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Jean-Marc Lemelin LA VIOLENCE ET SA REPRÉSENTATION Notes de cours Domination ← Détermination Surdétermination (sous-détermination) Description ← Compréhension (comment) (quoi) Explication (pourquoi) Montrer ← Démontrer Dé/monter

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Jean-Marc Lemelin

LA VIOLENCE ET SA REPRÉSENTATION

Notes de cours

Domination ← Détermination

Surdétermination

(sous-détermination)

Description ← Compréhension

(comment) (quoi)

Explication

(pourquoi)

Montrer ← Démontrer

Dé/monter

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INTRODUCTION

Mouvement

Violence ← Pouvoir

Force

La force est physique, animale, voire bestiale ;

elle est gravitation : traction ou pulsion,

attraction ou répulsion.

La force est mécanique [Aristote, Archimède] ;

elle est technique et dynamique [Newton,

Einstein].

Dans un corps animal, elle est biologique,

physiologique, musculaire.

La force surdétermine le pouvoir et la violence.

Le pouvoir est l’exercice de la force, surtout

par l’État, qui peut le concentrer dans l’armée,

la police, la milice.

Le pouvoir détermine la violence.

La violence, dont le pouvoir ou le biopouvoir

peut avoir le monopole, est à la fois conflit,

contrainte et contact :

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Violence

Conflit ← Contrainte

Contact

[tact (toucher et doigté) et tactique]

La violence fait peur et fait mal [Yves Michaud].

Dans l’antagonisme, la violence domine ; elle est

polémique [« polemos » : guerre] et agonique

[« agon » : angoisse et agonie, lutte].

L’oppression est la violence du pouvoir.

La destruction est le pouvoir de la violence.

Le gouvernement est la force du pouvoir.

L’autorité est le pouvoir de la force.

L’agressivité est la force de la violence.

La puissance est la violence de la force.

Il n’y a pas de domination sans violence et pas

de violence sans domination ; la domination ne se

confond pas avec l’autorité ou le gouvernement.

La violence n’est pas nécessairement

l’agressivité ou la cruauté (brutalité, dureté,

férocité) ; c'est-à-dire que la violence peut

être physique ou symbolique : l’évaluation

scolaire ou universitaire est symbolique…

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La violence verbale n’est ni physique ni

symbolique ou elle est les deux, selon les

situations.

Dans ce cours, il ne sera pas question de la

violence naturelle (catastrophes, calamités,

maladies, « loi de la jungle ») et de la

violence accidentelle (accidents, incidents,

malchances, hasards).

Il sera question de la violence volontaire ou

intentionnelle, où il y a donc :

1. un bourreau : agent, sujet,

2. un acte : projet, trajet,

3. une victime : patient, objet.

Mais il est vrai qu’une victime peut devenir

bourreau à son tour.

Il y a une vérité de la violence ; elle est du

côté de la victime : c’est la violence de la

vérité.

La violence attaque le corps, d’abord dans son

animalité ou sa sexualité.

Toutefois, ce n’est pas à la victime de juger,

mais à un tiers : témoin, jury ou juge ; sinon on

est victime de l’idéologie victimaire, qui est

l’idéologie religieuse du martyr : « témoin (de

Dieu) ».

Par ailleurs, il n’y a pas de vie sans violence :

la violence (de la force) est l’origine de la

vie.

Peut-être qu’il n’y a pas de sexualité non plus

sans un minimum de violence, la sexualité ayant à

voir avec et la vie et la mort : l’orgasme n’est-

il pas une « petite mort » [Georges Bataille] ?

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En outre, il n’y a guère de représentation de la

violence, dans l’art et la littérature par

exemple, sans violence de la représentation,

comme nous le verrons avec Lautréamont et Aquin.

Enfin, il y a technique de la violence en même

temps qu’il y a violence de la technique : la

technique est à la fois représentée (montrée) et

représentante.

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I

LA CLASSIFICATION DE LA VIOLENCE

A. La violence physique

Contre les choses : la propriété

Contre les corps : la personne

La violence symbolique

Pour l’évaluation culturelle

Pour la sélection sociale

B. La violence individuelle (privée,

domestique)

La violence collective (publique, étatique,

institutionnelle, rituelle)

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II

LE SPECTRE DE LA VIOLENCE PHYSIQUE

A. La violence carnivore :

la violence contre les animaux

L’humain est (un) animal, mais l’animal n’est pas

(un) humain.

Chasse

Pêche

Domestication

Élevage

Abattage

Combat

(coqs, chiens)

Course

(lévriers, chevaux)

Corrida

(taureaux)

Cirque

Zoo

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Zoophilie

Cannibalisme non rituel

Spécisme

Il y a parfois massacre de bétail, comme en pays

xhosa au Cap, en Afrique du Sud, en 1856-1857 :

400 000 bêtes ont été abattues et 40 000 humais

en sont morts de faim ou d’épuisement. Il en a

été de même lors des épidémies : « vache folle »,

grippe ovine ou porcine.

Malheureusement, c’est encore pire actuellement

dans les abattoirs industriels, où l’on tue même

à la naissance des dizaines de millions

d’animaux, surtout la volaille (poussins,

canettes), que l’on ne mange même pas, parce

qu’ils n’ont pas été sélectionnés pour leur chair

ou parce qu’ils n’ont pas le foie qu’il faut pour

être gavés…

Cependant, s’il n’y avait pas eu la chasse et la

pêche, s’il n’y avait pas eu la viande et le

foyer pour la cuire, nous ne serions pas ici

aujourd’hui : Homo sapiens ne serait jamais

apparu ! - Mais c’est un « alibi historique »,

selon l’ « animalisme » (éthique animale ou

environnementale).

[Nécrophilie : violence contre les cadavres]

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B. La violence interlope (mafieuse ou autre)

1. La violence contre les choses ou les

biens :

Vol

Violation

(vandalisme, délinquance, « contrevenance »)

Fraude

2. La violence contre les personnes :

Trafic de drogues

Trafic d’armes

Protection

Crime organisé

Banditisme

Gangs

[Les « grands bandits » (des westerns aux films

policiers) ou les tueurs en série comme Gilles de

Rais sont sans doute des pervers ; c’est-à-dire

qu’ils se considèrent au-dessus de la Loi ; ce

sont des transgresseurs et ils détruisent les

sociétés, alors que les obsessionnels les

construisent.]

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C. La violence quotidienne : domestique,

scolaire

Foyer

École

(bizutage : initiation)

(harcèlement)

D. Les violences sexuelles

1. La violence contre les enfants

(violence générationnelle)

Punition

Coup

Blessure

Abus

Inceste

Pédérastie

Pédophilie

Viol

Meurtre

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2. La violence contre les femmes

Misogynie

Chauvinisme

Machisme

Sexisme

Harcèlement

Voyeurisme

Exhibitionnisme

Pornographie

Délits

Agressions

Proxénétisme

Traite

Viol

Meurtre

3. La violence contre les homosexuels ou les

transsexuels

Homophobie

Transphobie

Viol

Meurtre

Sadisme

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E. Les violences religieuses (sectaires,

rituelles)

Sacrifice

Inquisition

Chasse aux sorcières

Sectes

(fondamentalisme, intégrisme)

Cannibalisme rituel

Rites de passage

Initiations → Mutilations → Douleur

(« douleur infligée »)

Circoncision

Excision

Subincision

Scarification

Amputation d’un doigt

Limage ou arrachage de dents

Perçage

Tatouage

Brûlure

Bastonnade

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Brimade

Autres épreuves

L’initiation est de la torture, mais la torture

n’est pas de l’initiation.

Peine

Douleur ← Mal

(être mal, avoir mal, faire mal)

(se faire mal, se sentir mal, se donner du mal)

Souffrance

F. Les violences politiques (étatiques ou

non) et sociales

1. La violence génocidaire

Génocide

Tutsis

Juifs

(judéocide : « Shoah », « holocauste »)

Tsiganes

Arméniens

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Héréros

Amérindiens

Démocide /Politicide

(URSS, Chine, Cambodge)

Pogrom

Massacre

Carnage

Antisémitisme

Négationnisme

2. La violence ethnocidaire

Ethnocide

« nettoyage ethnique »

« purification ethnique »

« épuration ethnique »

« ethnic cleansing »

(Balkans)

Nationalisme ethnique

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3. La violence raciale

Esclavage

(servitude, asservissement)

Afro-Américains

(Non-Blancs)

Lynchage

Apartheid

(Afrique du Sud)

Ségrégation

(USA)

Racisme

4. La violence militaire

Guerre

Guerres de religions

Guerre de cent ans

Guerre de Trente ans

Guerres mondiales

Guerres Civiles

Crimes de guerre

Crimes contre l’humanité

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5. La violence révolutionnaire

Révolution

1776 : Révolution américaine

1789 : Révolution française

1917 : Révolution soviétique

1949 : Révolution chinoise

Guérilla

(Bolivie, Colombie)

6. La violence contestataire

Contestation

Manifestation

Émeute

Révolte

Grève

Attentat

Insurrection

(→ révolution ?)

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7. La violence policière

Police

Milice

(Brésil)

Sécurité

8. Le terrorisme ou le « terrolitarisme »

Le rapt ou l’enlèvement

La rançon

9. La torture (« douleur infligée »)

Torture physique

(physique, physiologique)

Torture psychologique

(« torture blanche » : sans taches ou traces)

10. La violence concentrationnaire

Centres d’extermination ou de mise à mort

Camps de concentration

Camps de réfugiés

Camps de prisonniers de guerre

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Ghettos

G. Les violences juridiques ou judiciaires

1. La violence pénitentiaire

Orphelinats

Asiles

Prisons

Pénitenciers

Travaux forcés

2. Le bâton ou le fouet : la flagellation

3. La peine de mort (supplice)

Lapidation

Crucifixion

Bûcher

Écartèlement

(Exécution du régicide Damiens le 2 mars 1757)

[voir Foucault : Surveiller et punir au début]

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Epée

Hache

Guillotine

Pal

Fusillade

(peloton d’exécution)

Pendaison

(Potence)

Injection

Électrocution

(chaise électrique)

Asphyxie

(gaz)

[chambre à gaz : Zyklon B]

Autres outils ou armes de meurtre : couteau,

poignard, marteau, masse, grenade, bombe, fusée,

torpille, poison, mains (étranglement).

Meurtres :

Homicide

Infanticide

Parricide

Matricide

Fratricide

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Régicide

Tyrannicide

Déterminer si c’est un meurtre et juger si ce

meurtre est un crime : justice.

H. La violence martiale : combat corps à

corps

Querelle

Bagarre

Bataille

Duel

Arts martiaux

I. La violence sportive

Le sport est la ritualisation de la violence,

contrairement à la chasse (qui est une

manifestation de la force) et à la guerre (qui

est la concentration, l’extension ou l’expansion

du pouvoir) ; c’est-à-dire que la violence y est

réglée par des normes ; mais il y a transgression

des règles qui conduit à la punition ou à la

suspension des acteurs (joueurs). Les spectateurs

peuvent succomber à la violence du spectacle ou

s’abandonner au spectacle de la violence

(« hooligans », bandes).

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Violence du/dans le spectacle

Arène Joute Lutte

Gladiateurs vs gladiateurs

Esclaves de Rome

Violence du rituel

Affranchissement

Vie ou mort

Arène Corrida Combat

Torero vs taureau

Violence de la ritualisation

Rite/mythe

Cérémonie

Stade Jeu Sport

Joueurs (athlètes) vs joueurs

USA (surtout basketball, football et boxe) →

Afro-Américains : descendants d’esclaves

Ritualisation de la violence

Fortune et/ou gloire

Victoire ou défaite

Spectateurs

Spectacle de/sur la violence

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J. La violence médicale

La violence médicale résulte de la violence

scientifique, de la violence de la science.

Lobotomie

(en finir avec le passé)

Euthanasie

(en finir avec le présent)

Vasectomie

(en finir avec le futur)

Laboratoires

Prothèses

Greffes d’organes

Chirurgie

(plastique, esthétique, génitale)

Transsexualisme

Alors que la chirurgie plastique cherche à

rétablir la nature (passée), la chirurgie

génitale ou sexologique cherche à établir par la

culture (future).

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K. L’autoviolence (« violence affligée »)

Automutilation

(transsexualisme, psychose, autisme)

Masochisme

Suicide et conduites suicidaires

(alcoolisme, toxicomanie)

(conduites à risques :

alpinisme, parachutisme, acrobatie, vitesse)

*

Si la violence de la nature est exclue ici, on

pourrait inclure la violence de la misère :

chômage, pauvreté, famine, épidémie ; c’est une

violence causée par la culture.

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Pour conclure cette section :

Humanité

Gestualité ← Oralité

Animalité

(sexualité)

Sensibilité ← Entendement

Imagination

Action ← Raison

Passion

Nature ← Culture

Posture

Il y a donc surdétermination par l’animalité ou

la sexualité et donc par la castration, la

finitude, la mort.

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III

LA REPRÉSENTATION DE LA VIOLENCE

La violence est représentée depuis très

longtemps :

L’art paléolitique

↓ ↓

Mobilier Immobilier

↓ ↓

Rupestre Pariétal

(extérieur) (intérieur)

[rochers] [grottes]

L’art préhistorique est peut-être structuré par

deux principes : le principe femelle de vie

(cueillette, femme, proie, blessure ; cheval et

bison) et le principe mâle de mort (chasse,

homme, prédateur, arme ; lion et ours).

→ La scène du puits de Lascaux (17 000 années)

[Picard]

L’art mésolithique et néolithique

(céramique, poterie)

[Otte]

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Les textes sacrés

La Bible

Le Coran

Les Védas

Religieux

Profane ← Sacré

Divin

La mythologie

Grecque

Latine

Nordique

Celtique

La sculpture

[Giacometti, Bernier]

La peinture

La littérature

La tragédie ne montre pas la violence ; elle la

raconte.

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La bande dessinée

La musique

Rock

Punk

Rap

La performance

Orlan

Le cinéma

Le dessin animé

Il n’y a pas de cinéma sans violence ; le cinéma

montre ce que la tragédie ne montre pas.

La presse

(écrite, parlée, télévisée)

La télévision

Les jeux vidéo

L’internet

La propagande peut faire passer la guerre pour du

travail, c’est-à-dire pour la production ou la

fécondité.

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Le sport américain (football, basketball,

baseball, boxe, etc.) est un « fruit », un résidu

ou un résultat de l’esclavage.

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IV

L’UNIVERS CONCENTRATIONNAIRE DU JUDÉOCIDE

Alors que dans Les Chants de Maldoror du comte de

Lautréamont et dans Neige noire d’Hubert Aquin,

nous avons affaire à la représentation de la

violence fictionnelle, avec le judéocide, il

s’agit de la violence factuelle.

Juifs (avec une majuscule) : peuple sémite,

peuple hébreu, parlant souvent le

yiddish (ashkénazes);

juifs (avec une minuscule) : de religion juive ou

israélite.

Le judaïsme est le premier monothéisme (Abraham,

Moïse) ; c’est la religion du Père, alors que le

christianisme est la religion du Fils.

Le judéocide (« Holocauste » aux États-Unis,

« Shoah » en Europe) est le génocide de cinq à

six millions de Juifs par les Allemands et leurs

alliés pendant la Deuxième Guerre Mondiale.

Avant le judéocide, les Juifs ont été victimes de

l’antisémitisme : ils ont été les esclaves des

Égyptiens, ils ont été les victimes de pogroms ou

de massacres ; ils ont été entassés dans des

ghettos. Les Juifs ont été accusés d’avoir tué le

Christ, qui était un Juif ; or, ce sont les

Romains qui l’ont tué sur le Golgotha, le

calvaire. Au Moyen Âge, on les a accusés

d’empoissonner l’eau des puits, d’enlever de

jeunes filles chrétiennes pour les sacrifier, de

répandre des maladies comme la peste ou la lèpre,

etc. L’antisémitisme était répandu en Russie

tsariste, en Europe de l’Est et en Europe de

l’Ouest ; les Juifs ont été expulsés d’Espagne en

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1492 et refoulés en Afrique du Nord (séfarades)

ou convertis (marranes). Au XXe siècle en

Allemagne, les Juifs ne dépassaient pas 1% de la

population. Partout dans le monde, il y en avait

quinze ou seize millions, dont trois millions ou

plus en Pologne, surtout à Varsovie, Cracovie et

Lotz, où les nazis ont établi des ghettos.

Le nazisme

1. Ses origines

. Au XIXe siècle :

- Empire austro-hongrois

- La Prusse réunie par Bismarck

- 1870 : guerre entre la Prusse et la France

. Au XXe siècle :

- Première Guerre Mondiale : défaite

- Traité de Versailles en 1919 exigeant toutes

sortes de compensations

/ rôle du président américain Wilson

- Inflation galopante

- Krach de 1929

- Faiblesse économique et politique de la

République de Weimar, malgré sa force

culturelle (Bauhaus, expressionnisme)

- Opposition au communisme

- Montée du sionisme

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2. Ses composantes comme folie et violence

collective :

. Le parti national-socialiste (nazi)

- L’élite du parti : les SS (250 000 en 1942)

- La Gestapo

- Les SA

- Hitler, Himmler et Heydrich (éliminé en 1942)

. Le totalitarisme :

Pays = État = parti unique ou dictature →

fascisme

. Le nationalisme, surtout populiste [« Volk »]

de l’espace vital, avec l’esprit guerrier de

l’Aryen.

. Un soi-disant socialisme, qui est plutôt un

capitalisme d’État, comme en URSS sous Staline à

la même époque.

. L’antisémitisme VS le « judéo-bolchévisme »

Les camps

Il y a eu des camps de concentration ou, tout au

moins, des camps de travail en Russie au XIXe

siècle : voir F. Dostoïevski Souvenirs de la

maison des morts, qui est un témoignage.

Ailleurs, il y avait la peine des galères (abolie

en France en 1748) ou les travaux forcés.

En Allemagne, les camps sont apparus en 1933,

avec l’arrivée de Hitler et de son parti au

pouvoir, et Dachau en est le modèle ; ils ont

d’abord été conçus pour enfermer et isoler les

adversaires du régime nazi : communistes,

Page 32: LA VIOLENCE ET SA REPRÉSENTATION Notes de courslemelin/violence.notes.pdf · [Les « grands bandits » (des westerns aux films policiers) ou les tueurs en série comme Gilles de

socialistes, criminels, etc. À partir du début de

la guerre en 1939, ils vont se multiplier en

Allemagne et dans l’Europe occupée : Pologne,

Tchécoslovaquie, Autriche et France (le Struthof

près de Strasbourg). Il y a une grande variation

dans le nombre de détenus : quelques centaines,

quelques milliers, plusieurs dizaine de milliers

(plus de 80 000 à Buchenwald, de 180 à 190 000 à

Auschwitz-Birkenau en mai 1944).

Certains camps sont de véritables villes, avec

des villas pour les SS et les baraques pour les

prisonniers ; il y a des ateliers, un hôpital ou

une infirmerie [« Revier »] et parfois même un

bordel. Y régnaient la bureaucratie et la

technocratie, les numéros et les statistiques, le

calcul et la terreur. Si les camps de

concentration n’avaient pas d’abord été conçus

pour le judéocide, ils le sont devenus avec la

« Solution Finale » du problème des Juifs en

Europe, à partir de 1941 ou 1942.

1. L’organisation administrative

. Himmler

. Les SS

. Les Kapos

. Les chefs ou les doyens de blocks

. Les Kommandos

- Construction

- Réparation des toits

- Coupe du bois

- Routes

- Fossés et égouts

- Cuisines

Page 33: LA VIOLENCE ET SA REPRÉSENTATION Notes de courslemelin/violence.notes.pdf · [Les « grands bandits » (des westerns aux films policiers) ou les tueurs en série comme Gilles de

- Toilettes

- Carrières

- Bagages [« Canada » à Auschwitz-Birkenau]

- Fausse monnaie

. Les Sonderkommandos

[Le nom polonais d’Auschwitz est Oswiecin.]

2. Les prisonniers ou les détenus [« Verfüghar »]

Les détenus étaient identifiés par des triangles

de différentes couleurs.

a) Avant et pendant la guerre : Allemands

. Les prisonniers de droit commun ou les

criminels : les Verts (souvent kapos ou

informateurs)

. Les prisonniers politiques, surtout des

communistes, ou d’anciens nazis : les Rouges

. Les délinquants : les Noirs

. Les Témoins de Jéhovah (objecteurs de

conscience, pacifistes : interdits en 1933,

arrêtées en 1939) : les Violets

. Les homosexuels : les Roses

b) Pendant la guerre

. Les prêtres polonais (4000-5000 à Dachau en

1942)

. Les Tziganes d’Europe de l’Est : les Bruns

. Les Juifs : les Jaunes (étoile de David +

lettre identifiant la nationalité)

Page 34: LA VIOLENCE ET SA REPRÉSENTATION Notes de courslemelin/violence.notes.pdf · [Les « grands bandits » (des westerns aux films policiers) ou les tueurs en série comme Gilles de

. Les prisonniers de guerre : France, Belgique,

Pays Bas, Europe de l’Est (Pologne, Hongrie,

Tchécoslovaquie), Russie (10 000 prisonniers

russes éliminés en quelques mois)

Que la décision ait été prise en 1941 ou en 1942,

on peut considérer que la « Solution finale » des

Juifs en Europe a commencé en pratique en juin

1941 avec l’invasion de l’URSS par l’Allemagne ;

avec parfois la collaboration des Ukrainiens, les

groupes d’intervention [« Einsatzgruppen »] ont

commencé à exécuter les Juifs et les commissaires

communistes derrière la Wehrmacht, l’armée

allemande n’étant pas elle-même étrangère au

judéocide ; 1 300 000 Juifs auraient ainsi été

éliminés, ce qui est plus qu’à Auschwitz-Birkenau

(1 000 000) et que dans les ghettos (800 000).

3. Les principaux camps

Parmi les camps de concentration, Dachau,

Buchenwald (avec Dora) et Sachsenhausen étaient

dominés par les Rouges ; Mauthausen, Flossenbürg

et Gross-Rosen étaient dominés par les Verts ;

Ravensbrück était un camp de femmes, où il y

avait peut-être une chambre à gaz en

construction.

Auschwitz-Birkenau et Maïdanek ont été des camps

de concentration et d’extermination.

Belzec, Chelmno, Sobibor et Treblinka ont été des

centres d’extermination, des « centres de mise à

mort » [Hilberg], en 1941-1943 : les chambres à

gaz son venues après les camions de gazage. Cette

technique était venue du gazage de 60 à 70 000

aliénés mentaux ou handicapés, au début de la

guerre.

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4. Le chemin de la mort

La déportation des Juifs a donc connu deux

trajets : un trajet direct, de la déportation aux

centres d’extermination, ces camps de la mort,

après la confiscation des biens ; un trajet

indirect, de la déportation aux camps de

concentration, ces camps de travail menant -

lentement ou non et avec ou sans sélection - à la

chambre à gaz et aux fours. Après le regroupement

dans des ghettos ou dans des stades, comme le

Vélodrome d’Hiver à Paris à la mi-juillet 1942

(vers Drancy), il y avait la séparation des

hommes valides d’un côté, des femmes, des enfants

et des vieillards de l’autre ; puis venait le

transport : les convois de wagons à bestiaux, où

étaient entassées de 60 à 80 personnes. A

l’arrivée à un camp comme Auschwitz-Birkenau, il

était procédé au marquage, au tatouage et au

rasage après la confiscation, avant l’attribution

des vêtements et l’assignation à une baraque,

puis à un kommando, où il fallait essayer

d’échapper à la sélection effectuée par les

médecins ; les Sonderkommandos s’occupaient de

faire entrer les gens dans les chambres à gaz, de

les sortir, d’arracher les dents en or et de

couper les cheveux avant de les enfourner et de

disposer de leurs cendres. Enfin, à l’hiver 1945,

il y a eu l’évacuation des camps et l’élimination

des plus faibles, achevés à la mitraillette sur

les routes.

Diviser, séparer, pour régner : mettre des

prisonniers de différentes catégories, de

diverses nationalités ou de diverses langues dans

une même baraque pour ne pas qu’ils s’allient et

même, au contraire, pour qu’ils se combattent. Ne

pas traiter les détenus comme des individus

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humains, mais comme des animaux que l’on mène à

l’abattoir…

Les chambres à gaz ont été un moyen pour les SS,

ainsi épargnés d’aller se battre sur le front de

l’Est et de risquer d’y mourir, de ne plus faire

face directement au meurtre, à la mort : il est

plus facile de tuer à distance – avec la bomme

atomique à Hiroshima et à Nakazaki en août 1945,

par exemple – que de tuer en contact. Les nazis

eux-mêmes ont pu craquer après avoir tué ;

Himmler lui-même se serait évanoui après avoir

assisté à une exécution ou à un gazage.

Tuer n’est pas la règle humaine.

5. La violence et la souffrance

. La discipline en vue des humiliations

. La soi-disant propreté (rasage, nettoyage)

. La routine (cérémonial, rituel)

- Les appels

- Les saluts aux SS

- Les sélections en vue des transports

. Le contrôle

- L’interception du courrier et des colis

- Les fausses cartes postales

- La confiscation des biens

. Le travail : les kommandos

« Le travail rend libre »

- Le travail inutile

- Le travail utile pour la guerre (Dora, mais

les fusées V1 et V2 n’ont guère fonctionné ou

ont mal fonctionné)

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. La misère

- La soif

- La faim

- Le froid

- Fatigue

- La maladie (dysenterie, typhus transmis par

les poux)

- La faiblesse : les « musulmans » comme morts-

vivants ou vivants-morts

. La saleté et la promiscuité

- La vermine (rats, poux, punaises)

- La crasse, la boue, la merde, le sang

- Les vêtements et les chaussures dépareillées

- Les baraques surpeuplées

. La brutalité

- Les chiens entraînés à tuer

- Les coups

- Le bâton ou le fouet

. La cruauté

- La torture (brûlures, torsions, électrochocs)

- Les expériences médicales (soi-disant

scientifiques)

/ Stérilisation

/ Endurance à l’eau froide

/ Eugénisme

/ Injection de virus

(cancer, malaria, typhus)

/ drogues

/ Josef Mengele et les jumeaux

- Les exécutions

/ Garrot

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/ Balle dans la nuque

/ Pendaison

/ Injection létale au Revier

/ Gaz et four : la machine à tuer

- Les suicides sur les barbelés

. Le cynisme

- Les concerts

- Les jeux

6. La résistance et la survivance

. Ralentissement du travail

. Sabotage

. Révolte

. Évasions

. Insurrections : Sobibor, Treblinka, Birkenau,

ghetto de Varsovie (avril 1943)

. « Organiser » : chance, vol

. Les cigarettes comme monnaie

. La collaboration et le mouchardage

. L’homosexualité

Survivre pour témoigner.

Témoigner pour survivre.

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Les causes du nazisme et donc du judéocide

1. Une cause historique

Chez les historiens, il y a un débat qui oppose

les intentionnalistes et les fonctionnalistes.

Pour l’intentionnalisme, l’antisémitisme est la

cause de la guerre et du judéocide. L’intention

d’exterminer les Juifs existait depuis la

fondation du parti-nationaliste, depuis Mon

combat d’Adolf Hitler en 1925 (après le putsch

raté du 9 novembre 1923 à Munich), depuis la

prise du pouvoir en 1933 et a fortiori avec le

début de la guerre. Il est vrai aussi qu’il y a

une « idéologie allemande », de l’idéalisme en

philosophie au romantisme en littérature, depuis

au moins le XVIIIe siècle, sinon depuis la

Réforme de Luther, à l’effet que l’Allemagne ou

la Germanie avait la mission civilisatrice de

sauver l’Europe contre la « barbarie » de l’Asie.

Le nazisme serait donc passé de l’euphorie de la

victoire à la dysphorie de la défaite en 1942 ; à

moins que la « Solution finale » n’ait été

décidée au contraire dans l’euphorie même de la

victoire à l’été 1941, avec l’opération

Barborossa…

Pour le fonctionnalisme, ladite solution est un

effet de la guerre et des défaites ; le génocide

est le résultat de la dégringolade ou de la

débandade de l’Allemagne en URSS ; il est le

dérapage de l’appareil nazi, qui est plein

d’incohérences et de contradictions, d’absence de

décisions ou de décisions contradictoires,

d’intérêts contraires entre l’économie de la

guerre et l’idéologie de la race, de luttes de

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pouvoir (Himmler, Göring, Goebbels, etc.) autour

de la personne du chef, du guide.

Il faudrait voir comment se départagent ainsi les

historiens selon qu’ils sont Juifs ou non.

2. Une cause sociologique ou socio-historique

Pour Nicos Poulantzas et le socialisme, le

nazisme est l’aboutissement du développement

impérialiste dans une économie de guerre. Lénine

avait déjà entrevu que l’impérialisme conduisait

à la guerre, mais cela n’explique pas les camps

de concentration et les centres d’extermination ;

c’est-à-dire que même si les SS ont fait de

l’argent avec les camps, ceux-ci ont fini par

avoir un caractère particulièrement

antiproductif, destructif. Il aurait sans doute

été plus productif de mieux nourrir les détenus

pour les faire travailler davantage. Les

intentionnalistes y verraient un argument en

faveur de leur thèse : le judéocide n’était pas

un moyen mais une fin, le but de la guerre.

3. Une cause psycho-historique

Pour Wilhem Reich, qui a essayé de concilier Marx

et Freud, il s’agit de la dérive des masses, qui

s’identifient à un chef, au guide, au Führer. On

ne saurait minimiser la forte personnalité et la

figure charismatique d’Adolf Hitler [Kershaw] ;

mais seul, il n’aurait rien pu faire et il avait

déjà raté son coup d’État avant de se retrouver

en prison. La folie individuelle ne peut

expliquer la folie collective, même s’il n’y a

pas de violence collective sans violence

individuelle. S’il n’y avait pas eu la

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collaboration des Allemands et d’autres peuples

(les Polonais, les Ukrainiens, les Lituaniens,

les Roumains, les Français, les Hongrois), les

nazis n’auraient pas pu déporter et exterminer

les Juifs : quand Adolf Eichmann est arrivé à

Budapest en 1944 pour procéder à la déportation

de 300 ou 400 000 Juifs hongrois en quelques

mois, il n’avait avec lui que 250 SS…

4. Une cause psycho-religieuse

Pour Robert Lifton, qui s’inspire librement de

Freud, il s’agit avec le nazisme d’une nouvelle

religion, de la sécularisation de la religion

pour contrecarrer l’angoisse de la mort et

aspirer à l’immortalité ; il s’agirait du double

caractère de la pulsion de mort. Lifton a analysé

des témoignages et il a rencontré des médecins

nazis qui, d’un côté ont soigné, de l’autre ont

torturé ou expérimenté ; il en conclut que ces

bourreaux souffrent d’un dédoublement de

personnalité ou d’une personnalité double : de la

main droite, ils font le bien ; de la main

gauche, ils font le mal. Ils sont donc

psychotiques, comme Hitler, Staline ou Mao…

Pour Patrick Bruneteaux, qui s’inspire de Lifton,

de la théorie de la civilisation de Norbert Elias

et de nombreux témoignages de rescapés, il s’agit

d’un dédoublement institutionnel et individuel,

le « dédoublement négatif » étant celui des

bourreaux dans les camps : des sadiques aspirant

à la divinité et à l’éternité - le Reich de mille

ans ! Selon lui, c’est le même dédoublement chez

les tueurs en série, les guerriers colonisateurs,

les minorités racistes comme le KKK – et les

maniaques ou les fanatiques des faits divers…

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Éric Michaud, lui, considère le national-

socialisme comme un « national-christianisme »

s’opposant à un christianisme universel et le

Führer étant un Christ, un Messie, un Sauveur ;

il s’agit donc de dépasser le christianisme (la

civilisation) pour surpasser le judaïsme (la

barbarie), ainsi trépassé : dépasser la

civilisation même par la culture [« Kultur »].

Pour Hitler, il s’agissait d’opposer l’obsession

des « fondateurs de culture » (les Aryens ou

l’Esprit : le peuple, la race - le visible), qui

sont des architectes et des artistes ou des

créateurs en leur souveraineté spirituelle, à la

perversion des « destructeurs de culture » (les

Juifs ou le Père : l’anti-peuple, l’anti-race -

l’invisible), qui sont des iconoclastes en leur

souveraineté matérielle, en se fondant sur la

technique des « porteurs de culture » (les

Chrétiens ou le Fils), qui sont des iconolâtres

ou des (re)producteurs en leur fécondité - même

si ce ne sont que des « peuples inférieurs »

(humbles ou soumis, tout au plus fiers)… Le Reich

de mille ans : le nouveau millénarisme indo-

européen s’incarne dans une « Communauté

d’artistes soldats travailleurs » (soit les trois

fonctions ou les trois ordres de ladite

civilisation indo-européenne : la guerre, la

souveraineté et la fécondité) et les cortèges de

l’art, la pureté de l’art égalant la pureté de la

race et l’image se substituant au langage ou le

visible au lisible ; le langage est ainsi

éconduit à son essence qui est le contact de la

voix : l’interjection, l’exclamation, le cri –

l’invective, qui est la voie de Hitler. En les

termes de la psychanalyse, cela signifie : élever

une obsession au rang d’une religion, une

religion individuelle au rang d’obsession

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collective, dans la « constante négation de toute

perte de l’objet aimé ».

Dans l’esthétisation de la politique, par la

propagande et par l’art, par la photographie et

le cinéma, par la peinture et la sculpture,

Hitler et Himmler - qui étaient loin d’être beaux

- considéraient que les Juifs étaient laids,

comme leurs costumes et leurs coutumes, et qu’ils

ne pouvaient donc pas représenter le bien et la

beauté de l’enfance et des jeunes filles blondes,

car le beau est le bien (selon Amos Shouv et

Michel Prazan).

5. Une cause « pédagogique »

Selon Alice Miller, il n’y a pas lieu de chercher

les sources ou les racines de la violence dans un

instinct agressif (inné) ou dans une pulsion de

mort (enquise/conquise), mais plutôt dans

l’éducation (acquise/requise), dans la pédagogie,

qu’elle qualifie de « pédagogie noire », où on

enseigne aux parents comment et pourquoi punir

les enfants ou aux instituteurs comment contrôler

les élèves : les enfants qui sont victimes de

sévices ou de châtiments corporels à la maison ou

à l’école deviennent des bourreaux à leur tour.

Selon elle, toutes les victimes ne deviennent pas

des bourreaux, mais tous les bourreaux ont été

des victimes. La « pédagogie noire » enseigne la

haine, qui conduit à la colère et à la violence.

Elle parle de Jurgen Bartsch (1946-1977), qui

serait un nouveau Gilles de Rais et qui a tué au

moins quatre enfants quand il avait entre seize

et dix-neuf ou vingt ans : des infanticides d’une

extrême violence avec jouissance sexuelle ; il

aurait voulu en tuer une centaine. En 1971, il a

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accepté d’être châtré. Dans le cas de Bartsch, il

s’agirait de l’identification à l’agresseur, au

bourreau, Bartsch ayant été la victime de la

violence quand il était enfant.

Mais Miller a-t-elle raison d’en tirer les mêmes

conclusions à propos d’Adolf Hitler qui, à notre

connaissance n’a jamais tué lui-même, sauf peut-

être pendant la Première Guerre Mondiale ? Il est

vrai que son suicide est un passage à l’acte : il

a pu retourner cette violence en se tirant une

balle dans la tête comme Aquin. Lui qui avait été

dans la poursuite toute sa vie n’a pas choisi la

fuite. Le pouvait-il ? – On peut en douter.

6. Une cause ontologique

Pour Martin Heidegger, qui s’est lui-même

grandement compromis avec le nazisme, le

judéocide est le triomphe technique de la

métaphysique, c’est-à-dire de l’humanisme, et le

triomphe métaphysique de la technique dans les

camps et avec la bombe atomique ; il compare à

tort – sauf peut-être pour les fervents adeptes

de l’« animalisme » ou de l’ « antispécisme » –

la machine de mort nazie ou les crématoires et

l’industrialisation de l’agriculture et de

l’élevage ou des abattoirs : pour le « spécisme »

qui serait le nôtre, il n’y a pas de commune

mesure.

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7. Une cause métapsychologique et métabiologique

Dans la pulsion de mort, qui est la pulsion de

retour à l’inorganique, au non-vivant, et qui est

aussi compulsion de répétition, il y a la haine

et l’ignorance – deux des trois « passions

fondamentales » avec l’amour, selon Lacan – de

l’antisémitisme, du racisme, du nazisme, qui a

cherché à réduire des hommes au rang de sous-

hommes, d’animaux, de proies, de parasites ; mais

les nazis ont échoué, puisqu’il y a eu des

rescapés, des survivants. Le judaïsme, comme

religion du Père, érige beaucoup d’interdits

sexuels et alimentaires ; le nazisme a cherché à

transgresser ces interdits, plus particulièrement

l’interdit du meurtre dans la dénégation de la

castration, de la finitude et de la mort. En

somme, les SS sont retournés à un interdit encore

plus archaïque : l’interdit de l’infeste :

l’étrange, l’étranger, l’autre, l’ennemi – le

Juif (peuple élu) ou le juif (religion

monothéiste) devenu race (à éliminer).

La violence est source de souffrance ; mais la

souffrance peut aussi être source de violence. –

Pensons à la défaite : après une défaite

(politique, militaire, sportive, sentimentale),

il peut y avoir la tristesse, la mélancolie,

l’envie, le ressentiment, le désir de vengeance

et donc le passage à l’acte, dans le crime

passionnel par exemple. C’est dire que l’échec

est dangereux ; c’est ce qui explique en partie

la violence dans les écoles contre les

instituteurs et contre les meilleurs élèves. La

défaite ou l’échec – l’échec de Hitler et de

Himmler, des nazis et des SS, à partir de la fin

de 1941 (car Hitler pensait avoir vaincu l’URSS

avant 1942) - précipite, accélère la folie

meurtrière : l’euphorie de la victoire jusque-là

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cède la place à la dysphorie de la défaite ;

c’est là la césure. Mais après que les Allemands

aient compris ou accepté à l’hiver 1943, qu’ils

allaient perdre la guerre, dans un délire

maniaque ou mégalomaniaque et dans la

cyclothymie, pendant que le Sonderkommando 1005

commence à effacer les traces des carnages

(statistiques en main), prend place l’euphorie de

la vengeance : perdre la bataille de la guerre

mais gagner la lutte de la civilisation indo-

européenne contre la « barbarie » juive, sémite,

sémitique – asiatique. Parce qu’il ne peut pas y

avoir le Reich de mille ans – Hitler rêvait de

reconstruire les monuments de l’Europe conquise ;

il avait son architecte : Albert Speer -, au

moins il n’y aura plus d’ennemis de la race

aryenne. Le nazisme aurait ainsi vu son

mouvement, alliant l’esprit grec et la technique

allemande selon Mein Kampf, se fixer dans le

monument : l’animal dans le minéral, la vie dans

la mort.

La folie collective est-elle pensable comme

identification au chef, comme imitation, comme

contagion ? Ou n’est-ce pas plutôt la déroute –

déroute non pas individuelle ou collective mais

transindividuelle – du principe d’individuation

et la dérive du principe d’humanité : « les Juifs

ne sont pas des individus et ce ne sont pas des

hommes mais des sous-hommes ; nous sommes des

surhommes ». Mais, en même temps, les nazis,

surtout les SS, ne sont plus, eux aussi des

individus mais une foule, une masse, un peuple –

le pouvoir du Volk incarné dans la personne du

Führer, un nouveau Dieu vivant.

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Conclusion

La violence politique, étatique, militaire,

guerrière est sans doute le modèle de la violence

collective ; on aurait pu croire ou espérer que

le judéocide serait le dernier génocide. Mais il

y a quand même eu le génocide des Tutsis au

Rwanda en 1994, avec peut-être un million de

morts en quelques mois, soit plusieurs milliers

par jour et sans chambres à gaz, à la machette et

à la mitraillette : c’était du « travail » comme

dans les camps. Dans les deux cas, il s’agissait

des crimes d’une majorité contre une minorité ;

alors que dans le cas de l’Apartheid en Afrique

du Sud, il s’agissait des crimes d’une minorité

contre la majorité.

Les criminels de guerre nazis, lors des procès de

Nuremberg dans les années 1940 et du procès

d’Eichmann dans les années 1960, proclamaient

leur innocence en disant qu’ils ne savaient pas

ou qu’ils obéissaient aux ordres comme tous les

militaires ; les Allemands qui n’étaient pas

nazis ont aussi prétendu qu’ils ne savaient pas,

alors qu’ils ne pouvaient pas ne pas sentir

l’odeur de la chair brûlée sortant des cheminées

des crématoires. D’autres disent que la Wehrmacht

n’a rien eu à faire avec le judéocide et c’est

aussi faux. Il y a donc une culpabilité

allemande [Longerich] ; mais il y a aussi une

responsabilité alliée : française, britannique,

américaine : l’existence des camps de

concentration était connue depuis 1942 [Karski,

Wetzler] ; des évadés avaient proposé aux

Britanniques et aux Américains de bombarder les

rails des chemins de fer menant à Auschwitz-

Birkenau, surtout pour au moins empêcher la

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déportation de 300 ou 400 000 Juifs de Hongrie ;

mais les Alliés voulaient gagner la guerre et non

pas sauver les Juifs. Churchill et Roosevelt

n’étaient peut-être pas antisémites, mais ils

n’étaient pas non plus philosémites…

Guerre/Judéocide ← Antisémitisme

(fonctionnalisme) (intentionnalisme)

[présent] [passé]

Reich de mille ans

(économie et idéologie

de la « Kultur » indo-européenne ou aryenne

ou de la mission allemande en Europe :

espace vital et utopie)

[futur]

Il demeure que la théorie de la violence est

nécessairement orientée (guidée ou biaisée), ou

bien par la discipline : biologie, sociobiologie,

sociologie, anthropologie, criminologie,

philosophie, morale, économie, droit,

psychiatrie, psychologie, psychanalyse

(métapsychologie), ou bien par la doctrine,

c’est-à-dire par la politique et l’idéologie, de

droite (racisme, antisémitisme, colonialisme,

libéralisme) ou de gauche (anarchisme,

socialisme, communisme, féminisme).

Par ailleurs et enfin, il appert que pour

certains et d’un monothéisme à l’autre, la

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violence est synonyme de rédemption ; alors que

pour d’autres, la représentation de la violence

est source de sublimation, surtout dans la

violence de la représentation.

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V

LES AFFECTS ET LA VIOLENCE

L’affectivité peut être euphorique

(plaisir) ou dysphorique (déplaisir).

Thymie

↓ ↓

Phorie Pathie

Phorie

Euphorie Dysphorie

X

Emphorie Aphorie

L’affect est l’affection en son sens négatif et

passif ou dysphorique : « être affecté par » =

être sujet à la souffrance, à la douleur, au

mal : à la peine (« subjectus »). L’affect est

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lié à la passion comme passivité et passibilité,

« être passible de » étant affaire de

susceptibilité et de responsabilité. Il n’y a pas

d’affect sans infect. L’affect est plus passif

plus profond que l’émotion et encore plus que le

sentiment : l’amitié n’est pas un affect ;

l’amour est une passion, comme la haine et

l’ignorance.

« affectus » → « Affekt »

« affectio » → affection (tendresse)

« affectatus » → affectation

Il y a une grande difficulté, voire une

impossibilité, de représentation de l’affect ;

mais nous allons quand même essayer d’en proposer

une typologie en rapport avec Les Chants de

Maldoror de Lautréamont (poésie en prose), Neige

noire d’Hubert Aquin (roman-écran) et d’Incendies

de Denis Villeneuve (film).

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Typologie des affects

La nostalgie (← tournée vers le passé)

est le contraire de l’attente (→ tournée vers le

futur). Elle est liée aux souvenirs et donc aux

analepses ou à la rétrospective. Dans Les Chants

[CM], la nostalgie est reliée à l’enfance et à

l’adolescence ; dans Neige noire [NN], c’est le

lien avec le passé de Sylvie, la jeune femme de

Nicolas ; dans Incendies [I], il s’agit de la vie

passée de la mère.

L’attente est un effort de l’imagination,

qui est la faculté d’anticipation du futur et

donc de la mort ; elle est liée à la curiosité et

à l’espoir. Il n’y a pas beaucoup d’attente dans

CM, sauf dans le Chant sixième ; dans NN, il y a

l’attente du dernier ou de l’avant-dernier

voyage ; dans I, il y attente des nouvelles.

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La surprise n’est pas nécessairement

négative, mais elle est passive ; on peut aimer

les surprises ou ne pas les aimer, comme les

autistes – personne n’aime les mauvaises

surprises : l’annonce de la mort subite d’une

personne que l’on connaît ou aime, par exemple.

La surprise est un choc : le lecteur de C et de

NN ou le spectateur de I ne peut qu’être choqué.

Dans NN, on va d’une surprise à l’autre, jusqu’à

l’ultime surprise, qui est la révélation du

secret ; il n’y a pas autant de surprises dans I,

mais il y aussi la surprise du secret final ;

dans CM, il n’y a guère de surprise, parce qu’il

n’y a presque pas de suspense, sauf peut-être

dans le dernier chant. La surprise est reliée au

suspense.

La peur est un affect provoqué par une

situation objective, par un danger de blessure,

d’accident, de maladie ou de mort. La peur d’un

acteur - par exemple, Sylvie ou Linda dans NN –

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peut être partagée par le narrateur ou par le

narrataire. La suite de la peur est la défense ou

l’attaque, la fuite ou la paralysie. Dans I, la

mère va de l’une à l’autre, alors que son fils

préfère la fuite et sa sœur jumelle, plutôt

l’attaque. La crainte est une peur mêlée

d’inquiétude ; l’épouvante est en outre mêlée

d’horreur.

La terreur est un effroi poussé jusqu’à

la panique devant une terreur objective

(politique, militaire), comme la Terreur par

Robespierre et la Montagne pendant la Révolution

française ; c’est un affect que l’on retrouve

beaucoup dans les films d’Alfred Hitchcock,

Psycho surtout, plus que dans les films

d’horreur, où le spectateur est averti et prêt et

donc moins susceptible d’être affecté.

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La stupeur est la terreur conduisant à la

stupéfaction et à une sorte de stupidité, dans un

sentiment d’impuissance. C’est ce qui arrive à la

mère dans I, quand elle découvre le secret avant

tout le monde, avant les autres acteurs et avant

le spectateur, ou à Michel, le père de Sylvie,

dans NN, quand il apprend le destin fatal de sa

fille. La stupeur est la limite de l’affect : pas

d’affect ou désaffectée…

La pitié tient de la sympathie et la

compassion consiste à compatir, soit à « souffrir

avec », de « pâtir ». Il n’y a pas de compassion

sans empathie ; de là la difficulté des autistes,

qui ont de la misère à se mettre à la place des

autres.

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Pathie

Sympathie Antipathie

X

Empathie Apathie

Le « pathos » est ce que l’on éprouve ; il est

souffrance ou passion, affection ou maladie.

Maldoror dans CM, Nicolas dans NN et le violeur

dans I sont impitoyables ; même s’il arrive à

Maldoror d’être éprouvé, ébranlé, sans cependant

susciter la pitié du lecteur. Ni CM ni NN ne sont

pathétiques ; mais I ne manque pas de pathétisme

sans être passionnant, seulement passionné ou

passionnel.

La jalousie a quelque chose à voir avec

la paranoïa et une homosexualité refoulée :

Othello, Swann ou le narrateur de À la recherche

du temps perdu de Proust. La jalousie est source

de violence, de colère, de meurtre ; elle

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consiste à refuser l’échange des personnes, dans

le doute et le soupçon et dans le désir de

possession exclusive : la folie jalouse et

meurtrière de Nicolas dans NN.

L’envie consiste à désirer, non pas ce

que l’on n’a pas ou plus comme dans la jalousie,

mais à désirer ce que les autres ont : désirer

une femme mariée ou un homme marié n’est pas de

la jalousie mais de l’envie. Celle-ci peut aller

jusqu’à la revendication hystérique, jusqu’à la

vindicte, comme dans CM, où il y a désir de

punition. L’envie pousse au vol et il arrive que

le vol soit le but ou la fin du meurtre ; c’est

pourquoi beaucoup de criminels nazis et de leurs

collaborateurs étaient d’abord des bandits, des

voleurs, avant d’être des idéologues racistes.

Le dégoût est un affect en face de ce qui

est considéré comme étant du côté de la

répugnance ; ce peut être la laideur, la maladie,

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la monstruosité, la mort ou la vie elle-même :

Maldoror est répugné par la vie, l’homme et le

Créateur ; mais il est aussi répugnant, comme

Nicolas et le violeur.

Le mépris est un dégoût moins passif et

moins réactif ; il est proche de la haine ou de

la volonté de puissance : Maldoror méprise les

hommes parce qu’il se sent supérieur à eux ; le

spectateur méprise le violeur. Il y a du mépris

dans l’indifférence. La colère (rage, fureur,

furie) est un mépris agressif ; elle peut faire

passer de l’agressivité à l’agression.

L’anxiété (le cafard, le blues) est un

affect conscient lié au stress ou à

l’insécurité ; elle est source ou proche de la

mélancolie, de la tristesse : les femmes dans NN

et le jumeau dans I.

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L’angoisse est un affect dont la source

est inconsciente ; c’est le sentiment de

culpabilité : se sentir coupable sans être

coupable, comme la mère dans I.

L’inquiétante étrangeté est le sentiment

ou l’impression du familier, du déjà vu, du déjà

vécu ; par exemple dans un rêve d’angoisse,

l’impression d’être enfermé, qui est le fantasme

du retour au sein maternel et à l’état de fœtus.

Le sadisme et le masochisme ne sont pas

des affects, car il y a inversion de la dysphorie

du déplaisir dans l’euphorie du plaisir :

l’orgasme est le « grand frisson » du sadique,

qui ne choisit évidemment pas le masochiste comme

victime…

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La honte, le regret, le remords, le

repentir, l’inquiétude, la mélancolie, le deuil,

la détresse (S.O.S), le désarroi, le désespoir et

l’ennui (solitude, exil, spleen) sont des affects

qui sont moins dangereux pour les autres. Les

traumatismes sont des affects extrêmes, limites,

chez certaines victimes.

Devant les affects, il peut y avoir des

réactions ou des mécanismes de défense, qui ne

sont pas des « formations de compromis » ou des

symptômes. Du côté de la névrose, il y a le

refoulement [« Verdrängung »], qui est l’un des

destins de la pulsion. Du côté de la perversion,

il y a le désaveu, qui est récusation ; le déni,

qui est refus ; le démenti [« Verleugnung »], qui

est rejet [« Verwerfung »] de ce qui est

considéré comme mensonge [« Lüge »] : « Non, ce

n’est pas vrai… » ; la dénégation

[« Verneinung »], qui est la contradiction entre

le savoir (conscient) et le croire

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(inconscient) : « Je sais bien, mais (j’y crois)

quand même… » Du côté de la psychose, il y a la

forclusion du Nom-du-Père, qui est scotomisation,

division, refente ou clivage [« Spaltung »].

JML/janvier-mars 2012

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Quatre Discours et camps

Dans sa sémantique ou son « envers », la

psychanalyse de Jacques Lacan distingue quatre

Discours, qui sont des pratiques sociales : selon

quatre places [l’agent ou le semblant (qui est le

désir), l’autre (ou le travail de l’Autre), la

production comme perte et la vérité] et selon

quatre termes [le signifiant maître (S1), le

savoir (S2), le sujet (S barré ou divisé) et

l’objet petit a (ou la jouissance dite « plus-de-

jouir » : a)].

Ce sont le Discours du Maître, le Discours de

l’Universitaire, le Discours de l’Hystérique et

le Discours de l’Analyste.

À partir de là, nous proposerions que, dans les

camps de concentration, il y a eu fusion ou

condensation du Discours du Maître (M) et du

Discours de l’Universitaire (U) :

M U

Maîtrise Technique

Discipline Doctrine

Pouvoir Savoir

« Religion » nazie « Théologie » aryenne

Politique : Science :

Propagande (antisémitisme) Biologie (eugénisme)

Guerre Médecine

Totalitarisme Nationalisme/Racisme

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Obsession Paranoïa

(névrose) (psychose)

Salut fasciste Croix gammée (← gamma)

(bras tendu) (svastika)

[SS, dont l’emblème ou l’insigne est la tête de mort]

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Note sur la castration

La castration n’est pas réelle – sauf pour les

castrats de l’opéra et pour une secte somme les

Hijras en Inde - ; elle est synonyme de division

du sujet, de différence sexuelle (entre les sexes

mais aussi pour chaque individu ou « dividu » :

personne n’a la même sexualité hétérosexuelle,

homosexuelle, transsexuelle ou autre), d’interdit

de l’inceste et d’interdit du meurtre, de

finitude et de mort, la mort étant l’ultime

castration, la castration finale et définitive.

La castration est séparation : séparation

ombilicale lors de la naissance, séparation orale

lors du sevrage, séparation anale lors de

l’acquisition de la propreté, séparation

phallique ou symbolique (oedipienne) avec

l’interdit de l’inceste.

Pour la psychanalyste Françoise Dolto, le

vampirisme est le retour du refoulé de la

castration ombilicale et le cannibalisme est le

retour du refoulé de la castration orale ; peut-

être que le vampirisme est au cannibalisme ce que

l’anorexie (être maigre comme le fœtus) est à la

boulimie (être grosse comme la mère)…

Dans les deux cas selon nous, il s’agirait du

retour du refoulé de ce que nous appelons

l’interdit de l’infeste et ce que l’anthropologue

Alain Testart nomme le tabou du sang ou

« l’idéologie du sang » : le tabou du sang

maternel (matriciel et menstruel) et criminel.

Il y a dénégation de la castration dans la

chirurgie esthétique ou génitale, le vol

(kleptomanie), la mode, la collection, la

construction, l’élévation, etc.

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Note sur la pulsion

La pulsion [« Trieb »] n’est pas l’instinct

(naturel) ; elle n’est ni innée (nature

individuelle, universelle) ni acquise/requise

(culture collective, particulière) ; elle est

enquise/conquise (posture transindividuelle,

singulière) : limite ou frontière entre le soma

et la psyché, elle est donc psychosomatique.

On peu distinguer les « pulsions de moi », qui

sont des pulsions de conservation, et les

« pulsions d’objet », qui sont libidinales ou

sexuelles (prédation) ; on peut aussi distinguer

les « pulsions de vie » et la « pulsion de

mort ».

Libido ← Désir

Pulsion

(affect)

Fantasme ← Angoisse

Symptôme

(jouissance)

Philosophie ← Grammaire

Psychanalyse

JML/5 février 2012

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Note sur le transsexualisme

La fécondité est à la fois travail et sexualité,

production et reproduction. Depuis toujours la

sexualité a été séparée de la reproduction, ne

serait-ce que par l’avortement ou l’infanticide,

bien avant la contraception grâce à la pilule.

Depuis, est venue la reproduction sans

sexualité : la procréatique.

Avec le transsexualisme, un autre pas est

franchi : advient ce que Pierre Legendre appelle

la « conception bouchère » du sexe.

Pour la psychanalyse, il n’y a pas de sexe sans

fantasme : le transsexuel franchit la frontière

entre le fantasme et la réalité et entre les

pulsions de vie et la pulsion de mort. Pour le

transsexuel, changer de vêtements ne suffit

plus ; il lui faut changer de peau. En cela –

comme je l’ai déjà dit -, il est le contraire de

l’autiste, qui ne veut rien changer et qui veut

s’envelopper dan sa peau ou dans la peau de sa

mère ou de sa grand-mère maternelle.

Le fantasme de l’hystérique est un fantasme du

regard ; dans la « pulsion scopique » selon

Jacques Lacan, il ou elle se demande s’il ou elle

est un homme ou une femme. C’est un fantasme

bisexuel : ou bien il ou elle s’identifie à un

objet hétérosexuel et il ou elle identifie un

sujet homosexuel dont il ou elle sera l’objet,

dans une position masochiste ; ou bien il ou elle

identifie un objet homosexuel et il ou elle

s’identifie à un sujet hétérosexuel pour

maîtriser cet objet, dans une position sadique.

Si le transsexuel est un homme, en devenant femme

(à qui il s’identifie), il devient l’objet d’un

homme, du regard de l’homme qui l’identifie et

est un acteur, un observateur ou un spectateur.

Alors que l’autiste ne réussit sans doute jamais

à être ou à devenir ce qu’il est, le transsexuel

réussit peut-être ou toujours à être ou à devenir

ce qu’il n’est pas… Pour l’autiste, l’autre (le

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monde, l’avoir, le soi) n’existe pas ou existe

moins ; pour le transsexualiste, le même

(l’homme, l’être, le moi) n’existe pas ou

n’existe que pour être un autre : chirurgie,

hormones, entraînement.

Mais la chirurgie sexologique, qui permet de

changer de peau, de corps, ne permet pas de

changer de sexe et de donner l’amour ou le

bonheur, même dans la fusion ou la confusion du

plaisir et de la jouissance, de l’organe et de

l’orgasme. C’est la même chose pour la chirurgie

esthétique : nez, yeux, oreilles, seins, hanches,

etc. Le sexe est une question de phallus, qui

n’est pas un organe, le pénis, mais un symbole :

l’avoir ou pas, l’avoir ou l’être, ne pas être

sans l’avoir, ne pas l’avoir sans être…

C’est ce que les médecins, les psychiatres et les

chirurgiens, qui sont des bouchers ou des

sadiques, ne comprennent pas, dans leur fantasme

sadomasochiste où, bourreaux, ils s’identifient à

leurs victimes ! C’est ce que les juristes ont

compris - malgré les « Women Studies » et les

« Queer Studies ».

JML/avril 2010