la variation terminologique : un modèle à trois composantes

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JULIE PELLETIER LA VARIATION TERMINOLOGIQUE : UN MODÈLE À TROIS COMPOSANTES Thèse présentée à la Faculté des études supérieures et postdoctorales de l'Université Laval dans le cadre du programme de doctorat en linguistique pour l'obtention du grade de Philosophiae Doctor (Ph.D.) DÉPARTEMENT DE LANGUES, LINGUISTIQUE ET TRADUCTION FACULTÉ DES LETTRES UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC 2012 © Julie Pelletier, 2012

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Page 1: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

JULIE PELLETIER

LA VARIATION TERMINOLOGIQUE : UN MODÈLE À TROIS COMPOSANTES

Thèse présentée

à la Faculté des études supérieures et postdoctorales de l'Université Laval

dans le cadre du programme de doctorat en linguistique

pour l'obtention du grade de Philosophiae Doctor (Ph.D.)

DÉPARTEMENT DE LANGUES, LINGUISTIQUE ET TRADUCTION

FACULTÉ DES LETTRES

UNIVERSITÉ LAVAL

QUÉBEC

2012

© Julie Pelletier, 2012

Page 2: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

ii

Résumé

Lorsque les monstres désignent les « électroménagers », la décharge sauvage un « lieu de

déchet illicite », quels sont les mécanismes mis en œuvre dans le processus de

métaphorisation terminologique? Le déchet peut désigner à l a fois la « matière

valorisable » et la « matière à éliminer ». Le déchet devient au fil du t emps, dans les

textes de loi au Québec, la matière résiduelle. Ce changement linguistique est-il

attribuable à un s ouhait de déconnotation, de rectitude politique? Les nanosondes et

nanomachines passent de la série Star Trek aux nanotechnologies. L’énergie solaire et la

voiture hybride sont des néologismes référentiels, l’« identité et la nation québécoises »

des néologismes conceptuels. Quelles sont les motivations linguistiques et

extralinguistiques derrière les variations dans les terminologies et les néoterminologies?

Dans cette thèse, nous examinons ces questions. À partir d’une approche

socioterminologique, communicationnelle et diachronique, nous avons développé un

modèle de la variation terminologique à trois composantes : la variation dénominative,

conceptuelle et polysémique. Nous avons également mis à jour la typologie et les notions

des néologismes en créant deux nouvelles catégories de néologismes : référentiels et

conceptuels. Puis, nous avons approfondi le critère de néologicité et créé quatre types de

domaines néologiques. Nous avons pu é tablir des liens importants entre la néologie, la

variation terminologique, la métaphorisation terminologique, la polysémisation et les

causes de la variation terminologique. Les matières résiduelles (1998-2011), le

développement durable (2010-2011), la question entourant le débat sur les

accommodements raisonnables au Canada (2007) ainsi que le 400e anniversaire de la

ville de Québec (2008) ont été autant de sujets et d’exemples permettant d’illustrer nos

idées théoriques. Nous souhaitons que ces modèles puissent servir dans diverses études

néologique, terminologique ou l inguistique mono- ou multilingues. Par ailleurs, la

description de ces modèles pourra également servir dans l’enseignement de la

terminologie.

Page 3: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

iii

Remerciements

Une thèse de doctorat se fait sur une longue période. Il est donc important de souligner

l’accompagnement extraordinaire des gens qui nous entourent pendant ces années d’études.

Je commencerai donc par remercier mes collaborateurs professionnels. Je garderai les

amours de ma vie pour la fin!

Je tiens à remercier chaleureusement mon directeur de thèse, M. Pierre Auger, pour les

années d’accompagnement et d’amitié. Il a été mon premier grand modèle de la

socioterminologie québécoise. Je demeure admirative de ses réalisations. Il a toujours cru

en moi, su m’insuffler de l’espoir lorsque j’en avais besoin et surtout, m’a toujours permis

d’aller au bout de mes idées. Il m’a encouragée dans mes hypothèses théoriques, m’a aidée

à réaliser deux stages de doctorat, soutenue dans les conférences et les cours enseignés, etc.

Pendant toutes ces années, je sais qu’il a tout fait pour m’offrir une excellente formation en

tant que future professeure-chercheure. J’apprécie énormément son humanisme, sa

gentillesse, son sens de l’humour, ses bons conseils et sa confiance. M. Auger, vous êtes

comme un père pour moi! J’ai bon espoir de pouvoir poursuivre la tradition universitaire et

de partager, à mon tour, cette relation avec des étudiants et / ou collègues. Merci du fond du

cœur!

À l’Université Pompeu Fabra (Barcelone, Espagne), j’ai eu le plaisir d’être accueillie par

Mme Judit Freixa pour un stage de doctorat de deux mois. Ce séjour a été des plus

bénéfiques alors que j’étais à l’élaboration de mon projet de thèse. J’ai pu bénéficier de ses

conseils avisés, avoir des discussions éclairantes et stimulantes, partager de bons moments,

développer une belle amitié et un lien de confiance. Sans compter que la thèse de Mme

Freixa a été une grande source d’inspiration pour moi. Merci énormément Judit pour tout

cet héritage qui se répercute sans aucun doute, aujourd’hui, dans ma thèse!

Page 4: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

iv

À l’Université de Brasília (Brésil), j’ai eu le plaisir d’être dirigée en stage de doctorat

pendant un an par Mme Enilde Faulstich. Cette année de réflexions, d’études, de cours, de

conférences fut extrêmement enrichissante pour la fin de ma thèse. La majorité de mes

idées théoriques ont été développées pendant ce séjour hautement stimulant, entourée de

plusieurs autres étudiants de lexicologie et de terminologie. Un merci tout spécial à Enilde

pour son amitié, ses conseils avisés, son aide en toutes circonstances et sa joie de vivre!

Une partie de mon expérience au Brésil se reflète également dans ma thèse!

Pendant ma formation, ici ou ailleurs, j’ai côtoyé des professeurs stimulants et intéressants

à qui je tiens à adresser mes sincères remerciements : Denise Deshaies, Jean-Claude

Boulanger, Jacques Ladouceur, Zélie Guével, Claude Verreault (Université Laval); Benoît

Leblanc (Université du Québec à Trois-Rivières); Maria T. Cabré Castellví, Mercé Lorente

Casafont, Rosa Estopà Bagot, Ona Doménech Bagaria, Carles Tebé Soriano (Université

Pompeu Fabra, Barcelone); Maria Teresa Lino (Universidade Nova de Lisboa); Orlene

Lúcia de Sabóia Carvalho, Marcos Bagno (Universidade de Brasília, Brésil) et Ieda Maria

Alves et feu Maria Tereza Camargo Biderman (Universidade de São Paulo, Brésil).

À l’Office québécois de la langue française (OQLF), j’ai eu le plaisir de faire un stage de

six mois sous la direction et supervision de Mme Tina Célestin. Merci Tina de m’avoir

offert un mandat à la hauteur de mes attentes! J’ai également eu le plaisir de rencontrer les

terminologues de l’Office, d’avoir des échanges intéressants, d’avoir pu élaborer un projet

captivant et d’avoir pu mettre à jour une typologie de la néologie, qui sans le savoir, à cette

époque, aurait des répercussions importantes dans ma thèse. Un merci chaleureux à Tina, à

tous les terminologues de l’OQLF et plus personnellement à Johanne Maltais, Clément

Croteau, Ariane Royer, Julie Charron, Xavier Darras, Annie Galarneau, Jacques Duplain,

Denise Létourneau, Kathleen Bourget, Yolande Perron, Denis Godbout et Cécile Comeau.

Page 5: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

v

Pendant mes études, j’ai eu le bonheur de pouvoir travailler à deux projets de recherche

d’envergure :

Premièrement, j’ai participé aux premiers travaux de recherche du volet encyclopédique du

FRANQUS (groupe de recherche qui élabore le Dictionnaire de la langue française - Le

français vu du Québec) à l’Université de Sherbrooke. J’aimerais adresser mes

remerciements sincères à M. Pierre Martel et à Mme Hélène Cajolet-Laganière pour leur

confiance et leurs encouragements au cours de mes études.

Finalement, j’ai eu l’immense plaisir de pouvoir participer à la création et aux réalisations

de l’OBNEQ depuis 2004, entourée de plusieurs collaborateurs, appuyée par mon directeur

de thèse, M. Pierre Auger, responsable de l’OBNEQ, encouragée par les collègues de

l’OQLF (Tina Célestin, Johanne Maltais, Jacques Duplain, Clément Croteau, etc.) et de

NEOROM1 (Judit Freixa, Maria Teresa Cabré, etc.); plus que tout, je souhaitais que cet

observatoire s’inscrive dans une durée, qu’il fasse partie de la société québécoise française

et qu’il devienne un pilier dans ce secteur de recherches. Je souhaite, en définitive, que nos

recherches puissent vivre à travers ma thèse!

À tous les étudiants extraordinaires avec qui j’ai eu le plaisir de travailler à l’OBNEQ, un

merci profond! À Mihaela Dobrescu pour son excellence et son amitié, à la dernière équipe

que j’ai mise sur pied dans le cadre du projet de développement durable en collaboration

avec l’OQLF, j’adresse des sentiments de reconnaissance, de gratitude pour leur

dévouement, leur assiduité, leur amitié, leur efficacité et leur fidélité en toutes

circonstances. Merci à vous tous : Hugo Desrosiers (chef d’équipe), Geneviève Labrecque

(chef d’équipe), Mélina Gosselin, Andrée-Anne Bellemare, François Vachon Annie

Pelletier, Sabrina Poulin-Lafontaine, Marie-Christine Bouchard, Justine Lamoureux,

1

NEOROM est le Réseau panlatin des observatoires de néologie des langues romanes, dirigée par Teresa

Cabré et son équipe à l’Université Pompeu Fabra (Barcelone, Espagne). L’OBNEQ faisait partie du réseau.

Page 6: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

vi

Stéphanie Paradis, Laurence Burque, Claire Vincent, Benoît Morin, Cindy Vaugeois et

Guillaume Desgagné-Lebeuf.

D’une façon plus générale, j’aimerais remercier tous les étudiants qui ont assisté à mes

cours de terminologie, de lexicologie (Université Laval, Universidade de Brasília) et

d’aménagement linguistique (Université de Sherbrooke). Enseigner est certes une vocation.

J’ai pu apprécier le dévouement lié à cette activité hautement formatrice et constructive.

Merci à vous tous et à vous toutes de m’avoir enseigné l’humilité, la compassion, la

patience, l’humanisme et le partage. J’ai vécu de réels bons moments intellectuels et

pédagogiques, mais aussi de bons moments de détente et d’amitiés, à l’occasion, en votre

compagnie.

Je tiens à remercier chaleureusement le Fonds de recherche sur la société et la culture

(FQRSC), le Fonds de soutien au doctorat (FSD), le Bureau international, le Fonds

d’enseignement et de recherche (FER) de l’Université Laval pour leur aide financière.

Maintenant, d’une façon plus personnelle, je veux remercier tous les amours de ma vie. À

vous qui m’avez permis de garder le sourire dans les épreuves, de me relever après la chute,

de foncer et de terminer cette thèse alors que tout ou presque dans la vie m’en

décourageait…

À mes parents que j’aime profondément, à toi papa, Donald, qui a lutté 11 ans contre le

cancer et qui a malheureusement perdu ce combat cette année. J’ai toujours senti ta fierté,

ton amour, tes encouragements, même au-delà de la mort. Si les anges ont des ailes, alors tu

en as certainement pour m’avoir aidée à finir la rédaction de cette thèse pendant mon deuil.

Oui, tu me manques cruellement, mais ce que tu m’as appris est éternel : combativité,

amour, respect, droiture, détermination, passion et franchise. Si ma thèse a dû être mise sur

la glace voire même remise en question à certains moments très difficiles que nous avons

Page 7: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

vii

traversés ensemble, jamais je ne regretterai tous les moments partagés avec toi! Ils sont si

précieux. Tu es un modèle pour moi, papa! Je t’aime et te remercie pour tout. Où que tu

sois aujourd’hui, je ressens ton amour et je sais que tu es très fier de cet accomplissement.

À maman chérie, Pierrette, à toi qui as été mon premier modèle de femme libérée, moderne,

éduquée; une enseignante que j’adorais suivre à l’école! Tu m’as transmis ton amour de

l’enseignement et de l’éducation. Merci maman d’avoir toujours cru en moi, de m’avoir

toujours soutenue dans mes études, ici et ailleurs! De toi, je retiens la passion, la patience,

l’humanité, le dévouement, la compassion, la douceur, la compréhension et beaucoup

d’amour, car il en faut pour faire ce métier exigeant, pour accompagner un mari pendant

onze ans, sans relâche, envers et contre tout. Il t’en a fallu beaucoup aussi pour me laisser

partir étudier toutes ces longues années à l’étranger, merci maman. Sans toi, cette fin de

thèse n’aurait pas pu avoir lieu. Tu m’as permis d’y croire à nouveau, de raccrocher, de

remonter la pente, de sourire à nouveau à la vie et d’aller au bout de mon rêve! Ma

gratitude est infinie, maman!

À mes chers frères, Eric et Sylvain, à mes belles-sœurs, Karine et Marie, pour leur amour et

tous les bons moments partagés ensemble, à la maison, au chalet, à la cabane à sucre, à la

roulotte, au camp de chasse, dans la nature. Ces moments m’ont permis de me ressourcer et

de recharger mes batteries. Je vous aime mes frérots et petites sœurs d’alliance! Une séance

de rires et de niaiseries avec vous autour de la table n’a pas son pareil, et ce depuis la plus

tendre enfance! À ma belle petite Léa, dernière arrivée dans notre famille, ma petite filleule

adorée qui est venue illuminer nos vies après une longue période de douleurs et de

souffrances. À toi, beau petit rayon de soleil, merci d’être à mes côtés!

Dans ma famille élargie, je remercie chaleureusement tous mes oncles et tantes, cousins et

cousines qui m’ont soutenue ces dernières années. Plus particulièrement, j’adresse des

remerciements très chaleureux à ma tante Mona qui m’a soutenue depuis toujours dans mes

Page 8: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

viii

études, qui a cru en moi, qui m’a aimée et accompagnée à travers les hauts et les bas, sans

jamais me laisser tomber. Merci beaucoup, ma tante! À mon parrain et à ma marraine,

Robert et Charlotte, qui n’ont cessé de m’encourager à aller décrocher la lune, pour leur

amour dans les moments heureux et difficiles, merci d’être là dans ma vie! À mon oncle

André et à ma tante Huguette, qui sont fiers de mon cheminement, qui m’ont souvent

accueillie chez eux, en transit de mes voyages et avec qui je partage toujours des moments

merveilleux, merci pour tout! À ma cousine Lyne, que je considère comme une amie, une

sœur, une confidente, merci d’avoir été très présente dans ma vie, de m’avoir redonné du

courage aux bons moments, de m’avoir félicitée à chaque occasion, et pour tous les

magnifiques moments partagés ensemble! Merci aussi à ta belle petite Amélie d’accrocher

un sourire de plus à mes jours! À ma filleule Patricia, ma belle grande fille, pour ton amour,

ton soutien et tous nos éclats de rire! À mes défunts grands-parents pour leur amour

inconditionnel! À vous tous et toutes, chers membres de ma famille Pelletier-Bouchard,

merci du fond du cœur!

À mes amis chéris, d’ici et d’ailleurs, j’adresse des remerciements profonds et sincères.

Qu’aurais-je fait sans vous? Vous avez été les garde-fous, les anges sur ma route, les piliers

en cas d’inondations, les premiers lecteurs malgré vous, les partenaires de danse, les

compagnons de voyage, les goûteurs à la table, les amours de mon quotidien! Je vous

remercie sincèrement d’être restés à mes côtés à travers vents et marées et d’avoir toujours

su m’aimer inconditionnellement : Andy, Sam, Mélanie, Patrick, André, Vicky, Olivier,

Sonya (et ses deux magnifiques enfants), Jacinthe, Michel, France, Gabriel, bébé Xavier,

David, Isabelle, Caroline et François (Québec), Valina et sa petite Lily-Charlotte

(Belgique), Veronika, Christian, Aline (Allemagne), Marjorie et Xavier (France), Carolina,

Erika, Jana, Simone, Jorge, Marcio, Valdo, Roberto, Déborah, Sonia et Belen (Brésil,

Colombie, Argentine).

À Suzanne Therrien pour son accompagnement exceptionnel dans la réalisation de cette

thèse de doctorat! Suzanne, tu as su m’insuffler de l’espoir à nouveau et su me guider sur la

Page 9: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

ix

voie de la confiance, de la sérénité et du bonheur! Je t’exprime ma profonde et sincère

gratitude!

Finalement, un merci tout spécial à André pour sa lecture avisée de ma thèse; et à Andy

pour sa lecture, ses conseils, ses cafés réconfortants et son accompagnement en tant qu’ami

et linguiste à travers les méandres de la vie de doctorants!

Page 10: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

x

Liste des abréviations

A

ACCV

ACFAS

ACV

ADEME

ADQ

ALV

BDI

BW

C

CCGI

CD

CILF

CILPR

co

CNRS

CSN

DD

DHLF

DTT

ENSAD

F

FAO

FER

FEW

adjectif

analyse des coûts du cycle de vie

Association francophone pour le savoir

analyse du cycle de vie

Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Énergie

Action Démocratique du Québec

appareils de loterie vidéo

Base de données informatisées (OBNEQ)

Dictionnaire étymologique de la langue française

construit (dans la Terminologie fonctionnelle d’E. Faulstich)

cycle combiné à gazéification intégrée

consommation durable

Conseil international de la langue française

Congrès International de Linguistique et de Philologie Romanes

concept

Centre national de recherche scientifique

Confédération des syndicats nationaux

Développement durable

Le Robert - Dictionnaire historique de la langue française

Direction des travaux terminologiques (OQLF)

École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs

formatif (dans la Terminologie fonctionnelle d’E. Faulstich)

Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture

Fonds d’enseignement et de recherche (Université Laval)

Französisches Etymologisches Wörterbuch

Page 11: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

xi

FQRSC

FRANQUS

FSD

FTQ

GES

GDT

HAVL

IPS

ISO

Fonds de recherche sur la société et la culture

Français Québécois : Usage Standard

Fonds de soutien au doctorat (Université Laval)

Fonds de solidarité du Québec

gaz à effet de serre

Grand Dictionnaire Terminologique (OQLF)

déchet radioactif de haute activité et à vie longue (dans déchet HAVL)

infirmières praticiennes spécialisées

Organisation internationale de normalisation

IULATERM Centre de recherche de l’Université Pompeu Fabra à Barcelone

JP

LEED

LG

LSP

LT

MDDEP

MT

N

NA

NC

NEOROM

NF

NR

NS

NS

NSI

OBNEQ

joncteur prépositionnel

Leadership in Energy and Environmental Design

Langue générale

Langues de spécialité

fond lexical terminologique (dans la Terminologie fonctionnelle d’E.

Faulstich)

Ministère du développement durable du Québec

métaphore terminologique

nom

néologisme d’actualité

néologisme conceptuel

Réseau panlatin des observatoires de néologie des langues romanes

néologisme formel

néologisme référentiel

néologisme sémantique (notre typologie de la néologie)

noyau sémique (notre proposition de la métaphorisation terminologique)

noyau sémantique invariable (dans la proposition d’A. Assal)

Observatoire de néologie du Québec

Page 12: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

xii

OLF

OQCD

OQLF

PD

PLI

PLQ

PR

PRél

R

REALITER

REFIOM

ROC

T

TALN

TCT

TERMCAT

TGT

TIC

TLFi

TSCT

VC

VD

VP

VT

Office de la langue française

Organisation de Coopération et de Développement Économiques

Office québécois de la langue française

prédéterminant

Nouveau Petit Larousse Illustré

Parti libéral du Québec

Nouveau Petit Robert

Le Nouveau Petit Robert électronique

règle (dans la Terminologie fonctionnelle d’E. Faulstich)

référent

Réseau panlatin de terminologie

Résidus d’Épuration des Fumées d’Incinération d’Ordures Ménagères

Rest of Canada

signifiant

signifié

terminologie (dans la Terminologie fonctionnelle d’E. Faulstich)

Traitement automatique des langues naturelles

Théorie communicationnelle de la terminologie (M. T. Cabré)

Centre de terminologie de la Generalitat de Catalunya

Théorie générale de la terminologie (E. Wüster)

Technologies de l’information et de la communication

Trésor de la langue française informatisé

Théorie sociocognitive de la terminologie (R. Temmermann)

variation conceptuelle

variation dénominative

variation polysémique

variation terminologique

Page 13: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

xiii

Table des matières

La variation terminologique : un modèle à trois composantes

Résumé

Remerciements

Liste des abréviations

Table des matières

Liste des schémas et tableaux

Introduction

ii

iii

x

xiii

xvii

1

Chapitre 1

La variation en terminologie

6

1.1. Les angles d’approche de la variation terminologique : réflexions théoriques

1.1.1. Le bilan des approches de la terminologie

1.1.2. Les approches de la terminologie : comparaison des classements

1.2. La description des approches de la terminologie

1.2.1. La socioterminologie

1.2.2. La terminologie textuelle et les linguistiques de corpus (terminotique)

1.2.3. La terminologie communicationnelle

1.2.4. La terminologie sociocognitive

1.2.5. La terminologie culturelle

1.2.6. La terminologie fonctionnelle

1.2.7. Les approches sémantique et diachronique

1.3. La TCT et les fonctions de la langue : point de départ de notre modèle des

causes de la variation terminologique

1.4. Après la remise en question des postulats de la TGT : la structuration de la

socioterminologie

1.5. L’approche descriptive versus l’approche normative

1.6. La variation dénominative

1.6.1. La variation dénominative ou la synonymie

6

6

7

10

10

11

12

12

13

14

16

18

20

21

25

25

Page 14: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

xiv

1.6.2. Le bilan des travaux

1.7. La typologie de la variation dénominative de Freixa

1.7.1. Variation géographique et orthographique

1.7.2. Variation morphosyntaxique

1.7.3. Variation par réduction

1.7.4. Variation lexicale

1.8. Les causes de la variation terminologique dénominative de Freixa

1.8.1. Causes dialectales

1.8.2. Causes fonctionnelles

1.8.3. Causes discursives

1.8.4. Causes interlinguistiques

1.8.5. Causes cognitives

28

31

32

33

33

34

34

34

35

37

37

38

1.8.5.1.

1.8.5.2.

Distanciation idéologique

Différences de conceptualisation

38

39

1.9. La variation conceptuelle et la variation polysémique : deux composantes

de la variation terminologique à découvrir

1.10. Notre conception de la variation conceptuelle et de la variation

polysémique : différenciation

1.10.1. Quelques conclusions préliminaires

40

43

45

Chapitre 2

Les métaphores terminologiques

47

2.1.

2.2.

2.3.

2.4.

2.5.

Le contexte de l’étude des métaphores terminologiques

La méthodologie

Le cadre théorique

La discussion des cinq métaphores

Conclusion

48

48

49

53

72

Chapitre 3

La variation polysémique

75

3.1. Polysémie, homonymie et monosémie

3.1.1. De la polysémie en langues de spécialité

3.1.2. Traitement homonymique ou polysémique?

3.1.3. Critères de distinction entre l’homonymie et la polysémie :

la disjonction homonymique

75

75

76

77

Page 15: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

xv

3.1.4. Un lien sémique commun

3.1.5. Un critère relatif

3.1.6. Le motif

3.1.7. L’ambiguïté vue comme l’hyperonyme d’homonymie et de polysémie

3.1.8. La contextualisation en discours

3.1.9. La polysémie : situation de tous les termes de la langue?

3.2. La variation polysémique

3.2.1. Introduction

3.2.2. Le bilan des travaux sur les changements de sens

3.2.3. Le classement de Nyckees sur les causes des changements de sens

3.2.4. Vers une théorie de la polysémisation

3.2.4.1. D’autres critères à considérer dans l’étude de la polysémie

3.2.4.2. Notre proposition théorique s’articule autour de quatre critères

et de deux prémisses de départ

3.2.4.3. Conclusion

3.2.5. La chaîne de la polysémie

3.2.5.1. Les causes de la polysémie en regard de la communication spécialisée :

une cause parmi toutes les causes?

3.2.5.2. La chaîne de la polysémie : les premiers maillons

3.2.5.3. Théorie des points de vue de Condamines et Rebeyrolle (1997)

3.2.5.4. La chaîne de la polysémie : l’ouverture des frontières

3.2.5.5. La chaîne de la polysémie : conséquences et perspectives

3.2.5.6. Conclusion

78

79

80

82

84

86

98

98

99

102

116

117

118

129

131

131

132

133

134

137

139

Chapitre 4

Réflexions sur la néologie

142

Introduction

4.1. Contexte de l’étude néologique

4.2. Précisions méthodologiques

142

143

145

4.3. Réflexions théoriques 147

4.3.1. Typologie de la néologie

4.3.2. Définitions des notions de la néologie

4.4. Conclusion

148

151

180

Page 16: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

xvi

Chapitre 5

Le modèle des causes de la variation terminologique

185

5.1. Le modèle des causes de la variation dénominative de Freixa : récapitulatif

5.2. Le modèle des causes des changements de sens de Nyckees : récapitulatif

5.3. Notre modèle de la variation terminologique

5.4. Liens entre la typologie de la néologie et le modèle de la

variation terminologique

5.5. Le modèle des causes de la variation terminologique

5.5.1. Les causes linguistiques de la variation terminologique

5.5.1.2. Typologie des causes linguistiques

5.5.2. Les causes extralinguistiques de la variation terminologique

5.6. Application du modèle avec l’exemple du développement durable

5.6.1. Les causes socioculturelles : le développement durable

5.6.2. Les causes cognitives : le développement durable

5.6.3. Les causes communicationnelles : le développement durable

5.6.4. Les causes linguistiques : le développement durable

5.7. Les définitions des notions des causes de la variation terminologique

5.8. Conclusion

186

187

189

191

194

194

195

196

197

200

201

202

203

208

209

Chapitre 6

Bibliographie

Glossaire

Conclusions

212

221

240

Page 17: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

xvii

Liste des schémas et tableaux

Chapitre 1

La variation en terminologie

Tableau 1. Tableau comparatif des classements

Tableau 2. Les caractéristiques propres et communes

des nouvelles approches de la terminologie contemporaine

Schéma 1. La variation conceptuelle

Schéma 2. La variation polysémique

8

24

44

44

Chapitre 2

Les métaphores terminologiques

Schéma 1. Sphères métaphoriques : point de départ (Assal, 1995)

Sphère métaphorique 1 : « monstre »

Sphère métaphorique 2 : « gisement »

Sphère métaphorique 3 : « sauvage »

Sphère métaphorique 4 : « inerte »

Sphère métaphorique 5 : « cannibalisation »

Schéma 2. Illustration de la variation polysémique de « monstre »

à partir du triangle sémiotique

Schéma 3. Le concept de « monstre » dans notre corpus

Schéma 4. Le champ lexico-conceptuel de « monstre » dans notre corpus

Schéma 5. Polysémie de « monstre » en langue

Schéma 6. Le continuum de la socio-diffusion

Schéma 7. Notre proposition de la métaphorisation terminologique

conduisant à la variation polysémique

52

54

55

57

58

61

67

67

68

68

71

72

Chapitre 3

La variation polysémique

3.1. Polysémie, homonymie et monosémie

Schéma 1. L’étude du motif en terminologie par Kocourek

82

Page 18: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

xviii

Tableau 1. La monosémie, la polysémie et l’homonymie

93

telles que présentées par les auteurs

Tableau 2. Évolutions parallèles de la pensée autour 91

de la variation terminologique, de la synonymie et de la polysémie

3.2. La variation polysémique

Schéma 1. La chaîne de la polysémie

141

Chapitre 4

La typologie de la néologie

Schéma 1.

Schéma 2.

Schéma 3.

Schéma 4.

Chapitre 5

Typologie de la néologie

Typologie de la néologie (avec exemples)

Typologie des domaines néologiques

Conceptions de la nation

Le modèle des causes de la variation terminologique

182

183

184

175

Schéma 1. Modèle de la variation terminologique : un modèle à trois

composantes

Schéma 2. Incidence entre la néologie et la variation terminologique

Schéma 3. Liens entre la néologie et la variation terminologique

(versus le signe linguistique)

Schéma 4. Schéma géonomique du développement durable

Schéma 5. Notre modèle des causes de la variation terminologique

189

192

193

200

211

Page 19: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

1

Introduction

La gestion et le traitement des matières résiduelles

Le sujet de la gestion et du traitement des matières résiduelles est d'actualité mondiale et

constitue un enjeu pour toutes les nations soucieuses de préserver un environnement sain et

équilibré. Malgré les avertissements sérieux et les efforts soutenus par les groupes

environnementalistes pour réduire les tonnes de déchets produits chaque année, malgré une

meilleure sensibilisation au recyclage et au compostage, la quantité et la variété des

matières résiduelles ne cessent de croître parce que l’homme ne cesse de consommer. L'être

humain est donc arrivé à un point de non-retour. Il doit maintenant réfléchir à son avenir,

trouver des solutions afin de réduire les tonnes de déchets qu'il produit chaque année et plus

que tout, trouver les moyens de les gérer et de les traiter. Cette situation très actuelle a

généré une grande quantité de documents de toutes sortes sur le sujet (rapports

d’évaluation, plans d’aménagement, études thématiques, textes spécialisés et techniques,

textes de loi, etc.). Ces nombreux documents sur le sujet ont pour la plupart nécessité une

traduction soit pour répondre à un b esoin d’aménagement linguistique, plus

particulièrement dans les pays bilingues ou multilingues, soit pour assurer une plus grande

visibilité des différentes stratégies employées sur le marché par les organismes

internationaux. Or, il n’existe aucune étude terminologique de ce domaine. Ainsi, le

rédacteur ou le traducteur se heurte soit à un manque de ressources dictionnairiques ou

encore à une terminologie inexistante ou l acunaire. Il peut en résulter des problèmes de

langue tels des calques, des faux amis, des incohérences, des lacunes lexicales ou

conceptuelles. Par ailleurs, l’accroissement des échanges internationaux ainsi que la

pluridisciplinarité de ce domaine constituent une grande richesse en matière de phénomènes

de variation terminologique.

Page 20: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

2

Le développement durable et les domaines d’actualité

Afin d’étudier les liens entre la néologie et la variation terminologique, aux chapitres 4 et 5,

nous avons utilisé des exemples provenant de corpus différents, assemblés dans le cadre de

nos activités de recherche personnelle et à l ’OBNEQ (Observatoire de néologie du

Québec). Nous utiliserons donc des exemples de néologismes du secteur du développement

durable, du 400 e anniversaire de la ville de Québec (2008) et du débat entourant les

accommodements raisonnables (2007).

La variation terminologique : phénomène à décrire et à comprendre

Dans cette thèse, les phénomènes de variation terminologique seront étudiés à partir d’une

approche entièrement descriptive, visant à mieux les comprendre d’une part et à mieux les

gérer d’autre part. Tout comme le mentionnait Gaudin, il est temps « que l’on réintègre la

variation, essentielle dans toutes les interactions, et nullement absente des vocabulaires

professionnels. Il convient donc, au lieu de la combattre en la minorant, de comprendre

cette variation et de l’étudier » (1993a : 296). Les phénomènes qui retiendront notre

attention dans cette thèse sont : la variation dénominative, la variation conceptuelle et la

variation polysémique.

Notre conception de la terminologie et de la variation terminologique

La terminologie, selon nous, ne peut être réduite à un voc abulaire particulier ou ê tre vue

seulement comme une sous-discipline d’une autre. Au cours des dernières années, elle a fait

l’objet de réflexions théoriques et appliquées de plus en plus approfondies (pensons aux

propositions de Temmerman (2002), Cabré (1998), Diki-Kidiri (2000), Faulstich (1998)) et

elle doit être envisagée comme un tout. Voici donc la définition que nous proposons de la

terminologie :

Page 21: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

Iso (Organisation internationale de normalisation), Termcat (Centre de terminologie de la Generalitat de

Iulaterm (Centre de recherche de l’Université Pompeu Fabra à Barcelone. Les recherches portent sur le

3

Étude théorique, méthodique et appliquée des concepts et des

termes, de leur fonctionnement social et de leur valeur à l ’intérieur

d’un savoir spécialisé, et en relation avec d’autres disciplines du

savoir humain et de la linguistique.

Les objets de l’étude terminologique, les termes et les concepts, ne peuvent être dissociés

les uns des autres; ils doivent être étudiés conjointement. Dans cette perspective, la plupart

des études terminologiques requièrent donc une combinaison des approches

onomasiologique et sémasiologique. La terminologie, qu’elle réponde à besoin ponctuel, à

une recherche thématique ou s ystématique, ne peut plus être envisagée en dehors des

réflexions théoriques, et des applications de ses activités de recherche. Par ailleurs, les

méthodes établies selon les besoins de chaque étude découlent pour autant d’une forme de

pensée préalable, indissociable donc d’une école de pensée ou d’une base théorique (que

celle-ci soit normative ou descriptive) en fonction des besoins visés. Or, si la recherche

terminologique se fait dans un besoin d’harmonisation, les résultats seront complètement

différents de ceux qui seraient obtenus dans le cadre d’une recherche descriptive, où l es

objectifs sont la description d’une situation réelle afin de mieux l’expliquer. Il en va de

même si la recherche est menée par deux écoles de pensée différentes. Prenons l’exemple

de travaux qui seraient menés par Iso, Termcat ou la FAO 1 dont la vision de la

terminologie est essentiellement standardisatrice; les résultats obtenus ne pourraient pas

être les mêmes s’ils étaient réalisés par un groupe tel que IULATERM de l’Université

Pompeu Fabra à Barcelone, le groupe 2, qui travaille avec une approche

communicationnelle et variationniste de la terminologie. Par ailleurs, comment pourrait-on

négliger la valeur et les fonctions du terme en contexte de communication? Chaque terme

revêt autant de valeurs que le contexte le demande ou le commande. C’est donc le contexte

social et le cotexte linguistique qui donnent sa valeur au terme. Celui-ci est donc perméable

aux contextes et cotextes dans la mesure où il peut acquérir une gamme infinie de valeurs

en fonction des situations de communication, d’où l’incroyable capacité du terme-concept à

1

Catalunya), FAO (Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture) 2

lexique, la terminologie, les langues de spécialité et l’ingénierie linguistique.

Page 22: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

4

évoquer tout en nuance. Si nous récapitulons, la valeur est donc « le sens que peut revêtir

un concept et la dénomination que peut prendre un terme en fonction de son contexte social

et de son cotexte linguistique en vue de répondre à des besoins communicationnels précis ».

La réalité dans les usages le démontre : nous pourrons illustrer plusieurs de ces exemples

dans les chapitres à suivre. Puis, il ne faut pas oublier que la terminologie traite de tous les

domaines spécialisés du s avoir humain, lesquels sont tous interreliés. Le rapprochement

entre la terminologie et la linguistique constitue aussi un atout considérable et ne peut,

selon nous, être écarté puisqu’il aurait toujours dû en être ainsi.

La variation terminologique est un modèle à trois composantes :

VT

VD Deux ou plusieurs

dénominations (sã)

différentes correspondant à

un même sé et à un même rã

VC Un concept (co) pouvant

revêtir plusieurs valeurs

selon la conception, l’usage

qu’en font les locuteurs et

correspondant à un même rã

VP

Une dénomination (sã)

correspondant à plusieurs

sé et rã différents

Parmi les phénomènes de variation terminologique (VT), nous incluons la variation

dénominative (VD), la variation conceptuelle (VC) et la variation polysémique (VP). À

l’intérieur de la VP sont intégrées les métaphores terminologiques (MT). La VD ou la

synonymie, pour c eux qui préfèrent ce terme, correspond à l’existence de deux ou pl usieurs

dénominations différentes liées à un même signifié et à un même référent. La VC représente le

phénomène selon lequel un concept peut revêtir plusieurs valeurs selon la conception, selon la

Page 23: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

5

perception ou l’usage qu’en font les locuteurs (destination, point de vue, objectif, etc.) et

correspondant à un même référent. C’est exactement là que réside la différence principale entre

la VC et la VP. Dans le cas de la VP, une dénomination a plusieurs signifiés différents et

correspond aussi à des référents différents. Nous donnerons des exemples détaillés de ces

phénomènes dans les chapitres concernés.

Page 24: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

Le chapitre 1 : La variation en terminologie

Page 25: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

6

1.1. Les angles d’approche de la variation terminologique : réflexions théoriques

L'étude de la variation terminologique s'inscrit dans le cadre général de la

socioterminologie et dans la perspective d’une terminologie communicationnelle. Les

postulats de la socioterminologie offrent le meilleur point de départ pour observer les

phénomènes de variation terminologique 1. Par ailleurs, il est important de situer cette étude

dans un modèle de la communication spécialisée, dans lequel les termes possèdent

différentes valeurs selon les contextes, les récepteurs et les émetteurs.

La notion de « communication spécialisée » va donc de pair avec les situations de

communication, contextes et domaines de la connaissance. Cabré affirme que se sont les

domaines qui confèrent une valeur spécialisée aux unités de signification : « c’est donc le

domaine qui cristallise leur signifié et leurs conditions d’usage » (Cabré 2000b :15). Nous

ajouterions également l’influence des acteurs (émetteurs et récepteurs) de la communication

sur cette situation.

Afin de choisir le meilleur angle d’approche de la variation terminologique, nous avons

procédé à l’étude de chaque approche connue. Voici donc un bilan de ces approches avant

de présenter les cadres retenus : la socioterminologie et la théorie communicationnelle de la

terminologie.

1.1.1. Le bilan des approches de la terminologie

Depuis une quinzaine d’années, la terminologie est soumise à des pressions externes

comme en témoignent le mouvement des colloques et la formation d’associations autour de

la terminologie, signes évidents d’un renouveau et d’une revitalisation ouverte à de

substantielles réflexions théoriques et pratiques. Cette effervescence est due aux

changements sociopolitiques et technologiques des deux dernières décennies. Parmi ceux-

ci, citons la mondialisation, les avancées informatiques en Traitement automatique des

Page 26: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

Les postulats de la socioterminologie seront exposés à la page suivante, après avoir expliqué l’approche

Paru intégralement en anglais comme suit : « Computational terminology which uses textual corpora and

7

langues naturelles (TALN), le questionnement nouveau sur le terme, la prise en compte de

la diversité langagière et culturelle en langues de spécialité, les linguistiques de corpus et

une description plus étendue des termes dans les banques de terminologie. C’est donc dans

ce contexte historique que se dessinent la socioterminologie et plus récemment d’autres

approches qui seront également présentées dans ce bilan. Qu’elles soient

socioterminologiques, culturelles, communicationnelles, sociocognitives, fonctionnelles ou

issues d’une école de pensée ou d’ un modèle d’aménagement linguistique en particulier,

elles participent toutes à la révision de la théorie et de la pratique de la terminologie

contemporaine. À l’heure des bilans, nous dresserons donc un por trait de chacune de ces

nouvelles approches et de leurs points communs afin de tracer les grandes lignes d’une

terminologie en devenir. Pour ce faire, nous procéderons d’abord à l ’analyse et à l a

comparaison des bilans effectués par Budin (2001) dans Cabré (2003) et L’Homme, Heid et

Sager (2003).

1.1.2. Les approches de la terminologie : comparaison des classements

Dans son article « Theories of terminology : their description, prescription and

explanation » (Terminology, 2003), Cabré présente la classification des théories émergentes

selon Budin (2001) : a) la socioterminologie (sous laquelle Budin regroupe l’École de

Rouen, la terminologie sociale de la Scandinavie, la terminologie sociocognitive de

Temmerman (2000) ainsi que quelques contributions individuelles telles que Boulanger

(1995), Cabré (1999) et Antia (2000)) ; b) la terminotique2 (regroupant les contributions de

Ahmad (1998), Heid (1999), Bourigault, Jacquemin et L’Homme (1998) et Pearson (1998))

et c) le paradigme indépendant de Riggs (1984), limité aux sciences sociales. Hormis cette

mention dans Budin (2001), nulle part ailleurs il n’a été question du paradigme de Riggs,

c’est pourquoi nous avons décidé de l’exclure de notre classement. Pour leur part,

1

communicationnelle de la terminologie. 2

incorporates the applied research in terminological engineering, modelling of data and metadata for

processing terminological information and terminology analysis and its relation from the position of formal

linguistics » (Budin 2001 dans Cabré 2003 : 181).

Page 27: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

Budin (2001)

dans Cabré

(2003)

L’Homme, Heid et Sager

(2003)

Pelletier (2011)

Socioterminologie Socioterminologie Socioterminologie

Terminotique Terminologie textuelle Terminologie textuelle et linguistiques

de corpus (terminotique)

Paradigme de

Riggs

Terminologie

communicationnelle

Terminologie

sociocognitive

Terminologie communicationnelle

(Cabré)

Terminologie sociocognitive

(Temmerman)

Terminologie culturelle (Diki-Kidiri)

Terminologie fonctionnelle (Faulstich)

Terminologie sémantique

Terminologie diachronique

8

L’Homme, Heid et Sager (2003) ont présenté dans leur article intitulé « Terminology

during the past decade (1994-2004) » quatre approches (toutes parues dans la revue

Terminology) : a) la socioterminologie (dont les contributions de Gambier (1993), de

Gaudin (1993) et (2003)), b) la terminologie textuelle de Bourigault et Slodzian (1999), c)

la terminologie communicationnelle de Cabré (2000) et d) la terminologie sociocognitive

de Temmerman (2000) cf. Tableau 1.

Tableau 1 :

Tableau comparatif des classements

D’emblée, il est possible de constater que le classement de Budin est plus large que celui de

L’Homme, Heid et Sager. Dans la socioterminologie, Budin inclut la terminologie

communicationnelle de Cabré et la terminologie sociocognitive de Temmerman alors

qu’elles sont présentées séparément dans L’Homme, Heid et Sager. Il est également

Page 28: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

9

possible d’imaginer que la terminologie textuelle est sous-entendue dans la terminotique de

Budin.

Pour notre part, nous avons effectué un c lassement basé sur les deux classements

précédents auxquels nous avons ajouté quelques approches rencontrées au fil de nos

lectures, soit la terminologie culturelle de Diki-Kidiri, la terminologie fonctionnelle de

Faulstich ainsi que les approches sémantique et diachronique. En ce qui concerne la

terminologie textuelle, nous la présentons conjointement avec les linguistiques de corpus

(Paradis et Auger 1987, Pearson 1998, Habert, Nazarenko et Salem, 1997), toutes deux

faisant partie d’un courant plus large qui est celui de la terminotique ayant permis de

réviser la méthodologie et l’application de la terminologie à partir de nouveaux outils

informatiques ainsi qu’à partir d’études portant directement sur les Langues de spécialité

(LSP), citons Lerat, Kocourek, Drodz et Seibicke. Dans l’approche socioterminologique,

nous insistons sur l’importance des contributions du Q uébec en tant que modèle

socioterminologique d’aménagement linguistique; c’est pourquoi nous incluons l’École de

Québec dans cette catégorie; à côté de l’École de Rouen et de la terminologie sociale de la

Scandinavie pour l’ensemble de leurs contributions respectives à la socioterminologie. Par

ailleurs, il n ous semble particulièrement important de compléter le panorama de la

socioterminologie en mentionnant les contributions de ses courants précurseurs tels que la

lexicologie et la sociolinguistique française (notamment Guilbert et Rey-Debove). Les

analyses de discours spécialisés (citons Dubois, Candel, Mortureux, Capuscio) ont elles

aussi énormément contribué à la socioterminologie. Parce qu’elles sont, pour l’instant,

l’œuvre d’un seul auteur, la terminologie communicationnelle, la terminologie culturelle, la

terminologie sociocognitive et la terminologie fonctionnelle ont été présentées séparément

dans notre classement. Les approches sémantique et diachronique de la terminologie ne

sont pas attribuables à un seul auteur, mais ressortent dans de nombreux ouvrages récents

dont nous dresserons un portrait dans ce bilan.

Page 29: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

10

1.2. La description des approches de la terminologie

1.2.1. La socioterminologie

Le terme socioterminologie apparaît sous la plume de Jean-Claude Boulanger au début des

années 1980, m ais ne sera défini que plus tard, au cours de la décennie suivante, avec le

sens qu’on lui connaît aujourd’hui. Grâce aux travaux respectifs de l’École de Québec

(Daoust, Auger, Boulanger, OLF, etc.), de l’École de Rouen (Guespin, Gambier, Gaudin,

etc.), de la terminologie sociale de la Scandinavie, et dans le sillage de l’analyse des

discours spéciaux et de l’approche lexicographique de la terminologie, se définit une

socioterminologie où la prise en compte des dimensions sociales sera désormais

fondamentale dans l’étude des phénomènes terminologiques, que ce soit pour mener des

études de terrain dans une perspective d’aménagement linguistique ou dans le cadre de

recherches strictement théoriques. Au cœur de cette approche sociologique ou

variationniste de la terminologie se situent : la description des usages réels, la

reconnaissance des phénomènes de variation linguistique, l’interdisciplinarité, la circulation

des termes et des concepts, puis le respect des diversités culturelles et langagières. Ces

postulats de base de la socioterminologie se construisent autour d’une remise en question

préalable de la Théorie générale de la terminologie (TGT) de Wüster et des approches

plutôt normatives de la terminologie qui avaient été privilégiées dans un c ontexte

d’aménagement linguistique et de définitions de normes. La socioterminologie remet en

question la biunivocité du terme, l’idéalisation lexicale, la « pratique dictionnairo-

normative » (Boulanger 1991 : 27), l’idéal réducteur de la normalisation, la circonscription

réductionniste des domaines, la monosémie, la monoréférentialité et la synchronie.

La socioterminologie a donc pu se préciser au fil des dernières décennies, mais il n’en reste

pas moins qu’elle continue de s’élargir. À ce jour, la socioterminologie est certes un

courant qui a s es ramifications aux quatre coins de la planète. Ses revendications sont si

bien honorées que le socio- de socioterminologie est maintenant remis en question, mais

pas son signifié (Gaudin 2003).

Page 30: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

11

1.2.2. La terminologie textuelle et les linguistiques de corpus (terminotique)

Bourigault et Slodzian (1999) ont développé leur Terminologie textuelle autour d’un

constat : « l’activité de construction d’une terminologie est désormais essentiellement une

tâche d’analyse de corpus textuels » (1999 : 30). Cette affirmation s’appuie sur deux

raisons principales : les applications de la terminologie sont le plus souvent des applications

textuelles et les connaissances partagées par un groupe d’experts ont pour point de départ

les textes. Il faut donc asseoir l’analyse terminologique sur des corpus textuels; et cette

analyse doit être faite conjointement par les experts et les linguistes terminologues ou

cogniticiens. C’est ce que Bourigault et Slodzian appellent la médiation d’un analyste.

Dans le premier critère, l’accent est mis sur le besoin d’une terminologie « validée » par

l’expert. C’est à partir de cette contrainte que s’exprime la conception d’une normalisation

non plus comme un pr ocessus de planification terminologique, mais bien comme une

opération de validation. Dans la deuxième contrainte, les auteurs accordent une grande

importance à la validation faite, cette fois-ci, par les utilisateurs des applications. Il va sans

dire que leur approche textuelle de la terminologie doit se faire dans une étroite

collaboration entre experts, linguistes terminologues et utilisateurs.

Les propositions théoriques et méthodologiques de Bourigault et Slodzian reposent sur des

bases empiriques. Leur théorie s’appuie principalement sur deux propositions : le texte est

le point de départ (la théorie de la terminologie doit être ancrée dans une linguistique

textuelle) et le terme est un construit (comme nous l’avons mentionné précédemment, il

sera construit par l’analyste).

Leur approche, bien entendu, n’est pas sans rappeler les travaux de Pearson (1998), de

Habert, Nazarenko et Salem (1997), de Meyer (2001), de Jacquemin (2001), etc. dans

lesquels il est question des linguistiques de corpus, d’analyse des termes en contexte et du

potentiel d'utilisation des corpus semi-automatisés en terminographie et en lexicographie.

La démarche de Bourigault et de Slodzian semble donc s’inscrire directement dans ce

mouvement plus large qui est la terminotique.

Page 31: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

12

1.2.3. La terminologie communicationnelle

Dans sa Théorie communicationnelle de la terminologie (TCT), Cabré propose un

traitement multidimensionnel (cognitif, linguistique, pragmatique) des termes; objets au

cœur de sa théorie. Selon Cabré, la terminologie est un domaine carrefour entre la théorie

du langage, la théorie de la communication et la théorie de la connaissance. Inspirée de ces

trois domaines, elle propose de voir les termes, à partir d’une théorie à base linguistique,

comme des objets polyédriques. « Les termes reflètent la structure conceptuelle d’une

discipline, et dans ce sens, ils constituent le fondement de la communication spécialisée »

(Cabré 1998 : 90). Ce qui ressort de la TCT, c’est qu’elle puise son inspiration dans le

modèle de la communication de Jakobson (1963); elle allie les fonctions du l angage à la

terminologie : apport important. Les deux autres grandes caractéristiques de la TCT sont,

d’une part, le traitement multidimensionnel des termes et d’autre part, l’importance

accordée aux objets (les termes), directement au centre de la théorie. Par ailleurs, la TCT

admet que la variation fait partie intrinsèquement du processus de communication, ce qui

permet un traitement descriptif et multidimensionnel des phénomènes de synonymie et de

polysémie. Par ailleurs, la terminologie est vue comme un type de communication entre des

acteurs donnés (émetteurs, récepteurs) ayant, selon le contexte et le but de l’échange,

différents degrés d’expérience et de spécialisation. Cette approche permet donc de

distinguer les causes et les acteurs d’une situation terminologique donnée avec plus de

nuance.

1.2.4. La terminologie sociocognitive

Temmerman a d éveloppé une Théorie sociocognitive de la terminologie (TSCT) à partir

des modèles de la sémantique cognitive et de la sociolinguistique. Elle a donc repris les

catégories prototypiques telles qu’on les retrouve, entre autres, chez Geeraerts (1994, 1997)

et les a adaptées à l’étude de la terminologie (plus particulièrement des sciences de la vie au

moment où elle menait cette étude). Au centre de sa TSCT se trouvent donc les unités de

compréhension (termes), vus comme des objets motivés, et dont les catégories

Page 32: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

13

prototypiques permettent de rendre compte, entre autres, avec les schémas (définitions) de

leurs aspects flous et flexibles. Les catégories prototypiques sont définies comme ayant une

« structure d’air de famille (family resemblance); leur structure sémantique peut être décrite

sous la forme d’un ensemble de significations qui se recouvrent partiellement »

(Temmerman 2000 : 60). De plus, elles ont toutes un degré d’appartenance et comportent

des caractéristiques perceptuelles, interactionnelles et fonctionnelles. En ce q ui concerne

les définitions, elles sont remplacées par des schémas qui donnent la possibilité d’exprimer

les aspects flous et flexibles de l’unité de compréhension. Selon Temmerman, la

progression de la compréhension est directement liée aux phénomènes de synonymie et de

polysémie. Temmerman reconnaît aussi le besoin d’une étude diachronique de la

terminologie afin d’en comprendre la catégorisation et la dénomination.

Cette théorie semble donc offrir plus de souplesse à l ’analyse des termes et permet une

autre façon de penser la terminologie. De plus, elle semble laisser une grande place à

l’observation des phénomènes de synonymie et de polysémie, ce qui rejoint sur ce point la

TCT de Cabré.

1.2.5. La terminologie culturelle

Diki-Kidiri place la culture, l’identité et l’appropriation des réalités nouvelles au centre de

son approche et conduit ses expériences sur le terrain fertile des langues africaines, où le

développement biculturel et la circulation des produits industrialisés ont engendré de

grands besoins en matière d’aménagement terminologique. Chez Diki-Kidiri, le terme est

un produit langagier culturellement intégré à partir des archétypes référentiels. Il propose

donc un t ravail pluridisciplinaire sur le terme en tenant compte de ses spécificités

anthropologiques culturelles et cognitives. Selon Diki-Kidiri, la culture est conçue comme

« l’ensemble des expériences vécues, des productions réalisées et des connaissances

générées par une communauté humaine vivant dans un même espace, à une même époque »

(2000 : 28). Diki-Kidiri propose donc une nouvelle façon d’ordonner le monde à travers sa

vision culturelle de la terminologie et revisite certains concepts tels que celui du signe et

Page 33: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

14

des LSP. Le signe, selon lui, devrait comporter les trois composantes suivantes : a) le

signifiant, b) le signifié et c) le concept. Chacune de ses composantes permettraient des

analyses sur les aspects suivants : a) morphologie, règles de formation des mots,

synonymie, homonymie; b) polysémie, métaphore, métonymie, sens figurés, signification

et c) définition, typicalité, représentation, cognition, etc. En ce qui concerne le terme

langues de spécialité, Diki-Kidiri lui préférerait plutôt discours spécialisés sans toutefois le

définir.

1.2.6. La terminologie fonctionnelle

Le point de départ de la Terminologie fonctionnelle de Faulstich est le modèle développé

par Café (2003), lequel est basé sur la grammaire fonctionnelle de Dik (The Theory of

Functional Grammar, 1997). L’objet central de sa proposition est le terme étudié à partir

d’une approche grammaticale, donc proprement linguistique. Les postulats théoriques pour

un « construit » (le terme vu ici comme un construit) sont les suivants : dissociation entre

structure terminologique et homogénéité; favorisation d’une hétérogénéité ordonnée;

abandon de l’isomorphisme catégorique entre terme-concept-signifié; acceptation de la

variation en terminologie puisque cette dernière est un fait de langue soumis aux principes

de variation et aux règles de la grammaire; acceptation de la variation terminologique

comme signe d’évolution en cours; et analyse de la terminologie en cotextes linguistiques

et en contextes discursifs de la langue écrite et orale.

Le modèle fonctionnel de Faulstich se présente donc comme suit :

C = < T (F), LT, R > où :

T = terminologie

F = formatif

LT= fond lexical terminologique

R = règle

Page 34: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

15

Le C représente le construit qui, lui, est composé des éléments énumérés ci-haut qui

formeront une règle. Cette règle peut s’étendre à l’infini :

LT (A), F = {R} e R (F → A)

a

B

C

n

F → Aa

F → B

F → ABC

etc.

Faulstich présente dix cas de dérivations possibles des règles dont les exemples ont été

appliqués au domaine des sciences de la vie en portugais du Brésil, et validés ensuite dans

les langues et variétés de langues suivantes : anglais, allemand, portugais du P ortugal,

français, espagnol du M exique, espagnol de l’Argentine, espagnol de l’Espagne, catalan,

italien, roumain et galicien. Dans cette Terminologie fonctionnelle, le terme est analysé à

partir d’une approche grammaticale hautement conceptuelle, permettant de rendre compte

du concept associé au terme. Par exemple, les locutions prépositionnelles rendent compte

de la fonction grammaticale du formatif en fonction du c oncept lui-même. Les

déterminants, qui viennent se greffer autour de la base, rendent compte des traits qui

s’accumulent sémantiquement et qui viennent modifier le contenu du t erme. De par cette

accumulation de traits sémantiques, le construit est apte à former un concept et un référent

unique dans son contexte précis.

Ainsi, la Terminologie fonctionnelle offre un modèle concret d’analyse des termes. Par

ailleurs, Faulstich propose une étude à la fois diachronique et synchronique. Elle fait

mention de l’étude de la langue orale en terminologie et non seulement de la langue écrite,

ce que nous considérons comme un atout majeur. Son application du fonctionnalisme dans

l’étude des termes complexes constituent non seulement un plus pour la compréhension du

fonctionnement grammatical des termes, mais surtout une approche hautement

conceptuelle; ce qui rejoint les besoins manifestés dans les approches diachroniques et

sémantiques dont il sera question au prochain paragraphe.

Page 35: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

16

1.2.7. Les approches sémantique et diachronique

Les approches sémantique et diachronique ne sont pas défendues par un seul auteur comme

en témoignent les récentes publications sur le sujet (cf. Béjoint et Thoiron (2000),

Delavigne et Bouveret (1999), Condamines et Rebeyrolles (1997); Assal, Gaudin et

Guespin (1992), Pavel (1991), Auger (2002), Faulstich (1998/1999), Stengers (1987), etc.).

En fait, ces approches ressortent, séparément ou conjointement, dans plusieurs articles et

ouvrages portant sur la terminologie, et même dans certaines des théories proposées ici

dont notamment celles de Cabré, Faulstich et Temmerman. Dans ce bilan, nous donnons un

aperçu de ces tendances. Pour ce faire, nous avons sélectionné un ouvrage collectif et plus

particulièrement, un de ses articles pour illustrer les questions soulevées par ces deux

approches.

Ainsi, neuf ans après la parution de Terminologie et sociolinguistique dans les Cahiers de

linguistique sociale, Delavigne et Bouveret (1999) proposent un r ecueil de réflexions

autour d’approches sémantiques de la terminologie. Leur recueil (composé de 10 articles)

s’articule autour des problématiques suivantes : les contextes, les conditions de production,

la circulation des termes et des concepts, l’étude diachronique et la description de la

polysémie.

Parmi tous ces articles, celui de Dury, intitulé « Les variations sémantiques en

terminologie : étude diachronique et comparative appliquée de l’écologie », permet de bien

illustrer les apports de la sémantique et de la diachronie à la terminologie. Ainsi, selon

l’auteure, les transferts sémantiques des termes vont de pair avec la contamination des

concepts d’une science à une autre. Ceux-ci viennent, par ailleurs, ébranler le principe des

frontières hermétiques entre les langues de spécialité :

La circulation de vocabulaire entre la biologie, la zoologie, la botanique et

l’écologie est telle qu’il est difficile de ne pas penser que ces disciplines

possèdent de solides passerelles d’accès entre elles […]. Ces derniers [les

Page 36: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

17

termes] ne sont pas fractionnés strictement, ne sont pas hermétiques les uns par

rapport aux autres, mais tissent des liens sémantiques […] (Dury 1999: 25).

Par ailleurs, dans son étude, Dury évoque la possibilité qu’il puisse exister un « fonds

archaïque conceptuel » : « […] Pascaline Dury montre que cette nomadisation du terme de

domaines en domaines conserve un sens noyau « inaffecté par les transferts sémantiques du

terme » sur lequel viennent se greffer des sens périphériques « qui disparaissent ou

s’ajoutent au gré de la circulation langagière de ce dernier » » (Delavigne et Bouveret 1999:

11). Ce qui n’est pas sans rappeler l’accumulation de traits sémantiques évoquée par

Faulstich dans la Terminologie fonctionnelle.

En dernier lieu, Dury souhaite que les réflexions sur la terminologie se poursuivent et que

l’on prenne davantage en considération la terminologie diachronique :

[…] l’ensemble des publications qui se font en terminologie sont peu

empreintes de considérations diachroniques. Cette réalité est pour le moins

attristante, car la terminologie diachronique est riche d’enseignements et permet

de faire apparaître des phénomènes essentiels du langage (Dury 1999 : 17).

Ces dernières années, il semble donc y avoir un engouement pour ces approches comme en

témoignent les titres des publications les plus récentes (pour l’approche sémantique) : Le

sens en terminologie de Béjoint et Thoiron (2000), Sémantique des termes spécialisés de

Delavigne et Bouveret (1999), Sémantique et terminologie : Sens et contextes de Assal,

Gaudin et Guespin (1992) ou e ncore Changement sémantique et terminologie chez Pavel

(1991). Parmi les articles faisant mention d’un besoin d’études diachroniques en

terminologie, citons Auger (2002), Le phénomène de l’anglicisation de la langue forestière

au Québec : essai de socioterminologie diachronique et Faulstich (1998), Principes formels

et fonctionnels de la variation en terminologie dans lequel elle présente une étude

diachronique de la cuisine en portugais du B résil (fin 15e et début 16e s. versus époque

contemporaine). Toutes ces contributions témoignent bel et bien d’un retour des études sur

le sens et sur la diachronie en terminologie.

Page 37: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

18

Finalement, le tableau 2 donne une vue d’ensemble des approches présentées jusqu’à présent

en décortiquant le point de départ de chacune d’elles, leur objet central, leurs caractéristiques

communes et propres. (cf. Tableau 2 : Les caractéristiques propres et communes des

nouvelles approches de la terminologie contemporaine en page 24).

1.3. La TCT et les fonctions de la langue: point de départ de notre modèle de la

communication spécialisée

À partir de certains principes de la TCT (Théorie communicationnelle de la terminologie)

(cf. Cabré) et des fonctions de la langue identifiées par Jakobson (1963), nous avons

développé un m odèle de la communication spécialisée (cf. chapitre 5) qui permet

d’expliquer et de mettre en relation les causes de la variation dénominative avec les causes

et les manifestations de la variation conceptuelle et de la variation polysémique.

L’approche communicationnelle, en plus de placer l’étude terminologique dans un cadre

linguistique, admet la variation et permet de prendre en compte la dimension textuelle et

discursive des termes :

En líneas generales, la teoría que proponemos pretende dar cuenta de los

términos como unidades singulares y a la vez similares a o tras unidades de

comunicación dentro de un e squema global de representación de la realidad,

admitiendo la variación conceptual y denominativa, y teniendo en cuenta la

dimensión textual y discursiva de los términos (Cabré 1999: 120).

Les termes […] reflètent la structure conceptuelle d’une discipline, et dans ce

sens, ils constituent le fondement de la communication spécialisée (Ibid 1998 :

90).

Elle [la communication spécialisée] admet alors différents niveaux de

spécialisation, plusieurs degrés d’opacité cognitive, qui indiquent différents

niveaux de densité terminologique et cognitive » (Ibid 2000b : 14).

Page 38: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

19

En outre, la variation n'est nulle autre que le reflet d'une société aux multiples visages,

tantôt scientifique, tantôt générale. La langue s'adapte au gré des contextes, des besoins et

des cultures. Il apparaît donc évident que l'aspect sociologique soit pris en compte pour

dégager les grandes tendances variationnelles au sein d'une même langue :

Quiconque entreprend un travail terminographique fait face à la variation

(registres ou niveaux de langue, synonymes, ambiguïtés et glissements

sémantiques dans les définitions, polysémie, degrés d'équivalence entre les

langues, co-présence d'emprunts et de termes natifs, etc.). Et cela quel que soit

le «domaine», traditionnel (par exemple textile, brasserie) ou nova teur (par

exemple technologies de l'information), hyperspécialisé (par exemple imagerie

médicale) ou r elevant du patrimoine commun (par exemple ce qui touche

l'environnement : eau, air) (Gambier, 2001: 108).

Parallèlement à l ’arrivée de la sociolinguistique en France dans les années 70 s’est

manifestée une socioterminologie :

La socioterminologie s’appuie sur les concepts et démarches de la

sociolinguistique (…) (Guespin 1995 : 210).

Cette approche, esquissée par des auteurs isolés (principalement L. Guilbert et

A. Rey, durant les années 1970), s’est développée dans les années 1980

(Gaudin 2003 : 11).

Dans l’enceinte de l’École de Rouen (grâce aux travaux de son instigateur Guespin et de

ses successeurs Gaudin, puis Gambier), à la suite des analyses de discours de Marcellesi,

sous l’influence de l’École de Québec (travaux d’aménagement linguistique menés par

l’OLF) et d’une approche lexicographique de la terminologie (Rey, Guilbert, Dubois) s’est

peu à peu transformée l’étude de la terminologie en tenant compte de ses dimensions

sociales :

Page 39: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

20

Plus largement, fille de la sociolinguistique, discipline si importante que ses

contours tendent à s’estomper, la socioterminologie procède de la même

volonté de prise en compte des réalités sociales (Gaudin 1993a : 297).

C’est là que se dessine la place d’une socioterminologie : la sociolinguistique

lui sert de lieu d’inscription et d’héritage, la glottopolitique lui dessine un

horizon, l’interaction lui offre des outils conceptuels que nous croyons

susceptibles de permettre aussi bien de rénover les pratiques et les théories que

de répondre plus justement aux demandes sociales (Ibid. : 300).

Depuis le début des années 1990, le mérite premier du groupe rouennais a été

de rappeler que la terminologie naît du s ocial et qu’elle doit y retourner

(Boulanger 1995 : 197).

1.4. Après les remises en question de la TGT (Théorie générale de la terminologie) : la

structuration de la socioterminologie

Si la socioterminologie remet en question la biunivocité du terme, l’idéalisation lexicale, la

« pratique dictionnairo-normative » (Boulanger 1991 : 27), l’idéal réducteur de la

normalisation, la circonscription réductionniste des domaines, la monosémie, la

monoréférentialité et la synchronie, elle préconise, en échange, une attitude descriptive plus

que prescriptive, un r etour à la linguistique, la considération de la synonymie et de la

polysémie, la reconnaissance de l’usage réel et de ses locuteurs, l’interdisciplinarité et la

circulation des termes, l’étude diachronique, l’observation sur le terrain, le respect des

diversités culturelles et langagières comme en témoignent Gambier et Gaudin :

La terminologie dominante, inspirée entre autres par Wüster, est fondée sur des

postulats de départ idéalistes, touchant le domaine, le terme et la notion dans

leur rapport de biunivocité, le signe linguistique. Ces principes de base résistent

mal aux réalités des terminologies et à la pratique terminographique (avec les

Page 40: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

21

phénomènes de polysémie, de synonymie, de transfert métaphorique…). La

critique des présupposés de la théorie oblige à remettre la terminologie sur ses

pieds: c'est le projet d'une socio-terminologie (Gambier 1991: 5).

Pour la socioterminologie, il s ’agit notamment de « comprendre la circulation

des termes, les résistances devant les dites terminologies officielles, les

difficultés de mise en place de politiques terminologiques qui marchent »

(Gambier 1988 :75). […] Toutefois, il nous faut auparavant insister sur l’objet

principal que s’assigne la socioterminologie, à savoir le fonctionnement

linguistique des termes et ceci, tant sur le plan syntaxique que sémantique

(Gaudin 1993a : 297).

D’un point de vue méthodologique, la socioterminologie procède avant tout,

nous semble-t-il, d’une attitude descriptive. En rupture avec les usages

traditionnels : consultation d’experts, travaux sur des corpus limités, ignorance

de la dimension orale, une attitude plus linguistique – la linguistique étant

essentiellement une science descriptive – suppose que les termes soient étudiés

dans leur dimension interactive et discursive (Ibid : 295).

C’est précisément dans la reconnaissance des usages réels que peut être observée la

variation terminologique.

1.5. L’approche descriptive versus l’approche normative

Bien que les postulats de la TGT aient été mis à mal avec l’avènement de la

socioterminologie, l’on ne peut nier l’importance des travaux de Wüster et l’on doit

reconnaître que la révision de sa théorie s’inscrit plutôt dans le cours normal de l’évolution

des pensées et des recherches dans le monde scientifique. L’on pourrait plutôt s’inquiéter

du contraire. N’est-ce pas le propre de la recherche de tout remettre en question et de

Page 41: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

22

s’adapter aux besoins nouveaux ou r éels? Tout comme Cabré, nous sommes d’avis qu’il

faut remettre la pratique de la TGT dans son contexte de normalisation :

En contextos prescriptivos, fuertemente estructurados y con la voluntad

prioritaria de garantizar una univocidad comunicativa (...) la TGT es

incuestionable. En situaciones de comunicación natural, de base social, con

pretensiones identitares, la TGT resulta insuficiente (Cabré 1999: 126).

Encore aujourd’hui, la socioterminologie se dessine et se réinvente sous divers angles

(terminologie sociocognitive, textuelle, communicationnelle, culturelle, sémantique,

diachronique, etc.). Diki-Kidiri va même jusqu’à affirmer que la socioterminologie n’a pas

encore révolutionné la terminologie classique :

Bien qu’elle représente déjà un pr ogrès important, la socioterminologie ne

remet pas directement en cause les fondements théoriques de la terminologie,

pas plus que la sociolinguistique ne se veut une rénovation théorique de la

linguistique (2000 : 6).

Gaudin, lui, nuance ses propos :

Il y aurait lieu, bien sûr, de nuancer. Il est évident qu’il existe tout un secteur de

dénominations réglementaires qui ne peuvent connaître de variations : en

matière de sécurité, de droit, de protection des consommateurs ou des citoyens,

etc. On doit savoir précisément ce que s’appelle pistolet d’alarme, gaz inerte,

colorant alimentaire ou agio. Mais le transfert des connaissances, la mise en

circulation du s avoir, la création de possibilités de débat sur des questions

techniques ou s cientifiques doivent au contraire accorder toute leur place aux

différences façons de dénommer des réalités difficiles à mettre en mots. Il est,

par exemple, positif que l’on ait disposé du t erme maladie de la vache folle à

Page 42: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

23

côté d’encéphalopathie spongiforme bovine pour la communication vers le

grand public autour de cette maladie (2003 : 179-180).

Nous sommes d’avis que chaque perspective a sa raison d’être en fonction des besoins et

des objectifs de chaque situation de communication. La variation terminologique est un

phénomène naturel, elle s’observe dans les textes écrits et dans les discours oraux. En

adoptant une perspective descriptive, on s’applique à décrire, sans porter de jugement, tous

les usages en cours alors qu’en adoptant une perspective normative, en fonction d’objectifs

spécifiques et dans des situations précises (incidence sur la sécurité publique, sur la

protection du c onsommateur, sur les échanges commerciaux, etc.), on privilégie certains

usages. Notre étude porte sur la description de la variation terminologique, nous opterons

donc pour une description des usages; ce qui nous amènera d’ailleurs à présenter notre

modèle de la variation terminologique.

Tout en étudiant la variation terminologique, nous souhaitons contribuer ici à cette

redéfinition de la terminologie contemporaine. Nous défendons l’hypothèse de la variation

terminologique comme faisant partie intrinsèquement du processus de communication, et

ce, même à l’intérieur d’un savoir spécialisé. Chacune des nouvelles approches ou d es

théories citées précédemment participe à l’élaboration d’une terminologie mieux adaptée

aux besoins réels, dépassant largement les principes normatifs et laissant place à l a

réflexion. C’est donc dans le foisonnement des idées et dans la plus grande réceptivité que

se dessine une terminologie tournée vers l’avenir à laquelle nous prenons part en offrant

une synthèse et une analyse en profondeur des phénomènes de variation terminologique,

situés au cœur des préoccupations mêmes de la socioterminologie et de l’étude de la

terminologie moderne.

Page 43: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

Nom des approches Point de départ Objet central Caractéristiques propres Caractéristiques communes

Socioterminologie Sociologie et

linguistique

variationniste ou

sociolinguistique

Description des usages

réels (synonymie, polysémie)

Description et reconnaissance des

usages réels et des locuteurs, diversité langagière et culturelle.

Interdisciplinarité, diachronie, variation.

Circulation des termes et des concepts. Fonctionnement linguistique des termes sur le plan syntaxique et sémantique.

Observation sur le terrain.

Terminologie textuelle et

linguistiques de corpus

(terminotique)

Analyse de corpus

textuels

Texte et informatique Terme = un construit

Outils TALN

Ouverture aux autres catégories du discours.

Description des usages en fonction des utilisateurs, des applications. Variabilité des terminologies et diversité des situations.

Terminologie communicationnelle

(Cabré)

Modèle de la

communication de Jakobson et les termes

Termes = objets

polyédriques

Traitement multidimensionnel :

cognitif, linguistique et pragmatique.

Circulation des termes (objets mobiles).

Interdisciplinarité Discipline carrefour : théories du langage, de la communication

et de la connaissance.

Terminologie sociocognitive

(Temmerman) Sémantique cognitive et

sociolinguistique

Termes = unités de

compréhension

Terme = motivé

Prototypicité

Analyse diachronique componentielle.

Diachronie

Description de la variation (synonymie et polysémie).

Terminologie culturelle (Diki-

Kidiri)

Culture et appropriation

des réalités nouvelles (Afrique)

Terme = produit

langagier culturel Archétypes culturels

Spécificité : langues africaines.

Signe = motivé (signifiant, signifié,

concept). LSP = discours spécialisés.

Diachronie, étymologie.

Pluridisciplinarité Cognition, anthropologie et diversité culturelles. Cadre social, utilisateurs.

Terminologie fonctionnelle

(Faulstich)

Grammaire fonctionnelle

de Dik et modèle de

Café

Terme = construit Approche grammaticale et

conceptuelle.

Règles

Approche diachronique et synchronique.

Variation comme signe d’évolution de la langue.

Terminologie en contextes et en cotextes.

Terminologie sémantique Sémantique

Notion de sens

Circulation et

contamination des termes et des concepts

« Fonds archaïque conceptuel » et

« sens noyau ». Liens sémantiques. (Dury)

Circulation des termes et des concepts.

Ouverture des frontières. Description de la polysémie. Respect des contextes.

Conditions de production.

Terminologie diachronique Diachronie Notion de temps Diachronie Diachronie (évolution des langues).

Variation et étymologie.

Tableau 2 : Les caractéristiques propres et communes des nouvelles approches de la terminologie contemporaine

Julie Pelletier 2012

24

Page 44: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

25

1.6. La variation dénominative

La variation dénominative a déjà été traitée à quelques reprises par le passé, mais il a fallu

attendre la thèse de Judit Freixa en 2002 po ur qu’elle fasse l’objet d’une synthèse

exhaustive :

On parle ici et là d’une synonymie en rapport avec les « niveaux de langues »,

d’une autre synonymie qui émanerait de la concurrence économique entre

instituts de recherche et entreprises…, mais on est loin encore d’une typologie

systématique et exhaustive des facteurs producteurs de la synonymie

terminologique (Assal 1993 : 151).

Avant la thèse de Freixa, il y eut, entre autres, les travaux de De Bessé (1974) dans Freixa

(2002), de Duchacek (1977), de Auger (1974) dans Freixa (2002), de Duquet-Picard

(1986), de Auger et de Boulanger (1999) et de Faulstich (1996, 1998/1999). Ces auteurs

avaient proposé des typologies différentes de la variation dénominative. Freixa a r epris

l’ensemble des typologies existantes pour proposer sa propre typologie qui constitue un

exercice de synthèse fondamental. Par la suite, il restait à identifier de façon exhaustive les

causes de cette variation dénominative. C’est précisément ce à quoi s’est consacrée Judit

Freixa dans sa thèse. Sa typologie nous servira de point de départ dans cette étude.

1.6.1. La variation dénominative ou la synonymie

La terminologie employée pour décrire les phénomènes de synonymie varie énormément

selon les auteurs. Le terme synonymie provient de la théorie de la linguistique et le terme

variation est issu de la sociolinguistique. Selon les auteurs et selon leurs approches

respectives, certains vont privilégier la forme synonymie et d’autres, la forme variation.

Kocourek (1991), par exemple, utilisera le terme synonymie pour décrire ce phénomène

dans la langue technique et scientifique, mais avec une approche proprement linguistique.

Page 45: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

26

Certains auteurs vont parler de synonymie absolue et de synonymie partielle ou

approximative.

La synonymie peut avoir deux acceptions différentes : ou bien deux termes sont

dits synonymes quand ils ont la possibilité de se substituer l’un à l’autre dans un

seul énoncé isolé (pour un m ot donné, la liste des synonymes est alors

importante); ou bi en deux termes sont dits synonymes (synonymie absolue)

quand ils sont interchangeables dans tous les contextes, et alors il n’y a

pratiquement plus de véritables synonymes sinon entre deux langues

fonctionnelles […]. De plus, deux unités peuvent avoir le même référent et ne

s’employer que dans des contextes différents […]. C’est plutôt en terme de

degrés qu’on peut parler de synonymie [….]. La synonymie peut donc être

complète ou non, totale ou non (Dubois et al. 1973 : 476).

Pour Kocourek, « les termes synonymes sont des termes interchangeables dans le

définiendum de la même définition » (2001 : 267). Selon le degré de parenté formelle, il

sera alors question de synonymie paronymique (termes formellement apparentés) ou de

synonymie hétéromorphe (termes sans parenté formelle). Dans le même ordre d’idées, c’est

ce que Natanson appelait synonymie homogène et synonymie hétérogène. Pour Kurysko,

l’étude de la synonymie s’orientait autour des doublets, c’est-à-dire autour d’une paire

formée à partir d’un terme russe et d’un terme équivalent ayant une base latine. Selon

Kurysko, les doublets étaient des synonymes absolus et parfaitement interchangeables

(d’après Freixa 2002 : 94).

En terminologie, la distinction entre synonymie et variation peut aussi s’exprimer à partir

d’un changement lexical, syntaxique, morphologique ou orthographique:

Normalement, sont considérées comme synonymes des unités qui se distinguent

par un changement lexical, c’est-à-dire par un changement de lexème (par la

base ou par l’extension). Les variantes, elles, se distinguent en trois classes :

variantes d’ordre syntaxique ou morphosyntaxique (préposition, genre, nombre,

Page 46: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

27

présence ou absence d’article dans un syntagme), variantes d’ordre

morphologique (changement d’élément affixal) et variantes d’ordre graphique

(changement orthographique ou typographique) (Freixa 2002 : 95).

En vérité, le terme variante demeure polysémique et le débat autour de cette question se

poursuit. Où se situe la limite (basée sur différents critères dont la différence formelle, le

degré de motivation, l’interchangeabilité, l’équivalence sémantique, le cadre notionnel,

etc.) entre l’équivalence dite absolue et relative? Ce sont là des questions pour lesquelles

nous n’avons pas de réponses définitives. Nous sommes plutôt d’avis qu’il n’existe pas de

synonymie absolue, mais bien des variantes dénominatives qui rendent compte des nuances

propres aux situations de communication, qui, elles, sont multiples. C’est pourquoi nous

privilégions la forme variante dénominative à celle de synonyme pour une raison

idéologique, d’une part, puisque que cette expression est issue du courant variationniste et

de la socioterminologie à laquelle nous adhérons dans cette étude et pour une raison

historique, d’autre part, puisque la synonymie a été longtemps associée à une approche

prescriptive de la terminologie; ce qui a eu pour conséquence de la rejeter ou de la

minimiser, et ce, jusqu’au début des années 90. Pour des idéaux de monosémie, il existait

une certaine façon de faire de la terminologie qui consistait en un classement homonymique

et en un cloisonnement des domaines. Ce qui avait, bien sûr, pour conséquences, de réduire ou

d’éliminer la synonymie. Malgré la mise en place d’une socioterminologie en faveur d’une

approche descriptive des usages réels, il existe encore aujourd’hui de nombreuses banques

de terminologie qui affichent des modèles normatifs et qui utilisent encore cette façon de

faire. Pour toutes ces raisons et par souci de nous dissocier de cette contrainte normative,

nous privilégions la forme variante dénominative. Par ailleurs, les formes variation

dénominative et variante dénominative nous permettent de distinguer les trois phénomènes

de variation terminologique observés dans notre étude. Ces termes rendent compte des

différences notionnelles implicites entre la variation dénominative, la variation conceptuelle

et la variation polysémique. Ces termes sont plus transparents et correspondent mieux à

notre conception de la variation terminologique.

Page 47: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

28

Nous concevons la variation dénominative dans le sens large défini dans Dubois et al. sous

synonymie:

Sont synonymes des mots de même sens ou approximativement de même sens,

et de formes différentes (1973 : 465).

La variation dénominative correspond donc à deux ou plusieurs dénominations différentes

liées à un même concept et à un même référent. Cependant, il faut insister sur le besoin de

considérer les facteurs sociaux qui causent cette variation en contextes et les relations que

ces termes entretiennent avec d’autres disciplines du savoir humain. Tout comme De Bessé,

nous concevons la variation dénominative dans toute sa gamme de nuances :

Il n’y pas de synonymie véritable, elle est toujours relative, il y a toujours une

série de nuances situationnelles qui font que la synonymie n’est jamais absolue

(1974: 47).

1.6.2. Le bilan des travaux

Dans leur classification, Auger et Boulanger (1999) dressent un portrait assez détaillé de la

synonymie. D’ailleurs, la typologie de Judit Freixa rejoint celle de Auger et Boulanger dans

l’ensemble. Là où Auger et Boulanger présentent des types de synonymie, Freixa

identifiera des causes. Voici les catégories de synonymie identifiées par Auger et

Boulanger: 1) synonymie géographique, 2) synonymie chronologique, 3) synonymie de

niveau de langue, 4) synonymie professionnelle (interprofessionnelle, socioprofessionnelle,

interthéorique), 5) synonymie fonctionnelle (d’emprunt, morphologique, lexématique,

orthographique, syntagmatique, syntaxique), 6) synonymie concurrentielle (publicitaire,

générique/spécifique (marque déposée)), 7) synonymie fréquentielle.

La classification de Duchacek (1977) repose essentiellement sur trois critères : le point de

vue sémantique (tant en relation avec la dénotation que la connotation), les causes de la

Page 48: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

29

synonymie et les différences formelles qu’il nomme morphosyntaxiques. Il utilise un critère

qui lui permet de séparer les synonymes des variantes morphologiques. D’après sa

classification et selon Freixa, l’on peut déduire que seules les unités qui subissent un

changement lexical sont considérées comme des synonymes. De plus, la classification de

Duchacek est basée sur un critère d’alternance entre unités simples et syntagmes. À cette

époque, Duchacek était arrivé à la conclusion que « la synonymie est désavantageuse en

terminologie, car elle peut causer différents malentendus et confusions. […] Nous sommes

persuadé qu’il serait utile d’arriver à une normalisation des terminologies […] (1977 : 7 et

9).

Dans sa thèse de doctorat, Duquet-Picard (1986) se consacrait à l’étude de la synonymie en

langues de spécialité, et plus concrètement à la distinction entre variantes et synonymes.

Les synonymes et les variantes sont soit marqués, soit neutres 1. Les variantes sont de type

morphosyntaxique, affixale ou or thographique. Dans sa conclusion, Duquet-Picard

soulignait le besoin de poursuivre les recherches pour définir les formes qu’emprunte la

synonymie:

En somme, il reste encore beaucoup à faire pour établir un portrait fidèle de la

synonymie terminologique. Nous avons voulu jeter les bases d’une théorie

générale de la synonymie terminologique en langues de spécialité afin que

d’autres études plus spécifiques s’appuient, autant que possible, sur une même

théorie de référence et fassent les analyses et comparaisons nécessaires pour

confirmer ou infirmer nos observations générales (1986 : 290).

Quant à F aulstich (1996), elle présente un m odèle de variation terminologique articulé

autour de deux grands blocs : la variation terminologique linguistique (issue d’un processus

proprement linguistique) et la variation terminologique de registre (issue d’un milieu où il y

a concurrence). Ces deux blocs se divisent respectivement en trois catégories : variantes

morphosyntaxiques, variantes lexicales et variantes graphiques; puis variantes

géographiques, variantes de discours et variantes temporelles.

1

Pour plus de détails, voir Duquet-Picard 1986 : 183 et 194.

Page 49: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

30

Entre 1997 et 1999, elle ajoute certains éléments à son modèle et ce dernier se divise donc

en trois groupes : 1) variantes concurrentes (variantes formelles linguistiques telles que

phonologiques, morphologiques, syntaxiques, lexicales, graphiques et variantes formelles

de registre telles que géographiques, de discours et temporelles); 2) variantes co-

occurrentes (synonymes) et 3) variantes compétitives (emprunts aux langues étrangères et

emprunts proprement dits, qu’ils soient de forme étrangère, hybride ou vernaculaire). Dans

ce modèle, Faulstich distingue les variantes concurrentes des variantes co-occurrentes.

Selon elle, les deuxièmes sont des synonymes terminologiques totalement équivalents au

niveau du contenu. Cette catégorie rejoindrait donc la synonymie dite absolue où les termes

sont interchangeables sans qu’il y ait changement de sens. De tels phénomènes sont plutôt

rares, mais existent. Selon nous, ces deux premières catégories devraient en former une

seule parce que leur formation linguistique et leur apparition en contexte peut répondre aux

mêmes critères et aux mêmes exigences. La nuance principale, apportée ici par Faulstich,

selon ce que nous pouvons en dégager, est que dans certains cas, certaines variantes vont se

fixer plus que d’autres dans l’usage, après leur phase de lancement, d’éclatement de la

notion tel que le mentionne Gaudin dans son continuum de la socio-diffusion, et pour ces

raisons, vont devenir des co-occurrents établis dans l’usage. Malgré cela, nous sommes

d’avis qu’il existe toujours des nuances de sens, même minimes, dans l’emploi d’une

variante au profit d’une autre, même si celles-ci semblent à priori occuper le même espace

sémantique contextuel. C’est pourquoi nous préférons les appeler variantes dénominatives.

Faulstich propose une étude à la fois diachronique et synchronique des variantes; ce qui est

un apport considérable à l’étude des phénomènes de variation terminologique. Par ailleurs,

son application du fonctionnalisme dans l’étude des termes complexes constitue non

seulement un atout pour la compréhension du fonctionnement grammatical des termes,

mais surtout une approche hautement conceptuelle. Les postulats théoriques pour un

« construit » (le terme vu ici comme un c onstruit) développés par Faulstich sont les

suivants :

a) dissociation entre structure terminologique et homogénéité; en faveur d’une

hétérogénéité ordonnée;

Page 50: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

31

b) abandon de l’isomorphisme catégorique entre terme-concept-signifié;

c) acceptation de la variation en terminologie, puisque cette dernière est un fait de

langue, soumis aux principes de variation et aux règles de la grammaire;

d) acceptation de la variation terminologique comme signe d’évolution en cours;

e) analyse de la terminologie en cotextes linguistiques et en contextes discursifs de la

langue écrite et orale.

Cette mention de la langue orale chez Faulstich est aussi un apport considérable à l’étude

de la terminologie. Il existe peu d’études terminologiques portant sur la langue orale. C’est

un aspect qui mérite plus d’attention.

1.7. La typologie de la variation terminologique dénominative de Freixa

Notre analyse de la VD se fait à partir de la typologie développée par Judit Freixa dans sa

thèse de doctorat. Cette typologie a été préparée d’une part à p artir d’analyses qu’elle a

effectuées sur des textes du domaine de l’environnement en catalan et d’autre part à partir

de la synthèse des travaux réalisés sur le sujet auparavant. Freixa a aussi dressé une liste

des causes de la variation dénominative en terminologie à partir d’une analyse minutieuse

des travaux menés par ses prédécesseurs.

Freixa a développé une classification des types de la variation dénominative en quatre

grands groupes : la variation graphique et orthographique (incluant les symboles, les

formules chimiques, les sigles, les abréviations), la variation morphosyntaxique (absence et

présence de l’article, changement de préposition, de nombre ou de genre, changements

d’affixe, changement de structure), la variation par réduction (réduction de la base, de

l’extension et autres réductions) et la variation lexicale (changement de la base ou de

l’extension).

Page 51: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

32

L’analyse de Freixa constitue donc notre référence la plus complète en cette matière. Les

causes sont divisées en cinq grands groupes : causes dialectales, causes fonctionnelles,

causes discursives, causes interlinguistiques et causes cognitives.

C’est donc à partir de sa thèse et de sa présentation faite à l’OQLF 2 que nous proposerons

ici sa typologie (d’un point de vue formel) de la variation dénominative. Afin d’illustrer les

types de variation dénominative, quelques exemples extraits de notre corpus accompagnent

les catégories pour lesquelles nous avons pu relever des exemples pertinents et dans le cas

contraire, nous conserverons les exemples en catalan fournis à l’origine par l’auteure.

Veuillez noter, en ce qui concerne le corps du texte, qu’il s’agit d’une traduction et d’une

adaptation (de notre part) des documents originaux en catalan.

La classification de Freixa est divisée en quatre grandes catégories :

1. Variation graphique et orthographique

2. Variation morphosyntaxique

3. Variation par réduction

4. Variation lexicale

1.7.1. Variation graphique et orthographique

Termes et formes artificielles (symboles, formules chimiques et

autres)

Ex. plomb / Pb, mercure / Hg, chrome / Cr

Unités terminologiques et abréviations (sigles et abréviations)

Ex. déchets industriels banals / DIB

2

En juin 2003, Freixa est venue présenter son modèle de la variation dénominative en terminologie à l’OQLF.

Page 52: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

33

Changement orthographique

Ex. esprai / spray (catalan)

1.7.2. Variation morphosyntaxique

Maintien de la structure avec ou sans l’article

Ex. coût de collecte / coût de la collecte

Maintien de la structure avec changement de préposition, changement en nombre ou

en genre

Ex. production de déchets / production des déchets

Maintien de la structure avec changement d’affixe

Ex. rentatge de gasos / rentat de gasos (catalan)

Changement de structure (tel que dans cet ex. [N + A] / [N + JP +PD + N])

Ex. déchets ménagers / déchets des ménages

1.7.3. Variation par réduction

Réduction de l’extension

Ex. valorisation énergétique / valorisation

Réduction de la base

Ex. àcid sulfhídric / sulfhídric (catalan)

Autres réductions

Ex. captacions d’aigües subterrànies / captacions subterrànies (catalan)

Page 53: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

34

1.7.4. Variation lexicale

Unités simples

Ex. résidus / déchets

Unités complexes : changement de la base

Ex. déchets ménagers / ordures ménagères

Unités complexes : changement d’extension

Ex. déchets ménagers / déchets collectés

Unités simples / unités syntagmatiques

Ex. abocador / dipòsit de residus (catalan)

1.8. Les causes de la variation terminologique dénominative de Freixa

Freixa a dressé une liste des causes de la variation dénominative en terminologie. Avant

d’entreprendre la description des causes identifiées par Freixa, il est important de souligner

que peu d’études avaient été menées directement sur les causes de la variation

terminologique dénominative avant Freixa. Cependant, il convient de mentionner que de

nombreux auteurs avaient identifié ces causes intuitivement ou implicitement en les

identifiant comme des types de variation dénominative. C’est aussi pour cette raison que

Freixa affirme que la plupart des auteurs ont confondu les causes avec les types. Les causes

sont divisées en cinq grands groupes :

1.8.1. Causes dialectales

Variation géographique

selon les langues

Page 54: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

35

selon les secteurs de la connaissance

Variation chronologique

en relation avec le progrès des connaissances

est à la fois la cause et la conséquence de la variation conceptuelle 3

Variation sociale

La diversité de formes pour un m ême concept reflète les conditions de

production, les pratiques sociales, les restrictions d’énonciation parce que les

terminologies en discours sont liées à un objet, à une histoire, à un locuteur, à

une division du travail, à la compétence commerciale, etc. (Gambier, 1991).

Auger et Boulanger (1999) présentent deux de ces trois causes sous forme de types de

synonymie (synonymie géographique et synonymie chronologique). C’est aussi ce que

Faulstich (1999) appelle variation de registre (variation géographique, variation de

discours et variation temporelle).

1.8.2. Causes fonctionnelles

Les causes fonctionnelles de la variation sont reliées aux usages, aux utilisateurs de la

langue, aux situations de communication et à l’étude de la variation d’un point de vue

linguistique. Selon Freixa, un même locuteur pourrait dénommer une même notion de

façon différente selon la situation de communication ou s elon le récepteur auquel il

s’adresse.

Les différents paramètres de la variation fonctionnelle peuvent présenter quelques

écarts dans la langue spécialisée et peuvent avoir divers degrés d’incidence :

Champ ou thème : selon le système notionnel ou le système de connaissance

3

Nous expliquerons davantage la variation conceptuelle au point 1.9. et au chapitre 3 et 5.

Page 55: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

36

Le champ ou le thème peut appartenir à l a langue générale ou à l a langue

spécialisée (technique, scientifique, didactique, journalistique, etc.).

Canal ou mode : peut avoir moins d’incidence

Le canal ou le mode représente le moyen de transmission du message (oral ou

écrit).

Teneur : incidence relative

La teneur représente l’intention de communication (informer, influencer,

argumenter ou autres).

Ton : c’est probablement le paramètre qui peut engendrer le plus de variation

dans le discours spécialisé

o selon le niveau de spécialisation

o selon le niveau de langue

Le ton de la communication peut être formel ou i nformel, il peut être de

différents degrés de spécialisation en fonction des émetteurs et des récepteurs

(vulgarisation, scientifique, technique, pédagogique, etc.).

Lorsqu’il est question du niveau de spécialisation, cela rappelle la synonymie

professionnelle de Auger et Boulanger (1999). Plus spécifiquement, dans cette section, l’on

sent l’influence du courant communicationnel de la terminologie (cf. Cabré).

Les paramètres identifiés ici ne sont pas sans rappeler le modèle de communication élaboré

par Sager : le choix de l’intention, la sélection de la connaissance, le choix du langage, etc.

(Sager 1991 : 99-104). À l’origine, on sent que ces influences remontent aux fonctions du

langage présentées par Jakobson (1963).

Page 56: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

37

1.8.3. Causes discursives

Le style scientifique (concis et précis) assure l’efficacité de la communication.

Une des principales causes discursives, aussi la plus étudiée, est le désir

d’éviter les répétitions; ce qui amène une grande utilisation des variantes.

L’économie linguistique est aussi une cause importante de la variation. Par

souci d’économie ou pour varier, les locuteurs ont recours à des sigles et à des

abréviations leur permettant de s’exprimer plus facilement.

La créativité, l’emphase et l’expressivité.

La créativité, l’emphase et l’expressivité rejoignent ce q ue Auger et Boulanger (1999)

appellent synonymie concurrentielle (publicitaire). En effet, la publicité, pour se

démarquer, s’appuie sur la variation et exploite la forme idiolectale. Par ailleurs, toutes ces

causes discursives rappellent l’efficacité des termes, l’expression lexicale de l’économie, la

précision de l’expression et l’expression appropriée de Sager (1991 : 105-114). L’emploi,

par exemple, d’un terme simple pour désigner le terme complexe, par souci d’économie

linguistique ou d’efficacité de communication. Le passage du s pécifique au générique

correspond au même phénomène et engendre de la variation terminologique.

1.8.4. Causes interlinguistiques

La contiguïté (géographique ou culturelle) d’une langue avec les autres est une autre

cause de variation dénominative :

Coexistence d’un emprunt avec la forme vernaculaire

Prolifération de formes vernaculaires pour dénommer un emprunt

Page 57: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

38

Existence des calques et des adaptations

Auger et Boulanger (1999) avaient classé cette catégorie dans la synonymie fonctionnelle.

C’est aussi ce que Faulstich appelle variantes compétitives. Dans les deux cas, Auger et

Boulanger ainsi que Faulstich les classent dans les types, alors que Freixa les identifie

comme des causes. Dans cette catégorie, nous ajouterions les calques et les adaptations

observés fréquemment en terminologie.

1.8.5. Causes cognitives

Les causes cognitives sont liées à l a perception et la compréhension de la réalité, ainsi

qu’aux différentes formes d’approches.

L’imprécision conceptuelle :

Les concepts peuvent présenter des contours peu définis, des frontières floues.

L’insécurité cognitive peut engendrer l’insécurité dénominative.

Bouveret et Gaudin avaient relevé ce phénomène d’insécurité : « Mais il a rrive aussi que

l’on rencontre des témoignages d’insécurité linguistique à l’intérieur même de la spécialité

et que cette insécurité linguistique soit liée à une insécurité cognitive » (1997 : 68 da ns

Freixa 2002 : 157).

1.8.5.1.

Distanciation idéologique

L’existence de différentes écoles de pensée peut amener des dénominations

différentes pour un même concept.

Page 58: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

39

Les découvertes simultanées amènent les inventeurs à vouloir imposer leur

propre dénomination. Ce phénomène constitue une cause de la synonymie

qui se situe à mi-chemin entre le besoin conceptuel et le désir de se

distancier idéologiquement.

L’utilisation de nouvelles dénominations pour éviter les formes existantes,

pour des raisons de connotations péjoratives, constitue une forme

particulière de distanciation idéologique.

En ce q ui concerne les différentes écoles de pensée, c’est ce que Auger et

Boulanger (1999) appellent synonymie professionnelle interthéorique.

1.8.5.2.

Différences de conceptualisation

En terminologie, le fait que la compréhension de la réalité soit variée et unique

n’a pas toujours été bien accueilli.

La diversité s’explique par les diverses structures, les diverses expériences

ainsi que par les différents objectifs qu’un individu ou qu’une collectivité se

donne pour comprendre la réalité.

Une structuration et une segmentation différentes de la réalité comportent,

dans le processus d’acquisition de la connaissance, des catégories

différentes.

Ces différentes catégorisations peuvent amener différentes représentations

mentales qui peuvent dès lors conduire à des conceptualisations différentes.

Cela a donné lieu à des concepts différents ou, à tout le moins, à des

concepts issus de différents points de vue.

Page 59: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

Pour Condamines et Rebeyrolle, la notion de polyacception signifie « les manifestations linguistiques diverses

40

1.9.

La variation conceptuelle et la variation polysémique :

deux composantes de la variation terminologique à découvrir

Comparativement à la variation dénominative ou à la synonymie qui ont fait l’objet de

quelques études depuis une quinzaine d’années, les phénomènes de variation conceptuelle

et de variation polysémique ont été moins approfondis :

[…] l’analyse sémantique constitue vraisemblablement une lacune majeure face

aux demandes existant en terminologie mais également dans des domaines

comme l’intelligence artificielle (Gaudin 1993a : 297).

C’est là évoquer les fonctions cognitives de la terminologie. Elles sont souvent

abordées sous le seul aspect classificateur des terminologies-nomenclatures : on

privilégie alors le terme, nom propre d’une notion, sur le signe. Mais il f aut

souligner que les aspects que nous venons d’évoquer : la fonction heuristique

des termes, le rôle fécondant que jouent leur circulation d’un champ à l’autre,

les emprunts entre disciplines (…) sollicitent encore peu l’attention des

chercheurs (Gaudin 1993b : 255).

Il existe quelques études de la polysémie en linguistique, plus particulièrement en

sémantique ou en linguistique informatique, mais qu’en est-il en terminologie? Nous avons

pu trouver quelques pistes de réflexions chez Assal (1995) et Oliveira (2005), lesquels

s’intéressent au fonctionnement de la métaphore terminologique, chez Condamines et

Rebeyrolles (1997) dans leur théorie des points de vue basée sur une analyse contextuelle et

sur la notion de polyacception1, chez Béjoint (1989) dans un article traitant de l’opposition

entre monosémie et polysémie, chez Candel (1984, 1993) ayant mené des enquêtes de

terrain qui lui ont permis d’observer des phénomènes de variation conceptuelle chez des

scientifiques d’une même spécialité, chez Dury (1999) dans une étude traitant des transferts

1

d’un terme polysémique » (Ibid. : 183).

Page 60: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

41

sémantiques des termes et des concepts dans le domaine de l’écologie où elle évoque la

notion de « sens noyau » et de « fonds archaïque conceptuel », chez Temmerman (2000)

dans son modèle sociocognitif de la terminologie où elle procède à u ne analyse

prototypique et diachronique des polysèmes, chez Delavigne et Bouveret (2000) ainsi que

chez Béjoint et Thoiron (2000) qui proposent un r ecueil collectif de réflexions autour

d’approches sémantiques de la terminologie; mais encore faut-il procéder à une description

plus complète de la variation conceptuelle et de la variation polysémique en terminologie et

essayer d’en identifier les causes et les conséquences.

Lors de notre exploration préliminaire des travaux existants sur le sujet en linguistique

générale, plus particulièrement en sémantique, [Kleiber (1999), Remi-Giraud et Panier

(2003)] ainsi qu’en terminologie, nous avons pu c onstater que la polysémie est au cœur

d’un renouveau théorique. En terminologie, ce renouvellement passe, bien entendu, par la

remise en question des postulats de l’univocité du c ouple terme-concept et de la

circonscription réductionniste des domaines :

L’acceptation des synonymes remet en cause l’univocité du c ouple

dénomination –notion en terminologie-, alors que la polysémie vient-elle [sic]

ébranler la théorie de la monoréférentialité du terme (Auger 2001 : 201).

If one leaves the self-inflicted limitations of studying language as a system on

its own (traditional Terminology inspired by Saussurian structuralism), one

finds that there is very little arbitrariness in categorisation and lexicalisation.

Synonymy and polysemy appear to be functional in the process of progress of

understanding (Temmerman 2000: 227).

La polysémie est un ph énomène universel des langues, mais son bien-fondé

dans la langue scientifique fut longtemps contesté, par certains théoriciens de la

terminologie, au profit de l’idéal de monosémie (Pavel 1991 : 41).

Page 61: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

42

Ainsi, la polysémie est de nos jours reconsidérée sous un angle positif, mais elle reste toute

entière à explorer. D’après les recherches qui ont été menées à ce jour, nous pouvons

identifier quelques manifestations de la variation polysémique et de la variation

conceptuelle en terminologie, soit les transferts sémantiques, les glissements de sens, les

métaphores, la néologie conceptuelle et la néologie sémantique 2. Nous procéderons à la

présentation de quelques exemples de ces phénomènes à partir des travaux menés par Assal

(1995), Condamines et Rebeyrolle (1997), etc. Au chapitre deux, nous présenterons

notamment l’étude des métaphores terminologiques avec pour point de départ la

proposition d’Assal. Nous exposerons par la suite notre modèle d’analyse « les sphères

métaphoriques » et nous conclurons avec une proposition théorique de la métaphorisation

terminologique conduisant à la variation polysémique. Au chapitre trois, nous effectuerons

un survol des questions reliées à la polysémie, l’homonymie et la monosémie. Nous

distinguerons la polysémie de l’homonymie à partir des critères utilisés en linguistique. Par

la suite, nous effectuerons le bilan des travaux sur les changements de sens. Nous

présenterons le classement de Nyckees (1998) et notre proposition théorique vers une

théorie de la polysémisation. En conclusion, nous analyserons les causes et les

conséquences de la polysémie avec la chaîne de la polysémie dans laquelle nous

présenterons notamment un extrait des travaux de Condamines et Rebeyrolle.

Les chapitres deux et trois nous permettront donc d’approfondir la variation conceptuelle et

la variation polysémique telles que nous les avons intégrées dans notre modèle de la

variation terminologique. Finalement, ces chapitres nous mèneront à développer notre

modèle d’analyse des causes linguistiques et extralinguistiques de la variation

terminologique.

2

Le chapitre 4 traitera en détail de la néologie.

Page 62: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

43

1.10. Notre conception de la variation conceptuelle et de la variation polysémique :

différenciation

Avant de passer aux prochains chapitres, nous exposerons notre conception de la VC et de

la VP : deux composantes originales de notre modèle de la VT. Ces phénomènes de

variation sont très présents dans les textes spécialisés, mais ils sont peu étudiés et c’est

précisément ce que nous nous proposons de faire dans cette thèse.

La variation polysémique renvoie à « la propriété qu’a un m ême signifiant de présenter

plusieurs signifiés » (Mounin 1993: 264), tandis que dans la variation conceptuelle, la

modification de sens s’effectue à partir de la perception, de la conception en fonction des

objectifs des sujets ciblés contextuellement.

À partir d’un exemple de notre corpus 3, nous illustrons ici nos propos. Ainsi, le déchet,

selon la perception du l ocuteur, peut être vu c omme un « résidu » pour celui qui s’en

débarrasse ou comme une « matière valorisable » pour celui qui le collecte ou le marchande

après sa valorisation. Dans ce cas, bien entendu, seul le contexte peut nous éclairer, mais il

s’agit d’un cas typique de variation conceptuelle. Nous définirions donc la variation

conceptuelle comme étant la possibilité donnée à une même dénomination de revêtir des

« sens différents », c’est-à-dire que les énoncés rendent compte du s ignifié qui varie en

fonction de la perception du locuteur, sans qu’il y ait un changement de référent. Alors que

les variantes polysémiques renvoient, elles, à d es référents différents. Dans le cas de la

variante polysémique, prenons l’exemple de monstre4 dans notre corpus; ce dernier signifie

les « encombrants » et « électroménagers » et non l ’« être difforme » ou l’« animal

mythologique ». Dans le cas du déchet, qu’il signifie en contexte la « matière à éliminer »

ou la « matière à valoriser », il a le même référent, il s’agit toujours du même objet dans la

réalité mais visiblement perçu ou conçu différemment selon l’usage que l’on veut en faire.

Alors que le monstre, lui, a d es référents bien distincts. Les schémas 1 et 2 illustrent

clairement les différences entre les deux types de variation.

3

4

Exemples provenant du texte intitulé Recyclage et valorisation des déchets ménagers du Sénat français (cf. Miquel dans

la bibliographie).

Cet exemple sera détaillé au chapitre deux sur les métaphores terminologiques.

Page 63: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

44

1. Schéma de la variation conceptuelle

2. Schéma de la variation polysémique

Dans le premier schéma, l’exemple de déchet permet d’illustrer la variation conceptuelle,

qui, selon les contextes, sera mise en lumière. Dans le deuxième schéma, l’exemple de

monstre permet d’illustrer la variation polysémique. En comparant les schémas, la

Page 64: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

45

distinction qui se fait au niveau du référent entre les deux phénomènes de variation est

claire.

1.10.1. Quelques conclusions préliminaires

Dans le cadre de la thèse, nous avons donc pu identifier et décrire les phénomènes de

variation terminologique et y inclure la variation conceptuelle et la variation polysémique.

De plus, nous avons pu é tablir une distinction claire entre la variation conceptuelle et la

variation polysémique à l ’aide d’exemples concrets, reflétant des situations de

communication spécialisée et répondant à des besoins précis (dans ce cas-ci, le domaine de

la gestion et du traitement des matières résiduelles). Nos réflexions sur le signe linguistique

nous ont permis d’illustrer ces phénomènes et de bien les distinguer.

À partir donc d’une étude à la fois synchronique et diachronique de la terminologie,

jumelée à une révision importante du c oncept et du t erme, en tenant compte de

l’importance de la situation de communication et de la recherche contextuelle, la variation

terminologique se voit décrite de plus en plus; et cela ouvre sur une perspective plus près

de la sociolinguistique que de la normalisation. À la lumière de nos études, les phénomènes

de variation terminologique ne sont plus perçus comme des sources d’ambiguïté mais bien

plutôt comme des sources d’enrichissement lexical. Les termes signifient et dénomment, ils

prennent autant de valeurs que le contexte et la situation de communication l’exigent. Forts

de leur potentiel conceptuel, et en cela ils se distinguent des figures de style de la rhétorique

classique, ils sont aptes à évoquer tout en nuance. Les « termes-concept » vus comme un

ensemble inséparable sont circulaires, pluridisciplinaires tels des éléments modernes et

flexibles; ils s’ajustent en fonction des besoins des langagiers. La variation polysémique

existe bien en terminologie telle qu’elle se présente aussi dans la langue générale; elle se

manifeste souvent sous la forme de métaphores terminologiques, de transferts et de

glissements sémantiques tout comme elle peut parfois trouver son origine dans la néologie

sémantique. Finalement, nous avons pu établir un lien entre la variation conceptuelle et la

Page 65: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

46

variation dénominative 5. Nous croyons en outre que la prolifération des variantes

dénominatives dénote un flou conceptuel, lequel peut conduire à de la variation

conceptuelle. Plus un concept est flou ou nouveau, plus il engendre une infinité de variantes

dénominatives pour en exprimer toutes les subtilités en fonction des situations de

communication, des auteurs, des spécialistes, des écoles de pensée, etc. Il s’agit donc

d’observer ces phénomènes (variations dénominative, conceptuelle et polysémique) comme

un tout tel qu’il convient d’étudier conjointement le terme et le concept comme deux faces

d’une même entité, d’où l’immense pouvoir évocateur de la terminologie.

Maintenant que nous avons exposé notre modèle de la variation terminologique en trois

composantes, nous pourrons poursuivre avec les métaphores terminologiques qui nous

amèneront encore plus loin dans notre compréhension du phénomène de la métaphorisation

et de la variation polysémique. Dans le prochain chapitre, nous expliquerons donc le

processus de transfert sémantique à l’œuvre dans cinq métaphores de notre corpus

(« monstre », « gisement », « sauvage », « inerte » et « cannibalisation »).

Ce processus sera notamment expliqué à l’aide du modèle des sphères métaphoriques que

nous avons développé en étudiant la proposition d’Assal (1995), basée sur une approche

diachronique et sémantique de la terminologie. Nous pourrons constater que la perspective

diachronique offre un éclairage nouveau sur les MT, sans lequel nous n’aurions pu

identifier les sèmes en cause dans le processus de transfert. Par ailleurs, il sera intéressant

de distinguer la métaphore terminologique de la métaphore classique. En ce sens, la MT est

un processus spécifiquement cognitif et non stylistique. Puis, finalement, nous exposerons

en quoi la MT conduit à la VP.

5

Nous reviendrons sur le lien entre la VD et la VC dans les parties concernées.

Page 66: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

Le chapitre 2 : Les métaphores terminologiques

Page 67: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

47

2. Les métaphores terminologiques

Lorsque les « monstres » désignent les électroménagers et les « gisements », toute source

d’énergie à exploiter des matières résiduelles, quels sont les mécanismes mis en œuvre dans

le processus de la métaphorisation terminologique? À partir d’une adaptation visuelle en

sphères métaphoriques de la théorie d’Assal (1995), selon laquelle tout trait sémantique

essentiel ou i nvariable peut faire l’objet d’un transfert, nous présenterons cinq exemples

provenant d’un texte de notre corpus (G. Miquel (98-99), Recyclage et valorisation des

déchets ménagers, Rapport 415. Sénat français.).

La métaphore terminologique détient le pouvoir de dénommer et de conceptualiser des

réalités nouvelles. En cela, elle se distingue de la rhétorique puisqu’elle « […] détient ce

pouvoir manifeste de modifier la manière de penser les choses, là où la métaphore

rhétorique ne fait que modifier la façon de dire les choses. » (Assal 1995 : 22). Une analyse

à la fois diachronique et synchronique a permis d’identifier les processus impliqués dans le

transfert des sèmes. À cette fin, nous avons eu recours aux dictionnaires généraux et aux

dictionnaires étymologiques de la langue française (Le Robert - Dictionnaire historique de

la langue française (DHLF), Französisches Etymologisches Wörterbuch (FEW),

Dictionnaire étymologique de la langue française (BW), Trésor de la langue française

informatisée (TLFi), Le Nouveau Petit Robert électronique (PRél)).

L’étude des métaphores s’est s’insérée tout naturellement dans le cadre de notre thèse, et

plus particulièrement à l’intérieur de la partie traitant de la variation polysémique. Tout

d’abord, nous expliquerons le contexte de l’étude, la méthodologie, notre point de départ

théorique (Assal 1995), le cadre conceptuel, la discussion des cinq métaphores, notre point

de discordance avec Assal, et enfin nos conclusions.

Page 68: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

Réf. G. Miquel (98-99),

PELLETIER, Julie (8 décembre 2006), « Metáforas terminológicas no campo dos resíduos domésticos:

Les années indiquent les éditions consultées malgré les versions antérieures.

48

2.1. Le contexte de l’étude des métaphores terminologiques

Lors d’un échantillonnage du corpus, nous avons découvert, par le biais d’un dépouillement

manuel, cinq métaphores dans un texte émanant du Sénat français 1. Nous avons décidé de

les explorer lors d’un colloque à une table ronde sur les différentes perspectives des

relations sémanticolexicales à l ’Université de São Paulo en décembre 20062. Lors de la

préparation de notre exposé, nous avons vite compris qu’une partie de la théorie d’Assal

n’était pas conforme à nos observations. Cela a eu pour conséquence de contribuer au

développement du t roisième volet de notre modèle de la variation terminologique, soit la

variation polysémique. Nous pouvons donc affirmer que l’étude des métaphores

terminologiques de notre corpus a permis de développer un aspect théorique fondamental

de notre thèse de doctorat.

Les métaphores terminologiques font partie du phénomène de variation terminologique

observé et conduisent à la variation polysémique.

2.2. La méthodologie

Afin d’étudier le processus de la métaphorisation terminologique et de vérifier la théorie

d’Assal, nous avons eu recours à une recherche étymologique avec une approche

diachronique de la terminologie. Nous avons retenu les dictionnaires historiques et

étymologiques du français suivants : DHLF (2006), FEW (1922-), BW (2002), TLFi (2004)

et le PRél (2002) 3.

Les cinq métaphores proviennent d’un texte intitulé Recyclage et valorisation des déchets

ménagers. C’est un rapport du Sénat français de 312 pages sur lequel nous avons effectué

1

2

aplicação da teoria de Assal (1995) », Table-ronde As diferentes perspectivas das relações semântico-lexicais,

Colóquio Os estudos lexicais em diferentes perspectivas, Grupo TermNeo, Université de São Paulo, 7-8

décembre 2006. 3

Page 69: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

Grâce à l ’excellent encadrement que nous avons reçu de la part d’Enilde Faulstich de l’Université de

49

un test lors d’un dépouillement automatique, suivi d’une vérification manuelle, qui a

permis de repérer les cinq métaphores (monstre, gisement, sauvage, inerte et

cannibalisation). Par ailleurs, afin de faciliter la compréhension du processus de

métaphorisation, nous avons développé une adaptation visuelle en sphères métaphoriques.

Par ailleurs, nous avons dû également prendre des décisions concernant le noyau sémique

et les traits secondaires tels que nous les expliciterons dans le cadre théorique. Voyons

maintenant le point de départ théorique de notre étude, l’article d’Assal intitulé « La

métaphorisation terminologique » paru dans L’Actualité terminologique en 1995.

2.3. Le cadre théorique

Notre intérêt pour les métaphores terminologiques est né de la lecture de l’article d’Assal,

lequel a suscité à la fois beaucoup de curiosité et une réflexion approfondie, car bien avant

de découvrir des métaphores dans notre corpus, nous avions un doute sur la distinction que

fait Assal entre la métaphorisation terminologique et la polysémie. Nos métaphores nous

ont donc permis de vérifier ce doute et d’infirmer une partie des affirmations d’Assal, à tout

le moins dans le cadre de notre thèse, en respectant les limites de notre étude. Tout d’abord,

il convient de mentionner qu’Assal avait mené son étude sur les métaphores du domaine de

la génétique à partir du Dictionnaire de génétique (1991) du Conseil international de la

langue française (CILF) et du Vocabulaire des biotechnologies (1987) de M. Chopplet. Son

corpus reposait donc sur deux ouvrages qui avaient la particularité d’être des ouvrages de

lexicographie et terminographie spécialisées.

Ses a priori théoriques sont basés sur les travaux de J. Schlanger (1971, 1988), J. Schlanger

et I. Stengers (1988), M. Le Guern (1972), J. Molino et al. (1979) et de B. Pottier (1987).

Assal utilise l’analyse componentielle de Pottier dans son étude. Dans notre cas, nous avons

plutôt développé une analyse diachronique, basée sur l’étymologie des métaphores. Nous

nous sommes donc posé les questions suivantes 4 :

4

Brasilia (Brésil) pendant notre stage doctoral (2006-2007), nous avons pu élucider ces questions.

Page 70: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

50

1. Où naît la métaphore?

2. Où naît la polysémie?

3. Comment s’opère la métaphorisation terminologique versus la polysémisation?

À partir de l’article d’Assal, nous avons construit des sphères métaphoriques qui

permettent :

1. d’expliquer le processus métaphorique;

2. de vérifier la théorie d’Assal;

3. de proposer notre approche et notre propre modèle d’analyse.

De notre côté, nous avons appuyé nos recherches sur les diverses lectures que nous avons

menées en cours de route pour développer notre troisième volet : la variation polysémique.

De nombreux auteurs s’entendent pour dire que la métaphore terminologique est une des

manifestations de la polysémie à côté de la néologie sémantique, des transferts sémantiques

et des glissements de sens. Nous y reviendrons après avoir exposé la proposition d’Assal.

Selon Assal, « [la métaphore] est essentiellement une manière de penser, de concevoir. Le

mécanisme de la métaphorisation, à savoir l’établissement d’un rapport analogique

symbolique entre deux analogues et la transposition métaphorique même, n’est qu’une

modalité sémantico-linguistique dont la finalité est fondamentalement conceptuelle. »

(1995 : 24).

Sa proposition suppose la distinction entre la métaphorisation terminologique et la

polysémie, point sur lequel nous ne sommes pas d’accord comme nous l’expliquerons

ultérieurement. Assal affirme donc que dans la polysémie, seul le noyau sémantique

invariable peut faire l’objet d’un transfert sémantique, alors que dans la métaphore

terminologique, tout trait essentiel ou secondaire peut faire l’objet de ce transfert.

Si dans la polysémie on a affaire à un noyau sémantique invariable, et qui se manifeste

dans les différents usages qu’on fait du lexème polysémique, dans la métaphore, tout

Page 71: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

51

trait du lexème métaphorique, qu’il soit essentiel ou secondaire, peut faire l’objet d’un

transfert chaque fois qu’il manifeste une convenance : chaque fois qu’il se révèle apte à

évoquer convenablement l’analogie pour laquelle il est transféré (Assal 1995. : 23).

À cet effet, Assal présente quelques exemples « pour illustrer cette propriété sémantique

qui caractérise la polysémie par rapport à la métaphore » (Ibid. : 23). Les deux exemples

suivants lui permettent de rendre compte d’abord « des différentes significations » du terme

polysémique intégration génétique, et ensuite d’un cas de métaphore terminologique à

partir de l’exemple épingle à cheveux :

Intégration génétique

En génie génétique, ce terme désigne le phénomène de recombinaison (c’est-à-dire de

réarrangement génétique) permettant d’insérer une séquence d’ADN dans une autre.

En génétique bactérienne, il désigne le phénomène selon lequel une bactérie acquiert

un élément génétique étranger qui fera ensuite partie intégrante de son matériel

génétique (cf. M. Chopplet, 1987 dans Assal 1995 : 23).

Comme on peut le constater, ces d ifférentes significations du terme intégration

génétique ont en commun le même noyau sémantique « faire entrer un élément dans

un autre ».

Épingle à cheveux

[…Structure en boucle à l’intérieur d’un seul brin d’ADN ou d’ ARN formée par

l’appariement de séquences complémentaires appartenant toutes deux à ce même brin.

Elle résulte habituellement de la présence de séquences palindromiques] (M.

Chopplet, 1987 : 87).

Avant son transfert, le lexème épingle à cheveux a été débarrassé des sèmes évoquant

la fonction et le matériau de fabrication pour devenir, de la sorte, l’expression du seul

sème relatif à la forme. C’est ce dernier sème qui fond [sic] l’analogie symbolique qui

existe entre une épingle à cheveux et la structure en boucle que contient le brin d’ADN

ou d’ARN (Assal 1995: 23).

Page 72: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

52

En ce qui concerne la distinction que fait Assal entre la polysémie et la métaphorisation

terminologique, il nous reste à interroger certaines notions avancées : Qu’est-ce que le

« noyau sémantique invariable »? Qu’est-ce qu’un « trait essentiel » et un « trait

secondaire »? La métaphorisation relève-t-elle de la polysémie? Ces notions n’ont pas été

définies dans l’article d’Assal. Cependant, nos propres analyses nous ont conduite à une

autre conclusion, comme quoi la métaphorisation terminologique procède autant d’un

transfert de trait essentiel que secondaire, mais conduit directement à l a polysémie; ce

pourquoi nous sommes en désaccord avec cette distinction que fait Assal. Nous utiliserons

maintenant les sphères métaphoriques pour illustrer nos exemples et notre point de départ

théorique (Assal). Ainsi, si comme l’affirme Assal, dans le cas de la polysémie, seul le

noyau sémantique invariable est transféré, dans la métaphore terminologique, tout trait

essentiel ou secondaire peut faire l’objet d’un transfert.

Schéma 1. Sphères métaphoriques : point de départ (Assal, 1995)

Sphères métaphoriques

Proposition d’Assal (1995)

NSI

POLYSÉMIE

Noyau sémantique

invariable

NSI MÉTAPHORISATION TERMINOLOGIQUE

Tout trait essentiel ou

secondaire

Sur le plan méthodologique, nous avons donc décidé de définir les notions que nous

emploierons dans notre étude, soit « noyau sémique » et « trait secondaire » à partir de la

démarche étymologique adoptée. Ainsi, le « noyau sémique » devra être compris comme le

Page 73: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

Nous savons que le trait réfère normalement à un élément de sens, au caractère en terminologie. Pour les

53

premier sens et la première attestation du terme étudié dans les dictionnaires utilisés. Les

« traits secondaires 5 » devront être compris pour désigner tous les sens qui se sont greffés

au premier sens attesté au fil du temps.

Afin de vérifier ce qu’affirmait Assal dans les exemples de notre corpus et à la suite d’une

réflexion et d’une discussion avec Enilde Faulstich, nous avons opté pour une recherche

étymologique et une perspective diachronique. À la base, si rien ne nous laissait présager

en quoi le monstre (« encombrant ») de notre corpus était lié de près ou de loin avec le

monstre (« animal mythologique », etc.), nous avons décidé de remonter le fil du temps du

mot monstre à partir des dictionnaires susmentionnés.

Afin d’illustrer la méthodologie employée et le processus métaphorique, nous présenterons

les sphères métaphoriques de nos cinq métaphores suivies de la discussion de chacun des

exemples pour revenir ensuite aux considérations théoriques.

2.4. La discussion des cinq métaphores

Dans chacun des exemples que nous présenterons dans la discussion, nous pourrons

apercevoir dans le titre la métaphore étudiée ainsi que le sens attesté dans notre corpus. À

gauche, sous la sphère métaphorique, le premier sens attesté, donc le noyau sémique, puis

sous ce d ernier, les traits secondaires (sens cumulés au fil du t emps). À droite, on pourra

voir la date de l’attestation et le dictionnaire qui nous ont permis de retracer le sens

transféré dans le processus de la métaphorisation. Sous cette explication, deux contextes

illustrent le sens de nos exemples en corpus. Nous commencerons donc la discussion avec

l’exemple de « monstre ».

5

besoins de notre approche, nous le définissons spécifiquement ici au terme de « sens ». Nous avons décidé de

garder le terme trait pour effectuer un parallèle avec la proposition d’Assal.

Page 74: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

54

Sphère métaphorique 1 : « monstre »

monstre « encombrants, appareils électroménagers »

Métaphorisation terminologique Sens récent qui est transféré:

«énorme, immense, grande taille»

(1841, DHLF) .

NS

« énorme » Contextes

Il s'agit d'une part des inertes

(résidus de travaux et bricolage) et

des encombrants ou « monstres »

NS: « prodige, miracle » (afr., FEW) (cuisinières, réfrigérateurs hors

d'usage, sommiers...).

-énorme

-action monstrueuse, criminelle

-défaut, vice

-animal mythologique

-féroce

-singulier

Ces personnels sont chargés de

réparer les « monstres »

(équipements électroménagers)

arrivés en déchetterie.

-laid

-hors norme, difforme

Dans cet exemple, nous avons pu découvrir que le trait sémantique qui a fait l’objet d’un

transfert est un trait secondaire, attesté au DHLF en 1841 avec le sens de « grande taille,

énorme, immense ». C’est bien ce q ui caractérise les monstres dans notre corpus; ils se

distinguent de par leur grande taille des autres types de déchets. Les encombrants et /ou les

appareils électroménagers englobent donc les déchets suivants : réfrigérateur, machine à

laver, cuisinière, sommier, etc. Évidemment, aucun lien n’a pu être effectué entre le noyau

sémique « prodige, miracle » de l’ancien français (FEW). Cette recherche nous permet

donc de confirmer dans un pr emier temps que la métaphore terminologique se fait par le

transfert d’un trait secondaire, tout comme l’affirmait aussi Assal. Regardons maintenant

notre deuxième métaphore : gisement.

Dans ce deuxième exemple, le trait secondaire qui fait l’objet d’un transfert sémantique est

celui de « masse de matière à ex ploiter » qui provient à l’origine du do maine des mines.

Cette fois-ci, la métaphore s’opère par analogie. Tout comme le minerai est une masse à

exploiter, le déchet devient une masse à exploiter en termes de matière réutilisable ou

valorisable (énergétiquement). C’est donc un pr ocessus conceptuel qui s’opère ici par le

biais de la métaphore terminologique. Encore une fois, aucun lien direct avec le noyau

Page 75: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

55

sémique ni avec les autres traits secondaires, si ce n ’est de comprendre par exemple qu’il

existe un lien entre le domaine des mines et le domaine maritime dans les sens transférés

auparavant dans l’histoire. Ainsi, cette métaphore permet de voir le domaine des déchets

lui-même sous une toute autre nouvelle perspective que celle qui lui était consacrée

autrefois. La matière résiduelle n’est plus matière à éliminer, mais bien matière à exploiter,

donc une source d’énergie renouvelable. Cette conceptualisation du déchet donne naissance

à d’autres notions, lesquelles sont représentées par les termes complexes suivants :

gisement d’énergie, gisement récupérable, gisement de biogaz, gisement d’économies,

gisement valorisable, gisement professionnel, gisement industriel, gisement ménager,

gisement d’ordures ménagères, etc.).

Sphère métaphorique 2 : « gisement »

gisement « ce qui contient des richesses à exploiter »

Métaphorisation

terminologique

« masse de

matière à

« ce qui contient des richesses à exploiter » (XIXe s., DHLF).

Contextes

NS exploiter »

La valorisation énergétique consiste

à utiliser les calories contenues dans

les déchets, en les brûlant et en

récupérant l'énergie ainsi produite

pour, par exemple, chauffer des

NS: « action de se coucher » (afr., FEW)

- masse de matière à exploiter

immeubles ou produire de l'électricité.

C'est l'exploitation du gisement

d'énergie que contiennent les déchets.

- MAR. Situation d’une côte de terre, de

terres par rapport aux points cardinaux Certaines ont engagé des réflexions

(1690, FEW)

- direction nautique (vx, TLFi)

- MINES. Position des masses de

minéraux dans la terre (1721, FEW)

afin de valoriser ces " nouveaux " gisements (bois déchiqueté, utilisé

comme support pour amendement

organique, plâtre utilisé en substitution

de gypse en cimenteries...).

Dans les contextes cités ci-dessus, nous pouvons constater que le gisement désigne dans le

premier cas, les déchets en général dont on peut extraire une source d’énergie. Dans le

deuxième contexte, on pe ut voir que les « nouveaux » gisements réfèrent : 1. au bois

déchiqueté employé en l’occurrence comme support pour l’amendement organique; 2. à

l’utilisation du plâtre pour remplacer le gypse dans les cimenteries. L’amendement

Page 76: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

56

organique est une substance utilisée en épandage pour améliorer les propriétés des sols.

(Réf. Glossaire de l’Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Énergie (ADEME).

Dans notre troisième exemple, la (décharge) sauvage, il est intéressant de mentionner qu’il

s’agit ici d’un adjectif terminologique et non d’un substantif. Il est important d’étudier

différentes parties du di scours, notamment les adjectifs, qui expriment des valeurs, des

qualités, et les verbes terminologiques qui véhiculent des actions, des états obtenus ou en

devenir, souvent à la suite d’un processus ou d’ une transformation. C’est pourquoi nous

présentons ici la métaphore adjectivale « sauvage » afin d’illustrer d’une part le rôle des

adjectifs terminologiques dans le fonctionnement de la métaphorisation, et d’autre part, à

l’intérieur des discours terminologiques stricto sensu.

Dans le texte du corpus, la décharge sauvage est ici opposée en contexte à la déchetterie

organisée, ce qui nous a permis d’en détecter le sens et de comprendre que le trait

sémantique transféré était celui « qui échappe aux règles » datant de 1960 au TLFi, donc un

sens récent. Encore une fois, aucun lien ici avec le noyau sémique. Cependant, les contextes

tirés du corpus ont permis de comprendre rapidement de quoi il était question et de repérer

à l’aide de la recherche diachronique le trait qui avait pu faire l’objet d’un transfert. Alors,

les décharges sauvages sont en quelque sorte les endroits illégaux ou les gens laissent leurs

déchets, sans aucune autorisation. L’adjectif sauvage qui permet d’opérer la métaphore a

donné naissance à plusieurs autres concepts sur la même base que le syntagme décharge

sauvage, comme dans épandage sauvage, épandage et combustion sauvages.

Page 77: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

57

Sphère métaphorique 3 : « sauvage »

sauvage « qui échappe aux règles »

Métaphorisation

terminologique

« qui échappe aux règles »

« qui échappe aux règles » (ca.1960, TLFi )

Contextes

NS Cette partie est difficile à évaluer, car une fraction non négligeable reste encore

abandonnée " dans des décharges

sauvages ", tandis qu'une petite partie

NS: « lieux incultes », « à l’état de

nature » (1150, DHLF)

- qui échappe aux règles - fait pour la forêt (BW, DHLF)

- exclu

- étranger

- anormal, extraordinaire

- rude, grossier

prend aujourd'hui la direction des

déchetteries organisées à cet effet.

La déchetterie permet un tri, et évite surtout, -hélas en partie seulement- les

décharges sauvages aussi nocives

qu'affligeantes. A la condition qu'elle soit

accessible.

- non domestiqué

Notre prochain cas nous a permis de constater que le noyau sémique ainsi qu’un trait

secondaire avaient fait l’objet d’un transfert. Cet exemple vient donc démontrer qu’Assal

avait raison sur cet aspect; les traits essentiels ou secondaires peuvent être transférés dans la

métaphore terminologique. Nous validons donc cette partie de sa proposition avec cet

exemple. Regardons de plus près cette métaphore inerte.

Page 78: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

58

Sphère métaphorique 4 : « inerte » forme adjectivale et substantif

inerte « inactif; sans réaction »

Métaphorisation

terminologique

« sans réaction »

1) NS « inactif » (1505, DHLF, TLFi );

2) « sans réaction » (1759, TLFi)

Contextes

Le vitrificat ainsi réalisé est inerte . Il peut

NS « inactif » alors être soit stocké en décharge de

classe III, - variante dite de banalisation-,

soit valorisé en technique routière -

variante dite de valorisation-. Les REFIOM

NS: inactif (1505, DHLF, TLFi);

qui n’a plus d’activité (1509, BW, FEW)

inertes peuvent en effet servir comme

matériaux de soubassement routier, ballast

de voies ferrées, granulats pour parking,

bordures de trottoir... - sans réaction - inactif

- ignorant (BW, DHLF)

- maladroit

- PHYS. ni activité, ni mouvement

- personne sans mouvement

- membre, esprit inactif

- fade, insipide

Le coke de carbone (ou semi-coke),

léger, reste en suspension dans l'eau,

tandis que les inertes (graviers, verre,

céramique) et les métaux sont récupérés

par gravité. Un deuxième tri peut être

retenu pour améliorer la valorisation

matière. - improductif

Il est à noter, avant de commenter le sens de la métaphore, que la métaphore « inerte » est

employée dans deux catégories grammaticales dans les exemples de notre texte, soit

l’adjectif terminologique, soit le substantif terminologique (très souvent un pl uriel

lexicalisé). Nous y reviendrons après avoir expliqué le processus de la métaphorisation.

Dans l’exemple « inerte », le noyau sémique qui a fait l’objet d’un transfert est celui

d’« inactif » au sens d’« qui n’a plus d’activité ». En fait, le contexte nous apprend que les

inertes sont des gravats, résidus de travaux, du verre et de la céramique. De par leur

caractéristique, ces inertes sont donc inactifs au sol, mais en plus d’être inactifs, ils

n’entraînent aucune réaction chimique ou t oxique sur les sols ou dans les airs. C’est

pourquoi le trait secondaire a aussi été transféré dans ce processus métaphorique. L’un étant

l’état (« inactif »), l’autre le résultat (« sans réaction »). Par ailleurs, ce qui est intéressant

dans le cas d’inerte, c’est que le terme est à la fois employé comme substantif (le plus

souvent en tant que masculin pluriel lexicalisé « les inertes ») mais aussi comme adjectif

Page 79: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

59

dans les termes complexes suivants : REFIOM 6 inertes, lourds inertes, déchets inertes et

matériaux inertes. Par ailleurs, dans le même paradigme lexical, nous avons retrouvé une

occurrence du ve rbe inerter, créé sans aucun doute sur le modèle du substantif, qui lui-

même est né de l’adjectif (par substantivation). Nous pouvons présumer que la forme

déchets inertes a donné naissance aux inertes par un processus d’abréviation, de réduction

lexicale (elliptique) qui répond à un b esoin communicationnel permettant une économie

linguistique et une plus grande efficacité. Par un processus donc de changement de

catégorie grammaticale, le néologisme sémantique est créé à partir du mode de conversion

syntaxique (de l’adjectif au substantif); entraînant ainsi la création d’un nouveau terme et

d’un nouveau verbe terminologique. À l’origine, on peut présumer que le substantif inerte

est issu de l’ellipse de la base hypothétique déchet dans l’expression déchets inertes. Ce

processus est très courant en terminologie. Tout comme le mentionne Kocourek :

[…] l’ellipse lexicale, qui crée de nouvelles unités lexicales; on s upprime un ou

plusieurs mots constitutifs du syntagme et l’on obtient une nouvelle unité lexicale

abrégée, au nombre réduit de mots. […] Il est aisé de comprendre que, dans le système

lexical de la langue technoscientifique, qui n’admet pas volontiers la réduction de

précision, on préfère l’ellipse du régissant, qui est sous-entendu, à l’ellipse du

modificateur, qu’il serait impossible de deviner. […] Dans ce cas, il s’agit

d’expressions dites exocentriques, auxquelles il manque le régissant sous-entendu : un

(moteur à) quatre-temps, une (voiture à) huit-cylindres, un (magasin à) grande surface,

un (bateau à) vapeur, une (ligne) diagonale. Les exemples où on recourt à l’ellipse du

modificateur sont rares et dépendent toujours du contexte qui les précise, ex. :

Chambre (des députés), pneu sans chambre (à air), pilule (anticonceptionnelle) (1982 :

141).

6

REFIOM est le sigle désignant les Résidus d’Épuration des Fumées d’Incinération d’Ordures Ménagères.

Page 80: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

60

Le verbe inerter se présente dans le contexte suivant :

D'autres procédés visant à inerter les déchets toxiques sont possibles ou en cours

d'expérimentation. La vitrification par arc électrique (sans projection d'air) ; le

traitement dit " à froid " (par opposition au traitement thermique haute température

comme la torche à p lasma), utilisant des liants hydrauliques qui permettent de

solidifier les REFIOM (Miquel 98-99 : 150).

Le verbe inerter permet ici de reprendre le sens du trait secondaire, soit celui de « sans

réaction » avec l’intention ici de rendre les déchets toxiques inertes, donc de leur apporter

cette caractéristique propre aux inertes. Ce processus de création lexicale, opéré d’abord par

la métaphorisation, permet de créer deux nouveaux termes (les inertes, et le verbe inerter)

par le biais de la néologie sémantique et de la conversion syntaxique. Puis, le transfert de

noyau sémique et d’un trait secondaire permet de valider jusqu’ici les affirmations d’Assal

en ce qui concerne la métaphorisation terminologique.

Poursuivons avec notre dernier exemple, celui de cannibalisation, pas moins intéressant

puisque ce dernier a permis de révéler que trois traits secondaires ont fait l’objet d’un

transfert dans la métaphore.

Page 81: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

« élimination involontaire » Voc.

61

Sphère métaphorique 5 : « cannibalisation »

cannibalisation « élimination involontaire, concurrencer, absorber et détruire »

Métaphorisation terminologique

Anglicisme « cannibalization »

aviation de la fin de la

Deuxième Guerre mondiale (1969).

NS

« concurrencer »

« absorber et détruire »

Contextes

Il convient de mesurer les

inconvénients qu'il y a, à juxtaposer

NS: « qui se nourrit d’individus de la

même espèce » (Métap. alimentation de

l’espère animale; DHLF)

- élimination involontaire d’un objet

- concurrencer

- absorber et détruire

- ARMÉE. Réparation d’objets usagés

- cannibale « hardi » (lg. Caraïbes)

- grand mangeur de viande

- brave et fort

ces deux types de valorisation qui si

elles sont complémentaires, peuvent

aussi devenir contradictoires, car il

peut y avoir en réalité

" cannibalisation " d'une technique par

une autre. Le développement d'une

technique -l'incinération- empêche,

par un mouvement en spirale, tout

développement de l'autre -la

valorisation matière-.

- féroce, cruel, sauvage

Dans le cas de cannibalisation, il a ét é intéressant de constater que le noyau sémique ou

premier sens attesté venait lui-même d’une métaphore du dom aine de l’alimentation de

l’espèce animale transférée aux espèces humaines avec le sens de « qui se nourrit

d’individus de la même espèce » (DHLF). À l’origine du t erme cannibalisation se trouve

l’adjectif cannibal provenant d’une langue des Caraïbes et ayant dans cette langue la

signification de « hardi », dont le sens est en fait très éloigné du sens commun qui lui a été

attribué en français « homme mangeur d’homme ». Le terme cannibalisation aurait été

emprunté à l’anglais cannibalization datant de 1969 et relevant du vocabulaire de l’aviation

de la Deuxième Guerre mondiale où il signifiait « la réparation d’objets avec des pièces en

bon état d’un objet de même type hors d’usage (DHLF). Ainsi, dans les traits secondaires,

trois de ces traits ont pu faire l’objet d’un transfert dans le processus métaphorique pour

retenir les sens attestés dans notre corpus « absorption d’une technique par une autre,

concurrencer et élimination involontaire ». Ainsi, comme nous pouvons le lire dans

l’exemple contextuel, les deux techniques de valorisation, soit l’incinération ou l a

valorisation matière, sans que ce soit voulu (d’où le premier trait « involontaire »), se

Page 82: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

62

concurrencent (deuxième trait), ce qui a pour conséquence que le choix d’une technique au

profit de l’autre empêche la deuxième d’être employée (d’où « l’absorption d’une technique

par une autre »).

Alors, si nous récapitulons, parmi nos cinq métaphores, toutes ont permis de confirmer que

les traits secondaires ou le noyau sémique pouvaient faire l’objet d’un transfert :

monstre, gisement, sauvage : transfert d’un trait secondaire;

inerte : transfert du noyau sémique et d’un trait secondaire;

cannibalisation : transfert de trois traits secondaires.

Nous pouvons affirmer que la métaphore est un véritable moyen de dénomination et de

conceptualisation des réalités nouvelles. Elle s’opère là où l’analogie est apte à évoquer tout

changement. De ce fait, elle permet d’utiliser les ressources internes de la langue afin de

créer de nouvelles dénominations et de nouveaux concepts, et ce, aussi bien en langue

générale qu’en langue de spécialité. Tout comme le mentionnait Assal :

La métaphore terminologique est une nécessité inhérente à la pensée

scientifique, elle est sa dynamique interne. Lorsqu’un savant, un chercheur,

emprunte des termes en raison de leur commodité allusive, de leur pouvoir

évocateur, ce n’est pas seulement par souci de se faire comprendre, ce n’est pas

seulement une question de terminologie, c’est fondamentalement une affaire de

conceptualisation (1995 : 22).

Ainsi, le procédé mis en cause dans la métaphorisation terminologique est conceptuel et

permet, par le jeu des associations de l’esprit et du pouvoir imaginaire des êtres humains,

de sans cesse se renouveler.

S’il est vrai que les restrictions et les extensions de sens semblent pouvoir

s’expliquer presque mécaniquement en termes de contacts entres groupes

linguistiques ou d’ « emprunts sociaux », bien des évolutions en revanche, et

notamment celles qui paraissent fondées sur des métaphores, ne semblent

Page 83: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

63

pouvoir s’expliquer autrement que par les ressources de l’esprit humain et de

l’imagination, obligeant apparemment les chercheurs à recourir à une

explication en termes d’associations d’idées (Nyckees 1998 : 135).

Bréal soutenait ce processus de création néologique engendré par la métaphorisation : « À

la différence des causes précédentes, qui sont des causes lentes et insensibles, la métaphore

change instantanément le sens des mots, crée des expressions nouvelles d’une façon subite.

La vue d’une similitude entre deux objets, deux actes, la fait naître. » (Dans Nyckees 1998 :

136).

Une fois que nous avons démontré que la métaphorisation terminologique est un procédé

hautement conceptuel, cela nous amène à r éaffirmer que de ce fait elle se distingue de la

rhétorique classique. Ainsi, la métaphore n’est plus seulement une façon de dire autrement,

mais bien de penser autrement :

C’est justement parce qu’elle est foncièrement un concept que la métaphore

terminologique détient ce pouvoir manifeste de modifier la manière de penser

les choses, là où la métaphore rhétorique ne fait que modifier la façon de dire

les choses (Assal 1995 : 22).

Da sa dimension épistémologique, la métaphore terminologique tire sa valeur

heuristique. Une métaphore terminologique n’est jamais superflue, ce n’est pas

une manière de dire autrement les mêmes choses; un terme métaphorique bien

choisi « abrège, déplace d’un coup, et rend tout un long pan de raisonnement

inutile » (J. Schlanger 1988 : 62 dans Assal : 22).

Or, il convient dans l’étude des métaphores terminologiques de se détacher de la rhétorique

et de ses explications classiques sur les tropes (synecdoque, métaphore et métonymie). À ce

sujet, Nyckees explique :

Parmi les différentes catégories de figures, il en est une qui, de l’avis de

beaucoup de théoriciens, trouve une application immédiate dans le domaine des

changements de sens. C’est la classe de ce que l’on appelle les figures de mots

Page 84: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

64

ou tropes, constituées par les métaphores, les métonymies et les synecdoques.

La figure étudiée par la rhétorique est donc une figure vive, relevant d’un art du

discours et permettant d’identifier une forme d’écart intentionnel et délibéré. Le

changement sémantique est en revanche un phénomène massif, collectif, et

proprement « historique », puisqu’il débouche sur une modification de la

langue. Dès lors qu’il est couronné de succès et s’impose dans l’usage, on ne

saurait plus parler d’écart, puisque le dit changement n’enfreint plus aucune

norme. Son succès dépend précisément en effet de l’oubli de la norme

ancienne. Le changement sémantique correspond donc à une figure morte

(Nyckees 1998 : 95).

La distinction entre figure vive et figure morte est intéressante puisqu’elle souligne le

caractère propre de la rhétorique, relevant du di scours, de l’art de la parole, de la verve,

alors que la métaphore terminologique, relève bien du cognitif. Puisant de façon consciente

ou inconsciente dans les ressources de son imaginaire, l’être humain, par un j eu

d’associations, crée par le biais de son esprit de nouveaux concepts servant à dénommer de

nouvelles réalités. Ici, il vient donc penser les choses, et non di re les choses. Une fois la

métaphore créée, apte à évoquer un nouve au concept, elle pourra, le cas échéant, être

adoptée par la communauté et ses usagers et se diffuser en tant que nouvelle étiquette d’un

concept. Ce processus cognitif nous amène maintenant à introduire notre propre proposition

théorique, laquelle nous pourrons appuyer sur nos analyses ainsi que sur les études de

Lakoff et Johnson, de Basilio et de Da Costa, etc.

Ainsi, si pour Assal, il subsiste une distinction entre le processus de métaphorisation

terminologique et la polysémie, il n’en est rien selon nous. Tout d’abord, nos exemples

démontrent effectivement que le processus de métaphorisation se fait autant à partir du

noyau sémique que du trait secondaire. Or, la polysémie n’est pas un processus en tant que

tel; c’est plutôt un résultat, un fait, une réalité. La polysémie résulte directement de la

métaphorisation. Parmi les manifestations de la polysémie sont répertoriés la néologie

sémantique, les transferts de sens, les glissements sémantiques et les métaphores. Si, dans

les exemples étudiés par Assal, certains cas relevaient plutôt de la polysémie dont le

transfert se faisait uniquement par le noyau sémantique invariable (terminologie employée

Page 85: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

65

par Assal), c’est selon nous, davantage le résultat d’une action qu’une distinction à

effectuer entre la polysémie et la métaphorisation terminologique. Tout d’abord, parce que

ces deux éléments (la polysémie en tant qu’état de chose, réalité linguistique et la

métaphorisation en tant que processus cognitif conduisant à la polysémie) ne sont pas sur le

même pied et ne se comparent pas. En effet, rappelons-nous qu’Assal travaillait à partir

d’un corpus fermé dans un dictionnaire et dans un vocabulaire spécialisés de la génétique.

Or, qu’en est-il des terminologies recensées dans les ouvrages dictionnairiques? La plupart

des dictionnaires spécialisés optent soit pour le dégroupement des entrées (phénomène plus

courant dans les banques de terminologie multidomaines) ou pour le regroupement des

entrées (dans un ouvrage unidomaine comme c’est le cas dans le corpus étudié par Assal);

il est donc plus facile, dans certains cas, d’observer ces polysèmes, bien répertoriés. Par

ailleurs, avec une approche componentielle qui consiste à t rier dans la densité des traits

sémantiques le sème commun aux deux termes, la recherche de l’intersection sémique

conduit inévitablement au noyau sémantique invariable. Alors qu’en procédant à une

recherche basée sur les attestations historiques des sens dans les dictionnaires du français,

et ce, à partir d’analyses qui portent sur un corpus terminologique authentique (non pas à

l’intérieur d’ouvrages dictionnairiques), ce tri est moins arbitraire. Enfin, nous avons

découvert que peu importe d’où se faisait le transfert sémantique, du no yau ou d ’un trait

secondaire, il en résultait de la variation polysémique. Nous commencerons notre

démonstration en répondant aux trois questions posées précédemment :

1. Où naît la métaphore?

2. Où naît la polysémie?

3. Comment s’opère la métaphorisation terminologique versus la polysémisation?

Premièrement, il nous apparaît évident, à la lumière de notre discussion, que la métaphore

naît du plan cognitif. Elle s’opère à l’intérieur d’un processus cognitif, conscient ou

inconscient, et puise à travers les ressources disponibles (ressources linguistiques – noyau

sémique ou trait secondaire - et extralinguistiques - l’ensemble des connaissances). La

polysémie peut être élucidée à partir de recherches sémantiques diachroniques. Ce sont

donc les dictionnaires historiques et étymologiques qui peuvent nous fournir des réponses à

Page 86: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

66

cette question. Le critère utilisé afin de distinguer la polysémie de l’homonymie est

l’étymon commun ou le lien sémantique. Bien que ce critère soit relatif, c’est en parcourant

l’histoire que nous pouvons tenter de trouver des réponses. Ainsi, nous avons décidé

d’opter pour cette approche diachronique. À notre grande surprise, les associations parfois

prévisibles (nous pensons, par exemple, aux cas de sauvage et gisement), parfois

surprenantes (monstre, cannibalisation, inerte), pouvaient être révélées. Puisque ces

métaphores ont toutes un lien sémantique avec un trait ou un a utre du passé (en étudiant

l’histoire du mot), il a pparaît alors évident qu’elles conduisent toutes à la polysémie et

engendrent de la variation polysémique. C’est exactement ce que nous développerons en

détails dans le chapitre 3. Les métaphores terminologiques font partie des processus qui

créent de la variation terminologique et ces liens seront clairement expliqués dans le

chapitre 5 de notre thèse.

Ainsi, le monstre « encombrants ou appareils électroménagers » vient se greffer aux sens

précédents de monstre, créant ainsi un nouve au polysème. Bien entendu, en discours,

monstre est bien circonscrit et monosémique, mais en langue, il est polysémique à côté des

sens suivants : « animal mythologique », « laid », « difforme », « action criminelle », etc.

(Voir les schémas 2. 3. 4. 5.).

Page 87: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

67

Schéma 2.

Illustration de la variation polysémique de « monstre » à partir du

triangle sémiotique

Exemple de variation polysémique de «monstre»

VP1 monstre comme sé

de « encombrants »

VP2 monstre comme sé

de « animal mythologique »

sã1

rã1

rã2

Schéma 3. Le concept de « monstre » dans notre corpus

Le concept de «monstre» dans notre corpus

« encombrants, appareils électroménagers

(réfrigérateur, cuisinière, machine à laver), sommier »

co

sã1

rã1

Page 88: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

68

Schéma 4. Le champ lexico-conceptuel de « monstre » dans notre corpus

Le champ lexico-conceptuel de «monstre» dans notre corpus

réfrigérateur

machine à laver

«monstre»

cuisinière

sommier

etc.

Schéma 5. Polysémie de « monstre » en langue

La polysémie de «monstre»

réfrigérateur

cuisinière

sommier

«monstre»

animal mythologique laid

action criminelle difforme

etc.

Page 89: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

69

Lakoff et Johnson ont été les premiers à aborder l’aspect cognitif du processus de la

métaphorisation :

L’hypothèse la plus importante que nous avons émise jusqu’ici est donc que la

métaphore n’est pas seulement affaire de langage ou question de mots. Ce sont

au contraire les processus de pensée humains qui sont en grande partie

métaphoriques. C’est ce que nous voulons dire quand nous disons que le

système conceptuel humain est structuré et défini métaphoriquement. Les

métaphores dans le langage sont possibles précisément parce qu’il y a des

métaphores dans le système conceptuel de chacun (1985 : 16).

D’autres auteurs ont par la suite adopté l’approche de Lakoff et Johnson et ont poursuivi les

recherches sur les métaphores. Parmi ceux-ci, citons Da Costa, Basilio :

A metàfora é a t ransposiçao do nome de uma coisa para outra, transposiçao do

gênero para espécie, ou da espécie para o gênero, ou de uma espécia para outra,

por via de analogia. (Aristote 1985: 274 dans Damiani Costa 2005: 14).

La métaphore est le transfert du nom d’une chose à u ne autre, le transfert du

genre à l’espèce, ou d’une espèce à une autre, par analogie (Notre traduction).

Entretando, como o m ecanismo da analogia é um mecanismo lógico, e não

especificamente linguístico, teríamos o pr incípio fundamental da expansão e

conhecimento lexical como um mecanismo geral cognitivo, e, portanto, não

especificamente linguístico, o que poderia parecer contrariar as proposiçoes da

Teoria Gerativa (Basilio 1997: 19).

Ainsi, comme le mécanisme de l’analogie est un m écanisme logique, non

spécifiquement linguistique, nous partirions du principe fondamental de

l’expansion et de la connaissance lexicale en tant que mécanisme généralement

Page 90: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

70

cognitif, et pourtant, non spécifiquement linguistique, ce qui pourrait à première

vue contredire les propositions d’une Théorie générativiste (Notre traduction).

Il est intéressant de constater qu’il y a de cela bien longtemps, Aristote avait découvert de

nombreuses propriétés des métaphores. Cependant, comme nous l’avons expliqué

précédemment, dans le cas de la métaphore terminologique plus particulièrement, ce

concept de transposition de nom d’une chose à une autre n’est pas qu’une simple manière

de dire autrement, mais bien de concevoir différemment. C’est une image mentale qui est à

la source du pr ocessus de transfert dans la métaphorisation terminologique. Comme le

précise Basilio, si le mécanisme permettant d’effectuer l’analogie est un mécanisme

logique, et non l inguistique, cela suppose que le principe de métaphorisation sur lequel

repose cette analogie serait avant tout conceptuel, avant même d’être linguistique. La

matérialisation de ce procédé cognitif en est le signe, lorsque ce dernier s’implante dans les

usages. C’est pour cette raison que nous soutenons que la métaphorisation terminologique

est un pr ocessus conceptuel qui conduit à la polysémie : le résultat, la matérialisation

linguistique.

Ainsi, notre proposition abonde dans le même sens que Gambier (1991 : 13) lorsque ce

dernier explique le principe de sociodiffusion des néologismes sémantiques pour lequel

nous avons fait une adaptation visuelle (cf. Schéma 6). Gambier identifie bien la phase de

lancement du néologisme suivie de l’éclatement de la notion, donc de la polysémisation. À

ce processus, nous avons ajouté dans notre schéma la phase préalable soit la création du

néologisme, ce qui nous permet de compléter ce cycle de vie du néologisme sémantique.

C’est pourquoi nous croyons que la métaphorisation terminologique est bien un processus

qui permet le transfert à la fois du noyau sémique ou des traits secondaires et qui aboutit

généralement à la polysémie. Dans notre cas, nous retiendrons donc plutôt la

métaphorisation terminologique en tant que processus cognitif (représenté au schéma 7 par

la sphère métaphorique) conduisant à la variation polysémique (représentée au schéma 7

par le triangle sémiotique de notre modèle de la variation polysémique). Par ailleurs, nous

Page 91: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

71

attirons l’attention sur la ligne continue dans notre triangle sémiotique indiquant ici, après

analyses, la motivation des termes propre à ce processus conceptuel.

Schéma 6. Le continuum de la socio-diffusion

Un continuum de socio-diffusion

Continuum de la socio-diffusion: ainsi, un terme

connaîtrait une période de lancement, puis une phase

d’extension de son usage, et finalement un temps

d’éclatement de la notion (polysémisation)

Création (néologisme sémantique)

Phase d’extension (usage du néologisme)

Polysémie

En conclusion, nous sommes d’accord avec Assal sur le fond, sur le processus de transfert

de la métaphore terminologique mais non s ur la comparaison qu’il en fait avec la

polysémie. Tout comme il affirmait :

Le mécanisme de la métaphorisation, à savoir l’établissement d’un rapport

analogique symbolique entre deux analogues et la transposition métaphorique

même, n’est qu’une modalité sémantico-linguistique dont la finalité est

fondamentalement conceptuelle (1995 : 24).

Comme le mentionnait Diki-Kidiri, la métaphorisation terminologique est aussi une source

culturelle de conceptualisation :

Même la polysémie qui est tant pourchassée comme source d’ambigüité est

sournoisement omniprésente, car des domaines entiers comme l’informatique,

Page 92: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

72

la biochimie, l’aéronautique etc., exploitent à fond la métaphore comme mode

de dénomination et source culturelle de conceptualisation (Diki-Kidiri

2000 : 6).

Schéma 7.

Notre proposition de la métaphorisation terminologique conduisant à la

variation polysémique

Notre proposition: La métaphorisation terminologique

produit de la variation polysémique

NS

VP1

VP2

Métaphorisation terminologique

sã1

rã1

Variation polysémique

Matérialisation linguistique du

rã2

Noyau sémique et / ou trait

secondaire pouvant être transféré processus de la métaphorisation

terminologique

2.5.

Conclusion

Finalement, il est important de souligner qu’il nous aurait été impossible de résoudre ces

questions théoriques en synchronie. C’est la perspective diachronique qui nous a permis

d’ouvrir tout un pan de l’histoire des mots et de leurs sens et de constater qu’il existe un

lien entre le nouveau concept évoqué par la métaphore et l’un ou l’autre des sens

précédents de la dénomination. En effectuant le survol des mots, nous constatons que la

langue évolue sur le principe du cumul des sens et que ces liens sont forcément reliés les

uns aux autres, d’une façon ou d’une autre. Par ailleurs, ces liens confirment la motivation

Page 93: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

73

des termes créés par la métaphorisation terminologique; c’est pourquoi la ligne discontinue

dans le triangle sémiotique (représentant l’arbitraire du s igne de Saussure) n’a ici plus sa

place. Cette ligne est continue et symbolise ce lien entre les nouveaux polysèmes (résultant

du processus de métaphorisation).

Le processus de métaphorisation est très courant en terminologie et très utile puisqu’il

permet de créer de nouvelles dénominations, palliant ainsi les lacunes conceptuelles, et

donnant naissance à de nouveaux concepts. Dans l’univers cognitif, il n’existe pas de

frontières hermétiques, les mots et les sens voyagent en toute liberté là où l’image permet

d’évoquer, de signifier, de conceptualiser et finalement de dénommer.

La dénomination est en quelque sorte la matérialisation, l’étiquette (le signifiant) de ce

processus mental qui se produit dans la métaphorisation et qui conduit, en langue, à la

variation polysémique (représentée par différents signifiés, associés à un même signifiant,

mais aussi bien à des référents différents). Bien entendu, en discours, le contexte et le

cotexte révèlent tout le contenu du terme et empêchent toute ambiguïté de subsister. Mais

en langue, afin de prévenir cette ambiguïté possible hors contexte, il convient d’expliquer,

et pour tout linguiste, de comprendre ce processus de métaphorisation aboutissant à la

polysémisation. Pour ce faire, il convient d’étudier les sens du terme en diachronie et

d’observer par la suite l’éventuelle autorégulation de ses usages. Seul le temps permet de

déterminer si un terme s’implantera dans l’usage avec ce nouveau concept, mais il y a fort à

parier, étant donné l’efficacité de la motivation du pr ocessus de métaphorisation

terminologique, qu’il conservera sa place dans l’histoire du terme et de ses sens peu

importe l’étendue de son usage (cette période pouvant être plus ou m oins longue en

fonction de l’évolution des concepts et des nouvelles réalités technologiques et

scientifiques). La langue s’adapte aux évolutions sémantiques (reflets des évolutions

culturelles et techniques) et de ce fait, la métaphorisation terminologique est un processus

extrêmement riche. Finalement, la métaphore terminologique est un pr ocessus cognitif,

hautement conceptuel, permettant de dénommer des notions diverses et dont le résultat est

par conséquent, la polysémie. Avec ce détachement de la rhétorique, la métaphore

Page 94: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

74

terminologique détient le pouvoir de conceptualiser à partir des connaissances générales et

cumulatives du monde entier.

Page 95: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

Le chapitre 3 : La variation polysémique

Page 96: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

75

3.1.

Polysémie, homonymie et monosémie

3.1.1. De la polysémie en langues de spécialité

Nous avons vu au chapitre précédent que les métaphores terminologiques engendrent de la

variation polysémique. Nous souhaitons donc maintenant examiner la polysémie en détails et

soumettre notre théorie vers une polysémisation des termes.

Si le principe de la monosémie est surtout attribué aux langues de spécialité dans les

ouvrages de linguistique générale, il a déjà été démontré que ce principe est contestable au

sein même des langues de spécialité. En fait, la synonymie tout comme la polysémie font

partie intégrante du pr ocessus de communication, et ce, même à l’intérieur d’un savoir

spécialisé. La langue de spécialité est donc soumise aux variations au même titre que la

langue générale.

Force est de constater, cependant, que les « langues scientifiques » elles-mêmes

ne sont pas exemptes de polysémie, d’homonymie ou de synonymie et que,

dans bien des cas, seule la connaissance de l’histoire de la science considérée

permet d’interpréter correctement un signe (Nyckees 1998 : 199).

[…] toute langue de spécialité, dans la mesure où il s’agit d’un sous-ensemble

de la langue générale, partage les mêmes caractéristiques que celle-ci; il s ’agit

alors d’un code unitaire qui permet des variations (Cabré 1998 : 140).

Variação e terminologia não se confrontam na abordagem atual. Pelo contrário,

defendemos que a terminologie é passível de variação porque faz parte da

língua, porque é heterogênea por natureza, e porque é de uso social (cf.

Faulstich, 1995 dans Faulstich 2001: 20).

Variation et terminologie ne s’opposent pas dans l’approche actuelle. Au

contraire, nous soutenons que la terminologie est soumise à la variation parce

Page 97: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

76

qu’elle fait partie de la langue, parce qu’elle est hétérogène de nature, et

d’usage social (Notre traduction).

3.1.2. Traitement homonymique ou polysémique?

Dans un c ontexte normatif, les polysèmes ont parfois été traités comme s’il s’agissait

d’homonymes, c’est-à-dire, en les classant séparément par des entrées disjointes. Les

principes du classement par domaines et de la monosémie extraits de la TGT de Wüster ont

favorisé ce traitement homonymique dont témoignent très souvent les banques de

terminologie, par ailleurs.

On croit que ce qui est polysémie en lexicographie est homonymie en

terminologie parce qu’on a, pour cette dernière, pris l’habitude de fragmenter le

domaine des connaissances et de présenter ces sous-ensembles dans des

dictionnaires spécifiques (Cabré 2000a : 32).

En lexicographie, il existe également deux traitements possibles : la tendance polysémiste

(qui regroupe les différents sens sous une même entrée) ou homonymiste (qui dégroupe les

sens en proposant plusieurs entrées séparées). Lorsque vient le temps de distinguer

l’homonymie de la polysémie, il est difficile d’établir des critères clairs. Nous avons tenté

de dégager les critères évoqués par les auteurs au sujet de la distinction entre l’homonymie

et la polysémie et nous en présenterons la synthèse dans la section suivante.

Page 98: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

77

3.1.3. Critères de distinction entre l’homonymie et la polysémie : la disjonction

homonymique

La plupart des auteurs

1

s’entendent sur un critère pour distinguer l’homonymie de la

polysémie, soit la disjonction homonymique. Selon certains, s’il est impossible d’établir un

lien sémantique entre les éléments, c’est-à-dire s’il n’existe pas de lien sémique commun, il

s’agira d’homonymie.

Il peut être difficile de distinguer entre homonymie et polysémie dans un grand

nombre de situations intermédiaires où les significations comparées ne sont ni

franchement éloignées ni franchement proches (Nyckees 1998 : 195).

Pour qu’un terme soit polysémique, il faut généralement que ses sens remontent

à un étymon commun. […] Pourtant, ce critère de relation étymologique n’est

pas aussi évident qu’on pourrait le penser à première vue. […] Il faut également

remarquer qu’il y a des mots dont la provenance historique est incertaine. […]

On peut constater que la distinction entre homonymie et polysémie est arbitraire

et indéterminée (Nyklas-Salminen 1997 : 125-126).

Pour qu’un terme soit polysémique, il faut généralement que ses sens remontent

à un étymon commun, encore qu’au cours de l’histoire une collusion ait pu se

produire entre des homonymes peu à peu confondus. Mais cette condition ne

suffit pas. Avec un même étymon, des termes peuvent avoir des sens si éloignés

qu’on ne peut pas en synchronie poser une seule unité polysémique, comme

pour grève, plage et grève, arrêt de travail. Alors même que tous les deux sont

issus d’une forme commune, grava, ou pour altérer, dénaturer, et altérer,

donner soif, qui remontent à alter (Gardes-Tamine 2002 : 109-110).

Si la plupart des auteurs évoquent ce critère, la quasi-totalité d’entre eux admet également

que ce critère est relatif et qu’il n’est pas toujours décisif. Il devient donc difficile de faire

Page 99: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

Le lecteur voudra bien consulter le tableau 1 à l a suite de la section 3.1.9. afin de voir l’ensemble des

78

la distinction entre l’homonymie et la polysémie; c’est pourquoi il existe cette double

approche : homonymiste ou pol ysémiste. Traditionnellement, les traducteurs et les

terminologues se retrouvaient dans le clan des homonymistes, et les sémanticiens dans celui

des polysémistes. Les lexicographes, eux, étaient partagés. En fait, à ce jour, ni l’un ni

l’autre n’est cantonné dans une approche plus que dans une autre, mais ils se retrouvent

plutôt face à une décision à prendre en raison d’un manque de critères clairs et décisifs.

Dans cette thèse, il ne s’agit pas de dire qui a tort ou qui a raison, mais plutôt d’établir des

critères qui permettraient de faire une meilleure distinction entre l’homonymie et la

polysémie en terminologie. Nous développerons donc cet aspect dans le chapitre 3.2. Entre

temps, nous examinerons le point de vue des auteurs.

3.1.4. Un lien sémique commun

La plupart des auteurs reconnaissent le besoin d’un lien sémique commun entre les

éléments pour parler de polysémie et non d’homonymie :

La polysémie se distingue également de l’homonymie : un m ot polysémique

(un polysème) est un mot qui rassemble plusieurs sens entre lesquels les

usagers peuvent reconnaître un lien. […]. L’homonymie se distinguera donc de

la polysémie en ce que, dans le cas de l’homonymie, il ne paraît pas possible de

rétablir une relation sémantique vraisemblable. Les deux mots ne présentent pas

plus d’affinité sémantique entre eux que n’importe quels mots du di ctionnaire

pris au hasard. C’est pourquoi on pe ut dire que l’homonymie est une relation

entre deux ou plusieurs mots tandis que la polysémie est une propriété d’un seul

et même mot doté de plusieurs significations (Nyckees 1998 : 194).

Il est intéressant de noter cette relation entre deux ou pl usieurs mots et cette notion de

propriété d’un seul mot établies par Nyckees. Cette manière de définir l’homonymie et la

1

conceptions des différents auteurs consultés au sujet de la monosémie, de la polysémie et de l’homonymie.

Page 100: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

79

polysémie est plus nuancée. Ainsi, un pol ysème possèderait la propriété de recouvrir

plusieurs sens alors que l’homonyme serait mis en relation avec un autre mot.

Dans le Dictionnaire de linguistique de Dubois et al., l’opposition entre les deux réside

plutôt dans le traitement lexicographique qui en est fait :

Dans le dictionnaire, la véritable opposition est entre le traitement

homonymique ou pol ysémique de telle unité ou de tel groupe d’unités. On

pourrait alors être tenté de chercher des critères de la polysémie ou de

l’homonymie. Si, par exemple, le critère étymologique fonctionnait, on pourrait

distinguer un mot polysémique et des mots homonymes par le recours à la

diachronie. Il n’en est rien en pratique : par exemple, dessin et dessein, traités

comme homonymes dans les dictionnaires actuels, ont une étymologie

commune; si l’on prenait l’étymologie comme pierre de touche, ils devraient en

bonne logique, être traités comme deux sous-sens d’une unité commune (1999 :

370).

Cette observation nous amène donc à confirmer que l’homonymie relève plutôt d’un choix

de perspective. Ainsi, si on enlève la perspective diachronique, en théorie, plusieurs termes

seraient homonymes, mais ce serait là se priver d’une vision importante et très instructive

sur l’évolution du terme et de ses sens. Nous reviendrons sur cet aspect au point 3.1.9.

3.1.5. Un critère relatif

Tout comme nous l’avons vu précédemment, la plupart des auteurs cités dans notre tableau

récapitulatif s’entendent sur la relativité du critère étymologique et du lien sémantique.

Kocourek, lui, préfère parler d’ambiguïté au lieu de parler d’homonymie et de polysémie. Il

reconnaît qu’il est parfois difficile d’établir une distinction claire entre les deux :

Page 101: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

80

L’homonymie est en rapport étroit avec la polysémie […]. Il n’est pas toujours

possible de décider s’il s’agit de deux mots différents ayant la même forme,

c. – à – d. s’il s’agit de deux homonymes, ou s’il est question de deux ou

plusieurs acceptions différentes d’un seul mot polysémique […] (1982 : 160).

3.1.6. Le motif

Pour Kocourek, « la majorité des unités lexicales de la langue sont motivées. En

terminologie, la prédominance est si prononcée qu’elle est un caractère essentiel de la

formation terminologique (cf. Guiraud 78 :97 dans Kocourek 1982 : 151) ». Afin d’illustrer

sa conception du signe linguistique, Kocourek a développé une grille d’évaluation basée sur

les éléments suivants : la forme, le sens et le motif. Kocourek propose donc d’ajouter

l’étude de la motivation des termes à la terminologie :

Nous sommes fondé à croire (Kocourek 1979 :154 et 1963 : 94) que l’étude

linguistique de la terminologie doit posséder une structure qui s’accommode de

l’étude de la motivation. La plupart des termes ne sont-ils pas motivés? […]

L’étude linguistique de la terminologie peut inclure – d’une manière

systématique et en plus de l’étude de la signification forme/sens – l’étude de la

motivation forme/motif et du rapport sens/motif. (Idem : 156).

Nous pouvons reproduire le schéma qu’il utilise dans son livre afin d’expliquer ces

relations entre la forme, le sens et le motif (voir schéma 1). Les relations que ces éléments

entretiennent entre eux peuvent être de divers ordres : accord, divergence ou conflit. C’est

en ces termes qu’étudiera Kocourek les situations présentant des ambiguïtés. Voici un

exemple qu’il donne afin d’expliquer le motif :

Les éléments de contenu, suggérés par les morphèmes et qui indiquent pourquoi

la forme est utilisée, constituent le contenu motivationnel du t erme, que nous

appellerons tout simplement motif du terme. Comme le sens, le motif peut être

Page 102: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

81

exprimé au moyen d’un syntagme. La motivation est alors le rapport entre la

forme et le motif; la motivation du terme bifurcation serait donc le rapport entre

sa forme et son motif. Ce dernier peut être exprimé linguistiquement comme

suit : ‹emploi métaphorique de la racine FURC (fourche, lat. furca) + préfixe

BI-(deux) + dérivation verbale (-ER) + suffixe nominal –ATION (acte ou, par

épaississement métonymique éventuel, le résultat de l’acte) ›, ou – plus

simplement – par un syntagme motivationnel tel que ‹ acte de bifurquer, ou

son résultat, c’est-à-dire division en deux branches, en forme de fourche›. […]

Comparons maintenant le motif du t erme bifurcation ci-dessus avec son sens

‹point où une voie de communication se divise en deux directions divergentes,

mais non oppos ées› (ce définissant a été recommandé par la Commission de

terminologie des transports, Gazette officielle du Québec, 22 m ars 1981, p.

5040. On constate que le rapport sens/motif de bifurcation est normal, sans

conflit ni divergence (Idem : 156-157).

Ainsi, le recours à l’étude étymologique semble donc favorable dans certains cas afin de

mieux comprendre les possibles motivations des termes tout comme nous l’avions fait au

chapitre 2 dans l’étude des métaphores terminologiques. L’étude de la motivation va donc

de pair avec l’étude de l’étymologie, et qui dit étymologie pense à l a formation lexicale.

Les motivations sont donc multiples (cf. Kocourek 1982 : 152-155) :

1. Motivation morphologique (dérivation, confixation, composition);

2. Motivation syntagmatique (lexicalisation);

3. Motivation par emprunt, par abréviation (direct, intégré, calques);

4. Motivation sémantique (étude des traits intrinsèques et extrinsèques, métaphore,

métonymie, synecdoque);

5. Motivation phonique ou graphique (imitation directe, symbolisme).

Page 103: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

82

Schéma 1.

L’étude du motif en terminologie par Kocourek

Forme

Sens

Référent

Motif

3.1.7. L’ambiguïté vue comme l’hyperonyme d’homonymie et de polysémie

Par ailleurs, Kocourek reconnaît que la question n’est pas si simple à résoudre; même en

cherchant au cœur de la sémantique, il a fait le choix de parler d’ambiguïté pour désigner

ensemble la polysémie et l’homonymie. :

Ce problème est sémantique et, parfois, étymologique, et il est fréquemment

tranché d’une manière arbitraire. C’est pour cela que nous employons, le cas

échéant, le terme ambiguïté comme hyperonyme de polysémie et homonymie

(Idem : 160).

Chez les générativistes, ce terme est également privilégié :

2. En grammaire générative, les homonymes syntaxiques sont des phrases de

surface qui peuvent correspondre à deux structures profondes différentes.

Page 104: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

Dans le dictionnaire de linguistique, l’astérisque renvoie à la définition suivante de l’ambiguïté : « propriété

Par ailleurs, en traitement de la langue naturelle, l’ambiguïté a a ussi ce s ens. On utilise également son

Veuillez consulter le schéma sur le motif de Kocourek dans notre tableau 1.

83

L’homonymie syntaxique correspond à l’ambiguïté*2 (Dubois et al. 1999 : 234

sous homonyme).

Finalement, Kocourek conclura sur le sujet en proposant la voie modérée entre les deux

approches :

L’homonymie et la polysémie, ne l’oublions pas, sont des phénomènes

universels des langues, et elles ne vont pas disparaître parce que l’on les

interdit ou s upprime. Tout en essayant de réduire le nombre d’expressions

homonymes et la polysémie des termes, on ne va prétendre que ces phénomènes

n’existent pas (Idem : 162).

Ce qui nous semble intéressant dans la proposition de Kocourek, c’est l’emploi du t erme

ambiguïté pour dénommer les cas justement « ambigus » entre la polysémie et

l’homonymie, ce qui évite de devoir faire un choix dans certaines situations où le rapport

entre le motif et le sens est en divergence et non en accord.3 Cette décision de Kocourek de

privilégier le terme ambiguïté pour regrouper sous un m ême chapeau la polysémie et

l’homonymie n’est pas arbitraire, et montre à quel point ces phénomènes sont complexes à

étudier et surtout, à classer dans l’une ou l ’autre de ces deux catégories. Cependant, cette

prudence ou ce classement ne permet pas, entre temps, de les élucider.

Par ailleurs, Kocourek souligne l’apport de la motivation du terme dans l’étude linguistique

de la terminologie. Bien que l’étude de la motivation du t erme se fasse souvent de façon

intuitive chez les linguistes-terminologues, il semble très approprié de le mentionner et de

poursuivre les études sur le motif4 du terme. Comme le mentionne Kocourek :

Supposons que le terme est motivé si la forme de ses morphèmes constitutifs,

en plus de la signification globale du terme, signale des éléments de contenu

2

de plusieurs phrases qui présentent plusieurs sens » (Dubois et a.l 1999 : 30). 3

contraire désambiguisation pour traiter les homonymes et les polysèmes. 4

Page 105: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

84

qui indiquent pourquoi cette forme particulière est employée pour désigner le

sens donné (3.8.1.) (1982 : 156).

C’est un aspect à co nsidérer fortement dans la distinction à ét ablir notamment entre

l’homonymie et la polysémie puisque la motivation (la transparence du terme) est en lien

direct avec son étymologie, donc à étudier de pair avec le lien sémique recherché. Ce

critère sera donc considéré dans notre proposition ultérieurement. Par ailleurs, il convient

de mentionner qu’en terminologie les termes complexes ainsi que les syntagmes formés à

partir du calque morphologique de l’anglais sont motivés de cette même manière.

3.1.8. La contextualisation en discours

Si les critères étymologique et sémantique ne permettent pas toujours de distinguer

l’homonymie de la polysémie, il va de soi que pour la majorité des auteurs, la question ne

se pose même pas en contexte. Les co-occurrents ainsi que la situation de communication

éliminent les ambiguïtés. Ainsi, la prise en compte du cotexte (linguistique) et du contexte

(social) est un critère important dans l’étude des phénomènes de variation polysémique. Ce

qui est polysémique en langue devient monosémique en discours selon Mortureux :

Les dictionnaires s’efforcent de représenter à l a fois l’unité sémantique du

signifié d’un mot et la variété de ses emplois, liée notamment à la diversité des

référents auxquels s’applique le concept; c’est la polysémie lexicale. Dans les

discours, la règle est qu’une seule acception soit actualisée dans chaque cas, le

mot polysémique en langue est monoréférentiel en discours (1997 : 93).

Lehmann et Martin-Berthet vont aussi mentionner l’apport des circonstances énonciatives

et de la situation référentielle, claires en contexte :

Page 106: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

85

Les risques d’ambiguité lexicales […] sont levés grâce au cotexte (entourage du

mot) et au contexte (circonstances énonciatives et situation référentielle)

(2000 : 66).

Si le contexte révèle le sens du terme, il n’en demeure pas moins qu’il est essentiel de le

consulter pour le désambiguïser :

Ici, le signifié n’est révélé que par la distribution et le contexte de situation et la

désambiguïsation de mot doit tout au contexte (Picoche 1977 : 70).

On comprend donc que les praticiens de l’analyse sémique aient généralement

délaissé le domaine propre du lexique auquel ils s’étaient d’abord attachés pour

s’intéresser de façon privilégiée à l ’étude de la signification en contexte

(phrase, texte, discours). (Nyckees 1998 : 237).

Si le contexte permet en discours de désambiguïser, il convient aussi de revenir sur une

distinction que font certains linguistes entre sens et signification. Ce serait donc

précisément en contexte que le « sens » serait révélé alors que la « signification » se situe

au niveau de la langue :

La signification ainsi définie se distingue du sens, lequel, dans l’acception

technique que lui donnent les linguistes, n’apparaît qu’avec l’énoncé, c’est-à-

dire dans le cadre du discours, texte ou pa role, tenu dans une situation

particulière. Plus précisément, le sens d’une phrase est la valeur spécifique prise

par cette phrase dans les circonstances particulières de l’échange, c’est-à-dire

lorsqu’elle devient un énoncé (Nyckees 1998 : 249).

Ainsi, il serait juste de parler de sens dans le cas de la variation polysémique telle que

rencontrée dans notre corpus. Cependant, tout comme le mentionne d’ailleurs Nyckees un

peu plus loin dans son livre:

Page 107: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

86

Ajoutons que les linguistes continuent en bien des circonstances d’utiliser

indifféremment les deux termes, comme n’importe quel locuteur du français

(Idem : 249).

Or, il ne sera pas faux de parler de sens en discours (dans les exemples provenant de notre

corpus) au même titre qu’en langue, c’est-à-dire dans le cadre élargi de notre étude, en

tenant compte de l’ensemble des situations langagières étudiées dans le contexte de cette

thèse.

3.1.9. La polysémie : situation de tous les termes de la langue?

Si la distinction entre l’homonymie et la polysémie est parfois si difficile à établir

clairement, trois questions nous viennent à l’esprit :

1. L’homonymie et la monosémie existeraient-elles pour répondre à des

idéologies (choix éditorial, approche) ou à des besoins normatifs?

2. Existerait-il un manque de critères clairs qui permettrait de mieux les

distinguer? Au fait, cette distinction est-elle nécessaire?

3. La polysémie et la synonymie seraient-elles donc la situation de tous les

termes de la langue (et non du discours)?

Pour Gardes-Tamine, la polysémie est la situation de presque tous les termes de langue :

Il reste à souligner que la polysémie est la situation de presque tous les termes

de la langue, qu’ils soient ou non hom onymes d’autres termes. La monosémie

représente évidemment la situation idéale, mais elle n’est représentée que pour

un petit nombre de mots, définis généralement dans les vocabulaires techniques

(Gardes-Tamine 2002 : 110).

Page 108: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

87

Si nous partons du pr incipe que la polysémie et la synonymie sont en langue des

mécanismes naturels à son développement, il en est tout autrement dans le cas de la

monosémie et de l’homonymie :

La polysémie est un trait consécutif de toute langue naturelle. Elle répond au

principe d’économie linguistique, au même signe servant à plusieurs usages.

Grâce aux ressources de la polysémie, la langue est apte à ex primer, avec un

nombre limité d’éléments, une infinité de contenus inédits et peut faire face aux

besoins de nouvelles dénominations; ainsi la polysémie de souris s’est enrichie

par le biais du calque anglais (cf. chap. 1, II, B)5 pour désigner le boîtier

connecté à un m icro-ordinateur. L’homonymie en revanche, n’est pas

essentielle au fonctionnement des langues (Lehmann et Martin-Berthet 2000 :

65).

C’est donc ce qui nous amène à croire que ces deux phénomènes, la monosémie et

l’homonymie, bien que présentes, et ce, même en langues de spécialité, peuvent exister en

quelque sorte pour répondre surtout à un idéal normatif ou a fin de servir un obj ectif

spécifique. En lexicographie, par exemple, la tendance homonymiste ou polysémiste relève

bien d’un choix éditorial. Le dégroupement des entrées ayant été instauré par l’équipe du

Dictionnaire du français contemporain en 1966 :

Le dégroupement des sens et des emplois a été notamment inauguré dans le

Dictionnaire du f rançais contemporain (Larousse, 1966,1re éd.), ouvrage

pionnier en ce domaine. La dette de la lexicologie envers la lexicographie est, à

cet égard, très importante (Lehmann et Martin-Berthet 2000 : 69).

Il convient de se rapporter au contexte dans lequel ce dictionnaire a été conçu. À l’époque,

le choix éditorial reposait sur les objectifs spécifiques à atteindre, ainsi que sur la clientèle

visée. Le Dictionnaire du français contemporain visait un public hétéroclite, et favorisait

Page 109: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

Dans le chapitre 1, II, B, les auteures expliquent la notion d’emprunt, où elles reprennent l’exemple de

Veuillez consulter le tableau 2 qui suit.

88

une approche synchronique, tout en poursuivant comme objectif une meilleure

compréhension du français contemporain; ce qui explique donc son choix pour le

dégroupement des entrées. Or, même si plusieurs ont par la suite privilégié cette méthode, il

reste que le dégroupement des entrées dans les dictionnaires ou da ns les banques de

terminologie demeure un choix éditorial, un choix de perspective.

Nous conclurons donc cette partie en répondant aux trois questions posées précédemment

et en comparant l’évolution de la pensée autour des phénomènes de variation. Ainsi, à partir

de l’avènement de la sociolinguistique dans les années 1970, nous avons pu observer une

évolution parallèle de la pensée autour des phénomènes de variation tant en terminologie

qu’en linguistique générale. À la lecture des divers auteurs, terminologues, linguistes,

sémanticiens, nous avons pu t isser des liens entre la perception de la variation

dénominative et polysémique avant et après l’arrivée de la sociolinguistique. Cette

dichotomie s’exprime par un p assage du normatif au descriptif6. Ce qui nous amène à

croire que l’homonymie et la monosémie répondraient plutôt à des besoins normatifs ou

relèveraient plus particulièrement de l’idéologie, et non du processus naturel d’évolution de

la langue. Nyckees avait d’ailleurs relevé cette recherche d’un idéal logique :

Cette relative innocuité de la polysémie et de l’homonymie n’a pas empêché

certains penseurs de les considérer comme des défauts des langues

« naturelles » au nom de l’idéal logique d’une langue bien faite, qui ferait

correspondre une signification unique à une forme unique (1998 : 198).

Tout comme nous l’avions déjà mentionné au chapitre 1 (cf. 1.3.3.), il ne faut pas confondre

les deux perspectives : prescriptives versus descriptives. À ce propos, Guespin écrivait:

À cette évocation, qui n’est guère caricaturale, on comprend comment l’image

d’un discours scientifique fonctionnant sans défaillance a pu naître : le projet de

5

souris. 6

Page 110: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

Dans un objectif de structuration par domaines ou afin de préserver une certaine harmonisation, la

89

standardisation a été confondu avec la tâche de description, l’objet idéal visé a

amené à sublimer le réel observé (1995 : 211).

Nous sommes d’avis que la normalisation a ses raisons d’être dans un contexte donné7,

mais dans le cadre d’une étude linguistique visant à comprendre les phénomènes de

variation terminologique, cherchant à en expliquer les mécanismes, les causes et les

conséquences, il convient de rester neutre en tentant justement, pour ce faire, d’établir des

critères précis.

Tout comme le mentionnait Sager, la normalisation ne résout pas tous les problèmes de

variation :

The hope that standardisation will solve the problems caused by alternate

designations is therefore not likely to be fulfilled very frequently. In many cases

alternate names continue to exist indefinitely and it is such extraneous

influences as market dominance of one product or the disappearance of older

technologies which decide on the life or death of terms (1990: 115).

Il convient donc de tenir compte des usages réels en discours et en langue et de les étudier.

Ces phénomènes participent à l’évolution naturelle de la langue courante et spécialisée.

Plus encore que l’ambiguïté, la synonymie est un principe universel des

langues : elle peut être analysée, aménagée, réduite, mais non éliminée. »

(Kocourek 1991 : 192).

Dans son article, Béjoint trace l’évolution de la pensée des linguistes au sujet de la

polysémie :

Mais on peut, je crois, déceler une évolution de la pensée des linguistes sur ce

point : aux linguistes du début du siècle (entre autres, mais pas uniquement, les

7

normalisation a lieu d’être.

Page 111: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

Catherine Fuchs est linguiste et Bernard Victorri est mathématicien et informaticien. Ils poursuivent depuis

90

dialectologues avec Gilliéron), pour qui la polysémie était une « imperfection »

du lexique, ont succédé d’autres linguistes pour qui la polysémie est

fondamentale et indispensable […] (1989 : 405-406).

En sémantique, Remi-Giraud et Panier diront que de « parente pauvre de la sémantique

lexicale au temps où dominaient les paradigmes structuraux, la polysémie a aujourd’hui le

vent en poupe, renouvelant en profondeur le débat sur le sens » (2003 : 7). De leur côté,

Victorri et Fuchs8 affirment que « la polysémie est un mécanisme puissant d’évolution des

langues », qu’elle « assure la cohésion, la puissance expressive, l’originalité et

l’adaptabilité de la langue. Une langue sans polysémie serait une langue rigide, incapable

d’évoluer » (1996 : 16-17).

Puis, du côté de la terminologie, Gambier présente la polysémie comme une « dimension

de la terminologisation » et l’inscrit dans un « continuum de la socio-diffusion : ainsi un

terme connaîtrait une période de lancement puis une phase d’extension de son emploi, enfin

un temps d’éclatement de la notion (polysémisation) » (1991 : 9 et 13). Finalement, Auger

revendique la description des usages polysémiques : « l’inventaire de la variation

terminologique dans une langue de spécialité doit se fonder sur une observation

systématique des synonymes et des polysèmes effectivement utilisés dans les textes »

(2001 : 23).

8

une dizaine d’années des travaux sur la modélisation en sémantique linguistique.

Page 112: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

Variation

terminologique Synonymie Polysémie

Avant la

sociolinguistique

D’un idéal réducteur et

normalisateur

D’abord réduite,

éliminée pour un idéal

de monosémie

D’une imperfection

Après la

sociolinguistique

À une approche

sociologique,

descriptive et

variationniste des

usages réels.

Puis, décrite et étudiée.

Maintenant, observée

dans les banques de

terminologies et les

dictionnaires.

À un enrichissement

lexical, à un phénomène

incontournable et

omniprésent (qu’il reste

à décrire).

91

Tableau 2.

Évolutions parallèles de la pensée autour de la variation terminologique, de

la synonymie et de la polysémie

Tout comme Dury, nous sommes d’avis que les réflexions sur la terminologie doivent se

poursuivre et que l’on doit prendre davantage en considération la terminologie

diachronique dans l’étude des variantes polysémiques:

[…] l’ensemble des publications qui se font en terminologie sont peu

empreintes de considérations diachroniques. Cette réalité est pour le moins

attristante, car la terminologie diachronique est riche d’enseignements et permet

de faire apparaître des phénomènes essentiels du langage (Dury 1999 : 17).

Si nous soutenons l’idée que l’homonymie et la monosémie ne sont pas des phénomènes

essentiels à l’évolution des langues naturelles, nous pouvons néanmoins reconnaître

qu’elles ont d’abord pour fonction de servir l’être humain dans sa gestion de la langue, dans

certaines situations données, et en fonction de ses idéaux et de ses objectifs. À la question :

sont-elles donc nécessaires? Nous répondons donc qu’elles ne sont pas essentielles au

fonctionnement de la langue, mais qu’elles peuvent en d’autres occasions s’avérer utiles

pour la gestion de ces phénomènes et l’intercommunication langagière. Finalement, la

Page 113: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

92

synonymie et la polysémie représentent certainement la situation de tous les termes de la

langue. En revanche, les cas de monosémie pure sont plutôt des cas isolés. Nous conclurons

cette partie avec une citation de Victorri et Fuchs qui décrit bien, en quelque sorte, ce

besoin de continuum entre l’homonymie et la polysémie :

En fait, on doit se résoudre à considérer qu’il n’y a pas de coupure nette entre

ces deux phénomènes [homonymie et polysémie], et que l’important pour une

théorie linguistique n’est pas tant de savoir où l ’on place la frontière que de

rendre compte de l’existence de ce continuum (Victorri et Fuchs 2002 : 13).

Page 114: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

Auteurs Monosémie Polysémie Homonymie

Dubois et al.

Un mot un sens. Propriété d’un signe linguistique qui

a plusieurs sens.

Identité phonique (homophonie) ou identité

graphique (homographie) de deux morphèmes

qui par ailleurs n’ont pas le même sens.

Niklas-Salminen,

A.

Rapport unique

Un signifiant un

signifié.

Un terme (unité lexicale) qui a deux

ou plusieurs significations.

Deux ou plusieurs termes ayant un même

signifiant et des signifiés différents.

i Critère arbitraire et indéterminé

Gardes-Tamine, J.

Un même signifiant (terme) qui a

plusieurs sens, des sens différents.

Polysémie : situation de presque

tous les termes de la langue.

Deux ou plusieurs termes (signifiants

identiques) ayant des sens différents.

Absence de relation sémantique.

Gaudin, F. et

Guespin, L.

Un mot qui a plusieurs sens.

Concerne la langue plus que la

parole.

Contextes

Deux mots de signifiants identiques ayant des

signifiés distincts.

Équivoque.

De même classe grammaticale.

Contexte d’apparition

Tableau 1. La monosémie, la polysémie et l’homonymie telles que présentées par les auteurs

93

Page 115: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

Auteurs Monosémie Polysémie Homonymie

Nyckees, V.

Un terme un sens.

-Sens = valeur prise par la

phrase (= sens littéral).

-Signification= valeur prise

par l’énoncé (=sens figuré).

Un mot polysémique rassemble

plusieurs sens (ayant un lien entre

eux). Un mot qui a plusieurs

significations.

Contextes lèvent l’ambiguïté.

Deux ou plusieurs mots qui ont plusieurs

significations.

Aucun lien sémantique vraisemblable.

Disjonction homonymique.

Contextes lèvent l’ambiguïté.

Kocourek, R.

Absence d’ambiguïté.

Une forme un concept.

forme sens référent

motif

Un mot (unité lexicale) qui a

plusieurs acceptions.

Motivation des termes.

Ambiguïté est hyperonyme de

polysémie et d’homonymie.

Deux ou plusieurs unités lexicales de

même forme ayant des sens différents.

Critère : motif.

Ambiguïté est hyperonyme

de polysémie et d’homonymie.

Picoche, J.

Rapport univoque entre un

signifiant et un signifié.

Sème nucléaire.

Un signifiant plusieurs emplois.

Sèmes communs selon le jeu des

contextes, ils peuvent avoir plusieurs

acceptions.

Contextes.

Un signifiant unique qui a plusieurs

signifiés.

Sème contextuel.

Aucun élément sémantique commun, il y

a donc disjonction.

Contextes.

Tableau 1. La monosémie, la polysémie et l’homonymie telles que présentées par les auteurs

94

Page 116: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

Auteurs Monosémie Polysémie Homonymie

Mortureux, A-F.

Un lexème qui a plusieurs

acceptions.

Différence entre polysémie et

homonymie : question de degré,

distance sémantique plus grande

entre deux homonymes.

Contextes.

Connotation / Dénotation.

Deux lexèmes de formes identiques

ayant des significations différentes.

Différence entre polysémie et

homonymie : question de degré, distance

sémantique plus grande entre deux

homonymes.

Contextes.

Connotation / Dénotation.

Polguère, A.

Un vocable ayant plusieurs lexies

(acceptions).

Deux lexies distinctes ayant un même

signifiant et aucune relation de sens.

Disjonction de sens.

Identité de forme.

Lyons, J.

Contextes.

Des mots (des lexèmes) de même forme

qui ont des sens différents.

Contextes.

Tableau 1. La monosémie, la polysémie et l’homonymie telles que présentées par les auteurs

95

Page 117: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

Auteurs Monosémie Polysémie Homonymie

Lehmann, A. et F.

Martin-Berthet

Un mot pour une acception

(un signifié pour un

signifiant).

Un mot qui a plusieurs acceptions

(sémèmes) qui ont des emplois

différents (un même signe pour

plusieurs signifiés).

Un mot qui présente une pluralité de

références associées à un même sens.

Polyréférence.

Un seul étymon.

Contextes.

Signes distincts de forme identique avec

des signifiés différents.

Le critère étymologique n’est pas

toujours décisif.

Étymons distincts.

Contextes.

Kleiber, G.

Une forme qui présente une pluralité

de sens.

Des sens qui ne paraissent pas

totalement disjoints, mais se

trouvent unis par tel rapport ou tel

rapport.

Pottier, B. Continuum à considérer autant en

synchronie qu’en diachronie.

L’homonymie est un cas de polysémie

dont on ne voit pas la motivation.

Tableau 1. La monosémie, la polysémie et l’homonymie telles que présentées par les auteurs

96

Page 118: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

Les informations présentées en caractères gras représentent les particularités évoquées par chaque auteur. Les définitions sont présentées en caractères normaux.

Tableau 1. La monosémie, la polysémie et l’homonymie telles que présentées par les auteurs

i

Lorsque rien n’est écrit, c’est que l’auteur n’a pas abordé ce sujet dans les ouvrages consultés lors de nos recherches, par exemple, dans le cas de la monosémie

chez Gardes-Tamine. Cela étant dit, il se peut que ces auteurs l’aient fait dans d’autres ouvrages qui n’ont pas l’objet de consultation de notre part ou qui nous

sont inconnus.

97

Page 119: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

98

3.2.

La variation polysémique

3.2.1. Introduction

Si l’on part du principe que les termes accumulent des sens au fil de leur évolution, il y a

forcément un l ien entre chacun d’eux. À chaque fois que s’ajoute un n ouveau sens, ce

dernier est lié au précédent, et ainsi de suite. Ils seraient donc tous reliés les uns aux autres,

à différents degrés, du premier recensé au dernier apparu.

Cette accumulation de sens reflète l’évolution culturelle et historique des termes; elle

témoigne de leur capacité à s’adapter, à évoquer, à signifier et à conceptualiser.

Ce qui rejoint la plupart des auteurs dans leur critique de l’homonymisation :

O conceito de uma UTC não resulta pari pasu da soma dos formativos, mas da

cumulaçao de caracteristicas por calvagamento de traços, que produzem

mudanças de conteúdo [...] (Faulstich 2003: 19).

Le concept d’une unité terminologique complexe ne résulte pas peu à peu de la

somme de ses formatifs, mais de l’accumulation de caractéristiques par cumul

de traits, qui produisent un c hangement de contenu [...] (Faulstich 2003: 19,

notre traduction).

Ce qui rejoint aussi l’idée de sociodiffusion de Gambier (1991: 13):

Continuum de la sociodiffusion : ainsi, un terme connaîtrait une période

lancement, puis une phase d’extension de son usage, et finalement un temps

d’éclatement de la notion (polysémisation).

Page 120: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

99

ou encore ce que Nyckees (1998 : 199-200) appelle la sédimentation :

Elle [la polysémie] nous rappelle avec force que les langues fonctionnent sur le

mode du cumul et de la sédimentation et qu’elles se constituent au travers d’une

expérience historique.

Dans ce chapitre, nous défendrons donc la variation polysémique au profit de la variation

homonymique. Pour ce faire, nous ferons d’abord la revue des travaux de certains auteurs

(sémanticiens pour la plupart) ayant travaillé avec les associations d’idées, les changements

de sens et les causes de ces derniers. Par la suite, nous présenterons les prémisses d’une

théorie de la polysémisation. Finalement, nous présenterons la chaîne de la polysémie.

3.2.2. Le bilan des travaux sur les changements de sens

Dans sa théorie sur les associations d’idées, Darmesteter proposait trois types

d’associations :

1) la variation d’extension ou synecdoque (élargissement ou restriction de sens),

2) la relation de ressemblance ou la métaphore,

3) la métonymie.

Ullmann a r epris les champs associatifs de Saussure en combinant les observations de

linguistes et psychologues du dé but du siècle tels que Wundt, Schuchardt et Roudet (cf.

Nyckees 1998 :101). Il propose donc un pr incipe de transfert de nom ou de sens par

contiguïté ou par similarité :

1) Transfert de sens par similarité entre les noms (attraction paronymique),

2) Transfert de sens par contiguïté entre les noms (phénomènes de contagion),

3) Transfert du nom par similarité entre les sens (métaphore),

4) Transfert du nom par contiguïté entre les sens (métonymie).

Page 121: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

100

Ullmann assimile la synecdoque à la métonymie (cf. point 4).

Dans sa proposition, Ullmann affirme qu’il y a forcément un lien entre le sens ancien et le

sens nouveau :

Quelles que soient les causes qui provoquent le changement, il y a

nécessairement un lien, une association, entre le sens ancien et le sens nouveau

(Ullmann 211 dans Nyckees 1998 : 137).

Bien entendu, les changements de sens existent parce que la société elle-même est

constamment en transformation. Les innovations technologiques et scientifiques

influencent chacune de ses transformations, tout comme l’industrialisation à une certaine

époque (ou actuellement dans certains pays tels que la Chine par exemple). Ces

changements, donc, s’expliqueraient par des causes et se manifesteraient dans la langue,

langue vivante, tout en reflétant les mouvements de ses sujets parlants.

Meillet et Nyckees se sont intéressés aux causes engendrant tous ces changements de sens.

Dans un pr emier temps, nous présenterons les causes identifiées par Meillet et dans un

deuxième temps, la typologie développée par Nyckees.

Dans son célèbre article « Comment les mots changent de sens » paru en 1948 d ans

Linguistique historique et linguistique générale, Meillet identifie trois types de causes :

1) L’influence de la forme linguistique,

2) Le changement de choses ou de concepts désignés,

3) L’hétérogénéité sociale (les emprunts sociaux).

La plupart des historiens de la signification ont retenu le modèle de Meillet, mais certains le

trouvant un peu étroit lui ont ajouté des causes dites « psychologiques » tel que Nyrop par

exemple.

Page 122: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

101

Nyckees, dans son livre intitulé La sémantique, préfèrera parler de « causes socio-

discursives liées aux conditions sociales de l’exercice de la parole » (1998 :106). Il critique

le qualificatif psychologique :

Les changements de sens peuvent difficilement en effet être considérés comme

des phénomènes d’origine psychologique, puisque, comme nous l’avons dit, un

changement ne saurait s’imposer que s’il finit par recevoir l’aval de l’ensemble

du groupe linguistique considéré. Les changements de sens sont donc

nécessairement des phénomènes de dimension collective et sociale (Idem :

106).

Nous sommes d’accord avec Nyckees sur un point : lorsqu’il est question d’attestation d’un

sens, c’est véritablement l’usage qu’en font les locuteurs qui déterminera la durée de vie

d’un nouveau sens. Cependant, nous croyons que ce nouveau sens naît dans le cognitif et

que l’aspect psychologique serait donc à considérer à la base de ce phénomène de création

sémantique, qu’il soit conscient ou inconscient. Nous reviendrons sur cet aspect dans notre

proposition ultérieure.

Nous terminerons le bilan des travaux sur les changements de sens avec le classement de

Nyckees. Son classement est en quelque sorte l’aboutissement de tous les classements

précédents. Nous l’utiliserons à t itre de classement de référence dans notre prochaine

proposition théorique notamment dans le développement de notre théorie vers la

polysémisation en 3.2.4. Il est aussi à mettre en relation avec notre modèle d’analyse des

causes linguistiques et extralinguistiques de la variation terminologique au chapitre 5. Dans

son classement, Nyckees s’inspire de celui de Meillet, mais le divise en deux catégories de

causes : les changements dus à des causes socioculturelles, puis les changements dus à des

causes formelles.

Page 123: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

102

3.2.3. Le classement de Nyckees sur les causes des changements de sens

Présentons d’abord le classement de Nyckees que nous expliciterons par la suite à l’aide

d’exemples. Son classement se divise en deux grandes causes : les causes socioculturelles

et les causes formelles.

1. Les changements liés aux causes socioculturelles;

a. les

changements

liés

aux

circonstances

culturelles,

c’est-à-dire

aux

transformations affectant les conditions de vie de la communauté ou du groupe;

i)

ii)

iii)

iv)

les techniques

les coutumes

les institutions

la vie intellectuelle (concepts de la philosophie et des sciences)

b. les emprunts entre groupes sociaux (les migrations de mots et de sens entre LG-

LSP-LG) ;

i)

ii)

iii)

iv)

les extensions de sens

les restrictions de sens

les mouvements alternés d’extension et de restriction de sens

les ellipses

c. les changements dus aux « valeurs sociales »;

i)

ii)

iii)

iv)

les tabous et euphémismes

la prétendue « tendance péjorative »

le devoir d’expressivité (affaiblissement ou embellissement du

sens)

les changements dus aux « thèmes obsessionnels » (ou thèmes de

prédilection).

Page 124: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

103

2. Les changements dus à des causes formelles, autrement dit les changements tirant leur

origine des formes même de la langue.

a. La contiguïté formelle et la « contagion »

b. Les attractions paronymiques

c. Les conflits homonymiques et leur réduction

d. L’anticipation des « pannes » linguistiques.

Parmi les causes socioculturelles, Nyckees identifie les innovations techniques, les

coutumes, les institutions et la vie intellectuelle :

Les innovations culturelles qui influent sur le sens des mots appartiennent

souvent au domaine technique, mais on en trouve aussi qui affectent les

habitudes culturelles ou les institutions et jusqu’au langage de la philosophie et

des sciences. […] Ainsi, quand il s’agit de baptiser des réalités ou des concepts

nouveaux, la science est sans cesse confrontée à une alternative : fabriquer des

mots inédits ou donne r un nouveau sens à des mots déjà implantés dans la

langue (Idem : 108-109).

Ce phénomène, bien décrit par Nyckees, est très fréquent en LSP. Lorsque vient le temps

de dénommer une nouvelle réalité technique ou scientifique, il est commun d’avoir recours

à la néologie lexicale, conceptuelle ou sémantique par divers processus notamment la

métaphorisation, la métonymie (les deux formes de néologie sémantique les plus fréquentes

en terminologie), puis par la néologie formelle (dérivation, lexicalisation, conversion

syntaxique, syntagmation, siglaison, acronymie, abréviation, variation orthographique).

Parfois, il arrive également de recourir aux emprunts aux autres langues, assez fréquents

dans certains domaines où domine, par exemple dans le cas des emprunts à l ’anglais, un

phénomène d’américanophilie, ou de mode, où dans la gastronomie par exemple, où s ont

nombreux à entrer dans nos restaurants de nouveaux plats venus de l’étranger, ce qui crée

de nouvelles habitudes alimentaires qui amènent de nouveaux usages dans la langue tels

que sushis, tacos, etc.

Page 125: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

104

Au-delà des emprunts aux autres langues, il y a aussi tous les emprunts internes, faits au

sein même des ressources de la langue française. Ainsi, en passant d’un domaine à un autre,

de la langue spécialisée à la langue générale ou vice-versa, sont créés de nouveaux sens à

partir de formes déjà existantes. Ces phénomènes de circularité sont très présents en

terminologie. Ainsi, Nyckees a abordé ces aspects dans la section intitulée Les emprunts

entre groupes sociaux. À ce sujet, il spécifiait :

Or, il arrive très fréquemment que les mots propres à certains groupes sociaux

passent dans l’usage général ou, à l’inverse, que les mots de la langue commune

se fixent dans une signification particulière en entrant dans une langue de

spécialité. Rien de plus naturel que ces migrations de mots et de sens puisque

les différents groupes sociaux constitutifs de la communauté linguistique sont

évidemment en contact les uns avec les autres (1998 : 110).

Toujours dans la catégorie des changements dus aux valeurs sociales, au sein même de ce

processus d’interdisciplinarité, de circularité ou de « contamination des termes et des

concepts » (expression employée par Dury), il arrive souvent qu’un terme spécialisé,

lorsqu’il passe à l a langue générale, se généralise et subisse une restriction ou un

élargissement de sens, puisque seuls les initiés peuvent accéder au sens strictement

spécialisé à l’origine du terme. Ces phénomènes s’observent fréquemment; plus près de

nous au Québec, prenons l’exemple des accommodements raisonnables qui ont fait l’objet

de débats sur la scène publique canadienne en 2007. A insi, le terme accommodement

raisonnable relevant du droit du travail, en tant que notion juridique bien circonscrite, créé

en 1985, avait le sens spécialisé suivant :

Obligation de la part de l’employeur ou d’une institution, quand des normes ou

pratiques ont sur un i ndividu un i mpact discriminatoire fondé sur la race,

l’origine nationale ou e thnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les

définitions mentales ou physiques (Geadah 2007).

Page 126: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

105

Or, dans ce tourbillon médiatique, et en lien avec la politique d’immigration, la notion a

quelque peu été modifiée et interprétée par plusieurs usagers et acteurs de la

communication médiatique, entre autres, dans son acception commune qui est « compromis

à l’amiable ». Il s’agit ici d’une restriction de sens. Par contre, à la suite de la Commission

Bouchard-Taylor, commission de consultation sur les pratiques d'accommodement reliées

aux différences culturelles, la notion semble cette fois-ci s’être élargie :

Arrangement qui relève de la sphère juridique, plus précisément de la

jurisprudence; il vise à assouplir l'application d'une norme en faveur d'une

personne menacée de discrimination en raison de particularités individuelles

protégées par la loi (Glossaire, site des Accommodements raisonnables 2008).

La définition donnée dans le GDT de l’OQLF en donne une définition plus large encore :

Conciliation jugée acceptable par un groupe, une communauté, afin de

permettre à un individu ou à un groupe minoritaire de conserver ou d 'obtenir

des droits, de maintenir une coutume, une tradition religieuse ou c ulturelle,

dans le respect mutuel et avec un minimum de compromis.

Si au départ, cette notion servait davantage aux femmes et aux handicapés, elle s’est

aujourd’hui étendue à plusieurs autres personnes, elle ne prévaut plus uniquement dans le

contexte du dr oit du t ravail et s’utilise dans plusieurs situations données. À lui seul, cet

exemple nous permet de bien illustrer ces phénomènes de circularité des termes et des sens

qui sont très communs en terminologie. Il peut, dans certains cas, y avoir une alternance de

restriction et d’élargissement de sens tel que le mentionne Nyckees (1998 : 111) : « Un

même mot peut avoir été successivement soumis à des mouvements de spécialisation et de

généralisation. Ce phénomène explique dans une large mesure la "polysémie" de

nombreux mots français ».

D’ailleurs, à cet effet, Dury dans son article intitulé « Les variations sémantiques en

terminologie : étude diachronique et comparative appliquée de l’écologie », permet de bien

illustrer les apports de la sémantique et de la diachronie en terminologie. Ainsi, selon

Page 127: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

106

l’auteure, les transferts sémantiques des termes vont de pair avec la contamination des

concepts d’une science à une autre. Ceux-ci viennent, par ailleurs, ébranler le principe des

frontières hermétiques entre les langues de spécialité :

La circulation de vocabulaire entre la biologie, la zoologie, la botanique et

l’écologie est telle qu’il est difficile de ne pas penser que ces disciplines

possèdent de solides passerelles d’accès entre elles. En d’autres mots, les

transferts de termes et de concepts qui se font régulièrement entre ces sciences

montrent qu’il faut décloisonner l’approche des vocabulaires spécialisés. Ces

derniers ne sont pas fractionnés strictement, ne sont pas hermétiques les uns par

rapport aux autres, mais tissent des liens sémantiques […] (1999: 25).

Nous avons pu obs erver des liens entre ce que Dury affirme dans le cadre de ses études

terminologiques avec ce que Nyckees résume au sujet des emprunts sociaux :

Un mot appartenant à u n langage particulier peut se transmettre à l a langue

commune en gardant son sens initial s’il est compris par le profane. Cependant,

le mot de spécialité correspond le plus souvent à une expérience spécifique du

groupe qui l’utilise, en sorte qu’il est souvent exposé à être interprété par le

non-spécialiste avec un sens plus vague que celui qu’il avait pour le spécialiste.

C’est pourquoi la diffusion du m ot technique dans la langue commune

s’accompagne généralement d’un élargissement de sa signification, les profanes

ne retenant dans la signification du mot que ce qui correspond à leur expérience

familière et par conséquent à l ’expérience de tous. Après une période

intermédiaire où l’emploi du mot peut encore faire image aux yeux de certains

usagers, la spécificité du sens initial finit par s’effacer – à moins d’un

engouement particulier pour la spécialité à laquelle est empruntée le mot ou

l’emploi nouveau (Nyckees 1998 : 110).

Concernant cette « particularité de l’effacement de la spécificité du sens initial », nous

pourrons faire un lien entre ce principe et celui de l’effacement de la motivation du terme

Page 128: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

107

dans la métaphorisation terminologique; un d es critères de notre proposition pour une

théorie de la polysémisation que nous exposerons au point 3.2.4.

Avant de regarder les changements imputés aux valeurs sociales, nous souhaitons préciser

que nous n’avons pas été en mesure de développer davantage la métonymie puisque très

peu d’exemples ont été repérés dans notre corpus. Les métonymes rencontrés relèvent du

développement durable (voir la p. 204 pour tous les exemples cités). Nous aurions donc

tendance à croire Kocourek à ce sujet :

Par comparaison à l a métaphore, la métonymie est de beaucoup moins

fréquente. Goosse (’75 :65, 67) a constaté que la métaphore prédomine (dans la

proportion de 11 c ontre 1). Il a trouvé, dans Gilbert (’71), 482 u nités

métaphoriques et 43 uni tés métonymiques, les synecdoques comprises (1982 :

149-150).

Cependant, ce phénomène nous intéresse et nous souhaiterions l’étudier lors de nos

prochaines recherches.

Parmi les changements dus aux valeurs sociales, Nyckees réfère aux figures classiques de la

rhétorique (litote, hyperbole), aux tabous, à l’euphémisme, à l a tendance péjorative, au

besoin d’expressivité (qui rejoint les besoins communicationnels dans notre modèle de la

variation terminologique au chapitre concerné) et finalement aux thèmes obsessionnels.

À l’intérieur des besoins d’expressivité que nous relions directement aux besoins de

communication se manifestent des changements sémantiques par embellissement ou

affaiblissement de sens. Comme le mentionne Nyckees :

Les « améliorations de sens » ont souvent pour origine des modifications

historiques. Bien des termes désignant aujourd’hui des titres et des fonctions

Page 129: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

108

honorifiques ont ainsi connu des promotions spectaculaires : un ministre est

étymologiquement un s erviteur; le maréchal, un va let chargé de soigner les

chevaux sous les Mérovingiens, comme le rappelle dans une certaine mesure

l’expression de maréchal-ferrant; le connétable, un comes stabuli, « officier

chargé des écuries »; un comte n’était d’abord qu’un compagnon; le chancelier,

un huissier placé près d’une barrière et l’huissier lui-même un por tier (1998 :

120).

Dans notre corpus, nous pouvons donner un exemple très représentatif de ce phénomène,

notamment à l’aide du terme-concept même de « déchet » et de « matière résiduelle ». En

effet, au fil de nos analyses, nous avons découvert que le terme déchet présentait de la

variation conceptuelle : la première étant le concept de « matière à éliminer » et la

deuxième celle de « matière valorisable ». Cette variation conceptuelle, bien présente dans

nos textes, reflète les changements sociétaux qui en sont à l’origine. Dans un besoin

d’expressivité, qui se présente ici par un embellissement de sens, le gouvernement

québécois a émis une politique qui préconise l’utilisation du terme matière résiduelle au

détriment du terme déchet sans toutefois modifier la définition qui l’accompagne. De la

sorte, il règne un flou conceptuel dans les textes entourant ce changement, et ce, jusqu’à ce

que ce changement de dénomination dans les textes de loi, puis dans les textes spécialisés,

soit adopté et compris par la majorité de la société. C’est uniquement à ce moment que la

dénomination-notion pourra alors se fixer et que la variation conceptuelle pourra par

conséquent s’autoéliminer.

Dans les exemples a) à d), nous avons souligné les éléments que nous souhaitons mettre en

évidence et commenter par la suite. Dans les textes de notre corpus, nous avons observé un

changement à la fois dans la dénomination et dans la définition entre 1998 et 2002 :

Page 130: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

109

a) Définition de « matière résiduelle » ou de « résidu » en 1998 : Matière ou

objet périmé, rebuté ou autrement rejeté, qui est mis en valeur ou éliminé .

[Glossaire du site du Ministère de l’environnement du Québec et Glossaire du

site Recyc-Québec, sous matière résiduelle ou résidu 1998].

b) Changement dans la définition entre 1998 et 2002 : Le présent bilan porte

sur les matières résiduelles telles que définies dans la Loi modifiant la Loi sur

la qualité de l’environnement (LRQ.,c.Q-2). La définition se lit comme suit :«

Tout résidu d’un processus de production, de transformation ou d’ utilisation ,

toute substance, matériau ou pr oduit ou plus généralement tout bien meuble

abandonné ou que le détenteur destine à l’abandon. » [Bilan 2002 p. 8]

c) Changement de l’intitulé et de la dénomination : En 1988, à la veille de la

première politique au Québec sur les matières résiduelles intitulée Politique de

gestion intégrée des déchets (1989), on estimait la récupération à 1 258 000

tonnes de matières. Le tableau 1 pr ésente les données de la gestion des

matières résiduelles au Québec de 1988 à 2002. [Bilan 2002 p. 11]

d) Dénomination déchet bannie du vocabulaire dans les textes de lois : Il est

à noter que le terme « d échet » est à banni r du vocabulaire puisque partout,

dans les lois et règlements du gouv ernement, l’expression « déchet » a été

remplacée par « matières résiduelles ». [Lexique sur les matières résiduelles

sous déchet dans Bilan 2002 p. 37]

Dans l’exemple a), nous pouvons constater que la définition de matière résiduelle recouvre

bien les deux variantes conceptuelles que nous avons identifiées précédemment : « matière

à éliminer » ou « matière à valoriser ». Par ailleurs, il c onvient de mentionner que cette

définition date de 1998. Quatre ans plus tard, la définition indique « tout résidu issu d’un

processus d’utilisation ou de transformation ou a bandonné »; ce qui sous-entend encore

cette dualité entre la possibilité de transformer le déchet ou de l’éliminer, donc l’exemple b)

confirme encore l’existence de la variation conceptuelle. Les exemples c) et d) permettent

d’illustrer le changement politique impliqué derrière ce changement terminologique. Ainsi,

Page 131: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

Nous employons prudemment le conditionnel ici parce que cette remarque constitue une hypothèse, une

110

en c), nous pouvons constater l’usage du terme déchet dans l’intitulé même de la politique

de 1989 a lors qu’en d), nous voyons que le terme déchet devrait être « banni » de ce

vocabulaire et remplacé par celui de matière résiduelle, sans que soit précisé ou m odifié

son sens. Auparavant, le terme déchet était employé pour signifier la même réalité tout

comme le confirme la définition de déchet dans notre corpus : « Résidus, matériaux,

substances ou dé bris rejetés à la suite d'un processus de production, de fabrication,

d'utilisation ou de consommation » (Glossaire, Recyc-Québec). Ainsi, dans les textes de

notre corpus, il règne une sorte de flou conceptuel et de décalage sémantique entre les

usages précédents de déchet et de matière résiduelle. Ces deux termes sont employés

simultanément pour dénommer les mêmes réalités, puis subitement, l’un d’eux (matière

résiduelle) est désigné pour remplacer voire éliminer le second (en l’occurrence déchet).

Or, avant que ces changements politiques ne soient bien intégrés dans les mœurs puis dans

les usages terminologiques, une variation conceptuelle s’installe jusqu’à ce que la notion se

précise.

Ainsi, le terme déchet est tantôt employé pour désigner les « objets à éliminer » ou les

« objets à valoriser » pendant que son concurrent matière résiduelle tente de gagner du

terrain avec la même définition. En étudiant la définition du t erme déchet dans le Petit

Robert électronique 2002, nous constatons qu’il existe deux sèmes dont pourrait 1 vouloir se

débarrasser le gouvernement québécois dans son changement politique. Le premier sème

est celui de « sale », comme dans une volonté politique ou un désir de « déconnoter » le

terme de son sème péjoratif comme on pe ut le voir ici dans la définition : « Résidu

impropre à la consommation, inutilisable (et en général sale ou encombrant) » (PLI 2002).

Le deuxième sème en question pourrait être « inutilisable » puisque le terme veut justement

véhiculer l’idée de « matière à v aloriser » en plus de celle de « matière à éliminer » en

fonction des diverses situations. Il va de soi que ces changements terminologiques sont

tributaires des changements sociétaux entourant la gestion et le traitement des déchets,

basés sur une nouvelle conception des matières en fonction des énergies renouvelables.

1

explication parmi tant d’autres à laquelle nous avons pensé sans pour autant en avoir la certitude puisque ce

Page 132: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

Dan Sperber est chercheur en sciences sociales et cognitives, actuellement directeur de recherche au CNRS à

111

Puis, nous expliquerons maintenant en quoi les thèmes obsessionnels sont des phénomènes

de variation terminologique rencontrés fréquemment. Ainsi, dans une « sphère de pensée »,

le chercheur Sperber 2 a contribué à l ’étude des changements de sens en traitant de

l’« inconscient social » opposé à l’« inconscient individuel » de Freud, que Nyckees

reprendra dans ces explications sur les thèmes obsessionnels :

Ainsi les thèmes de prédilection, qu’ils naissent des circonstances ordinaires de

la vie ou de circonstances exceptionnelles, ne cessent de prêter leur vocabulaire

et leurs images à quantité d’autres thèmes que rien ne prédestinait apparemment

à leur emprunter ces couleurs. Inversement, la « sphère de pensée » exerce

immanquablement une force d’attraction sur d’autres thèmes qui se trouvent

aussitôt mobilisés pour l’exprimer. Ainsi, la mitrailleuse est-elle rebaptisée

machine à coudre ou moulin à café dans l’argot des Poilus, tandis que le tank se

transforme en cuisine roulante (Nyckees 1998 : 122).

Les exemples donnés par Nyckees provenant de L'argot des poilus : Dictionnaire

humoristique et philologique du langage des soldats de la Grande Guerre de 1914 sont tout

à fait éloquents. Pour ainsi dire, les thèmes qui occupent une place prépondérante dans les

préoccupations ou les priorités des individus d’une société pour un temps indéterminé vont

par la suite engendrer à leur tour des changements sémantiques de par leur influence sociale

(en l’occurrence « inconsciente »). Ainsi, si nous reprenons l’exemple des

accommodements raisonnables, à l ui seul ce sujet d’actualité devenu prioritaire dans

l’ensemble de la communauté québécoise en 2007 a engendré des changements sociétaux

qui se manifestent aussi dans la langue. Ainsi, les accommodements raisonnables ont donné

lieu à différents jeux de mots ou à diverses allusions linguistiques ou sociales (par ex.

accommodements linguistiques, chronologie accommodante, accommodements

déraisonnables, médiateurs interculturels, accommodeur, etc.). Les thèmes principalement

véhiculés dans la question des accommodements raisonnables tels que le multiculturalisme

changement demeure ni expliqué ni justifié dans les textes de notre corpus. Or, il est certain qu’il y a une

raison consciente ou inconsciente derrière ce changement politique et terminologique. 2

Paris.

Page 133: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

112

(politique officielle du Canada) versus le pluralisme (politique officielle du Québec), les

questions d’identité, de nation et d’ethnicité sont aussi devenus une grande source de

créativité lexicale. Ils ont donné naissance à d es termes simples et complexes évocateurs

tels que pratique d’harmonisation interculturelle, pluriconfessionnalité, ajustement

concerté, dynamique transculturelle, etc. Ces termes-concepts sont donc le reflet direct de

ce grand thème obsessionnel propre à la société québécoise, et sont représentatifs du débat

sur la construction identitaire dans lequel la société est plongée depuis 2007. Ce débat est

donc soutenu par une terminologie juridique porteuse, laquelle engendre d’autres

terminologies au cœur d’un sujet hautement conceptuel, culturel et historique. Par ailleurs,

nous serions portée à croire que ce phénomène est directement lié à la rectitude politique,

d’où le besoin de déconnoter certains termes. Enfin, nous avons évoqué un exemple près de

chez-nous pour expliquer les thèmes obsessionnels; mais il en va de même pour tout autre

thème important propre à une époque, propre à un événement ou à un groupe donné et

découlant directement d’un changement sociétal. Pensons par exemple aux deux grandes

guerres mondiales; elles ont, elles aussi, apporté leur lot de termes. Il en va de même de

notre exemple précédent au sujet de matière résiduelle et de déchet. Mis à part le

changement mélioratif, il y derrière ce changement de politique gouvernementale une

préoccupation sociale, un t hème obsessionnel qui pourrait bien s’exprimer par les grands

bouleversements de conscience collective à l ’égard de l’environnement, dans lesquels

s’insèrent les préoccupations de gestion et de traitement des matières résiduelles.

Cependant, qu’en est-il du caractère dit inconscient de ce phénomène social?

On notera cependant que les phénomènes mis en évidence par Sperber relèvent

d’une sorte d’inconscient social plutôt que de l’inconscient individuel cher à

Freud. Les mouvements sémantiques attribués à cette force émotive ont-ils bien

d’ailleurs un caractère vraiment « inconscient » au sens freudien du terme? On

a tout lieu de penser que les paysans ou les marins-pêcheurs sont bien

conscients de la relation évidente entre leurs images de prédilection et leur

expérience quotidienne. Il en allait de même pour les Poilus dans les tranchées

ou pour les Français au temps des guerres de religion (Nyckees 1998 : 123).

Page 134: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

113

Nous serions également plutôt portée à croire que ces phénomènes relèvent souvent du

« conscient », notamment dans nos exemples d’allusions linguistiques et de jeux de mots

entourant les accommodements raisonnables ainsi que dans la volonté politique de bannir

déchet du vocabulaire; c’est bien là un geste conscient et assumé même si les raisons

motivant ces changements ne sont pas toujours explicitées comme nous l’avons commenté

avec l’exemple de déchet. Cependant, il peut, selon nous, exister une part d’inconscient

dans les phénomènes propres aux emprunts interdisciplinaires (LG-LSP-LG ou LSP1-

LSP2), notamment dans l’usage ou la compréhension (parfois limitée) qu’en ont les

utilisateurs; ce qui engendre des variations sémantiques intéressantes comme nous l’avions

vu avec les élargissements et les restrictions de sens liés aux emprunts entre les groupes

sociaux.

En terminologie, l’étude des thèmes obsessionnels est donc fondamentale à une meilleure

compréhension des phénomènes de variation terminologique, mais elle est également à

relier aux aspects cognitifs du l angage. Dans notre modèle d’analyse des causes

linguistiques et extralinguistiques de la variation terminologique (voir chapitre 5), nous

aborderons ces aspects en nous basant aussi sur les différentes représentations du monde et

de la réalité (qui rejoignent également la vie intellectuelle mentionnée par Nyckees dans les

changements liés aux circonstances culturelles). Bref, le classement de Nyckees sur les

changements de sens apporte un éclairage intéressant à l’explication et à la compréhension

des causes sociales et culturelles des variations terminologiques.

Voyons maintenant les causes formelles derrière ces changements : la contiguïté formelle,

les attractions paronymiques, les conflits homonymiques et l’anticipation des « pannes »

linguistiques.

La contagion correspond à un or dre de phénomènes étudié depuis Michel

Bréal : certains mots régulièrement associés à d’autres mots dans un grand

Page 135: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

114

nombre de contextes peuvent acquérir de nouveaux sens en rapport avec celui

de leurs voisins (dans Nyckees 1998 : 124).

Si dans le cas de la contiguïté formelle, la ressemblance entre les mots repose sur la

graphie, dans l’attraction paronymique, elle repose sur la ressemblance phonétique.

Nyckees cite en exemple subjectif et suggestif, extorquer et escroquer, infester et infecter,

etc. Cependant, afin que ce changement soit accepté, il faut que la confusion se lexicalise

dans la langue générale. Ce phénomène était autrefois appelé l’étymologie populaire.

Les explications par l’attraction paronymique sont séduisantes. Elles semblent

manifester une sorte de force naturelle du langage qui l’apparenterait à un être

biologique, opposant sa vitalité aux plans de l’intelligence humaine. Ce type

d’analyse doit toutefois être manié avec précaution. On fera bien en particulier

de réserver cette appellation aux cas où la « confusion » a débouché sur une

différence de sens indubitable et lorsque la ressemblance phonétique paraît

seule en mesure d’expliquer l’évolution sémantique (Nyckees 1998 : 126).

À cet égard, selon l’étymologie du terme déchet au PLI 2002, le terme aurait été confondu

avec le verbe déchoir au 14e siècle. Il s’agirait donc ici d’une attraction paronymique :

déchet : déchié 1283; déchiet XIVe, par confus. avec il dechiet « il déchoit » de déchoir.

Dans le cas des conflits homonymiques, résultant souvent de l’érosion phonétique, il peut y

avoir certains problèmes comme le mentionne Nyckees :

Certaines homonymies font cependant exception et représentent un véritable

obstacle à l a communication. On parle alors de collision (ou de conflit)

homonymique. […] De même, en ancien français, aimer (du latin amare) et

e(s)mer (« estimer », du latin estimare) se sont trouvés confondus du f ait de

l’évolution phonétique. La forme estimer n’est apparue qu’ensuite. Ce

« doublet » savant de esmer, calqué par les clercs sur le latin estimare, s’est

progressivement imposé au détriment d’esmer (Nyckees 1998 : 127).

Page 136: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

115

Ces conflits homonymiques peuvent expliquer l’anticipation des pannes linguistiques.

Ainsi, lorsqu’il fait face à un vé ritable obstacle, à un pr oblème réel d’ambiguïté, le sujet

parlant, dans un souci de clarté, anticipe la panne linguistique en cherchant une solution.

Mais venons-en au cœur du problème : si la collision homonymique débouche

sur un c hangement de forme ou un c hangement de sens, c’est d’abord parce

qu’elle représente un obstacle pour tous. […] Les vraies causes des

changements imputés au « souci de clarté » doivent donc être recherchées dans

les formes elles-mêmes en tant qu’elles réservent des possibilités d’ambiguïté.

Il ne faut pas se représenter toutefois des causes formelles comme agissant

indépendamment de la compréhension humaine. Il n’y a de risque de confusion

ou de contagion entre des formes linguistiques que pour des esprits humains

aux prises avec le langage dans des situations données. Les mots ne

fonctionnent pas à distance de l’homme et ne signifient pas tout seul (Nyckees

1998 : 128).

Nous terminons ici la présentation du classement de Nyckees. À travers les changements de

sens, surtout grâce à l’explication des causes socio-culturelles et formelles de ces

changements, nous pouvons maintenant explorer une théorie vers la polysémisation que

nous développerons en 3.2.4. Plusieurs éléments de la typologie de Freixa que nous avons

présentés au chapitre 1.1. seront mis en relation avec des éléments du classement de

Nyckees. Nous pensons par exemple aux causes discursives évoquées par Freixa

(expressivité, style scientifique, économie linguistique) qui rejoignent les causes dues aux

changements de valeurs sociales de Nyckees. Il en va de même avec les causes cognitives

identifiées par Freixa (frontières floues, insécurité cognitive, distanciation idéologique,

différence de conceptualisation) que nous pouvons relier aux causes socioculturelles d’une

part avec les techniques, les institutions et la vie intellectuelle, et d’autre part avec les

causes dues aux valeurs sociales comme les thèmes obsessionnels. Ces parallèles nous

permettront de développer une proposition théorique englobante où le socio- de

socioterminologie vient plus que jamais jouer un r ôle prédominant dans l’étude des

phénomènes de variation terminologique. Plus qu’une prise en compte des facteurs sociaux

Page 137: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

116

dans l’étude des phénomènes de variation terminologique, mais une application directe

permettant d’en expliquer le fonctionnement et les causes tant sur le plan pragmatique que

théorique. Encore une fois ici, le mariage de la sémantique à la terminologie réussit et

apporte une toute nouvelle dimension à la compréhension de la variation polysémique : ce

troisième volet de notre modèle de la variation terminologique.

3.2.4. Vers une théorie de la polysémisation

Dans cette partie de notre thèse, nous souhaitons proposer des critères supplémentaires dans

l’étude de la polysémie contre l’homonymie. Bien entendu, nous avons déjà fait la

démonstration que l’homonymie serait davantage un choix éditorial (dans le cas de

certaines maisons d’édition de dictionnaires par exemple) ou un c hoix idéologique (dans

certains cas où l’idéal visé est la monoréférentialité ou le classement par domaines,

notamment dans certaines banques de terminologie), ou alors en raison d’un manque de

critères clairs permettant de distinguer l’un ou l’autre des phénomènes ou encore un

manque d’information. Par ailleurs, est-il nécessaire de distinguer l’homonymie de la

polysémie? Nous avons déjà évoqué ce sujet en 3.1.9. N ous sommes plutôt d’avis, tout

comme Victorri et Fuchs, qu’il faut assurer un continuum entre les deux phénomènes.

Cependant, une chose est claire, l’homonymie n’est pas un phé nomène essentiel de

l’évolution des langues naturelles alors que la polysémie l’est. C’est pourquoi nous

proposons l’ajout de certains critères menant vers une théorie de la polysémisation.

Si nous partons donc des critères évoqués par les divers linguistes pour distinguer

l’homonymie de la polysémie (revoir 3.1.3. e t le tableau 1), nous avons pu c onstater que

ces deux critères (le lien sémantique et l’étymon commun) étaient aussi des critères jugés

relatifs et arbitraires par bon nombre de ces spécialistes. En effet, si l’absence d’un de ces

critères justifie de classer le terme en homonymie et non en polysémie, il existe quelques

exceptions dans le traitement de certains mots ou que lques contradictions comme nous

l’avons déjà démontré dans les exemples donnés précédemment. Ainsi, grève (arrêt de

travail) et grève (plage) remontent au même étymon grava mais sont tout de même classés

Page 138: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

Comme nous l’avons déjà expliqué précédemment, nous ne croyons pas à l ’homonymie en tant que

117

comme des homonymes en raison de l’absence de lien sémantique entre les deux sens du

terme. Par contre, altérer (dénaturer) et altérer (donner soif) proviennent aussi du m ême

étymon alter et sont classés eux comme des polysèmes bien que leurs sens à première vue

semblent éloignés. Cela démontre encore une fois en quoi ces critères peuvent être relatifs

ou arbitraires. C’est pourquoi nous proposons l’ajout d’autres critères dans l’étude des

phénomènes de polysémie.

3.2.4.1.

D’autres critères à considérer dans l’étude de la polysémie

Si jusqu’à maintenant, les critères de l’étymon commun et du lien sémantique suffisaient à

distinguer l’homonymie de la polysémie, malgré leur caractère arbitraire, nous jugeons

pertinent de proposer quelques critères supplémentaires à considérer dans l’étude de la

polysémie 3. Toutes nos analyses précédentes, notamment sur le processus de

métaphorisation terminologique, qui comme nous l’avons vu, conduit à la polysémie, nous

amènent à considérer d’autres facteurs dans l’étude de la polysémie, et à remettre en doute

les questions d’homonymie telles que présentées parfois.

Ainsi, il s erait intéressant d’intégrer dans l’étude de la polysémie une perspective

diachronique qui permettrait d’élargir les horizons et d’objectiver le lien sémique

recherché, sur la base du cumul des sens, ajouté à l’étude de la motivation des termes, le

tout fondé sur la base cognitive de ces derniers, tout en prenant soin de bien se distancier de

la rhétorique et tout en considérant le rôle important du contexte et du cotexte.

3

phénomène naturel de la langue, mais plutôt en tant que choix idéologique ou aménagiste de la part de l’être

humain. C’est pourquoi notre proposition sera strictement en faveur de la polysémie.

Page 139: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

118

3.2.4.2.

Notre proposition théorique s’articule autour de quatre critères et de

deux prémisses de départ :

Les quatre critères :

1. L’analyse diachronique et étymologique

2. La sédimentation et le cumul des sens

3. La motivation des termes

4. La base cognitive des termes

Les deux prémisses de départ :

1. Le détachement de la rhétorique classique

2. La prise en compte du contexte et du cotexte

Avant d’étudier les critères, nous exposerons les deux prémisses de départ.

Les prémisses de départ ont déjà été expliquées dans les chapitres précédents, mais nous

tenons à l es mentionner puisqu’elles sont très importantes. Ainsi, comprendre le rôle du

contexte social et du cotexte linguistique dans l’analyse des polysèmes est fondamental.

C’est une condition sine qua non pour une analyse objective du sens (revoir 3.1.8). Le

détachement de la rhétorique classique dans l’étude du sens est tout aussi important (revoir

le chapitre 2) puisque nous ne concevons pas le sens comme une façon de dire autrement,

mais comme une façon de penser et de concevoir autrement.

Si les analyses d’inspiration rhétorique ne représentent pas une solution

satisfaisante et risquent de nous conduire à une impasse, il nous reste à indiquer

des voies plus profitables (Nyckees 1998 : 139).

Page 140: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

119

Nous sommes d’accord avec cette affirmation de Nyckees, et c’est justement pourquoi la

théorie d’association d’idées nous a largement inspirée à proposer ces critères d’analyse de

la polysémie.

Le sens est davantage à relier aux fonctions cognitives. C’est là la clé de toutes les

hypothèses que nous avons présentées dans cette thèse : la variation conceptuelle et la

variation polysémique, le néologisme conceptuel et le néologisme sémantique, la

métaphore terminologique. Ces prémisses sont donc inhérentes à l’analyse des prochains

critères dont nous ferons maintenant la présentation. Nous montrerons comment ils peuvent

aider à développer une théorie de la polysémisation en terminologie et en linguistique.

Critère 1.

L’analyse diachronique et étymologique

Si tout est question de perspective, il en va de même en linguistique. Or, si l’un des critères

établis permettant de distinguer l’homonymie de la polysémie est le lien sémantique et

l’étymon commun, comment pourrait-on considérer cet étymon commun en dehors d’une

perspective diachronique? Les liens sémantiques non vi sibles en synchronie peuvent être

révélés par l’étude diachronique. Tel fut le cas notamment dans certains exemples de

métaphores terminologiques présentées au chapitre 2. S’il était possible en synchronie et en

contexte de déduire le lien sémantique unissant le sens commun de sauvage à celui de

décharge sauvage ou de gisement dans nouveaux gisements ou gisement d’énergie, il

n’était pas évident à p remière vue de déceler ce lien sémantique dans les trois autres

métaphores (monstre, cannibalisation, (déchets) inertes). C’est grâce à l a diachronie que

nous avons pu établir ce lien sémantique entre les anciens sens des mots et les nouveaux

sens de ces derniers.

Par ailleurs, nous sommes également d’avis qu’une perspective diachronique favoriserait

aussi le décloisonnement des domaines proposé par Dury (revoir 3.2.3.). Parcourir l’étude

des sens au fil de l’histoire, et ce dans des domaines connexes ou d ifférents, permet

d’établir des liens entre eux, de constater que malgré la spécificité du domaine, malgré la

Page 141: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

120

valeur que lui confère ce contexte spécialisé, un lien sémantique entre eux subsiste. Si nous

reprenons l’exemple de grève, nous pouvons avec la perspective diachronique découvrir un

lien entre les deux sens de ce mot « plage » et « arrêt de travail » :

grève n.f. « bord de l’eau »

Probablement du GAULOIS, par le LATIN POPULAIRE * grava, « sable »

puis « plage de sable ». Le sens moderne de grève vient de ce que les ouvriers

sans travail se réunissaient à P aris sur la grève de la Seine, devant l’Hôtel de

ville; XIIe s. (Walter, H. et G. 1998 : 105, sous grève).

Sans cette perspective diachronique, ce lien sémantique n’aurait pas pu être mis en lumière.

Dans le cas de grève, il s’agit certes d’une extension de sens précédée d’une

métaphorisation. Si l’on suppose que les gens disaient de ces ouvriers sans travail « ils font

la grève » au sens de « ils marchent sur la grève », c’est ainsi que serait née la métaphore

par association, par transposition du lieu à leur état de « sans emploi » qui par la suite aurait

subi une extension de sens désignant aujourd’hui une « cessation volontaire et collective du

travail, décidée par les salariés dans un but revendicatif (augmentation de salaire,

amélioration des conditions de travail, protestation contre les licenciements, etc.) et

entraînant la suppression du s alaire pendant cette période. » (PR 2002). Si le lien

sémantique s’efface ou s’estompe avec le temps, c’est un indice de lexicalisation du

nouveau sens acquis qui passe par l’oubli de l’« ancienne norme » comme le mentionnait

Nyckees :

Le changement de sens est en revanche un phénomène massif, collectif, et

proprement « historique », puisqu’il débouche sur une modification de la

langue. Dès lors qu’il est couronné de succès et s’impose dans l’usage, on ne

saurait plus parler d’écart, puisque le dit changement n’enfreint plus aucune

norme. Son succès dépend précisément en effet de l’oubli de la norme

ancienne. Le changement de sens correspond donc à u ne figure morte (1998 :

95).

Page 142: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

121

Sans cette perspective diachronique et étymologique, une multitude de liens et

d’informations peuvent se perdre.

Critère 2.

La sédimentation et le cumul des sens

Nous croyons également à la sédimentation et au cumul des sens. Dans le chapitre 2 sur les

métaphores terminologiques, nous avons pu démontrer que les sens s’accumulent au fil du

temps et qu’il existe toujours un lien entre les sens anciens et récents. Ainsi, les termes se

sédimentent, et des couches de sens se superposent au noyau sémique (premier sens

attesté). C’est un principe logique, qui conduit aussi à une théorie de la polysémisation. Au

chapitre 4, pl usieurs exemples de cumul des sens seront visibles dans les cas de

néologismes sémantiques (cf. actif naturel, éco-indicateur, efficience dynamique,

croisiériste, fusillade, etc.).

Citons cette fois-ci l’exemple de réingénierie. Ce terme est d’abord apparu dans le domaine

de l’informatique. Son usage avec cette valeur est attesté dans les journaux québécois

autour des années 1992. Il avait été calqué de l’anglais reengineering. Ensuite, il est passé

au domaine de l’administration du t ravail dans le secteur privé (usage attesté autour de

1992-1993). Puis, à partir de 1995, il passe au secteur public avec un élargissement de sens.

Cette circulation interdomaines représente bien la capacité du terme à accumuler autant de

sens que possible pour désigner de nouvelles réalités ou de nouveaux concepts.

L’élargissement sémantique du terme a engendré une profusion de variantes

dénominatives : réarchitecture, reconfiguration étatique, renouvellement des

infrastructures publiques, réévaluation des programmes, régime minceur, réinvention de

l’État, etc. Toutes ces variantes dénominatives naissent en quelque sorte aussi de cette

accumulation de sens. Elles découlent de ce processus. Étant donné que ce t erme a été

critiqué par l’OQLF (puisqu’il était calqué de l’anglais), de nombreux termes ont été

proposés pour le remplacer; ce qui explique le foisonnement de variantes dénominatives.

Cependant, le terme réingénierie demeure celui qui est le plus utilisé. Le contexte social

Page 143: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

122

nous éclaire d’ailleurs sur l’emploi de nombreux calques anglais dans ce secteur d’activité

sociopolotique :

Un premier retour sur la description linguistique nous permet ici de mieux comprendre

la ténacité du calque de l’anglais, malgré l’existence de (quasi ) synonymes français ;

la NGP, introduite au Canada par le gouvernement Mulroney, s’inspire des réformes

dites « de Westminster », rendues célèbres par le gouvernement Thatcher au Royaume-

Uni. Il ne faut alors pas se surprendre que le vocabulaire lié à ce p aradigme s’inspire

fortement de l’anglais.

Une ouverture vers le contexte social proprement dit nous fournit ensuite des indices

polyphoniques clairs pourquoi ce terme critiqué du domaine informatique a continué à

circuler afin de s’implanter dans l’administration.[…] Si le terme « réingénierie » est

polyphonique, c’est donc en raison de cette circulation stratégique (dans le sens de

Krzyzanowski et Wodak, 2008 : 23) qui a mené à une accumulation de sens non

accidentelle, mais bel et bien motivée par un contexte sociopolitique dont le terme

devient, finalement, le reflet linguistique (Pelletier et Van Drom 2009 : 157).

Ainsi, le terme est apte au cumul des sens. Le cumul se fait en synchronie, il

représente un processus en cours alors que la sédimentation indique la lexicalisation

des sens. Elle s’observe donc davantage en diachronie, d’où l’importance du premier

critère dans notre proposition théorique. Par ailleurs, le cumul et la sédimentation des

sens offrent une vision exceptionnelle sur l’évolution non s eulement de la langue

mais de la société.

Critère 3.

La motivation des termes

Nous proposons également de considérer le critère de la motivation des termes pour une

théorie de la polysémisation. En effet, selon nous, les termes sont tous motivés, même

lorsqu’il nous est difficile, dans certains cas, de retracer cette motivation. Notre a priori est

basé sur les analyses que nous avons faites, tant sur les polysèmes résultant de la

Page 144: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

123

métaphorisation terminologique que sur les néologismes sémantiques ou l es variantes

polysémiques. Dans le cas de la métaphore terminologique, le processus de l’analogie

indique cette motivation directement, qu’elle soit consciente ou i nconsciente, elle se fait

logiquement et procède d’une certaine motivation. Dans la création des néologismes

sémantiques, nous avons pu illustrer, à l’aide de nombreux exemples aux chapitres 4 et 5,

que la motivation est tangible. On cumule un nouveau sens à une dénomination déjà

existante par le biais d’une association quelconque (métonymie, métaphore, élargissement

et restriction de sens, transfert interdisciplinaire, etc.). Ces procédés aboutissant à l a

polysémie sont autant de manières de motiver les nouveaux sens et leurs étiquettes.

Lorsqu’il est question de création lexicale, de nouvelles formes sont aussi créées et

motivées. Il suffit d’observer les néologismes récents pour constater à quel point la trace de

motivation est tangible dans leur création, par exemple, considérons les néologismes

suivants : agrinergie, écoguide, décédo-dollars, croissance verte, approche zéro carbone.

Sans même consulter leurs contextes et cotextes, à leur simple vue, nous avons déjà une

petite idée de leur sens; une image mentale se forge. D’ailleurs, il est important de préciser

que les mots sont créés pour répondre à un besoin de communication. Force est de croire,

que de tous les temps, aux origines du l angage, l’homme a aussi procéder de cette

motivation pour créer le langage. `

À propos des origines du langage, Derek Bickerton vient de publier un livre qui avance une

hypothèse solide. Il dira au début de son livre :

Le langage est l’outil qui permet de déterminer le sens des mots et des signes, et de les

combiner en une entité porteuse de sens, qui peut s’insérer dans une conversation, un

discours, un essai, un poème. Le langage va bien au-delà. Il vous permet de donner du

sens à vos pensées, de structurer vos idées en un tout. […] À la fin, vous en arrivez au

constat suivant : tous ces actes qui vous rendent humain, toutes ces petites choses sans

importance que d’autres espèces ne peuvent faire, dépendent entièrement du langage.

Le langage est le propre de l’homme. C’est peut-être même la seule chose qui lui soit

propre (2010 : 3-4).

Page 145: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

124

Sa théorie est appuyée par le chercheur en sciences cognitives, Jean-Louis Dessalles, qui

signe la préface en disant :

En rupture avec Chomsky, Bickerton nous a proposé une évolution du langage en deux

étapes. La première conduit d’une communication animale classique au protolangage,

qui a pu être le mode de communication d’Homo erectus. La seconde transition a

produit le langage tel qu’il est universellement utilisé dans notre espèce, homo sapiens.

Bon nombre d’arguments me semblent plaider en faveur de ce scénario en deux étapes.

J’ai essayé dans mes propres travaux d’en souligner la plausibilité en regard des

données cognitives. En cela, je veux bien me voir comme un disciple de Bickerton

(2010 : VII).

Nous sommes également d’avis que la cognition éclaire ce raisonnement. C’est pourquoi

notre prochain critère repose sur cet aspect. Avant de le présenter, nous souhaitons revenir

sur deux liens importants :

1. L’effacement de la spécificité du sens initial

2. L’effacement de la motivation du terme dans le processus métaphorique

Au point 3.2.3. da ns le classement de Nyckees, nous avons expliqué le principe de

l’effacement de la spécificité du s ens initial lorsqu’un sens circule d’une LSP à une LG,

notamment par le biais d’un élargissement sémantique. En effet, suite à l’élargissement de

sens, la spécificité du terme au sens initial dans le domaine spécialisé se perd, ce q ui

entraîne une perte de motivation à m oins d’effectuer une recherche interdomaine ou

diachronique. Ce phénomène courant appuie la théorie de la motivation des termes. Cela

revient aussi à l a figure morte, expliquée par Nyckees. Un effacement du sens initial

indique une lexicalisation du sens élargi.

Au même titre, lors de la métaphorisation terminologique, la trace de la motivation ayant

servi à opérer l’analogie peut se perdre en synchronie, comme nous l’avons déjà mentionné.

Mais grâce aux critères de l’étude en diachronie, ces traces demeurent visibles. Dans les

Page 146: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

125

deux cas, l’effacement est un indice de lexicalisation et d’attestation des nouveaux sens. Ils

deviennent dès lors socialement reconnus comme l’indiquait Nyckees :

Selon cette nouvelle théorie [association d’idées], le passage d’une signification

à une autre résulte d’associations d’idées qui ont pour théâtre l’esprit humain et

procèdent des expériences vécues par les sujets. Ces associations d’idées à l a

source des changements de sens assureraient également leur diffusion, dans la

mesure bien sûr où e lles se trouvent partagées par un nombre significatifs

d’usagers (1998 : 96).

Perdre la trace de la motivation du signe est donc parfois un signe de succès de

l’implantation du t erme et du s ens. C’est donc un phé nomène naturel, constructif dans

l’évolution de la langue. Cependant, en jumelant plusieurs critères dans l’étude de la

polysémisation, ces phénomènes seraient rapidement mis en lumière. Citons l’exemple des

termes lunette et lune. Avec le temps, le lien entre ces deux mots semble non vi sible.

Cependant, en consultant les dictionnaires étymologiques et diachroniques, on pe ut

facilement voir que lunette est né par analogie à partir de lune. Nyckees donnait de bons

exemples avec les évolutions sémantiques (mélioratifs) de ministre qui étymologiquement

désignait un serviteur, comte qui était un compagnon, etc. Kocourek parlait, lui, de l’étude

du signe et du motif (revoir le point 3.1.6 et l’exemple de bifurcation). Cet aspect est donc

à considérer.

Jumeler les quatre critères permet de retracer un lien sémique en faveur d’une théorie des

polysèmes, et cela peu importe leur situation particulière. C’est pourquoi notre proposition

s’articule autour de ces quatre critères.

Critère 4.

La base cognitive des termes

Les termes étant le reflet de la pensée de l’homme, ils représentent donc cette pensée

cognitive. Selon cette logique, les termes inventés par l’homme sont les produits de sa

Page 147: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

126

pensée et sont automatiquement cognitifs. Ainsi, ils permettent une multitude

d’associations d’idées, d’où d’ailleurs le principe de la métaphorisation, reposant sur

l’analogie. Comme le mentionnait Nyckees :

S’il est vrai que les restrictions et les extensions de sens semblent pouvoir

s’expliquer presque mécaniquement en termes de contacts entres groupes

linguistiques ou d’ « emprunts sociaux », bien des évolutions en revanche, et

notamment celles qui paraissent fondées sur des métaphores, ne semblent

pouvoir s’expliquer autrement que par les ressources de l’esprit humain et de

l’imagination, obligeant apparemment les chercheurs à recourir à une

explication en termes d’associations d’idées (1998 : 135).

Les théories d’associations d’idées en sémantique ont déjà fait leurs preuves. D’ailleurs, les

propos de Lakoff au sujet de la base cognitive des termes rejoignent largement les

associations d’idées qui avaient été présentées par Ullmann en 3.2.2 :

Quand des catégories se trouvent étendues au cours de l’Histoire [c’est-à-

dire quand se produisent des changements de sens] il y a nécessairement

une certaine base cognitive à cette extension (Lakoff dans Nyckees 1998 :

137).

Bien entendu, lorsque nous appuyons la base cognitive des termes, nous employons

cognition au sens psychologique du terme, et non linguistique. Dans le dictionnaire de

linguistique de Dubois et al, on peut lire :

On appelle fonction cognitive, ou fonction référentielle, du langage la fonction

de la communication, traduite dans la langue par la phrase assertive servant à

informer, à faire connaître une pensée à un interlocuteur (1999, sous cognitif,

sens 1).

Page 148: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

127

Cette définition correspond plutôt à ce que nous désignons, dans notre thèse, par l’adjectif

communicationnel. À ce sujet, voir les causes communicationnelles au chapitre 5. A fin

d’assurer la transparence du terme et de garder un lien avec la perspective

communicationnelle adoptée dans cette thèse, nous préférons désigner tout ce qui touche la

fonction de communication par les termes communication et communicationnel. Cela évite

toute ambiguïté lorsque nous parlons véritablement de cognition. Cette parenthèse étant

faite, regardons le sens de « cognition » tel que nous l’employons dans cette proposition

théorique :

Fonction complexe multiple regroupant l'ensemble des activités mentales

(pensée, perception, action, volonté, mémorisation, rappel, apprentissage)

impliquées dans la relation de l'être humain avec son environnement et qui lui

permettent d'acquérir et de manipuler des connaissances (associations,

rétroaction, traitement de l'information, résolution de problèmes, prise de

décision etc.) - (GDT, sous cognition, au sens psychologique).

Ici, nous pouvons souligner deux aspects intéressants dans cette définition. D’abord, le lien

entre la pensée et la perception que nous avons constamment mis en parallèle avec le

concept et qui nous ont permis de développer la variante conceptuelle et le néologisme

conceptuel. Les associations sont aussi bien visibles dans cette définition. Par ailleurs, la

mémorisation qui est davantage reliée à l ’aspect du signifié qui se voit lors de sa

lexicalisation, en diachronie. Autre aspect que nous mettons constamment de l’avant dans

cette thèse.

En examinant la définition de cognitif dans Wikipédia, nous avons retracé un l ien

historique très intéressant:

La cognition est le terme scientifique pour désigner les mécanismes de la

pensée. Historiquement, la cognition désignait la capacité de l'esprit humain à

manipuler des concepts.

Page 149: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

128

Ainsi, ce sens historique à l’origine du c oncept-même de cognition lié à « la capacité à

manipuler des concepts » coïncide parfaitement avec la théorie que nous avançons ici. C’est

là le pouvoir de la métaphore également, le pouvoir de conceptualiser, et cela grâce à cette

base cognitive des termes, extension même de la façon de concevoir inhérente au mode de

pensée de l’être humain.

Comme le mentionnait Ullmann, l’association est une condition nécessaire au changement

sémantique :

Dans certains cas l’association sera suffisamment forte pour modifier par elle-

même la signification; dans d’autres elle fournira seulement le support d’un

changement déterminé par d’autres causes; mais sous une forme ou une autre

certain type d’association sous-tendra toujours le processus. En ce sens,

l’association peut être considérée comme une condition nécessaire, une

condition sine qua non du changement sémantique (Ullmann dans Nyckees

1998 : 137).

Les termes possèdent définitivement une base cognitive puisque, logiquement, ils sont les

outils développés par l’homme dans son objectif de communication. Les deux sont donc

interdépendants l’un de l’autre en permanence, peu importe le moment de son évolution.

Cette façon de concevoir, de penser, propre à l’homme, demeure une constante. Comme le

mentionnait Nyckess :

Toutefois avec un pe u de recul, on s ’apercevra que les différentes causes de

changements se rapportent toutes en dernières analyses à l’interaction entre les

deux acteurs fondamentaux de l’histoire linguistique : l’expérience humaine

d’une part, organisée en expérience sociale et affectée par les circonstances

historiques, la structure linguistique héritée d’autre part (1998 : 131).

Page 150: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

129

Puis, ce besoin d’association d’idées, de corrélations se manifeste lors de la

métaphorisation, qui est un des processus, par excellence, de la création de nouveaux

concepts et sens :

Or du fait de son aspect symbolique, la ressemblance qui fonde le rapport

d’analogie ne se perçoit que quand des besoins cognitifs la dégagent. C’est

parce qu’elle repose sur une ressemblance symbolique que l’analogie est en

mesure d’être un support pour la pensée et de lui fournir ce dont elle a besoin

comme arguments, comme représentations et comme modèles qui lui

permettent de construire ses concepts (Assal 1995 : 22).

Nous adoptons donc l’idée que la cognition est à l’origine directement liée à ce pouvoir de

manipuler les concepts au besoin; besoin lié constamment au besoin d’expression et de

communication de l’être humain. Par ailleurs, aux chapitres 4 e t 5, no us donnerons de

nombreux exemples de néologismes qui illustrent justement ce principe. Nous terminons la

démonstration de la pertinence de ce critère avec une citation de Bréal :

À la différence des causes précédentes, qui sont des causes lentes et

insensibles, la métaphore change instantanément le sens des mots, créé

des expressions nouvelles d’une façon subite. La vue d’une similitude

entre deux objets, deux actes, la fait naître (dans Nyckees 1998 : 136).

3.2.4.3. Conclusion

Nous sommes persuadée de la pertinence de ces critères dans l’étude des polysèmes. En

considérant chacun de ces critères, il est possible de tracer le lien sémique entre les sens

anciens et les sens récents. Cette théorie appuie la thèse de la polysémie en tant que

phénomène naturel et nécessaire à l’évolution du langage.

Page 151: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

130

De plus, cette théorie est en accord avec la logique du mode de pensée de l’homme. Nous

sommes persuadée qu’il en fut toujours ainsi, dès les premiers balbutiements du l angage.

Bien sûr, cela s’avère presque impossible à démontrer hors de tout doute puisque nous ne

disposons pas de traces écrites de ces premiers mots. C’est d’ailleurs pour cette raison que

très peu de paléolinguistes se sont avancés sur une théorie des origines du langage. La

majorité d’entre eux se sont souvent ralliés derrière la théorie darwinienne :

À l’époque de ses travaux sur les pidgins hawaïens, quasiment aucun

scientifique ne publiait sur la question de l’origine du langage. Il s’agissait de

ces questions taboues, fruit de l’autocensure d’une communauté scientifique par

ailleurs si prompte au bavardage. […] Selon Chomsky, rien ne peut être dit sur

l’évolution de la faculté de langage. Dans un écrit de 1975, il expliqua que la

faculté était apparue brusquement, dans son entièreté, et pour aucune raison. Le

débat était clos (Dessalles dans Bickerton 2010 : VI-VII).

Or, à défaut de savoir hors de tout doute, nous souhaitons proposer des critères logiques,

appuyés par la théorie d’association des idées et les avancées cognitives dans le domaine

pour tenter, au moins, de faire avancer notre discipline.

Par ailleurs, nous revenons constamment à la perspective communicationnelle. Si l’homme

a inventé la langue, c’est certes parce qu’il a ressenti le besoin, la nécessité de

communiquer. Tout est donc à analyser en fonction de cette perspective. Bien entendu, la

langue sert l’être humain dans ses besoins de communication et elle nous révèle dès lors

son mode de pensée, son intelligence et son évolution. Nous terminerons avec cette citation

de Bickerton :

En fait, l’idée est que si les premiers mots n’étaient pas porteurs d’avantages tangibles

et immédiats, qui ne pouvaient être obtenus par d’autres moyens, le langage n’aurait

jamais excédé dix mots, et encore. L’évolution ne fait pas de prospective, elle ne pense

pas. En réalité, je me suis montré généreux en avançant le nombre de dix. Dès son

premier mot, le langage a dû faire la preuve de son intérêt, sinon, personne ne se serait

ingénié à en inventer d’autres (2010 : 26).

Page 152: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

Nous faisons ici référence au principe d’univocité du terme-concept (la monoréférentialité) qui avait écarté

Cette expression nous la devons à Judit Freixa lors d’une discussion très enrichissante survenue à Barcelone

131

3.2.5. Chaîne de la polysémie

3.2.5.1.

Les causes de la polysémie en regard de la communication spécialisée :

une cause parmi toutes les causes?

Si la polysémie est au cœur d’un débat théorique ces dernières années, c’est qu’il existe

certainement une raison ou un f acteur qui explique tout ce remue-méninges. Avant

d’identifier les causes de la polysémie, nous nous sommes donc interrogée sur l’évolution

de ce phénomène. Qu’est-ce qui favoriserait le retour des études sur le sens et le retour

d’une approche descriptive et diachronique de la polysémie en terminologie? Qu’est-ce qui

a le plus changé ou révolutionné les méthodes de travail au point de se répercuter sur une

question théorique4, qui jusque là, semblait inébranlable? Quelle est donc la cause première

ou l’origine de tous ces changements? Nous en sommes venue à la conclusion que la

polysémie trouve son origine première dans l’avancement des technologies et surtout, dans

l’évolution fulgurante de l’informatique avec l’avènement d’Internet et le développement

d’outils de plus en plus performants qui ont provoqué en quelque sorte une « explosion des

scénarios de communication »5. À la suite de cette réflexion, nous avons pu imaginer une

chaîne de la polysémie : une succession d’éléments liés les uns aux autres. C’est ainsi que

nous proposons de suivre le parcours de cette chaîne. Dans l’ordre, nous verrons donc les

causes de la polysémie, la manifestation de la polysémie dans la communication

spécialisée, les conséquences de cette dernière, les problèmes à résoudre ou l es défis à

relever ainsi que quelques perspectives d’avenir. Ces éléments que nous présenterons sont à

la fois le produit de nos lectures et de nos réflexions personnelles.

4

toute polysémie possible. 5

en 2004 pendant notre stage doctoral.

Page 153: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

Ces remarques de Candel s’appliquent à une enquête de terrain (avec une approche sémasiologique) sur les

132

3.2.5.2.

La chaîne de la polysémie : les premiers maillons

Cette chaîne commence avec l’avènement d’Internet et des avancées informatiques qui ont

révolutionné les méthodes de travail et qui ont permis de mettre en lumière des

phénomènes (tels que la synonymie et la polysémie), qui jusque là, étaient contrôlés par

l’homme et les limites de son travail manuel. Il nous suffit de penser aux logiciels

d’extraction automatique, aux corpus électroniques, aux aligneurs bitextuels, à la quantité

considérable de documents qui sont rendus accessibles via le Web pour comprendre à quel

point le travail quotidien du t erminologue, du sémanticien ou du linguiste s’en trouve

transformé. Ces derniers [terminologues, sémanticiens et linguistes] deviennent donc en

mesure d’observer, à l’aide de ces outils de plus en plus performants, des phénomènes de

synonymie et de polysémie qui auraient pu l eur échapper auparavant pour plusieurs

raisons : l’accès à des données restreintes, le manque de ressources et le manque de temps

(faute de technologies). L’avènement d’Internet est également accompagné du progrès de la

connaissance et du développement des nouvelles technologies. Grâce à ces moyens, les

connaissances font l’objet d’un transfert et d’une large diffusion. Dans un c ontexte

sociopolitique où l es échanges internationaux s’intensifient, il y a parallèlement un flot

continu d’informations qui circulent.

À un autre niveau de cet échange, il existe des acteurs de la communication spécialisée que

nous appellerons des locuteurs (qui peuvent tour à tour jouer le rôle d’émetteurs ou de

récepteurs). Ces locuteurs ont des degrés différents de spécialisation (ouvrier, technicien,

spécialiste, chercheur, professeur, étudiant, etc.). Ils peuvent éprouver une insécurité

cognitive, ils sont parfois affiliés à des écoles de pensée différentes et peuvent aussi avoir

des compétences socioprofessionnelles variées. « Des scientifiques d’une même spécialité

définissent certains concepts différemment. En outre, ils adaptent leur expression à la

personne à laquelle ils s’adressent et à la matière et au domaine dont relève leur propos »

(Candel 1984 : 22) 6.

6

discours oraux et écrits de l’ENSAD (École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs). Dans cette enquête,

Candel visait à étudier les registres et les niveaux de langue employés lors des situations de communication

entre les professeurs et les élèves.

Page 154: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

133

Mais ces acteurs de la communication spécialisée, malgré leurs différences ou leurs

spécificités, sont aussi soumis à des contextes, à des situations de communication qui

peuvent, elles aussi, être de différents degrés de spécialisation, formelles ou informelles,

écrites ou orales. Tous ces facteurs représentent donc autant de causes de la polysémie (cf.

Schéma 1.Chaîne de la polysémie). Si l’on réunit sous un même chapeau les locuteurs et les

situations de communication, ce chapeau pourrait recevoir le nom de points de vue. Nous

faisons ici référence à la théorie avancée par Condamines et Rebeyrolle (1997).

Interrompons donc brièvement notre chaîne de la polysémie pour présenter leur théorie des

points de vue.

3.2.5.3.

Théorie des points de vue de Condamines et Rebeyrolle (1997)

Dans leur article intitulé « Point de vue en langue spécialisée », Condamines et Rebeyrolle

(1997) exposent une théorie basée sur l’étude des points de vue (où les contextes jouent un

rôle majeur). Elles abordent la question de la polysémie dans les langues spécialisées à

partir d’une synthèse des travaux sur la polysémie dans la langue générale. Du point de vue

linguistique, en sémantique, il existe deux approches théoriques et descriptives :

l’homonymie et la polysémie. Du point de vue de la terminologie, les auteurs font ressortir

l’importance de la spécificité du contexte d’utilisation des LSP. Par ailleurs, les auteurs font

remarquer qu’il existe peu de travaux sur la polysémie en LSP. Elles ont donc mené une

étude au Centre National d’Études Spatiales à partir d’un corpus de l’observation de la

Terre et des mathématiques spatiales avec pour objectif de classer les contextes et

d’expliquer leur notion de « polyacception ». Voici la position qu’elles défendent :

[…] étudier le fonctionnement des termes dans des corpus revient, pour

l’essentiel, à étudier les contextes dans lesquels ils apparaissent et à les classer.

Ce à quoi peut conduire une étude, c’est à identifier qu’il peut exister une

polyacception 7 pour certains termes. Cette polyacception est la manifestation de

points de vue différents, qui peuvent être associés soit à un choix individuel soit

Page 155: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

Les auteurs nomment polyacception « les manifestations linguistiques diverses d’un terme polysémique »

Ce terme était en caractères gras dans le texte original.

134

à un choix collectif à relier à des compétences socioprofessionnelles communes

à un groupe identifiable de locuteurs (1997 : 178).

Les auteures associent donc la polysémie à la notion de points de vue variables selon les

locuteurs, les contextes, les situations de communication, les compétences professionnelles

de l’émetteur, etc. La polysémie est donc la manifestation de diverses acceptions selon les

facteurs énumérés plus haut. Cette façon de voir la polysémie rejoint un pe u celle de

Kocourek :

[…] il n’est pas toujours possible de décider s’il s’agit de deux mots différents

ayant la même forme, c.-à-d. s’il s’agit de deux homonymes, ou s’il est question

de deux ou p lusieurs acceptions différentes d’un seul mot polysémique

[…]. C’est pour cela que nous employons, le cas échéant, le terme ambiguïté8

comme hyperonyme de polysémie et de homonymie (1991 : 186).

Sur cette exemplification de la théorie des points de vue, nous reprendrons notre chaîne de

la polysémie.

3.2.5.4.

La chaîne de la polysémie : l’ouverture des frontières

Au premier rang de la chaîne, nous avions identifié l’avènement d’Internet et l’avancement

des technologies. Ce premier maillon de la chaîne a entraîné un échange d’informations qui

se fait par l’intermédiaire de différents locuteurs, et ce, dans toutes sortes de situations de

communication spécialisée. Ces échanges d’informations, combinés avec les progrès

technologiques, ont en quelque sorte favorisé l’ouverture des frontières entre la langue

générale et la langue spécialisée, et entre les langues spécialisées. En effet, à p artir des

nouvelles technologies sont nés de nouveaux concepts à d énommer. La création lexicale

ayant, comme moyens à sa portée, de puiser dans ses ressources internes, elle procède soit à

7

(Ibid. : 183). 8

Page 156: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

Ces remarques de Candel s’appliquent à une enquête de terrain qu’elle a menée dans un laboratoire de

Nous tenons à préciser que l’auteur distingue dans son article les termes polysémiques des termes

135

des transferts sémantiques (souvent par « métaphorisation terminologique » de la LG à l a

LSP ou d’une LSP à une autre LSP), soit à de la néologie sémantique qui donnent parfois

lieu à des glissements de sens :

Les variantes ou incohérences dans le vocabulaire sont étroitement liées à l a

situation de production langagière et au niveau de langue ainsi qu’au registre de

spécialité de chaque catégorie de locuteurs. […] Cependant, on not e chez eux

[les chercheurs opposés ici aux ouvriers techniciens] des glissements de sens,

des variantes, même dans leur discours de chercheurs. S’il arrive à u n même

locuteur d’employer les mêmes mots avec des nuances sémantiques distinctes,

il arrive que les locuteurs emploient plusieurs vocables ou termes pour désigner

le même référent, même lorsqu’il s’agit d’objets techniques concrets (Candel

1993 : 291)9.

Ainsi, Candel a pu c onstater que les glissements de sens peuvent parfois être déroutants

pour le profane. En ce qui concerne la métaphorisation terminologique, elle constitue, à

côté de la métonymie, l’un des moyens les plus utilisés pour créer des dénominations en

terminologie. Ces moyens engendrent souvent de la polysémie. « La métaphorisation

terminologique est une nécessité inhérente à l a pensée scientifique, elle est sa dynamique

interne. Lorsqu’un savant, un chercheur, emprunte des termes en raison de leur commodité

allusive, de leur pouvoir évocateur, ce n’est pas seulement par souci de se faire

comprendre, ce n’est pas seulement une question de terminologie, c’est fondamentalement

une affaire de conceptualisation » (Assal 1995 : 22) 10.

C’est donc à ce stade-ci de la chaîne que se manifeste la polysémie. À l’inverse de la TGT

qui prônait la monoréférentialité, le cloisonnement des domaines et la monosémie des

9

recherche en sciences exactes (plus particulièrement sur des expériences de physique du solide et sur la

mécanique des sols). Cette enquête a été menée avec une approche socioterminologique auprès de trois types

de locuteurs (ouvriers, techniciens, chercheurs) et dans des situations de communication orales (interviews à

l’atelier, en salle de presses, en salle de manipulations ou en salle de conférence). 10

métaphoriques : « Sélectionner, dans la pluralité des traits que renferme un lexème, le ou les traits évocateurs

est bien la principale caractéristique qui distingue la métaphorisation de la polysémie » (Ibid : 23).

Page 157: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

136

termes, les dernières études terminologiques mettent en lumière la circularité des termes et

des concepts, l’ouverture des frontières ainsi que l’interpénétration des domaines. C’est ce

dont témoignent les travaux de Meyer et Mackintosh :

[…] la déterminologisation rend la frontière traditionnelle entre le lexique

général et le lexique terminologique plus mobile. […] Ce phénomène entraîne

une polysémie intra-domaine, lorsqu’un mot réinfiltre son domaine d’origine

(par exemple, les sens plus larges de virtual reality) ainsi qu’une polysémie

inter-domaines, lorsque les experts d’autres domaines de spécialité adoptent ce

mot (par exemple, virtual currency en économie) (2000 : 212-213).

Cabré abonde dans le même sens: « Hence it is accepted that all lexical units are potentially

polysemic in nature and that, as part of this postulate, a single unit consist of a diversity of

bundles of specialised features. [...] This assumption leaves scope for the generalization of

specialised units and [...] the transfer of specialised units from one domain to another

(pluriterminologisation) by means of amplification, restriction or change of meaning. »

(1998/1999: 12).

Par ailleurs, Freixa (2002) affirmait dans sa thèse de doctorat que les concepts ne sont pas

universaux, isolés et parfaitement délimités; ils sont sujets à la variation parce qu’ils

s’assimilent à la signification. De plus, les termes [véhiculant ces concepts] sont des unités

lexicales qui dénomment et signifient; ils ne revêtent pas la simple étiquette de concepts

purs (cf. Freixa 2002). De son côté, De Bessé illustre l’aspect pluridisciplinaire des

domaines et le problème que pose leur classification: « De nombreux domaines se

recoupent. […] Un certain nombre de domaines sont interdisciplinaires ou

multidisciplinaires. Ainsi, la métallurgie fait appel à la physique, à la chimie, à la

mécanique. Le caractère transversal d’un domaine comme l’environnement ne facilite pas

sa délimitation (De Bessé 2000 : 186).

Tous ces éléments constituent donc des causes de la polysémie et entretiennent des liens les

uns avec les autres. Ainsi, tout comme la circularité des termes entraîne la circularité des

Page 158: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

137

concepts, la circularité des causes énumérées dans la chaîne entraîne celle des

conséquences.

3.2.5.5.

La chaîne de la polysémie : conséquences et perspectives

L’une des premières conséquences de la recherche descriptive sur la polysémie consiste,

selon nous, à revisiter les notions théoriques héritées de Wüster et de la terminologie

normalisée telles que la monosémie des termes, l’univocité du t erme-concept et la

délimitation des domaines. Bien entendu, il s erait intéressant de revoir le traitement des

entrées polysémiques dans les banques de terminologie et dans les dictionnaires spécialisés.

Un classement multidomaines serait favorable et plus respectueux des multitudes de points

de vue (selon les situations de communication et les degrés de connaissances des

utilisateurs). Ce traitement descriptif serait donc plus nuancé et permettrait de rendre

compte d’une variété de situations de communication spécialisées. À cette fin, il faudrait

aussi revoir les notions de domaines, de définitions et de notes. En ce sens, il faut

poursuivre les recherches méthodologiques et améliorer les outils informatiques qui

permettent d’analyser les phénomènes de variation.

Si les outils automatiques ont permis de mettre en lumière une plus grande quantité et

variété de phénomènes de variation terminologique, ils ont aussi engendré une certaine

ambiguïté, causée et limitée par les incapacités d’analyse du « sens » des machines. Ainsi,

si l’accès à Internet et aux outils informatiques a permis au terminologue de pouvoir étudier

une plus grande quantité de phénomènes de variation polysémique, il s’est vu é galement

confronté aux limites de la machine. Les recherches occurrences-termes sont faciles, mais

qu’en est-il des recherches occurrences-sens? Ces limites de la désambiguïsation

automatique constituent en quelque sorte une deuxième conséquence importante de la

polysémisation puisque les avancées technologiques ont permis d’éclairer et de décrire ces

phénomènes, mais ils ont aussi mis en lumière les limites des recherches sur le sens via la

machine-outil. Ainsi, la polysémie exige une désambiguïsation automatique afin de pouvoir

parfaire les études terminologiques automatisées. Pour le moment, l’analyse de la

Page 159: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

138

polysémie à l’aide des outils de dépouillement automatique doivent être validées par un

dépouillement manuel, sans lequel toutes ces variations sémantiques ne seraient pas

repérées. Si le terminologue accède facilement aux variations sémantiques en cotexte et en

contextes, cela ne va pas de soi avec les recherches automatiques. La désambiguïsation

informatique, lorsque possible, permet donc de clarifier la polysémie existante. À cet effet,

de nombreuses recherches en traitement automatique des langues naturelles visent la

désambiguïsation automatique notamment par le biais des récentes recherches sur le Web

sémantique. Effectivement, « si la polysémie doit être considérée comme une qualité

essentielle des langues, elle n’en pose pas moins un problème redoutable pour qui s’occupe

de traitement automatique » (Victorri et Fuchs 1996 : 17). Ce problème se heurte

actuellement aux limites de la machine : la signification. De plus, selon Ravin et Leacock,

deux pistes de solutions sont explorées actuellement :

The study of polysemy in computational linguistics addresses the problem of

how to map expressions to their intended meanings automatically. Computers

have the same resources for sense identification as we do, t he context.

However, computers are handicapped because they can only interpret the

context as strings of letters, words or sounds, and not meanings. One direction

taken by researchers is to try to harvest machine readable dictionaries for

lexicographic knowledge of different senses of polysemous words. Another

approach is to try to solve the mapping problem by simulating human

understanding using statistical procedures to capture patterns of co-occurences

of words in context (2002: 23).

C’est pourquoi nous affirmons que la désambiguïsation automatique est donc la deuxième

conséquence de la polysémie en TALN. À ces deux conséquences majeures (la révision

théorique et méthodologique de la polysémie ainsi que la désambiguïsation), nous

pourrions ajouter quelques pistes à explorer pour améliorer la description et la

compréhension de la polysémie dans la communication spécialisée. Peut-être serait-il

pertinent d’accorder un peu plus d’importance à l’étude diachronique en terminologie. Elle

pourrait se révéler riche « d’enseignements et permettre de faire apparaître des phénomènes

Page 160: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

Dans son article, Dury présente les résultats d’une étude diachronique comparative (anglais-français) du

139

essentiels du l angage » dont la « variation sémantique des termes » et « le transfert et la

contamination des concepts » (Dury 1999 : 18) 11. Par ailleurs, les transferts sémantiques

sont très utiles pour dénommer de nouveaux concepts. Cependant, ils peuvent aussi

représenter un grand défi pour les apprenants d’une science ou d’ un domaine spécialisé.

C’est exactement ce à quoi faisait référence Candel en évoquant « des sens métaphoriques

déroutants pour le profane » (1984 : 29). En effet, il faut peut-être sensibiliser les locuteurs

émetteurs (professeurs, chercheurs conférenciers, etc.) à cette difficulté. De plus, avec le

contexte d’échanges internationaux et la montée de la pluridisciplinarité, il devient parfois

difficile de classer les termes dans des domaines bien délimités. Peut-être faudrait-il revoir

ces principes afin de faciliter la description des usages réels et des faits polysémiques. Cela

permettrait d’accroître la compréhension globale d’un domaine spécialisé et de voir les

liens qu’il entretient avec les autres domaines dans une perspective synchronique et

diachronique. Il serait également intéressant d’accentuer les échanges internationaux entre

les grandes banques de terminologie, lesquelles pourraient revoir leur classification et axer

leurs recherches sur le plurilinguisme et le multidomaine (notamment dans les sciences de

la vie où l es frontières sont floues). À cet égard, Van Campenhoudt laisse entrevoir de

belles perspectives : « […] correctement balisées, les acceptions pourront toujours être

réagencées de manière à adopter une présentation monolingue et polysémique […] »

(2000 : 144).

3.2.5.6.

Conclusion

La perspective n’a jamais été aussi stimulante. D’un côté, les outils

d’analyse ne cessent de progresser, ouvrant un espace considérable pour

des recherches renouvelées… (Slodzian 2000 : 80)

11

domaine de l’écologie. Elle a observé de nombreux transferts sémantiques opérés à partir d’autres disciplines

spécialisées dont la biologie, la botanique et la zoologie. Elle démontre également que les frontières ne sont

pas hermétiques et qu’il puisse exister un « fond archaïque conceptuel ». Pour plus de détails, consulter son

article.

Page 161: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

140

Après avoir atteint les derniers maillons de la chaîne de la polysémie, nous serons d’accord

avec Slodzian pour conclure sur une note optimiste. Ainsi, il reste beaucoup de chemins à

explorer puisque la polysémie n’a pas fait l’objet d’études exhaustives dans le passé. Il faut

donc se mettre au travail et tenter de mieux comprendre ce phénomène. Pour y parvenir, il

faut exploiter toutes les ressources déjà disponibles (même si elles ne sont pas parfaites) :

utiliser les outils informatiques, resserrer les liens entre les linguistes terminologues et les

spécialistes, mais aussi ne pas hésiter à avoir recours aux sémanticiens, porter une attention

spéciale à la diachronie, développer de nouvelles marques d’usage pour guider les usagers.

Nous pourrions également relancer le débat en ces termes : la polysémie : nuisible ou

favorable? En fait, nous croyons qu’il faut d’abord s’attarder à l a décrire et à la

comprendre. De toute façon, ce débat pourrait ne jamais se terminer. Pour les uns, elle sera

toujours une source de problèmes (traducteurs, lexicographes, linguistes informaticiens,

etc.). Pour les autres, elle offre une plus grande liberté d’expression (chercheurs,

professeurs, néologues, publicitaires, etc.) et la possibilité de « signifier » et de véhiculer,

selon les différentes perceptions du monde, des connaissances spécialisées.

À l’instar d’Internet, la polysémie est à la fois source de « bruit » et de « silence ». Dans le

premier cas, elle engendre une certaine ambiguïté et dans le second cas, elle fait l’objet

d’un manque important d’études théoriques et appliquées. Tout comme le mentionnaient

Remi-Giraud et Panier (2003), nous souhaitons donc poursuivre notre exploration de cet

immense empire des sens qu’est la polysémie, et c’est pourquoi nous avons proposé une

théorie de la variation polysémique ainsi que cette chaîne polysémique, qui met en lumière

les circonstances extralinguistiques dans lesquelles se profile la polysémie linguistique.

Tous ces phénomènes de variation terminologique (variation dénominative, conceptuelle et

polysémique) nous ont permis de développer un m odèle d’analyse linguistique et

extralinguistique des causes et des conséquences de la variation terminologique que nous

présenterons dans le chapitre 5.

Page 162: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

Schéma 1. La chaîne de la polysémie

141

Page 163: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

Le chapitre 4 : Réflexions sur la néologie

Page 164: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

142

4.

Réflexions sur la néologie

Introduction

Les phénomènes de néologie sont étroitement reliés aux phénomènes de variation

terminologique. C’est pourquoi nous présenterons dans ce chapitre une typologie de la

néologie que nous avons mise à jour ainsi que des définitions entourant les notions de la

néologie.

En effet, nous serons en mesure d’effectuer des parallèles intéressants entre le modèle de la

néologie et le modèle de la variation terminologique. Dans ces deux derniers chapitres

donc, nous consacrerons le chapitre 4 aux réflexions théoriques sur la néologie, puis le

chapitre 5 au modèle d’analyse des causes de la variation terminologique.

La création néologique entraîne de la variation terminologique; il est donc intéressant de

comprendre comment ces phénomènes sont étroitement reliés (création néologique,

métaphorisation, variation terminologique). Parmi les arguments évoqués au chapitre 2 au

sujet du processus de la métaphorisation terminologique (cf. schéma 6), nous avions

mentionné que la métaphorisation terminologique engendre de la variation polysémique. En

reprenant une citation de Gambier, nous avions ajouté une phase importante au processus

qu’il décrivait (continuum de la sociodiffusion), soit la création néologique elle-même.

Ainsi, la néologie est à la source même des phénomènes de variation terminologique.

Gambier affirmait « ainsi, un terme connaîtrait une période de lancement, puis une phase

d’extension de son usage, et finalement un temps d’éclatement de la notion

(polysémisation) » (1991 : 13). Nous ajoutons donc la phase primaire qui est la création

néologique, ce qui est directement lié à nos types de variation terminologique.

Page 165: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

L’OBNEQ a été créé à la suite d’une initiative conjointe entre l’Université Laval et l’OQLF en mai 2005.

143

Tout d’abord, présentons le cadre1 dans lequel nous avons effectué ces réflexions, quelques

précisions sur la méthodologie employée et finalement, l’explication de la typologie suivie

des définitions sur les notions entourant la néologie.

4.1.

Contexte de l’étude néologique

Nos réflexions devaient conduire à :

1. Mettre sur pied un projet entre l’OQLF (Office québécois de la langue française) et

l’Université Laval dans le cadre des activités de l’OBNEQ (Observatoire de

néologie du Québec)2.

2. Circonscrire et définir les notions entourant l’activité néologique.

Dans la première phase des travaux, nous avons rencontré des terminologues de l’OQLF

afin de cibler avec eux les domaines potentiellement néologiques et de tester certains points

théoriques que nous voulions explorer en vue de définir les notions de la néologie.

Dans une deuxième phase, après avoir pris connaissance des travaux réalisés dans le

domaine de la néologie, nous avons procédé à l’élaboration de la typologie de la néologie

ainsi qu’à la définition des notions entourant les activités néologiques. Nos réflexions ont

permis de dresser un portrait global de la néologie en langue générale (néologie étant ici

1

Ces réflexions ont été amorcées lors d’un stage doctoral à l’Office québécois de la langue française de

juillet à décembre 2009. 2

Nous avons été chercheure à l’OBNEQ de mai 2005 à septembre 2010 sous la direction de Pierre Auger de

l’UL. Les travaux de l’OBNEQ visaient,

(http://www.ciral.ulaval.ca/obneq/index.html).

entre autres, la veille et l’analyse néologique

Page 166: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

144

notre générique) ainsi qu’un portrait détaillé de la néoterminologie des langues de

spécialités (néoterminologie étant notre spécifique). En observant des cas de néologismes

provenant du GDT (Grand Dictionnaire Terminologique), des travaux réalisés par les

terminologues de l’OQLF et en nous basant également sur les travaux antérieurs réalisés à

l’OBNEQ, nous avons pu présenter deux nouvelles catégories distinctes de néologismes qui

permettent de mieux expliquer certains phénomènes courants : les néologismes conceptuels

et les néologismes référentiels. Par ailleurs, nous avons créé quatre catégories de domaines

reliés aux types de néologismes soit le domaine néologique, le domaine résistant, le

domaine renouveleur et le domaine d’actualité (voir nos définitions un peu plus loin).

Finalement, nous avons approfondi la notion du degré de néologicité et l’avons scindée en

quatre catégories. La première catégorie est implicite et commune aux trois autres, c’est la

néologicité basée sur le sentiment de nouveauté, donc basée sur la perception des locuteurs

et sur l’intuition du linguiste (c’est ce que Guilbert appelait le jugement de la néologie).

Ensuite, le critère de néologicité qui permet de repérer les néologismes formels et

sémantiques, selon les études traditionnelles, est basé sur une période synchronique (la

majorité des linguistes travaillent sur une période de 5 à 10 ans) et vérifient si le

néologisme formel ou sémantique rencontré figure dans les dictionnaires à partir d’une

certaine date. C’est donc sur la base d’une datation et d’une lexicalisation dictionnairique

que le caractère néologique est attribué. De notre côté, nous avons ajouté deux critères de

néologicité qui permettent de recueillir les néologismes conceptuels et référentiels. Ils sont

basés, respectivement, sur la nouveauté conceptuelle et référentielle, et ils sont validés en

synchronie et en diachronie à partir d’une analyse cotextuelle et contextuelle, non pas dans

les dictionnaires, mais dans les textes et discours en circulation. L’ajout de ces critères

permet de mieux décrire les phénomènes entourant les néologismes qui n’appartiennent pas

uniquement aux catégories classiques (néologismes formels et néologismes sémantiques),

mais qui relèvent plutôt de d’autres phénomènes observés que nous avons décrits et

Page 167: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

145

catégorisés en tant que néologismes conceptuels et référentiels3 (voir les définitions et

explications des notions un peu plus loin).

Nos réflexions sur la néologie nous portent à croire que de nombreuses recherches pourront

en découler et surtout, que nos notions pourront se raffiner au fur et à mesure que nous

travaillerons avec la matière première : la langue en usage.

4.2.

Précisions méthodologiques

Dans le cadre de nos réflexions théoriques sur la néologie, nos sources d’inspiration ont été

multiples. Les différents travaux sur le sujet ainsi que nos recherches à l’OBNEQ et à

l’OQLF ont nourri nos réflexions et permis de mettre au point cette typologie.

Les définitions des notions entourant la néologie ont été élaborées en tenant compte des

travaux antérieurs, des consultations auprès des terminologues et des étudiants, et

surtout de nos observations des néologismes lors des analyses à l’OBNEQ. Notre principale

source d’inspiration a été la matière première : les néologismes rencontrés.

Les exemples nous permettant d’illustrer notre typologie (schéma 2) proviennent soit de la

BDI (Base de données informatisée) de l’OBNEQ ou du GDT (Grand Dictionnaire

Terminologique) de l’OQLF. Dans le contexte du projet entre l’OQLF et l’Université

Laval, dont la réalisation a été confiée à l’OBNEQ, les exemples proviennent du domaine

du développement durable (DD). Notre objectif de recherche était de recueillir 500

3

À partir d’ici, partout dans le texte, lorsque nous désignerons le néologisme référentiel, nous utiliserons le

terme néologisme d’actualité puisque nous souhaitons le relier sémantiquement au domaine d’actualité.

Page 168: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

146

néologismes de ce secteur ne figurant pas au GDT et d’en faire des fiches contextuelles

pour l’OQLF.

Pour les besoins spécifiques de ce projet, le corpus d’exclusion était constitué uniquement

du GDT. Le corpus de dépouillement était élargi aux sites Internet dont les sources étaient

fiables. Tous les néologismes rencontrés ne figurant pas dans le GDT étaient retenus dans

un premier temps. Une recherche de contextes les accompagnait pour valider leur valeur

dans le secteur du développement durable. Une fois cette étape franchie, les néologismes

ont fait l’objet d’une fiche descriptive. Le modèle de fiche que nous avions développé pour

ce projet comprenait les champs suivants : entrée, variantes, catégorie grammaticale, type

de néologisme, marque typographique, note, contexte, source, date de consultation, initiale

chercheur, initiale analyste, initiale vérificateur.

Avant de procéder à la validation finale des données, nous avons dû vérifier certains cas de

néologismes contestables. Nous avons donc analysé ces néologismes en fonction de trois

critères : leur appartenance réelle au secteur du développement durable, leur documentation

suffisante (bons contextes, sources fiables) et leur pertinence en tant que hapax ou en tant

que néologisme de faible occurrence (recherches supplémentaires le cas échéant). L’équipe

de recherche était composée de 15 étudiants divisés en deux groupes : chercheurs et

analystes.

Page 169: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

147

4.3.

Réflexions théoriques

Lorsque nous avons réfléchi aux notions entourant la néologie, nous avons d’abord étudié

les définitions existantes, puis nous avons observé les néologismes. Les mots parlent d’eux-

mêmes. Comprendre la création du néologisme et son aptitude à évoquer est révélateur du

fonctionnement même de la néologie. En observant des exemples concrets de néologismes,

nous avons pu développer un schéma représentant notre typologie, et à partir de cette

typologie, nous avons pu élaborer des définitions pour chaque notion. Pendant nos

réflexions, des cas de néologismes qui ne correspondaient ni à la catégorie du néologisme

formel ni à la catégorie du néologisme sémantique nous sont apparus. C’est dans cet ordre

d’idées que nous avons entamé nos réflexions :

1. Existe-t-il d’autres types de néologismes?

2. Afin de les relever, doit-on créer un nouveau critère de néologicité?

3. Sur quoi serait basé ce critère (datation, lexicalisation, fréquence, autre facteur)?

4. Quelle est la particularité de ces néologismes et en quoi viennent-ils enrichir l’étude

de la néologie?

Ce furent donc nos prémisses de départ. Nous répondrons à toutes ces questions dans ce

chapitre.

Afin d’expliquer notre typologie, nous nous référerons maintenant aux schémas 1. 2. et 3.

(présentés à la fin du chapitre). Ces schémas nous permettent d’illustrer clairement la

classification que nous faisons des notions entourant l’activité néologique. Nous

procéderons donc de façon hiérarchique dans nos prochaines explications.

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148

4.3.1. Typologie de la néologie

Nous avons développé une typologie incluant la langue générale et la langue de spécialité

afin de représenter toute l’activité néologique. Cependant, dans le but de les distinguer de

façon plus spécifique, nous avons employé le terme néologie et néologisme en tant que

génériques, puis néoterminologie et néoterme4 en tant que spécifiques propres aux langues

de spécialité.

Par la suite, les néologismes sont catégorisés en fonction du critère de néologicité. Le

critère le plus souvent cité dans les travaux de néologie est celui qui se définit en termes

d’années d’existence du néologisme ou de datation. Normalement, les auteurs réfèrent à

une période de cinq à dix ans; c’est donc dire qu’après cinq ou dix ans d’attestation, le

néologisme n’est plus considéré comme étant néologique. Ce critère, selon nous, ne

suffisait pas à expliquer tous les types de néologismes. Nous avons ajouté d’autres critères

de néologicité, mais cette fois-ci basés sur le degré de nouveauté conceptuelle et de

nouveauté référentielle comme nous l’avions mentionné précédemment. L’ajout de ces

critères permet de clarifier deux grandes catégories de néologismes et de mieux les

comprendre. Par ailleurs, ces critères permettent de voir le fonctionnement de la néologie

en circulation dans les discours écrits et oraux, non seulement avec une perspective

synchronique, et dictionnairique, mais aussi diachronique.

Les néologismes analysés en fonction des deux critères de néologicité évoqués ci-dessus se

divisent par la suite en quatre types, dont deux grandes catégories. Les néologismes

catégorisés en fonction de leur degré de nouveauté (en fonction du « facteur temps » et du

facteur lexicographique) se divisent en néologismes formels et sémantiques. Ce sont les

4

Nous n’avons pas retenu les termes proposés par Rondeau en 1981 pour la sim ple raison que nous ne les

trouvions pas suffisamment transparents. En effet, néonyme et néonymie sont formés à partir du suffixe –

onyme qui signifie « nom ». Or, « étude des noms nouveaux » ou « nouveau nom » renvoient aux termes de

langue générale alors que nous souhaitons justement distinguer la langue générale de la langue de

spécialité.

Page 171: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

149

catégories de néologismes traditionnellement représentés dans les travaux de linguistique5.

Sous les néologismes recueillis en fonction des deux autres critères, nous avons créé deux

nouvelles catégories de néologismes pour expliquer plus clairement et spécifiquement

certains types d’entre eux, qui étaient difficilement catégorisables dans les types classiques

(formels et sémantiques); il s’agit des néologismes conceptuels et d’actualité. Nous nous

expliquons : le néologisme conceptuel se situe donc véritablement au niveau du concept et

de la conceptualisation du locuteur et non au niveau de la forme (dénomination) ni au

niveau du sens (signifié). Dans ce cas, il s’agit du concept qui est néologique en

synchronie, et cela même si son signifiant et son (ou ses) signifié(s) existent depuis un

moment déjà puisque ce concept fait l’objet de discussions, de redéfinition, de

redélimitation à un moment donné de son usage. En raison d’un flou conceptuel pendant un

moment déterminé, le néologisme est en attente de fixation de son concept. C’est pourquoi

il est impossible de les décrire avec un critère basé uniquement soit sur la datation, soit sur

la lexicalisation ou sur la fréquence. Ces néologismes sont difficiles à définir pour ces

raisons, mais ils sont très présents dans la réalité. Les terminologues sont souvent

confrontés à ce genre de défis. Il faut donc trouver une façon de les expliquer, de les

intégrer et de les définir et surtout de les traiter en tant que néologismes.

Puis, le néologisme d’actualité, lui, correspond à une réalité, à un référent qui est

néologique en raison de l’usage qu’en font les locuteurs en synchronie ou de par sa

réalisation effective à un moment particulier. Ces néologismes se voient donc souvent dans

les thèmes d’actualité. Ce que nous appelons les thèmes d’actualité font penser aux thèmes

obsessionnels ou aux thèmes de prédilection utilisés par Nyckees tels que présentés au

chapitre 3.

Le thème d’actualité renvoie donc aux préoccupations fortes d’une société à un moment

donné de son histoire. Il ne faut pas confondre le domaine d’actualité au sujet d’actualité,

au sujet à la mode, aux nouvelles ou à l’information journalistique. Le domaine d’actualité

5

Voir, entre autres, les principaux auteurs suivants : Pruvost, Boulanger, Sablayrolles, Depecker, Guilbert.

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150

est spécifique. Il ne fait pas que faire la manchette, mais il représente un moment fort d’une

société qui engendre une activité néologique importante. Comme ces deux types de

néologismes se trouvent à un niveau abstrait, il fallait utiliser un critère de néologicité basé

sur l’aspect cognitif, conceptuel (dans le cas du néologisme conceptuel) et puis basé sur

l’évolution du référent en diachronie (dans le cas du néologisme d’actualité). Un

dépouillement manuel, en contexte et cotexte, permet de relever les néologismes

conceptuels et les néologismes d’actualité, exactement de la même façon qu’il est possible

de détecter les néologismes sémantiques, mais ceux-ci ne sont pas retenus ni analysés en

fonction d’une datation lexicographique.

En résumé, nous venons d’expliquer sommairement la typologie de la néologie que nous

avons développée. Maintenant, nous aimerions présenter les quatre notions de domaines

que nous avons créés au cours des dernières années pour aider à la compréhension des

activités néologiques. Ces domaines s’appliquent autant à la langue générale qu’à la langue

de spécialité. Après avoir présenté sommairement nos réflexions théoriques, nous

souhaiterions en présenter les définitions que nous illustrerons à l’aide d’exemples de

néologismes.

Les quatre catégories de domaines néologiques que nous avons créés sont les suivants : le

domaine néologique, le domaine renouveleur, le domaine résistant et le domaine d’actualité

(voir le schéma 3). Le domaine néologique étant notre terme générique correspondant aussi

au domaine néoterminologique dans le cas des LSP. Cette catégorie englobe tous les types

de domaines néologiques. Elle représente tous les phénomènes observables dans cette

sphère d’activité. Le domaine renouveleur représente un secteur d’activité où le

renouvellement lexical se fait naturellement par les locuteurs, sans nécessiter l’aide d’une

instance externe (officielle ou non). Ce domaine se renouvelle, s’autorégule donc

facilement dans la langue maternelle donnée (on y trouve peu d’emprunts aux langues

étrangères). Les domaines renouveleurs au Québec sont, par exemple, la santé,

l’informatique, l’environnement, l’agriculture, etc. Le domaine résistant est un domaine

Page 173: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

Il ne faut surtout pas confondre les domaines d’actualité avec les sujets d’actualité. Les sujets d’actualité

151

dans lequel les emprunts aux langues étrangères sont importants et où une stimulation

lexicale6 serait nécessaire pour favoriser le renouvellement lexical dans la langue

maternelle donnée. À titre d’exemples, nous pouvons citer la mode, la musique, les jeux

vidéo, etc. Finalement, le domaine d’actualité (lié aux thèmes d’actualité que nous avions

abordés précédemment) représente une sphère d’activité dans laquelle les préoccupations

fortes de la société sont présentes à un moment particulier de son évolution, et engendre

une activité néologique importante7. Dans ce chapitre, nous présenterons, entres autres,

comme domaines d’actualité le développement durable, le débat entourant les

accommodements raisonnables et le 400e anniversaire de la ville de Québec (voir nos

explications sous chaque notion concernée).

Nous poursuivrons maintenant avec les définitions et les explications détaillées des notions

de la néologie.

4.3.2. Définitions des notions de la néologie

Dans cette partie, nous présentons les définitions que nous avons élaborées pour chaque

notion développée dans la typologie. Sous chaque notion et définition, nous expliciterons

notre pensée à l’aide d’exemples de néologismes provenant des recherches que nous avons

effectuées au cours de ces réflexions.

6

Par stimulation lexicale, ici, nous voulons dire une intervention humaine venant d’un organisme externe

officiel ou non, afin de participer au renouvellement lexical dans la langue d’usage. 7

font la manchette dans les médias écrits ou oraux, mais sans nécessairement être des domaines d’actualité

forts qui représentent des préoccupations de société à un moment précis et qui engendrent dans le débat et

l’effervescence du moment de la néologie. Nous préciserons ces propos un peu plus loin dans la définition

du domaine d’actualité.

Page 174: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

152

Il est important de mentionner que nous avons décidé d’aligner partout dans les définitions

les notions génériques-spécifiques, c’est-à-dire associées à la langue générale dans un

premier temps, et associées aux domaines spécialisés dans un deuxième temps. Ainsi, les

incluants employés dans les définitions pourront parfois varier entre mot (langue générale)

et terme (langue de spécialité). Il ne serait pas faux d’employer les génériques pour

désigner l’ensemble des phénomènes, y compris ceux couverts par les langues de spécialité.

Cependant, afin de préciser et de distinguer les deux sphères d’activités de la néologie,

nous avons élaboré des termes appropriés pour chaque catégorie.

Néologie8

Étude théorique, méthodique et appliquée des mots nouveaux dans la langue et

en lien avec leur contexte sociolinguistique.

La néologie couvre donc l’étude, l’analyse et la création de mots nouveaux, de

leurs modes de formation ainsi que l’élaboration de critères permettant de les

recenser, de les inclure ou de les exclure à titre de néologismes.

Dans notre définition, nous avons cru bon d’identifier les trois aspects suivants : théorique,

méthodique et appliqué. En effet, l’étude de la néologie ne se fait pas sans appuis

théoriques, ni une certaine méthode (critères d’analyse, corpus d’inclusion et d’exclusion,

etc.) et une application concrète (description, catégorisation, création, etc.).

Selon les objectifs des projets de recherche, l’étude peut porter sur un aspect en particulier,

sur deux de ces aspects ou sur les trois. Par exemple, à l’OQLF, l’étude couvre tous ces

aspects. Dans un cours de lexique de premier cycle, l’étude serait plutôt théorique

8

Dans notre esprit, la néologie ne se limite pas à la néologie lexicale, mais notre étude, ici, porte sur cet

aspect.

Page 175: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

153

(apprentissage des modes de formation) et appliquée (chercher des néologismes et en

créer). À l’OBNEQ, nous avons étudié tous ces aspects, et ce, tant en langue générale qu’en

langue de spécialité.

Néoterminologie

Étude théorique, méthodique et appliquée des termes nouveaux dans les

domaines spécialisés du savoir humain et en lien avec leur contexte

d’utilisation.

Dans cette définition de la notion spécifique, en langues de spécialité, il convient d’insister

sur le contexte d’utilisation puisque celui-ci va conférer une valeur spécifique au

néologisme.

Ainsi, le néoterme (sémantique dans ce cas) actif naturel dans le domaine du

développement durable a pris un sens particulier dans ce contexte. Ce néoterme provient à

l’origine du domaine économique; il a ensuite été utilisé en environnement, plus

spécifiquement dans le secteur du DD. Le contexte d’utilisation permettra donc ici

d’identifier le sens spécifique qu’il revêt.

L’actif naturel avait le sens suivant en économie : « Bien à l'état brut, n'ayant subi aucune

transformation. » (GDT, OQLF sous « bien naturel »). Il a ensuite pris la valeur suivante

dans le domaine du DD :

Terme d’origine économique qui désigne un patrimoine exploité pour la production de

richesses. Un actif naturel peut être aussi bien un écosystème (forêt, etc.) qu’un élément de

Page 176: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

154

l’écosystème (faune, etc.) ou un espace géographique plus lar ge (océan, etc.). Le

renouvellement d’un actif naturel peut être bouleversé, dégradé, mis en danger, ou maîtrisé par

l’homme. C’est le cas également des forêts européennes (BDI OBNEQ).

Dans le secteur du DD, le néoterme actif naturel est parfois employé comme variante

dénominative du terme écosystème.

Néologisme

Mot créé à partir des ressources internes de la langue française (fonds ancien ou

actuel ou variété de la même langue) ou emprunté à une autre langue, dans le

but de désigner de nouvelles réalités, de nouveaux concepts ou de répondre à un

besoin de communication précis.

Le néologisme peut être de type formel, conceptuel, sémantique ou référentiel9

(voir les définitions plus loin).

Dans la définition du néologisme, nous nous appuyons bien entendu sur le français en

usage au Québec. Lorsque nous mentionnons le fonds ancien ou actuel ou la variété de la

même langue, nous désignons le fonds commun ancien ou actuel et toutes les variétés de

français. Par la suite, nous mentionnons les emprunts aux langues étrangères. Ces

néologismes sont créés pour répondre à des besoins de communication précis puisqu’ils

s’insèrent toujours dans une situation de communication particulière où les locuteurs ont

besoin d’un nouveau mot, d’un nouveau concept ou d’un nouveau sens pour s’exprimer

face à une réalité à un moment donné. Cette précision permet de replacer la néologie dans

une perspective communicationnelle et de comprendre que la création lexicale répond

surtout à un besoin de communication avant toute chose.

9

Dans le cas du néologisme référentiel, voir la définition du néologisme d’actualité.

Page 177: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

155

Voici quelques exemples de néologismes de langue générale provenant de la BDI de

l’OBNEQ : plateauïsation (faisant référence ici au lieu : Le Plateau à Montréal),

montréalisation (de Montréal), ROC (sigle désignant « Rest of Canada », locution excluant

le Québec du reste du Canada), bunkérisation (en parlant du pouvoir politique faisait

référence ici au bunker sur la colline parlementaire qui dénomme l’immeuble logeant le

bureau du Premier ministre et l’Exécutif), tintinophile, réunionner, décédo-dollars (en

faisant référence ici à l’industrie des pré-arrangements funéraires), biodollars (industrie

biologique), bien-écrivant, cyberculturel, etc.

Néoterme

Terme créé à partir des ressources internes de la langue française (fonds ancien

ou actuel ou variété de la même langue) ou emprunté à une autre langue, dans

le but de désigner de nouvelles réalités, de nouveaux concepts ou de répondre à

un besoin de communication précis.

Le néoterme est réservé aux langues de spécialité. Il peut également être de

type formel, conceptuel, sémantique ou référentiel.

Voici quelques exemples de néotermes sociopolitiques québécois10 : adéquiste (partisan de

l’Action Démocratique du Québec - ADQ), bloquiste (partisan du Bloc Québécois), néo-

conservateur, plquiste (partisan du Parti libéral du Québec - PLQ), syndicalo-séparatiste,

crypto-séparatiste (en parlant d’un politicien qui serait un séparatiste non avoué), libéro-

conservateur, renationalisation, post-pétrole, post-libéralisme, etc.

1 0

Réf. PELLETIER, Julie et Andy VAN DROM (5 septembre 2007), « La néoterminologie et la circulation du

discours sociopolitique : reflets de la société québécoise », Congrès International de Linguistique et de

Philologie Romanes (CILPR), Université d’Innsbruck, 3-8 septembre 2007.

Page 178: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

156

Néologisme formel

Mot dont la forme est créée à partir des ressources internes de la langue

française (fonds ancien ou actuel ou variété de la même langue) ou empruntée à

une autre langue dans le but de désigner de nouvelles réalités, de nouveaux

concepts ou de répondre à un besoin de communication précis.

Les procédés internes de formation employés dans la création du néologisme formel sont la

dérivation, la composition, l’acronymie et le mot-valise, la siglaison, l’abréviation (apocope

ou aphérèse), la lexicalisation de noms propres, la conversion syntaxique, la syntagmation,

et la variation orthographique, morphologique et syntaxique.

Dans le cas de l’emprunt intégral d’une forme à une autre langue, aucun procédé ne

s’applique sauf s’il y a effort d’adaptation (calque) ou si l’emprunt est hybride ou un faux-

emprunt.

Les typologies de la néologie formelle se recoupent toutes. Notre typologie est donc basée

sur ces modèles classiques et nous pouvons la présenter à l’aide des exemples suivants11 :

Dérivation (savante ou française, préfixale, suffixale ou mixte)

bioalimentaire, bioterrorisme, biosécurité, écohabitat, chronophage, etc.

Composition

savoir-être, tue-l’amour, souper-rencontre, mot-boulet, travail-famille, etc.

11

Exemples provenant de la BDI de l’OBNEQ.

Page 179: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

157

Mot-valise

clavardage (clavier + bavardage), docufiction (documentaire + fiction), rockumentaire

(rock + documentaire), aérotourisme (aéronautique + tourisme), anarchitecte (anarchie +

architecte), webémission, webographie (web + émisssion; + bibliographie), luminothérapie

(lumière + thérapie), etc.

Siglaison et acronymie

GES (Gaz à effet de serre), IPS (Infirmières praticiennes spécialisées), ALV (Appareils de

loterie vidéo), etc.

Abréviation (apocope, aphérèse)

biotech (biotechnologie), alterno (alternatif), électro (électronique), végé (végétarien), plex

(duplex, triplex), poche (livre de poche), etc.

Syntagmation

cuisine moléculaire, centre antistress, clonage thérapeutique, haute efficacité énergétique,

installation éco-énergétique, maison intergénérationnelle, noyautage ethnique, tourisme

spatial, etc.

Lexicalisation de noms propres

Le seul exemple rencontré était : bétacam (de Betacam, format d’enregistrement vidéo

développé par Sony en 1982).

Page 180: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

158

Conversions syntaxiques

arbuste (n.m. à adj.), cabaret (n.m. à adj.), embraye-débraye (verbes à n.m.), prêt-à-

habiter, prêt à consommer (phrases verbales à n.m. (locutions verbales) calquées sur le

modèle anglais ready-to-wear: prêt-à-porter), etc.

Variantes (orthographiques, syntaxiques, morphologiques)

beau-parleur (beau parleur), fibro-ciment (fibrociment), caplan (capelan), bostonnais

(bostonien), etc.

Emprunts, calques et adaptations

blogue (calque morphologique de l’emprunt anglais blog), électro-rock, électro-pop

(calques morphologiques des emprunts anglais electrorock et electropop), blockbuster, buzz

(emprunts intégraux à l’anglais), airag (emprunt intégral au mongol qui signifie « lait de

jument fermenté »), chicoutai (emprunt intégral au montagnais qui signifie « feu » et qui

désigne le fruit orange acidulé qui se trouve dans les régions subarctiques), inuksuk

(emprunt intégral à l’inuktitut qui signifie « à l’image d’un homme », constructions de

pierres anthropomorphes servant de repères lors de la pêche ou de la chasse, elles sont

aujourd’hui utilisées comme thèmes dans l’art inuit), maki (emprunt intégral au japonais, de

la spécialité culinaire des sushis), etc.

Néologisme sémantique

Mot dont le sens est emprunté à un mot ancien ou actuel de la langue d’usage

ou à un mot d’une autre langue dans le but de désigner de nouvelles réalités, de

nouveaux concepts ou de répondre à un besoin de communication précis.

Page 181: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

159

Les néologismes sémantiques naissent souvent par les procédés de métonymie,

métaphore, glissements, extensions ou restrictions de sens.

Les néologismes sémantiques sont donc souvent engendrés par le principe du cumul des

sens que nous avons expliqué dans notre théorie de la polysémisation au chapitre 3, puis

par les procédés susmentionnés. Ils conduisent donc à de la variation polysémique. Nous

développerons cet aspect au chapitre 5.

Voici quelques exemples de néologismes sémantiques recueillis à l’OBNEQ : croisiériste

(agence de voyage spécialisée dans la vente de croisières alors que le sens premier était le

tourisme faisant la croisière), oiselet, aigle (néologismes du domaine du golf), couperet,

fusillade, sauvetage (néologismes employés dans les sports), sauvé (adjectif employé dans

l’expression peau sauvée, sauvée au sens de « métisse »).

Dans le projet en collaboration avec l’OQLF, dans le secteur du développement durable,

nous pouvons citer le néoterme sémantique éco-indicateur12, attesté au GDT sans le trait

d’union en 1976 d’abord dans le sens économique suivant : « Indice économique donnant, à

dates fixes, la représentation quantitative des phénomènes significatifs de l'économie

canadienne (comme le nombre de permis de construction domiciliaire délivrés, le passif des

entreprises en faillites, etc.) ». Il a été recensé dans le domaine du développement durable

avec ce sens : « ils [les éco-indicateurs] consistent à résumer en un chiffre la performance

globale de l'impact sur l'environnement » (OBNEQ).

Nous pouvons également signaler le néoterme sémantique efficience dynamique, emprunté

lui aussi au domaine économique puis appliqué aujourd’hui au DD avec le sens suivant :

12

À l’origine du terme, la particule éco- dans éco-indicateur provenait de l’abréviation du terme économie.

Celui-ci se transfère bien dans le domaine du développement durable puisqu’il pourrait faire penser au

préfixe éco- plutôt employé dans le sens « écologique ».

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Un merci chaleureux à Ariane Royer et Clément Croteau pour leurs consultations au sujet du

Réf. Site du Ministère du développement durable du Québec (2009), « Une première liste des indicateurs

160

« La mise au point de nouvelles technologies ou de nouveaux procédés pour accroître la

productivité, réduire l'intensité de ressources ou les produits, etc. » (Définition du Site

d’Environnement Canada, OBNEQ). En économie, le néoterme signifie plutôt :

De façon générale, les gains d’efficience sont des synergies qui permettent aux entreprises

d’améliorer leurs performances, que ce soit en termes de coûts, de qualité, de service ou de

diversité des produits ou services qu’elles proposent. […]. La caractéristique distinctive des

gains d’efficience dynamique réside dans le caractère récurrent de leurs effets, ce qui renforce

considérablement leur impact potentiel sur les performances. En général, les gains d’efficience

dynamique sont des synergies qui permettent aux entreprises d’améliorer leurs performances de

façon potentiellement continue (OCDE 200813).

Parmi les nombreux néotermes sémantiques empruntés au domaine économique et

appliqués au DD, nous pouvons citer le stock du capital qui s’insère dans l’« approche par

capitaux », féconde en néotermes: approche par capitaux, capital humain, capital naturel,

capital produit, capital social, capital financier, indicateurs, flux, etc. Par ailleurs, dans ce

cas, il est intéressant de noter que ces néotermes sont non seulement sémantiques mais

aussi conceptuels. Certains de ces néotermes ont été définis au GDT à l’OQLF. Nous

avions eu l’occasion de les étudier et de les analyser avec deux terminologues14 de l’OQLF.

Ce sont des exemples éloquents de néologismes sémantiques et conceptuels. Ils sont

sémantiques puisqu’ils ont acquis un nouveau sens en DD, mais aussi conceptuels puisque

leurs concepts ne semblent pas encore complètement bien délimités, et ce, à l’échelle

internationale comme en témoigne l’extrait suivant15 :

13

Réf. Site de l’OCDE, « Fusions et gains d’efficience dynamique », Revue Synthèses, Octobre 2008, [En

ligne], http://www.OECD.org/dataOECD/4/17/41390269.pdf. 14

développement durable pendant mon stage à l’OQLF. 15

de développement durable pour surveiller et mesurer les progrès réalisés au Québec en matière de

développement durable », [En ligne],

http://www.mddep.gouv.qc.ca/developpement/indicateurs/Indicateurs_DD_Doc%20consultation_12%20jui n%202009.pdf , p. 26.

Page 183: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

161

Toutes ces formes de capitaux ne sont pas également interprétées. Par exemple, le capital social,

le moins bien étudié des cinq dans le monde, demeure un concept dont la définition et

l’amplitude restent à préciser, même à l’échelle internationale.

Idéalement, les capitaux se mesurent sous forme de « stocks », c’est-à-dire l’ensemble des

éléments qui les composent, ce concept étant inspiré et adapté de l’approche économique qui

mesure les quantités qu’on peut inventorier ou conserver pour utilisation future de matières, de

marchandises, de produits ou d’éléments propres à chaque capital (MDDEP 2009 : 26).

Néologique

Relatif à l’étude des mots nouveaux.

Par ext. de sens. Relatif à ce qui est nouveau, récent, créatif ou perçu comme

tel.

L’adjectif néologique sert essentiellement à qualifier les différents aspects de la néologie,

donc toutes les notions décrites dans ce chapitre, mais il pourrait servir de façon plus large,

dans son élargissement de sens, à désigner également « tout ce qui est nouveau, récent,

créatif » ou « tout ce qui est perçu comme nouveau ».

Néologicité

Degré de nouveauté d’un néologisme, basé sur l’étude d’une période

déterminée, et le sentiment de nouveauté ressenti par un locuteur, et permettant

d’identifier un mot comme étant un néologisme en fonction de critères précis

(datation, lexicalisation, analyse conceptuelle et référentielle).

Les objectifs de la recherche néologique vont influencer grandement les critères

de néologicité qui seront employés en vue d’atteindre les objectifs précis visés.

Page 184: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

162

Par exemple, si l’un des objectifs de la recherche néologique est l’actualisation

des dictionnaires de la langue française québécoise, le critère de néologicité ne

sera pas basé sur une période de temps mais plutôt sur un corpus d’exclusion

dictionnairique.

Si l’objectif est de recenser tous les nouveaux mots au sens de « récents » dans

la langue, ainsi le critère de néologicité sera basé sur une courte période de

temps.

En effet, nous avons eu l’occasion d’appliquer le critère de néologicité dans toutes ses

acceptions. Ainsi, à l’OBNEQ, lorsque nous avions recensé des néologismes en langue

générale dans la presse écrite, nos objectifs étaient non seulement de recueillir de nouvelles

dénominations ou de nouveaux sens, mais aussi d’actualiser les dictionnaires québécois, en

retenant donc, à partir d’un corpus dictionnairique d’exclusion, des formes québécoises,

présentes dans la langue depuis plusieurs années, mais encore non recensées dans les

dictionnaires québécois et français. Dans l’optique de cette recherche, notre définition du

néologisme était :

Terme créé, à partir des ressources de la langue ou par emprunt ou par ajout de sens à

un terme existant, dans le but de décrire de nouvelles réalités, de nouveaux concepts ou

de répondre à un besoin de communication précis.

Le néologisme peut être récent, non répertorié dans les dictionnaires, et enfin, le

néologisme peut être en usage depuis plusieurs années sans avoir fait l’objet d’une

entrée dans les dictionnaires (Pelletier et Van Drom 2007).

Puis, dans le cadre de notre projet de collaboration avec l’OQLF, notre corpus d’exclusion

était exclusivement le GDT; donc notre critère de néologicité s’appliquait tant en termes de

degré de nouveauté synchronique que diachronique, conceptuelle et référentielle.

Page 185: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

163

Ainsi, la création de deux nouvelles catégories de néologismes (conceptuels et d’actualité)

vient grandement accroître l’analyse de ces phénomènes. Évidemment, dans la cueillette ou

la veille néologique, lorsque les néologismes sont recueillis manuellement, le sentiment

intuitif du linguiste qui repère les mots qu’il croit nouveaux a toujours été implicite, mais il

était validé constamment par l’unique critère de datation et de lexicalisation

dictionnairique. Là, où l’ajout d’autres critères de néologicité vient améliorer l’étude et la

description des néologismes, est qu’il permet au linguiste de dépasser les critères

classiques, de vérifier, de valider ce « sentiment de nouveauté » au-delà de la datation, de la

lexicalisation dictionnairique, tout en parcourant les textes et discours réels pour en extraire

le contenu néologique.

De plus, ces néologismes sont riches d’enseignements sur l’évolution des concepts, des

choses et de la société donnée. Les relever, les étudier permettent de décrire des

phénomènes langagiers courants, qui en plus, ont une portée sociale et historique qui va

bien au-delà de l’attestation factuelle d’une forme ou d’un sens. Ces néologismes

permettent d’expliquer tout un processus en cours, d’observer un changement de société

important. C’est une toute autre perspective qui s’ouvre dans l’étude néologique.

Domaine néologique

Sphère spécialisée de l’expérience humaine dont les mots, sens ou concepts,

dans une proportion significative, sont perçus comme nouveaux ou récents par

le locuteur.

Le « domaine néologique » est le concept générique recouvrant tous les types de domaines

que nous avons créés pour distinguer précisément les phénomènes de la néologie : domaine

renouveleur, domaine résistant et domaine d’actualité. Ainsi, un domaine néologique

Page 186: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

164

pourrait servir à désigner l’un et / ou l’autre des trois types de domaines ou permettre de

désigner l’ensemble de cette activité dans un secteur en particulier.

Voici quelques exemples de domaines néologiques que nous avions pu identifier lors de

nos consultations avec les terminologues de l’OQLF : le développement durable, les

nanotechnologies, l’astronautique et l’aéronautique, la création d’entreprise par essaimage,

l’innovation, les thérapies géniques, les technologies de l’information, l’informatique

vestimentaire, etc.

Domaine renouveleur

Sphère spécialisée de l’expérience humaine dont le renouvellement lexical

s’effectue de façon naturelle, sans nécessiter l’intervention d’un organisme

externe, face aux nouvelles réalités à dénommer.

Parmi les recherches que nous avons effectuées ces dernières années à l’OBNEQ, nous

avons pu identifier certains domaines renouveleurs en français québécois à partir de

néologismes recensés dans la presse, notamment les technologies du bâtiment, la protection

de l’environnement, l’alimentation et l’agriculture, la santé, le tourisme, l’informatique et

les technologies de l’information.

Les domaines où le français québécois semble le plus se renouveler sont en fait, des domaines

assez techniques et scientifiques, même si les journaux dépouillés sont de langue générale, ce

qui nous amène à confirmer que les journaux sont une excellente porte d’entrée des

néologismes techniques et scientifiques (Auger et Pelletier 2010 : 779).

Page 187: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

165

Ces domaines se renouvellent bien en français, ils s’autorégulent, et les néologismes

suivants en témoignent16 :

Santé:

clonage thérapeutique, nutraceutique, chocothérapie,

pressothérapie,

biopharmaceutique, perte d’autonomie cognitive, infectobésité.

Informatique / TIC: vidéoludique, hyperlien (sponsorised link), virtuel, télétravailleur, téléphonie IP (VoIP), baladodiffusion (podcasting), baladeur mp3 et baladeur

numérique, webographie.

Tourisme / Loisirs: récréonordique, musée-boutique, hôtel-boutique, véloroute, cycloparc, récréologue.

Environnement: bâtiment résidentiel vert, condo-vert, écoénergétique, empreinte environnementale, certification LEED (Leadership in Energy and Env. Design),

efficacité énergétique, oxodégradable.

Alimentation / agriculture: cidriculteur, biodynamie, zymotechnologie, pilote- vigneron, ovo-lacto, phytochimique.

Bâtiment: coffrage isolant, batiplume, galvalume, minéralite, éco-ingénierie, prêt-à- habiter.

Ainsi, les domaines renouveleurs sont très créatifs et démontrent que la langue française

dispose de toutes les ressources nécessaires à la dénomination-désignation de ces nouvelles

réalités socioculturelles, techniques ou scientifiques.

Domaine résistant

Sphère spécialisée de l’expérience humaine où les emprunts aux langues

étrangères sont très nombreux et où le recours à la néologie peut favoriser et

stimuler le renouvellement lexical dans la langue d’usage.

Une intervention humaine, provenant d’un organisme externe, officiel ou non,

peut s’avérer favorable au renouvellement du lexique dans la langue d’usage

16

Réf. Auger et Pelletier (2010).

Page 188: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

166

dans ces cas. Cela fait partie du processus d’aménagement linguistique adopté

au Québec.

Les domaines résistants s’opposent aux domaines renouveleurs en ce sens qu’ils sont plutôt

la proie de nombreux anglicismes. Ces tendances, dans certains domaines comme la

musique, la mode, les arts et les sports, s’expliquent par un phénomène socioculturel :

Ces domaines constituent souvent des poches de résistance, possiblement à cause de

l’hégémonie de l’anglais dans leur diffusion internationale, et aussi à cause de leur public cible

qui est souvent une clientèle adolescente, pour qui parler anglais est « cool » (pour reprendre

leur expression), voire privilégié par le groupe social auquel ils adhèrent (Ibid 2010 : 780).

La proposition de néologismes pourrait donc aider au renouvellement lexical de ces

domaines en français. Bien entendu, une certaine part d’emprunts aux langues étrangères

fait partie du processus d’évolution naturelle des langues, et ce, peu importe la langue

prêteuse ou emprunteuse, mais il convient dans certaines situations plus formelles

(communications officielles, cours universitaires, colloques, etc.) de doter ces nouvelles

réalités d’un équivalent français « acceptable ». C’est pourquoi les organismes linguistiques

jouent un rôle fondamental dans la veille néologique et participent étroitement au

renouvellement lexical de la langue d’une société donnée. Au Québec, l’OQLF en est un

bon exemple. C’est également pourquoi la collaboration entre un observatoire de néologie

et un organisme officiel devient des plus intéressantes.

Dans le cas des domaines résistants mentionnés ci-dessus, voici des exemples

d’anglicismes recensés, présentés directement après le nom du domaine résistant, suivis des

néologismes français, présentés en dessous dans la catégorie résistance :

Page 189: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

167

Sports: hurling (jeu de crosse), dunks, kickflips, padocks, small ball, skater.

Résistance: ailier espacé, botteur de précision, pliométrique.

Musique: heavy metal, baile funk, brit-pop, power pop, fashion rock, grindcore, rock- roots, trip-hop.

Résistance:

électro-sensuel,

groupe-culte,

groupe-phare,

rock

atmosphérique,

métalleux.

Mode / art: lifestyle, streetware, glam, hot seat, flashy, girlies.

Résistance: préfripé (vêtement).

Cinéma: biopic (de l’anglais biographic picture), batnotes (de Batman), success story, lipser, tripper, rockyesque (emprunts adaptés)

Résistance: personnage-culte, série-culte, paparazziaque, mégacineplex.

Domaine d’actualité

Sphère spécialisée de l’expérience humaine qui reflète les préoccupations fortes

du moment au sein d’une société donnée et qui engendre, dans le débat, de la

néologie.

Les domaines d’actualité sont des domaines populaires en raison de l’importance qu’ils

revêtent pour une société à un moment précis de son histoire. Ainsi, comme nous l’avions

vu au chapitre 3, la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodements

reliées aux différences culturelles au Canada en 2007 a suscité de vives discussions et fait

couler beaucoup d’encre dans les journaux. En effet, ce débat découle directement de

l’application de la politique du multiculturalisme adoptée par le gouvernement canadien.

Dans de telles conjonctures, les mots peuvent alors faire l’objet d’une réactualisation et être

néologiques en fonction du critère de néologicité basé sur le sentiment de nouveauté, en

l’occurrence soit sur le sentiment de nouveauté conceptuelle ou référentielle. Ces mots sont

Page 190: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

168

donc perçus comme « nouveaux » par les locuteurs et remis en circulation pendant cette

période de fébrilité. De nouveaux concepts peuvent également surgir de ces discussions et

amener de nouveaux mots ou des formes existantes peuvent voir leur concept remis en

question ou réévalué.

Ainsi, des réalités comme l’énergie solaire, la voiture hybride, la nanosonde (de l’anglais

nanoprobe), la nanomachine (de l’anglais nanite) ou la téléportation quantique peuvent être

considérées néologiques (comme néologismes d’actualité) à un certain moment donné, et

ce, bien que leurs dénominations existent depuis plus d’une dizaine d’années, puisque leur

utilisation réelle ou leur importance se fait sentir à un moment précis, souvent bien des

années après la création même du concept, du mot, de l’idée ou de l’objet. En effet, comme

nous le faisait remarquer Denis Godbout, terminologue, lors de nos échanges à l’OQLF, les

termes nanoprobe et nanite en anglais ont été d’abord inventés pour la série télévisée Star

Trek, puis prêtés ensuite aux nanotechnologies. Or, en raison de l’importance que

revêtaient ces notions à l’apogée des nanotechnologies, les termes, bien qu’existant dans la

langue depuis plusieurs décennies, sont devenus néologiques en vertu de leur caractère

réactualisé. Il en va de même pour l’énergie solaire, conçue en tant que source énergétique

depuis plus de cinq à dix ans, mais totalement réactualisée dans les débats sur les énergies

renouvelables. En effet, l’énergie solaire a été découverte en 1839 par Antoine Becquerel.

Elle connut un second élan dans les années 70 lors du premier choc pétrolier. Depuis

quelques années, elle fait l’objet de nombreuses recherches et avancées partout dans le

monde, notamment avec les programmes de toits solaires qui se multiplient. Depuis 2007, il

y aurait eu une augmentation de 66% du parc photovoltaïque mondial17. Entre l’invention

de Becquerel, la seconde vague des années 70 et les percées actuelles, l’énergie solaire ne

cesse de se renouveler afin de répondre aux besoins socioéconomiques de la société :

« Après plusieurs années de sommeil, la filière solaire haute température repart de plus

17

Cf.

D’après le Site

Wikipédia, « Énergie solaire »,

[En

ligne],

http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89nergie_solaire , (Page consultée en février 2011).

Page 191: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

Lapierre, Virginie, « Voiture hybride : Mythes et réalité », Site de Tv5.ca, [En ligne],

169

belle notamment dans les pays du “Sun belt”18. En ce sens, l’énergie solaire est réactualisée

avec le débat sur les énergies renouvelables et constitue un néologisme d’actualité

intéressant à étudier afin d’en suivre l’évolution. Selon notre définition, l’énergie solaire

correspond au cas de figure du néologisme d’actualité ayant plusieurs cycles de vie. En ce

qui concerne la voiture hybride, c’est à peu près le même principe. Le premier octroi de

brevet d’un moteur gasoil et électrique aurait été déposé en 1905 par un dénommé H.

Piper19. Elle a donc été développée il y a longtemps; son nom, son sens et son référent sont

bien connus, mais son utilisation effective et populaire, en raison également des

préoccupations environnementales, la réactualise et fait d’elle une réalité (en l’occurrence

un objet produit et acheté de plus en plus), un mot et un concept d’actualité. La voiture

hybride correspond donc au cas de figure du néologisme d’actualité revenant sur la sellette

après une période de latence entre le moment de son invention (premier brevet) et de son

utilisation effective dans la réalité.

Cependant, il ne faut pas confondre un sujet d’actualité avec un domaine d’actualité. Citons

l’exemple des gaz de schiste, bien que ce sujet soit largement débattu sur la scène publique

et politique en ce moment, il n’engendre à proprement dit aucune néologie. Le gaz de

schiste ne fait pas l’objet d’une réactualisation ni en tant qu’objet ni en tant que concept.

C’est là une différence fondamentale dans la compréhension de notre domaine d’actualité et

du néologisme d’actualité, qui lui est réévalué, redéfini ou réutilisé avec changements

perceptibles à cause notamment de l’évolution des technologies ou des cultures depuis la

création de l’objet ou de l’idée. Ainsi, le gaz de schiste, est plutôt une ressource naturelle

existante que le gouvernement québécois veut exploiter, mais qui soulève la controverse au

sein de la population parce que certains craignent les effets que cela pourrait avoir sur

l’environnement. Cette controverse n’engendre aucune néologie. Un autre exemple afin de

ne pas confondre le domaine d’actualité avec un objet à la mode, citons les leggings. Ce

18

Site de l’Observatoire des énergies renouvelables, « Énergie solaire haute température», dans le dossier

Énergie solaire, [En ligne], http://www.energies-renouvelables.org/solaire_thermique_ht.asp , (Page

consultée en février 2011. 19

http://bloguestv5.ca/2010/07/26/voiture-hybride-mythes-et-realite/ , (Page consultée en février 2011).

Page 192: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

170

type de bas existe depuis des décennies, il revient à la mode par période, mais sans changer

en termes d’objet, de forme ou de concept. Tout comme le gaz de schiste, sujet d’actualité,

les leggings, sujet à la mode, n’engendrent aucune néologie d’actualité.

De façon plus théorique maintenant, nous souhaitons illustrer le domaine d’actualité avec

un autre exemple de la tribune québécoise, soit les célébrations du 400e anniversaire de la

fondation de la ville de Québec. À l’occasion de cet événement, une Société du 400e a été

mise sur pied afin de préparer les festivités pour l’année 2008. Lors d’une conférence à

Québec20, nous avons décrit l’événement à partir d’une analyse linguistique. Ce thème

d’actualité a également fait l’objet d’une visibilité sur la scène internationale. Lors de

l’analyse de discours, nous avions étudié les sites de la Société du 400e ainsi que le site du

400e du gouvernement fédéral. Les thèmes véhiculés de part et d’autre étaient, pour la

Société du 400e, la rencontre et le partage, les nations autochtones, l’ouverture sur le

monde, la vie culturelle et intellectuelle, et, pour le gouvernement fédéral, la colonisation,

les personnages historiques, le multiculturalisme et le territoire. À la lumière des termes

utilisés pour présenter les festivités dans chacun des sites, nous pouvions facilement repérer

les points de convergence et de divergence. Puisqu’il s’agit d’une commémoration d’un

événement historique, en apparence, il serait improbable d’y trouver des néologismes, mais

en vertu de notre définition du domaine d’actualité et du néologisme d’actualité, nous

pouvons en identifier quelques-uns. Ainsi, dans l’effervescence du moment, les termes-

concepts de « nation » et d’« identité » ont été largement débattus, notamment dans la

presse et dans les travaux parlementaires. Ce thème d’actualité nous permet donc d’illustrer

à la fois les concepts de « néologismes conceptuels » et de « néologismes d’actualité ».

Regardons d’abord les définitions de ces concepts :

20

Communication présentée dans le cadre de l’ACFAS 2008. Pour plus de détails, voir Van Drom et Pelletier

(2008).

Page 193: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

171

Néologisme conceptuel

Mot présent dans la langue depuis un certain temps mais dont le concept est

néologique en synchronie et représente une réalité existante en redéfinition en

raison de son évolution technologique ou culturelle.

Mot récent représentant une réalité nouvelle en voie de se délimiter.

Les néologismes conceptuels se rencontrent souvent dans les domaines

scientifiques novateurs.

Néologisme d’actualité

Mot existant dans la langue depuis plusieurs années mais dont la réalisation

effective du référent qu’il désigne est réactualisé et répond à un besoin

socioéconomique ou socioculturel important au sein d’une société à un moment

donné de son développement.

Ce mot peut donc être ressenti comme néologique par les locuteurs en raison de

la popularité et de l’importance dont il jouit sur la scène publique à un moment

donné, et surtout parce qu’il représente un moment fort de changement au sein

de cette société.

Le néologisme d’actualité peut correspondre à plusieurs situations. Il peut

résulter d’une période de latence où le concept était à l’état d’idée ou

hypothétique (pensons aux inventions ou aux idées non commercialisés). Il peut

s’agir d’un néologisme ayant plusieurs cycles de vie ou encore d’un néologisme

étant tombé dans l’oubli mais revenant sur la sellette après un certain temps,

avec un changement perceptible, reflétant le changement sociétal à travers la

réactualisation du néologisme, de l’objet ou de l’idée.

Page 194: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

172

En tenant compte des définitions de ces deux concepts, nous allons maintenant démontrer

en quoi ces termes appartiennent, dans ce cas-ci, aux deux catégories. Il existe des cas de

néologismes conceptuels qui ne sont pas des néologismes d’actualité et vice-versa, nous en

donnerons des exemples par la suite. Mais avant, nous poursuivons la démonstration avec

les concepts de « nation » et d’« identité », lesquels ont effectivement fait l’objet d’un

questionnement dans l’engouement des fêtes du 400e de la ville. Au moment où la ville de

Québec et le gouvernement fédéral tentent de s’approprier les faits historiques pour servir

leurs idéologies politiques, chacun utilisera donc des éléments identitaires forts afin de

véhiculer ses propres conceptions. Puis, de par la tenue hautement médiatisée de ces débats,

ces termes sont également des néologismes d’actualité au sens où ils sont remis sur la

sellette et débattus largement. Cette conjoncture spéciale n’est pas sans rappeler la motion

qui avait été adoptée par le gouvernement canadien en 2006; motion qui décrétait et

reconnaissait la nation québécoise au sein d’un Canada uni. À cet effet, le Bloc Québécois

affichait :

Parce que les Québécoises et les Québécois forment une nation composée de gens d’origines et

de langues diverses, dont la langue publique commune est le français.

Parce que la nation québécoise est différente de la nation canadienne et des autres nations du

monde, ni meilleure, ni pire, et parce que la nation québécoise reconnaît et établit des

partenariats d’égal à égal avec les peuples autochtones.

Parce que l’économie québécoise est différente, avec des institutions particulières comme la

Caisse de dépôt et placements, Investissements Québec, la Société générale de financement, le

Fonds de solidarité de la FTQ, Fondactions de la CSN, le Mouvement Desjardins, la Banque

nationale, ses coopératives agricoles, son économie sociale, ses secteurs de pointe comme

l’aéronautique, la biotechnologie, le multimédia et ses façons de faire telles que les sommets

économiques, la concertation et les partenariats. (Bloc Québécois, 200621,).

Ainsi, la nation québécoise est revue en fonction de l’adoption de cette motion et redéfinie

également lors des questions d’accommodements raisonnables et du 400e de la ville de

21

Réf.

Site du Bloc Québécois, « Parce

qu’on

est

différents »,

[En

ligne],

http://www.blocquebecois.org/fichiers_public/10raisons.pdf.

Page 195: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

173

Québec. Les néologismes d’actualité répondent hors de tout doute ici à un besoin d’ordre

socioculturel, voire identitaire; c’est pourquoi ils sont débattus avec autant de vigueur sur la

scène politique. Puis, comme nous l’avions abordé au chapitre 3, la Commission de

consultation sur les pratiques d’accommodements reliées aux différences culturelles a

également eu lieu en 2006-2007 alors que ces questions battaient leur plein sur la scène

politique québécoise et canadienne. Ainsi, il n’est pas surprenant de voir les deux paliers de

gouvernement poursuivre le débat à l’occasion du 400e anniversaire de la ville de Québec.

Ces discussions, dans le cadre de la Commission, avaient suscité une créativité lexicale,

engendré des néologismes formels, conceptuels et sémantiques : pratique d’harmonisation

interculturelle, pluriconfessionnalité, ajustement concerté, dynamique transculturelle, etc.

Au cœur de ce débat de société, les concepts de « nation québécoise » et d’« identité

québécoise » ont été largement débattus. Nous expliquerons maintenant à l’aide de citations

des événements (Commission de consultation sur les pratiques d’accommodements reliées

aux différences culturelles, débats politiques, 400e de la ville de Québec, travaux

sociologiques) en quoi ils sont des néologismes conceptuels et d’actualité dans ce contexte

précis.

Nous commencerons par définir nation et identité à partir de leur sens lexicalisé au PR

2001 :

nation (sens 2) : « Groupe humain, généralement assez vaste, qui se caractérise par la

conscience de son unité (historique, sociale, culturelle) et la volonté de vivre en commun ».

nation (sens 3) : « Groupe humain constituant une communauté politique, établie sur un

territoire défini ou un ensemble de territoires définis, et personnifiée par une autorité

souveraine ».

Page 196: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

174

identité culturelle (sous identité, sens 3 Psychol.) : « Ensemble de traits culturels propres à

un groupe ethnique (langue, religion, art, etc.) qui lui confèrent son individualité; sentiment

d'appartenance d'un individu à ce groupe ».

Ces attestations de sens, largement reconnues, sont celles qui correspondent le plus aux

concepts que nous voulons présenter par rapport à la nation québécoise et à l’identité

québécoise; mais nous verrons, avec les éléments suivants, en quoi, même des termes aussi

fixés, en apparence, que nation et identité, peuvent revêtir des concepts infinis en fonction

d’une situation de communication précise. C’est exactement dans ce sens qu’ils sont

conceptuels et d’actualité dans le cas présent.

Par ailleurs, il suffit de consulter les nombreuses conceptions de « nation » des sociologues

et philosophes les plus répandues au cours de l’histoire pour comprendre que la nation est

bien conceptuelle en fonction d’un moment donné de l’histoire pour un groupe donné. À

cet effet, nous allons présenter les principales conceptions de la nation (regroupées sous

trois catégories : nation ethnique, nation civique et nation postmoderne) dans le schéma

4.22 :

Ainsi, il est possible de constater ici qu’il existe autant de conceptions de la nation qu’il

existe de nations. Dans le cadre des événements qui nous concernent au Québec, la

conception sociologique de la nation qui rejoint le plus celle qui a été redéfinie et débattue

au cœur de l’actualité entre 2006 et 2008 est celle de A. D. Smith, la nation ethno-

symbolique :

[La nation est] a named human population sharing an historic territory, common myths and

historical memories, a mass, public culture, a common economy and common legal rights and

duties for all members (2004 : 24).

22

Réf. Van Drom et Pelletier (2008).

Page 197: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

175

Schéma 4.

Conceptions de la nation

Les conceptions de la nation

· Renan (1874):

« Une nation est un

principe spirituel,

résultant des

· Herder (1774):

« la politique crée les États, la nature

crée les Nations. *…+ La Nation ne

résulte pas d’une volonté politique

complication

profondes de

l’histoire, une

famille spirituelle, non un groupe

Conception

ethnique

(romantique)

ancestrale mais d’un déterminisme

culturel. Ce n’est pas un individu

abstrait forgé par des hommes mais un

collectif individué… ».

déterminé par la

configuration du

sol ».

Conception

civique

(rationnelle)

Conception

· Anderson (1983): « La nation a été inventée où elle

n’existait pas avant »

synthétique

(postmoderne)

· Hall (1996): L’homme est non seulement un

citoyen, il participe également à l’idée de la nation

comme elle est représentée dans sa culture. Une

nation est une communauté symbolique... ».

Selon Smith (1986 : 216), « les nations modernes "civiques" n’ont pas, en pratique,

réellement transcendé l’ethnicité et les sentiments ethniques », c’est donc exactement en

ces termes qu’est débattue à l’assemblée nationale canadienne, au parlement québécois et

sur toutes les tribunes de l’actualité la « nation québécoise ».

Ainsi, devant la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodements reliées

aux différences culturelles, le 8 février 2007, le premier ministre du Québec, M. Jean

Charest, affirmait :

Premièrement, le Québec est une nation. Notamment par son histoire, sa langue, sa culture et

ses institutions. La nation du Québec a des valeurs, des valeurs solides, dont entre autres :

L’égalité entre les femmes et les hommes.

La primauté du français.

Page 198: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

176

La séparation entre l’État et la religion.

Ces valeurs sont fondamentales. Elles sont à prendre avec le Québec.

Devant la même commission, le Parti Québécois déposait un Mémoire sur les pratiques

d’accommodements reliées aux différences culturelles, le 17 octobre 2007, dans lequel il

présentait l’« identité québécoise » en ces termes :

L’identité québécoise est fondée sur une longue histoire, sur une langue et une culture

communes bien vivantes, sur une fierté légitime et une farouche volonté collective de survivre

et de s’épanouir comme nation libre.

Ces conceptions de la nation et de l’identité dans la société québécoise sont également bien

décrites par Dorais dans son approche de l’État-nation :

Dans un État-nation multiculturel et (ou) plurilinguistique, il arrive souvent que la population

majoritaire possède une identité nationale (Canadien au Canada, par exemple), alors que les

minorités sont définies et se définissent généralement elles-mêmes selon leur ethnicité

(Autochtone, Québécois, Italo-Canadien, Sino-Canadien, etc.). De nos jours cependant, on

s’attend normalement à ce que les minorités partagent elles aussi l’identité nationale commune

(même lorsqu’elles gardent leur ethnicité) et, jusqu’aux années 1990, on croyait généralement

que les identités ethniques étaient destinées à disparaître. C’est toutefois loin d’être le cas et les

groupes ethniques qui considèrent avoir le droit de se gouverner eux-mêmes sur un territoire

donné (les Premières Nations ou les Québécois par exemple) se réclament maintenant souvent

d’une identité nationale qui leur est propre (Dorais 1995).

Ainsi, poussés par le flot des événements rassembleurs (400e de la ville de Québec, la

Commission de consultation sur les pratiques d’accommodements reliées aux différences

culturelles, la motion adoptée au gouvernement fédéral), les Québécois redéfinissent leur

identité et leur nation et réclament, en effet, comme le mentionnait si justement Dorais, une

Page 199: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

177

conception de nation et d’identité qui leur est propre et actuelle. C’est pourquoi nous

affirmons que ces termes sont à la fois des néologismes conceptuels et d’actualité dans ce

contexte hautement stimulant et néologique à différents niveaux comme nous avons pu

l’illustrer.

Ainsi, la nation et l’identité québécoises, sont passées d’une conception ethnique

(« Québécois de souche ») à une conception civique (« citoyens de la société québécoise

depuis la naissance ou suite à une immigration »), mais avec une touche encore tangible

d’ethno-symbolisme. Ces concepts sont redéfinis et réactualisés à un moment fort

important du développement socioculturel du Québec.

Ce domaine d’actualité, les accommodements raisonnables, engendre donc à la fois de la

néologie formelle (nouvelles formes facilement repérables à l’aide des critères de

néologicité factuelle classique) : pratique d’harmonisation interculturelle,

pluriconfessionnalité, ajustement concerté, dynamique transculturelle; de la néologie

sémantique puisque certaines de ces formes ont été définies pour l’occasion dans le

glossaire de la commission. Leur sens est donc attesté dans un ouvrage officiel et public.

Cependant, ces nouvelles formes et ces nouveaux sens sont parfois hautement conceptuels

et demeurent difficiles à saisir au-delà de la définition, au-delà du débat puisqu’ils se

situent justement à ce niveau abstrait, cognitif, là où les concepts sont en éternelle mutation,

là où un changement majeur de conception d’une société est en train de s’opérer. Puisque

ce changement se fait sur une période donnée, pendant ce temps, les concepts continuent

d’évoluer, de se préciser. C’est pourquoi dans les textes, lorsqu’on analyse les usages qui

sont faits de ces néologismes, ils ne sont pas purement formels et/ ou sémantiques, ni

unanimement employés. Ces usages existent, pourtant, ils sont partout, dans les discours

oraux et écrits. Ils sont difficiles à saisir, à tout le moins pour les experts du domaine et les

linguistes, puisqu’ils sont en train de se définir; ils sont en plein milieu d’un processus.

C’est d’ailleurs pour cette raison qu’on peut lire dans le rapport de la Commission que « la

construction d’une identité commune est déjà engagée » (Bouchard, G. et C. Taylor 2008 :

Page 200: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

178

94). Ces néologismes sont nécessaires à la création d’un débat, à la participation de la

communauté, il est donc impossible d’attendre que leurs sens se fixent ou disparaissent

après x nombre d’années pour les considérer, les définir. C’est pourquoi nous nous sommes

particulièrement intéressée à ces phénomènes, auxquels les linguistes sont souvent

confrontés. Pouvoir, à tout le moins, les saisir, les définir et les identifier à l’aide d’une

étiquette en tant que phénomène langagier peut aider à l’avancement des recherches. Bien

entendu, pour le linguiste qui doit créer une définition du néologisme conceptuel ou du

néologisme d’actualité, il n’existe pas de recette magique, nous sommes bien consciente de

ce problème dans la pratique, mais de pouvoir signaler en note qu’il est en voie de

redéfinition ou de réactualisation aiderait à la compréhension du phénomène.

Ainsi, un néologisme peut être à la fois formel, sémantique, conceptuel et d’actualité. Un

néologisme peut aussi être conceptuel et d’actualité sans être formel ou sémantique tels que

les concepts de nation et d’identité québécoises. Un néologisme peut aussi être uniquement

d’actualité tel que la voiture hybride, réactualisée par les nouveaux modèles améliorés et

vendus sur le marché à l’époque où la consommation d’énergie renouvelable est un débat

de société fort important. La réactualisation de cet objet peut l’amener à être perçu comme

néologique dans ce contexte, mais évidemment pas sur le plan formel, sémantique ou

conceptuel. Tout comme un néologisme peut être strictement formel, par exemple, dans le

cas d’un signifié décrit dans une autre langue, nous pouvons créer une nouvelle forme dans

la langue d’usage pour importer ce sens. Dans le cas des néologismes sémantiques, ils sont

souvent strictement sémantiques puisqu’ils cumulent des sens sur des formes déjà

existantes. Par contre, si une invention apparaît, la forme et le sens seront tous deux créés

en même temps; ce néologisme serait alors formel et sémantique. Toutes les combinaisons

sont possibles. Ce qu’il importe de retenir, c’est qu’il y a d’autres manifestations

néologiques que celles décrites et étudiées traditionnellement (formelles et sémantiques).

Nous avons décrit théoriquement ces phénomènes avec le néologisme conceptuel et le

néologisme d’actualité, dans l’espoir que la description théorique puisse inspirer d’autres

chercheurs à trouver des solutions dans la gestion de ces néologismes. Ce serait là un

souhait très certainement pour l’avancement des recherches en néologie.

Page 201: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

179

Cet exemple de domaine d’actualité à lui seul a permis d’illustrer non seulement nos

notions de la néologie mais aussi de représenter le caractère symbolique et identitaire de la

néologie :

« […] le néologisme prend la force d’un symbole: tout en faisant souche dans la forme, il sert

indéniablement de point d’ancrage à la réflexion philosophique » (Pruvost et Sablayrolles

2003 : 30-31).

Finalement, lorsqu’il est question de politique, les néotermes peuvent aussi être utilisés

comme des instruments de pouvoir :

Les néotermes en circulation ainsi que leurs sens véhiculés entraînent dans leur sillage la

circulation des discours, des mots comme instruments de pouvoir, mis en scène dans les

discours afin de représenter ces réalités sociales en perpétuel changement (Van Drom et

Pelletier 2009 : 163).

Page 202: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

180

4.4.

Conclusion

Dans ce chapitre, nous avons pu illustrer la typologie et les définitions de la néologie à

l’aide d’exemples actuels, évocateurs et révélateurs des moments forts que vit la société

québécoise ces dernières années. Nous sommes persuadée que ce modèle pourra aider

grandement à la compréhension, à la catégorisation et à l’analyse des activités néologiques.

L’ajout du critère de néologicité basé sur le degré de nouveauté conceptuelle et

référentielle, tant synchronique que diachronique, ouvre une nouvelle perspective

d’analyse, et permet de recenser les néologismes conceptuels et d’actualité. Par ailleurs, les

quatre domaines permettent aussi de nommer et d’expliquer des phénomènes langagiers

courants. Nous avons pu identifier à l’aide de nos observations tous les phénomènes

néologiques qui nous entourent. Nous souhaitons donc que ce modèle puisse servir dans

différentes recherches, tant en langue générale qu’en langue spécialisée, autant dans les

recherches universitaires que publiques ou privées. De plus, nous sommes convaincue que

ce modèle est facilement applicable et adaptable dans les autres langues que le français. Il

serait intéressant de l’appliquer dans un projet multilingue. Voilà un souhait que nous

émettons ici.

La néologie est directement liée aux phénomènes de variation terminologique que nous

avons analysés. Ce chapitre permet donc d’effectuer une transition vers le dernier chapitre

de notre thèse qui expliquera toutes ces relations directes entre la néologie, la variation

terminologique, la métaphorisation et les causes linguistiques et extralinguistiques de la

variation terminologique.

En conclusion, la néologie est une sphère d’activités linguistiques passionnante puisqu’elle

nous révèle, tant en synchronie qu’en diachronie, comment a vécu une société, et par

quelles transformations culturelles, sociologiques, économiques, politiques, technologiques,

scientifiques elle est passée dans son histoire. Étudier les mots nouveaux, c’est donc

Page 203: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

181

observer l’évolution d’un peuple, c’est comprendre les débats au cœur de son histoire, c’est

voir à travers la loupe de la linguistique des tas de phénomènes extralinguistiques. En

somme, les mots sont le reflet par excellence de la pensée et de l’activité humaines, de

l’univers entier dans lequel elles gravitent, et constituent autant de symboles forts et

identitaires que la langue puisse offrir.

Page 204: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

Schéma 1. Typologie de la néologie

NÉOLOGISME

(néologisme créé ou

répertorié)

NÉOTERME

(néoterme créé ou répertorié)

CRITÈRE DE NÉOLOGICITÉ

IMPLICITE

(sentiment de nouveauté)

CRITÈRE DE NÉOLOGICITÉ

(degré de nouveauté

en synchronie: datation et

lexicalisation dict.)

CRITÈRE DE NÉOLOGICITÉ

(degré de nouveauté

conceptuelle: analyse

cotextuelle et contextuelle)

CRITÈRE DE NÉOLOGICITÉ

(degré de nouveauté

référentielle en diachronie:

analyse cotextuelle et

contextuelle)

NÉOLOGISME FORMEL

(signifiant)

NÉOLOGISME SÉMANTIQUE

(signifié)

NÉOLOGISME CONCEPTUEL

(concept)

NÉOLOGISME RÉFÉRENTIEL

(référent )

182

Page 205: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

Schéma 2. Typologie de la néologie (avec exemples)

NÉOLOGISME

ex. montréalisation, biodollars, décédo-

dollars, cyberculturel, bien-écrivant

NÉOTERME

ex. haute efficacité énergétique, habitat

vert, biochar, agrinergie

NF

ex. écoactivité, luminothérapie, IPS,

consommation

durable

NS

ex. croisiériste, fusillade, éco-

indicateur, efficience dynamique

NC

ex. accommodement raisonnable, stock du

capital, nation québécoise

NF

ex. énergie solaire, voiture hybride,

nanomachine, nation québécoise

183

Page 206: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

Schéma 3. Typologie des domaines néologiques

DOMAINE NÉOLOGIQUE

DOMAINE RENOUVELEUR

DOMAINE RÉSISTANT

DOMAINE D'ACTUALITÉ

184

Page 207: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

Le chapitre 5 : Le modèle des causes de la variation terminologique

Page 208: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

185

5.

Modèle des causes de la variation terminologique

En nous inspirant des études antérieures, plus spécifiquement des modèles développés par

Freixa et Nyckees, et des hypothèses et analyses présentées dans cette thèse, nous

souhaitons terminer par la présentation du modèle d’analyse des causes de la variation

terminologique.

Ce modèle permet en quelque sorte de reprendre toutes les idées développées dans la thèse

et d’expliquer les liens que les différents types de néologismes ou de variantes entretiennent

entre eux dans la réalité sociolinguistique. La langue est ainsi vue comme l’instrument et

l’outil de communication par excellence des êtres humains (acteurs de la communication),

lesquels subissent des influences internes (les causes proprement linguistiques) et externes

(les causes extralinguistiques, soit les causes socioculturelles, cognitives et

communicationnelles). La langue, dans ce contexte, ne peut être écartée de l’ensemble,

représenté par la réalité dans laquelle les acteurs de la communication vivent et l’utilisent.

Nous nous situons donc toujours dans cette perspective communicationnelle et

socioterminologique.

Avant d’expliquer le modèle, nous souhaitons récapituler les modèles de causes présentés

par Freixa et Nyckees. Ensuite, nous exposerons le modèle et nous effectuerons des liens

entre les hypothèses théoriques développées dans cette thèse (le modèle de la variation

terminologique, le processus de la métaphorisation terminologique, la chaîne de la

polysémie, la théorie de la polysémisation, la typologie de la néologie et notre modèle). Ce

modèle d’analyse des causes linguistiques et extralinguistiques de la variation

terminologique se veut donc la synthèse de tous les travaux publiés sur le domaine avec nos

réflexions et la mise en schémas de tous ces phénomènes de langues et de société.

Page 209: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

186

5.1.

Modèle des causes de la variation dénominative de Freixa : récapitulatif

Au chapitre 1, nous avons exposé en détail les causes de la variation dénominative

identifiées par Freixa, cette fois-ci, nous nous permettrons un r egard plus critique et

quelques prises de position qui justifieront par la suite le choix des causes et le

regroupement que nous avons effectués dans notre modèle.

1. Causes dialectales

2. Causes fonctionnelles

3. Causes discursives

4. Causes interlinguistiques

5. Causes cognitives

Dans les causes dialectales, Freixa aborde la variation géographique (selon les langues,

selon les secteurs de la connaissance). En ce qui nous concerne, les causes dialectales

rejoignent plutôt les causes formelles, proprement linguistiques. Les dialectes seraient à

aligner à côté des langues, comme outils de communication (voir le schéma 5 à la fin de ce

chapitre). Les secteurs des connaissances ont plutôt un lien, selon nous, avec la vie

socioculturelle et l’évolution des technologies. En ce qui concerne la variation

chronologique et la variation sociale identifiées par Freixa, nous les situons plutôt du côté

des causes socioculturelles.

Les causes fonctionnelles et discursives 1 mises de l’avant par Freixa (champ, canal, teneur,

ton / créativité, emphase, expressivité) sont à relier directement à ce que nous regroupons

sous les causes communicationnelles, suivant toujours la perspective communicationnelle

de la terminologie développée par Cabré. En effet, le ton ou le médium employé font partie

1

Revoir le chap. 1.8.1 et 1.8.2 pour plus de détails à ce sujet.

Page 210: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

187

de la situation de communication. Ainsi, l’emphase, l’expressivité et la créativité

employées par un a cteur de la communication, consciemment ou i nconsciemment, se

situent dans cette même perspective. C’est pourquoi nous préférons les inclure dans la

catégorie des causes communicationnelles. Les situations et les acteurs de la

communication se situent donc de chaque côté de la langue : leur outil de communication

privilégié.

Les causes interlinguistiques, quant à elles, sont directement incluses dans les causes

proprement linguistiques. Ainsi, les phénomènes de variation provenant des langues en

contact, des dialectes, des formes en concurrence (qu’il soit question d’emprunts, de

calques ou d’adaptations) sont à étudier dans les causes linguistiques.

Les causes cognitives identifiées par Freixa nous interpellent plus spécifiquement et nous

avons décidé de les conserver en tant que catégorie de causes importantes, notamment dans

le rôle qu’elles jouent dans la production de métaphores, de changements de sens qui

engendrent directement tant la variation conceptuelle que la variation polysémique. On peut

ainsi considérer la néologie conceptuelle, sémantique et d’actualité comme étant autant de

manifestations. Nous y reviendrons donc un peu plus loin.

5.2.

Modèle des causes des changements de sens de Nyckees : récapitulatif

Le modèle développé par Nyckees quant à lui se divise en deux grandes catégories de

causes que nous allons également mettre en rapport avec notre modèle et avec celui de

Freixa.

1. Causes socioculturelles

2. Causes formelles

Page 211: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

188

Dans les causes socioculturelles identifiées par Nyckees, il y a trois grandes sous-

catégories, les circonstances culturelles, c’est-à-dire les conditions de vie (techniques,

coutumes, institutions, vie intellectuelle). Dans cet ordre d’idées, nous avons retenu cette

sous-catégorie et nous la regroupons également sous les causes socioculturelles dans notre

modèle.

La deuxième sous-catégorie de Nyckees touche les emprunts entre groupes sociaux, tout

ce qui concerne les migrations de mots et de sens entre LG-LSP incluant les extensions et

restrictions de sens et les ellipses. Ici, nous sommes plutôt d’avis que ces phénomènes

entrent directement dans la catégorie des causes linguistiques. Bien entendu, ces

changements sont tributaires des autres causes socioculturelles, mais ils se manifestent

plutôt au niveau même du signe linguistique, du processus évolutif de la langue.

La troisième sous-catégorie représente les changements dus aux valeurs sociales incluant

les tabous et euphémismes, la tendance péjorative, le devoir d’expressivité et les thèmes

obsessionnels. Dans cette catégorie, nous sommes plutôt d’avis que l’expressivité et la

tendance péjorative entrent dans notre catégorie appelée causes communicationnelles. Les

tabous, euphémismes et thèmes obsessionnels entrent très certainement dans notre catégorie

des causes socioculturelles.

La seconde grande catégorie de Nyckees qui regroupe les causes formelles (contiguïté

formelle, attractions paronymiques, conflits homonymiques, anticipation des pannes

linguistiques) identifiées par l’auteur sont pour la plupart acceptées dans notre catégorie des

causes linguistiques à l’exclusion des figures classiques de la rhétorique desquelles nous

nous sommes déjà dégagées au chapitre 2 2. Nous excluons également les conflits

homonymiques de cette catégorie puisque nous sommes d’avis qu’il s’agit plutôt de types

2

Revoir chap. 2 pp. 47, 63-64, 73.

Page 212: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

189

de polysèmes tels que démontré au chapitre 3. Pour ce qui est de l’anticipation des pannes

linguistiques, nous croyons que la résolution se fait naturellement en contexte, ce qui

explique que nous ne l’aborderons pas spécifiquement.

5.3.

Notre modèle de la variation terminologique

Dans notre introduction, nous avons présenté notre conception de la variation

terminologique comme un modèle à trois composantes. Nous revenons donc sur ce modèle

avant de présenter les causes de cette VT.

Schéma 1.

La variation terminologique : un modèle à trois composantes

Notre schéma se divise donc en trois composantes : la variation dénominative, la variation

conceptuelle et la variation polysémique.

Page 213: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

190

Dans la première composante, l’accent est mis bien entendu sur le signifiant revêtant

plusieurs formes différentes pour exprimer un m ême signifié (avec différents degrés de

nuances selon les situations de communication). Ainsi, une forme (une dénomination) porte

en elle une valeur qui lui est conférée par le contexte et le cotexte. La variation

dénominative est le phénomène de la variation terminologique le plus visible, le plus facile

à observer dans la réalité. Les textes foisonnent de variantes dénominatives, les

dictionnaires les recensent, il est donc facile de décrire ce phénomène. Là où la difficulté

est plus élevée, c’est lorsqu’il s’agit d’observer et d’identifier les phénomènes de variation

conceptuelle et de variation polysémique. Ces deux phénomènes ne peuvent pas être

relevés par les outils linguistiques 3, dans un premier temps, ce qui rend plus difficile leur

analyse, mais peuvent l’être par une observation directe minutieuse. Ainsi, grâce à n os

recherches manuelles et à nos lectures de ces phénomènes (différents des phénomènes de

variation dénominative et davantage à relier au niveau du c oncept et du s ignifié), nous

avons pu dégager ces deux catégories de variantes terminologiques.

Nous souhaitons maintenant expliquer nos choix terminologiques des adjectifs conceptuel

et polysémique dans notre modèle. Nous aurions pu les dénommer variante perceptuelle et

variante sémantique. Mais selon nous, les termes variante conceptuelle et variante

polysémique permettent de représenter la distinction qui se fait au niveau du s igne et du

référent plus facilement au premier coup d’œil. Par ailleurs, ces termes sont plus précis.

Une variante sémantique pourrait englober tous les phénomènes impliqués (glissements de

sens, extension et restriction de sens, métaphorisation, métonymie) alors que le terme

variante polysémique rend bien compte d’un résultat et non d’ un processus. En effet, la

variante polysémique est le résultat d’un processus de polysémisation. Par ailleurs, il nous

permet d’effectuer une distinction claire entre le concept et le signifié. Le concept étant

situé au niveau cognitif, au niveau de la représentation de la pensée, sous la forme d’une

image mentale alors que le signifié se situe au niveau du s ens, donc du signifié reconnu

socialement comme résultante d’un processus d’évolution sémantique et sociale, recensé

3

Nous nous référons ici aux outils de dépouillement tels que les extracteurs terminologiques.

Page 214: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

191

dans les textes, les banques de terminologie ou dans les dictionnaires après une période de

flou conceptuel ou de lancement, c’est-à-dire après la création d’un mot nouveau.

D’autre part, l’utilisation du t erme variante polysémique nous a permis de garder un l ien

tangible entre le processus de métaphorisation terminologique et notre théorie de la

polysémisation. Ainsi, nous sommes en mesure de présenter ces liens dans un tout cohérent

et transparent, donc totalement motivé de notre part.

5.4.

Liens entre la typologie de la néologie et le modèle de la variation

terminologique

Au chapitre 4, nous avons expliqué la typologie de la néologie et les réflexions entourant

cette sphère d’activité. Il nous est maintenant possible d’établir des liens directs entre la

typologie de la néologie et le modèle de la variation terminologique à trois composantes.

Si nous reprenons l’idée du continuum de la socio-diffusion (Gambier 1991 : 13), que nous

avons nommé à quelques reprises dans cette thèse, il va de soi que la phase préalable à

l’éclatement de la notion est la création du terme-concept. Toute la typologie de la néologie

que nous avons mis au point (présentée au chapitre 4) est donc directement associée aux

types de variation terminologique que nous avons identifiés. Voici un schéma qui exprime

ces relations :

Page 215: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

192

Schéma 2.

Incidence entre la néologie et la variation terminologique

NF

NS

NC

NR

VD

VP

VC

VT

Nous allons maintenant décortiquer ce schéma. Tous les types de néologie, qu’ils soient

formel, sémantique, conceptuel ou référentiel correspondent à un t ype de variante

terminologique. Une nouvelle forme, une nouvelle dénomination créée par un néologisme

formel engendrera directement une nouvelle variante dénominative 4. Un néologisme

sémantique créera à son tour une variante polysémique, un né ologisme conceptuel une

variante conceptuelle et un néologisme d’actualité une variante terminologique (les trois

types seraient envisagés).

Ces liens entre les deux pourraient aussi être représentés de la façon suivante (voir schéma

3 à la page suivante).

Il est intéressant de représenter les liens unissant la néologie et la variation terminologique

en gardant toujours un p arallèle avec le signe linguistique. Ainsi, la néologie formelle se

situe au niveau du s ignifiant, la néologie conceptuelle au niveau du concept, la néologie

sémantique au niveau du signifié et la néologie d’actualité au niveau du référent.

4

Bien entendu, en autant que cette forme ait déjà une concurrente formelle en circulation.

Page 216: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

(sã) (co) (sé) (rã)

(sã) (co) (sé)

193

Du côté des types de variation terminologique, nous pouvons aussi effectuer ce parallèle.

La variation dénominative se situe au niveau du signifiant, la variation conceptuelle au

niveau du concept, et la variation polysémique au niveau du signifié. Dans notre

conclusion, nous présenterons notre idée du signe linguistique à la lumière de nos présentes

recherches.

Schéma 3.

Liens entre la néologie et la variation terminologique (versus le signe

linguistique)

NEO

NF

NC

NS

NR

VT

VD

VC

VP

Page 217: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

194

5.5.

Le modèle des causes de la variation terminologique

Nous avons élaboré un modèle qui rend compte à la fois des causes linguistiques et

extralinguistiques de la variation terminologique. Nous souhaitions intégrer toutes ces

causes dans un e nsemble puisque nous sommes persuadée que chaque élément est

interrelié. Par ailleurs, nous souhaitions que ce modèle explique tant les phénomènes

formels, sémantiques que conceptuels. Il devait pouvoir être utilisé également dans l’étude

de la néologie ou da ns d’autres secteurs linguistiques, tant en langue générale qu’en

langues de spécialité.

Notre modèle est divisé en deux grandes catégories de causes : les causes linguistiques et

les causes extralinguistiques : socioculturelles, cognitives et communicationnelles. Avant

de présenter chacune des causes en détail, nous souhaitons préciser que leurs définitions se

trouvent au point 5.8. Le schéma 5, présenté à la fin du chapitre, permet également de bien

suivre les explications à partir d’ici. Examinons d’abord les causes linguistiques.

5.5.1. Les causes linguistiques de la variation terminologique

Dans cette catégorie, nous recensons tous les procédés de création lexicale, conceptuelle et

sémantique, puisque comme nous l’avons démontré précédemment, la néologie précède

généralement la variation. Elle en est donc, bien souvent, une des causes principales. Dans

la catégorie des causes linguistiques, nous incluons donc les causes proprement formelles,

conceptuelles et sémantiques.

Page 218: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

La typologie employée à l’OBNEQ est celle du groupe NEOROM, développée par l’équipe de Maria Teresa

195

Parmi les procédés linguistiques de création lexicale, nous reprendrons ici la typologie

utilisée dans le cadre de nos activités à l’OBNEQ 5, à laquelle nous ajouterons certains

éléments (NC, NS, NR, etc.):

5.5.1.2. Typologie des causes linguistiques

La néologie formelle

dérivation

composition

lexicalisation

conversion syntaxique

syntagmation

siglaison

acronymie

abréviation

variation orthographique

emprunts, calques, adaptations

La néologie conceptuelle et la néologie sémantique

glissements de sens

restrictions et extensions de sens

métaphorisation terminologique

métonymie

circulation des concepts et des sens 6 (LG-LSP; LSP-LG; LSP1-LSP2, etc.)

5

Cabré, directrice de NEOROM (Université Pompeu Fabra, Barcelone).

Page 219: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

C’est également l’idée des « concepts nomades » développée par la philosophe belge Isabelle Stengers

196

La contiguïté formelle et les attractions paronymiques

5.5.2. Les causes extralinguistiques de la variation terminologique

Parmi les causes extralinguistiques, nous avons sélectionné trois grandes catégories de

causes : les causes socioculturelles, les causes cognitives et les causes

communicationnelles. Nous les situons dans un ensemble qui est la réalité, le monde dans

lequel on vit, sur des axes différents. Les causes socioculturelles font partie de la réalité qui

nous entoure, laquelle influence à la fois les causes linguistiques et les deux autres types de

causes extralinguistiques : cognitives et communicationnelles (voir schéma 5).

Si nous représentons l’ensemble comme un rectangle bien délimité, la réalité est ce grand

ensemble dans lequel nous situons les causes socioculturelles englobant tout ce qui touche

la réalité en général, toutes les sphères de la vie telles que la vie économique et politique,

les innovations techniques et scientifiques, l’industrialisation, les thèmes d’actualité (un

peu dans le même ordre d’idées que les thèmes de prédilection ou obs essionnels de

Nyckees), c’est-à-dire tout ce qui préoccupe une société à un m oment donné de son

histoire. Dans cette catégorie entre tout ce q ui concerne la vie donc également les

phénomènes de mode, comme l’américanophilie à notre ère, ou les grands bouleversements

de l’environnement, la musique, l’histoire, la culture, etc.

Sur un a xe horizontal, nous situons les causes communicationnelles représentant donc

l’utilisation de la langue comme outil privilégié de communication entre les être humains,

6

(1987) lorsqu’elle parle du transfert des concepts d’une science à l’autre.

Page 220: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

197

les influences que les acteurs de la communication peuvent avoir sur la langue dans leur

usage de cette dernière.

À un ni veau abstrait, sur un a xe vertical, nous identifions les causes cognitives. Elles

représentent tout ce qui se fait à un niveau conscient ou inconscient de la pensée humaine

où l’aspect psychologique a un r ôle important à jouer. Ces phénomènes peuvent être

d’ordre individuel et collectif. C’est également à ce niveau que se situe tout ce qui touche le

concept, la matérialisation de la pensée humaine et la représentation de la réalité, qui

peuvent être différente d’une personne à l’autre, d’un groupe à l’autre; ce qui explique donc

l’influence que ces phénomènes cognitifs peuvent avoir sur l’être humain, sur les acteurs de

la communication et donc sur leur langage. Les aspects cognitifs sont également fortement

influencés par les aspects socioculturels et par les aspects communicationnels. Ces causes

sont toutes interreliées et ont chacune leur rôle à jouer dans l’explication des phénomènes

de variation terminologique.

Bien entendu, les causes linguistiques présentées précédemment sont aussi influencées par

ces causes extralinguistiques et vice-versa. La langue n’existe pas en dehors de la réalité ni

des êtres humains et de leur manière de concevoir le monde.

5.6.

Application du modèle avec l’exemple du développement durable

Nous souhaitons donner des exemples concrets de notre modèle afin d’illustrer chaque

catégorie de causes à p artir d’une même thématique. À cette fin, nous avons choisi le

domaine du développement durable. Les néotermes utilisés dans cet exercice d’illustration

Page 221: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

Voir les explications au sujet de ce projet dans le chapitre 4.

Nous donnons les définitions adoptées par le gouvernement provincial et fédéral; lesquels s’appuient sur les

Commission mondiale sur l’environnement et le développement, ce rapport intitulé Notre avenir à tous est

Nous sommes consciente que cette définition n’est pas parfaite sur le plan terminologique, mais c’est

Site de Santé Canada, Développement durable, Définition sur le développement durable, [En ligne],

198

proviennent de la BDI de l’OBNEQ, projet que nous avons réalisé en collaboration avec

l’OQLF au printemps 20107.

Qu’en est-il donc du développement durable? Avant de reprendre chaque section de notre

modèle des causes linguistiques et extralinguistiques de la variation terminologique, nous

souhaitons offrir les définitions les plus répandues8 relatives à cette thématique :

Selon la définition proposée en 1987 par la Commission mondiale sur l’environnement et le

développement dans le rapport Brundtland 9, le développement durable est :

« un développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la

capacité des générations futures à répondre aux leurs ». Deux concepts sont inhérents à cette

notion :

le concept de « besoins », et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis, à qui

il convient d’accorder la plus grande priorité.

l’idée des limitations que l’état de nos techniques et de notre organisation sociale impose sur la

capacité de l’environnement à répondre aux besoins actuels et à venir » (Rapport Brundtland

sur le Site du ministère du Développement durable, Québec) 10.

Le gouvernement fédéral canadien a adopté en 2008 la définition suivante dans sa loi sur le

développement durable 11 : « répondre aux besoins actuels sans compromettre la capacité

7

8

instances internationales.

9

soumis à l’Assemblée nationale des Nations unies en 1987 et repris sur le Site du ministère du développement

durable, de l’environnement et des parcs, Développement durable, Définition du développement durable, [En

ligne], http://www.mddep.gouv.qc.ca/developpement/inter.htm , (Page consultée le 18 novembre 2010).

10

celle qui est citée dans les ouvrages de références internationaux. 11

http://www.hc-sc.gc.ca/ahc-asc/activit/sus-dur/index-fra.php , (Page consultée le 18 novembre 2010).

Page 222: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

Relatif à la « science des rapports entre les sociétés humaines et leur environnement naturel » (Réf.

Site Wikipedia, Schéma du développement durable,[En ligne],

199

des générations futures de répondre aux leurs » (Commission mondiale sur l'environnement

et le développement, 1983).

Dans la définition du premier site, deux concepts sont explicités. Ces concepts reflètent les

besoins essentiels d’une part et la façon nouvelle de concevoir notre consommation en tant

qu’être humain sur la planète afin de répondre aux objectifs de la définition globale, soit de

préserver les ressources pour les générations futures d’autre part, donc de s’inscrire dans

une perspective à long terme (d’où l’adjectif durable dans le terme complexe).

Par ailleurs, avant de reprendre les causes, nous souhaitons préciser que le schéma

géonomique 12 expliquant le domaine du développement durable est divisé en trois grandes

sphères : écologique, économique et social. À l’intersection des trois sphères sont identifiés

les qualificatifs suivants : vivable, durable, viable, équitable (voir schéma 4 13).

12

géonomie, Wikipédia).

13

http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Sch%C3%A9ma_du_d%C3%A9veloppement_durable.svg , (Site

consulté le 25 novembre 2010).

Explication provenant du site : « Ce schéma a été présenté et diffusé par A. Villain (Géologue), en

1993, lors d'une réunion sur le développement durable à la communauté urbaine de Lille, l'idée

originale semble venir d'un bureau d'étude nommé Re-source. Il reprend les grands thèmes développés

lors de la préparation de la conférence mondiale de Rio (juin 1992). D'autres y ajoutent deux axes:

temps, et espace pour introduire la notion d'effets différés dans l'espace-temps. source : Site UVED

(Université virtuelle environnement et Développement durable).

Page 223: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

200

Schéma 4.

Schéma géonomique du développement durable

À partir d’ici, nous présenterons chacune des causes de notre modèle en nous appuyant sur

des exemples concrets et récents du développement durable. Nous commencerons notre

démonstration par les causes socioculturelles, poursuivrons avec les causes cognitives et

communicationnelles pour ensuite présenter les causes linguistiques.

5.6.1. Les causes socioculturelles : le développement durable

Dans notre modèle, les causes socioculturelles englobent tout ce q ue concerne la réalité

dans laquelle l’être humain vit, soit les thèmes d’actualité, la vie politique, économique,

sociale, culturelle, l’avancement des technologies, l’environnement, etc. À ce titre, la

thématique du développement durable entre dans plusieurs de ces sous-catégories. Elle se

situe en effet au cœur des préoccupations liées à l’environnement, mais elle est aussi à

Page 224: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

201

relier directement aux sphères écologique, économique et sociale comme nous l’avons vu

précédemment dans le schéma géonomique. Puis, de par son importance, le développement

durable constitue un thème d’actualité pour l’ensemble des êtres humains sur la planète.

À la lumière de ces informations, il n ous est facile de concevoir combien ce s ujet et ces

causes socioculturelles jouent un r ôle important dans notre modèle; lesquelles ont une

incidence sur toutes les autres causes. Commençons par voir en quoi elles se répercutent

notamment sur les causes cognitives.

5.6.2. Les causes cognitives : le développement durable

Parmi les causes cognitives de la VT, nous avons énuméré l’aspect psychologique

conscient ou i nconscient (individuel ou c ollectif), la représentation de la réalité qui peut

être différente selon chaque individu ou groupe (écoles de pensée, flou conceptuel, etc.).

À ce niveau, l’explication des deux concepts que nous avons présentés un peu plus haut

revêt toute son importance, car dans la conceptualisation même du développement durable

se recoupent ces deux concepts, ces deux préoccupations. Ces derniers sont ceux qui sont

présentés officiellement sur papier, mais dans la réalité, lorsqu’on s’intéresse au

développement durable, qu’on lit un peu sur le sujet et qu’on observe ce qui se passe autour

de nous, le thème du d éveloppement durable regorge de concepts plus ou m oins bien

définis ou délimités. Ce flou conceptuel s’explique notamment par la relative nouveauté de

cette conception différente de la planète, de cette représentation nouvelle qui exige de

nouvelles façons de consommer, de récupérer, de planifier et de traiter notre

environnement. Toute cette nouvelle conceptualisation amène de nouveaux comportements,

de nouvelles techniques, de nouveaux procédés et de nouveaux coûts; lesquels se voient

Page 225: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

202

ensuite dans les néotermes apparaissant pour les désigner, les dénommer. C’est pourquoi il

existe, entre autres, beaucoup de néologismes conceptuels et d’actualité dans ce s ecteur.

Ceux-ci engendrent donc beaucoup de variation terminologique. Nous le verrons très

concrètement à l ’aide d’exemples dans les causes linguistiques. Bref, toute l’activité du

développement durable exige énormément de l’être humain, sur le plan cognitif, pour

s’adapter à représenter ces nouvelles façons de concevoir l’avenir de sa planète. C’est donc

là une cause très importante de la VT. Regardons maintenant comment les causes

communicationnelles peuvent à leur tour prendre part à ce cycle de causes.

5.6.3. Les causes communicationnelles : le développement durable

Si nous reprenons l’ensemble, rappelons-nous que notre modèle entre dans une perspective

de la réalité où sont situées au premier plan les causes socioculturelles. Ensuite, sur l’axe

vertical se situent les causes cognitives et sur l’axe horizontal les causes

communicationnelles. Ainsi, la communication, au cœur de l’activité humaine, est

essentielle aux échanges entre les humains et leurs organisations. Dans une perspective du

développement durable, cette activité prend tout son sens. De nombreux rapports ont été

rédigés sur le sujet, glossaires, sites web de toutes sortes, etc. C’est donc dans cet échange,

à l’intérieur de ces communications qu’il nous est possible d’observer toute l’activité

linguistique qu’a générée le développement durable, mais avant même d’observer les

causes linguistiques, nous souhaitons mentionner que l’être humain, en tant qu’acteur de la

communication, crée lui-même toute cette activité linguistique. C’est pourquoi les causes

communicationnelles sont centrales. Ainsi, il faudra bien décrire ces nouveaux procédés,

ces nouveaux produits, ces nouvelles techniques engendrés par la nouvelle façon de gérer

l’environnement dans la perspective du développement durable.

Page 226: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

203

Certains organismes présentent donc leur propre conception du développement durable, il

en va de même pour les ministères ou c ertains groupes; ce qui augmente les

conceptualisations différentes, lesquelles présentent souvent des dénominations différentes.

Ainsi, de nouveaux termes sont crées, de nouvelles variantes voient le jour. Ces

phénomènes de variation terminologique sont donc hautement attribuables aux échanges

entre les acteurs du développement durable rencontrés dans ce secteur. Nous pourrons donc

désormais représenter la majorité des types de néologismes ou de termes identifiés dans les

causes linguistiques.

5.6.4. Les causes linguistiques : le développement durable

Avant de regarder attentivement les exemples linguistiques, il est important de rappeler que

la langue a été créée par l’homme afin de pouvoir communiquer, il serait donc impossible

d’imaginer les causes linguistiques en dehors de l’être humain et de la réalité qui l’entoure.

Si les formes, concepts ou sens linguistiques s’influencent, c’est aussi parce que dans sa

manière de penser, l’être humain peut faire des liens, des associations cognitives, donc il est

primordial aussi de les relier directement aux causes cognitives, qu’elles soient conscientes

ou inconscientes. Une fois cette précision faite, commençons par regarder la néologie

formelle.

Dans le domaine du dé veloppement durable, les néologismes formés par dérivation sont

très nombreux. Les préfixes les plus utilisés sont bio-, éco-, agri-, agro-, hydro-, etc.

Nous pouvons donc citer en exemples les néotermes suivants : écocentré (adj.),

agrocombustible, bioamplifier (dérivé et calqué d’un nom propre anglais), décarbonisation,

etc.

Page 227: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

204

Dans le cas des compositions, la majorité des néotermes rencontrés ont comme concurrents

des dérivations, ce qui engendre beaucoup de variantes dénominatives. Voici des

exemples : éco-activité et écoactivité, éco-certification et écocertification, éco-

consommateur et écoconsommateur, éco-cité et écocité, etc.

Ces phénomènes sont très présents et engendrent directement de la variation

terminologique, dès leur création.

Certains néotermes composés n’ont pas encore de concurrents formés par dérivation, mais

rien n’empêche l’apparition de variante dénominative de tout type, par exemple, condo-vert

et habitat vert ou bonus-malus écologique versus bonus/malus écologique.

Du côté de la siglaison, il en va de même, si un terme complexe est créé, ce dernier étant

souvent trop long, l’être humain va avoir tendance à le doter d’un sigle pour favoriser la

communication (principe d’économie linguistique), ce qui engendre aussi automatiquement

de nouvelles formes de variantes dénominatives : ACCV / analyse des coûts du cycle de vie,

ACV / analyse du cycle de vie, CCGI / cycle combiné à gazéification intégrée,

développement durable / DD, consommation durable / CD, etc.

Les mots-valises présents sont par exemple : agrinergie (formé à partir d’agriculture et

d’énergie; désigne un type d’énergie solaire exploité dans la culture des sols agricoles),

écolomie (de économie et écologie; désigne l’économie d’énergies), biochar (adapté en fait

du néologisme anglais bio- + charcoal (charbon de bois) pour lequel on r etrouve les

variantes dénominatives charbon vert et agrichar (appliqué plus spécifiquement aux sols

agricoles) et consom’action (dont la variante dénominative est consommation responsable

et dont le terme consom’acteur a été dérivé).

Page 228: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

205

Pour les abréviations, nous pouvons donner quelques exemples intéressants : déclaration

environnementale de produit / déclaration environnementale, déchet radioactif de haute

activité et à vie longue / déchet HAVL, plan climat territorial / plan climat.

Les variantes orthographiques ont déjà été illustrées avec les variantes de trait d’union

entre les néotermes formés par dérivation ou par composition tels qu’écoguide / éco-guide,

éco-ingénierie / écoingénierie, etc.

Les cas de syntagmes sont également très nombreux dans le secteur du dé veloppement

durable et ils ont souvent des variantes dénominatives (sigles ou a utres syntagmes) :

bâtiment résidentiel vert, approche zéro carbone, approche zéro déchet, aménagement

durable, énergie solaire photovoltaïque, etc.

Voici quelques exemples de variantes dénominatives avec des syntagmes : bâtiment passif /

habitat passif, taxe carbone / contribution climat-énergie, énergie thermique océanique /

énergie thermique des mers / énergie thermique des océans, etc.

En ce qui concerne la conversion syntaxique, nous n’avons pas d’exemples du

développement durable, mais nous pouvons en citer quelques-uns provenant de la BDI de

l’OBNEQ tels que éolien (n.m. conversion de l’adjectif), retombante (n.f. conversion de

l’adjectif; désigne une plante), virtuel (n.m. conversion de l’adjectif; en parlant du monde

des jeux vidéos), etc.

Puis, nous avons deux exemples de lexicalisation de noms propres. Le premier est un

véritable cas de lexicalisation, il s’agit du néoterme fordiste (d’après Henry Ford et son

modèle de relation au travail dans la création d’entreprise). Le deuxième exemple est en

Page 229: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

Réf. Par méton., sous « vert» au TLFi.

206

réalité une composition et une variante dénominative basées sur une lexicalisation au

préalable de la base du néoterme : post-kyoto qui a la variante dénominative après-kyoto.

Regardons maintenant les néologismes conceptuels et sémantiques rencontrés dans ce

secteur. Du côté de la métonymie, nous pouvons accorder une mention spéciale à tous les

néotermes qui ont été créés avec l’ajout de l’adjectif vert à une base. En transposant un

qualificatif de lieu (sous-entendu « couvert de végétaux, de verdure »14) à un état de fait

écologique, ce processus métonymique permet de créer une grande série de termes du

domaine du développement durable : croissance verte, investissement vert, dépense verte,

logement vert, cadastre vert, certificat vert, électricité verte, consumérisme vert, etc.

Ces créations métonymiques sont prolifiques dans le domaine du DD et de l’environnement

en général.

Du côté des glissements de sens et de la circulation des concepts et des sens, nous

pouvons citer l’exemple du néoterme actif naturel. Il s’agit d’un bon exemple de

glissement de sens et de circulation entre langues de spécialité. Son sens provient d’abord

de l’écologie, ensuite il est passé à l ’environnement et finalement au développement

durable. Son sens s’est adapté et modulé aux besoins et nécessités de description de ces

secteurs. Il est notamment employé comme variante dénominative du terme éco-système.

Les emprunts à l’anglais ne sont pas nombreux, ce qui signifie que le secteur du

développement durable se renouvelle bien en français (il serait donc un dom aine

renouveleur tel que nous l’avions expliqué au chapitre 4). Les quelques emprunts à

l’anglais rencontrés sont air sparging (dont l’équivalent et la variante dénominative est

barrière de barbotage à l ’air), carbon free (qui signifie « sans émissions de gaz

14

Page 230: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

Pelletier, J., OBNEQ (9 juin 2010), Rapport remis à Mme Danielle Turcotte, Projet de néologie.

207

carbonique », l’OBNEQ 15 avait proposé l’équivalent et la variante dénominative carbone

zéro) et nimby (acronyme anglais à l a base qui veut dire « Not In My Back Yard ») dont

l’équivalent semble être la locution « pas dans ma cour ».

Le calque éco-sympathique (de éco-friendly) est plutôt efficace et les adaptations suivantes

sont bien implantées également : aire biologique productive, classement écologique des

terres, zone de transition.

15

Développement durable, Québec, OQLF, 22 p.

Page 231: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

Cf. Définitions de cause provenant du TLFi et GR 2005, autres définitions adaptées de ces deux ouvrages

208

5.7.

Les définitions des notions des causes de la variation terminologique

Causes

« Ce qui produit un effet 16 » L’effet étant ici la variation terminologique.

Causes communicationnelles

Causes liées à la situation de communication entre les acteurs (émetteurs-récepteurs).

Causes socioculturelles

Causes liées à un groupe humain, à ses structures sociales et à sa culture.

Causes cognitives

Causes liées aux mécanismes d’acquisition des connaissances.

Causes linguistiques

Causes liées au langage et à l’interaction des langues.

16

de référence.

Page 232: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

209

5.8.

Conclusion

Nous avons pu dé montrer dans ce ch apitre, à l’aide d’exemples concrets et actuels,

comment le modèle des causes pouvait s’appliquer à l ’analyse des phénomènes

socioterminologiques. Nous sommes également d’avis que ce modèle peut s’adapter et

s’appliquer facilement à tout phénomène linguistique. En effet, nous croyons que les

phénomènes de variation en langue générale ne sont pas différents des phénomènes

observés en LSP.

Ainsi, nous avons pu établir des liens importants entre les types de néologismes et les types

de variantes terminologiques. Le modèle des causes permet de comprendre les mécanismes

en cours dans l’apparition de nouvelles variantes terminologiques. Comme la création de

nouveaux mots, concepts et sens précède généralement la variation terminologique, les

causes sont imbriquées dans un ensemble qui forme un tout cohérent. Étudier les causes des

variantes terminologiques permet de mieux décrire ces variantes, d’en comprendre

l’origine, le processus, le résultat et surtout, d’avoir une vision plus complète de chacune

d’elle. Situer la variation terminologique dans une perspective linguistique, mais aussi

extralinguistique est très avantageuse puisque, sans cet apport, certains phénomènes

n’auraient pu ê tre observés. Les variantes conceptuelles et sémantiques se détectent

uniquement à l a lecture manuelle des textes, en décodant l’information qui y circule. Or,

afin de bien décoder cette information, il faut obtenir une vision contextuelle qui va au-delà

du cotexte. C’est exactement ce que les causes extralinguistiques peuvent offrir dans

l’analyse de ces variantes.

Tout comme les types de domaines néologiques proposés peuvent servir à la description

des variantes terminologiques impliquées dans un domaine en particulier. Par exemple, les

néotermes du développement durable ont permis de comprendre qu’il s’agissait d’un

Page 233: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

210

domaine renouveleur. Ces informations permettent aussi une meilleure description des

phénomènes.

Le fait que le développement durable soit un secteur au cœur de trois disciplines carrefour

(écologie, économie, sociologie) permet d’expliquer une grande partie des phénomènes

rencontrés. En effet, dans cet exemple, les causes socioculturelles ont permis de mettre en

lumière : 1. la circulation de nombreux termes-concepts, empruntés souvent à l’une des

trois disciplines carrefour, puis adaptés ensuite au DD; 2. la provenance de la majorité des

préfixes utilisés dans les néotermes formés par dérivation; 3. les particules de mots ayant

servi à la création des mots valises sont aussi majoritairement à cheval sur ses trois

disciplines. Les causes cognitives permettent de comprendre les néologismes conceptuels et

d’actualité, lesquels conduisent souvent à la variation conceptuelle. Les conceptions

différentes du secteur, lesquelles sont encore en train de se définir, ont expliqué la présence

d’une bonne quantité de variantes dénominatives. Puis, les besoins communicationnels,

dans tous les échanges engendrés, ont permis de comprendre la forte proportion de sigles,

créés pour abréger les longs termes complexes du domaine. Les causes linguistiques ont

permis de décortiquer le processus interne impliqué dans la création des néologismes et des

variantes. L’ajout de l’adjectif vert par métonymie à de nombreuses bases dans le DD est

un processus linguistique intéressant dans la création de nombreux termes complexes.

Ceux-ci sont détectés comme néologismes formels et sémantiques, lesquels conduisent

souvent à de la variation dénominative et polysémique.

Nous sommes donc convaincue que ce modèle pourra mettre en lumière de nombreux

phénomènes linguistiques (non seulement les variantes dénominatives, mais aussi les deux

autres composantes de notre modèle). Un jumelage des causes linguistiques et

extralinguistiques dans l’analyse des variantes terminologiques permet une analyse plus

profonde et plus complète de leur existence. Bien entendu, nous ne prétendons pas

réinventer la roue, mais nous souhaitons apporter une pierre à l’édifice de l’étude de la

variation terminologique. Nous croyons que ce modèle y contribue.

Page 234: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

211

Schéma 5.

Modèle des causes de la variation terminologique

Causes de la variation terminologique

Réalité (rã)

Causes socioculturelles

Émetteurs

Causes linguistiques

Récepteurs

Langue

(LSP, dialectes) Outil de

communication

Signe (sã-sé)

Axe horizontal : causes communicationnelles

Outils et acteurs de la communication

Axe vertical : causes cognitives

Matérialisation de la pensée – concept (co)

Page 235: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

Le chapitre 6 : Conclusions

Page 236: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

212

6.

Conclusions

Cette thèse de doctorat nous a permis de pousser la description théorique de la variation

terminologique un pe u plus loin. Les points majeurs que nous avons développés sont : le

modèle de la VT avec l’ajout de deux composantes (la variante conceptuelle et la variante

polysémique), le modèle d’analyses des causes de la VT, les sphères métaphoriques, la

typologie de la néologie, la fragmentation des domaines néologiques, la catégorisation de

nouveaux types de néologismes (conceptuels et référentiels), la description des critères de

la néologicité, la théorie de la polysémisation.

Nous reviendrons, maintenant, chapitre par chapitre, sur les éléments essentiels de notre

apport.

Chapitre 1

Au chapitre 1, nous avons pu dr esser un bi lan des travaux portant sur la première

composante de notre modèle, soit la variante dénominative. Nous avons fait le point sur les

différentes approches de la variation terminologique. En effet, le tableau récapitulatif a

permis de comprendre ce qui était au cœur de chacune de ces approches, ce qui les unissait

ou les distinguait. Nous avons pu compléter les classements précédents en ajoutant les

approches culturelle, fonctionnelle, sémantique et diachronique de la terminologie. Nous

croyons que ce tableau pourra être très utile dans l’enseignement de la terminologie et qu’il

pourra servir de point de départ à de nouvelles recherches aux cycles supérieurs, puis que

d’autres pourront le compléter, à leur tour, au fur et à m esure que les recherches

avanceront. Aussi, nous avons remis en perspective l’approche descriptive versus

l’approche normative et replacé chacune d’elles dans leur contexte. En définitive, chacune a

sa raison d’être, il suffit de ne pas confondre les objectifs à atteindre. Cependant, afin de

contribuer à l ’avancement des recherches en terminologie, il faut absolument adopter

d’abord une approche descriptive des phénomènes afin de bien les recenser, comprendre et

Page 237: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

213

définir. En principe, l’intervention humaine d’un organisme externe devrait se faire après

cette étude objective et descriptive, ce qui favoriserait une meilleure prise de décision, une

meilleure orientation de l’usage.

Puis, en présentant la typologie et les causes de la variation dénominative de Freixa, nous

avons établi un portrait plutôt complet de la variation dénominative et plus que tout, nous

avons jeté les bases de nos réflexions qui allaient se conclure au chapitre 5 avec le modèle

des causes de la VT. Les travaux de Freixa sur la variation dénominative en terminologie,

jumelés à ceux de Nyckees sur la sémantique, ont été une grande source d’inspiration pour

le modèle des causes de la VT. En effet, l’apport de la sémantique a été considérable dans

l’analyse des deux autres composantes de notre modèle : la variation conceptuelle et la

variation polysémique. Ces apports dans la description des phénomènes de variation

terminologique sont importants et ont permis de développer un tout cohérent avec les types

de néologismes, la fragmentation des domaines néologiques et le modèle des causes de la

VT.

Chapitre 2

Au chapitre 2, nous avons décrit le processus de la métaphorisation terminologique comme

étant un pr ocessus hautement cognitif et conceptuel aboutissant directement à de la

variation polysémique. Afin de décrire les mécanismes mis en œuvre dans le processus de

la métaphorisation, nous avons opté pour une approche diachronique et étymologique.

Notre point de départ a été l’article d’Assal. Nous avons fait une adaptation visuelle en

sphère métaphorique de sa théorie pour ensuite nous en dégager et présenter notre propre

modèle d’analyse. Les sphères métaphoriques ont permis d’expliquer que tant le premier

sens attesté dans les ouvrages dictionnairiques que les sens subséquents pouvaient faire

l’objet d’un transfert pour construire l’analogie de la métaphore. Il est intéressant de se

détacher aussi de la rhétorique classique, de préciser que la métaphore terminologique ne

fait pas que dire autrement les choses, mais qu’elle détient le pouvoir de les penser et de les

concevoir autrement. Tout comme Lakoff et Johnson, Basilio, etc. l’avaient démontré

Page 238: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

214

antérieurement, la métaphore relève du plan cognitif. En effet, nos exemples ont pu

démontrer que la métaphore opère là où l’analogie est apte à évoquer tout changement.

Le processus même de la métaphorisation terminologique est très intéressant puisqu’il

permet de voir à quel point l’aspect cognitif et conceptuel est au cœur des phénomènes de

variation terminologique, ce qui nous permet d’établir une corrélation avec les deux

composantes de notre modèle : la variation conceptuelle et la variation polysémique. Par

ailleurs, une combinaison des approches étymologique et diachronique a permis d’établir

un lien important avec la distinction que nous avons faite entre l’homonymie et la

polysémie au chapitre 3. Cette perspective a permis de mettre en lumière le cumul des sens,

qui est un point central de notre proposition d’une théorie de la polysémisation et de notre

argumentation en faveur de la motivation du signe linguistique. En définitive, la

métaphorisation terminologique conduit à d e la polysémie, laquelle engendre directement

notre troisième composante : la variante polysémique. La métaphorisation est le processus

actif, cognitif; la variante polysémique, la manifestation linguistique de ce processus, le

résultat.

Chapitre 3

Au chapitre 3, les questions de polysémie ont été traitées en détail. D’abord, nous tenions à

préciser qu’il est faux de croire que les langues de spécialité sont monosémiques. Elles sont

tout autant polysémiques que la langue générale. Cette mise au point s’imposait. Par

ailleurs, nous avons comparé la polysémie à l’homonymie pour les décrire complètement

avant de se prononcer en faveur d’une théorie de la polysémisation. Nous avons démontré

que les critères classiques employés généralement pour distinguer l’homonymie de la

polysémie sont relatifs et arbitraires. Ainsi, la tendance homonymiste versus polysémiste

relève davantage d’un choix idéologique ou é ditorial selon nous. L’homonymie tout

comme la monosémie n’est certes pas un processus naturel de l’évolution de la langue,

mais plutôt un choix en vertu d’objectifs à atteindre qui peut permettre, dans certaines

situations, une gestion de ces phénomènes de langue. En revanche, la synonymie et la

Page 239: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

215

polysémie sont des phénomènes naturels de l’évolution de la langue. En effet, elles

représentent la situation de tous les termes de la langue. Toutes ces considérations nous ont

amenée par la suite à proposer une théorie en faveur de la polysémisation.

Avant d’exposer notre théorie, nous avons fait la revue des travaux sur les changements de

sens. La sémantique apporte une dimension intéressante à la description de notre troisième

composante : la variante polysémique. À partir des travaux de Bréal, Ullmann, Darmesteter

et Nyckees, nous avons pu poser les bases de notre théorie de la polysémisation ainsi que

comprendre la logique de notre variante polysémique.

Nous avons également fait la démonstration de notre deuxième composante, la variante

conceptuelle, à l’aide de l’exemple de matière résiduelle. Elle peut être perçue tant comme

une matière à éliminer qu’une matière à valoriser selon l’usage qu’en font les locuteurs. Le

phénomène de la variation conceptuelle s’explique notamment par les nouvelles

conceptions des matières en fonction des énergies renouvelables. Cette hypothèse a

d’ailleurs été validée par la suite aux chapitres 4 e t 5 l orsque nous avons utilisé des

exemples du développement durable. Cette exemplification nous a conduite, par la suite, à

présenter le classement de Nyckees sur les changements de sens. Parmi eux, nous avons

pu présenter les « thèmes obsessionnels » qui se sont traduits, dans notre proposition, par

les « domaines d’actualité », lesquels permettent d’expliquer, entre autres, les causes des

phénomènes de création lexicale et de variation terminologique. Par ailleurs, la présentation

du classement de Nyckees nous a permis, au chapitre 5, de faire des liens entre les causes

identifiées par Freixa et notre modèle des causes de la variation terminologique.

Ce chapitre nous permet de replacer l’étude des phénomènes de variation terminologique

dans une perspective socioterminologique et communicationnelle. Le socio- de

socioterminologie prend tout son sens à travers la description de la variation conceptuelle et

polysémique. Nous sommes allée à l’essence même de l’approche socioterminologique en

Page 240: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

216

étudiant les causes mises en œuvre dans la description de chacune des composantes. Puis,

finalement, nous avons pu présenter notre proposition d’une théorie de la polysémisation.

Les prémisses de départ sont même inhérentes à toute observation terminologique qui soit,

pas seulement à la polysémie : le détachement de la rhétorique classique et la prise en

compte du contexte et du cotexte. L’ajout des quatre critères (l’analyse diachronique et

étymologique, la sédimentation et le cumul des sens, la motivation et la base cognitive des

termes) offre une analyse plus complète des phénomènes de polysémie. Cette proposition

s’harmonise parfaitement avec les idées que nous avons avancées tant dans les chapitres

précédents que dans les chapitres suivants : les causes de la variation dénominative, le

pouvoir cognitif de la métaphore, les critères de néologicité (en diachronie) pour

l’observation des néologismes conceptuels et référentiels, le domaine d’actualité, le modèle

des causes de la VT.

Finalement, nous avons présenté la chaîne de la polysémie, un cycle suivant son cours, dans

lequel les acteurs de la communication et la situation de communication jouent un rôle

central. C’est là que la perspective communicationnelle de la terminologie peut s’avérer

extrêmement révélatrice des phénomènes de VT.

Chapitre 4

Au chapitre 4, nous avons présenté nos réflexions sur la néologie puisque celle-ci est une

des causes importantes des phénomènes de variation terminologique. Nous avons privilégié

les termes néoterminologie et néoterme pour les LSP afin de les distinguer de néologie et

néologisme en langue générale. Nous avons rejeté les termes proposés par Rondeau

(néonymie et néonyme) puisque nous ne les trouvions pas assez motivés et transparents.

Nos observations en néologie nous ont poussée à créer deux nouvelles catégories de

néologismes : le néologisme conceptuel et le néologisme référentiel. Ces types de

néologismes sont riches d’enseignement sur l’évolution des concepts et des choses. Ils

offrent une toute nouvelle perspective sur l’étude néologique et dévoilent un pan d’histoire

de la société. Par ailleurs, le néologisme conceptuel est intimement lié à la variante

Page 241: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

217

conceptuelle. Le néologisme référentiel (d’actualité) peut conduire à plusieurs types de

variantes terminologiques également, en plus d’être lié au domaine d’actualité qui explique

un grand nombre de phénomènes néologiques et variationnels.

Par la suite, nous avons précisé le concept de néologicité et nous l’avons scindé en quatre

catégories. La première est implicite à tous les types de néologismes : le sentiment de

nouveauté. Ce critère fait appel à l’intuition du l inguiste pour relever les néologismes et

réfère au sentiment de nouveauté que peut ressentir le locuteur en voyant un mot. Le second

critère existait déjà, il était basé sur la datation et la lexicalisation dictionnairique, sur une

tranche synchronique de 5 à 10 ans. Celui-ci permet de déceler les néologismes formels et

sémantiques. Dans le cas des néologismes conceptuels et référentiels, les deux critères de

néologicité que nous avons créés sont en fait basés sur l’analyse cotextuelle et contextuelle

en diachronie. C’est là un apport considérable.

Aussi, nous avons fragmenté les domaines néologiques en quatre types. Tout d’abord, le

domaine néologique étant le domaine générique des trois autres. Ensuite, nous avons créé le

domaine renouveleur, celui-ci permet de cibler des domaines où l e principe

d’autorégulation dans la langue d’usage s’observe facilement, puis le domaine résistant, qui

à l’opposé nécessite une intervention d’un organisme externe pour stimuler la langue

d’usage et tenter de remplacer une grande quantité d’emprunts. Finalement, nous avons

créé le domaine d’actualité qui peut engendrer tous les types de néologismes et qui permet

de comprendre les moments forts de la société au moment de la création lexicale. Ce

domaine est particulièrement instructif et révélateur de l’histoire des mots et des objets.

Nous avons également remis à jour les définitions des concepts entourant toute l’activité

néologique. Au total, quatorze termes-concepts ont fait l’objet d’une définition minutieuse

et précise. Chaque type de néologismes a p u être illustré largement grâce aux exemples

actuels et évocateurs des domaines d’actualité sélectionnés soient le développement

Page 242: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

218

durable, le 400e anniversaire de la ville de Québec et le débat entourant la question des

accommodements raisonnables. Par ailleurs, dans le cas de la néologie formelle, de

nombreux exemples de langue générale ont peu être cités à partir de la base de données de

l’OBNEQ. Nous croyons que cette exemplification riche témoigne d’une application

concrète de ces réflexions théoriques.

Finalement, nous avons pu voir à quel point la néologie recèle un caractère symbolique et

identitaire. Dans certains contextes, notamment en politique, les néotermes peuvent être

utilisés comme des instruments de pouvoir. Les mots créés reflètent la pensée humaine et

offrent une trace indélébile de l’évolution de la société.

Chapitre 5

Au chapitre 5, nous avons démontré les liens qui unissaient la néologie aux causes de la

variation terminologique ainsi qu’aux types de variantes terminologiques. Le tout dans un

ensemble cohérent et complet, avec une vision à la fois linguistique et extralinguistique.

Avant de présenter notre modèle d’analyse des causes linguistiques et extralinguistiques de

la variation terminologique, nous avons présenté un récapitulatif des causes identifiées par

Freixa et Nyckees. Nous avons pris soin de commenter chacune de ces causes, de faire des

liens entre ces deux classements avant de retenir les causes qui allaient servir notre modèle.

Encore une fois, l’approche communicationnelle se veut très présente dans la description de

ce modèle.

Ainsi, notre modèle d’analyse des causes se divise en deux grandes catégories : les causes

internes, c’est-à-dire les influences de la langue que nous avons appelées les causes

linguistiques. Ensuite, nous avons retenu trois causes extralinguistiques : les causes

socioculturelles, qui sont liées au monde qui nous entoure et à la réalité en général; les

causes cognitives qui représentent la façon de penser de l’être humain, laquelle influence

l’outil de communication par excellence de ce dernier : la langue; et en dernier lieu, les

Page 243: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

219

causes communicationnelles, qui sont très importantes dans l’échange d’information qui

circule entre les acteurs de la communication. Par ailleurs, nous avons défini ces causes et

surtout, nous les avons explicitées à l’aide d’exemples concrets provenant du s ecteur du

développement durable. Démontrer l’application du m odèle théorique en utilisant des

exemples actuels nous semblait fondamental pour la suite des recherches puisque nous

souhaitons que ce modèle puisse servir notamment dans diverses recherches linguistiques,

terminologiques et néologiques.

Dans ce chapitre, nous avons précisé notre choix terminologique pour les termes variante

conceptuelle et variante polysémique. Les deux termes permettent de faire des liens

évidents avec le signe linguistique. De plus, la variante conceptuelle est liée au néologisme

conceptuel au même titre que la variante polysémique est liée à la métaphore

terminologique (elle en résulte) et à notre théorie de la polysémisation. Nous avons

constamment distingué concept et signifié. Pour nous, ces deux concepts font partie

intégrante du signe linguistique. Le signe est pour nous totalement motivé, tant en néologie

qu’en terminologie ou en linguistique générale.

L’amalgame des causes linguistiques et extralinguistiques offrent une analyse plus

complète et profonde des phénomènes de variation terminologique. De plus, les causes

extralinguistiques justifient la pertinence de l’approche communicationnelle et

socioterminologique.

Page 244: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

220

Perspectives

Nous souhaitons que ces modèles puissent servir dans l’application de recherches futures et

dans la poursuite de la description des phénomènes de la variation terminologique. Si notre

apport peut servir de point de départ à de futurs chercheurs, ce sera là déjà un grand pas.

Nous souhaitons également que notre description des approches de la terminologie et des

composantes puisse servir dans le cadre de la formation de la terminologie. L’enseignement

de la terminologie se fait souvent dans l’ombre des profils traductionnels, rédactionnels,

mais à quand un programme de terminologie complet dans les universités? Ce serait là un

autre de nos souhaits. Sans prétention, nous avons soutenu nos hypothèses et notre vision

de la terminologie dans l’espoir de mettre le doigt sur des phénomènes très intéressants, qui

pourront en inspirer d’autres.

Pour notre part, nous souhaiterions poursuivre les recherches dans la description du signe

linguistique. Nous aimerions étudier davantage le rôle du c oncept et du référent dans le

signe, puis nous intéresser particulièrement à la motivation des termes. Nous avons pu faire

la démonstration dans cette thèse que le signe est totalement motivé, tant lors de la création

lexicale que dans le cadre d’un processus de métaphorisation; ce qui nous amène à croire

qu’il l’est fondamentalement. En définitive, nous pourrions soulever cette question : « Est-

ce que parce que nous n’avons pas toutes les réponses que tout est défini ou immuable? ».

Comme le disait Pottier : « L’homonymie est un cas de polysémie dont on ne voit pas la

motivation » (1992 : 43). Nous partageons cet avis. Dans cet ordre d’idées, nous

ajouterions : L’arbitraire du signe est un cas de motivation dont ne voit pas encore la trace.

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Page 264: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

240

Glossaire

Terminologie

Étude théorique, méthodique et appliquée des notions et des termes, de leur

fonctionnement social et de leur valeur à l’intérieur d’un savoir spécialisé, et en

relation avec d’autres disciplines du savoir humain et de la linguistique.

Néologie

Étude théorique, méthodique et appliquée des mots nouveaux dans la langue et

en lien avec leur contexte sociolinguistique.

La néologie couvre donc l’étude, l’analyse et la création de mots nouveaux, de

leurs modes de formation ainsi que l’élaboration de critères permettant de les

recenser, de les inclure ou de les exclure à titre de néologismes.

Néoterminologie

Étude théorique, méthodique et appliquée des termes nouveaux dans les

domaines spécialisés du savoir humain et en lien avec leur contexte

d’utilisation.

Néologisme

Mot créé à partir des ressources internes de la langue française (fonds ancien ou

actuel ou variété de la même langue) ou emprunté à une autre langue, dans le

but de désigner de nouvelles réalités, de nouveaux concepts ou de répondre à un

besoin de communication précis.

Le néologisme peut être de type formel, conceptuel, sémantique ou référentiel.

Page 265: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

241

Néoterme

Terme créé à partir des ressources internes de la langue française (fonds ancien

ou actuel ou variété de la même langue) ou emprunté à une autre langue, dans

le but de désigner de nouvelles réalités, de nouveaux concepts ou de répondre à

un besoin de communication précis.

Le néoterme est réservé aux langues de spécialité. Il peut également être de

type formel, conceptuel, sémantique ou référentiel.

Néologisme formel

Mot dont la forme est créée à partir des ressources internes de la langue

française (fonds ancien ou actuel ou variété de la même langue) ou empruntée à

une autre langue dans le but de désigner de nouvelles réalités, de nouveaux

concepts ou de répondre à un besoin de communication précis.

Néologisme sémantique

Mot dont le sens est emprunté à un mot ancien ou actuel de la langue d’usage

ou à un mot d’une autre langue dans le but de désigner de nouvelles réalités, de

nouveaux concepts ou de répondre à un besoin de communication précis.

Les néologismes sémantiques naissent souvent par les procédés de métonymie,

métaphore, glissements, extensions ou restrictions de sens.

Néologique

Relatif à l’étude des mots nouveaux.

Par ext. de sens. Relatif à ce qui est nouveau, récent, créatif ou perçu comme

tel.

Page 266: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

242

Néologicité

Degré de nouveauté d’un néologisme, basé sur l’étude d’une période

déterminée, et le sentiment de nouveauté ressenti par un locuteur, et permettant

d’identifier un mot comme étant un néologisme en fonction de critères précis

(datation, lexicalisation, analyse conceptuelle et référentielle).

Les objectifs de la recherche néologique vont influencer grandement les critères

de néologicité qui seront employés en vue d’atteindre les objectifs précis visés.

Par exemple, si l’un des objectifs de la recherche néologique est l’actualisation

des dictionnaires de la langue française québécoise, le critère de néologicité ne

sera pas basé sur une période de temps mais plutôt sur un corpus d’exclusion

dictionnairique.

Si l’objectif est de recenser tous les nouveaux mots au sens de « récents » dans

la langue, ainsi le critère de néologicité sera basé sur une courte période de

temps.

Domaine néologique

Sphère spécialisée de l’expérience humaine dont les mots, sens ou concepts,

dans une proportion significative, sont perçus comme nouveaux ou récents par

le locuteur.

Domaine renouveleur

Sphère spécialisée de l’expérience humaine dont le renouvellement lexical

s’effectue de façon naturelle, sans nécessiter l’intervention d’un organisme

externe, face aux nouvelles réalités à dénommer.

Page 267: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

243

Domaine résistant

Sphère spécialisée de l’expérience humaine où les emprunts aux langues

étrangères sont très nombreux et où l e recours à la néologie peut favoriser et

stimuler le renouvellement lexical dans la langue d’usage.

Une intervention humaine, provenant d’un organisme externe, officiel ou non,

peut s’avérer favorable au renouvellement du lexique dans la langue d’usage

dans ces cas. Cela fait partie du processus d’aménagement linguistique adopté

au Québec.

Domaine d’actualité

Sphère spécialisée de l’expérience humaine qui reflète les préoccupations fortes

du moment au sein d’une société donnée et qui engendre, dans le débat, de la

néologie.

Néologisme conceptuel

Mot présent dans la langue depuis un certain temps mais dont le concept est

néologique en synchronie et représente une réalité existante en redéfinition en

raison de son évolution technologique ou culturelle.

Mot récent représentant une réalité nouvelle en voie de se délimiter.

Les néologismes conceptuels se rencontrent souvent dans les domaines

scientifiques novateurs.

Néologisme d’actualité

Mot existant dans la langue depuis plusieurs années mais dont la réalisation

effective du référent qu’il désigne est réactualisé et répond à un besoin

Page 268: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

Cf. Définition de cause provenant du TLFi et GR 2005, autres définitions des causes adaptées de ces deux

244

socioéconomique ou socioculturel important au sein d’une société à un moment

donné de son développement.

Ce mot peut donc être ressenti comme néologique par les locuteurs en raison de

la popularité et de l’importance dont il jouit sur la scène publique à un moment

donné, et surtout parce qu’il représente un moment fort de changement au sein

de cette société.

Le néologisme d’actualité peut correspondre à plusieurs situations. Il peut

résulter d’une période de latence où le concept était à l’état d’idée ou

hypothétique (pensons aux inventions ou aux idées non commercialisés). Il peut

s’agir d’un néologisme ayant plusieurs cycles de vie ou encore d’un néologisme

étant tombé dans l’oubli mais revenant sur la sellette après un certain temps,

avec un changement perceptible, reflétant le changement sociétal à travers la

réactualisation du néologisme, de l’objet ou de l’idée.

Causes

« Ce qui produit un effet 1 » L’effet étant ici la variation terminologique.

Causes communicationnelles

Causes liées à la situation de communication entre les acteurs (émetteurs-

récepteurs).

Causes socioculturelles

Causes liées à un groupe humain, à ses structures sociales et à sa culture.

1

ouvrages de référence.

Page 269: la variation terminologique : un modèle à trois composantes

245

Causes cognitives

Causes liées aux mécanismes d’acquisition des connaissances.

Causes linguistiques

Causes liées au langage et à l’interaction des langues.

Valeur

Sens que peut revêtir un concept et la dénomination que peut prendre un terme

en fonction de son contexte social et de son cotexte linguistique en vue de

répondre à des besoins communicationnels précis.