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Les causes du cancer Ce que l’on sait sur les causes du cancer provient d’une part de l’étude de l’évolution du cancer dans les populations humaines et, d’autre part, de l’observation des processus d’induction de tumeurs chez l’animal de laboratoire traité par des agents cancérogènes. Le tabac, l'amiante, les aflatoxines et les rayons ultraviolets font partie des cancérogènes les plus importants pour l'homme. Par ailleurs, près de 20% des cancers sont associés à des infections chroniques, dont les principales sont dues aux virus de l'hépatite (VHB, VHC) et du papillome humain (VPH), et à la bactérie Helicobacter pylori. Il est de plus en plus largement reconnu que les facteurs liés au mode de vie, comme l'alimentation, l'activité physique et la consommation d'alcool, jouent un rôle dans le développe- ment du cancer. La prédisposition génétique peut aussi fortement influencer les risques liés aux expositions environ- nementales. 2 Edgard Maxence, Femme à l’orchidée, 1900 (RF 1989-41) Paris, musée d’Orsay.

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Page 1: Les causes du cancer - IARC · Les causes du cancer ... plus du cancer du poumon, des tumeurs du larynx, du pancréas, du rein et de la vessie. Associée à la consommation d’al-

Les causes du cancer

Ce que l’on sait sur les causes du cancer provient d’une partde l’étude de l’évolution du cancer dans les populationshumaines et, d’autre part, de l’observation des processusd’induction de tumeurs chez l’animal de laboratoire traité pardes agents cancérogènes. Le tabac, l'amiante, les aflatoxineset les rayons ultraviolets font partie des cancérogènes lesplus importants pour l'homme. Par ailleurs, près de 20% descancers sont associés à des infections chroniques, dont lesprincipales sont dues aux virus de l'hépatite (VHB, VHC) et dupapillome humain (VPH), et à la bactérie Helicobacter pylori. Ilest de plus en plus largement reconnu que les facteurs liésau mode de vie, comme l'alimentation, l'activité physique etla consommation d'alcool, jouent un rôle dans le développe-ment du cancer. La prédisposition génétique peut aussi fortement influencer les risques liés aux expositions environ-nementales.

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Edgard Maxence, Femme à l’orchidée, 1900 (RF 1989-41) Paris, musée d’Orsay.

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L’OMS a identifié la consommation detabac comme la première cause de décèsévitable dans le monde. Le sujet seratraité ici uniquement par rapport au can-cer, bien que le tabagisme entraîne ungrand nombre de maladies cardiovascu-laires et respiratoires [1]. Le tabagismeprovoque le cancer du poumon et d’autresorganes, et constitue la cause environ-nementale de cancer la plus étudiée. Laplupart des informations disponibles fontétat du fardeau des maladies liées autabagisme dans les pays plus développés;les connaissances sont bien moindresconcernant les pays moins développés,bien que des prévisions puissent êtreétablies avec certitude.

Préparation et consommation du tabacLa principale plante de tabac dans lemonde est Nicotiana tabacum, bien quedes variétés de N. rustica soient égale-ment cultivées et utilisées. Le tabac a étéimporté d’Amérique du Nord en Europe,en Asie et en Afrique dans la secondemoitié du 16ème siècle. Un siècle plustard, le tabac était cultivé à des fins com-merciales non seulement dans lescolonies américaines, mais également enEurope et dans l’Est de l’Asie. La produc-tion industrielle de cigarettes a débutédans la seconde moitié du 19ème siècle. Le tabac doit être traité avant de pouvoirêtre consommé. Deux principaux proces-sus de traitement sont utilisés. Lors duséchage à l’air chaud, les feuilles mûressont coupées et séchées par chaleur artifi-cielle. Le tabac séché à l’air chaud est com-munément appelé ‘blond’ ou encore‘Virginie’. Lors du séchage à l’air naturel, leplant de tabac entier est récolté et aucunechaleur artificielle n’est utilisée. Le tabacséché à l’air naturel comprend le ‘Maryland’et le tabac ‘noir’. Les cigares sont égale-ment faits à partir de tabac séché à l’airnaturel. D’autres méthodes moins répan-dues comprennent le séchage au soleil, aufeu, ainsi que diverses adaptations locales.Les séchages à l’air et au soleil sont com-binés pour le tabac dit ‘oriental’.

C’est sous forme de cigarettes que letabac est le plus consommé dans lemonde [2]. Elles sont fabriquées à partirde feuilles de tabac finement coupées etenveloppées dans une feuille de papier oude maïs, et pèsent entre 0,5 et 1,2 g. Letabac peut être saupoudré de sucre oud’autres agents aromatiques. Le tabacpeut être fumé sous d’autres formes: lescigares et cigarillos (d’une grande variétéde taille, poids et arômes, et dotés denoms locaux, comme cheroots, chuttas oustumpen), le tabac pour pipes et pipes àeau, les bidis (tabac émietté roulé dansune feuille séchée de temburni), ainsiqu’un grand nombre de produits locaux.Le tabac est également chiqué, seul ouavec de la chaux éteinte, de la noix d’arecou d’autres composés [3]. Cette habitudeest courante en Inde ainsi qu’en Amériquedu Sud, mais également en Amérique duNord et en Europe du Nord. Le tabac à priser est consommé dans denombreux pays, notamment en Scan-dinavie, en Inde et dans les pays voisins,dans le Bassin méditerranéen et dans lesud de l’Afrique. La composition du tabacà chiquer et à priser connaît des variationsgéographiques. De plus, d’autres produitsnon fumés sont utilisés dans diversesrégions du monde (par exemple, le ‘nass ‘d’Asie Centrale, mélange de tabac, dechaux, de cendre et d’autres ingrédients).La production mondiale de tabac repré-

LE TABAC

RESUME

> La consommation de tabac provoque, enplus du cancer du poumon, des tumeursdu larynx, du pancréas, du rein et de lavessie. Associée à la consommation d’al-cool, elle entraîne aussi une forte inci-dence de carcinomes de la cavité buccaleet de l’œsophage. Dans la plupart despays développés, le tabac est respons-able de plus de 30% des tumeursmalignes.

> Le risque de cancer du poumon est déter-miné par la quantité de tabac consom-mée quotidiennement, la durée du tabag-isme et la profondeur d’inhalation. Pourles fumeurs réguliers, le risque relatif dedévelopper un cancer est plus de 20 foissupérieur à celui des non-fumeurs. Lafumée du tabac environnementale(tabagisme passif) est également can-cérogène, mais le risque est beaucoupmoins important (risque relatif 1,15-1,2).

> La fumée du tabac contient un nombreélevé de cancérogènes chimiques. Lemodèle des mutations du gène suppresseur de tumeur p53 dans lestumeurs du poumon consécutives autabagisme, suggère un rôle majeur des métabolites du benzo(a)pyrène dansle développement du cancer du poumon.

> L’arrêt du tabagisme réduit considérable-ment le risque de cancer du poumon etd’autres cancers associés au tabac,même après plusieurs années de dépen-dance. Cependant, même dix ans aprèsl’interruption, voire plus, le risque resteplus élevé que chez les individus n’ayantjamais fumé.

> Le tabagisme est également responsablede plusieurs autres maladies non néo-plasiques, dont les maladies cardiovascu-laires et les maladies pulmonairesobstructives. L’espérance de vie desfumeurs réguliers est réduite de six à huitans comparée à celle des personnesn’ayant jamais fumé.

Fig. 2.1 Marché du tabac au Zimbabwe. La con-sommation de tabac augmente rapidement dansles pays en développement.

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sente quelques 700 millions de tonneschaque année, dont presque un tiersuniquement pour la Chine [4]. Le com-merce mondial du tabac constitue uneentreprise économique majeure ; bien queles Etats-Unis et l’Europe soient leadersen la matière, l’Inde et plusieurs nationsafricaines sont également des exporta-teurs importants (Tableau 2.1).

ExpositionLes personnes directement exposées auxproduits de la combustion du tabac sontles utilisateurs, à savoir les fumeurs actifs.La prévalence du tabagisme varie selon larégion du globe et elle est sujette à desmodifications (Fig. 2.8). La proportion defumeurs diminue chez les hommes despays industrialisés. Plus de 70% deshommes nés dans les premières décen-nies du 20ème siècle en Europe et en

Amérique du Nord ont fumé à un momentou un autre de leur vie, mais cette propor-tion a récemment diminué. Il existe uneproportion croissante d’anciens fumeursdans de nombreux pays, en particulier dansles tranches d’âges les plus élevées. Un schéma différent se dessine chez lesfemmes. A la différence des hommes, letabagisme des femmes ne s’est répanduqu’à partir de la moitié du 20ème siècle.Même si dans certains pays, tels que leRoyaume Uni, la proportion de femmesqui fument a commencé à diminuer cesdernières années, elle continue cepen-dant d’augmenter dans la plupart des paysindustralisés [4]. Dans les pays endéveloppement, les données disponiblessont moins exhaustives. Toutefois, il estclair que le tabagisme a fortement aug-menté durant cette dernière décennie,dans bon nombre de ces pays. L’augmen-tation est particulièrement dramatique enChine, où plus de 60 % des hommesadultes sont considérés comme fumeurs,ce qui représente environ un tiers du totaldes fumeurs dans le monde. La préva-lence du tabagisme chez les femmes dansla plupart des pays en développementreste faible, bien que dans certains paysles jeunes filles en prennent l’habitude. Letabac sans fumée est largement utilisé enInde et dans les pays voisins, et la con-sommation de ‘bidis’ y est égalementrépandue, cette dernière étant la forme detabagisme disponible au meilleur marché. Les non-fumeurs sont exposés à la fuméede tabac environnementale, l’étendue del’exposition étant déterminée en premierlieu par le fait que les membres de lafamille fument ou non, et par les conditionsen vigueur sur le lieu de travail. La quantitéde fumée de tabac inhalée suite à une pol-lution atmosphérique est bien inférieure àcelle inhalée par un fumeur actif [5].

Risque de cancerLe tabagisme est la principale cause con-nue de décès lié au cancer dans le monde.Le tabagisme entraîne le plus souvent uncancer du poumon [6]. Le risque de cancer du poumon est lié pour un fumeuraux paramètres du tabagisme selon lesprincipes de base de la cancérogenèse

Fig. 2.2 Publicité d’un magazine des années 70 s’adressant aux femmes américaines.

Tableau 2.1 Production du tabac, importations et exportations. L’exportation du tabac est, dans cer-taines régions telles que l’Afrique et l’Inde, une source de revenus majeure.

Production Importations ExportationsLieu (tonnes/an) (tonnes) (tonnes)

Etats-Unis 890 240 234 910 266 104

Europe 760 086 772 675 319 568

Russie 290 000 86 000 2 200

Afrique 274 624 85 989 187 208

Chine 2 000 000 80 000 10 000

Inde 525 000 100 104 862

Total 6 660 000 1 512 638 1 484 144

Le tabac 23

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chimique: le risque est déterminé par ladose de l’agent cancérogène, la duréed’administration et l’intensité de l’exposi-tion. Concernant ces déterminants durisque de cancer du poumon, les femmessont au moins aussi susceptibles que leshommes. Une augmentation du risque decancer du poumon (par rapport à un non-fumeur) est prouvée de façon constante,dès le plus bas niveau de consommationjournalière. Elle est au moins liée de façonlinéaire à une augmentation de la con-sommation (Fig. 2.6). Le risque est égale-ment proportionnel à la durée du taba-gisme. Ainsi, le taux annuel de décès liésau cancer du poumon chez les 55-64 ansayant fumé quotidiennement 21-39 ciga-rettes est environ 3 fois plus élevé chezles individus ayant commencé à fumer dèsl’âge de 15 ans que chez ceux ayant com-mencé à fumer à 25 ans. L’intensité de l’exposition à la fumée de tabacest déterminée par le vecteur du tabagisme(cigarette, cigare, pipe, hookah, etc.) et pourchacune de ces méthodes, par la ‘pro-fondeur’ d’inhalation. Fumer des cigarettesde tabac brun représente un plus grandrisque pour la plupart des cancers liés autabac que fumer des cigarettes blondes. Dela même manière, les cigarettes avec filtre età teneur réduite en goudrons occasionnent

un risque plus faible pour la plupart des cancers liés au tabac que les cigarettes sans filtre et à haute teneur en goudrons. Il n’existecependant aucune cigarette ‘sans risque’:tous les produits de tabac à fumer compor-tent un risque cancérogène. Une fois rassem-blées, les données épidémiologiques résuméesci-dessus établissent une ‘relation de cause àeffet’ en raison de la constance des résultats,de la solidité de la relation, de sa spécificité etde la séquence de temps entre l’exposition etla maladie, et la relation dose-effet.Dans de nombreuses communautés, letabagisme et par conséquent le cancer dupoumon, sont etroitement liés au statutsocial [6]. L’incidence du cancer dupoumon varie énormément entre les com-munautés dans le monde. Des taux élevés

sont observés dans certaines régionsd’Amérique du Nord, alors que les pays endéveloppement ont les taux les plus faibles(Fig. 2.7). Aux Etats-Unis, en Europe et auJapon, 83 à 92% des cancers du poumonchez les hommes, et 57 à 80 % chez lesfemmes, sont liés au tabac. L’impact ducancer du poumon est le plus fort lorsquela population a atteint une prévalence max-imale du tabagisme qui s’est prolongéepratiquement tout au long de la durée devie des fumeurs. La prévalence du tabag-isme augmentant, il est probable qu’uneépidémie de cancers du poumon balaie lespays en développement dans les décen-nies à venir [8].Le tabagisme entraîne, en plus du cancerdu poumon, des cancers du larynx, de la

Fig. 2.5 La mortalité due au cancer du poumon diminue dans la plupart des pays industrialisés, à l’ex-ception de la Hongrie qui possède désormais l’un des taux de mortalité due au cancer du poumon les plus élevés au monde.

Fig. 2.4 Jeune homme fumant le hookah(Bengladesh).

Fig. 2.3 Le tabagisme des enfants augmente dansle monde entier.

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Années civilesAnnées civiles

Pays-Bas Italie

Hongrie

Hommes, tous âges confondusHommes, 35–64 ans Femmes, 35–64 ans

Femmes, tous âgesconfondus

Royaume-Uni: Angleterre et Pays de Galles

Années civiles Années civiles

Déc

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00 0

00

Déc

ès/1

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cavité buccale, du pharynx, de l’œso-phage, du pancréas, des reins et de lavessie [2] (Tableau 2.3). On observe unrapport dose-effet constant entre le nom-bre de cigarettes fumées et le risque dedévelopper ces cancers. La plupart desdonnées concernent la cigarette, mais lecigare et la pipe présentent par exempleun risque de cancer de la cavité buccaleplus élevé que la cigarette. Concernant lecancer de la vessie et du rein, les risquesvarient selon la durée et l’intensité dutabagisme, mais restent néanmoinsinférieurs au risque de cancer du poumon.Le risque de développer un cancer de lacavité buccale est environ deux fois plus

important chez les fumeurs consommantde l’alcool que chez ceux qui n’en con-somment pas. Ces taux sont dix fois (ouplus) supérieurs pour le cancer du larynx,et cinq fois (ou plus) supérieurs pour lecancer de l’œsophage. La proportion deces cancers imputables au tabagismevarie en fonction de la localisation de latumeur et selon les communautés, maisreste particulièrement élevée (80% ouplus) pour le cancer du pharynx. Le risque de cancer du poumon, commepour les autres cancers liés au tabagisme,présente la caractéristique de diminueraprès sevrage, par rapport au risque desfumeurs qui continuent de fumer. Le risque

relatif de cancer pour la plupart des locali-sations est considérablement plus faible,cinq ans après le sevrage, par rapport auxindividus continuant à fumer, bien que lesrisques de cancer de la vessie et d’adéno-carcinome du rein semblent persister pluslongtemps avant de diminuer. En dépit dubénéfice clairement établi du sevrage, lerisque des anciens fumeurs ne diminuerapas au point de revenir à celui des individusn’ayant jamais fumé. Dans l’ensemble, ladiminution du risque de cancer du poumonet autres cancers, consécutive à l’arrêt dutabac, est une preuve de plus (s’il étaitnécessaire) que le tabagisme est à l’originede ces maladies (Lutte anti-tabac, p. 130).Fumer peut provoquer d’autres types decancer [9], dont le cancer de l’estomac,du foie, du nez, et la leucémie myéloïde. Al’inverse, l’augmentation de l’incidence ducancer de l’intestin et du col utérin peutêtre en partie causée par un co-facteur.L’exposition à la fumée de tabac environ-nementale provoque le cancer du poumonet peut-être le cancer du larynx, bien quele fardeau de la maladie soit très inférieurchez ces ‘fumeurs involontaires’ comparé àcelui des fumeurs actifs ; le risque relatif estestimé à environ 1,15-1,2. L’associationentre l’exposition à la fumée de tabac envi-ronnementale et un risque accru de cancerdu sein est controversée [5].On a estimé que le tabagisme étaitresponsable de près de 25% de l’ensemble

Tableau 2.2 Agents cancérogènes dans la fumée de tabac et le tabac non fumé. + = présent, - = absent

Substances Fumée de tabac Tabac sans fumée (par cigarette) (ng/g)

Aldéhydes volatilsFormaldéhyde 20-105 mg 2 200-7 400Acétaldéhyde 18-1 400 mg 1 400-27 400Crotonaldéhyde 10-20 mg 200-2 400

NitrosaminesN-Nitrosodiméthylamine 0,1-180 ng 0-220N-Nitrosodiéthylamine 0-36 ng 40-6 800N-Nitrosopyrrolidine 1,5-110 ng 0-337

Nitrosamines spécifiques du tabacN'-Nitrosonornicotine (NNN) 3-3700 ng 400-154 000Nitrosométhylamino-4(pyridyl-3-1-butanone-1 (NNK) 0-770 ng 0-13 600 4-(N-Nitrosomethylamino)-3-pyridinebutyraldéhyde (NNAL) + +N'-Nitrosoanabasine (NAB) 14-46 ng 0-560

MétauxNickel 0-600 ng 180-2 700Cadmium 41-62 ng 700-790Polonium 210 1-10 mBq 0,3-0,64 pCi/gUranium 235 et 238 - 2,4-19,1 pCi/gArsenic 40-120 ng

Hydrocarbures aromatiques polycycliquesBenzo[a]pyrène 20-40 ng >0,1-90Benzo[a]anthracène 20-70 ng -Benzo[b]fluoranthène 4-22 ng -Chrysène 40-60 ng -Dibenzo[a,l]pyrène 1,7-3,2 ng -Dibenz[a,h]anthracène + -

Fig. 2.6 Le risque de cancer du poumon est déter-miné par le nombre de cigarettes fumées

Le tabac 25

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des cancers chez l’homme, 4% chez lafemme, et hommes et femmes confondus,environ 16% de tous les cancers dans lespays les plus développés et 10% dans lespays les moins développés [11], bien quecertaines estimations atteignent près de30% [12]. Le faible risque chez lesfemmes (et dans une moindre mesuredans les pays en développement) est dû à

une faible consommation de tabac durantles dernières décennies. Une récente ten-dance à la hausse du tabagisme féminindans de nombreux pays en développe-ment entrainera un nombre de cancersattribuables au tabac beaucoup plusimportant dans les années à venir. L’usagedu tabac non fumé est associé à un risqueplus élevé de cancers de la tête et du

cou [10]. La chique de produits à base detabac étant particulièrement répandue dansle Sud de l’Asie, elle représente un dangercancérogène majeur dans cette région.

Interaction avec d’autres facteurs derisquesLa consommation d’alcool, l’exposition àl’amiante et aux rayonnements ionisants

Fig. 2.7 Les cinq taux d’incidence les plus élevés et les plus faibles de cancer du poumon chez les hommes et les femmes.

Tableau 2.3 Le tabagisme augmente le risque de nombreux cancers chez l’homme.

Cancers formellement Sexe Mortalité standardisée pour100 000/an Risque Excès de Proportionassociés au tabagisme relatif risque absolu attribuable (%)*

pour 100 000/anN’a jamais Fume

fumé actuellementdes cigarettes

Cancer du poumon H 24 537 22.4 513 87 F 18 21 3 11.9 195 77

Cancer des voies H 1 27 24.5 26 89respiratoires supérieures F 2 10 5.6 8 58

Cancer de la vessie et H 18 53 2.9 35 36autres organes urinaires F 8 21 2.6 13 32

Cancer du pancréas H 18 38 2.1 20 25 F 16 37 2.3 21 29

Cancer de l’oesophage H 9 68 7.6 59 66 F 4 41 10.3 37 74

Cancer du rein H 8 23 3 15 37 F 6 8 1.4 2 11

Etude américaine sur le cancer. Hommes et femmes âgés de 35 ans et plus. *La proportion attribuable resprésente la proportion de l’ensemble des décès dusà la pathologie spécifiée qui sont attribuables au cancer, en supposant que 30% de la population fume actuellement, et que l’excès de risque chez les fumeursest lié au tabagisme.

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entrent en interaction avec le tabagismeet surdéterminent le risque de certainscancers [13]. Concernant la consomma-tion d’alcool et le tabagisme, les risquesde cancer du larynx, de l’œsophage et dela cavité buccale sont multipliés par rap-port aux risques relatifs générés par l’ex-position à l’un des facteurs en l’absenced’un autre. Pour les individus exposés à lafois à l’amiante et à la fumée du tabac (parexemple les fumeurs travaillant dans l’in-dustrie des isolants), le risque de cancerdu poumon est également multiplié, bienque le fait de fumer n’affecte pas le risquede mésothéliome (type de tumeur causéspécifiquement par l’amiante). L’arrêt dutabac peut diminuer considérablement lerisque de cancer du poumon chez les per-sonnes ayant été exposées à l’amiante parle passé.

Les mécanismes de la cancérogenèse Le tabac représentant le cancérogène leplus dangereux pour l’homme, l’élucidationdes mécanismes aboutissant à un cancerchez les personnes exposées à la fumée detabac fournit une aide considérable pourl’évaluation des possibilités de prévention,et pourrait être appropriée pour la préven-tion d’autres types de cancers induits pardes facteurs environnementaux.La fumée du courant principal (le produitinhalé par les fumeurs) est un aérosol con-tenant environ 4000 produits chimiquesspécifiques, à un taux de 1010 particulespar mL. La matière particulaire (lesgoudrons) est formée à partir de 3500 composés, dont la nicotine en pre-mier lieu (de 0,1 à 2,0 mg par cigarette) etla plupart des hydrocarbures aromatiquespolycycliques contenus dans la fumée[14]. Les composés portant un radical N-nitroso constituent une autre classe decancérogènes présents dans la fumée dutabac, en particulier les dérivés nitrés dela nicotine et nornicotine [15]. Les pro-duits chimiques comme les amines aro-matiques, le benzène et les métauxlourds, indépendamment reconnus cancérogènes pour l’homme, sont aussiprésents dans la fumée de tabac (Tableau2.2). L’usage du tabac non fumé entraîneune exposition aux composés nitrés dutabac, mais pas aux hydrocarbures aro-

matiques polycycliques, qui sont eux issusde la combustion du tabac. Le cancer causé par la fumée du tabac nepeut être attribué à aucun des com-posants chimiques, ou aucune des clas-ses chimiques présentes, mais résulteplutôt d’un effet global du mélange com-plexe de produits chimiques dans lafumée. Des inférences mécaniquesdéduites des études épidémiologiques,accompagnées de données appropriées,indiquent un scénario compatible avec une‘cancérogenèse multi-étapes’, au niveaucellulaire et moléculaire (Cancérogenèsemulti-étapes, p. 84) [16].Les études épidémiologiques indiquentque les divers agents cancérogènes con-tenus dans la fumée du tabac exercent uneffet sur les premières et les dernièresétapes du processus de cancérogenèse

pour le cancer du poumon, de la vessie, etde la tête et du cou (les données concer-nant les autres cancers ne sont pasappropriées pour une telle évaluation).L’indication des effets précoces des can-cérogènes du tabac repose sur le risqueélevé de cancer associé à la précocité del’habitude tabagique et proportionnel à ladurée de celle-ci; la persistance de cerisque élevé, quoiqu’il diminue dans letemps après sevrage, milite pour sa partfortement en faveur d’effets cancéro-gènes tardifs. La plupart des cancérogènes chimiquescontenus dans la fumée du tabac nécessi-tent une activation métabolique pourexercer leur effet [17]. Les enzymes requi-ses sont présentes dans les poumons etautres organes ‘cibles’. Le risque individu-el peut être affecté par l’activité et les

Fig. 2.9 Modèle décrivant les stades de l’épidémie de tabagisme, basé sur les données des pays dévelop-pés. Il est intéressant de noter le décalage dans le temps entre l’augmentation de la consommation et lamanifestation du cancer du poumon.

Fig. 2.8 Estimation de la prévalence du tabagisme chez les adultes par région du monde, au début desannées 1990.

Le tabac 27

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((%%))

AAnnnnééeess

SSttaaddee 11 SSttaaddee 22 SSttaaddee 33 SSttaaddee 44

% de fumeurs chez les femmes

% de décès chez les femmes% de fumeurs chez les hommes

% de décès chez les hommes

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SITES INTERNET

Le sevrage tabagique est très difficile. Lesenquêtes montrent que 74% des fumeursdésirent arrêter et que 70% d’entre eux ontdéjà fait des tentatives; cependant les taux desuccès restent faibles (US Department ofHealth and Human Services, Healthy People2000 Review, 1994). La difficulté rencontréepar la plupart des fumeurs reflète à la fois unehabitude et une dépendance physiologique.L’arrêt du tabac implique également de met-tre fin à une dépendance que les fumeurs ontcontracté à une période vulnérable de leurexistence (Lutte anti-tabac, p. 128).Les faibles taux de succès associés auxtentatives d’arrêt non accompagnées lais-

sent penser qu’il est souhaitable d’accompa-gner ce sevrage d’un traitement pharma-cologique, sauf contre-indication médicale. Les traitements contre la dépendance autabac comprennent les traitements de sub-stitution de la nicotine et un traitement nonnicotinique (Okuyemi KS et coll., Arch FamilyMed, 9: 270-281, 2000 ; The Tobacco Use andDependence Clinical Practice Guideline Panel,JAMA, 283: 3244-3254, 2000). Les traite-ments de substitution nicotinique compren-nent la gomme polacrilex nicotine, des tim-bres de nicotine transdermique, des aérosolsnicotiniques nasals, des tablettes de nicotinesublinguales, et des inhalateurs de nicotine.Seuls 25 % des tentatives ont cependantrecours à un traitement de substitution à lanicotine. Le seul traitement non nicotiniqueapprouvé est l’anti-dépresseur chlorhydrate

de bupropion. D’autres anti-dépresseurs, telsque la nortriptyline et le moclobémide sem-blent prometteurs, mais leur utilisation n’agénéralement pas été approuvée. La combinaison de deux traitements de sub-stitution à la nicotine (timbre plus gomme àmâcher, aérosol, inhalateur) ou un traitementde substitution à la nicotine associé à untraitement non nicotinique, peuvent entraînerde meilleurs résultats que pris séparément. En résumé, les traitements aident moins d’unfumeur sur cinq et ne sont pas utilisés par lamajorité des fumeurs essayant d’arrêter. Derécents progrès dans la compréhension desbases pharmaco-neurologiques de la dépen-dance à la nicotine semblent prometteurs pourle développement de nouveaux traitements.

APPROCHES PHARMACOLOGIQUESPOUR LUTTER CONTRE LA DEPENDANCE AU TABAC

28 Les causes du cancer

niveaux d’enzymes telles que la glu-tathion-S-transférase, le cytochromeP450 et les N-acétyl-transférases. Lors duprocessus métabolique, les formes réac-tives des hydrocarbures aromatiquespolycycliques, nitrosamines et aminesaromatiques sont générées et se lient parcovalence sur l’ADN dans les différentstissus. Ces adduits à l’ADN, et les produitsde leur réparation, sont détectés dans lestissus, les liquides corporels et l’urine des

fumeurs et des personnes exposées à lafumée de tabac environnementale. Lagénétique moléculaire des cancers dupoumon et des autres cancers associésau tabac est en cours d’élucidation. Unnombre croissant de gènes sontimpliqués dans l’issue cancérogène [18].Le degré de compréhension actuelle estillustré par l’étude des gammes de muta-tion du gène p53. Lorsque l’on compareles fréquences d’une mutation partic-

ulière dans les cancers du poumon defumeurs et de non-fumeurs, les dif-férences sont évidentes. En utilisant dessystèmes expérimentaux appropriés, lesmutations mises en évidence chez lesfumeurs sont attribuables, du moins enpartie, à l’erreur de lecture causée par laliaison de certains hydrocarbures aroma-tiques polycycliques à l’ADN [19].

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Les boissons contenant de l’alcool (nomcommun de l’éthanol), produit de la fer-mentation des hydrates de carbone, sontissues d’une tradition ancestrale dans laplupart des sociétés. En dépit d’une variété importante, la plupart des bois-sons alcoolisées peuvent être regroupéesdans la catégorie des bières (brassées parla fermentation du malt d’orge contenanttypiquement 5% d’alcool), des vins(obtenus à partir de la fermentation du jusde raisin ou de grappes écrasées, con-tenant 12% d’alcool), ou des liqueurs(issues de la distillation d’une grande var-iété de produits céréaliers, de légumes etde fruits, et contenant 40% d’alcool). Lecidre et les vins doux et aromatisés sontdes boissons moins répandues et souventlimitées à des régions particulières. A l’échelle mondiale, la consommation deboissons alcoolisées par les adultes, cal-culée sur la base des chiffres officiels,équivaut à 4 L d’alcool par an (ou 9g/jour), correspondant à environ 3% de lamoyenne de l’apport total en calories [1].La consommation non officielle est cepen-dant estimée à un chiffre de 20% à 100%supérieur aux chiffres officiels, selon lepays. La majeure partie de l’alcool ‘non

officiel’ est vendu illégalement au marchénoir (pour éviter l’imposition) ou produitpour un usage privé. Il existe une fortevariabilité régionale dans les niveaux deconsommation, avec un minimum (< 1 Lpar an) dans le sud et l’ouest de l’Asie, etun maximum (> 12 L par an) dans le cen-tre et le sud de Europe. La distribution dechaque type de boisson est égalementspécifique à chaque pays (Fig. 2.10). Leschiffres officiels montrent une diminutionde la consommation d’alcool dans lespays plus développés, ainsi qu’une aug-mentation de la consommation cesdernières années dans les pays moinsdéveloppés.

Cancers provoquésL’association causale entre la consomma-tion d’alcool et les cancers buccaux,œsophagiens, hépatiques, et autres, a étéclairement établie[1], par le biais d’étudesépidémiologiques cas-témoins et decohortes menées dans plusieurs popula-tions ayant des niveaux de consommationdifférents. En particulier, les études évalu-ant le risque de cancer chez les brasseurset chez les patients alcooliques ont fournides indications importantes sur le rôlecancérogène de l’alcool. Une associationcausale est également établie dans le casdu cancer du sein, et elle est probablepour le cancer du côlon-rectum [2,3]. Un

effet éventuellement cancérogène de laconsommation d’alcool sur d’autresorganes (comme le poumon) a été sug-géré, mais les indices restent non conclu-ants [4]. Une association entre l’apportd’alcool et le risque de cancer de la tête etdu cou est indiquée par le modèle géo-graphique de ces néoplasmes ; les pays (etles régions de ces pays) avec une forte con-sommation d’alcool figurent parmi les inci-dences les plus élevées de ces néo-plasmes. Pour l’ensemble des cancers causés par laconsommation d’alcool, le risque est fonc-tion linéaire du niveau de consommation,

LA CONSOMMATION D’ALCOOL

RESUME

> Une forte consommation d’alcoolentraîne le cancer de la cavité buccale,du pharynx, du larynx, de l’œsophage etdu foie, et peut augmenter le risque ducancer du sein et du cancer colorectal.

> Le risque est lié de manière linéaire à laconsommation quotidienne moyenne.

> Une faible consommation semble exercerune protection contre les maladies car-diovasculaires.

> Le risque de cancer de la cavité buccale,du pharynx, du larynx et de l’œsophageest nettement plus élevé en cas detabagisme associé.

Tableau 2.4 La consommation d’alcool augmentele risque de cancer du tractus gastro-intestinalsupérieur.

Consommation Risque relatifd’alcool moyenne (intervalle de

confiance à 95%)

Pas d’alcool 1

> 0 à 30 g/jour 1,2 (0,4–3,4)

> 30 à 60 g/jour 3,2 (1,0–10,1)

> 60 g/jour 9,2 (2,8–31,0)

*Ajusté pour le temps de suivi, le sexe, l’éducation,l’indice de masse corporelle (IMC), la consomma-tion de fruits et légumes, le tabagisme et l’apporténergétique.

Fig. 2.10 Schémas de la consommation d’alcool, exprimés en volumes moyen d’éthanol pur, dans certains pays sélectionnés, en 1994.

La consommation d’alcool 29

SpiritueuxVin

Bière

Litres d’alcool consommés/an

France

Allemagne

Hongrie

Argentine

États-Unis

Russie

Suède

Japon

Chine

Inde

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jusqu’à un apport d’environ 80 g/jour (unlitre de vin, un quart de litre de liqueur),niveau au-dessus duquel la relation dose-réponse est moins clairement définie.L’ampleur de l’augmentation du risque asso-cié à un taux spécifique de consommationd’alcool varie selon chaque type de tumeur.Le risque de cancer de la tête et du cou estde 5 à 10 fois supérieur chez les grosbuveurs par rapport aux abstinents, l’effetcancérogène de l’alcool paraissant être pluspuissant dans la cavité buccale, le pharynxet l’œsophage, et plus faible au niveau dularynx. Le risque relatif de cancer du seinchez les femmes ayant une forte consom-mation d’alcool est pratiquement doublé.

La plupart des données disponibles sur lerôle cancérogène de l’alcool chez l’hommeproviennent d’études épidémiologiquesbasées sur des entretiens ou des approchessimilaires. Puisque la consommation d’al-cool est fortement stigmatisée socialementau sein de nombreuses populations, il estprobable que les individus sous-estiment etne déclarent pas la totalité de leur apport enalcool, en particulier dans le cas d’une forteconsommation. Une déclaration incomplètede consommation d’alcool, entraînant unchangement de catégories de gros buveur àbuveur léger ou même non-buveur, résul-terait en une sous-estimation du réel effetcancérogène de cette habitude. Il est donc

possible que le rôle de l’alcool dans le can-cer chez l’homme soit plus important quecelui couramment perçu. La consommation d’alcool et le tabagismemontrent une interaction synergique dansl’étiologie des cancers de la cavité buc-cale, du pharynx, du larynx et de l’œsophage; le risque de cancer pour lesgros buveurs et fumeurs par rapport auxsujets qui ne fument pas et ne boivent pasest supérieur à la somme des risquesattribuables respectivement à une forteconsommation d’alcool ou au tabac, prisséparément (Fig. 2.14) [5]. Les très grosbuveurs (les alcooliques), pour lesquelsl’alcool peut constituer jusqu’à 30 % del’apport total en calories, ont tendance à

30 Les causes du cancer

Tableau 2.6 Pourcentage et nombre de cas de cancer dans le monde attribuables à la consommationd’alcool.

Cancer Hommes Femmes

% Nbre de cas % Nbre de cas

Cavité buccale et pharynx 23 51 000 15 12 700

Oesophage 24 51 800 14 14 500

Foie 10 30 100 6 7 300

Larynx 22 26 500 14 2 500

Sein - - 3 26 800

Total 4 159 400 2 63 800

Tableau 2.5 Pourcentage de la population décédant de pathologies liées à l’alcool, dans différentesrégions du monde, et années de vie perdues respectives.

Années de vie Années deRégion % de décès perdues vie perdues

ajustées au handicap

Amérique latine 4.5 5.9 9.7

Afrique sub-saharienne 2.1 2.0 2.6

Autres pays d’Asie 1.8 1.6 2.8

Ex-Pays socialistes 1.4 5.7 8.3

Chine 1.3 1.8 2.3

Pays industrialisés 1.2 5.1 10.3

Inde 1.2 1.4 1.6

Moyen-Orient 0.1 0.2 0.4

Total 1.5 2.1 3.5

Fig. 2.11 Tomodensitométrie d’une tumeur de l’œ-sophage (T). Une forte consommation d’alcool estun facteur de risque important.

T

Fig. 2.12 Voie principale du métabolisme de l’alcool chez l’homme.

CH3CH2OH

C02+ H2O

CH3CHO

CH3COOH

Alcool déshydrogénasevoies alternatives : Cytochrome P450

(CYP2E1) et catalase

Acétaldéhydedéshydrogénase

Acide acétique

Dioxyde de carbone

+eau

Acétaldéhyde

Ethanol

NAD+

NADH + H+

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avoir un régime alimentaire pauvre enfruits et légumes, ce qui augmente encoreleur risque de développer ces cancers. Il existe relativement peu d’études con-sacrées aux variations possibles du risqueattribuable aux différentes boissonsalcoolisées et les indices scientifiques en lamatière ne sont pas concluants pour l’in-stant. De même, rien ne démontre claire-ment que le facteur clé dans la cancéro-genèse liée à l’alcool soit fonction de l’apportd’alcool, ou que le mode de consommation[par exemple une consommation régulière depetites quantités, typiquement lors desrepas, contre une consommation plusirrégulière de grandes quantités (‘la cuite dusamedi soir’)] y contribue également. On pense que la consommation d’alcoolest impliquée dans l’étiologie de 3% de latotalité des cancers (à savoir 4% chezl’homme et 2% chez la femme, Tableau 2.6).Environ la moitié des néoplasmes attribuéschez la femme à la consommation d’alcoolsont des cancers du sein. Cependant, lepoids réel des cancers attribuables à laconsommation d’alcool est sans doute plusimportant, puisque la consommation d’al-cool peut être un facteur causal de cancersautres que ceux présentés, et que le risqueest probablement sous-évalué.

Les mécanismes de la cancérogenèseet les systèmes de modèles appropriésLe(s) mécanisme(s) par lesquels les bois-

sons alcoolisées provoquent le cancerreste(nt) inconnu(s). Il n’est pas établi quel’éthanol soit cancérogène pour l’animalde laboratoire. Ce composé ne semblepas réagir avec l’ADN dans les tissusmammaliens. Parmi les hypothèsesavancées pour expliquer l’élévation durisque de cancer figurent i) un effet can-cérogène de produits chimiques autresque l’éthanol présent dans les boissonsalcoolisées (comme les N-nitrosamines) ;ii) une action dissolvante facilitant l’ab-sorption d’autres cancérogènes (commeceux contenus dans la fumée du tabac) ;et iii) un rôle cancérogène pour l’acé-taldéhyde, le métabolite principal del’éthanol (Fig. 2.12). Cette dernièrehypothèse est renforcée par les donnéesindiquant que l’acétaldéhyde est can-cérogène pour l’animal de laboratoire, etpar les résultats de récentes étudesmenées au sein de la population montrantdes polymorphismes des gènes codantpour les enzymes impliquées dans lemétabolisme de l’alcool. Les polymor-phismes génétiques entraînent des varia-tions entre les individus du niveau d’activ-ité de ces enzymes (Les prédispositionsgénétiques, p. 71) de telle façon que l’ontrouve des quantités variables d’acé-taldéhyde pour un même apport d’éthanol.Des études menées au Japon, où ces poly-morphismes sont fréquents, ont montréun risque de cancer accru chez les sujets

dont le profil génétique est associé à desniveaux supérieurs d’acétaldéhyde aprèsconsommation d’alcool [6]. Les résultatsconcernant les populations occidentalessont toutefois moins tranchés. En plus d’être associée à un risque accrude plusieurs types de cancers, la surcon-sommation d’alcool entraîne une dépendance (l’alcoolisme), la psychosealcoolique, la pancréatite chronique, la cirrhose du foie, l’hypertension, les

La consommation d’alcool 31

Fig. 2.15 Publicité en tamoul destinée aux tra-vailleurs indiens en Malaisie.

Fig. 2.14 Augmentation multiplicative du risque relatif de cancer du larynxsuite à la consommation d’alcool et au tabagisme actif (les codes de couleurreflètent à peu près le doublement progressif du risque, parallèlement à l’aug-mentation de l’exposition). A.J. Tuyns et coll. (1988) Int J Cancer, 41 :483-91.

Fig. 2.13 Certaines publicités pour l’alcool (comme cette affiche en Malaisie)s’adressent spécifiquement aux femmes. La publicité pour cette liqueur estfaite autour de sa contenance en herbes traditionnellement consommées parles femmes chinoises après leur accouchement. D. Jernigan

CCoonnssoommmmaattiioonn dd’’aallccooooll ((gg//jjoouurr))

Consommation de tabac(cigarettes/jour)

Risq

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accidents vasculaires cérébraux, et unpoids de naissance plus faible des bébésnés de mères alcooliques. De plus,l’ébriété due à la consommation d’alcoolest responsable pour une large proportionde l’ensemble des accidents et blessures(de 15 à 40% selon le type de blessure) et,en particulier, des accidents de la route.Globalement, une consommation d’alcoolimmodérée est responsable de 1,5% detous les décès et de 3,5% d’années de vieperdues ajustées pour l’incapacité(Tableau 2.5) [7]. À l’inverse, la consom-mation régulière d’un seul verre d’alcoolpar jour est clairement associée à unediminution du risque de lésion ischémique

[8], probablement parce que l’alcool aug-mente le taux du cholestérol associé auxlipoprotéines de haute densité, qui joue unrôle protecteur contre l’athérosclérose. Laprotection n’est pas évidente pour desniveaux d’alcool élevés puisque l’effetbénéfique sur les taux de cholestérol estprobablement annulé par l’augmentationde la pression artérielle liée à l’alcool, quiaugmente le risque de lésion ischémique.Chez les hommes britanniques d’âgemoyen ou avancé, la consommation quoti-dienne d’une ou deux unités d’alcool enmoyenne est associée à des niveaux derisques bien inférieurs pour toutes lescauses de mortalité, par rapport à une

consommation d’alcool nulle ou impor-tante [8]. La cholélithiase (calculs bili-aires) est une autre maladie prévenue parune consommation d’alcool modérée. L’effet global de l’alcool sur la santé dansune population donnée dépend donc duniveau de consommation. L’impact sur lasanté peut être considéré par rapport aurisque accru de cancer, d’autres maladieset blessures, et également toute diminu-tion du risque de lésion ischémique. Eviterla consommation excessive de boissonsalcoolisées permettrait de prévenir touteune série de cancers.

32 Les causes du cancer

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Les premiers rapports d’associationsentre le risque de cancer et certainesprofessions sont apparus au 18ème siècle(cancer du scrotum chez les ramoneurs[1]) et au 19ème siècle (cancer de lavessie chez les ouvriers exposés aux col-orants [2]). Cependant, la majorité desétudes établissant un lien entre unrisque accru de cancer et un environ-nement de travail particulier n’ont étépubliées qu’entre 1950 et 1975 [3].Relativement peu de cancérogènes pro-fessionnels ont été identifiés ces 25dernières années.

L’identification des matériaux dan-gereuxLes Monographies du CIRC surl’Evaluation des Risques de Cancéro-génicité pour l’Homme évaluent les don-nées relatives au danger cancérogènepour l’homme suite à l’exposition à des

agents et mélanges chimiques, physiquesou biologiques [4]. En consequence, leprogramme des Monographies du CIRCa évalué les indications du pouvoir can-cérogène pour la plupart des agentsconnus ou soupçonnés. Actuellement,25 produits chimiques, groupes de pro-duits chimiques ou mélanges, pourlesquels les expositions sont principale-ment d’ordre professionnel, sont considérés cancérogènes pour l’homme(Tableau 2.7). Alors que certains de cesagents, comme l’amiante, la silicecristalline et les métaux lourds sontactuellement trouvés sur le lieu de tra-vail dans de nombreux pays, d’autresagents ont été progressivement aban-donnés et ne représentent plus qu’unintérêt historique (par exemple le gazmoutarde et la naphtylamine-2).Vingt-cinq agents supplémentairesprésentant un danger par exposition pro-fessionnelle sont classés comme proba-blement cancérogènes pour l’homme. La

plupart de ces agents se sont révéléscancérogènes chez l’animal de labora-toire, mais d’après les études épidémi-ologiques, les indications de leur pouvoircancérogène chez l’homme sont loind’être concluantes. Il s’agit de produitschimiques et des expositions qui enresultent, fréquemment rencontréesdans de nombreux pays, comme le sontles expositions au formaldéhyde et aubutadiène-1,3 (Tableau 2.8). Il est sou-vent possible d’associer une augmenta-tion du risque de cancer à un groupe d’a-gents ou à un environnement de travailparticulier plutôt qu’à un seul com-posant. Le risque que posent les hydro-carbures aromatiques polycycliquesrevêt un intérêt particulier: bien que

LES EXPOSITIONS PROFESSIONNELLES

Les expositions professionnelles 33

RESUME

> De nombreuses professions et certainsproduits chimiques présents sur le lieude travail sont associés à une augmenta-tion du risque de cancer.

> Le cancer lié aux expositions profession-nelles affecte souvent les poumons,mais aussi la peau, les voies urinaires, lacavité nasale et la plèvre.

> La plupart des cancérogènes profession-nels ont été éliminés du lieu de travail.Toutefois, certaines expositions présen-tent encore un risque sanitaire importantdans les pays nouvellement industrialisés.

> Certaines expositions passées comptentencore aujourd’hui pour une part impor-tante du fardeau du cancer; dans la plu-part des pays européens, l’utilisation del’amiante a été interdite dans les années1990, mais le pic d’incidence dumésothéliome devrait apparaître autourde 2020.

Fig. 2.16 Les premiers cas de cancers profes-sionnels identifiés étaient des cancers du scrotumchez les ramoneurs, à la fin du 18ème siècle.

Fig. 2.17 L’isolation par l’amiante est courantedans les constructions et présente un danger lorsde la démolition. (AA) Des vêtements de protectiondoivent être portés pour éviter tout contact avec(BB) les fibres d’amiante.

A

B

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plusieurs d’entre eux soient des agentscancérogènes expérimentaux (trois d’en-tre eux figurent dans le Tableau 2.8), lesexpositions chez l’homme mettent systé-matiquement en jeu des mélanges com-plexes de ces produits chimiques, trèssouvent dans des proportions variables(par exemple la suie, les goudrons dehouille). Pour déterminer le danger qu’ilsreprésentent chez l’homme, il faut doncconsidérer ces mélanges et pas seule-ment les composés pris individuelle-ment. Un grand nombre d’agents ren-contrés principalement dans un contexteprofessionnel sont classés cancéro-

gènes pour l’homme, comme l’acé-taldéhyde, le dichlorométhane, et lesdérivés inorganiques du plomb. Pour lamajeure partie de ces produits chim-iques, les indications de cancérogénicitéviennent d’études menées chez l’animalde laboratoire, mais l’indice d’une issuecancérogène pour l’homme fait souventdéfaut, car l’exposition humaine survientconjointement à une exposition à denombreux autres agents, ou pour uneautre raison.Un grand nombre d’industries et de pro-fessions ont fait l’objet d’une évaluationdans le cadre du programme des

34 Les causes du cancer

Tableau 2.7 Les produits chimiques cancérogènes pour l’homme (Groupe 1 du CIRC), dont les expositions sont principalement professionnelles.

Agent Localisation anatomique du cancer Principale industrie/utilisation

Amino-4 biphényle Vessie Fabrication du caoutchouc Arsenic et ses composés* Poumon, peau Verres, métaux, pesticides Amiante Poumon, plèvre, péritoine Isolation, filtrage, textilesBenzène Leucémie Solvents, combustiblesBenzidine Vessie Fabrication de pigments/colorantsBéryllium et ses composées Poumon Industrie aérospatiale/métaux Bis(chlorométhyl) éther Poumon Produits chimiques intermédiaires/sous-

produitsCadmium et ses composés Poumon Fabrication de pigments/colorantsChlorométhyl méthyl éther Poumon Produits chimiques Composés du chrome hexavalent Cavité nasale, poumon Revêtements métalliques, fabrication de

pigments/colorants Brais de houille Peau, poumon, vessie Matériaux de construction, électrodesGoudrons de houille Peau, poumon Combustibles Oxyde d’éthylène Leucémie Produits chimiques intermédiaires, agents

stérilsantsHuiles minérales, peu ou non raffinées Peau Lubrifiants Gaz moutarde (moutarde soufrée) Pharynx, poumon Gaz de combat Naphtylamine-2 Vessie Fabrication de pigments/colorants Composés du nickel Cavité nasale, poumon Métallurgie, alliages, catallyseurs Huile de schiste Peau Lubrifiants combustibles Silice cristalline Poumon Taille de pierres, exploitations minières,

fonderies Suies Peau, poumon Pigments Brouillards d’acides minéraux forts contenant de Larynx, poumon Métal, piles l’acide sulfuriqueTalc contenant des fibres asbestiformes Poumon Paper, peintures Tétrachloro-2,3,7,8 dibenzo-para-dioxine (TCDD) Plusieurs organes PolluantChlorure de vinyle Foie Plastiques monomèresPoussière de bois Cavité nasale Industrie du bois

* Cette évaluation concerne le groupe de produits chimiques dans son ensemble et ne s’applique pas nécessairement à chacun des produits

Fig. 2.18 Angiosarcome hépatique provoqué parune exposition au chlorure de vinyle. La tumeurest caractérisée par la prolifération de structuresressemblant à des vaissaux, tapissées de cellulesendothéliales hautement atypiques et malignes.

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Monographies (Tableau 2.9). Dans cer-tains cas (par exemple, la poussière debois dans l’industrie du bois), le ou lesagent(s) responsable(s) de l’augmenta-tion du risque de cancer est/sont bienconnu(s), alors que dans d’autres cas(par exemple une activité dans la pein-ture ou dans l’industrie du caoutchouc),l’augmentation du risque de cancer estétablie sans qu’aucun agent précis nesoit identifié. De plus, il existe de nom-breux agents, connus ou soupçonnésd’entraîner un cancer chez l’homme,auxquels un individu peut être incidem-ment exposé dans un contexte profes-sionnel (Tableau 2.10). L’exposition professionnelle à des produits pharma-ceutiques, dont le pouvoir cancérogèneest connu ou soupçonné, peut ainsi sur-

venir au sein d’une officine ou lors del’administration de ces médicaments auxpatients par le personnel soignant (Lesmédicaments, p. 48). Le personnel deshôpitaux peut être exposé au virus de l’hépatite B, les personnes travaillant dansl’agroalimentaire peuvent l’être aux aflatoxines de produits alimentaires conta-minés, les personnes travaillant en plein airpeuvent l’être aux rayonnements UV ou auxgaz d’échappement des moteurs Diesel, etles cafetiers et serveurs(ses) peuvent l’êtreà la fumée de tabac environnementale. Actuellement, la compréhension desrapports entre exposition profession-nelle et cancer est loin d’être absolue.Pour de nombreux produits chimiques, dont on sait qu’ils sont responsables decancers chez l’animal de laboratoire, les

preuves formelles concernant le moded’exposition professionnelle et son impor-tance font encore défaut. L’établissement et l’interprétation delistes d’agents cancérogènes chimiquesou physiques sont compliqués par denombreux facteurs :- L’information sur les processus indus-triels et les expositions qui en découlentest rare, et ne permet pas une évaluationexhaustive de l’impact d’expositions spé-cifiques pour différentes professions ouindustries ;- L’exposition à des produits chimiquesconnus pour présenter un risque de can-cer, tels que le chlorure de vinylemonomère et le benzène, peut se pro-duire à des niveaux très divers selon lasituation professionnelle;

Les expositions professionnelles 35

Tableau 2.8 Produits chimiques probablement cancérogènes pour l’homme (Groupe 2A du CIRC), dont les expositions sont principalement professionnelles.

Agent Localisation anatomique du cancer Principale industrie/utilisation

Acrylonitrile Poumon, prostate, lymphome Plastiques, caoutchouc, textiles, monomèreBenz[a]anthracène Poumon, peau Fumées de combustionColorants à base de benzidine Vessie Papiers, cuir, colorants textiles Benzo[a]pyrène Poumon, peau Fumées de combustion Butadiène-1,3 Leucémie, lymphome Plastiques, caoutchouc, monomères Captafol - Pesticides Toluènes α-chlorés (benzotrichlorure,chlorure de benzal, chlorure de benzyl Poumon Produits chimiques intermédiaires et chlorure de benzoyle)4-Chloro-ortho-toluidine Vessie Fabrication de pigments/colorants/insecticides Créosotes Peau Conservation du bois Dibenz[a,h]anthracène Poumon, peau Fumées de combustion Sulfate de diéthyle - Produits chimiques intermédiaires Chlorure de diméthylcarbamoyle - Produits chimiques intermédiaires Sulfate de diméthyle - Produits chimiques intermédiaires Epichlorohydrine - Plastiques/monomère de résines Dibromo-1,2 éthane - Produits chimiques intermédiaires, fumigènes,

combustibles Formaldéhyde Rhinopharynx Plastiques, textiles, agents de laboratoire Glycidol - Produits chimiques intermédiaires, fumigènes,

combustiblesMéthylène-4,4' bis(chloro-2 aniline (MOCA) Vessie Fabrication du caoutchouc Méthanesulfonate de méthyle - Récherche en laboratoire ortho-Toluidine Vessie Fabrication de pigments/colorants Biphényles polychlorés Foie, voies biliaires, leucémie, lymphome Composants électriques Oxyde-7,8 de styrène - Plastiques, produits chimiques intermédiaires Tétrachloroéthylène Oesophage, lymphome Solvents, nettoyage à sec Trichloroéthylène Foie, lymphome Solvents, nettoyage à sec, métaux Phosphate de tris(dibromo-2,3,propyle) - Plastiques, textiles, ignifugation Bromure de vinyle - Plastiques, textiles, monomères

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- Les pratiques de travail évoluent avecle temps, soit parce que des agents can-cérogènes identifiés sont remplacés pard’autres agents, soit (plus fréquemment)en raison de l’introduction de nouveauxprocessus ou matériaux industriels ;- Toute liste d’activités professionnellesrecensant une exposition présumée à unagent est susceptible de n’inclure quecertaines des situations pour lesquellesun agent cancérogène spécifique peutêtre présent ;- Enfin, la présence d’un produit chim-ique cancérogène dans une situationprofessionnelle ne signifie pas que lespersonnes exerçant cette activité yseront exposées. A l’inverse, l’absencede cancérogènes identifiés sur un lieude travail donné n’exclut pas la possibilité

d’un danger et/ou d’une cause de can-cer encore non identifiée à ce jour.

Les produits chimiques et exposi-tions spécifiquesIl est impossible de recenser ici les données de cancérogénicité pourl’ensemble des cancérogènes profes-sionnels. Une information limitée sur certains de ces risques est résumée ci-dessous [4,5].

Les amines aromatiquesDe nombreux membres de cette classede composés sont des responsablesétablis, ou impliqués, dans le développe-ment de cancers professionnels. Desétudes menées sur les travailleurs del’industrie chimique ont révélé à partir

du milieu des années 1950 que la benzi-dine et la naphtylamine-2 étaientresponsables du cancer de la vessie.C’est également à cette époque que lespersonnes travaillant dans le caout-chouc ont été reconnues sujettes à cetteaffection maligne, attribuable auxamines aromatiques et à l’amino-4biphényle en particulier. Les études suiv-antes sur les expositions profession-nelles aux amines aromatiques n’ont pasétabli de manière certaine le pouvoircancérogène des différents composés,très souvent en raison d’une expositionmultiple des travailleurs. Cependant, lescolorants à base de benzidine et deméthylène-4,4´bis(chloro-2 aniline) (MOCA,un agent de traitement des matièresplastiques) sont impliqués. Il a été prou-vé que la fabrication de l’auramineentraîne un risque de cancer de lavessie, mais l’agent responsable n’a puêtre isolé.

Le benzèneL’exposition professionnelle au benzènepeut se produire dans les industries dupétrole et de la chimie où il est utilisé comme solvant et intermédiaire.Le composé est connu pour provoquerdes leucémies ; des études plus précis-es parlent de leucémies non lymphocy-taires, la leucémie myélogène en particulier [6].

L’amiante et autres fibresLe cancer provoqué par l’inhalation depoussières d’amiante a été reconnu dèsle milieu des années 1950. Toutes lesformes d’amiante, dont le chrysotile etl’amphibole, la crocidolite, provoquent lecancer du poumon et le mésothéliome,une tumeur par ailleurs très rare, dérivéede l’enveloppe péritonéale, péricardiqueou pleurale. Outre l’amiante dans lesmines, l’exposition concerne lessecteurs de la construction, de la démo-lition, des chantiers navals, de l’isolationet des personnes travaillant sur lesfreins. La taille de la fibre est un facteurdéterminant du pouvoir cancérogène del’amiante. Les données scientifiqueslaissent penser que la laine de verred’isolation, la laine de roche et la laine

36 Les causes du cancer

Tableau 2.9 Industries et professions classées comme cancérogènes pour l’homme (Groupe 1 du CIRC),probablement cancérogènes pour l’homme (Groupe 2A) ou peut-être cancérogènes pour l’homme(Groupe 2B).

IInndduussttrriiee,, pprrooffeessssiioonn LLooccaalliissaattiioonn aannaattoommiiqquuee dduuccaanncceerr ((llooccaalliissaattiioonnss ccaannccéérreeuusseessssuussppeeccttééeess eennttrree ppaarreenntthhèèsseess))

GGrroouupp 11 dduu CCIIRRCCProduction d’aluminium Poumon, vessieFabrication d’auramine Vessie Chaussures (fabrication et réparation) Cavité nasale, leucémie Gaséification du charbon Peau, poumon, vessie Production de coke Peau, poumon, rein Fabrication de meubles et ébénisterie Cavité nasale Extraction souterraine d’hématite avec exposition concomitante au radon PoumonFonderie de fonte et d’acier PoumonFabrication d’isopropanol (procédé à l’acide fort) Cavité nasaleFabrication du magenta VessiePeintres (principalement dans le BTP) PoumonIndustrie du caoutchouc (certaines professions) Vessie, leucémie

GGrroouuppee 22AA dduu CCIIRRCCVerrerie d’art, fabrication de verre creux et verre moulé (Poumon, estomac)Expositions professionnelles des coiffeurs et barbiers (Vessie, poumon)Expositions professionnelles lors de l’épandage et de (Poumon, myélome)l’application d’insecticides non arsénicauxExpositions professionnelles liées au raffinage du pétrole (Leucémie, peau)

GGrroouuppee 22BB dduu CCIIRRCCCharpenterie et menuiserie Cavité nasaleExpositions professionnelles liées au nettoyage à sec (Vessie, oesophage)Travail dans l’industrie de textile (Cavité nasale, vessie)

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de laitier, employées comme substitutsde l’amiante pour certaines utilisations,n’entraînent pas d’augmentation durisque de cancer du poumon ou demésothéliome, bien que les fibrescéramiques et que certaines laines deverre à usage spécifique soient peut-êtrecancérogènes [7].

Les métauxUne exposition à l’arsenic inorganiquedes mines et fonderies de cuivre peutêtre à l’origine d’un cancer du poumon.Une incidence accrue du nombre de can-cers du poumon a également été enreg-istrée dans les industries de productionde chromate et dans celles du chromageet de l’alliage de chrome. L’augmentationdu risque est associée principalement auxcomposés du chrome hexavalent. Le raffi-nage du nickel présente un risque de can-cer lors des processus comportant des(sous)sulfures de nickel, des oxydes, etdes sels de nickel solubles.

Le goudron de houille, production de gazde houille et fonderies de ferLes brais et vapeurs de houille sont ren-contrés dans de nombreuses activités,dont la production de coke, la gazéifica-tion du charbon et les toitures. Cesmélanges provoquent des cancers de la

peau et en d’autres sites, dont les voiesurinaires et respiratoires. Le travail dansles fonderies de fer et d'acier est égale-ment associé à un risque élevé de can-cer du poumon; outre les émissions liéesau charbon, cette activité profession-nelle peut entraîner une exposition à lasilice, aux fumées de métaux et auformaldéhyde.

Le travail du boisLes expositions dans l’industrie du meu-ble et la menuiserie peuvent provoquerdes carcinomes nasals, principalementchez les personnes exposées à la pous-sière de bois.

La peintureEnviron 200 000 personnes dans lemonde travaillent dans la fabrication depeinture, et on estime à plusieurs mil-lions le nombre de peintres, dont ceuxtravaillant dans la peinture spécialisée,comme la production et la réparation devéhicules. Les peintres sont exposés auxsolvants hydrocarbonés et chlorés, auxcolorants, aux polyesters, au phénol-formaldéhyde et aux résines de poly-uréthane. Un risque de plus de 40 % decancer du poumon est enregistré demanière continue, et ne peut pas s’expli-quer par le seul tabagisme.

Les expositions professionnelles 37

Fig. 2.19 Les ouvriers travaillant au revêtementdes routes (ici en Inde) sont exposés aux hydro-carbures aromatiques polycycliques.

Fig. 2.20 La prévention du risque professionnelest une préoccupation majeure dans les exploita-tions minières modernes (comme ici auxCharbonnages de France), à la fois au niveau col-lectif (réduction de la poussière, organisation dutransport) et individuel (utilisation d’unéquipement de protection approprié).

Tableau 2.10 Agents et mélanges rencontrés principalement dans l’environnement général, mais pourlesquels une exposition peut aussi survenir dans un contexte professionnel.

Agent Localisation anatomique du cancer

GGrroouuppee 11 dduu CCIIRRCCAflatoxines FoieInfection chronique par le virus de l’hépatite B FoieInfection chronique par le virus de l’hépatite C FoieErionite Poumon, plèvreRadon et ses produits de désintégration PoumonRayonnement solaire PeauTabagisme passif Poumon

GGrroouuppee 22AA dduu CCIIRRCCGaz d’échappement des moteurs diesel Poumon, vessieRayonnements ultraviolet A PeauRayonnements ultraviolet B PeauRayonnements ultraviolet C Peau

Fig. 2.21 Teinture du textile à Ahmedabad en Inde.La protection contre les expositions profes-sion-nelles dangereuses laisse souvent à désirer dansles pays en développement.

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Un problème mondialLes données sur les cancers profession-nels ont été recueillies principalementdans les pays développés. Les donnéesessentielles concernent en grande par-tie les effets de niveaux d’expositionélevés, conséquence des pratiquesindustrielles de la première moitié du20ème siècle. Peu d’études ont étémenées dans les pays en développe-ment, à part certaines en Chine. Depuisvingt ou trente ans, date à laquelle ontété réalisées la plupart des études, on aobservé des changements majeurs dansla distribution géographique de la pro-duction industrielle, en particulier destransferts massifs de technologie, par-fois obsolète, des pays fortement indus-trialisés vers des pays en développe-ment tels que l’Amérique du Sud oul’Asie. Ainsi, la production de produits àbase d’amiante se déplace vers des payscomme le Brésil, l’Inde, le Pakistan et laRépublique de Corée, où les normes etles exigences sanitaires et de sécuritésont parfois moins sévères (Réductiondes expositions professionnelles et envi-ronnementales, p. 135). Les expositionsprofessionnelles à des environnements

cancérogènes augmentent dans les paysen développement consécutivement autransfert des industries à risque et àl’établissement de nouvelles industrieslocales dans le cadre du processus d’in-dustrialisation rapide au niveau mondial[8].Un problème spécifique aux pays endéveloppement réside dans le faitqu’une grande partie de l’activité indus-trielle s’effectue en de multiples opéra-tions à petite échelle. Ces industries depetite taille sont fréquemment carac-térisées par des machines anciennes,des locaux peu sécurisés, des employésdont le niveau d’instruction et la forma-tion sont minimales, et des employeursaux ressources financières limitées. Lesvêtements de protection, les respira-teurs, les gants et autres équipementsde sécurité sont rarement disponiblesou utilisés. Les petites exploitations tendent à être éparpillées géographique-ment et inaccessibles aux inspectionsdes instances chargées de l’applicationdes règles sanitaires et de sécurité.Malgré le manque de données précises,le plus gros impact des agents cancéro--gènes professionnels dans les pays en

développement devrait s’effectuer dansles secteurs les moins organisés desindustries concernées. On peut mention-ner par exemple l’utilisation d’amiantedans la construction d’immeubles, l’ex-position aux cristaux de silice dans lesmines et les constructions minières, etla présence d’hydrocarbures aroma-tiques polycycliques et de métaux lourdsdans les ateliers de métallurgie de petitetaille et les ateliers de réparationmécanique. On estime entre 4 et 5% la proportion decancers attribuables aux expositionsprofessionnelles les plus communémentacceptées dans les pays développés[9,10]. Le cancer du poumon est proba-blement le plus fréquent parmi ces can-cers. Ces estimations ne s’appliquentcependant pas uniformément aux deuxsexes ou aux différentes classessociales. Parmi les personnes réelle-ment exposées aux cancérogènes pro-fessionnels (par exemple les ouvrierstravaillant dans les mines, dans l’agricul-ture et l’industrie), la proportion de can-cers attribuables à une telle expositionest estimée à environ 20%.

38 Les causes du cancer

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SITES INTERNET

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Les ‘facteurs environnementaux’ au senslarge sont impliqués dans le développe-ment de la majorité des cancers chezl’homme [1]. Au regard d’une telle quan-tité de facteurs environnementaux,comme le tabagisme actif, la consomma-tion d’alcool, l’exposition solaire et lerégime alimentaire, les individus exercentun certain contrôle sur leur niveau d’expo-sition. Cependant, dans le contexteprésent, la ‘pollution environnementale’concerne un sous-ensemble spécifique defacteurs environnementaux cancéro-gènes, à savoir les polluants de l’air, del’eau et du sol. Une caractéristique de cespolluants réside dans l’absence de con-trôle des individus sur leur niveau d’exposition. Parmi les polluants

cancérogènes pour lesquels on disposed’un grand nombre d’informations, ontrouve l’amiante (ici pour une expositionnon professionnelle), les agents toxiquesprésents dans l’air urbain, les polluants del’air intérieur, les sous-produits chlorés etautres contaminants de l’eau de boisson.Les facteurs de risques pertinentsenglobent le lieu de résidence, rural ouurbain, ainsi que le contact avec dessources majeures d’émissions indus-trielles. Plusieurs déterminations laissentpenser que la pollution environnementaleserait responsable de 1 à 4 % du fardeautotal du cancer dans les pays développés[2,3].

L’amianteL’amiante est une des causes les mieuxcaractérisées de cancer chez l’hommedans un contexte professionnel (Les expo-sitions professionnelles, p. 33) ; le risquede cancer associé à l’inhalation de pous-sières d’amiante est reconnu depuis lemilieu des années 1950 [1]. Les exposi-tions à l’amiante d’ordre non profession-nel peuvent survenir dans un contextedomestique et après une pollution loca-lisée. Les personnes cohabitant avecd’autres personnes travaillant au contactde l’amiante peuvent être exposées à lapoussière rapportée sur les vêtements detravail. L’installation, la dégradation, l’en-lèvement et la réparation de produits con-tenant de l’amiante constituent un autremode d’exposition domestique. Desquartiers entiers peuvent même êtresujets à une pollution extérieureprovenant d’une mine ou d’une fabricationlocale d’amiante. L’érosion d’asbestes oude pierres asbestiformes peut constituerune source naturelle d’exposition à l’ami-ante dans certaines parties du monde. Comme dans le cas d’expositions profes-sionnelles, l’exposition à l’amiante dansun environnement domestique entraîneune augmentation du risque demésothéliome, une tumeur rare dérivéedes cellules de l’enveloppe péritonéale,péricardique ou pleurale. De même, une

exposition non professionnelle à l’amiantepeut entraîner un risque de cancer dupoumon, en particulier pour les fumeurs[4]. Une incidence particulièrement élevéede mésothéliome, parmi les habitants de vil-lages en Turquie où les maisons sont con-struites à partir d’érionite (un minéral zéo-lite), est due à une exposition de voisinage.

La pollution de l’air ambiantLa pollution de l’air ambiant est impliquéedans divers problèmes de santé, dont lecancer, et en particulier dans ledéveloppement du cancer du poumon.L’air peut être pollué par un mélange com-plexe de composants gazeux et particu-laires. Les concentrations de composantsspécifiques varient fortement selon lalocalisation et l’époque. Un scénario d’ex-position dangereuse est donc difficile à

LA POLLUTION ENVIRONNEMENTALE

La pollution environnementale 39

RESUME

> On estime que la pollution de l’air, del’eau et des sols serait impliquée dans ledéveloppement d’environ 1 à 4% de tousles cancers.

> Une faible proportion de cancer dupoumon (< 5%) est attribuable à la pollu-tion atmosphérique par des effluentsindustriels, les produits d’échappementdes moteurs et autres toxines.

> Les polluants cancérogènes de l’airintérieur sont principalement la fuméede tabac et les fumées de cuisine dansdes régions particulières, comme danscertaines parties de l’Asie.

> Les chlorofluorocarbones détruisent lacouche d’ozone, ce qui entraîne une éle-vation du rayonnement UV, et par con-séquent une augmentation du risque decancer de la peau.

> La contamination de l’eau potable neprésente pas de risque cancérogènegénéral, mais des niveaux élevésd’arsenic et de sous-produits chlorésdans certaines populations comportenttout de même un risque.

Fig. 2.23 De nombreuses grandes villes dans lemonde connaissent une pollution atmosphérique.

Fig. 2.22 Le combustible utilisé pour le chauffageet la cuisine, ainsi que les taux élevés de vapeursd’huile de cuisson, sont responsables de la forteincidence de cancer du poumon chez les femmesde certaines régions d’Asie.

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définir, en particulier parce que lesmécanismes biologiques appropriés sonten grande partie méconnus. Il est enrevanche possible d’attribuer au moins cer-tains risques cancérogènes à des polluantsatmosphériques spécifiques comme lebenzo[a]pyrène, le benzène, certains métaux,les particules (surtout les fines particules)en général, et peut-être l’ozone. Les niveaux d’émission tendent à seréduire depuis quelques dizaines d’annéesdans les pays développés, de sorte queles concentrations de polluants atmo-sphériques industriels traditionnels,comme le dioxyde de soufre et les particules, ont diminué. Cependant, leséchappements des véhicules restent unproblème constant, voire en augmenta-tion. Les produits de combustion desmoteurs sont des composés organiques

volatiles (benzène, toluène, xylènes etacétylène), des oxydes d’azote (NOx) etdes fines particules (carbone, matériauorganique adsorbé, et traces de composésmétalliques). Dans les pays en développe-ment, la pollution de l’air ambiant peutreprésenter un problème de santépublique plus important que dans les paysplus développés, en raison de l’utilisationmal contrôlée de charbon, de bois et debiomasse (comme les déjections animaleset les résidus de culture) pour la produc-tion d’électricité et le chauffage, ajoutéeaux émissions des véhicules dans leszones urbaines. Bien que la proportion del’énergie globale dérivée des biocom-bustibles soit tombée de 50% en 1900 àenviron 13% en 2000, l’utilisation de cescombustibles augmente actuellementdans certaines régions pauvres [5].

L’exposition de l’homme à la pollutionatmosphérique est néanmoins difficile àévaluer. Dans une étude basée sur la sur-veillance de l’air et des données démo-graphiques pour 100 zones urbaines del’Europe occidentale, la proportion de lapopulation exposée variait entre 14 et 52%, suivant l’indicateur de pollution utilisé(Tableau 2.11) [6].De nombreuses études ont comparé larésidence en zone urbaine, où l’air estconsidéré comme plus pollué, à la rési-dence en zone rurale comme facteur derisque de cancer du poumon [7]. Engénéral, les taux de ce cancer étaient plusélevés dans les zones urbaines, et danscertaines études, ils correspondaient auxniveaux de polluants spécifiques tels quele benzo[a]pyrène, les métaux et les par-ticules, ou aux propriétés mutagènes

40 Les causes du cancer

Tableau 2.12 Etudes indiquant une augmentation du risque de cancer du poumon associé à une exposition aux polluants atmosphériques. PF = particules fines

Etude Population, suivi Nombre de Etendue de Contraste/témoins Risque relatif de cancersujets l’exposition du poumon (IC à 95%)

Dockery et coll. 6 villes, Etats-Unis, 8 111 PF 11-30 µg/m3 Ville la plus haute vs PF: 1,37 (1,11 - 1,68)1993 1974-91 la plus basse

Pope et coll. 151 zones, Etats-Unis, 552 138 PF 9-33 µg/m3 Zones les plus hautes PF: 1,03 (0,80 - 1,33)1995 1982-89 dioxyde de soufre: comparées aux plus Dioxyde de soufre: 1,36

3,6–23 mg/m3 basses (1,11 - 1,66)

Beeson et coll. Californie, hommes 2 278 PF 10-80 µg/m3 Incrément par intervalle PF: 5,21 (1,94 -13,99)1998 non-fumeurs, 1977-82 Dioxyde de soufre interquartile (PF 24 Dioxyde de soufre: 2.66

0,6-11 ppb µg/m3; dioxyde de (1,62 – 4,39)Ozone 4-40 ppb soufre 3,7 ppb; ozone Ozone: 2.23 (0.79 - 6.34)

2,1 ppb)

Tableau 2.11 Proportion de la population de villes d’Europe de l’Ouest exposée à des niveaux de polluants atmosphériques supérieurs aux recommandationsde l’OMS sur la qualité de l’air (WHO Air Quality Guidelines), 1995.

Pollutant Recommandations de Nombre de villes Nombre d’habitants % du nombre d’habitantsatmosphérique l’OMS sur la qualité de disposant de données dans ces villes dans ces villes dont

l’air, moyenne annuelle (millions) l’exposition est supérieure auxrecommandations de l’OMS

Dioxyde de soufre 50 µg/m3 100 61 14%(SO2)

Fumée noire 50 µg/m3 81 52 19%

Total des particules 60 µg/m3 75 25 52% en suspension

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d’extraits de particules dans des essais bac-tériens. D’autres études se sont intéresséesà l’exposition à des composants spécifiquesde l’air ambiant, en fournissant des estima-tions du risque par rapport à une expositionquantitative ou semi-quantitative aux pollu-ants. Ces études ont en général fourni lapreuve d’une augmentation du risque decancer du poumon chez les résidents deszones les plus polluées. Le Tableau 2.12résume les résultats de trois des études lesmieux conçues (en particulier, ces études sesont intéressées à l’effet concomitantéventuel du tabagisme) : quel que soit le polluant observé, les résultats semblentindiquer une augmentation modérée durisque de cancer du poumon. Une pollution atmosphérique localiséepeut présenter un risque lié à la résidenceprès de sources de pollution spécifiques,comme les raffineries de pétrole, lesusines de fabrication de métaux, lesfonderies de fer, les usines d’incinérationou les fonderies. En règle générale, l’aug-mentation du risque de cancer du poumonà proximité de sources de pollution a étédémontrée. Une augmentation de la mor-talité par cancer du poumon est parexemple apparue du milieu des années1960 jusqu’au milieu des années 1970,dans trois villes écossaises situées à prox-imité de fonderies, pour diminuer par lasuite, parallèlement à la réduction desémissions [8]. Des résultats similaires ontété obtenus lors d’études centrées surl’émission industrielle d’arsenic à partir decharbon brûlé et sur la fonte de métauxnon ferreux. L’augmentation du risque decancers autres que le cancer du poumon,provoquée par la pollution de l’air environ-nant, n’est pas démontrée aujourd’hui.

On pense que la pollution de l’air par leschlorofluorocarbones (CFC) serait indi-rectement responsable de l’augmentationdes cancers de la peau partout dans lemonde. Ces produits chimiques, dont leshalons, le tétrachlorure de carbone et leméthyle chloroforme, sont émis par leslaques domestiques, les matelas demousse et de nombreux autres produits.Les chlorofluorocarbones sont trans-portés par les vents dans la stratosphère,où l’action d’un fort rayonnement solairelibère des atomes de chlore et de bromequi détruisent les molécules d’ozone enréagissant avec elles. On pense que laréduction de la couche d’ozone estresponsable des augmentations mondi-ales des rayonnements UVB (Les rayon-nements, p. 51) [9].

La pollution de l’air intérieurDes taux très élevés de cancer du poumonsont relevés dans certaines régions de Chineet d’autres pays d’Asie parmi les femmes nonfumeuses passant une grande partie de leurtemps à domicile. La pollution de l’airintérieur est la conséquence de sources decombustion utilisées pour le chauffage et lacuisine, et peut également être le résultatdes vapeurs d’huile de cuisine. Trois détermi-nants de la pollution de l’air intérieur (‘atmo-sphère enfumée’) sont étudiés: i) le combustible de chauffage (type de combustible, type de four ou chauffage cen-tral, ventilation, zone à vivre, atmosphèreenfumée subjective), ii) le combustible decuisine (type de combustible, type de four oufoyer ouvert, ventilation de la cuisine, locali-sation de la zone de cuisine dans la résidence, fréquence de cuisine, atmosphèreenfumée), iii) les fumées des huiles de friture(types d’huile, fréquence de friture, irritationoculaire lors de la cuisine). L’indication d’unrisque cancérogène est particulièrementforte pour les vapeurs d’huile de cuissondans la cuisine chinoise; elle est renforcéepar des données expérimentales [10]. Dansdes circonstances de forte exposition, plusde 50% des cas de cancer de poumon chezla femme peuvent être attribués à une pol-lution de l’air intérieur. La fumée de tabac est également unesource importante de pollution de l’airintérieur (Le tabac, p. 22). Chez les adultes

non fumeurs, l’exposition chronique à lafumée de tabac dans l’air ambiant aug-mente la mortalité par cancer du poumonde 20 à 30%. L’exposition à la fumée detabac dans l’air ambiant est associée chezl’adulte au cancer du poumon et aux maladies cardiaques, alors qu’elle a étéidentifiée chez l’enfant comme la causede maladies respiratoires, de l’oreilleinterne, de crises d’asthme et du syn-drome de la mort subite du nourrisson.

Pollution de l’eau et du solL’accès à une eau non polluée est une desexigences de base pour la santé del’homme. La plus grande inquiétude con-cerne les maladies infectieuses. La qualitéde l’eau est influencée par les saisons, lagéologie et les rejets agricoles et indus-triels. La lutte contre la contaminationmicrobienne est réalisée par des méthodesde désinfection à base d’oxydants commele chlore, l’hypochlorite, la chloramine etl’ozone. En conséquence, l’eau de boissonest susceptible de contenir une variétéd’agents potentiellement cancérogènes,dont les sous-produits chlorés et l’arsenic.Il est préférable de réduire cette contami-nation sans diminuer la rigueur des procé-dures de désinfection. Les sous-produits

La pollution environnementale 41

Fig. 2.24 Les émissions automobiles sont unesource majeure de pollution atmosphérique.

Fig. 2.25 Les émissions atmosphériques indus-trielles peuvent contenir des agents can-cérogènes.

Fig. 2.26 Des ressources adéquates en eau puresont essentielles pour la santé publique, y comprispour la prévention du cancer.

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chlorés découlent de l’interaction duchlore avec des produits chimiquesorganiques, dont le niveau détermine laconcentration des sous-produits. On trou-ve le plus souvent, parmi les nombreuxcomposés halogénés susceptibles de seformer, des trihalométhanes et du chloro-forme. Les concentrations de trihalo-méthanes sont très variables, principalement en raison de la contamina-tion de l’eau par les produits chimiquesorganiques [12]. Les études sur le cancerde la vessie ont suggéré une augmentationdu risque associé à la consommation d’eaude boisson chlorée [13]. On ne sait pasencore si ces associations sont causalesen raison de la méthode de mesure de l’exposition dans ces études [14].L’arsenic provoque le cancer de la peau,du poumon et d’autres organes [15]. Lasource principale de l’exposition environ-nementale de la population à l’arsenic sefait par ingestion d’eau contaminée.Plusieurs régions d’Alaska, d’Argentine, duBangladesh, du Chili, de l’Inde, duMexique, de Mongolie, de Taïwan et desEtats-Unis connaissent une forte exposi-tion à l’arsenic par l’eau de boisson. Il àété prouvé que la consommation d’eaufortement contaminée par l’arsenic étaitassociée à une augmentation du risque de

cancer de la vessie, de la peau et dupoumon [14]. Les données relatives àd’autres cancers comme le cancer du foie,du côlon et du rein, sont moins claires,mais suggèrent un effet systémique. Lesétudes ont été menées dans des régionsoù les teneurs en arsenic sont élevées (> 200 µg/L). Le risque associé à des concentrations moins élevées (par exem-ple supérieure à 5 µg/L, niveau auquel lamoitié de la population finlandaise estexposée [16]) n’est pas établi, mais uneaugmentation du risque de cancer de lavessie de l’ordre de 50% est plausible. Ona recherché dans plusieurs autres groupesde polluants de l’eau de boisson dessources possibles de risque de cancerchez l’homme [14,17] : les composésorganiques dérivés des activités agricoles,commerciales et industrielles, et en partic-ulier des déchetteries, ainsi que desnitrites, nitrates, radionucléides etasbestes. Pour la plupart, les résultats nesont pas concluants. Une augmentation durisque de cancer de l’estomac a cepen-dant été signalée dans les zones où l’eaude boisson a une forte teneur en nitrates,et une augmentation du risque deleucémie est également observée chez lesrésidents des régions où l’eau de boissoncontient des niveaux élevés de radium.

L’atmosphère, et plus particulièrementl’eau et le sol, peuvent être pollués par uncertain nombre de composés organiquestoxiques comprenant spécifiquement despesticides persistants, des sous-produitsde combustion tels que les dibenzo-p-dioxines polychlorées (la 2,3,7,8-tétra-chlorodibenzodioxine ou TCDD étant unesource d’inquiétude majeure) et les diben-zofuranes, et des produits industriels telsque les biphényles polychlorés (PCB) etbiphényles polybromés (PBB). Ces com-posés sont chimiquement stables, sou-vent transmis le long de la chaîne alimen-taire et peuvent s’accumuler dans les tissus gras. Dans la plupart des cas, ils ontété identifiés comme facteur de risquecancérogène pour l’homme, en référenceà une augmentation du risque de cancerdans des groupes de petite tailles certes,mais fortement exposés au plan profes-sionnel, et dans certains cas à la suite dedysfonctionnements ou d’accidents indus-triels (Les expositions professionnelles, p. 33). Le risque pour la population peutdonc être uniquement déterminé sur labase d’extrapolations à l’aide de modèles mathématiques.

42 Les causes du cancer

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Les différences entre les régimes alimen-taires suivis par différentes populations,en termes de quantité et de proportionrelative des principaux groupes d’aliments(teneur en végétaux, en graisses etc.)exercent une influence majeure sur la dis-tribution des cancers des voies digestiveset de certains autres organes (Alimenta-tion et nutrition, p. 62). En comparaison,seule une toute petite part du fardeaumondial du cancer est attribuable à lacontamination des denrées alimentairespar des toxines reconnues cancérogènes.Malgré cela, ce problème requiert uneattention particulière car il peut engendrer des problèmes graves dans

certaines communautés et, indépendam-ment de son implication demontrée dansle développement du cancer, la contami-nation alimentaire peut être rectifiée.L’élimination des contaminants can-cérogènes suppose que ces derniers aientété identifiés, et que des moyens soientmis au point pour éviter qu’ils ne parvien-nent ou ne soient générés dans la nourrit-ure. De tels objectifs de santé publiquepeuvent faire l’objet de réglementations.La contamination de l’eau ne fait pas par-tie de cette discussion, mais elle esttraitée dans la section intitulée La pollutionenvironnementale, p. 39.La contamination de la nourriture peuts’effectuer directement lors de la produc-tion, du stockage et de la préparation. Parexemple, les grains et céréales sont sujetsà des prolifération de champignons et àune contamination par des mycotoxines.Une contamination indirecte de la nourrit-ure peut intervenir lorsque les animauxont été nourris ou traités par des produitscontaminés. Les résidus les plus con-testés, détectés dans la viande, le lait etles œufs, sont des antibiotiques, des hormones de croissance et certains pesticides, des métaux lourds et produitschimiques industriels. Une catégorie supplémentaire de contaminants con-cerne ceux qui sont générés au cours dela préparation même des aliments.

Les contaminants d’origine naturelleLa nourriture peut être contaminée pardes mycotoxines, la présence d’un telagent pouvant indiquer la présenced’autres agents. Un seul champignon peutproduire plusieurs mycotoxines, et lanourriture ou le fourrage peuvent êtrecontaminés par plusieurs variétés dechampignons. Seul un petit nombre dechampignons ont été classés comme can-cérogènes.

Les aflatoxinesLes aflatoxines sont une famille de com-posés associés (désignés B1, B2, G1, G2, etM) qui contaminent la nourriture dans les

régions chaudes et humides du globe,avec des taux particulièrement élevéspour les régimes alimentaires traditionnels àbase de maïs et d’arachide, en Afrique sub-saharienne, en Asie du Sud-Est, et enAmérique latine. Produites par lechampignon Aspergillus, les aflatoxines s’ac-cumulent en particulier au cours du stockagedes grains. Dans de nombreux pays, dontl’Europe et l’Amérique du Nord, la contami-nation à l’aflatoxine est reconnue commedangereuse et les niveaux d’aflatoxine dansles aliments à risque font l’objet d’un suivi etd’un contrôle réglementaire associé.Des adduits d’aflatoxines dans l’albuminesérique reflètent l’exposition de l’homme.Dans les régions où l’aflatoxine est uncontaminant alimentaire fréquent, de telsadduits sont détectables dans près de95% de la population. Dans ces régions,l’infection par le virus de l’hépatitechronique (essentiellement le virus del’hépatite B, ou VHB) touche près de 20%de la population. L’exposition concomi-tante à l’aflatoxine et au VHB est le princi-pal facteur de risque responsable de laforte incidence de carcinomes hépato-

LES CONTAMINANTS ALIMENTAIRES

Les contaminants alimentaires 43

RESUME

> La nourriture peut être contaminée pardes toxines naturelles ou fabriquées parl’homme, y compris des substances quel’on sait cancérogènes chez l’animal delaboratoire, et dans certains cas chezl’homme.

> Les agents cancérogènes présents à l’étatnaturel sont les mycotoxines, et en parti-culier les aflatoxines, qui contribuent audéveloppement du cancer du foie enAfrique et en Asie.

> La nourriture peut être contaminée pardes pesticides résiduels. De petites quan-tités d’amines hétérocycliques, muta-gènes et cancérogènes chez l’animal delaboratoire, peuvent être générées lors dela transformation et de la préparation dela nourriture.

> Les moyens pour réduire, et dans cer-tains cas éliminer la contamination ali-mentaire englobent l’hygiène du stock-age, appliquée et réglementée demanière appropriée.

> Le fardeau du cancer attribuable auxcontaminations alimentaires est difficileà quantifier, sauf dans certains cas spé-cifiques (comme avec l’aflatoxine B1).

Fig. 2.27 Les arachides (cacahouètes) sont parti-culièrement sujettes à contamination par des afla-toxines, dans certaines régions comme en Afriquede l’Ouest.

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cellulaires dans certaines régions d’Afrique,d’Asie et d’Amérique du Sud [1].L’aflatoxine B1 (la plus commune) provoquele cancer du foie chez l’animal de labora-toire. Elle est métabolisée dans les cel-lules hépatiques pour former un époxydequi se lie à la position N7 de guanines spé-cifiques, entraînant la formation de trans-versions G à T [2] (Activation des agentscancérogènes et réparation de l’ADN, p. 89). Les mutations induites par l’afla-toxine B1 se retrouvent dans plusieursgènes impliqués dans la cancérogenèse

hépatocellulaire. L’aflatoxine B1 provoqueune mutation typique au codon 249 dugène p53 (AGG à AGT, arginine à sérine)(Figure 2.28). On trouve rarement cettemutation dans les carcinomes hépatocel-lulaires des zones à faible exposition àl’aflatoxine, mais elle touche jusqu’à 60%des carcinomes hépatocellulaires dans lesrégions fortement exposées [3]. Les aflatoxines d’origine naturelle sontclassées par le CIRC comme can-cérogènes pour l’homme (Groupe 1).

FusariumFusarium verticillioides (auparavant F.moniliforme), ubiquiste sur le maïs, produitles toxines fuminosines B1 et B2, etfusarine C dans un environnement chaudet humide. L’incidence du cancer de l’œsophage est liée à la présence deFusarium verticillioides ou de ses toxinesdans le maïs. Fusarium sporotrichioides pro-duit la toxine T-2, susceptible d’avoir joué unrôle important dans les empoisonnementshumains à grande échelle en Sibérie au siècle dernier, et peut-être cancérogène [4].

OchratoxineL’ochratoxine A, également un métabolitefongique (Figure 2.29) est classée commepeut-être cancérogène pour l’homme.Cette mycotoxine peut contaminer lesgrains et les produits issus du porc. Elleest détectée dans le sang et le laithumains. Plusieurs études ont suggérédes corrélations entre l’ochratoxine A et la

néphropathie endémique des Balkans, etentre la distribution géographique decette dernière et l’incidence élevée detumeurs urothéliales des voies urinaires.L’administration d’ochratoxine A à lasouris provoque une augmentation de l’incidence des carcinomes hépatocellu-laires et d’autres types de tumeurs [4,5].

Alcaloïdes pyrrolizidiniquesLes alcaloïdes pyrrolizidiniques (dont lalasiocarpine et la monocrotaline) sont destoxines végétales d’origine naturelle pou-vant être ingérées par les animaux, et parles individus consommant certainesplantes médicinales (comme la consoude)ou le miel, dans certaines régions [6]. Il aété démontré que plusieurs alcaloïdespyrrolizidiniques lésaient l’ADN et mon-traient in vitro des propriétés mutagènes.La consommation chronique de ce typed’alcaloïdes peut entraîner la formation detumeurs du foie chez les rongeurs, mais n’aété associée à aucun cancer chez l’homme.

Les fougèresLes animaux paissant de la fougère (genrePteridium) peuvent montrer plusieurssignes de toxicité, dont des tumeurs dutractus gastro-intestinal supérieur et de lavessie, qui sont attribuables au ptaquilo-side, agent cancérogène [7]. Le glucosidecorrespondant peut être présent dans lafougère à une concentration de 13 000ppm. Le métabolisme de ce composéengendre des adduits d’alkylation dans

44 Les causes du cancer

Fig. 2.28 Interaction entre l’aflatoxine B1 et l’infection par le virus de l’hépatite B dans la pathogenèse du carcinome hépatocellulaire chez l’homme.

AFLATOXINE B1Facteur endogène

métabolique(Cytochrome P450)

Métaboliteélectrophile

Lésion ADNpromutagène

Mutation du gènep53 (transversion

G:T-T:A)

Expansion clonalesélective et délétion

allélique de p53

CARCINOME HEPATO-CELLULAIRE

PROLIFERATION CELLULAIRELa protéine VHB-X - interagit avec p53 ou la protéine Rb

- activation transcriptionnelle de l’oncogène MYC

Conjugé aflatoxine-glutathione

Détoxification (glutathion transférase)

VIRUS DE L’HEPATITE (hépatite active chronique)

Fig. 2.29 Les champignons Aspergillus etPenicillium produisent, dans un environnementhumide, des ochratoxines sur les denrées utiliséesdans la production de nourriture humaine où animale.

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l’ADN. Le lait des vaches nourries de fougères provoque le cancer chez l’ani-mal de laboratoire. La fougère est suscepti-ble de poser un risque cancérogène dans

des populations identifiées comme étantexposées au Japon, au Costa Rica et auRoyaume-Uni.

La contamination par les produitschimiques industrielsCertains organochlorés, dont le DDT etd’autres pesticides, sont résistants à la

Les contaminants alimentaires 45

‘L’épidémiologie moléculaire du cancer ‘était définie en 1982 comme ‘uneapproche dans laquelle des méthodes delaboratoire avancées sont utilisées encombinaison avec l’épidémiologie analy-tique pour identifier au niveau biochim-ique ou moléculaire les facteurs endo-gènes et/ou exogènes spécifiques quijouent un rôle causal dans l’apparition ducancer chez l’homme’ (Perera FP,Weinstein IB, J Chron Dis 35: 581-600,1982). Quatre catégories de biomar-queurs étaient décrites : dose interne,dose biologiquement efficace, réponse etprédisposition. On espérait que, par l’in-troduction des biomarqueurs dansl’épidémiologie, les chercheurs « seraientcapables de prévoir les risques pourl’homme plus précisément qu’ils ne lepouvaient jusqu’alors». L’épidémiologiemoléculaire du cancer a depuis rapide-ment évolué, avec l’établissement deplusieurs programmes spécifiques dansde nombreuses écoles de santé publique.

L’objectif avoué de l’épidémiologiemoléculaire du cancer est la préventiondu cancer. Une recherche considérabledans ce domaine s’est concentrée sur lescauses environnementales, car plusieursfaisceaux de preuves indiquent que lesfacteurs déterminant l’incidence princi-pale des cancers sont en grande partieexogènes et peuvent donc être prévenus(Lichenstein P et coll., N Eng J Med 343:78-85, 2000). Ceux-ci comprennent lesexpositions liées au mode de vie et à laprofession, et aux polluants de l’air, del’eau et des réserves alimentaires. Cetteprise de conscience a poussé les épidémio-logistes à rechercher en urgence des out-ils plus puissants sous la forme de sys-tèmes d’alerte précoce pour identifier les

agents déclenchants d’origine environ-nementale et signaler les risques bienavant que le processus malin ne devienneimpossible à enrayer.

La contribution potentielle de l’épidémiolo-gie moléculaire du cancer regroupe lespoints suivants : fournir la preuve que lesagents environnementaux entraînent desrisques cancérogènes, contribuer à établirle rôle des facteurs environnementauxdans le cancer, identifier les interactionsenvironnement-prédispositions et les popu-lations les plus à risque, et enfin dévelop-per de nouvelles stratégies. Une revuerécente de la littérature (Perera F, J NatlCancer Inst, 92: 602-612, 2000) a évalué demanière critique les progrès effectués à cejour, à l’aide d’une recherche illustrée sur lafumée du tabac, les hydrocarbures aroma-tiques polycycliques, l’aflatoxine B1, le ben-

zène et le virus de l’hépatite B, et leur rôlerespectif dans le cancer du poumon, dusein, du foie et la leucémie. En conclusion,l’épidémiologie moléculaire a identifié uncertain nombre de risques cancérogènes,en fournissant dans certains cas des don-nées étiologiques définitives, élargissantainsi notre compréhension de la géné-tique individuelle et de la susceptibilitéacquise aux cancérogènes environnemen-taux. L’épidémiologie moléculaire n’acependant pas encore abouti à de grandsbouleversements pour prévenir ou réduirel’exposition aux agents cancérogènes. Ilest désormais nécessaire d’utiliser lesdonnées existantes pour évaluer lesrisques et les politiques de santépublique, et mettre en place un processusde recherche qui comblerait les lacunesdes connaissances scientifiques.

L’EPIDEMIOLOGIE MOLECULAIRE

Paramètres moléculaires potentiels (spécifiés dans la partie inférieure de la figure) pouvant servir de baseaux études épidémiologiques moléculaires. Ces paramètres peuvent être des indicateurs des processusbiologiques contribuant au développement du cancer, comme le montre la partie supérieure de la figure.

MARQUEURS DE LADOSE CHEZL’HOMME

PRÉVENTION PRIMAIRE ET INTERVENTIONS CLINIQUES

STATISTIQUES DELA POPULATION

Prolifération cellulaire

Expansion clonale

Réparation RéplicationAbsorption

DistributionMétabolisme

Agents environne-

mentaux ouendogènes

FACTEURS DE PRÉDISPOSITIONGÉNÉTIQUES/ENVIRONNEMENTAUX

DÉTECTION PRÉCOCE ETMARQUEURS

PRONOSTIQUES

Adduits à l’ADN,adduits

protéiques

ÉVALUATION DEL’EXPOSITION PATHOLOGIE

CLINIQUE

Mutation dansdes gènes

rapporteurs,oncogènes et

gènes suppresseurs

Métabolitesdans les liquides

corporels & excreta

Instabilitégénomique,expression

génétique aber-rante, structure

cellulairealtérée

Tumeurmaligne

Modificationgénétique sup-

plémentaire

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dégradation, sont très liposolubles et per-sistent ainsi dans l’environnement, et sontbioconcentrés jusque dans la chaîne alimentaire de l’homme. Les produitschimiques industriels associés comme lesbiphényles polychlorés ont les mêmeseffets. Le DDT et un grand nombred’autres pesticides organochlorés provo-quent des cancers du foie chez le rat. LeDDT en particulier a été associé à uneaugmentation du risque de cancer du pan-créas, du sein, de lymphome et deleucémie chez l’homme. Certains organo-chlorés montrent une activité desstéroïdes sexuels dans des systèmesd’analyse appropriés, et l’on considère queces pesticides peuvent potentiellementinterrompre l’homéostasie régulée par lesystème endocrinien. Des tentatives ontété effectuées pour corréler les niveauxd’organo-chlorés et des biphényles poly-chlorés dans le tissus mammaires à risquepour le cancer du sein dans plusieurs com-munautés, mais sans résultats probants[8]. Concernant les principaux pesticides, ilexiste des règlements internationaux

relatifs aux quantités acceptables derésidus alimentaires – l’AJA, ou apport jour-nalier acceptable, étant le niveau deréférence pour de telles expositions. Lesniveaux d’AJA sont déterminés par desgroupes d’experts de l’OMS, et publiésdans la WHO Pesticides Residue Series.Les dibenzo-p-dioxines polychlorées (com-prenant la tétrachloro- 2,3,7,8-dibenzo-p-dioxine, ou TCDD) sont des polluantsubiquistes dans les sédiments des sols etdans l’air (La pollution environnementale,p. 39). L’exposition humaine survient lorsde la consommation de viande et d’ali-ments associés. On ne connait pas le fardeaudu cancer attribuable à ces expositions [9].

Les produits chimiques générés lorsde la préparation alimentaireCertains produits chimiques formés pen-dant la préparation alimentaire peuventprésenter un risque cancérogène. La toxicité de ces produits chimiques justifiegénéralement l’adoption de moyens pourminimiser leur formation, en particulierlors de l’élaboration de préparations

alimentaires industrielles. Il n’est pas pos-sible d’attribuer la causalité du cancer chezl’homme à ce type de risque particulier. Une approche pragmatique possible a étéproposée, en matière de priorité quantaux cancérogènes chimiques apparais-sant dans l’alimentation, et la prioritéabsolue revient aux agents cancérogènesdont on pense qu’ils agissent selon unmécanisme génotoxique [10].

Les amines hétérocycliquesCertaines amines hétérocycliques sontformées par pyrolyse de deux acidesaminés, la créatine et la créatinine, lors dela cuisson de la viande et du poisson àhaute température. Les amines hétérocy-cliques sont cancérogènes pour plusieursorganes des souris, des rats et des pri-mates non humains, bien que leur poten-tiel cancérogène ne soit pas encore établichez l’homme [11]. Le métabolisme desamines hétérocycliques peut varier selonles individus en raison de divers polymor-phismes génétiques.

Les hydrocarbures aromatiques polycy-cliquesLes hydrocarbures aromatiques polycy-cliques peuvent être générés dans la viandequand elle est cuite, grillée ou cuisinée surune flamme. De nombreux membres decette classe chimiques sont cancérogènes.Ces composés peuvent également se for-mer lors du traitement et de la transforma-tion d’aliments crus avant cuisson. Ungrand nombre d’hydrocarbures aroma-tiques polycycliques, comme le benzo[a]-pyrène et le benzanthracène, son présentsdans la fumée de combustion des

46 Les causes du cancer

p53

Fig. 2.30 Corrélation entre l’incidence régionale du carcinome hépatocellulaire, l’exposition alimentaireà l’aflatoxine B1 et la prévalence des mutations G > T au codon 249 du gène suppresseur de tumeur p53.

Fig. 2.31 Les nitrosamines sont présentes dansle poisson fumé consommé dans de nombreusesrégions du monde, dont la Gambie.

Prévalence de la mutationp53 (codon 249 ; AGG >AGT) en % du total de carci-nomes hépatocellulaires

Sénégal (10/15)

Chine (Qidong, Guangxi) (38/73)

Mozambique (8/15)

Japon (1/274)

Afrique du Sud (Transkei, Natal) (3/48)

Chine (Shangaï) (3/52)

Apport moyen d’aflatoxine B1(ng/kg poids corporel/jour)

Europe/Etats-Unis (0/107)

Incidence standardisée surl’âge du carcinome hépato-cellulaire (/105 hommes)

Thaïlande (1/15)

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Les contaminants alimentaires 47

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SITE INTERNET

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Les composés N-nitrosésLes composés N-nitrosés sont une classeétendue de produits chimiques, un grandnombre d’entre eux (en particulier les N-nitrosamines) étant de puissants agentscancérogènes pour plusieurs espècesd’animaux de laboratoire, et probable-ment pour l’homme [12]. Les nitrosaminespeuvent se former à partir de réactionschimiques dans les aliments contenantdes nitrates et des nitrites ajoutés,

comme le poisson et la viande aprèssalage, et dans les aliments fumés ouséchés directement au feu. L’utilisation d’en-grais peut influencer le niveau de nitritesdans les aliments, ce qui peut être un fac-teur déterminant dans l’apparition denitrosamines lors de la préparation et dustockage des denrées. Certains procédésindustriels comme le brassage de la bièreont été modifiés pour réduire la formationde nitrosamines. Des études sur desvolontaires consommant des supplé-ments de nitrates ou de grandes portionsde viande rouge indiquent que les com-

posés N-nitrosés peuvent également êtreproduits de manière endogène dansl’estomac et le côlon. Cette formationendogène est inhibée par plusieursantioxydants naturels comme les vita-mines C et E, présentes dans les fruits etles légumes.

Les métauxIl est difficile d’évaluer les risques présen-tés par les métaux dans alimentation,selon qu’ils sont considérés comme nutri-ments essentiels ou comme contaminants[13].

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La médecine moderne dispose de cen-taines de médicaments dont la plupartsont essentiels au traitement efficaced’une grande variété de pathologieshumaines. Il est apparu qu’une petitefraction de ces médicaments avait uneffet secondaire cancérogène pourl’homme. Ceci est plus probablement lecas de certains médicaments quidoivent être administrés à forte dose ousur des périodes prolongées. Lorsqu’ilexistait des alternatives plus sûres etnon cancérogènes, ces médicamentsont été retirés de la pratique médici-nale. Dans certains cas, comme pour letraitement de pathologies qui seraientmortelles autrement, comme un cancermétastasé, le risque d’utilisation de cesmédicaments présentant un danger can-cérogène est plus que contrebalancépar le bénéfice immédiat apporté aupatient. Parmi ces médicaments possé-dant un effet cancérogène chezl’homme, on trouve des médicaments etcombinaisons de médicaments anti-néoplasiques [1], des hormones etantagonistes d’hormones [2,3], des

immunosuppresseurs, et un petit nom-bre d’autres agents [1,4].

Les anti-cancéreuxCertains agents anti-néoplasiques etthérapies médicamenteuses associéesont provoqué des cancers secondaireschez des patients (Tableau 2.13). Lacancérogénicité de ces agents à étéévaluée par les Monographies du CIRCsur l’évaluation des risques de can-cérogénicité pour l’homme (Groupe1 duCIRC). Certains d’entre eux ne sont plusutilisés en médecine car des médica-ments plus efficaces et moins dan-gereux sont apparus. D’autres agentsont des propriétés similaires aux agentscancérogènes connus, et sont suscepti-bles d’être cancérogènes pour l’homme(Groupe 2A) (Tableau 2.14). Ces agentsont tous en commun la capacité de réagir chimiquement avec l’ADN pourproduire des lésions génétiques auniveau cellulaire (par exemple la procar-bazine) ou d’interférer avec la réplica-tion de l’ADN de façon à produire deslésions cellulaires (comme l’étoposide)(Oncologie médicale, p. 289). Les agentsfigurant dans le Tableau 2.13, ayant étéétudiés lors d’expérimentations ani-males, provoquent tous l’apparition detumeurs. Il est bien reconnu que denombreux anti-tumoraux efficaces peu-vent déclencher l’apparition de cancerssecondaires chez les patients traités.Les oncologues médicaux ont consacré

beaucoup d’efforts à l’optimisation dudosage de ces médicaments, pour à lafois maximiser l’effet anti-tumoral etminimiser le risque de cancers sec-ondaires.

Les hormonesLes hormones sont de puissants régula-teurs des fonctions corporelles, et desdéséquilibres hormonaux peuvent ainsiaugmenter le risque de certains cancers(Facteurs génésiques et hormones, p. 77). Ceci peut survenir lorsque deshormones naturelles ou synthétiquessont utilisées à des fins médicales,comme dans certaines préparationscontraceptives et dans les traitementshormonaux post-ménopausiques. Cer-tains médicaments sont développéspour contrer les effets de certaines hormones dans des tissus spécifiques.Ils exercent cependant des effets similaires aux hormones sur d’autrestissus, et peuvent augmenter le risquede cancer sur ces sites. Le tamoxifèneest par exemple un anti-œstrogène pouvant être administré aux femmesatteintes de tumeurs du sein positivesaux récepteurs œstrogéniques, pourbloquer l’entrée des œstrogènes dansles tissus mammaires. C’est un médica-ment efficace pour la prévention du can-cer du sein controlatéral chez lespatientes atteintes de cancer du sein,mais il augmente également le risque decancer de l’endomètre [5]. Le diéthyl-

LES MEDICAMENTS

48 Les causes du cancer

RESUME

> Certains médicaments utilisés pour letraitement des tumeurs malignes peu-vent parfois provoquer des tumeurs secondaires.

> Les médicaments exerçant une activitéhormonale ou bloquant les effets deshormones peuvent augmenter le risquede certains cancers hormono-dépen-dants, tout en réduisant le risqued’autres cancers.

> Des médicaments comme le diéthyl-stilbestrol, provoquant le cancer duvagin suite à une exposition transpla-centaire, ont été interdits, alors que l’utilisation d’autres médicamentscomme la phénacétine (à l’origine detumeurs urothéliales) a été restreinte.

Fig. 2.32 Histopathologie d’un carcinome vaginalà cellules claires résultant d’une exposition préna-tale au diéthylstilbestrol.

Fig. 2.33 Histopathologie d’un carcinome transi-tionnel des voies urinaire provoqué par un abusprolongé d’analgésiques à base de phénacétine.

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stilbestrol est un œstrogène de syn-thèse, prescrit à l’origine en préventiondes fausses couches, qui a causé desmalformations des organes reproduc-teurs et qui est associé à une augmen-tation du risque d’adénocarcinome vaginal chez les filles exposées aumédicament in utero (Fig. 2.32).

Les autres traitements et implantschirurgicauxUn risque de cancer a été décelé chezl’homme en cas d’utilisation massived’un petit nombre de médicamentsayant été utilisés en médecine durantde nombreuses années à des finsdiverses, autres que anti-tumorales,hormonales ou immunosuppressives(comme la phénacétine, contenue dansdes mélanges analgésiques, Fig. 2.33),ou durant des périodes prolongées (parexample, la solution de Fowler, con-tenant une solution à 1 % d’arsénite depotassium dans de l’alcool aqueux). Leproduit de contraste aux rayons Xradioactif Thorotrast, qui n’est plus utilisé, a été associé à une augmenta-tion du risque d’angiosarcome. D’autresse sont révélés cancérogènes chez l’animal de laboratoire, mais n’ont puêtre liés à la survenue de cancers chezl’homme malgré de nombreusesrecherches. Certains de ces médica-ments ont été retirés de l’utilisationclinique (comme la phénolphtaléine),alors que d’autres continuent à être utilisés, car le bénéfice pour le patientest important et le risque de cancer estconsidéré comme très faible (c’est lecas du dextrane ferrique injectable, duphénobarbital, de la phénytoïne). Certains traitements introduits récem-ment en médecine humaine, dont lesanti-rétroviraux zidovudine (AZT) et zal-citabine (ddC), sont cancérogènes pourl’animal de laboratoire et pourraientl’être chez l’homme (Groupe 2B duCIRC), bien qu’il n’existe encore aucuneindication directe d’une augmentationdu risque de cancer chez les patientstraités [6].Divers implants chirurgicaux sont large-ment utilisés à des fins à la foisthérapeutiques et cosmétiques [7]. Des

Les médicaments 49

Médicament ou association médicamenteuse Localisation anatomiquedu cancer

Groupe 1 du CIRC

Mélanges analgésiques contenant de la phénacétine Rein, vessie

Azathioprine Lymphome, peau, foie,et voies biliaires, tissus conjonctifs mous

N,N-Bis(chloro-2 éthyl)naphtylamine-2 (Chlornaphazine) Vessie

Butanediol-1,4 diméthanesulfonate (Bisulphan; Myleran) Leucémie

Chlorambucil Leucémie

Chloro-2 éthyl-1 (méthyl-4 cyclohexyl)-3 nitroso-urée Leucémie(Méthyl-CCNU; Sémustine)

Ciclosporine Lymphome, sarcome de Kaposi

Diéthylstilbestrol Col, utérin, vagin

Etoposide en association à la cisplatine et à la bléomycine Leucémie

Solution de Fowler (arsenite de potassium à 1%) Peau

Melphalan Leucémie

Méthoxy-8 psoralène (Méthoxsalène) avec irradiation aux Peauultraviolets A

MOPP (traitement associé utilisant moutarde azotée, Leucémievincristine, procarbazine et prednisone) et autreschimiothérapies associées utilsant des agents alcoylants

Oestrogénothérapie de la femme ménopausée Sein, utérus

Oestrogènes non stéroïdiens Col utérin, vagin

Oestrogènes stéroïdiens Utérus, sein

Contraceptifs oraux combinésa Foie

Contraceptifs oraux séquentiels Utérus

Tamoxifèneb Utérus

Thiotépa Leucémie

Tréosulfan Leucémie

a On dispose également d’indications qui permettent de conclure que ces agents jouent un rôle protecteur con-tre les cancers de l’ovaire et de l’endomètre.

b On dispose également d’indications qui permettent de conclure que cet agent réduit le risque de cancer du seincontrolatéral.

Tableau 2.13 Traitements médicamenteux classés cancérogènes pour l’homme (Groupe 1 du CIRC).

021-082 Xp5 19/04/05 9:21 Page 49

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corps étrangers de toutes sortes entraî-nent le développement de tumeursmalignes des tissus connectifs (sar-comes) quand ils sont implantés dansles tissus ou les cavités corporelles derongeurs de laboratoire, et laissés enplace pour de longues périodes. Cescorps étrangers comprennent des objetssolides métalliques ou non, et des sus-

pensions liquides non absorbables ouabsorbables très lentement. Les sar-comes se développent chez les rongeursà proximité immédiate du corps étran-ger, dans les tissus connectifs mous oudans les os et/ou le cartilage. Il existeplus de 60 études de cas publiés sur lessarcomes et autres types de cancersdéveloppés chez l’homme et sur les sites

d’implants chirurgicaux ou d’autrescorps étrangers. Il n’existe cependantaucune étude contrôlée qui permettraitde conclure que ces cancers ont étéeffectivement provoqués par le corpsétranger pré-existant. Les implantsmammaires féminins ont été trèsétudiés, et on a établi pour les implantsen silicone la preuve de l’absence decaractère cancérogène pour le carci-nome du sein chez les femmes ayantreçu ces implants. Le passé récent n’a pas été marqué pardes découvertes majeures sur l’implication de médicaments dans ledéveloppement de cancers. Ceci estprobablement dû, au moins partielle-ment, à la vigilance imposée par lesautorités nationales sur les tests pré-cliniques et cliniques des médica-ments. Des médicaments candidatsmontrant une activité dans les tests dedépistage de cancérogénicité ont peude chances d’atteindre la phase finaledu développement et de la commerciali-sation. En conséquence, la préventiondu cancer imputé à un traitement médical ne constitue pas un problèmemajeur de santé public.

50 Les causes du cancer

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Médicament ou association médicamenteuse Cancer

Groupe 2A du CIRC

Stéroïdes androgéniques (anabolisants) Foie

Bis-chloroéthyl nitroso-urée (BCNU) Leucémie

Chloramphénicol Leucémie

Chloro-2 éthyl)-1-cyclohexyl-3-nitroso-urée (CCNU) Leucémie

Etoposide Leucémie

Méthoxy-5 psoralène Peau

Moutarde azotée Peau

Chlorohydrate de procarbazine Leucémie

Téniposide Leucémie

Tableau 2.14 Traitements médicamenteux classés probablement cancérogènes pour l’homme (Groupe 2Adu CIRC).

Programme des monographies du CIRC, online searchfacility:http://www/cie.iarc.fr/defaultfr.htm

SITES INTERNET

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Des sources naturelles et artificiellesgénèrent de l’énergie rayonnante sous laforme d’ondes électromagnétiques. Leurinteraction avec les systèmes biologiquessurvient principalement au niveau cellu-laire. Les ondes électromagnétiques secaractérisent par leur longueur d’ondes,leur fréquence ou leur énergie. Les con-séquences sur les systèmes biologiquessont déterminées par l’intensité du rayon-nement, l’énergie contenue dans chaquephoton et la quantité d’énergie absorbéepar le tissu exposé. Le spectre électromagnétique s’étend desondes de basse fréquence (énergie faible)que l’on appelle ‘champs magnétiques etélectriques’ aux ondes de très hautefréquence, souvent désignées sous lenom de ‘rayonnement électromagnétique’(Fig. 2.38). Les rayonnements électromag-nétiques de plus forte énergie sont lesrayons X et γ. Ils possédent une énergiephoton suffisante pour produire une ioni-sation (c’est-à-dire créer des atomes oudes parties de molécules chargés posi-tivement et négativement) et casser ainsiles liaisons chimiques. D’autres formes de

rayonnement ionisant sont constituéespar les particules sub-atomiques (neu-trons, électrons (particules β) et partic-ules α) forment les rayons cosmiques, etégalement émises par les atomes radioac-tifs. Le rayonnement non ionisant est unterme général pour cette partie du spectreélectromagnétique dont les énergies pho-tons sont trop faibles pour briser les liaisons chimiques; il comprend les rayon-nements ultraviolets, la lumière visible, lerayonnement infrarouge, les champs deradiofréquence et de micro-ondes, leschamps de fréquence extrêmement basse(ELF), ainsi que les champs magnétiqueset d’électricité statique.

Le rayonnement ionisantL’exposition au rayonnement ionisant estinévitable [1]. L’homme est exposé à la foisaux rayons X et γ d’origine naturelle (dontles rayonnements cosmiques et la radioac-tivité présente dans les roches et le sol) et,dans une moindre mesure, issus de l’activ-ité humaine (Fig. 2.35). En moyenne, pourun individu de la population générale, laplus grande contribution provient desrayons X médicaux et de l’utilisation de pro-duits radiopharmaceutiques, avec desdoses plus faibles provenant de retombéesd’essais nucléaires ou d’accidentsnucléaires (comme Tchernobyl), ou encore

de fuites accidentelles ou normales dansles installations nucléaires. Les exposi-tions médicales interviennent à la foisdurant le diagnostic de maladies et detraumas (radiographie) et durant le traite-ment du cancer et de certaines maladiesbénignes (radiothérapie). L’expositionprofessionnelle aux rayonnements ion-isants intervient dans un grand nombredomaines, dont la médecine et l’industrie

LES RAYONNEMENTS

Les rayonnements 51

RESUME

> L’exposition aux rayonnements io-nisants de source naturelle, industrielle,médicale ou autre, peut entraîner unegrande variété de néoplasmes dont laleucémie, le cancer du sein et de la thy-roïde.

> Le rayonnement solaire est de loin lasource la plus importante d’irradiationaux ultraviolets et provoque plusieurstypes de cancers de la peau, en parti-culier chez les populations à peau clairefortement exposées comme la popula-tion australienne, d’origine européenne.

> Les champs magnétiques de fréquenceextrêmement basse générés par latransmission électrique sont associés àune augmentation du risque deleucémie chez l’enfant, mais les résul-tats ne sont pas concluants.

Fig. 2.35 Estimation de la dose annuelle de rayonnements ionisants reçue par le grand public

Fig. 2.34 Le radiodiagnostic moderne n’est plusune source importante d’exposition aux rayon-nements ionisants.

Principalement rayons γ et X

Partiellement rayons γ et X

Autres types de rayonnements

Rayonnement cosmique, environ 0,3 mSv

Rayonnement terrestre externe, environ 0,4 mSv

Utilisation de rayonnements ioni-sants et substances radioactives enmédicine: environ 1,5 mSv (rayons Xprincipalement)

Inhalation de produits de désintégrationdu radon: environ 1,4 mSvRetombées des essais

nucléaires < 0,01 mSv

Centrales nucléaires,< 0,01 mSv

Exposition professionnelle < 0,01 mSv

Accident du réacteur de Tchernobyl< 0,02 mSv

Ingestion de substances naturelle-ment radioactives, environ 0,3 mSv

Utilisation industrielle, expérimentale etdomestique de matériaux radioactifs etrayonnements ionisants < 0,01 mSv

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nucléaire. Les pilotes de ligne etl’équipage sont exposés au rayonnementcosmique.

Liens de causalité avec le cancerLe rayonnement ionisant est un des can-cérogènes les plus étudiés [2,4]. La con-naissance des conséquences sanitairesqui lui sont associées provient de l’étudeépidémiologique sur des centaines demilliers de personnes exposées, dont lessurvivants des bombardements atom-iques d’Hiroshima et de Nagasaki, despatients irradiés à des fins thérapeu-tiques, des populations exposées sur leurlieu de travail et des individus exposésaccidentellement. Ces données sont com-plétées par des résultats d’expérimenta-tions animales à grande échelle menéespour évaluer les effets de différents typesde rayonnement, prenant en compte lesvariations dans les doses et les schémasd’exposition, et par rapport à des donnéescellulaires et moléculaires. De tellesexpériences sont conçues pour caractéris-er les mécanismes des lésions, des répa-rations et de la cancérogenèse provoquéespar les rayonnements.Les survivants des bombardements atom-iques à Hiroshima et Nagasaki ont étéprincipalement exposés aux rayons γ. Ona observé chez ces personnes des aug-mentations du risque de leucémie, de can-cer du sein, de cancer de la thyroïde, etd’un certain nombre d’autres affectionsmalignes, liées à la dose d’irradiation. Uneaugmentation de la fréquence de cesmêmes affections malignes a égalementété observée chez des patients cancéreuxtraités par rayons X ou γ. Le niveau durisque de cancer après une exposition aux

52 Les causes du cancer

Tableau 2.16 Plage des radiofréquences : classe et type d’appareil ou service

Fréquence Classe Type d’appareil ou service

30 - 300 kHz LF (basse) Radiodiffusion LF et radio longue portée

300 - 3,000 kHz MF (moyenne) Radio AM, navigation radio, navire-rivage

3 - 30 MHz HF (haute) Radio CB, amateurs, radiodiffusion etradiocommunication HF

30 - 300 MHz VHF (très haute) Radio FM, TV VHF, services d’urgence

300 - 3,000 MHz UHF (ultra haute) TV UHF, radiomessagerie, téléphones portables, radios amateurs

3 - 30 GHz SHF (super haute) Micro-ondes, communications par satel-lites, radar, communications micro-ondes point à point

30 - 300 GHz EHF (extrêmement haute) Radar, radioastronomie, communicationsmicro-ondes à courte portée

Fig. 2.36 La centrale nucléaire de Tchernobylaprès l’accident de 1986

Tableau 2.15 Diverses formes et sources de rayonnement cancérogènes pour l’homme (Groupe 1 duCIRC) ou probablement cancérogènes pour l’homme (Groupe 2A du CIRC).

Agent ou substance Localisation anatomique du cancer

GGrroouuppee 11 dduu CCIIRRCC

Rayons X et rayons gamma Divers - toutes localisations

Rayonnement solaire Peau

Radon 222 et ses produits de désintégration Poumon

Radium 224, 226, 228 et leurs produits de Osdésintégration

Thorium 232 et ses produits de désintégration Foie, y compris hémangiosarcome;leucémie

Iode, isotopes radioactifs à vie courte, y compris Thyroïdel’iode 131, des accidents des réacteurs atomiqueset des détonations d’armes nucléaires (expositiondurant l’enfance)

Plutonium 239 et ses produits de désintégration Poumon, foie, os(aérosols)

Phosphore 32 Leucémie

Neutrons Divers

Radioéléments émettant des particules α parcontamination interne Divers

Radioéléments émettant des particules β parcontamination interne Divers

Groupe 2 A du CIRC :

Utilisation de lampes et tables à bronzer Peau

Rayonnements ultraviolets Peau

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rayons X ou γ est modifié par un certainnombre de facteurs parallèlement à la dosede rayonnement, dont l’âge au moment del’exposition, la durée d’exposition et lesexe. L’exposition à une forte irradiationmultiplie le risque de leucémie par cinqenviron. Des risques relatifs encore plusimportants ont été reportés pour le cancerde la thyroïde après une exposition durantl’enfance. Les radionucléides internalisés émettantdes particules α et β sont cancérogènespour l’homme. Pour la plupart des indi-vidus, l’exposition à un rayonnement ion-isant à partir de radionucléides inhalés oudéposés sur les tissus se fait principale-ment à partir du radon-222, d’origine

naturelle. L’exposition au thorium-232,intervenant dans le sol, est moinscourante. Les cancers associés à l’exposi-tion à des nucléides particuliers, générale-ment en milieu professionnel, compren-nent le cancer du poumon, les sarcomesosseux, le cancer du foie, la leucémie et lecancer de la thyroïde.Le Comité scientifique des Nations Uniespour l’étude des effets des rayonnementsionisants [5] a estimé le risque de dévellop-er une tumeur solide ou une leucémie surtoute la durée de vie après une expositionsévère de l’organisme à un rayonnement γ,avec estimation du nombre correspondantd’années de vie perdues suite à ce rayon-nement (Tableau 2.17). Actuellement, laCommission Internationale de Radioprotec-tion recommande de limiter les expositionsdu grand public à 1 mSv par an, et pour lestravailleurs à 100 mSv sur 5 ans [6] (1Sievert équivaut à 1 joule par kilogramme).

Rayonnement ultravioletLe rayonnement solaire constitue la prin-cipale source d’exposition pour l’homme.Les ultraviolets représentent environ 5 %du rayonnement solaire total reçu à la sur-face du globe. L’intensité du rayonnementsolaire sur terre varie selon la géographieet le moment de la journée, entre autres

facteurs. Le niveau d’exposition de la peauà la lumière du soleil dépend de nombreuxparamètres, dont les habitudes sociocul-turelles, l’habillement, la position du soleilet celle du corps. Peu de mesures d’expo-sition individuelle ont été rapportées. Lessources artificielles de rayonnement ultra-violet sont nombreuses, et de telsappareils sont utilisés dans le traitementde nombreuses maladies (comme le psori-asis), ainsi qu’à des fins cosmétiques.

Liens de causalité avec le cancerLe rayonnement solaire, plus spécifique-ment son composant ultraviolet, entraîneun mélanome cutané malin et le cancercutané de type non mélanome (Fig. 2.39).L’exposition cutanée au rayonnementsolaire lèse l’ADN (Activation des agentscancérogènes et réparation de l’ADN, p. 89), mais aussi la conversion de l’acidetrans-urocanique en acide cis-urocanique,provoquant des lésions cellulaires etaboutissant à un cancer. L’incidence ducancer cutané augmente rapidement dansles populations à peau claire [7](Mélanome, p. 259). L’incidence de cettemaladie a par exemple doublé au Canadaau cours de ces 25 dernières années. LeCIRC a estimé qu’au moins 85 % desmélanomes étaient causés par l’exposition au

Les rayonnements 53

Fig. 2.37 Exposition délibérée aux rayons solairespour bronzer

Fig. 2.38 Spectre des champs électromagnétiques et leur utilisation dans la vie quotidienne.

Champs électromagnétiques et rayonnement

Fréquences exrêmement basses (ELF)

Radiofrequénces(VLF-VHF)

Micro-ondes(UHF-EHF)

Infrarouge

RadiodiffusionAM FM TV

Rayonnement optique

Fréquence (Hz)

Cha

mps

sta

tiqu

es à

cou

rant

con

tinu

(CC

) Ultraviolet

Visible

Longueur d’ondes (m)

Energie photons (eV)

Rayonnement ionisant

Rayonnements X et gamma

10-6 10-9 10-12

3x1020

1,2x1061,2x1031,2x1001,2x10-31,2x10-61,2x10-91,2x10-12

3x10173x10143x10113x1083x1053x1020

10-3100103106

RadiodiagnosticTéléphones portables

Ecrans devisualisa-

tion ettélévisions

Transmission,distributionélectrique sursecteur

Aimants à courant continusupraconducteurs (MRI)

Laser àCO2

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rayonnement solaire. Le cancer cutané nonmélanome, comprenant le carcinome baso-cellulaire et le carcinome spinocellulaire, estle néoplasme malin le plus courant chezl’homme: c’est le cancer avec lequel vivent leplus de gens. Aux Etats-Unis et en Australie,un nouveau cas de cancer diagnostiqué surdeux est un cancer cutané de type nonmélanome. L’utilisation de lampes à bronzeret de lits solaires entraîne probablement desmélanomes cutanés chez l’homme.

Les champs électromagnétiques Le nombre et la diversité des sources de

champs électromagnétiques [8] ont aug-menté de façon inédite ces dernièresannées, principalement les champs defréquences extrêmement basses et deradiofréquences. De telles sources com-prennent l’ensemble des équipements con-sommateurs d’électricité, la télévision, laradio, les ordinateurs, les téléphones porta-bles, les fours à micro-ondes, les portiquesanti-vol utilisés dans les grandes surfaces,les radars et les équipements utilisés enmédecine et dans le le commerce. Leschamps statiques et les champs defréquence extrêmement basses sont d’orig-

ine naturelle, mais peuvent aussi provenirde la géneration et de la transmission ducourant électrique, et lors du fonction-nement de toute une gamme d’appareilsindustriels et d’installations domestiques,souvent à plus faible intensité pour cesdernières - en fait, l’exposition à deschamps de très basses frequences estessentiellement d’origine humaine via laproduction, le transport et l’utilisation del’électricité. L’exposition professionnellesurvient, par exemple dans l’industrie élec-trique et électronique, lors du soudage, etlors de l’utilisation ou de la réparation demoteurs électriques. L’exposition environ-nementale à des champs de fréquenceextrêmement basse survient dans deszones résidentielles situées à proximité delignes de transport électrique ou lors de l’u-tilisation d’appareils ménagers. Les niveauxd’exposition à de nombreuses sources envi-ronnementales sont en général faibles [9].L’exposition aux rayonnements dans lesradiofréquences peut survenir à maintesoccasions. Le soleil est la principale sourcenaturelle de champs dans les radio-fréquences. Les sources d’origine indus-trielle représentent cependant la principalesource d’exposition. Les champs dans lesradiofréquences sont générés par la radio-diffusion et la télédiffusion commerciales, etles installations de télécommunications(Tableau 2.16). Les champs dans lesradiofréquences domestiques sont généréspar les fours à micro-ondes et les systèmesd’alarme anti-vol. Les téléphones portablessont cependant aujourd’hui la source laplus importante d’exposition du grand pub-lic aux radiofréquences.Au regard de l’environnement profession-nel, les employés travaillant à proximité desystèmes émettant une radiofréquencesont susceptibles d’être fortementexposés. Ces personnes peuvent travaillerà la radio, dans les industries du transportet des télécommunications être employésdans l’armée (opérateurs radar) et commepoliciers (utilisation des radars de contrôlede la circulation). Certains procédés indus-triels ont également recours aux champsdans les radiofréquences, comme les radi-ateurs diélectriques pour la stratificationdu bois et le scellage des plastiques, lesradiateurs à induction industriels et les

54 Les causes du cancer

Fig. 2.39 Voies impliquées dans le déclenchement du cancer cutané de type non mélanome par les rayonnements ultraviolet (AUC = acide urocanique).

ADN

Epiderme

Lésion ADN non réparée

UV

trans AUC cis AUC

Lésion ADN

Mutations génétiques

Prolifération cellulaire anormale Prolifération cellulaire normale

Cellules brûléespar le soleilApoptose

(Fas, Fas-L, Bax)

Arrêt du cyclecellulaire

Réparation del’ADN

(p53, p21)

Inactivation du gène sup-presseur de tumeur

p53patched, Shh

Proto-oncogèneH-RAS, K-RAS, N-RAS

ImmunodépressionLibération de cytokines

Dépletion des cellules delangerhans

Réponse locales/systémiques

Tableau 2.17 Estimation du risque de cancer après une irradiation globale aux rayons gamma suivantdeux doses différentes.

Risque sur une vie entière Nombre d’années de vie perdues par cas

0,2 Sv 1 Sv 0,2 Sv 1 Sv

Tumeur solide 2,4% 10,9% 11,2 11,6

Leucémie 0,14% 1,1% 31 31

TUMORIGENESE

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Page 35: Les causes du cancer - IARC · Les causes du cancer ... plus du cancer du poumon, des tumeurs du larynx, du pancréas, du rein et de la vessie. Associée à la consommation d’al-

fours à micro-ondes, les équipementsmédicaux de diathermie pour traiter ladouleur et l’inflammation des tissus, et lesinstruments électro-chirurgicaux (bistourisélectriques).

Liens de causalité avec le cancerPlusieurs groupes d’experts ont récem-ment examiné les indications scientifiquesdu caractère cancérogène des champs defréquence extrêmement basse [9,10]. Uncertain nombre d’études épidémiologiquessur la leucémie chez l’enfant montrent lapossibilité d’un lien entre le risque et l’ex-position à des champs de fréquenceextrêmement basse. Les études sur lescancers consécutifs à des expositions pro-fessionnelles ou environnementales chezl’adulte sont beaucoup moins claires. Iln’existe que peu d’indications expérimen-tales que ces champs puissent causer desmutations cellulaires. Les études mécanis-tiques et les expérimentations animales nemontrent pas de résultats positifs con-stants, bien que des résultats sporadiquessur les effets biologiques (dont une aug-mentation des cancers chez l’animal) aientété rapportés. Le CIRC a classé les champsde fréquence extrêmement basse parmi lescauses possibles de cancers chez l’homme

(Groupe 2B), sur la base des résultats con-cernant la leucémie chez l’enfant [10].Le caractère cancérogène ou non deschamps dans les radiofréquences estencore moins clair [11-14]. Quelquesétudes épidémiologiques menées sur dessites professionnels ont indiqué une possi-ble augmentation du risque de leucémie oude tumeurs du cerveau, tandis qu’à l’op-posé, d’autres études indiquaient une

baisse. Ces études souffrent d’un certainnombre de limitations. Les indicationsexpérimentales sont également limitées,mais laissent penser que les champs dansles radiofréquences ne peuvent provoquerde mutations de l’ADN. Le manque dereproductibilité des résultats limite lesconclusions que l’on peut en tirer.

Les rayonnements 55

1. IARC (2000) Ionizing Radiation, Part 1: X- and GammaRadiation and Neutrons (IARC Monographs on theEvaluation of Carcinogenic Risks to Humans, Vol. 75),Lyon, IARCPress .

2. United Nations Scientific Committee on the Effects ofAtomic Radiation (2000) Sources and Effects of IonizingRadiation: 2000 Report, Vienna, UNSCEAR.

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5. United Nations Scientific Committee on the Effects ofAtomic Radiation (1994) Sources and Effects of IonizingRadiation: 1994 Report, Vienna, UNSCEAR.

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8. Bernhardt JH, Matthes R, Repacholi M, eds (1997) Non-Thermal Effects of RF Electromagnetic Fields (International

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9. Bernhardt JH, Matthes R, Repacholi M, eds (1998)Static and Extremely Low Frequency Electric and MagneticFields (International Commission on Non-Ionizing RadiationProtection, WHO), Geneva, World Health Organization.

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Fig. 2.40 Des analyses effectuées par satellite (1996) montrent l’augmentation des taux annuels moyensde rayonnements ultraviolets B (UVB) atteignant la surface de la terre au cours de ces dix dernièresannées. Ces modifications sont fortement dépendantes de la latitude.

55N: 7,3%

65N: 6,8%

45N: 5,0%

35N: 3,9%

25N: 1,2%

15N: 0,1%

EQUATEUR

LATITUDE:Increase in UVB (%)

15S: 2,3%25S: 2,6%

35S: 2,9%45S: 5,5%

55S: 9,9%

65S: 11,0%

Edmonton

Londres

Moscou

Washington DC

Buenos AiresJohannesbourg

Melbourne

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Les agents infectieux peuvent provo-quer un cancerOn sait depuis plus d’un siècle que le can-cer peut être provoqué par des agentsinfectieux. Au début du siècle dernier,Peyton Rous démontrait que les sarcomesdu poulet étaient causés par un agentinfectieux, identifié par la suite commeétant un virus [1]. L’identification desagents infectieux liés au cancer humainest toutefois lente, en partie en raison desdifficultés à détecter les indicateurs d’ex-position. Les progrès se sont accélérésdepuis les années 1980, lorsque lesavancées de la biologie moléculaire ontrendu possible la détection de très faiblesquantités d’agent infectieux dans deséchantillons biologiques. Une autre diffi-culté réside dans le fait que les agentsinfectieux en question ont tendance à nepas se déclarer pendant plusieurs années,

avant de provoquer un cancer uniquementchez une petit nombre d’individus infectésde manière chronique. Les données expérimentales et biologiquesindiquent aujourd’hui qu’une grande variétéd’agents infectieux constitue l’une des prin-cipales causes de cancer dans le monde [2].Les virus en sont les principaux agents,avec au moins huit types de virus différentsassociés à des types de tumeurs spéci-fiques, avec plus ou moins de certitude. Lesautres agents infectieux impliqués dans lacancérogenèse sont quatre parasites et unebactérie [3-7] (Tableau 2.18).

Les virus de l’hépatite B et CEnviron 2 milliards d’individus dans lemonde portent une trace sérologiqued’une infection actuelle ou passée par levirus de l’hépatite B (VHB), et environ 350millions d’entre eux sont des porteurschroniques du virus. L’infection peut êtretransmise de la mère à l’enfant (transmis-sion verticale), de l’enfant à l’enfant etentre adultes lors d’un rapport sexuel oupar contact avec du sang infecté (trans-mission horizontale). La transmission hor-izontale est responsable de la majoritédes infections dans le monde, bien que lesmécanismes exacts de la transmissiond’enfant à enfant restent inconnus. Uncontact étroit entre les jeunes enfants estle principal facteur de risque, et l’exposi-tion à des lésions cutanées, le partage denourriture et d’ustensiles, le tatouage et lascarification, ainsi que la transmission parles insectes figurent parmi les mécan-

ismes envisagés. L’utilisation de seringuescontaminées pour des injections à butmédical peut avoir joué un rôle, probable-ment via des injections thérapeutiquesplutôt que les vaccinations. Plusieursétudes cas-témoins et de cohortes ontmontré de façon claire et concordante queles porteurs chroniques du VHB, identifiéspar la pré-sence d’anticorps sériques corre-spondants, ont un risque environ 20 fois plusélevé que les non-porteurs du virus dedévelopper un cancer du foie [3]. On estimeque 60% des cas de cancer primitif du foiedans le monde et 67 % des cas dans les paysen développement peuvent être imputés àune infection chronique persistante par leVHB [2]. Bien souvent, l’exposition aux afla-toxines est un facteur de risque associé (Lescontaminants alimentaires, p. 43).Le virus de l’hépatite C (VHC) est la prin-cipale cause d’hépatite transmise par voieparentérale dans le monde. De fortesassociations, avec des risques relatifs deprès de 20 ont été signalées dans plu-sieurs études cas-témoins. Environ 25 %des cas de cancer du foie dans le mondesont attribuables au VHC [3].

Le virus du papillome humain Plus d’une centaine de types de virus dupapillome humain (VPH) ont été identifiés,et une trentaine sont connus pour infecterle tractus génital. Les types de VPH géni-tal sont subdivisés en types oncogènes àfaible risque (comme 6 et 11) et à risqueélevé (comme 16, 18, 31 et 45) [5]. Desdouzaines d’études d’épidémiologie

LES INFECTIONS CHRONIQUES

56 Les causes du cancer

RESUME

> Les agents infectieux représententl’une des principales causes de cancer,responsables de 18% des cas dans lemonde, la majorité survenant dans lespays en développement.

> Les localisations organiques les plusfréquemment touchées sont le foie(hépatites B et C, douves du foie), le colutérin (virus du papillome humain), les tis-sus lymphoïdes (virus d’Epstein-Barr),l’estomac (Helicobacter pylori), etL’appareil urinaire (Schistosoma haemato-bium).

> Le mécanisme de la cancérogénicitéassociée aux agents infectieux peut êtredirect, par exemple par l’intermédiairede protéines oncogènes produites parl’agent infectièux (virus du papillomehumain) ou indirect, en entraînant uneinflammation chronique avec nécrosedes tissus et régénération.

> Les stratégies de prévention compren-nent la vaccination (hépatite B), ledépistage (cancer du col) et l’éradicationde l’agent infectieux (Helicobacter pylori).

Fig. 2.42 Le virus de l’immunodéficience humainetrouve refuge dans les lymphocytes T, comme lemontre le micrographe électronique.

Fig. 2.41 Etude au microscope électronique desparticules du virus de l’hépatite B.

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moléculaire [5,8,9] ont montré de façonconcordante les risques relatifs de cancerinvasif du col, allant de 20 à 100. De fait,l’ADN du VPH est détecté dans virtuelle-ment tous les cancers invasifs du col, cequi indique que le VPH en est une causenécessaire ou un préalable indispensable[10] (Cancers de l’appareil génital féminin,p. 218). De plus, environ 80 % des cancersde l’anus et 30 % des cancers de la vulve,du vagin, du pénis, et de l’oropharynx sontattribuables au VPH.

Le virus d’Epstein-BarrL’infection par le virus d’Epstein-Barr(VEB) est omniprésente. L’infection estacquise dès l’enfance dans les pays endéveloppement, alors qu’elle est retardéejusqu’à l’adolescence dans les paysdéveloppés [9]. Les individus avec destitrages élevés d’anticorps correspondantaux divers antigènes du VEB précoces outardifs ont un risque plus élevé dedévelopper un lymphome de Burkitt et lamaladie de Hodgkin (Les lymphomes, p. 242). Des données moléculaires

probantes montrant que l’ADN du VEB etdes produits viraux sont régulièrementdétectés (par la technique deshybridomes) dans les cellules can-céreuses, mais pas dans les cellules normales, sont une bonne indication durôle du VEB dans le carcinome durhinopharynx et du lymphome T nasalangiocentrique. Le VEB est associé aulymphome non hodgkinien essentielle-ment chez les patients souffrant d’immun-odéficience acquise ou congénitale [7].

Le virus de l’immunodéficience humaineLa prévalence de l’infection par le virus del’immunodéficience humaine (VIH) est laplus forte en Afrique sub-saharienne (15-20 %). De forts niveaux d’infection sontégalement relevés dans la populationhomosexuelle masculine, les utilisateursde drogue en intraveineuse, et chez lesindividus transfusés avec du sang infectépar le VIH. On estime à 36 millions le nom-bre d’individus dans le monde vivantactuellement avec le VIH, et à environ 20millions le nombre d’individus décédés

des suites d’une maladie liée au VIH [11].L’infection par le VIH augmente d’environ1000 fois le risque du sarcome de Kaposi,100 fois celui du lymphome nonhodgkinien, et de 10 fois celui de la mal-adie de Hodgkin [6] (Encadré : Lestumeurs associées au VIH/SIDA, p. 60).Une augmentation du risque de cancer del’anus, du col utérin et de la conjonctive aégalement été observée. Dans tous cescas, le VIH agit probablement commeagent immunosuppresseur (Immuno-dépression, p. 68), et son rôle est doncindirect, les agents étiologiques directsétant les autres virus du cancer [c’est-à-dire l’herpèsvirus humain N°8 (HVH-8), leVEB et le VPH] [5-7].

Le virus T-lymphotrope humainL’infection par le virus T-lymphotropehumain (VTLH-1) survient par grappes auJapon, en Afrique, dans les Caraïbes, enColombie et en Mélanésie [6]. Près de20 millions de personnes dans le mondepourraient être infectées par ce virus. Latransmission du virus se ferait de la mère à

Les infections chroniques 57

Tableau 2.18 Fardeau mondial du cancer dû aux agents infectieux. 1Groupe 1 = Cancérogène pour l’homme, Groupe 2A = probablement cancérogène pour l’homme.

Agent infectieux Classification du CIRC1 Localisation anatomique du cancer Nombre de cas de cancer % de cas dansle monde

H. pylori 1 Estomac 490 000 5,4

VPH 1, 2A Col utérin et autres 550 000 6,1

VHB, VHC 1 Foie 390 000 4,3

VEB 1 Lymphomes et carcinome 99 000 1,1 rhino-pharyngé

HVH-8 2A Sarcome de Kaposi 54 000 0,6

Schistosoma 1 Vessie 9 000 0,1 haematobium

VTLH-1 1 Leucémie 2 700 0,1

Douves hépatiques Cholangiocarcinome 800Opisthorchis viverrini 1 (système biliare)Clonorchis sinensis 2A

Total des cancers d’origine 1 600 000 17,7 infectieuse

Total des cancers en1995 9 000 000 100

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l’enfant (principalement lors de l’allaitementaprès six mois), via une transmission sex-uelle et suite à une transfusion de produitssanguins, ainsi que lors de la prise dedrogues par voie intraveineuse. Une fortecorrélation géographique laisse penser quele VTLH-1 est le principal facteur éti-ologique de la leucémie/lymphome T del’adulte. Cette pathologie survient presqueexclusivement dans les zones d’endémie duVTLH-1. Des données de laboratoire con-cordantes montrent également que le virusest intégré de façon clonale dans les cel-lules tumorales. Une association avec lestumeurs du col utérin, du vagin et du foie aété rapportée, mais les conséquences d’unfacteur parasite ou d’un biais ne peuventcependant être exclues [6].

L’herpèsvirus humain N°8L’infection par le HVH-8 semble êtrerépandue en Afrique et dans des pays duBassin méditerranéen, mais rare ailleurs.L’ADN du HVH-8 est détecté dans 90% dessarcomes de Kaposi, et rarement chez lespatients des groupes témoins. Les taux deséropositivité sont également supérieursdans les groupes de malades par rapportaux groupes témoins, avec des risquesrelatifs supérieurs à 10 dans la plupart desétudes. De même, les données associantle HVH-8 au sarcome de Kaposi sont

solides [9]. Certaines maladies lymphopro-lifératives comme le lymphome avec effu-sion primaire et la maladie de Castlemanont aussi été associées au HVH-8, mais lesindications restent très limitées [7].

Helicobacter pyloriL’infection par Helicobacter pylori est unedes infections bactériennes les plusrépandues au monde. Dans les pays endéveloppement, la prévalence de H. pylorichez l’adulte atteint 80 à 90 %, contre 50 %dans les pays développés. H. pylori est laprincipale cause de gastrite et d’ulcèrepeptique ; l’infection peut être à vie si ellen’est pas traitée par des antibiotiques[12]. La relation entre cancer gastrique etH. pylori est difficile à déterminer en rai-son de la très forte prévalence de cettebactérie dans la plupart des populationsoù le cancer est endémique, et de la trèsfaible charge bactérienne habituellementdétectée chez les patients atteints de can-cer gastrique. Il est clair que H. pylori joueun rôle dans le cancer gastrique, maisd’autres facteurs annexes (comme lerégime alimentaire) y contribuent égale-ment (Cancer de l’estomac, p. 196).

Les parasitesDeux douves du foie, Opisthorchis viverriniet Clonorchis sinensis, ont été associées

au cholangiocarcinome dans certainesrégions d’Asie (Cancer du foie, p. 205).L’infestation par ces douves s’effectue lorsde la consommation de poisson d’eaudouce cru ou insuffisamment cuit con-tenant la forme infectieuse de la douve;celle-ci arrive à maturité et pond des œufsdans les étroits canaux intra-hépatiques[4]. Les données suggérant que O. viverrini,parasite essentiellement prévalent en Thaïl-ande, joue un rôle étiologique dans le can-cer sont plus fortes que celles qui concer-nent C. sinensis. L’incidence du cholangio-carcinome dans les régions où ces douves dufoie ne sont pas endémiques est très faible. Les schistosomes sont des trématodes. Laforme cercariale de ces vers infeste

58 Les causes du cancer

Fig. 2.44 Traitement des échantillons pour destests de recherche du VPH dans le cadre d’uneétude sur la prévalence du VPH en Thaïlande.

Fig. 2.43 Proposition du mécanisme pathogène par lequel l’infection par le virus du papillome humainprovoque le cancer du col utérin.

Facteurs mutagènes etdérivés oestrogéniques

Infection

Subclinique

ADN viralpersistant

Modification desgènes des cel-

lules hôtes modulant

l’expressiongénétique virale

Lésion épidermoïdeintra-épithéliale de

bas grade

Lésion épidermoïdeépithéliale de haut

grade

Augmentation de lacroissance invasive,

métastases

Cancerinvasif

Intégrationet/ou modifica-

tions intra-géniques

virales

Mutations sur desgènes supplémen-taires des celluleshôtes affectant la différenciation et

l’angiogenèse

Instabilité génomique provo-quée par une augmentation de l’expression génétique virale

Régulation positive de l’activ-ité génétique virale et amplifi-

cation de l’ADN viral

Fig. 2.45 La structure de la bactérie Helicobacterpylori révélée par microscope électronique à bal-ayage.

Fig. 2.46 L’infection chronique de la vessie parSchistosoma haematobium provoque une réactioninflammatoire avec des infiltrats à éosinophilesdenses, susceptibles d’entraîner le développe-ment d’un carcinome épidermoïde

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Page 39: Les causes du cancer - IARC · Les causes du cancer ... plus du cancer du poumon, des tumeurs du larynx, du pancréas, du rein et de la vessie. Associée à la consommation d’al-

l’homme en pénétrant sous la peau. Lesvers arrivent à maturité et pondent desœufs dans la vessie ou l’intestin de leurhôte, provoquant les symptômes d’une mala-die connue sous le nom de bilharziose ouschistosomiase. L’infestation par Schisto-soma haematobium est prévalente enAfrique et au Moyen-Orient, et est identifiéecomme une cause du cancer de la vessie.L’infection par Schistosoma japonicum estprévalente au Japon et en Chine, et elle estassociée aux cancers du foie, de l’estomacet au cancer colorectal, bien que les indica-tions soient faibles et inégales [4].

Mécanismes de la cancérogénicitéDeux principaux mécanismes pathogènesont été évoqués concernant les agents

infectieux associés au cancer [13]. Le pre-mier est un effet direct, lorsque les agentsagissent directement sur les cellules quiseront finalement transformées. Le cancerdu col dû au VPH est le meilleur exemple decet effet ‘direct’ chez l’homme. L’oncopro-téine E5 exprimée par les types de VPH àhaut risque peut jouer un rôle dans la stim-ulation de la croissance précoce de cellulesinfectées, alors que les oncoprotéines E6 etE7 interfèrent avec les fonctions de régula-teurs cellulaires négatifs, dont le p53 et lepRb (Oncogènes et gènes suppresseurs detumeur, p. 97). L’intégration du génome viral,la dérégulation de l’expression oncogène etd’autres cofacteurs peuvent tous contribuerà la progression maligne (Fig. 2.43).

Quelques autres virus sont directementliés au cancer chez l’homme, dont le VEB,le VTLH-1 et le HVH-8. Le VEB infecte leslymphocytes B, et l’expression de la pro-téine virale induirait ce qui seraitautrement l’activation des lymphocytespar les antigènes. Les protéines viralesassociées à l’immortalisation régulent lamaintenance de l’ADN épisomique et l’expression des gènes viraux, tout enmenant la prolifération cellulaire et en blo-quant l’apoptose. La protéine EBNA-2jouerait un rôle crucial dans la transforma-tion et l’immortalisation des cellules infec-tées. L’infestation paludique peut être uncofacteur dans la progression du lym-phome de Burkitt. Le virus VTLH-1 estcapable d’immortaliser in vitro les lympho-cytes T humains. Au centre de cette pro-priété se trouve la protéine Tax du virusVTLH-1 qui, en interférant avec plusieursclasses de facteurs de transcription, activel’expression de certains gènes cellulairesimpliqués dans le contrôle de la proliférationcellulaire. Le virus HVH-8 est le virus respon-sable de la formation de tumeurs découvert

Les infections chroniques 59

Fig. 2.49 Virus de l’hépatite B et hypothèse de lalésion chronique. Une réponse immunitaire forte auvirus de l’hépatite B (+++) entraîne une éliminationdu virus, alors que l’absence de réponse immuni-taire (-) mène au statut de porteur ‘sain’, et qu’uneréponse immunitaire intermédiaire (+) produit unehépatite chronique qui, via un processus multi-étapes, est susceptible d’aboutir à un carcinomehépatocellulaire.

Réponse immunitaire

Hépatite chronique

Mitogenèse Mutagenèse

Evénements secondaires

Perte du contrôle de la croissance cellulaire

Carcinome hépatocellulaire

_

+

+++

Lésions ADN cellulaire,anomalies chromo-

somiques, mutationsgénétiques

Intégration des lésionsde l’ADN viral dans le

génome de l’hôte, acti-vation du gène X

Infection par le VHB

Fig. 2.47 Fardeau du cancer dû aux agents infectieux chez les femmes

Fig. 2.48 Fardeau du cancer dû aux agents infectieux chez les hommes

EliminationPorteur

FFeemmmmeess

Afrique sub-Saharienne

Iles du Pacifique

Amérique latine, Caraïbes

Asie du Sud-Ouest

Asie de l’Est

Europe de l’Est

Japon

Afrique du Nord

Europe du Nord, de l’Ouest et du Sud

Australie, Nouvelle Zélande

Amérique du Nord

% des cas

VPH, VHB & VHC, H. pyloriAutre

HHoommmmeess

Afrique sub-Saharienne

Asie de l’Est

Iles du Pacifique

Japon

Afrique du Nord

Amérique latine, Caraïbes

Europe de l’Est

Asie du Sud-Ouest

Europe du Nord, de l’Ouest et du Sud

Amérique du Nord

Australie, Nouvelle ZélandeVPH, VHB & VHC, H. pylori

Autre

% des cas

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le plus récemment, et son rôle dans lapathogenèse est encore mal compris [7,13].Le second mécanisme, indirect, est lemode d’action de certains virus (VHB,VHC et VIH), bactéries (H. pylori) et para-sites. Ces agents entraînent un cancer en

provoquant une inflammation chroniqueet/ou la production de composantsmutagènes. Les virus de l’hépatite sontpar exemple incapables d’immortaliser lescellules humaines in vitro, mais une infec-tion peut entraîner un cancer via l’induc-

tion d’une lésion hépatique chronique puisd’une hépatite (Fig. 2.49). L’hépatitechronique causée par une réponse immu-nitaire intermédiaire à une infection par leVHB se caractérise par une nécrose cellu-laire hépatique chronique, qui stimule une

60 Les causes du cancer

Environ 30 à 40% des patients infectés par leVIH sont susceptibles de développer desaffections malignes. Le sarcome de Kaposi est l’affection malignela plus fréquente chez les patients infectéspar le VIH. Aucun traitement ne s’étantrévélé curatif, les objectifs des traitementsactuels restent à la fois la délivrance d’untraitement approprié et le maintien d’un contrôle adéquat du VIH et des autres infections. Plusieurs études ont montré lesbénéfices d’un traitement anti-rétroviralhautement actif (HAART) sur les lésions dusarcome de Kaposi. Le traitement HAARTpeut constituer une alternative utile à la foisaux modificateurs de la réponse immunitairelors des étapes les moins agressives de lamaladie, et aux médicaments cytotoxiquessystémiques administrés pour le traitementd’entretien à long terme du stade avancé dusarcome de Kaposi (Tavio M et coll., AnnOncol, 9: 923, 1998; Tirelli U and Bernardi D,Eur J Cancer, 37: 1320-24, 2001). Les anthra-cyclines liposomales sont considéréescomme le traitement standard pour lespatients souffrant des stades avancés d’unsarcome de Kaposi lié au SIDA. L’utilisationconcomitante du traitement HAART et desfacteurs de croissance hématologiques estnécessaire en vue de réduire les infectionsopportunistes et la myélotoxicité.

Le lymphome non hodgkinien est environ deuxcents fois plus fréquent chez les patientsinfectés par le VIH que chez les personnesnon infectées. Une caractéristique du lymphome non hodgkinien lié au SIDA estl’étendue de la maladie lors de la présenta-tion initiale et la fréquence des symptômesB systémiques (symptômes généraux telsque suées nocturnes, perte de poids, fluctu-ations de température). La controverse esttoujours active pour déterminer si la chimio-thérapie intensive ou conservatrice estappropriée. De fait, la faible réserve de la

moelle épinière et l’immunodéficience sous-jacente due au VIH rendent le contrôle du lym-phome non hodgkinien très difficile. Lestraitements chimiothérapiques intensifs peu-vent être administrés à des patients de caté-gories à risques faibles ou intermédiaires, etles traitements de chimiothérapie conserva-trice à des patients à risques faibles ou élevés(Spina M et coll., Ann Oncol, 10: 1271-1286,1999). Le pronostic du lymphome nonhodgkinien lié au SIDA est très réservé.

La maladie de Hodgkin entraîne chez lespatients atteints du SIDA un risque relatif bienplus faible que celui consécutif au lymphomenon hodgkinien, mais les sous-types his-tologiques tendent à être ceux dont le pronos-tic est réservé, et le taux de réponse restechez ces patients plus faible que celui de lapopulation générale. L’issue peut êtreaméliorée par une combinaison optimale d’anti-néoplasiques et du traitement HAARTpour améliorer le contrôle de l’infection auVIH sous-jacente. L’inclusion de facteurs decroissance peut permettre l’utilisation dedoses de médicaments plus élevées (Vaccheret coll., Eur J Cancer, 37: 1306-15, 2001).

La néoplasie cervicale intra-épithéliale (NCI)est de plus en plus diagnostiquée de manièrecroissante chez les femmes infectées par leVIH. Le cancer invasif du col est actuellementconsidéré comme une condition déterminantedu SIDA. En effect, chez les femmes infectéespar le VIH, la CIN est assocciée à une histolo-gie de haut-grade, et à une maladie plus éten-due et/ou multifocale, disséminée dans toutl’appareil génital inférieur (Mendelblatt JS etcoll., AIDS, 6: 173-178, 1992; Robinson W 3rd,Semin Oncol, 27: 463-470, 2000). Les recom-mandations thérapeutiques sont les mêmesque pour les femmes non infectées par le VIH,car la majorité des femmes infectées par leVIH décèderont d’un cancer du col plutôt qued’une autre pathologie liée au SIDA.

Le cancer des testicules semble plus fréquentchez les homosexuels séropositifs au VIH,mais le risque n’est pas directement lié au

niveau du déficit immunitaire. La chimio-thérapie standard est proposée aux patientsinfectés par le VIH, car la majorité d’entreeux peuvent être guéris de leur tumeur etconserver une bonne qualité de vie (BernardiD et coll., J Clin Oncology, 13, 2705-2711, 1995).

Leur espérance de vie augmentant, le spec-tre de cancers est susceptible d’augmenterchez les patients infectés par le VIH. Si l’onse base sur les avancées de la compréhen-sion actuelle des dynamiques virales du VIHet sur la disponibilité de traitements anti-rétroviraux plus récents, le maintien dutraitement HAART avec une prophylaxie desinfections opportunistes chez les patientstraités par chimiothérapie peut améliorerl’issue du traitement de façon significative.

LES TUMEURS ASSOCIEES AUVIH/SIDA

Fig. 2.51 Sarcome de Kaposi cutané chez unpatient atteint du SIDA. La biopsie (dessous)révèle par immunohistochimie (teinte brune) laprésence de l’herpèsvirus humain 8 (HVH-8) dansles noyaux des cellules tumorales. Les individusatteints sont uniformément co-infectés par le VIHet le HVH-8.

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réponse régénérative soutenue. Le com-posant inflammatoire comprend desmacrophages activés, source importantede radicaux libres. La collaboration de cesstimuli mitogènes et mutagènes a le pou-voir d’entraîner des lésions cellulaires etvirales de l’ADN, des anomalies chromo-somiques et des mutations génétiques quivont dérégler le contrôle de la croissancecellulaire en un processus à plusieursétapes, aboutissant finalement à un carci-nome hépatocellulaire. Un processus à long terme, souvent surplusieurs dizaines d’années, précède

l’émergence de la plupart des cancersgastriques. H. pylori est la cause la plusfréquente de gastrite chronique. La gas-trite et l’atrophie altèrent la sécrétiond’acide gastrique, en augmentant le pHgastrique, en modifiant la flore gastriqueet en permettant aux bactéries anaérobiesde coloniser l’estomac. Ces bactéries pro-duisent des enzymes réductases activestransformant le nitrate alimentaire ennitrite, une molécule active capable deréagir avec les amines, les amides etl’urée pour produire des composés N-nitrosés. H. pylori agit comme unpathogène gastrique et de ce faitprovoque indirectement une issue can-cérogène impliquant des produits bac-tériens solubles et la réponse inflamma-toire générée par l’infection (Fig. 2.50).L’infection par la douve du foie O. viverrinientraîne aux premiers stades un œdème,une desquamation et des réponsesinflammatoires aiguës des voies biliaires.Les voies biliaires de porteurs chroniquespeuvent montrer une métaplasie et unehyperplasie adénomateuse, évoluant danscertains cas vers un cholangiocarcinome[4]. De tels agents indirects peuvent aussientraîner une immunodépression et laréactivation de virus oncogènes latents.De fait, plusieurs cancers provoqués pardes virus surviennent uniquement en casd’immunodépression sévère (Immuno-dépression, p. 68) [6].

Part du fardeau mondial du cancerimputée aux agents infectieuxDes estimations récentes établissent que,sur approximativement 9 millions de nou-veaux cas de cancer apparus en 1995, aumoins 1,6 million de cas (soit 18%) peu-vent être attribués aux agents infectieuxdécrits plus haut (Tableau 2.18) [2]. Laproportion de cancers imputables auxagents infectieux est plus élevée dans lespays en développement (23%) que dansles pays développés (9%). Cette propor-tion est la plus importante chez lesfemmes d’Afrique centrale, de l’Est et del’Ouest, où 40% des cancers sont associésà des infections chroniques, suivies parles femmes d’Amérique du Sud et d’Asie,pour lesquelles la proportion tourneautour de 25% (Fig. 2.47). Un tableau sim-ilaire est observé chez les hommes, avecdes proportions attribuables plus faiblescependant (Fig. 2.48). Le fait qu’environ un quart de tous les can-cers survenant dans les pays endéveloppement puisse être attribué à desagents infectieux est porteur d’espoirdans les domaines de la prévention et dutraitement. Ceci est particulièrement vraipour les cancers du col utérin, de l’estom-ac et du foie (Chapitre 4), très répandusdans les pays en développement, où ilsreprésentent 91% des cancers associés àdes agents infectieux.

Les infections chroniques 61

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SITES INTERNET

Fig. 2.50 Proposition de l’histoire naturelle dudéveloppement du cancer de l’estomac, proces-sus progressif associé à une atrophie et une méta-plasie intestinale avec diminution de l’acidité.

Infection par H. pylori

Muqueuse gastrique normale

Gastrite active chronique

Atrophie gastrique

Métaplasie intestinale

Dysplasie

Adénocarcinome

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L’incidence de la majorité des cancersvarie dans le monde, et les cancers dusein, du côlon-rectum, de la prostate, del’endomètre, de l’ovaire et du poumonsont généralement beaucoup plusfréquents dans les pays développés. Cescancers représentent un fardeau consi-dérable pour les pays d’Europe,d’Amérique du Nord et en Australie. Ilssont beaucoup moins fréquents dans lespays en développement d’Afrique etd’Asie. A l’inverse, certains cancers dusystème digestif, dont ceux de l’estomacet du foie, sont plus fréquents dans lespays en développement de l’Amériquecentrale et du Sud, de l’Asie et de l’Afriquequ’ils ne le sont dans les pays développés. Ces observations, faites il y a plus de 30ans lors de la publication des premièresdonnées fiables sur l’incidence du cancerà partir des registres du cancer dans la

population [1,2], sont toujours fondamen-talement valables. Elles constituent undes arguments de base pour l’hypothèseselon laquelle les facteurs environnemen-taux jouent un rôle important dans l’étio-logie du cancer. Un facteur environ-nemental principal, l’alimentation, estaujourd’hui reconnu comme l’un desdéterminants les plus importants de l’inci-dence du cancer. De nombreuses étudesépidémiologiques, en particuliers desétudes cas-témoins et plus récemmentsur des cohortes importantes, ont étudiéces 20 dernières années le rôle de l’ali-mentation par rapport au risque de dif-férents types de cancers.

Les fruits et légumesLe résultat le plus déterminant sur l’ali-mentation en tant que déterminant durisque de cancer est l’association entre laconsommation de fruits et légumes et laréduction du risque de plusieurs cancers.La consommation de fruits et légumes estainsi associée à une réduction du risquede cancer du pharynx, du larynx, du

poumon, de l’œsophage, de l’estomac etdu col utérin, alors que les légumes seuls,sans les fruits, semblent constituer uneprotection contre les cancers du côlon etdu rectum. Plus de 250 études épidémio-logiques (cas-témoins, de cohortes oucorrélations écologiques) ont été menéesces 30 dernières années afin d’étudier larelation entre la consommation de fruitset légumes et le risque de cancer. Environ80 % de ces études ont trouvé un effetprotecteur significatif d’une consomma-tion globale de fruits et/ou légumes, ouau moins de certains types de fruits etlégumes [3]. Les résultats préliminaires dela grande étude EPIC confirment cesrésultats en suggérant par exemplequ’une consommation journalière de 500grammes de fruits et légumes peut dimi-nuer l’incidence des cancers du systèmedigestif de près de 25 % [4]. Les fruits et légumes ne constituent pasune source majeure de protéines, degraisses, de glucides et donc d’énergie,mais ils contribuent à un apport importanten fibres, plusieurs types de vitamines,

62 Les causes du cancer

ALIMENTATION ET NUTRITION

RESUME

> Près de 30% des cancers humains sontprobablement liés à l’alimentation et à lanutrition.

> Un apport excessif de sel entraîne unehypertension artérielle et un risqueélevé de cancer de l’estomac. Grâce auxméthodes modernes de conservationalimentaire, l’incidence du cancer del’estomac diminue dans le monde.

> Le régime alimentaire de type occidental(nourriture hautement calorique riche engraisses et protéines animales), souventcombiné à un mode de vie sédentaire etdonc à un déséquilibre énergétique, aug-mente le risque de cancer du côlon, dusein, de la prostate et de l’endomètre,entre autres.

> L’activité physique, la surveillance dupoids pour éviter l’obésité et un apportquotidien fréquent de fruits et légumesfrais réduisent le risque de cancer de lacavité buccale, du poumon, du col utérin,entre autres.

Fig. 2.52 Questionnaire alimentaire utilisé pour l’évaluation de la quantité des différents types d’alimentsconsommés par les participants à une étude sur la nutrition.

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minéraux et autres composés biologique-ment actifs. Les hypothèses actuelles surles mécanismes par lesquels les fruits etlégumes peuvent exercer une protectioncontre le cancer évoquent l’interaction demicro-constituants avec les processus dumétabolisme cancérogène, de la protec-tion de l’intégrité de l’ADN et de la com-munication intercellulaire. De tels méca-nismes ont été étudiés de manière inten-sive dans des systèmes expérimentaux.

Le sel et les salaisonsLa consommation de sel ajouté à la nour-riture et les aliments conservés par le selont fait l’objet de recherches principale-ment en relation avec les cancers del’estomac, du côlon-rectum, et du rhino-pharynx. Plusieurs études menées enEurope, en Amérique du Sud et dans l’Estde l’Asie ont rapporté une augmentationdu risque relatif du cancer de l’estomac enrelation avec la consommation de sel etde salaisons, en particulier dans les popu-lations à forte incidence de cancers del’estomac et ayant un apport de sel impor-tant (Fig. 2.54). Les nourritures salées,fumées, conservées dans la saumure, etconservées en général (riches en sel,nitrite et composés N-nitrosés préformés)

sont associées à une augmentation durisque de cancer gastrique. De tels apportsélevés en sel, conjugués à une infection parHelicobacter pylori, peuvent contribuer audéveloppement de la gastrite atrophique, etainsi du cancer gastrique. La réfrigérationménagère et la réduction de la consommation de sel ont probablementcontribué à la baisse observée de l’inci-dence de cancer de l’estomac dans les paysdéveloppés au cours du 20ème siècle [5].La consommation de poisson salé à la chi-noise est tout particulièrement associée àune augmentation du risque de cancerrhinopharyngé en Asie du Sud-Est [6],alors que le poisson salé à l’européenne(comme les anchois ou le saumon) n’estassocié à aucune augmentation du risquede cancer. Plusieurs mécanismes bio-logiques sont proposés pour expliquer l’association entre le poisson salé à la chinoise et le cancer du rhinopharynx,dont la fermentation partielle et la forma-tion de nitrosamines. La relation entre lanourriture salée et conservée par le sel etle cancer du côlon-rectum semble être denature différente. Elle est tout d’abordobservée principalement dans les popula-tions occidentales, et elle implique ensuiteprincipalement des aliments tels que le

jambon cuit et cru, plusieurs types de salami, la charcuterie à l’européenne, lebacon et autres salaisons à base de porc(voir section suivante).

La viandeDes études épidémiologiques sur la consommation de viande et le risque decancer soutiennent l’existence d’uneassociation spécifique avec le risque decancer colorectal (Fig. 2.57, 2.58). Cetteassociation semble cependant avoir étévérifiée de manière plus constante pour laconsommation de viande rouge (bœuf,agneau et porc) et la viande transformée(jambon, salami, bacon et autre charcu-terie) pour lesquelles la consommation de80 grammes par jour peut augmenter lerisque de cancer colorectal de 25 % et 67 %respectivement [7].Plusieurs mécanismes biologiques ont étéétudiés pour expliquer les conséquencespossibles de la consommation de viandesur la cancérogenèse colorectale. Ils com-prennent l’influence de la consommationde viande et/ou de graisses sur la produc-tion et le métabolisme de sels biliaires etacides biliaires par la flore intestinale [8].D’autres hypothèses concernent l’effet cancérogène potentiel de certains

Alimentation et nutrition

Fig. 2.53 La consommation de fruits est associée à une réduction du risque de cancer (selon le résultat de méta-analyses). Les résultats sont sensible-ment identiques pour la consommation de légumes.

Côlon-rectum

Risq

ue r

elat

if

Sein Poumon

Pancréas

g/jour

VessieOesophageEstomac

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composants qui peuvent se former dans laviande lors de la cuisson, tels que lesamines hétérocycliques [9] et des hydrocar-bures aromatiques polycycliques, ou suite àla transformation de viande conservée(nitrates et nitrites) ou du métabolismeendointestinal (divers composants N-nitrosés) (Les contaminants alimentaires,p. 43).

Protides, glucides et lipidesLes résultats des études épidémio-logiques sur les macro-nutriments (parexemple, la part des protéines dans l’ali-mentation totale) sont jusqu’à maintenantbeaucoup moins concordants dans l’éta-blissement d’un risque de cancer que lesrésultats relatifs aux aliments. Aucun mod-èle de risques n’a clairement émergé pourla consommation de protéines. Certainesétudes sur le cancer de l’œsophage dansles populations à forte consommation d’alcool ont trouvé un effet protecteur desprotéines animales (et de la viande), alorsque d’autres études sur le cancer ducôlon-rectum ont trouvé un risque accru liéaux protéines animales (et à la viande).Les résultats sur les glucides sont diffi-ciles à interpréter en raison des

différences dans la manière dont les dif-férents tableaux de composition alimen-taire subdivisent les glucides totaux ensous-fractions possédant des effets physiologiques et métaboliques très dif-férents, et pouvant affecter la cancéro-genèse de façon contraire. Le seul modèlequi semble émerger jusqu’à présent estque la consommation de sucres simples(mono- et disaccharides) peut être associée à une augmentation du risque decancer colorectal, alors que la consomma-tion de polysaccharides complexes, depolysaccharides sans amidon et/ou defibres (englobant partiellement des catégories basées sur des définitionsphysiologiques et chimiques différentes)est associée à un risque de cancer moinsélevé. D’autres résultats moins cohérentssuggèrent qu’un régime alimentaire exces-sivement riche en aliments amidonnés(principalement les haricots, alimentsfarineux ou sucres simples) mais égale-ment pauvres en fruits et légumes, peutêtre associé à un risque accru de cancergastrique. L’hypothèse selon laquelle un apport élevéen graisses est un facteur de risque decancer majeur dans le régime alimentaire

occidental est au centre de la plupart desétudes épidémiologiques et de laboratoire.Les résultats sont cependant loin d’êtreclairs et définitifs. L’association positive aurisque de cancer du sein suggérée par desétudes de corrélation internationales, etsoutenue par la majorité des études cas-témoins n’a pas été retrouvée dans lamajorité des études de cohorte prospec-tives menées jusqu’à présent. Très peud’études ont étudié l’effet de l’équilibreentre différents types de graisses, con-tenant spécifiquement des acides gras saturés, mono-insaturés et poly-insaturés,sur le risque de cancer chez l’homme. Leseul résultat modérément cohérent

64 Les causes du cancer

Fig. 2.55 La consommation de poisson salé(comme cette morue salée) est associée à uneaugmentation du risque de cancer de l’estomac.

Fig. 2.54 Le taux de mortalité par cancer gastrique ajusté sur l’âge augmente parallèlement à la con-sommation de sel, comme le montrent les mesures de l’excrétion urinaire de sodium en 24 heures effec-tuées dans certaines régions du Japon.S. Tsugane et al. (1991) Cancer Causes Control, 2:165-8.

Fig. 2.56 Sachet de saccharose portant un aver-tissement sur sa responsabilité éventuelle dans ledéveloppement d’un cancer.

Sel excrété dans les urines en 24 heures (g)

Mor

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65Alimentation et nutrition

semble être l’association positive entre laconsommation de graisses d’origines ani-males (excepté le poisson) et le risque decancer colorectal. L’huile d’olive est deplus associée dans le cadre d’un régimealimentaire traditionnel méditerranéen àun risque de cancer moins élevé [10].

Les additifs alimentairesLes additifs alimentaires sont des produitschimiques ajoutés aux aliments à des finsde conservation ou pour en augmenter legoût, la texture ou l’aspect. Des donnéestoxicologiques très incomplètes sontdisponibles pour la plupart des additifs,bien que l’activité cancérogène oumutagène de certains ait été testée. Danscertains analyses menées in vitro, certainsadditifs comme les phénols alimentairesse révèlent à la fois mutagènes et anti-mutagènes [11]. Certains produits chim-iques étaient dans le passé employéscomme additifs alimentaires avant quel’on ne découvre leur cancérogénicitéchez l’animal, comme l’agent colorant‘jaune de beurre’ (para-diméthylamino-azobenzène) et, au Japon, le conservateurAF2 [(-furyl-2)-2-(nitro-5-furyl-2)-3 acry-lamide]. La saccharine et ses sels ont étéutilisés comme édulcorant pendant pra-tiquement un siècle. Bien que certainsdosages biologiques chez l’animal aientrévélé une augmentation de l’incidence des

cancers de la vessie, les indications de cancérogénicité de la saccharinedemeurent insuffisantes chez l’homme[12]. La proportion de cancers liés à l’alimentation qui seraient attribués auxadditifs alimentaires est très faible [13].

Les micronutrimentsLa recherche sur les vitamines et le can-cer chez l’homme s’est concentrée princi-palement sur les caroténoïdes, la vitamineA (rétinol), la vitamine E, la vitamine C etcertaines vitamines du groupe B (acidefolique, B6). La base biologique de l’in-térêt pour ces vitamines est leur implica-tion dans l’un des deux mécanismesmétaboliques communément appeléseffet antioxydant (caroténoïdes, vitaminesC et E) et apport de méthyle (acide folique,B6) (Chimioprévention, p. 153).Des études cas-témoins basées sur desquestionnaires alimentaires et plusieurspetites études prospectives de cohortesbasées sur des mesures sanguines ontmontré de façon tout à fait concordanteque les individus ayant de faibles niveauxde caroténoïdes ont un risque accru decancer du poumon. Des effets protecteursplus faibles et moins concordants descaroténoïdes ont également été rapportéspour les cancers de l’œsophage, del’estomac, du côlon-rectum, du sein et ducol utérin. Un faible apport alimentaire en

vitamine C se trouve associé à un risqueaccru de cancers de l’estomac, de labouche et du pharynx, et de façon moinsconstante, de cancers du poumon, dupancréas et du col utérin. Bien que lesrésultats concernant les rapports entre lavitamine E et le cancer soient moinsdécisifs et cohérents que ceux portant surles caroténoïdes et la vitamine C,

Fig. 2.57 Influence de la consommation de pois-son et de différents types de viandes sur le risquerelatif de développement d’un cancer colorectal.

Poisson

0.6 0.8 1.0 1.2 1.4 1.6 1.8Risque rélatif

Etude de cohorteToutes étudesEtudes cas-témoins

Volaille

Viande transformée

Viande rouge

Viande

Fig. 2.58 Niveaux mondiaux de (A) la consommation de viande rouge (bœuf, agneau et porc) et relation avec (B) l’incidence du cancer colorectal. La basebiologique de la corrélation entre ces deux variables est complexe et encore mal comprise.

< 60,3< 31,0< 13,8Incidence standardisée sur l’âge/100 000 habitants

< 9,4< 5,0< 51,3< 41,3< 31,2g/jour

< 21,1< 11,1

INCIDENCE DU CANCER COLORECTAL CHEZ L’HOMMESCHÉMAS DE LA CONSOMMATION DE VIANDE ROUGE

BA

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plusieurs études laissent penser qu’unfaible apport en vitamine E est lié à unrisque accru de cancer du poumon, du colutérin et du côlon-rectum. Les études portant sur les conséquencesd’une supplémentation alimentaire en vitamines sur le risque de cancer ontobtenu des résultats variables (Chimio-prévention, p. 153). Deux grandes études,ATBC et CARET [14], ont observé des aug-mentations de l’incidence du cancer dupoumon de 18 et 28% respectivementdans le groupe recevant du β-carotène (β-carotène plus vitamine A dans l’étudeCARET). Dans l’étude ATBC, on a observépour le groupe recevant un supplément envitamine E une réduction de 34 % de

l’incidence de cancer de la prostate, maisles décès par accidents vasculaires céré-braux ont doublé et aucune baisse de lamortalité totale n’a été observée. On s’intéresse de plus en plus à unéventuel effet préventif de l’acide folique ;certaines études prospectives ont montréque des apports alimentaires élevés etdes niveaux sanguins plus élevés peuventêtre associés à un risque réduit de canceret de polypes adénomateux du côlon-rec-tum. Les folates et la vitamine B6 sontimpliqués dans la synthèse de la méthion-ine et de la choline en tant que donneursde méthyle. Un déficit en acide foliquemène à une accumulation d’homocys-téine. Des taux élevés d’homocystéine ont

récemment été fortement associés audécès par infarctus du myocarde, à lamortalité totale et au risque de cancer ducôlon [15].Des études épidémiologiques menéesdans des populations à forte incidence decancers de l’œsophage en Chine ont mon-tré que le déficit en zinc était courantdans ces populations. Des études expéri-mentales laissent également penserqu’un déficit en sélénium est susceptible d’accroître le risque de cancer [16].Plusieurs études épidémiologiques ontexaminé l’association entre le risque decancer et le déficit de l’un de cesminéraux, avec des résultats très variables.

66 Les causes du cancer

L’indice de masse corporelle (IMC) est lamesure la plus utile de la masse cor-porelle. On le calcule en divisant le poidscorporel exprimé en kilogrammes par lecarré de la taille exprimé en mètres car-rés. Les valeurs normales vont de 18,5 à25 ; le surpoids correspond à un IMC >25,et l’obésité à une valeur supérieur à 30.Dans de nombreux pays développés, prèsde la moitié de la population adulte peutêtre en surpoids et plus de 25% obèse.Des études épidémiologiques ont montréqu’un excès de masse corporelle est associé à un risque de cancer accru.

C’est avec le cancer de l’endomètre qu’onobserve l’association la plus importante etla plus concordante entre masse cor-porelle et cancer : le risque est 2 à 6 foisplus élevé chez les femmes obèses parrapport aux femmes minces, à la foisavant et après la ménopause. Une desexplications biologiques de cette associa-tion est la richesse du tissu adipeux enaromatase, qui transforme l’androstène-dione en œstrone, augmentant ainsi lastimulation œstrogénique de la muqueuseendométriale. Plusieurs études ontobservé les marqueurs de la distribution

adipeuse tels que le ratio taille-hanche ou leratio des plis cutanés sous-scapulaires, parrapport au risque de cancer de l’endomètre.Certaines études ont observé un risqueaccru pour les marqueurs de l’obésitéabdominale ou androïde (ratio taille-hancheou ratio des plis cutanés sous-scapulairesélevé) après ajustement sur l’IMC, maisd’autres études n’ont pas obtenu les mêmesconclusions.

Le rapport entre l’IMC et le cancer du seinest encore plus complexe. La majorité desétudes prospectives et cas-témoins ontobservé qu’un indice élevé augmentait lerisque de cancer du sein chez la femmeménopausée, alors qu’il le réduisait chez lafemme non ménopausée. Une explicationpossible à cet apparent paradoxe pourraitêtre lié au fait que les cycles anovulatoires,et les cycles ovulatoires moins nombreux(déterminés par la grossesse et l’allaite-ment) sont généralement associés à unrisque de cancer du sein plus faible. Après laménopause, l’obésité peut jouer un rôle dansle cancer de l’endomètre en facilitant la pro-duction périphérique (par opposition à laproduction gonadique et adrénale) d’œstro-gènes.

De plus en plus d’indications suggèrent queles facteurs métaboliques liés au régimealimentaire, au statut nutritionnel, à l’an-

thropométrie et à l’activité physique ontune influence sur le développement et lamanifestation clinique de diverses formesde cancer (Weight Control and PhysicalActivity, IARC Handbooks of Cancer Preven-tion, Vol. 6, 2001). Des études épidémi-ologiques laissent penser que certainsschémas alimentaires différents sont spé-cifiquement liés à un risque accru detypes de cancers particuliers. Le régimealimentaire et le mode de vie occidentauxsont généralement associés à une forteincidence de cancer du côlon-rectum, dusein, de la prostate et de l’endomètre,mais à une incidence faible de cancers del’estomac, de l’œsophage, du foie et du colutérin (voir Facteurs génésiques et hormones, p. 77).

SURPOIDS, OBESITE ETACTIVITE PHYSIQUE

Fig. 2.59 Un exercice physique régulier semble êtrecorrélé avec une diminution du risque de cancer.

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67Alimentation et nutrition

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SITE INTERNET

L’apport calorique et autres facteursd’origine alimentaireLes résultats d’expérimentations animalesdans lesquelles la restriction alimentairediminue le risque de cancers pour cer-taines localisations ne sont pas aisémentextrapolables à l’homme. Alors que l’ap-port calorique peut être employé commeparamètre unique du régime alimentaire,l’apport calorique seul est une base insuf-fisante pour mener un large spectre d’é-tudes sur le risque de cancer. Ces étudesindiquent des interrelations entre l’apportcalorique, la masse corporelle et l’activitéphysique. Ainsi, il est avancé qu’un apporthautement énergétique n’est pas en soiun facteur de risque de cancer, mais qu’unsolde énergétique positif (l’équilibreénergétique étant la différence entre l’ap-port et la dépense calorique), entraînantune obésité, est un facteur de risque decancer [17]. Les données accumulées,suggèrent que certains facteurs méta-

boliques liés au statut nutritionnel,comme l’obésité et l’activité physique,peuvent également jouer un rôle en aug-mentant le risque de certains cancers(Voir encadré : Surpoids, obésité et activitéphysique).Plusieurs études prospectives sont récem-ment venues conforter l’hypothèse formulée voici plusieurs dizaines d’annéesà propos du rôle prédominant des tauxd’hormones endogènes dans la détermina-tion du risque de cancer du sein. Il estégalement proposé que le syndrome d’in-sulino-résistance soit sous-jacent dans larelation entre obésité et cancers hormono-dépendants. Des variations dans le schémades œstrogènes, des androgènes, des facteurs de croissance comme l’insuline etleurs protéines de liaison, sont probable-ment déterminées à la fois par des facteursenvironnementaux et liés au mode de vie,ainsi que par certaines caractéristiquesgénétiques héritées, comme le laissent

penser de récentes études sur le polymor-phisme des gènes codant pour desenzymes régulant le métabolisme des hormones stéroïdes et des récepteurs hormonaux (Facteurs génésiques et hor-mones, p. 77).De même, la relation entre le régime ali-mentaire et le cancer s’avère plus com-plexe que l’on ne pensait. La recherchebasée sur une combinaison d’études delaboratoires et de projets épidémio-logiques prospectifs de conception solideest susceptible d’apporter un éclairagenouveau sur le lien entre les facteurs d’origine nutritionnelle et le cancer [18].D’ici là, les recommandations de santépublique devraient se concentrer sur lesbénéfices que l’on peut attendre d’unrégime alimentaire riche en fruits etlégumes, du maintien d’un poids sain etd’un mode de vie physiquement actif.

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L’immunodépression, temporaire ou per-manente, se caractérise par une diminu-tion de la capacité du système immuni-taire à répondre efficacement auxantigènes étrangers.Elle peut être causée par certains pro-duits chimiques, par des médicaments,des rayonnements ionisants et par dif-férentes infections virales et parasitaires.Ce phénomène est observé chez l’hommecomme chez l’animal de laboratoire.L’immunodépression provoquée par uneexposition aux rayons X ou tout autre rayonnement ionisant, est plus prononcéelorsque l’organisme tout entier, plutôtqu’une zone limitée, a été irradié.L’immunodépression induite par des sub-stances chimiques ou un rayonnement estliée à la dose, l’intensité et la durée del’effet augmentant parallèlement à la doseou à l’exposition continue. Elle estgénéralement réversible avec l’arrêt del’exposition. A l’inverse, l’infection parcertains pathogènes, comme le virus del’immunodéficience humaine, est persis-tante et le déficit immunitaire qui enrésulte est progressif, à moins d’un traite-ment efficace contre l’infection. L’immunodépression doit être distinguéedes diverses formes du déficit immuni-

taire résultant de certaines tares géné-tiques (comme l’ataxie télangiectasie – ATM; le syndrome de Wiskott-Aldrich – WASP; le déficit immunitaire combinésévère lié au chromosome X, γc).L’immunodépression persistante présenteun risque de cancer, surtout lorsqu’elle estaccompagnée d’une exposition continue àdes antigènes étrangers comme lors degreffes d’organes, bien que tous les typesde tumeurs ne se développement pas avecla même fréquence. La ciclosporine et lescomposants voisins sont largement utiliséspour faciliter la transplantation d’organesen diminuant le risque de rejet. Le risqueest particulièrement élevé pour plusieursformes de lymphomes et pour certainsautres cancers associés à des infectionsvirales.

L’immunodépression à médiationmédicamenteuseL’immunodépression entraînée par l’administration de médicaments est util-isée pour traiter les pathologies auto-immunes (comme l’arthrite rhumatoïde) etpour maintenir l’intégrité anatomique etfonctionnelle de tissus étrangers greffés

sur un autre individu, habituellement àl’aide d’un dosage beaucoup plus élevédes médicaments appropriés. Une greffede tout individu, à l’exception de soi-mêmeou d’un véritable jumeau, provoquera uneréaction immunitaire contre les tissusgreffés, dont l’intensité varie avec le degréde différence antigénique entre le greffonet son hôte. Si l’immunodépression estinsuffisante, l’hôte détruira le greffon. Desorganes complets (rein, cœur, foie,poumon) peuvent être transplantés etfonctionner à vie, à condition de maintenirun niveau d’immunodépression approprié.Le risque de cancer augmente parallèle-ment à la durée et à l’intensité de l’immunodépression [1].Si l’on excepte la dépression délibérée dela réponse immunitaire dans le contextede la transplantation d’organes, l’immu-nodépression peut se déclencher en tantqu’effet secondaire de certains médica-ments, notamment plusieurs agents cytotoxiques largement utilisés en chimio-thérapie anti-cancéreuse. Cette actionpeut contribuer au développement de‘cancers secondaires’, notamment chezl’enfant. Plus généralement, les patients

68 Les causes du cancer

IMMUNODEPRESSION

RESUME

> Une dépression persistante du systèmeimmunitaire entraîne un risque de canceraccru.

> Les médicaments utilisés pour prévenirles rejets d’organes transplantés entraî-nent une augmentation de l’incidence delymphomes malins, dont la majorité con-tiennent le virus d’Epstein-Barr.

> Les agents infectieux à l’origine d’uneimmunodépression grave, comme levirus de l’immunodéficience humaine(VIH), sont associés à une incidenceaccrue de plusieurs tumeurs, dont lelymphome non hodgkinien et le sarcomede Kaposi.

Tableau 2.19 Immunosuppresseurs associés au développement du cancer

Médicament ou agent infectieux Localisation anatomique du cancer

Azathioprine Lymphome non hodgkinien, sarcome de Kaposi, carcinome spinocellulaire cutané, cancers hépato-biliaires, tumeurs mésenchymateuses

Cyclophosphamide Cancer de la vessie

Ciclosporine Lymphome non hodgkinien, sarcome de Kaposi

Virus de l’immunodéficience Lymphome non hodgkinien (lymphocytes B), humaine de type 1 (VIH-1) sarcome de Kaposi (augmentation du risque par

co-infection avec le HVH-8)

Virus Epstein-Barr Lymphome de Burkitt (conjointement à l’infection par le paludisme), lymphome non hodgkinien (lymphocytes B) chez les patients immunodéprimés, maladie de Hodgkin, tumeurs des muscles lisses chez les individus immunodéprimés

Herpèsvirus humain 8 Sarcome de Kaposi

Virus du papillome humain Cancer du col utérin, de la vulve et de l’anus

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sous chimiothérapie anti-cancéreuse sontvulnérables aux pathologies infectieuses, enraison de l’altération de leur système immu-nitaire.Les mécanismes d’action suggérés desagents immunosuppresseurs [2] compren-nent:- Une interférence avec les mécanismes deprésentation des antigènes ;- Une interférence avec la fonction des lym-phocytes T ; l’inhibition de la transductiondu signal ou des actions du récepteur(ciclosporine);- Une interférence avec la fonction des lym-phocytes B;- Une interférence avec la prolifération ;une expansion clonale (cyclophosphamide,méthotrexate).Les receveurs d’organes auxquels sontadministrés un traitement immunosup-presseur ont un risque accru de lym-phome non hodgkinien et de certainsautres cancers, particulièrement des can-cers cutanés non mélaniques et le sar-come de Kaposi (Tableau 2.19). Certainesde ces tumeurs illustrent la façon dontl’immunodépression est associée à uneaffection maligne par ailleurs. Ainsi, lacapacité du rayonnement ultraviolet B àsupprimer la réponse immunitaire est unfacteur de développement du cancercutané. Une telle immuno-modulationpeut s’exercer à partir de multiplesmécanismes, mais se manifeste générale-ment par un défaut cellulaire de présenta-tion d’antigènes et un environnement decytokines altérées dans les ganglions lym-phatiques [3]. Conformément à son rôleimmunodépressif dans l’étiologie de cestumeurs, l’immunodépression influenceprofondément la prévalence de troublescutanés chez les patients transplantés : ilexiste une forte incidence de tumeurscutanées chez ces patients, et elles constituent une part importante de lamorbidité et de la mortalité liées auxtransplantations. En revanche, il n’existeaucune indication d’anomalies du systèmeimmunitaire chez la plupart des patientsatteints de néoplasmes des lymphocytesB matures. Les patients immunodéprimésconnaissent néanmoins une incidencefortement accrue de lymphomes nonhodgkiniens [4].

Plus de 95% de la population humainesont infectés par le virus herpétiqueoncogène Epstein-Barr (VEB), qui entraînerarement des manifestations cliniquesapparentes, sauf chez les sujets immun-odéprimés, dont les receveurs d’organes.Les pathologies lymphoprolifératives asso-ciées au VEB chez les patients immunodé-ficitaires englobent toute une gamme depathologies des lymphocytes B, allant despathologies lymphoprolifératives poly-clonales, guérissant dès l’arrêt de l’immuno-dépression, à des lymphomes à fort degréde malignité [5]. Le VEB transforme les cel-lules lymphoïdes; les cellules néoplasiquespeuvent survivre et proliférer pour produiredes lymphomes très rapidement chez unindividu immunodéficient [6]. Le VEB etcertains des médicaments énumérés dansle Tableau 2.19 sont classés dans le Groupe1 (cancérogènes pour l’homme) par lesMonographies du CIRC sur l’Evaluation desRisques de Cancérogénicité pour l’Homme.L’incidence des cancers de la région ano-génitale causés par les virus du papillomehumain est bien plus élevée chez lesreceveurs d’organes.Les maladies auto-immunes pour lesquellesun traitement immunodépresseur estrecommandé sont l’arthrite rhumatoïde, lelupus érythémateux et quelques autres. Untraitement plus modéré et, souvent, desmédicaments moins puissants (par exem-ple, des stéroïdes tels que la prednisone)sont utilisés pour les receveurs d’organes.Les risques pour les mêmes cancers sontgénéralement plus élevés chez lesreceveurs d’organes transplantés que chezles patients non transplantés. La pred-nisone et d’autres médicaments stéroïdi-ens immunosuppresseurs n’ont montréaucune cancérogénicité.L’immunodépression qui permettra aux tis-sus normaux transplantés de survivre chezl’hôte est également susceptible d’occulterdes tumeurs à l’intérieur des tissus trans-plantés, qui peuvent survivre et se dévelop-per chez le receveur. De tels cancers trans-plantés régressent avec l’arrêt du traitementimmunodépresseur [7].

L’immunodépression provoquée parles cancérogènesComme l’indique le nombre d’affections

Immunodépression

Fig. 2.60 Transport d’un organe pour une trans-plantation. L’incidence de tumeurs, et de lym-phomes en particulier, est plus élevée chez lespatients transplantés immunodéprimés.

Fig. 2.62 Biopsie du foie montrant un remplacementpartiel des hépatocytes par un lymphome B diffus àvariante immunoblaste, une pathologie lymphopro-liférative consécutive à une transplantation d’organe.

Fig. 2.61 Lymphome B diffus des muscles lisses,positif au virus d’Epstein-Barr, se développant chezun patient atteint d’arthrite rhumatoïde traité avecdu méthotrexate.

Fig. 2.63 Prélèvement de moelle osseuse d’uneleucémie myéloïde se développant chez un patienttraité par des agents alcoylants. Remarquer l’aug-mentation du nombre de basophiles.

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malignes se développant lors de l’altéra-tion du système immunitaire, la crois-sance des tumeurs est généralementperçue comme nécessitant une faille dansla réponse de ce système. Les can-cérogènes chimiques ne sont générale-ment pas caractérisés comme immuno-toxiques. Certaines substances spécifiquespeuvent toutefois exercer une activitéimmunosuppressive jusqu’à un certain

niveau, qui peut ainsi affecter la crois-sance de la tumeur d’une manière compa-rable à celle exercée par le rayonnementultraviolet dans l’étiologie du cancercutané [2]. Ainsi, la TCDD (tétrachloro-2,3,7,8 dibenzo-para-dioxine) est immuno-toxique chez le primate, ce qui laissepenser que l’homme exposé à ce polluantpuisse être pareillement affecté, bienqu’aucune indication directe ne soit venue

étayer cette information dans une étudeportant sur des personnes exposéesvivant dans une zone contaminée àSeveso, en Italie.

L’immunodépression provoquée parles agents infectieuxL’immunodépression consécutive à uneinfection est particulièrement grave chezles individus infectés par le virus de l’im-munodéficience humaine (VIH), à l’originedu syndrome d’immunodéficience acquise(SIDA). Certains cancers sont caractéris-tiques du SIDA et sont en fait des patholo-gies inaugurales du SIDA chez les indi-vidus affectés par le VIH [8]. Ces patholo-gies comprennent le lymphome nonhodgkinien, en particulier affectant lecerveau, associé à une co-infection par leVEB, et le sarcome de Kaposi associé àune co-infection par un autre herpèsvirusoncogène, l’herpèsvirus humain 8(Encadré: Les tumeurs associées auVIH/SIDA, p. 60). L’incidence de cestumeurs est en augmentation, en partiedu fait de l’épidémie de SIDA (Fig 2.64). LeVEB et le virus VIH-1, principale cause duSIDA, sont tous deux classifiés dans leGroupe 1 – cancérogènes pour l’homme –dans les Monographies du CIRC.

70 Les causes du cancer

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Fig. 2.64 Cancer suite à une immunodépression due à une infection. Incidence annuelle du sarcome deKaposi et du lymphome non hodgkinien à San Francisco aux Etats-Unis, de 1973 à 1998. L’incidence aconnu une forte augmentation entre 1982 et 1990, suite à l’épidémie de SIDA/VIH. Les récentes diminu-tions sont en partie attribuables à l’introduction du traitement HAART, bien que les risques à long termerestent mal connus. (Encadré : Les tumeurs associées au SIDA/VIH, p.60). C.Clarke (2001) AIDS, 15: 1913-1914.

Sarcome deKaposi

Lymphome nonhodgkinien

Année du diagnostic

Taux

aju

sté

sur

l’âge

/100

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La base génétique du cancer peut êtreappréhendée à deux niveaux. En premierlieu, les cellules malignes diffèrent des cel-lules normales suite à l’altération de lastructure et/ou l’expression des oncogèneset des gènes suppresseurs de tumeurs, quel’on retrouve dans tous les cancers. Dans cecas, ‘la base génétique du cancer’ se rap-porte aux différences génétiques acquises(somatiques) entre les cellules normales etmalignes causées par une mutation chezl’individu. En second lieu, la même expres-sion, ‘base génétique du cancer’ peut êtreutilisée par référence à une augmentationdu risque de cancer qui peut se transmettrede génération en génération. Cette section

s’intéresse à ce second phénomène. Dansde nombreux cas, les gènes concernés ontété identifiés, et l’on a découvert qu’ilsjouaient parfois aussi un rôle dans certainscancers sporadiques.

L’interaction entre les gènes et les fac-teurs environnementauxL’influence des facteurs de risque liés aumode de vie (notamment le tabac), desexpositions professionnelles, des habitudesalimentaires et des expositions environ-nementales (comme la pollution de l’air,l’exposition au soleil ou à de faibles niveauxde radiation) sur le développement du cancer est claire; ces facteurs sont respon-sables d’une fraction spécifique de cancers. Une autre fraction importante estprovoquée par des agents viraux et autres

agents infectieux, ceci plus particulière-ment dans les pays en développement. Lesagents cancérogènes, aussi divers que dessubstances chimiques, les rayonnements etles virus, agissent principalement en lésantl’ADN des cellules individuelles. De telleslésions ont des conséquences graveslorsqu’elles impliquent la perturbation degènes contrôlant la prolifération cellulaire,la réparation d’autres lésions de l’ADN, et lacapacité cellulaire à infiltrer (envahir) les tis-sus environnants (Chapitre 3). Chacune deces modifications étant relativement rare, lerisque que la combinaison nécessaire deces trois événements survienne, permet-tant à une cellule normale de se développeren une tumeur entièrement maligne, estfaible. Le risque pour un individu au coursde sa vie peut atteindre 10% pour les

LES PREDISPOSITIONS GENETIQUES

Les prédispositions génétiques 71

RESUME

> Les syndromes de cancers héréditaires,impliquant généralement des muta-tions des lignées germinales des gènessuppresseurs de tumeurs ou répara-teurs de l’ADN, peuvent représenterjusqu’à 4% de l’ensemble des cancers.

> Les mutations héréditaires du gèneBRCA1 sont responsables d’une faibleproportion de l’ensemble des cancersdu sein, mais les membres de lafamille affectés ont un risquesupérieur à 70% de développer un can-cer du sein ou de l’ovaire au cours deleur vie.

> L’identification d’une mutation de lalignée germinale permet l’application demesures préventives, ainsi qu’une priseen charge et un accompagnement clin-iques.

> Des facteurs environnementaux sontsusceptibles de modifier le risque decancer d’individus atteints de syn-dromes cancéreux héréditaires.

> La prédisposition au cancer peut êtreinfluencée par des variations génétiquesqui, même si elles ne provoquent pas decancer, affectent le métabolisme de cer-tains agents cancérogènes, comme lafumée de tabac.

Fig. 2.65 Hypothèse de Knudson, expliquant le développement d’un cancer héréditaire provoqué par l’inactivation d’un gène suppresseur. En raison d’une prédisposition héréditaire, les tumeurs de l’œil (réti-noblastomes) atteignent la plupart du temps les deux yeux des individus ayant hérité d’une mutation d’unallèle du gène du rétinoblastome sur le chromosome 13 (‘mut’ au lieu du type sauvage normal - ‘wt’ pour‘wild type’). Un seul œil est affecté lorsque ce type de tumeur survient spontanément dans une cellulerétinale unique (‘sporadique’) par une mutation somatique. Les mécanismes de déclenchement d’unetumeur peuvent être déterminés par l’analyse des génotypes produits à partir de tissus normaux (‘N’) ettumoraux (‘T’).

N

1

1

1

1

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1

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2

A B

T N T

N

A B

T N T

N

Mutation somatique

Mutation d’unelignée germinale

Perte

Perte/duplication

Recombinaison

Localisée

CELLULE PREDISPOSEE

TUMEUR

HEREDITAIRE

A B

T N T

N

A B

T N T

AUTORADIOGRAPHIE

mut

mut

mut mut

mut mut

mut mut

Marqueur A

Marqueur B

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cancers du sein ou de la prostate (c’est-à-dire que dans certains cas, 10% de la popu-lation souffriront d’un de ces types de can-cer au cours de leur vie). Les altérationsgénétiques s’accumulent progressivement,

par hasard et/ou sous l’action de can-cérogènes environnementaux spécifiques,si bien que la plupart des cancers affectentles personnes d’une cinquantaine d’annéeset les individus plus âgés. Certains cancers

individuels peuvent être attribués à des fac-teurs environnementaux particuliers. Enl’absence d’agent causal apparent, un cancerest décrit comme ‘sporadique’ ou ‘spontané’.Bien que la plupart des cancers apparais-sent à la faveur de mutations somatiques(mutations acquises que l’on trouve unifor-mément seulement dans les cellulestumorales concernées), environ 5% del’ensemble des cancers est attribuable à desaltérations génétiques héréditaires, que l’onretrouve dans toutes les cellules chez unindividu afffecté. Une telle modificationgénétique peut être présente chez un desparents, et donc héréditaire, ou a pu survenir dans une cellule germinale (ovuleou spermatozoïde) avant la fécondation etpeut, à son tour, être transmise à laprochaine génération. Ces altérations danschaque cellule constituent un engagementpartiel vers le cancer, qui peut être complété

72 Les causes du cancer

Fig. 2.66 Enfant atteint d’un rétinoblastome, unetumeur maligne se développant à partir de cellulesgerminales de la rétine. Elle est causée, dans saforme familiale, par une mutation sur le mode auto-somique dominant du gène du rétinoblastome.

Tableau 2.20 Syndromes de cancers héréditaires provoqués par une anomalie génétique unique. Lerisque de cancer sur la durée de vie est élevé. Il existe généralement des caractéristiques phénotypiquesreconnaissables facilitant l’identification clinique des syndromes.

Syndrome Gène Localisation Localisation anatomique chromosomique du cancer

Rétinoblastome familial RB1 13q14 Rétinoblastome, ostéosarcome

Néoplasie endocrinienne RET 10q11 Carcinome médullairemultiple de type II de la thyroïde, phéo-

chromocytome

Néoplasie endocrinienne MEN1 11q13 Cellules surrénales, îlots de type I pancréatiques

Neurofibromatose de type I NF1 17q11 Neurofibromes, gliomes optiques, phéochromocytome

Neurofibromatose de type II NF2 22q2 Neuromes acoustiquesbilatéraux, méningiomes,astrocytomes cérébraux

Syndrome de Bloom BLM 15q26 Leucémie, lymphome

Polypose adénomateuse APC 5q21 Côlon-rectum, thyroïdefamiliale

Von Hippel-Lindau VHL 3p25 Carcinome des cellules, rénales, phéochromo-cytome

Tumeur familiale de Wilms WT1 11q Tumeur de Wilms (rein)

Xérodermie pigmentaire XP(A-D) 9q, 3p, 19q, Carcinome basocellulaire 15p carcinome épidermoïde,

mélanome (peau)

Anémie de Fanconi FAC 16q, 9q, 3p Leucémie aigüe

Syndrome de Li-Fraumeni p53 17p13, Carcinomes mammaire et corticosurrénal, sarcomes des os et tissus mous, tumeurscérébrales, leucémie

Syndrome de Cowden PTEN 10q22 Sein, thyroïde

Syndrome de Gorlin PTCH 9q31 Carcinome basocellulaire

Syndrome lymphoprolifératif XLP Xq25 Lymphomelié à l’X

Syndrome de Peutz-Jeghers LKB1 19p Sein, côlon

Ataxie télangiectasie ATM 11q22 Leucémie, lymphome

Fig. 2.67 Patient atteint de xérodermie pigmen-taire, une pathologie héréditaire rare (auto-somique récessive) se manifestant par des tâcheshyperpigmentées sur des portions de peau sous-exposées, qui seront enclines à se développer ende multiples cancers cutanés. Cette pathologieest déclenchée par des mutations des gènesimpliqués dans la réparation de l’ADN.

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soit par le biais de processus aléatoires ou àla suite d’agressions environnementales.Cette théorie selon laquelle le développe-ment d’une tumeur survient de préférencechez des individus prédisposés génétique-ment fut initialement proposée par AlfredKnudson en 1971, dans le contexte d’unetumeur oculaire chez l’enfant, le rétinoblas-tome familial [1] (Fig. 2.65, 2.66). Engénéral, les formes héréditaires de cancerapparaissent à un âge plus précoce que lestumeurs sporadiques ou causées par l’envi-ronnement. Ainsi, de telles altérations ‘deslignées germinales’ représentent une partieimportante des cancers survenant à unjeune âge, bien que seule une partie relativement peu importante de l’ensembledes cancers soit attribuable à des muta-tions héréditaires des gènes de prédisposi-tion au cancer. Il est également probableque des différences individuelles dans lacapacité à détoxifier, à métaboliser les cancérogènes (Activation des cancérogèneset réparation de l’ADN, p. 89) ou à régulerles niveaux d’hormones (Facteursgénésiques et hormones, p. 77) soient sousun certain niveau de contrôle génétique.Ces deux formes de variation modifieraientles effets des expositions environnemen-tales et le risque de cancer qui en découle.

Les gènes du cancerOn sait depuis plus d’un siècle que le cancerpeut ‘faire partie de la famille’. Parmi lespremiers éléments rapportés d’une prédis-position héréditaire, on trouve la descriptionfaite par Paul Broca, un médecin parisien,d’une famille avec plusieurs cas d’apparitionprécoce de cancer du sein, du foie etd’autres tumeurs [2]. De telles familles sesont avérées de précieuses sources d’infor-mation pour l’établissement du caractèrehéréditaire de la maladie de génération engénération. En analysant l’ADN d’un échan-tillon sanguin ou tumoral des membres deces familles, le caractère héréditaire de laprédisposition au cancer au sein d’unefamille peut être retracé afin de déterminersi la maladie se transmet du parent à l’en-fant avec un ‘marqueur génétique’, à savoir,une séquence génétique qui peut n’avoiraucune signification clinique, mais qui variebeaucoup d’un individu à l’autre. Si c’est lecas, et si cela se révèle exact pour un nom-

bre de familles suffisant, il est possible dedéterminer la localisation approximative dugène responsable de la maladie. A partir delà, il s’agira de mettre en œuvre davantage destratégies moléculaires pour cibler et identifi-er le gène spécifique impliqué, et localiser legène prédisposant sur une petite zone del’ensemble du génome humain. Cela permet-tra l’identification des gènes spécifiquesimpliqués et des altérations de ces gènesprédisposant un individu au cancer [3]. Les gènes particuliers qui sont impliquésdans la prédisposition à diverses formes decancer, à la fois des tumeurs rares commele rétinoblastome, et des cancers pluscourants comme le cancer du sein ou ducôlon, ont été identifiés et sont désignéssous le nom de ‘gènes suppresseurs detumeurs’ ou ‘oncogènes’ (Oncogènes etgènes suppresseurs de tumeur, p. 97). Pourd’autres formes de cancer héréditaire, seulela localisation chromosomique d’un gène deprédisposition présumé est connue; le gènespécifique impliqué n’a pas encore été iden-tifié. Un grand nombre des premiers succèsque l’on a remportés impliquaient l’identifi-cation des anomalies génétiques, et par lasuite des gènes responsables des syn-dromes spécifiques associés au cancer,comme la neurofibromatose, la polyposeadénomateuse familiale, et le syndrome deLi-Fraumeni. Les types de neurofibromatosesont associés respectivement aux gènesNF1 et NF2 : la neurofibromatose de type Ise manifeste par une pigmentation cutanéeparticulière et un risque de phéochromocy-

tome, de neurofibrome, de gliomes etd’autres tumeurs, alors que les patients dutype II développent des schwannomes etcertaines autres tumeurs cérébrales [4].Les individus souffrant de polypose adéno-mateuse, attribuable aux altérations dugène APC, souffrent de multiples lésionsprécancereuses du côlon [5] (Cancéro-genèse multi-étapes, p. 84). Les gènes enquestion sont également impliqués dansdes cancers sporadiques, pour certains deces exemples seulement. Bien que les fonc-tions de ces gènes ne soient pas entière-ment caractérisées, un grand nombre d’entre elles semblent impliquées soit dansles processus cellulaires clefs comme lecontrôle du cycle cellulaire, la mort cellu-laire programmée, soit dans la réparationet/ou la détection des lésions de l’ADN.Dans les cas des syndromes cancéreuxhéréditaires les plus rares, pour lesquels lesrisques sur la vie entière sont très élevés, ilexiste généralement des caractéristiquesphénotypiques reconnaissables qui facili-tent l’identification clinique du syndrome, etune seule anomalie génétique est respons-able de la majorité des survenues de la maladie (Tableau 2.20). Pour de tels gènes, l’anomalie génétique réelle reste inconnue,mais des arguments convaincants en faveurd’une localisation chromosomique ont étérapportés. Il faut remarquer que cette distinction entre les syndromes cancéreuxhéréditaires les plus rares et les cancersplus courants est parfois arbitraire.

Les prédispositions génétiques

Tableau 2.21 Gènes de forte prédisposition et leur localisation chromosomique. Les mutations héréditaires de ces gènes sont associées à certains cancers courants.

Gène Localisation Tumeurs associées

BRCA1 17q Sein, ovaire, côlon, prostateBRCA2 13q Sein, ovaire, pancréas, prostate

p16 INK4A 9p Mélanome, pancréasCDK4 6q Mélanome, autres tumeurs (rarement)

hMLH1 3p Côlon-rectum, endomètre, ovairehMSH2 2p Côlon-rectum, endomètre, ovairehMSH6 2p Côlon-rectum, endomètre, ovairePMS1 2q Côlon-rectum, autres tumeurs (rarement)PMS2 7p Côlon-rectum, autres tumeurs (rarement)

HPC2 17p Prostate (rarement)

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Prévalence, risques et impact des can-cers héritésLes risques sur la ‘vie entière’ de cancer dûà des mutations des gènes de prédisposi-tion peuvent être très élevés ; une femmeporteuse d’un gène BRCA1 muté a un risqued’environ 70% de développer un cancer dusein ou de l’ovaire sur la vie entière, par rapport à une femme exempte de tellesmutations [6]. Pour certains des syndromesrares, les risques de cancer peuvent êtreencore plus élevés. Les mutations desgènes de prédisposition au cancer sontnéanmoins relativement peu courants,allant de 1/100 000 pour les maladies trèsrares, comme le syndrome de Cowden, à1/10 000 pour les mutations des gènes dela lignée germinale de p53 impliquées dansle syndrome de Li-Fraumeni, à 1/1 000pour les gènes tels que BRCA1 et MLH1(impliqués dans la réparation des mésap-pariements de l’ADN). Ces gènes peuventcependant atteindre des fréquences plusélevées, et donc être responsable d’un plusgrand nombre de cancers chez les popula-tions issues d’un nombre relativement

restreint de fondateurs, qui se sont rapide-ment étendues tout en restant isolées géné-tiquement. Deux mutations spécifiques(une pour le BRCA1 et une pour le MLH1)sont présentes dans la population juive. Unindividu juif sur cent est porteur de l’une deces deux mutations, qui peuvent êtreresponsable de près de 40% de l’ensembledes cas de cancer ovarien et de 20% descas de cancer du sein diagnostiqués avantl’âge de 40 ans dans cette population.L’identification des individus génétiquementprédisposés, la confirmation de l’anomaliegénétique et la prestation de soins appro-priés a entraîné le développement de consultations spécialisées dans les cancersfamiliaux, dans le cadre de centres de soinsanti-cancéreux polyvalents. Parmi lesfamilles désormais suivies régulièrementdans ces consultations, on trouve cellesaffectées par un cancer héréditaire dû auxaltérations relativement courantes du gèneBRCA1 (Fig. 2.68, 2.69) et celles atteintespar le syndrome de néoplasie endocrini-enne multiple de type II (NEM2) [7]. Unnombre croissant de questions éthiques,

juridiques et sociales se posent [8] (Encadré :Ethique et cancer, p. 334) à mesure que lestests génétiques de mutations des gènes deprédisposition au cancer se développent,particulièrement en ce qui concerne lestypes de cancer les plus communs, d’apparition tardive. La plupart des discus-sions sont centrées sur les questions de dis-crimination génétique, à savoir le refus d’assurance-santé ou d’assurance-vie, oud’une embauche, en raison du risque déter-miné génétiquement d’un individu dedévelopper une pathologie grave. L’interprétation des tests n’est pas sans difficulté, y compris lorsque l’on dispose detests génétiques directs. Si, dans de nom-breux cas, les variants de séquence sontclairement délétères, car ils peuvent parexemple entraîner la troncature, voire l’absence de protéines exprimées, d’autres,qui modifient simplement un acide aminéen une protéine complexe, ne peuvent pasêtre associés de façon certaine à une aug-mentation du risque. Lorsque l’on ne peutdéceler aucune anomalie dans un gène du cancer spécifique chez un membre d’une

74 Les causes du cancer

Fig. 2.68 Généalogie d’une famille génétiquement prédisposée aux cancers provoqués par une mutation de lignée cellulaire du gène BRCA 1.

Ov 46 Ov 66

Ov 63

Se57

Se38

Se35

Se49

Se42

Br51

Se42

Ov46

Ov33

Ov 49Se35

Se32

Se30

Se 38in situ

Se 45/47Ov 54

Se32/39

Se 53/56

2 2

25

3 3 3 2

4223 4

Se37/39

Ov 49

Ov 54

Se = Cancer du seinOv = Cancer de l’ovaire(Les chiffres indiquent l’âge auquel le cancer a étédiagnostiqué)

= Femme atteinte d’un cancer= Femme non atteinte= Homme non atteint

(Les chiffres intérieurs indiquent le nombre de membresde la fratrie non atteints)

Se44/47Ov 47

= Décédé(e)

2

2

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75Les prédispositions génétiques

famille à haut risque pour laquelle l’ano-malie héréditaire n’a pas été décelée, lerisque de cancer peut quand même resterélevé à cause d’une mutation non déceléedans le gène ou dans un autre gène. A l’in-verse, si l’anomalie génétique responsabledu cancer dans une famille prédisposée estidentifiée, tout membre de la famille ayantété identifié comme non-porteur de cetteanomalie aura un risque identique à celui dela population normale, risque qui peut êtretrès faible pour le rétinoblastome, maisatteindre près de 1 sur 11 pour le cancer dusein [9]. Cependant, même quand un indi-vidu est identifié comme porteur d’unemutation délétère connue, avec un risquede cancer élevé sur la vie entière, les straté-gies d’intervention peuvent se révéler lim-itées. Les conséquences psychologiques etsociales des tests génétiques pour lespathologies d’apparition tardive, dont le cancer du sein et le cancer du côlon, fontaujourd’hui l’objet d’études. Les membresde la famille, identifiés comme étant porteurs d’une mutation prédisposant à lamaladie, sont plus susceptibles de souffrird’anxiété et de dépression en raison decette révélation, et les parents peuventéprouver de la culpabilité à avoir transmis lamutation à leurs enfants. Même les individusdéclarés non-porteurs de la mutationprésente dans le reste de leur famille peuvent souffrir occasionnellement de conséquences psychologiques secondairesdu fait d’avoir été épargnés.

Les interactions gènes-environnementDes informations récentes indiquent quecertains facteurs environnementauxprésentent un danger particulier pour lesindividus qui sont affectés par un risquehéreditaire très élevé de cancer. Le risquede cancer du sein chez les femmes porteuses des mutations BRCA1 est parexemple influencé par certains facteursenvironnementaux, ce qui indique que detelles tumeurs sont sujettes à une influence hormonale, comme le sont les cancers dusein sporadiques [10,11].Le rôle des gènes connus pour engendrerdes risques de cancer élevés ne suffit pas à

expliquer l’ensemble du risque familial pourles cancers concernés, et il est probableque d’autres locus soient impliqués, maisqu’ils n’engendrent pas individuellement decaractère familial détectable. Il sera diffi-cile, voire impossible de détecter ces locus,qui peuvent être associés à un risque decancer double ou triple de la normale (par-fois moins), à l’aide des études de liaisonmenées dans les familles à haut risque. Enrevanche, ce sera plus facile à l’aide d’études cas-témoins familiales ou menéesau sein de la population. Une autreapproche consisterait à se concentrer sur lefait que, pour toute exposition environ-nementale donnée, des différences individuelles dans la prédisposition peuventavoir une origine génétique. La connais-sance du polymorphisme génétique spécifique engendrant cette prédispositionpourrait améliorer la détection et la carac-térisation des facteurs de risques environ-nementaux par le biais d’une stratificationde l’échantillon selon la constitution génétique sous-jacente. De même, certainsfacteurs environnementaux peuvent êtreassociés au cancer (comme le tabagismepour le cancer de la vessie) chez tout individu, mais avec des conséquencesbeaucoup plus importantes chez les individus qui ont une capacité moindre àmétaboliser les cancérogènes en question(par exemple les acétylateurs lents de la N-acétyltransférase-2, NAT2 [7] ou les individus nullizygotes pour la glutathion S-transférase, GSTM1 [12]). Deux enzymescytochromes P450, la CYP2D6 et la CY2A6,sont associées au métabolisme de la nico-tine [13,14]. Les personnes avec desdéficits génétiques de ces enzymes fumentun nombre de cigarettes moins élevé, etpeuvent s’arrêter de fumer plus facilementque les individus dont les enzymes ont uneactivité normale. Les médicamentsréduisant l’activité de ces enzymesréduisent ainsi le besoin de cigarettes desfumeurs [15].Les gènes relatifs à cette question peuventêtre associés à un cancer particulier ou àdes processus physiologiques ou cellulairesélémentaires, ils englobent:

- les gènes codant pour les enzymesimpliquées dans le métabolisme et la détoxication de cancérogènes dont lesfamilles du cytochrome P450 [16] et de laglutathion S-transférase (GST) [17] ;- les gènes impliqués dans la réparation deslésions de l’ADN ;- les gènes liés à la croissance et à la différenciation cellulaire ou aux voies deshormones stéroïdes ;- les gènes connus pour conférer un risqueélevé, comme le p16INKA4, le BRCA1 ou leMLH1.Il reste à espérer qu’une approche plusunifiée de l’épidémiologie et de la génétiquedu cancer identifiera les combinaisons deprédisposition génétique et d’expositionsenvironnementales entraînant une augmen-tation importante du risque de cancer auniveau de l’individu et de la population. Celapourrait en retour engendrer une réductiondu fardeau que constitue le cancer, en modifiant les modes de vie et en évitant lesexpositions spécifiques chez les individusgénétiquement prédisposés.

Fig. 2.69 Les femmes porteuses d’une mutationhéréditaire du gène BRCA1 ont un risque beaucoupplus important de développer un cancer du sein.

Population féminine générale

Femme portant le gène muté BRCA1

Risq

ue c

umul

é de

can

cer

du s

ein

Age (années)

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76 Les causes du cancer

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Facteurs génésiques et hormones 77

Il existe des preuves sans équivoque del’importance du rôle des hormones sexuelles (androgènes, œstrogènes, pro-gestogènes) dans le développement destumeurs, particulièrement celles desorganes de reproduction de la femme(endomètre, ovaire) et du sein.

Les cancers du sein, de l’endomètre etde l’ovaireLe taux d’incidence de cancer du sein aug-mente de façon plus prononcée avec l’âgeavant la ménopause plutôt qu’après,lorsque la synthèse ovarienne d’œstro-gènes et de progestérone s’arrête et que laproduction ovarienne d’androgènes dimin-ue graduellement. Le risque de cancer dusein est accru chez les femmes qui ont étéréglées très jeunes ou qui ont uneménopause tardive, alors qu’une premièregrossesse menée à terme à un âge précoceet une forte parité sont associées à un

risque réduit de ces trois formes de can-cers [1]. L’augmentation des taux d’inci-dence du cancer de l’endomètre sembleégalement s’aplanir à un âge plus avancé,mais cette modification est liée à la transi-tion ménopausique de façon moins marquée qu’elle ne l’est pour le cancer dusein. Le risque de cancer de l’ovaire nemontre pas de lien étroit avec la menstrua-tion, mais il est clairement et inversementlié à la parité [2]. L’obésité (liée à diversesaltérations des taux plasmatiques desstéroïdes sexuels totaux et biodisponibles)est un facteur de risque important pour lecancer de l’endomètre, ainsi que pour lecancer du sein chez les femmesménopausées. Les taux de stéroïdes sexuels circulants sont régulés par unensemble de facteurs, dont l’insuline et lesfacteurs de croissance insulino-mimé-tiques, (IGF) qui fournissent ainsi un lienpossible entre plusieurs observations con-cernant un apport énergétique excessif etun risque de cancer accru (Encadré: L’ IGF-1 et le cancer, p. 80). Réunies, cesobservations laissent penser que desaltérations du métabolisme stéroïdien sexuel endogène peuvent être un détermi-nant important du risque de chacune deces trois formes de cancer chez la femme.Le risque de cancer du sein augmentechez les femmes ménopausées avec unprofil hormonal plasmatique hyperan-drogène (excès d’androgènes), caractérisépar une augmentation des taux plasma-tiques de testostérone et du ∆-4-androstènedione, par une réduction de laprotéine porteuse des stéroïdes sexuels etune augmentation des taux d’œstradioltotal et d’œstradiol biodisponible non lié àla protéine porteuse des stéroïdes sexuels[par exemple, 3-5]. De même, les femmesménopausées ont un risque accru de can-cer de l’endomètre. La situation du cancerdu sein chez les femmes préménopauséesest moins tranchée [6,7].

Les contraceptifs orauxLes contraceptifs oraux, sous forme d’as-sociations œstro-progestatives, ont été

lancés au début des années 1960, et leurusage s’est rapidement étendu dans lespays les plus développés. On estime à plusde 200 millions le nombre de femmesayant utilisé les contraceptifs oraux dèsleur apparition, et 60 millions d’entre ellesles utilisent actuellement [8].Les préparations des contraceptifs orauxont évolué dans le temps, avec notamme-ment des réductions dans la puissance etle dosage des œstrogènes, l’addition depro-gestogènes différents (analogues de laprogestérone), et l’introduction en 1983des pilules biphasiques et triphasiques,dont la quantité en œstrogène et pro-gestérone varie au cours du mois. Unepilule contenant uniquement de la pro-gestérone (‘pilule minidosée’) a été com-mercialisée pour la première fois en 1973aux Etats-Unis, mais n’a jamais connu unelarge utilisation. Les pilules séquentielles,avec deux semaines d’œstrogènes unique-ment suivies d’une association œstro-progestative pendant cinq jours, ont étéretirées du marché dans les années 1970après la crainte d’une possible associationau cancer de l’endomètre. Il existe une petite augmentation du risquedu cancer du sein chez les utilisatrices encours ou en début de traitement avec descontraceptifs oraux combinés contenant àla fois des œstrogènes et de la pro-gestérone [8]. Cette association n’estcependant aucunement liée à la durée d’utilisation, ni au type et à la dose de

FACTEURS GENESIQUES ET HORMONES

RESUME

> Le métabolisme des hormones stéroïdessexuelles féminines, les facteursgénésiques et la ménopause ont unimpact sur le développement du cancerdu sein, de l’ovaire et de l’endomètre.

> L’utilisation de contraceptifs oraux com-binés est responsable d’une légère aug-mentation du risque de cancer du sein,mais exerce un effet protecteur contreles cancers de l’ovaire et de l’endomètre.

> L’hormonothérapie substitutive estassociée à une augmentation du risquede cancer de l’endomètre et de l’ovaire,mais peut soulager d’autres problèmesde santé liés à la ménopause.

> Le déséquilibre énergétique causé parle mode de vie occidental entraîne uneaugmentation des taux sériques dufacteur de croissance insulino-mimé-tique de type I (IGF-I), prédictif d’unrisque élevé de cancer de la prostate.

Fig. 2.70 Différents contraceptifs oraux.L’utilisation d’une pilule contraceptive réduit lerisque du cancer de l’ovaire et de l’endomètre,mais elle est associée à une légère augmentationdu risque de cancer du sein.

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préparation, et disparaît 10 ans après l’ar-rêt de l’utilisation (Fig. 2.71). L’associationdu cancer du sein à l’utilisation de contra-ceptifs peut être la conséquence d’un biaisdans la détection, entraîné par une surveil-lance accrue de la survenue des tumeursdu sein chez les femmes consultantrégulièrement un médecin pour des ordon-nances de contraceptifs.Le risque de cancer de l’endomètre estdiminué de moitié environ chez lesfemmes utilisant des contraceptifs orauxde type combiné, la réduction du risqueaugmentant avec la durée d’utilisation descontraceptifs [8]. La réduction du risquepersiste pendant au moins 10 ans aprèsl’arrêt de l’utilisation. Il est cependantintéressant de noter que l’utilisation decontraceptifs oraux séquentiels, contenantuniquement des progestogènes durant lescinq premiers jours du cycle, est associée àun risque accru de cancer de l’endomètre.Le risque de cancer de l’ovaire est quant àlui diminué chez les femmes utilisant descontraceptifs oraux combinés, cette réduc-tion atteignant environ 50% chez lesfemmes ayant utilisé les préparations pen-dant au moins cinq ans (Tableau 2.22).Cette réduction du risque persiste de nou-veau pendant au moins 10 à 15 ans aprèsl’arrêt de l’utilisation. Il a également étésuggéré que l’utilisation à long terme decontraceptifs oraux (plus de cinq ans) pour-rait constituer un facteur associé augmen-tant le risque de cancer du col utérin chezles femmes infectées par le virus du papillome humain [9].

Hormonothérapie de substitution chez lafemme ménopauséeL’utilisation clinique d’œstrogènes pourtraiter les symptômes de la ménopause(œstrogénothérapie substitutive ou hor-monothérapie substitutive) a débuté dansles années 1930, et s’est développée dansles années 1960. Jusqu’à 35% des femmesménopausées aux Etats-Unis et dans denombreux pays européens ont eu recoursà un traitement substitutif, au moins demanière temporaire. Les doses d’œstro-gènes oraux prescrits ont diminué entre1975 et 1983, et l’utilisation d’œstrogènesinjectables pour une œstrogénothérapiede substitution a également diminué. En

revanche, l’utilisation d’œstrogènesadministrés par voie transdermique a aug-menté progressivement pour atteindre 15%environ du total des prescriptionsd’œstrogénothérapie substitutive dans cer-tains pays. Certains cliniciens, notammenten Europe, ont commencé à prescrire dansles années 1960 un traitement sous formed’association œstro-progestative, princi-palement pour mieux contrôler les saigne-ments utérins. La tendance à prescrire unehormonothérapie substitutive œstro-progestative s’est renforcée lorsque lespremières études épidémiologiques ontmontré une augmentation du risque decancer de l’endomètre chez les femmesayant uniquement recours aux œstro-gènes. Une faible augmentation du risque de can-cer du sein se trouve corrélée à une duréede cinq ans (ou plus) de l’œstrogéno-thérapie de substitution chez les utilisatri-ces en cours ou en début de traitement [8].L’augmentation semble stopper plusieursannées après l’arrêt de l’utilisation. Il semblen’y avoir aucune différence de risque decancer du sein entre les utilisatrices à longterme de toute hormonothérapie substitu-tive et les utilisatrices d’œstrogènes unique-ment. D’importantes études cas-témoins et

de cohorte indiquent nettement une aug-mentation plus forte du risque de cancer dusein chez les femmes bénéficiant d’une hor-monothérapie substitutive que chez cellesuniquement sous œstrogènes [10,11].Il existe une augmentation du risque decancer de l’endomètre chez les femmessous œstrogénothérapie substitutive, cerisque augmentant avec la durée du traite-ment [8]. A l’inverse, les femmes sous hor-monothérapie substitutive ont seulementun risque légèrement accru de cancer encomparaison avec les femmes n’ayantjamais été sous substitution hormonalepost-ménopause, et cet accroissement durisque est bien plus faible que celui desfemmes uniquement sous œstrogènes. Ilsemble n’y avoir aucun lien entre le risquede cancer de l’ovaire et l’utilisationd’œstrogènes après la ménopause, alorsque les données sur le risque de cancer del’ovaire associé à une hormonothérapiesubstitutive sont trop peu nombreusespour être exploitées.

Le cancer de la prostateLa croissance normale et le bon fonction-nement des tissus prostatiques sont sousle contrôle de la testostérone par le biaisde sa conversion en dihydrotestostérone

Fig. 2.71 Estimation du risque de cancer du sein en fonction de la durée écoulée depuis la dernière utilisation de contraceptifs oraux combinés, par rapport aux femmes n’ayant jamais eu recours à ces con-traceptifs. Données ajustées sur l’âge lors du diagnostic, la parité, l’âge au premieraccouchement et l’âge auquel la conception n’était plus possible. Les traits verticaux indiquent l’intervalle de confiance à 95%.

DDuurrééee ééccoouullééee ddeeppuuiiss llaa ddeerrnniièèrree uuttiilliissaattiioonn ddee ccoonnttrraacceeppttiiffss oorraauuxx ccoommbbiinnééss ((aannnnééeess))

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79Facteurs génésiques et hormones

[12]. La dihydrotestostérone est liée aurécepteur androgène, qui permet la translo-cation de l’hormone vers le noyau. Le fait desavoir si les patients atteints d’un cancer dela prostate ont des taux de testostéronesérique supérieurs au groupe témoin, nonaffecté par la maladie, a suscité des résultats contradictoires. La diminution dela production de testostérone, obtenue paradministration d’œstrogènes, par orchidec-tomie ou par administration d’agonistes del’hormone de libération de la lutéostimuline,est utilisée pour traiter le cancer de laprostate disséminé.

Les mécanismes de la tumorigenèseLe cancer du seinLe rôle des hormones endogènes dans ledéveloppement du cancer du sein suggère lathéorie d’un ‘excès d’œstrogènes’, selonlaquelle le risque dépend directement del’exposition des tissus mammaires auxœstrogènes. Les œstrogènes augmentent laprolifération cellulaire mammaire et inhibentl’apoptose in vitro, et entraînent une aug-mentation du développement tumoral chezl’animal de laboratoire chez lequel ils sontadministrés. Cette théorie concorde parailleurs avec les études épidémiologiques[4,15] montrant une augmentation du risquede cancer du sein chez les femmes

ménopausées avec une faible circulation dela protéine porteuse de stéroïdes sexuels etde l’œstradiol total et biodisponible.L’hypothèse ‘œstrogènes-plus-progesto-gènes’ [15,16] postule que, par rapport àune exposition unique aux œstrogènes(comme chez les femmes ménopauséesn’utilisant aucune hormone exogène), lerisque de cancer du sein augmente d’au-tant plus chez les femmes qui ont des tauxplasmatiques et tissulaires d’œstrogènesélevés, combinés à des progestogènes.Cette théorie est renforcée par les observations selon lesquelles les femmesménopausées ayant recours aux préparations à base d’œstrogènes-plus-

Les aliments végétaux contiennent desphyto-œstrogènes, les lignanes et lesisoflavones, dont la structure est sem-blable à celle de l’œstradiol-17β, unœstrogène mammaire. L’importance de lasimilitude des structures des lignanes etdes isoflavones et de celle des œstrogènesmammaires pour un possible effet préven-tif contre le cancer a été révélée pour lapremière fois au début des années 1980(Setchell KDR et coll., Am J Clin Nutr, 40,569, 1984; Adlercreutz H, Gastroenterology,86, 761-6, 1984). Les isoflavones sont desdiphénols et comprennent la daidzéine,l’équol et la génistéine, qui sont tous capa-bles de se lier aux récepteurs α et surtoutβ des œstrogènes (Kuiper GG et coll.,Endocrinology, 138, 863-870, 1997). Il appa-raît que les isoflavones, comme de nom-breux autres œstrogènes peu puissants,produisent des effets anti-œstrogéniques,en rivalisant avec l’œstradiol au niveau ducomplexe récepteur, sans parvenir toute-fois à provoquer une réponse œstro-génique complète après s’être liés aunoyau. Chez le modèle animal, l’inclusionde soja dans la nourriture, source dephyto-oestrogènes, réduit la tumorigénicitémammaire. L’entérolactone et l’entérodiol,des lignanes, sont dérivés d’une fermenta-tion microbienne d’origine alimentaire du

secoisolaricirésinol et du matairésinol, etexcrétés dans les urines. Ils ont égalementmontré de faibles effets œstrogéniques et anti-œstrogéniques, et il apparaît que les supplé-ments réduisent la tumorigenèse du cancer dusein chez un modèle de rongeur. Les effets pro-liférateurs des phyto-œstrogènes sur le seinchez la femme ont cependant été égalementsuggérés (Bingham SA et coll., Br J Nutr, 79, 393-406, 1998).

Les cancers les plus étroitement liés auxœstrogènes végétaux sont les carcinomeshormonaux du sein et de la prostate, quisemblent moins courants dans les popula-tions consommant du soja. Aucune associa-tion n’a cependant été mise en évidence entrele risque de cancer du sein et les aliments àbase de soja lors de la plus importante etrécente étude prospective menée chez 34 759 femmes à Hiroshima et Nagasaki (KeyTJ et coll., Br J Cancer, 81, 1248-1256, 1999).De récentes études épidémiologiques com-prennent des biomarqueurs de l’apport, parexemple l’excrétion urinaire d’œstrogènesvégétaux. Une récente étude cas-témoins amontré que les patientes atteintes d’unetumeur excrétaient une quantité significative-ment moindre d’équol et d’entérolactonedans les mictions à 72 heures que lespatientes du groupe témoin, mais lagénistéine n’était pas mesurée (Ingram D etcoll., Lancet, 350, 990-992, 1997). Une sec-onde étude a montré que l’excrétion urinaire

totale des isoflavones, particulièrement dela glycétéine, était significativementinférieure chez les cas de cancer par rap-port au groupe témoin (Zheng W et coll.,Cancer Epidemiolgy Biomarkers Prev, 8 35-40,1999). Messina MJ et coll. (Nutr Cancer 21,113-131, 1994) ont étudié les indicationsd’un impact du soja sur les cancers autresque le cancer du sein.

LES PHYTO-ŒSTROGENES ETLA PREVENTION DU CANCER

Fig. 2.72 Une femme nigériane faisant bouillir lelait obtenu à partir de graines de soja broyées don-nant du lait caillé, qui devient un substitut au fro-mage traditionellement fabriqué à partir du lait devache, plus cher.

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progestogènes pour l’hormonothérapie con-naissent une plus forte augmentation durisque de cancer du sein que les femmesuniquement sous œstrogènes [10,11]. Chezles femmes en pré-ménopause, la théoried’œstrogènes-plus-progestogènes pourraitexpliquer pourquoi l’obésité est associée àune légère réduction du risque de cancer dusein [16], car l’obésité est susceptible d’entraîner une anovulation chronique et dediminuer les taux de progestérone de laphase lutéale.

Le cancer de l’endomètreLa plupart des observations liant le risquede cancer de l’endomètre aux stéroïdes

sexuels endogènes et exogènes, ainsi qu’àd’autres facteurs de risque (obésité, syn-dromes d’hyperandrogénie ovarienne; voirci-dessous) peuvent s’expliquer par lathéorie de l’hyperœstrogénie [13,14]. Ellestipule que le risque est augmenté chez lesfemmes ayant de forts taux plasmatiquesd’œstrogènes biodisponibles, et des tauxplasmatiques faibles de progestérone, sibien que l’effet des œstrogènes est insuf-fisamment contrebalancé par celui de laprogestérone. L’hypothèse est confortéepar des observations selon lesquelles laprolifération des cellules de l’endomètre,une condition nécessaire pour que les cellules accumulent des mutations géné-

tiques et s’étendent de façon clonale parune croissance sélective, survient à destaux plus élevés lors de la phase follicu-laire du cycle menstruel (lorsque l’ovaireproduit des œstrogènes mais très peu deprogestérone) que lors de la phase lutéale(lorsque les ovaires produisent à la fois desœstrogènes et de la progestérone). Deplus, il existe de nombreuses observationsd’hyperandrogénie ovarienne (syndromedes ovaires polykystiques) chez lesfemmes développant un cancer de l’endo-mètre avant 40 ans, et d’autres étudesmontrent une augmentation du risque decancer chez les patientes atteintes du syn-drome des ovaires polykystiques [13]. Ce

Les facteurs de croissance insulino-mimé-tiques (IGF) sont une famille d’hormonespeptidiques qui reflètent un apport énergé-tique excédentaire associé au mode de vieoccidental et un risque accru de plusieurstumeurs hormono-dépendantes.

Les IGF ont des conséquences directes sur ledéveloppement tumoral. L’IGF-1 est impli-quée dans la stimulation de la proliférationet de la différenciation cellulaire et dans lasuppression de l’apoptose dans certainsorganes comme le sein, la glande prosta-tique, le côlon et le poumon (Yu H et coll., JNatl Cancer Inst, 92: 1472-1489, 2000). LesIGF sont surexprimés dans certains cancers,et notamment dans les cellules cancéreusesayant une forte tendance à produire desmétastases. De nombreuses molécules con-nues pour jouer un rôle dans le cancer inter-agissent avec les IGF, par exemple le sup-presseur de tumeur p53, les produits desgènes WT1 et PTEN, ainsi que les virusoncogènes comme le VHB. Les œstrogènesaccroissent les effets de prolifération cellu-laire de l’IGF-1, déclenchent l’expression del’IGF-1 et activent la production du récepteurde l’IGF-1 dans les cellules cancéreuses dusein. A l’inverse, l’IGF-1 peut fortement stimulerl’expression du récepteur d ’œstrogène dansles lignées cellulaires du cancer du sein pos-itives aux récepteurs des œstrogènes (Yee Det coll., J Mammary Gland Biol. Neoplasia, 5:107-15, 2000).Les concentrations sanguines

et tissulaires d’insuline, d’IGF-1 et des pro-téines de liaison aux IGF sont étroitementliées à l’équilibre énergétique et au statutnutritionnel (Kaaks R et coll., Proc Nutr Soc, 60:91-106, 2001). Le principal facteur influençantla production d’IGF est l’hormone de crois-sance, alors que l’insuline semble réguler lestaux en fonction des conditions de nutrition.Les IGF circulant dans le sang sont principale-ment liés aux protéines de liaison (IGFBP), enparticulier l’IGFBP-3, et sont soumis à des sys-tèmes de régulation complexes. L’insulineaccroît la bioactivité de l’IGF-1, et en favorisela synthèse tout en réduisant la production decertaines protéines de liaison aux IGF. Unjeûne prolongé ou un diabète insulino-dépen-dant (faibles taux d’insuline plasmatique)réduisent la synthèse de l’IGF-1, alors quel’obésité ou un diabète non insulino-dépen-dant (taux d’insuline élevés) sont caractériséspar des taux réduits d’IGFBP-1 et -2, et une aug-mentation des taux d’IGF-1. De courtes péri-odes d’activité physique chez l’adulte font appa-raître une augmentation des taux d’IGF-1 etd’GFBP-1, alors que des activités telles que lemarathon peuvent entraîner une baisse destaux d’IGF-1 pendant plusieurs jours. L’IGF-1 etl’insuline sont aussi directement impliquésdans la régulation des taux de stéroïdes sex-uels circulants, grâce à l’inhibition de la syn-thèse de la protéine porteuse des stéroïdessexuels, ainsi que par la stimulation de la pro-duction des stéroïdes sexuels, en particulierdes androgènes. Le rôle des IGF peut ainsi contribuer à expli-

quer les associations entre un déséquilibreénergétique et le risque de cancer mises enévidence lors d’études épidémiologiques.Certains cancers, dont celui de l’endomètreet du côlon, ont été liés à des antécédents dediabète de type 2, caractérisé par une insuli-no-résistance et une hyperinsulinémiechronique (taux sanguins d’insuline tropélevés). Une augmentation du risque deplusieurs cancers, dont le cancer du poumon,de la prostate, de l’endomètre et du côlon, estassociée à un apport énergétique excessif parrapport à la dépense énergétique (con-séquence d’une activité physique réduite oud’un régime alimentaire riche en lipides et englucides).

Les études suggèrent à ce jour un lien entredes taux élevés d’IGF-1 et une augmentationdu risque de cancer du sein, du côlon, de laprostate et du poumon, et de la leucémiechez l’enfant, et une baisse du risque asso-cié à des taux élevés d’une autre protéine deliaison aux IGF, l’IGFBP-3 (Yu H et coll., J NatlCancer Inst, 92: 1472-1489, 2000).

De plus amples recherches sont néces-saires pour déterminer les influences desfacteurs de mode de vie sur les taux d’IGFet la façon dont ces derniers interagissentavec la prédisposition génétique. De tellesinformations pourraient être exploitéespour le développement et le ciblage desprogrammes d’intervention pour prévenir etcontrôler le cancer.

L’IGF-1 ET LE CANCER

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81Facteurs génésiques et hormones

syndrome est un trouble endocrinien relativement fréquent dont on estime la prévalence à 4-8 %, qui est associé chez lesfemmes en pré-ménopause à de fréquentscycles anovulatoires et de ce fait à une synthèse de progestérone diminuée lors dela phase lutéale. Cette théorie expliquefinalement pourquoi le risque du cancer de l’endomètre augmente chez les femmes souscontraceptifs oraux fortement dosés enœstrogènes et faiblement dosés enprogestogènes, ou sous œstrogénothérapiesubstitutive sans progestogènes, alors queles contraceptifs oraux combinés contenantœstrogènes plus progestogènes exercent uneprotection contre le cancer de l’endomètre, etl’hormonothérapie substitutive à based’œstrogènes plus progestogènes n’entraînequ’une faible augmentation du risque.

Le cancer de l’ovaireLe cancer de l’ovaire peut se développeren deux temps. Dans un premier temps,l’épithélium de surface de l’ovaire estpiégé dans le stroma sous forme de kystespar inclusion, que l’on pense être le résul-tat de lésions répétées et du remodelagede la surface épithéliale de l’ovaireentraîné par des ovulations régulières [16].Les kystes par inclusion se transformentensuite progressivement en cellulestumorales sous l’influence de facteurs hor-monaux. Un facteur hormonal fortementimpliqué est la stimulation excessive parl’hormone de lutéinisation [2] pouvant agirdirectement par activation de gènes sensi-bles à cette hormone, ou indirectementpar stimulation excessive de la production

ovarienne d’androgènes. Il existe au moinsune étude montrant une augmentation durisque de cancer de l’ovaire chez les femmesatteintes d’un syndrome des ovaires polykys-tiques, qui présentent généralement uneaugmentation de la sécrétion d’hormone delutéinisation pituitaire. L’utilisation de contra-ceptifs oraux, les grossesses et l’allaitemententraînent tous une suppression de la sécré-tion de l’hormone de lutéinisation pituitaire,et sont également liés à une réduction de laproduction androgène ovarienne, partic-ulièrement chez les femmes ayant une ten-dance à l’hyperandrogénie.

Le cancer de la prostateLe risque de cancer de la prostate peut aug-menter chez les hommes avec de fortesconcentrations intra-prostatiques de dihy-drotestostérone. La dihydrotestostérone estformée à partir de la testostérone dans laprostate. Elle se lie au récepteur androgèneet l’active avec une affinité quatre foissupérieure à celle de la testostérone [18].Un déterminant de la formation intra-pro-statique de la dihydrotestostérone peut êtrela variation dans l’activité de la 5-α-réduc-tase intra-prostatique (de type II) (SRD5A2),qui catalyse la conversion testostérone-dihydrostérone. Un autre déterminant possible, qui pourrait fournir un lien physi-ologique entre le risque de cancer de laprostate et des facteurs de mode de vienutritionnels, est l’augmentation des niveauxde testostérone biodisponible en circulation,non liée à la protéine porteuse des stéroïdessexuels, qui peut alors diffuser librement dansles cellules prostatiques.

L’hypothèse ‘androgène’ a été élaborée àpartir d’observations selon lesquelles lacastration médicale ou chirurgicale peutsouvent améliorer de façon spectaculairel’évolution clinique des patients atteintsd’un cancer de la prostate métastasé.D’autre part, les émigrants japonais et chi-nois aux Etats-Unis ont des taux d’inci-dence de cancer de la prostate plus faiblesque les hommes d’origine africaine oueuropéenne, et une activité réduite de la 5-α-réductase intra-prostatique a été dansle même temps déterminée chez ces indi-vidus; il existe des associations positivesdu risque de cancer de la prostate avecdes polymorphismes génétiques spéci-fiques du gène SRD5A2. Enfin, les poly-morphismes du gène récepteur d’androgène entraînant une augmentationde la transactivation du récepteur sontégalement associés à une augmentationdu risque de cancer de la prostate [12,19].Sur la base des informations précédentes,il est possible de prévoir une augmentationdu risque de cancer de la prostate chez leshommes avec des taux sanguins élevés detestostérone biodisponible, ainsi qu’avecdes taux d’androstènediol-glucuroconjugé,un produit de dégradation majeur de ladihydrotestostérone, et un possible mar-queur de l’activité androgène intra-prosta-tique. Ces prédictions ne sont cependantque très peu soutenues par les étudesépidémiologiques [20]. Il n’existe que peud’indications à ce jour d’une associationentre les taux d’œstrogènes circulants etle risque de cancer de la prostate.

Tableau 2.22Estimation du risque relatif de cancer de l’ovaire chez les femmes ayant eu recours à un contraceptif oral durant une période donnée, pour des âgesdifférents et selon le nombre de naissances. S.Franceschi et coll. (1991) Int J Cancer, 49: 61-65

Indicateur Nombre d’utilisatrices ayant pris des contraceptifs oraux parmi Risque relatif (IC à 95%)

Cas de cancer de l’ovaire Témoins

Age (années)< 45 48 221 0,6 (0,3-1,0)

45-54 30 92 0,5 (0,3-1,0)55-64 2 11 0,6 (0,4-0,9)

Parité0 21 67 0,6 (0,4-0,8)1 15 75 0,6 (0,4-0,9)

≥ 2 44 182 0,3 (0,1-1,4)

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