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Le Dyskolos
Théâtre de Dionysos à Athènes
Prologue
Fin de la traduction juxta linéaire (vers 10 à 13)
Texte grec Traduction Remarques
πρότερος δ ΄ D’autre part, le premier
προσηγόρευκε il n’a salué
οὐδένα personne
πλὴν ἐξ ἀνάγκης sauf par nécessité
γειτνιῶν comme c’est un voisin, Participe apposé au sujet, Cnémon
παριών τ lorsqu’il me rencontre Idem
ἐμὲ τὸν Πᾶνα moi, le dieu Pan. Rejet du nom propre au début du vers
καὶ τοῦτ ΄ Et cela,
εὐθὺς aussitôt
αὐτῷ μεταμέλει il le regrette
εὖ οἶδ ΄ je le sais bien
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Commentaire (vers 1 à 13)
Représentée lors des fêtes des Lénéennes en janvier 316 avant J. C, Le Dyskolos
est la seule comédie entière que l’on a retrouvée de Ménandre. C’est un exemple
de la comédie nouvelle, caractérisée par l’importance accordée aux caractères des
personnages ainsi qu’à une intrigue sentimentale, fondée sur l’amour contrarié de
jeunes gens. Dans ce prologue, on voit entrer en scène le dieu Pan. D’ordinaire, le
prologue dans le théâtre du Vème siècle désignait tout ce qui se passait sur scène
avant l’entrée du chœur. Dans la comédie nouvelle, le chœur se réduit à des
intermèdes chantés et dansés qui interviennent à la fin de chaque acte. Quelle est
donc ici la fonction de ce prologue ?
I Les éléments de l’exposition :
Le personnage livre au public les informations nécessaires à la compréhension de l’intrigue :
Le lieu
Le premier mot désigne Τῆς Ἀττικῆς, l’Attique, la région d’Athènes comme lieu de l’action. Pan précise ensuite le
village, Φυλήν, Phylè, là encore mis en valeur par la première place au début du vers. Il s’agit d’un village, situé à la
limite de l’Attique et de la Béotie, à environ 20 km d’Athènes au nord-est.
Masque de vieillard
Est ensuite mentionné ce qui faisait la réputation du lieu, τὸ νυμφαῖον, le sanctuaire dédié aux Nymphes, divinités
traditionnellement rattachées à la nature, tout comme l’est lui-même le dieu Pan, dieu des bergers, à l’origine vénéré
en Arcadie, puis honoré ensuite à travers toute la Grèce. En ajoutant, ἱερὸν ἐπιφανὲς πάνυ, sanctuaire très illustre,
Pan met l’accent sur la célébrité du lieu.
L’intervention du dieu permet aussi aux spectateurs de se repérer l’organisation scénique. Sur la scène, en effet, on
trouve toujours trois ouvertures, trois portes. Pan apparaît dans la porte centrale : τὸ νυμφαῖον δ ΄ ὅθεν προέρχομαι,
le sanctuaire des nymphes d’où je sors, et il indique que la porte à droite délimite la propriété de Cnémon : Τὸν ἀγρὸν
δὲ τὸν ἐπὶ δεξί ́ οἰκεῖ τουτονὶ Κνήμων, ce domaine, celui qui est à droite, Cnémon l’habite. Quant à la porte de gauche,
la suite du texte indique qu’il s’agit de la propriété de Gorgias, le fils que la femme de Cnémon a eu de son premier
mariage. Le spectateur peut ainsi identifier les personnages à partir de leurs entrées et sorties.
Le personnage principal
Son apparition est mise en valeur par le rejet même de son nom au début du vers 6. Il est d’abord désigné par son
caractère au moyen de deux adjectifs qui renchérissent l’un sur l’autre : ἀπάνθρωπός, éloigné des hommes et
δύσκολος. Le caractère excessif de cette misanthropie est accentué de multiples manières : par l’emploi de l’adverbe
σφόδρα, fortement mais aussi par le contraste ἀπάνθρωπός / ἄνθρωπος.
L’universalité de ce comportement est d’abord accentuée : personne ne trouve grâce auprès de Cnémon : il est
désagréable πρὸς ἅπαντας envers tout le monde, et m’aime pas du tout ὄχλωι, la foule. L’emploi dans les vers suivants
des deux parfaits, λελάληκεν, il n’a parlé, et προσηγόρευκε, il n’a adressé la parole, montre que c’est une attitude déjà
installée depuis longtemps, attitude que la répétition par deux fois de « personne » , à chaque bout du vers, οὐδενί
au datif au début et οὐδένα à l’accusatif à la fin, généralise là encore.
L’utilisation de la négation dessine ce qui serait l’attitude humaine « normale », fondée sur l’agrément, ἡδέως et
l’initiative vers l’autre, προσηγόρευκε πρότερος. Ainsi Cnémon ne va vers autrui que par nécessité, ἐξ ἀνάγκης, même
lorsqu’il s’agit d’un dieu. Le nom de Pan n’apparaît en effet que tardivement dans le texte, au vers 10, mis en évidence
par le rejet au début du vers ἐμὲ / τὸν Πᾶνα.
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La présentation du dieu fait aussi comprendre que Cnémon est un vieillard : Ζῶν οὗτος ἐπιεικῶς χρόνον πολὺν., ce qui
le range traditionnellement dans la catégorie des personnages comiques. Toute l’évocation du personnage, placée
donc sous le signe de l’excès introduit le public dans le registre de la comédie. Le dieu Pan est aussi là pour faire rire
et capter ainsi l’attention et la bienveillance des spectateurs.
II L’adresse au public : captatio benevolentiae et enjeux de la pièce
L’entrée en scène est un moment décisif : il faut capter l’attention du public, le faire rire et lui donner envie de voir la
suite. Le prologue est donc essentiel, et Ménandre se montre particulièrement habile.
Le public
Il est interpellé dès le premier vers par l’utilisation de l’impératif : νομίζετ’. L’emploi des démonstratifs appuie ensuite
la volonté de s’adresser à lui : τὸν τόπον (valeur de l’article comme démonstratif), τουτονὶ τὸν ἀγρὸν (ce domaine).
Cette rupture de l’illusion dramatique instaure ainsi une connivence entre Pan et les spectateurs.
Le monde rural
On a vu que le lieu de la pièce était la première information donnée par le prologue. Le cadre rural et champêtre est
ici essentiel et Pan, dieu associé au monde des bergers, relié à une nature sauvage s’inscrit aussi dans le cadre de
cultes destinés à favoriser les récoltes. Il joue ici un rôle d’intermédiaire en présentant au public citadin une scène se
déroulant à la campagne. La manière dont il présente les habitants de Phylè témoigne de sa proximité bienveillante :
τῶν δυναμένων τὰς πέτρᾱς ἐνθάδε γεωργεῖν, ceux qui sont capables de cultiver ici les pierres. L’ironie du dieu rend
hommage à la difficulté de la vie rurale. Mais un tel commentaire, proféré à Athènes, en milieu urbain, peut susciter
également le rire.
C’est là aussi le moyen d’annoncer les enjeux de la pièce. Car s’y confrontent et se réconcilient au final deux mondes
opposés : d’un côté, le monde paysan, pauvre et travailleur, de l’autre, le milieu citadin riche et oisif.
Pan, une divinité bienveillante
Le choix du dieu Pan pour ce prologue est également très habile. D’abord bien sûr, c’est un dieu et sa parole est donc
véridique, d’autant plus qu’il a
parfois été honoré comme
divinité prophétique. Il connaît
donc le caractère de Cnémon et
les sentiments qui l’animent,
même lorsqu’ils n’apparaissent
pas directement. L’incise, εὖ οἶδ’,
je le sais bien montre qu’il n’est
pas dupe et qu’il sait très bien que
celui-ci ne le salue jamais de bon
coeur. Ensuite, c’est un dieu qui a
souvent été intégré dans le
cortège de Dionysos, le dieu
associé au théâtre. La tradition du
drame satyrique souligne encore
ce lien avec la théâtralité (le
drame satyrique, pièce comique
mettant en scène des satyres,
complétait la trilogie imposée par
le genre tragique).
Intérieur d'une coupe à boire: Satyre
jouant de la flûte devant Dionysos, Vème
siècle avant JC, Altes Museum, Berlin
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Mais Pan est surtout présenté dans une volonté de dialogue et d’ouverture vis-à-vis du public. A cet égard, il réalise
justement ce que refuse Cnémon. Lui, le dieu, est le premier à venir saluer les spectateurs (προσηγόρευκε πρότερος),
qui, le temps de la représentation, se trouvent être ses voisins (γειτνιῶν) et apparemment, la fréquentation de la foule
(ὄχλος) le réjouirait plutôt. Il apparaît donc à l’inverse absolu du δύσκολος, clairement désigné comme le vieillard
irascible et insupportable dont il convient de rire.
Conclusion :
Ainsi, le prologue assume trois fonctions. Il donne les informations importantes pour comprendre l’intrigue, il cherche
à capter l’attention du public, il réalise lui-même ce qu’exalte la pièce : le dialogue avec les autres, la nécessité de
l’écoute et de la solidarité. La figure du dieu Pan, affable et comique se révèle à cet égard bien choisie en contraste
avec le personnage principal, Cnémon, le dyskolos.
Complément : à propos du lieu
En Attique, l’engouement pour les grottes cultuelles apparaît seulement à partir du Ve siècle avant J.-C. Cela tient
surtout à ce que Pan y était honoré. Selon la tradition mythique, son culte en Attique – dont on trouve traces dans
les découvertes archéologiques – a été introduit en raison de son aide miraculeuse au cours de la bataille de
Marathon en 490 avant J.-C.7. Bien que ce culte du dieu du monde sauvage ne fût pas limité aux grottes dans sa
patrie arcadienne (et même n’y apparût pas très fréquemment), Pan, le monde sauvage et l’espace naturel de la
grotte sont devenus pour ainsi dire synonymes en Attique. Des indices laissent penser que la pratique du culte de
Pan dans des grottes s’est répandue depuis l’Attique dans d’autres régions de la Grèce.
Espace naturel et paysages religieux : les grottes dans le monde grec Natural Spaces and Religious Landscapes: Grottoes in the Greek World Katja Sporn https://journals.openedition.org/rhr/7671
https://journals.openedition.org/rhr/7671#ftn7https://journals.openedition.org/rhr/7671