la «sorcière» ou la construction d'un mythe tout au long...

4
Les Cahiers nouveaux N° 79 Septembre 2011 47 47-50 Sophie Hockers Historienne La «Sorcière» ou la construction d'un mythe tout au long du Moyen Âge La sorcellerie 01 est un sujet qui fascine toutes sortes de personnes ; adultes, enfants, historiens, anthropologues… Dans le cadre des Journées du Patrimoine «Des Pierres et des Lettres», nous allons tenter de comprendre pourquoi les sorcières nous ont laissé tant d’empreintes légendaires et matérielles. Si on observe la sorcellerie d’un point de vue historique, on remarque qu'elle existe de tout temps mais sous des formes différentes en fonction des époques. En effet, la sorcière que l’on connaît aujourd’hui n’est pas celle que l’on s’imaginait à l’Antiquité, ni au Moyen Âge mais bien celle des Temps modernes, c’est-à-dire la vieille et laide sorcière qui mange les enfants et prépare des potions magiques pour s’envoler au sabbat où elle pratique des actes honteux avec le diable. Toutefois, cette image est en passe de changer. En effet, le cinéma de ces dernières décennies nous en donne un tout nouvel aspect. Il n’y a qu’à voir Samantha de «Ma sorcière bien aimée» ou encore les sorcières que l’on rencontre dans l’incon- tournable «Harry Potter». Mais laissons là ces nouvelles et sympathiques personnes, pour nous plonger dans l’univers des sorcières des légendes dont regorgent les forêts de nos régions. Nous avons écrit que le concept d’une vieille et laide sorcière n’existe pas au Moyen Âge mais ce concept et toutes les caractéristiques de la sorcière moderne se constituent pourtant tout au long de cette époque. Nous allons les observer et comprendre comment le concept de sorcière est né. Pour commencer ce tour d’horizon, nous observons que la sorcellerie est déjà présente dans la Loi Salique, le Pactus Legis Salicae, rédi- gée entre 496 et 511 et ratifiée par Clovis. Parmi les différents points de cette loi, nous rencon- trons une mention concernant les sorcières. Ces dernières pourraient être des personnes capables d’en manger d’autres. 02 Cette accusation sera à l’époque moderne une des plus importantes incri- minées aux sorcières. Plus tard, en 744, le Concile des Estinnes, réuni dans la région du Hainaut sur l’ordre du maire du palais Carloman, produit le texte Indiculus superstitionum et paganiarum, qui contient une liste succincte de trente pratiques païennes répréhensibles, et insiste aussi sur le 01 S. HOCKERS, La sorcière dans l'espace belge actuel au Moyen Age : étude sur la perception médiévale de la sorcière entre la fin du VIIIème et la fin du XV ème siècle, Travail de fin d’études inédit, Université de Liège, 2008. 02 Pactus legis salicae, c. LXIV, dans Monumenta Germaniae Historica., LL. nat. Germ., t. IV-2 (1962), p. 231. Le Tchâne as tchânes (le chêne des chênes) à Longfaye (Malmedy), ancien rendez-vous présumé des loups-garous et des sorcières. © Benjamin Stassen

Upload: others

Post on 06-Mar-2021

5 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: La «Sorcière» ou la construction d'un mythe tout au long ...docum1.wallonie.be/DOCUMENTS/CAHIERS/CN79/MRW044_CN79_047-050_LR.pdfmythe de la sorcière grâce à saint Thomas d’Aquin06

47Les Cahiers nouveaux N° 79 Septembre 2011

47

47-50Sophie HockersHistorienne

La «Sorcière» ou la construction d'un mythe tout au long du Moyen Âge

La sorcellerie01 est un sujet qui fascine toutes sortes de personnes ; adultes, enfants, historiens, anthropologues… Dans le cadre des Journées du Patrimoine «Des Pierres et des Lettres», nous allons tenter de comprendre pourquoi les sorcières nous ont laissé tant d’empreintes légendaires et matérielles. Si on observe la sorcellerie d’un point de vue historique, on remarque qu'elle existe de tout temps mais sous des formes différentes en fonction des époques. En effet, la sorcière que l’on connaît aujourd’hui n’est pas celle que l’on s’imaginait à l’Antiquité, ni au Moyen Âge mais bien celle des Temps modernes, c’est-à-dire la vieille et laide sorcière qui mange les enfants et prépare des potions magiques pour s’envoler au sabbat où elle pratique des actes honteux avec le diable. Toutefois, cette image est en passe de changer. En effet, le cinéma de ces dernières décennies nous en donne un tout nouvel aspect. Il n’y a qu’à voir Samantha de «Ma sorcière bien aimée» ou encore les sorcières que l’on rencontre dans l’incon-tournable «Harry Potter». Mais laissons là ces nouvelles et sympathiques personnes, pour nous plonger dans l’univers des sorcières des légendes dont regorgent les forêts de nos régions.

Nous avons écrit que le concept d’une vieille et laide sorcière n’existe pas au Moyen Âge mais ce concept et toutes les caractéristiques de la sorcière moderne se constituent pourtant tout au long de cette époque. Nous allons les observer et comprendre comment le concept de sorcière est né. Pour commencer ce tour d’horizon, nous observons que la sorcellerie est déjà présente dans la Loi Salique, le Pactus Legis Salicae, rédi-gée entre 496 et 511 et ratifiée par Clovis. Parmi les différents points de cette loi, nous rencon-trons une mention concernant les sorcières. Ces dernières pourraient être des personnes capables d’en manger d’autres.02 Cette accusation sera à l’époque moderne une des plus importantes incri-minées aux sorcières. Plus tard, en 744, le Concile des Estinnes, réuni dans la région du Hainaut sur l’ordre du maire du palais Carloman, produit le texte Indiculus superstitionum et paganiarum, qui contient une liste succincte de trente pratiques païennes répréhensibles, et insiste aussi sur le

01S. HOCKERS, La sorcière dans l'espace belge actuel au Moyen Age : étude sur la perception médiévale de la sorcière entre la fin du VIIIème et la fin du XVème siècle, Travail de fin d’études inédit, Université de Liège, 2008.

02Pactus legis salicae, c. LXIV, dans Monumenta Germaniae Historica., LL. nat. Germ., t. IV-2 (1962), p. 231.

Le Tchâne as tchânes (le chêne des chênes) à Longfaye (Malmedy), ancien rendez-vous présumé des loups-garous et des sorcières.© Benjamin Stassen

Page 2: La «Sorcière» ou la construction d'un mythe tout au long ...docum1.wallonie.be/DOCUMENTS/CAHIERS/CN79/MRW044_CN79_047-050_LR.pdfmythe de la sorcière grâce à saint Thomas d’Aquin06

48

on pense que des femmes consentent à la venue de ces démons, ce sont les sorcières.

L’Inquisition des 13e et 14e siècles fait ensuite évoluer le concept de sorcière. Pourtant, il ne faut pas croire que le but premier de l’Inquisition est de traquer la sorcellerie. L'inquisition est née pour anéantir les hérésies, c’est-à-dire les groupements religieux déviant de la religion chrétienne. Mais les horribles maux reprochés aux hérétiques sont les mêmes que ceux reprochés aux sorcières, à un point tel que les hérésies vont se fondre dans la sorcellerie. L’élément de la sorcière moderne qui naît de cette fusion est le sabbat. C'est-à-dire le regroupement des sorcières dans le but de nuire à la religion chrétienne. Ce n'est qu'à la fin du 15e siècle, par la bulle Summis desirantes affectibus07 du pape Innocent VIII et par le manuel d'Inquisition le Malleus Maleficarum08 de Jacob Sprenger et Henry Institoris que la sorcellerie moderne acquiert sa forme finale. Ce Marteau des sorcières a vrai-ment pour but d'assommer et d'anéantir toutes les sorcières. Il comporte enfin tout ce que les juges doivent savoir pour bien les juger.

Ainsi ce qu'on peut appeler les grands procès de sorcellerie ne se déroulent qu'à la fin du Moyen Âge et à l'époque moderne. Toutefois il y en a bien eu quelques-uns au Moyen Âge dans nos régions. Par exemple, en 1460 à Nivelles on retrouve le procès d'une jeune femme, Aelis, accusée d'être une vaudoise.09 Par son procès on observe qu'elle passe devant les juges de la seigneurie de Neuve-Rue mais ayant des connaissances parmi les juges, elle est envoyée devant le tribunal des échevins de l’abbesse de Nivelles, Marguerite d’Escornay. Cette dernière a écouté les confessions d’Aelis qui, sous la torture, a avoué qu’elle était vaudoise, qu’elle avait brûlé des maisons par enchantement et avec l’aide de plusieurs complices. Mais lorsque la torture prend fin, elle revient sur ses aveux et ne veut plus dénoncer ses complices. On la remet à la question, mais elle ne fait plus aucun aveu. Le conseil des échevins décide de la bannir des terres du duc de Bourgogne. À la suite du procès, apparaît l'addition des frais engendrés par le procès. Ce sont le maïeur et le geôlier qui doivent être payés car le maïeur s’est occupé du bon déroulement du procès et le geôlier a entretenu l’accusée, c’est-à-dire qu’il a dû la surveiller et lui donner à manger. L’amende totale est aux frais d’Aelis. Pour qu’elle puisse la payer, on a déjà vendu tous ses biens mais elle devra encore une grosse somme. L’amende pécuniaire n’est pas sa seule peine, elle est aussi bannie des terres bour-guignonnes. Ainsi Aelis n’est pas condamnée à mort par le bûcher mais sa situation devient très dure après ce procès : démunie de tous biens, elles doit se reconstruire une vie dans une contrée lointaine.

Transcription du procès d’Aelis écriten ancien français

«Despens sour la recepte précédente, esquelx la ville n’a que cognoistre, mais les paient monseigneur le duch de Brabant, madamme de Nivelle et monsei-gneur le prévost sur leur part ad de cause seigneurie, comme il s’enssieult. Primo. Audit mayeur pour

caractère anthropophagique de la sorcière.03 Enfin ce trait de caractère est aussi repris par Charlemagne lorsqu’il édicte son capitulaire ap-pelé Capitulare pro partibus Saxoniae.04

Le second élément que nous observons est celui du vol des sorcières. La première mention de celui-ci se trouve dans le Canon episcopi inséré dans le Libri de synodalibus causis de l’abbé Réginon de Prüm en 906. Plus tard l’évêque Burchard de Worms écrit un décret dont le dix-neuvième livre le Corrector sive medicus com-porte la mention de ce vol.05

Le caractère féminin de la sorcière peut être expliqué en observant les rapports des Pères de l’Église et des exégètes chrétiens des 11e, 12e et 13e siècles. La femme n’a pas une très belle condition au Moyen Âge. Elle est considérée comme l’auteur du péché originel. De plus, on remarque que les femmes les plus décriées sont soit les jeunes et jolies demoiselles ou les vieilles et laides dames. Les jeunes filles ne peuvent pas encore racheter le péché originel en mettant au monde un enfant et les vieilles dames ne peuvent plus le faire.

Un grand pas est franchi dans la construction du mythe de la sorcière grâce à saint Thomas d’Aquin06 au 13e siècle : la sorcière est une femme qui se lie au démon grâce à un pacte. En effet, c’est au 13e siècle que l’on commence à croire en un démon de chair et de sang. Celui-ci peut être mâle, «incube», ou fe-melle, «succube», et peut entrer dans le lit des gens pour engendrer de nouveaux démons. Par la suite,

Ce soir-là, il était presque minuit lorsque Harry quitta le bureau d’Ombrage. Sa main saignait tellement à présent que le foulard dont il l’avait entourée était taché de sang. À son retour, il s’attendait à voir la salle commune vide mais Ron et Hermione l’avaient attendu. Il fut content de les retrouver, surtout qu’Hermione était disposée à se montrer plus compatissante que critique.– Tiens, dit-elle, en poussant vers lui un petit bol rempli d’un liquide jaune. Trempe ta main là-dedans, c’est une solution filtrée de tentacules de Murlap marinés, ça devrait te faire du bien.Harry plongea sa main douloureuse et ensanglantée dans le bol et éprouva bientôt une merveilleuse sensation de soulagement.— J.K. ROWLING, Harry Potter et l’Ordre du Phénix, Folio Junior, Paris, 2005, p. 386 (n° 1364).

03Indiculus superstitionum et paganiarum, dans Monumenta Germaniae Historica., LL. Capit., t. I, Hanovre, 1883, p. 222-223.

04Capitulatio pro partibus Saxoniae, dans Monumenta Germaniae Historica., LL, Capit. Reg. Franc, Cap. I, p. 68.

05BURCHARDI WORMACIENSIS EPISCOPI, «Decretorum», libri XX, dans MIGNE, Patrologie Latine, t. CXI, col. 831-833.

06SAINT THOMAS D’AQUIN, Contra gentiles, lib. III, cap. 106, édition Marietti, Turin, 1961, 2. 1, p. 161.

07P. FREDERICQ, Tot aan de herinrichting der inquisitie onder Keizer Karel V (1025-1520), Gent, 1889, t. I, p. 455-456.

Page 3: La «Sorcière» ou la construction d'un mythe tout au long ...docum1.wallonie.be/DOCUMENTS/CAHIERS/CN79/MRW044_CN79_047-050_LR.pdfmythe de la sorcière grâce à saint Thomas d’Aquin06

49

avoir estet pardevant monseigneur le chancellier et Consel de Brabant pour le fait d’une appiellée Aelis, qui estoit palmée d’iestre valdoise, et que, par certaines cognissances qu’elle avoit devant les juges del Nuefrue, elle avoit estet relivrée à la justice de maditte damme de Nivelle ; laquelle aussy relivrée et ouie sa confession où qu’il y avoit certaines oevres dyabolicques qu’elle disoit par son enort estre fait, tant d’avoir fait ardre certaines maisons, comme d’alcuns ses membres qu’elle avoit cognut, avoir donnet et rendut, etc. Et pour scavoir, (attendu qu’elle mescongnissoit tout ce qu’elle avoit paravant cognut,) comment on s’en poroit ordonner et en avoir leur advis, veu que par quelque jehine que on ly faisoit, ne voloit riens dire ; fut trouvet ensamble par le consel et pour le milleur, destre bannis hors de tous les pais de mondit très redoubté signeur, comme elle fut. Et sour ledit cas vacquiet pour ce six jours, au pris de XX patars pour jour, CXX patars. Au tourier pour les despens del dite Aelis, qui fu par loing terme en ledite tourette, montant à la somme de LX jours, pour ce que on en parlat à pluiseurs clers et autres pour le fait de sa congnissance, et ossy que on avoyt alcunne requeste de certains ser-viteurs de monseigneur le dalphin, payet pour ce audit tourier pour le résidu au-dessus d’alcunes menuez bages qu’elle avoit, qui premier vendues, icij derest XXXVI jours à I viesgros pour jour, mon-tent CIIIIXX XII patars.»10

Traduction française

«Frais occasionnés sur l'affaire précédente, dont la ville n'a seulement pris que connaissance, et payés par les seigneurs Duc de Brabant, Madame de Nivelles et Monseigneur le prévôt selon leur statut de seigneurs comme il s'en suit. D'abord, au dit maïeur pour avoir accompagné devant monseigneur le Chancelier et le Conseil de Brabant, une dénommée Aelis qui était accu-sée d'être vaudoise et que à la suite des connais-sances qu'elle avait parmi les juges de Neuve-Rue a été renvoyée à la justice de ma dite Dame de Nivelles. À la suite de son renvoi, la confes-sion d'Aelis a été entendue. Elle dit avoir réalisé des œuvres diaboliques comme avoir fait brûler certaines maisons tout comme quelques amis qu'elle connaissait et qu'elle a dénoncés. Et pour savoir (considérant qu'elle renie tout ce qu'elle a dit auparavant) comment juger cette affaire et avoir un avis, on chercha à la faire avouer mais elle ne voulait rien dire. Il fut trouvé par l'en-semble du conseil et pour le meilleur, qu'elle soit bannie hors des terres du très redouté seigneur Duc de Brabant. Ainsi pour les six jours vacants du maïeur au prix de 20 patards par jours, elle doit 120 patards. Au geôlier, pour ses dépenses occasionnées pour sa longue incarcération de soixante jours, parce qu'on a aussi parlé à plu-sieurs clercs à la suite de ses connaissances et enfin parce qu'on a envoyé plusieurs serviteurs du dauphin en requête, étant donné qu'on a déjà payé le dit geôlier avec les revenus occasionnés par la vente de ses petites affaires, il ne reste plus que trente-six jours à un vieux gros par jour, ce qui monte à cent nonante-deux patards.»

Il est étonnant de savoir que la littérature médié-vale comporte aussi son lot de magie. Toutefois, ce ne sont pas des sorcières qui y apparaissent mais bien des enchanteurs. Dans nos régions, la légende médiévale la plus connue est celle des quatre fils Aymon et de leur cheval fabuleux appelé Bayard. Ces quatre frères qui rendent la vie impossible au grand roi Charlemagne ne se-raient pas grand chose sans leur cousin Maugis d'Aigremont. En effet, c'est lui qui a libéré Bayard emprisonné dans une grotte gardée par des démons et un dragon. Tout au long de la lé-gende, Maugis va aider ses cousins à combattre Charlemagne. Il fabrique ainsi des onguents pour soigner ou pour changer l'apparence des gens, il aide les personnages de l'histoire à s'enfuir

08H. INSTITORIS & J. SPRENGER, Le marteau des sorcières, éd. Jérôme Millon, Grenoble, 2005.

09Archives générales du Royaume, Reg. n° 12879 de la Chambre des Comptes ( Marie de Nivelles, 1459-1460 ) Comptes de Warnier de Daville, mayeur de Nivelles, 1459-1460, f° 24.

10P. FREDERICQ, Tot aan de herinrichting der inquisitie onder Keizer Karel V (1025-1520), Gent,, 1889, t. II, p. 265, n° 158 (318 bis).

Procès de sorcellerie en 1460 à Nivelles à l’encontre d'une jeune femme nommée Aelis.© Archives générales du Royaume, Reg. n° 12879 de la Chambre des Comptes (Marie de Nivelles, 1459-1460), Comptes de Warnier de Daville, mayeur de Nivelles, 1459-1460, f° 24

Le château d’Amblève à Aywaille.Photo Guy Focant, © SPW

Page 4: La «Sorcière» ou la construction d'un mythe tout au long ...docum1.wallonie.be/DOCUMENTS/CAHIERS/CN79/MRW044_CN79_047-050_LR.pdfmythe de la sorcière grâce à saint Thomas d’Aquin06

50

des prisons du grand roi ou encore réalise des illusions pour duper ses ennemis. Les premières mentions de cette légende datent du 12e ou 13e siècle. En raison du succès de cette geste, initialement appelée la geste de Renaud de Montauban11, des poètes décidèrent d’en écrire des suites ou plutôt des «prologues» : c’est-à-dire des histoires qui ont eu lieu avant le récit primitif. Ces gestes s’appellent : Maugis d’Aigre-mont et Vivien de Monbranc. Cependant, celles-ci ne sont rédigées qu’au 14e siècle, soit deux à trois siècles après la version originale. Nous remarquons que ces suites concernent princi-palement l'enchanteur Maugis. La première de ces suites lui est entièrement consacrée et la seconde est dédiée à son frère jumeau. On peut comprendre l'importance de cette légende dans nos régions aux nombreux «pas Bayard» que l'on peut retrouver disséminés dans nos forêts. Ces «pas Bayard» sont des traces ayant la forme d'un sabot de cheval, ancrées dans la pierre.

11F. CASTETS, La chanson des quatre fils Aymon d’après le manuscrit la Vallière. Avec Introduction, description des manuscrits, notes aux textes et principales variantes, appendice où sont complétés l’examen et la comparaison des manuscrits et des diverses rédactions, Montpellier, 1909.

Les sorcières auraient peut-être tenu sabbat aux mégalithes de Wéris.Photo Guy Focant, © SPW

Aux alentours de ceux-ci, on retrouve souvent les ruines d'un château auquel on rattache la légende des quatre fils Aymon ; par exemple, le château d'Amblève à Aywaille a été renommé le château du duc Beuve d'Aigremont, qui n'est autre que le père de Maugis d'Aigremont.

Enfin, aux alentours des petits villages ardennais flottent souvent quelques légendes de sorcières. Celles-ci auraient tenu sabbat près d'une certaine colline ou d'un certain arbre, ou d'autres auraient préparé des potions magiques sur une grande table de pierre qui n'est autre qu'un ancien dolmen. La plupart de ces légendes ne remontent malheureu-sement pas au Moyen Âge. On peut principalement les dater du 19e siècle. Elles proviennent de la tradi-tion orale qui se transmet de génération en généra-tion. Mais celle-ci ne se perpétue pas souvent sur de longues périodes. Ainsi bien que les sorcières de nos forêts n'aient pas connu le Moyen Âge, c'est bien de cette époque qu'elles proviennent.