le structuralisme de jacques lacan
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8/17/2019 Le Structuralisme de Jacques Lacan
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Revue Philosophique de Louvain
Le structuralisme de Jacques LacanMaurice Corvez
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Corvez Maurice. Le structuralisme de Jacques Lacan. In: Revue Philosophique de Louvain. Troisième série, tome 66, n°90,
1968. pp. 282-308.
doi : 10.3406/phlou.1968.5434
http://www.persee.fr/doc/phlou_0035-3841_1968_num_66_90_5434
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Le structuralisme
de
acques Lacan
De l'imposant
ouvrage
(x) où Jacques Lacan a recueilli ses divers
écrits, échelonnés, sous forme de témoignages
fragmentaires, sur plus
de
trente années
de
travail
psychanalytique,
nous
voudrions
dégager
l'unité
de
la
pensée
et
plus
précisément
la
systématisation
difficile
qui
représenterait, au
moins mal, le
structuralisme personnel de l'auteur.
Nous ferons ensuite quelques remarques critiques, fondées
sur ce
que
nous croyons
savoir de
la
structure de l'âme humaine
et
de ses rapports
avec
le
langage.
Comme Lacan le
dit
lui-même, le
terme
de
structure est énoncé
au principe de maintes orientations contemporaines de
la
recherche
sur l'homme. L'anthropologie
est
aujourd'hui structuraliste. Entendons
qu'elle met au premier plan
de ses
investigations la
catégorie
d ensemble,
et
l'étude
d'ensembles dont
les
parties
sont
elles-mêmes
structurées. Cependant, pour
situer
le structuralisme qui est le
sien
en psychanalyse, la
meilleure référence, estime notre auteur, serait
celle de
la
sociologie.
Mieux, c'est
de
la
notion de
structure,
telle
que
Claude Lévi-Strauss l'a
discernée
en
ethnologie, qu'il
s'autorise pour
définir ce qu'il appelle le
«
champ d'approche structural
» dans la
théorie
psychanalytique. Les deux
notions sont en effet parentes en
ce
qu'elles
visent
le
même
inconscient, agissant dans la
conduite
des
individus
et
dans la
vie des
sociétés.
La
notion
lacanienne
de
structure est
loin
d'être
reconnue
par
tous les
analystes
qui se disent structuralistes. Principe
d'élucidation
pour les
uns,
elle n'est qu'aberration pour les autres. Aux
yeux
de
l'auteur,
elle s'édifie dans l ordre des lois
de l'intersubjectivité,
ou
communication des
personnes,
lorsque
ces
lois sont explorées
jusque
dans
leurs
derniers
fondements. Au
terme
de l'exploration, elles
revêtiraient
même un
caractère mathématique
et,
faute de
les
connaître,
la vue par le dedans des
névroses
et la tentative
de
comprendre les
(i)
Écrits,
un vol. 20,5
X 14 de
912
pp.,
Paris,
Éd.
du
Seuil,
1966,
prix
:
50
FF.
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Le
structuralisme
de Jacques Lacan 283
psychoses
seraient vouées à
un échec certain. Cette
persuasion se
recommande de
la
pensée de Freud, qui serait bien plus structuraliste qu'il
n'est admis
communément.
Car,
si
le
propre
du
structuralisme
est
d'introduire
en toute
«
science humaine» ce mode très spécial du sujet
qui peut
s affecter d'un
indice «topologique»,
il
n'est pas douteux
que
Freud,
dans le
remaniement doctrinal de
la seconde topique (1927),
a
institué une reprise
de
son
expérience selon
une dialectique
que le
structuralisme moderne permet d'élaborer
logiquement,
à savoir celle
du
sujet
« pris dans une
division
constituante ».
Cette
élaboration
se
réclame
fondamentalement, comme
d'une
discipline pilote
en
Occident,
de
la
linguistique moderne :
science,
avec de Saussure son fondateur,
des
langues
existantes
dans
leur
structure et
dans
les
lois
qui
s'y
manifestent.
A
la dualité
de
la nature
et
de
la culture, une conception
ternaire — nature,
société, culture
—
de
la
condition humaine serait
en
passe de se substituer
:
conception dont le
dernier terme
(culture)
pourrait
bien, nous dit Lacan, se
réduire
au langage,
comme à
ce qui
distingue
essentiellement
la
société humaine des sociétés naturelles.
EXPOSÉ
1.
L'inconscient et le
langage
La
psychanalyse, selon
notre penseur,
est une
expérience
dialectique.
Sa
responsabilité
première se détermine
à
l'endroit du langage.
D'où
la
nécessité
de ramener
l'expérience
psychanalytique
aux formes
de ce langage, de
restaurer le
pouvoir
des
mots
et
les
lois
de
la parole.
De
quoi
s'agit-il
en effet dans la technique et dans la doctrine
psychanalytiques? De l'inconscient
et,
pour Lacan,
de
l'inconscient
freudien, conçu, en
ses mécanismes
difficilement accessibles,
comme
la
source
de
mirages
et
de
phénomènes
pathologiques.
La
guérison
des
«
symptômes
»
par la
manifestation
et
l'identification de
l'inconscient démontre bien
la
dynamique
constituante du principe
caché
qui les
soutenait dans
leur existence
et
dans
leur
signification avant
qu'il
ne
fût
révélé.
C'est de cet inconscient qu'il importe de
retrouver
les
lois
qui
le
régissent,
et
dont
le
dévoilement peut
seul
conduire à
la
résolution
en profondeur
de
leurs effets
pernicieux,
par la découverte
de
l'événement pathogène, dit traumatique.
Les symptômes, au sens
analytique
du mot :
demandes
immotivées
et désirs
excentriques, obsessions
et
phobies,
impuissances,
automa-
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284
Maurice
Corvez
tismes de
répétition,
pulsions où s oblitère
la
réalité
du
besoin,
discontinuités
dans le
discours
conscient,
ratés de
l'action, etc.,
constituent
déjà
par
eux-mêmes une
sorte
de
langage,
dont
le
sens
et
la
maîtrise
font
défaut
à
la
disposition
du
sujet,
et
qui
doit
se déchiffrer comme
une
inscription
hiéroglyphique. Cependant, si l'on reconnaît que
«
les
maladies parlent»,
et
que les symptômes sont déjà des «mots», ces
mots et
ces
maladies ne prennent
toute leur valeur de
signification
que lorsque le sujet
les
articule en
paroles,
lorsque
pulsions
et
inhibitions
se structurent
en
termes
de
langage,
dans
un discours
«
bien
rusé »,
où
il
y a
lieu de
faire la
part de l'imaginaire,
du réel
et
du
symbolique.
Sans l'accompagnement
de
la parole,
les symptômes demeurent
équivoques.
Avec
l'apparition
du
langage
émerge
la
dimension de
leur
vérité. La psychanalyse est
expérience de
vérité, et c'est pourquoi,
dans la
recherche
des motivations
secrètes,
il
serait
étonnant
que ne
soit pas exploitée l'expressivité majeure du
langage et
qu'on
ne
tende
l'oreille
«
au
non-dit
qui
gîte dans
les
trous du
discours
». Le
sens
recelé par un symptôme et soutenu
par
l inconscient, est celui
d'un
conflit
refoulé, le
symptôme
n'étant lui-même
que
le retour
du
refoulé
dans le compromis,
et
le refoulement impliquant toujours censure
de
la vérité.
S'il est
vrai que « c'est le
monde des
mots
qui
crée le
monde
des
choses
», il appartient principalement
au
déchiffrement
du
langage
de
nous
conduire à
la
région
énigmatique où se structurent les
réalités
essentielles
dont dépendent les phénomènes pathologiques. Le
langage
préexiste, avec sa structure
complexe,
à l entrée
qu'y
fait chaque sujet
à un moment de son
développement
mental. C'est
lorsque
l'enfant
naît au
langage
que son
désir
s'humanise. Réservant donc au
langage
son rôle substantiel, il
n'est
que
de scruter les rapports
du
langage
à
la
parole, de
savoir d'où vient
la
parole, de ramener
l'expérience
psychanalytique à
la
parole
et
au
langage
comme à ses
fondements.
Les phénomènes
subjectifs :
rêves,
lapsus,
mots
d esprit, etc.,
présentent,
dans
l'identité
de
leur
structure,
une
pensée
«
formée
et
articulée», au sens où tout
symptôme
englobe un
élément
d'une
situation
antérieure
privilégiée, lequel articule
la
situation actuelle,
c'est-à-dire est
employé inconsciemment comme
un facteur qui
modèle
l'indétermination du
vécu
selon une
signification tendancieuse.
Cette
signification,
induite
dans le
signifié
par la structure
de l inconscient,
fait
que
le symptôme n'est pas une
«
parole pleine », coïncidant avec
la
réalité.
Dès là qu'il
n offre
pas
un sens clairement
lisible, il
doit
être
compris
dans
sa relation à
la chaîne signifiante qui le détermine. Ou,
à
prendre
les
choses
par
l'autre
bout
du
processus de
genèse,
le
symptô-
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Le structuralisme
de Jacques Lacan 285
me est
le signifiant d'un
signifié
qui
a été
refoulé hors
de
la
conscience
du
sujet.
On
voit,
par
cette
référence
à
la
linguistique,
que
le
symptôme
névrotique
n'est pas
véritablement un
signe, au sens où
la
fumée,
par
exemple, est
le signe du
feu :
signifiant, il
n'est pas de nature à
mener
l esprit
jusqu'à la réalité
que, pourtant
et d'une
certaine
manière,
il
contient.
Il ne
dit rien
en
clair
et
doit
être élucidé. Suivant la doctrine
freudienne, il
exige d'avoir un double sens,
et
donc un minimum de
surdétermination. Cette
surdétermination signifiante
n'est pas réelle
mais
symbolique. Dans la sorte
de discordance
entre le signifiant et
le
signifié, qui s origine au refoulement,
le signifiant refoulé,
composant
avec la
censure,
fait
sentir
sa
présence
dans
le
symptôme,
qui
devient
alors symbole.
L'ordre symbolique est
dit, pour le
sujet, constituant,
d'une
constitution
qui
lui vient
du langage. La structure
de
la
détermination
symbolique, si l'on veut saisir ses
effets
d'analogie, est à tenir comme
un fait de syntaxe. Définir
la
syntaxe
du
discours par les morceaux
qui, lors
de moments
privilégiés (rêves,
traits d esprits, etc.),
nous en
parviennent, est
le moyen
le plus efficace
de
pénétrer dans l'analyse
du
symptôme.
Le symbole participe
du langage
par
l'ambiguïté sémantique
de
sa
constitution.
L'analyse
l interprète, et
voici
que
le
symptôme,
qui s'inscrivait
en
lettres
de
souffrance « sur le
sable de
la
chair
»,
s efface. Déchiffrée, la structure signifiante du
symptôme
est
patente,
et
manifeste l'omniprésence pour l être humain de
la fonction
symbolique. Le symbole se rapporte à un
conflit défunt,
par delà sa
fonction
dans un conflit présent.
Du plus simple au
plus
complexe
des
symptômes, l'action du signifiant
s'y
avère prédominante. Si le
symptôme
se résout tout entier
dans
une
analyse du
langage, c'est parce
qu'il
est lui-même structuré comme un
langage qu'il
est langage, dont
la
parole
doit
être
délivrée.
Selon l'analyse linguistique moderne,
la
primauté
de
la
notion
du
signifiant
sur
celle du signifié est impossible à
éluder en
tout discours
sur le langage.
Or
la vérité
de
cette
prévalence
du signifiant sur
les
significations les plus lourdes
à
porter
de
notre
destin
se
révèle
dans
et
par l'expérience psychanalytique. Le signifié est ce qui est manifeste
dans le
discours les
« trous
du sens
»
sont les
déterminants du
signifié.
Par exemple, écrit Lacan,
le
désir, chez
tel
malade, d'avoir un désir
insatisfait est signifié par son désir
de
caviar :
un
désir est signifié
par
un
désir.
Le
désir
du
caviar
est
le
signifiant
d'un
désir
impossible.
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286 Maurice Corvez
Mais le signifiant
n'a
souvent
de
sens
que
par sa
relation
à
un
autre
signifiant : au désir
de
caviar se substitue (dans le
rêve)
le désir
de
saumon,
propre
à
une
amie
:
désir
signifiant
par
rapport
au
premier.
C'est dans
cette
articulation des significations que
réside
la vérité
du
symptôme. Ainsi
l'automatisme
de
répétition n'a
de
principe que
dans
Y insistance
d'une
chaîne
signifiante,
qui manifeste sa
présence
à se reproduire
dans le
transfert, à se répéter
dans
les coupures que
lui
offrent
le discours
effectif et la
cogitation qu'elle
informe.
Le terme crucial est
ici
celui
de
«
signifiant ».
J.
Lacan souligne
fortement
la
nécessité de
l'étude
exacte des liaisons propres au
signifiant et
de
l'ampleur
de leur
fonction dans la
genèse du signifié. Car
l inconscient, c'est
que
l'homme soit habité
par le signifiant. Ce
signifiant, refoulé,
exerce
sa
suprématie
dans le sujet.
Il
se définit d'abord
comme agissant séparé
de sa
signification, les effets du signifié étant
créés par
ses
permutations : tel signifiant peut
signifier
dans
leur
ensemble les effets
du
signifié,
en
tant qu'il les conditionne tous
par
son
action.
A
ce titre,
il
est seul
à garantir
la
cohérence
théorique
de
l'ensemble comme ensemble : son
unité
venant, comme nous le
montrerons plus
loin,
de
n être,
par sa nature, symbole que
d'une
absence.
Ainsi
le signifiant en
général est
ce
qui représente
le sujet
pour un
autre signifiant, lequel
sera donc
le signifiant
pour
quoi
tous
les autres
signifiants représentent
le
sujet
:
c'est
dire
que,
faute
de
ce
signifiant,
tous les autres
ne
représenteraient rien.
2.
Le symbolisme analytique
Les rapports subtils
du signifiant et du
signifié
en psychanalyse
reçoivent un nouvel
éclairage
de
l'examen du
passage du
premier
au
second
chez
le névrosé.
Et
d'abord,
l'analyse
démontre
que le signifiant
se
dispense
de «
toute
cogitation,
fût-ce
des
moins reflexives
»,
pour
exercer
des
regroupements dans
les significations qui asservissent
le
sujet. L'intrusion
aliénante
que
manifeste
le symptôme se réalise
selon
un
automatisme des lois
de l'inconscient
qui explique les modalités
des effets
du signifiant dans l'avènement du signifié^ Dans la chaîne
signifiante qui
hante
l'inconscient
s'articulent la substitution ^afmr.
terme
à un autre pour produire l effet de métaphore,
et la combinaison
d'un terme
avec un
autre pour
produire l effet de métonymie.
La cause
en
est
dans le
barrage qui, maintenant
hors
de
la
conscience l'objet
d'un
désir
interdit,
lui défend
de
se
montrer
au
plein
jour.
Le
signifiant
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Le structuralisme de
Jacques
Lacan
287
a
donc fonction active dans la
détermination des
effets,
où
le
signifiable
apparaît comme
subissant sa
marque,
et
devenant, par
cette
passion,
le
signifié.
Les
deux
versants
générateurs
du
signifié
que
constituent
la
métonymie
et la
métaphore sont des
effets
déterminés par le double
jeu de
la
combinaison
et
de
la substitution dans
le
signifiant.
C'est ce
glissement du
signifié sous le signifiant, toujours
en
action
(inconsciente)
dans le
discours,
qui donne
lieu
au
symptôme,
lequel n'est donc pas
le
simple
indice d'un processus psychique, mais
un
effet articulé dans
sa structure elle-même.
Or
il
n'est pas difficile de reconnaître
dans
ces démarches
psychologiques
les
racines
linguistiques
de l'inconscient, de comprendre le
fonctionnement de ces démarches
en
s'inspirant de modèles
linguistiques. Le
symptôme
psychanalytique est soutenu, dans sa
surdétermination par une structure identique à celle
du
langage, telle qu'elle se
manifeste
dans
les
langues pratiquées
par les
masses humaines. Et,
s'il
se
résout tout
entier dans une analyse
du
langage, c'est parce qu'il
est lui-même structuré comme
un
langage. Les mécanismes qui
composent
le
régime de l'inconscient
recouvrent exactement
les fonctions
que
la
linguistique moderne
tient
pour
déterminer
les
formes
les
plus
radicales
des
effets
du
langage : la métaphore et la
métonymie,
autrement dit
les
effets
de
substitution
et
de
combinaison du signifiant dans
les
dimensions,
respectivement
synchronique
et
diachronique, où
ils
apparaissent dans le
discours.
La
synchronie
et la
diachronie représentent les deux réseaux
de
relations qui organisent la
détermination
que le signifiant surimpose
au signifié. Le premier
réseau, celui
du signifiant, est la
structure
même
du
matériel
du
langage,
en
tant
que
chaque élément y trouve
son emploi exact d'être différent des autres :
il règle
les fonctions
respectives des
éléments de
la
langue.
Le
second réseau, celui
du
signifié,
est l'ensemble diachronique des
discours concrètement prononcés,
lequel
réagit
historiquement
sur
le
premier,
de même
que la
structure
de celui-ci commande les
voies
du second.
Ce
qui domine, c'est l'unité
de
signification :
le
principe
de l'unité existant
dans la
synchronie.
Cette unité
ne
se
résout
jamais
en
une pure indication du réel, mais
renvoie
toujours à
une autre signification, la signification dernière
ne
se réalisant qu'à
partir d'une
prise des choses qui est d'ensemble.
En psychanalyse, métaphore
et
métonymie sont les
effets
premiers
que
la combinatoire pure et
simple
du signifiant
détermine
dans la
réalité où elle se produit. La métaphore n'est que le
synonyme
du
déplacement symbolique
mis en
jeu
dans
le
symptôme.
Le
sentiment
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Maurice Corvez
qui s'y exprime, sur-sublimé, représente un effort tenté au-delà des
ressources
du sujet :
je
rêve que je suis tel grand
personnage, dont
j'entreprends
de
jouer
le
rôle.
A
l'opposé, avec
le symbolisme
de
la
métonymie,
le
sentiment
est sous-sublimé l effort est
empêché
d accomplir
ce
qu'il
voudrait. Le désir éveillé du caviar, symbolisant le désir
comme
inaccessible,
est une métonymie, celle
du
manque à
être.
Dans
les
deux
cas
(métaphore et
métonymie), le
sujet
se subordonne
au signifiant, au point d'en être suborné.
La notion
du
symbolisme
analytique
va rigoureusement à l'en-
contre de
la
pensée analogique naturelle.
Pour
comprendre
la valeur
de connaissance qu'il convient de lui
accorder et la détermination
que l'animal humain
reçoit
de l'ordre
symbolique, il faut
considérer
le symbole
à
même
le
symptôme.
La
répétition
névrotique, compulsive,
est
répétition
symbolique,
et il
s'y
avère que
l'ordre
du symbole
ne
peut
être
pensé comme constitué par l homme, mais bien comme le
constituant :
on
voit assez dans
l histoire
d'un sujet la détermination
majeure qu'il
reçoit du parcours d'un
signifiant.
Référer
le
symbole
aux idées serait méconnaître
sa fonction structurante
: l'extériorité
du
symbolique par
rapport
à l'homme est
la
notion
même de
l inconscient.
L'idée
de pacte est incluse
dans
le symbole,
et
le rapport
de celui-ci à
la fonction imaginaire et au désir refoulé
y est
manifeste.
3. Le
discours du
désir
Lacan enseigne, après Freud,
qu'il faut
toujours,
dans
le
symptôme, rechercher,
non seulement le
signifiant inconscient,
mais
l expression du désir
que
ce signifiant
éclaire.
Ceci, particulièrement dans
le
discours
onirique, «voie
royale»
de
l'inconscient. L'élaboration
du
rêve est nourrie par le désir ; le rêve est le symbole du
désir.
C'est
la
vérité de
ce
que
le
désir
a
été
dans
son histoire
que
le sujet
crée
par
son
symptôme.
La durée du désir
inconscient
est
inextinguible,
et
l'indestructibilité
de
ce désir,
dans la «
mémoire », provoque
et
conditionne l'insistance des désirs particuliers, «le long des chemins où
il se
mire dans
le sentir, le dominer
et
le
savoir».
Le désir
règle la
répétition
signifiante du
névrosé comme son symbole. Refoulé,
il
transparaît dans
le
recès métaphorique ou
métonymique
du
symbolisme, mais
il
n'en est pas moins
au-delà.
Inconscient
en
tant
qu'exprimé selon les modes
du
symbolisme, le désir se manifeste aussi,
dans
l'expérience,
en
tant
que
dénégation
consciente, sous
le
mode
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Le
structuralisme
de Jacques
Lacan
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de
la répression,
elle-même
déterminée par l'inconscient. Mais ce sont
surtout les condensations sémantiques
du
discours
(métaphore et
antonomase,
allégorie, métonymie et
synecdoque,
etc.), et ses
déplacements syntaxiques (ellipse
et
pléonasme,
régression, répétition,
apposition, etc.),
à travers
lesquels il est possible
de
lire
les
désirs et
les
intentions dont le sujet module son
discours.
Les besoins
eux-mêmes,
comme les désirs
particuliers et
manifestes, se subordonnent aux
mêmes
conditions
conventionnelles
qui sont celles du
signifiant
en
son double registre :
synchronique
d'opposition entre
éléments
irréductibles,
diachronique de substitution
et
de combinaison par quoi
le
langage, s'il
ne
remplit certes
pas tout, structure
tout de
la
relation
humaine. C'est
tel désir primaire, par exemple
celui de l « identification
»
de l'enfant à
la
mère
qui,
non seulement
suspend
à l'appareil signifiant
la
satisfaction
des
besoins mais
les morcelle, les
filtre,
les modèle aux
défilés de
la
structure
du
signifiant. Les désirs
nourris
par des
«
idées
»
primaires
désignent les points où
le sujet disparaît
sous l'être
du
signifiant.
Ces
idées sont constantes et en
petit
nombre,
à
la différence
des
symboles
toujours
ouverts
à l'adjonction
de nouveaux symboles
:
ce sont les idées
du
soi, des parents, des phénomènes de
la naissance,
de l'amour, de
la
mort.
A partir
de
là
se constitue
le réseau plus
concret
du signifiant, où
il
faut que le
sujet soit
déjà
engagé pour
pouvoir y
prendre
forme.
Ce
dernier
suit
la
filière
du
symbolique,
façonne
son
être
même
sur le
moment
qui le
parcourt de
la chaîne signifiante,
selon qu'il est déterminé
dans
ses actes par le déplacement
du
signifiant
dont
« il suit le
train ».
Le désir est
donc soumis,
dans
le sujet, à
cette condition qui
lui
est imposée par l'existence
du
discours de
faire passer son besoin par
les figures
du signifiant. Il «
s'avance masqué
»,
mais sa résidence est
dans
l'inconscient, avec les
premières marques idéales, facteurs
imaginaires, où les tendances se constituent
comme
refoulées,
dans la
substitution
du
signifiant
aux
besoins, et
qui
informent
les
unités
les
plus
vastes du
comportement
par la
voie
du complexe.
C'est
parce qu'elle
pare au
moment
du
manque
impliqué dans
le
désir,
qu'une
image
(«fantasme»)
vient
par
sa position assumer
le
rôle
de supporter tout le
prix
de
ce désir :
projection,
fonction
de
l'imaginaire. A l'opposé vient
s'installer
au cœur
de
l être, pour
en
désigner
le
trou, un
index
: introjection, relation au
symbolique.
«
L'illusion
dérive
des désirs
de l'homme
», dit Freud :
source
inépuisable
de fantasmes.
Avec les images qui captivent son éros d'individu
vivant,
et
dont
l'assomption par
le
sujet
produit
ce
qu'on
appelle
-
8/17/2019 Le Structuralisme de Jacques Lacan
10/28
290 Maurice
Corvez
l «
identification »,
celui-ci
pourvoit
à son insertion
dans la séquence
signifiante où
ces
images
s inscrivent.
Dans la
désagrégation de l'unité
imaginaire
que
constitue
le
«
moi
»,
il trouve
le
matériel
signifiant
de
ses symptômes,
et
c'est de
la sorte
d intérêt qu'éveille
en
lui ce moi
que
viennent
les significations
qui
en
détournent son discours.
D'où la
fixation
«
perverse
»
au point même
de suspension de
la chaîne
signifiante « où
le souvenir-écran s immobilise,
où l'image
fascinante
du
fétiche se statufie». Le
fantasme
n'est autre,
dans
son usage
fondamental,
que
ce
par quoi le
sujet
se soutient au niveau de
son
désir
évanouissant, évanouissant
pour autant
que la signification
même de
la demande
qu'il
formule
lui dérobe
son objet. Par ce
biais de
l ' imaginaire
s'exerce
la
prise
du
symbolique sur l'organisme humain le
plus
intime.
Mais
la
notion de
fantasme,
effet
«imaginaire», ne
se
réduit
pas
à
l'imagination.
Elle
entre dans la
catégorie
du signifiant :
l'imaginaire
doit
être assuré dans sa concaténation symbolique.
Cette
valeur de
signifiant du
fantasme n'a rien à
voir
avec sa
signification.
Le
signifiant
répond
à
la
fonction
de
représenter
le signifié ;
il n'a
pas
à répondre de son existence, au
titre
de quelque signification
que ce
soit, naturelle
ou
conventionnelle.
La signification
manifestée
dans
les
images du rêve est
caduque,
n'ayant
de
portée qu'à faire entendre
le
signifiant
qui s'y déguise. Cette signification provient
du
désir
refoulé,
selon
qu'il dépend
de
lui
que la
demande
soit
exaucée.
4. Détérioration du
discours
anal/tique
Telles sont,
semble-t-il,
les données
majeures
de
la doctrine
psychanalytique
professée
par Jacques Lacan : science des
mirages
qui s'établissent
dans
le champ structural
de l'inconscient. Un
surcroît
de lumière nous est fourni par l'évocation de
la technique du
praticien
dans la
direction
de
l'analyse.
Sa
méthode
veut
être
radicale, par
le
démasquage lucide des symbolismes où se perd le désir du
patient.
Spécialiste
de
la
fonction
symbolique,
sensible à tous les aspects
de
la vérité
qui se camoufle
dans le
langage,
c'est par
une
attention
aiguë,
portée aux
fonctions
de
la
parole
et
au
champ
de
la
représentation,
qu'il se
propose
de
mener
à bien son
œuvre
de
perspicacité.
On
assiste
présentement,
nous
dit Lacan, à
une détérioration
affligeante
du
discours
analytique. La psychanalyse
d'après
Freud
en est
revenue à
ce qu'elle était
à
l'étape
antérieure. Cette
dégradation
est
si
inepte
que la
psychanalyse
«
ne
se
trouve
d'autre
titre
à
l intérêt
-
8/17/2019 Le Structuralisme de Jacques Lacan
11/28
Le structuralisme de Jacques Lacan 291
que d'être celle d'aujourd'hui». Mais
il
ne
saurait être question
de
dépasser Freud.
Un grand nombre
d effets psychiques
que le terme
d'inconscience,
en
tant
qu'il
exclut
le
caractère
de
la
conscience,
désigne légitimement,
n'en sont pas
moins
sans
rapport aucun
avec
l'inconscient typiquement
freudien.
Faute
de
savoir
utiliser
l ' instrument linguistique,
le recours actuel
au compromis désoriente toute
action psychanalytique
et la plonge dans la nuit.
Or
s'il s'agit
de
surprendre
et
de
maîtriser
le
désir refoulé, dont «la place d'oiseau
céleste
est
surdéterminée
dans les rets
de
la
lettre», comment
ne pas
«
exiger de
l'oiseleur
qu'il
soit d'abord
un
lettré
»
?
L'illusion
archaïque à dénoncer est celle qu'on peut généraliser
sous
le terme
de psychologisation du sujet,
phénomène
dont
la pratique
de
la
psychanalyse
va
toujours plus
s'alourdir
en
opposition
à
la
découverte
de
Freud. La doctrine freudienne n'est pas une psychologie.
Ainsi Freud nous avertit
que le
rêve, par exemple,
ne
l'intéresse que
comme vecteur de
la
parole
et dans
son
élaboration en structure
de
langage, élaboration
dont le style est incommensurable avec aucun
des effets connus
en
psychologie expérimentale. Cette confusion psycho-
logisante domine, aux U.S.A.,
sous
le
nom de
behaviourisme,
système
qui
ne vise que
l'adaptation de
l'individu
à l'entourage social, par
la
recherche des patterns
de
la
conduite
et par l'obj ectivation
impliquée
dans la
notion
des
human relations.
Cette
technique,
qui
se
prévaut
de
la
seule catégorisation psychologique de son objet,
et
qui ne saurait
se
dépasser
par l'appel
(sous le
nom
à affect)
au concret, ou à telle
position
«
culturaliste
», n'a
rien de
commun
avec
une psychanalyse
qui
concerne
la
relation de l'homme
au signifiant,
et
non
au langage
en
tant que
phénomène social.
La référence à l'expérience de
la
communauté comme à
la
substance du
discours
n offre pas une solution
meilleure.
Une
telle
expérience
prend
sa dimension essentielle
dans la
tradition
qu'instaure
ce
discours,
tradition
qui,
bien
avant
que
les
drames historiques
ne
s'y
impriment,
fonde les structures élémentaires de
la
culture. Or
ces
structures
mêmes révèlent
une ordonnance des
échanges
humains
qui, fût-elle inconsciente, est inconcevable hors des permutations
qu'autorise le langage.
Face
aux desiderata de
la
demande névrotique, le tourment des
analystes médiocres
méconnaît
que la demande porte, en
soi,
sur
autre chose que sur les
satisfactions
qu'elle appelle. La réduction du
désir profond à
la
demande immédiate n'est qu'enlisement de l'analyse :
le sujet
s'y éclipse
dans
sa subordination
au
signifiant
de
la demande.
-
8/17/2019 Le Structuralisme de Jacques Lacan
12/28
292 Maurice Corvez
Mais le désir, qui se produit dans l'au-delà de
la
demande,
ne
s'escamote
pas si facilement. Le besoin articulé
dans ce
rejeton qu'est
la demande
présente un
caractère
excentrique
qui le distingue du besoin véritable.
Au
delà
du vide
de sa
demande,
c'est à
la vérité dans
son
principe
que
le sujet lance
un
appel, à travers lequel vacillent les appels
de
besoins
plus humbles. Les fantasmes, ou incidences imaginaires, qui
figurent
ces besoins, loin de représenter
l'essentiel
de l'expérience analytique
n'en
livrent
rien que
d'inconsistant, à moins qu'on
ne
les rapporte
à la chaîne symbolique qui les lie
et
les oriente. A
défaut de cette
référence,
on
fera droit aux demandes irrationnelles : par exemple,
on
en
viendra à
«
diviniser
la
chimère
de
l'amour
dit
génital, au point
de lui attribuer
la
vertu
d'oblativité, dont sont issus
tant de
fourvoiements
thérapeutiques
».
«
Qui
balaiera,
s'écrie
Lacan,
cet
énorme
fumier des écuries d'Augias, la littérature analytique
?
»
La technique risque aussi
bien de
s'embourber dans
l'analyse
de
la
résistance
et
de
la
défense qui accompagnent
l'approche du
refoulé. A
l'analyse de
la
résistance orientée
vers un renforcement
de
la
position
objectivante
chez
le sujet, Lacan oppose l'interprétation
symbolique. A l'analyse
du
hic et
nunc, en
quête d'un geste, d'une
attitude, d'un
frémissement, il oppose la valeur
de
l'anamnèse, comme
indice
et
comme
ressort du progrès
thérapeutique.
L'analyse
des
résistances
doit
être
comprise
dans
sa relation symbolique à l inter-
subjectivité
de
la parole.
Il
n'est pas bon
de
ne
tendre l'oreille qu'à
l'idée
de ce qui
dévoie
l'analysé, au moment où
il
est simplement
«en
proie à
la
vérité». Les défenses
: déplacement
quant à
l'objet,
renversement contre
le
sujet, régression de
la
forme,
etc.,
sont
inconscientes, et
non
attribuables
au moi, à
ce
moi
perceptible dans
les
données
plus ou moins
immédiates de
la
jouissance
consciente ou
de
l'aliénation laborieuse. Ce moi,
que
constitue
en
son noyau une série
d'identifications aliénantes,
se distingue
fondamentalement
du sujet
véritable de l'inconscient, instance
constituante
de toutes les
résistances à la cure des symptômes. Défini comme le
système
des objecti-
vations
psycho-sociologiques du sujet, ou le
«
système perception-
conscience
»
du préjugé scientiste,
il ne
saurait
passer,
dans
sa chosifi-
cation
de l'être humain, pour
une « fonction du
réel
»,
ou le corrélatif
d'une
réalité absolue. La thérapeutique psychanalytique
n'est
pas une
orthopédie psychologique,
un
processus
de
reconquête d'un «moi»
plus vrai
et
plus fort, une recherche du « vécu », qui
en
deviendrait
le
but suprême.
La
prendre
pour
telle
serait
matérialiser
son procès
-
8/17/2019 Le Structuralisme de Jacques Lacan
13/28
Le structuralisme
de
Jacques Lacan
293
subjectif
et retomber
aux illusions d'un certain
humanisme dont la
notion
statique n'a rien
de
commun avec
le
principe freudien
de
réalité.
La fin
de
l'analyse deviendrait alors l'identification au
moi
de
l'analyste,
laquelle n'est que sujétion psychologique, contraire à
la
vérité que
l'expérience doit rendre évidente, à
savoir
le principe extrinsèque des
effets inconscients : principe qui rabat
la
prétention de l'autonomie
dont un moi traumatisé fait son idéal.
Le
projet d'identification au
moi, supposé normal,
de
l'analyste sera toujours une
identification
à des signifiants, aux objets de toutes les articulations de
la
demande
du
sujet,
effets
imaginaires de
la
relation à deux,
dont
les
fantasmes
flottants devraient s'éclairer
d'une autre
source.
Ramener la cure à
une
utopique rectification de
ce couple imaginaire,
c'est supprimer
toute
référence
aux
pôles
symboliques
de
l'intersubjectivité,
s'engluer
dans
une dialectique
de
méconnaissance,
de
dénégation
et
d'aliénation
narcissique.
Le sujet,
pour chacun
des partenaires,
ne
peut se
suffire
d'être sujet
du
besoin ou
objet de l'amour
: ce qui est en
question,
c'est la cause énigmatique du désir.
La technique de
déchiffrage
de l'inconscient doit
être
aussi
«
désintriquée
»
de
la
théorie des instincts, voire des pulsions ou
tendances, qui ne vont pas d'ailleurs sans
un
avènement du signifiant.
Cette
théorie n'occupe
chez Freud
qu'un rang
secondaire et
hypothétique,
et
contient de
plus une
part
mythique.
L'inconscient n'est
pas
que
le siège des instincts.
Il
n'est pas le primordial ni l'instinctuel,
et
d'élémentaire
il ne connaît que
les éléments
du
signifiant
engagés
dans la
structure
du
langage. Enfin
la
métapsychologie de Lacan
rejette
la
mantique
de
C. Jung, qui,
dans
sa théorie des
archétypes,
faisant
du
symbole un simple fleurissement de l'âme,
méconnaît
qu'un
drame
oublié
traverse
l'inconscient des âges,
et
néglige
la
fonction
directrice
d'une articulation
signifiante,
qui prenne
effet
de sa loi
interne
et d'un
matériel soumis à
la
pauvreté qui
lui
est essentielle.
5.
La structure du
sujet
Toute
orientation
objectivante
de
l'analyse étant ainsi récusée,
Lacan
s'applique à dégager l'hétéronomie radicale de l'être
humain,
dont
la béance congénitale ne
peut
plus être
recouverte
sans faire
de tout
ce qui s'y emploie une malhonnêteté
foncière.
Cette béance
que
présente
l'être réel
de
l'homme dans ses relations
naturelles,
mêlée
aux
éléments
imaginaires
qui
apparaissent
morcelés
en elle,
ne
-
8/17/2019 Le Structuralisme de Jacques Lacan
14/28
294 Maurice
Corvez
peut
être
dépassée que
dans une analyse qui
se
propose
pour
seul but
l'avènement
d'une
parole vraie et la
réalisation, par le sujet, de son
passé
dans
son rapport à un
futur. La
rectification
des
relations
du
sujet
avec le réel
met
en
question
la
vérité.
L'art
de
l'analyste, ce
«ramoneur», doit
être
de suspendre les certitudes
du
sujet, jusqu'à
ce que
s'en consument les
dernières illusions. Et c'est dans le discours
du patient
que
doit se
scander leur
résolution. Il s'agit
de guider
ce
discours vers le dévoilement de sa vérité
et,
pour cela, de s orienter
dans
un
champ
de
langage,
de
s'ordonner à la fonction
de
la parole,
selon qu'elle
confère
un sens aux fonctions de l'individu. Le
domaine
de l'analyse est celui
du
discours concret
en
tant que
s'y
révèle
la
réalité
transindividuelle
du
sujet; ses opérations
sont celles
de
l histoire
de
ce
sujet
selon
qu'elle
constitue l'émergence
de
la
vérité
dans
le
réel.
Chez l'homme, éternellement
enchaîné
à ses symboles, le sens alors
relève
la
tête. Pour libérer
la
parole
du
névrosé, l'analyse l introduit
au
langage
de son désir,
c'est-à-dire
au langage
premier dans lequel,
au delà
de
ce
qu'il
nous
dit de
lui, déjà il nous
parle à
son insu
et
tout
d'abord
par le symbolisme
du
symptôme.
Le problème central est alors de reconnaître
la
place où se
tient
Y
ego
du
sujet, de
savoir
par qui
et
pour qui il pose sa question, de
déceler son vrai désir
et
l'objet
à qui s'adresse ce désir. La topique
de
Yego,
de
Y
d et
du
superego
peut
donner
occasion
de
s'aliéner
dans
cette
triade,
lorsqu'elle
est
mythiquement
manipulée.
Chez
Freud,
elle
n'a valeur
que par sa subordination à
la
métapsychologie, qui se
rapporte,
elle,
aux
trois étages du réel,
de l'imaginaire
et du symbolique.
L'ego (le
je) et
le
moi
se
distinguent
et
se recouvrent
en
chaque
sujet
particulier. C'est toujours
dans
le rapport
du moi du
sujet au je
de son discours
qu'il faut
comprendre
le
sens de
ce
discours pour
désaliéner le
sujet.
Rien
ne
doit y
être
lu concernant
ce moi et
ses
«
identifications
» qui ne
puisse
être
réassumé sous
la
forme
du
je,
soit en
première
personne,
là
où
le
sujet
se
reconnaît.
La cure
psychanalytique
présente une rigueur
en
quelque sorte
éthique,
hors
de laquelle toute technique, même
fourrée
de
connaissances
psychanalytiques, ne saurait être
que psychothérapie.
« Wo
Es
war,
dit
Freud,
soil
Ich werden
» : là
où était
ça,
le
je
doit
être,
là il
me
faut
advenir. Le vrai sujet n'est autre
que la «
chose
»
qui est
la
plus proche
du sujet
visible, tout
en
lui
échappant
le plus.
C'est
un
sujet dans
le sujet,
transcendant
au moi; c'est l inconscient,
là
où ça
parle.
Le sujet
doit
être pensé
comme celui
où ça peut
parler,
sans
qu'il
en
sache
rien,
en
tant même
qu'il
parle.
Le
sujet
vrai
est
le
sujet
-
8/17/2019 Le Structuralisme de Jacques Lacan
15/28
Le
structuralisme
de Jacques
Lacan
295
de
l inconscient, le sujet qui
parle, là
où ça souffre. Ce
sujet,
qui est
vrai par
rapport à un
moi
abusé,
ne
se confond pas évidemment avec
le
«je»,
sujet
de
la
personne.
L'inconscient
freudien
n'est
pas
le
tout
de
l homme, le maître incontestable
de
sa conduite. Dans la mesure
où
il
intervient
dans
cette conduite,
il
relativise évidemment
l'action
de
la
personne,
du
«
je
»
le plus central, mais le
sujet
humain,
en
tant
qu'humain, est transcendant
par
rapport à
cet
inconscient.
Il
y a
donc lieu
de distinguer
dans
l être de l'homme
: 1)
le
sujet du
moi
psychologique,
de
l'objectivation illusoire
et
symbolique ; 2) le sujet
de l'inconscient 3) le sujet personnel ou proprement humain.
A projeter
ce
phénomène sur le
plan
linguistique, on
dira que
le^'e
du
discours doit
être
pensé comme
signifiant. Il
n'est
alors que l'index
qui, dans le sujet
de
l'énoncé,
désigne
le sujet pour autant
qu'il
parle
actuellement.
Il
désigne
le sujet
de renonciation, il
ne le
signifie pas.
C'est
le rôle
de
l'action
curative de
dénoncer la
présence
du sujet
caché, investi
dans
le discours. Cette
action
se
développe dans et
par
la communauté verbale, dans la saisie dialectique du
sens.
Pour
déchiffrer
la
diachronie
des
répétitions inconscientes
dans la
synchronie
des
signifiants
qui s'y composent, l interprétation est aux prises avec
quelque chose
qui soudain rend
la
traduction
possible. Pour en favoriser
l'émergence,
l'analyste ne
satisfait
aucune demande. Le
sujet
est dirigé,
et même
canalisé,
vers
l'aveu
du
désir,
rendu
difficile
de
par
son
incompatibilité avec
la parole.
C'est pourquoi
le
désir
ne
se saisit
que
dans
l interprétation. La
psychanalyse reconnaît
dans
le
désir la vérité
du sujet,
de
ce sujet qui
subit de
n'être sujet
qu'en tant qu'il
parle,
qu'en tant
que sujet du signifiant.
La vérité
ne
pénètre
dans
le réel
que
par le jeu
de
l'intersubjectivité
du
«nous», assumée
dans
un
langage
qui mesure
la
valeur de
la
parole, laquelle n'est pas
d'information, ou de redondance
dans la communication. Telle
est
la
prééminence du signifiant dans la structure
de
la
relation
intersubjective,
comme
aussi dans
le
sujet.
De
même,
les
images
oniriques
ne
sont
à
retenir que
pour leur valeur de
signifiant,
c'est-à-dire pour
ce
qu'elles
permettent
d'épeler du
«proverbe»
proposé par
le rébus
du rêve.
Seule la structure du langage
rend
possible l'opération
de cette
lecture.
Afin
de
rendre
les images à une signification
restituée, et
de faire reconnaître
le
sens
du
symptôme
(et non
seulement expliquer
le
symptôme
par son sens),
l'expérience
psychanalytique
manie
la
fonction poétique
du langage
pour
donner
au désir sa médiation
symbolique.
Car c'est par le don de
la parole que
toute
réalité
est
venue
à
l homme,
et
c'est
par
son
acte
continué
que
toute
il
la
maintient.
-
8/17/2019 Le Structuralisme de Jacques Lacan
16/28
296
Maurice Corvez
6. Les chemins de l'être
Nous voici
ramenés
à
la
question
fondamentale
de
la
psychanalyse
r
qui parle, quand il
s'agit
de l'inconscient
? Là,
ça parle,
et
ça pense,
plutôt mal, mais
ça pense
ferme,
en pensées
articulées comme
dans
un discours.
Le lieu
de cette parole,
Lacan insiste à l'appeler : l Autre,
lieu transcendantal, « mémoire
»
que
la parole
évoque partout où
il
intervient, où gît
également
le
désir. Ressort
de
la
parole, lieu de
son déploiement,
l'Autre,
parlant sur une
«
autre scène
»,
est
requis
pour
situer dans
le
vrai la question
de l inconscient, car
«
l'inconscient,
c'est
le discours de
l'Autre ». Le désir
inconscient
est
le
désir
de
l'Autre.
C'est
du lieu
de
l'Autre
qu'est émis son message. L'interprétation
consistera à le renvoyer au
sujet
conscient sous une forme inversée.
Si
«
ça parle dans l'Autre,
c'est que c'est
là
que le
sujet, par une
antériorité
logique à
tout
éveil
du
signifié,
trouve
sa place signifiante.
La place
du signifiant dans l'Autre
est celle
d'une
présence fermée
à
la
conscience pour l'ordinaire puisque,
habituellement,
c'est à l'état
de
refoulé
qu'elle y persiste,
et
que, de
là,
elle insiste pour se représenter
dans le
signifié
par
les
automatismes
de
répétition.
Le
discours de
l'Autre doit s entendre selon une
détermination
à la
fois objective
(c'est le discours de ce qui me fait face)
et
subjective
(c'est
en
tant
qu'Autre que
le
sujet
désire
dans
cette
opacité
vécue
qui représente le
besoin).
A
l'égard
de l'Autre, l'appel est inconditionnel,
éclairé par
le fantasme
névrotique. Cet Autre
n'est que le garant de
la Bonne Foi, nécessairement évoqué dès
qu'il
s'agit
du
pacte
de
la
parole.
L'Autre,
« champ hors du
sujet
» et place
essentielle de
la structure
du
symbolisme, n'est pourtant qu'à mi-chemin d'une quête que
l'inconscient déconcerte par son
art difficile. Le désir refoulé
est
synonyme de demande
d amour,
d'une
demande
que
la
satisfaction
d'un
besoin immédiat
ne
saurait
combler.
Toute
demande implique
cet espace
démesuré
d'être requête de l'amour.
La
particularité de
tout
ce qui peut être accordé
se
ravale
à
n être plus
que l'écrasement de
la demande d'amour.
Il
est donc inévitable que la
particularité
satisfaite reparaisse au delà d'elle-même.
Elle
y reparaît, mais
en
conservant
la
structure enclose
dans
l'inconditionné
de
la demande
d'amour.
L'Autre,
au-delà des
besoins et des
demandes, détient
ce
privilège de
dessiner
la forme radicale du
don de
ce
qu'il
n'a pas,
soit de
ce
qu'on
appelle son amour. Ainsi
en
est-il
de
la
relation
primordiale
de l'enfant
à
la
mère,
dans laquelle
l'Autre,
la
mère, est
censée
capable
de répondre
-
8/17/2019 Le Structuralisme de Jacques Lacan
17/28
Le structuralisme
de Jacques
Lacan
297
à
la
demande toujours ouverte de l'amour. 0r«
la
réalisation de
l'amour
parfait, écrit magnifiquement
J. Lacan, n'est
pas
un
fruit
de
la nature
mais
de
la
grâce,
c'est-à-dire d'un
accord
intersubjectif
imposant son
harmonie à la nature
déchirée
qui le supporte ».
Dans le transfert
aussi,
où
opère
le lien intersubjectif entre
l'analysé
et
l'analyste,
l'Autre
n'est pas le
terme d'une
relation purement
duelle, parfaitement confuse
dans
son substrat. L'ordre
symbolique
exige
au
moins
trois
termes
: l'Autre présent, entre
les
deux, qui
n'enveloppent
pas
celui
qui parle, et
de
qui seul, avec sa promesse
d'amour,
l'analyste
peut recevoir l'investiture
du
transfert qui l'habilite
à jouer son
rôle
légitime
dans
l'inconscient
du sujet.
C'est
au
sein
de
cet
Autre,
image
refoulée
de
l'amour
déçu,
que
le sujet doit surgir de
la
donnée des
signifiants
qui le recouvrent.
En articulant
la
chaîne signifiante,
il
amène au jour ce qui est inscrit
dans la
demande d'amour : le manque à être, dont
l'Autre
est le
lien,
avec l'appel à
en
recevoir le complément espéré.
L'expérience du désir
où la pensée psychanalytique
doit
se développer est
celle
du manque
à
être,
par quoi
tout
étant pourrait n être pas, ou être autre,
autrement
dit
est
créé
comme existant.
Ce
manque à
être est une mise en question du sujet dans son
existence. L'aveu
de l être s'y dessine
en
creux. A
la place
originelle
du
sujet, le
vide
n'est qu'un
aspect
de
la Chose la plus
proche,
et
qui est l être
lui-même.
La question
de
son existence
«
baigne le
sujet,
le supporte, l'envahit, le déchire de
toutes
parts », comme
en
témoignent
les
tensions,
les suspens, les fantasmes
que
rencontre
l'analyse.
Si
l'homme vient à penser
l'ordre symbolique,
c'est que
d'abord il
y est
pris
dans
son
être, et
qu'il entre
dans
cet
ordre
comme sujet. Le destin
de l'homme est
d'aller
à l être, au
noyau
de son
être
(Kern unseres
Wesens), objet du désir
dont
nous témoignons par nos caprices, nos
aberrations, nos impostures. Pour Freud
et
pour Lacan, le
centre
véritable de
l être
humain n'est plus désormais
au
même
endroit
que
lui
assignait une
certaine tradition
humaniste. La direction
de
la
cure
sera
«
une action qui
va
au cœur de l être
».
Je dois,
dans l'analyse,
advenir
là où
s'était l'inconscient.
Être
de non-étant, c'est
ainsi
qu'advient
le je, comme sujet que rien
ne
peut satisfaire. Je suis à la
place d'où se vocifère
que «l'univers
est un défaut
dans la
pureté
du Non-Être », c'est-à-dire
de l'Être
absolu.
Je
dois
venir au
jour
de
ce
lieu d'être;
c'est là que mon
devoir
me commande que je vienne
à être. C'est
d'un
lieu
d'être
qu'il
s'agit
pour l homme, structure
du
sujet
de
son
existence,
à
ne
pas
confondre
avec soncaspect spatial.
-
8/17/2019 Le Structuralisme de Jacques Lacan
18/28
298
Maurice
Corvez
L'«
ex-sistence
»
est
la
place
excentrique,
corrélative
de
l'automatisme
de répétition, place où se situe le
sujet
de l'inconscient. On comprend
alors
ce qui
lie
la
métaphore
à
la
question
de
l être, et
la
métonymie
à son manque. La
relation
au symbolique vient
s'installer
au cœur
de l'être pour
en
désigner le
trou.
Notre problème à tous est : Que
suis-Je? Nous sommes au cœur de
la
dialectique de l être,
et
c'est
bien
dans ce
rapport à
l'être que l'analyste
doit prendre
son niveau
opératoire.
L'être est
la valeur constituante pour une
subjectivité
primordiale,
au-delà du
sujet,
au-delà
de
l'Autre. Le sujet
ne
désigne
son être qu'en barrant tout ce qu'il signifie, mais les chemins de l'être
étaient,
pour
Freud,
déblayés.
Si je parle de
la
lettre
et
de l être, écrit
Lacan, si
je
distingue
l'autre (mon partenaire conscient)
et
l'Autre,
c'est parce que Freud me les indique comme les termes où se réfèrent
les
effets
de résistance
et
de transfert.
La découverte
de
Freud est
celle
du champ
des incidences,
en la
nature de l'homme, de ses relations
à l'ordre symbolique,
et la remontée
de leur sens
jusqu'aux
instances
les
plus radicales
de
la
symbolisation
dans l être. La signification du
signifiant
inconscient
s insère dans l ineffable d'une vérité qui
ne
dit
pas son dernier mot.
Elle
débouche, par sa
relation
la plus profonde,
et
s'articule sur ce
que
les
Anciens
désignaient par le Nous
et
le Logos.
Ceci se
réalise
par
la
présentification
d'un Trou
qui n'est plus à
situer
dans
le
transcendantal
de
la
connaissance, mais
à
une
place
plus
proche,
qui nous
presse de
l'oublier. En ce Logos s'exerce la
grande
Nécessité,
au sens où nul
esprit ne
peut échapper à son
emprise.
Les fantasmes
du
névrosé
ne
sont pas pour autant des
signifiants
transcendants mais nécessairement
des index
d'une
signification
absolue. Par
cette affirmation,
Lacan
se
défend,
justement,
d'être
leurré par une exhaustion purement dialectique
de l'être.
7.
La
pulsion de
mort
et
la
folie
On
ne
serait pas complet si,
s'interrogeant
sur
le
suppôt
de
la
vérité de l'inconscient,
on
n'y découvrait pas, avec Freud, à l'apogée
de son expérience,
ce qu'il nomme, d'un mot
peut-être équivoque,
l « instinct
de
mort ». Éluder celui-ci
de sa
doctrine
serait
la méconnaître
absolument. L'instinct
de
mort, qui
ne
se confond pas avec la
«
pulsion
de mort», exprime essentiellement
la limite
de
la fonction
historique
du
sujet. Cette
limite
est
la mort
comme
«
possibilité inconditionnelle
d'un
sujet»
défini
par son
historicité.
Elle
lui
est
à chaque
instant
-
8/17/2019 Le Structuralisme de Jacques Lacan
19/28
Le structuralisme de Jacques Lacan 299
9
présente
en
ce que
cette histoire
a
d'achevé. Sous
sa
forme
réelle, elle
évoque un passé qui se manifeste renversé
dans la
répétition
névrotique.
L'homme
dévoue
son
temps
à
déployer
l'alternative
structurale
où
présence
et
absence prennent
l'une de
l'autre
leur
appel. Vie
et
mort
se composent
en
une relation polaire au
sein même de
phénomènes
qu'on rapporte à
la
vie. Aussi le passage
métapsychologique est-il
aisé
d'un principe
de plaisir généralisé à l instinct de
mort.
Celui-ci
est
situé
au
cœur
même de
la
vie du désir.
Dans une perspective
structurale,
il
est
«
libido négative »,
en
ce sens que son assouvissement est
accompagné
d'un
plaisir narcissique. La pulsion
de
mort, les pulsions
de
haine, d'agressivité, de destruction, sont fondées sur
l'amour et le
désir
de
valeurs menacées
par
des
instances
contraires.
L'analyse
devrait
aboutir à la pleine assomption, ou réalisation subjective,
de
l être-pour-la-mort. Mais, chez le malade, cette question dont
il
ponctue
le
signifiant,
ne rencontre
que
l'écho du
silence
que la pulsion
de
mort
fait régner
dans
l'inconscient.
L'instance
de
la
mort,
élément
d'au-delà
de
la
vie, se matérialise
dans le signifiant,
car
le
rapport est intime qui unit
la
notion de
l instinct
de
mort
aux problèmes de
la parole,
comme aussi à
ce que Lacan
appelle
le «
Nom-du-Père
», selon
que cette expression est
le
support
de la
fonction
symbolique
qui,
depuis l'orée des
temps
préhistoriques,
identifie
la personne du père à la figure
de
la loi, dont
il
peut être
tenu pour le représentant
originel.
Elle est le
signifiant
qui, dans
l Autre, en tant
que
champ du signifiant,
est celui
du
lieu de
la loi,
opposé par conséquent
à
l'aspiration fondamentale
de
qui
réclame
l'amour, non
la
contrainte
(symbole de
la
mort),
et
veut être aimé pour
lui-même. Ainsi apparaît
la
connexion de
la
paternité
et
de
la
mort,
et s'explique
le
meurtre du père
comme
drame inaugural
de
l'humanité.
Ce que Freud veut
maintenir
par là, c'est la primordialité
de
ce
signifiant
que représente
la
paternité
et
qui apparaît assez
en
ceci que le
vrai
père,
le
père
symbolique
de
l'expérience analytique,
est
le
père
mort.
Disons enfin
que
l être de
l homme,
non seulement
ne peut être
compris
sans la folie,
mais qu'il
ne
serait pas l être de l'homme s'il
ne
portait
en
lui
la
folie comme
la limite
de sa
liberté. La formule la
plus générale
de
la folie est la captation du
sujet
par la
situation.
La
psychanalyse
doit
s introdu ire
au principe des folies
de
l'homme,
pour y saisir
un
message qui
ne
provient
pas d'un sujet qui est
situé
au-delà
du
langage, mais bien
d'une
parole qui vient d'au-delà
du
sujet.
Dans
le
drame
de
la
folie,
lorsque
le
signifiant et
le signifié
se
-
8/17/2019 Le Structuralisme de Jacques Lacan
20/28
300
Maurice
Corvez
stabilisent
dans la
métaphore délirante,
la
raison est à son affaire,
parce
que
c'est
dans la
relation de l'homme au
signifiant que ce drame
se
situe.
8. Religion
et
science
Cependant,
quoi
qu'il en
soit de
l'ampleur et
de
la profondeur
de ces perspectives, elles
ne sauraient déboucher
explicitement
sur
le problème de Dieu. Le désir de l'être serait-il
le dernier
mot de
la
réponse à qui
demande :
que me veut
l'Autre?
Sûrement
pas, écrit
Lacan,
mais
notre
office
n'a
rien
de doctrinal
sur
ce
sujet
transcendant.
Nous n'avons à répondre d'aucune vérité dernière, spécialement ni
pour ni contre aucune religion. La place où nous nous
situons n'appelle
aucun
Être
suprême, puisque,
«
place de
Plus-Personne », ce ne
peut
être que d'ailleurs
que se fasse
entendre Yest-ce
de
l'impersonnel.
La
religion
échappe
en
elle-même à
la juridiction
de
la psychanalyse.
«
Dire
que
le
sujet
sur quoi nous opérons
en
psychanalyse
ne
peut
être que
le
sujet
de
la
science, peut passer pour paradoxe ». Et pourtant,
la psychanalyse
agit comme médiatrice
entre
l'homme
du souci et
le
sujet
du savoir
absolu.
Il
y est
question en
effet de
la
relation
du
sujet à
la vérité,
considérée
comme la cause
du savoir
mis
en
œuvre.
Sa praxis ne comporte
en droit
aucune intervention qui
ne
tende à
ce
que le
sujet
de
la
science se réalise de façon satisfaisante, précisément
dans le champ qui l'intéresse.
Nous sommes portés
sur cette frontière
sensible
de
la vérité
et
du savoir, invités à
nouer
plus intimement le
régime de ce
dernier
à celui de
la vérité.
La technique psychanalytique
n'implique
d'autre sujet
que celui de
la
science. Elle
vise
à
être
une
science;
elle
doit
devenir une science, incluse
dans
l'inconscient.
Son originalité
dans la
science vient
de
ce qu'elle s'applique à
la
causalité
matérielle,
c'est-à-dire
à
la
forme
d'incidence du
signifiant,
tandis
que
l'incidence de
la vérité,
comme cause
dans la science,
est à
reconnaître sous l'aspect de
la
causalité
formelle.
L'exigence de
vérité
est liée
à
une
personnification, sans
doute cruelle,
de
l'Autre, qui
rend
évidente la division du sujet entre vérité
et
savoir
: «là où c'était,
là, comme sujet,
dois-
je advenir».
La
psychanalyse
n'est
pas une
science, au sens absolu de
la science
qui est née au
XVIIe
siècle,
mais
en
un
sens qui, sans effacer ce qui
s'est
institué
sous ce
nom
auparavant, « en
tire le fil à
lui
d'une
façon
qui
montre
mieux sa
différence
de tout
autre».
Cette
science,
Lacan
-
8/17/2019 Le Structuralisme de Jacques Lacan
21/28
Le
structuralisme de Jacques Lacan 301
l'appelle «conjecturale»,
opposant
cette dénomination à celle de
«
science humaine ».
Il
n'est pas
de
science humaine, ou
de
l'homme,
dit-il,
parce
que
l'homme
de la
science
n'existe pas,
mais
seulement
son
sujet.
L'appellation de «sciences humaines» lui semble l'appel
même de
la
servitude. Dans leurs constructions, Lévy-Bruhl, sur
la
mentalité
dite
logique, Piaget
sur la pensée prétendument
égocentrique,
n'apportent rien, le premier sur le magicien, le second sur l enfant,
et peu
sur son développement, car ils ne parlent pas de l'essentiel.
L'opposition
des
sciences
exactes
aux sciences
conjecturales ne
peut
plus
se
défendre
à
partir du
moment
où la
conjecture
est susceptible
d'un
calcul
exact (probabilité) et où l'exactitude
ne
se fonde
que dans
un
«
formalisme
séparant axiomes
et
lois de
groupement
des
symboles ».
La
théorie des jeux serait
ainsi science
valable de
l'homme, qui
fait
état du
caractère
entièrement
calculable
d'un
sujet,
strictement
réduit à
la formule d'une matrice
de
combinaisons signifiantes. Ce
même sujet,
en
tant
qu'il est sous la mouvance
de l'inconscient,
relèverait
d'une
science conjecturale, mais cette science
ne
serait pas
véritablement «
humaine
»
parce qu'elle n'atteint pas le
fond
de
la
nature
de
l'homme. Et Lacan
de
proposer, au delà
de Hegel,
une
solution
idéale du
joint entre vérité
et
savoir, celle
«
d'un
révisionnisme
permanent, où
la
vérité est
en
résorption constante
dans ce
qu'elle
a
de
perturbant,
n'étant
en elle-même
que
ce qui
manque
à
la
réalisation
du savoir». Hegel a forgé
un
sujet qui tient sur l histoire le
discours
du
savoir absolu.
Il
nous témoigne
en avoir
éprouvé
la
tentation de
la folie. «
Notre
voie
n est-elle
pas
celle qui
la
surmonte d'aller jusqu'à
la vérité
de
la vanité
de
ce
discours
».
REMARQUES
RITIQUES
1. Psychanalyse
et
langage
Au sujet
de l'inconscient
freudien,
Lacan nous dit
que
l'expérience
psychanalytique
ne vise
rien
d'autre que d'établir
qu'il
ne
laisse
aucune
de
nos actions hors
de
son champ.
«
Tu
crois
agir quand
je
t'agite au gré des
liens
dont je noue tes
désirs.
Ainsi ceux-ci croissent-
ils
en
forces
et
se multiplient-ils
en objets
qui
te
ramènent au
morcellement
de ton enfance déchirée».
Pour
éclaircir les rapports
théorique
et
dynamique
de
cet
inconscient
avec la conscience,
il
nous propose
l instrument
du
langage,
seul
capable,
à
ses yeux,
de
décentrer
notre
-
8/17/2019 Le Structuralisme de Jacques Lacan
22/28
302 Maurice Corvez
conception spontanée
du sujet et
de
nous
donner
accès à cet Autre,
inaperçu ou
récusé,
qui, pour une
part,
nous mène. L'instrument
thérapeutique
essentiel
serait
une
opération
de
langage, l'expérience
psychanalytique
«
a retrouvé
dans
l'homme l impératif
du
verbe,
comme
la
loi qui
l'a
formé à son image ». Ce n'est pas qu'elle soutienne
une puissance
magique du
langage, ou ignore
la
communication
non
verbale. Mais,
dans le sillage
de
la
linguistique, elle se centre sur «
la
batterie
du
signifiant», dont
il s'agit
d'assurer
la
prévalence
sur
ses
effets
de
signification. L'inconscient serait
de même
structure radicale
que
le langage. Son modèle linguistique permettrait au patient de se
considérer « comme le
machiniste, voire
le metteur
en
scène,
de
toute
la capture imaginaire
dont
il ne
serait autrement
que la marionnette
vivante». L'activité
du signifiant devient une
dimension nouvelle
de
la condition
humaine
: ce n est pas
seulement
Yhomme qui parle,
mais,
dans
l'homme
et
par l homme, «ça» parle. C'est ainsi que sa
nature se trouve tissée par
des
effets où se reconnaît
la
structure
du
langage, dont
il
devient la matière, et que, par là, « résonne en lui,
au-delà
de tout
ce qu'a pu
concevoir
la psychologie des idées, la
relation
de
la parole
».
La
question
se pose
alors :
comment
le langage
peut-il à ce point
déterminer
le
sujet humain? Le langage, — en comprenant
sous
ce
terme
tout
ce
qui
exprime
l être
humain
et
spécialement
la
manifestation
verbale, — ne saurait
pourtant
être identifié avec l'être réel
de l'homme
lui-même.
Dans
la
mesure où
l'on
fait valoir le pouvoir
singulier du langage oral, ne
va-t-on
pas
réduire le
champ structural
de
l'inconscient ?
Que
ce
langage soit, pour
qui
sait
l entendre,
souverainement
expressif,
nul
n'en disconviendra. Mais
il
ne
dit pas
tout,
et le
danger est grand de lui prêter une fonction si
vaste
qu'il
ne
suffise
à
la porter. Le langage n'exprime pas
tout de l'expérience
analytique,
parce
qu'il n'est
pas adéquat
à
la réalité
de
l'être qui parle. Au delà
de
la
parole totale existe
un
monde inexprimé.
«
C'est
le
monde
des
mots
qui crée le
monde
des choses», écrit Lacan. Certes, mais pour
une
part seulement,
selon que
les
mots fixent
les
limites
confuses
du
devenir
des
choses.
Les choses
précèdent, et
nul
langage ne saurait
modifier
leur texture.
—
En elle-même répondra
Lacan,
mais bien
dans
l'appréhension subjective
que nous
en
avons
—
«
La signification
n'émane
pas
de
la
vie», dit-il; non, mais le
signifiant inconscient,
lui, en
émane,
et la vie, plus
riche
que tout langage,
est
antérieure
à
lui. La réalité
ne
vient pas à
l'homme
par la parole : elle
lui
préexiste
et
s'exprime
seulement
en elle.
Par
le
langage
à
la
réalité
psychique
-
8/17/2019 Le Structuralisme de Jacques Lacan
23/28
Le
structuralisme
de Jacques
Lacan
303
et
mentale
Oui, cette
voie est la plus
féconde. Mais
le langage
ne
couvre
pas toute
la
réalité,
et
l'hiatus
doit être maintenu
qui
nous
garde
de
l'illusion
d'avoir
circonscrit
le
mystère
de cette
réalité
lorsque
nous avons épuisé les possibilités du langage. Lacan nous l'accorderait
mais alors pourquoi faire au
langage
parlé un crédit
tel qu'il
semble
exclure tout le
reste?
Le «symbolique»,
nous dit-il,
est
autonome
par rapport aux
analogies naturelles spontanées, bien que
tous
les symboles se
rapportent au corps
propre,
aux relations
de parenté,
à la naissance, à la
vie,
à
la
mort. Certes,
la
chaîne typique des signifiants est présupposée
à l'humanisation progressive de l enfant, mais elle-même est postérieure