les comptes fantastiques d'haussmann - ferry

132
JULES FERRY LES COMPTES FANTASTIQUES B'HAUSSMANN suivi de LES FINANCES DE L'HOTEL DE VILLE par J.-E. HORN

Upload: ben-da

Post on 13-Dec-2015

246 views

Category:

Documents


2 download

DESCRIPTION

Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

TRANSCRIPT

Page 1: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

JULES FERRY

LES COMPTES

FANTASTIQUESB'HAUSSMANN

suivideLES FINANCES DE L'HOTEL

DE VILLE par J.-E. HORN

Page 2: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

JULES FERRY 1832-1893.

Lors de la publication en 1868 des « Comptes

fantastiques », Ferry, avocat, s'oppose au ré-

gime de l'Empire. L'année suivante, élu dé-

puté de la Seine, il entame une carrière

politique qui ne s'achèvera qu'à sa mort.

Ministre de l'Instruction publique, il réorga-

nise l'Université puis fait voter la loi insti-

tuant la gratuité, l'obligation et la laïcité de

l'enseignement primaire.

Successivement ministre des Affaires étran-

gères, président du Conseil, sénateur des

Vosges, sa carrière s'achève comme présidentdu Sénat.

Ses discours, publiés après sa mort, connurent

un vif succès.

H Après l'invasion

Gravure dédiéeà l'auteur des

comptes fantastiquesd'Haussmann

Musée Carnavalet

Page 3: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

COMPTESFANTASTIQUES

D'HAUSS MANN

Page 4: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry
Page 5: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

COMPTES FANTASTIQUES

D'HAUSSMANN

LETTREADRESSÉE A MM. LES MEMBRES DE LA COMMISSION DU CORPS LÉGISLATIF

CfiARGES D'EXAMINER LE NOUVEAU PROJET D EMPRUNT

DE LA VILLE DE PARIS

Par JULES FERRY

etu/euû

Page 6: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry
Page 7: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

qA Meffieurs les Membres de la Commiffion

du Corps législatif chargés d'examiner le

nouvel Emprunt de la Ville de Paris.

MESSIEURS,

Pour un citoyen de Paris, c'est une liberté grande de s'adres-

ser à vous. Il est entendu qu'en tout ce qui touche leurs propres

affaires, les Parisiens sont incapables, et que les gens du Cantal

ou de la Lozère savent seuls ce qui nous convient. C'est pour

cela que la majorité, dont vous êtes la fleur, n'a pas daigné ou-

vrir à un seul des élus de la ville de Paris l'accès d'une Com-

mission qui tient entre ses mains notre présent et notre avenir.

Je ne le dis pas, Messieurs, pour vous surfaire, mais c'est bien

de cela qu'il s'agit. Vous pouvez, si vous le voulez, nous sauver

de la catastrophe, à laquelle on nous conduit tête baissée; mais

si vous ne voulez ou n'osez, nous irons droit jusqu'au fossé.

L'instant est critique, et M. le préfet de la Seine ne saurait,

cette fois, se passer de vous. C'est un puissant seigneur, sans

doute c'est plus qu'un grand personnage, c'est comme une des

Page 8: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

6

institutionsfondamentalesde ce temps.11estentenduque lesfoliesdelaVillefontpartiede la raisond'Etat.Maiscommevous

tenez, commeondit, lebonbout,j'ai toujourscru que lepou-voiravait,dansle fond,autantpeurde vousquevousavezpeurde lui. Soyezhommes,etvousle verrezbien.

Vousne pourrez,dans tous les cas, prétexterd'ignorance.Toutvousavertit,et la véritécrieversvouspar-dessuslestoits.Leshumblesréflexionsqui suivent,et qu'unjournal(l),peu lu

de vous sans doute, malheureusement, a bien voulu

accueillir,sontà la portée de toutlemonde.C'est des écritsde M. le préfet de la Seine que j'ai tiré tout mon savoir.

Je ne suispoint sorcier,commevousvoyez.Maisvous, devant

qui toutvoiledoittomber,tout arcanes'ouvrir,que de chosesvous allez apprendre,qu'un pauvrejournalistene peut voir.

Il n'est vraimentpas de missionplus enviablequela vôtre,etc'estsefairehonneurquede vousaider,si peuquecesoit,à

la remplir.

(i) LeTempsdumoisdedécembre1867aumoisdemai1868.

Page 9: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

1

Position de la question

Avant d'entrer en matière, permettez-moi, Messieurs, de

bien poser la question qui s'agite, à cette heure, entre M. le

préfet de la Seine et la population qu'il régente, impose, endette,

triture depuis quinze ans, sans mesure et sans contrôle. Les

Parisiens ne disent pas qu'il n'y eût rien à faire dans l'ancien

Paris, au moment où M. le préfet a commencé son office des-

tructeur ils ne disent pas non plus que M. le préfet n'ait rien

accompli d'utile ou de nécessaire. Nous reconnaissons qu'on a

fait du nouveau Paris la plus belle auberge de la terre et que

les parasites des deux mondes ne trouvent rien de comparable.

Nous tenons compte de ce qu'exigeait l'aménagement indispen-

sable d'une grande ville, qui est la tête de ligne de tous les che-

mins de fer. Nous n'avons garde de dire que tout soit absolu-

ment mauvais dans ces innombrables trouées qui, dépeçant

obliquement et dans tous les sens la vieille capitale, donnent à

la nouvelle l'aspect déplaisant d'un casse-tête chinois. Nous le

trouvons laid, pour notre compte, mais nous convenons que le

mauvais goût de M. le préfet a ici pour complice le mauvais

Page 10: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

8

goûtdesarchitecteset d'une portionnotabledu publicde ce

temps-ci.

Noussentonsaussique c'est peine perduede regretterl'an-cien Paris,le Parishistoriqueetpenseur,dontnousrecueillons

aujourd'huiles dernierssoupirs;le Parisartisteet philosophe,oùtant de gensmodestes,àppliquésauxtravauxd'esprit,pou-vaientvivreavec3,000livresde rente; où il existaitdesgrou-pes,des voisinages,des quartiers,des traditions;où l'expro-priationne troublaitpasà tout instantles relationsanciennes,lespluschèreshabitudes;oùl'artisan,qu'unsystèmeimpitoyablechasseaujourd'huidu centre,habitaitcôteà côteavecle finan-

cier où l'espritétaitpriséplushautquela richesse;oùl'étran-

ger,brutal et prodigue,ne donnaitpas encorele ton auxthéâtreset auxmœurs.CevieuxParis,le Paris deVoltaire,deDiderotet de Desmoulins,leParisde 1830et de 1848,nous le

pleuronsde toutesles larmesde nosyeux,en voyantla magni-fiqueet intolérablehôtellerie,lacoûteusecohue,la triomphantevulgarité,lematérialismeépouvantableque nousléguonsà nosneveux.Mais,là encore,c'est peut-êtrela destinéequis'accom-

plit. Nos reprochescontrel'administrationpréfectoralesont

plus positifset plus précis. Nousl'accusonsd'avoir sacrifié

d'étrange façonà l'idée fixe et à l'esprit de système;nousl'accusonsd'avoir immolél'avenir tout entier à ses capriceset à sa vaine gloire; nous l'accusonsd'avoirenglouti, dansdes œuvresd'uneutilité douteuseoupassagère,lepatrimoinedes générationsfutures nousl'accusonsde nousmener,autri-

plegalop,sur lapentedescatastrophes.

Nosaffairessontconduitespar un dissipateur,et nousplai-donsen interdiction.

Page 11: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

11

Valtaire et M. Haussmann

Trois conseillers d'Etat, de la maison de M. le préfet ou à peu

prBs,bIllT. Genteur, Alfred Blancheet Jollibois,vousontfaitsavoir,

Messieurs, ce que la Préfecture attend de vous. La Ville a em-

prunté, à la sourdine, 398 millions, qu'elle ne peut payer; elle

veut prendre du temps et répartir sa dette sur soixante ans.

Voilà tout. Et l'on vous prie de voter sans phrases. Vous voterez

peut-être, mais vous poserez, au préalable, à l'administration de

la Ville quelques questions auxquelles elle ne peut pas se dis-

penser de répondre. Comment se trouve-t-on avoir emprunté

398 millions sans que le Corps législatif y ait mis le nez? L'a-t-

on fait avec droit, l'a-t-on fait avec prudence? La Ville ne doit-

elle que ces 398 millions? Le traité qu'elle a passé avec le Crédit

foncier est-il une liquidation ou un expédient? Est-il nécessaire,

indispensable, ou n'est-il, comme le disent les gens de M. le

préfet, qu'un superflu de précautions? La ville de Paris est-elle

vraiment au-dessus de ses affaires, ou serait-elle, par hasard,

au-dessous?

Page 12: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

Voilàcequiimporte,etce de quoiMM.lesconseillersd'Etatàla suitene paraissentguèresesoucier.Leurexposéest un mo-dèledediscrétioncavalière,lechef-d'oeuvredusans-façon.Vrai-

ment, Messieursles députés,onvoustraiteen vrais Gérontes.Examinezdeprèscebelexposé,etvousverrezdequoiil estfaitdix lignesextraitesd'un écritdeVoltaireet dixpagestiréesdu

derniermémoirede M.le préfetde laSeine.Cesdeuxchosesne

sontpointnouvelles.Il n'estqu'unconseillerd'Etatpourdécou-

vrir,decet air triomphant,un despamphletslesplusconnusdu

grandagitateurdu dix-huitièmesiècle.Voicile passagedeVol-taire «Il seraitfacilededémontrerqu'onpeut,enmoinsde dix

ans, faire de Paris la merveilledumonde. Unepareilleen-

trepriseferaitlagloire d'une nation et un honneurimmortelau corpsde Ville, encourageraittous les arts, attirerait

les étrangersdubout de l'Europe, enrichiraitl'Etat. Il en

résulterait le biende tout le monde et plus d'une sorte de

bien. On lit encoredansle mêmeécrit ces lignes, que la

modestiedes amisdeM. Haussmanna pu seule lesempêcherde transcrire «Fassele cielqu'il se trouve quelquehommeassezzélépourembrasserde telsprojets,d'uneâmeassezferme

pour lessuivre, d'un esprit assezéclairépour les rédiger,et

qu'ilsoitassezaccréditépourlesfaireréussir.» Onvoitpar là

que M. Haussmannétait clairementdésigné dans les pro-

phéties.

Certes,ce n'est pasnousqui reprocheronsau conseild'Etat

d'éleverVoltaireau rang de prophète.Leconseilpouvaitplusmalchoisirsesauteurs.Nousne chicaneronsmême pas sur le

sensde la prophétie.Voltaire,commetous les gens de bon

sens,étaitmodestedanssonutopie;si bienque, dansce même

article sur les embellissementsde Paris, en l'année 1749,

l'audacieuxphilosophene demandait pas plus de « quatreou cinq mille ouvriers,pendantdixans,» pour faire le né-

Page 13: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

il

cessaire, avec cette condition « que tout l'argent soit fidèle-

ment économisé; que les projets soient reçus au concours que

l'exécution soit au rabais. u Voyez comme, tout de suite, Vol-

taire devient un faux prophète. Rabais, concours, économie,

ces mots si chers au précurseur de M. le préfet, n'ont pas

de sens dans ses bureaux. Les plans se font et se défont à la

vapeur, sans réflexion, sans prévoyance l'affaire actuelle en

contient, à chaque pas, des preuves inimaginables. Les conces-

sions se distribuent sous le manteau, par centaines de millions

le principe de l'adjudication publique est relégué, comme celui

de concours, parmi les mythes d'un autre âge. Quant à l'éco-

nomie, le bilan de la Ville, que nous dresserons tout à l'heure,

vous fera voir, Messieurs, que, sur ce point, l'instinct public

demeure encore au-dessous de la réalité des choses. C'est là

toute notre querelle avec notre préfet. Et l'on voit que Voltaire

est pour nous, dans cette affaires, et que nous ne sommes point

contre Voltaire. Embellir Paris, mais qui vous en empêche ?

Etes-vous donc le premier qui y ait mis la main? Tous les ré-

gimes n'y ont-ils pas travaillé l'un après l'autre, depuis tantôt

quatre-vingts ans? Mais vous n'embellissez pas, vous gâtez.

Vous n'embellissez pas, vous démolissez, vous endettez vous

écrasez le présent, vous compromettez l'avenir, et ce sera une

des énigmes de ce temps-ci qae de telles fantaisies aient pu se

tolérer aussi longtemps.

D'un peu de Voltaire et de beaucoup d'Haussmann MM. les

conseillers d'Etat ont fait leur exposé. M. Haussmann est tout

simplement copié, copié textuellement, ou à peu près, et pas

même paraphrasé. MM. Genteur, Alfred Blanche et Jolli-

bois n'y ont pas ajouté un mot, un chiffre, un argument, une

idée de leur cru. Quel métier est-ce là? Nous croyions avoir des

conseillers d'Etat, et nous n'avons que des scribes écrivant sous

la dictée de la Préfecture. C'est ainsi qu'aujourd'hui l'on en-

Page 14: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

12

tendlecontrôle.Mieuxvalaitdoncrenvoyertout simplementle

Corpslégislatifauxmémoiresdupréfetde la Seine.Nousallons

nousy reporterensemble,sivouslevoulezbien,puisqu'entoute

choseil vaut mieuxavoiraffaireà Dieuqu'à sessaints, etaux

premierssujetsqu'auxdoublures.

Page 15: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

m

La confession de M. Haussmann. Grands travaux

et grandes bévues

Pour juger M. le préfet de la Seine, je ne vous demande,

Messieurs, que d'étudier son dernier mémoire. Ce document a

paru dans les derniers jours de l'année 1867, une année remar-

quable, comme vous savez bien, année de désenchantement

pour le pays, d'examen de conscience pour le pouvoir. Nous

étions trop certains qu'elle arriverait, cette année justicière,

nous, hommes d'opposition, voués depuis si longtemps à la

tâche ingrate d'avertir dans le désert. Car le temps est le

plus grand et le plus sûr des liquidateurs. L'année 1867 a

commencé la liquidation de toutes les fautes du second Empire.

Sa politique s'est liquidée au dehors par cette double et immense

déconvenue du Mexique et de Sadowa; sa prospérité s'est liqui-

dée au dedans par une crise douloureuse, qui n'est pas encore

près de finir; les institutions financières qu'il avait créées,

choyées, couvées avec le plus d'amour, ont eu le même sort que

sa diplomatie après avoir fait beaucoup de bruit dans le

Page 16: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

monde, essoufflées et boursouflées, elles s'affaissent et tombent.

La catastrophe du Crédit mobilier fait pendant aux échecs exté-

rieurs. Tous ces désastres poussent à la franchise, et, tandis

que le chef de l'Etat exposait, avec une louable bonhomie, les

mécomptes, les inquiétudes et les « points noirs, n nous avons

vu l'administration de la ville de Paris lever elle-même un coin

du voile, et la fin de l'année nous apporta ce spectacle extraor-

dinaire M. le préfet de la Seine entrant à son tour dans la phase

des aveux.

De toutes ces confessions, vous avez dû trouver, Messieurs, que

la dernière était la plus extraordinaire. Pour que cette confiance

imperturbable, la plus grande peut-être des temps modernes,

hésite et s'ébranle; pour que cette volonté, lancée à toute va-

peur, parle d'ajournement et de temps d'arrêt (1); pour que cet

esprit si sûr de lui-même éprouve le besoin de mettre le public

dans sa confidence, pour que ce Mémoire annuel, qui n'était

jusqu'ici qu'un bulletin de victoire, ne mentionne cette fois que

des déceptions, que s'est-il donc passé et quelle grande leçon

l'orgueil préfectoral .a-t-il pu recevoir ?

C'est le mémoire publié par le Moniteur du il décembre 1867

qui va répondre.

Passez, Messieurs, sur la première partie, la plus hérissée de

chiffres, celle qui établit le compte final de 1866, la situation

provisoire du budget de 1867 et les prévisions de 1868, et arri-

vez au chapitre intitulé « Opérations de grande voirie. » C'est

là que vous trouverez ce que nous appelons, n'en déplaise à

M. le préfet, et pour lui en faire honneur, même malgré lui, l'a-

mende honorable de ce grand administrateur. Pour choisir cette

(1) Voir la note i, à l'Appendice ci-après.

Page 17: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

15

annéeet cemoment,M.le préfeta des raisonsdiverses cellequ'ildonnenoussuffiraprovisoirement.L'année1868 est uneannéedécisivedansl'histoiredestravauxde la Ville.Ala finde1868expirele traitéde dixannéespassé avecl'Etat le 3 mai1858.LaVilledoitavoirterminé,à cetteépoque,l'ensembledestravauxpour lesquelsle Trésorlui paye, depuis dixans,unesubvention.M.le préfetaffirmeque la Villeest en mesure.LaVille aura égalementterminé,au 1er janvier 1869,l'oeuvre

qu'ellea entreprisesanssubventionde l'Etat et par sesseulesforces.C'estdoncle casderegarderen arrièreet de résumerà

grandstraits lesgrandeschosesqui vontêtreaccomplies.

M.le préfetdivisecettehistoireen trois parties, ou en troisréseaux.Le premierréseaupeuts'appelerle percementcen-

tral il datede laRépublique:il est devenule nœud,le germe,le pointde départdesdeuxautres.Lecentrede Parisétait im-pénétrable les Tuileries,le Louvre,les Halles,l'Hôtelde Villeformaient,avecles quartiersadjacents,un pâtéénormederues

étroites,courtes,sinueuses,qui coupaient,en quelquesorte,lacapitaleen deux.Avecl'aidede l'Etat,qui lui apporta,par lesloisde1849,de1851,de1855,de1857,unconcoursen argentouen exemptiond'impôts,la Villea percéce massif,détruit cetteforteresseet cesobstacles,dégagé les abords des monumentsqui viennentd'être nommés,et tracé ce qu'elle appelle«lagrandecroiséede Paris,» en prolongeantla rue de Rivoli,enétablissantle boulevardde Sébastopolsur la rivedroite,en ou-vrant leboulevardSaint-Michelsur la rivegauche.Ce premierréseau,qui représente9,467mètres de parcoursajoutéesà lavoie publique,a coûté à la Ville272 millions,sur lesquels121ontétéfournisparles empruntsde 1852et de 1855.Cettepremièrepartiedestravauxdela Ville,laplussérieuse,à notresens,et la moinssujetteà critique,estachevée,régléedepuislongtemps,et ellen'a donnélieuà aucunedifficulté.

Page 18: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

16

Lesecondréseau n'est pas achevé,mais il toucheà sa fin.

C'estceluiquela Villedoitavoirterminéau 1Arjanvier1869.Il

comprend,en effet, et par làmêmeil se détermineet se li-

mitedela façonlaplusprécise les travauxqui font l'objetdu traitépasséentre l'Etatet laVille,le 3 mai1858,ratifiéle

28maipar le Corpslégislatif.Cetteparticipation,à laquelle

l'Etat a dû fournirune subventionde50millions,en dixan-

nées,s'est proposépour but de relier le centre de Paris,

percéà jourparlestravauxdupremierréseau, aveclesextré-

mités les quartiersde la circonférenceavecles édificesoù sié-

gentlespouvoirspublics,et la Villeentièreavec les tètes de

cheminsdefer. Nommons,parmilesprincipalesvoies de cette

série, les boulevardsdu Prince-Eugèneet de Magenta,llales-

herbeset Haussmann,Saint-Marcelet Arago l'achèvementdu

boulevardSaint-Michelet la rueMédicis.Toutcelareprésenteun

parcoursde voiepubliquede 26,994mètres.Cela fut extrait,

choisi,trié, nous dit-on,lorsde la loi de 1858,par le conseil

d'Etatet leCorpslégislatif,surun vastepland'ensembledressé

de longuedate «parune mainauguste.» Lespouvoirsélectifs,

lescorpsdélibérantsont encore,dansune certainemesure,passé

par là. Cesecondréseauauracoûté410millions.

Autreest l'histoire,autrelaconstitutiondu troisièmeréseau.

C'est exclusivementet proprementle réseau personnelde

M.Haussmann.Enfontpartie lesboulevardsRichard-Lenoir,

desAmandiers;presquetoutela rue Réaumur,,la plus grande

partie de la rue Lafayette,le prolongementdes ruesDrouot,

LePeletier,Ollivier, Neuve-des-Mathurins;la continuationdu

boulevardSaint-Germain,les 2eet 3esectionsde la rue de Ren-

nes,leprolongementde la rue Madame,dela rue desSaints-

Pères,dela rue Bonaparte,de la rue du Vieux-Colombier,etc.

Démolitioncolossaleet redoublée,quis'est abattuesur tousles

quartiersde Paris,quireprésenteun développementde 28,000

Page 19: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

17

2

mètres,et quelavillea entreprisesansaucunesubvention.Mais

ce troisièmeréseau,troisfoisplusconsidérableque lepremier,et plusétenduencoreque le second, n'étaitpas, suivantM.le

préfet,moinsnécessaireque les deuxautres. Il fallaitacheverlesgrandesvoies,dontle traité de 1858n'avait ouvertque les

amorces,niveler,raccorder,aligner,compléterlesecondréseau,et, pourquelquesgrandesvoiesnouvelles,céderau cri public.«Pourquelques-unesde cesvoies,cen'était pasunedemande,une réclamation,c'étaitunesorte de cri public,s'élevantpoursommerlaVilledelesexécuter.»M.lepréfetestimeles dépensesdece troisièmeréseauà 300millions.Lestroisréseauxfonten-semble64,500mètres,plus de seizelieuesancienneset, à eux

trois,ilsreprésentent,au plusbas mot,982millions,prèsd'unmilliard.Restentd'ailleursen dehorsde cettecarte à payer etlesdépensesnécessitéespar l'annexionde l'anciennebanlieue,lesquellessontchiffréesparM.lepréfetà 300millionsennombre

rond, et les millionsdépensés«par centaines (c'est le mé-moire de M.le préfet qui le dit)dansl'ancienParis,en bâti-ments publics,en marchés,en églises, en égouts, en jar-dins,etc., etc.

C'estla premièrefois,croyons-nous,que ces gros chiffressesontétaléset groupéssousles yeuxdu public.Et nous pour-rionsnousarrêterlà et redire après tant d'autres Quoi tantde millionsaux mainsd'unseul Maisdeux milliards,c'est le

budgetde la France,et M.lepréfet,depuisquinzeans,n'a dé-

penséguère moinsde deux milliards!Et voilàla puissancequ'exerce,depuisquinzeans,une administrationsans contrôle,un pouvoirirresponsable,un seul hommedoubléd'un conseil

municipalnonélu l Envérité,en aucunlieu, en aucuntemps,pareillechose,s'est-ellejamaisvue?

Maisla plainteest banale, à force d'être juste. Nousavons

Page 20: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

18

aujourd'huimieuxà dire.Jusqu'à présent, aux adversairesdu

gouvernementpersonnelde la villedeParis, onavait coutume

de répondreque cegouvernementfaisait de grandeschosesà

boncompte,qu'ilavaitl'art dene greverni le présentni.l'avf\-

nir qu'ilprévoyaitjuste, calculaità propos,et que d'ailleurs,

quoiqu'onen dît, il respectaitles lois. Le mémoirede 1867

prouveavecéclatdeuxchoses c'est que, dansla pratiquede

M.lepréfetde la Seine,l'oublide la légalitén'a d'égal que

'imprévoyance.

L'imprévoyance?Jugez-en,Messieurs.

En 1858,ondessineetonarrêtelesecondréseau.M.le préfetde la Seineen évaluelesdépensesà 18OmilIions.LeCorpslégis-latifvote50millionsdesubvention.En 1867,onfaitsoncompte,et l'on s'aperçoitquelesecondréseaune coûterapas moinsde

410millions,toutedéfalcationfaiteduproduitdes reventesde

lerrainset de matériaux.LaVillecroyaitn'avoirà dépenser,sur

ledevisde 180millions,que 130millions,puisquel'Etatlui ena

donné50 ellese trouveen faced'unedépenseeffectivede 360

millions.Premiermécompteet premieraveu.Lemécompteest

énorme,maisquelle qu'ensoit l'explication,sur laquellenous

reviendronsdans un instant,il faut que l'on sache bien que

l'aveuest tardif.Depuisneufans,c'est le chitlreprimitif,le de-

visde1858,quela Villeprenaitpourpointde départdetousses

calcu's;c'estcechiurequi figuraitdanssesprévisions,quiétait

implicitementouexpressémentaffirmédans les communiqués

qu'elleadressaitauxjournaux,danslesdiscoursdesavocatsquila défendaientdevantlaChambre,danslesmémoiresdupréfet,commedansles rapportsde M.Devinck.Ainsilemémoiredu

préfetinséréau MoniteurduIl décembre1864,ily a trois ans

de cela,parcourant,commeaujourd'hui,d'unlongregard,mais

d'un regardalorstoutà fait triomphant,lepasséet l'avenirdes

Page 21: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

19

travauxdela Ville,évaluaità 350millionsla dépensede toutesles opérationsde voirieengagées celledu premier réseau,qui s'achevait;du second,en voie d'exécution;du troisième,qui commençaitàpoindre,-que dis-je?M lepréfet,ily a troisans,danscettesommetotalede 350millions,faisait entrer, enoutredel'achèvementdestroisréseaux,l'ensembledestravauxnécessitéspar l'annexion Aujourd'hui,M. lepréfetnous ap-prendquel'annexion,à elleseule,auracoûté300 millions.Au-jourd'hui,lemécompte!sur lesecondréseauque, dans sonrap-port du 19décembre1865,M. Devinckestimaità environ100millions,apparaîtdanssonénormitéde 360millions.

En 1864,M.le préfetde la Seines'engageaità ne consacrer,danslesdixannéessuivantes,àla transformationdeParis,qu'uncapital de 350 millions,et, à ceprix, ilpromettaitd'acheversonœuvre.Troisansaprès,il est forcédereconnaîtrequ'à la finde 1868,c'est-à-direen quatreansseulement,il aura dépensé710millions.EtcommeM.lepréfetnousa donnélui-même,en1864,le chiffredessommesalorsdépenséessur lepremieret ledeuxièmeréseau,76millionsen nombrerond,nousvoyonsqu'àla finde 1868,laVilleaura dépensé710millionsmoins76mil-lions,ou 634millions en quatreannées alorsqu'elles'étaitpubliquementet solennellementengagéeà n'en consommerque350en dix années.

Et634millions,cen'est pasassezdire.

C'estde 900millionsenvironqu'estl'écartdesréalitésde 1868sur lesprévisionsde 1864,puisquele devisde 1864,le devisde350millions,comprenaitles dépensesde l'extensiondeslimitesde Paris,évaluéesaujourd'huià 300millions(1) ellesn'avaient

(1)Tousceschiffressontempruntésau Mémoirede 1864,dontontrouverala partielaplusimportanteà l'Appendice,note3.

Page 22: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

20

encore,à cetteépoque,coûtéàlaVilleque33ou34millions.C'estdonc 266millions(300-34) à ajouter aux 634,pouravoirlechiffrede l'imprévu total, au moins900millions.

SiM.le préfetde la Seinese doutait,en 1864,de l'erreurco-lossalequi viciaitsescalculs,quefaut-ilpenserde safranchise?S'ilne s'en doutaitpas,quelleopinionavoir de sa sagesse,desa raisonpratique,desa prévoyance?

Page 23: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

IV

Mauvaises excuses.

Cependant, comme Ni. le préfet de la Seine est le plus ingé-

nieux, le plus intrépide, le plus retors des procureurs, de la

force enfin de l'honorable M. Rouher, il a essayé une défense

de ses mécomptes.

Trois causes d'erreur, selon lui invincibles, ont fatalement

bouleversé ses calculs.

Première cause d'erreur une certaine jurisprudence du con-

seil d'Etat et un décret du 27 décembre 1858, auquel, à ce qu'il

paraît, la Ville ne pouvait s'attendre, quand elle a signé avec

l'Etat la convention du 3 mai de la même année, qui lui impo-

sait l'obligation d'exécuter, en dix ans, le deuxième réseau.

Il faut, en effet, se rappeler que la ville de Paris tient, d'un

décret du 26 mars 1852, le droit de comprendre dans ses prcjets

d'expropriation la totalité des immeubles atteints par les voies

nouvelles, quand elle juge que les parties restantes ne sont pas

Page 24: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

22

d'uneétendueou d'uneformequi permetted'y éleverdescons-tructionssalubres.Il resteainsisouvent,sur le borddesgrandstracés,desparcellesde terrain,qu'aux termes d'une loi bien

vieille,la loide 1807,les propriétairescontigusont le droit

d'acquérir.11paraîtquel'administrationmunicipaleavaitcomptéconservertoutescesparcelles,et profiterde la plus-value.Au-tantà déduire,dit-elle,duchiffrede sesreventes.

La choseest longuementexpliquéedans le mémoiredeM.le préfet

«Lorsquel'administrationmunicipalefaisaitsesévaluations,en 1858,d'après les résultats des opérationsqu'elleavaitexé-cutéesdepuis1852jusqu'alors,ellecomptaitsansles effetsd'une

jurisprudenceduconseild'Etat, contrelaquelle,d'ailteurs,au-cuneobjectionn'est possible,puisqu'elleest basée sur un dé-cret réglementaireen datedu 27décembre1858(postérieurde

prèsde huitmoisau traité sanctionnépar la loidu 28 maide

la mêmeannée)qui estvenueinterpréteret compléter,à quel-queségards,le décret-loidu26mars1852.

Désormais,aucuneparcellene put êtreexpropriée,en de-

horsdesalignementsdesvoiesnouvelles,sansmiseen demeure

expressedespropriétaires,et en casd'opposition,sansune dé-clarationd'utilitépubliquespéciale.

» Cettedisposition,évidemment-inspiréepar laplusvivesolli-citudepourlesintérêtsdespersonnessoumisesà l'expropriation,a eu poureffetnaturelde conduirechaquepropriétaireàretenirtouslesterrainsqui recevaientun grand accroissementde va-leurde lacréationdesvoiesnouvelles,pourabandonnerseule-

ment à la Villeceuxqui paraissaientmoinsutilementexploi-tables.

Page 25: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

23-

u Or, l'administration municipale avait fait entrer en ligne de

compte, comme atténuation probable de la dépense des expro-

priations dont toutes les chances restaient à sa charge, la plus-

value des terrains dont chaque opération de voirie devait, d'a-

près les précédents, lui laisser la disposition, en dehors du tracé

de la voie publique. Le produit réel de ses reventes est donc

tombé au-dessous de la proportion sur laquelle ses calculs avaient

été basés. »

Vous pourriez avoir raison, monsieur le préfet, et ce seraitlà

une excuse, si le décret du 27 décembre 1858 avait constitué pour

les propriétaires contigus un droit nouveau; mais ce décret a

simplement régularisé l'exercice d'un droit ancien, en imposant

à la Ville le devoir d'adresser aux propriétaires une mise en de-

meure spéciale, et de remplir, en cas d'opposition des intéressés,

les formalités de la loi de 1841. Que cette procédure ait ouvert

l'œil à bon nombre de propriétaires, cela est possible; mais il

est trop naïf, de la part de M. le préfet, d'avouer qu'il faisait, en

1858, entrer dans ses calculs une sorte d'escamotage d'un droit

depuis si longtemps reconnu par nos lois. L'argument tiré du

décret du 27 décembre 1858 est donc une pure fantasmagorie.

Deuxième cause d'erreur une certaine jurisprudence de la

Cour de Cassation, que le mémoire préfectoral explique ainsi

(1La loi du 3 mai 1841 admet trois formes selon lesquelles

l'administration peut acquérir les immeubles qu'elle doit occu-

per pour l'utilité publique

!• Un jugement d'expropriation, après arrêté de cessibilité,

en cas de refus du propriétaire; 2° un jugement qui donne acte

du consentement du propriétaire, qu'il y ait ou qu'il n'y ait pas

accord entre les parties sur le prix de la cession; 3° l'achat

amiable.

Page 26: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

24

» 11avaitététenupour constantpendantlongtempsque lesdeuxderniersmodesd'acquisitionnefaisaientpoint cesserné-cessairementla jouissancedeslocataires la Courde cassation

a jugépardiversarrêts,de1861à 1865,que,vis-à-visdela Ville,le jugementdonnantacte du consentementdu vendeuret lecontratamiableont poureffetderésoudreipsojure lesbauxdeslocataires.

» Enconséquence,beaucoupdelocatairesexerçantdesindus-triesdansdesmaisonsacquisespar la Villeà l'amiable,plusoumoinslongtempsavantle momentdel'ouverturede la voiepu-blique,n'ontpasvoulucontinuerà jouirdeleurs baux jusqu'àl'expirationdecedélai,etont exigéd'êtreimmédiatementévin-céset indemniséscar l'expropriation,contrelaquelles'élèventsi souventdes plaintescollectives,est désiréepar chacunen

particuliercommeunesourcede fortune.

» LaVille,enrespectant,commeelle le devait,la jurispru-dencenouvelle,a payéd'énormesindemnités,qu'ellen'avaitpasprévues.»

Voilàquiest plusnaïfencore LaCourde cassationa décidé,simplement,conformémentà la loi de 1841,que les acqui-sitionsfaitesà l'amiablepar la Ville,après décret d'utilitépu-

blique,équivalaientà uneexpropriation,etdonnaientouvertureau droitdeslocataires.TantpispourlaVillesi elles'étaitflat-

tée d'exproprier,par un moyenquelconque,leslocatairespari-sienssansindemnité1Ellen'apas le droit de direque ce déni

de justicefût conformeaux précédents.M.le préfet sait bien

quela jurisprudencede la Cour de cassationn'a pas un seulinstantvariésur cette questionde droit, d'équité et de bon

sens et nousciteronsà la Ville,quandellevoudra,un avisdu

conseild'Etatdel'année18i9, quirésoudla question,en prin-

cipe,toutcommela Courde cassation.

Page 27: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

25

Troisièmecaused'erreur les travauxprévuspar la loi du

28mai1858(lesecondréseau)ayantdû s'exécuteren dixans,il est arrivé,cheminfaisant,«quela valeurdesimmeubless'est

accrue dans une proportionconsidérable,sousla doublein-

fluencede laprospéritépubliqueet de l'augmentationconstante

de lapopulation.Les propriétaireset locatairesont dirigétous

leursefforts,tousleurscalculs,tous leursactes,danslavue de

fairemonterà la plushautesommeleurs indemnités.Enfinles

jurysd'expropriationont enchériles unssur les autres.

Ala bonneheure1et noussommesaisesquelaVilleconsente

à la finà le reconnattre.Si laVillea payéle terrainde sesrues

nouvellespluscher qu'ellene s'y attendait, c'estqu'ellea fait

elle-même,dansParis,et sur uneprodigieuseéchelle,,lahausse

desterrains.Maisne pas l'avoirprévuen 1858!ne pas l'avoir

aperçuen 1864,en 1865,en 1866 celapasseen véritétoute

croyance.Vousfaisiezla hausse;vousenflammiezla demandevousdonniezà la spéculationsur les immeublesla plus colos-saleimpulsiondontl'histoire ait gardé souvenir,et vousêtes

surpris,en faisantvotrecompte,après dix ans d'aveuglement,de vous apercevoirquevousavez,commetout le monde,plusquetout le monde,subilahaussedes prix

Celanousremeten mémoireuneaventurequeraconteje ne

saisplusquelhistoriendesbanques.Desspéculateursaméricains

avaientrésolud'achetertousles boeufsexistantsdanslesEtatsduNord.LaBanquedesEtats-Unisétantdansl'affaire,l'opérationparaissaitaussisûre quefructueuse.Onacheta,on achetatant

que l'on put, mais, surprise1à mesurequ'onachetaitet quele bétaildevenaitrare, les prixhaussaient.Et pluson achetait,

plus montaientles prix. Ils montèrenttantet sihaut, quela

BanquedesEtats-Uniselle-mêmen'yput suffire,et quela spé-culationse solda par une perte immense.Moinsénormesans

Page 28: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

26

doute, et surtout moinsfuneste,l'erreur deM.lepréfetde la

Seinen'est pas moinsnaïve.Veut-ilque là encorenoustrou-

vionsmotifà admirersa prévoyance?

Maislà où se montretoutentièrel'imprévoyancede laPré-

fecture,c'estdans l'histoiredu troisièmeréseau.Toutesles ar-

gutiesquenousveinonsde passeren revueet qui nesupportentpasl'examen,ne tendentqu'àunechose expliquerl'erreur des

devisdudeuxièmeréseau,l'écartde 230millions,quel'onavouesurcechapitre.Maisle troisièmeréseau?Maisles300millions

d'imprévuqui s'y rattachent et qui complètentle mécomptetotalde530millionsdontM.lepréfetnousa faitla confidence1

Oh1 cecipassetoutecroyance1

Eneffet,Messieurs,le Mémoiredui décembre1867nerévèle

passeulementpourla premièrefoisle chiffredu deuxièmeré-

seau pourla premièrefoisil révèleau public,au conseilmuni-

cipal,au mondeentier,qu'ilexisteun troisièmeréseau,que ce

troisièmeréseauseraterminéà la fin de i868, en mêmetemps

quele second,et que ce troisièmeréseau auracoûté300 mil-

lions1Il faut l'avoir lu pourle croire il faut avoir reçu,commeil nousest arrivéà nous-même,uncorrimuniquéqui en

fait, en cestermes,le curieuxaveu En 1864,lestravaux du

troisièmeréseaun'étaientpas encoreentrepris (1).» Nousle

savonsbien Et ceque nousreprochonsà M. le préfet de la

Seine,c'estde lesavoirentrepris que dis-je, entrepris? de les

avoirengagés;quedis-je,engagés? delesavoirpresquemenés

à tinsansen informerni le conseilmunicipal,ni le public,ni le

gouvernement.

Onne sauraittrople répéter En 1864,M. le préfetévaluait

à 260 millionspour l'ancienParis,et à 120millionspour la

(1)Voirlanote2,à l'Appendice.

Page 29: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

27

banlieue,les sommesà dépenserpendantla périodedécennale

qui commençait.En1865,il maintenaitavecfermetéce pro-grammefinancier,il s'yattachaitau nomde la prudence il dé-claraitqu'iln'y avaitrienà entreprendrejusqu'àla finde 1869,et qu'il fallait« rejetersur lapériodequi commenceraen 1870

tous les projetsà entreprendre,» En 1866,il revenait sur le

programmede 1864,l'affirmait,le proclamaitde nouveau.Ildisait «LaVillen'est pasplusprêtemaintenantpourun nou-veauplandecampagnedetravauxquepourun abandonquel-conquedeses ressources. Il faut se garder aussi énergique-mentdetouteopérationnouvelleayant quelqueimportance,quede toutdégrèvementprématuréde taxe. Attendons1869.Lasituationdela Villeseraalorsd8gagéedu fardeaudes engage-mentsquipèsentsurelle,»onverraalorssi l'ondoit« continuerla transformationde Paris, ou dégreverlestaxeslocales.» Et

voici,toutà coup, qu'en1867,M.le préfetnous apprendqu'ila fait,en dépitde sesdiscours,de ses promesseset de sespro-grammes,un troisièmeréseau de 300millionsde francs Et

quandl'a-t il commencé?En 1865,au momentoù commençaità apparaîtrelemécomptedu deuxièmeréseau!Au momentoùM.Devinckannonçaitque cemécomptepouvaitmonter à 100

millions;où M.Genteur,commissairedugouvernement,avocatde laVilledevantle Corpslégislatif,pourla discussionde l'em-

prunt de 1865,ne manquaitpas d'insinuerque le deuxièmeréseaucoûteraitbeaucoupplus cher que l'on n'avait pensé.Mais,si les avocats'de M. le préfet soupçonnentla vérité,M.le préfet,ivredegloire,ne voitrien,ne sait rien,ne soup-

çonne rien. Et, tandis qu'autour de lui on voit venir l'é-normedéception,quandla sagessela plusvulgairelui com-manderaitde réserverses excédantslibrespoury faire face,c'estjuste lemomentqueM.lepréfetchoisitpour jeter, enga-ger,enfouirles ressourcesdisponiblesde la villede Parisdans300millionsde nouveauxtravaux.

Page 30: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

V

Les conseillers de M. Haussmann

Je viens de nommer M. Devinck, Messieurs, et je ne voudrais

pas le calomnier. Je ne voudrais pas vous laisser croire que cet

honorable négociant, cet ancien député, ce rapporteur attitré du

budget de la Ville, ait jamais jeté sur les pas de son préfet le

moindre cri d'alarme, le plus timide avertissement. M. Devinck

connaît trop bien son devoir, et le Conseil municipal aussi, pour

avoir jamais, quoi qu'il arrive, le vilain travers de l'opposition'.

Il n'était bruit dans Paris, vers la fin de l'année dernière, que

des anxiétés, des hésitations, des résistances de la commission

municipale. On faisait à M. Devinck l'honneur de le placer à la

tête des récalcitrants. Mais on se trompait bien, justes dieux

et le dernier rapport de M. Devinck sur la situation financière

de la Ville met sa fidélité préfectorale à l'abri de tout soupçon.

Certes, pour les conseillers de M. le Préfet, l'instant était

grave et la tâche imposante. M. le préfet arrivait à eux avec un

mécompte qui dépasse infiniment les limites de l'imprévu tolé-

rable dans les affaires humaines. Ce chiffre de 530 millions,

Page 31: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

29

jeté au travers de tous les plans, de tous les calculs, de toutes

les règles, n'était-il pas pour eux, comme pour tous les Pari-

siens, une révélation inattendue? Nous croirions calomnier le

conseil municipal en supposant le contraire. Il y avait un pro-

gramme financier, dressé au mois de décembre 1864, et qui

formait en quelque sorte contrat entre le préfet et le conseil

le conseil n'a pu évidemment le laisser déchirer sous ses yeux.

Ce n'est pas le conseil qui a précipité la Ville dans les dépenses

du troisième réseau, au moment où le fardeau de l'annexion,

d'une part, le mécompte du deuxième réseau de l'autre, com-

mandaient aux financiers de la Ville la prudence la plus rigou-

reuse. De pareilles erreurs sont le fait d'un seul homme, d'une

volonté seule, irresponsable et souveraine. Mais on ne se met

pas à soixante pour les commettre. A soixante, on serait sans

excuse. Ce serait le cas, ou jamais, d'invoquer cette « respon-

sabilité multiple» que M. le préfet, dans je ne sais quel but, a

pris soin de rappeler à la fin de son Mémoire. L'honorable

M. Devinck en convient du reste dans son rapport; et, fort judi-

cieusement, il rappelle à ses collègues qu'ils sont tenus à autant

de prudence au moins que M. le préfet, eux qui sont « exposés

Il à moins d'entraînement, qui ont le temps d'examiner plus» froidement ce qui souvent n'a pu se concevoir qu'avec une

» certaine ardeur eux qui ont pour devoir d'apporter à l'admi-

» nistration un concours raisonné et un contrôle constant, dont

» les éléments se trouvent dans leurs spécialités diverses et dans

o leurs relations multiples. M. Devinck a raison, spécialité

oblige. Et puisque la sienne paraît être de veiller sur les finances

de la Ville, nous allons sans doute trouver dans son rapport une

expression de blâme, un mouvement de surprise? ll n'en est

rien pourtant. M. le préfet de la Seine n'eût fait aucune erreur,

M. le préfet de la Seine n'eût confessé aucun mécompte il eût,

au lieu de sonner la cloche d'alarme, célébré, comme d'ordi-

naire, la prospérité croissante et l'aisance financière de la ville

Page 32: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

30

de Pans, quel'honorablerapporteurde sesbudgetsn'eût éténi

pluslestedanssonexamen,ni plus léger dans sescalculs,ni

plusélogieuxdanssesconclusions.Cetteréponseau a discours

dutrône» n'est pas mêmeune paraphrase;ellene délayepas,elle atténue; elle ne répètepas, elleobscurcit.Ellene prend

pasactedesaveuxdupréfet quedis-je il semblequ'elle les

désapprouve.

M.le préfetavoueun mécomptede 230millionssur lesdé-

pensesdudeuxièmeréseau,et suesanget eaupourl'expliquer.

M.Devinck,lui, expédie,en six lignes,cet incidentde mince

importance

u Cesdépensesont dépasséles estimationsprimitives,mais» lesexcédantsdes recettesordinairessur les dépensesordi-» nairesontégalementprogressé. Lamarcheprogressivedu» revenumunicipala compensé,dans une certainemesure,les» augmentationssurvenuesdansle prixdesexpropriations.»

Dansunecertainemesurerestera.Etcommel'imprévudesre-cettescompensait,dansunecertainemesure,l'imprévudeladé-

pense,M.le préfet n'a rien eu de pluspresséque d'engagerdansdesdépensesnouvelles,quine semontentpasà moinsde

300millions,tousles excédantsde l'avenir!

Il est vrai que les 300millionsne troublentpasle Sullyde

M.Haussmannbeaucoupplusqueles 230millions.En face de

cettecarteà payer,quiéclatetoutà coup,d'un troisièmeréseau

de percements,remisexpressémentet ostensiblementà l'année

1870,etquiva setrouverfini à la fin de 1868,la sérénitéde

l'honorableM.Devinckne s'émeutpas un seul instant,et il

écritd'unemainintrépide

« Vousn'avezjamaisdécidéunedépensede quelqueimpor-

Page 33: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

31

» tancesans consulterle tableaudesengagements,mis en re-» gard decelui,desressources.Cetableau,VÉRITABLEechiouier,» dresséen 1865,est resté fixe,quant à l'évaluationdesres-» sources;il a reçu,quant aux dépensesà faire,lesadditions» motivéesparles engagementsnouveaux,et néanmoins,après» le récentcontrôleauquel vousvenezde le soumettre,vous» avezconstatéla concordancedesfaitsaccomplisavecles pré-» visions.»

Avecquellesprévisions? Pasaveccellesduprogrammefinan-cierdu Il décembre1864,assurément.Nousl'avonsdémontréà satiété,sansque M. le préfet ait seulementessayéde nouscontredire(1).Prenez-ydoncgarde quandvousditesque «lesfaits accomplisconcordentavecles prévisions», vous donnezun démentià deux mémoiresde M.lepréfetde la Seine,aumémoiredu 9 décembre1867et au mémoiredu 11 décembre1864.Le lecteurcandide,qui n'auraitconnaissanceque du rap-

port de l'honorableM. Devinck,pourrait croire qu'entre le11 décembre1864et le9 décembre1867,il ne s'estrien passéde grave.ll est fortheureuxque M.le préfetsoitmoinsdiscret

que ses confidents.M. le préfet, du moins,chercheà établir,dans son mémoire,que le troisièmeréseau était inévitable.

Qu'en pense l'honorableM.Devinck?Il est difficiledele sa-

voir. Tout ce que nousapprendcetéminentbudgétaire,c'est

que M. le préfet de la Seinea apportéau « travailimmensedontla directionluia étéconfiéeuneinitiativeextraordinaire.une persévéranceinfatigable», etqu'il a toujourssu « concilier

la prudencedesrésolutionsavecla décisiondesactes.» En vé-

(1)Noustenons,eneffet,à honneurden'avoirrecu,danstoutlecours de la polémique,qu'unCommuniquéde M. le préfet,quipourtantn'enestpasavare,ce qui donneà nos chiffres,à cequ'il"uussemble,uneautoritéparticulière.

Page 34: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

32

rité,un certificatpareil,en réponseau mémoiredupréfetde la

Seine!N'est-cepas à croire que l'honorableM.Devinck,quiexcellaitdepuislongtempsdansla finance,seproposedésormais

d'excellerdansl'ironie?

Etl'onappellecelaunconseilmunicipalEt il y a là,envérité,desmagistratsetdesfinanciers,desspéculateurset dessavants,de grosmarchandset desartistes,des avocats,et jusqu'àdes

médecins.Soixantemembresen tout,genshonorables,dignes,et quipassentpouréclairés,extraitspar le préfetlui-mêmedel'élitede lapopulationparisienne.Ah1 quevoilàdesconseillersbien choisilEt qu'il est profondémentvrai cet adagede lasciencepolitiquemoderne

Qu'il est toujours plus commodede rendredes comptesàdesjugesqu'ona choisis,que den'enpasrendredu tout1

Maislaissonslàcesétrangesconseillerset revenonsau troi-

sièmeréseau lamatièreest riche,et noussommesloinde l'a-

voirépuisée.

Page 35: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

3

Ni

L.a légalité de M. Haussnmnn

Ce;te histoire du troisième réseau des travaux de Pari?, Mes-

sieurs, c'est le vertige pris sur le fait. L3 vertige est l'ecuei! des

volontés solitaires, la leçon du pouvoir absolu. Chose étonnante

pourtant! la défense qu'essaye M. le préfet dans son Mémoire

est tirée de son respect pour l'opinion publique. Le vrai coupa-

ble, c'est l'opinion, c'est le « cri public » (le mot y est) qui a

bouleversé tous les plans de l'administration municipale, ren-

versé tous ses chiffres, altéré ses combinaisons les plus sages.

L'opinion publique a imposé à la Ville 300 millions de Travaux

qu'elle ne voulait pas faire, qu'elle s'obslinaità ajourner, qu'elle

avait déclaré dix fois vouloir remettre à des temps nouveaux. Le

« cri public » est le véritable auteur du troisième réseau on

n'a pu refuser au vœu des masses ni le boulevard Hichard-Le-

noir, ni les rues qui avoisinent le nouvel Opéra, ni le prolonge-

ment de la rue de Lafayette, à travers le quartier de ja Chaus-

sée-d'Antin, toute cette démolilion systématique et maladive des

portions les plus modernes, les plus ouvertes et les plus belles

de la grande ville. Nous voudrions savoir où M. le préfet a pris

Page 36: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

-34-

cecripublic,et quelmoyenil a de lerecueillir.N'est-cepasune

ironieamère,qu'unpouvoirqui,depuis quinzeans, brave l'o-

pinion,et qui s'envante,unpouvoirqui, hierencore,à l'Hôtel

deVille,posaiten incompris,imagine-derendrel'opinioncom-

plicede sesfauteset responsablede ses entraînements?Quandonveut,danslestempsdifficiles,se mettreà l'abri derrièrel'o-

pinion,il fautl'avoirconsultéedanslesjoursprospères.Nousne

connaissons,quantà nous,qu'unefaçonde consulterl'opinion

publique,c'est d'interrogerses élus.J'ILle préfetn'interrogemêmepasla commissionmunicipalequ'ila triéesur le volet.Et

s'il voulaitsincèrementprêterl'oreilleà l'opinionparisienne,il

entendrait,sansgrandeffort,un murmurequi s'élèvede toutes

parts,etqui réclameun conseilmunicipalélu.Voilàle vrai, le

seul «cripublic. Et l'événementdémontreaujourd'huiqu'unconseilélectifn'eût pasfait pis,sansdoute,et qu'il eûtproba-blementfaitmieuxqu'unpréfetomnipotent.

Cette parole, que le chefde l'Etat a prononcéeunjourccllon gouvernementmanquede contrôle,» M.le préfet de

la Seine'nela dira jamais. Il est pourtantclair pour tout le

monde,exceptépour lui, quel'absencede contrôlea fait tout

le mal. Un contrôlesérieuxaurait depuislongtempsréglé,

contenu,limitél'orgie desexpropriations.Uncontrôlesérieux

eût signaléà temps le mécomptede 230millions l'imprévude 300millionsn'eût pas éclatétout d'un coupavec un con-

trôle sérieux. Les contre-poidsparlementairessont parfoisdesbarrières,maisplus souventils sont des garde-fous.Les

assembléessontnaturellementscrupuleusesellesontle respectde la légalité. Le gouvernementpersonpel,au contraire,ne

supportequ'avecimpatiencele freindeslois.Dans la direction

des travauxde la Ville,Ni.lepréfetde laSeinea couvertl'im-

prudencepar l'illégalité.Cettefois, du moins,le cas est fla-

grant.

Page 37: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

OK

L'histoiredesbonsde délégationsde la ville de Parisa faitdepuisdeuxans quelquebruit dansle monde.ilaisquandelleétait,il y a quelquesmoisà peine,à lafindela dernièresession,l'objetd'undébatsi vifet sibienconduitpar l'opposition,devantle Corpslégislatif,qui l'aurait crue si prochedu dénoûment!Commencéedansl'obscurité,poursuiviedansl'équivoque,cette

opérationfinancièrefinit aujourd'huidans la pleinèlumière.Elleconsisteessentiellement,commevous le savez,et commelemémoirepréfectoralle rappelle à mettre,au lieu et placedela Ville,pourl'ouvertureet l'établissementde voies nouvelles,descompagniesconcessionnaires,chargéesde tous les risquesinhérentsà ces sortesd'affaires,et recevant, en échange,dessubventionsmunicipales,diviséesen un certain nombred'an-nuités.Surcessubventionsdifférées,échelonnées,la Villepayeauxcompagniesun intérêtsemestriel.Ainsiseformele bonde

délégation,quirend immédiatementnégociablesles annuitésduesà termeparla Ville,et qui, visépar la Ville,revenudeson

acceptation,entredansla circulationgénérale,commetoutautre

papierde laVille,et procureaux entrepreneurslesfondsnéces-sairespourl'exécutiondes grandstravaux.Bienentendu,les sub-ventionssontcalculéesde façonà couvrirles concessionnairesdes risquesplus ou moinssérieuxque ceux-ciprennentà leur

charge.Quantà laVille,-ellese déchargeparlà detouteespèced'avances,et elleobtient,dansun courtdélai,la jouissancedesvoies publiquesqu'elleeût attenduebeaucouppluslongtempssi elle avait dû les faire elle-même,et qu'ellene soldecepen-dantqu'à loisir,au furet à mesurede ses rentrées. Les chosesse passentpour elle commesi elle avait fait un empruntexécutionimmédiate,jouissanceimmédiate,payementà terme.

Seulement,un tiersinterposéemprunteà sa place,et avecsoncrédit.

Lacombinaisonest des plusingénieuses,et l'on n'y trouve

Page 38: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

-36-

rienà redire, sinonqu'elle constitueévidemmentune opéra-tionde cré,lit, un emprunt à la sourdine,un de cesactesquela Villede Parisne peut fairequ'avecl'autorisationdu Corpslég :latif. Dieu sait pourtantceque la Villea fait, tenté 01:

dit pour lui ôter ce caractère ce qu'elle a accumuléd'é-

qui,roques,cequ'elle a osédesubtilités QuandM.E. Forcadeet M. LéonSay découvrirent,il y a bientôt trois ans, cette

preuvenouveliedu génieinventifde M.lepréfetde la Seine,on commençapar répondreque c'était peu de chose; quecelan'allaitpasau quartdurevenu de la Ville,et qu'uneville

peut toujours,sansautorisation,emprunterle quart de :on rc

venu.Quand,enjuin dernier,.laquestionvintdevantlaCham-

bre, on plaidaquela Villene faisaitpointacte d'emprunteur,

quesesconcessionnairesnégociaientcesbonsd'annuitéscomme

il leurplaisait;que,quant à elle,ellene faisaitqu'engager(les

revenusdisponible?,et qu'ellene lesengageaitpas au delàde

six années,cequi n'outrepassepas les droits des communes,

d'aprèslajurisprudenceduministèrede l'intérieur.Il yeut là-

dessus,auCorpslégislatif,entreM.Picard et M.Berryerd'un

côté,et M.Rouherdel'autre,un beaudébat,bonà relire. M.le

ministred'Etats'yreporterasans peine,et celui qui fut alors

pour1\f.le préfetun avocatsi admirableconstatera,unefoisde

plus,lasurprenantefragilitédesdossiersqu'onluimetenmain.

Ses clientssemblentprendre un malin plaisirà lui couper,commeon dit,.l'herbesouslespieds sesargumentss'évanouis-

sentdusoir au matin c'est lui quiavaitmis au mondala fa-

meuse théorie des trois tronçons; c'est lui qui garantissaitaux porteursd'obligationsmexicainesla soliditédu trônede

Maximilieni c'estlui qui a tenu,danslunaire qui nousoccupe,celangagecatégorique

«Jemesuisrendu un compterigoureuxdes opérationsquisontfaitespar lavilledeParis.J'ai vérifiésesbudgets j'ai in-

Page 39: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

terrogéses ressources,je mesuisdemandési elle ne tentaitpasdesentreprisesfactieuses,si ellene selançaitpasdansdestra-vaux téméraires,entraînéequ'elle était par des illusionsquidevaientêtre bien vite suiviesde déceptionsdangercuses;si,endéniantlanécessitéd'un enraprrcntactuel,ellenes'exposaitpasilla nécessitéd'ungrosemprurrtprochain,etpar conséquentà la

preuvedémonstrativequ'elleavait fait par anticipationdesem-

pmrraatsdéguisés. M(Séancedu10avril1857.)

M.leministres'estposétoutescesquestion,et, quelquesmois

après, la Villelui réponden signantavecle Créditfoncieruntraité qui régularisela négociationdes bonsd'annuités,jus-qu'à concurrenced'unesommede398,440,040fr. 24c.

L'oppositionne parlaitquede 300millions,et il y en a,400,et il reste, en dehorsdutraité du Créditfoncier,un stockd'an-nuditésqui portela dettetotaleà 453millions,d'aprèsle rapportde M.Devinck,à 463 millionsd'après l'exposéde motifsdeMM.les conseillersd'Etatà la suite,AlfredBlanche,Genteuret Jollibois.

L'oppositionaffirmaitque le Créditfoncieravait les pochespleinesdesannuitésde la Ville,et qu'il les escomptait,nonpaspour les beauxyeuxdes compagniesconcessionnaires,commeM.Rouherleprétendait,mais pour la Ville,et commepapierde la Ville;et voicique nousapprenonsque le Créditfoncierles a presque toutes en portefeuillc voici les masrluesquitombent,les concessionnairesinterposésqui s'effacent,et lesdeuxvraiscontractants,laVilled'unepart, et le Créditfoncierde l'autre,qui se trouventfaceà face dansun nouveautraité.Et ce traité, c'estun emprunt,car onvale soumettreau Corpslégislatif,maisunempruntrétroactif,unempruntdont le fondsest dépensé,un de cesempruntsqueles assembléessubissent,

Page 40: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

38

parcequ'ellesne peuventfaire autrement,mais qui sont la

preuveflagrantede leur faiblesseet l'amoindrissementpublicde leurautorité.

Nousne connaissons,quantà nous, rien qui témoigneplustristementde l'état de nos moeursadministratives,quecette

pratiquedubilld'indemnitéqui sesubstitue,parminous,à tous

les degrésde l'échellegouvernementale,à la pratiquede la loi.

Cetarbitraire,qui se dissimuletantqu'il peut,qui, découvert,se défendencore,qui protestequ'il n'est pas l'arbitraire,qui

longtempsergote,distingueet subtilise;puis,unbeaujour, ac-

culé,s'envientdemanderauxpouvoirsréguliersde raccommo-

der par un votecomplaisantle réseaude la loipercéet mis en

pièces cettelégalitéaprès coupn'est pasle respectde la loi

c'enest simplementl'hypocrisie.MaisM.le préfet de la Seine

apportedans ses façonsde faire une assurancequi ne faiblit

jamais. Savez-vouspourquoiil traite avecle Créditfoncier?

C'est par scrupuledelégalité.Il a fait, à l'en croire, le troi-

sièmeréseaupar scrupulede libéralisme,etpour obéirà l'opi-nion.Il régulariseaujourà'hui,en un gros empruntfait après

coup,400millionsd'empruntspartielset anticipés c'estencore

un scrupulede cetteâmeexquise!

« Eneffet,ce traité,qui doit,par sa nature,êtresoumisà la

sanctiondu Corpslégislatif,et qui nepeutmanquer d'y ren-

contrerla bienveillanceaveclaquellea été accueillie,l'an der-

nier, la justificationdesconventionsqu'ilremplace,donnetoute

satisfactionauxscrupulesdespersonnesquivoulaientvoir, sous

cesconventions,des empruntsdéguisés,et qui regrettaient

qu'ellesn'eussentpasétéapprouvéespar uneloi.

Etdansunesériede communiquéesadressésauxjournauxsur

ce sujet, l'administrationde M.le préfeta affirmédeplusbelle

Page 41: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

-39-

qu'elleavaitvoulutout simplement« répondre,une fois pour

toutes,auxappréhensions,vraiesou simulées,despersonnes» quiluireprochaientd'avoirprisdesengagementstéméraires.»

Et cequile prouve,ajoutait-elle,c'estcetteréserveinséréeautraitépasséavec le Crédit foncier,par laquelle«la 'Villecon-

servela facultéd'anticiperentout ouen partie,selonsa conve-

nance les nouveauxtermesde sesengagements.»Depuis,mes-sieursles Conseillersd'Etat à la suite, emboîtant,le pas,sont

venusrépéterà leur tour, dansleurexposédes motifsque (1laVillepourraituserde la facultéd'anticiper,IiAinsi,laVilleob-tient de ses créanciers,représentéspar une grande institution

financière,un délaiquilui permetde payeren soixanteannéescequ'elleauraitdû payerendix tout lemondeen doitconclure

qu'elleétaitgênéepours'exécuteren dix années. Maiscelan'est pas,répondla Ville,puisqueje meré:crvela facultéd'an-

ticiper. Donc,si vousdemandezun délai,c'estavecleprojetden'enpasuser?Aqui comptez-vousle fairecroire?

Envérité,messieursles députés,c'est à croire que l'on se

moquede vous autant que de nous-mêmes.A quoi songentnosministres,nosgensen place?Leursparolesne sontpasre-

froidies,qu'ils les oublient,qu'ilsles démentent.Vousdoutiez-

vous, je vousle demande,quand vousécoutiez,aveccette"i-veur que vousnelui marchandezpas,M.le ministred'Etatpul-vérisant M. Berryer et M. Picard, vous doutiez-vousquevousétieztrompéssur leschiffres,sur les dates,sur les droits,sur les faits?M.le ministred'Etat affirmait,dansla séanceduIl avril1867,que les subventionsduespar la Villene s'éten-

daient pas au delà de l'année1874.et par conséquentn'excé-

daientpasla limitede six ouhuit années,toléréepar la juris-

prudenceadministrative.Or nous savonsaujourd'huiquecessubventionsengagentla Villejusqu'en 1877. M. le ministre

d'Etat,danscettemême séance, présentaitun comptede sub-

Page 42: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

40

ventioa qui n'en portait pas le total à plus de 362 millions. II y

en a, nous l'avons appris depuis, 453 millions, d'après M. De-

vinck, 463 d'après l'exposé des motifs du conseil d'Etat.

Est-ce que cela ne vous effraye pas, messieurs les députés?

Est-ce que votre honnêteté ne s'alarme pas? Est ce que votre

fierté ne se sent pas blessée? Est-ce que vous ne sentez pas quel

rôle o: vous fait jouer ?

Page 43: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

vit

r,1. Haussmann devant la Cour des comj.ies-.

Sur celte affaire des bons de délégation, messieurs les dépu-

et pour en finir avec elle, je vous recommande instamment

un Rapport, volumineux autant que grave, qu'on vous a distri-

bué i! n'y a pas longtemps. C'est le Rapport annuel de la Cour

des Comptes. Ce document, qui accompagne toujours les décla-

rations de conformité prononcées par la Cour sur le compte gé-

néral de l'administration des finances, est le recueil des observa-

tions que suggère, chaque année, à ce grand juge de nos finan-

ces, l'étude approfondie de la comptabilité publique. Pour être

dépourvues de sanction, les observations de la Cour, vous le sa-

vez mieux que moi, ne sont pas moins précieuses. Leur effica-

cité est, hélas t des plus douteuses, mais leur valeur morale est

considérable. Il y a là des garanties de compétence toute; parti-

culières il y a aussi un esprit gouvernemental qui est celui de

l'institution, des temps où nous vivons, des hommes qui la

compostent ce n'est pas elle qu'on accusera jamais de chercher

Page 44: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

noiseau pouvoir;quandellecritique,c'estqu'ellene peutfaire

autrement,et ses reprochesles plusgravesn'arriventà l'admi-nistrationsupérieurequ'enveloppésdu mielle pluspur, et sousle voiledu langageleplusprudent.

Lerapportqui vientde paraîtreet qui s'appliqueexclusive-mentauxcomptesdel'exercice1865,a dû coûterplusqu'aucunautreà l'esprit gouvernementalde la Cour.Sescritiquesn'ont

jamaisété aussivivessous leurs formesbienveillantes,jamaisaussiformelles.Ellesportent à la foissur lescomptesde l'Etatet sur lescomptesdes communes.Ellesreprochentauxcomptesde l'Etat mainteinfractionau principegénéralet tutélairedela

spécialitédescrédits.Ellesfont,à cepropos,le procèsau sys-tèmefinancierquireposesurladistinction,souventchimérique,maistoujourssi commode,du budgetordinaireet du budgetextraordinaire.Vousytrouverez,Messieurs,degrandeslumières;mais,cequi doitsurtoutvoustoucheraujourd'hui,c'estlapartiedu travail de la Courqui estrelativeà la comptabilitécommu-

nale,et particulièrementà lavillede Paris. Après l'avoir lue,on a le droitdedire enbonetclairfrançais,cequela Courdes

comptesexprimeen sa langueoflicielle c'estque le désordreestà soncomble.Oui,le désordre,car il n'estpas,dansun Etatbienréglé,dedésordreplusgrandquela violationpermanente,

publique,obstinéede la loi.

Laloiquiest violée,c'estcellequimetdeslimites,qui tracedesrèglesauxcommunesdésireusesd'emprunter.Dansungrandnombrede villes,cesrèglessonttombéesen unprofondoubli.Tantôtl'empruntse déguisesous formed'engagementsà longterme,pouréchapperà la nécessitédel'autorisationpréalabletantôtl'empruntautoriséest détournédeson objet,soustraitàl'affectationspécialequela loi mêmelui avait prescrite.Mar-

seille, Besançon,Bourges,B:ergerac,Blaye,Vienne,Rive-de-

Page 45: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

43

Gier, Pithiviers, empruntentà l'envi, sous la formede tra-vauxà longterme.Marseillea lait mieux autoriséeà emprun-

ter, en 1861,54millions,à conditiond'enemployer39à la con-

versionde sonanciennedette, elle a employéen travauxnou-

veauxla majeurepartiedessommesprovenantde l'emprunt,ce

qui a eupourconséquenceunempruntsupplémentairede23mil-

lions,qu'ila falluautoriser,et, les annéessuivantes,unesurtaxe

sur les vins,des centimesadditionnelspour cinquanteansbref,touslesmoyensfournispar cegrandart de mangersonbléenherbe,quiparaîtèlre devenu,d'un boutde laFranceà l'au-

tre, le derniermotde la bonneadministrationet de la sagesse

gouvernementale.

MaisMarseillea du moinsun conseilmunicipal,et, sielle est

surtaxée,surmenée,surchargée,c'est qu'ellel'a voulu. Paris

n'a pasde conseilmunicipal,Parisn'a qu'unpréfet.Maisautant

M.le préfetde la Seineest au-dessusde touslespréfets,autant

les irrégularités,les violationsde la loi, les libertés financières

de toutenature, qui signalentl'administrationde la ville de

Paris,dépassenten importanceet en gravitéleniveaumoyen

d'illégalitéqui tend à s'établirdansles départements.C'estun

curieuxenseignement.M.lepréfetdela Seineest omnipotent;il n'apourtout contre-poidsqu'unconseilmunicipalqu'ilchoi-

sit lui-même,et qui ne lui résistepas,et un conseild'Etatquine lui résisteguère. Il administredespotiquementunbudgetde

150millions.Maisil lui est impossiblede l'administrerconfor-

mémentaux lois. Toutesa préoccupation,tout son efiort

c'est la courdescomptesqui le dit c'est «deprocurerà la

villede Paris des accroissementsde ressourcesen dehors des

limitesdéterminéespar la loi.» M. le préfetde la Seinea une

Caissedestravaux ilen fut le pèreet le législateur.Maisil ne

peuts'empêcherde violerà chaqueinstantla loiqu'ils'estdon-

née lui-même,Quantà la loiqu'iln'apas faite, il emploieà la

Page 46: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

u

tourner tout le génie du plusfin casuiste.Pour le seulexer-cice1865,la Courdes comptesrelèveonzegriefsdanslacomp-tabilitéde la ville de Paris,onzeviolationsformellesde la loi.Tantôtcesontdesacquisitionsd'immeub!esà long terme,quela Courqualifie,sanshésitationaucune,d'empruntsdéguisés,et

par conséquentirréguliers ci,pourlaseuleannée1865,14mil-lions environ';tantôtce sont des subventionspromisesà descompagniesconcessionnairesdegrandstravaux,ci, 55millions;oubiencesontdesempruntsdirectset sansscrupules:23millionsen comptecourantobtenusdu Créditfoncier;10millionsd'unemaisondebanquede Paris,et, cequiestplusfortencore,20mil-lionsdesupplémentarbitrairementet illégalementdécrétéparlebonplaisirde 1\I.le préfetlors de l'empruntde 1865.Oui,vrai-

ment,par le bonplaisir:de tellesortequela villede Paris,quiavaitétéautoriséepar le Corpslégislatifà emprunter250mil-

lions,ou 234,millionsau plus,en y joignantlesfraisd'émission,de timbreet de commission,a, de sa seuleautorité,emprunté270millions(1).Ainsi,à côtéde l'illégalitéquise déguise,l'illé-

galitéà cielouvert.Faitesle compte,et rienquepourl'exercice1865,rienqu'avecles donnéesrecueilliespar laCourdescomp-tes, voilà, en outrede 100millionsde bonsde )a Caissedes

travaux,seuledetteflottante,seulmoyende trésorerieautorisé

par la loi, 121ou 122millionsde ressourcesirrégulièrescréées

par le préfet,a labarbe du gouvernementquilaissefaire,du

Corpslégislatifquifermeles yeux,de laCourdescomptesqui,boiteusecommela justice,arrive toujourstrop tard et quandtoutestfini.

Te!est lecaractèregénéraldesgriefsdela Courdes comptes.

(1)la M.lepréfeta, pourcet objetmême,accablédesesdémen-tisleJournaldesDébatset M.LéonSay,jusqu'à,ladernièreheure,c'est-à-direjusqu'àl'apparitiondurapportdelaCourdescomptes.

Page 47: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

45

Ils sont précis, formels,nettementarticulés,ils ont, sous la

douceurdesformes,toutelabrutalitéquiappartientauxchiffres.Maisils n'ontpas le don d'émouvoirle dictateur de l'Hôtel

de Ville.Pourse rendrecomptedu sans-façonsublimeauquelconduitnécessairementl'exercicedu pouvoirabsolu, il faut

lire lesobservationsde M. le préfet en réponseaux critiquesde la Cour.Quelleaisanceet quellebellehumeur!quellefaçonleste et tranchante!Aquelquesgros mots près, c'est le styleimpérieuxet l'argumentationcavalièredescommuniquésadres-sésauxjournaux

LaVillea emprunté,sans droit, 10 millionsà la maison

Sourdis,et 23millionsen comptecourantau CréditfoncierC'estvrai, répondle préfet;.maisla nécessité,la rareté du nu-

méraire,la crised?ccoton. Etpuis, c'f;taitpourla banlieue,qui nepouvaitattendre.(Pauvrebanlieue!elleattendtoujours.)

LaVillea le tortde placerles fondsrle la caissemunicipaleen comptecourantà la Caissedes travaux,au méprisde la loi

formelle,quiprescritauxreceveursmunicipauxde placerdansles caissesdu Trésor les sommesexcédantles besoinsdu ser-vice? C'estencorevrai, maM. lepréfet est d'avisqu'il ya

lieude fairepour la villede Parisune exceptionà la,loicom-

mune.

LaVillea grossiarbitrairementd'une sommede 20 mil-lionslecapitalde260millionsqu'elleavaitété autoriséeà em-

prunter,par la loidu12juillet 1865 ellea emprunté270mil-

lions là où ellen'avait le droit d'emprunterque230? Oui,

répondle préfet,maisily a eu 20 millionsde fraisd'émission.

(Notezquela cour,qui a vu tous les comptes,n'ena reconnu

que4 millions.) LaVillesecrée des ressourcesen prenant,sousformed'acquisitionsd'immeubles,oudesubventionséche-

lonnées,desengagementsà longterme? C'estvrai,maisau

Page 48: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

-46-

Corpslégislatif,l'annéedernière,noscommissairesontrépondu,

répliqueavechauteurl'autocratede la préfecture.

Etqu'ontdoncréponduvoscommissaires,ô LouisXIVmuni-

cipal?

Par bonheur,vos souvenirssont là, messieursles députés,VousentendezencoreM.Berryer-expliquantle mécanismedes

bons de délégation.N'était-cemêmepas le traité passépar la

Villeavecla sociétéBerlencourt,pourl'alignementdu boule-

vardMagenta,celui-làmêmesur lequels'exp1iquele rapportde

la Courdes comptes,queM.Berryeranalysait?Unesociétése

charged'un percement;elles'engageà acquérirlesimmeubles

nécessaires,et à livrer lavoienouvelleà la Villedansun délai

convenu.En conséquence,subventionde 21millionspromise

par la Ville,payableparannuité? versementde20millionsparla Société,danslescaissesdela Ville,à titre de garantie mais

facultédonnéeà la Sociétéconcessionnaired'émettreimmédia-

tement pour20millionsde bons de délégations,sur les an-

nuitésdues par la Ville,avecvisa de la préfecture.De sorte

queles20millionsqueverse l'entrepreneur,c'est le public,le

banquierescompteurdesbons,Créditfoncierou autre, et leur

clientèle,qui le fournissent.Cequi faisaitdire, l'annéedernière,à M.Berryeret à M.Picard: LaVilleempruntepar personne

interposée.Et leministred'Etatet des financesleur répondaitVousauriezraisonsi lesvingtmillionsde cautionnementétaient

véritablementuneressourcepourla Ville,et si elleen disposaitcommed'argentcomptant.Maiscesvingtmillionssontun cau-

tionnement ils sont réservésau payementdesexpropriations

par uneaffectationspéciale.«Leversementdevingtmillionsaété faità la Caissedestravaux,commeà une caissede dépôtset

consignations,pour assurer l'exécutiondes engagementspris

par laCompagnie,et mettrela Villeà l'abride toutrecoursde

Page 49: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

47

la partdesexpropriés,en cas d'insolvabilitéde la compagniesoumissionnaire.LaVilletraitaitavec unesociété à responsa-bilité limitée elle jugeait utile de lui imposerle versementd'un fondsde garantie.Maisce fondsne devait sortir de sacaissequepoursolderles opérationsmêmesen vue desquellesil était constitué.»

Et la Courdescomptesajoute Tel est le sensdu contrat,et J'approbationdontil a été revêtupar un décretimpérialnepermettaitpasde luiattribuerun autrecaractère.Legouverne-ment,en autorisantleversementde 20millions,n'apu vouloirautoriserla créationd'une ressourceextraordinaire,au moyende laquellela Caissedestravauxpourraitfranchirleslimitesas-signées à ses moyensde trésorerie.n Celadit,d'un airbon-homme,la Courdémontre,de lamanièrela plus péremptoire,quela sommeverséepar la SociétéBerlencourta passépure-mentet simplementdans le courantdesfondsde la caisse,et

qu'employéeà d'autres dépensesque cellesprévuespar letraité, ellea constituépourla villeune ressourcenonautoriséeparla loi.

Onne sauraitdire plusélégammentà M.Rouherqu'ila é:étrompépar sonclient, à moinsqu'ilne préfèreavoirtrompélaChambre.Maisvoiciqui est pluspiquantencore.Embarrasséparle raisonnementdela Courdescomptes,M.le préfet,dansses observationsen réponse,jette résolûmentà l'eaula thèsequ'ila fait plaiderl'annéedernièredevantlaChambre il livre,sans hésiterun seul instant,leministrequil'a défendu,et lesdéputésqui ont cru leministresur parole,et il écritceci

« M.le préfetnereconnaîtpasauxfondsversésdanslaCaissedestravauxpar desentrepreneurs,en garantiede leurs opéra-tions,lecaractèrededépôtsignaléparla Cour.Ilfaitremarquer

Page 50: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

48

quecesfonds,une foisversésdansla Caissedestravaux,entrent

danssonencaisseet ensuiventlesort. »

Ala bonneheure maisconvenezalors que vous avez em-

prunté,empruntésansautorisationet sansdroit et quedepuisbientôtquatreansquevousbattezmonnaieavec les bonsd'an-

nudités,vousviolezla loi sept fuisparjour. Aussibien,est ce

l'évidencemême,et l'onrougitd'insister.

LaCourdes comptesa prononcé,et personnen'osera plus,

j'espère,défendrela légalitédesopérationspréfectorales,aprèslejugementformeldu triburalle pluscompétentquisuiten ces

matières.

Page 51: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

4

vil

Où mène l'illégalité

Quand on a prouvé à M. le préfet de la Seine qu'il vit dans

l'illégalité chronique, on ne lui a rien appris qu'il ne sache aussi

bien que nous. nl. le préfet viole la loi avec abandon, on peut

même dire avec coquetterie. Il n'a pas le sens légal. Après

l'emprunt de 1865, autorisé par le Corps léâislatif pour 250 mil-

lions, et bravement émis pour 270, il faut, comme on dit, tirer

l'échelle. 11 ne manque pas non plus de gens profonds qui vous

disent Qu'importe la façon dont se font les grandes choses,

pourvu que les grandes choses se fassent! En finances comme

en politique, « la légalité nous tue.

C'est le contraire qui est vrai, et, dans l'histoire financière de

la Ville, c'est là la grande leçon. Trois ans d'emprunts à. la sour-

dine et d'expédients irréguliers ont compromis les plus bielles

finances du monde. Les ressources de la Ville sont surmenées;

l'avenir est mangé d'avance. Voilà ce que le public ne sait pas,

mais voilà ce que le conseil d'Etat est impardonnable de ne pas

savoir. Les bras tombent devant l'optimisme complaisant qui

s'étale dans l'exposé des motifs

Page 52: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

50

« Le tableau comparatif des recettes ordinaires de la ville de

Paris avec les dépenses de même nature, tel qu'il résulte des

trois derniers exercices, constate un excédant moyen de 48 mil-

lions par an, et un excédant moyen de 51,496,895 fr. 47 c. en

i866; il démontre de plus que la progression annuelle des reve-

nus est constamment de 3 millions au moins, progression qii

s'augmentera encore, à partir de 1872, de la moitié des béné-

fices de la Compagnie du gaz. Grâce à la fécondité de ces res-

sources, la Ville peut faire face à tous ses engagements.

» Les calculs fournis par l'administration municipale établis-

sent même que, toute dette payée, elle conservera, .pendant la

période de 1868 à 1877, celle qui supporte le poids des imprévi-sions de 1858, un reliquat disponible d'une certaine importance.

Mais il n'en est pas moins vrai que quelques-uns des exercices

de cette période sont très-chargés, et que dès lors il peut y avoir

utilité, et que, dans tous les cas, il y a prudence à répartir sur

un plus grand nombre d'années la dette résultant des titres de

subventions et des bons de délégations. »

Tel est l'objet du traité passé avec le Crédit foncier, lequel

aboutit, en définitive, à une annuité de 21,574,387 francs, à

payer pendant soixante ans. Et en face de ces 48 millions d'ex-

cédant par année, le conseil d'Etat conclut, avec bonhomie,

qu'en vérité ce n'est pas trop

Mais le bilan de la ville, ainsi fait par-dessous jambe, est un

bilan inexact. Le conseil d'Etat s'abuse, et il nous abuse sur le

présent et sur l'avenir. Ce qu'il appelle «l'excédant moyen de

48 millions, » n'existe plus; la plus-value moyenne de 3 millions

n'est qu'une hypothèse, et, comme nous le montrerons, la plus

aventurée des hypothèses.

Page 53: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

IX

Le bilan de la Ville Les excédants

C'est là le grand cheval de bataille de l'administration

municipale. Oui, le fait est vrai et admirable il s'est pro-

duit, depuis le temps où M. Haussmann est monté au pouvoir

jusqu'à ce jour, un accroissement constant, progressif, inouï,

des produits de l'octroi. Au budget de 4861 les produits

de l'octroi, évalués d'après les résultats de 1860 (le premier

exercice qui suivit l'annexion), étaient portés pour une somme

de 71 millions. Ils figurent aux prévisions du budget de 1868

pour 100 millions. Une augmentation moins considérable, mais

certaine, s'est fait sentir dans les revenus secondaires, de telle

sorte que les-recettes ordinaires de la ville, qui étaient de 104

millions 700,000 francs en 1861, sont aujourd'hui de 150,600,000

francs.

C'est là-dessus que la préfecture, la commission municipale,les ministres, la majorité du Corps législatif, tous les satisfaits,tous les habiles et tous les simples s'en vont chevauchant, tête

baissée, et croient tenir l'éternité.

Page 54: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

Maisdans un budget, il y a la dépense à côté de la recette. Et

si les gens chargés du contrôle étaient moins disposés à se payer

de mots, lorsqu'il s'agit de glorifier je bon plaisir, ils auraient

depuis longtemps remarqué deux faits graves

10 La progression de la dépense, en regard de la progression

de la recette. De 1861 à 1867, les recettes ordinaires se sont

accrues de 50 0/0 mais dans le même temps, c'est de 60 0/0

que les dépenses se sont accrues. De sorte qu'en supposant

même que l'accroissement des recettes pût encore se prolonger,

ce qui, nous le venons, n'est pas croyable, l'accroisse-

ment beaucoup plus rapide des dépenses l'absorberait nécessai-

rement dans un temps donné.

2° Malgré toutes les apparences, le chiffre même des excé-

dants de la recette sur la dépense est devenu stationnaire. Au

compte de l'exercice de 1864, quel était le chiffre de l'excédant

disponible, c'est-à-dire de l'excédant qui reste libre pour les

travaux extraordinaires, après qu'on a prélevé la somme néces-

saire pour assurer l'amortissement de la dette municipale?

33,388,733 fr. 29 c. Quel est ce chiffre au budget de 1868, d'a-

près le rapport de M. Devinck? 35,320,595 fr. 86 c. Mais ce

chifire ainsi posé, ce chiffre qui est déjà au-dessous du chiffre

de 48 millions, que le conseil d'Elat fait miroiter à nos yeux, de

toute la somme nécessaire au service de l'amortissement; ce

chiffre de M. Devinck n'est lui-même qu'un mirage financier. Il

est incroyable de présenter au public, comme on fait là, un

budget qui a l'air de laisser 35 millions de ressources disponi-

bles, « qu'onest bien forcé, dit NI. le préfet, d'employer aux

grands travaux publics, puisque autrement il faudrait les placer

en rentes, » alors que, sur cet excédant, ona à rembourser, dans

les dix ans qui viennent, 453 millions, suivant Di.Devinck, 463

millions, suivant MM.Genteur et Jolibois, empruntés sans droit

depuis trois ans.

Page 55: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

53

Ce chiffre de 35 millions est un vieux chiffre, un chiffre des

beaux jours, d'avant le gouffre du troisième réseau.

Il serait honnête d'en déduire d'abord les 21,574,387 fr. d'an-

nuités que la Ville s'engage, par le traité soumis à la Chambre,

à payer au Crédit foncier pendant soixante ans. Il faudrait tenir

compte aussi de 54,272,000 fr. (ou 64 millions, d'aprcs l'Exposédes motif?) de subventions de grande voirie qui restent répar-tis sur neuf années, de 1869 à 1877. Il faudrait enfin nous dire

de combien l'avenue Napoléon, dont une seule amorce a coulé,

ces jours-ci, à la Ville, près de 26 millions; l'expropriation du

Grand-Hôtel, qui en sera la conséquence nécessaire l'achève-

ment de la rue Réaumur, qui vient de coùter, rien qu'entre la

rue Port-Mahon et la rue de Grammont, 15 millions de francs,

et le reste, vont augmenter le passif de la Ville. Est-ce de cin-

quante, cent, ou cent cinquante millions? En admettant qu'il

reste seulement, en dehors du traité passé avec le Crédit fon-

cier, cent millions de travaux nouveaux et de nouvelles subven-

tions (1), on se tienté videmment fort au-dessous de la vé-

rité.

Dans cette hypothèse modérée, vrai calcul d'ami, tàchons de

dresser le bilan de la ville.

Pour savoir si une ville comme Paris est, en réalité, riche ou

pauvre, aisée ou gênée dans ses finances, il faut faire état d'abord

de ses charges permanentes. Elles sont de deux natures la

dette, en premier lieu; puis le service municipal, les dépenses

(1) On voit que nous composons cette somme de 54 ou 64 millio ns

(selon que l'on adopte Je chiffre de M. Devinck, ou celui du conseid'Etat) engagés dès la fin de décembre 1867 et de 36 (ou 46) millionsseulement pour les entreprises colossales commencées depuis le1erjanvier de cette année.

Page 56: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

54

d'entretien de la capitale, le nécessaire de chaque jour admi-

nistration, police, garde de Paris, pavé, éclairage, instruction

publique, bienfaisance, entretien des édifices communaux, ser-

vice des eaux et des égouts, toutes choses non moins sacrées,

non moins fondamentales, non moins permanentes que la dette

elle-même.

Or, ces dépenses d'entretien, strict nécessaire de la ville, le

budget de 1868 les porte à 81,611,000 fr.

Il convient d'y ajouter, de l'aveu même de M. Devinck, dans

son Rapport, et de M. le préfet (Mémoire de 1860), une somme

de 7 millions, en nombre rond, comprenant trois chapitres du

budget extraordinaire (assistance publique, architecture, ponts

et chaussées) qui n'ont rien du tout d'extraordinaire, puisqu'ils

se reproduisent tous les ans. Total, 88,731,000 fr., ou, en nom-

bre rond, 89 millions.

La dette, maintenant. Indépendamment des opérations que

l'on s'avise de régulariser aujourd'hui, la Ville devait déjà faire

face à une dette annuelle de 27,800,000 francs (1). Pour rem-

bourser les 398 millions du Crédit foncier en dix.années, selon

ses stipulations primitives, elle aurait dû, d'après l'exposé du

conseil d'Etat, supporter en outre l'énorme fardeau d'une annuité

de 49 ou 50 millions. Et comme il est permis d'affirmer, sans

crainte de se tromper, qu'en dehors des 398 millions du Crédit

(1) Ce qui comprend l'emprunt de 1855, celui de 1860, celui de

1865, les annuités du rachat des ponts, le rachat de l'abattoir de Bati-

gnolles, du canal Saint-Martin, des usines de Saint-Maur, les annuités

de la Compagnie des Eaux et de la Compagnie Ducoux. Nous avons

soin de n'y pas faire figurer le complément de l'emprunt de 1852, qui

sera amorti à la fin de 1872, pour qu'il soit bien visible que nous

faisons non-seulement le bilan du présent, mais le budget de l'avenir.

Page 57: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

55 –

foncier,la Villea, à l'heure qu'il est, pour 100millionsd'opéra-

tions de mêmenature engagées; commel'avenue Napoléonest

commencée,et qu'on a le projet d'aller jusqu'au bout, l'annuité

serait montée,nonà 50millions,maisau moinsà 62.

Quatre-vingt-neuf millions d'entretien, vingt-sept millions

800,000fr. d'anciennedette, soixante-deuxmillionsde subven-

tions réparties sur 10 années, font, en bonne arithmétique,

178 (centsoixantedix-huitmillions)et 800,000fr.

Voilàla dépense. Quantà la recette, elle figure au budget de

1868,pour 149millions664,183fr. et 82cent. Nousn'en chica-

neronspas un centime.Nousy ajouteronsmême 3 millions1/2de recette extraordinaire, qu'on peut considérer comme cons-

tante, mais rien de plus car la subventionannuellede 8,800,000francs quel'Etat servait à la Villedepuis dix ans, et qui était si

commodepour aligner le budget municipal, arrive, cette année

même, à son dernier terme. Nousaccordonsdonc à la Villeune

recette possiblede 133millions,en nombre rond.

Et, pour arriver à cesdeux chiffres(178 millions et 153)quilaissententre eux un déficit de 25 millions, que d'hypothèsesheureuses il faut accumuler1Il faut supposerque l'avenue Na-

poléon,la rueRéaumuret le reste ne coûterontpasàla Yillleplusde cinquantemillions;supposerque la recette ne subira aucune

réduction, que la dépense ne fera jaillir aucun imprévuqu'en un mot, on aura banni des affairesde la villetoutes lesmauvaiseschancesqui grèvent les affaireshumaines.

Voilàoù en seraientles financesde laVillesi le Créditfoncierne venaitpasà leur secours.

Voilàcommeil est vrai de dire que, si l'ontraite avecle Crédit

Page 58: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

56

foncier, c'est par excès de prudence, et en quelque sorte pargrandeur d'àme; voilà ce que vaut cet article 3 du traité sou-mis à la Chambre, lequel réserve à la ville de Paris la facultéde payer par anticipation les annuités que le concours du Créditfoncier lui permet de répartir sur soixante années.

On ne se.libère pas par anticipation quand on a, pendant dix

ans, un découvert de 25 millions à combler.

Pure chimère que cela! Au vrai, la Ville atermoie, parce

qu'elle serait, si elle n'atermoyait pas, au-dessous de ses auai-

res, parce que, semblable au fils de famille qui a mangé son

bien en herbe, elle est, dès à présent, obligée d'emprunter pourvivre.

Mais quel est au juste le soulagement que lui apporte cet em-

prunt du Crédit foncier? Pour 398 millions, c'est une charge

annuelle de 21,574,000 fr., répartis sur soixante années. Les

charges permanentes se trouvent ainsi réduites à 49 millions

pour la dette, 89 pour le service municipal, total 138 millions.

Pour aller à 153 millions, il y a 15 millions de boni, mais sur

lesquels, pendant dix ans au moins, il faudra prendre de quoi

payer des engagements qui s'élèvent, dès à présent, à cent mil-

lions au plus bas mot. Vous voyez ce qui reste de disponible

cinq millions. Cinq millions sur lesquels il faut prendre encore

et les intérêts de ces 100 millions échelonnés sur dix années, et

l'imprévu normal, inévitable, d'un budget de 150 millions, cet

imprévu que M. le préfet lui-même, dans un de ses anciens

Mémoires, évaluait à 3 millions, ce qui n'est pas cher 3 millions

d'intérêts, 3 millions d'imprévu à déduire de 5 millions. Ch

Messieurs, ce n'est pas même de quoi établir l'équilibre, et il

sera fort heureux pour la Ville que les bénéfices de la Compagnie

du gaz viennent, à partir de 1872, lui permettre de nouer les

deux bouts.

Page 59: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

-57-

En résumé, ce déficit, qui serait de 25 millions, sansl'empruntdu Crédit foncier, il existe, il commence à poindre, même avec

le traité qui est soumis à la Chambre le passif d rejoint et déjà

dépassé l'actif. Et nous avons supposé que le stock des subven-

tions promises par la Ville ne dépassait pas 500 millions. Mais

si, par hasard, comme plusieurs l'affirment, ce stock est de

600 millions, sur quel abîme marchons-nous?

Voilà Messieurs, ce qu'il faut penser des excédants de

M. Haussmann; l'enseigne de la Ville porte bien encore 50 mil-.

lions d'excédants; la vérité financière est obligée de les coter

au-dessous de zéro.

Page 60: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

X

Le bilan de la Ville. Les plus-values.

Les calculs que je viens de faire sur l'étendue des ressources

actuellement disponibles de la ville de Paris sont en eux-

mêmes irréfutables on en pourra, suivant l'usage, critiquer

quelque détail; mais ils resteront debout, dans leur ensemble.

Les financiers de la Ville porteront ailleurs leur effort. Ils diront

que, dans ce bilan de la richesse municipale, on néglige l'ave-

nir. L'avenir, c'est la plus-value des recettes, ou, pour parler

plus exactement, la plus-value des produits de l'octroi, d'une

année à l'autre. L'Exposé des motifs du conseil d'Etat croit

pouvoir fixer cet accroissement annuel à un chiffre moyen, per-

manent, et véritablement normal de 3 millions. Quelle réponse

aux prophètes de malheur! Si les finances de la ville demeurent

chargées, pendant les dix années qui vont suivre, elles auront

reconquis, au bout de ce terme, toute leur élasticité tradition-

nelle. Une plus-value de 3 millions par an, c'est 30 millions de

ressources nouvelles, et, pour ainsi dire, tombées du ciel, qu'on

pourra porter en compte. Nous disons aujourd'hui 5 millions de

disponible dans dix ans, il faudra dire 35 millions. C'est ce

qu'exprime l'Exposé de MM. Genteur et Jolibois par cet axiome,

Page 61: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

-59-

emprunt(, comme tout ce qu'ils ont écrit, aux mémoires du

préfet de la Seine

« Ainsi, la génération présente aura dépensé des sommes con-

sidérables. et elle ne léguera à la génération future, Pn échange

des avantages de Paris transformé, qu'une dette relativement

faible, et facile à acquitter au moyen de l'accroissement des re-

venus municipaux, produits par cette transformation même.

Il faudrait pourtant, puisqu'on se réclame de Voltaire, porter

dans tout ceci un peu de ce bon sens si cher au précurseur de

M. le préfet. La question n'est pas de savoir si, depuis

trois, quatre ou six ans, un accroissement régulier s'est pro-duit dans les recettes de la ville les chiffres le disent assez

haut mais ce que les chiffres ne disent pas, c'est que cet accrois-

sement sera éternel les chiffres, sérieusement compris, disent

même tout le contraire.

Ce développement des produits de l'octroi, dont on fait si

grand tapage, est un fait complexe et contingent. En faire une

loi, un absolu, et, là-dessus, édifier tout un système et se pré-

cipiter dans les aventures, c'est porter dans le sophisme une

violence étourdie, que l'absence de contrôle explique, mais ne

justifie pas. Avant de conclure, analysez donc. C'est dans les ta-

bleaux mêmes de l'octroi parisien qu'on peut lire, à livre ouvert,le secret de ses accroissements. L'octroi de Paris se compose de

quatre articles principaux les boissons, les matériaux et

bois de construction, les comestibles, le combustible. De

tous ces produits, quel est celui qui donne, et de beaucoup, l'aug-

mentation la plus considérable, la plus constante, la plus imper-

turbable ? C'est le droit sur les boissons. Après, vient le droit sur

les matériaux et les bois de construction. De 1865 à 1866, par

exemple, il y a 3,500,000 fr. d'accroissement sur les boissons,

Page 62: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

60

et plus de millions sur les matériaux et bois de construction,

c'est-à-dire 11 ou 12 0/0 sur les boissons, et 20 0/0 sur les maté-

riaux. L'accroissement est au contraire très-faible sur les arti-

cles qui figurent à l'octroi sous les deux titres « comestibles et

combustibles(l).i) On voit par là, clairement, ce qui fait la plus-

value ce sont les foules laborieuses attirées parles travaux, et les

pierres mêmes que ces foules remuent, qui alimentent le budget

de la ville. Aussi le grand accroissement ne porte-t-il ni sur la

viande, qui n'est pas encore une consommation vraiment popu-

laire, ni sur le chauffage, qui est une consommation séden-

taire. Quant aux étrangers, touristes, nababs et autres, qu'on

pourrait croire d'un si bon rapport pour la caisse municipale,

leur influence sur les produits de l'octroi est des plus minces.

Savez-vous ce qu'ils ont ajouté aux ressources de la ville, pen-

dant tout ce grand fracas de l'Exposition universelle ? Un mil-

lion, d'après le préfet lui-même. (Mémoire du 11 décembre 1867.)

L'analyse confirme donc ici ce qu'indique le bon sens. Les

recettes sont directement engendrées par les travaux, par l'ac-

croissement de population ouvrière qui en résulte, par l'accrois-

sement des entrées de toute nature qui les accompagne. Pour

porter à cent millions les produits de l'octroi parisien, il a fallu

dépenser deux milliards, attirer quatre cent mille ouvriers au

moins dans les chantiers, transformer en atelier de maçonnerie

(1) Progression des recettes de l'octroi de 1863 à 1866.

1863 1864 1865 1866

Boissons. 33.193.730 35.363.407 38.622.329 42,148.306

Matériaux 6.956.109 6.441.193 6.143.882 7.870.245

Bois de constructon 4.512.320 4.595.157 4.170.087 4.569 245

Comestibles 14.887.356 15.306 044 15.592.825 15.981.405

Com bustib'es. 9.468.947 10.043.866 10.428.987 10.821.327

Page 63: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

61

la capitale du monde. Le système Haussmann n'en disconvient

pas. « Les excédants, dit-il explicitement, ont leur source dansles travaux mêmes. »Mais une proposition de ce genre veut êtrevue sous un double aspect. C'est un Janus à deux visages d'un

côté la plus-value, de l'autre le déficit.. L'orgie des expropria-tions a mis le feu aux droits d'entrée; un retour quelconque àla sagesse, à la mesure, à la raison, les éteindra. Itéduisez demoitié l'atelier national créé par la préfecture, vous n'y perdrezpoint, sans doute la moitié de vos recettes; mais vous en laisse-rez une grosse portion sur le carreau. Cela est évident, palpable,brutal. Donc, pour sauver les recettes, il faut maintenir les tra-vaux. Ou si l'on arrête les travaux, il ne faut plus parler de

plus-value.

Nous connaissons un autre budget que celui de la Ville, qui a

longtemps vécu sur la doctrine des plus-values, c'est le budget del'Etat. Maisla crise est venue, et le déficit est apparu. Les recettesde la Ville paraissent, il est vrai, à l'abri de la crise généralequi déprime celles de l'Etat. Il ne faut pas trop en triompher. 11

y a entre l'Etat et la Villecette diiférence, que la Ville tient dansses mains le grand moteur de ses recettes. Placée au centre d'unmonde économique factice, c'est elle-même qui fait la hausse, à

coups d'expropriations, démolitions, compagnies d'entrepre-neurs, bons de délégation, toutes choses qui naissent d'elles-

mêmes, sans efforts, sinon sans frais, de la signature de M. le

préfet de la Seine. S'il est des gens que ce spectacle rassure etenchante, nous le trouvons, quant à nous, le plus effrayant dumonde. C'est un artifice colossal, mais ce n'est qu'un artifice. Il

n'y a que les conservateurs pour dormir eu paix sur la pointed'une hypothèse, et mettre la fortune publique à la merci d'unaccident. Il faut appartenir au grand parti conservateurs pourvoir d'un œil tranquille quatre cent mille ouvriers de la terrasseet du bâtiment, vivant sur une hausse factice, sur des spécula-

Page 64: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

62

tions factices, dans le tourbillon des prospérités factices, qu'un

souffle peut emporter. Est-ce donc la condition fatale des amis

du pouvoir de perdre toute vue du lendemain Quand les con-

servateurs prirent les affaires après la Révolution de 1848, ils

n'eurent de cesse qu'ils n'eussent dissous les ateliers nationaux:

l'histoire dira s'ils y mirent la mesure, la prudence, l'humanité,

la science qui facilitent les transitions, et qui conjurent les ca-

tastrophesl 1mainsl'immense atelier national dont M. Haussmann

est le créateur, ces chantiers sans pareils au monde, auprè3 des-

quels ceux du Champ de Mars n'étaient que des jeux d'enfants,

les hommes qui se disent conservateurs ne semblent en prendre

ni ombrage ni inquiétude. Ils ont fait un pacte avec la fortune,

ils croient à une providence spéciale qui veille sur la Ville, et

qui a fait pour elle un ciel sans nuages, un avenir sans points

noirs

Maisce n'est pas seulement par ce côté que le système peut

faillir. 1!porte en lui-même le principe de sa ruine; et la crise

finale lui viendra non du dehors, mais du dedans. Il est, en effet,

de l'essence même de la politique économique et financière de

M. le préfet de la Seine, de ne pouvoir ni reculer, ni rester sta-

tionnaire. Il nefaut pas seulement que la bâtisse se maintienne, il

faut qu'elle se développe, qu'elle s'accroisse incessamment. Si-

non, adieu les plus-values Voilà pourquoi il nous est donné de

contempler, depuis tant d'années, ce chantier qui s'étend peu à

peu sur tous les points de la grande ville, ce cercle de démoli-

tion qui s'élargit autour de nous, et qui monte comme une ma-

rée sans fin. Voilà pourquoi M. le préfet a fait, à la sourdine, le

troisième réseau, et emprunté cinq cents millions au moins, au

mépris des lois. Mais avec l'année 1868, le troisième réseau va

finir. Aveclui aussi finira cette énorme plus-value dont la Ville

se flatte de faire éternellement état dans ses budgets. Or, si la

plus-value s'arrête, la crise commence. Inexprimable angoisse f

Page 65: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

63

Quelparti va-t-on prendre? Prépare-t-on un quatrième réseau,un second milliard d'emprunts? L'avenue Napoléonest-elleuncommencementou une fin,un premier acte d'une piècenouvelleouun dénoûment?Si c'est une quatrième campagnequi com-mence,il faut le dire résolûmentà la Chambre,au pays; il fautreconnaîtreque l'on est, par la logiquedu système, condamnéà ne jamais finir; qu'on démolit, non pour transformer, mais

pour démolir; que, pour soutenir ce régime de travaux forcésà

perpétuité, on a besoind'emprunter, non plus sous le manteau,en escomptantdesexcédantsde recettes, qui sont, dèsà présent,mangésd'avance, mais à découvert,et commeon pourra, à la

façondu Grand-Turc,ou du bej deTunis, quelquechosecomme300 millionstous les deux ans; que le traité du Crédit fonciern'a d'autre but que de dégager une portiondes recettes qui per-mettra d'asseoir de nouveauxemprunts; en un mot, que si l'on

consolide,c'est pour recommencer.

Ce serait franc, au moins, ceserait uao politique, ce seraitun

langage. Aulieu de cela, M. le préfet écrit, dans son derniermémoire « lime paraît SAGED'AJOURNER,aprèsl'achèvementdes

opérations en cours, la suite du plan tracé par une main au-

guste. Qu'est-ce à dire, est-ce une promesse?est-ce un mi-

rage? Voulez-vousrassurer ou endormir? Songez-vousà liqui-der, ouseulementà reprendrehaleine?

Pour liquider, il est déjà bien tard

Sila ville n'avait, depuis l'emprunt de 1865, accru sa dette

que des 400millionsqu'elleconsolideà cetteheure, il lui reste-

rait, commenous l'avons fait voir, 13 millionsde marge dansses finances.Or, ces15 millionsremplissaient dans son budgetun officedeux foissacré. En premier lieu, c'était le patrimoinede l'avenir, le biendes générations futures. Les générations

Page 66: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

64

futures auront, elles aussi, leurs besoins extraordinaires, leurs

grandes entreprises, leur luxe, leurs fantai,.ies: Si nous leur lé-

guons un budget étroit, qui ne noue qu'à grand'peine les deux

bouts ensemble, un équilibre si difficile et si précaire qu'il leur

interdise toute autre ambition que celle d'entretenir modeste-

ment, bourgeoisement, ce que nous avons fait, comme si le

Paris d'aujourd'hui avait concentré, prévu et satisfait d'avance

tous les besoins du Paris de l'avenir, du Paris qui sera dans cin-

quante ans si nous avon>fait cela, nous avons imprudem-

ment sacrifié l'avenir au présent, exploité, dévoré les généra-

tions futures. Mais les 15million^ de disponible étaient plus que

le bien de l'avenir ils étaient la garantie, la sécurité du pré-

sent. C'étaitla lisière qui séparait laville de Paris du gouffre du

déficit, de ce point fatal aux Etats comme aux particuliers, où

les dépenses ordinaires et obligatoires ne sont plus couvertes

qu'à coups d'emprunts.

Avec cette marge de 15 millions, la liquidation des travaux

de Paris pouvait encore être entreprise. La baisse des recettes

qu'amènera nécessairement l'arrêt des travaux était conjurée

dans une certaine mesure. La ville pouvait supporter une perte

d'un dixième dans son revenu. C'était trop peu, sans doute, mais

c'était quelque chose.

Aujourd'hui, ce débris des excédants splendides, que, durant

quelques années, la ville a pu, en toute vérité, aligner orgueil-leusement dans ses budgets cette réserve nécessaire et ce gar-

de-fou, on le jette dans les inutilités somptueuses de la place du

nouvel O^éra, de l'avenue Napoléon, de la rue Réaumur. Pour

donner du recul au monument de ni. Garnier, la ville enfouit ses

derniers écus. La pioche est mise aux grandes bâtisses qui for-

maient la tête de la plus belle avenue du monde; mais ce n'est

pas seulement des maisons neuves qu'elle arrache du sol, c'est

Page 67: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

-65-

5

aussi sachez-le bien les dernières réserves de la Ville, les

dernières assises de son crédit qui s'émiettent sous le marteau

des démolisseurs.

En résumé, la situation financière de la Ville de Paris, telle

que l'a faite le régime du bon plaisir, repose actuellement sur

les bases suivantes

10 Il est impossible de maintenir les travaux de Paris sur le

pied où on les a mis depuis 1861. On ne le pourrait qu'en em-

pruntant résolument 300 millions tous les deux ans. Ce serait

l'emprunt et la démolition à perpétuité, c'est-à-dire une mons-

trueuse utopie, avec une catastrophe au bout.

2" Une réduction Considérable et progressive est nécessaire;

l'administration municipale elle-même paraît en convenir.

3° Par conséquent, il n'y a pas de plus-values nouvelles à faire

entrer en ligne de compte. Les recettes ne dépasseront guère le

point où l'exercice 1868 les aura portées, et après cela elles ne

pourront plus que décroître.

4° 11 ne faut non plus parler de dégrèvement. Quand M. le

préfet déclare « qu'il aurait peine à renoncer à cette démons-

tration éclatante de la fécondité de son système j), M. le préfet

croit parler à des Béotiens. On ne dégrève pas quand on ne sait

pas si, dans trois ans, on aura de quoi payer ses dettes et son en-

tretien de chaque jour, On est beaucoup plus près d'établir de

nouveaux impôts que de réduire les anciens.

5° Si le présent repose sur une base fragile, l'avenir est mangé

d'avance, et nos successeurs les plus prochains auront peine à y

faire face. A peine s'ils pourront entretenir la dette que nous

Page 68: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

66

leur léguons, et le Paris transformé que nous leur avons fait.

Quant aux grandes entreprises, quelles qu'elles soient, elles

leur seront interdites jusqu'en 1928.

60 Pour atténuer ces déplorables conséquences, il eût fallu

tout au moins laisser là l'avenue Napoléon et le reste, et com-

mencer immédiatement la liquidation de l'immense atelier na-

tional. Maissi cela est évidemment nécessaire, il n'est pas moins

évident que, tant que M. Haussmann sera là, cela ne se fera pas.

Page 69: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

XI

Conclusion pratique

'Que faire donc, Messieurs, et à quoi conclure?

Vous avez trois partis à prendre

1° Voter purement et simplement le projet de loi qui vous est

soumis, c'est-à-dire donner à NI. le préfet un hill d'indemnité

pour le passé, un vote de confiance pour l'avenir

2° Voter en prenant des gages, c'est-à-dire en revendiquant

pour le Corps législatif le vote annuel du budget de la Ville;

3° Voter de façon à liquider le passé et à sauver l'avenir,

c'est-à-dire déclarer deux choses premièrement, qu'il faut arrê-

ter incontinent la nouvelle campagne de démolitions qui com-

mence secondement, qu'il est nécessaire de commencer le plus

tôt possible la liquidation du système.

Le premier parti est impossible ce serait un acte d'abdica-

tion.

Page 70: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

-68-

Lesecond est un moyen terme. Il laisserait M.Haussmann

dans la place et n'aurait d'autre résultat que d'associer votre

responsabilitéà la sienneet de vous mettre de moitié dans ses

épreuves,sans vousfournir contre le retour des mêmes fautes

aucune garantie sérieuse.

Le troisièmeparti est un parti énergique, mais un parti sau-

veur. Il consommerait votre rupture avec la préfecturede la

Seine,maisil auraitpour conséquence,pour peu quevoussussiez

vous y tenir, et par cela seul que vousaffirmeriezvos inquié-tudeset votreblâme dansun votesolennelde défiance,d'amener

promptement la chute de M.le préfetde la Seine, et l'avéne-

ment d'un liquidateur.

Sinon, ce liquidateur, llessieurs, ce sera la forcedes choses,

avec sa brutalité souveraineet sa justice tardive parfois,mais

infaillible.

18mai 1868.

Page 71: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

APPENDICE

NOTE 1

Extrait du Mémoire de M. le préfet de la Seine

{Moniteur du 11 décembre 1867.)

Les détails dans lesquels je suis entré, à l'occasion des tra-vaux de ponts et chaussées accomplis à Paris, touchant lesvoies nouvelles ouvertes cette année, me dispensent de revenir

sur l'indication et sur l'importance des grands percements quiont été complétement achevés dans la campagne courante. Quantà ceux qui n'ont pas encore été menés à fin, ils le seront forcé-meut en 1868, puisque le délai de dix ans, à partir de 1859, as-

signé à la Ville pour terminer tout le système de travaux qui a

fait l'objet du traité conclu entre l'Etat et elle, le 3 mai 1868, etsanctionné par la loi du 28 du même mois, expire dans la cam-

pagne prochaine, et que tous les sous-traités passés à différentes

époques par la Ville, avec des compagnies concessionnaires,

pour l'exécution de la plupart de ceux de ces travaux qui sont

inachevés, commeaussi des autres grandes opérations qu'elle acru devoir aborder sans le concours de l'Etat, limitent au même

terme l'achèvement entier de ces diverses reprises. Au reste,les mesures de l'administration municipale et de ses ayantscause sont calculées de manière à produire un tel résultat, et

l'exécution qu'elles reçoivent de tous côtés ne permet plus d'ercdouter.

Page 72: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

-70-

Ce n'est donc pas sur le plus ou moins de promptitude quipeut être apporté dans la satisfaction impatiemment attendue

par tous les intérêts en jeu, qu'il convient, messieurs, d'arrêterdésormais votre attention. Il y a mieux à faire c'est d'essayerde résumer toutes ces opérations qui arrivent à terme, de sup-puter les dépenses qu'elles ont imposées à la Ville, et de passeren revue les moyens employés pour y faire face,

Il serait superflu maintenant d'insister sur l'utilité d'entre-

prises que l'approbation du monde entier vient d'absoudre d'in-

justes critiques. Je me contenterai de rappeler que ces grandesœuvres d'édilité étaient devenues indispensables par suite del'énorme accroissement de la population de Paris, sous l'in-fluence du développement si rapide de nombreuses lignes dechemins de fer rayonnant de toutes parts vers cette grandecité; que la santé et la sécurité publiques en dépendaient à

beaucoup d'égards, et qu'une accablante responsabilité aurait

pesé sur ceux qui auraient cru pouvoir, à l'exemple du passé,ajourner encore les intérêts de premier ordre engagés et com-

promis par l'ancienne situation des choses.

Le centre de Paris était comme impénétrable. Les Tuileries,le Louvre, les Halles, l'Hi/lel-de-Ville, formant eux-mêmes unesorte d'obstacle continu sur la rive droite, étaient enveloppés,ainsi que plusieurs églises et divers édifices, sur l'autre rive, parune masse agglomérée de maisons que sillonnaient seulement de

petites rues courtes, sinueuses, étroites, dirigées en tous sens.Les quartiers du nord et du sut. de l'est et de l'ouest de la ville,étaient séparés par celte sorte dj barrière.

Les lois des 4 octobre 1849, 4 août 1851, 2 mai 1855, 19 juin1857 ont accordé à la Villc des subventions de l'Etat, ou affran-

chi d'impôt, pour une période déterminée, les maisons à cons-truire sur certains parcours, afin de hâter les travaux d'extrême

urgence qui devaient ouvrir le milieu de la ville à la circula-

tion, et qui se résument ainsi1° Dégagement des abords des Tuileries, du Louvre et de sa

colonnade, des Halles centrales, de l'Hôtel-de-Ville, de la caserne

Napoléon, de la Tour-Saint-Jacques, de la place du Palais-

Royal et du Théâtre-Français.2° Etablissement de la grande croisée de Paris, sur la. rive

droite, par le prolongement de la rue de Rivoli, l'ouverture du

Page 73: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

71-

boulevard Sébastopol, et l'exécution des opérations secondairesse rattachant à ces deux grandes voies (1); sur la rive gauche,par le percement du boulevard Saint-Michel et de ses impor-tantes annexes, notamment de la rue des Ecoles et de la pre-mière section du boulevard Saint-Germain (2).

Celles de ces opérations que la Ville a faites en participationavec l'Etat ont accru la voie publique d'un parcours de 7,577

mètres celles que la Vil!e a exécutées il ses frais, sans subven-tion de l'Etat, ont donné 1,890 mètres à la voie publique; en

tout, pour l'ensemble de ce premier réseau, 9,467 mètres.Toutefois il ne sufllsait pas de percer largement l'aggloméra-

tion centrale de l'ancien Paris par deux lignes magistrales,pour que les quartiers de la circonfésence fussent mis tous encommunication facile, soit entre eux, soit avec les nombreuxédifices dans lesquels s'exercent les pouvoirs politique:; ou admi-

nistratifs, soit avec les têtes de chemins de fer, véritables routes

impériales des temps modernes, unissant toute la France à la

capitale, soit enfin avec les points principaux où la force publi-

que est établie pour protéger l'ordre général et les personnesle rayonnement, le croisement d'autres voies bien tracéesétaient encore indispensables.

On dressa le tableau de ces nouvelles lignes en 1858, d'aprèsun plan général qu'avait arrêté l'Empereur même, et il fut lon-

guement étudié d'abord par le Gouvernement, ensuite par unecommission du Corps législatif, saisi, à ce propos, d'un projetde loi. Sur ce tableau, déjà restreint, on choisit, par des élimi-nations successives, les rues, boulevards et avenues dont l'exé-cution paraissait le plus pressée (3). La dépense était évaluée à180 millions. La loi du 28 mai 1858 décida que l'Etat y prendrait

(1) Les principales sont l'avenueVictoria, la rue des Halleset larue berger.

(2) Lesautres opérations sont l'ouverture des rues Tliénardet deFontanes,et l'élargissementde la place de la Sorbonne et des ruesSaint-Jacques,du l'etit-Pont, des Mathurins,du Cimetiëre-Saint-Be-noit, Jean-de-Beau/ais,Saint-Victoret Saint-Nicolas-du-Chardonnet.

(3)Le traité comprendles opérations ci-après1°Ouverturedu boulevarddu Prince-Eugène, du boulevardde Ma-

genta, de la rue de Turbigo,et élargissementde la rue Saint-Quentin;2°Ouverture de l'avenueDaumesnil;3°Ouverture des rues Auber, Halévy, de Rome rectificationde la

Page 74: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

-72-

part, jusqu'à concurrence d'un tiers, mais dans la limite d'un

maximum de 50 millions, ce qui paraissait impliquer que la

Ville pourrait accomplir plus économiquement son travail et le

mener à fin moyennant une somme totale de 150 millions. Un

délai de dix ans lui était fixé, à partir du 1er janvier 1859, pourachever les percements indiqués l'Etat répartissait parallèle-ment sa subvention en dix annuités.

Les opérations qui composent les divers groupes de ce second

réseau sont, cumme celles du premier, ou exécutées ou en voie

d'achèvement prochain elles doivent ajouter à la voie publiqueun développement total de 26,994 mètres.

Mais, si l'Etat, par la loi de 1858, avait restreint son con-

cours aux travaux dont l'intérêt public paraissait commander le

plus impérieusement l'exécution, plusieurs des voies projetéesn'étaient comprises dans le projet que pour une section, et de-

vaient recevoir un développement sans lequel les dépenses faites

en commun n'auraient eu qu'une efficacité incomplète; presque

toutes, d'ailleurs, entraînaient des opérations secondaires plusou moins considérables il y avait à relier certaines rues aux

artères nouvellement ouvertes, à rectifier des nivellements, à

redresser des alignements, pour que les quartiers traversés

pussent tirer, des sacrifices accomplis par l'Etat et par la Ville,tous les avantages désirables. Enfin, quelques grands tra-

vaux, d'une importance presque égale à celle des opérations

préférées, devenaient incessamment l'objet des réclamations du

public.

Pour quelques-unes de ces voies, ce n'était pas une demande,

place de l'Europe, et prolongement de la rue de Madrid, avec em-urauchetnents'ir la rue de la Bienfaisance;

4° Ouverture du bouievard Malesherbes;51Ouverture des boulevard de Friedbnd et Haussmann, rectifica-

tion et nivellement du boulevard du Roi-de-Rome, et dégagement desabords de l'Arc de Triomphe;

6° Ouverture des avenues de l'Aima et de l'Empereur;7" Ouverture des ave nues Duquesne, Rapp, et prolongement de l'a-

venue de Latour-Maubourg;8° Ouverture des boulevards Saint-Marcel, de Port-Royal et Arago,

et des rues Gay-Lussac et Monge, et élargissement de la rue Moufle-tard

9° Ouverture de l'avenue du Palais, du boulevard Saint-Miche!, etde la rue de Médicis.

Page 75: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

-73-

une réclamation; c'était une sorte de cri public s'élevant poursommer la Ville de les exécuter.

Evidemment, lu Ville ne pouvait se refuser à toutes ces né-

cessités, à toutes ces conséquences inévitables des premières

entreprises, et, après avoir fait et refait le calcul du ses res-

sources, elle a cédé en partie (1). Sans attendre un nouveauconcours de I'Etat, qu'aurait justifié, à ses yeux, le caractère de

la plupart des travaux qui restaient à entreprendre, mais qu'un

préjugé trop évident semblait devoir lui faire refuser, elle a

continué courageusement, dans la limite, mais selon toute l'éten-due de ses propres forces, l'œuvre qui lui était confiée.

L'ensemble des opérations du troisième réseau comprend un

parcours total d'environ 28,000 mètres.

Tel est, messieurs, l'historique et l'importance relative des

grands travaux successivement exécutés ou entrepris par la

Ville pour l'amélioration de la voie publique de Paris. Le déve-

(1) Voici la nomenclature des opérations du troisième réseauCréation du boulevard Richard-Lenoir, sur le canal Saint-Martin

couvert; percement de la première section du boulevard des Aman-diers, prolongement de l'avenue Parmentier et des rues Sedaine etAlbouy, ouverture de la rue Magnan

Avenue Daumesnil, prolongement de la rue Lacuée, ouverture desrue de Chaligy, Crozatier et de Citeaux

Percement des première, deuxième et quatrième due la rueRéaumur

Prolongement des rues Lafayette, du Fauboùrg-Poissonnière à larue de la Chaussée-d'Antin ouverture des rues Baudin et Mayran,prolongement des rues Drouot, Le Peletier, Olivier, d'Abbeville, deMaubeuge, de Laval, de Belzunce et Bochard de Saron;

Ouverture des rues Scribe et Meyerbeer;élargissement des rues Saint-Lazare et de la Pépinière, prolonge-

ment des rues Neuve-des-Mathurins, Roquépine, d'Argenson, Pasquier,de Vienne, de Messine et de Berry;

Ouverture des avenues Joséphine, d'Iéna, du Prince-Jérôme etd'Essling prolongement des rues François Ier, de la Croix-Boissière etGalilée;

Prolongement de l'avenue Duquesne entre les avenues de Saxe etde Breteuil

Ouverture de la deuxième et de la troisième section de la rue deRennes, de la section centrale et de la dernière section du boulevardSaint-Germain, de la première section de la rue de Solférino; pro-longement des rues de Madame et des Saints-Pères, élargissement desrues du Four et du Vieux-Colombier

Prolongement de la rue Bonaparte et ouverture des diverses voiespubliques tracées sur les terrains retranchés du Luxembourg.

Page 76: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

-74-

loppement total qu'ils comportent n'est pas moindre de 6i,r>00mètres plus de 16 lieues anciennes.

On pourrait y ajouter l'énumération des travaux analoguesqui s'accomplissent dans la zone annexée, au moyen des res-sources produites par le dernier emprunt municipal; mais les

questions qu'il importe surtout d'examiner ici n'intéressent pascet ordre d'entreprises.

La Ville a pourvu aux dépenses des opérations de voirie com-prises dans les trois réseaux par les moyens financiers suivantsi" elle en a payé une partie, au fur et à mesure des expropria-tions et des travaux accomplis dans le cours de chaque exercicepar des allocations budgétaires imputées sur la portion de sesressources ordinaires non employée à couvrir ses dépenses demême nature, et sur le produit plus borné de ses recettes extra-

ordinaires 2°elle y a consacré les subventions qui lui ont étéaccordées par l'Etat, en vertu des lois du 4 octobre 1849, du 2mai 1855, du 19 juin 1857 et du 28 mai 1858; 3° elle y a ajoutéles fonds provenant des emprunts spéciaux contractés en 1831,en 1855, et, en partie, ceux de l'emprunt de 1860, dont le pro-duit était anecté concurremment à cette destination et aux dé-penses extraordinaires de toute nature motivées par l'extensiondes limites de Paris 4° enfin, elle a accepté les offres de com-pagnies qui se sot.t chargées, il leurs risques et périls, de l'ou-verture et de l'établissement de diverses voies publiques,moyennant des subventions réparties en annuités surun nombieerestreint d'exercices.

Je ne mentionne pas ici l'emploi des fonds que la Caisse destravaux de Paris a Cléautorisée à se procurer par l'émission debons, jusqu'à concurrence d'une somme ayant varié de 60 à 125

millions, aujourd'hui limitée a 100millions, parce que ces fondsne constituent pas une ressource, mais un moyen de trésorerie,et ne sont employés que sous forme d'avances. La Caisse s'entrouve couverte par la valeur des terrains inaliénables prove-nant des expropriations faites pour le compte de la Vi!le, et, en

outre, par sa dotation qui est de 20 millions.

Lorsqu'arrivera la liquidation définitive, le produit de lavente totale de ces immeubles balancera la somme des bons au-torisés, ou laissera, soit au profit, soit à la charge du trésor mu-

nicipal une faible différence, qui figurera au bu Jget en recette

Page 77: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

75-

ou en dépense extraordmaire, mais dont il n'y a pas lieu de tenir

compte en ce moment.

Les dépenduesfaites pour le premier réseau montent, en somme

ronde, à 272 millions, sur lesquels 121 millions ont été fournis

par le produit des emprunts contractés en 1852 et 1853. Ellesont été l'objet de plusieurs mémoires et de maints comptes ren-dus émanés de 1 administration municipale, et ne soulèvent pré-sentement aucune discussion.

Les dépenses du second réseau devaient se répartir sur dix

exercices, et seront effectivement terminées dans le cours del'année 1868. Elles étaient évaluées par l'administration muni-

cipale à 180 million, et le Corps législatif supposait même

qu'elles ne dépareraient pas 150 millions, puisque la subven-tion de l'Etat, fixée au tiers, a été limitée à 50 millions par laloi du 28 mai 1858. Or, le total re sera pas moindre de HO mil-

lions, toute défalcation faite du produit des reventes de terrainset de matériaux.

L'écart est énorme.

La Ville avait prévu une part de sacrifices de 130 millions au

plus; mais, comme tout l'aléa de l'opération a été laissé à sa

charge, elle se voit finalement en- face d'un chiffre de 360 mil-lions.

Voici à quelles causes on doit attribuer ce résultat si onéreux

pour la Ville.Le traité approuvé par la loi du t8 wai 1858 divisait en dix

annuités la subvention de l'Etat, et fixait un délai de dix ans

pour l'exécution du projet. Tous les pouvoirs publics étaientd'accord pour recommander d'ailleurs à la Ville, par des consi-dérations d'ordre supérieur, de répartir ses travaux aussi exac-tement que possible entre les dix exercices, et cette règle a étéobservée scrupuleusement par elle. Or, pendant une périoded'années relativement si longue, la valeur des immeubles s'est

accrue dans une proportion considérable, sous la double in-fluence de la prospérité publique et de l'augmeutation constante

de la population. Les propriétaires et locataires, placés par (etexte même du traité inséré au Bulletin des Lois sous le coupd'expropriations certaines, ont dirigé tous leurs calculs, toutesleurs combinaisons, tous leurs actes, dans la vue de faire moater

à la plus haute somme possible leurs indemnités. Enfin, les jurys

Page 78: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

-76-

d'expropriationontrenchérilesuns sur les autres, si l'onpeuts'exprimerainsi,à chacunede leurssessions.

Lorsquel'administrationmunicipalefaisaitsesévaluations,en

1858,d'aprèsles résultatsdesopérationsqu'elleavaitexécutées

depuis1852jusqu'alors,ellecomptaitsansleseffetsd'unejuris-prudencedu conseild'Etat, contrelaquel!e,d'ailleurs,aucune

objectionn'est possible,puisqu'elleest basée sur un décret

réglementaireen datedu27 décembre1858(postérieurde prèsde huit mois au traité sanctionnépar la loidu 28 mai de lamêmeannée)qui est venuinterpréteret compléter,à quelqueségards,ledécret-loidu 26mars1852.

Désormais,aucuneparcelleneput êtreexpropriée,en dehorsdesalignementsdesvoiesnouvelles,sansmiseen demeureex-

pressedespropriétaires,et, en casd'opposition,sansunedécla-rationd'utilitépubliquespéciale.

Cettedisposition,évidemmentinspiréepar laplus vivesolli-citudepourlesintérêtsdesper.-onnessoumisesà l'expropriation,a eu poureffetnaturelde conduirechaquepropriétaireà retenirtousles terrains qui recevaientun grandaccroissementde va-leurde la créationdesvoiesnouvelles,pourabandonnerseule-ment à la Villeceuxqui paraissaientmoinsutilementexploi-tables.

Or,l'administrationmunicipaleavaitfaitentreren ligne decompte,commeatténuationprobablede la dépensedes expro-priationsdonttoulesles chancesrestaientà sa charge,la plus-valuedesterrains dontchaqueopérationdevoiriedevait,d'a-

prèslesprécédents,lui laisserladisposition,en dehorsdu tracéde la voiepublique.Le produitréel de sesreventesest donctombéau-dessousdela proportionsurlaquellesescalculsavaientété basés.

Unemodificationdansla jurisprudencede la Courde Cassa-tiona contribué,d'unemanièrebienplusgraveencore,à ren-verser toutesles prévisionsmunicipalesde 1858.

La loidu 3 mai1841admettroisformesselonlesquellesl'ad-ministrationpeut acquérirles immeublesqu'elledoit occuperpourl'utilitépublique

1°Unjugementd'expropriation,aprèsarrêtéde cessibilité,encas de refusdu propriétaire2°un jugementquidonneacte duconsentementdupropriétaire,qu'ily ait ouqu'iln'y ait pasac-

Page 79: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

-77-

cord entre les parties sur le prix de la cession; 3° l'achatamiable.

Il avait été tenu pour constant, pendant longtemps, que lesdeux-derniers modes d'acquisition ne faisaient point cessernécessairement la jouissance des locataires; la Cour de cassationa jugé par divers arrêts, de 1861à 1865, que vis-à-vis de la Ville,le jugement donnant acte du consentement du vendeur et le con-trat amiable ont pour effet de résoudre ipso jurc les baux des lo-cataires.

En conséquence, beaucoup de locataires exerçant des indus-tries dans des maisons acquises parla Ville, à l'amiable, plus oumoins longtemps avant le moment de l'ouverture de la voie pu-blique, n'ont pas voulu continuer à jouir de leurs baux jusqu'àl'expiration de ce délai, et ont exigé d'être immédiatement évin-cés et indemnisés car l'expropriation, contre laquelle s'élèventsi souvent des plaintes collectives, est désirée par chacun en par-ticulier, comme une source de fortune.

La Ville, en respectant, comme elle le devait, la jurisprudencenouvelle, a payé d'énormes indemnités qu'elle n'avait pas pré-vues.

Enfin, quelques-uns des décrets déclaratifs d'utilité publique,rendus en exécution de la loi de 1858, ont dû ajouter aux opé-rations indiquées par elle des opérations accessoires plus oumoins onéreuses. Il en est résulté une certaine augmentationdes surfaces à livrer à la voie publique, et par conséquent, unaccroissement de dépense, mais bien inférieur à celui qui pro-vient des trois autres causes.

Cependant, pour céder à de vives réclamations du public et àdes nécessités urgentes, l'administration municipale était, obligéed'aborder, en même temps les opérations du troisième réseau,qui se solderont par une dépense nette de plus de 300 millions-

En réunissant à cette dernière somme le montant du mécompteque la Ville a éprouvé dans l'affaire dite (bien à tort) des 180millions, on trouve un total de 530 millions, en excédant desprévisions de 1858. Une portion en a été payée au moyen desexcédants de revenu du budget municipal, grâce à l'accroisse-ment considérable de cette ressource, produit par l'influencemême des travaux exécutés; mais la totalité de ces excédantsn'a pu y être employée, parce qu'il a fallu en consacrer 100 mil-

Page 80: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

-78-

lions à solder des dépenses extraordinaires de toute nature mo-

tivées par l'extension des limites de Paris, mesure que rien ne

donnait à supposer lors du traité de 1858, et qui est venue ap-

porter à la Ville une autre aggravation de charges, montant à

300 millions de capital, et compensée depuis lors, pour 200 mil-

lions seulement, par le produit de l'emprunt de 48651

En présence de si lourds fardeaux, que devait-on faire? Un

appel supplémentaire au crédit? Mais les diverses causes de ces

aggravations ne se sont pas produites immédiatement ni simul-

tanément, et il n'était pas facile, d'abord, d'en supputer exac-

tement toute l'importance; c'est seulement depuis que les divers

travaux entrepris ont été terminés ou concédés qu'on a pu en

déterminer avec précision la dépense nette. En attendant, la

Ville, rassurée par les ressources abondantes que lui garantis-

sait la progression constante de ses revenus, n'avait aucune rai-

son d'en créer d'autres. Il n'y avait, dès lors, qu'un seul moyen

à prendre, celui que nous avons adopté répartir les obligations

contractées envers les compagnies concessionnaires sur un cer-

tain nombre d'années, dans la limite des excédants probables

du revenu municipal, sauf à dégager ces excédants des affecta-

tions qu'ils auraient ainsi reçues à l'avance, par une opération

de crédit, si des circonstances ultérieures le rendaient opportun,

ou à maintenir purement et simplement, dans le cas contraire,

la disposition qu'on en aurait faite.

La régularité de cet expédient a été vivement contestée mais

elle a été mise hors de cause par un vote du Corps législatif,

après une discussion solennelle, où M. le ministre d'Etat a pré-

senté, en termes éloquents, la défense de la Ville, non-seule-

ment quant à la forme des marchés qu'elle avait conclus avec ses

entrepreneurs, sous promesse de subventions payables à courts

termes, mais encore quant à la prudence avec laquelle ses enga-

gements avaient été échelonnés.

Je ne reviendrai pas sur ce débat il a perdu tout intérêt de-

puis que la cause en a disparu, au moyen du traité que vous

venez de voter entre la Ville et le Crédit Foncier de France,

devenu cessionnaire de la presque totalité des subventions muni-

cipales acquises à diverses compagnies, et qui a pour but de

répartir cette dette sur un beaucoup plus grand nombre d'an-

nées, tout en réservant à la Ville la faculté d'anticiper, en tota-

Page 81: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

-79-

6

lité ou en partie, selon sa convenance des nouveaux termes de

ses, engagements,

En effet, ce traité, qui doit par sa nature être soumis à la sanc-

tion du Corps législatif, et qui ne peut manquer d'y rencontrer la

bienveillance avec laquelle a été accueillie, l'an dernier, la justi-fication des conventions qu'il remplace, donne toute satisfactionaux scrupules des personnes qui voulaient voir sous ces conven-tions des emprunts déguisés et qui regrettaient qu'elles n'eus-

sent pas été approuvées par un loi. Quant à celles qui appréhen-daient que la Ville n'eût contracté des obligations téméraires,elles verront leurs craintes dissipées par la double faculté quilui est concédée de profiter, pour l'acquittement de ces obliga-tions, d'un délai très-étendu, si les circonstances le rendent dé-

sirable, ou de consacrer, au contraire, à sa libération, les excé-

dants de revenu qu'elle y avait affectés d'avance, et dont laréali-ation n'est pas plus douteuse aujourd'hui qu'alors.

La situation nouvelle que prend la Ville, grâce à cette heu-reuse combinaison, ne l'engage en aucune façon, soit à courirles chances des nouvelles opérations que, d'un côté, on la solli-cite d'entreprendre, soit à entrer dans la voie des dégrèvementsde taxes locales, où, d'un autre côté, on s'efforce de l'attirer. Maiselle lui rend la liberté d'adopter l'un ou l'autre parti, selon les

circonstances, et aussi de faire une juste répartition de ses excé-dants de revenus affranchis entre les deux intérêts en pré-sence.

Il est hors de doute que, même en prenant la ferme résolutionque, pour ma part, je croirais sage d'ajourner, au moins pourquelque temps, après l'achèvement des grandes opérations devoirie en cours d'exécution, la suite de l'accomplissement duprogramme de la transformation de l'ancien Paris, tracé par uneMain auguste, il faudrait bien compléter, par certains travaux

indispensables, les portions commencées de cette œuvre im-mense. 11 n'est personne qui ne blâmât, par exemple, l'abandondu projet de l'avenue Napoléon, sans laquelle l'agencement desabords de l'Opéra resterait incompréhensible. Quant aux dégrè-vements de taxes locales, j'avoue qu'il me paraîtrait bien regret-table de renoncer absolument à cette démonstration éclatantede la fécondité des travaux utiles auxquels nous avons consacré!ant de soins attentifs, qui n'ont coûté à la population de Paris

Page 82: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

-80-

aucunesurcharge d'impôt, et qui ne grèveront cependantl'ave-

nir que de la moitiéau plus des dépenses énormes qu'ils ont

motivés, précisémentparce qu'ils ont accru la fortune de la

Villedansune proportionplus que doublede la valeur du capi-

tal employé.Lessommesréservées,au budget de 1868,pour les opérations

de grandevoirie accrues des ressourcespropres à cesopérations

et, en cas de besoin,d'une portion des fonds laissés libres par

les exercicesantérieurs, devaientsuffireamplementà l'acquitte-

ment des subventionsvenant à échéancependant l'année pro-

chaine. La réalisation du traité entre la Villeet leCréditfoncier

nécessiteraun changement d'affectation de ces sommes, dont

une certaine quotité devra être employéeà l'acquittementde la

première échéance semestrielle. Le reste permettra, soit de

grossir les fondslibres de la Ville, soit d'atténuer l'émisôionde

TaCaissedes Travauxde Paris. Cesera, dans l'un comme dans

l'autre cas, réserver l'avenir.

NOTE II

COMMUNIQUE ADRESSÉ AU TEMPS

Le 24 décembre 1867, M. le préfet nous a adressé le Comvau-

niqué suivant:

«Dans son numéro du 20 décembre, le journal le Temps, ar-

guant des déclarations faites par M. le préfet de la Seine dans

son Mémoire au conseil municipal, relativement au mécompte

financier résultant de l'exécution des grands travaux de voirie

du deuxième réseau, entrepris en commun par l'Etat et la Ville,

accuse M. le préfet d'imprévoyance, et fait peser sur lui la res-

ponsabilité de ce résultat.

» L'administration a déjà fait justice de cette imputation dans

Page 83: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

-81-

un Communiquéadresséle21décembreill'Flnion,etconçudanscestermes

«Les calculsd'après lesquelsavait été évaluéela, dépense»totalede 180millionsprévuepar l'administrationmunicipale,» sontl'œuvred'hommesspéciaux,reconnusencoreaujourd'hui»pourles plusexpertset lesplus compétentsen pareiliematière,»maisqui avaientétabliet dû établirleurssupputationssur les» résultatsdonnéspar lesopérationsanaloguesdéjà exécutées,» ouen coursd'exécutionen 1858.Cesagentsavaientd'ailleurs» comptéet-iûcompterquelesopérationsprojetéesseraientfaites» dansles mêmesconditionsquelesanciennes;ils n'avaïentprévu» ni dû prévoiraucune desdiversescausesque le Mémoirede» M.le préfetdela Seineénumère,maisquel'Unionometd'indi-» quer,et auxquellescemagistrata crupouvoirattribuerlemé-» comptede 230 millionsqu'il a constatésur l'ensembledes» dépensesdu deuxièmeréseaudes voiesnouvellesentreprises» en communpar l'Etatet la Ville.

» Quoiqu'il en soit,les appréciationsdétailléesafférentesà» chaqueaffaireontété soumisespar M.le préfetde laSeineau» conseilmunicipal;ellesont ensuiteété examinéespar les mi-» nistre'squi ont traité avecle préfet,et par le conseild'Etat;» enfin,ellesont été discutéespar leCorpslégislatif,qui les a

considéréescomme empreintes d'exagération,puisqu'il a» limité à 50 millionsle tiers à la charge de l'Etat,dansune» dépensetotale évaluée180millions.

» Lapriseà partiede M.le préfet de la Seinepar l'Unionest» doncparfaitementinjuste.

»Lesinsinuationà l'aidedesquelleslerédacteurdu Tempses-saye de faire suspecterla bonnefoide l'administrationmunici-pale, qu'il accused'avoirdissimuléjusqu'auderniermomentlavéritablesituation des dépensesfaites pour les travauxdudeuxièmeréseau,ne sontpasmieuxjustifiées. LeMémoirede» M. le préfetde laSeine,inséréau Moniteurdu Il décembre

1864,dit cet écrivain,évaluaità 350millionsla dépenseden tout.s les opérationsdevoirieengagées.Troisansaprès M.le» préfetest forcédereconnaîtrequ'à la finde 1868,c'est-à-dire» en quatreans,il auradépenséprèsdu double.»

«C'està tortque lerédacteurdel'articlefaitentrerdansle to-tal de350millions,auquelil a été évaluéen 1864,la dépense

Page 84: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

-82-

des opérations engagées, celle des travaux du troisième réseau,

puisque, à cette époque, ces travaux n'étaient pas encore entre-

pris, ainsi qu'il le constate d'ailleurs lui-même. Cechiffre de 350

millions ne comprend pas non plus le montant des dépenses né-

cessitées par l'annexion, et qui a été évalué à 300 millions. Il

convient, en passant, de faire observer que ce n'est pas « d'au-

jourd'hai » que M. le préfet a fait connaître le montant de ces

dernières dépenses, puisqu'il figure dans tous les documents quiont été soumis, en 1865, au Corps législatif, à l'appui du projetde loi relatif à l'emprunt qui devait procurer à la Ville les res-

sources nécessaires pour hâter l'assimilation des communes su-

burbaines à l'ancien Paris.

» L'argument sur lequel le rédacteur du Temps appuie ses insi-

nuations, et qu'il tire de la différence entre le chiffre de l'éva-

luation faite par l'honorable M. Devinck, dans son rapport du

19 décembre 1865, de l'excédant présumé des dépenses du

deuxième réseau sur les prévisions de l'administration munici-

pale, et le chiffre de l'écart réel indiqué, en 1867, par M. le pré-

fet, dans son Mémoire, est au moins mal choisi. Les supputationsdu rapport de M. Devinck sont la preuve que l'administration

de la Ville ne cherchait pas à dissimuler cet écart. Si elles se

sont trouvées au-dessous du chiffre réel accusé en 1867, dans le

Mémoire de lll. le préfet, c'est qu'à l'époque où le rapport de

M. Devinck a été rédigé, toutes les opérations du deuxième ré-

seau n'étaient pas encore assez engagées pour qu'on pût appré-cier de quel chiffre elles excéderaient définitivement la dépense

prévue, sous l'influence des causes diverses qui sont venues

changer complétement les conditions financières de l'exécution.

On ne peut raisonnablement faire un reproche à l'administration

municipale de n'avoir pas annoncé, en 1864, un résultat définitif

qu'elle ne pouvait connaître encore.

Le mécompte résultant de l'exécution du deuxième réseau

n'est pas d'ailleurs de 360 millions, comme le dit l'auteur de

l'article,'mais de 230, et il lui eût été facile de s'en assurer à

l'aide d'un calcul bien simple, puisqu'il en a reproduit tous les

éléments, d'après le Mémoire de M. le préfet. Si considérable

que soit cet écart, il n'a aucun caractère menaçant pour les

finances de la Ville, et le Mémoire a montré la possibilité pourelle-ci d'en couvrir le montant avec les excédants de ses rev

Page 85: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

-83-

nus,pendantunecourtepérioded'années,toutenfaisantfaceauxdépensesdutroisièmeréseau.

Leserreursdechiffrescommisesparlerédacteurd.uTempsôtenttouteportéeà sonargumentation.

(Communiqué.)

Pours'édifiersurlaportéedes réfutationspréfectorales,lelecteurn'aqu'àcomparerauCommuniquédu24décembre1867lesextraitsdu Mémoirepréfectoralinséréau Moniteurdu 11décembre1864,à lanote3 ci-après.

NOTE III

Extrait du 31mémoire de M. le préfet de la Seine

(Moniteur du 11 décembre 1864.)

Si, maintenant, pour faire jaillir, en quelques chiffres, les ré-

sultats définitifs de tous ces calculs, je groupe par masse les

ressources appliquées, pendant les deux périodes de 1853 à

1859, et de 1860 à 1864, aux grands travaux de la Ville, et si jetrace à grands traits la répartition qui en a été faite, voici où

j'arrive

Page 86: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

-84-

Page 87: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

-85-

Page 88: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

-86-

En déduisant du total des dépenses, ci 900,666,697 »

le montant des ressources propres des opéra- (1)

tions, Ci. 172,516.333 01

On a, pour chiffre de la dépense nette. 728,150,363 99

Deux faits dominants me semblent ressortir incontestables de

ce bilan général des grands travaux exécutés à Paris dans les

douze années écoulées depuis le rétablissement de l'Empire.Le premier, c'est que l'Etat, contrairement à l'opinion de

nombreux organes des départements, n'a pas traité la ville de

Paris avec une bien grande faveur, lorsque, pour l'engager

dans les opérations colossales où elle a déjà mis plus de 650 mil-

lions, il lui a promis des subventions du Trésor public, dont les

portions échues montent à peine à 77 millions, c'est-à-dire à un

dixième environ de la dépense totale nette. 11est peu de grands

centres de population qui n'aient reçu, toute proportion gardée,

un concours plus généreux du Gouvernement à leurs travaux

extraordinaires. Nulle part, cependant, l'intervention du Trésor

public ne pouvait être mieux justifiée.Il serait superflu de revenir, dans cette enceinte, sur les con-

sidérations d'ordre supérieur qui ont fait décider les travaux de

Paris, et de montrer quelle importance ces grandes entreprises

prendront dans l'histoire du règne de l'Empereur mais on ne

saurait trop rappeler qu'à côté de cet actif de grandeur et de

gloire, les travaux de Paris ont également assuré à 1 État un

accroissement de revenu annuel considérable, que NI. le ministre

Magne, parlant au nom du Gouvernement, dans la séance du

Sénat du 26 février 1862, n'évaluait pas à moins de 45 millions,

et que l'honorable M. Devinck, rapporteur du comité des finan-

ces du conseil municipal, portait, l'an dernier, d'après des docu-

ments irrécusables, à 54 millions.

Tout compte fait, la Ville, pour ses 650 millions de capital,

n'en a pas obtenu davantage, et cependant, elle est fondée à

(1) Cette somme de 172,516,333 fr. 01 c. provient presque en tota-

lité des grands travaux de voirie. Ondoit donc la déduire de la dépen-se brute de ces travaux, montant à 590,498,903 fr. 57 c. pour en

connaître approximativement le prix net, qui est d'environ

4t8,000,000 fr.

Page 89: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

-87-

trouver fructueux, sous'tous les rapports, le placement qu'elle afait sur elle-même de cette énorme somme 1 Espéronsdonc que,le moment venu de dresser un nouveau programme de grandspercements, pour répondre à l'impatience des populations quel'exécution du premier ne suffit pas à satisfaire, personne n'hé-sitera plus à reconnaître que l'Etat est encore plus intéressé quela Ville dans les entreprises de ce genre, et que celle-ci serait

parfaitement en droit de se refuser, dans l'avenir comme dans le

passé, à les aborder seule.Le second fait que je crois mis hors de discussion désormais,

par les tableaux qui précèdent, c'est que l'administration de laVille ne mérite en aucune façon le reproche, qu'on ne se fait

cependant pas faute de lui adresser sur tous les tons, de négligerles dépenses extraordinaires motivées par l'extension des limitesde Paris. Au moment où cette grande mesure venait d'être

prise, on,évaluait de 130 à 150 millions les dépenses dont il s'a-

git, et l'on pensait qu'on ferait assez d'y consacrer de 15 à 16millions dans chaque budget, afin de les compléter en dix ans.

Il n'y a encore que cinq ans d'accomplis, et déjà près de 130millions ont été payés. Je conviens que nous ne sommes guère à

plus de moitié de l'oeuvre mais on n'avait rien promis au delàde ce laps de temps, et c'est déjà beaucoup pour la Villed'avoir,sans ralentir ses efforts, ni rien ajourner, supporté les mécomp-tes de cette affaire immense, qu'un grand intérêt d'ordre publiclui a fait imploser, et pour laquelle, cependant, aucune subven-tion ne lui a été accordée par l'Etat.

Sans doute,la portion de l'entreprise qui est faite n'est pas cellequi devait frapper le plus l'attention publique. En général, l'at-tention publique n'est éveillée que par la fin des choses les

étapes la fatiguent. Mais, cette fois, il était impossible de les

supprimer, pour arriver au but d'un seul bond. Le temps n'était

pas moins indispensable que l'argent pour mener à bon termeune aussi difficile et aussi lourde tâche.

Quoi qu'il en soit, nous ne saurions évaluer à moins de 120millions les dépenses qui resteront à faire en 1865 et années sui-vantes.

Quant aux grands travaux proprement dits, il résulte, Mes-sieurs, d'éléments qui seront placés sous les yeux de votre comitédes finances, pour le mettre à même de continuer le travail de

Page 90: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

-88-

contrôlefait l'andernieret les annéesailtérieures,par celuiquil'aprécédé,quetoutes les opérationsengagéesavecou sans leconcoursde l'Etatentraînerontencoreunedépensenettede260millions,y comprisle remboursementdesavancesdela CaissedesTravauxde Paris.Eny joignantles 120millionsnécessaires

pourcompléterl'assimilationà l'ancienParisde la zonesubur-baineannexée,on arriveà,untotal de 380millions,maisil y alieud'endéduire30millions,montantde ladotationde laCaissedesTravauxde Pariset duboniprobabledel'exercice1864.Ceretranchementopéré,il resteà couvrir350millions.C'estl'œu-vrede lanouvellepériodeadministrativequi commence,et lachargedesbudgetsannuelsquevousaurezà voter.

Parmitousleschiffresqui sepressentdansl'analysede cedo-

cument,il en est un,messieurs,sur lequelilnousfautrevenir;caril estlepointdedépartdu résuméquej'ai maintenantà fairede la situationfinancièrede laVille c'estcelui qui détermine

l'importancede l'excédantprévudeerecettesordinairessur les

dépensesdemêmenature.Lamodérationaveclaquelleles recettesont été supputéeset

la prudenceexcessiveapportéedans la prévisiondesdépenses,l'ont réduità 45millionset demiau projetde budgetde 1865,alors que, pour 1864,il doit être de 2 millionsplusélevé,d'aprèsles résultatsprobablesdonnéspar lasituationprovisoiredel'exercice;mais,dansles calculsauxquelsj'ai à melivrerence moment,et pourlesquelsil n'est pasnécessairequeje m'im-

poselamêmeréservequepourla rédactiond'un budget,je suisfondéà direque,selontouteapparence,l'excédantde 1865serade 50millionsau moins,cequi,pour une périodede dix ans,donnerait500millions.11faut tenircompteausside l'accroisse-ment de ce boni de 50 millions,en 1866et annéessuivantes,par laplus-valuegraduelledurevenumunicipal,touteaugmen-tationdeschargesannuelles.compensée,et je ne croispasexa-

gérer en le calculantd'aprèsune moyennede2,500,000fr. parannée,moindrede moitiéque celledesexercices1863et 1864.On a ainsi,pourles neufdernièresannéesde la période,uneautresommede112,500,000fr.,quiportele disponibleprésumédu revenumunicipal,de 1865à 1874,au totalde612,500,000fr.

J'admets,par impossible,que les recettesextraordinairesn'y

Page 91: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

-89-

viennent rien ajouter, c'est-à-dire que toutes aient des affecta-tions déterminées.

Je dois déduire de ce total, pour l'amortissement de la dette,100 millions. Sans doute, la somme nécessaire à l'amortissement

qui est de dix millions seulement pour 1865, s'élèvera les années

suivantes; mais l'accroissement du capital à rembourser sera

compensé exactement par la diminution des intérêts à servir,puisque toute la dette fondée de la Ville est constituée en an-nuités égales. 100 millions suffiront donc à tout dans la situationdes choses que j'ai en vue, et il restera libre, pour les améliora-tions de toute nature, 512,500,000 fr.

Nous avons vu plus haut que la dépense à couvrir pour assu-rer l'achèvement de tous les grands travaux engagés et pour ter-miner l'assimilation à Paris de l'ancienne zone suburbaine,monte à 350 millions. Mais dans cette somme est comprise celle

qui est nécessaire pour rembourser à la Caisse dés travaux deParis la totalité de ses avances et si l'on suppose un. rembour-sement intégral qui rendrait inutile toute émission subséquentede valeurs de crédit de la part de cette institution, il faut re-connaître que, dans cette hypothèse, la subvention d'environ

3,750,000 fr., qui figure au projet de budget de 1865, devien-drait sans emploi et accroîtrait encore l'excédant du revenu surles charges annuelles de la Ville. Ce serait, pour dix ans, un ca-

pital de 37,500,000 fr. qui compenserait, jusqu'à due concur-

rence, la somme de 350 millions à couvrir et la ramènerait

à. 3t2.500.000

Toutefois, ce chiffre n'exprime pas toutes les

dépenses extraordinaires auxquelles la Ville de-vra faire face d'ici à dix ans.

Il y aura lieu probablement de continuer quel-que temps encore les subventions extraordinai-res allouées à l'administration de l'Assistance

publique. Il est excessif de les fixer pour toute la

période à 1 million par an je le fais cependant,ci. 10.000.000

L'an dernier, dans l'exposé du budget de 1864,j'ai établi que la restauration des édifices reli-

A reporter

Page 92: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

-90-

Report 322.5ÙO.000gieuxdel'ancienParis(les besoinsdes édificesreligieuxdes territoires annexéssont prévusdansmon évaluationde cequiresteà fairesurcesterritoires)exige8 millions,et la construc-tiondenouveauxédifices,17, ensemble,25,

et qu'ilen fautautantpourles établissementsuniversitairesetscolaires.C'estdoncunesommede50millionsqu'ilconvientdeporteren compte,du chefde cesdeuxseulescatégoriesde cons-tructions.Eny ajoutant30millionspourles au-tresédificesde toute nature de l'ancienParis,onarrive à un totalde 80.000.000

C'est8 millionsen moyennepar an, au lieude4,752,000fr. qui sont inscritsau budgetde1865.

Lesgrandstravauxdespontsetchausséesdel'ancienParissont convenablementdotés danscebudget,moyennant5,755,000fr. Ilsurfitdoncde supposerqu'ilsconserverontcette allocationpendantles dix ans, ce qui donne au total57,550,000fr. ou,en sommeronde. 60.000.000

Ensemble. 462.500.000Ona donc,sansexcéderlemontantdes res-

sourcesprobables,une réserve,pourles casim-prévus,de. 50.000.000

Sommeégale. 512.500.000

Vousle voyez,Messieurs,en dix ans la Villepeut, sansau-cuneaggravationdeschargesdesesadministrés,et mêmesansaucunemprunt,faitefacelargementà toutessesobligationsetà touteslesnécessitésprévuesou imprévuesde sesdiversser-vices.

Les engagementsqu'elle a contractésenvers l'Etat par letraitédu3 mai 18v8,pourle percementd'un réseaudéterminédenouvellesvoiespubliques,doiventêtreremplisd'icià la fin

de1868;maisellea traitéavecdescompagniespourl'exécutiondes lignes principalesdansun délaiplusrapproché,et cequi

Page 93: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

-91-

lui resteà faire directementn'est pas assezconsidérablepourlui créer le moindreembarras. Rienne l'oblige à termineravantdixans lesopérationsdiversesdela voiepubliquequ'ellea entreprisesconcurremment,et pourlesquellesaucunesubven-tionne luiest allouée.Il en est demêmedesdépensesextraor-dinairesdé toute naturenécessitéespar l'extensiondes limitesde Paris,commeaussides grandstravauxd'architectureet deponts et chausséesà faire dansl'ancienParis.Il est désirablequ'ellehâte autant que possiblel'exécutionde plusieursdesopérationscomprisesdans les diversesparties de son pro-gramme mais,avant tout, il fautqu'elles'astreigneà propor-tionnerses effortsà la réalisationde ses ressources.Il ne fautpas perdre de vue,d'ailleurs, quelesgrandstravauxde voiriequi lui restent à menerà finfigurentdansmescalculspourladépensenettequ'ilsdoivententraîner,et qu'ondoiten assurerle servicede trésorerie.

C'est,en effet,de cecôtéque sont venusles seuls embarrasquel'administrationmunicipaleaitrencontrésdepuisdouzeans.Engagéedansun grandmouvementdefondspar lesentreprisesque l'Etatl'encourageaità poursuivre,ellea été souventgênéepar lesentravesquela limitationtropétroite du servicede laCaissedesTravauxde Paris,faitedansunepenséede prudenceconsciencieuse,maismalentendue,y a toujoursapportées.L'o-bligationde suppléerà l'insaffisancedu capitalde roulementcréé par l'émissiondesvaleursdecréditde la Caisse,au moyende sesrevenus,qui n'auraientdû servir qu'a l'amortissementgradueldes avancesfaitespar cetteinsiitutionà sesdiversesentreprises,a amenéforcément,dans la conduitede chacuned'elles,deslenteurspréjudiciablesà la bonne et économiqueexécutiondestravaux,quiont excité,d'ailleurs,lesplaintesdetouslesintéressés.

LaVilleestricheen revenus, trop richeau gré de certainespersonnes,lesquellesvoudraientqu'au lieu de consacrerauxgrandesopérationsquijetteronttant de lustresur cetteépoquede l'histoirede Paris,les excédantsde ses recettes sur ses dé-pensesordinaires,ellelessupprimâtpurementet simplement,en dégrevantpourautantles taxes locales.Ces personnesou-blientque,sauf quelquesmodificationsde détail, commandéespar desraisonsde justeproportionnalitéentre les chargesdes

Page 94: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

-92-

assujettis, le tarif de l'octroi de Paris n'a pas subi de change-

ment sous l'édilité actuelle, bien qu'il soit incontestable quetoutes choses aient notablement augmenté de prix, par l'effet de

la réduction graduelle de la valeur du numéraire, et que ne pas

aggraver ce tarif dans de telles conditions, c'était le réduire, en

réalité.D'autres personnes, comprenant mieux les vrais intérêts de

la population et se rendant bien compte de la situation singu-lière Mie à la Ville par l'exiguïté de ses ressurces de trésorerie,

comparée à l'abondance de ses revenus, pensent que ce serait

faire un acte de bonne administration et de bonne gestion finan-

cière tout à la fois que de détendre cette situation, en bliénant

une partie des revenus de la Ville pendant un laps de temps plus

ou moins étendu, pour se procurer un capital considérable qui

permit de réaliser promptement, en cinq ans par exemple, tout

ce qu'elle ne saurait faire sans cela qu'en dix ans, comme le

prouvent mes derniers calculs.

La question est grave et mérite un sérieux examen. Vous la

méditerez, Messieurs, et vous déciderez s'il est plus expédient

de presser le terme des opérations engagées par un emprunt,

ouplus sage de continuer à opérer, durant les cinq années de

votre mandat, d'après des budgets dressés dans le système de

celui dont je place le projet sous vos yeux, sauf à laisser à vos

successeurs le soin d'achever ces opérations. Il me suffit, quantà présent, d'avoir établi que rien ne vous oblige à opter pour

un parti plutôt que pour un autre.

Je ne vois qu'un seul cas où l'émission d'un emprunt pourraitdevenir p;us pressante, ce serait celui où l'Etat mettrait la Ville

en demeure d'entreprendre un nouveau réseau de percements

dans Paris, afin de compléter 1'oeuvre commencée selon le plan

d'ensemble dressé, dès le principe, par l'Empereur même. En-

core, dans ce cas, le plus ou le moins d'opportunité de la mesure

dépendrait-il des termes de la convention qui interviendrait

entre les parties.Je ne sais si je m'abuse, Messieurs, mais il me semble que

jamais situation financière n'a été plus rassurante que celle dont

l'appréciation vous est soumise, et qu'en présence des résultats

obtenus pendant les douze années accomplies depuis le rétablis-

sement de l'Empire, avec une ressource initiale qui se bornait à

Page 95: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

-93-

un excédant de revenu de 17 millions et demi, on peut, sansaudace, aborder résolûment la tâche de faire moitié moins, lors-qu'on a pour point de départ une ressource presque trois foisplus forte.

Maintenant, d'ailleurs, que la majorité de la population, aulieu de s'éloigner de notre œuvre comme autrefois, s'y rallie vi-siblement de jour en jour, le courage nous est moins difficilequ'alors. Il ne nous en faut plus désormais que pour résister auxséductions, aux entraînements de l'opinion, qui, d'hostile deve-nue favorable, réclame instamment aujourd'hui, sur une fouledepoints, les travaux qu'elle condamnait naguère partout.

C'est un nouvel exemple, après tant d'autres, de l'esprit dedivination qui lui fait devancer son époque dans toutes les voiesdu progrès, et grâce auquel Paris deviendra la première villedu monde, comme la France lui doit déjà d'être replacée entête des nations civilisées.

Page 96: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

TABLE

A Messieurs les membres de la commission. 5

1. Positiondela question. 7

Il. Voltaireet M.Haussmann 9

111. La confession de M. Haussmann Grands travaux

et grandesbévues. 13IV. Mauvaises excuses. 21

V. Les conseillers de M. Haussmann. 28

VI. La légalité de M. Haussmann 33

VII. M. Haussmann devant la Cour des comptes. 41

VIII. Oùmènel'illégalité. 49IX. Le bilan de la Ville Les excédants. 51

X. Le bilan de la Ville Les plus-values. 58

XI. Conclusionpratique. 67

APPENDICE

Note I. Extrait du mémoire de M. le préfet de la Seine,du 11 décembre 1867. 69

Note II. Communiqué adressé au Temps. 80

Note III. Extrait du mémoire de M. le préfet de la Seine,

du 11 décembre 1864. 83

Page 97: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

LES FINANCES

DE

L'HOTELDE VILLE

PAR

J.-E. HORN

Paris aux Parisiens

Page 98: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry
Page 99: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

LES FINANCES

DE

L'HOTEL DE VILLE

1

Impossible d'en dauter M. le baron Haussmann se sent sérieuse-

ment ébranlé. A la première atteinte, il y a trois ans environ, il se

borna à en appeler de Paris qui critique à l'Europe qui admire, de

l'ingratitude aveugle des générations présentes à la reconnaissance

éclairée de la postérité. Une année après, on le voyait, plus mélan-

colique, poser en génie incompris, en bienfaiteur méconnu. Aujour-

d'hui, aux récriminations et plaintes se substituent des faits posi-

tifs le Préfet de la Seine cède, et sur deux points essentiels.

Habitué depuis quinze ans à régenter, avec un pouvoir ,presque

absolu, les intérêts des populations parisiennes, il serait prêt à

admettre désormais l'intervention partielle du Corps législatif le

budget extraordinaire de la ville de Paris serait soumis annuellement

aux délibérations du Palais-Bourbon. Habitué à surélever, année par

année, le chiffre de ses largesses, maintenant il daigne s'arrêter,

reculer même; le budget de l'année 1869 est inférieur de vingt-et-

un millions de francs au budget que M. Haussmann s'était accordé

pour l'exercice 1868.

Que signifient et que valent ces concessions ? Attestent-elles un

changement de principe, de système? Sont-elles de nature à modifier

une situation que les esprits indépendants jugent contraire aux prin-

cipes de liberté et de justice, préjudiciable aux intérêts vitaux de la

capitale française?

II

Pour apprécier la réduction de vingt-et-un millions de francs intro-

duite dans le budget de l'année 186U, il faut en marquer la place, en

Page 100: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

-98-

signaler la raison, en constates l'effet. La place ? Le retranchement

porte sur la troisième et la quatrième sections (dépenses

taires dépenses spéciales), la partie la plus facultative du budget

parisien; le gros reste, obligatoire, est accru de nouveau dans une

proportion considérable. La raison ? Elle est suprême il n'y avait pas

moyen de faire autrement; la réduction était indispensable, parce

que les ressources manquent absolument. L'effet? Plusieurs jour-naux l'ont signalé déjà et les Communiqués de M. Haussmann ne l'ont

démenti que du bout des lèvres l'effet, c'est la suspension forcée

d'importants travaux en voie d'exécution; il faudra tout aussi forcé-

ment les reprendre, dès que faire se pourra.Prouver ces dires ne sera pas difficile. C'est nécessaire, toutefois.

Les faits que nous signalons n'éclairent pas seulement la situation

du jour; ils peignent le système dont ils sont la conséquence fatale.

Une rapide analyse des documents officiels eux-mêmes suffira pour

le faire connaître.

Voici les quatre budgets, ou sections de budget, de la ville de

Paris, avec les dépenses projetées pour l'année courante et les allo-

cations qui avaient été votées pour l'exercice précédent

D'un seul bond, les dépenses sur fonds spéciaux (n. 4) sont réduites

de trois quarts presque elles dépassaient les soixante-et-un millions

en 1808 et descendent, pour 1869, à seize millions. En même temps,le budget des dépenses supplémentaires (n. 3) perd le quart environ

de son allocation: quatre millions et demi sur les vingt qui lui

avaient été assignés l'année précédente. Pourquoi ces subites dimi-

nutions ?

C'est que les deux budgets ou les deux sections de budget s'ali-

mentaient surtout par le crédit. Ostensiblement, c'était l'emprunt

légal de deux cent soixante-dix millions voté en 1865 par le Corps

législatif; cet emprunt est consommé le huitième et dernier terme

en échoit dans ce moment même. Effectivement, c'était encore la

dette extralégale de quatre cent-soixante-cinq millions contractée

vis-à-vis du Crédit foncier, et que le Corps législatif va régulariser

après coup. Effectivement, c'était encore- le rapport de M. Devinck

en fait foi un emprunt de quatre-vingt-dix-neuf millions fait à

la Caisse des travaux publics; le payement en est échelonné sur un

espace de temps de huit ans. C'était encore une avance de plus de

Page 101: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

-99-

cinquante-neuf millions consentie par le même établissement; elleest remboursable en diverses échéances réparties sur deux années.

Tout y a passé. Ressources légales et illégales, emprunts avoués et

emprunts déguisés, avances directes et avances en bons de caisse;tout a été exploité durant les dernières années. Ces grands travaux

et ces dépenses folles dont M. Haussmann s'enorgueillit tant, c'est,en première ligne, l'endettement, l'endettement poussé jusqu'à ses

limites les plus extrêmes, qui y pourvoyait. Tendue il l'excès, la

corde du crédit menace de casser. Un répit est indispensable, ne fût-

ce que pour se dégager quelque peu et pouvoir retrouver du crédit.

C'est impossible, ou peu s'en faut, dans ce moment.

III

Des lors le brusque retranchement de près de cinquante millions

de francs sur les quatre-vingt-et-un millions des budgets supplé-mentaire et spécial (1) se comprend merveille Mais à qui fera-t-on

accroire que ce retranchement, pour n'être rien moins que spontané,soit sérieux, qu'il puisse être maintenu en fait ?

On n'arrête pas à volonté et instantanément un convoi lancé à

toute vapeur. Que deviennent les« amorces » de tant de percementsébauchés et pour l'exécution desquels la ville ne trouvera d'entre-

preneurs concessionnaires qu'autant qu'elle s'imposera des chargesnotables? Citons deux voies seulernent; leurs dénominations déjàsemblent interdire la pensée de l'abandon, de l'échec. Le boulevard

Haussmann, poussé jusquà l'étroite rue Taitbout, aboutissant impos-sible pour une voie aussi magistrale, attend avec impatience le très-

coûteux achèvement qui doit le conduire au boulevard Montmartre.

L'avenue de l'Empereur, entre le théâtre Français et le nouvel Opé-

ra, fait depuis trois ans l'objet de négociations stériles; la ville de

Paris, pour déterminer la Compagnie immobilière projetée à cet effet,

devra se dépouiller et la subventionner des terrains qui constituent

aujourd'hui sa dernière réserve, l'unique reste de son actif.

Et les engagements pris envers la banlieue annexée en 1860? Ses

charges s'accroissent de jour en jour avec celles de l'ancien Paris

pas plus tard qu'hier, la Commission municipale elle dit pourtant

ployer sous le faix de sas embarras de richesses! a imposé quatrenouveaux centimes supplémentaires à ses administrés. D'autre part,les facilités provisoires qui, au point de vue de l'octroi, avaient été

accordées aux communes incorporées sont expirées depuis deux ans

(1) Eu 18GS Sl,12ï.740 IV. en 1869 31,538,397 fr.

Page 102: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

100

ou expireront à la fin de l'exercice courant. L'équité et la politique

commandent de ne pas trop retarder les compensations promises.Cela n'est pas chose de peu d'importance Paris annexé laisse énor-

mément à désirer, pour ce qui regarde les facilités de circulation,

l'éclairage, le pavage, les écoles et autres édifices publics.Et les trois cent mille ouvriers du bâtiment et des industries ap-

parentées, que les entreprises de l'IL Haussmann ont fait affluer

Paris ? Il faudrait en toutes circonstances une forte dose de courage

pour licencier une telle armée, du matin au soir. L'administration

actuelle est moins que toute autre, en état de risquer la périlleuse

épreuve. Elle aime tellement jouer à la petite I'rovidence! Elle a

tant de motifs pour ne pas multiplier les mécontentements si nom-

breux, pour ne pas aiguiser les souffrances si vives

Le retrait subit de trois quarts sur les dépenses des budgets

supplémentaire et spécial, tout inévitable qu'il soit financière-

ment, est donc moralement et pratiquement irréalisable. Voilà

justement l'un des traits les plus caractéristiques d'une situation

embarrassée l'excès! On est dans l'impossibilité de faire ce que,

d'autre part, il est impossible de laisser.

Encore faut-il noter ce détail important l'allocation de trente-un

millions et demi, maintenue sur les quatre-vingt-et-un millions dont

les budgets supplémentaire et spécial étaient dotés l'année dernière,

n'est elle-même qu'apparente. L'exercice 18(ja n'en a pas rentière

disponibilité.

Ainsi, dans les vingt millions qui, en 1808, constituaient la dota-

tion du budget supplémentaire, seize millions et demi étaient des-

tinés et ont servi aux dépenses imprévues. Cette allocation,

des plus indispensables avec une gestion si peu prévoyante

et si peu économe que celle de M. Haussmann, est limitée pour 1861.)

douze millions et demi de francs. Eh bien, sur cette somme ré-

duite, huit millions seront prélevés pour aider à constituer les tren-

te-neuf millions que la ville de Paris doit, en 1809, rembourser à la

Caisse des travaux publics sur son avance directe de plus de cin-

quante-neuf millions. Le même emploi doit être donné sur l'alloca-

tion si réduite du budget spécial, à une somme de 8 millions r)9,7DGfrancs.

Que reste-t-il sur ces deux budgets, le pivot « des entrepriseshaussmanniennes, » pour les travaux prévus et les dépenses non pré-vues ? Rien, presque rien.

IV

A la vérité, les grands travaux et les dépenses imprévues ne figu-

Page 103: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

101

rent pas que dans les troisième et quatrième sections du budget de laville de Paris. Leur place est également marquée dans la deuxièmesection, ou le budget extraordinaire. Mais la réduction est énorme,la aussi, au budget de l'année courante.

Le chapitre (23) des grands travaux d'utilité publique se décom-

pose en deux articles opérations do voirie autres travaux. En1808, l'allocation était de vingt-cinq millions pour le premier articleet de quinze millions pour le second ensemble quarante millionsde francs. Pour 1869, l'allocation est abaissée ;i vingt-quatre et res-

pectivement à douze millions; mais ce crédit diminué (36 millions)n'est que pour un tiers à la disposition effective de l'exercice cou-rant. Une somme de vingt-trois millions en est prélevée pour parfairel'échéance de 39 millions 59,796 fr., dont il vient d'être parléo Resteen réalité au profit de l'exercice actuel, une somme detreize millions,soit 27 millions de moins qu'en 1868.

Le fonds de réserve (chap. 24) pour dépenses imprévues étaitpourvu l'année dernière, au budget extraordinaire, d'une allocationde près de deux millions six cent mille francs on l'abaisse, pour1869, au-dessous de la moitié de cette somme (1,250,000 fr.).

Ainsi, l'entreprise-maîtresse (démolitions, percements, construc-tions et reconstructions l'infini) dans laquelle se résume le règnede M. le baron Haussmann., disposait l'année dernière des sommes

que voici 40 millions au budget extraordinaire 16 millionset demi au budget supplémentaire; 61 millions (chiffre rond)au budget spécial. C'était, pour dépenses prévues et imprévues,un ensemble de plus de cent seize millions. En 1869, les dispo-nibilités budgétaires correspondantes sont, en fait, abaissées au-dessous du tiers de cette somme trente-cinq millions et demi defrancs

Pareil recul peut-il être sérieux, spontané ? Evidemment, ni l'unni l'autre. Les faits l'attestent suffisamment.

Mais si la réduction opérée sur les dépenses des budgets supplé-mentaire et spécial n'est guère sérieuse l'augmentation des dé-

penses dites ordinaires est sérieuse au suprême degré.On l'a vu dans notre tableau-résumé des dépenses (p. 4) les

charges « ordinaires » de la ville de Paris; s'accroissent d'uneannée (1868) l'autre (18G9),de la somme de vingt-neuf millionsenviron. Voilà bien un «progrès » incontestable. ILest rapide, ef-

frayant. Il résume fort bien l'administration de M.Ilaussmanne Ainsi,la veille de son entrée en fonctions, en 1852, la dette exigeait, pourintérêts et amortissement, environ dix millions de francs. Où ensommes-nous aujourd'hui ? Les quarante-six millions qu'elle réclameau budget ordinaire de 1869 ne représentent que le payement des

Page 104: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

-102-

intérêts (1). Elle réapparaît au budget. extraordinaire, pour l'amor-

tissement elle n'y demande pas moins de quinze millions et demi de

francs. Les charges de la dette s'élèvent ainsi à près de soixante-

deux millions de francs par an! (2)C'est plus que le sextuple de ce que la dette demandait annuelle-

ment Ù Paris, au début du second empire C'est quatorze millions

de plus que ne réclamait, la même époque, le budget tout entier

de la ville de Paris C'est le tiers en plus sur la somme qu'exigeait,à la chute du premier empire, la dette publique de la France.

Et en présence de faits aussi accablants et aussi irrécusables, l'on

vient parler de la prospérité des finances municipales? l'on va soute-

nir qu'aucun accroissement des charges n'est imposé aux popula-tions ? L'on ose faire miroiter devant leurs yeux la perspective de

prochaines réductions 3'impôts? M. Haussmann rirait de notre naïveté,

si nous prenions au sérieux ces alléchantes perspectives; l'état de

ses budgets en rend la réalisation purement impossible.

Pour 1867, dernier exercice dont les comptes soient arrêtés, les

sommes mises quasi-légalement à la disposition de M. Haussmann,

pour les besoins d'une ville de dix-huit cent mille habitants, ne

s'élevaient pas à moins de deux cent et quarante-cinq millions de

francs-. Le chiffre, pour ne citer qu'un seul terme de comparaison,

dépasse de quatre-vingt millicns de francs le budget de la Belgique.Ce pays a cependant cinq millions d'habitants il compte parmi les

contrées les plus riches dn continent il pourvoit largement à tous

les besoins des services publics; depuis quelques années, il ne se

refuse même pas le ruineux IuxE des armements t fortifications

exagérés.

Réparties sur la population parisienne, les dépenses avouées de

l'année 18G7 porteraient le contingent de chaque habitant à 125 fr.

par an. Pour la famille ou le ménage moyen, qui est de trois per-sonnes Paris, la charge annuelle serait de 375 francs, quand déjàl'Etat lui demande près de deux cents francs! Une moyenne contri-

butive aussi forte, si peu proportionnée aux ressources de l'immense

majorité des habitants, est une impossibilité morale ce serait une

impossibilité matérielle, si les deux cent quarante-cinq millions de-

vaient, chaque année, être fournis directement par l'impôt. M. Hauss-

mann, on l'a .vu, en demande régulièrement une partie en crédit,

qu'il exploite sous toutes ses'formes. Et le résultat? En présence d'un

accroissement continu de.^ revenus dits ordinaires, l'administra-

(1)L'allocation est de 46,170,825 fr. pour 1869, contre'21, 044,364fr. en 1868. Il nu-rite d'être remarque que ce dernier chiffre dépassait déjà de 1,913,492 fr., l'allocat;on

respective de l'année 186ï.

(2) Exactement 4(5,170,823 1. 15.469,457 = 61,400,282 fr.

Page 105: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

-103-

a

tion est condamnée au déficit en permanence; année par année,

même dans le temps normal et relativement prospère, l'insuffi-

sance financière sera inévitable désormais; le moindre accident la

changerait en impuissance absolue.

Oui, avec les annuités nouvelles que lui impose le dernier endet-

tement de M. Haussmann, la ville de Paris ne devient pas incapableseulement d'alimenter ses budgets extraordinaire, supplémen-taire et spécial, naguère si largement dotés; elle est hors d'état

de répondre, par des ressources normales, aux exigences obliga-

toires, courantes, de son budget. C'est le budget ordinaires lui-

même qui est malade, et presque incurable.

Voilà le résultat le plus clair de l'administration autocratique,

incontrôlée et irresponsable de M. Haussmann; voilà le fruit le plus

positif de la « grande oeuvre » qu'il poursuit avec une si étrange

obstination. Sur le fruit on juge l'arbre, dit, après l'Evangile, le

dernier discours du trône. Voilà le fruit; jugez l'arbre!

V

Mais il faut, avant d'aller plus loin, vider une importante ques-tion préalable, dans laquelle certaines personnes voient, la réponse à

toutes les critiques. Cette question, la voici serait-il vrai que l'en-

treprise de M. le préfet de la Seine ne pèche, tout au plus, que parle côté financier ? Des avantages d'autre nature compensent-ils les

écrasantes charges pécuniaires qu'elle impose aux générations pré-

sentes et futures des contribuables parisiens? Ces avantages balan-

cent-ils les embarras croissants, les dangers visibles, qu'elle en-

traîne pour les finances de la ville ?

On l'affirme sur tous les tons dans les Mémoires et les toasts

annuels de M. Haussmann dans les Communiqués dont il n'est pasmoins prodigue que des millions parisiens; dans les rapports toujours

approbatifs de M. Devinck, organe du comité des finances munici-

pales dans l'exposé des motifs et dans le rapport législatif sur les

traités signés entre M. Haussmann et le Crédit foncier. Voyons ce quevaut l'affirmation. Les Parisiens payent déjà la grande oeuvre de

seize années d'asservissement absolu, d'impôts trop lourds, de l'épui-sement complet des ressources publiques; peut-être la payeront-ilsdemain de l'absolue insolvabilité municipale? Cela vaut une étude

sérieuse.

Certes, M. le baron George-Eugène Haussmann est grand et son

œuvre est formidable à faire peur, à donner le vertige. Cette har-

Page 106: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

104-

diesse dans la conception que n'effraye aucun obstacle et n'arrêteaucun scrupule cette activité dévorante qui, dans l'exécution, neconnaît ni bornes, ni trêve cette puissance indéfinie qui peut tantoser sans rien risquer tout cela est étrange, insolite. Jamais admi-nistrateur municipal n'a remué tant de millions et tant de moellons,abattu tant de maisons et déplacé tant de locataires. En vain cher-cherait-on à travers le monde occidental un autre fonctionnaire

exerçant une influence aussi tranchante et aussi persistante sur toutesles conditions d'existence de dix-huit cent mille citoyens dits libres.Je parle de ceux qu'elle atteint directement, les habitants de Paris.Par le contre-coup, l'influence haussmannienne franchit largementl'enceinte de la capitale.

Soyons juste. L'idée double que l'on dit présider l'entreprise deM. Haussmann assainir Paris et faciliter la circulation est ra-tionnelle, opportune il est vrai qu'elle préexistait à l'avénementdu préfet actuel et même avait eu un notable commencementd'exécution. Passons sur ce détail, puisque tant on aime à le laisserdans l'oubli. Reconnaissons encore que l'idée paraît avoir reçu, sur

plusieurs points de Paris, une application entendue.Oui, on a assaini bien des quartiers. Comparez les larges avenues

et les majestueux boulevards qui aujourd'hui sillonnent les quartiersde l'hôtel de ville, de l'enclos Saint-Laurent, de Popincourt, du Pan-théon, du Luxembourg, aux rues et ruelles tortueuses, étroites,infectes, qui naguère les obstruaient; comparez les vastes bâtiments,mi-palais, mi-casernes, qui bordent les voies et places nouvelles, auxmasures, aux cours et passages sinueux, obscurs, mal pavés, aux-quels ils ont été substitués Evidemment, l'air et la lumière ont unaccès plus libre, affluent plus abondamment.

Oui, on a créé des facilités nouvelles à la circulation. Elle les obtient assurément par le boulevard de Strasbourg, qui, avec ses pro-longements (boulevards de Sébastopol et de Saint-Michel) établit unecommunication directe entre l'extrémité septentrionale et l'extré-mité méridionale de l'ancien Paris; elles les trouve encore dans larue Lafayette qui relie entre elles trois des principales gares (Nord,Est et Ouest), et, par son prolongement (boulevard Haussmann),rapproche si notablement l'industrieuse Chapelle de l'élégant quar-tier de l'Étoile. Une ou deux voies nouvelles sur la rive gauche, larue de Rennes notamment, sont dans les mêmes conditions.

Oui encore, l'utilité n'est pas le seul côté par lequel frappent cesgrands travaux d'assainissement et de viabilité. A l'utile, ils join-draient la beauté et la grandeur. Ces boulevards sans fin et aussi rec-tilignes que possible ces files de maisons colossales que l'on diraitdécoupées sur le même patron ces squares où un art de pépinié-

Page 107: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

105

riste consommé improvise la végétation; ces casernes, églises etthéâtres que l'on construit comme points de vue », feront de Paris,

affirme-t-on, la ville la plus splendide et le séjour le plus agréabledu monde. C'est fait déjà, au dire des optimistes. Paris nouveau

étonne, fascine, éblouit; M. Haussmann l'a rendu méconnaissable; il

finira par le rendre inimitable ».

VI

L'étranger qui traverse la moderne Babylone, ou en flâneur l'ar-

pente nonchalamment, peut s'en tenir à cette première impression;

le temps lui manque, le goût encore et le motif sérieux pour

approfondir. Aussi a-t-il l'approbation facile. M. Haussmann,

à tout propos, s'en prévalait aux critiques de la population pari-

sienne, il répondait volontiers par l'admiration enthousiaste de

l'Europe voyageuse. Pourquoi n'approuverait-elle pas, surtout aux

somptueux dîners et aux bals féériques de M. le Préfet? Ce serait

un manque de savoir-vivre, dont les invités de l'hôtel de ville, tou-

jours plus ou moins augustes, ne sauraient se rendre coupables. Puis,

qu'en savent-ils? Ils ne voient guère le revers de la médaille; que

leur importe? Ce n'est point sur leur dos qu'on la frappe.Bien différent est le lot du Parisien. Tout le pousse à examiner de

près les « merveilles» qui s'accomplissent autour de lui. Les charges

qu'elles entraînent ne dépassent-elles pas ses forces ? Les sacrifices

qu'on lui impose, trouvent-ils toujours un emploi rationnel, hon-

nête, utile? N'excèdent-ils pas, malgré tout, les avantages promis,

possibles ? Les avantages existent-ils pour tous et sont-ils répartisen proportion des charges ? Ces questions et bien d'autres se présen-tent toutes seules à l'esprit du contribuable parisien et fatalement

arrêtent son essor admiratif.

C'est sa liberté que l'on confisque, sa dignité que l'on outrage; ce

sont ses intérêts que l'on lèse par la mise sous tutelle. C'est lui quele marteau des démolisseurs chasse de la maison, de l'appartement,

auxquels il s'est attaché du centre de ses affaires, de ses relations,de ses affections. C'est lui qui pâtit des embarras de logement et du

renchérissement croissant des loyers qu'occasionne cet interminable-

bouleversement de tous les quartiers de Paris. C'est lui qui fournit

aujourd'hui et qui fournira demain, par la voie de l'impôt, les

sommes exagérées qu'absorbe l'inguérissable fièvre de démolitions dont

notre édilité est possédée. Cela fait penser et pousse à examiner,

d'autant plus, que ces perturbations et ces charges vous viennent

Page 108: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

106

d'un pouvoir non élu ni électif, d'un fonctionnaire sans mandatni contrôle de votre part vrai régime de bon plaisir oriental, avec

l'abondance occidentale d'expédients en plus.

VII

Pour juger avec autorité, commençons par préciser les faits. Mesu-

rons surtout l'activité démolisseuse de M. Haussmann. C'est par la

démolition que, presque toujours, débutent ses percements; c'est

par elle que l'administration préfectorale exerce une influence si

profondément perturbatrice sur le sort des populations parisiennes.

Je ne suis pas encore parvenu d'ailleurs à reconnaître, si c'est à dé-

molir l'ancien Paris ou à construire un Paris nouveau que M. Hauss-

mann tient le plus; bien des fois l'on dirait qu'il ne construit que

parce qu'il a démoli, ou que pour trouver l'occasion de démolir.

Le recensement de 1851 attribuait à Paris 30,770 maisons. Il y eneut 4,349 démolies en entier ou partiellement durant les années 1852

à 1859. Le le' janvier 1800, Paris englobe la majeure partie de son an-

cienne banlieue et recule ses barrières jusqu'à l'enceinte fortifiée. Dans

ce Paris agrandi, l'on démolit en entier ou partiellement le nombre

de maisons que voici

1,171 en 1860

1,144 en 1861

763 en 1862

993 en 1863

1,383 en 1864

1,942 en 1865

2,256 en 1866

2,325 en 1867

1,764 en 1868

Soit, pour les neuf années réunies, un total de 13,741 maisons:

environ deux mille maisons de plus que n'en contient la seconde

ville de France Avec les 4,349 maisons démolies entre 1852 et 1859,l'on arrive au formidable chiffre (rond) de 18,000 maisons, abattuesà Paris depuis le début de l'Empire jusqu'au 30 septembre 1868 (1).C'est l'équivalent de treize à seize villes de l'importance de Bourg,Laon, Grenoble, Pau, Tarbes; l'équivalent de plus d'une trentainede villes comme Digne, Privas, Vesoul, Mende, Lons-le-Saunier.

En d'autres termes dans le court espace de seize ans, on a abattuà Paris bien plus de maisons que n'en comptent ensemble quinzerésidences préfectorales de troisième ordre, ou trente résidences

préfectorales de quatrième ordre.

Et je ne constate que des chiffres bruts Faut-il signaler la diffé-

(1) Les exercices, dans les statistiques de la préfecture, vont du ler octobre au

30 septembre suivant toutes nos donnésss'arrêtent donc au 30 septembre 1868.

Page 109: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

107-

rence énorme qui existe entre les maisons de Paris dont la va-

leur souvent se chiffre par millions, et les modestes bâtiments d'Ajac-

cio, de Mont-de-Marsan, de Napoléon-Vendée, qui valent quelques

milliers de francs, tout au plus? Au début de l'époque si impitoya-

blement démolisseuse qui nous occupe, les maisons de Paris logeaient

communément trente-cinq personnes. Le ménage moyen n'étant à

Paris que de trois personnes, trente-cinq locataires représentent

douze appartements. Une maison qui a douze loyers à percevoir,

vaut assurément, en.dehors du prix du terraisa, 200,000 fr. on atteint

le quintuple, le décuple, dans les quartiers du centre (Louvre, Temple,

Bourse, etc. ) c'est là précisément que la démolition a été la plus

active. Restons-en au chiffre moyen de deux cent mille francs ptr

maison. Les dix-huit mille maisons démolies de 1852 à 1868 représen-

tent alors une valeur de trois milliards six cent millions de francs,

détruite en l'honneur des percements. La belle hécatombe, comme

base ou point de départ de la grande oeuvre

Sur qui retombe la perte ? Assurément pas sur les propriétaires

des maisons démolies. Ils sont indemnisés sans parcimonie aucune;

l'expropriation forcée par la grâce de M. Haussmann est un désastre

fort productif, désiré, envié. Ce sont les Parisiens en masse qui

payent directement comme contribuables, ou indirectement, comme

locataires. Comme contribuables, ils fournissent les 1,866 millions

auxquels M. Haussmann évalue les déboursés directs de son adminis-

tration pour travaux de grande voirie et constructions de toutes

natures; comme locataires, ils payent l'intérêt de la plus-value fac-

tice que les démolitions, par la manière dont elles se font et par les

spéculations qui s'y rattachent, incorporent aux constructions nou-

velles. Il faut, pour ainsi dire, fournir le loyer d'une maison et demie,

de deux même, quand l'on n'en habite qu'une.

Une autre circonstance contribue non moins fatalement à suréle-

ver les loyers: les maisons nouvelles, quoiqu'infniment plus coûteu-

ses (plus hautes,plus spacieuses, plus luxueuses, etc.,)que les ancien-

nes, contiennent moins de logements. Ainsi, les 11,108 maisons

construites ou reconstruites à Paris durant ces trois dernières

années (1866-1868) fournissent ensemble 69,665 logements. c'est

627 logements par 100 maisons les 6,345 maisons démolies dans le

même espace de temps contenaient 41, 943 logements c'est 660 lo-

gements par 100 maisons. Comment les loyers pourraient-ils ne pas

augmenter ? Les cent maisons anciennes, représentant par exemple

un capital de trente millions, exigent, à raison de 5 p. 100, un revenu

de quinze cent mille francs. Les cent maisons nouvelles ayant coûté

50 millions, réclament, au même taux, un revenu annuel de deux

millions et demi de francs. Dans les cent anciennes maisons, les 600

Page 110: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

108-

locataires avaient à payer chacun environ 2,270 francs; les 627 lo-

cataires des cent maisons nouvelles devront fournir chacun près de

4,000 francs!

Impossible, dans l'état actuel, d'échapper à cette conséquence. A

moins de supposer que tous les nouveaux propriétaires sont des

prix Montyon, des modèles de désintéressement, il faut absolument

que leurs maisons, d'un prix de revient beaucoup plus élevé que les

anciennes, rapportent plus et quand ce revenu forcément supérieurdoit être fait par un nombre moins considérable de locataires, il y a

une double raison coercitive, pour que la quote-part de chacun, c'est-

à-dire le loyer, hausse dans une proportion fort large.

VIII

M. Haussmann répond par l'excédant des maisons construites et

des logements créés sur le nombre des maisons démolies et des lo-

gements supprimés la loi de l'offre et de la demande doit dès lors

faire baisser les loyers. Mais qu'y peut la loi économique de

l'offre et de la demande, si, par les circonstances qui viennent d'être

signalées, vous -en faussez fatalement le jeu? Oui, il la recherche

d'un logement, j'en trouverai dix de disponibles, quand naguère l'offre

n'eût étéque de huit. Quem'importe, si ceshuit étaientde millefrancs,

que les dix sont fatalement de seize cents francs, et que mes ressour-

ces ne me permettent pas de dépasser un loyer annuel de douze

cents francs ?

Mais, la généralisation en cette matière est vraiment par trop

commode et fort peu exacte. Une superficie de 78 kilomètres ne se

parcourt pas dans les dix minutes; l'on ne s'y déplace pas à vo-

lonté. Les maisons ou logements nouveaux que vous signalez aux

déménagés malgré eux, dans tel ou tel quartier plus ou moins excen-

trique, ne peuvent guère remplacer les maisons et logements des-

quels vos démolisseurs les expulsent.

Voyons d'abord la classe la plus nombreuse, celle des travailleurs

proprement dits. Il est au cœur de Paris des industries nombreuses

où, durant les six semaines qui précèdent le nouvel an, parfois aussi

au milieu de l'année, quand la commande presse, ouvriers et ou-

vrières travaillent de sept heures du matin jusqu'à onze heures du

soir et au delà. C'est excessif, je le sais, mais c'est accidentel, pas-

sager les ouvriers, payés a la tâche, l'acceptent librement, volon-

tiers. Ces journées exceptionnelles, ces « veillées, » leur permettentde faire telle acquisition indispensable ou de réparer la brèche quo

Page 111: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

-109-

quelques semaines de chômage ont produite dans leur modeste

budget. Dira-t-on sérieusement que cet ouvrier, qui travaille de septheures du matin à onze heures du soir dans le faubourg du Temple,est « libre » d'aller se loger à Auteuil ou à Vaugirard ? C'estle condamner à faire à minuit une heure de course, après

dix-sept heures de travail; c'est l'obliger à perdre journellementdeux heures en marches forcées sur les sept heures que l'ou-

vrage lui laisse disponibles pour souper, dormir et déjeuner!Montons d'un degré dans l'échelle économique. Est-ce que les

viellas construites à Passy, à Auteuil, au parc Monceaux, peuvent,

pour les commerçants et les fabricants, remplacer les maisons et les

ateliers que vous leur avez enlevés au cœur de la cité ? Précisons.Dans le premier arrondissement (Louvre) on a supprimé, depuisl'annexion, 6,205 logements qui tenaient dans 517 maisons; on acréé 2,525 logements qui occupent 239 maisons. Voilà 278 maisons

disparues sans compensation, et les maisons reconstruites ne con-tiennent chacune que 10. logements, quand les maisons qu'ellesremplacent contenaient 12.° logements en moyenne. Est-il possible

qu'il n'en résulte pas pénurie de logements ? Dans le même espacede temps (18G0à 1868), on a supprimé dans le troisième arrondisse-ment (Temple) 457 maisons, contenant en moyenne 12.° logementschacune on n'a reconstruit que 398 maisons, qui contiennent en

moyenne 10 logements. Le quartier de l'hôtel de ville a vu dispa-raître 452 maisons qui fournissaient chacune 10. logements on n'ya édifié que 439 maisons, qui, en moyenne, offrent 7 logementschacune. Le quartier du Panthéon (pour prendre un exemple sur larive gauche) a vu abattre 943 maisons, dont chacune fournissait11.5 logements il n'a vu construire que 397 maisons, offrantchacune 7 logements.

Ou la logique, la force des choses, l'arithmétique même, sont desmots vides de sens, ou la conséquence forcée de ces faits est ceci les

logements sont diminués dans ces centres de l'activité industrielleet commerçante de Paris ils sont fatalement renchéris dansune proportion supérieure même à ce qu'indiquerait l'amoin-drissement numérique. C'est dire que les anciens habitants sont

impitoyablement chassés de ces quartiers une moitié, parce que les

logements manquent, et l'autre moitié, parce que les logements

qui .restent sont au-dessus de ses moyens et ne sont guère confor-

mes à ses besoins.

IX

La question n'est donc pas de savoir si le nombre des maisons

Page 112: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

110-

nouvelles et des logements créés a Paris depuis seize ans dépasse

ou ne dépasse pas le nombre des maisons et logements supprimés.

Assurément, il y a excédant l'accroissement de la population l'im-

pose. Citez-moi d'ailleurs une seule capitalé de l'Europe qui n'ait

pas vu depuis 1852, par la même cause, augmenter le nombre de

ses maisons et de ses logements La vraie question, la voici la

manière artificielle, arbitraire, précipitée, dont s'effectuent l'agran-dissement et l'embellissement de Paris n'a-t-elle pas contribué fata-

lèment à augmenter, au lieu de diminuer, l'embarras des logements ?

Ensuite, est-il vrai ou non, que le premier et inévitable effet de vos

percements a été de jeter la plus profonde perturbation, souvent la

ruine et la misère, dans l'existence de milliers et de milliers de pe-tits fabricants, d'artisans, d'ouvriers, chassés sans retour du foyerde leurs travaux, de leur gagne-pain; de sacrifier l'utile au beau,le nécessaire au superflu et-ce qui est plus grave- le nécessiteux

au luxueux ?

Oui, la perturbation est énorme et le dommage aussi pour les

expulsés, dans ces arrondissements si populeux, où les dix-neuf

vingtièmes peut-être des habitations étaient, de la cave jusqu'au

grenier, en même temps autant d'ateliers et des magasins de vente.

L'immense majorité de ces expulsés 'était installée de père en fils

dans ces quartiers tous les aménagements y étaient accommodés

ses besoins; le fabricant s'y trouvait au milieu des ouvriers qu'il

occupe, des fournisseurs qui le pourvoient de matières premières,des marchands qui débitent ses produits. Un beau matin, le marteau

des démolisseurs abat et disperse tout cela. Propriétaires et groslocataires se partagent les fortes indemnités les milliers de petitslocataires sans bail doivent s'estimer heureux quand la préfecture

daigne parfois leur accorder l'aumône d'un terme de loyer, pour,dit-elle, payer les frais de leur déménagement involontaire

Que leur offre-t-on, sinon comme compensation, du moins comme

atténuation des torts si nombreux et si graves qui leur sont faits ?

La préfecture invoque une considération qui, fondée, serait d'un

grand poids l'œuvre de M. Haussmann servirait grandement les

intérêts de l'hygiène publique; les démolitions et percements inon-

deraient Paris d'air et de lumière. Soit. Reste à savoir au profit de

qui. Cet avantage de l'œuvre est-il pour ceux qui en supportent les

frais et les déboires de toutes natures ?

Les faits répondent négativement. Déjà nous l'avons fait ressortir:

les milliers et milliers de petits industriels ou commerçants, d'arti-

sans, d'ouvriers, que les démolitions sans relâche font partir du

centre de Paris, en sont chassés sans possibilité de retour. Les loca-

aires plus aisés, riches même, qui viendront habiter les rues et

Page 113: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

111

maisons nouvelles, trouveront plus d'air et de lumière que n'en

avaient eus leurs prédécesseurs. Mais ce bien-être assuré aux autres

peut-il compenser les ennuis et les pertes du déménagement forcé

pour les 4,252 familles que, dans ces cinq dernières années, le mar-

teau de vos démolisseurs a chassées du quartier de Saint-Laurent; des

4,719 ménages qui ont dû quitter l'arrondissement du Louvre; des

8,035 familles expulsées du quartier du Panthéon? Quelque géné-reux que vous supposiez les « nomades parisiens, ils auront mille

fois raison de se dire sacrifiés si, en retour des charges et des ruines

que vous leur imposez, vous ne savez leur montrer que les avan-

tages qu'obtiendront leurs remplaçants plus fortunés

X

« Expulsées du centre, les familles travailleuses, répond-on, trou-

veront, elles aussi, plus d'air et de lumière -ailleurs: dans les quar-tiers excentriques vers lesquels nous les refoulons. C'est tout avan-

tage pour elles nous prenons soin de leur santé, sans en avoir

l'air.», Est-ce que, par hasard, avant vos percements et démolitions,ces familles, si bon leur semblait, n'étaient pas libres d'aller se logerdans ces quartiers excentriques vers lesquels aujourd'hui on les

pousse de force? Si elles ne le faisaient pas, c'est qu'il faut vivre

avant tout. Les nécessités d'existence, les exigences du travail, du

gagne-pain, les retenaient dans tels ou tels quartiers vous les privezdes moyens d'existence ou du moins leur rendez le gagne-pain plusdifficile en les chassant du centre de leurs occupations, et vous leuroffrez comme compensation plus d'air et de lumière Ne faut-il

pas du pain avant tout ?

Mais il n'est pas même vrai que les familles trouvent à la périphérieles logements sains que d'autres se bâtiront au centre. Les terrains et

partant les loyers ayant partout renchéri, l'on voit se rebâtir dansles parties les plus reculées de la capitale, les ruelles, les passages,les cours les masures que vous abattez si impitoyablement aucentre. Écoutez ces doléances d'un spécialiste autorisé

Il s'agit de mettre un terme à la progression déplorable des

cités, cours ou passages particuliers qui se construise-rct dans Paris

et sa nouvelle banlieue. au mépris des principes de VhygiCne et dela salubrité. Tandis que nos édiles font pénétrer l'air et la lumièredans le vieux Paris en ouvrant de larges boulevards, en créant de

précieux ventilateurs, on voit se former, aux extrémités de la ville,des groupes de maisons étroites et malsaines, dans lesquelles une

Page 114: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

112

déplorable spéculation entasse nos ouvriers. Ces groupes de masures,

appelés viilas, cités, cours ou passages, selon la fantaisie des pro-

priétaires, sont au nombre déjà de cinq cents dans le Paris actuel.

Si nos édiles ont consacré en quinze années près de trois cent mil-

lions (!) pour assainir le vieux Paris, combien de millions ne faudra-

t-il pas dépenser dans un quart de siècle pour purifier les extrémités

de la capitale ?. »

L'accusation est précise. Est-ce M. Ernest Picard qui la formule

au Corps législatif ? Est-ce M. Léon Say qui l'articule dans le Jour--

naal des Débats ? Non, les anciens partis et l'opposition systématique

ne sont pour rien dans les lignes que nous venons de reproduire.

Elles sont empruntées à la Bibliothéqne municipale et font partie

des «voeux » adressés récemment à la Commission municipale de Paris

par le directeur si peu suspect de cette publication périodique, moins

suspecte encore. M. Lazare termine son exposé par cette apostrophe,

énergique lancée à nos représentants malgré nous

« llre laissez pas pl2cs longtemps nos ouvriers parisiens s'étioler

se flétrir dans ces bouges étroits et malsains qui font la lsonte de

Puris et de la civilisation »

Voilà comment M. Haussmann « prodigue l'air et la lumière »

dans les quartiers excentriques à ces centaines de mille d'ouvriers

qu'il expulse du centre sous prétexte de salubrité

XI

La salubrité d'une cité, d'une contrée, se mesure par trois élé-

ments l'augmentation du chiffre des naissances; la diminution des

décès; enfin et surtout, la proportion qui s'établit entre les deux

éléments un accroissement sain et intrinsèque de la population n'est

possible qu'autant que les naissances annuelles excèdent les décès.

Les naissances vont-elles en augmentant dans le Paris haussmannisé ?

Les décès vont-ils en diminuant ? L'excédant des premières sur les

seconds tend-il à s'accroître ? A toutes ces questions la statistique

officielle répond Non.

Paris nouveau compte aujourd'hui huit années d'existence. En

les divisant par groupes égaux de quatre années, l'on trouve

Pour 1860-03 211,015 naissances, et 169,692 décès

Pour 1864-67:218,260 187,472

On remarquera aussitôt que de la première période quatriennale

la seconde, les décès ont bien autrement augmenté (de 10. 5 p. cent)

Page 115: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

-113-

queles naissances(de3. 4 p, cent).Par rapportau chiffremoyende

la population l'on trouveque sur centhabitants,il y a par année

3. 14naissancesdans la premièrepériode(1860-1863)et seule-

ment3. 05naissancesdansla seconde(1864-67);par contre,iln'y

avait, sur centhabitants,que 2. 52décèsannuelsdansla première

période,et le chiffres'élèveà 2. 64dans la périodesuivante.Aussi,

les naissances,qui dépassaientde 24.35pourcent lechiffredesdé-

cèsen 1860-63,ne les excèdentplusque de15.70pour centdansles

quatre annéesqui suivent.Onl'a dit depuis longtemps rien n'est brutal commele chiffre.

Les chiffresque nousvenonsd'emprunteraux documentsofficiels

disent à quiconquesait lireque la salubrité Paris diminuesous

l'influencedes entrepriseshaussmanniennes.Elle est de beaucoupinférieureà celledela villede Londres,par exemple,oùla moyennedes trois dernièresannées fait ressortir 3.62naissanceset seule-

ment2.48décèspar an surchaquecentd'habitants.En d'autrester-

mes, sur cent millehabitants,il y a, annéemoyenneAParis. 3,050naissanceset 2,640décèsALondres.. 3,020 2,480 enfin, les

naissancesdépassentlechiffreannueldesdécèsde 16 0/0à peineà

Pariset de 450/0 à LondresEt M.Haussmannse targuede donnerla santéaux populations

parisiennes,defairede sonParis l'une des capitalesles plussaines

dumonde!Encorevingt ans de cerégime,et Paris, dépeuplé,sera

vivantcommeRomeet biend'autrescitésdéchues.

L'accroissementde la populationest des plus faibles.Entre les

deux derniers dénombrements(1861et 1866),elles'est augmentéeen moyennede26,000âmespar an 1.46p. 100.L'accroissementan-

nuelavaitété de 5.28p. 100dans la périodequinquennalede 1831

1836 de 3.15p. 100entre 1841et 1846;enfinde 4.10p. 100dans

Ipsannées1851à 1856.Quelrecul, quand on prétend progresser

toujours,progresseren touteschosesCeschiffresattristent; ilsne sauraientnousétonner.Il est impos-

sibledenepasagir contrel'hygièneet la salubritépubliques,de ne

pasentraverles progrèsnaturelsde la population,lorsque,par des

démolitionset desreconstructionscontinuelles,on jette la pertur-bation,la ruine,danstoutesles relations lorsque,annéepar année,

on condamnedes milliersde famillesà aller se logerdansdesmai-

sons à peineconstruiteset y gagner toutesles maladiesqu'en-traîne le triste métierd'essuyeurdesplâtres lorsque,par le renché-

rissementartificiel(spéculation,octrois,etc.) despremiersbesoins

dela vie, oncondamne la gêne, aux privationsde tousles jours,l'immensemajoritédespopulations lorsque, sous la pressiond'in-

Page 116: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

114

satiables besoins d'argent et d'une politique vaniteuse des plus faus-ses, on écrase l'industrie, on repousse le travailleur, ces vrais élé-ments de vie des cités modernes lorsque tout est mis en œuvre,par un potentat obstiné et un Conseil complaisant, pour rendre lavie de plus en plus dure aux familles même aisées, et presque impos-sible aux familles peu aisées ou pauvres.

XII

Les effets immédiats, tangibles, de l'ardeur enfiévrée et de l'arbi-traire absolu avec lesquels M. le baron Haussmann poursuit les dé-molitions, constructions et reconstructions à l'infini, peuvent donc serésumer ainsi le trouble jeté et maintenu dans les rapports indus-triels, commerciaux et sociaux des populations parisiennes; le tra-vail amoindri, rendu plus pénible et moins rémunérateur; la pro-duction écrasée, la distribution et la consommation des richesses,surchargées, entravées de toutes façons; enfin, conséquence natu-relle de ces agissements, les conditions démographiques rendues plusmauvaises diminution de la fécondité, augmentation de la morta-lité, arrêt dans le développement numérique de la population.

Une gestion qui aboutit à des résultats pareils serait jugée fortchère au cas même que les frais pécuniaires n'en seraient pas faitspar les victimes; si, par exemple, la «grande oeuvre» s'effectuait

moyennant des excédants accumulés par des générations antérieures,ou encore aux frais, risques et périls de la spéculation privée. Mais

que dire lorsque ces mêmes populations, qui souffrent tant et à tous

égards des entreprises du préfet de la Seine sont enccre obligées d'ensolder les comptes; lorsque ces entreprises qui les accablent commeindividus, les ruinent encore pour le présent et l'avenir comme col-lectivité municipale ?

« Ruiner » n'est point excessif. Quand une cité, après s'être donné,par des moyens que nous apprécierons, un revenu supérieur à celuid'États considérables est néanmoins incapable de satisfaire auxexigences obligatoires de son budget, on peut en toute vérité et entoute justice la dire financièrement ruinée.

Cette situation si .peuenviable c'est la situation que seize ans degestion incontrôlée et irresponsable ont faite à la ville de Paris.Il suffit, pour en avoir la triste conviction, de regarder de près lesbudgets de M. Haussmann, élaborés pourtant avec un art infini.

Nous venons de juger les effets de toutes natures, les prétendusbienfaits, dont l'administration haussmannienne nous aurait inondés.

Page 117: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

115

Vous connaissez maintenant la marchandise; revienons au prix, aucôté financier, qui fait l'objet spécial de cet écrit. Voyons, comme

type, le budget que M. le Préfet de la Seine vient de se faire voter

pour l'exercice courant. Quelles en sont les charges normales et

obligatoires, les charges qui, dans la situation actuelle, doivent serenouveler année par année et devraient être pourvues, en consé-

quence, d'une dotation non moins normale, assurée ?

XIII

Le budget ordinaire de 1869, ou la première section du budget

général, ne réclame pas moins de cent trente-un millions et demi

de francs. Le Mémoire de M. le Préfet de la Seine, qui accompagnela présentation de ses projets ou décrets financiers, décompose cette

charge, comme d'habitude, en trois grands chapitres. Le moins im-

portant est celui de la Préfecture de police il demande environ seize

millions de francs. Le plus gros comprend les « services administratifs

de la Préfecture de la Seine »; ses exigences excèdent largement les

soixante-neuf millions de francs. Entre les deux se place, comme

importance pécuniaire, le chapitre de la dette municipale; sa dota-

tion, on le sait déjà, atteint, à peu de chose près, la somme de qua-

rante-six millions deux cent mille francs (1).Rien n'est, hélas! moins facilement réductible que cette dernière

allocation. Si, par impossible, le Corps législatif refusait de sanc-

tionner les « arrangements » intervenus les 8 novembre 1867 et

10 juillet 1868 entre M. Haussmann et le Crédit foncier, la chargeannuelle de la dette atteindrait, durant une dizaine d'années, le

chiffre colossal de soixante-quinze millions et au delà Par lesdits ar-

rangements, les échéances de la dette clandestinement contractée de

quatre cent-soixante-cinq millions se trouvent de dix ans reportées à

quarante ans; il est vrai, qu'au lieu de cinq cent millions à payer en

dix annuités (capital et intérêts), nous aurons, en quarante annuités,à solder plus de huit cent cinquante millions. Toujours est-il que la

charge de quarante-six millions de francs (pour intérêts annuels)est un minimum auquel il faut se résigner pour nous et nos fils. Les

tendances.si accentuées de M. Haussmann et les nécessités impérieu-ses de son administration ne peuvent guère tarder à amener des re-

cours nouveaux au crédit; les charges en compenseront et au delà la

réduction que devrait amener le jeu de l'amortissement.

(1) Exactement Préfecture de police, 16,031,490 fr; Préfecture de la Seine,

69,283,543 fr.; Dette municipale, 46,170,825 fr.

Page 118: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

116

Est-ce peut-être sur les deux autres grandes branches du budgetordinaire que M. Haussmann nous réserverait la prochaine surprised'une réduction ? Il n'y pense guère Cette année encore, et malgréles raisons presque coercitives qui l'invitaient à la modération des dé-

penses, il en surélève la dotation dans une mesure fort appréciabie.Ladotation demandée pour laPréfecture de police dépasse de 861,481 fr.

ses dépenses de l'année 1867, qui, par l'Exposition, devait cepen-dant causer un surcroît de besogne et de frais l'administration de

M. Piétri. Pour les services administratifs qu'il dirige lui-même,M. Haussmann demande 6,193,715 fr. de plus qu'il n'en avait osten-

siblement dépensé en 1867; l'allocation de 1869 dépasse encore de

plus de trois millions et demi de francs celle que la Préfecture de laSeine s'était octroyée l'année dernière.

Les cent trente un millions et demi inscrits à la première section

(dépenses ordinaires) du budget de Paris constituent donc une dé-

pense des plus obligatoires et des plus normales, dans le sens bud-

gétaire de ces termes le retour annuel est certain, inévitable,tant que durera, bien entendu, l'administration haussmannienne et

le règne de la commission municipale non élue et non élective.

Tout porte même à croire le passé et le présent sont là pour en

répondre que la charge ne pourra que croître et multiplier.

XIV

Là ne s'arrête guère, malheureusement, la partie obligatoire et

normale de nos dépenses publiques. L'amortissement de la dette

consolidée et diverses annuités tout aussi inéluctables (elles résul-

tent d'engagements contractuels) demandent près de dix-sept mil-lions à la deuxième section (budget extraordinaire). Les travaux

courants de ponts-et-chaussées, d'architecture et de beaux-arts récla-

ment au delà de six millions de francs cette allocation cela se

comprend revient avec une régularité telle que l'on ne sait guère

pourquoi elle est reléguée dans la deuxième section du budget; la

même question, il est vrai, pourrait être faite au sujet de la dotation

pour l'amortissement, si la réponse n'était pas si aisée on éparpille

pour embrouiller. La subvention « extraordinaire » faite à l'Assistance

publique paraît également se perpétuer; les exigences naturellementcroissantes de ce service ne semblent guère, en présence surtout du

malaise persistant des classes travailleuses, permettre le prochainretrait de la subvention supplémentaire. Enfin, l'allocation d'unmillion et un quart pour les dépenses extraordinaires non prévues

Page 119: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

117-

d'une administration aussi immense que celle de Paris n'a riend'exagéré. Elle reste plutôt, nous en avons déjà fait la remarque,au-dessousdes besoins. Onne sauraitraisonnablement la supprimer,ni la réduire; la prévoyance la plus élémentaire conseillerait plutôtde l'accroître.

Cela fait, au budget dit extraordinaire, une dépense obligatoire etnormale de plus de vingt-cinq millions de francs (1). Nous laissonsde côté les trente-six millions inscrits au même budget en faveurdes grands travaux publics; les quinze millions et demi du budgetsupplémentaire des dépenses; les seize millions du budget spécial.Pour éviter jusqu'à l'ombre de l'exagération, nous poussons la mo-dération et l'optimisme jusqu'à supposer ceci les dépenses auxquellesces soixante-sept millions s'appliquent dans les prévisions budgé-taires de 1869 sont tout fait facultatives; elles peuvent ne pointse reproduire, pas même pour un sou, dans les plus prochains bud-gets. C'est improbable, c'est impossible même; n'importe, suppo-sons-le toujours.

Il ne nous est guère permis, par contre, de laisser de côté descharges inéluctables, résultant d'engagements formels pris vis-à-visde créanciers. De cette nature est l'avance de quatre-vingt-dix-neufmillions faite par la Caisse des travaux publics, en bons, et dont leséchéances se répartissent inégalement sur les années 1868 à 1876;telle est encore la dette de cinquante-neuf millions contractée enversla même Caisse et remboursable en deux ans. Est-ce tout? Personnen'oserait le garantir.M. Haussmann n'avait-il pas, pendant des années,nié l'existence des bons de délégation et de l'énorme dette flottantedont ils accablaient les finances municipales? Forcé finalement d'a-vouer, il avait commencé par ne confesser que quatre cent millions,moins même; aujourd'hui, avec les échéances que nous venons designaler d'après le dernier rapport de M. Devinck, le public connaîtdéjà l'existence d'une dette flottante de plus de six cent millions.Quelle confiance pourrait-on avoir d'ailleurs dans la sagacité etdans la véracité de l'administrateur qui, pour les dépenses du secondréseau des grandes voies parisiennes, s'est « trompé de plusieurscentaines de millions et a contesté cette « erreur » jusqu'au der-nier moment?

Soyons coulants, confiants, optimistes, une fois de plus. Tenons-

nous en à la dette flottante ensupposant consolidée la créance

du Crédit foncier de cent cinquante-huit millions. Nous avons dit

(1) En voici le chiffre exact et ladécomposition Amortissement, Iû,C71,875 fr.

Assistance publique, 1,015,000 fr. Travaux divers de ponts -et -chaussées,

4,930,299 fr.; Trav. div. d'architecture el de beaux-arts, 1,310,393 fr.;

Réserve, 1,250,000 fr. ensemble, 25,177,567 fraucs.

Page 120: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

-lis-

millions,). Est ce une ressource bien normale,, assurée? Demandez-le

aux marchands et marchandes qui peuplent les halles et louent les

emplacements Grâce au renchérissement qui porte aussi sur ces

locations, marchands et marchandes voient parfois les bénéfices de

la journée, et au delà, absorbés par la redevance qu'ils doivent payer

à la Ville ou A la Compagnie concessionnaire. Ils se lamentent pour

qu'on leur rende les anciens étalages qui étaient leur gagne-pain

et qu'ils ne retrouvent pas dans les nouveaux marchés et halles,

trop étroits et trop chers.

En cette affaire encore, comme dans toute l'œuvre haussmannienno,

l'utile a été sacrifié au beau. Est-ce une ressource normale, dans

une cité qui prétend être organisée démocratiquement ? Est-ce une

ressource dont l'enflement continu puisse être regardé comme un

fait heureux et dont le maintien soit désirable? La question ne com-

porte pas deux réponse.

XVI

Le pilier de notre « prospérité financière », c'est l'Octroi. Il entre

pour deux tiers dans le revenu dit ordinaire de la ville de Paris.

Est-ce un revenu vraiment ordinaire c'est-à-dire normal, une

ressource surtout qui autorise les prodigalités que vous la faites

alimenter ?

Ce n'est pas a tort, estimons-nous, que l'octroi a toujours été re-

gardé comme un impôt souverainement-antidémocratique il frappe

surtout et le plus lourdement les objets de première nécessité. La

manière dont la ville de Paris le pratique n'est pas faite pour en

amoindrir le vice originel. L'octroi parisien a l'appétit glouton, et

les bras démesurément longs. Le vin et la bière, le cidre et le vi-

naigre, l'huile et les liqueurs, la viande et le poisson, le beurre et

les le coke et le fagot, tous les objets de' première nécessité

sont imposés, et fortement le blé même et la farine n'y échap-

pent point, depuis le décret du 3] août 18(58.

L'octroi n'est pas seulement antidémocratique parce qu'il pèse

sur les premiers besoins du travailleur il est encore souveraine-

ment injuste, antiégalitaire impôt progressif à rebours, il frappe,

pour un montant égal de dépenses, beaucoup plus fortement sur le

pauvre que sur l'homme aisé ou riche. La pièce de vin de Saresnes

paye autant que le Clos-Vougeot. De même pour la viande: le col-

lier, le paleron, que dédaigne la bourgeoise, sont aussi fortement

imposés que l'aloyau et le gite la noix que recherche la cuisinière

Page 121: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

119-

de grande maison. De même pour le poisson la morue, le hareng,ne payent pas moins que le turbot et le saumon. Qu'en résulte-t-il ?Le travailleur qui ne peut consommer dans l'année que pour 400 fr.en viande, poisson et vin, verra, de par l'octroi, sa dépense ali-

mentaire accrue de cent pour cent; la surcharge ne sera que de dix

pour cent peut-être pour l'entrepreneur qui, aux mêmes articles,mais bien autrement précieux, sains et nutritifs, aura consacré 4,000 f.

Et pourtant, les dépenses de bouche, de chauffage, d'éclairage, quiabsorbent presque tout le budget du travailleur, n'entrent que pourun quart, pour un dixième peut-être, dans le budget du patron!

Et vous trouvez cela démocratique? Et vous osez vous vanter des

revenus croissants que vous donnent ces rnillions de francs prélevéssur le manger et la boisson du pauvre que vous fournit un impôt

par lequel vous condamnez le travailleur ou la privation absolue

des confortants les plus indispensables, ou se rabattre sur les

viandes pourries et les vins frelatés?

Cet impôt de l'octroi, par lui-même si antidémocratique, si anti-

égalitaire, l'administration parisienne s'applique encore à le

rendre particulièrement antiéconomique en l'étendant directementaux matières premières du travail. La loi, la tradition et le bon sensfont de l'octroi un impôt qui atteint exclusivement la consommation

locole le substantif et l'adjecti.f pr is dans l'acception la plus étroite.A Paris, « nous avons changé tout cela. » L'octroi s'y appesantitsur tout ou presque tout la chaux et le ciment, le plâtre et les

moellons, la pierre de taille et l'ardoise, la brique et les carreaux,le bois dur et le bois blanc, le chêne et le sapin, le marbre et le

granit, le fer et la fonte, la cire et le suif, le sel et les acides, rien

n'échappe aux griffes de l'octroi parisien.N'est-ce pas étouffer l'industrie que l'on prétend alimenter, écraser

le travail que l'on prétend développer et qui seuls peuvent assu-

rer une prospérité réelle à la capitale ?

M. Haussmann a, c'est vrai, d'autres moyens à sa disposition pourfaire prospérer la cité il a surtout la belle thèse de la productivité

des dépenses municipales; ses dépenses mêmes enrichiraient la

ville. La belle trouvaille avait éternise au jour à propos de l'em-

prunt de 1305. Le mémoire de M. le préfet de la Seine qui

annonçait aux bienheureux Parisiens l'approche de l'emprunt le

rapport de M. Devinek qui y applaudissait des deux mains les

Page 122: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

120

Sur quelles ressources se payeront les échéances de 1869. Mais l'année1870 n'a pas à payer moins de trente-cinq millions de ce chef; c'estencore vingt-cinq millions pour l'année 1871. Faisons masse et

répartissons-la sur les huit années auxquelles incombent les

échéances; c'est vingt millions par année qui s'ajoutent aux chargesinéluctables. Nous sommes, en calculant ainsi, assez bons ou assez

naïfs pour supposer que d'ici à l'année 1876, M. le baron Haussmann

ne contractera pas la plus minime dette nouvelle.

Additionnons 131-millions du budget ordinaire 25 millions du

budget extraordinaire; 20millions d'échéances sur la dette flottante.

Ces trois chiffres constituent un ensemble de cent soixante-seize mil-lions de francs. C'est le minimum des dépenses obligatoires et nor-males de la ville de Paris, de celles qui, supposé le maintien du ré-

gime actuel, doiuent revenir annuellement.

Et, en face de cette'exigence stable, impérieuse, que nous montre

l'exposé de M. Haussmann ? Une recette de cent cinquante-sept mil-lions C'est le total du budget des recettes ordinaires pour 1869.

La différence entre les ressources dites assurées et les exigences iné-luctables est de dix-neuf millions de francs par an. N'est-ce pas là ledéficit en permanence et la banqueroute en perspective? Nous dé-fions les plus optimistes de répondre négativement.

Invoquera-t-on les plus-values, c'est-à-dire la progression probabledes recettes ? La progression est bien autrement probable, certaine

même, à l'endroit des dépenses. et nous n'en avons tenu aucun com-

pte Citera-t-on les vingt-cinq millions inscrits au budget extra-ordinaire des recettes et que la Ville doit tirer en 1869 de la « vented'immeubles provenant d'expropriations ou du domaine communal?»Cette rentrée éventuelle est, pour l'année courante, plus que com-

pensée par la dépense de trente-six millions, assignée aux grandstravaux et que nous n'avons guère compris dans notre compte des

dépenses obligatoires, normales. Pour l'avenir, la ressource est des

plus chanceuses les ventes, tout le monde le sait, commencent àdevenir bien difficiles; d'ailleurs, le peu que la ville possède en-core en terrains aliénables sera, selon toute probabilité, absorbé parla subvention qu'exigera la construction de l'avenue de l'Empe-reur.

Ainsi, abstraction faite des « grands travaux », et dût la ville deParis renoncer désormais à tous percements, démolitions, construc-tions et reconstructions, elle est et reste «au-dessous de ses affaires ».La prospérité financière dont on la dit redevable à l'administrationhaussmannienne est simplement la déconfiture à peine déguisée etdésormais bien difficile à déguiser. Grâce à un système de prodi-galité générale et à un endettement dont les intérêts seuls absor-

Page 123: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

121-

bent des sommes effrayantes, la ville de Paris, avec un revenusupérieur à celui de n'importe quel Etat de troisième ordre, ne par-vient pas même à couvrir ses dépenses courantes inéluctables.Pour développer tant soit peu l'instruction publique si mal dotée,elle a dû, pour 1869, créer.quatre nouveaux centimes additionnelsAh v.nn (User omnea. Encore, si jamais elle n'employait plus malnos deniers

XV

Mais ces cent cinquante-sept millions de revenu dit ordinaireconstituent-ils bien une recette normale et permanente, une ressourceau-dessus de toute critique et de tout alea? Aucunement. Ils sont

fournis, pour les deux tiers, par l'octroi tout à l'heure, nous l'ap-précierons. Un mot d'abord sur le reste. 11 suffira, pour le caracté-

riser, d'en voir les deux chapitres principaux à eux seuls, ilsentrent pour plus de moitié dans les recettes provenant de sourcesautres que l'octroi.

Il y a d'abord le chapitre des contributions, legs et donations. De

loin, cela ressemble à une ressource; en réalité, c'est une subven-tion. L'État y figure pour une « contribution » de quatre millionsenviron aux frais d'entretien et d'amélioration du pavé de Paris il

y figure pour une autre « contribution » de plus de cinq millionsaux dépens de la police municipale ensemble, plus de 83 p. 100 du

chapitue Notons en passant l'étrange fait plus s'accroît la « pros-périté financière » de la ville de Paris, et plus largement elle met le

pays à contribution (1). Au Corps législatif on a surabondamment

prouvé (séances des 25 mai 1866 et 18 juin 18G7) que ces subventionsne se justifient ni en droit, ni en fait. Ce n'est donc rien moins qu'uneressource nornnie qui, surtout, oserait en garantir la continuité ?

Vient ensuite, comme importance pécuniaire, le chapitre trois

Ilrclles et marchés (dix millions environ) auquel on peut joindre le

chapitre neuf: Location d'emplacements sur la voie publique (quatre

(1)La contribution de aux frais du pavage venait il peine d'être portée à4,247,000 fr. (Loi du 2:3juin 1866), qu'une nouvelle loi (18 jnillet 1867) est venue lasurélever encore et la porter à 5,207,000. Quant aux frais de la police municipale, laloi du 7 messidor an VIII le·s mettait entièrement il la charges de la Ville. T'ne

gracieuseté de M. Billault, ministr.; de l'Intérieur, a fait, en 1854:rejeter les deux

cinquièmes sur le dos de l'Etat cette quote-part ne se montait alors qu'a 2,200,000 fr.;d'augmantat on en augmentation, on est parvenu à tripler la somme, ou peu s'en faut.

Page 124: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

-122-

pièces législatives qui on préparaient l'accomplissement tous ces

documents chantaient et exaltaient il l'envi les dépenses dites pro-

ductives de la ville de Paris. La presse officieuse s'applique

élever ce cliché iLla hauteur d'un axiome. On essaye de le faire ser-

vir à l'occasion elu nouvel emprunt ou quasi-emprunt que le Corps

législatif est appelé à discuter.

Rien n'est plus faux. C'est d'abord une étrange aberration que de

voir toute l'attraction de Paris dans les démolitions et percements

où se complaît la fiévreuse activité de M. le préfet de la Seine. De

tout temps, Paris a été l'une des villes les plus recherchées des étran-

gers. Les immenses facilités de déplacement que procurent des

voies ferrées, le prodigieux développement des affaires, le progrès

continu des relations internationales, doivent naturellement accroî-

tre de nos jours l'affluence des provinciaux et des étrangers à Paris.

Quelques boulevards, avenues et squares de plus n'augmenteront pas

notablement le nombre de nos visiteurs et ne prolongeront pas gran-

dement leur séjour dans nos murs. Ne chicanons pas. Mettons que

ces attraits haussmanniens doublent et le nombre des étrangers et la

durée de leur séjour. Et puis ? Chiffres en mains, il est aisé de cons-

tater quel point est minime, jusqu'à l'insignifiance presque, la part

contributive des étrangers aux recettes municipales.

Le seul moyen sérieux, sûr, de développer la prospérité financiére

d'une ville, c'est d'abord l'accroissement de la population normale,

stable, de la population qui produit, et non pas de la population

qui consomme seulement. C'est ensuite le développement sérieux de

l'activité créatrice, productive, de cette population normale, stable.

Or, les opérations de M. Haussmann tendent plutôt à faire décroître

la population de Paris elles arrivent positivement en diminuer

l'activité productrice.

Déjà les exigences écrasantes du fisc municipal ont obligé plu-

sieurs usines parisiennes cesser leur production ou à émigrer

d'autres s'apprêtent à suivre leur exemple, peu volontairement.

C'est là, dit-on, où vise M. Haussmann; il ne veut point laisser salir

son Paris, dont il entend faire exclusivement la ville des jouissances

et des splendeurs, parla fumée des fabriques et la poussière des ate-

liers. Voulu ou non, ce résultat est atteint. Ce n'est pas le moyen, on

le reconnaîtra, d'augmenter l'activité productive de la ville ni sa

population travailleuse. De plus, le renchérissement artificiel des

loyers, dont nous avons suffisamment dit la cause, et de tous les be-

soins de la vie rend le séjour de Paris presque impossible à bien des

familles qui jadis s'en accommodaient et s'en accommoderaient fort

bien elles quittent Paris ou renoncent à s'y établir. Est-ce la le

moyen d'accroître les recettes de la ville ? et les dépenses qui amènent

Page 125: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

123

de tels résultats, ne sont-elles pas souverainement destructives durevenu municipal?

XVIII

Tout aussi inadmissible est une autre prétention décevante de

M. Haussmann et de ses officieux: ils veulent avoir inventé la pro-

gression des recettes publiques; elle a été totalement inconnue jusque-

là; elle est l'heureux fruit de leur politique, de leurs grandes me-

sures, de leurs folles dépenses surtout. Quelle infatuation Quel

étrange mépris de la vérité! Comme si, avant eux, l'humanité n'eût

point marché Comme si, avant eux, le développement et la prospérité

économiques eussent été inconnus

Pour ne pas remonter trop haut, prenons les dernières années qui

précèdent l'administration haussmannienne. L'exemple sera d'autant

plus topique qu'il est emprunté ir ces années d'anarchie, d0 honte, de

misère (vous connaissez la litanie) dont le 2 décembre 185 nous a si

heureusement délivrés.

Que les recettes de la ville de Paris aient baissé en 1818, rien n'est

plus naturel les étrangers et tant de Français s'enfuyaient à toutes

jambes les affaires étaient suspendues; une partie des octrois était

abolie. Mais, dès 1819, les recettes remontent à59millions376,000 fr.;

c'est une augmentation de près de quatorze millions sur les recettes

qui avaient été prévues pour 1848 dans le budget établi le G

août 1847. Les recettes continuent monter sous la République eu

1852, dernière année de L'administration de M. Berger, elles Vé-

passent la somme de C2 millions 250, 000 francs. C'est, sur la dernière

année du gouvernement de Juillet, une augmentation de plus de

trente pour cent.

Voici toute la différence entre alors et aujourd'hui On n'escomp-tait pas alors les plus-values et on ne les dépensait pas. Aussi, les

recettes effectives dépassaient-elles constamment les évaluations;

les comptes budgétaires laissaient de réels excédants de recettes.

Ainsi, en 1849, les recettes avaient primitivement été évaluées à

38,240,774 fr. elles se sont élevées en réalité à 60,O10,Ei43 fr.; et, sur

ces ressources, combinées avec les 20 millions du fonds de l'emprunt,

l'excédant est de 11,652,983 fr. En 1850, les évaluations premières

sont de 45,503,470 fr. aussi, malgré l'absence de toute ressource

extraordinaire, les recettes excèdent les dépenses de 9,713,382 fr.

En 1851, les évaluations premières des recettes sont de 44,926,415fr.,

tandis que les recettes budgétaires ettbetives atteignent le chiffre de

Page 126: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

124

61,600,000 francs. Personne alors ne s'étonnait de ces plus-values,et surtout ne s'en glorifiait. Et réellement, il n'y a pas de quoi. Il

suffit de laisser toutes les choses leur libre cours naturel, pour que,dans une ville comme Paris, la population, l'aisance, et avec ellesles recettes municipales aillent constamment en croissant.

Avouons-le toutefois les entreprises de M. Haussmann entrent

bien pour une part dans la progression des recettes municipales.Oui, vous accroissez la consommation et par conséquent les re-

cettes de l'octroi par les 300,000 ouvriers du bâtiment que vous

attirez. Mais saurez-vous toujours les occuper? lorsque vous ne le

pourrez plus, quel sera leur sort? quel sera le sort de vos finances?

et avez-vous bien réfléchi au danger économique et social de 'cette

situation? êtes-vous bien sûr que la ville n'aura pas à payer en em-

barras et aumônes bien largement, avec intérêts usuraires, l'excé-

dant de recettes que, par cette voie, vous empochez aujourd'hui ?

XIX

Faut-il conclure? Les conclusions, ce nous semble, découlent

toutes seules des faits et des considérations qui précèdent.

Un mot d'abord au point de vue du droit. Nous vivons dans le

pays d'origine du suffrage universel nous appartenons à une épo-

que où le système représentatif pénètre toutes les relations et s'im-

pose à tous les rapports. Dans un tel pays et à une telle époque

il est inadmissible qu'une collectivité de deux millions d'habitants

puisse, longtemps encore, rester frustrée du droit de gérer ses

affaires elle-même, c'est-à-dire par des mandataires élus, responsa-

bles et révocables. Il est inadmissible qu'un administrateur quel-

conque puisse annuellement encaisser et dépenser à sa fantaisie,

avec un laisser-aller qui aboutit à la ruine, des centaines de millions

prises sur la sueur du peuple, sur le revenu de tous. Il est in-

admissible qu'un pouvoir autocratique puisse, quatre-vingts ans

après la Révolution, bouleverser ü son gré les fortunes, troubler

toutes les existences, ruiner les uns et enrichir les autres du jour au

lendemain, disposer du sort des générations présentes et futures.

Les avantages tant vantés de la grande œuvre sont illusoires

ses inconvénients ruineux sont manifestes et vont en s'aggravant.

De grands travaux d'embellissement et d'assainissement ont été

exécutés aLParis depuis quinze ans; personne ne le nie. Mais est-ce

que le premier réseau des voies nouvelles ( rue de Rivoli, etc. ),

le plus important de tou: n'a pas été conçu et en grande partie

Page 127: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

125

achevéavantl'avénementde l'empireet deM. Haussmann? Est-ceque lesvillesde Londres,de Berlin,de Vienne,quoiques'adminis-trant elles-mêmes,n'ont pas vu s'accomplirdans leurs murs degrandstravauxd'embellissementet d'assainissement?

Cequ'ily a de particulier chez nous,c'est pour ne rien diredeplus l'abus, l'exagération,la manie,inséparablesdu pouvoirpersonnel,discrétionnaire.Ils gâtenttout et pèsentlourdement,parleursconséquencesfatales,sur les populationsparisiennes.

C'estgrâceau pouvoirpersonnel,discrétionnaire,misdepuisseizeans aux mainsdeM.Haussmann,que lespercementsengendrentlespercements,que les démolitionssuccèdentaux démolitions,sansbutniraisonsavouables.C'estgrâceau pouvoirpersonnelque l'utileestconstammentsacrifiéau prétendu beau,le nécessaireau prétendugrandiose.Onbâtit, pour ne citer qu'unexempleou deux, onbâtit plus de caserneset d'églisesque d'écoles; on improvisedessquarespour assainiret l'onnégligede nous débarrasser,par unsystèmede canalisation l'anglaise,des terribles« équipagesRi-cher», qui, toutes les nuits, empestentnosrues. Pour faciliterlacirculationet pour donner tout son développementau système« stratégique» dela capitale,on perce d'immensesboulevards,quil'hiver, vous glacentpar leurs impétueuxcourantsd'air et l'été,par l'absenced'ombre,vousétouffentde chaleur;mais l'onnégliged'établir,commeà Londres,des voies ferréesou deslignesd'orrr-nibus bien matinalesqui puissent dispenserl'ouvrier,chassé ducentre,de faire lematin une heurede courseÙpiedavant d'arrivera sonatelier.

C'estgrâceau pouvoir discrétionnaireque toutesles industries,toutes lesrelationssont bouleverséessansmercini trêve. L'excessifrenchérissementdesloyersrend l'intérieur de la ville de plus enplusinabordable,même pour les famillesaisées, et la locationdeplusen plusruineusepourles industrielset lescommerçantsqui nepeuventallerailleurs. Les famillestravailleusessont obligéesdes'entasser,aux extrémitésdelaville,dansdeshabitationstout aussiétroiteset malsainesque cellesquel'ona vu détruire, au centre,sous prétexted'hygiène.La salubrité, loin de s'améliorer, sembleplutôt baisser. La population,malgré les coûteuses « attrac-tions» quel'onprodigue,restepresquestationnairep mrla capitaleprise dans son ensemble;elle diminue positivementdans Parisancien.

En retour la bellecompensation! la villede Parisest obli-géedese procurer,par l'impôtle plus justementimpopulaireet leplusantidémocratique(l'octroi),un revenudit «ordinaire de plusde centmillionsdefrancs,soitun prélèvementdeprèsde deuxcents

Page 128: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

126

francs, de ce seul chef, sur le revenu de chaque famille. Elle est

obligée d'en chercher encore cent cinquante millions ailleurs, année

par année! Malgré son budget de recettes relativement immense, le

plus fort (proportionnellement) dontdispose une collectivité quel-

conque en Europe, l'administration est en déficit permanent et ne

se soutient que par l'expédient des emprunts. Les emprunts légaux,

se répétant tous les deux ou trois ans, cessent de suffire ils alter-

nent avec d'autres opérations financières, aussi ruineuses qu'illé-

gales, et que la Cour des comptes ne condamne pas moins sévèrement

que l'opinion libérale. Le voulut-on, l'on ne peut plus avancer; par

malheur, reculer paraît tout aussi impossible, sans un change-

ment radical de système.

XX

Quousque tandem? L'épreuve est plus que suffisante. Le régime

personnel est jugé, condamné par ses effets, à tous égards néfastes.

Ici encore, le système autocratique s'est montré incapable et im-

puissant, capricieux et coùteux, nuisible aux intérêts qu'il prétend

favoriser, accablant pour ceux qui le pratiquent et l'exploitent.

Ils sont acculés dans leurs derniers retranchements.

Que peut, en cet état de choses, la réduction dérisoire et pure-

ment apparente de vingt-cinq millions de francs que M. Hauss-

mann introduit dans son budget de 18Gû? Ce sont des centaines de

millions qui manquent à l'appel Que peut la concession offerte au

Corps législatif de lui soumettre annuellement le budget extraordi-

naire de la ville de Paris ? Mais ce budget est désormais dépourvu de

toute ressource le budget ordinaire lui-même est en déficit per-

manent Il est le vrai siège du mal.

Toutes les demi-mesures ne peuvent que consacrer le déni de jus-

tice dont les Parisiens sont les victimes; elles aggraveront le mal

en le masquant, en le légalisant. Ce ne sont pas tels ou tels roua-

ges qui jouent mal c'est le système qui est détestable. Ses résultats

le condamnent.

Ils n'admettent qu'une seule conclusion mais ils l'imposent

Rendre Paris rcux Parisiens. C'est l'unique moyen de prévenir la

banqueroute publique et d'arrêter les ruines individuelles.

Pans. Imp. A.-E. llOCHliTTE, boulevard Jlontjiai'iiass", 72-SU.

Page 129: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

TABLE DES MATIERES

Les comptes Fantastiques 5

Les finances de l'Hôtel de Ville. 97

Page 130: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

ACHEVÉ D'IMPRIMER PAR

L'IMPRIMERIE CH. CORLET

14110 CONDÉ-SUR-NOIREAU

N° d'Éditeur 3

N° d'Imprimeur 4044

Dépôt légal 2e trimestre 1979

Page 131: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

J.E. HORN (Eduard Ignacz Einhorn)1825-1875.

Économiste et journaliste libéral d'origine

hongroise, il s'exile en Allemagne puis en

Belgique après la révolution de 1849,

Fixé enfin à Paris, il donne de très inté-

ressants travaux dans les domaines de la

banque et de l'économie politique.

En 1869, année de la publication des « Fi-

nances de l'Hôtel de Ville », il est sur le

point de regagner la Hongrie, où, devenu

député, il entamera une grande campagne en

faveur de la France.

Ses articles seront traduits et publiés sous le

titre « La grande Nation n.

Page 132: Les Comptes Fantastiques d'Haussmann - Ferry

LESCOMPTES FANTASTIQUES D'HAUSSMANN. par Jules FERRY, 1868.

.LES FINANCES DE L'HÔTEL DE VILLE, par J.E. HORN. 1869.

Derrière la présentation officielle d'une mutation urbaine fonctionnent les

rouages et les mécanismes cachés qui la rendent possible et la font exister.

Toujours niés par les instances du pouvoir et toujours présents, ils ne sedévoilent que difficilement les révéler par des opérations d'analyse, d'enquête,de réflexion, puis les exposer en pleine lumière, Jules Ferry et J.E. Horn

y parviennent avec grand talent dans les deux textes présentés ici, qui pren-nent pour support les opérations conduites pendant près de dix-sept annéessous l'administration du Préfet Haussmann.

Il faut en souligner la double complémentarité si Ferry se révèle un grandpamphlétaire, maîtrisant le jeu de mots et l'ironie qui fait mouche, le ton

apparemment sans passion de Horn, argumentant avec sûreté, n'exclut pasune fine sensibilité. Si Ferry vise le régime politique du Second Empire à

travers Haussmann, Horn plante rapidement le cadre d'une théorie socio-

économique de l'aménagement urbain.

Ces deux auteurs livrent au public des années 1868-1869 les résultats d'une

analyse critique qui dépasse de loin le cadre de l'exemple choisi, comme le

prouve l'extraordinaire retentissement des « Comptes Fantastiques » à leur

publication.

Les transformations urbaines rapides et vastes sont fréquentes à l'époqueelles ne le sont pas moins de nos jours et les notions utilisées par Ferry etHorn prise de décision démocratique, mécanismes de représentation, démo-

graphie favorable ou non, ségrégation spatiale de classes socio-économiques,durée du trajet logement-travail, mouvement centrifuge de population induit

par les transformations, rejet en périphérie des classes pauvres ou considérées

comme dangereuses, monotonie de l'architecture nouvelle, raideur des tracés

urbains, perte de sens, disparition des références culturelles, milieu stérilisant,etc. semblent aussi opérantes aujourd'hui qu'il y a un siècle.

Pour ces raisons, l'historien et le citoyen trouveront ici, le premier des don-nées à confronter et une critique « à chaud », le second un outil dont l'uti-

lité et l'efficacité ne font aucun doute.

ISBN 2-903051-05^