l’agonie des hommes africains de l’esclavage à la négritude · j’ai ensuite choisi de...
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Castin Rachel
1ère L
L’Agonie des Hommes Africains de
L’Esclavage à la Négritude
Gravure réalisée au XIXème siècle
Source : Archives Municipales de Bordeaux
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Préface
Pour commencer et vous permettre d’apprendre plus sur ma personnalité, la poésie est pour moi et restera à jamais une œuvre magique. C’est mon souffle d’espoir, ma seule raison de vivre et l’unique chose grâce à laquelle je peux m’évader et surtout m’exprimer librement sans que personne ne puisse m’interrompre et me contredire. Ce qui me plait fortement, c’est le fait qu’elle est désignée comme un art de combiner les sonorités, les rythmes, les mots d’une langue pour évoquer des images, suggérer des sensations et des émotions. On peut retrouver plusieurs genres poétiques tels que la poésie lyrique, épique, héroïque, dramatique ou romantique. Prédéfinis par les objectifs de l’auteur. Que ce soit pour soutenir les travailleurs, endormir un enfant, être récitée au cours de fêtes, la poésie a toujours été très sollicitée. C’est pour cela qu’elle a une importance particulière à mes yeux. Je lui accorde une place essentielle parce qu’elle se transmet si bien que cet art littéraire a partout servi à diffuser des opinions personnelles ou à exprimer les revendications d’un groupe. On a également écrit des poèmes pendant les guerres de religions, les guerres civiles et les conflits mondiaux. Plus tard, nous l’avons vu, la poésie a été choisie pour dire les souffrances comme celles des Juifs, des Musulmans, des Arabes, des Palestiniens ou des Africains appelés à l’époque « Nègres ».
C’est la raison pour laquelle mon thème portera sur « L’Agonie des Hommes Africains de l’Esclavage à la Négritude ». Tout d’abord, on peut dire comme définition générale que l’Esclavage est l’état d’une personne qui se trouve sous la dépendance absolue d’un maître qui a la possibilité de l’utiliser comme un bien matériel. Il est la privation de la liberté de certains hommes par d’autres hommes, dans le but de les soumettre à un travail forcé, généralement non rémunéré. L’Esclavage a donc été une pratique fréquente au cours de l’histoire et chez de nombreux peuples (Egyptiens, Romains, Africains, colonies occidentales..). Entre le XVème siècle au XIXème siècle, la traite qui a importé d’Afrique noire plusieurs millions d’esclaves a permis un développement rapide du Nouveau Monde et des
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économies européennes, grâce à une main-d’œuvre corvéable et bon marché. La Négritude est cependant un courant littéraire et politique créé durant l’entre-deux-guerres (1919-1939), rassemblant des écrivains noirs francophones dont Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor, Léon-Gontran, Damas Guy Tirolien, Birago Diop, David Diop et René Depestre font partie. Ce terme « négritude » désigne donc l’ensemble des caractéristiques et les valeurs culturelles des peuples de race noire, revendiquées comme leur étant propres, ainsi que l’appartenance à cette race. C’est pourquoi la majorité des poèmes de mon anthologie sont lyriques, exprimant les sentiments personnels de l’auteur dans ces deux différents thèmes, à l’aide des verbes de sentiments, champs lexicaux, adjectifs évaluatifs, affectifs, images, apostrophes lyriques qui m’ont beaucoup servi aujourd’hui. C’est ainsi que nous verrons comment les écrivains français parvenaient à réclamer les valeurs culturelles et spirituelles des peuples de races noires qui étaient dominés par les blancs.
Mon corpus comportera en effet dix poèmes au total dont deux sur l’Esclavage puis huit sur la Négritude. J’ai donc premièrement choisi « L’esclave » de François-René de Chateaubriand donnant son analyse des sentiments sur l’esclavage, puis « La belle Esclave maure » de François Tristan L'HERMITE décrivant une esclave, pour ensuite continuer avec deux poèmes d’Aimé Césaire intitulés « Debout maintenant, mon pays et moi » qui donne une définition de la Négritude, « Cahier d’un retour au pays natal » qui réclame la prise de conscience et l’inégalité des Noirs. Ce recueil se poursuivra avec « Black Label » de Damas dénonçant l’exclusion des Nègres, et présentera deux poèmes de Senghor appelés « Femme noire », éloge à la femme noire, et « Poème à mon frère Blanc » comparant une personne noire à une personne blanche. J’ai ensuite choisi de continuer avec « Désert » de Birago Diop témoignant des conditions de vie des noirs pour terminer avec deux poèmes de David Diop intitulés « Afrique » exprimant son amour pour le pays et « L’Agonie des chaînes » montrant les grandes souffrances des Africains.
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François-René, vicomte de Chateaubriand est un écrivain romantique et homme politique
français du 17ème siècle. Il est considéré comme l’une des figures centrales du romantisme français.
Son analyse des sentiments en ont fait un modèle pour la génération des écrivains romantiques en
France comme nous pouvons le voir dans « L’Esclave ». « L’esclave »
Le vigilant derviche à la prière appelle
Du haut des minarets teints des feux du couchant. Voici l’heure au lion qui poursuit la gazelle ;
Une rose au jardin moi je m’en vais cherchant.
Musulmane aux longs yeux, d’un maître que je brave
Fille délicieuse, amante des concerts,
Est-il un sort plus doux que d’être ton esclave,
Toi que je sers, toi que je sers ?
Jadis, lorsque mon bras faisait voler la prame
Sur le fluide azur de l’abîme calmé,
Du sombre désespoir les pleurs mouillaient ma rame :
Un charme m’a guéri : j’aime et je suis aimé.
Le noir rocher me plaît ; la tour que le flot lave
Me sourit maintenant aux grèves de ces mers :
Le flambeau du signal y luit pour ton esclave,
Toi que je sers, toi que je sers !
Belle et divine es-tu, dans toute ta parure,
Quand la nuit au harem je glisse un pied furtif !
Les tapis, l’aloès, les fleurs et l’onde pure,
Sont par toi prodigués à ton jeune captif.
Quel bonheur ! au milieu du péril que j’aggrave, T’entourer de mes bras, te parer de mes fers,
Mêler à tes colliers l’anneau de ton esclave,
Toi que je sers, toi que je sers !
Dans les sables mouvants, de ton blanc dromadaire Je reconnais de loin le pas sûr et léger ;
Tu m’apparais soudain : un astre solitaire
Est moins doux sur la vague au pauvre passager ;
Du matin parfumé le souffle est moins suave,
Le palmier moins charmant au milieu des déserts.
Quel sultan glorieux égale ton esclave,
Toi que je sers, toi que je sers !
Mon pays, que j’aimais jusqu’à l’idolâtrie,
N’est plus dans les soupirs de ma simple chanson ;
Je ne regrette plus ma mère et ma patrie ;
Je crains qu’un prêtre saint n’apporte ma rançon.
Ne m’affranchis jamais ! laisse-moi mon entrave !
Oui, sois ma liberté, mon Dieu, mon univers !
Viens, sous tes beaux pieds nus, viens fouler ton esclave,
Toi que je sers, toi que je sers !
Tunis, 1807
François-René de Chateaubriand, Poésies diverses.
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François Tristan L'Hermite est un poète et dramaturge français du 17ème siècle fort applaudi en son
temps. Il occupa le fauteuil 17 de l'Académie française de 1649 à 1655. Son poème « La belle Esclave
maure » est adapté d’un sonnet, centré sur une série de paradoxes décrivant une esclave,
relevés de l’esthétique baroque.
« La belle Esclave maure »
Beau monstre de Nature, il est vrai, ton visage
Est noir au dernier point, mais beau parfaitement :
Et l'Ebène poli qui te sert d'ornement
Sur le plus blanc ivoire emporte l'avantage.
Ô merveille divine, inconnue à notre âge !
Qu'un objet ténébreux luise si clairement ;
Et qu'un charbon éteint, brûle plus vivement
Que ceux qui de la flamme entretiennent l'usage !
Entre ces noires mains je mets ma liberté ;
Moi qui fus invincible à toute autre Beauté,
Une Maure m'embrasse, une Esclave me dompte.
Mais cache-toi, Soleil, toi qui viens de ces lieux
D'où cet Astre est venu, qui porte pour ta honte
La nuit sur son visage, et le jour dans ses yeux.
François Tristan L'Hermite, La Lyre, 1641.
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Aimé Fernand David Césaire est un poète et homme politique français du XXème et XXIème siècle né en
Martinique. Il est l'un des fondateurs du mouvement littéraire de la négritude et un anticolonialiste résolu. Le
retour à la Martinique s'accompagne de la prise de conscience de la condition inégalitaire des Noirs. Ce poème
est l'un des points de départ de la négritude.
« Cahier d'un retour au pays natal - extraits » (1956)
Partir. Comme il y a des hommes-hyènes et des hommes- panthères, je serais un homme-juif un homme-cafre un homme-hindou-de-Calcutta un homme-de-Harlem-qui-ne-vote-pas l'homme-famine, l'homme-insulte, l'homme-torture on pouvait à n'importe quel moment le saisir le rouer de coups, le tuer - parfaitement le tuer - sans avoir de compte à rendre à personne sans avoir d'excuses à présenter à personne un homme-juif un homme-pogrom un chiot un mendigot mais est-ce qu'on tue le Remords, beau comme la face de stupeur d'une dame anglaise qui trouverait dans sa soupière un crâne de Hottentot? Je retrouverais le secret des grandes communications et des grandes combustions. Je dirai saurage. Je dirais fleuve. Je dirais tornade. Je dirais feuille. Je dirais arbre. Je serais mouillé de toutes les pluies, humecté de toutes les rosées. Je roulerais comme du sang frénétique sur le courant lent de l'œil des mots en chevaux fous en enfants frais en caillots en couvre-feu en vestiges de temple empierres précieuses assez loin pour décourager les mineurs. Qui ne me comprendrait pas ne comprendrait pas davantage le rugissement du tigre. Et vous fantômes montez bleus de chimie d'une forêt de bêtes traquées de machines tordues d'un jujubier de chairs pourries d'un panier d'huîtres d'yeux d'un lacis de lanières découpées dans le beau sisal d'une peau d'homme j'aurais des mots assez vastes pour vous contenir et toi terre tendue terre saoule terre grand sexe levé vers le soleil terre grand délire de lamentable de Dieu terre sauvage montée des resserres de la mer avec dans la bouche une touffe de nécropsies terre dont je ne puis comparer la face houleuse qu'à la forêt vierge et folle que je souhaiterais pouvoir en guise de visage montrer aux yeux indéchiffrées des hommes
Il me suffirait d'une gorgée de ton lait jiculi pour qu'en toi je découvre toujours à même distance de mirage - mille fois plus natale et dorée d'un soleil que n'entame nul prisme - la terre où tout est libre et fraternel, ma terre. Partir. Mon cœur bruissait de générosités emphatiques. Partir... j'arriverais lisse et jeune dans ce pays mien et je dirais à ce pays dont le limon entre dans la composition de ma chair : « J'ai longtemps erré et je reviens vers la hideur désertée de vos plaies». Je viendrais à ce pays mien et je lui dirais : Embrassez-moi sans crainte... Et si je ne sais que parler, c'est pour vous que je parlerai». Et je lui dirais encore : « Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n'ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s'affaissent au cachot du désespoir. » Et venant je me dirais à moi-même : « Et surtout mon corps aussi bien que mon âme, gardez-vous de vous croiser les bras en l'attitude stérile du spectateur, car la vie n'est pas un spectacle, car une mer de douleurs n'est pas un proscenium, car un homme qui crie n'est pas un ours qui danse... »
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La case, ancrage symbolique du « Cahier d'un retour au pays natal » d'Aimé Césaire.
AUTEUR : Jean-Baptiste Delawarde
TITRE : Case de la Martinique
DATE DE CREATION : 1935
DIMENSIONS : Hauteur 6cm-Largeur 9cm
LIEU DE CONSERATION : Archives départementales de la Martinique (Fort-de-
France)
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Par une écriture lyrique, poétique et parfois argumentative il nous donne sa définition de la
Négritude, c'est-à-dire l'acceptation de soi et de sa condition noire mais aussi la revendication et la
révolte après des siècles de soumission à travers ce poème.
« DEBOUT MAINTENANT, MON PAYS ET MOI »
Au bout du petit matin, flaques perdues, parfum errants, ouragans échoués, coques démâtées,
vieilles plaies, os pourris, buées, volcans enchaînés, morts mal racinés, crier amer. J'accepte !
Et mon originale géographie aussi ; la carte du monde faite à mon usage, non pas teinte aux
arbitraires couleurs des savants, mais à la géométrie de mon sang répandu, j'accepte
et la détermination de ma biologie, non prisonnière d'un angle facial, d'une forme de cheveux, d'un
nez suffisamment aplati, d'un teint suffisamment mélanien, et la négritude, non plus un indice
céphalique, ou un plasma, ou un soma, mais mesurée au compas de la souffrance
et le nègre chaque jour plus bas, plus lâche, plus stérile, moins profond, plus répandu au-dehors, plus
séparé de soi-même, moins immédiat avec soi-même,
j'accepte, j'accepte tout cela
et loin de la mer de palais qui déferle sous la syzygie suppurante des ampoules, merveilleusement
couché le corps de mon pays dans le désespoir de mes bras, ses os ébranlés et, dans ses veines, le
sang qui hésite comme la goutte de lait végétal à la pointe blessée du bulbe...
Et voici soudain que force et vie m'assaillent comme un taureau et l'onde de vie circonvient la papille
du morne, et voilà toutes les veines et veinules qui s'affairent au sang neuf et l'énorme poumon des
cyclones qui respire et le feu thésaurisé des volcans et le gigantesque pouls sismique qui bat
maintenant la mesure d'un corps vivant en mon ferme embrasement.
Et nous sommes debout maintenant, mon pays et moi, les cheveux dans le vent, ma main petite
maintenant dans son poing énorme et la force n'est pas en nous, mais au-dessus de nous, dans une
voix qui vrille la nuit et l'audience comme la pénétrance d'une guêpe apocalyptique. Et la voix
prononce que l'Europe nous a pendant des siècles gavés de mensonges et gonflés de pestilences,
car il n'est point vrai que l'œuvre de l'homme est finie
que nous n'avons rien à faire au monde
que nous parasitons le monde
qu'il suffit que nous nous mettions au pas du monde
mais l'œuvre de l'homme vient seulement de commencer
et il reste à l'homme à conquérir toute interdiction immobilisée aux coins de sa ferveur
et aucune race ne possède le monopole de la beauté, de l'intelligence, de la force
et il est place pour tous au rendez-vous de la conquête et nous savons maintenant que le soleil
tourne autour de notre terre éclairant la parcelle qu'a fixée notre volonté seule et que toute étoile
chute de ciel en terre à notre commandement sans limite.
Aimé Césaire, Cahier d'un retour au pays natal, Ed. Présence africaine
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Léon-Gontran Damas est un écrivain, poète et homme politique français du XXème siècle né aux
Etats-Unis. Il est cofondateur du mouvement de la négritude avec Aimé Césaire et Léopold Sédar
Senghor dans les années 1940. Il dénonce l’ivresse, le rejet, la maltraitance, l’exclusion et la qualité
des nègres dans “Black-Label”.
“Black-Label “
ET BLACK-LABEL
Pour ne pas changer
Black-Label à boire
À quoi bon changer
SUR LA TERRE DES PARIAS
Un premier home vint
Sur la Terre des Parias
Un second homme vint
Sur la Terre des Parias
Un troisième home vint
Depuis
Trois fleuves
Trios fleuves coulent
Trois fleuves coulent dans mes veines
ET BLACK-LABEL
Pour ne pas changer
Black-Label à boire
À quoi bon changer
A DES MILLES ET DES MILLES
En Paris Paris Paris
Paris--l’Exil
Mon Coeur maintient en vie
Le regret double
Du tout premier éveil à la beauté du
monde
Et du tout premier Nègre mort à la ligne
Mort sur la ligne
Qui mène encore
Aux Isles de l’Aventure
Aux Isles à la Dérive
Aux Isles de la Flibuste
Aus Isles de la Boucane
Aux Isles de la Tortue
Aux Isles à Nègreries
Aux Isles à Sucreries
Aux Isles de la Mort-Vive
(…)
Léon-Gontran Damas (extraits) 1956
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Léopold Sédar Senghor est un homme politique et écrivain sénégalais né en 1906 et mort en 2001. Il
marqua la poésie française du XXème siècle par l’apport d’un nouveau souffle, celui de ce qu’il
appela lui-même la « négritude ». Ce poème « Femme noire » est une ode à l’amour, à la femme, à la
terre africaine. C’est un renouveau dans le lyrisme.
«Femme noire »
Femme nue, femme noire
Vêtue de ta couleur qui est vie, de ta forme qui est beauté
J'ai grandi à ton ombre; la douceur de tes mains bandait mes yeux
Et voilà qu'au cœur de l'Eté et de Midi,
Je te découvre, Terre promise, du haut d'un haut col calciné
Et ta beauté me foudroie en plein cœur, comme l'éclair d'un aigle
Femme nue, femme obscure
Fruit mûr à la chair ferme, sombres extases du vin noir, bouche qui fais lyrique ma bouche
Savane aux horizons purs, savane qui frémit aux caresses ferventes du Vent d'Est
Tamtam sculpté, tamtam tendu qui gronde sous les doigts du vainqueur
Ta voix grave de contralto est le chant spirituel de l'Aimée
Femme noire, femme obscure
Huile que ne ride nul souffle, huile calme aux flancs de l'athlète, aux flancs des princes du Mali
Gazelle aux attaches célestes, les perles sont étoiles sur la nuit de ta peau.
Délices des jeux de l'Esprit, les reflets de l'or rongent ta peau qui se moire
A l'ombre de ta chevelure, s'éclaire mon angoisse aux soleils prochains de tes yeux.
Femme nue, femme noire
Je chante ta beauté qui passe, forme que je fixe dans l'Eternel
Avant que le destin jaloux ne te réduise en cendres pour nourrir les racines de la vie.
Léopold Sédar Senghor, Chants d'ombre
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Léopold Sédar Senghor réalise également un poème magnifique intitulé « Poème à mon
frère blanc » dans lequel il traite un sujet difficile avec humour, qui nous force à réfléchir. Ce
texte note ainsi les ressemblances entre deux personnes de couleurs de peaux différentes
tout en restant humoristique.
Cher frère blanc,
Quand je suis né, j'étais noir,
Quand j'ai grandi, j'étais noir,
Quand je suis au soleil, je suis noir,
Quand je suis malade, je suis noir,
Quand je mourrai, je serai noir.
Tandis que toi, homme blanc,
Quand tu es né, tu étais rose,
Quand tu as grandi, tu étais blanc,
Quand tu vas au soleil, tu es rouge,
Quand tu as froid, tu es bleu,
Quand tu as peur, tu es vert,
Quand tu es malade, tu es jaune,
Quand tu mourras, tu seras gris.
Alors, de nous deux,
Qui est l'homme de couleur ?
Léopold Sédar Senghor
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Birago Diop est un Sénégalais du 20ème siècle qui n’a été révélé en tant qu’écrivain que par les
anthologies de Damas, puis ensuite de Senghor. Il dénonce ainsi les conditions de vie misérables des
nègres dans leur vie quotidienne dans « Désert ».
« Désert »
« Dieu seul est Dieu, Mohammed rassoul Allah ! »
La voix du Muezzin bondit sur les dromes,
S’enfle, s’étend, puis s’éteint au loin là-bas…
Lentement se courbent les corps de nos hommes…
Rythme le morne chœur assourdi et las,
Et les pointes noires des cases en chaume
Frangent l’horizon que nous n’atteindrons pas
Sur le désert et dans l’infini des âges
Titubant ainsi dans le sable sans fin
Aborderons-nous à de lointains rivages ?
Irons-nous ainsi chaque jour vers demain ?
Vers des haltes lointaines, de lointains havres
Où nos rêves ne seront que des cadavres ?
Birago Diop Leurres et Lueurs, Ed. Présence Africaine, Paris
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David Diop est né à Bordeaux en 1927 et mort en 1961. De la génération suivante, il était un des
espoirs de la jeune poésie Africaine. Lorsqu’il rêve de l’Afrique, sa nostalgie lui inspire une énorme
tendresse chaleureuse, ce que nous allons voir dans « Afrique », un poème dans lequel il exprime
clairement son amour pour le pays.
« Afrique »
A ma mère
Afrique mon Afrique
Afrique des fiers guerriers dans les savanes ancestrales
Afrique que chante ma grand-mère
Au bord de son fleuve lointain
Je ne t’ai jamais connue
Mais mon regard est plein de ton sang
Ton beau sang noir à travers les champs répandu
Le sang de ta sueur
La sueur de ton travail
Le travail de l’esclavage
L’esclavage de tes enfants
Afrique dis-moi Afrique
Est-ce donc toi ce dos qui se courbe
Et se couche sous le poids de l’humilité
Ce dos tremblant à zébrures rouges
Qui dit oui au fouet sur la route de MIDI
Alors gravement une voix me répondit
Fils impétueux cet arbre robuste et jeune
Cet arbre là-bas
Splendidement seul au milieu des fleurs blanches et fanées
C’est l’Afrique ton Afrique qui repousse
Qui repousse patiemment obstinément
Et dont les fruits ont peu à peu
L’amère saveur de la liberté.
Birago Diop Leurres et Lueurs, Edition Présence Africaine, Paris
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La violence et la simplicité de son langage faisaient de ses poèmes de véritables coups de poing dont
l’efficacité était incontestable. Avec ses mots et ses thèmes, David Diop s’inscrivait dans une tradition
non seulement engagée mais militante jusqu’à la limite de la poésie, ce que nous allons voir dans
« L’Agonie des chaînes », un poème dans lequel il témoigne les douleurs morales et physiques des
Noirs.
« L’Agonie des Chaînes »
Dimbokro Poulo Condor
La ronde des hyènes autour des cimetières
La terre gorgée de sang les képis qui ricanent
Et sur les routes le grondement sinistre des charrettes de haine
Je pense au Vietnamien couché dans la rizière
Au forçat du Congo frère du lynché d’Atlanta
Je pense au cheminement macabre du silence
Quand passe l’aile d’acier sur les rires à peine nés
Dimbokro Poulo Condor
Ils croyaient aux chaînes qui étranglent l’espoir
Au regard qu’on éteint sous l’éternelle sueur
Pourtant c’est le soleil qui jaillit de nos voix
Et des savanes aux jungles
Nos mains crispées dans l’étreinte du combat
Montrent à ceux qui pleurent des éclats d’avenir
Dimbokro Poulo Condor
Entendez-vous bruire la sève souterraine
C’est la chanson des morts
La chanson qui nous porte aux jardins de la vie.
David Diop Coups de Pilon, Edition de Présence Africaine, Paris