenté par une masse blanche, « un halo de lavis entourant, sur les dessins, la matière bâtie.»19

Les architectes ont très peu cherché à donner une exis-tence réelle à ces espaces et à leur attribuer un rôle autre que fonctionnel de gestion des flux, et d’agrément visuel par de vastes étendues de pelouses non praticables et une végétation nécessitant peu d’entretien. Ce que les architectes laissent « en blanc » sur les plans apparaît donc bel et bien comme l’espace impensé du projet. « Que deviennent alors ces silences de la

16 Ibid17 CHOAY Françoise, Histoire de la France urbaine, la ville aujourd’hui, Paris, Le Seuil, 198518 Pierre RIBOULET, cité par Sandra PARVU, dans Grands ensembles en situation : journal de bord de quatre chantiers, Genève, MétisPresses, 2010, p. 12919 COHEN Jean-Louis, LUCAN Jacques, « Les grands ensembles, entre Beaux-Arts et Moderne », Ecologik, N°28, Août/Septembre 2012, pp.34-39

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carte, ces espaces inexplorés par le projet architectural dans la réalité du terrain ? »20 (Fig. 2)

20 PARVU Sandra, Grands ensembles en situation : journal de bord de quatre chantiers, Genève, MétisPresses, 2010, p.129

Fig. 2 : Les silences de la carte

(Sources: PICON-LEFEBVRE Virginie, Les espaces publics modernes: Situations et propositions )

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Contrairement aux architectes du Mouvement Moder-ne, qui semblent de fait avoir très peu investi les questions de planification de l’espace public des grands ensembles, la disci-pline émergente du paysagisme ouvre les réflexions et les débats dans le but d’apporter à ces espaces une qualité paysagère et un véritable traitement des usages. Le travail paysager de ces espa-ces permet alors de redonner une échelle humaine à ces grands vides qui redeviennent ainsi des lieux de sociabilité. La démar-che paysagère sur les grands ensembles s’attache à révéler les potentialités et les ressources que possèdent ces espaces mais qui ne sont jamais perçues comme tels car très peu qualifiés.

LES ESPACES LIBRES ET LA PRATIQUE PAYSAGÈRE

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L’une des premières qualités de l’existant est, selon les paysagistes, la présence de vides. Le vide constitue à leurs yeux la richesse de terrains disponibles pour travailler, transformer, faire muter ces espaces et faire ainsi de ces « surfaces vertes » abstraites, mentionnées par la Charte d’Athènes, de véritables lieux de convivialité, de rencontre et de loisirs. Une autre des potentialités souvent mise en évidences par les paysagistes est le sol. Simple assise des constructions ou encore surface découpée en parcelles pour les architectes, il devient chez les paysagistes « une réalité digne d’être vue, une matière vivante, un matériau de projet »21 (Fig. 3). La réflexion sur l’utilisation de ces espaces revient donc principalement à la discipline du paysage, même si certains architectes de l’époque s’inscrivent réellement dans une démarche de qualification et non plus seulement de quanti-fication des espaces publics.

Pris en épingle entre deux visions, l’une architecturale centrée sur l’objet bâti, et l’autre administrative « prenant des décisions à une si grande distance, que les composantes du site qui permettraient de tenir compte du paysage, disparaissent »22, le point de vue et l’approche des paysagistes rencontrent certai-nes difficultés à s’instaurer dans les processus de projet.Formé à l’Ecole Nationale d’Horticulture de Versailles, dans le cadre du nouvel enseignement dispensé par la Section du pay-sagisme et de l’art des jardins (1945), le paysagiste et urbaniste Jacques Sgard fut le premier de cette deuxième génération de professionnelles du paysage, à participer à une grande opération de construction de logements. Il est intégré au vaste projet des 4000 à la Courneuve (93) en 1958. D’après les témoignages de Jacques Sgard, Sandra Parvus met en avant les débuts difficiles d’une collaboration entre architectes et paysagistes :

21 HATZFELD Hélène, MOUTTON Yves, Les espaces libres, atouts des grands ensembles, Lyon, CERTU, 2006, p.11022 PARVU Sandra, Grands ensembles en situation : journal de bord de quatre chantiers, Genève, MétisPresses, 2010, p.130-131

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Fig. 3 : Le travail paysager dans le parc de la Villeuneuve (Greno-ble) et le grand ensemble de La Grande Terre (Marly le Roy) (BLANCHON Bernadette, Les paysagistes en France depuis 1945)

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« Les discussions de projets sont réservées aux architectes qui n’imaginent pas qu’un paysagiste puisse être consulté sur la composition d’un plan de masse. Le rôle du paysagiste est dès le départ établi par les architectes comme celui d’un dessinateur des espaces octroyés. »23

D’autre part, le travail du paysagiste est souvent rendu difficile par les destructions quasi totales des couches supérieures du sol, dévastées par l’intervention lourde des chantiers de construc-tion.

« Les matériaux préfabriqués entassés à même le sol, les débris provenant des démolitions et les traces laissées par les chemins de grue, transformaient les terrains en des sols impossibles. »24

Le travail du paysagiste est donc celui de la planification du vide, de ces espaces poussés à la marge ou exclus du projet. Il remet ainsi en question le consensus centré sur le seul objet architec-tural. Partant d’une analyse de site, et non d’un programme et de normes, son point de vue diffère de celui des architectes. En effet, « le vide se définit, pour l’architecte, principalement en termes de distances, d’humidité de l’air, d’effets acoustiques ou de lumière. Pour le paysagiste, le vide est qualifié au contraire par son ancrage dans la terre, son souci principal est de « créer une complexité au sol que l’architecte ne donne pas » »25. Adop-ter le point de vue du paysagiste, qui s’attache à révéler le site en tenant compte du contexte dans lequel s’inscrivent les bâ-timents, « permet le rétablissement d’un regard horizontal qui se déplace de l’objet vers un espace non-bâti qui se construit principalement sur la relation des habitants entre eux »26.

23 Idem24 Ibid25 Entretien avec Jacques Sgard et Cristina Rossi, le 25 juin 2007, propos cités par Sandra PARVUS dans Grands ensembles en situation : journal de bord de quatre chantiers, Genève, MétisPresses, 2010, p.143 26 Idem

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Pour rompre avec l’uniformité des plans de masse, générale-ment dépourvus de centralités et donc d’espaces de rencontre, le paysagiste tente de définir des lieux dans un espace illimité, qui soient appropriés pour accueillir des places invitant les passants à s’arrêter, des aires de jeux pour enfants, des placettes, etc., mais aussi qui déterminent plus clairement la transition entre l’espace public extérieur, pratiqué par tous, et l’espace privé de l’immeu-ble puis du logement. En mettant en forme l’espace public, par l’articulation d’échelles entre les bâtiments et l’aménagement de points de rencontre et de loisirs, « le paysage devient hypothé-tiquement le garant d’un échange social »27. L’image d’un lieu où peuvent s’entrecroiser les parcours et où peuvent s’échanger les usages est aussi qualifiée par la végétation qui arbore les espaces publics des grands ensembles. Face à la hauteur du bâti, les arbres plantés effectuent une coupure entre l’espace au sol et les immeubles perçus en contre-plongée. Pour en quelque sorte résister au bâti, le sol est souvent densément peuplé d’arbres et de buissons le long des voies ou à proximité du bâti, afin de mettre à distance les passants des pans de façade. Par leur rôle structurant, les végétaux établissent des séquences et des limites sur l’espace, afin que le passant puisse identifier clairement les différents usages et pratiques attribuées à l’espace. La couche végétale permet ainsi de rétablir une échelle humaine au sol des grands ensembles, ainsi que les articulations nécessaires mais souvent négligées, entre espaces extérieurs et logements.

Malgré des difficultés à être intégrée et considérée par les équipes d’architectes dès les premières réflexions des projets, la discipline du paysagisme a su mettre en pratique ses savoir-faire et a ainsi permis d’offrir aux habitants de ces quartiers, des espaces publics dignes d’intérêt. Bien qu’il soit difficile de juger de la qualité ou non d’un espace public, tant les facteurs à pren-dre en considération sont multiples, Michaël Darin, architecte et Docteur en histoire urbaine, a tenté de formaliser une sorte de

27 Idem p.136

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cahier de fiches analytiques de ce qu’il nomme les bons espaces publics modernes28 en s’appuyant sur les différents points de vue d’architectes, urbanistes, paysagistes, géographes, chercheurs, etc. Dès lors qu’il s’agit de définir la qualité d’un espace plutôt qu’un autre, ce procédé se voit vite confronté à la subjectivité du jugement. Les « bons espaces publics » se définissent-ils par leur simple apparence esthétique, pourvus d’une végétation abondante et bien entretenue (ce qui se limiterait donc à la seule qualité paysagère), ou ne sont-ils pas intéressants aussi de par le brassage social, la solidarité et la vie de quartier qui peut s’y installer, ou encore de par les vastes étendues de vides et l’indé-finition qu’ils offrent, à l’image des terrains vagues ?

28 DARIN Michaël, Les «Bons» espaces publics modernes, Paris, Plan Construction et Architecture, 1997, 307p.

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A partir des années 1970, les discours et articles de bon nombre d’architectes et d’urbanistes ne font plus état que des « dysfonc-tionnements » concentrés dans les espaces publics des grands ensembles et dénoncent le désengagement des architectes, dé-cideurs et commanditaires de l’époque vis-à-vis de la définition et du dessin de ces espaces, qui, « d’abord qualifiés comme de l’« espace libre », tendent progressivement à être disqualifiés sous le terme de « vides» »29. « Vides » car l’échelle trop vaste à laquelle ils ont été conçus et leur manque d’usages affectés sont en partie les causes de leur non appropriation par les habitants. En effet, « l’extrême fluidité de l’espace public des grands en-sembles le rend incompréhensible, insaisissable, in appropria-ble. Il donne l’impression de fuir. »30.

29 LEBOIS Valérie, « Habitants et architectes : des créateurs d’images », Labyrinthe, Juillet 2008, http://labyrinthe.revues.org/47030 ROLINS Jean, Zones, Gallimard, Octobre 1995,

LE POIDS D’UN HÉRITAGE FONCIER PARALYSANT

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La seule fonction de desserte semble matérialiser ces espaces mais la distinction des flux instaurée par la pensée fonc-tionnaliste du Mouvement Moderne a eu pour conséquence la prédominance des voies réservées à l’automobile au détriment des cheminements piétonniers, l’enclavement des quartiers frac-tionnés par une voirie routière lourde ainsi qu’un envahissement des espaces de transition entre l’espace public et l’accès aux logements par l’étalement surdimensionné de vastes nappes de voitures plombant le paysage. Le manque de lisibilité de limites claires et identifiables au sein de ces espaces fait aussi défaut aux usages et aux pratiques auxquels ils prétendent répondre. Les li-mites de l’espace public moderne ne sont que peu matérialisées par un front bâti comme c’est le cas dans la ville classique où le bâti marque clairement la limite entre l’espace public de la rue et l’espace privé du logement. D’autre part, les limites foncières entre espace public et espace privé dans les grands ensembles sont difficilement perceptibles pour les propriétaires et les ges-tionnaires et généralement invisibles pour les passants ou les ha-bitants. Parfois identifiables par les variations de traitements des sols et leur entretien, privé ou municipal, « l’illisibilité globale de ces espaces tient de leur conception : de vastes aires libres ou libérés, sur lesquelles ont été posés des immeubles. »31.

Dès la fin de la construction des grands ensembles, les espaces libres vont très vite être condamnés comme étant « une aberration émanant des CIAM et de la Chartes d’Athènes. »32. Ils représentent dès lors, à la fois « l’urbanisme que le retour aux « formes urbaines » tend à rejeter avec la redécouverte du rapport qui lie réseau viaire, parcellaire et bâti »33, soit le modèle urbain de la ville classique, ainsi que « le paysagisme informe

31 PICON-LEFEBVRE Virginie, Architecture des espaces publics modernes : définition, lexique, limites, vitesse, Paris, Min du Logement, 1995, p.72-7332 FARHAT Georges, Les années soixante hic et nunc : architecture, urbanisme, paysage, ENSA Versailles Ed. Recherches, 2010, p.20833 J.Castex, J-Ch Depaule, Ph Panerai, Formes urbaines : de l’îlot à la barre, Paris, 1977, cité dans Les années soixante hic et nunc : architecture, urbanisme, paysage, ENSA Versailles Ed. Recherches, 2010, p.208

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des espaces verts auquel s’opposent la reconstruction d’une lé-gitimité socioprofessionnelle (paysagistes) et un art des jardins retrouvé. »34. Face à cette vision postmoderne qui s’affirmera dans les discours jusqu’au milieu des années 1990, la publica-tion des résultats de recherches financées par le Plan construc-tion et architecture entre 1992 et 1996 ou encore par le CERTU, apporte un regard plus analytique sur le devenir des espaces li-bres dans les grands ensembles et sur comment remédier à cette désorganisation globale de l’espace public, souvent liée aux structures sous-jacentes et imbriquées de la propriété foncière des grands ensembles, que des architectes et urbanistes tels que Treuttel Garcia Treuttel ou encore Agnès Berland-Berthon ont tenté de déceler.

Dans son article « Les grands ensembles : des quartiers pas comme les autres »35, Agnès Berland-Berthon, architecte DPLG et responsable scientifique du programme de recherche du PUCA (2006-2008) fait l’analyse détaillée d’une étude réali-sée en 1992 pour la DIV (Délégation Interministérielle à la Vil-le) selon laquelle « la structure spatiale de la propriété foncière des grands ensembles dépend de la nature de l’attitude adoptée par la municipalité, collaborative ou au contraire défensive, lors de leur implantation sur le territoire communal. »36. Deux cas de figure y sont exposés. Quand la municipalité reste à l’écart du processus d’implantation de la ZUP, les différents bailleurs se divisent les parcelles constructibles et aménageables. Ce pre-mier cas de figure introduit « un rapport de force positif pour les organismes HLM qui sont alors des propriétaires fonciers de premier plan. Il leur donne une ressource de négociation pos-sible face à des projets municipaux de restructuration urbaine

34 Jacques Lucan, « L’irrésistible ascension des paysagistes », Le Moniteur architecture-AMC, n°44, 1993, cité dans Les années soixante hic et nunc : architecture, urbanisme, paysage, ENSA Versailles Ed. Recherches, 2010, p.208*35 BERLAND-BERTHON Agnès, « Les grands ensembles, des quartiers pas comme les autres », Pérénnité urbaines où la ville par-delà ses métamorphoses, Mars 2007, http://halshs.archives-ouvertes.fr/.../Quartiers_pas_comme_les_autres

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dans lesquels il leur est plus aisé de faire enregistrer leurs enjeux patrimoniaux. »37. A l’inverse, lorsque la municipalité prend part dans les décisions d’implantation de la ZUP, la voirie et les es-paces extérieurs sont généralement rétrocédés à la municipalité par les bailleurs qui ne sont plus alors propriétaires que du « tour d’échelle » c’est-à-dire le terrain d’assiette aux pieds des immeubles. Cette seule propriété limitée du terrain d’assiette permet de réduire les dépenses à la charge du bailleur et les char-ges locatives liées au prix du foncier, mais induit « un rapport de force négatif pour les bailleurs sociaux, la morphologie foncière interdisant toute tentative de réhabilitation globale qui abouti-rait à une modification du rapport bâti/espaces extérieurs»38. Les bailleurs ne peuvent alors intervenir que ponctuellement sur les espaces extérieurs et ce, dans un périmètre très limité. Il per-siste une réelle contradiction entre « le rôle social des bailleurs qui possèdent la totalité du parc de logements et leur possibilité d’intervention sur l’environnement urbain. »39. Agnès Berland-Berthon explique alors que « seule la ville ou la commune », propriétaire de ce vide qui constitue l’espace public, donc ina-liénable et indivisible, « est habilitée à construire dans le péri-mètre de la Zup. Cela signifie que c’est l’ensemble des habitants de la commune qui participe au financement et à l’entretien des espaces libres du grand ensemble » et que ces derniers peuvent ne pas constituer l’une des priorités à régler de la commune. Le poids de la structure foncière et des municipalités qui contrôlent les espaces libres des grands ensembles est fortement réprou-vé par Olivier Piron qui condamne ces « structures foncières paralysantes »40 et par Antoine Grumbach qui dénonce l’effet

37 Ibid38 Ibid39 DI MARCO Christophe, La revalorisation foncière du grand ensemble du Val Fourré, ADEF, DIV, Novembre 1992, cité dans « Les grands ensembles, des quartiers pas comme les autres », Pérénnité urbaines où la ville par-delà ses métamorpho-ses, Mars 2007, http://halshs.archives-ouvertes.fr/.../Quartiers_pas_comme_les_autres40 Olivier Piron, « Banaliser les grands ensembles », Etudes foncières, n°46, Mars 1990, p.39

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pervers produit par l’échelle de construction des grands ensem-bles qui a « gelé des territoires gigantesques en les assimilant abusivement à des espaces publics, donc inaliénables. Le vide entre les bâtiments a été déclaré espace public où l’on ne peut plus rien faire. Il y a une reconquête à mener de ces prétendus espaces publics qui ne sont qu’un dramatique nulle part. »41. Pour beaucoup, cette reconquête doit s’effectuer par « un retour à un découpage foncier et viaire plus urbain, et donc plus apte à évoluer, en distinguant nettement espaces publics et privés. », comme le préconise Treuttel Garcia et Treuttel dans De l’espace libre à l’espace public42. En effet, pour Antoine Grumbach, le modèle urbain vers lequel il faut faire tendre la restructuration des grands ensembles est celui de l’urbanisme de rue, de la ville existante où le vide (voirie, places, parcs) est défini avant le tracé des limites parcellaires et la construction du plein (bâti). Il défend fermement la richesse de la ville sédimentaire, ina-chevée, qui se fabrique par accumulations, additions, accidents, tandis que la « culture de la pureté et de l’idéalité » et « la vi-sion systématique de classement auquel le mouvement moderne nous a habitués »43 ont généré une « ville de l’ailleurs » où les espaces libres semble figés à jamais, et où « les transformations tissulaires sont impossibles ». Pour lui, « la ville achevée est une ville morte » et mais il affirme, au sujet des grands ensembles :

« Nous avons constitué, sans le faire exprès, autant de ré-serves foncières qui sont le germe, le possible de la ville de demain. »44.

41 GRUMBACH Antoine, « La dialectique des contraintes, ou comment se fait la ville », Le débat, histoire, politique, société, N°80, Gallimard, Mai-Août 1994, p.14442 TREUTTEL Jérome, GARCIAS Jean-Claude, TREUTTEL Jean-Jacques, De l’espace libre à l’espace public : architecture des espaces publics modernes, Paris, PCA, 1996, p.10243 GRUMBACH Antoine, « L’inachèvement perpétuel», Paris, Pavillon de l’Arsenal, 1999, p.42-4344 GRUMBACH Antoine, « La dialectique des contraintes, ou comment se fait la ville », Le débat, histoire, politique, société, N°80, Gallimard, Mai-Août 1994, p.144

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Les années 1990 marquent donc un tournant dans les considérations portées aux espaces libres des grands ensembles. Les travaux de recherche financés par différents plans de politi-ques des villes ouvrent de nouvelles perspectives d’avenir pour les grands ensembles. Plusieurs ouvrages publiés par le CERTU donnent des pistes pour « restructurer les espaces publics entre les tours et les barres »45 et préconisent d’en valoriser le poten-tiel selon les principes du développement durable. Ces ouvra-ges proposent des outils et des solutions qui permettraient de palier aux nombreux dysfonctionnements que connaissent en-core aujourd’hui les espaces libres des grands ensembles. Face aux difficultés de gestion et au manque de lisibilité des proprié-tés foncières, la résidentialisation s’affirme comme une figure structurante et qualifiante socialement aux yeux de bons nom-bres d’acteurs de la rénovation urbaine. « Sans toutefois nier son efficacité du point de vue gestionnaire, elle conduit encore trop souvent, du fait de l’échelle de cette logique de gestion - l’échel-le de la parcelle - à une fragmentation de l’espace peu soucieuse des usages, au sein de quartiers où les habitants ont librement tracés leur parcours»46 . De ce fait, la requalification de ces es-paces extérieurs dans les projets de rénovation urbaine doit-elle procéder à une définition spécifique, identifiable et hiérarchisée des différents usages de l’espace public ou au contraire laisser la part d’indétermination et de liberté des usages que ces espaces illustrent depuis leur création ?

45 FAURE Anne, Entre les tours et les barres : restructurer les espaces publics des grands ensembles, Lyon, CERTU, 1996, 205p.46 BERLAND-BERTHON Agnès, « Les grands ensembles, des quartiers pas comme les autres », Pérénnité urbaines où la ville par-delà ses métamorphoses, Mars 2007, p.10 http://halshs.archives-ouvertes.fr/.../Quartiers_pas_comme_les_autres

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La question de l’indéfinition et de l’indétermination des usages affectés aux espaces libres des grands ensembles est fréquemment soulevée et fait l’objet de critiques controversées dans de nombreux discours. Le vide indéterminé semble donc en partie responsable des maux des grands ensembles. Aussi, cer-tains architectes et urbanistes estiment qu’en requalifiant et en redéfinissant des usages spécifiques aux lieux et en fonction des catégories de personnes auxquelles ils s’adressent, une meilleu-re appropriation de ces espaces pourra s’effectuer. Mais cette tendance à la sur-définition et à un contrôle de l’espace exté-rieur ne viendraient-ils pas contredire les fondements mêmes de ces espaces voulus libres et accessibles à tous dès leur origine? Cette volonté légitime de restructuration d’espaces aujourd’hui souvent en désuétude, tend à faire disparaître les libertés d’usa-ges et l’imaginaire, sources d’appropriations inattendues, que l’indétermination offrait. Sur cette question, deux perceptions s’opposent entre ceux pour qui redivision et réaménagement de l’espace sont des actions nécessaires pour rendre aux lieux leur urbanité et permettre de nouvelles pratiques, et ceux pour qui la privatisation et la spécialisation de l’espace public ne favorisent plus l’appropriation spontanée et aléatoire, l’échange et la soli-darité présents dans certains quartiers d’habitations.

« VAGUES, VIDES, VERTS »47, OU LA QUESTION DE L’INDÉFINITION

47 BÉGUIN François, « Vagues, vides, verts », Le Visiteur n°3, Paris, Publication de la Société Française d’Architecture, p.56-69

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La construction des grands ensembles a inventé des piè-ces de territoires entre les tours et les barres qui sont des espaces dits « libres » et dans lesquels plusieurs générations ont inscrit des usages, des pratiques, des transitions. Ces lieux sont chargés d’histoire et d’identités. Nul ne peut nier aujourd’hui l’existence légitime de ces espaces qui ont vu une vie urbaine synonyme d’évolutions, d’adaptations et de transformations s’organiser. Malgré des conditions de vie souvent difficiles dans ces quar-tiers, les espaces extérieurs constituent, aux yeux des habitants, des lieux de sociabilité et de convivialité dans lesquels ils tissent des relations de voisinage et auxquels ils restent très attachés. Cependant, ces espaces sont souvent stigmatisés en raison de leur apparence « vide » et de l’indétermination de leurs statuts et de leurs usages, qui, après avoir constitué une ressource va-lorisante pour les habitants, s’imposent comme un facteur ag-gravant dans leurs conditions de vie et dans la « crise» qu’ils traversent. Les principales critiques reposent sur le manque de lisibilité des limites et de définition claire de l’usage de ces lieux qui freinnent leur appropriation par les habitants et les vouent le plus fréquemment à l’abandon. Le manque d’aménagements et d’entretien de ces espaces leur confèrent une sensation d’incon-fort et d’insécurité qui induisent un repli des habitants dans leur logement.

Afin de préserver les échanges, la convivialité, la soli-darité, en d’autres termes, le rôle social auquel tentent de répon-dre les espaces publics des grands ensembles, architectes, urba-nistes ou encore chercheurs s’inscrivent, depuis déjà plusieurs décennies, dans une démarche d’écoute et de prise en compte des attentes formulées par les habitants concernant les besoins et transformations nécessaires à leur revalorisation. Ces attentes sont diverses, en fonction de la composition sociale et cultu-relle du quartier et des caractéristiques du site. Il peut s’agir de demandes d’ordre technique telles que le bon éclairage des cheminements piétons, une signalétique claire et visible ainsi

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que des noms de rues et d’allées pour se repérer dans ces vastes espaces, une mise à distance sécuritaire entre l’espace piéton et la voirie, des espaces-tampons entre le logement et la voirie, mais aussi d’attentes liées au loisir telles que l’installation de bancs en nombres et bien répartis, des espaces de détentes et de jeux pour enfants protégés et sécurisés.

Avant leur mise en pratique concrète dans les projets de réhabilitation et de restructuration des grands ensembles menés, dans un premier temps, indépendamment par les municipalités, puis plus tard par les projets de rénovations urbaines entrepris par l’ANRU, des recherches sur les solutions d’aménagements possibles et sur les interventions à mener au sein des espaces publics des grands ensembles, ont fait l’objet de plusieurs publi-cations. A travers une approche socio-culturelle, l’ouvrage Les espaces publics, atouts des grands ensembles, dirigé par Hélène Hatzfeld, enseignante en sciences humaines et sociales, et Yves Moutton, architecte, tous deux enseignants à l’Ecole d’Archi-tecture de Lyon, cherche à mettre en avant le potentiel de ces espaces libres en tant que lieu d’intervention pour en améliorer les perceptions et les pratiquent des habitants. Selon eux,

« fabriquer la ville consiste à créer les conditions d’une citoyen-neté, à catalyser ce flux disparate de besoins, d’attentes, de dé-sirs de ville et d’ailleurs, en donnant aux habitants la possibilité de raconter les espaces où ils vivent afin de comprendre com-ment un espace non planifié a vu le jour, où les gens discutent, s’asseyent, jouent.»48

D’autre part, cet ouvrage évoque souvent la nécessité de réin-terpréter et de remodeler ces espaces en ayant recours à « des références architecturales et à l’importation de formes et de principes urbanistiques empruntées au registre des villes tradi-tionnelles (îlots, parcelles, jardin d’un pavillon, ect.) »49.

48 HATZFELD Hélène, MOUTTON Yves, Les espaces libres, atouts des grands ensembles, Lyon, CERTU, 2006, p.1749 Idem

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A titre d’exemple, dans « Entre les tours et les barres, restruc-turer les espaces publics des grands ensemble », les recherches du CERTU indiquent que « lorsque l’aménagement de la voie décrit la position de l’espace public par rapport à l’ensemble du réseau, indique son usage en rapport avec le bâti, comporte des espaces à connotation symbolique (place, parvis), la ville devient lisible. Hiérarchiser les différentes voies en fonction de leur usage, les identifier par des aménagements spécifiques, souligner leur tracé par du bâti ou du végétal, sont des actions qui rendent aux lieux leur urbanité. »50. En effet, dans la ville ancienne, la riche terminologie qui nomme les voies - avenue, cours, allée, rue, ruelle, passage, ect. - permet de qualifier le lieu, d’évoquer son usage ou son aménagement. D’autres pro-positions de reconfiguration de l’espace libre concernent plus précisément l’espace situé à proximité des pieds d’immeuble. Par une redéfinition des limites des parcelles et de leur tracé, s’organisent différents types d’espaces intermédiaires qui se succèdent, afin d’introduire des transitions entre l’espace en-tièrement public et l’espace privé de l’immeuble. Ces espaces intermédiaires apportent une protection qui isole le logement des parties spécifiquement publiques de l’espace extérieur. Ils offrent aussi des lieux de jeu des enfants, visibles pour les mères depuis les fenêtres, et fonctionnent comme des espaces d’échan-ges entre les habitants d’un même immeuble. Cette figure d’un espace de transition entre l’espace public du grand ensemble et l’espace privé de l’immeuble est caractéristique du nouveau mode de restructuration de ces quartiers que constitue la rési-dentialisation. Aujourd’hui, instaurée dans la quasi-totalité des démarches de renouvellement urbain des grands ensembles, la résidentialisation se présente, en apparence, comme la réponse la plus simple aux problèmes d’incivilité et d’insécurité. La re-distribution et la délimitation des domaines publics et privés des espaces libres, le remaillage viaire et la clôture des « espaces

50 FAURE Anne, Entre les tours et les barres : restructurer les espaces publics des grands ensembles, Lyon, CERTU, 1996, p.80

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intermédiaires », « espaces publics d’usage collectif privatif »51, confèrent aux quartiers un caractère résidentiel souvent appré-cié par les habitants. Le processus de résidentialisation est ce-pendant loin de faire consensus auprès des acteurs de l’amé-nagement. Pour Patrick Bouchain, ce procédé ne préfigure rien d’autre que

« l’horizon d’un monde partagé disparaissant derrière des zo-nes urbaines privées où se retranchent les classes moyennes aisées. Cette prolifération d’enclaves résidentielles ne favorise plus le brassage social comme le permettent les espaces libres des grands ensembles. Avec ces lieux, ce sont les expressions, les manières, les mots et les gestes de la solidarité et de l’hospi-talité humaine qui disparaissent. Le « vide » des grands ensem-bles est en quelque sorte ce lieu de la « mêlée où s’entrecroi-sent les parcours et s’échangent les usages, où les cultures se combinent et se reconfigurent, où les identités s’inventent et se recomposent à force de se côtoyer. »52

François Béguin, philosophe et docteur en géographie, enseignant à l’Ecole d’Architecture de Versailles, dénonce, en suivant une autre approche, cette tendance générale à vouloir contraindre l’espace public des grands ensembles en des lieux aux usages spécifiques, hiérarchisés, et définis à jamais. Ain-si son essai Vagues, vides, verts illustre-t-il ce phénomène de contrainte des lieux en le comparant au champ des possibles que constituaient les terrains vagues de l’ère industrielle, à l’ima-ginaire et « aux libertés d’usages qu’ils offraient »53. Dans la première moitié du 20ème siècle, alors que l’habitat de la banlieue n’avait pas encore pris sa forme « normalisée et verticalisée, le

51 FARHAT Georges, Les années soixante hic et nunc : architecture, urbanisme, paysage, ENSA Versailles Ed. Recherches, 2010, p.19452 BOUCHAIN Patrick, « La Forêt des délaissés », l’impensé de la ville, http://www.scribd.com/doc/47790753/Bouchain-Patrick-La-Foret-des-Delaisses#download53 BÉGUIN François, « Vagues, vides, verts », Le Visiteur n°3, Paris, Publication de la Société Française d’Architecture, p.56

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terrain vague se présentait comme une terre ouverte à l’aventure, comme une respiration face à l’industrialisation de la banlieue. Il invitait à considérer le vague comme de l’étendue indétermi-née riche de possibles »54. Pour illustrer cette image, François Béguin puise dans la littérature, le cinéma et s’attarde plus en-core sur les photos prises par Robert Doisneau dans la banlieue de Paris entre 1932 et 1945. Elles témoignent d’un large poten-tiel d’activités : jeux d’enfants, déjeuners sur l’herbe, mais aussi pratique de la chasse et promenade des chèvres (Fig.1,2,3,4). Au contraire, les photos prises par le même artiste, mais dans les années 1980, montre des espaces vides, inoccupés qui ont contribué à véhiculer une image où les grands ensembles appa-raissent comme « entourés de leur glacis stérile »55. Ici l’habitant ne semble plus remplir et animer l’espace. « Le terrain vague de l’ère industrielle disparaît au profit du terrain vide »56. Il existe dans la commune de Clichy-sous-Bois (93) une pièce urbaine caractéristique de cette confrontation entre ce qui s’apparenterait au terrain vague que photographie Robert Doisneau à l’époque industrielle et au terrain vide des pieds d’immeubles. Les im-meubles de grande hauteur du grand ensemble le Chêne Pointu, par leur implantation rapprochée, confèrent à l’espace au sol un sentiment d’oppression, intensifié par les nappes de voitures im-mobiles plombant le paysage. A l’extérieur du grand ensemble, une vaste pelouse profitant d’une topographie accidentée consti-tue le terrain d’aventure, de jeux et de détente investie par les habitants du quartier. Véritable lieu de l’imaginaire, à l’image des terrains vagues de Doisneau, cette pelouse, anciennement destinée à accueillir une autoroute, créer une respiration dans cette ville née des compositions urbaines de l’après-guerre.

54 Idem, p.5855 Ibid56 PARIS Romain, « La valeur des délaissés », Economie de l’aménagement et du projet urbain, 2002, http://romain-paris.chez-alice.fr/biocv.html, p.5

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Fig. 1 - La poterne des peuplier, Robert Doisneau, La banlieue de Paris, 1939

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Fig. 2 - Une sente sans âge (la sente de la Reine Blanche, Gentilly), Robert Doisneau, La banlieue de Paris, 1939

Fig. 3 - (page de droite, haut) Robinsonnade à la Porte de Bagnolet, Robert Doisneau, La banlieue de Paris, 1939

Fig. 4 - (page de droite, bas) Coteau du Mont-Valérien, Robert Doisneau, La banlieue de Paris, 1939

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Dans un premier temps formalisées par une démarche systématique à la démolition-reconstruction, les politiques vo-lontaristes de renouvellement urbain, menées par l’ANRU de-puis 2004 qui envisage désormais plutôt une restructuration globale des quartiers de grands ensembles, entre autres par une recomposition du foncier, par la création d’un maillage de rue et la construction de nouvelles opérations destinées à introduire une nouvelle population au sein des quartiers, témoignent d’un progressif changement de perception de ces territoires « diffi-ciles » et de leurs espaces extérieurs qui posent de nombreux problèmes, à celle d’espaces aux forts potentiels au regard des enjeux du développement durable et de l’avenir de ces quartiers. De récents discours et ouvrages se donnent pour objectif de re-valoriser l’image de ces espaces publics des grands ensembles si souvent condamnés, en démontrant les potentialités foncières, sociales et énergétiques qu’offrent ces territoires pour poursui-vre la construction de la ville de demain .

LE « VIDE », ATOUT POUR UNE TRANSFORMATION DURABLE

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Depuis plusieurs années déjà, le concept de Dévelop-pement Durable s’est institué dans toutes les démarches de renouvellement urbain. Les problématiques de réchauffement climatiques, de pression sur les ressources naturelles, d’exclu-sion sociale, de répartition des richesses inégales, aujourd’hui largement véhiculées par l’actualité, ainsi que l’observation des limites de l’étalement urbain, amènent peu à peu les acteurs pu-blics et la société à prendre conscience que le modèle actuel de développement ne peut, à long terme, trouver d’issues viables, et qu’un nouveau modèle intégrant les logiques économiques, sociales et écologiques devient indispensable. C’est pourquoi de plus en plus d’acteurs se tournent vers l’urbanisme des grands ensembles qui présente une importante marge d’intervention. En dépassant leur aspect « jachère », l’exploration de ces espa-ces libres dévoile « de nombreuses ressources en partie incon-nues ou sous-estimées, voire absentes des villes traditionnelles, que des projets d’aménagement peuvent mettre en évidence »57. L’étalement périphérique des villes a progressivement rejoint les territoires des grands ensembles. Ces derniers, autrefois à la périphérie, font désormais partie intégrante de l’ensemble ur-bain. Leur densité est restée relativement faible et leurs espaces libres laissent une grande marge de manœuvre pour une possi-ble densification.

« Ils ont la qualité d’être souvent vastes, les bâtiments pouvant être très éloignés les uns des autres. Cela n’est pas nécessaire-ment ressenti comme positif par les habitants : pour eux, c’est plus souvent une vacuité peu rassurante qui l’emporte que l’im-pression d’être dans un jardin ou un parc - comme les tenants de l’urbanisme moderne l’imaginaient en leur temps. Cependant, cette vacuité offre ou devrait offrir des possibilités de transfor-mation et de construction. Si pour répondre à des exigences de développement durable, l’étalement spatial des conurbations doit faire place à leur densification, il est probable qu’il faille investir les grands ensembles de qualités urbaines. Démolitions,

57 HATZFELD Hélène, MOUTTON Yves, Les espaces libres, atouts des grands ensembles, Lyon, CERTU, 2006, p.10

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requalification, densification, sont autant d’opérations qui ont pour objectif de donner une nouvelle identité à ces quartiers défavorisés. »58

Ces réserves foncières exploitables constituent donc, selon Jacques Lucan, l’une des premières potentialités de ces espaces. Leur vacuité peut répondre à la construction de nouveaux équi-pements manquants dans ces quartiers, qui seraient alors créa-teurs d’emplois, de services, de solidarités, etc. Ces derniers re-donneraient un nouveau souffle économique et relanceraient la dynamique du marché immobilier de ces quartiers. Les projets de renouvellement urbain dans ces quartiers doivent, d’autre part, amener une diversification de l’offre en construisant de nouveaux logements, collectifs ou individuels, locatifs ou en accession, sociaux ou privés, qui permettraient une plus grande mixité sociale des grands ensembles. L’enjeu de cette densifica-tion des espaces libres porte également sur la mixité des fonc-tions. En plus de la fonction « habitat », l’implantation de ces nouveaux commerces, écoles, équipements publics, culturels, sportifs, etc., offre aux habitants la possibilité de bénéficier de lieux d’échange, d’apprentissage et donc de solidarité. La den-sification de ces espaces permet un accès à un maximum de ser-vices tout en réduisant la longueur des déplacements. Rejoindre le reste de la ville ou les quartiers voisins par la marche, le vélo ou encore l’utilisation des transports en commun contribue à désenclaver les quartiers des grands ensembles et ainsi de for-mer un système perméable entre les quartiers, les villes et les territoires. Finalement, penser généreusement la mixité dans un projet de renouvellement urbain favorise l’intégration sociale et économique d’un quartier au reste de la ville.

La grande dynamique actuelle autour de la question du devenir des grands ensembles, fait naitre de nouveaux discours plus ambitieux et plus inventifs sur l’exploitation des potentiels énergétiques que semblent présenter ces quartiers et leurs espa-

58 COHEN Jean-Louis, LUCAN Jacques, « Les grands ensembles, entre Beaux-Arts et Moderne », Ecologik, N°28, Août/Septembre 2012, p.39

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ces au sol. Le numéro spécial de la revue Ecologik 59 consacré à la 13ème Biennale d’architecture de Venise, a publié plusieurs ar-ticles d’architectes et d’urbanistes, principalement enseignants et chercheurs de l’Ecole d’Architecture de la Ville et des Terri-toires de Marne-la-Vallée, qui traitent de ces questions de recon-sidérations à porter aux multiples ressources que possèdent les territoires des grands ensembles. Ces articles introduisent des notions telles que « ville latente »60, « résilience urbaine »61 et « terres d’avenir »62. De quoi s’agit-il ?

Dans son article « Grands ensembles, terres d’avenir », Paul Landauer, architecte, urbaniste et docteur en histoire de l’architecture, expose les nombreuses opportunités qu’offrent les grands ensembles et les espaces libres pour faire changer nos pratiques de l’espace urbain ainsi que nos modes de consom-mation des ressources matérielles et énergétiques qui, si l’on continu à les exploiter de la sorte, viendront à manquer. Selon lui, l’urbanisme des grands ensembles avec ses vastes espaces au sol, ses immeubles de grandes hauteurs mis à grande distance les uns des autres, permet une exploitation performante des res-sources naturelles telles que le soleil, le vent, et l’eau et « se révèle particulièrement favorable au déploiement des énergies renouvelables »63. Il serait aussi propice à la mise en place de nouvelles pratiques telles que « l’implantation de filières cour-tes de recyclages ou de pratiques coopératives telle l’agriculture et la sylviculture urbaine »64 favorisant ainsi un développement solidaire vers une autogestion et une résilience de ces quartiers. En effet, l’exploitation des sols et la récupération puis la trans-formation des énergies naturelles pourraient faire l’objet

59 « Grands et ensembles », Ecologik, N°28, Août/Septembre 2012, 140p.60 ALONZO Eric, MAROT Sébastien, « La ville latente », Ecologik, N°28, Août/Septembre 2012, pp.44-4761 LANDAUER Paul, « Grands ensembles, terres d’avenir », Ecologik, N°28, Août/Septembre 2012, pp.40-4362 Idem63 Idem64 Idem

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65 Idem66 ALONZO Eric, MAROT Sébastien, « La ville latente », Ecologik, N°28, Août/Septembre 2012, pp.44-4767 Idem

« d’une mise en réseau et d’un partage horizontal avec d’autres producteurs ou prestataires [en vue] d’augmenter le rendement des énergies, des biens et des services dont ces quartiers ont besoin »65 pour se développer. Paul Landauer soutient donc l’idée que l’avenir de ces terres réside dans notre capacité à les faire « devenir des terres urbaines fertiles, porteuses d’énergie renouvelables d’économies solidaires et de résilience urbaine ». L’article suivant, « la ville latente », rédigé par Eric Alonzo et Sébastien Marot, enseignants du DSA d’architecte-urbaniste de L’Ecole d’Architecture de Marne-la-Vallée, prolonge les ré-flexions émises par Paul Landauer en abordant la problématique selon un angle différent : si la croissance économique n’aboutit pas dans ces territoires en marges, leurs habitants devront « ap-prendre à compter davantage sur leurs propres ressources »66. Comment alors rendre ces territoires capables de faire face « aux crises économiques, énergétiques et climatiques qui s’an-noncent ?»67 et de quels outils dispose-t-on pour mener à bien cette conversion vers une résilience urbaine ? En imaginant des aménagements nouveaux tels que l’implantation d’éoliennes en-tre les barres et les tours (Fig. 1), des circuits de rétention et de récupération de l’eau, le recyclage des espaces résiduels au pied des immeubles en terres de cultures, jardins ouvriers (Fig. 2), serres agricoles (Fig. 3) ou encore par un travail d’extension des façades et de réinvestissement des toitures (Fig. 4), les étudiants du DSA, mais aussi de plus en plus d’architectes et d’urbanistes, tentent de projeter le visage futur et durable des quartiers des grands ensembles et de leurs espaces libres. (Fig. 5)

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50Fig. 3 - Fermes urbaines, SOA Architecte

Fig. 2 - Agriculture urbaine, SOA Architecte

Fig. 1 - Travaux d’étudiants du DSA d’architecte-urbaniste,Ecologik n°28, aout/septembre 2012

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Fig. 5 - Travaux d’étudiants du DSA d’architecte-urbaniste,Ecologik n°28, aout/septembre 2012

Fig. 4 - Fermes sur les toits, SOA Architecte

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Depuis plus d’un demi-siècle, les perceptions et les considérations portées aux espaces libres des grands ensembles n’ont cessé de changer et d’évoluer, au gré des critiques et des discours des principaux acteurs de l’aménagement. Les diffé-rents temps forts de cette évolution présentent tous une certaine dualité dans les perceptions et les points de vue portés à ces espaces. La période de conception des grands ensembles des années 1950-1960 oppose une vision et un approche à l’échelle du quartier, de l’architecte, pour qui l’espace libre doit répondre à un certain nombre de fonctions d’usages et à une qualité de vie, dont la ville traditionnelle est alors dépourvue, pour les nou-veaux logements, et la pratique du paysagiste qui considère que seul un travail paysager de qualité permet à ces espaces de pos-séder une réelle existence. Les années 1970 marquent une pério-de de vives critiques, conséquences des nombreux dysfonction-nements que connaissent, dès le lendemain des constructions, les espaces libres des grands ensembles. Les hypothèses alors proposées pour pallier à ces dysfonctionnements divergent. Pour la plupart, l’emprunt de formes urbaines et d’aménage-ments propres à la ville traditionnelle permet de redéfinir et de restructurer l’espace public en fonction des usages et des prati-ques. La revalorisation de l’espace public est rendu possible par

CONCLUSION

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la programmation, la délimitation et la définition d’espaces aux statuts différenciés. Pour d’autres, cette façon de vouloir régler, règlementer, sécuriser et diviser un espace conçu à l’origine pour être accessible à tous, ne fait qu’aboutir à de nouveaux problèmes sociaux d’individualisme et de ségrégation sociale et n’amène plus les habitants à investir et à faire vivre ces lieux d’échange, de convivialité et de sociabilité. Au travers des politiques récentes de réhabilitation et de restruc-turation des quartiers des grands ensembles, la solution, long-temps privilégiée de la tabula rasa, de la démolition-reconstruc-tion est vite freinée par une approche plus respectueuse et plus consciente de l’héritage patrimonial que constituent les grands ensembles. De nombreux acteurs considèrent de plus en plus à la matière existante comme l’outil principal pour régénérer les grands ensembles.Les nombreux discours qui ont ponctués l’histoire des grands ensembles témoignent donc d’un changement de regard sur les espaces libres, d’espaces « difficiles » à des espaces aux nom-breuses potentialités. En effet, ils représentent désormais une piste à explorer et un réel défi pour les architectes. Face aux besoins de logements, aux demandes de confort, d’espace, de paysage, les espaces libres peuvent devenir de vastes labora-toires de recherches et d’expérimentations de nouvelles formes architecturales et de nouveaux modes d’habiter, durables et res-pectueux des ressources de leur environnement, et constituer ainsi le nouveau modèle urbain de la ville de demain.

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Articles

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