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Barbara Ward Les Confikences commemoratives W. Clifford Clark, 1976 Les Iimites inthrieures et exthrieures j’ai la conviction que l’kminente personnalitk que ces confhrences com- mkmorent, Clifford Clark, aurait chaleureusement approuvC le Gouverne- ment canadien d‘avoir la deuxihme grande consultation planetaire sur I’environnement humain et naturel, la Confhrence des Nations Unies sur les Ctablissements humains, (HABITAT) tenu B Vancouver. Cette confkrence s’occupe de l’environnement dont les humains s’en- tourent et examine les problhmes qu’ils crhent constamment en tra- vaillant, en se divertissant, en se dkplapnt, en construisant et en vivant ensemble. Or, s’il est une chose qui a marque la carrikre de Clifford Clark, c‘est bien son souci profond du genre de vie que l’on peut mener en socihtC et plus encore peut-&treson souci des djfEcult6s que connais- sent ceux qui n’ont ni les moyens, ni les aptitudes, ni l’assurance voulus pour faire face seuls aux problhmes sociaux, Je ne doute pas qu’A beau- coup d’6gards on le trouverait aujourd‘hui conservateur - et d‘ailleurs l’infiation galopante qui a shvi rkcemment n’aurait fait que le confirmer dans sa croyance profonde en la nkcessitk de l’kpargne et de la mesure, tant publiques que privCes. Mais son conservatisme n’6tait pas celui, dur, impi- toyable et factice, et qui fait que certains, par exemple, veulent rCserver la course aux plus rapides et le combat aux plus forts, tout en forgeant de jolis aphorismes tels que quand Ca devient dur, laissez faire les durs D, jusqdA ce que Fa se Watergate D et qu’ils se cassent le nez. Non, son conservatisme h i t fait de la volontk de conserver ce que toute sociCtC a de plus prhieux : un logis convenable pour tous et un revenu s&sant pour chaque famille. Plus que toute autre personnalitk publique, il Ctait attach6 A satisfaire les besoins du pays en logements. I1 fut un des animateurs du mouvement pour l’octroi d’allocations fami- liales a m familles modestes afin de compenser les avantages fiscaux des riches. I1 6tait particulihrement conscient des besoins des anciens com- battants qui, une fois IibCrhs de leurs obligations, cherchaient ii se rCintCgrer dans la vie civile. L’une des principales prbccupations &HABITAT Ctant ce qu’on pourrait appeler la a limite intkrieure > de Yexistence planetaire - c’est-&dire le droit B la vie, A la dignit6 et aw moyens physique et sociaux d’y parvenir (A savoir le logement, l’dduca- tion, la santC, le travail, la responsabilitk) - Clifford Clark aurait, fen

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Page 1: Les Conférences commemoratives W. Clifford Clark, 1976 Les limites intérieures et extérieures

Barbara Ward

Les Confikences commemoratives W. Clifford Clark, 1976 Les Iimites inthrieures et exthrieures

j’ai la conviction que l’kminente personnalitk que ces confhrences com- mkmorent, Clifford Clark, aurait chaleureusement approuvC le Gouverne- ment canadien d‘avoir la deuxihme grande consultation planetaire sur I’environnement humain et naturel, la Confhrence des Nations Unies sur les Ctablissements humains, (HABITAT) tenu B Vancouver.

Cette confkrence s’occupe de l’environnement dont les humains s’en- tourent et examine les problhmes qu’ils crhent constamment en tra- vaillant, en se divertissant, en se dkplapnt, en construisant et en vivant ensemble. Or, s’il est une chose qui a marque la carrikre de Clifford Clark, c‘est bien son souci profond du genre de vie que l’on peut mener en socihtC et plus encore peut-&tre son souci des djfEcult6s que connais- sent ceux qui n’ont ni les moyens, ni les aptitudes, ni l’assurance voulus pour faire face seuls aux problhmes sociaux, Je ne doute pas qu’A beau- coup d’6gards on le trouverait aujourd‘hui conservateur - et d‘ailleurs l’infiation galopante qui a shvi rkcemment n’aurait fait que le confirmer dans sa croyance profonde en la nkcessitk de l’kpargne et de la mesure, tant publiques que privCes. Mais son conservatisme n’6tait pas celui, dur, impi- toyable et factice, et qui fait que certains, par exemple, veulent rCserver la course aux plus rapides et le combat aux plus forts, tout en forgeant de jolis aphorismes tels que quand Ca devient dur, laissez faire les durs D, jusqdA ce que Fa se Watergate D et qu’ils se cassent le nez. Non, son conservatisme h i t fait de la volontk de conserver ce que

toute sociCtC a de plus prhieux : un logis convenable pour tous et un revenu s&sant pour chaque famille. Plus que toute autre personnalitk publique, il Ctait attach6 A satisfaire les besoins du pays en logements. I1 fut un des animateurs du mouvement pour l’octroi d’allocations fami- liales a m familles modestes afin de compenser les avantages fiscaux des riches. I1 6tait particulihrement conscient des besoins des anciens com- battants qui, une fois IibCrhs de leurs obligations, cherchaient ii se rCintCgrer dans la vie civile. L’une des principales prbccupations &HABITAT Ctant ce qu’on pourrait appeler la a limite intkrieure > de Yexistence planetaire - c’est-&dire le droit B la vie, A la dignit6 et a w moyens physique et sociaux d’y parvenir (A savoir le logement, l’dduca- tion, la santC, le travail, la responsabilitk) - Clifford Clark aurait, fen

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suis sihe, &k aux c6t6 de ses organisateurs et aurait consacrk ses immenses talents A I'klaboration et A l'administration de programmes de dkveloppement urbain et de rkformes municipales d'une grande utilitk.

I1 n'aurait certes pas pu, de son temps, manifester la mbme pr6occupa- tion pour les a limites extkrieures > de la vie de la planbte, la capacit6 de son environnement et de ses ressources A porter tout le fardeau des aspirations humaines d'une population qui d6passe dkjA quatre milliards et qui, d'ici vingt-quatre am, aura presque doublh Du temps de Clifford Clark, cette prcbccupation ne se dessinait m6me pas A I'horizon des &bats publics. Pourtant, je pense que, 1A encore, il aurait fait preuve d'un conservatisme crkateur. Car en s o m e la conservation est un 616- ment du conservatisme bien compris. Et on ne peut gubre quaMer de a conservatrice > l'idQ que tout individu, groupe ou organisme, public ou privk, rend le plus de services en rkalisant le maximum de bCnkfices sans avoir A rendre compte de ce qu'il en coQte A la population (travail avilissant, villes oh skvit la skgrkgation et qui pkriclitent) et A I'envi- ronnement (ciel obscurci, dkharges insalubres, cows d'eau polluks). D'ailleurs, dans la Grande-Bretagne du 19&me sibcle, pionnier de la sociktk industrielle, ce sont de grands conservateurs comme Lord Shaftes- bury et Benjamin Disraeli qui furent les premiers A introduire une Mgis- lation destinke A juguler les inqualifiables mkfaits des debuts du machi- nisme, A tirer les enfants de l'usine et les femmes de la mine et A doter les indigents d'un minimum d'hygihne et de logements. Et ce sont les prktendus a libkraux B du 196me sihcle qui, pareils A nos stricts monk- taristes modernes, louaient I'excellence des mkanismes du marchk, mbme pour ceux qui n'avaient pas Ies moyens d'y acckder. CWord Clark ktait entihrement d6pourvu, quant A h i , de ce a conservatisme assez mCdiocre et irresponsable, il faut bien le dire. Et, devant le risque, aujourd'hui r&l, de pknuries planktaires, doublk de la certitude d'une grave pollution locale, rkgionale et gknkrale, il aurait, fen suis sbe, &6 conservateur au sens le plus Bclairk de PCpargne et de la conservation.

Mais surtout, I'homme parfaitement rhaliste et probe qu'il &ait n'aurait pas, je pense, escamotk ce qui est put-Qtre le plus grave problhme des Ctablissements humains de notre temps : le danger d'un heurt, si Yon peut dire, entre les limites extkrieures et intkrieures de l'existence plank- taire. I1 est clair en effet que, face A la pression montante de I'humanitk et de ses aspirations, on court de plus en plus le risque multifonne que la sociktk ne puisse satisfaire celles-ci sans endommager irr6parablement les ressources naturelles et les kco-systhmes de la terre. Et si c'est IA ce qui nous attend, c'est d'abord dans les villes oA Yon trouve les plus fortes concentrations d'humains et de dhsirs et oh les appels (et les dkgAts) aux ressources et aux systhmes noumciers du sol, de Pair et de I'eau sont les plus intenses, que les heurts se produiront. On voit donc

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que, pour la Confkrence de HABITAT et aussi pour la survie des zones urbaines (qui, dans trente ans A peine, contiendront plus de la moitid de la population mondiale), les questions cruciales du moment sont la probabilitd d'un pareil heurt et, si elle est Ctablie, les moyens de l'kviter.

Mais dans quelle mesure ce heurt est-il probable? Ici, on assiste a un dkbat acharnd. D'un cat& ceux qui croient que la population dkpassera les ressources s'entendent traiter avec virulence de a prophhtes de mal- hew x qui n'ont plus confiance ni en l'ingkniositk et l'inventivitk incro- yables de l'homo scientificus ni en l'ordre technologique qu'il a crdd, comme l'a dit prophktiquement Francis Bacon, pour l'usage et l'amk- lioration de la condition humaine. C'est un peu comme si, vers 1880, des pessimistes, voyant le nonibre grandissant de voitures dans les rues de Londres, avaient prkdit qu'en 1910 on aurait du crottin jusqu'aux genoux. Ce qu'ils n'auraient pas prkvu, c'est l'invention de l'automobile. De mQme aujourdhui, lorsque des prophhtes annoncent que telle ou telle dkcennie du 2lbme sibcle sera celle oh la population, l'emploi des ressources et la pollution ddpasseront la sociktk humaine - Q: le dkpasse- ment et l'effondrement x dont il est question dans Halte u Za Croksunce - leurs critiques leur reprochent d'&tre dkfaitistes et de sous-estimer grave- ment ce que la science et la technologie continueront B faire pour que durent la prospkritk et l'expansion de la socidtk humaine.

Mais, rCtorquent les a prophhtes de malheur B, peut-on valablement ktablir une analogie entre une plankte de moins de d e w milliards d'habi- tants (chiffre vers 1880) et une qui risque d'en avoir quinze? Peut-on compter que quelque prouesse technique inversera des processus qui, comme pour un lac eutrophik ou une espbce kteinte, sont dkja irrkversi- bles ? On ne peut pas, par exemple, faire passer en vingt ans la production halieutique mondiale de 20 A 70 millions de tonnes et puis recommencer ce processus si entre-temps les materiels de pCche, pareils B des aspira- teurs &ants, ont aspirk le frai et les jeunes poissons. Des rendements dhcroissants peuvent se produire partout. On peut par exemple doubler le rendement A l'acre avec 80 boisseaux d'engrais, puis l'augmenter d'un quart avec 80 boisseaux de plus. Mais on parvient vite au point oh on a beau ajouter de l'engrais, la production n'augmente plus. Et la, les prouesses techniques ne servent plus A rien.

Mais on ne peut pas mener ce dkbat dans l'abstrait. Le plus sage est sans doute de voir ce que donnent telles ou telles extrapolations et si elles indiquent la fin de tout ou au contraire un moyen d'en sortir.

I1 est indhiable que, comme l'a dit Renk Dubos, Q: tendance n'est pas destin x . Et d'ailleurs tout l'objectif de consultations telles que les rkcentes confkrences des Nations Unies - sur l'environnement, la population, l'alimentation, la condition de la femme et maintenant les ktablissements humains - est d'examiner les tendances pour, kventuellement, les corriger.

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Mais il faut commencer par des extrapolations car, paradoxalement, il existe dans toute soci6tk une force d'inertie telle qu'on prkfhre ne rim changer car c'est plus facile : les habitudes, les id& reques et nombre d'intkrets en place se rangent d'ordinaire derridre les tendances ktablies. Pour prendre la mesure de cette inertie, il sufEt de lire qu'aux Etats-Unis, l'une des premihres rbactions du public B une modeste reprise Bcono- mique est de revenir aux grosses voitures. Or chaque fois que Yon retranche 1,000 livres du poids d'une voiture de 4,000 livres, on kconomise 27 pour cent des frais de carburant et une quantitk correspondante d'une ressource cruciale et qui se rarCfie. Si on ajoute A cela la ponction de carburant faite par les changements de vitesses automatiques et les climatiseurs et le fait que, dans les embarras de la circulation urbaine, il est courant qu'A peine 6 pour cent de chaque litre d'essence servent A avancer, tandis que le reste est perdu et pollue sous forme de gaz d'hhap- pement, on voit bien que les habitudes, et non la raison, dkterminent nombre de nos dkcisions d'automobilistes.

Commenpns donc par supposer que nous continuerons comme depuis vingt-cinq ans.

Si l'on commence par les ressources fondamentales (eau et aliments), les contraintes kventuelles varient inbvitablement d'un c h a t et d'une zone B l'autre. M. Jacques Cousteau a kloquemment fait remarquer que toute l'eau de la terre ne serait, A c6tC d'elle, qu'une gouttelette B cdtk d'un oeuf ; et l'eau utilisable, c'est-A-dire l'eau douce qui s'txoule dans les oceans (qui occupent prds des trois quarts de la surface terrestre), est d'environ 41 100 km3 par an pour le monde entier. Cela peut parakre considerable mais en fait l'eau douce des lacs, des cours d'eau et des nappes ne reprksente qu'un pour cent du total des eaux. I1 est vrai que le soleil, l'air et la mer poursuivent sans cesse leur cycle de distilla- tion : le soleil kvapore l'eau salde, laissant sels et minbraux, tandis que l'eau ainsi vaporisCe refroidit et retombe sur les terres sous forme de pluie. Le rayonnement solaire permet aux vkgktaux de dhmposer les molCcules d'eau ; ils dCgagent ainsi de l'oxyghne et Claborent, A l'aide de l'hydroghe, des hydrates de carbone - ou sucres - riches en knergie qui sont ensuite transmis B l'homme par I'intermCdiaire, direct ou animal, des aliments. Sur le plan mondial, la quantitk d'eau et la fiabilitk des &changes naturels entre le soleil, l'eau et la vkgktation sembleraient susceptibles d'8tre fortement accrues.

Mais la &partition de l'eau douce et de la vkgktation est m e autre affaire. On sait que de vastes zones dksertiques sont presque entihrement dkpourvues d'eau et que plusieurs (par exemple le Sahara) s'agrandissent, le surphturage et l'usage abusif dCtruisant la couverture vkgBtale de lisibre et favorisant l'Crosion. I1 y a mQme pire : les cultures dans les plaines fortement peuplkes du Nord du sous-continent indien sont, elles

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aussi, menacCes par un usage excissif. En qu6te de bois A brtller et de terres arables, les paysans vont de plus en plus loin dans les contreforts de l'Himalaya, abattant les arbres et exposant le sol A l'affouillement. Les pluies de mousson, au lieu d'Ctre absorbkes, inondent et sont suivies de skcheresse. Les rCgimes de mousson ont toujours tendance &re instables - or les mCtCorologues croient actuellement dCtecter une aggra- vation de l'instabilith de tous les systkmes climatiques. Ce qui est certain, c'est que le dhboisement aggrave ces flCaux extremes que sont la &he- resse et les inondations.

Un problkme passablement dif€krent se pose dans les for& vierges des rCgions tropicales (Amazonie, Afrique centrale). Le cycle de la v6gB- tation y depend entikrement de la chute des feuilles. I1 n'y a pas d'autre source d'humus. Si on dCboise, la terre devient, en moins de dix ans, une laterite rouge-brique et, la encore, le desert s'ktend.

Pourtant il ne faut pas croire que les sols dCsertiques sont toujours steriles. Comme on l'a vu en Egypte, dans la vallCe de l'Indus ou dans l'Ouest des Etats-Unis, s'ils sont bien irriguCes, ils peuvent etre t r k s fertiles. Mais il y a des dangers : trop peu d'eau d'irrigation et on aura de la salinitC ; d'autre part, une irrigation sufEsante peut exiger en Cnergie des frais de pompage ClevCs et constants (il en va de meme pour un plan ambitieux de dessalement). I1 y a aussi le problkme des rende- ments dkcroissants. Depuis 1950, les surfaces irriguCes en permanence ont augment6 A raison de 3 pour cent par an, ce qui est absolument sans pr&Cdent. Un trbs grand nombre des emplacements de barrages et des secteurs d'irrigation les plus productifs sont dkjb utilises. On se heurte ici A une contrainte rdelle affectant l'eau dans les secteurs arides. I1 commence S y avoir de moins en moins d'endroits oh construire utile- ment des barrages et, si leur bassin de rCception n'est pas scrupuleuse- ment protCgC contre les coupeurs d'arbres, ils finissent par s'ensabler.

I1 est facile de croire que, dans les regions tempkrkes (la plus grande partie de l'Amkrique du Nord, l'Europe, certaines parties de la Russie et des Antipodes, le Sud de l'AmCrique latine), l'eau ne pose pas de probkme. Mais tel n'est pas le cas. Le problhme, dans ces rkgions, n'est pas que l'eau y existe mais qu'elle y soit assez pure pour la population. Les besoins de I'industrie ayant beaucoup augmentk, l'kcoulement pro- venant des usines, avec de plus en plus de produits chimiques toxiques, ne fait qu'aggraver la pollution des cows d'eau de ces rdgions. Prenons le cas du Rhin. I1 contient cinq fois plus de chlorure qu'il y a cinquante ans. Chaque annde, les industries alimentaires, les brasseries et les kle- veurs, auxquels s'ajoutent les villes avec leurs immondices non traitkes, y dCversent une quantitC de dCchets &gale h celle que produiraient 70 millions de personnes. De 50,000 A 75,000 tonnes de mazout s'y kcoulent des navires et pCniches qui le parcourent. I1 reqoit en outre 90,000 tonnes

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de divers mktaux et de phosphates provenant de dktergents. Ce v6ritabIe bouillon de onze heures, chauffk par la chaleur qui se dkgage des centrales thermiques qui bordent le fleuve, y a tu8 tous les poissons sauf les indestructibles anguilles. Si on s'y baigne, c'est presque c o m e dam l'Hudson : < On ne s'y noie pas, on y fond s. A son entree en Hollande, le fleuve est en si piteux &at qu'il est pratiquement impossible A une station de traitement de l'assainir. Et pourtant il approvisionne en eau courante 20 millions de personnes.

Les mers elles-mGmes n'kchappent pas B ce genre de pollution. Les dkchets jet& dans les mers fermkes c o m e la Baltique ou I'Adriatique ont, par endroits, fait d i s p d t r e tout l'oxygkne dissout et rendu l'eau inutilisable tant elle est azoique et pollu6e. I1 faut donc conclure qu'en extrapolant simplement l'emploi de l'eau en fonction des disponibilitks mondiales, on n'est guhe renseignk sur l'eau disponible utilisable en tel endroit pour tel usage, et on ne peut pas dire au bout de combien de temps de r6eUes contraintes risquent d'appardtre, ni quelle sera lew ampleur.

Les aliments suscitent des inquibtudes semblables. Certes, depuis 25 ans, leur production a augment6 annuellement au m4me rythme que la population (environ 2.8 pour cent par an), mais ce c B e mondial est, comme toujours, sujet A caution : il indique une tendance rassurante alors que peut-4tre un milliard de personnes, dont plus de 300 millions d'enfants, sont actuellement sow-aliment6es. A l'autre bout de l'6cheUe alimentaire, les Nord-Amkricains, les Russes et la plupart des Europeens mangent plus que jamais. Et ce qu'ils mangent influe beaucoup sur la probabilit6 des pknuries futures. Si on mesure la nourriture en 6quivalent- ckrkales, la majoritk des habitants des pays industrialisks, dont l'Amkri- que de Nord, ont presque double leur consommation ; et cela non pas parce qu'ils se gorgent de pain, de beignes ou de brioches, mais parce qu'ils mangent beaucoup plus de c6rkales d6jB transformkes en viande par des poules, des porcs et des bestiaux (et en alcool par les distilleries de whisky et de vodka). En fait, les Nord-Amkricaines ne mangent directement qu'environ 150 livres de c6rkales par an. Mais leur total - c6rkales directement consommkes plus l'kquivalent en ckdales des oeufs, de la viande (porcs, poulets, boeufs et moutons) et du whisky - est de prBs d'une tonne par personne. Par contre, llndien moyen mange environ 400 livres de c6rkales sous forme de - cdrkales.

I1 y a eu incontestablement expansion gknkrale de la consommation et de la production alimentaire depuis vingt-cinq ans. Mais c'est en Am6rique du Nord que se sont produites les plus fortes augmentations et ce n'est guhre que 1A que l'on trouve des rkserves exportables. Depuis trente ans, les exportations amkricaines de c6rkales sont passkes d'environ cinq A plus de 90 millions de tonnes m6triques. L'Australie a resew6 un

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leger excedent a I'exportation. Le Sud de l 'hkr ique latine n'exporte pratiquement plus de cerdales. L'Europe en importe 20 millions de tonnes, chiffre qui demeure stable. Chez les pays industrialisks, les zones deficitaires se trouvent en Europe orientale et en Union Sovidtique, qui ktaient jadis exportatrices et qui maintenant doivent importer plus de 20 millions de tonnes si l'annee est mauvaise. Chez les pays en voie de dkveloppement, les rkgions en crise se trouvent en Asie et en Afrique oh le dkficit annuel a parfois atteint 50 millions de tonnes de ckreales. Ainsi, hormis I'Amkrique du Nord et l'Australasie, toutes les rkgions du monde sont devenues ou demeurCes deficitaires en aliments depuis les annkes 30. I1 est vrai que les Europkens ont t rks fortement accru leur rendement, si I'on en juge d'aprks le maintien de leurs importations B un niveau constant et le quasi-doublement de leur consommation d'ali- ments riches en protCines avec prbdominance des produits carnks. (L'Europe occidentale semble en effet n'avoir aucun ma1 Q produire des montagnes de beurre et de boeuf et des lacs de vin et de lait.) I1 est vrai aussi que ce qu'on a appelk la Rkvolution verte (nouvelles semences hybrides, engrais, approvisionnement en eau assurk et mkcanisation accrue) a permis des progrks frappants dans des pays en dkveloppement : entre 1967 et 1971, l lnde a acquis les moyens de subvenir h ses besoins en blk. Les Philippines ont commenck Q exporter du riz. Mais ces deux pays redeviennent dangereusement dkficitaires. Par d'autres moyens, la Chine a reussi Q concilier une augmentation de sa population de plusieurs centaines de millions de personnes avec le maintien de I'kquilibre de ses importations et de ses exportations de ckrdales. Cest l'Union Sovidtique et les rkgions tempkrkes de l'AmCrique latine qui constituent les deux grands cas de regression cle productivitb, et si l'on compare les chifFres sur le rendement en m s et en Argentine avec ceux d'autres pays (occidentaux), on mesure l'kcart : il est remarquable que, dans presque toutes les catkgories (ckrkales ii l'hectare, oeufs par poule, litres de lait par vache, kilos de viande par Mte 8 comes, mouton ou porc), la pro- duction de I'Amkrique du Nord soit CEeUx fois supkrieure. Certes, pour ce qui des dkboires de I'Argentine, il ne s'agit que de nkgligence. Le cas de ]'Union Soviktique est plus complexe ; l'ms a dO survivre B la disparition de l'acquis et des institutions agricoles d'avant la collectivi- sation, puis Q une terrible invasion, et a dO enfin reconstruire son indus- trie au rythme jug& nkcessaire pour 8: rattraper > les Etats-Unis. Ce n'est que rkcemment que I'agriculture y a fait l'objet d'une attention et d'investissements prioritaires. Malheureusement, apri.s que deux Mi- nistres de l'ngriculture se soient succddi: B son chevet, la malade est encore inerte. Mais Ih n'est pas le seul problPme : meme la rdussite prksenterait des dif6cultPs. Les Russes visent ce A quoi les Arnkricains du Nord sont parvenus : c'est- 8-dire, essentiellement, obtenir une forte

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augmentation des rendements en remplagant presque entihrement la main-d'oeuvre par l'knergie et en exploitant toute une skrie de dkcouvertes scientifiques pour la reproduction et la nourriture des v&g&taux et des animaux. Or la aussi on risque de se heurter au problhme des rendements dkcroissants.

Dans l'agriculture amdricaine, les heures de travail qui, en 1940, 6taient au nombre d'un peu plus de 20 milliards, ktaient tombees A environ 3 milliards en 1970. Pendant ces trente annkes, l'knergie investie dans les exploitations amkricaines en kilocalories a presque quadruple. On a soulign6 qu'un agriculteur de PEtat de New York met trois minutes A produire un boisseau de mais, alors qu'il lui en aurait fallu 150 en 19O5*. La diffkrence tient au remplacement massif de l'knergie humaine par l'knergie mkcanique.

A premikre me, le tableau n'est pas sombre. I1 suffirait d'amhliorer l'agriculture de 1'Union Soviktique, de mettre fin A ses achats massifs et soudains, qui perturbent le march6 des ckrkales, d'adlkrer la RBvolu- tion verte, et d'ameliorer Pagriculture dans les regions temp&&s de l'Amkrique latine pour assurer l'approvisionnement. Mais la encore, les perspectives ne sont pas aussi simples. Par-delii meme l'ampleur actuelle de la malnutrition humaine et l'inaccessibilitk du march6 mondial des ckrdales aux pays sans revenus d'exportation - problhmes tragiques mais dkjh anciens - l'incertitude plane sur d e u autres difficult& : les rende- ments dkcroissants, dont on a dkjA parlk, et - difficult6 nouvelle - le quintuplement des cofits de l'dnergie. La meilleure illustration des rende- ments dkcroissants a dkjA kt6 donnee : c'est l'emploi des engrais. L'augmentation de la productivitb en AmCrique du Nord a ktd due pour beaucoup A l'accroissement de l'utilisation des engrais. Aujourd'hui, toutes les surfaces arables sont cultiv&s et completement saturdes d'engrais. On ne peut plus faire passer la production, par cette mkthode, de 5 A 99 millions de tonnes m&triques de cdrkales exportables. Si la population mondiale double, l'Amkrique du Nord ne peut pas doubler ses exchdents exportables.

I1 y a dautres exemples. Ne parlons pas des pesticides et des herbi- cides qui s'ktaient dangereusement accumulks dans les processus alimen- taires, tuant des organismes vivants et crkant des a printemps silencieux D. I1 s'agit l A de rendements moins decroissants que dangereux. LA oh les marges s'amenuisent pavement, c'est dam ce qu'on a d&jii signal&, B savoir le fait que nombre des meilleures terres irrigables - essentielles A la Rdvolution verte dans PAsie des moussons - sont d6jA exploitdes. I1 en est de mbme pour les riches prairies d'Amdrique du Nord. Les zones

*Ces exemples, et d'autres, d'utilisation de Pknergie sont tjrb de Pindispensable opuscule de M. Denis Hayes intitub5 'Energy: The Case for Conservation, publib par le World Watch Institute, Washington, D.C.

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encore en friche et susceptibles d'btre arables - terres tropicales, zone de la tsk-tsb - risquent fort de se revkler bien moins productives. Dans les mn&s 50 et 60, les terres laisskes inexploitkes aux Etats-Unis afin de soutenir les prix agricoles ktaient normalement B mbme de produire au moins l'huivalent de 200 jours de consommation mondiale de ckrkales. Mais, l'hiver dernier, les rkserves mondiales ktaient de moins de 20 jours. C o m e les terres nagubre en friche sont maintenant exploitbes, il faut chercher des aliments ailleurs.

On ne peut pas non plus compter sur les anciens priu. Id, bien s h , on aborde un sujet ob les extrapolations renseignent trbs mal. A quoi bon fonder la prkvision des tendances sur le baril de pbtrole un dollar s'il en coiite onze aujourd'hui? Tout dkpend de savoir si la majoration provoquera ce que, selon les thhries classiques du marchk, elle est censke provoquer et provoque d'ailleurs souvent : invention d'innombra- bles produits de remplacement ou dissuasion de l'excks de consommation ?

En ce qui concerne la tendance observhe par le passe, les combustibles fossiles sont en voie de disparition : c'en sera fait du gaz nature1 vers la fin du sikcle et du pktrole peu aprks. Le charbon pourrait durer encore une centaine d'annCe, bien que I'hkmisphbre Sud en ait trbs peu. I1 y aura donc des pdnuries. Mais si des formes d'knergie nouvelles font rapide- ment leur apparition, il n'y a pas de raison pour que les prix ne baissent pas ni pour que la consommation n'augmente pas aussi rkgulikrement que dans les annkes 50 et 60. Alors la tendance se maintiendrait, ce que le public prhfhre, comme l'indique le retour aux grosses voitures aux Etats-Unis. Mais s'il dkcidait de consommer moins, ce qui est possible, les rksultats seraient trbs diffkrents et il faudrait entibrement revoir les extrapolations.

Les perspectives quant a m formes nouvelles d'knergie sont kvidemment dominCes par la question nucleaire. La gknkration actuelle de rbacteurs ne peut utiliser que le trbs petit pourcentage d'uranium qui est fissile (uranium 235), proportion infime des stocks mondiaux d'uranium. L'ali- mentation des rCacteurs 21 fission pourrait poser des problbmes vers 1990. Aussi se penche-t-on sur les rkacteurs gknkrateurs, capables de transfor- mer l'uranium 238, qui est beaucoup plus abondant, en plutonium A partir duquel ils peuvent engendrer plus de combustible qu'ils n'en consomment. 11s peuvent aussi utiliser le plutonium qui est produit par les rkacteurs actuels et qui ne sert A rien ( s a d A la fabrication des bombes) Si l'on tient compte en outre de la possibilitk de produire de I'knergie par fusion, A partir du deutkrium des ocCans, source inkpuisable - et les recherches ont d6jA commencke - il semble que l'homme, con- sommateur insatiable d'knergie, soit p o r n pour les 250 ans A venir. Alimentke par une Cnergie abondante et peu coiiteuse, la croissance pourra se poursuivre B son rythme habitue], ce qui rkgle bien des ques-

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tions accessoires touchant la diminution des approvisionnements en matihres premikres.

A condition d'avoir suf6samment d'knergie, on puma utiliser de plus de minerals infkrieurs, mblks A de la ferraille, dont on ne manque pas ; et de plus en plus de ressources 6nergdtiques pourront &re tir&s de mat6riau A peu prks universels tels que la silicone (qui n'est que du sable) ou mkme le granite. Dautre part, des ressources renouvelables d'origine vkgktale pourront Btre chimiquement unies et soud&s et trans- formkes en mat6riau.x nouveau et utiles. Dans le dernier placard de l'Apprenti Sorcier, on trouve le chalumeau Q fusion, capable de d& composer toute matihre en ses mol&des de base, pour en faire des objets utiles.

Mais ces perspectives d'knergie nuclchire illimitke posent le probl&me &norme des A-cdtds dventuels : risque de fonte d'un rkacteur ; accumula- tion constante de dkhets mortels, canc6rigknes, et indestructibles pour plus de 50,000 ans ; possibilitk que des individus pareils Q ceux qui, arm6s de pistolets, ont enlev6 tous les ministres du pktrole des pays de I'OPEP menacent des pays entiers avec des engins atomiques, lesquels seraient fabriquks avec un peu de dkchets nuclkaire (et on peut &re sib qu'il se vendrait au march6 noir tout comme l'hkroine aujourd'hui) et n'exigeraient plus, pour Qtre months, que les manuels de la Commission de I'hnergie atomique des Etats-Unis (un dtudiant du Massachusetts Institute of Technology y est d6jQ parvenu).

Ces dangers sont au coeur du ddbat familier et acharnd entre les optimistes qui ne voient dam les craintes de leurs adversaires qu'un manque de confiance dans les possibilitks de la technique (y compris pour dktruire des dkhets multimillknaires) et ceux qui estiment que les risques, pour les gknkrations actuelles et futures, sont trop efhayants pour ne pas justifier me approche beaucoup plus circonspecte de I'option nuclkaire, voire son abandon graduel sauf en ce qui concerne la recherche en matikre de fusion, cette demikre n'offrant peut-&re pas le p6ril que serait pour I'environnement Paccumulation de dkhets mortels et in- destructibles. Les pessimistes trouvent une conhnation de leurs vues dans Ies dvknements rkcents tels que la fermeture subite, en 1975, de la centrale de 1,000 megawatts de Brown's Ferry (Alabama) Q la suite d'un incendie provoqud par la flamme d'une bougie, dumb pour y vkriiier les courants d'air. L'aspect le plus inquiktant de cette catastrophe est le fait que les m6canismes a automatiques de skuritk m'emptkhkrent pas l'incendie de s'&endre et ne protkghrent pas le coem des rkactews. En 1976, en Califomie et dans Pktat de New York, des ingknieurs nuclkaires de rang 6levk ont dkmissionnk pour des raisons morales : ils ne pouvaient plus honnbtement garantir que les programmes de rhctews awquels ils avaient travaillk dtaient sans danger.

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Mais tout cela ne fait que renforcer une perplexitk plus profonde. L'humanite n'avait jamais ktC en presence de dkhets absolument mortels qui ont une 0: demi-vie > de 25,OOO ans. Lhistoire millhaire de la plankte prouve que ces matikres radio-actives sont radicalement hostiles A toute vie organique. Tant que le rayonnement pur du soleil frappa la terre de sa brillante radio-activitk, aucune vie n'y 6tait possible et, pendant peut-Qtre sept milliards d ' a n n k s sur les dix milliards qu'elle existe, la terre ne porta rien que des roches irradikes qui explosaient et se contractaient en refroidissant. Ce n'est que lorsque la terre fumante se refroidit et que la vapeur devint pluie qui, pendant des milliers et des milliers d'annkes, se d6versa et combla les creux, qu'apparut une premikre couche ockanique capable de protkger la vie. Puis l'invasion des roches par les vkgktau & systkme respiratoire venus des ockans renforqa la protection de l'atmosphere terrestre.

Filtrk par ces couches protectrices, le rayonnement solaire s'att6nue assez pour entretenir toute vie organique et faire mhir toutes les rkoltes sans qu'il en coQte rien A l'homme. Or, en produisant de l'6nergie atomique, nous replaGons demkre ces couches protectrices les impitoya- bles rayonnements, nous exposant ainsi directement A une force qui, en dernikre analyse, est incompatible avec la vie. On a appelk ce rksultat un march6 faustien, mais il ressemble peutdtre plus A une malkdiction promkthdenne, car le a feu du ciel B, c'esti-dire le soleil, est remplace par l'incendie nuclkaire, et la punition imposde A PromCthke, archbtype de l'homme, pour l'avoir derob6, Ctait de rester enchain6 A un rocher, qui pourrait aussi bien Qtre le rocher sans vie d'une plan&e irradiee.

Personne ne doute de la sincCrit6 et de l'honnQtetC des savants qui affirment que l'on trouvera des moyens de protection, que l'on peut supprimer les risques en enfouissant le plutonium et les autres dkchets dans de l'argile et du verre, que de toutes fapns, les r6acteurs rkgknhra- teurs consommeront c o m e carburant la plus grande partie du plutonium et que les mesures de sCcuritC qu'exigeront les rkacteurs, les usines de recyclage et les transports de dtkhets ne seront pas moins efficaces que celles actuellement appliqukes aux armements nuclbaires, dont aucun, jusqu'A ce jour, n'a disparu i la suite d'un vol. Pourtant, des doutes subsistent. Le premier d'entre eux tient purement au facteur temps. Qui pourrait entretenir des certitudes au sujet d'un processus qui s'ktale sur plus de 25,000 ans T Queues techniques de simulation peuvent vraiment correspondre A la longue usure qui se produit implacablement au fil des ans? Le second doute concerne la nature des mesures de skcuritk pro- poskes. Un contr8le militaire Lwmplet sur un rbeau de centrales de plus en plus important, s'ktendant de l'Anatolie Zanzibar en passant par l'Ulster et l'ouganda? VoilA qui ne presage gukre une soci6tk civile progressivement plus ouverte et vivant dans la confiance. Le troisiitme

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doute a pour cause l'aviditk humaine. Qu'est-ce que les populations devront payer pour l'ultime chantage ? Pouvons-nous vraiment garantir une race de gardiens si incorruptibles que personne, pendant au moins 25,000 ans, ne powra offrir assez pour les acheter ?

Le dernier doute concerne la stabilitk. Aucun ordre social, dans l'his- toire de l'humanith, n'a durk plus de 500 ans sans connaitre de violents dbordres. Le monde est dhjQ bien ass= menack, nous ne le savons que trop, par son arsenal d'armes nuclkaires, qui est assez important pour pennettre de dbtruire au moins vingt fois la terre, c o m e si une fois ne suffisait pas I Ajoutons Q cela l'existence de toutes les installations atomi- ques industrielles, puis envisageons un kcroulement du sys the social, tout en considkrant que les terroristes du 2lbme sibcle seront 6quipks de dispositifs au plutonium, et qu'un morceau de ce dernier n ' e x c b t pas la taiIle d'une orange sufFirait pour menacer toute la race humaine de cancer du poumon. S'il ne s'agit pas la de risques rbels, c'est que les mots eux-mGmes sont vides de sens. Ce n'est pas jouer les Cassandre, faire des prophkties alarmistes ni dhontrer une indigne perte de sang- froid que de recommander la prudence lorsqu'on aborde l'option nu- clhaire. C'est simplement faire preuve d'un bon sens pond&-6.

Doit-on alors conclure qu'on se dirige inhvitablement vers une situa- tion de conflit? Certaines ressources essentielles, c o m e l'eau dam certaines rkgions, les produits alimentaires dans de nombreuses autres, et l'knergie dans toutes, viendront B manquer. Les solutions de rechange radicales, particulibrement dans le domaine de l'kergie, prhentent des dangers pour Penvironnement et des risques de pollution littkalement models, donc trop meurtriers pour qu'on tente de les dbcrire en dkail. Pourtant, la population mondiale s'amroft et, en mihe temps, ses aspira- tions grandissent. Quelles sont les solutions? Qu'est-ce qui peut les fownir ? Entrons-nous, c o m e cela a 6th si souvent le cas dans I'histoire, dans une Q: pkriode de troubles > dans laquelle le risque de destruction nuclkaire s'ajoutera A tous ceux qui sont dkjA bien connus ?

Sans doute, certains esprits se rencontrent, qui nient vigoureusement que les aspirations montantes soient irrksistibles, particulibrement dans le Tiers-Monde, oh les faiblesses militaires des nations et une certaine 0: incohkrence B politique ne leur pennettent pas d'exercer des pressions ou de lancer des menaces. Mais cette hypothbse ne tient pas compte de la division idkologique du monde. Aprbs le Viet-Nam et l'hgola, nous n'avons aucune raison de croire que les populations des pays pauvres, qui revendiquent une part plus grande des richesses du monde, ne recevront pas des appuis extbrieurs en vue de Pobtenir. Pdcisions que ceci ne revient pas Q se reprksenter le monde comme div isk en blocs idkologiques bien distincts parmi lesquels celui des dkmocraties se r&b- cirait sans cesse. Je ne peux dire que j'ai remarquk un progrbs ou un

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recul notable de la dhmocratie depuis la fin du systkme complktement antidCmocratique appelk c colonialisme occidental a. L'Allemagne a 6tk rCcupCrCe, presque par miracle, par les sociCtCs libres dont elle fait de nouveau partie. I1 n'est pas certain que l'Italie retourne A un regime autoritaire. L'Espagne, le Portugal et la Grkce sont des pays en train de bouger. En dehors de ces cas, la dkmocratie est vivante et en assez bonne santd, et continue de prosp6rer sur ses fiefs traditionnels. Et dans les pays oh le communisme s'est installC, je ne remarque pas de change- ment de systkme politique, une dictature en ayant remplacC une autre, la seconde Ctant, dans le cas de la Chine, incontestablement beaucoup plus avantageuse que la prCcCdente sur le plan social.

Je n'ai pas non plus l'impression que l'avknement de regimes com- munistes en Afrique et en h i e du Sud-Est entrainera une rupture des relations entre ces rdgions et le monde occidental. I1 faut bien continuer A vendre les richesses minikres et le pCtrole, et A obtenir de l'assistance technique. Ce que je veux dire, c'est qu'aucune nation n'acceptera un retour A une kre coloniale dont les pratiques Ctaient si remarquablement commodes pour le monde atlantique. I1 se peut meme que les peuples dominks par la Russie finissent par s'irriter d'avoir avec ce pays des liens dont l'ktablissement remonte au 198me sikcle. I1 y aura des pressions. I1 y aura des rCclamations en me d'obtenir un partage plus Cquitable. En outre, les pressions de ce genre ne seront pas seulement exerc6es par des ex-colonis6s. Si l'on compare les syndiqubs, les ouvriers et les agri- culteurs des sociCtCs occidentales aux familles de sans-abri de Calcutta, les premiers apparaissent peut-&re comme des c bourgeois B aussi prospkres que tous les autres. Mais ce n'est pas vers les p l w &sh&rit6s qu'ils dirigent leur attention. Xis la dirigent vers Lockheed, le patronat franqais, M. Getty et les Rockefeller, et comme le faisait Oliver Twist, ils veulent en avoir plus. Non, les pressions sont rhelles. Dam ces conditions, aucun espoir n'est-il permis ?

Je crois que oui, pourvu que nous soyons disposCs A accepter trois changements, qui sont vitaux sans pourtant 6tre vraiment radicaux, dans les mCthodes de gestion de nos propres daires. Le premier d'entre eux consiste A rbexaminer de f apn objective et constructive nos m6canismes de production et A bien comprendre combien, au cours du sikcle hcoul6 et plus particulikrement pendant les vingt-cinq dernikres annkes, le gaspillage est devenu un mode de vie accept6 par tous. Le second changement, c'est de nous rendre compte - et cela n'est pas trks difficile, car nous passons notre temps A le faire - que quelle que soit l'utilit6, reconnue d'ailleurs, des mhcanismes et des indicateurs du march6 consi- dhr6s comme moyens de r6partir les marchandises de f apn rationnelle, objective, automatique et dCcentralisCe, il existe des circonstances oh ces m&anismes et indicateurs fonctionnent mal. ou meme refusent de

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fonctionner. Le troisihme changement vise A Btendre au march6 inter- dependant que le reste du monde doit 8 nos entreprises d'btre devenu, quelques uns des idkaw et principes moraux auxquels nous essayons de nous conformer, si imparfaitement que ce soit, A l'inthrieur de nos propres soci6tQ. Si nous n'institutionnalisons rien d'autre, 8 l'hhelle de la planhte, que notre avidit6 et nos craintes, comment pouvons-nous esp6rer survivre, A l'kre des vols spatiaux et des communications imm6- diates? Aucune soci6t6 ne peut durer sans le sentiment de l'existence d'un Ordre Sacre, d'imp6ratifs moraux que les hommes ne peuvent mani- puler pour leur profit personnel. Ce lieu exigu habit6 par l'espkce humaine ne fait pas exception A cette r8gle. Si nous nous y comportons comme s'il n'6tait qu'une boutique de marchand et un abattoir, a la clart6 du jour est termin6e et les t6nhbres nous attendent 3.

Heureusement, aucune de ces trois conditions de survie n'est hors de notre port6e. Envisageons d'abord les chances d'une konomie plus orienthe vers la conservation, plus sobre dans ses d6penses et plus prudente. Ces chances apparaissent dtonnament nombreuses, simplement parce que nous sommes si 6tonnament gaspilleurs. C'est peut-Qtre l'utili- sation de b e r g i e qui fournit les indications les plus r6v6latrices A cet 6gard. Comme il est possible de ne la d6finir que comme e ce qui rend le travail possible B, elle est pr6sente dans toutes les entreprises humaines. Sous la forme de petrole A 15 cents le baril A la sortie du puits et h moins de 2 dollars quand elle parvient au consommateur, son prix est rest6 fantastiquement bas. Si quelque chose peut sembler avoir 6th conp pour encourager le gaspillage, c'est bien notre abondance de carburant. Nous pouvons nous en servir comme point de d6part.

Au cows du dernier quart de sihcle, c'est A l'6nergie qu'on a fait appel pour r6soudre 8 peu prks tous les problitmes. Les exemples des exploita- tions agricoles et du poids compar6 des voitures ont d6jh 6th citQ. Mais ce ne sont 121 que des illustrations particulikres d'une Bconomie d6pendant entihrement d'un gaspillage de l'6nergie qui, en Am6rique du Nord, a atteint de telles proportions que littkralement 50 pour cent de l'hergie consomm6e l'est sans aucun profit. Elle se perd simplement dans la biosphere, parfois avec des effets nocifs - comme lorsque les effluents thermiques des centrales thermiques d6vers6s dans les rivihres y an6antis- sent les poissons, ou comme lorsque les moteurs de voiture tournant au ralenti contribuent h la formation de brouillards photochimiques - et parfois de faQon inoffensive, comme dans le cas des dkperditions de cha- leur des portes et fenQtres mal ajustdes, qui toutefois n'aflectent pas les habitations voisines. Mais ce n'en est pas moins du gaspillage, car cette Bnergie pourrait Qtre employ6e utilement, par exemple pour chauffer les maisons.

I1 est d'une absurdit6 presque inconcevable de gaspiller 50 pour

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cent de l'auxiliaire de plus prkcieux de l'homme, l' a esclave > qu'est l'knergie, qui le chauffe et le rafrdchit, lui apporte les nouvelles et de la musique, habille sa famille et meuble sa maison, fait la cuisine et nettoie pour hi , l'kclaire et, surtout, assure son transport. Pourtant, tel est bien le pourcentage de perte en Amkrique du Nord. (En Europe, il n'est peut- 6tre pas aussi extravagant. En Suede, en France et en Allemagne, pays oh le niveau de vie est comparable B celui de l 'hkrique du Nord, la consommation d'knergie par habitant est infdrieure d'environ un tiers.)

Comment se fai-il que cette ressouce indispensable et de plus en plus coateuse soit purement et simplemeEt gaspillbe? Cela tient en premier lieu B la fapn mQme dont l'klectricitk est produite. Un tiers de l'hergie provenant des centrales thenniques traditionnelles s'khappe sous forme de chaleur rbiduelle. Plus les gkdratrices sont 61oignh des lieux de consommation et plus les lignes de transport sont longues, moins cette dkperdition rkguli6re est kvitable. Cette tendance au gaspillage s'accroft Cvidemment lorsque les compagnies de distribution accordent des rkduc- tions de tarif aux gros utilisateurs. Cela constitue un encouragement direct 8i gaspiller sans compter. Si vous laissez les lumihres de votre bureau allumkes toute la nuit, le montant figurant sur la facture de la cornpagnie d'klectricitk diminuera, au lieu d'augmenter.

I1 faut ensuite examiner la question de l'investissement - l'6ventualitb d'un gaspillage de capitaux. Le rkacteur nuclkaire moyen produit de l'4lectricitb A un co6t de $3,ooO pour chaque kilowatt fourni. Si la vapeur provenant de processus industriels est employke pour produire de l'klec- tricitk, le coat du kilowatt n'est plus que de $190 A $250. Si l'on rkcuphre la chaleur rhiduelle dkgagQ par les cheminkes d'usine, ce coiit peut 6tre ramenk B $70. Les techniques expkrimentales klabor6es pour l'avenir - par exemple l'exploitation directe du rayonnement solaire au moyen de cellules B combustible - permettent dkjii de produire de l'bnergie pour environ $SO0 par kilowatt. On ne saurait nier qu'il est logique de s'efforcer de produire une m&me quantitk d'bnergie A partir d'une mise de fonds de plus en plus rCduite. On arrive ainsi A libkrer des ressources pouvant btre aEectQs A dautres fins, et les quantitks ainsi hnomiskes comprennent, soit dit en passant, toute l'knergie consommbe indirecte- ment pour construire des centrales gkantes et des rkseaux de transport couvrant des superficies immenses - sans parler des systhmes de protec- tion et de dkfense qu'il faudra CdSer autour des rkacteurs surghbrateurs rapides et des installations de traitement de l'avenir, A c6t6 desquelles les forteresses mkdikvales entourkes de murailles pourraient fort bien faire figure de villes ouvertes.

Si nous passons de la production d'bnergie proprement dite A ses utilisations, les mbmes possibilitks de rkaliser des tkonomies considbrables se retrouvent. Si nous commenqons par le systeme de production lui-mbme,

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les contrastes entre les divers t a u de rendement obtenus dans l'utilisa- tion de I'knergie et des ressources sont absolument renversants. Exprim& sous la forme d'un pourcentage de la valeur ajoutke, l'knergie employ&. par la Suede pour assurer le traitement des denrkes alimentaires mite 25 pour cent de moins qu'en Amkrique du Nord et jusqu'h 80 pour cent de moins pour ce qui est de son industrie chimique. L'Europe et PUnion Soviktique refroissent leur coke avec du gaz inerte recycle et rkutilisent la chaleur h mesure qu'elle est dkgagke par les produits refroidis. En Amkrique, on asperge d'eau les tas de charbon et toute la chaleur est gaspiU6e. Dans les acikries, l'adoption du prockdk de coulde continue de prkfbrence A la production de lingots permet d'kconomiser me quantitk d'knergie reprksentant un million d'unit6s thermiques britanniques par tonne. Dans la fabrication du ciment, les cimenteries europkennes em- ploient de la chaleur captke des fours A ciment pour dkcomposer la chaux, et n'utilisent que 550,000 unites thermiques par bard de ciment. En Ambnque du Nord, chaque bard ndcessite deux fois plus d'hergie parce qu'on nkglige de rkcupkrer la chaleur rksiduelle. Certaines des kconomies les plus importantes peuvent &re rdaliskes grace au recyclage. L'acier recycl6, A titre d'exemple, ne ndcessite que 25 pour cent de l'knergie employ& pour effectuer le traitement initial du mktal. Pour la ferraille de cuivre, la proportion est de 5 A 10 pour cent, pour l'aluminium (la matibre premikre employee dans la fabrication d'une vaste gamme de rkipients) 5 pour cent seulement.

Bien souvent, les industries peuvent rkaliser des kconomies sans Ctre pour autant obligkes d'introduire de nouveaux prockdb ou de modifier de fawn radicale leurs techniques de production. Une grande fume commerciale britannique a rkduit sa consommation d'knergie de 15 pour cent en consultant tout simplement son personnel et en coupant le courant des systemes d'kclairage et de chauffage non utilisks. Une sociktk amkri- caine a obtenu une konomie identique en demandant A chacun de ses dbpartements de faire rapport sur sa consommation d'dnergie. Ce que ce type d'enqugte peut rkvkler est illustrd clairement par la fume qui a dkcouvert que les appareils de chadage servant A dkgeler ses aires de stockage continuaient de fonctionner A plein rendement au beau milieu de l'ktk. Toutes les rdductions effectukes de cette manikre dans Pindustrie ont un avantage double. Elles permettent non seulement d'kconomiser de l'knergie maintenant, mais rkduisent aussi les extrapolations des utili- sations futures qui, s'il fallait leur donner suite, revendiqueraient une quantitk d'dnergie plus BevQ concentrke sous la forme de centrales dont le nombre irait sans cesse croissant A Pavenir.

Le secteur de la dkfense est un autre grand consommateur d'dnergie. Daprks les estimations effectuees aux Etats-Unis, la part que reprdsentent les forces annkes, directement et indirectement, s'dlbve A environ 6 pow

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cent du budjet total en knergie de 1'Amkrique. On peut supposer sans risque d'erreur, ktant donne que les normes internes applicables aux dkpenses militaires sont trbs souples, que l'appareil de la dkfense ne s'kcarte pas beaucoup de la moyenne nationale - B savoir un gaspillage de 50 pour cent des ressources. Quoi qu'il en soit, l'un des klkments essen- tiels du rble des militaires est d'6tre constamment prQts A rhagir et A intervenir. La surveillance exercke sur ces activitks est-elle suffisamment ktroite? En une annke, un bombardier B 1 consomme de 300 millions B un milliard de gallons de carburant. Daprbs certaines estimations, tous les autobus d'AmQique n'auraient consommk que 320 millions de gallons de carburant en 1974". En dautres termes, la premibre victime de ce bombardier, avant mkme qu'il ait dkcollk, est l'kconomie. Comme l'Union Soviktique af€ecte Q des dhpenses darmement une part encore plus klevke d'un PNB plus bas - et ne se distingue pas particulibrement par des analyses coQts-avantages dun degre de prkision exceptionnel - les gas- pillages des militaires russes sont certainement encore plus importants, et encore plus prkjudiciables pour des populations aux besoins manifeste- ment klev6s. I1 aurait mieux valu que le carburant utilisk en Angola serve a m travaux des exploitations agricoles soviktiques.

Nous ne devons pas oublier non plus que le problkme de la dkfense ne se limite pas au contexte des ressources ma1 utiliskes. Qu'elles soient effectukes B bon ou Q mauvais escient, les dkpenses au titre de la dkfense sont essentiellement inflationnistes. On ne peut s'empbcher de ressentir un sentiment bizarre si l'on se rappelle les efforts dkployks pour nous enseigner cette leqon pendant la Deuxikme Guerre mondiale. Dans le secteur de l'kducation publiqiie, tous les efforts tendaient A nous faire comprendre que la production d'armes crkke des emplois salariks mais ne fournit pas les marchandises nkessaires pour absorber ces salaires une fois que les gens se mettent Q la recherche des moyens de les dkpenser. 11 nous est encore impossible, grAce au ciel, de commander des mitrail- leuses et des mortiers dans le magasin de quincaillerie de notre quartier - bien que, dans certains pays, l'achat d'un revolver ne semble pas poser de problhmes majeurs. Les fabricants de chars d'assaut ne cherchent pas A nous intkresser Q leur dernibre s6rie de modkles. C'est pour cette raison que les salaires des travailleurs et les bknkfices des fabricants d'armes (sans parler de leur a commission s ) sont dkversks sur l'6cono- mie sous la forme d'un pouvoir d'achat auquel ne correspond aucune marchandise pouvant Ctre achetke. I1 y a donc, par dkfinition, une masse monktaire supkrieure Q la quantitk de marchandises offertes. De mbme, par d6finition, ce processus fait monter les prix des marchandises B 'Ce calcul, effect& ar James Comoy et Paul d'Eustachio, figure dans Boom and bust : the B 1 Bomger and the Environment *. Environmental Action Foundation 1975.

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mesure qu'augmentent les fonds entre les mains d'acheteurs se livrant A une surenchhre de plus en plus effrknke. Le rksultat ? Linflation. Tout cela nous a ktk serink sur tous les tons par nos dirigeants en temps de guerre. Par contre, je n'ai entendu aucun banquier, homme politique ou dirigeant du monde des affaires (administrateur ou syndicaliste) y faire la moindre allusion au cours de la dernikre pkriode d'inflation. Et ce- pendant, le monde dkpense 300 milliards de dollars par an au titre de la e dkfense B.

Je ne v e u pas dire par l A que les dkpenses au titre de la d6fense sont inutiles. Ce n'est que lorsque l'Union Soviktique renoncera A ses r6ves de domination, combinke A une uniformitk idkologique A l'kchelle mon- diale, que nous pourrons espkrer assister A un dksannement skrieux et contrblk et A la constitution de forces de police internationales destinkes A remplacer la tendance mortelle A l'anarchie entretenue par des kgoysmes nationaux se livrant A une concurrence achamke sous des prktextes moralement injustifiables. Je tiens cependant A affirmer que, pour tous les peuples du monde, il est fallacieux de prktendre que l'hkmorragie d'knergie, de matkriaux et de compktences dkclenchke pour constituer des systkmes offensifs capables de dksintkgrer vingt fois la planbte, est autre chose qu'un gaspillage rkvoltant et idationniste et confhre B la terre le droit incontest6 de devenir l'asile d'alikn6s vers lequel conver- geront tous les dkments du cosmos. J'estime kgalement que, mdme aujourd'hui il arrive, en dkpit de nos craintes, nous pourrions proceder A certaines reductions des dkpenses d'armement afin d'affecter les 6co- nomies ainsi rkaliskes B des activitks de dkveloppement et de conservation profitant aux groupes les plus d6favoris6s. C'est un point sur lequel nous reviendrons plus tard.

I1 existe d'autres domaines qui consomment en fait plus d'knergie que le secteur de la dkfense, et le font souvent sans prksenter de risques moins skrieux. A cet kgard, les transports constituent l'exemple le plus approprik. Directement ou indirectement, ils reprksentent plus de 40 pour cent des dkpenses d'knergie de l'Am6rique de Nord. S'il fallait se pro- noncer sur un spkcimen d'individu symbolisant le gaspilleur-type d'hergie, on choisirait sans aucun doute le conducteur assis seul dans son break A moteur de 150 HP, coinck au beau milieu d'un embouteillage de banlieusards convergent vers une m6me destination. Et pourtmt, aux Etats-Unis, 56 pour cent de tous les banlieusards se rendent au travail seuls dans leur voiture. Les comparaisons entre les chiffres sont s&sam- ment Cloquentes. D'apres Wilfred Owen, kminent expert des transport^ B la Brookings Institution, les rendements relatifs de divers moyens de transport peuvent varier de I'h6licoptbre consommant un gallon amkri- cain de carburant pour sept milles-passagers aux mille milles-passagers par gallon de la bicyclette. Dans l'intervalle, une automobile de dimen-

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sions moyennes transportant un passager, produit A pehe plus de milles au gallon, un autobus des transports urbains (A l'heure de pointe) 95 milles, une rame de mktro (kgalement pendant l'heure de pointe) 120 milles, et un train B voie B grand kcartement 390 milles. Si une petite voiture transporte quatre passagers, son rendement est kgal B celui de I'autobus B l'heure de pointe. En revanche, un microbus avec sept passagers est presque aussi Cconomique qu'u" train.

Nous constatons la mdme tendance en ce qui conceme le transport des marchandises. Les pipelines constituent le moyen le plus Cconomique de transporter les produits - 450 unitks thenniques britanniques (BTU) pour chaque mille-tonne. Avec les chemins de fer et les canaux, la consommation atteint de 670 A 680 BTU, mais saute B 2,800 BTU pour 1% camions. (I1 est plus difficile de calculer la consommation des avions, ktant donnk que les marchandises et les passagers sont souvent trans- port& ensemble ; d'aprks certaines estimations, il semblerait' toutefois qu'elle atteindrait 42,ooO BTU.) Ces chif€res expliquent pourquoi, aux Etats-Unis, les camions consomment la moitiC de tout le carburant employ6 pour l'acheminement des marchandises, alors qu'ils ne transportent que le cinquibme du volume total.

Et si je prends maintenant la liberth d'ajouter un autre facteur de 9: gaspillage B rendant plus impressionnants encore les chif€res prksent6s pour l'automobile, que le lecteur ne se mkprenne pas sur mes intentions, car je ne cherche nullement A exploiter ses 6motions ou le sensationna- lisme de la situation. Plus je vieillis, plus il m'est dif6cile de comprendre pourquoi l'homme occidental semble manifester l'indiffkrence et le cynisme les plus complets au sujet du massacre qui a lieu chaque jour sur les routes. Nous tuons, estropions ou blessons environ quatre millions de personnes par an (le chif€re des ddcks pour l'Am6rique du Nord et l'Europe considkrdes skparkment est de plus de 150,000). Au debut de 1970, la deux-millionikme victime d'un accident &automobile a p6ri aux Etats-Unis. C'est A ce moment que le nombre des victimes d'accidents mortels sur la route a dkpassk celui de tous les soldats tubs pendant toutes les guerres auxquelles I'Amkrique a pris part. Nous nous empressons de dire, sans la moindre hbitation, que les dkpenses sont couvertes par les assurances. Grand Dieu, que reprksente une assurance pour l'kpouse privke du compagnon bien-aim6 qui avait partagk jusqu'alors son exis- tence, pour les parents convaqu6s pour identifier le cadavre ensanglanth et disloquk d'un enfant unique, pour la famille d'un jeune couple tuk pendant sa lune de miel? Permettez-moi de vous relater un incident rCcent qui devrait faire frCmir d'horreur les individus les plus endurcis. Au cours d'une randonnke en voiture, cinq jeunes britanniques s'ktaient

"Hirst and Herendeen: TdaZ Energy Demand for Automobiles; Society of Automobile Engineers, 1973.

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arrbtb sur l'accotement pour y improviser un pique-nique. Arriva alors un poids lourd conduit par un chauffeur fran~ais assez fatigue, si fatigue qu'il ne pouvait plus se rappeler de quel c8tk de la route sur lequel il ktait censk conduire, et qu'il ne pouvait meme plus voir la diff&ence entre l'accotement et la route proprement dite. C'est ainsi qu'il percuta la voiture an-&& avec ses trente tonnes de metal pour tuer les cinq jeunes gens et traher leur vkhicule kcrask s u r une distance de 270 mhtres avant de s'immobiliser. (Soit dit entre parenthhses, je tiens A signaler que, s'il s'est fait taper sur les doigts, c'ktait avec une plume plut8t qu'avec une rkgle : le tribunal lui imposa une amende de $500 et lui retira son permis de conduire pendant trois mois, ce qui est une peine suffisamment skvkre, on en conviendra, pour rappeler aux gens que la destruction de cinq jeunes gens dans un vkhicule immobile au bord de la route avec un camion roulant du mauvais c8tk est un acte plut8t malveillant.)

Parmi tous les a facteurs extkrieurs >, parmi tous les coots et gaspillages ignores pour lesquels nous ne payons pas, ou meme que nous refusons de reconnaftre quand nous consommons de Pthergie pour assurer nos transports, les dk& et les mutilations sont les plus lourds de consk- quences. Et l'homme occidental, qui s'est fklicitk lui-m&me avec suf6- sance pour son a respect de la vie B, ne s'en pr&ormpe pas le moins du monde. I1 s f i t , pour s'en convaincre, de considkrer toutes les prk- cautions, la plupart d'entre elles visant A conserver la vie, qui pourraient Btre prises et qui, ramenkes A un m&me dknominateur commun, seraient rkclamkes A cor et A cri si Pagent meurtrier ktait le cholkra ou la peste. Des automobiles plus petites et plus shes, des limites de vitesse plus strictes, les transports en commun dans les villes, un accroissement des volumes de marchandises et du nombre de voyageurs sur les chemins de fer, des voies skpparkes pour les poi& lourds - toutes ces mesures permettraient de conserver de I'knergie et de sauver des vies. Les trans- ports sont, en fin de compte, avec la guerre, le secteur le plus avide de vies humaines par la consommation et le gaspillage immodkrks dont ils sont coupables. On peut parfois se faire une idke de cette tendance en examinant les noms donnks aux automobiles - Avengers, Thunder- birds, Jaguars - qui tous font surgir I'image d'un animal fkroce et cruel, cette image n'ktant d'ailleurs, malheureusement trop souvent, que peu kloignke de la rkalitk. Mais cela nous prboccupe-t-il? Certainement pas.

Examinons maintenant une cause de gaspillage un peu moins dkpri- mante - les bdtiments que nous construisons et habitons. 11s ne provo- quent pas d'hkcatombe. Mais ils entrainent des pertes d'knergie hormes. Dans les socibtbs industrialiskes, la plupart des codes du bdtiment dkfi- nissent des normes destinkes B garantir la skcuritk dans la construction. Certains comprennent des crithres de protection de l'environnement, par exemple en ce qui concerne les besoins minima en espace et en lumikre.

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I1 est cependant surprenant de constater combien rares sont ceux qui rkglementent skrieusement la consommation d'knergie par les systkmes de chadage et de refroidissement des logements et des autres bitiments, et combien de ressources sont ainsi gaspillkes. Si nous commenqons par la production des matkriaw de base utilisCs dans la construction, nous ne pouvons pas manquer de citer un exemple dkjA mentionnk - le rende- ment mkdiocre des mkthodes utilisCes en Amkrique du Nord pour produire du ciment. Environ 50 pour cent de I'knergie pourrait btre kconomiske si on recyclait la chaleur dkgagke dans les fours. L'acier, lui aussi, fait partie de l'kquation - la technique de la coulke continue est prkfkrable A celle consistant A couler des lingots. La fabrication de l'acier inoxydable nkcessite aussi rnoins d'knergie que celle de l'aluminium, bien qu'au cours des dix-huit derniers mois - faut-il appeler sur les Arabes la bknkdiction $Allah ? - une sociktk productrice d'aluminium ait rkduit d'un tiers la quantitk d'knergie consommke dans ses installa- tions de traitement. Nous devons de plus nous rappeler que, parmi tous les matkriaux de construction, le verre, quelque kblouissant (ce terme ktant pris presque littkralement) que soit le rksultat, est le plus mau- vais de tous les mat6riaux isolants, et accentue les effets de la chaleur comme du froid. I1 contribue ainsi A imposer cette antithese grotesque qu'est la nkcessitk de chauffer et de refroidir simultankment des zig- gourats hermktiquement closes s'klevant A des hauteurs vertigineuses - et ce dans des climats souvent si ternperks qu'il suffirait d'ouvrir une fenetre et de faire face au vent pour kviter tout inconfort pendant la plus grande partie de l'annke.

Ceci nous amkne A la deuxikme lacune - les codes du bhtiment. 11s ne recommandent que rarement l'emploi de portes et de fenbtres bien ajustkes A leurs chambranles, I'orientation face au vent, l'installation de dispositifs de protection contre les rayons du soleil en CtC et, question primordiale, une isolation approprike. I1 se peut que cela cause une augmentation des coiits au moment de la construction. C'est pourquoi on lksine sur l'emploi de ces matkriaux. I1 faudrait que tous les codes du bAtiment obligent les entrepreneurs A calculer la quantitk d'knergie qui sera consommke pendant la durke de vie probable d'un kdifice. On constaterait alors que les dkpenses d'investissement effectu6es initiale- ment au titre de l'isolation seraient amplement rkcupkrkes aprks trks peu de temps et que les coQts - et gaspillages - annuels d'knergie seraient fortement rkduits. L'Institut des architectes arnkricains estime que I'appli- cation de nouveaux codes du b%timent visant B accroitre le rendement knergktique permettrait aux Etats-Unis d'kconomiser 12.5 millions de barils de pktrole par jour d'ici 1990. Et il se peut mbme que cette estima- tion soit trop pessirniste. Les Cconomies d'knergie peuvent btre cumula- tives. Pour commencer, des bhtiments mieux isolks peuvent btre chauffks

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avec des chaudibres plus petites (ce qui permet d'kconomiser l'knergie que reprksentent les matkriaux dont elles se composent). I1 n'est pas tenu compte non plus, dans la dktermination de ce niveau &isolation, de toutes les autres sources d'knergies complkmentaires que l'on com- mence 8 adopter avec l'installation de systkmes captant l'knergie solaire sur le toit de certains batiments et leur utilisation comme moyens d'augmenter et d'accumuler les ressources en knergie et, en mQme temps, de rkduire les charges imposkes aux centrales klectriques. Rbolus A adopter des mkthodes plus rationnelles, certains ktats du Sud-Ouest des Etats-Unis commencent A accorder des subsides aux personnes qui installent des systhmes pour capter l'knergie solaire. Les auteurs de l'etude sur l'energie commanditke par la Fondation Ford ont proposk l'introduction d'un imp& progressif s u r l'knergie s'ktendant sur une dkcennie pour permettre aux gens de se rkadapter jusqu'8 ce que s'achhve l'hre du gaspillage effrknk causk par les appareils de chauffage entihe- ment klectriques, et contribuer ainsi 8 favoriser l'avhnement d'une technologie tout 8 fait nouvelle orientke vers la conservation ainsi on tirerait parti de tous les moyens possibles de suppl&r aux formes d'knergie entrahant des dkpenses et des taux de gaspillage klevks - c'est- 8-dire des moyens complkmentaires tels que l'knergie solaire, l'knergie Colienne, le choix &emplacements les mieux exposks au vent et les mieux protkgks du rayonnement solaire, afin de contribuer 8 cette re- duction de 50 pour cent de la consommation annuelle d'knergie qui, de l'avis de nombreux experts, peut Qtre effectivke en Amkrique du Nord.

La conservation est le principe fondamental de ces nouvelles mkthodes de construction. Sa portke dkpasse cependant de loin celle des services et de l'kquipement communautaire, en particulier en ce qui mncerne le recyclage et la rkutilisation de toutes sortes de dCchets. Nous devons nous rappeler qu'au cours des trois dernihres dkcennies, la quantitk de dkchets solides simplement abandonnCs par les citoyens des pays avancks a atteint des chiEres astronomiques. A cbtk de la litanie des causes de pollution par les dkchets aux Etats-Unis depuis le dkbut des annkes soixante-dix, la liste des conquQtes de Don Juan n'a plus aucune chance d'impressionner un public pourtant si friand de records. Parmi les pro- duits jet& aux ordures, on peut mentionner 65 milliards de capsules en mktal, 60 milliards de boites de conserves, 36 milliards de bouteilles et plus d'un million d'automobiles hors d'usage. Or, nous avons dkjA vu combien d'knergie le recyclage permet d'kconomiser. Comment pouvons- nous alors nous permettre de bdler, d'immerger ou d'enterrer de tels trksors ? Pourquoi nous en servons-nous pour polluer I'air et les eaux ? Pourquoi avons-nous de plus en plus de ma1 8 trouver des canihres ou autres cavitCs 8 remblayer et pourquoi constatons-nous de plus en plus souvent que certains dkpotoirs contenant des substances extr2mement

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toxiques ont laisse s'khapper des poisons qui ont contamin6 les cows d'eau et les aquifdres environnants ? L'une des raisons que nous exami- nerons plus tard peut Ctre dCfinie comme suit : la politique de fixation des prix qui ne tient pas compte des coQts de la pollution. Une autre raison est l'attitude du citoyen moyen vis-a-vis des dktritus. La principale d+me qu'occasionnent les ddtritus se situe au niveau de leur ramassage, et les fonctionnaires des services d'enlkvement des immondices ne se distinguent pas particulibrement par leur prestige social. (Dans certaines villes ewopkennes, tous sont originaires de pays Ctrangers et constituent presque une nouvelle caste d'intouchables.) En m8me temps, on ne fait pas grand chose pour obtenir que les citoyens acceptent de prBter leur aide (ou de senir leurs propres intkrbts) en triant leurs propres immondices et en facilitant ainsi la ache cies municipalit& qui cherchent a recycler les metau, le verre et toutes les matieres organiques (papier, aliments, chifTons, plastiques), ces dernibres pouvant Btre recycldes sous la forme de combustibles ou d'engrais aprds avoir dtC transformbes en compost. C'est ainsi que des milliards de tomes de dCchets produits chaque annCe dans les soci&b industrialis&s sont tout simplement des polluants alors que, on les conservait et si on les rhutilisait, ils pourraient devenir de v6ritables facteurs de prosp4ritC dans les usines et les exploitations agricoles.

Si j'ai choisi de ne prksenter qu'uii seul exemple, c'est qu'il rev&t une importance critique. Si on appliquait une taxe assez ClevCe SIX les rkcipients non consign&, elle encouragerait les citoyens a shparer leurs boites de conserves et leurs bouteilles en vue de leur recyclage. Nous nous heurtons cependant ii un autre problbme : les attitudes vis-a-vis de l'emploi. Avec la structure actuelle en matihe d'emploi, les hommes qui travaillent dans les usines hautement mkcaniskes et 8 forte consom- mation d'knergie produisant les boites de conserve et les bouteilles h partir de matdriaux vierges sont considdrds comme mkcaniciens quaMQ et repivent de hauts salaires. Les travailleurs des services d'enlgvement des immondices, en revanche, exercent des emplois dhnuh de prestige et ne touchent que des salaires relativement bas, Les syndicats ont tendance a percevoir une politique de recyclage intensif comme consti- tuant une menace pour leurs qualifications hautement rCmun6rkes qui, A leur avis, ddpendent d'une consommation d'Cnergie klevke. En adoptant des mhthodes d'enlkvement et de rCcupkration faisant appel a une intensit6 de main-d'oeuvre plus grande, on Cconomiserait des quantitbs CCnergie considdrables. Mais cette politique pourrait donner I'impression que l'on cherche ainsi A rCduire le nombre des emplois pour lesquels la consommation d'Cnergie est dlevCe, et qu'on veut les remplacer par des cathgories destindes aux prdtendus a intouchables B. I1 existe Cvidement une possibilitC de solution : celle-ci consisterait h verser aux travailleurs

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des services d'enlevement des immondices les montants hnomisQ en rkduisant la consommation d'knergie et de transfkrer les a postes d'klite > dans le secteur de l'enlhvement et du recyclage des dktritus. Cet exemple donne une id& des changements qu'une hnomie orientke vers la con- servation finira par imposer A notre sens des valeurs thnomiques et sociales.

En fait, on peut faire valoir qu'A de nombreux kgards, le type d'kta- blissements que nous avons construits aux 19kme et 2Mme sikcles - lors de cette premikre phase, h la fois exp6rimentale et maladroite de l'appli- cation par l'homme d'une science et d'une technique hautement kvo- !ukes - est, pratiquement A tous les points de me, exactement le type a d'habitat qu'une socikt6 gouvemke par la raison, stable et orient& vers la conservation devrait rkformer si elle en ktait pourvue, et kviter si elle en btait dkpourvue. Personne n'a jamais vraiment voulu crker le type de mkgalopoles dkmesurkes qui caractkrisent notre kpoque - en fait, il est ironique de constater que beaucoup d'entre elles ont kt6 crkkes parce que Ies gens voulaient s'kchapper de la ville qu'ils venaient de dkcouvrir. Les demikres statistiques urbaines ktablies aux Etats-Unis semblent confirmer cette tendance. On a constatk l'existence d'un im- portant courant migratoire, non seulement des villes vers les banlieues, mais aussi de la partie Nord-Est tout entihre vers le Sud-Ouest, la nouvelle terre promise. Dks 1790, quinconque pouvait se permettre de quitter le centre de Manchester, qui 6tait de plus en plus peuplk et de plus en plus polluk par les fumkes d'un nombre croissant d'usines, allait s'ktablir h Wilmslow et A Alderly Edge. (Par la suite, le prkurseur de tous les urbanistes de talent, Patrick Geddes, pr6conisa une autre solution. a C'est en se soGlant > dit-il, a qu'on arrive A s'kvader le plus facilement de Manchester a. ) Manhattan a dkpassk son niveau de densitk maximum vers 1860. L'avknement de l'automobile a favorisk la forma- tion de conurbations jusqu'h ce que les zones mktropolitaines de Londres, de New York et de Tokyo commencent A approcher le cap des 20 mil- lions d'habitants. Ces rkgions urbaines denses et couvertes de construc- tions de toutes sortes ktaient, par leur nombre, leur ampleur et leur complexitk, un phknomkne que l'on n'avait encore jamais rencontrk dans l'histoire de l'humanitk.

Au dkbut, ces nouveaux centres ont attire les populations - qui venaient dans l'espoir d'y trouver des emplois, de l'argent ou de l'aventure. On a ensuite constatk que les plus fortunb ktaient de plus en plus nombreux A s'en kcarter pour aller s'ktablir dans les zones p&iphkriques, qui devenaient de plus en plus importantes. Plus tard, la structure de l'emploi commenqa A Qtre affect& par des transformations profondes. Aprh la Deuxikme Guerre mondiaIe, I'activitk dans le sectew tertiaire des services commenqa h s'intensifier (magasins, salons de beaut6 marchands d'objets

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d’art, divertissements) et cette tendance s’Ctendit au secteur quaternaire des transactions et de l’industrie des connaissances spCcialis6es (banques, institutions financikres, banque de donnhes, communications planktaires par satellites et ordinateurs). A New York, vers la fin des annCes soixante, le nombre des emplois dans les industries manufacturikres - le secteur secondaire - a baiss6 de presque 25 pour cent et continue encore de diminuer. Au niveau du pays considkr6 dans son ensemble, le secteur primaire, c’est-8-dire les exploitations agricoles et minibres, se rktr6cit pour ne plus reprksenter que 10 pour cent de son effectif. (L’agriculteur amkricain, avec son boisseau de blC produit en trois minutes, constitue le meilleur exemple de cette kvolution.) Mais ce bouleversement de la structure de l’emploi eut des conshquences extraordinaires pour les villes. I1 provoqua une migration des travailleurs noirs des &tats du Sud vers les villes du Nord (et provoqua un d u x de Porto-Ricains - de la meme faqon que des travailleurs ktrangers ont kt6 attirb par des villes telles que Rotterdam, Birmingham, Munich et Marseille). Une fois arrivks dans les villes, les migrants venus s’installer dans des immeubles ddabrks qui avaient dkj8 abritQ toutes les autres g6nkrations de nouveaux-Venus durent faire face 8 un dbavantage que leurs prkdhcesseurs n’avaient pas connu. La paisanterie de mauvais goQt que l’on se plaisait 8 raconter vers 1850 ( a Dieu a invent6 la brouette pour apprendre 8 Paddy A se dresser sur ses jambes 3 ) nous rappelle qu’un nombre klevk d’immigrants rkussissaient A subsister dans le villes ,orace aux travaux manuels et aux emplois dans les industries manufacturi&res qu’on y trouvait. Mais le nouveau secteur quaternaire >> n’a pas besoin de travailleurs manuels. I1 veut des cerveaux. Pour citer une fois de plus l’exemple de New York, le secteur des services et des transactions a enregistr6 une augmentation de plus de 30 pour cent. Mais l’enfant d6favoris6 dun travailleur agricole du Mississippi n’a pas les aptitudes requises pour prendre part 8 des

transactions B. Ceux qui le peuvent sont prkciskment les enfants des personnes qui sont allkes s’installer dans les banlieues antkrieurement et ont emport6 avec elles beaucoup d’industries lCgbres et de petits com- merces. C‘est ainsi que nous nous trouvons devant une situation que nu1 n’a jamais voulu provoquer et qui en devient ridicule 8 force d‘&tre absurde : comment peut-on en effet expliquer que ce sont les pauvres des villes, trop souvent sans emploi et obligCs d’habiter des logements dblabrks, qui vivent A d t k des gratte-ciels rutilants du monde des bras- seurs d’affaires. Les emplovbs iravaillant dans ce secteur ont des maisons et des services l’extkrieur, et payent leurs imp& A des municipalit& Ploignkes du centre de la ville (parfois jusqu’8 vingt milles de celle-ci) pour venir travailler en provoquant une invasion quotidienne qui entasse dans Manhattan l’kquivalent de la population totale des dix-huit arrondis- sements de Paris. En m&me temps. le dCclin de l’agriculture et l’exode

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de l'industrie lkgdre vers les banlieues ont privk beaucoup de rkgions rurales de l e u vitalitk. La conurbation, emmhlke dans un cocon de mouvements dksordonnks, projetant ses dkchets vers l'extkrieur, consom- mant son bnergie et crkant un risque de plus en plus grave de tension entre un noyau central dkfavorisk et des banlieues et zones pbriphkriques kloignkes plus fortunkes, ne constitue que trop souvent le moddle d'un habitat humain moderne qui tente de reculer A l'exchs les limites intk- rieures de la tolkrance et du respect civiques et les limites extkrieures d'une biosphere capable de protkger la vie.

Et si telle est la tendance observbe dans les pays industrialisb riches et prosperes, on peut s'attendre A ce que les perspectives pour les pays en voie de dkveloppement soient encore plus sombres. C'est A ce niveau que les incompatibilitks entre les besoins et possibilitks humains et la forme des peuplements humains deviennent encore plus flagrantes. En premier lieu, les villes ne sont souvent cr&es que pour faciliter les Bchanges commerciaux avec l'occident. Roy Lagos, Bombay, Changhai avaient toutes atteint ou mhme dBpass6 le seuil de 2 millions d'habitants avant m6me que 5 pour cent de la population locale soit employ& dans l'industrie. En mhme temps, la rkvolution agricole dkpendant surtout des machines et de l'knergie venait chasser les paysans et les travailleurs sans terres des campagnes avant que des emplois de remplacement aient ktk crkBs pour eux dans les villes. I1 est gBnkralement exact qu'au 198me sikcle, c'est l'attrait exercb par les emplois offerts dans les villes qui a provoquk l'arriv& massive des travailleurs. Au 20kme sihle, c'est le manque d'emplois dans les zones rurales qui les oblige A partir. Et il y en a des millions et des millions d'autres qui s'apprhtent A prendre part A cet exode. Une fois de plus, l'apparition de ces tendances au moment le moins opportun a encore aggravk ces incompatibilitks. En Europe, la rkvolution industrielle a prhkdk la a r4volution sanitaire >. L'effectif en main-d'oeuvre augmentait A un tam infkrieur A 0.5 pour cent par an. Par contre, dans les pays en voie de dkveloppement, il atteint probable- ment 2 ou 3 pour cent A l'heure actuelle, ce qui n'est pas 6tonnant si l'on considere que de 75 A 80 millions d'individus viennent s'ajouter chaque annke A la population de la plandte. Cette kvolution ne constitue pas non plus la dernihre ruse ou la derniere ironie que l'histoire s'est permis, La 6 Rkvolution verte 3 visant A augmenter la productivit6 en faisant appel A l'knergie et aux machines, plut8t qu'A la main-d'oeuvre, ne fait que rdkter, au niveau de l'agriculture, une tendance g6nBralis6e A avoir recours A l'automation, A des techniques utilisant de grandes quantitks d'knergie, et A une sociktk fondke sur une multiplication des transactions confikes A un personnel hautement spkcialis6. S'il est une chose dont cette soci6tk n'a pas besoin, ce sont des a mains s. Et pourtant, leur nombre continue d'augmenter rkgulibrement et implacablement,

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et leurs propridtaires n'ont d'autre option - B leurs yeux - que de quitter leurs mini-fermes trop petites, surexploit&s et souvent rongkes par I'Crosion pour prendre le chemin des grandes villes (cr6Ces par l'ancien systbme imperial et commercial) pour aller y chercher fortune et, en fin de compte, s'estimer heureux de gagner de quoi subsister. Les accumula- tions de baraques insalubres et surpeuplkes A la pkriphkrie de chaque ville en voie de dkveloppement - les cohmpas du Santiago, les bustees de Calcutta, les bidonvilles d'Alger - sont symptomatiques d'un dkshui- libre profond qui afTecte l'Cconomie tout entibre et qui, si tendance se confond avec destinh, nous m&ne droit au dhastre.

C'est ainsi que, dans nos ktablissements. nous trouvons certaines des conditions de vie et de travail les plus irrationnelles et les plus inhu- maines qui dent jamais Ctk impos&s A la race humaine. On peut men- tionner le gaspillage que reprbentent des &es humains sans travail, le gaspillage d'knergie que constituent la construction de bAtiments au mCpris des normes klbmentaires d'efficacitb et de rendement, et les mouvements incessants. Oublions le gaspillage fantastique que sont les cieux obstruQ par la fumCe, les dkpotoirs d'immondices en train de dk- border, et l'eau polluk - plus de 40 pour cent de la population du monde n'a pas accks A un approvisionnement en eau pure. Et si la tendance est la destinke, il est alors certain que toutes ces villes monstrueuses sont destinbs A continuer de grandir, dans les pays en voie de dkveloppement, A un taux de 4 A 8 pour cent par an et, dans beaucoup de sociCtks industrialisbes B continuer d'appliquer leurs politiques actuelles qui sont la cause de gaspillages d'knergie, de pertes de temps, de pollution, de dCtCrioration et d'afErontements entre les classes sociales que la ville de New York, capitale commerciale de Pkconomie la plus puissante du monde, a peut-Ctre illustrk de la f apn la plus convainante qui soit en suivant une voie qui l'a presque mende B la faillite. Car, si dans une soci4tC si riche en ressources et en talents, m e mktropole en arrive A se dCsintCgrer presque sous les yeux de ceux qui l'habitent, on ne p u t que conclure que quelque chose, A un moment donnk, a dQ subir un dkrbglement extr&nenzent sbrieux.

Mais, alors que nous pouvons constater cette dhterioration de la situa- tion, pouvons-nous trouver les moyens d'opkrer un revirement? Pour re- pondre A cette question nous devons nous tourner vers le second thhme, les possibilitls de rkforme et de renouveau, la rbkvaluation des forces et des faiblesses des mhnisrnes du march6 considkrks A l'btat pur. Nous n'avons jamais vraiment eu Pintention d'avoir le type de grands ktablisse- ments urbains dam lesquels nous vivons A l'heure actuelle. 11s ont ktk crkds pour rbpondre aux besoins d'une industrie qui, pour la premikre fois, a obligC les h o m e s A accomplir la plus grande partie des travaux pbnibles dans les villes au lieu des champs. Et, dam le cadre de ce

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nouvel ordre industriel, les tendances 4taient principalement d&ermin& - jusqu'au milieu du 20hme sihcle - par les signaux observck sur le march&, en particulier par le march6 priv6 des terrains. Cela a engendr4 de nombreuses perturbations aux rkpercussions profondes. La premihe affecte les coots et les r4muneationsy tandis que la seconde conceme les effets secondaires et les a facteurs ext6rieurs D. Prenons pour com- mencer la question des prix et des bkndfices sur le march6 urbain des terrains. Les partisans du libre jeu des m6canismes du march6 considQ6s comme les seuls arbitres mod6rks, fiables, impersonnels et dbntralisds des besoins et des satifactions des gens vont Bvidemment protester et faire valoir que toute limitation de la libert6 d'acheter et de vendre des terrains va provoquer des a distorsions du march6 D parce que ceux qui ont les besoins de terrains les plus urgents ne pourront plus faire d'offres pour les acqudrir, ce qui powrait amener certains A les utiliser ii des fins moins socialement justifiables.

Peut-on cependant dire que le march6 fonctionne toujours de f apn A permettre la s6lection automatique de l'utilisation la plus optimale? Nous ne contesterons pas que, toutes choses restant kgales, il constitue la manibre la plus efficace, la plus habile, la plus kquitable et la moins bureaucratique de distribuer les biens. Meme le collectiviste le plus endurci a do, A un moment ou un autre, avoir recours & un mkcanisme de fixation des prix d'un type quelconque. De fait, dans les socidt6 ob les ouvriers des distilleries de vodka rentrent chez e m au rythme du cliquetis des bouteilles qu'ils emportent sous leur salopette, on pourrait faire valoir que la distribution et la vente de ce bien de consommation (est-ce d'ailleurs un bien ou un mal ?) particuli&rement recherch6 se font par l'entremise du systhme d'entreprise le plus a privd D connu de l'homme. L'ennui, c'est que s u r les march&, toutes les choses sont souvent trbs loin d'etre 6gales. Que ce soit du c8t6 de la demande ou de l'offre, il est impossible que le march4 trouve de lui-meme une solu- tion a optimale s & une p6nurie absolue, Examinons tout d'abord le problbme de la demande. Le march6 ne peut pas satisfaire la demande - meme la demande d'dldments aussi essentiels pour la dignit6 humaine que la nourriture, l'eau, un logement, des aptitudes professionnelles - si le revenu du citoyen est trop bas pour lui permettre d'avoir tout simple- ment accbs au marchk. Presque la moitik de la population du globe, en particulier dans les collectivitb pratiquant une agriculture de subsis- tance, subsiste avec un revenu de moins de $100 par an. Comment ces populations peuvent-elles demander que l'on tienne compte de leurs exigences, quelque fondamentales qu'elles soient ? Et A meme que leur nombre augmente, les marges de revenu continuent de baisser. Au 1 9 b e sickle, les gens appartenant A cette catdgorie, des paysans chassds de leurs terres, des tisserands transplant& d'une ville dans m e autre, etc.,

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hissaient tout simplement par mourir de faim. A partir de la h du 19kme sikcle, un pourcentage important des rkformes introduites dans les sociktes industrialisees ont vise a donner A la majoritk de la popula- tion un minimum de revenu et de chances. A l'kchelle planetaire, il n'existe pas une institution appliquant de telles reformes et, si les reserves s'epuisent, il se peut que la majoritk soit poussee au dklB des a limites intkrieures B de la survie elle-mQme.

Du c8tk de l'offre, le grand intCrQt et les diverses possibilitks d'appli- cation des indicateurs du march6 consistent dans le fait que, lorsque la demande est constante oh en hausse, l'offre diminue, les prix augmentent, un nombre accru de producteurs sont encourages Q augmenter leur iendement et, a mesure que l'offre augmente, les prix baissent et tendent A regagner l e u equilibre. L'offre et la demande telles qu'on les connaft sur le marche ouvert, obkissant 21 des forces impersonnelles et irresistibles, retablissent l'equilibre comme si elles ktaient gouvemkes par une loi universelle. Mais s'il arrivait que l'offre ne puisse Ctre augmentke et que les limites aient CtB atteintes? La reponse du marche consiste alors B continuer de faire monter inexorablement les prix jusqu'B ce que seuls les proprihtaires des bourses les miew remplies soient encore capables de participer B la surenchkre. L'exemple le plus convaincant de cette tendance peut Ctre trouve pendant une periode de pknurie d'aliments. Dans le cadre d'un systkme de marche, A mesure que les recoltes s'annoncent defavorabIes, Ies thksaurisateurs achktent les reserves de mobs en moins abondantes, ce qui prkcipite encore l'augmentation des prix, les riches sont seuls A pouvoir manger, tandis que les pauvres meurent de faim. Le marchi: ne peut pas faire durer les reserves jusqu'h la prochaine recolte. Les familles sont cependant incapables de subsister suffisamment longtemps. Les mCmes pressions sont ressenties lorsqu'il y a penurie de terres et d'eau. Les agriculteurs pauvres doivent s'6loigner des regions fertiles pour aller s'ktablir sur des terres de plus en plus pauvres. La mise en culture a ensuite pour effet de provoquer l'krosion du sol. A son tour, cette d6t6rioration de la qualit6 des terres aggrave les risque d'avoir une succession de secheresses et d'inondations. Comme nous l'avons note, ces pressions implacables s'exercent actuellement sur les populations des contreforts de l'Himalaya et sur celles du Sahel. Les mecanismes du march6 n'arriveront pas A inverser le cours inalt6- rable des Mnements. Une disette absolue est imminente.

Des distorsions d'un type similaire peuvent commencer B Qtre ressenties lorsque d'autres categories de terres deviennent moins abondantes. Les terrains des villes, en particulier clans les villes centrales, appartiennent prkisement B cette categorie. Rien ne permettra jamais d'augmenter la superficie de I'Ile de Manhattan - ce qui a fait la fortune des Astor, qui y posshdaient jadis d'importantes parcelles. Si un nombre sans cesse

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croissant de personnes veulent accomplir diffkrentes sortes de choses avec un bien dont les rdserves sont strictement limitkes, son prix va immanquablement atteindre des niveaux astronomiques. Les fortunks propriktaires qui, les premiers, ont a collectionnk 2 des parcelles de terrain se constituent d’immenses fortunes qu’ils n’ont, dun point de w e strictement constructif, rien fait pour mkriter. Et parmi ceux qui entre- tiennent la demande, seuls les plus riches restent en lice. Par la suite, pour payer les prix fantastiquement klevks qu’ils se sont engagb A acquitter, ils doivent obtenir un rendement maximum de leurs parcelles de terrain. Cela peut se traduire par une accumulation intolkrables de gratte-ciel, dont les fenbtres se font face les unes aux autres et dont l’imposante stature donne le vertige aux miskrables petites fourmis humaines qui osent lever les yeux vers eux. Cela peut se traduire par une exploitation khontCe des locataires obliges de s’entasser les uns sur les autres dans des maisons particulikres pour des loyers exorbitants. Cela peut se traduire par la configuration antisociale de complexes d’habitation gigantesques subventionnks par les deniers publics. Cela ne peut que se traduire par une carence totale de parcs et de terrains de jeux, de perspectives dkgagkes et de monuments car quels sont, au nom du ciel, les bknkfices que ces derniers pourraient rapporter?

Le paradoxe vaut cependant la peine d’ktre notk. Si un citoyen sou- cieux du bien-ktre public comme Frederic Olmstead parvient B faire admettre la nkcessitk d’un parc municipal A des kdiles reticents ( les riches n’en ont pas besoin, les pauvres en abuseront 2 ), chaque propri6- taire de terrains situks en bordure du Central Park de Manhattan n’a qu’h se fkliciter du quintuplage de la valeur des propriktks prides B la suite de la prise d’une dkcision a sans intkrkt > pour servir la com- munautk.

Une fois que l’escalade incontrdlable des prix des terrains empkhe la municipalit6 de fournir ne serait-ce qu’un minimum de services ou d’installations pour agrkmenter la vie des citadins, la rkpugnance mani- festke par les citoyens riches, inspirke tout d’abord par la pauvret6 ac- compagnant le processus d’industrialisation, ne fait qu’encourager la migration vers les banlieues de la pkriphkrie. Et dans cette zone, une inflation similaire affectant la valeur des terrains continue de skvir. La succession rapide des transactions immobilikres porte le prix des terrains, acre aprb acre, ti des niveaux presque inabordables A mesure que le processus de conversion de terrains vierges en banlieue se poursuit. Et c’est ainsi qu’au lieu des a champs frdchement labourks et des verts pAturages 2 qu’ils avaient espkrk trouver, les gens voient s’6taler devant eux, sur des kilomktres et des kilomktres, des banlieues monotones et sans caracthe qu’ils doivent traverser chaque jour pour se rendre B leur travail, avec des millions d‘autres individus dans la mdme situation, pour

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atteindre la ville aprhs avoir perdu des heures et des heures de leur b rhe existence dans des embouteillages ou Yon respire plus de gaz d'6chappement que dair ou dans des autobus et des trains oii les voya- geurs s'entassent c o m e des sardines dans une boite. Et a 1'6lection oh l'on vote en montrant ses talons D continue - les gens se sauvent d'abord vers les banlieues, puis vers leur rhidence secondaire et maintenant, comme nous l'avons vu, ils quittent les vieilles villes purement et simple- ment. 11 est ainsi facile de comprendre que les transactions accomplies sur le march6 priv6 des terrains ont contribu6 directement B provoquer une distorsion des modes de vie et de travail dans le contexte urbain moderne. Et certains des effets indirects ne sont pas moins antisociaux. lls rendent pratiquement impossible toute planification rationnelle de l'utilisation des terres, et encouragent directement l'inflation. Les chiffres sont sdsamment kloquents. Les valeurs des biens immobiliers dans les villes ont augment6 de 10 pour cent par an au cows des annbs cinquante et soixante a Paris et B Madrid. A Tokyo, les prix ont augment6 de quarante fois entre 1945 et 1970. En Grande-Bretagne, les prix des terrains ont augment6 de 220 pour cent entre 1970 et 1975.

Examinons en premier lieu le problhme de la p ldca t ion . La spkcula- tion incontrbl6e condamne B l'6chec toute planification rationnelle des espaces dans les villes parce que, quelle que soit la zone dam laquelle les travaux de construction ou de remise en &tat ont 6tk projeths, les promoteurs immobiliers prennent l'initiative pour s'adjuger des b6nkfices aussi rapides qu'excessifs. Les FranGais ont essay6 de rkduire ce risque le plus possible en proclamant certains quartiers a zones B amknager D et en gelant le prix des terrains au niveau qu'il avait atteint A la date de la publication de la decision. Mais les promoteurs ont achett5 les terrains bordant la zone, ce qui a amend certains commentateurs A dhlarer cyniquement que les plans 6tablis par les pouvoirs publics pour la crbation de nouveaux dtablissements sont le 4 guide du sp6culateur D. I1 est intbressant de constater que certaines villes su6doises ont rbussi a empiicher la plus grande partie de ces distorsions en ayant la sagesse d'acheter des terrains longtemps A l'avance pour assurer leur propre expansion - Stockholm a par exemple pris cette prkcaution au dbbut du 20brne sickle. Beaucoup de villes hollandaises ont Cgalement agi de la sorte. Le promoteur immobilier se soucie peu de savoir si les terrains sont affect& B des utilisations 4: optimales D. I1 arrive que des terres agricoles indispensables soient menacCes - comme en Ontario et, plus particulihre- ment, dans la Pkninsule du Niagara - par la prolifkration des banlieues et des rksidences secondaires. Mais dans un monde oh la pbnnurie $&- ments se fait sentir de plus en plus cruellement, la meilleure utilisation des terres agricoles les plus fertiles ne consiste pas A les couvrir de chernins et de routes A l'usage des collectivitks ou A y construire des

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maisons pour des gens qui ont deja un logement. La solution A long terme fournie par un march6 n'ob6issant A aucun contrble ne peut donner satisfaction, tout simplement parce que la hausse des prix ne remplit pas sa fonction traditionnelle, a savoir encourager la production des biens les plus demand&. Au contraire, dans le cas des terrains, la prioriti: est constamment accordQ aux besoins les moins urgents, au d6triment de ceux qui sont les plus 16gitimes. I1 faut que soient entreprises des enqubtes dktaillkes sur les sols et les ressources, avec une determination Claire et precise des 4 droits d'amknagement s des communaut6s et une interdic- tion absolue de la spkulation foncibre, si l'on veut avoir des raisons valables d'espbrer qu'une politique d'urbanisme rationnelle et 6quilibr6e soit un jour mise en oeuvre.

L'autre conskquence engendr6e par les marches fonciers n'obkissant A aucun contrble est la pression inflationniste. Tous les arguments avancb pour justifier la propriCt6 privke, en particulier en ce qui concerne les terrains, sont fond& sur le principe selon lequel le propribtaire y a droit parce qu'il en a augment6 la valeur par rapport A l'6poque oh elle se trouvait a l'ktat vierge. Mais, nous devons le rkpkter, des valeurs foncibres peuvent btre crkkes non pas parce qu'un homme investit dans ses terrains, mais tout simplement parce que d'autres personnes veulent s'y Btablir A mesure qu'une ville prend de l'importance. L'offre est h e - c'est pour- quoi le prix monte. Ce processus, par hi-mbme, est idationniste : les hypothbques, le coat des maisons, les biens dont la jouissance est like A l'achat ou A la location de terrains urbains, tout cela augmente. Mais ce que l'on oublie parfois, c'est que l'absence totale de raisons justifiant les fortunes ainsi constitu6es devient un obstacle extrbmement U c i l e a surmonter dbs qu'il s'agit de persuader les collectivitbs en g6n6ral de lutter contre l'idation en limitant la demande et en enrayant la spirale des salaires.

Prenons l'exemple d'un cas observe rkcemment en Grande-Bretagne. Monsieur Smith, de Bewbush, 6tait proprikaire de quelques centaines d'acres de terres dans une zone que la ville de Crawley voulait acquerir. I1 r6ussit a vendre les terres pour $6 millions de dollars parce qu'ils se trouvait sur place. Trois mois plus tard, ces terres furent revendues pour $12 millions de dollars A un fonds de pension parce qu'elles avaient, entre temps, 6tk int6gr&s a un 4 programme d'amknagement s. C'est ainsi que notre Monsieur Smith rqut plus de $6 millions de dollars parce qu'il habitait, tout A fait par hasard, p r h de Crawley. Voila en quoi se r6sume sa contribution au d6veloppement et a la prosp6rit6 de l'&onomie britannique. Les divers agents, fonds de pension et adminis- trateurs de soci6t6s qui ont empoch6 les $6 millions de dollars suivants n'ont m&me pas fourni cette modeste contribution. Ils ont tout borne- ment revendu des valeurs immobilihres presentant d'intkressantes pos-

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sibilitks d'amknagement crCCes par la ville de Crawley et auxquelles leur contribution Ctait nulle. C'est ainsi qu'environ $18 millions de dollars repartis en divers montants ont change de mains pour finir dans la poche de personnes dont la contribution sous la forme de travail, d'apports divers et d'investissements a 6th pratiquement nulle.

C'est cet aspect de la transaction immobilikre, qu'il s'agisse d'un achat ou d'une vente, qui en fait un agent infiationniste aussi redoutable. I1 rend totalement absurde toute tentative entreprise pour persuader les gens d'accepter des restrictions affectant leurs salaires et traitements pour juguler l'infiation. Si un Monsieur Smith de Bewbush peut encaisser $6 millions de dollars en se trouvant tout simplement prks de Crawley pourquoi, au nom du ciel, devrait-on s'attendre A ce qu'un mineur, qui accomplit un travail pdnible, dif€icile et dangereux au front de taille limite ses exigences 8, par exemple, $12 dollars de plus par semaine? I1 faudrait qu'il vive et travaille pendant trks longtemps pour accumuler 1'Cquivalent des $6 millions de dollars gagnes en ne faisant rien. C'est avant tout pour ce motif social que l'interdiction des spCculations fon- ciBres et l'application d'une sCrie de rkgles au march6 des terrains sont devenues les conditions prkalables A remplir non seulement pour am6- liorer la planification des Ctablissements, mais aussi pour introduire des politiques capables d'endiguer l'inflation de f a p n soutenue.

I1 n'existe cependant aucune raison empQchant les sociCtCs de combiner les avantages du marche, considCrC comme instrument pouvant Qtre utilisi. avec une certaine souplesse pendant une pCriode d'abondance relative, avec des politiques de planification concues pour faire durer le plus possible cette pbriode d'abondance et remCdier aux phuries abso- lues. Dans le domaine critique de l'eau, des mesures de contr6le de la pollution et des rhglements adopt& par les soci6tCs industrialiskes peu- vent empeeher que l'eau propre, dans le Rhin ou la M6diterranBe, ne devienne une resource de plus en plus rare. Un aspect de cette politique consiste B reporter sur les prix les c o b &ologiques de la pollution et de la dCtCrioration des terres, et 8 obliger le pollueur B A payer. Cette formule l'incite B se doter des moyens techniques qui lui permettront de rkduire des ddpenses pouvant Qtre CvitCes. L'autre option, les e licences de pollueur B, c'est-A-dire des amendes ou l'autorisation d'atteindre certains niveau de pollution contre versement d'une certaine redevance, ne font que favoriser les grandes h e s et exposent l'eau, l'air et le sol A toutes sortes de risques. Un moyen infaillible consiste A obliger les sociCtCs A supporter toutes les dkpenses. M&me la construction d'installa- tions de traitement municipales peut s'avCrer ruineuse pour le contri- buable si l'on n'exige pas que Ies principaux coupables de la pollution payent pour les utiliser. C'est 8 ce niveau que la politique amhricaine est trop faible. Trop souvent, les firmes ne contribuent en aucune faqon,

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B moins que l'on puisse considkrer leur pollution comme une contribution. Au niveau international, il sufErait que la communautk internationale

accepte d'investir trois milliards de dollars par an pendant dix ans pour assurer l'approvisionnement en eau potable de tous les Ctablissements d'ici 1986 et, soit dit en passant, pour donner aux parents l'espoir de garder en vie leur premier enfant grdce B un abaissement de la mortalitk infantile, ce qui pourrait constituer pour eux l'encouragement le plus efficace pour qu'ils stabilisent la taille de l'unitk familiale. De vastes programmes de captage des knormes quantitks d'eau accumulkes sous 1e Sahara et de mise en rkserve des volumes d'eau tout aussi importants s'kcoulant le long des pentes des Himalayas semble kgalement offir les possibilitks les plus prometteuses de stabiliser le sol et d'augmenter les rkserves de terrains aux endroits soumis aux pressions les plus fortes. Et ce type d'investissement en biens d'kquipement pourrait faire partie de la stratkgie globale dkfinie lors de la Conference mondiale sur l'ali- mentation tenue A Rome en novembre 1974 et dont les objectifs consis- taient en premier lieu A crker dans l'immkdiat une rkserve d'urgence de 10 millions de tonnes de c6rCales et, en second lieu, de constituer un systhme mondial de mise en rkserve muni de mkcanismes internatiaux de financement et de distribution, dont la capacitk serait kgale A la quantitk nkcessaire pour assurer la subsistance du monde pendant environ 200 jours (pour se prkmunir contre une mousson catastrophique pour l'agriculture et le risque qu'une mauvaise r&olte en Russie coincide de nouveau avec une secheresse en Amkrique du Nord).

Mais le troisihme k l h e n t de la stratkgie blaborke A Rome est le plus vital : la rkalisation d'investissements massifs dans l'agriculture du Tiers-Monde. Si Yon compte uniquement sur le marchk, il sera impossible de rassembler les sommes nkcessaires pour les raisons que l'on a d6jA mentionnkes - la plupart des agriculteurs appliquent des mkthodes leur permettant tout juste de subsister, ils ignorent tout des mecanismes du march6 et sont totalement dkpourvus des capitaux requis pour obtenir les quantitks accrues d'eau et d'engrais, les semences amkliorkes et les petites machines qui peuvent les aider A tripler et A quadrupler leur production. (I1 leur manque de plus les connaissances, les ressources et l'influence politique nkcessaires pour former des coopkratives et com- mencer A garder pour eux certains des benefices que les intermkdiaires rkalisent dans le domaine de l'agriculture.) Mais avec des investissements supplkmentaires - disons 25 milliards de dollars en provenance des pays en voie de dkveloppement eux-mernes et 5 A 6 milliards de plus fournis par les pays prospkres - et avec des techniques fond& sur une forte intensitk de main-d'oeuvre, la conservation des sols et la rCduction des gaspillages, comme celles qui sont appliquees en Chine continentale ou A Taiwan, un pays tel que PInde ou le Br&l pourrait quintupler son

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rendement Q l'acre et commencer B freiner la spirale mortelle qui prkci- pite les pays en voie de dkveloppement vers des pknuries absolues &aliments. Cette stratkgie d'investissement prkvoit naturellement l'exkcu- tion denquhtes sur l'utilisation des terres et la prkservation des terres agricoles les plus fertiles. Elle nkcessite kgalement une approche tout A fait inCdite vis-a-vis de la rkpartition de la population. Pour empgcher les populations de participer A un exode auto-destructeur vers les plus grandes villes, la strategie a adopter doit prkvoir la creation et le ren- forcement de centres commerciaw intermkdiaires comportant des kcoles, des cliniques, des organisations coopkratives, des banques, des industries lkgbres et des possibilitks culturelles. Dans de telles conditions, les efforts des agriculteurs sont encouragCs et leur portke est Blargie, leurs enfants sont gukris et kduquks, et les jeunes trouvent des emplois et des diver- tissements. Si, en l'an 2000, l'Inde avait une centaine de villes nouvelles dun million dhabitants au lieu avoir 100 millions de personnes A Bombay, A New Delhi et A Calcutta, la situation de l'agriculture s'en trouverait am6IiorCe et les risques de dksintkgration sociale seraient beaucoup plus kloignks. Mais ce type de planification spatiale envisagk pour obtenir une rkpartition plus efficace, plus rentable et plus productive de la population et un systkme dktablissement plus rationnel et plus facile a mettre en oeuvre ne fait que rbvkler sous un jour plus tragique encore la a pBnurie a et les lacunes dkjh dkcrites plus haut : l'inaptitude du marchk B rksoudre le problbme de l'utilisation et de la planification des terrains urbains.

I1 n'existe cependant aucune raison pour que l'on renonce pour de bon A surmonter cet obstacle. En fait, plusieurs collectivitks expkrimentent dbjB de nouvelles mbthodes de pladcation des terres et il existe toute une skrie de modkles nouveaux que l'on peut examiner afin d'dlaborer de meilleures stratdgies et d'obtenir des rksultats plus satisfaisants.

Nous pouvons commencer par le nouveau concept des B: droits d'amk- nagement 2 des terres. Dans de nombreuses rkgions $Europe, le simple fait de possCder des terrains ne confbe plus automatiquement A leur propriktaire des droits exclusifs sur les minkraux contenus dans leur sous-sol. I1 n'y a aucune raison pour que les a droits d'amknagement B ne soient pas exercks par la collectivitk sur un pied d'kgalitk. Les MM. Smith, Jones ou Robinson des Bewbush du monde seraient propriktaires de leurs terres A titre privb. Mais ils ne pourraient les uendre qu'B un prix qui serait par exemple fix6 par une Commission foncikre ind6- pendante, publique et consciente de ses responsabilitks. L'Ctablissement de cette distinction entre les droits d'amknagement et la propri6tk mettrait un terrne h la pratique consistant A octroyer des revenus a non mirites 2

qui caractbrise actuellement les marchks fonciers n'obkissant A aucun contrble et est une cause de troubles sociaux. Par la suite, la collectivitk pourrait revendre ou Iouer les terres de faSon B les mettre vraiment en

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valeur - par des programmes de drainage, d'dclairage, de dktermination du track des rues, de construction de maisons, de bPtiments commerciaux et dusines - et les gains provenant de ces transactions seraient restitub a la collectivit6, comme c'est par exemple le cas en ce qui concerne les Sociktds de dkveloppement des villes nouvelles britanniques. C'est alors que les gens qui crk6ent la valeur d'un bien parce qu'ils en ont besoin profiteraient em-mdmes de la plus-value engendrke par l'entremise de leur administration municipale. Le plupart des villes nouvelles parvien- nent en fait Q rkaliser des bknkfices. I1 en est de mdme des municipalitks sukdoises qui appliquent surtout le systkme de la location-bail.

En meme temps, une politique visant ?I garantir les droits de dkve- loppement de la collectivitk n'abolirait pas le droit de chaque citoyen B la propriktk privke, qui continue d'dtre le moyen le plus efficace d'empQcher I'Ctat d'exercer arbitrairement ses pouvoirs. Et dans les cas oh, comme cela arrive dans toutes les collectivitks, des terres doivent Qtre placCes sous le contrde des pouvoirs publics dans l'intbrdt mmmun, en application de lois anciennes telles que celle prdvoyant la rkquisition de certains biens par les autoritks, les prockdures Q appliquer pourraient Qtre assorties de toutes les mesures de protection nkessaires, comme par exemple le versement d'indemnitks d'un montant fix6 d'un commun accord, et de dispositions garantissant le respect de la loi, ainsi que cela se fait d'ailleurs dans la plupart des sociktks industrialides A rkgime dkmocratique.

Une fois que le march6 des terrains est contr8ld par des reglements approprib, il devient possible d'entreprendre la planification de systbmes urbains moins chaotiques. Et certaines indications semblent annoncer l'apparition d'un modMe qui permettrait Q la fois de mieux observer les 4: limites extkrieures D imposCes Q l'utilisation des ressources et de mieux respecter les a limites intCrieures D de la dignite humaine et de l'amour- propre. Un exemple ce cette tendance est la replanification t res dktaillke et tr8s soi.gn6e dont les modes d'implantation en milieu urbain font Pobjet en France. Un autre modhle, celui-ci &labor6 dans une region en voie de dhveloppement, peut &tre trouvC dans certaines des strategies mises en oeuvre en Chine.

Examinons tout d'abord le cas de la France. Le plan national est, fondamentalement, un effort complexe entrepris pour emp&cher la ten- dance A la concentration des populations et des activitbs tkonomiques qui a provoquC l'accumulation du tiers de la population japonnaise et de la plupart de ses industries dans le seul complexe du Tokaido, le long de la baie de Tokyo. Voici plus d'un siecle que Paris s'avan~ait dans cette direction. Aujourd'hui cependant, huit autres zones mktropolitaines ont kt6 cr&es et regroupent toutes les formes d'activitk konomique et sociale, y compris les secteurs tertiaire et quaternaire en pleine crois-

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sance’. Autour de la ville de Paris elle-mkme, on s’efforce d’attdnuer les pressions exercdes sur la ville en crkant de nouvelles collectivit6s dans lesquelles le travail, le logement et les services sont regroup& dans des complexes qui avaient initialement couru le risque de devenir des ban- lieues stCrCotypCes et sans caractkre. Cergy-Pontoise, St. Quentin-en- Yvelines, Evry, Melun-Sknart et Marne la VallCe sont les collectivitks nouvelles et plus compactes Ctablies dans le bassin de la Seine. En mkme temps, une ceinture de villes situdes ii une distance de 100 ii 150 kilo- mkres de Paris - Amiens, Rouen, Caen, Le Mans, Tours, Orldans, Rheims et Troyes - va Ctre renforc6e et revivifiCe. Toutes ces collectivitCs vont Btre relikes ii Paris par de nouvelles formes de transports en commun A grande vitesse. Entre-temps, certaines parties de Paris sont elles-mbmes reconstruites et des emplois sont rCtablis pour Cviter que ne s’y repro- duise la mQme tragCdie qu’ii New York oil, A mesure que le centre se dktkriore, les pauvres restent tandis que les emplois - ii l’heure actuelle mCme ceux du secteur quaternaire oh les revenus sont les plus klevks - sont transfCrCs ailleurs, ce qui provoque une hdmorragie de ressources et, pour la ville, la perte de son assiette fiscale.

En Chine, la politique appliquke au cours des trente dernikres annCes a consiste, dans l’ensemble, ii renvoyer les programmes d‘amdnagement urbain dans les centres provinciaux, pour permettre ii un certain pour- centage de la population, en particulier les jeunes, de se dCcanter dans les campagnes et les villes intermkdiaires et, l’agriculture 6tant considkrke comme l’C1Cment essentiel du dkveloppement, A donner A chaque pro- vince la gamme d’agro-industries et d’industries lCgBres nkcessaires pour qu’elle jouisse d’un certain degrC d’autonomie. Dans les cas oh, comme 21 Changhai, la ville monstrueuse a d6jh Ctk construite pendant l’Cre semi-coloniale, on s’est surtout attachk A transformer les divers quartiers en communes dotkes de leurs propres services sociaux et caractdris&s par leurs propres modes de fonctionnement. La ville tout entiCre a 6th entourge d’une ceinture de jardins maraichers pour la production inten- sive d’aliments, afin de rCduire les dCpenses causkes par le transport des marchandises sur de grandes distances. En mCme temps, dans le cadre de cette premiCre phase de modernisation, l’hergie nkcessaire a surtout 6th puisQ A mQme les vastes rCserves de main-d’oeuvre de la Chine. Ce n’est que maintenant, alors que les emplois dans l’industrie com- mencent ii se multiplier, que la mCcanisation et la gCnCralisation des engrais chimiques commencent A se faire sentir au niveau des exploita- tions agricoles. Mbme ainsi, les anciennes stratCgies de conservation - les programmes d’irriguation ii petite Cchelle, les campagnes intensives de

“Les mdtropoles d’bquiltbre sont Nancy et Metz (villes quaternaires jumelbes), Nantes e l St. Nazaire (kgalement jumelbes), Lille, Strasbourg, Lyon, Bordeaux, Toulouse et Marseille.

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plantation d’arbres, l’utilisation de tous les dkhets produits par I’homme et les animaux, le cycle btang-canards-poissons - continuent d’6tre appli- qu6es avec la meme r6gularit6 que par le p a d .

C‘est ainsi que dans ces deux syst&mes, le frangais cornme le chinois, malgrC les WCrences qu’ils peuvent prhenter des points de vue de leur ampleur et de leur degr6 de d&eloppement, un 616ment de dknt ra l i - sation et de concentration est A la base de la nouvelle structure urbaine. Et l’une des cons4quence que l’on peut observer est la possibilit6 accrue de conserver de l’6nergie et des ressources peu abandantes. Autre &et : l’abaissement des barrikres sociales dans la collectivit6. Dans la r6volu- tion radicale chinoise, la suppression des contrastes entre d i e s et campagnes, paysans et ouvriers, manuels et intellectuels est kvidemment un objectif fondamental. Mais, dans le cas bien plus complexe de la France, on s’emploie aussi A sauvegarder ou A cr6er des collectivit6s mixtes et A faire disparaitre une s6gr6gation digne des ghettos et qui est fond6e sur les revenus (et parfois, comme dans le cas des travailleurs immigrbs, sur la couleur) et A r6tablir le m6lange de classes, de mktiers, de logements et de distractions que l’on trouve encore dans les petites villes (dont, selon le plan franqais, beaucoup recevront une importance et une vitalit6 nouvelles) et dans les vieux a villages > urbains comme Montmarte (ou Chelsea 8 Londres, ou encore le Trastevere h Rome).

Dautre part, cette nouvelle optique est en puissance bien plus 6conome de ressources et bien plus respectueuse de l’environnement. Premikre et plus 6vidente des Bconomies : les transports. L’Ccart entre le travail et la vie dans les m6galopoles modemes y impose pratiquement la voiture particulikre. I1 est certes possible que les gens ne tiennent pas A avoir tant de mobilit6 mais comment pourraient-ils, sans elle, avoir acchs aux emplois, aux services, aux logements ou aux activitks culturelles qui sont l’assise de leur vie? En revanche, le regroupement des collectivitbs dotCes de transports en commun rapides, propres et, le cas Bchhnt, subventionnb, pennettra aux gouvemements d’augmenter le codt des voitures particulikres jusqu’A 6galer tout ce qu’elles-mCmes codtent en pollution et en mobilitd meurtrikre et abusive ; on pourra mhme, le cas CchCant, aller jusqu’8 les interdire dans des p6rimhes r6servtk aux piCtons. Comme l’a dit le maire de Toronto, tout le monde a le droit d‘aller dans le centre de sa ville mais pas avec une tonne de mbtal. En soulageant les routes, on faciliterait la gknhralisation de ce qui se fait par endroits en Europe : des voies rkservbs aux poids lourds qui SOUS-

traient le voyageur A la compagnie de ces mastodontes. En plaqant les gares de triage aux abords des collectivitks urbaines et en assouplissant les mdthodes de formation des trains de marchandises, on favoriserait le retour au rail pour le transport des marchandises volumineuses, ce qui mettrait fin en Am6rique au gaspillage d6jA constat6 ; 20 pour cent des

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marchandises transportees le sont au moyen de 50 pour cent de l'knergie. Les transports representant plus de 40 pour cent du budget CnergCtique de l'Amkrique du Nod, I'kconomie ainsi rCalist5e rhduirait considkrable- ment le gaspillage debridh qui y sevit et, parallblement, la tentation de se lancer trop tat dans l'Cconomie nuclCaire.

Un peuplement plus compact faisant appel a des mCthodes inkdites contribuerait aussi faire adopter toute me autre skrie de strategies de conservation. Dans plusieurs villes dEurope, on Cconomise I'Cnergie en remplapnt les chaudikres individuelles des maisons, des ateliers et des immeubles commerciaux par des unitks qui desservent tout un secteur. On p u t d'ailleurs Cconomiser davantage encore si ces unitks repivent la chaleur rhiduelle que dCgagent les gkndrateurs d'klectricitk et davantage encore si on utilise, en plus du charbon, les ordures muni- cipales dans les chaudieres. On se trouve bien devant toute une skrie de possibiliths nouvelles pour la conservation de l'knergie. Une invention nouvelle (le < combusteur A couche fluide B ) consiste a souffler de Pair chaud vers le haut travers une couche inerte de cendre et de charbon que la chaleur maintient 8 1'6tat liquide ; la combustion en est si efficace qu'on peut y ajouter des dkchets organiques au lieu de charbon ; et il ne se degage presque pas de polluants.

Mais ce n'est la qu'un des emplois possibles des dCchets urbains. En ghnkral, 75 pour cent de tous les d6chets sont organiques : laine, papier, bois, aliments (15 pour cent des aliments seraient jetb, selon une estirna- tion rkcemment faite aux Etatj-Unis). Si ces dCchets organiques sont isolks des autres, on peut en faire du compost agricole, comme A Lknin- grad ou en Hollande, ou, comme h Dusseldorf, du combustible pour chauffage urbain. Les 25 pour cent de dkchets inorganique (mhtaux, verre) sont rdcuphables par divers procCdes techniques : dbchiquetage, tri par comant d'air, klectrolpse, etc. 11s peuvent ensuite etre revendus cn vrac. Aux Etats-Unis, 1'Etat du Connecticut s'est dot6 d'un Office de recuphration et a dCpensk prhs de 30 millions de dollars pour une usine qui, Q Bridgeport. r&up&re le verre et les mktaux et produit des suppld- ments combustibles. L'6conomie energhtique est donc double. De vieux tl6chets remplacent des combustibles nouveaux. Dautre part, le recyclage des dkhets de mCtaux et de verre exige, comme on l'a vu, jusqu'8 80 pour cent d'knergie de moins que le traitement de matihres premihres vierges. Vu ces techniques nouvelles et l'ensemble des moyens efficaces de conservation knerghtique, des experts americains ont soutenu que, si on consacrait 500 milliards de dollars Cconomiser les combustibles, on aboutirait a disposer de deux fois plus d'inergie qu'en investissant la mCme somme dans des systbmes CnergCtiques classiques.

Les techniques de rCcup6ration des dCchets influent directement sur les disponibilitis en aliments et en eau. Un bon compostage permet d'enrichir

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le sol et d'en maintenir le rendement si l'6rosion le menace. Si on ne dkverse plus de mktaux ni de substances organiques dans les cows d'eau, les dilemmes que connaissent les municipalities riveraines du Rhin &pa- rdtront. Mieux : si l'une des techniques nouvelles de rkcup6ration (la production de prothes monocellulaires B partir de dkchets organiques) donne satisfaction, les administrations municipales seront peut-btre m&me de produire des aliments pour animaux qui permettront de faire moins appel aux ckrhles tout en rapportant d'importants bhkfices. La Thames Water Authority essaie un prockdk qui consiste A extraire des dkchets, par klectrolyse, les m6taux et les produits chimiques et A stkriliser le reste, qui est organique. Le magma qui en rbulte (60 pour cent de protkines et de corps gras B l'ktat pur), mklangk B de la paille hachke, sert A fabriquer des aliments pour bestiaux qui, vendus pour 60 dollars la tonne (la moitik du prix actuel) permettraient B une usine municipale desservant par exemple 250,OOO personnes de rapporter un million de dollars par an. LA encore, on voit le double avantage : pas d'immondices dans Peau et rkintroduction des matibres organiques dans le cycle nature1 de nutrition. Ce sont ces perspectives qui permettent d'espkrer que les a limites extkrieures B de notre hkritage planbtaire ne seront pas trop contraignantes si, renonpant A notre style de vie prodigue, insouciant et exigeant, nous en revenons A la mesure et B I'kpargne, caractkristiques traditionnelles de la civilisation vkritable.

Cela dit, put-on aller jusqu'A dkceler, dans ces possibilitb nouvelles, de l'espoir pour les a limites inthrieures B de I'humanitk : besoin de dignitk et de respect, aspiration B une part plus juste des avantages de I'existence? On en arrive ici B la troisieme et dernibre question qui appelle rCforme : les modes d'engagement personnel et collectif suscepti- bles de procurer des styles de vie A la fois plus g6nhreux et plus sobres. I1 est clair en tout cas que les formes de peuplement actuelles (avec la tendance A relkguer les populations sans argent ni qualifications dans le centre d6crhpit de grandes villes du monde dCvelopp6 ou dans les dbespkrants bidonvilles du monde en dhveloppement) tendent A ac- centuer les diffbrences, A aggraver la peur et la rancune et A renforcer les barrieres en skparant physiquement les groupes et les classes. I1 est possible qu'en restaurant le centre des villes, en crkant des collectivitks plus unies oh vivre et travailler, en diminuant les tensions n&s d'une mobilitk imposke et en prenant, dans ces collectivitb, toutes les mesures de nature A encourager l'kpargne et la conservation, on aboutisse A des styles de vie plus calmes et plus pondbrks. Le m6me genre d'kgoisme insensd motivant ceux qui n'hhsitent pas A salir un misseau ou A jeter des ordures n'importe oh se retrouve silrement chez ceux qui n'ont qu'indiffhrence ou mt5pris pour les ktrangers, les dCshCrit6s, les allogAnes, ou les personnes handicaphs par la vieillesse ou I'ignorance. La cupiditk

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est rarement sklective. a J’en veix encore B et A tout prix, cela risque fort de se traduire par un environnement dCgradk et par des tensions sociales. I1 est en tout cas certain que, sans attachment B des entitks plus vastes (quartier, ville et mCme plankte), le risque actuel de heurt entre besoins et moyens semble bien difEcile A parer.

C’est ici, B coup s h , que le Canada a un r81e spkcial A jouer. ConsidkrB du point de vue du revenu par habitant, c’est un des pays les plus riches du monde et il sera encore plus quand sa souverainetk kconomique aura 6th portCe A 200 milles au large de ses cbtes. Mais il n’est pas assez puissant pour effrayer d’hventuels adversaires ni pour s’entendre reprocher de faire de l’esbroufe. S’il pouvait former me coalition d’btats moyens, avisks et progressistes, qui oeuvreraient pour une meilleure rkpartition des ressources mondiales, pour des stratkgies de ddveloppement et d’investissement concertkes, et pour un minimum d’alimentation, d’eau, d’kducation, de santk, de logement et d’emploi applicable B toute I’humanitC, il pourrait jouer le mQme rdle dans la sociCtB planktaire que les grands rkformateurs (Lord Shaftesbury, Edwin Chadwick, Benjamin Disraeli) des dkbuts de l’bre technologique joubrent dans la Grande- Bretagne du 19bme sibcle. Les maux dont elle souffrait alors, divide qu’elle Ctait entre a la nation des riches et la nation des pauvres B

n’aaient en effet gubre moins graves que ceux du monde contemporain. Mais deux courants de progrks intervinrent : la conscience des nantis auxquels les rkformateurs firent appel et l’influence grandissante des pauvres eux-m&mes qui, syndiques ou klecteurs, commenchrent A s’aperce- voir que l’union fait la force. Est-il inconcevable qu’une telle confluence commence B Cloigner le pkril de heurt qui menace le monde actuel et A rapprocher celui-ci d’une voie plus rationnelle ?

La rkvolte des dCmunis est manifeste mais y a-t-il une conscience B laquelle les gouvernemtns kclaires puissent faire appel ? La rCponse de l’histoire en tout cas n’est pas entihrement nCgative. Toutes les grandes traditions morales de I’humanitC remontent au premier millhaire avant JCsus Christ, Cpoque oh les premibres Cbauches de civilisation, dans les vallkes des grands fleuves (Egypte, MCsopotamie, Inde septentrionale, Chine), s’effondraient dans la mQlCe des guerres, des invasions impkrialistes et des troubles civils assortis d’atrocitks sans nom et de corruption. L’esprit de ces temps inquiets a CtC bien saisi au 4kme sidcle avant JBsus Christ par un aristocrate chinois qui, banni de la Cour pendant les longues guerres fkodales qui subissait son pays, s’Ccriait, le coeur dkchirk :

Le monde est i l’envers. Une aile de cigale pPse mille limes. La coupe ciselke sert de casserole. Comment distinguer le bien du ma1 ?

La rkponse de toutes les religions est la m&me : la cupidit6 et le pouvoir ne comblent pas nos aspirations ni nos dksirs ; pour Qtre heureux

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et pour survivre, il nous faut apprendre A reconnattre et A accepter sincQrement l'existence des limites intkrieures et extkrieures - le respect d'autrui et de ses besons, la retenue et la mesure dans la satisfaction de ceux que nous ressentons. LA encore, c'est la Chine qui nous donne ce qui est peut-Qtre le meilleur rksum6 d'une rkponse universelle ; le grand sage Lao-Tseu a dit :

Voici mes trois trksors. Garde-les bien. Le premier est la compassion, le deuxieme la frugalit6 et le troisiAme le dksir de n'dtre pas le premier sous le ciel.

Si les troubles d'autrefois ont pu donner lieu A de pareilles rdexions, ne put-on espbrer que ceux, encore plus graves, d'aujourd'hui en susci- teront d'analogues ? On est passk, en guQre plus d'un sihcle, de la bougie A Yatome et du village A la lune. Et nous sommes dksormais A m&me de nous dktruire, nous, nos villes, notre espQce et notre planhte. Eh bien, c'est peut-Qtre la gravitk meme du pbril qui pennet d'espbrer que nous allons commencer A a garder nos trksors B et A rkapprendre A a distinguer le bien du ma1 B.

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