le baquelache en france || les associations de femmes algériennes face à la menace islamiste

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Les associations de femmes algériennes face àla menace islamiste Author(s): Fériel Fatès Source: Nouvelles Questions Féministes, Vol. 15, No. 2, LE BAQUELACHE EN FRANCE (1994), pp. 51-65 Published by: Nouvelles Questions Féministes & Questions Feministes and Editions Antipodes Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40619574 . Accessed: 15/06/2014 19:53 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Nouvelles Questions Féministes & Questions Feministes and Editions Antipodes are collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Nouvelles Questions Féministes. http://www.jstor.org This content downloaded from 185.44.77.128 on Sun, 15 Jun 2014 19:53:02 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

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Les associations de femmes algériennes face àla menace islamisteAuthor(s): Fériel FatèsSource: Nouvelles Questions Féministes, Vol. 15, No. 2, LE BAQUELACHE EN FRANCE (1994),pp. 51-65Published by: Nouvelles Questions Féministes & Questions Feministes and Editions AntipodesStable URL: http://www.jstor.org/stable/40619574 .

Accessed: 15/06/2014 19:53

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Feriei Fatès

Les associations de femmes algériennes face à la menace islamiste

Résumé

Feriei Fatès: "Les associations de femmes algériennes face à la menace islamiste." Confrontées au défi que pose la violence les Algériennes doivent élaborer leur stratégie de défense. Bien que les luttes antérieures leur aient permis de construire les contours d'un mouvement axé sur la conquête de la citoyenneté, la divergence est née de la différence d'appréciation sur la manière de faire face à la menace islamiste. Pour les unes il faut empêcher par tous les moyens l'expression islamiste sur la scène politique, pour les autres il s'agit de préserver l'indépendance du mouvement des femmes menacé de récupération sous prétexte de lutte contre l'intégrisme.

Abstract

Feriei Fatès: "Algerian Women's Associations and the Islamist Threat." Faced with the challenge of violence, Algerian women must devise a defense strategy. While their earlier struggles enabled them to build a movement centered on the achievement of full citizenship, a divergence grew out of differing views on how to confront the Islamist threat For some, the expression of Islamism on the political stage must be prevented by all means; for others the independence of the women's movement has to be protected against the danger of cooptation (by the State) under the guise of fighting fundamentalism.

Les femmes algériennes ont été à l'avant de la scène politique durant le mois de mars 1994 d'une part parce que nombre d'entre elles ont été victimes du terrorisme (une trentaine en moins de deux mois) et d'autre

part parce que certaines associations en protestant contre cette inadmissible atteinte à leur vie qui prolongeait les contraintes quotidiennes ont adopté des

positions politiques dont le bénéfice pour la cause des femmes n'est pas certain. Avant d'en arriver à ce point il faudra voir comment dans la tourmente qui a saisi l'Algérie ces deux dernières années, le mouvement des femmes qui a connu son apogée après les années où l'espoir du changement s'était concrétisé, s'est développé. Bien que l'analyse soit difficile dans un climat de peur de haine et de sang elle permet d'évaluer le chemin parcouru par les associations durant cette période.

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LA RECONQUÊTE DU DROIT DE VOTE

Fortes du passé du mouvement construit dans les luttes1 et des

grandes manifestations de rues en 1989 et 1990, les associations de femmes ont mené sur la question du droit de vote une lutte exemplaire. Après l'indépendance, en 1962, le droit de vote pour les femmes n'avait pas fait

problème, d'autant qu'elles sortaient investies d'un grand crédit dû à leur

participation à la lutte de libération nationale et que le FLN avait appelé les

Algériennes à voter massivement au référendum sur l'indépendance. Ce droit, dans les années qui suivirent, n'avait pas été beaucoup exercé. Les rares élections (communales puis législatives ou présidentielles à partir de

1976) donnaient, sous le régime du parti unique, des taux invraisemblables de participation aussi bien que d'adhésion (plus de 90%) au scrutin.

Les règles du jeu électoral sont redéfinies après le soulèvement d'octobre 1988 qui permet le début d'un processus de démocratisatioa Pas moins de quatre lois électorales furent adoptées entre août 1989 et octobre 1991. En ce qui concerne les femmes, une constante : le vote direct est entravé par le jeu des nombreuses procurations et aussi par la possibilité pour le conjoint de voter pour sa femme sur simple présentation d'un livret de famille. La pression des associations de femmes a pour premier résultat de diminuer le nombre de procurations par électeur. De cinq procurations dans la loi du 7 août 1989 on passe à trois dans la loi du 27 mars 1990 pour aboutir à une2 dans la loi du 2 avril 1991. Mais les députés persistent à maintenir la disposition par laquelle "sont (Hspensés de la formalité de la

procuration les conjoints qui peuvent justifier au moment du vote, de leur lien conjugal sur présentation du livret de famille en sus de leur carte d électeur" . Les associations de femmes dénoncent l'usurpation des voix des femmes mariées.

Au cours de l'été 1991, deux rencontres entre le gouvernement et les partis politiques sont organisées pour élaborer une nouvelle loi électorale3. Les associations de femmes qui y participent sous la forme de la Coordination4, réussissent à faire adhérer vingt-huit partis (sur la

cinquantaine des formations politiques présentes) à la revendication

d'abrogation du vote commutatif entre conjoints. Elles exploitent même la

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victoire de Hassiba Boulmerka, médaille d'or aux Jeux Olympiques avec le slogan "A Tokyo elle n'a pas eu besoin d'une procuration". Le projet gouvernemental soumis à l'Assemblée Nationale (APN) en tient compte et

supprime la disposition tant décriée. Mais les députés qui ont démontré plus d'une fois leur docilité sur d'auties questions en approuvant sans réserves tous les projets gouvernementaux trouvent là un moyen d'affirmer leur

indépendance et réintroduisent le vote par conjoint interposé dans la loi qu'il adoptent le 13 octobre 1991. L'association pour l'Egalité devant la Loi (dénommée ci-après Egalité) demande à nouveau au Président de la

République de saisir le Conseil Constitutionnel5 fondant son argumentation sur la discrimination que cela entraiïie envers les femmes :

"Cette loi est anticonstitutionnelle :

- l'article 28 de la Constitution énonce : 'Tous les citoyens sont

égaux devant la loi sans que puisse prévaloir aucune discrimination pour cause de naissance, de race, de sexe"

- bien plus encore, l'article 30 affirme : "Les institutions ont pour finalité d'assurer l'égalité en droit de tous les citoyens et citoyennes"

- elle viole les Conventions internationales intégrées dans le droit national de par leur ratification et supérieures aux lois (article 123 de la Constitution) : le pacte des Nations Unies et son protocole additif relatif aux droits civils et politiques (du 16 décembre 1966) ratifiés par décret

présidentiel n° 89-67 du 16 mai 1989 et la Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples (juillet 1981) ratifiée par décret présidentiel n° 87- 37 du 3 février 1987. Ces deux Conventions proscrivent les discriminations de quelque nature qu'elles soient.

La loi électorale ne permet pas des élections libres et démocratiques. Elle encourage les conjoints à un usage abusif de voix supplémentaires. Est-il juste de considérer qu'une personne a voté quand c'est son conjoint qui l'a fait pour elle ?"

Saisi par le Président de la République, le Conseil Constitutionnel abroge, le 28 octobre 1991, la disposition en appuyant l'essentiel de son

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argumentaire sur le caractère personnel et secret du vote et de manière annexe sur l'égalité entre citoyens. C'est une victoire. Sa portée est

importante à cause de son objet : le vote est l'expression de la libre volonté du citoyea Les femmes affirment ainsi leur refus de se laisser écarter du jeu politique. Elle est aussi le produit de la détermination et de la ténacité dont on fait preuve, pour cette opération, les associations de femmes. Elles mêmes vérifient qu'une action ponctuelle peut être menée en commun et que la multiplicité des associations de femmes n'est pas une faiblesse ou une faille du mouvement comme certains veulent l'apprécier. Les associations de femmes tiennent à la pluralité du mouvement, et comment pourrait-il en être autrement après trente années de monopole par l'Union nationale des femmes algériennes (UNFA), association du parti unique. Les associations vivent leur diversité d'approches comme une richesse étant entendu que l'objectif reste commun : la conquête d'une véritable citoyenneté par les femmes, notamment par la suppression du principal obstacle, le code de la famille. Et sur ce point, un autre avantage de cette victoire est de démontrer qu'une loi peut être modifiée, qu'il suffit d'une unité d'action et de beaucoup d'acharnement.

Mais vint le temps des élections

LES ELECTIONS LEGISLATIVES DU 26 DECEMBRE 1991

Peu de femmes se sont présentées aux élections : sur l'ensemble des candidats il n'y a eu que 1% de femmes. A la différence de la campagne de juin 1991, les associations de femmes ne présentent pas de candidates. Cette expérience avait permis d'amorcer le débat sur le sens à donner à ces candidatures. Pour les associations^ qui présentaient des candidates à la deputation, l'idée était de permettre une occupation de l'espace politique d'une part, et d'avancer la revendication de l'abrogation du code de la famille d'autre part Sur le reste des questions touchant à la vie du pays il n'y eut point de débat Par exemple, quelle peut être la position d'une candidate d'association de femmes sur la question, ô combien vitale pour l'économie algérienne, de la dette extérieure : paiement cash, rééchelonnement, non paiement ? Sur la question de l'économie de marché et de ses modes de

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développement, sur les questions de politique agricole peut-on considérer

qu'il y a un point de vue "femme" ?

Ces questions sont restées sans réponse puisque en décembre 1991 les candidates sont indépendantes ou présentées par un parti. Aucune femme n'a été élue au premier tour.

Les résultats du scrutin7 provoquent une réelle panique dans le

camp des démocrates: sur les 430 sièges que devait compter la future assemblée, le FIS emporte dès le premier tour 188 sièges soit 43, 72% de la Chambre. Sur les 49 partis en lice deux seulement vont émerger : le FFS avec 25 sièges soit 5, 81% et le FLN avec 16 sièges soit 3, 72%.

C'est la résultante de plusieurs facteurs :

- d'abord et avant tout du rejet du FLN par une population excédée de l'absence de rupture, de changement et par l'aggravation de ses conditions de vie que le FIS a su habilement exploiter en adoptant un discours résolument oppositionnel radical et plein de promesses pour les exclus. Les partis de l'opposition démocrate n'ont pu capitaliser cette volonté de changement pour diverses raisons historiques et culturelles, mais aussi

parce qu'ils sont assimilés à l'Occident. Or, après la guerre contre l'Irak, la révolte contre un ordre international inique est profonde et le désenchantement vis à vis de l'Occident qui a fait preuve d'une étrange "efficacité" à assurer la souveraineté koweïtienne, est total.

- des abstentions en partie dues à l'absence de culture politique mais aussi de la méfiance des électeurs qui considéraient qu'on leur donnait à choisir "entre la peste et le choléra" compte tenu du peu de temps laissé à l'exercice démocratique rendu possible seulement depuis 1989.

- de la perversité du mode de scrutin majoritaire associé à un découpage électoral dont le FLN croyait profiter mais qui s'est curieusement retourné contre lui : ainsi le FFS avec 510.661 voix emporte 25 sièges alors que le FLN avec le triple, 1.612.947 voix, n'obtient que 16 sièges.

Les résultats des élections par sexe n'étant pas disponibles^ on ne peut pas connaître les tendances du vote des femmes. Certains ont pourtant

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accusé les associations de femmes d'avoir favorisé la victoire du FIS en

permettant que les femmes votent elles mêmes9. Outre qu'il s'agit de ne pas revenir sur un principe essentiel, le droit des femmes de choisir librement, il

y a plus important comme réflexion à mener : au vu des conséquences des résultats des élections sur les femmes on peut se demander si les associations de femmes n'auraient pas dû élargir leur revendication au mode de scrutin et considérer qu'il était de leur intérêt de favoriser l'émergence de partis plus acquis aux thèses égalitaires par le jeu du mode de scrutin proportionnel.

Le peu de temps et de moyens laissés au début de l'expérience démocratique ne permettaient que l'affirmation des seuls FIS et FLN : triste

perspective pour les femmes que celle d'une assemblée bipartite composée du parti qui avait voté le code de la famille et de celui qui s'apprêtait à

appliquer un ordre moral autoritaire sous couvert d'islam dont elles seraient les premières victimes.

Le 30 décembre 1991 est constitué le Comité National de Sauve-

garde de l'Algérie (CNSA), assemblage hétéroclite qui comprend tout en- semble le secrétaire général de l'UGTA, des entrepreneurs du secteur public, du secteur privé et de quelques personnalités politiques, dont l'objectif est d'obtenir l'annulation des élections législatives. Le CNSA appelle les femmes à se rassembler et le 9 janvier 1992 le Comité "féminin" est créé à l'issue d'une réunion regroupant 300 femmes. Les médias algériens diffusent

largement les images de cette séance dans le but de démontrer que le mouvement des femmes est hostile à la continuation du processus électoral. Le clivage naît à ce moment dans le mouvement des femmes et se maintient dans la période actuelle. C'est le point de départ d'une ligne de fracture qui reste encore pertinente. Le comité féminin du CNSA comprend l'Association

Indépendante pour le Triomphe des droits des femmes (Triomphe) et l'Association pour la défense et la promotion des droits des femmes (Promotion). Le reste des associations10 refuse de suivre l'appel à l'annulation du second tour et propose plutôt de s'organiser pour faire face.

L'espoir était d'autant plus possible que le FIS n'avait rallié que 25% de l'ensemble du corps électoral (13.328.554) si l'on prenait en compte le fort taux d'abstention (42%)u et l'ampleur de la manifestation des

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démocrates à l'appel du FFS le 2 janvier 1992 à laquelle ont répondu des centaines de milliers de manifestants. L'Egalité publie une déclaration le 9

janvier 1992 expliquant :

"Notre but est la citoyenneté des femmes déniée par le code de la famille. Notre combat, nous continuons à le placer, comme nous l'avons

toujours fait, dans le cadre des luttes démocratiques. Nous nous sommes efforcées, à chaque fois que des événements graves se sont produits, de rester lucides. C'est pourquoi aujourd'hui, devant la peur, la panique et la

manipulation des uns et des autres nous disons il faut savoir raison garder.

Aussi nous dénonçons catégoriquement comme contraire aux

principes de la démocratie les prises de position appelant à l'annulation du second tour et cautionnant par avance l'intervention de l'armée car rien ne se règle par la répression."

Déclaration prémonitoire : deux jours après, le 1 1 janvier 1992, le Président de la République était déposé. Sa "démission" permet l'annulation des élections et crée un vide exécutif que le Haut Conseil de Sécurité, instance consultative (article 162 de la Constitution), comble en créant le 14 janvier, le Haut Comité d'Etat (HCE). C'est un organe collégial de cinq membres, présidé par Mohamed Boudiaf, l'historique, perçu comme intègre, étranger au sérail politique puisqu'il est ramené du Maroc pour la circonstance après 27 ans d'exil politique. Mais le sauveur est assassiné

spectaculairement devant des millions de téléspectateurs médusés. Personne ne songe à en accuser les islamistes. Pour tout le monde c'est la "mafia

politico-financière"(selon la formule de feu le Président Boudiaf) qui donne ainsi un avertissement à qui voudrait reprendre sa tentative d'ouvrir les dossiers de la corruption.

LE RECUL DU MOUVEMENT DES FEMMES

Le quadrillage de la société, organisé par une batterie de décrets promulgués par le HCE et destinés à limiter les activités du FIS (qui sera finalement dissous en mars 1992), va avoir comme effet de restreindre de plus en plus les activités publiques. Loi sur les manifestations publiques,

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instauration de l'état d'urgence, loi contre la subversion et le terrorisme, suspension de journaux12, devoir d'allégeance des fonctionnaires, etc... vont freiner les activités des partis et des associations. Les conditions du fonctionnement politique, déterminées par l'Etat, vont peser sur la "société civile" étroitement dépendante de celui-ci. Seules s'expriment les voix autorisées dont les médias, qui vivent sous la menace de la suspension, se font largement l'écho. On comprend d'autant moins la tentative de certaines femmes d'arrimer le mouvement au pouvoir en place que celui-ci ne fait aucune concession aux revendications portant sur les droits des femmes

malgré des discours incantatoires sur la défense de la "République moderne"13.

Au cours d'un colloque de femmes euro-maghrébines réunies à Tunis le 23 février 1992, la ministre de la Jeunesse et des Sports affirme que le code de la famille va bientôt être révisé. Elle reçoit aussitôt un démenti

cinglant du Premier ministère qui affirme que "le code de la famille ne fait

pas partie des ses activités prioritaires" En cela, le gouvernement ne se

démarquait pas de ses prédécesseurs qui faisaient la même réponse à chaque fois que la question du statut des femmes étaient posée14. Le 8 mars 1992, journée internationale des femmes, le Président du HCE reçoit des femmes dont certaines représentent des associations qui lui affirment que la priorité est "la restauration de l'Etat" et que "l'abrogation du code de la famille n'est

plus à l'ordre du jour"15 ce que la presse algérienne relève comme une

preuve de "grande maturité" (sic). En contrepartie, le pouvoir nomme des femmes issues du mouvement dans les institutions confectionnées sur mesure après l'arrêt des élections : le Conseil consultatif national (CCN)16 compte 10% de femmes dont la présidente de Triomphe, l'Observatoire national des Droits de l'Homme (ONDH) comprend aussi des femmes dont la présidente de Promotion. Le Premier ministre charge, au cours de l'été 1993, la ministre d'Etat déléguée aux Affaires juridiques et administratives de réviser le code de la famille "dans le cadre de la Chari'a", comme il l'avait

promis le 8 mars 1993 17 à la délégation reçue à l'occasion de la Journée internationale des Femmes. Ce gouvernement, malgré la présence de deux femmes à des postes clés (la deuxième ministre est déléguée à la Solidarité nationale) ne changera pas une ligne d'une loi dont les effets sont

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dévastateurs sur les familles18. C'est un recul dans la mesure où les débats et les actions organisés entre 1989 et 1991 avaient permis des avancées

significatives. La perte d'autonomie d'une partie des associations de femmes est perçue comme la compromission du mouvement tout entier à cause de la surmédiatisation qui en a été faite tant en Algérie qu'à l'étranger et de l'absence de moyens et de possibilités d'expression des autres associations.

Cette dépendance au pouvoir en place n'est pas payée de retour

puisque les dirigeants font de la surenchère religieuse19, croyant concur- rencer le FIS sur ce terrain, pour contenir la protestation des couches sociales les plus frustrées et impossible à satisfaire pour cause de crise économique, en utilisant l'idéologie religieuse. C'est faire preuve à ce sujet d'une réelle

incompréhension des causes du succès des islamistes. Les dirigeants de ce mouvement exploitent les aspirations d'une grande partie de la population à ébranler un ordre social corrompu, un régime politique honni, en se vêtant de

vagues oripeaux religieux. L'analyse des textes et déclarations du FIS est à cet égard instructive. Les débats ne portent pas sur le texte coranique et son

interprétation (on parierait alors de fondamentalisme) mais sur la manière dont "le peuple musulman" va chasser la "junte illégitime" du pouvoir pour prendre revanche de son oppression et répartir les biens de la manière la plus équitable. Bien sûr, une part importante du discours porte sur les moeurs

quand il s'agit des femmes : c'est une diversion pour masquer la vacuité du

programme socio-économique en réponse aux attentes de ceux-là mêmes qui se reconnaissent en lui.

L'absence de stratégie de ce parti apparaît dans les méthodes violentes utilisées qui loin de le renforcer donnent un alibi imparable à la répression pour s'exercer. Dès le premier tour des élections, au lieu de rassurer la partie de la population qui n'avait pas voté pour eux, les islamistes du FIS mènent campagne sur le mode triomphaliste menaçant: nous avons gagné alors apprêtez-vous à "changer de menu et de tenue" ou "à partir par bateaux entiers". Il faut y ajouter les innombrables interventions intempestives de militants ou de sympathisants qui ont vu là l'occasion d'exercer une parcelle de pouvoir qui leur est refusé depuis 30 ans en intimidant les femmes de leur entourage (famille, voisines, collègues). On

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peut alors facilement imaginer le soulagement de toutes celles qui ont été ou se sont senties menacées quand le processus électoral a été arrêté. Puis avec le développement du terrorisme20 les cibles sont passées des éléments chargés du maintien de l'ordre (policiers, militaires) aux intellectuels de toute tendance y compris parmi les islamistes modérés ; en faisant le décompte macabre des victimes on constate que seuls les citoyens les plus vulnérables parce que vivant dans des quartiers populaires sans gardes-du-corps ni voiture blindée, sont touchés. Aucun des barons du régime, responsables de la gabegie, de la corruption et de la répression, n'a été inquiété.

Cette forme extrême de violence urbaine a permis le développement d'un quadrillage répressif qui contient toute velléité de protestation organisée malgré un contexte socio-économique particulièrement critique. Si les victimes les plus apparentes de cette crise économiques21 sont les jeunes désoeuvrés exclus du système scolaire et dans l'incapacité de s'insérer dans le monde du travail, il n'en reste pas moins que les femmes sont touchées de plein fouet par la crise économique que traverse l'Algérie. Gestionnaires du foyer, elles subissent la crise du logement qui en fait un espace surpeuplé22, lieu de toutes les agressivités et dont l'entretien relève de l'exploit. En ce qui concerne la scolarisation des filles, l'Algérie qui connaissait un taux plutôt satisfaisant voit cet avantage menacé23 du fait du coût des frais scolaires supportés par des familles dont le pouvoir d'achat est en baisse et qui donnent la préférence aux garçons, du fait aussi, dans les zones rurales, de l'éloignement des établissements scolaires dont la construction ne suit pas le rythme de la croissance démographique24. Une croissance dont les décideurs se plaignent en affirmant qu'elle est supérieure à la croissance économique tout en refusant d'appréhender ce problème sous l'angle du statut des femmes assignées socialement et juridiquement à reproduire. Les femmes travailleuses représentent seulement 9% de la population active et le taux de chômage féminin est en augmentation25.

Mais depuis février 1994 les femmes sont particulièrement victimes de la stratégie de la terreur. Lycéennes adolescentes, enseignantes, femmes de ménage, secrétaires, mais aussi femmes au foyer. De tous âges aussi : jeunes comme les lycéennes assassinées, cependant les plus âgées n'ont pas été épargnées ; on compte des victimes de 73 ans et même de 94

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ans ! Le comble de l'absurde étant atteint quand, non voilées elles sont assassinées et voilées elles sont menacées de mort par les "Jeunes Algériens libres" en représailles contre la mort des premières. Au total une trentaine de femmes en deux mois. En ciblant les femmes le terrorisme a franchi (comme avec les étrangers) un palier de plus en atteignant une catégorie de population qui frappe du point de vue symbolique, parce qu'il y a atteinte aux valeurs fondamentales de la société algériennes : l'hospitalité dans le cas des

étrangers et la protection systématiquement due aux femmes, piliers de la société. L'opinion nationale s'en est émue26 et l'on a assisté à un regain de l'activité politique des opposants au dialogue (avec les islamistes) qui, depuis la Conférence nationale étaient en perte de vitesse. On peut s'interroger sur l'effet recherché par ces meurtres. Jusque là, la très grande majorité de la

population ne participe pas à la violence27 : l'expression "guerre civile larvée" pour décrire cette situation révèle que les facteurs de son explosion sont présents mais non développés. L'assassinat des femmes voudrait-il en être le catalyseur ? Menée par le parti du Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD) une campagne contre "le dialogue" et pour "la résistance active" par la constitution de "groupes armés" et de "cellules d'autodéfense" se développe2**. De leur côté, cinq associations2^ appellent à une manifestation le 22 mars contre le terrorisme et "pour exiger l'arrêt immédiat des négociations avec le FIS dissous". Des dizaines de milliers de

personnes, en majorité des femmes, y participent surtout pour exprimer leur

rejet des violences dont la population est otage.

Un "dialogue" limité aux deux seules forces politiques actuelle- ment en confrontation pour l'accès ou le maintien au pouvoir aboutirait à un

compromis à la soudanaise qui exclurait de fait les forces démocratiques, mais est-ce en prônant systématiquement le refus du dialogue que l'on pourra éviter cette issue ? N'y aurait-il pas une voie engageant les acteurs dans un

processus qui réduise le recours à la violence comme seul moyen politique ? Inconcevable ! répondront certains mais beaucoup d'événements de l'histoire

paraissaient improbables avant qu'ils ne se soient produits. A -t-on épuisé les

possibilités de faire en sorte que le HS, tiraillé par différentes forces et qui connaît des querelles de légitimité, des batailles pour le leadership, puisse se

dégager de la violence de façon à isoler les groupes aimés ?

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Les forces démocratiques n'ont aucun intérêt à la confusion crée

par la violence et qui ne profite qu'à des groupes ultra minoritaires. Comment lancer les bases d'un nouveau contrat politique ? En dénonçant la violence certes, mais aussi en demandant les moyens de renforcer les points d'appuis démocratiques par des libertés exercées sans entraves (d'expression, d'information, de réunion, etc...). Dans l'état d'entropie présent, il est certes difficile d'imaginer la réussite d'une solution politique, mais la population a conscience du chaos qui guette, et cette conscience est la possibilité d'un meilleur avenir. La question du statut des femme est au carrefour de la nouvelle composition en tant qu'elle pose la nécessité d'un redressement

économique non seulement pour un développement humain mais aussi pour éviter l'articulation du mécontentement social à l'islamisme ; elle pose aussi la question des droits de la personne humaine et enfin celle de la citoyenneté.

CONCLURE ?

Avec les convulsions qui secouent l'Algérie, le mouvement des femmes a forcément été atteint La différence profonde entre les deux courants qui le traversent n'est absolument pas perçue par l'opinion algérienne. Pour la majorité, les femmes, par peur de l'islamisme ont cautionné le régime. Pour qu'à nouveau le mouvement des femmes puisse s'imposer comme force politique et non pas demeurer objet et enjeu des autres acteurs, islamistes et clans du pouvoir, il lui faut recouvrer le capital de

légitimité acquis dans les luttes antérieures et son indépendance mise à mal

par la menace islamiste. Cela passe par la consolidation à partir de son objet propre. Cette démarche, loin d'isoler le mouvement le situe dans la

problématique de la construction nationale : en revendiquant l'abrogation du code de la famille et des lois égalitaires, les femmes posent implicitement l'achèvement de la sécularisation de l'Etat ; en revendiquant un statut de

citoyenne (par leur aspiration à l'égalité), les femmes refusent fondamentalement l'oppression ("hogra") et posent nécessairement la

question des libertés fondamentales, de la redistribution du pouvoir par le jeu institutionnel, en un mot de l'Etat de droit.

Fériel Lalami-Fatès

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NOTES

1. voir mon article in Ν. Q. F. n°s 16-17-18, 1991 <eLes luttes de femmes en Algérie"

2. Cette unique procuration était limitée aux cas de maladie ou de voyage.

3. La loi d'avril 1991 avait provoqué des troubles, des émeutes suite à un mot d'ordre de grève générale lancé par le FIS pour contester la nouvelle loi jugée favorable au FLN dans le découpage. Les élections législatives prévues en juin 1991 sont alors reportées.

4. La Coordination regroupe depuis 1989 les associations de femmes sur une plate- forme minimum d'actions et mène des actions unitaires à chaque fois que la conjoncture l'exige.

S. Selon la Constitution du 23 février 1989 seuls le Président de la République ou de l'Assemblée Populaire Nationale (APN) peuvent saisir le Conseil Constitutionnel. La loi ayant été votée par Γ APN, son président était automatiquement éliminé de la demande.

6. Mouvement de solidarité et de soutien à la lutte des femmes, Association pour l'Emancipation de la femme (Emancipation), Voix de femmes de Boumerdès.

7. Journal Officiel de la République algérienne, 4 janvier 1992

8. Alors que des bureaux de vote réservés aux femmes étaient mis en place dans nombre de circonscriptions.

9. Révolution Africaine du 9 au 15 janvier 1992 : "La classe politique la plus stupide du monde et des associations féministes de salon, beaucoup plus proches du MLF que des organisations sociales représentatives, ont confondu les hauteurs de la capitale avec le pays profond en revendiquant la limitation de la procuration à une seule personne. Dans les milieux traditionnels les femmes n'ont pas voté à l'exception de l'électorat féminin embrigadé du FIS et de ses satellites. Autant de moins donc pour les démocrates".

10. Egalité d'Alger et d'Oran, Emancipation d'Alger, Voix de femmes de Boumerdès, Tighri net mettout de Tizi Ouzou et Israr de Constantine.

11. De plus le FIS a perdu plus d'un million de voix par rapport aux élections communales et 1.250.000 par rapport aux élections de wilaya de 1990, soit environ le quart de ses électeurs en un an.

12. La liste serait longue des journaux suspendus ces deux dernières années, η faut y ajouter le "harcèlement judiciaire" dont les journalistes sont l'objet : amendes, peines de prison (fame ou avec sursis) et même interdiction d'écriture !

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13. A la différence du pouvoir tunisien qui joue la carte de l'émancipation des femmes contre l'islamisme : réforme des points négatifs du Code de statut personnel tunisien, création d'un Secrétariat d'Etat aux affaires de la Femme et de la Famille.

14. Le Premier ministre Mouloud Hamrouche avait, dans les mêmes termes déclaré le 21 janvier 1990 :

" La réforme du code de la famille ne fait pas partie des priorités du gouvernement".

15. El Moudjahid, 10 mars 1992

16.CCN: succédané d'Assemblée nationale composé de 60 membres chargés d'émettre des avis sur les projets de décrets exécutifs.

17. Entretien retransmis le 9 mars 1993 par la télévision

18. En donnant aux hommes toute latitude de se remarier (droit à 4 épouses), de divorcer et de conserver le domicile conjugal on observe une augmentation importantes de femmes à la rue. Selon le témoignage d'une militante de l'association SOS Femmes en détresse, 80% des femmes qui sollicitent leur aide sont des femmes mariées avec enfants chassées de leur maison à la suite d'un divorce, victimes du code de la famille.

19. Au cours d'un discours télévisé le 11 février 1993, le chef du gouvernement dénonce "les laïco-assimilationnistes".

20. Au terrorisme islamiste s'est greffé un terrorisme délinquant (banditisme : cambriolages, braquages, rackets et règlements de compte personnels ou familiaux)

21. Le service de la dette extérieure absorbant de 80 à 90% des recettes extérieures du pays, les investissements dans les secteurs générateurs d'emplois sont réduits au minimum de même dans le domaine social (éducation, santé).

22. On compte une moyenne de sept personnes par foyer . Sur l'ensemble des ménages 30% vivent dans un logement de 3 pièces et 18% dans un logement d'une pièce.

23. Alors que l'écart entre garçons et filles ne dépassait pas 13% en 1985, il est de près de 20% ces dernières années.

24. Selon les chiffres officiels annoncés en janvier 1993, la croissance démographique est de 2, 4% (taux de natalité : 30, 4%o, nombre moyen de naissances par femmes 4, 5 sur une population de 26, 6 millions).

25. En 1991 il est de 21, 8% contre 8% pour les hommes dont 18, 8% de diplômées universitaires contre 4, 6% pour les hommes

26. Beaucoup ont fait comme si les femmes étaient habituellement épargnées par la violence. Or les femmes régulièrement battues sont légion et les responsables de

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"crimes d'honneur" bénéficient de l'indulgence des magistrats qui leur accordent systématiquement les circonstances atténuantes pour leurs forfaits.

27. Cette position de réserve lui est reprochée par les deux "camps" : les islamistes qui interpellent leur électorat : "Où sont les trois millions et demi qui ont voté pour nous" et par le pouvoir qui régulièrement demande à ce que la population s'implique dans la lutte contre le terrorisme. Loin d'être de l'apathie cette attitude s'apparente davantage au bon sens populaire.

28. Entretien du secrétaire général du RCD Le Figaro, 30 mars 1994.

29. Triomphe, RAFD (Rassemblement algérien de femmes démocrates) constituée en novembre 1993, SOS Femmes en détresse, commission femmes du MPR (Rassemblement constitué en novembre 1993) et Γ Association de solidarité et de soutien aux familles victimes du terrorisme.

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