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L'Autre 8 mai 1945 L'Autre 8 mai... A Saal Bouzid, porteur du drapeau algérien mort en homme libre le jour de la manifestation. A ces milliers d'hommes et de femmes tombés ce jour. L'Autre 8 mai pour cette mémoire collective qui a beaucoup de mal à se forger. A l'heure d'une mondialisation qui uniformise et nomadise l'humain sans s'ancrer dans le temps et l'espace... A l'heure d'une société française (précisément ses élites) frileuse sur son histoire coloniale en la banalisant ou en l'affabulant de ses "bienfaits" et de "sa mission civilisatrice"... A l'heure où l'imaginaire colonial devient inconscient collectif et crée de nombreuses injustices, inégalités et surtout une citoyenneté à deux vitesses "miroir du temps passé"... ...Il est important de ne pas oublier pour "nous" construire et agir dans la sérénité et la dignité. Pour que le "je" soit et devienne "nous". Un "nous" apaisé, solidaire des "je" perdus dans le silence et l'oubli. Un "nous" luttant contre les injustices et soutenant les peuples de "je" noyés dans les colonisations actuelles. Oui je suis celui qui a souffert hier sous la domination coloniale. Il ne s'agit pas de s'identifier mais de "réaliser" l'ampleur de la colonisation. Nous devons humaniser, rendre vivante cette mémoire. L'Autre n'est pas l'inconnu. Il est moi. Quand je l'oublie, je m'oublie. Quand il n'existe pas, je n'existe pas. Je deviens nomade sans savoir où aller. Hériter pour exister. Ici, l'Autre vient de Sétif, nous sommes en 1945 le jour de la victoire des Alliés. En France on chante la libération, en Algérie "française" on pleure les promesses de liberté, on pleure la vie. Des milliers d'Algériens participèrent à la libération de l'Europe. Le texte que voici se veut vivant en se donnant l'occasion de lire des témoignages de l'Autre ainsi que des documents et photos d'époque. Othmane Militant associatif

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L'Autre 8 mai 1945L'Autre 8 mai...

A Saal Bouzid, porteur du drapeau algérien mort en homme libre le jour de la manifestation.

A ces milliers d'hommes et de femmes tombés ce jour.

L'Autre 8 mai pour cette mémoire collective qui a beaucoup de mal à se forger. A l'heure d'une mondialisation qui uniformise et nomadise l'humain sans s'ancrer dans le temps et l'espace...A l'heure d'une société française (précisément ses élites) frileuse sur son histoire coloniale en la banalisant ou en l'affabulant de ses "bienfaits" et de "sa mission civilisatrice"...A l'heure où l'imaginaire colonial devient inconscient collectif et crée de nombreuses injustices, inégalités et surtout une citoyenneté à deux vitesses "miroir du temps passé"......Il est important de ne pas oublier pour "nous" construire et agir dans la sérénité et la dignité. Pour que le "je" soit et devienne "nous". Un "nous" apaisé, solidaire des "je" perdus dans le silence et l'oubli. Un "nous" luttant contre les injustices et soutenant les peuples de "je" noyés dans les colonisations actuelles. Oui je suis celui qui a souffert hier sous la domination coloniale. Il ne s'agit pas de s'identifier mais de "réaliser" l'ampleur de la colonisation. Nous devons humaniser, rendre vivante cette mémoire. L'Autre n'est pas l'inconnu. Il est moi. Quand je l'oublie, je m'oublie. Quand il n'existe pas, je n'existe pas. Je deviens nomade sans savoir où aller. Hériter pour exister.Ici, l'Autre vient de Sétif, nous sommes en 1945 le jour de la victoire des Alliés. En France on chante la libération, en Algérie "française" on pleure les promesses de liberté, on pleure la vie. Des milliers d'Algériens participèrent à la libération de l'Europe. Le texte que voici se veut vivant en se donnant l'occasion de lire des témoignages de l'Autre ainsi que des documents et photos d'époque.

OthmaneMilitant associatif

Témoignage de Kateb Yacine, écrivain.Dans une description de cette journée, l'écrivain Kateb Yacine écrit : “ Il était à peu prés dix heures du matin. Tout à coup, j’ai vu arriver au centre de la ville un immense cortège. C’était mardi, jour de marché ; il y avait beaucoup de monde, et même des paysans qui défilaient avec leurs vaches…A la tête du cortège des scouts et des camarades du collège qui m’ont fait signe et je les ai rejoints sans savoir ce que je faisais. Immédiatement, ce fut la fusillade suivie d’une cohue extraordinaire, la foule refluant et cherchant le salut dans la fuite. Une petite fille fut écrasée dans la panique. Ne sachant où aller, je suis entré chez un libraire : je l’ai trouvé gisant dans une mare de sang. Un ami de mon père qui passait par- là me fit entrer dans un hôtel plein d’officiers qui déversaient des flots de propos racistes.Il y avait là mon professeur de dessin, une vieille demoiselle assez gentille, mais comme je chahutais dans sa classe, ayant parlé une fois de faire la révolution comme les Français en 1789, elle me cria : “Et bien, Kateb, la voilà votre révolution ; alors, vous êtes content ? ”.J’ai filé sans répondre. Il y avait partout des soldats en position de tir. Plus question de retourner au collège. Mon père étant gravement malade, j’ai décidé de le rejoindre dans le village de Bougaâ, à 45 km de Sétif. ”

Témoignage d'une fille de chahid

Voici un témoignage recueilli par l'historien Redouane Ainad Tabet. Il s'agit de la nièce d'Abdelkader Yalla qui fut chef scout et défila à la tête du cortège. Ce témoignage riche nous éclaire sur les faits de la journée et des jours suivants.

Le 8 mai 1945 à SétifEn tant que fille de chahid voici les renseignements que j'ai reçu de mon oncle Mr. Abdelkader Yalla qui était chef de scouts de la région de Sétif et a participé à la tête de ceux-ci au cortège du 8 mai 1945. Voici le récit qu'il me fit de ses évènements sanglants qui coûtèrent la vie à des milliers d'Algériens et aux destructions, incendies des villages environnants."Dès le matin, à l'aube, des centaines de nos frères commençaient à se rassembler près de la Mosquée de la gare. Ce mardi était jour de marché; les paysans vinrent en masse renforcer les rangs des habitants de Sétif. Le but de ce rassemblement était de participer à la joie générale qui marquait la fin de la 2ème guerre mondiale et des atroces souffrances qu'elle avait provoquées. C'était aussi et surtout, de clamer notre soif de liberté et d'indépendance.Nos pères, nos frères et nos fils avaient arrosé de leur sang généreux tous les champs de bataille à côté des alliés, pour mettre fin à l'hitlérisme et au fascisme. La charte de l'Atlantique avait promis au monde entier, et

surtout aux peuples qui croupissaient depuis des siècles sous le joug colonial leur droit de disposer d'eux-mêmes; c'est-à-dire de redevenir les maîtres de leurs pays spoliés.Mon oncle avait été emmené par la police, dirigée à l'époque par deux commissaires: messieurs Tort et Valère; ils l'ammenèrent chez le sous-préfet. Au cours de l'entrevue, ce sous-préfet nommé Mr. Butterlin lui demanda: "le défilé prévu était "patriotique" ou "politique". Mon oncle répondit "je ne sais pas la nuance". le sous-préfet lui expliqua, que le défilé patriotique aurait seulement pour but de se rendre au Monument aux morts pour y déposer une gerbe de fleurs à la mémoire des combattants morts sur le champ de bataille. Il devenait "politique" si des banderoles revendicatives étaient déployées. Mon oncle lui répondit que le peuple s'était réuni; il était normal qu'il fasse valoir ses droits à une certaine forme de liberté qui avait été promise solennellement à l'ensemble des peuples du monde. Mr. le sous-préfet affirma que la police ne lui signale aucune banderole pour le moment, mais que si elles apparaissaient au départ du défilé, celui-ci sera dispersé.Mon oncle fut ramené près de la Mosquée par un agent chauffeur appelé Martinazzo qui lui "conseilla" de ne pas faire participer des jeunes scouts à une telle manifestation. Il fût décider de faire démarrer le cortège, après avoir cependant, fait enlever cannes, bâtons à tous ceux qui en étaient porteurs. Et le défilé commença, énorme, grandiose; des chants sortirent de milliers de poitrines:"Biladi, Biladi", "Hayou Frikia", "Min Djibalina"- coupés par les you-yous stridents des femmes. Des banderoles jaillirent de partout: "Vive la Charte de San-Fransisco", "Liberté", "Vive le peuple Algérien", "Indépendance", "constituante Algérienne" et aussi les drapeaux de tous les peuples épris de paix et de justice. Et tout d'un coup, ce fût le drame, froidement perpétré.du "Café de France", dans cette avenue qui est devenue celle du 8 mai 45, le commissaire Olivieri, chef de surêté de la ville, voulut arracher le drapeau Algérien, pour la première fois déployé, des mains de son porteur, le jeune peintre Saal Bouzid. Celui-ci qui ne voulait en aucune façon le lâcher, fût abattu. Ce fût la première victime de ce drame atroce qui devait coûter la vie à des dizaines de milliers des nôtres, à la destruction des villages martyrs, comme Aïn-El-Kébira, Kherrata, Chevreul... Nous apprîmes par la suite que l'oued Agriouni de Kherrata, charriait des centaines de cadavres; qu'à Sétif, on enterrait dans les fosses communes des personnes blessées mais encore vivantes et que le drame se déroulait aussi ailleurs à Guelma, aux fours d'Héliopolis transformés en fours crématoires de sinistre mémoire..."

Une fille de chahidSétif, 1975.

Quelques images pour se souvenir...

Un manifestant détenu parmi des milliers...

Scène de massacre

La ville de Sétif, mai 1945.

Faisons un tour du côté des archives officielles...Vous trouverez ci-dessous un document de la fondation du 8 mai 1945 qui met en lumière la chronologie de ce qu'on nomme les "évènements de mai 1945".