le rôle de la charaierresse dans le roman de la rose

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Hankiss. 75 .InspirationQ~om~trique". et l'univers, respectivement entre l'homme et les autres hommes. L'ar- tiste de trbs grand format qui fait valoir le moraliste de g6nie est rede- vable d'une partie importante de son efficacit6 ~ la nature g6om6trique, spatiale et concr6te de son imagination. M~me dans les cadres tr6s limitds de ce pr6cis, son style a rendu t6moignage de cette nature de son g6nie 1). Son style r6v61e, entre autres, l'autonomie farouchement gard6e de l'homme int~gre, observateur et juge ~ la lois. I1 s'est plac6 au milieu de l'univers, non comme Victor Hugo, ,,6cho sonore", mais comme centre naturel des relations humaines, ou comme languette de la balance de la justice, point g6om6trique ideal aussi faible que le roseau de Pascal, mais non moins important parce qu'il repr~sente la Raison, et qui plus est, la Raison tremp~e par la G6om6trie. On ne saurait ne pas admirer l'autonomie morale de son tribunal. ,,Quelle id6e plus bizarre -- s'dcrie-t-il en s'opposant peut-~tre ~ l'auto- rit6 d'un Bossuet --, que de se repr6senter une foule de chr6tiens de l'un ou de l'autre sexe, qui se rassemblent ~ certains jours clans une salle pour y applaudir ~ une troupe d'excommuni6s, qui ne le sont que par le plaisir qu'ils leur donnent, et qui est d6j/~ pay6 d'avance? I1 me semble qu'il faudroit ou fermer les th6fitres, ou prononcer moins s6v~rement sur l'etat des com~diens" (III, 172). I1 nous semble, b. nous, que le g6ometre inspire bien le moraliste. Debrecen. JEAN HANKISS. LE ROLE DE LA CHARAIERRESSE DANS LE ROMAN DE LA ROSE. Dans l'6pisode des mal mari6s, Jean de Meun a pu 6tre inspir6 par la sixi6me satire de Juv6nal. Le marl prend ~ partie sa femme coquette et coureuse darts une verte mercuriale. I1 affirme que le mariage est un 6v6nement funeste. Mieux vaut se pendre que se marier. Darts son em- portement le jaloux finit par menacer de br~ler vive la belle-m6re. Voici le passage qui pose le probl6me de cette 6tude: Toutes vous osterai ces trufles, Qui vous donent occasion De faire fornication, Si ne vous ireiz plus moutrer Pour vous faire aus ribauz voutrer... 9312 Vive la face l'en larder, L'orde vieille putain, prestresse, /Viaquerele e charaierresse... 9330 Ce dernier mot, me semble-t-il, est l'objet d'une singuliere m6prise depuis longtemps. D6s 1737 J. B. Lantin de Damerey a dress6 un glossaire du Roman de la Rose. C'est lui qui est l'auteur d'une note ins6r6e darts l'6dition de D. M. M6on: ,,charroieresse se prend pour enchanteresse, sorci6re, magicienne." 2) La d6finition ,,sorci6re" est r6p6t6e darts l'6dition de F. Michel ~) et dans celle de J. Croissandeau (dont le pseudonyme est Pierre Marteau 4). Toutefois ces deux 6ditions ne sont gu6re que des r6- 1) CI. les tentatives eomme ,,Das Kfinstlerische in tier synthetisehen Chemie" darts la Geschichte tier organischen Chemic sell 1880, de Paul WALDEN(Berlin, 1941), t. I, p. 5 et suiv. 2) Tome II1 (Paris, 1814), p. 25. a) Tome ! (Paris, 1864), p. 310. 4) Tome 111 (Orleans, 1878), p. 461 note 90.

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Page 1: Le rôle de la charaierresse dans le Roman de la Rose

Hankiss. 75 .Inspiration Q~om~trique".

et l 'univers, respectivement entre l 'homme et les autres hommes. L'ar- tiste de trbs grand format qui fait valoir le moraliste de g6nie est rede- vable d'une partie importante de son efficacit6 ~ la nature g6om6trique, spatiale et concr6te de son imagination. M~me dans les cadres tr6s limitds de ce pr6cis, son style a rendu t6moignage de cette nature de son g6nie 1).

Son style r6v61e, entre autres, l 'autonomie farouchement gard6e de l 'homme int~gre, observateur et juge ~ la lois. I1 s'est plac6 au milieu de l'univers, non comme Victor Hugo, ,,6cho sonore", mais comme centre naturel des relations humaines, ou comme languette de la balance de la justice, point g6om6trique ideal aussi faible que le roseau de Pascal, mais non moins important parce qu'il repr~sente la Raison, et qui plus est, la Raison tremp~e par la G6om6trie.

On ne saurait ne pas admirer l 'autonomie morale de son tribunal. ,,Quelle id6e plus bizarre - - s'dcrie-t-il en s 'opposant peut-~tre ~ l 'auto- rit6 d'un Bossuet - - , que de se repr6senter une foule de chr6tiens de l'un ou de l 'autre sexe, qui se rassemblent ~ certains jours clans une salle pour y applaudir ~ une troupe d'excommuni6s, qui ne le sont que par le plaisir qu'ils leur donnent, et qui est d6j/~ pay6 d'avance? I1 me semble qu'il faudroit ou fermer les th6fitres, ou prononcer moins s6v~rement sur l 'etat des com~diens" (III, 172).

I1 nous semble, b. nous, que le g6ometre inspire bien le moraliste.

Debrecen. JEAN HANKISS.

LE ROLE DE LA C H A R A I E R R E S S E DANS LE ROMAN DE LA ROSE.

Dans l'6pisode des mal mari6s, Jean de Meun a pu 6tre inspir6 par la sixi6me satire de Juv6nal. Le marl prend ~ partie sa femme coquette et coureuse darts une verte mercuriale. I1 affirme que le mariage est un 6v6nement funeste. Mieux vaut se pendre que se marier. Darts son em- portement le jaloux finit par menacer de br~ler vive la belle-m6re. Voici le passage qui pose le probl6me de cette 6tude:

Toutes vous osterai ces trufles, Qui vous donent occasion De faire fornication, Si ne vous ireiz plus moutrer Pour vous faire aus ribauz v o u t r e r . . . 9312 Vive la face l'en larder, L'orde vieille putain, prestresse, /Viaquerele e chara ier resse . . . 9330

Ce dernier mot, me semble-t-il, est l 'objet d'une singuliere m6prise depuis longtemps. D6s 1737 J. B. Lantin de Damerey a dress6 un glossaire du Roman de la Rose. C'est lui qui est l 'auteur d'une note ins6r6e darts l'6dition de D. M. M6on: ,,charroieresse se prend pour enchanteresse, sorci6re, magicienne." 2) La d6finition ,,sorci6re" est r6p6t6e darts l'6dition de F. Michel ~) et dans celle de J. Croissandeau (dont le pseudonyme est Pierre Marteau 4). Toutefois ces deux 6ditions ne sont gu6re que des r6-

1) CI. les tentatives eomme ,,Das Kfinstlerische in tier synthetisehen Chemie" darts la Geschichte tier organischen Chemic sell 1880, de Paul WALDEN (Berlin, 1941), t. I, p. 5 et suiv.

2) Tome II1 (Paris, 1814), p. 25. a) Tome ! (Paris, 1864), p. 310. 4) Tome 111 (Orleans, 1878), p. 461 note 90.

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Levy. 76 Romaa de la Rose.

impressions de celle de Mdon. Si l'on consulte l'ddition la plus rdcente, celle qui fournit les extraits ins6r6s dans cet article, on n'apprend gubre davantage sur le probl~me. Ernest Langlois a 6crit ,,charaierresse 9330 sorci~re" tout simplement dans sons glossaire 1). D'ailleurs les dictionnaires du vieux fran~ais les plus connus appuient cette interpr6tation. 3)

Pour qu'une explication de charaierresse soit soutenable, il faut qu'elle cadre logiquement avec le contexte. Le lecteur se rend compte imm6- diatement que ce passage constitue une ambiance fort malhonndte. Les quatre 6pithbtes sont injurieusement prof6r~es A l'adresse d'une femme de mauvaises moeurs. Le qualificatif putain est redevenu populaire grace surtout ~ la piece c61~bre de Jean Paul Sartre; la prestresse faisait la concubine d'un pr6tre dans plusieurs contes latins et franqais; la maque- rele du moyen ~ge 6tait la devanci~re de l 'entremetteuse actuelle. A la recherche du sens prdcis de charaierresse, profitons done de toutes les ressources tant m6di6vales que modernes.

A en juger par les variantes, ce terme a dO d~concerter les calligraphes, qui ont fait des centaines de copies du long po~me, autant qu'il d6concerte les romanistes contemporains. Les deux variantes qu'a relev6es Godefroy sont charauderresse et charmeteresse. Ce sont des synonymes de sorchoi- eresse ,,sorci~re" qui se lit dans l 'appareil critique de Langlois ~). Ses autres variantes sont cacoigneresse, curatiere, acoupleresse. Aucun lexico- graphe, que je sache, du moins, n'a enregistr6 la forme f6minine cacoig- neresse. Grandsaignes d 'Hauterive signale le masculin cacoigneor au sens de ,,trompeur" 4). S'il est loisible de faire un tel rapprochement ici, on pourra traduire cacoigneresse par ,,trompeuse". Le vocable curatiere ne fair pas difficult& LAngfors croyait qu'il s 'agit d 'un ,,courtier" ~), mais le mot s'emploie en mauvaise part pour ddsigner celle qui sert d' in- term6diaire, moyennant une r6tribution, entre une lille et son client. Quelquefois on entend comme un 6cho du vers 9330 du Roman de la Rose. Godefroy cite ce passage chez Coquillart:

Une courtiere ou macquerelle 6).

De m~me Jean Molinet a dit dans Le Mistere de Saint Quentin:

Nos macquereles, nos curatieres 7).

Au si~cle suivant le mot 6tait d'usage courant au sens d'une ,,entre- metteuse d 'amour ou de d6bauche" s). Des formes issues de accoupler au sens charnel ne font pas d6faut, mais la variante du Roman de la Rose parait 6tre tout ~ fait insolite. On peut la mettre en rapport avec le terme wallon acoplease , ,entremetteuse", qui est vieilli ~ Liege 9).

1) Tome V (Paris, 1924), p. 148. 3) F. Godefroy, Dictionnaire de l'ancienne langue ]rancaise..., !1 (Paris, 1883),

pages 66b, 74c, 77b; A. Tohler--E. Lommatzsch, AltfranzOsisches WOrterbuch, II (Berlin, 1926), 255.

3) Tome II1, page 117. 4) Dictionnaire d'ancien franfais (Paris, 1947), p. 86. 5) Le Roman de Fauvel par Gervais du Bus (Paris, 1919}, p. 202. 6) Tome iX du Compl6ment, p. 228b. 7) N. Dupire, Jean Molinet: La Vie, Les Oeuvres (Paris, 1932), p. 162. Voir

son ~dition des Faictz et Dictz (Paris, 1937), p. 621. 8} E. Huguet, Dictionnaire de la langue lranfaise du seizi~me sibcle, I1 (Paris,

1932), p. 603a. Godefroy, tome II p. 403c, connait aussi curatrie ,,lieu de d6- bauche" darts une archive de Fan 1479.

9) W. yon Wartburg, FranzOsisches etymologisehes WOrterbuch, 11 (Leipzig, 1940), p. l161a.

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Levy. 77 Roman de la Rose.

Quelle identit6 s6mantique peut-il y avoir entre la fornication et la sorcellerie? Injurier une femme en la qualifiant de ,,putain, prestresse, maquerele" aussi bien que de ,,sorcibre", c'est p6cher contre la logique. Faute d 'avoir fait attention au contexte, une confusion s'est produite il y a longtemps entre l'id6e de libertinage et celle d'enchantement. Cette incertitude s'est perp6tu6e jusqu'~ nos jours.

I1 est fort possible que quelques-uns des scribes aient ~t6 assez born6s ou qu'ils aient rattach6 charaierresse isol6ment h charaie. Somme toute Jean de Meun ne pouvait pas r6pondre d'eux. Le porte savait bien dis- cuter la charaie sans m61anger la magie avec la d6bauche. A titre d'exem- ple, on n'a qu'~ citer l'allusion ~ la ruse d'une certaine femme qui est cens6e avoir autant d'amis /~ la lois que la femme malhonn6te envers qui fut dirig~ le premier extrait:

Mais gart que j a n e seit si sote, Pour riens que clers ne lais li note, Que ja riens d'enchantement creie, Ne sorcerie, ne charaie, Ne Balenus, ne sa science, Ne magique, ne nigromance, Que par ce puisse ome esmouveir A c e qu'il Faint par estouveir, Ne que pour li nule autre h e e . . . 14403

Certainement il 6tait facile de passer de l'id6e de charaie h celle de ,sorci~re, magicienne." Cette traduction s'impose effectivement dans deux autres cas. Bartsch-Horning citent ce titre dans Li Usage de Bor- goigne :

Coment la feme se doit deffendre que on apelle charroieresse 1). L'6diteur Favre intercale dans un dictionnaire du vieux franqais ce

passage qui est tir6 d'une archive de Fan 1453: Laquelle estoit famee ou renommee d'estre sorciere ou charrieresse. 2) Autrement dit il convient de distinguer nettement entre deux homo-

nymes qui sont, a peu de chose pres, deux homonymes homographes. Plus d'une lois un 6rudit ne pouvait pas ne pas s 'y confondre. Dans ma th6se j 'ai eu l'occasion de tracer l 'historique du nora charroiement usit6 par Hagin le Juif en 1273 ~ travers l'original h6breu qu'a compos6 Abra- ham ibn Ezra en 1148, la traduction catalane faite sur l'h6breu par Martin d'Osca avant 1448 et la traduction latine faite sur le fran~ais par Pierre d'Abano en 1293 pour aboutir/a la conclusion que les vocables dans ces versions expriment l'idee de ,,fornication", mais j 'ai dfi aussi enregistrer ,,incantatio" darts la traduction latine faite sur le frangais par Henry Bate en 1292 '~). Les 6diteurs Lambert-Brandin ont judicieuse- ment traduit trois gloses en judeo-fran~ais: charaye, Nombres XXIII 23, , ,magie"; charayont, Deut6ronome XVIII 10, ,,magicien"; charayer, L6vitique XIX 26, ,,faire de la magie" 4). Cependant au verset Juges x I x 2, qui raconte l'infid61it6 d'une concubine, ils ont fait erreur en disant ,,faire de la magie" pour charayer, lls auraient dfi appliquer h

1) La langue et la littgrature lran~aises (Paris, 1887}, 712, d'apr~s A. J. Marnier, Ancien coutumier de Bourgogne (Paris, 1858), p. 34.

2) j . B. de La Curne de Sainte-Palaye, Dictionnaire historique de l'ancien langage Jranfois . . . , Ill (Niort, 1877), p. 231.

8) The Johns Hopkins Studies in Romance Literatures and Languages, VIII (1927), p. 84.

4) Glossaire h~breu-]rancais du treizi~me si~cle (Paris, 1905), p. 240.

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Levy. 78 Roman de la Rose.

ce verset l 'acception qu'ils appliquent aux versets L6vitique XVII 7 et J6r6mie IlI 6, h savoir, ,,se prostituer, se d6baucher." 1).

L'essentiel pour cette enqu6te c'est qu'ils ont d6fini charayresse aux versets Gen~se XXXIV 31 et L6vitique XXI 7 par ,,prostitu6e" - - et c'est parfait. Dans d'autres commentaires du moyen ~ge les ex6g~tes forgbrent des compos6s avec pr6fixe. C'est ainsi qu'ils purent tirer les substantifs ancharoiement et dcharoiement au sens de ,,fornication" des verbes ancharoier et deharoyer ,,forniquer" ~).

Les 6diteurs Lambert-Brandin avaient fair imprimer charaye et cha- rayresse dans un seul alin6a de leur index, ce qui a provoqu6 cette critique de Thomas: , L e rapport sSmantique n'est pas satisfaisant; si le sens 6tait assur6, on pourrait admettre une contamination de charaye par chariere" 3). Moi je ne l 'admettrais pas, mais yon Wartburg se laisse 6garer 4). I1 range charayresse ,,prostitu6e" entre deux d6riv~s proven~aux de *earraria; ce sont corri~yrijdiro ,,celle qui fait paitre son petit troupeau dans les chemins" et earrierado , ,habitants d'une rue." II a dO le faire par m6garde, car il r6p~te charayrese sous le lemme caragius. Darts son traitement de ce radical, il a soin de s6parer le type eharaie~ earagius du type charaude<characterS). I1 accepte la traduction ,,sorci6re" pour charaieresse dans le Roman de la Rose. Par suite il estime que ce mot provient de caragius, mais il a raison de soutenir que le jud~o-frangais charayer ,,faire de la magie" en est un d6riv6.

En ce qui concerne l 'homonyme jud6o-francais charayer ,,se prostituer" et les gloses charroiement, dcharoiement, ancharoiement, ancharoier, il les ram~ne an latin caro. De ce radical d6rivent beaucoup de formes dialec- tales, dont le normand charrde, le b6arnais carnus, le lyonnais charopa et le dauphinois charouspo d6signant une ,,femme de mauvaise vie". I1 aurait pu y enregistrer aussi le verbe pi6montais tsareyd, qui se dit des moutons ou des lapins m~les qui poursuivent la femelle G).

Cela pos6, on essayera de trancher le noeud gordien. Je n'h6siterais pas h r a y e r charayresse des rubriques *carraria et caragms et de le placer, avec les cinq autres gloses qui y figurent d6jh, sous l 'en-t~te earo. D'autre part j 'at tr ibuerais volontiers au terme charaierresse dans le Roman de la Rose exactement le mSme sens que celui de charayresse darts le g'os- saire jud6o-fran~ais. Darts l 'esprit de Jean de Meun une eharaierresse n'6voquait pas l 'image d'une sorci~re. Elle 6tait plut6t un objet du rn6- pris que recevait une femme de mauvaises moeurs, telle qu'une putain, prestresse, maquerele.

J 'a i dfi r6unir beaucoup de t6moignages lexicographiques avant d 'etre h mSme d'expliquer l eve r s 9330. Presque h l 'unanimit6 ils font appel h la sorcellerie et ils le font en d6pit du contexte. Il ne faut pas perdre de vue l 'apposition 61abor6e h dessein qui cherche h produire un certain effet stylistique. Jean de Meun a fourni lui-m6me une apposition semblable:

1) J'ignore la source de se charir ,,se corrompre" darts ]. Bonnard--A. Salmon, Lexique de l'ancien ]rancais (Paris, 1901), p. 79.

2) Cette derni~re glose se trouve au verset J6r6mie Ill 6 clans le manuscrit in6dit 2780 du fonds h6breu de la Biblioteca Palatina /~ Parme. Les autres sont imprim~es clans The Johns Hopkins Studies Rom. Lit. Lang., extra volume V (1932), pages 10, 21, 34, 45.

8) Romania, XXXIV (1907), p. 447. 4) Franz. etym. Wtb., II pages 354a, 387a, 414a. s) Par 1~ il s'est mis d'accord avec W. Foerster, Zts. tom. Phil., Ill (1879),

p. 263, mais L. Spitzer, Phil. Quart., XXIll (1944), p. 81 note 8, s'y oppose. n) j . B. Cerlogne, Dictionnaire du patois valdOtain (Aoste, 1907), p. 294.

Page 5: Le rôle de la charaierresse dans le Roman de la Rose

Levy. 79 Roman de la Rose.

Seit prevoz, seit oficiaus, Ou prelaz de jolie vie, Ou prestres qui tiegne s'amie, Ou vieilles putains ostelieres, Ou maquerel, ou bordelieres.. . 11736

Le rapport est indubitablement 6troit: la bordeliere est la tenanci~re d'une maison publique, la charaierresse est l'habitu6e d'une maison publique. Chose curieuse, c'est dans une contribution ~ l'histoire du vocabulaire de la magic que R. L. Wagner a saisi la portde du contexte: ,,charaierresse qu'on lit dans le Roman de la Rose est d'une vulgarit6 voulue, eherch6e; il forme couple avec maquerele et Fun des deux ex- plique, justifie la valeur stylistique de l'autre" 1).

The University of Texas. RAPHAEL LEVY.

ENCORE UNE CHANSON EN PATOIS CHABLAISIEN.

Je me trouvais cet 6t6 (aofit 1951) en vacances/~ st. Gingolph, en Chablais, quand je re~us les tir6s-h-part de ma petite communication, Une berceuse en patois chablaisien (Neophilologus XXXV, juillet 1951, p. 162--3). J 'eus l'id6e de montrer ce texte ~ deux personnes du village avec qui j'entretiens des relations amicales. Leur r6action fur unanime: toutes deux se mirent g ma disposition pour me procurer d'autres do- cuments du m6me genre. Je dus r6fr6ner leur z~le, et poser certaines exigences: concordance des t6moignages (surtout quant h la pronon- clarion du patois), certitude que les chansons en question appartenaient aux souvenirs de leur enfance patoisante, m6moire tr6s rive. Finalement, et pour limiter l'6preuve (car je me mdfiais d'un certain 616ment de jeu qui aurait entrain6 les t6moins h trop de fantaisie), je f i s choix d'une chanson qui me parut satisfaire ~ toutes ces conditions.

1. Le texte que je publie ci-dessous a 6t6 not6 apr6s audition r6p6tde du tdmoin A, 60 arts, veuve d'un ouvrier local, ayant pass6 toute sa vie h St. Gingolph, h l'exception d'un court s6jour h Ugine (darts le m6me d6partement de Haute-Savoie). Le t6moin B, 55 ans, ex-tenanci6re d'un car6, ride et domicili~e b, Thonon (chef-lieu de l'arrondissement), mais ayant longtemps s6journ~ ~ Paris, dans un quartier ouvrier, m'a servi de contr61e: la m61odie et le texte concordaient absolument, h l'exception des quetques variantes signal6es ci-dessous no. 5.

2. La m~moire de ces tdmoins atteste que la chanson relevait, fi la fin du XIXe s., de la tradition locale. La m61odie est certainement plus ancienne (ci-dessous no. 4). Quant au texte, je n'ai aucun moyen de le dater, sinon que, les vieillards du village le connaissant pour l'avoir appris au sein de leur famille, il parait en tous cas ant6rieur au rattache- merit de la Savoie ~ la France (1860). D'autre part, j'ai entendu des enfants de 10 ~ 12 ans en fredonner la m61odie: il ne m'a pas dr6 possible de constater s'ils en savaient le texte en patois.

1) Sorcier et Magicien (Paris, 1939), p. 148. De m~me P. Zumthor, Zts. rom. Phil., LXV (1949), p. 444 note 2, d6montre que la tradition patristique con- damnant les oeuvres de la chair repose sur L'Epitre de Paul aux Galates, V 20: ,Ee sont t'impudicit~, l'impuret~, la dissolution, l'idol~trie, la magie. . ."