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LA VOIX QUI VENAIT D'AILLEURS

SÉRIE « SF Jimmy GUIEU »

Déjà parus

N° 1 - Au-delà de l'infini N° 2 - Les monstres du néant N° 3 - L'invasion de la terre N° 4 - Les Êtres de feu N° 5 - Hantise sur le monde N° 6 - Convulsions solaires N° 7 - L'univers vivant N° 8 - Réseau dinosaure N° 9 - La dimension X N° 10 - Chasseurs d'hommes N° 11 - La spirale du temps N° 12 - Nous les Martiens N° 13 - Le monde oublié N° 14 - Mission « T » N° 15 - L'homme de l'espace N° 16 - L'ère des Biocybs N° 17 - Opération Aphrodite N° 18 - Expérimental X-35 N° 19 - Commandos

de l'espace N° 20 - Planète en péril N° 21 - L'agonie du verre N° 22 - Univers parallèles N° 23 - La Grande épouvante N° 24 - Nos ancêtres

de l'Avenir N° 25 - L'invisible Alliance N° 26 - Prisonniers du passé Ne 27 - Piège dans l'espace N° 28 - Les portes de Thulé N° 29 - Le secret des Tshengz Ne 30 - Refuge cosmique

N° 31 - Demain l'apocalypse Ne 32 - Les destructeurs N° 33 - Les forbans de l'espace N° 34 - La mort de la vie N° 35 - Joklun-N'Ghar

la maudite N° 36 - Le règne des mutants N° 37 - Traquenard sur Kenndor N° 38 - Cité Noé n° 2 N° 39 - Le grand mythe N° 40 - Les orgues de Satan N° 41 - Expédition cosmique N° 42 - Les cristaux de Capella N° 43 - Les Maîtres de la

Galaxie N° 44 - Opération Ozma N° 45 - Les rescapés du néant N° 46 - L'âge noir de la Terre N° 47 - L'éxilé de Xantar N° 48 - Le retour des dieux N° 49 - Les pièges de Koondra N° 50 - Les sept sceaux

du cosmos N° 51 - Les fugitifs de Zwolna N° 52 - La terreur invisible N° 53 - Le bouclier de Boongoha N° 54 - L'ordre vert N° 55 - Le triangle de la mort N° 56 - Créatures des neiges N° 57 - La force sans visage N° 58 - La colonie perdue N° 59 - Plan catapulte

science fiction

J I M M Y G U I E U Grand Prix du Roman Science-Fiction 1954

Grand Prix du Roman S.F. Claude Auvray 1973

LA VOIX QUI VENAIT D'AILLEURS

Plon

I l lu s t r a t ion d e c o u v e r t u r e : J e a n - L o u i s M o r e l l e

La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de r Article 41, d 'une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective, et, d 'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, fai te sans le consentement de l 'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (alinéa 1 de l'Article 40).

Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les Articles 425 et suivants du Code pénal.

© É d i t i o n s F l e u v e N o i r , 1958 © P l o n - G E C E P - F l e u v e N o i r 1987 p o u r l a p r é s e n t e é d i t i o n

I S B N 2 - 2 5 9 - 0 1 6 2 6 - X I S S N 0-242-3715

A Bernard C.,

Un chercheur étonnant, auquel des «voix qui venaient d'ail- leurs » dictaient ses découvertes! La première édition de ce roman (alors que j'ignorais tout de lui), scella notre amitié.

Fraternellement, J.G.

CHAPITRE PREMIER

Dans le grand hall du siège de la revue LEM (l'Étrange & le Mystérieux dans le monde et... ailleurs), une longue table avait été dressée; les jus de fruits voisinaient avec le champagne Taittinger (Brut de Réserve et Comtes de Champagne Blanc de Blancs) et les whiskies Old Parr et Glenmoran- gie. Eclectisme de bon aloi pour ce cocktail offert par Gilles Novak à ses collaborateurs et amis à l'occasion du succès obtenu par cette revue dont le tirage venait d'atteindre cent mille exemplai- res.

Le Tout-Paris (sinon le « Tout-Monde ») de l'insolite et du mystérieux inconnu se trouvait réuni. L'on pouvait y reconnaître Guy Tarade discutant avec animation en compagnie de Sergio Conti (du Giornale dei Misteri, Florence, Italie) et Irène Granchi (l'ufologue brésilienne), ou bien Maurice Limat et Philippe Randa s'entretenant de leur dernier-né, tandis que Richard Glenn (le n° 1 de l'ésotérisme au Québec), l'ufologue espa- gnol Antonio Ribera, ses homologues français Henry Durrant, Jean Sider et René Voarino

(président du CEOF : Centre d'Études OVNI- France), partageaient la même indignation devant la censure qui, de plus en plus, frappait les informations concernant les OVNI

A ces auteurs d'ouvrages documentaires non orthodoxes et hérétiques, aux yeux de la science officielle, ou de romans de science-fiction, se mêlaient la plupart des membres parisiens de l'IMSA (Institut Mondial des Sciences Avancées), créé à l'instigation de Gilles Novak.

Belle et resplendissante dans sa robe d'été au décolleté généreux, exhalant la fragrance suave de «Ma Griffe» de Carven, Régine Véran, son appareil photo suspendu en sautoir, jouait à la fois les hôtesses et les reporters photographes.

Fort accaparé par ses invités, Gilles allait de groupe en groupe, saluant de nouveaux arrivés ou s'attardant parfois à parler travail, malgré l'am- biance joyeuse de cette réception qui ne s'y prêtait guère. Laissant Serge Hutin et Jean Haab s'entre- tenir d'ésotérisme avec les peintres Kerlam et Charles Floutard, qui illustraient magistralement leurs articles, Gilles prit « au vol » la photographe par le bras :

- Georges Maillard n'est toujours pas arrivé? - Si, je l'ai vu, il y a deux minutes, bavardant

avec Rika Zaraï et Claude Seignolle. - On parle de moi?

1. Le plus extraordinaire exemple de censure en la matière (le survol régulier de la base de missiles stratégiques du Plateau d'Albion par des OVNI) est fourni par l'auteur dans son ouvrage documentaire Le monde étrange des Contactés, Éditions P. Belfond, Paris).

Ils se retournèrent et sourirent à l'écrivain qui, une coupe à la main, se frayait un passage en direction des amuse-gueules.

- Régine me disait que tu étais avec Georges Maillard, il y a un instant.

- Je l'ai laissé avec l'adorable Rika pour aller me soigner, fit-il en montrant sa coupe vide. Rika Zaraï a bien raison de préconiser l'usage des plantes; le raisin champenois n'appartenant pas au règne minéral, je suis ses prescriptions! Pour Maillard, tu devrais aller voir du côté de l'entrée. Nous nous reverrons dans un moment ou sinon chez toi, à Fontainebleau, pour le banquet.

Seignolle mettant le cap vers le buffet, Régine plaisanta :

- Ne mange quand même pas trop, Claude; des plats succulents nous attendent, au dîner.

Avec ce sourire à la fois faunesque et malicieux que lui connaissent bien ses amis, l'écrivain rétorqua :

- J'ai toujours un appétit du diable! Pour l'auteur des Evangiles du même nom,

cela pouvait revêtir plusieurs sens! Revenant aux préoccupations du journaliste,

Régine s'informa : - Nous en étions à Georges Maillard, Gilles.

Ne pourrais-tu attendre le repas, pour lui parler? - Je voulais surtout souhaiter la bienvenue à

l'un de ses confrères électroniciens qu'il doit amener. Un garçon fort brillant, paraît-il, qu'il espère coopter pour l'intégrer à l'IMSA.

1. Cf. Les Évangiles du diable, Éditions Maisonneuve & Larose, Paris.

A v i s a n t le d i r e c t e u r d e L E M , l ' a s t r o l o g u e e t e x é g è t e q u é b é c o i s d e N o s t r a d a m u s , M a u r i c e P o u - l in 1 s ' a p p r o c h a :

- M a i l l a r d t e c h e r c h e , G i l l e s . Il e s t p r è s d e l ' e n t r é e .

E t le g r a n d g a i l l a r d b a r b u r e j o i g n i t R i k a Z a r a i q u i r i a i t a u x é c l a t s à u n e n o u v e l l e b l a g u e d e S i m ,

passionné lui aussi d'ésotérisme, d'ufologie et de parapsychologie (mais sans cela, eût-il été un fidèle ami de Gilles Novak?).

Ce dernier et la photographe jouèrent des cou- des pour gagner l'entrée du hall. Ils y trouvèrent effectivement l'électronicien Georges Maillard, clignant des yeux derrière ses lunettes et cher- chant encore, au milieu de l'assistance, ceux qui venaient vers lui. La cinquantaine proche, les tempes à peine grisonnantes, mince et distingué, Maillard parut soulagé en découvrant enfin Gilles et Régine.

- Pourquoi ne t'es-tu donc pas approché du buffet, Georges ?

- J'ai préféré attendre Paul Chartier ici. Char- tier est ce jeune électronicien qui travaille avec moi, au labo de la Compagnie Hartford.

- Je ne l'ai pas oublié, Georges et c'est pour- quoi je tenais à lui souhaiter la bienvenue dès son arrivée. Si tu estimes qu'il est une recrue de choix pour l'IMSA, c'est là de ma part la moindre des choses.

- Bien qu'encore jeune - il n'a pas trente-cinq

1. Auteur du captivant ouvrage Le Grand Monarque, messager du Verseau, chez Louise Courteau, éditrice au Québec. En France, chez Réplique Diffusion. Paris.

a n s - P a u l e s t u n é l e c t r o n i c i e n d e gén i e , d é c l a r a G e o r g e s M a i l l a r d . T u m e c o n n a i s t r o p p o u r s a v o i r q u e j e n e m ' e m b a l l e p a s à l a l égè re e t si j e lu i t r o u v e d u gén i e , c ' e s t q u ' i l e n a. M a i s c ' e s t u n h o m m e r é s e r v é , f u y a n t la soc i é t é , b i z a r r e p a r f o i s , s u r t o u t d e p u i s q u e l q u e s m o i s . U n p r o b l è m e - d o n t il n ' a p a s j u g é b o n d e s ' o u v r i r à m o i , b i e n q u e j e so i s s o n a m i - le p r é o c c u p e . S o u v e n t , il a l ' a i r a b s e n t . . .

- Ç a , p o u r ê t r e a b s e n t . . . , f i t R é g i n e , d é s i n - vo l t e .

- R a s s u r e z - v o u s , R é g i n e , ce so i r , il v i e n d r a . Il m e l ' a p r o m i s , b i e n q u e l a p e r s p e c t i v e d e se m ê l e r à t o u t ce m o n d e n e l ' e n c h a n t a i t g u è r e . Il n e m ' a p a s p r o m i s , e n r e v a n c h e , d ' ê t r e d e s n ô t r e s a u d î n e r , a p r è s c e c o c k t a i l . P o u r l ' e n c o n v a i n c r e , p o u r le d é c i d e r à a c c e p t e r d e se j o i n d r e à n o u s , ce n e s e r a p a s faci le .

R é g i n e p r i t u n e p o s e t r è s v a m p . B a l a n ç a n t n é g l i g e m m e n t s o n a p p a r e i l p h o t o a u b o u t d e sa c o u r r o i e , e l le p l a i s a n t a :

- E t le b a t a i l l o n d e c h a r m e , G e o r g e s , q u ' e n f a i t e s - v o u s ? Il e s t c é l i b a t a i r e , v o t r e t a c i t u r n e ?

- E t b e a u g a r ç o n , o u i , m a i s j e c r a i n s q u ' i l n e so i t t r o p a b s o r b é p a r ses p r é o c c u p a t i o n s . . . b i z a r - r e s p o u r . . . B o n , le v o i l à ! a b r é g e a - t - i l à m i - v o i x .

R é g i n e V é r a n , el le, a v a i t d é j à r e m a r q u é l ' a r r i - v é e d e c e t h o m m e b l o n d , d ' u n e s o b r e é l é g a n c e d a n s u n c o s t u m e be ige q u i s o u l i g n a i t s a c a r r u r e . L e r e g a r d f r a n c d e ses y e u x b l e u s se p o r t a s u r s o n c o n f r è r e e t ses i n t e r l o c u t e u r s ; u n s o u r i r e c r e u s a d e u x p e t i t e s f o s s e t t e s à ses j o u e s .

« T r è s b e a u g a r ç o n », se d i t la p h o t o g r a p h e ,

a s s e z h e u r e u s e à l ' i d é e d e d e v o i r j o u e r les b a t a i l - l o n s d e c h a r m e p o u r e n l e v e r c e t t e p l a c e f o r t e !

L e n o u v e a u v e n u p o s a p a r t e r r e s o n a t t a c h é - c a s e , s ' i n c l i n a t a n d i s q u e M a i l l a r d le p r é s e n t a i t à R é g i n e e t à G i l l e s . S a p o i g n é e d e m a i n é t a i t f r a n c h e , é n e r g i q u e , r e f l e t d e s o n r e g a r d . Il c o n s i - d é r a u n i n s t a n t le d i r e c t e u r d e L E M , e u t u n i m p e r c e p t i b l e m o u v e m e n t d e s o u r c i l s , à l a f a ç o n d ' u n e p e r s o n n e q u i s ' i n t e r r o g e p o u r s a v o i r si e l l e n ' a p a s d é j à v u te l v i s a g e e n te l le o u t e l l e c i r c o n s - t a n c e .

Il m a n i f e s t a la m ê m e r é a c t i o n , à p e i n e d i s c e r - n a b l e , e n p r é s e n c e d e R é g i n e , m a i s s e c o m p o s a a u s s i t ô t u n e m i n e p a r f a i t e m e n t n e u t r e e t r é p o n d i t a i m a b l e m e n t à l ' i n v i t a t i o n f o r m u l é e p a r G i l l e s N o v a k .

- C ' e s t t r è s v o l o n t i e r s q u e j e b o i r a i s a u s u c c è s d e v o t r e r e m a r q u a b l e r e v u e , m o n s i e u r N o v a k , m a i s j e c r a i n s d e n e p o u v o i r , e n s u i t e , m e r e n d r e à v o t r e d î n e r .

Il a j o u t a , a v e c u n s o u r i r e d ' e x c u s e e n m o n t r a n t s o n a t t a c h é - c a s e :

- J e d o i s , ce so i r , a c h e v e r u n t r a v a i l t r è s i m p o r t a n t .

M a i l l a r d l ' e n t r a î n a a v e c ses a m i s v e r s le b u f - fet.

- T o u t ce q u e P a r i s c o m p t e d e s p é c i a l i s t e s d e l ' é t r a n g e , d e b e s t - s e l l e r s d e la s c i e n c e - f i c t i o n , j e d i r a i s m ê m e d ' i n i t i é s a u x a r c a n e s d e l ' é s o t é r i s m e

e s t là, r é u n i . T u a s la c h a n c e d ' ê t r e p a r m i les i n v i t é s e t t u d é c l i n e r a i s c e t t e a u b a i n e , t o i q u i t e p a s s i o n n e s j u s t e m e n t p o u r t o u t c e l a ?

F a u s s e m e n t i n s o u c i a n t e , R é g i n e n ' e u t a u c u n

m a l à f a i r e j o u e r ses y e u x d e b i c h e p o u r p r e n d r e l a d é f e n s e d e P a u l C h a r t i e r .

- N ' a c c a b l e z d o n c p a s d e r e p r o c h e s v o t r e a m i , G e o r g e s . Il n ' a p a s d i t p o s i t i v e m e n t q u ' i l n e v i e n d r a i t p a s d î n e r a v e c n o u s . P e u t - ê t r e p o u r r a - t-i l f i n a l e m e n t s ' a r r a n g e r p o u r a c h e v e r ce t r a v a i l u r g e n t d e m a i n , d i m a n c h e ? N ' e s t - c e pa s , m o n - s i e u r C h a r t i e r ?

E t d ' e n c h a î n e r , s a n s lui l a i s s e r le t e m p s d e r é p o n d r e , e n d é s i g n a n t le b a r :

- Q u e d é s i r e z - v o u s b o i r e ? U n p e u d é s o r i e n t é , p a r m i t o u t ce m o n d e ,

l ' é l e c t r o n i c i e n o p t a p o u r u n e c o u p e d e T a i t t i n g e r . D a n s les m i n u t e s q u i s u i v i r e n t , G i l l e s o u R é g i n e e u r e n t l ' o c c a s i o n d e lui p r é s e n t e r n o m b r e d ' i n v i - tés , p o u r c h a c u n d e s q u e l s il e u t u n m o t a i m a b l e , b a v a r d a n t d e l e u r s œ u v r e s , d e l e u r s a r t i c l e s , d e l e u r s r e c h e r c h e s , q u ' i l a v a i t s u m a n i f e s t e m e n t a p p r é c i e r . A u gré d e s r e n c o n t r e s e t d e s p r é s e n t a - t i o n s , P a u l C h a r t i e r , f i n a l e m e n t , se r e t r o u v a seu l a v e c R é g i n e à l ' a u t r e e x t r é m i t é d u bu f fe t , G i l l e s e t M a i l l a r d a y a n t é t é « h a p p é s » a u p a s s a g e p a r d ' a u t r e s c o n v i v e s . L a j e u n e p h o t o g r a p h e n e fu t p o i n t f â c h é e d e p o u v o i r a i n s i t e n t e r - e n t o u t b i e n t o u t h o n n e u r - la c o n q u ê t e d e ce s é d u i s a n t t a c i t u r n e .

T a c i t u r n e ? V o i r e . L e m o t é t a i t t r o p f o r t p o u r ce t h o m m e d i s t i n g u é q u i s a v a i t b r i l l e r p a r s a c o n v e r s a t i o n ; il v e n a i t d e le p r o u v e r e n é c h a n - g e a n t ici e t là d e p e r t i n e n t s p r o p o s a v e c les u n s e t les a u t r e s . T o u t a u p l u s p o u v a i t - o n , e f f e c t i v e - m e n t , lui t r o u v e r u n a i r p r é o c c u p é , a b s e n t p a r - fois , lo r s d e s m o m e n t s d e s i l ence .

- V o u s t r a v a i l l e z d e p u i s l o n g t e m p s a v e c G e o r - g e s ? q u e s t i o n n a R é g i n e .

- C e l a f a i t b i e n t ô t c i n q a n s q u e j e s u i s e n t r é à la C o m p a g n i e H a r t f o r d , m a d e m o i s e l l e V é r a n .

N o u s d i r i g e o n s c h a c u n u n d é p a r t e m e n t d u l a b o d ' é l e c t r o n i q u e . U n h o m m e r e m a r q u a b l e , G e o r - ges , e t u n v é r i t a b l e a m i , au s s i .

- C ' e s t e x a c t e m e n t ce q u ' i l d i t d e v o u s , d e s o n c ô t é , sou r i t - e l l e , a v a n t d e l a n c e r u n « a p p â t » p o u r o r i e n t e r l a c o n v e r s a t i o n v e r s les r e c h e r c h e s p a r a l - l è les d e l ' I M S A . J ' i m a g i n e q u e c e n e d o i t p a s t o u j o u r s ê t r e f ac i l e d e s u i v r e u n p r o g r a m m e d e r e c h e r c h e s i m p o s é , p a r f o i s é l o i g n é d e l a v o i e i n t i m e q u e le c h e r c h e u r s o u h a i t e r a i t p o u r s u i - v r e ?

P a u l C h a r t i e r e u t u n e r é a c t i o n d e s u r p r i s e m a l d i s s i m u l é e e t il l a c o n s i d é r a u n i n s t a n t , s a n s p a r l e r . L e v i s age , les y e u x d e R é g i n e V é r a n l u i p a r a i s s a i e n t c a n d i d e s . L e r e g a r d d e l ' é l e c t r o n i c i e n p e r d i t g r a d u e l l e m e n t d e s a f i x i t é e t , s a n s c e s s e r d e se p o r t e r s u r la j e u n e f e m m e , il s ' é c h a p p a v e r s l ' i n t é r i e u r , i n h i b é p a r d e s p e n s é e s s o u d a i n t o u t à f a i t é t r a n g è r e s à l e u r e n t r e t i e n . R é g i n e , i n t r i g u é e , s o u t i n t ce r e g a r d q u i n e la v o y a i t p l u s e t s e r a p p e l a les p a r o l e s d e G e o r g e s M a i l l a r d : « S o u - v e n t , P a u l C h a r t i e r a l ' a i r a b s e n t , s o u m i s à d e s p r é o c c u p a t i o n s q u i le r e n d e n t b i z a r r e . » C ' é t a i t ce la , o u à p e u p r è s c e l a q u ' i l a v a i t d i t d e s o n a m i l ' é l e c t r o n i c i e n .

L a p h o t o g r a p h e p r i t s u r l a t a b l e u n e a s s i e t t e c o n t e n a n t d e s b i s c u i t s s a l é s e t l a p r é s e n t a à C h a r t i e r q u i s e m b l a i t n e p o i n t a v o i r r e m a r q u é s o n ges te . E l l e r e s t a u n i n s t a n t a i n s i , à le c o n s i d é -

rer avec étonnement, puis posa sa main sur son bras.

- Un biscuit, monsieur Chartier? Avec un temps de retard, il fut tiré de ses

pensées et son regard reprit son éclat normal, puis il sourit.

- Excusez-moi... Merci, je préfère me réserver pour le dîner.

Dût sa vanité en souffrir, Régine comprit par- faitement que ce revirement ne devait rien à son charme. En l'espace de quelques minutes et pour une raison qui lui échappait, Paul Chartier avait changé d'avis et se montrait décidé à accepter de dîner dans le pavillon de Gilles Novak, à l'issue de la réception!

Et, malgré le temps qui s'était écoulé depuis la remarque de Régine (cherchant à aiguiller la conversation vers l'IMSA), Chartier y répondit tout comme il l'eût fait si ladite remarque avait été formulée seulement une seconde plus tôt.

- Vous avez absolument raison, mademoiselle Véran : le chercheur, très souvent, aimerait œuvrer dans des voies différentes de celles qui lui sont imposées. Georges m'a d'ailleurs parlé d'un institut libre, non conventionnel, où les cher- cheurs peuvent exercer leur sagacité en des domaines dédaignés avec mépris par les savants en titre. Cette possibilité mérite réflexion... Mais je vous ennuie avec tous ces problèmes fort étrangers aux jolies femmes, sourit-il galam- ment.

- Merci et détrompez-vous, monsieur Chartier. Ces problèmes ne me sont pas tout à fait étrangers

dans la mesure où je travaille aux côtés de Gilles qui n'est autre que le promoteur de cet institut.

- Vraiment? s'étonna-t-il. M. Novak est... à l'origine de la formation de cet organisme... non orthodoxe? Bien sûr, j 'aurais dû m'en douter...

Il avait prononcé ces derniers mots comme pour lui-même, déjà repris par ses pensées vaga- bondes.

- Ce soir, au cours du dîner ou après, vous pourrez bavarder de l'institut avec Gilles, et je suis sûre que vous sympathiserez, tous deux. Je suis, quant à moi, persuadée que votre place est parmi nous; je veux dire au sein de ces chercheurs parallèles, ce qui ne vous empêchera point de poursuivre vos activités professionnelles chez Hartford, naturellement.

- Je ne dis pas non, concéda-t-il, cependant que Claude Seignolle et Charles Floutard s'appro- chaient (une fois encore!) du buffet.

Les laissant bavarder avec l'électronicien, Régine s'excusa un instant et alla rejoindre son patron et ami qui conversait avec Georges Mail- lard. A la mine réjouie de la jeune femme, Gilles lui fit un clin d'oeil complice.

- Le bataillon de charme revient victorieux? - Oui, mais je ne retire aucune vanité de cette

victoire qui n'en est pas une : à brûle-pourpoint, Chartier m'a annoncé, simplement, qu'il dînerait avec nous.

Georges Maillard la taquina gentiment. - Pas de fausse modestie, Régine. Paul a suc-

combé à votre charme, voilà tout. - Absolument pas, Georges! protesta-t-elle. Au

milieu de la conversation, il a eu l'air absent, réfugié dans ses pensées, puis, au bout d'un long moment, il avait changé d'avis. Quelque chose, que je ne comprends pas, l'y a incité. C'est vrai que son comportement est bizarre : il m'a longue- ment regardée, puis son regard a perdu de son éclat, comme si, à mon image, s'était superpo- sée une autre image, intérieure, celle-là, et diffé- rente, qui l'accapara durant plusieurs minutes. Cela s'est produit quand je lui ai parlé - discrè- tement, en manière de travaux d'approche - de l'IMSA.

- Tu n'aurais peut-être pas dû aborder ce sujet, reprocha Gilles. J'espère que cette initiative n'ira pas à l'encontre des tentatives faites par Georges dans ce sens.

- Au contraire, Gilles! Me prendrais-tu pour une gaffeuse?

Il fit un « n o n » de la tête que démentait sa mimique assez cocasse, et Régine faillit sortir de ses gonds :

- Voilà ma récompense! Je m'escrime à jouer de la prunelle auprès de ce garçon qui se préoc- cupe autant de moi que de ses premières chaus- settes, je l'oriente discrètement vers l'antago- nisme latent existant entre les aspirations intimes de certains chercheurs et les programmes qui leur sont imposés, je vante non moins discrètement les avantages offerts à ces chercheurs par l'insti- tut, j'obtiens enfin l'accord tacite de Chartier pour être des nôtres, et tu viens me dire que je n'aurais pas dû aborder ce sujet, que je suis une gaffeuse et...

Dans un geste d'apaisement, Gilles leva la main et feignit de prêter l'oreille.

- Redis-moi cela, Régine ? Chartier serait d'ac- cord pour...?

- Tacitement, oui. Je lui ai dit que tu t'entre- tiendrais de ce problème avec lui, ce soir, après le dîner, et cela a paru vivement l'intéresser.

Ravi, Gilles, en riant, lui colla à son habitude deux baisers amicaux sur les joues.

- Tu es une collaboratrice infiniment précieu- se, Régine, et toujours dévouée! Je me demande ce que je ferais sans toi.

- Peuh! ronchonna-t-elle. Tu en chercherais une autre!

L'arrivée du peintre Floutard, passablement pressé, mit un terme à cet échange de propos aigres-doux mais sans gravité entre le directeur de « LEM et Régine qui, pour lui, était avant tout une amie.

- Bonne Mère! s'exclamait Floutard avec son savoureux accent méridional. J'espère arriver à temps à la gare de Lyon pour ne pas louper mon train ! Quel dommage que je ne puisse pas rester avec vous, ce soir! Allez, Gilles à bientôt, et compte sur moi pour t'envoyer à la date fixée les illustrations pour les papiers de Serge Hutin et Jean Haab.

» Au revoir, Régine, je te fais la bise. (Ce qu'il fit, sur ses joues roses et satinées.) Bien le bonjour à tous les amis que je n'ai pas le temps de saluer!

Et de s'éloigner en hâte vers la sortie, en s'efforçant de ne pas trop bousculer les convives avec son léger embonpoint!

Régine, restée seule avec Gilles, suivit le pein- tre du regard en esquissant une moue amusée.

- Sacré Charles! Nous avons connu de rudes moments et de bons moments aussi, avec lui, lors de la « Croisière de l'Étrange »

- Pour toi et lui? la taquina Gilles Novak en songeant, précisément, à l'idylle - éphémère - qui s'était nouée entre la jeune femme et le peintre.

Elle haussa les épaules en riant. - Je ne parlais pas de cette simple aventure

sans lendemain, mais des risques encourus. Au fait, Gilles, as-tu revu, depuis, la belle Américaine avec laquelle tu avais eu, de ton côté, une... petite aventure?

- Elle m'avait promis de m'écrire, mais elle ne l'a pas fait... Et comme, de mon côté, je suis assez bousculé...

- Et comme tu es beaucoup trop attaché à ta revue pour te lier à quelqu'un qui mène sa propre vie au-delà de l'océan, tu préfères le célibat et la liberté.

- Voilà, ma petite Régine, nos pensées se rejoignent.

- L'ennui, soupira-t-elle, c'est que ce sont seu- lement nos pensées qui se rejoignent! Sais-tu que cette liberté me pèse, parfois, et que je me demande si nous..., si tu..., si toi et moi, nous... Oh! Et puis, zut, aide-moi donc un peu au lieu de rester à me regarder, goguenard pendant que j'essaie de te faire une déclaration!

Gilles se contint pour ne pas rire de son

1. Lire : Le triangle de la mort, SF Jimmy Guieu n° 55.

e m b a r r a s m i t i g é d e f u r e u r . I l n ' i g n o r a i t c e r t e s p a s l ' a m i t i é a m o u r e u s e q u i s ' é t a i t i n s t a l l é e e n t r e e u x d e p u i s d e s a n n é e s e t q u e l e u r s a v e n t u r e s r e s p e c - t i v e s ( s a n s c o n s é q u e n c e , d ' a i l l e u r s ) n ' a v a i e n t p u a l t é r e r ; i n v a r i a b l e m e n t , v e n a i t u n m o m e n t o ù , d a n s le c r e u x d e l a v a g u e d e l e u r e x i s t e n c e , l ' u n e t l ' a u t r e se s e n t a i e n t t r è s p r o c h e s , m a i s , n o n m o i n s i n v a r i a b l e m e n t , G i l l e s se d é r o b a i t , a r g u a n t q u ' i l t e n a i t i n f i n i m e n t p l u s à u n e a m i t i é d u r a b l e q u ' à u n e a v e n t u r e l i m i t é e d a n s le t e m p s e t d o n t l ' i s s u e p o u v a i t e n g e n d r e r u n c o n f l i t p r é j u d i c i a b l e à l ' h a r - m o n i e d e l e u r s r e l a t i o n s p r o f e s s i o n n e l l e s . C e q u e t o u s d e u x , a u d e m e u r a n t , c o m p r e n a i e n t f o r t b i e n ; r e s p e c t i v e m e n t d é n u é s d e c o m p l e x e s e t d e l a m o i n d r e h y p o c r i s i e , i ls a b o r d a i e n t a l o r s f r a n c h e - m e n t c e t a r g u m e n t f i n a l e t , a p r è s d e u x b a i s e r s a m i c a u x , c h a c u n se p r o m e t t a i t d e n e p l u s r e p a r l e r d e cela . . . J u s q u ' à l a p r o c h a i n e o c c a s i o n !

D e v a n t s o n e x p r e s s i o n à l a f o i s a t t e n d r i e e t a m u s é e , R é g i n e s o u p i r a :

- C ' e s t b o n , c ' e s t b o n , j e s a i s d ' a v a n c e t o n a r g u m e n t a t i o n s u r n o t r e i n d é f e c t i b l e a m i t i é e t t o u t le r e s t e ! M a l g r é t e s b o n n e s f o r t u n e s , t u f i n i r a s c é l i b a t a i r e e t t u v e r r a s q u e ce n ' e s t p a s d rô l e . . .

- M a p e t i t e R é g i n e , c ' e s t l a p r e m i è r e f o i s q u e j e p e r ç o i s c h e z t o i c e t t e a m e r t u m e , s ' é t o n n a - t - i l . D ' h a b i t u d e , n o u s f i n i s s o n s p a r r i r e d e c e s d i s c u s - s i o n s , e t c e l a se t e r m i n e p a r d e u x ba i s e r s . . .

- S u r les j o u e s , j e sa i s ! M a i s , ce s o i r m a l g r é l ' a m b i a n c e , j e c r o i s b i e n q u e j ' a i u n p e u l e c a f a r d . B o n , p a r l o n s d ' a u t r e c h o s e , e t . . .

E l le s ' i n t e r r o m p i t e t f r o n ç a les s o u r c i l s , é t o n n é e

t o u t c o m m e G i l l e s d e c o n s t a t e r le s i l e n c e q u i s ' é t a i t é t a b l i d a n s u n g r o u p e , n o n l o i n d ' e u x . Ils s ' a p p r o c h è r e n t d e ce g r o u p e e t v i r e n t G e o r g e s M a i l l a r d q u i , a v e c i n q u i é t u d e , c o n s i d é r a i t s o n a m i C h a r t i e r , s o n v e r r e à la m a i n e t l ' a i r a b s e n t .

- Pau l? . . . E h ! P a u l ? s ' a l a r m a i t M a i l l a r d

d e v a n t le s i l e n c e d e s o n j e u n e c o n f r è r e . A v i s a n t G i l l e s v e n u à ses c ô t é s , il s o u f f l a : - J e n e sa i s p a s ce q u i lu i a p r i s . C e l a f a i t p l u s

d ' u n e m i n u t e q u ' i l s ' e s t i so lé a in s i , o u b l i a n t j u s - q u ' à n o t r e e x i s t e n c e . P a u l ? i n s i s t a - t - i l e n le p r e - n a n t p a r le b r a s p o u r le s e c o u e r .

La j e u n e é l e c t r o n i c i e n b a t t i t d e s p a u p i è r e s ; s o n r e g a r d r e d e v i n t n o r m a l e t se p o s a n o n p o i n t s u r s o n a m i , m a i s s u r G i l l e s N o v a k .

- J e t e p r o m e t s d e t o u t m e t t r e e n œ u v r e pour . . .

Il se t r o u b l a e t e n c h a î n a r a p i d e m e n t : - E x c u s e z - m o i , m o n s i e u r N o v a k . J e c r a i n s d e

n e p a s a v o i r t r è s b i e n sais i v o t r e q u e s t i o n ? F e i g n a n t d ' i g n o r e r l ' é t r a n g e t é d e s o n c o m p o r t e -

m e n t e t ce t u t o i e m e n t d é n u é d e s e n s , G i l l e s e s q u i s s a u n s o u r i r e .

- J e d i s a i s s i m p l e m e n t q u ' i l e s t t e m p s , m a i n t e - n a n t , d e s o n g e r à g a g n e r m o n p e t i t p a v i l l o n o ù le d î n e r n o u s a t t e n d . . .

Le « p e t i t » p a v i l l o n d e G i l l e s N o v a k , à l ' o r é e d e la f o r ê t d e F o n t a i n e b l e a u , é t a i t , e n fai t , u n e c o n f o r t a b l e e t s p a c i e u s e r é s i d e n c e s e c o n d a i r e ,

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