la revanche d'une célibataire (emotions) (french...
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TracyBloom
LaRevanched’unecélibataire
Traduitdel’anglais(Grande-Bretagne)parPaulineBuscail
MiladyRomance
Pourmamanetpapa,quiaccordentleursviolonsdepuisplusdequarante-cinqans,cedontjeleurseraitoujoursreconnaissante.
Chapitrepremier
ChèreSuzie,C’estlapremièrefoisquej’écrisaucourrierducœur,maisjen’aipersonned’autreàquimeconfier.Voilà:ilyasixmois,monmarim’aquittéepourunepersonnededixansmacadette, qu’il a rencontrée dans un cours d’aérobic. Totalement dévastée, je me suisconsolée dans la nourriture et j’ai pris dix kilos en un rien de temps. Puis il y a deuxsemaines,ilasurgidenullepartsurlepasdelaporte,sedisantprêtàrentreràlamaisonàunecondition:quejedevienneplusaudacieuseaulit.Ilm’alaisséunelistedecequ’ilavaitentête;enmajeurepartie,despratiquessadomasosquej’aidûcherchersurInternetpourm’enfaireneserait-cequ’unevagueidée.Jel’aimetant,etjedonneraistoutpourlerécupérer,maisimpossibledetrouverlatenueenPVCqu’ilm’asuggéréeentaille46.Quedois-jefaire?
Désespérémentvôtre,Trish
ChèreTrish,Achetez la tenue en PVC en taille 38, ainsi que desmenottes et un chalumeau. Appelezvotremari,dites-luiquevousvousplierezàtoutessesexigencesetquevousvoulezqu’ilrentreimmédiatement.Dèssonarrivée,annoncez-luiquevousfereztoutcequ’ilveutàunecondition:qu’ilenfilelatenueenPVC.Unefoisqu’ill’auramise,menottez-leaulit,puisdégainezlechalumeauetdemandez-luiquellepartiedesonanatomieilveutsefairebrûleren premier. Enfin, dites à cette vermine de ne plus jamais vous importuner – espèced’idiote,idiote,idiote…
Suzie ne s’était pas rendu compte qu’elle se cognait la tête contre l’écran de son ordinateur, en
répétantinlassablementlemot«idiote»,jusqu’àcequeDrewnelaforceàseredresserenlatirantdélicatementparlesépaules.—«Ctrl+alt+suppr».Engénéral,çamarchemieuxquededonnerdescoupsdetête,lança-t-ilen
s’asseyant à son bureau, juste à côté, avant de commencer à marteler les touches requises pourpréparersonpostedetravail.Suzieavaitàpeineconsciencequesarespirationétaitsaccadée,etqu’elles’agrippait trèsfortau
bord de son bureau. Curieusement, les locaux du Manchester Herald semblaient bourdonnernormalementautourd’elle,ignoranttotalementlefaitqu’ellesesentaitàl’opposédesonétatnormal.Elle avait plutôt l’impression d’être un château de cartes à deux doigts de s’effondrer, attendantseulementquequelqu’unfasseunfauxmouvement.—Tuvasbien?s’enquitDrew,interrompantsonmartèlementférocesursonclavierpourjauger
laminedéconfitedelajeunefemme.Fauxmouvement.Inquiétudemanifestéeparuncollègue.Effondrementimminent.—Pourquoi ? grommela-t-elle, s’efforçant désespérément de se contenir, alors qu’ellemourait
d’envie de fondre en larmes. Pourquoi est-ce que j’écris cette saleté de rubrique de courrier ducœur?—Hum,parcequec’esttoiquienaseul’idée?suggéraDrew.—Jesaisquec’estmoiquienaieul’idée,rétorqua-t-elle,sonirritationcommençantàdéformer
lestraitsdesonvisage.Maisjenelepensaispas.C’étaituneblague,ajouta-t-elle,lesdentsserrées.SiGareth s’imagine que ça va nous ramener notre lectorat féminin, c’est un imbécile, doublé d’unetriplebusepourm’avoirdemandédem’encharger.—Pourtant tu nemanques pas d’expérience en relations amoureuses, fit remarquerDrewd’une
voixtraînante.Elle se tournavers lui, sedemandantcequipouvaitbien lui laisserpenserque le sarcasmeétait
bienvenudanscetteconversation.—Ah, oui ? reprit-elle. Voilà pourquoi à l’âge canonique de trente-six ans, je me retrouve de
nouveauseule,n’est-cepas?Suzies’emparad’undestrollsalignéssursonbureauetsemitàtirerviolemmentsursescheveux
bleuélectrique.—Qu’est-cequis’estpassécecoup-ci?soupiraDrew.Ilsetournaverselleetadoptalaposturehabituelle.Visionôcombienfamilièrecescinqdernières
années,oùilavaitoccupélebureauàcôtédusien,toujoursenpremièrelignefaceàsestraumatismesamoureux.Lesbrascroisés,ilarborasonregardquisignifiait«tuesuneidioted’endurertoutescesbêtises»,avantdejeteruncoupd’œilàsamontre.Ellesavaitqu’ellen’avaitpasbienlongtempsavantqu’il ne fasse remarquer qu’il avait un délai à respecter, donc elle s’empressa d’attraper sontéléphonepourluiexposerlesfaits.— J’ai reçu ce message d’Alex dix minutes après qu’il a quitté mon appartement ce matin,
expliqua-t-elleenluifourrantleportabledanslesmains.«Désolée,Suze,maisçanefonctionnepasdemoncôté.Mieuxvautqu’ons’arrêtelà,tantqu’on
peutencoreresteramis,etqueçanedevientpasbizarreauboulot.Alex»—Oh,zut,commentaDrew,sansexprimerlamoindresurprisenilamoindrecompassion.—Et…enplus…,poursuivitSuzie,luttantpournepaséclaterensanglots.Nousavonsfaitl’amour
justeavantqu’ilparte.Unsilencegênants’installa,letempspourDrewd’intégrerl’informationenquestion.—Saletype,finit-ilparmarmonnerdanssabarbe.Puisilpoussaunsoupir,décroisalesbrasetposalesmainssursesgenoux.—Tupeuxtrouvertellementmieuxquelui,reprit-il.OublieAlex,etprendstonmalenpatiencele
tempsquequelqu’unquienvaillelapeineentreenscène.— J’ai trente-six ans, Drew. Ce n’est pas de la patience qu’ilme faut,mais du Botox, répliqua
Suzie,réussissantàarracherunetouffedecheveuxbleusdelatêtedutroll.Etc’estfacileàdirepourtoi,quiesfiancéàl’amourdetavie,etnonentraind’erreravec«aimantàtocards»tatouésurlefront.Follederage,ellejetaletrollamochéparterre.Drewentrepritderépondre,maiselleavaitbesoindevidersonsac,etçanepouvaitattendresous
aucunprétexte.—J’enaiassez,gémit-elleenattrapantunautretrollsursonbureau,vêtuenfootballeurcettefois.
Regarde ça, poursuivit-elle en le brandissant sous le nez de Drew.Mon tout premier amour m’aachetéçaquandj’avaisquinzeans,puisilm’aplaquéedevanttoussescopainsenm’accusantd’êtreennuyeuse.Ellelâchalafigurineetl’observarebondiràdeuxreprisessurlebureauavantdetomberparterre,
poussant au passage le troll aux cheveux bleus,maintenant àmoitié dégarni, qui gisait près de lacorbeilleàpapier.—Etcelui-là,reprit-elleenenbrandissantunautre,pourvudecheveuxjaunefluo.Celui-là,jel’ai
surprisaulitavecunedemesmeilleuresamies,aprèsdixansdeviecommune.Cecoup-ci,elle sauta l’étapedubureauet lebalançadirectementenchute libre rejoindre leduo
désolantparterre.—Quant à lui, enchaîna-t-elle en tenant en l’air un troll espagnol jouant de la guitare.Eh bien,
disons simplement que son existence était nettement plus compliquée que ce qu’il m’avait laisséecroire,marmonna-t-elle,incapablederegarderDrewdanslesyeux.Letrolljoueurdeflamencoatterritlatêtelapremièresurlefootballeur,etrestaentassélà,comme
s’ilspratiquaientunepositionpeuorthodoxe.—Ces jouets incarnentchacunde tespetitsamis?demandaDrew.Etdireque je te soupçonnais
seulementd’avoirtrèsmauvaisgoût.—Ilsn’incarnentpaschacundemespetitsamis,protesta-t-elle.Drewfronçalessourcils,visiblementperplexe.—Seulementceuxdontjesuistombéeamoureuse,précisa-t-elle.Ellesemorditlalèvrepourempêcherleslarmesdedéborder.Ilsgardèrentlesyeuxrivéssurlesreliquesdesoncœurbrisé,quileursouriaientbêtement,deleur
litdemoquetteenNylond’unvertinsipide.—Maispourquoi?insistaDrew,incrédule,ensecouantlatête.Suziesavaitqu’aucuneexplicationnepourraitconvaincreunêtreaussirationnelqueDrewquesa
collectionfarfelueavaitquoiquecesoitdesensé.Ellesoupiraetsentitsoncorpsentiers’affaisser,tandis qu’elle se résignait d’avance à parler comme la femme entre deux âges désespérée qu’elledevenaitàvitessegrandV.—Parceque,aprèsvingtlonguesannéesàenchaînerlesrencards,j’aibesoindemerappelerque
j’aiaumoinsconnuquelquesraresmomentsd’amourdansmavie,répondit-elle.Il la regarda dans les yeux, et elle s’attendit à un élan de compassion de sa part. C’était sans
comptersurDrew.—Mais,Suzie,tuviensdemedirequ’ilsonttousétédevéritablestocardsavectoi,pourreprendre
tesproprestermes.Ellebaissadenouveau le regardsur les trollsentasséspar terre.Elleavait ludansunmagazine
quelconquequ’ilfallaittoujoursadopteruneattitudeconstructivesurlesrelationsquiavaientcomptédanslepassé.Sesouvenirdesbonsmoments,ettirerdesleçonsdesmauvais.Peut-êtreétait-iltempsdeconsidérerlesreliquesétaléessoussesyeuxàleurjustevaleur:unatrocerappeldeshommesquiavaientfaitdesonparcoursamoureuxunvéritabledésastre,lalaissantapprocheràgrandspasdesesquaranteans,lacondamnantàuneexistencedevieillefillesansenfants.Àeuxquatre,ilsavaientruinésaseuleetuniquevieamoureuse.—Tocards,maugréa-t-elleenleurdonnantuncoupàl’aided’undesestalonsaiguilles–élément
essentieldelapanopliequ’elleétaitcontraintedecontinueràporterpourattirerlagentmasculine,vusonétatdeperpétuellecélibataire.—Oh,pour l’amourduciel, s’impatientaDrew,àboutdenerfs.Tuvauxmieuxqueça.S’ils se
trouvaienttousdevanttoimaintenant,qu’est-cequetuferais?S’ilsse trouvaient réellementdevantelleàcet instant?Enchairetenos?Cetteseule idée la fit
frémir.Dessouvenirsdeterriblespériodesdedeuilluirevinrentparvagues.Tantd’heurespasséesàs’efforcerdecomprendreàquelmomenttoutavaitmaltourné.Tantdetentativesdésespéréespourlesrécupérer,engénéraldansletaxiquilaramenaitchezellebredouillelesamedisoir,quand,motivéepar l’alcool, elle se retrouvait incapable de retenir ses doigts d’envoyer desmessages suppliants.Tentativestoutesignoréesbiensûr,laplongeantinévitablementdansuneprofondedéprime,avantdecéderlaplaceàlacolère,puisàmoultrêvesdereprésaillesetdevengeancepourcequ’ilsluiavaientfait subir.Ladéferlantede regretsqui l’assaillaitàprésentmenaçaitdesechangersoitenchagrin,soitencolère.Elleoptapourlacolère.—Jevoudraislesfairesouffrirautantqu’euxm’ontfaitsouffrir,cracha-t-elle,lesmainscrispées
surlesaccoudoirsdesonfauteuil.Commej’auraisdûlefaireàl’époque.Troptardmaintenant.Cesderniers temps, tout arrivait trop tard.Depuisqu’elle avait décrété qu’elle se trouvait sur la
voierapideverssesquaranteans,ilétaittroptardpoursemarier,troptardpouravoirdesenfants,ettroptardpourchangerdecarrièreetmettrefinàlalenteagoniequereprésentaitlejournalismedanslapresselocale.Fatalement,elleavaitcommencéàregarderenarrièreetàréfléchiràcommentelleenétaitarrivée là.Toujourspasmariée,sansenfants,àécrireuneridicule rubriquedecourrierducœur pour un torchon local. Si seulement elle pouvait revenir en arrière et faire les chosesdifféremment.Bonsang,troptardàprésent!—PaspourAlex,celadit,intervintDrew,interrompantlefildesespensées.J’aidéjàentenduça
xfois.Tuleslaissess’entirerentetraitantcommeunemoins-que-rien,Suzie.Pourunefois,fais-luisavoirtafaçondepenserettournelapage.Etaupassage,laissetombercetteridiculelubiedestrolls.Suzieledévisageaunmoment,avantd’attraperletrollauxcheveuxbleusàmoitiéchauve.—Tuasraison,finit-ellepardireenregardantdenouveauDrew.Horsdequestionqu’ils’ensorte
enmetraitantainsi.Jevaisluifairesavoirmafaçondepenser.—C’estlapremièrechosesenséequetuaiesditedelamatinée,fitremarquerDrew.—Jevaisluienvoyerunmessage,reprit-elleenattrapantsontéléphone.Qu’est-cequejedevrais
écrire?—Pasdemessage,réponditDrewenluiconfisquantsontéléphone.Affronte-le.Traite-ledetocard
enface,bonsang.Tecontenterd’unmessageterabaisseàsonniveau.—D’accord,acquiesçaSuzie.Sesnerfsenpelotemenaçaientd’ébranlerlafaçadedebravourequ’elleavaitbâtieàpeinequelques
instantsplustôt.—Jevaisluidireenface.Évidemmentquejevaislefaire.—Bien,laconfortaDrew.Dèsqu’ilarrive.Pasdefuitepourpleurerdanslestoilettesdèsquetu
leverras.—Biensûrquenon,répliquaSuzie,s’efforçantdeparaîtreplusassuréequ’ellenel’étaitenréalité.
Dèsquejelevois,jeluifoncedessus.—Parfait, repritDrewenfaisantdenouveaufaceàsonordinateur, lesmainsdéjàposéessur le
clavier,prêtesàentrerenaction.Bon,ilfautmaintenantquejevantelesméritesdulamentableserviced’hygiènedeManchester.Jeteconseilledeteconcentrersurunetâchetoutaussipassionnante.Là-dessus,ilsemitàtaperfurieusementsursonclavier,marquantclairementlafindelaséancede
thérapierelationnelle.À15heures,Alex,sansdoutetropoccupéàfairedelalècheàdesannonceurspotentielsdansle
seuldesseindefairepassersondéjeunerennotedefrais,n’avaittoujourspasmontréleboutdeson
nez.Suzieavaitpassésontempsàjeternerveusementdescoupsd’œilverslecouloirderrièreelle,oscillantentresonenviedésespéréedelevoiretsaterreurenpensantàlafaçondontelleallaitréagir.Elle tentadese focaliser sur le faitd’acheversa rubriquedecourrierducœur,à rendrecetaprès-midi-là,maisserévélaitincapabledetrouverlesmotspourconsolerlescœursbrisésquandelleétaitdansunétatpareil.Àpeinevenait-elledecommenceràlirelaréponsevirulentequ’elleavaitécritelematinmêmeauproblèmedeTrish,queDrewluifitunetapesurl’épaule.—C’estparti,luidit-il,enindiquantdelatêtecequisetrouvaitderrièreelle.—Quoi?s’écria-t-elle,sachantimmédiatementqu’Alexavaitdûenfinarriver.LevisagedeSuziedevint livide.Elle se figea sur sonsiège, incapablede se retourner, en jetant
nerveusement des coups d’œil àDrew, lorsqu’un sifflement enjoué, bien trop familier à son goût,résonnadanslebureau.QuandDrewluidonnaunpetitcoupdecoudedanslebraspourl’encourager,elleseforçaàtournerlentementlatêteendirectionducouloir.Alex,vêtud’uncostumebleumarineimmaculé, ainsi quede la chemise et de la cravatehorsdeprixqu’elle lui avait offertespour sonanniversaire, avançait d’unpas assuré, en semant autourde luiuneodeurd’après-rasagebien tropfamilière. Il prit immédiatement conscience que Suzie l’observait. Il lui adressa un signe demainanodinetpassal’airderienàcôtédesonbureaupourrejoindrelasallederéunion.LamaintremblantedeSuziestagnaunmomentenl’air,etunfaiblesouriresefigeasurseslèvres.
Hébétée,ellegardalesyeuxrivéssursonpassage.—C’étaitquoi,ça?s’exclamaDrew.Allez.Rattrape-leimmédiatement.Videtonsac.Jesaisquetu
peuxlefaire.Elletournalatêteverslevisageincréduledesoncollègue.—Jenepeuxpas,souffla-t-elleensecouantlentementlatête.—Pourquoiça?demanda-t-il.— Parce que…, commença-t-elle en détournant les yeux, honteuse. Parce que…, tenta-t-elle de
nouveau,sachantqu’elles’apprêtaitàsecouvrirderidicule.—Parpitié,nedispascequejecroisquetuvasdire,plaidaDrew.—Parcequejel’aime,lâcha-t-elle,incapabledeleverlesyeuxetd’endurerlaréactiondeDrew.Qu’était-ellecenséefaire,alorsqu’elles’étaitsentiepriseaupiègeàl’instantmêmeoùelleavait
poséleregardsurAlex?Toutesacolèreettoutesapeineavaientétémisesentoucheparuneviolenteoffensived’envieetdedésir.Elleseforçaàleverlesyeux,pourfairefaceàl’expressiondeconfusiontotaledeDrew.Elleétait
incapable de lui fournir la moindre explication. Elle n’arrivait même pas à se l’expliquer à elle-même.—Désolée,bredouilla-t-elleenseredressant,tremblante,etenprenantsonmanteausurledossier
de sa chaise.Désolée, répéta-t-elle lorsqu’elle trébucha contre son fauteuil et se retrouva étaléedetoutsonlongdanslebureau.Ellenepouvaitendurer l’incrédulitédeDrewplus longtemps.Ellesavaitqu’ilavait raison,mais
elleaimaitAlex,cequi,quelquepart,luiinterdisaittoutface-à-faceviolent,endépitdecetterupturetout à fait inacceptable et irrespectueuse. Elle aimait Alex ; autrement dit, la seule chose qu’ellepouvait gérer à cet instant était une dissection déprimante de leur relation, pour comprendreprécisémentoùelles’étaittrompée,etsurtout,siellepouvaitychangerquoiquecesoit.
Chapitre2
ChèreTrish,Jevousenvie,sincèrement.Detouteévidence,votremarivousaimetoujours;sinon,ilnesouhaiteraitpasreveniretrecréercequevouspartagiezparlepassé,envousproposantdeprendrepartàsesfantasmessexuels,si?Bienentendu,vousnedevriezpasfairequoiquecesoitquivousmettemalàl’aise,maisjevousconseilledevousasseoiretdediscuteraveclui,pourtrouverunterraind’ententequivoussatisfera tous lesdeux.J’ajouteraique lePVCnemetpasenvaleur les silhouettesgénéreuses, mais je vous recommande les strings de Marks & Spencer, disponiblesgénéralemententaille46,ainsiquelessoutiens-gorgeàgrandsbonnetsassortis.Demême,jevousencourageàprendredescoursd’aérobicavecvotreépoux,maisveillezpeut-êtreàchoisiruneautresalledesportcettefois.Saisissezcettechance,Trish,carquandonaimeprofondémentquelqu’un,çavautlapeinedesebattre.
Bonnechance.Suzie
Danslebusquilaramenaitchezelle,SuzieretournaitdésespérémentsarelationavecAlexdanssa
tête, lorsqu’elleprit soudainconsciencequesondépartprécipitédubureau impliquaitqu’elleallaitdépasserledélaiaccordépoursoumettresarubrique.Ilneluimanquaitplusqu’àterminersaréponseauproblèmedeTrish,maisellesavaitàprésentàquelpointsa réponse initialeétaitmalavisée.Ladernièrechosedontcettefemmeavaitbesoinétaitdes’entendrediredebrandirunchalumeauenfacedesonmari.Trishavaitunechancederécupérersonbien-aimé,etilfallaittirerlemeilleurdetouteslessituations.Elleavaitbesoind’êtreencouragée,pasdevoirsesespoirsréduitsencendres.Suzietapauneréponsecorrigéesursontéléphoneetlatransféraaubureaujusteàtemps,enespérantavoirtrouvélesmotspouraidercettelectriceàsauversoncouple.Son attention n’étant désormais plus distraite par son travail, la jeune femme observa les rues
morneset ruisselantesdeManchesterpar lesvitresdubus, assombriesde tracesdedoigt et autresmorves d’enfant, et se demanda ce qu’elle pourrait bien faire pour sa propre vie amoureuse.Uneprofonde mélancolie l’enveloppa, lorsque le bus s’arrêta en sifflant sur High Street, en face desfenêtresbienéclairéesdeMcDonald’s,etqu’elleselaissaalleràcequ’ellefaisaittoujoursàcestadedesontrajetverschezelle.Ellenepouvaits’enempêcher.Ellerivalesyeuxsurlatableetleschaisesnichéesaucoindelafenêtredegauche,etrevécutl’instant.L’instantoùAlexl’avaitembrasséepourlapremièrefois.Toutétaitarrivésixmoisplustôt,àlafindecequ’elleavaitgardéenmémoirecommel’undes
plusbeauxjoursdesavie.Aprèstout,onn’apassouventl’occasiond’avoirl’hommeenhautdesaliste,si?Unnumérocinqpeut-être,avecbeaucoupdechance,maisunnuméroun–quandest-cequeçaarrive?ElleetsameilleureamieJackieavaientcommencéàfaireleurTCPAP(Topcinqdepetitsamispotentiels)dèsleuradolescence,principalementdansl’intentiondesemoquerouvertementde
leursgoûtsrespectifsenmatièred’hommes–mêmesiJackien’avaitjamaistrouvédrôlequeSuziemetteRickAstleyennumérounpendantdix-huitsemaines.Jackien’avaitplusbesoindeliste,étantàl’abriconfortabled’unsecondmariageheureux,maisSuzieentenaittoujoursune,lamettantàjourdans sa tête presque aussi régulièrement que la Bourse de Londres. C’était son filet de sécurité,primordialpourlarassurersurlefaitqu’ellen’avaitpasencoretouchélefonddugouffreamoureux.Hélas,lesannéespassant,elles’étaitvuecontraintederevoirsesexigencesàlabaisse.Lescélébritésavaientfiniauxoubliettesaucoursdesavingtaine,leshommeslesplusattirantss’étaientvusradiésquandelleavaitunepetitetrentained’années,etàprésent,salisterecensaitprincipalementdestypesquiétaientcélibatairesetquinelarépugnaientpas.VoilàpourquoiAlexavaitétéunetellerévélation.Un homme célibataire, dans la trentaine, et absolumentmagnifique.Dès son arrivée au journal endébutd’annéepourdirigerl’équipechargéedesventesetdelapublicité,ilétaitentrédirectementausommetdesaliste.Elle s’était efforcée de ne pas le harceler comme une adolescente transie d’amour,mais s’il se
trouvaitqu’ellepartaitdéjeunerenmêmetempsquelui,alorstantmieux.Ilfallaitqu’elleluiparle;ellenepouvaittoutsimplementpasl’ignorer.Etpouruneraisonobscure,ellebuvaitplusdecafélesjours où il travaillait au journal ; autrement dit, elle devait faire plus d’allers-retours jusqu’à lacuisinequisetrouvaitjustementenfacedubureaud’Alex.En définitive, c’était Gareth, le nouvel éditeur, qu’elle devait remercier pour les avoir réunis.
Durantsonpremierjour,Garethavaitconvoquétouslesmembresdel’équipedansunesalle,etexigéque chacun d’entre eux propose aumoins trois idées pour booster les ventes du journal, alors engrande difficulté. Lorsqu’elle avait négligemment suggéré un courrier du cœur, il avait sauté surl’occasion.« Excellente idée, avait-il dit, en la gratifiant du sourire typique du trentenaire londonien de
premierplan.D’autantplusquelasectionRencontressurlesiteaplusdesuccèscestemps-ciquelatotalité de votre rubriqueMode de vie, avait-il poursuivi sur un ton tranchant. Je veux que ce soitintégrédèslasemaineprochaine,etcoopèreavecAlexpourvoirquelsannonceursçapeutramener.Viagra,Tampax,peuimporte–tantqueçarapporte.»«Occupe-toiducontenu,bébé,jemechargeraideDurex», luiavaitsouffléAlexcesoir-là, lors
d’uneanalyseapprofondieetbienarroséedunouveléditeurdansunbar,aveclerestedel’équipe.Plustard,illuiavaitdéclaréqu’illeurfaudraitdiscuterdelanouvellerubriqueendétail,etavait
proposédelefairechezMcDonald’s,parcequ’ilmouraitdefaim.Alors qu’elle le suivait en titubant jusqu’àPiccadilly, elle s’était amèrement dit qu’aller dansun
fast-foodaprèsunpotdetravailneconstituaitpasunrencard.Toutefois,ellenepouvaits’empêcherd’éprouverunecertaineexcitationàl’idéedupotentielromantiquedelasituation:êtreassiseprèsdelui, tous les deux seuls dans un restaurant, quoique cernés d’adolescents obèses et de clochardsrachitiques.Ellesentaitencorelegoûtdecepremierbaiser.Dufromageavecunepointedecornichon.Après qu’il eut satisfait son appétit, au plus grand étonnement de Suzie, il l’avait attirée sur ses
genouxdevantcettemêmefenêtreetluiavaitlittéralementdévorélevisage.Ellelesrevoyaitgloussercommedesadolescentsstupides,inconscientsdesremarquesgrossières
queleurfaisaientlesbadauds.«Je te trouveadorable», avait-ilditquand ilsavaientenfin repris leurs soufflesetqu’une table
d’adosboutonneuxlesavaientapplaudis.Elleavaitétéàdeuxdoigtsdes’évanouir,lorsqu’un«Fais-lui-enunpourmoi»s’étaitélevédela
tabled’àcôté.
« J’en serais ravi », avait alorsmurmuréAlex à son oreille,manquant de la faire défaillir unenouvellefois.Bienévidemment,ellel’avaitramenédanssonlit.Ellenevoyaitabsolumentaucuneraisondes’en
priver.Elle le traquait depuis desmois, donc à quoi bon perdre du temps ?D’autant que le tempsn’étaitpasunluxequ’ellepouvaits’offrir.Sefairelonguementcourtiser,c’étaitpourlesfillesd’unevingtained’années.Àtrenteanspassés,ilfallaitbrûlerlesétapespoursavoirvitesivotrepartenaireseraitpartantpourlelongterme.Repousserlesexeaprèsunrencardétaitunpetitplaisirqu’ellenepouvaits’autoriser.Parchance,leurinterludepost-McDonald’savaitmarquéledébutd’unebellerelation,etpasd’un
coup d’un soir trop alcoolisé entre collègues, à ne jamais réitérer. Ce fut avec un plaisir nondissimuléqu’elleavaitappeléJackie,pourluiannoncerqu’ellefréquentaitunnuméroundesalistedepetitsamispotentiels.Unvraidevrai.Çaluiavaitprispasloindevingtanspourtaperdanslehautdu tableau.Etvoilàqu’enfin,elleyétait, convaincuequecela signifiaitqu’il était l’hommequ’elleavaitattendutoutesaviepournagerdanslebonheurjusqu’àlafindesesjours.«Calme-toi,avaitrétorquéJackie.Jeteconnaisparcœur.Tutombesamoureuseettucessesdevoir
leschosesavec lucidité.Tu t’abreuves tropdecesstupidescomédiesromantiques.Comme je te l’airépété maintes fois, arrête-toi au passage où tout tourne mal. Elles sont beaucoup plus réalistescommeça.»Maiscettefois,Suzieétaitpersuadéequec’étaitdifférent.Elleétaittellementheureuse,qu’elleavait
presquel’impressiond’êtreMegRyan–avantlachirurgieesthétique,bienentendu.EtavanttouslestrucslouchesavecRusselCrowe.Franchement,qu’est-cequiluiétaitpasséparlatête?Quoiqu’ilensoit,onauraitditqu’Alexetellevivaientunvéritablecontedefées.Auboutd’unmoisderelation,ilssortaientensembletouslesvendredisettouslessamedissoir.Deuxmois,etilpassaittoussesweek-ends chez elle. Trois mois, et ils se donnaient des petits noms embarrassants. Quatre mois, et ilsparlaientd’amourengloussantsouslacouette.Auboutdecinqmois,ill’avaitconviéeauxnocesderubis de ses parents. Bon sang, elle avait rencontré ses parents – il savait forcément ce que çaimpliquait ? Et voilà, sixmois, et ils étaient passés de tout ça, à un banalmessage de rupture.Çan’avaitaucunsens.Quelquechoseluiéchappait.Un«bip» insistant de son téléphone l’interrompit dans ses pensées.Son cœur remontadans sa
bouche, tandisqu’ellesemettait instantanémentàespérerquec’étaitAlexquiessayaitdela joindrepour lui dire qu’il avait fait une erreur.Les doigts tremblants dans sa précipitation pour ouvrir lemessage,ellesentitsoncœursombrerdouloureusementlorsqu’ellevitlenomdeDrews’afficheràlafin,pourluirappelerbrutalementqu’ellenedevrait,sousaucunprétexte,tenterquelqueformedesupplicationauprèsd’Alexpendantsadéprimepost-rupture.ElleavaitbeausavoirqueDrewn’avaitquesonintérêtentête,ilnesaisissaitpaspourautantceque
çaimpliquaitd’être«elle».Luiavaittrouvésonpointd’ancragedepuissilongtempsqu’ilenavaitoublié l’impression que ça faisait de flotter à la dérive, sans le moindre port d’attache. Il fallaitqu’elle appelleAlex. Elle se le devait à elle-même, ne serait-ce que pour comprendre pourquoi ilavait rompu. Après tout, peut-être que c’était dû à une broutille, qui pourrait être arrangéeimmédiatement.Horsdequestionqu’ellelaissesoncouplepartiràvau-l’eaupours’économiserunmalheureuxcoupdefil.Pour la première fois ce jour-là, elle éprouva une pointe d’espoir lorsque le bus s’immobilisa
devant son arrêt. Elle récupéra son parapluie sur le sol détrempé de boue, et se fraya un cheminjusqu’àlaporteavant.Hélas, cette lueurd’espoirvacilla à laminuteoùellepassa saported’entrée.Commesurpilote
automatique,ellebaissalesyeuxsurlecasieràchaussures.Alexavaitpourhabituded’ylaisserseschaussuresdefootpournepasavoiràfaireunsautchezluitouslesdimanchesmatin,pouralleraumatch.Elle avait rangé la paire de tennis qu’elle n’utilisait jamais juste à côté, enchantée par cettevisionharmonieuse.Leschaussuresdefootavaientdisparu,seulesquelqueséclaboussuresdebouedemeuraient sur le sol, tellesdes cendres.Sabrosse àdents, sonaprès-rasageet sondéodorantdevoyageavaientdisparu,euxaussi.Sansaucunepitié,ilavaitemballésesaffaireslematinmême,puisfermé la porte derrière lui, sachant déjà que c’était la dernière fois qu’il se trouvait dans cetappartement.Hébétée,ellesetraînalentementaurez-de-chaussée,s’efforçantdésespérémentdecomprendrece
quiluiarrivait.Sedirigeantverslacuisineenquêtedecaféineetdequoiquecesoitd’horriblementgras, elle s’arrêta net sur le seuil. Elle haleta, dévastée par la scène qui se tenait devant elle. Sonregardsepromenaitsur lesreliquesdesadernièresoiréeavecAlex,entasséesn’importecommentsurleplandetravaildelacuisine.Deuxbouteillesdevinrougevides.Unquignondepain.Unpotdefromagefondusurgelé.Cinqousixfeuilletésencoreintacts.Deuxbougiesconsuméessedressantsurdeuxvieillesbouteillesdevin.Deuxverressales.Unprésentantdesmarquesderougeàlèvres.CeluideSuzie.L’autre,destraces
dedoigtgraisseuses.Celuid’Alex.Unetasseàcafécassée.C’étaitlatasseàcaféquiluidonnaitenviedeserecroquevillersurelle-mêmeetdepleurer.Moins
devingt-quatreheuresplustôt,AlexavaitbalancéSuziesurlesoldansunélandepassion,tandisquesesmainsparcouraientsoncorpsentier,lafaisantglousseretgémirjusqu’àcequ’elleabdiqueetselaisseguiderjusqu’àlachambre.Cefutpeut-êtreleurmeilleurepartiedejambesenl’air,galvaniséeparl’euphoriedeSuziequandelleavaitentenduAlexluidirequ’ilvoulaitpasserNoëlavecelleetsafamille.Elleétaitsinerveuseàl’idéedeluiposerlaquestion.Maiscommeellenecessaitdeselerépéter,
touttendaitàprouverqu’ellen’entraitpasenterritoirehostile.Ilspassaienttoutleurtempsensemble,elleavaitrencontrésafamilleentière,etelleenétaitauxblaguesavecsesamis.Celaétant,elles’étaitefforcéedeparaîtredétachée,pouréviterdemettretoutepressionsursaréponse.«MamèrecuisinepourleréveillondeNoëlcetteannée,avait-ellelancé,l’airderien,toutenlui
servantduvin.Çatediraitdevenir?»Il l’avait regardée fixement un instant, puis, le sourire aux lèvres, avait répondu :« J’en serais
ravi»,avantdesejetersurelleetd’envoyervalserlatasseimmaculéesurlesol.Suzie avait laissé son imagination s’aventurer dans des contrées qu’elle n’avait pas osé visiter
depuis longtemps :surunfondvivacedefeuxquicrépitentetde lumièresféeriquesquiscintillent,Alexoffrait auxmembresde sa famille lescadeauxparfaits, avantde sortirunpaquet très spécial.UnepetiteboîtecachéedanslesapindeNoël,contenantune…Ellepoussaungrognementetenroulafermementsesbrasautourd’elle,enprenantconsciencede
sabêtise.Elleétaitalléetropvitepourlui,c’étaituneévidence.ElleluiavaitdemandépourNoëletl’avaiteffrayé.Pasdeproblèmepourqu’ellerencontresafamille,maisvisiblement,queluirencontrelasienne,c’étaitlepasdetrop.Pourquoi,maispourquoiavait-ilfalluqu’elleluiposelaquestion?Pourquoi n’avait-elle pas pu laisser les choses suivre leur cours ? Le laisser lui, plutôt qu’elle,donnerletempo.
Elles’effondraparterre,s’enfonçantlatêtedanslesmains.Elleavaitlanausée.LaperspectivedecequeNoëlluiréservaitdésormaisluiapparut:samèrel’assaillantdequestions,censéesrévélersi,ouiounon,sonéternellecélibatairedefilleétaitenréalitélesbienne;etsasœurcadette,tropcontentedelarabaisserenparlantdesonenterrementdeviedejeunefilleàvenir.Ellen’auraitqu’àretirerson invitation, luidirequec’étaientdesparolesen l’air. Ilpouvaitbien
fairecequ’ilvoulaitpourNoël.Çan’avaitaucuneimportance,tantqu’ilsétaientensemble.Recouvrantunelueurd’espoir,elleselevapéniblementetattrapaletéléphonesurleplandetravail
delacuisine.Elleinspiraprofondémentettapasonnuméro,avantdeporterlecombinéàsonoreilled’unemaintremblante,etd’attendredixtonalitésagonisantes,lecœurbattantàtoutrompre,jusqu’àcequ’ildécroche.—C’estAlex,dit-il.—Salut,c’estmoi,lançaSuzie.—Qui?—Moi,Suzie.—Ah,jen’avaispasreconnulenuméro.Ilyeutunblancgênant.—Écoute,Suzie,commençaAlex.—Écoute,Alex,ditSuzieenmême temps.Tun’asaucuneobligationdevenirchezmesparents
pourNoël, s’empressa-t-elled’ajouter.À laplace,onpourrait partirquelquepart, auchaud,oùçatechante.Elles’interrompit.Pasderéponse.Elleécoutalesilence,espérantqu’ilfaisaitéchoausoulagement
d’Alex.—Écoute,Suzie,finit-ilparrétorquer.Ilestdetempsdepasseràautrechose,chérie.Commejete
l’aidit,çanefonctionnaitpasdemoncôté,c’esttout.—Çanefonctionnaitpas?gémit-elle.Depuisquand?—Oh,çafaitdéjàunpetitmoment,répondit-il,sansfournirplusd’explications.—Mais…mais je ne comprends pas, geignit-elle, se triturant lesméninges pour déchiffrer ses
propos.Tum’asemmenéeauxnocesderubisdetesparents.—Oh,c’étaitjustepourqu’ilsnesoientplussurmondos.Ilsnecessentpasdemepomperl’air
pourquejemestabilise,doncjemesuisditquesijet’emmenais,çaleurfermeraitleclapetpendantuntemps.Entoutehonnêteté,Suzie,çafaitunmomentquej’ail’intentionderompre.Suzies’affalacontreleplandetravail.—Mais…lanuitdernière,tuasditquetuvoulaispasserNoëlavecmoi?Elleavaitl’impressiond’êtreuneenfantpathétique,collanteetgeignarde,maisellen’arrivaitpasà
s’enempêcher.Ilavaitfaitnaîtrel’espoirenelle,etmaintenant,toutétaitanéanti.—Moncœur,reprit-il.Tum’asprisunpeuaudépourvu.J’aiseulementdit«oui»parcequ’ilétait
tard,quej’étaisfatigué,etquejen’avaisaucuneenvied’endurerundéballaged’émotions,quantauxraisonspourlesquellesjem’apprêtaisàréserverunesemainedanslesAlpesaveclescopainspourNoël.Elleglapit.—Maisnousavonsfaitl’amour,souffla-t-elle.Deuxfois.—Commejel’aidit,jen’avaisaucuneenvied’undéballaged’émotions.—Tum’asfaitl’amourpourquejelaferme?—Non,protesta-t-il.Jet’aifaitl’amour…parceque…ehbien,parcequej’adorefairel’amour.Elleattenditqu’ilterminesaphrase.
Iln’ajoutapasunseulmot.—Avecmoi!hurla-t-elledanslecombiné.Tuescensédirequetuadoresfairel’amouravecmoi,
espècedetocard!Elleécrasale téléphonecontre lecomptoir,projetantunepiqueàfonduepar terreaupassage,et
repassaaucriblelesvestigesdeseseffortsdelaveille.ElleavaitfaittoutManchesterpouracheterunserviceàfondue,aprèsqu’Alexeutmentionnéqu’il
adoraitça,parcequeçaluirappelaittoujoursdebonssouvenirsdesesséjoursauski.Elleavaitfaitleschaussonsàlaviandeelle-même,dansl’espoirqueçalemetted’humeurfestive.
Au bout d’une semaine d’entraînement, elle était enfin arrivée à des feuilletés présentables, avantqu’Alexneluidisequ’iln’aimaitpaslaviandehachée.Lestracesderougeàlèvressursonverreluirappelaientqu’elles’étaitmaquillée–sanscompter
qu’elles’étaitlavélescheveux,etavaitmêmeachetéunnouveauhaut.Tout ça, rien que pour oser lui demander s’il voulait passerNoël avec elle. Tout ça pour qu’il
puissefairel’amourparcequ’iladoraitça.Passpécialementavecelle.Iladoraitça,voilàtout.Toutçapourqu’ilpuissemettreuntermeàleurhistoireparmessageinterposé.Lentement,elleselaissaglissercontrelaportedelacuisinejusqu’àatterrirsurlesoldenouveau.
Enroulantlesbrasautourdesesgenoux,elleenfouitsatêtedanslecreuxetattenditlacrisedelarmes.Maisriennevenait.Toutcequ’elleparvenaitàfaire,c’étaitprendredegrandesinspirations, tandisquelacolèremontaitenelle.Commentavait-ellepuavoirlabêtisedes’imaginerqu’elleallaitavoirsonhappyend,qu’elleétait
tombée amoureuse du prince charmant, tout ça pour finir par découvrir qu’elle couchait avec unvauriendepuistoutcetemps?Unefoisencore.L’image des quatre trolls fit irruption dans son esprit, comme dans un film d’horreur. Quatre
visagesdedessinaniméentraindesemoquerd’elle, leurscheveuxpsychédéliquesencadrantleurstêtestelleslesflammesdel’enfer.—Tocards!s’exclama-t-elle.Tousautantquevousêtes!Elle n’avait aucune idée du temps qu’elle avait passé assise là, roulée en boule, des vagues de
fureur l’inondant tandisqu’elleréfléchissaitàsonpasséetspéculaitsursonavenir.Elledétestait lestadeoùelleenétait,etàcetinstant,ellelestenaittouspourresponsables.Àcemomentprécis,elleavaitlesentimentqu’ilsavaientruinénonseulementsavieamoureuse,maisaussisonexistencetoutentière.Àunmomentdonné,elle futdistraitedesonmalheurpar lasonneriedeson téléphoneportable,
quelquepartdansl’entrée.Lajeunefemmeselevapéniblement,espérantqu’ils’agissed’uneoreillecompatissantequiavaitentendusadétresse.Cen’étaitpas lecas.C’étaitGareth.Elles’empressaderépondre,sachantqu’ilenguirlandaitquiconqueignoraitsesappels.—Suzie,c’estGareth,beuglalerédacteurenchef.—Salut,lâcha-t-ellesuruntonsec,n’étantpasd’humeuràsefaireremonterlesbretelles.— Je viens de regarder ta rubrique de la semaine, et elle est nulle, poursuivit-il. Je veux une
versioncorrigéepourlaréuniond’équipedemain.Quelquechosequinemedonnepaslagerbe.Lalignefutcoupée.
Chapitre3
Horrifié,DrewavaitregardéSuziequitterlebureaudanstoussesétats.«Parcequejel’aime?»C’était quoi, cette excuse débile ? Il ne comprendrait jamais comment Suzie, une femme attirante,dotée d’une intelligence normale, pouvait devenir une parfaite idiote face à quelqu’un de l’acabitd’Alex.N’arrivait-elledoncpasàperceràjourtoussesairsenjôleursetsonbaratinmielleux?Nevoyait-elle pas qu’il était aussi authentique que son faux bronzage, et qu’il ne vouait de véritablessentiments qu’à sa petite personne ?Ne comprenait-elle pas qu’il n’était sorti avec elle que parcequ’elleavaitsonpropreappartement,etqu’ilavaitbesoind’unendroitoùcrécherpendantquelesienétaitentravaux?—Parcequejel’aime,marmonna-t-ildanssabarbeensecouantlatête.Ilvouaitunehaineprofondeàcettephraseenparticulier.C’étaitle«parceque»quifichaittouten
l’air.Ce«parceque»donnaitunsensdiaboliqueàcesquelquesmotssiparfaits.Unejustificationdestraversdu«lui»enquestion,quiparlàmême,autorisaitcestraversàperdurersansêtreremisenquestion, ni récriminés. Drew était bien placé pour le savoir. Il avait passé beaucoup de temps àréfléchir à cette phrase, depuis qu’elle s’était retrouvée dans l’une des conversations les plussignificativesdesavie–ladernièrequ’ilavaiteueavecsamèreavantdepartirpourl’université.«Pourquoi tune lequittespas,maman?» avait-ildemandé,prenant soncourageàdeuxmains,
toutenmontantdanssavoiture.C’était la toute première fois qu’ilmentionnait à voix haute l’état désastreux dumariage de ses
parents.Les yeux de sa mère s’étaient remplis de larmes, et elle l’avait observé un moment avant de
prononcercesquelquesmots:«Parcequejel’aime.»Son père tenait un pub dans une banlieuemalfamée deManchester. Pendant des années, il avait
résistéàlatentationdudéfiléd’épousesdélaisséesquivenaients’enivreretdéverserleursproblèmesdans son oreille toujours compatissante. La première dont Drew se souvenait était une roussesquelettique,quandlui-mêmeavaitunedouzained’années.Samèrelesavaitsurprisenlacésdanslacaveaprès l’heuredefermeture.Drewparvenaitencoreàvisualisersamère,assiseà la tablede lacuisine,blanchecommeun lingeet tremblante, tandisquesonpère la suppliaitde luipardonneretjetaitdespromessesenl’air,videsdesenscommedesconfettis.Àunmomentdonnédurantlesjoursangoissantsquiavaientsuivi,samèreavaitcraquéetluiavaitpardonné,dansl’intentiondemaintenirle statu quo, mais leur vie n’avait plus jamais été la même. Des périodes de calme relatifprédominaient,jusqu’àcequesonpèrerecommenceetsefassepincer,etquesamères’effondre.Ellepleuraitpendantdesjoursjusqu’àcequesonpèreobtiennesonpardonparlaflatterie,commeilavaitassuréàsonfilsquecelanemanqueraitpasd’arriverenlegratifiantd’unclind’œil,unjouraupetitdéjeuner. Une partie de lui était furieuse contre sa mère, de faire preuve de tant de faiblesse enacceptantdelessoumettre,nonseulementelle-même,maisluiaussi,àcesimulacredefamille.Quantàseservirdel’amourcommeexcuse,ils’étaitpromisdenejamaislaissercesentimentl’affecteràcepoint.L’amourn’avaitaucundroitdeforcerquiconqueàuneexistenceinfernale,commeill’avaitfaitavecsamère. Iln’avaitaucundroitdemanipuler,debaladerdedroiteàgaucheetdesemer le
trouble dans les esprits. SelonDrew, l’amour était une chose qu’il fallaitmaîtriser, et gérer d’unemainfermeetl’espritauclair.Lecœurdevaittoujourspasserausecondplanquoiqu’ilarrive,sinon,c’étaituncoupàfinircommesamère–ouSuzie,enl’occurrence.SiSuzieseservaitdesa têteunpeuplussouvent,au lieud’écoutersoncœurmalavisé,elles’en
tireraitnettementmieux.Espéronsqu’elleaittenucomptedumessagesévèrequ’illuiavaitenvoyé,quantaufaitd’éviterlemoindrecontactavecAlexpendantsadéprimepost-rupture.Ilregardaitsontéléphonepourvoirsielleavaitréponduaumomentoùils’alluma,annonçantl’arrivéed’unappelplusquebienvenu.—C’estpastongenredem’appelerautravail,commençaDrew.—Désolée,jetombemal?demandalavoixcalmeauboutdufil.—Pasdutout,répondit-il.Unpeudebonsensmeferaitleplusgrandbien.—Tantmieux.Jet’appelleausujetdelapoliced’assurancequetuvoulaisquejeparcoure.— Super, dit-il, soulagé d’avoir une conversation avec une femme qui n’impliquait pas de
psychodrame.—Alors,j’airegardéd’unpointdevuejuridique,ettoutestparfaitementlégal,poursuivit-elle.Et
d’unpointdevuepersonnel,jepensequetuasraison.Assurernotremariagemeparaîtuneidéetoutàfaitsensée.—Jesavaisquetuseraisd’accord,Emily.Drews’enfonçadanssonfauteuiletsefélicitaunefoisdeplusquantauchoixdesafiancée.Voilà
pourquoiEmilyétait la femmeparfaitepour lui–quelqu’unqui, enpleine frénésiedepréparationd’unmariage, pouvait parler police d’assurance d’unemanière rationnelle, au lieu d’appeler pourpleurnicher sur des bouquets d’œillets calamiteux, ou des prises de bec avec des demoisellesd’honneur.—Enfin,jetrouvequec’estincroyablementdélicatdetapartdetesoucierdufaitquepapagaspille
sonargent,sijamaisundésastrevenaitàseproduire,fit-elleremarquer.—Étantdonnéqu’il refusedenous laisserpayerquoiquecesoit,çamesemble lamoindredes
choses,tunecroispas?—Absolument.Etc’estrassurantdesavoirquenoussommescouvertssil’undenosfournisseurs
nousplante.—Toutàfait.—Ou…Drewl’entendaitfarfouillerdansdespaperassesàl’autreboutdufil.—…ou si tu recevais une affectation inattendueoutre-mer, pour servir dans les forces armées
britanniques.Ilappréciaitaussisonsensdel’humoursarcastique.—Tuasraison,Emily,gloussa-t-il.Ceseraitunvéritabledésastre.—Ettoutàfaitinattendu,renchérit-elle.Jedormiraimieux,celadit,ensachantquenouspourrions
quand même nous offrir un mariage, si l’un d’entre nous devait subir un dommage corporelaccidentelquientraînelamortouunhandicappermanent.Drewprituninstantpourréfléchiràcettedéclaration.—Donctum’épouseraisquandmêmedanscecas?s’enquit-il.—Évidemmentquenonsituétaismort.Quantàunhandicap,çadépenddudegré.Ilyeutunblanctandisqu’ilpouvaitpresqueentendrelesrouagesducerveauconsidérabled’Emily
tournercommedansunralenti.— Je pense que des dommages cérébraux ne me laisseraient d’autre choix que d’annuler ;
toutefois,lapertedemembrespourraitêtreacceptabletantqu’ilnes’agitpasdetouslesmembres.—Jevois,commenta-t-il.Doncquelsmembresenparticulierdevrais-jeéviterdeperdresijeveux
resterdanslacourse?— Eh bien, répondit-elle après quelques instants de réflexion. Je crois que je voudrais que tu
conservestesbras.—Uneraisonparticulièreàcela?—Jeneveuxpaspassermavieconjugaleàtefrotterledos,si?—Bienvu.Parmoments, lacarrièreprometteused’Emilyen tantqu’avocateendroitdudivorce luidonnait
unevisiontrèspragmatiquedumariage,àlalimitedel’obscénité.—Ya-t-ilautrechoseàéviterquelapertedemesbras?demanda-t-il.—Ehbien,tuferaismieuxdevérifieroùTobycomptet’emmenerpourtonenterrementdeviede
garçon,parcequ’iln’yaaucunecouvertureencasdedécès,dehandicap,nideblessurerésultantdela participation à toute activité dangereuse telle que le deltaplane, la plongée sous-marine, leparachute,lacourseautomobile,l’escalade,l’alpinisme,oul’équitation.—Jepensepouvoirassurerqu’ilyatrèspeuderisquesqueTobyaitprévudefairedel’équitation
pourmonenterrementdeviedegarçon.Onpeutdéjàéliminercetteoption.—Dommage qu’on ne puisse pas se couvrir contre Toby, soupira Emily. Je sais que c’est ton
meilleurami,maisc’estaussi lapersonnelaplussusceptibledeprovoquerunecatastropheànotremariage.—Non,ilprendleschosestrèsausérieux,insistaDrew.Jeluiaifaitdesremontrancesetluiaidit
qu’ildevaitfilerdroit.Pasdesurprises.—Jenecroisquecequejevois,rétorqua-t-elleenseremettantàfarfouillerdanssespapiers.Une
dernièrechosepuisilfaudraquej’yaille,j’airendez-vousavecunclientdanscinqminutes.—Jesuistoutouïe.—Ehbien,lapoliceindiquequedanslecasoùl’unedesdeuxpartiesprendraitpeuravantlejour
J, l’assurance prévoit une prise en charge psychologique, mais aucune couverture pour les fraisengagés.Drew laissa le silence qui suivit le commentaire d’Emily s’installer un peu trop longtemps.
Ilcompensaenéclatantd’unrireforcé.—Commec’estrassurant,dit-il,unefoislacrisepassée.Nousauronsruinétonpère,maistrèspeu
derisquesdenousentaillerlespoignets.—Oui,c’estexact,commentaEmily,riantàsontour.Heureusementqu’iln’yaabsolumentaucune
probabilitéquecelaarriveaprès toutce temps.Bonsang, sionn’est toujourspassûrsmaintenant,quandlesera-t-on?—Oui, acquiesça-t-il, ce serait toutbonnement ridiculeque l’und’entrenousprennepeuraprès
seizeans.Quelsimbécilesnousferionsd’avoirperdutoutcetemps.—Toutàfait,confirmaEmily.—Quediabledirait-on?ajouta-t-il.—Hmm,répondit-elle.—Nousserionslariséedetoutlemonde,reprit-il.S’ensuivitunnouveaublanc,auquelEmilys’empressademettrefin.—Bref,jesuisraviedem’occuperdel’assurance,lança-t-elled’unevoixenjouée.—Tuenessûre?Tudoisdéjàavoirtantàfaireàorganisertoutlereste.—Cen’estpasunproblème,vraiment.Toutleresteestsouscontrôle.
—Ehbien,merci.—Bon,l’interrompit-ellefroidement.Fautquej’yaille.Àcesoir.—Oui,àplustard.Drewraccrochason téléphone,etexamina laphotode fiançaillespriseparunprofessionnelqui
trônaitsursonbureau,toutensedemandantpourlaénièmefoissicethommesouriant,commetoutdroit sortid’uncatalogue,étaitvraiment lui.Auboutdequelquesminutes, il se reprit etdécidadevoircomments’ensortaitsonéquipedefootball–leseulproblèmevraimentcrucialdelajournée.
Chapitre4
ChèreSuzie,Jesortaisavecuncollèguedebureaudepuisprèsdesixmoisettoutsepassaitàmerveille,donc j’ai décidé de l’inviter à fêterNoël avecma famille. Comme vous vous en doutez,j’étaisauxangesquandilm’aréponduqu’ilenseraitravi.Lelendemain,ilm’aenvoyéunmessagem’annonçantquetoutétaitterminéentrenous,etqu’ils’apprêtaitàréserverunesemainedevacancesavecsesamispourlesfêtes.Iladitqu’ilnem’enavaitpasparlélaveilleau soir,parcequ’il voulait s’envoyeren l’air. Je l’aime toujours sincèrementet jeveuxlerécupérer.Quedois-jefaire?
Bienàvous,Uneincorrigibleromantique
Elle avait toute leur attention à présent. Les trois hommes étaient assis là, figés, la regardant
fixementdel’autreboutdelasallederéunion,toutunéventailderéactionsdéfilantsurleursvisageslorsqu’elleeutfinidelirelalettreprojetéedanstoutesagloiresurl’écranderrièreelle.Un coup d’œil vers Gareth, cela dit, fit monter une vague de panique dans son corps entier. Il
semblait perplexe, près de basculer vers la colère. Était-elle en train de faire une erreurmonumentale?Celaluiavaitparuunesibonneidéeà3heurescematin-là,quandellenetenaitplusen place après quatre bonnes tasses de café, trois paquets de bonbons et deux barres chocolatées,tandisqu’ellefaisaitunjoggingnocturnedanssongarage.Maismaintenantqu’ellesetenaitlà,àdeuxdoigtsdusuicideprofessionnel,cetteidéeluisemblaitcomplètementdingue.—J’aiprisconsciencequepersonnenedonnelegenredeconseilsquiseraitvraimentutile,avait-
elleditàsonrédacteurenchef,visiblementennuyé,audébutdesaprésentation.Enréalité,personnen’expliqueauxfemmescommenttraiterleshommesquileurgâchentlavie.— Suzie, l’avait interrompue Gareth, en levant la main. Quand je t’ai dit de t’occuper de la
rubrique,cequej’entendais,c’étaitdemedonnerquelquechoseàlirequinemehérissepaslespoilsetquiattireplusd’annonceurs.Cedontjeneveuxpas,cesontcesfoutaisesféministes.—Cenesontpasdesfoutaises!s’était-elleindignée.Cequej’écrivaisauparavant,c’enétait.Des
foutaisespathétiques,banales, tout justebonnespourdesbrochuresaurabais,oupourenvoyerdesgensenthérapie;commelepréconisen’importequelleautrerubriquedecourrierducœur.Àquoibon?Avez-vousjamaisentenduparlerdequiquecesoitquiaitréussiàsauversoncouple,enfermédansunepièceavecune femmeentredeuxâges, encomblantdes silencesgênants et en tenantdesproposhorssujetsursonenfance?Garethavaitprisunebonnelampéedecafésanslaquitterdesyeux.—Continue,l’avait-ilsomméeenreposantsatasse.Elleavaitjetéuncoupd’œilàDrewenquêted’encouragement,maissessourcilsavaientpresque
disparusoussalignedecheveuxtantilétaitsurpris.Elleavaitl’intentiondetoutluiexposercematin-là,maisilétaitenretardets’étaitrendudirectementàlaréunion.À ce stade, Alex, le troisième homme dans la pièce, était complètement absorbé par son
Blackberry,etécoutaitàpeinecequ’elledisait.Lafureurqu’elleavait instantanémentéprouvée luiavaitdonnélecoupdepoucequ’illuimanquait.Elleavaittoujourslespoilshérissésàl’endroitoùill’avaiteffleurée,enarrivantdanslapièceunpeuplustôt.—Bonjour, tout lemonde, avait-il lancé, comme s’il n’en avait strictement rien à faire.Désolé
d’êtreenretard,Gareth,maisc’était lapagaille.J’aipassétoutelamatinéeautéléphoneàtenterdenousattirerunénormeannonceur.— Pas la peine de m’en parler, avait répliqué Gareth, les dents serrées, tant que ce n’est pas
mentionné noir sur blanc. J’en ai ras le bol de tes promesses foireuses.Maintenant assieds-toi, etattendstontour.ElleavaitsentiAlexpasserderrièreelle,pasaffectélemoinsdumondeparlesremontrancesde
Gareth.Ellen’avaitpasosé le regarder,n’étantpasencore toutàfaitsûrequesesémotionsétaientsouscontrôle.Maisavantqu’ilapparaissedanssonchampdevision,elleavaitsentisamainsursonépaule droite. Surprise, elle avait sursauté dans son fauteuil, puis il l’avait pincée d’un aircompatissantavantdes’installerjusteàcôtéd’elle.Comment avait-il osé la toucher ?La compassion et les contacts physiques étaient de rigueur la
veille,quandilavaitrompuavecelle.Profondémentchoquée,ellel’avaitdévisagé.Toutenlatoisantà son tour, il lui avait soufflé un inaudible « ça va ? », avant de tendre la main, de la pincer denouveauetd’afficheruneminefaussementinquiète.À cet instant précis, il n’avait plus du tout le même air sur le visage. Il était livide, les yeux
écarquillés,etlamâchoirecrispée.Elleavaitdûtousserpourcaptersonattentionavantdelireàvoixhautelalettreprojetéesurl’écran,toutenexpliquantquec’étaitunfauxcourrierdestinéàillustrerlenouveaustyledesarubrique.Voirsaminestupéfaiterenforçasadétermination.Elleleméritait.Àunmomentdonné, aubeaumilieude lanuit, elle en avait concluqu’ellen’avait rien àperdre.Savieamoureuseétaitundésastre;quantàsacarrière,ehbien,rédigerlecourrierducœurnerevenaitpasvraimentàexaucersonrêvededevenirlaprochaineKateAdie,cettejournalistedehautvolqu’elleadmiraittant.Doncpeuimportait.Sielleseplantait,elleiraitseconsolerdevantlefilmMange,prie,aime.Mêmesi, vu sa chance, l’histoiredeviendraitplutôtMange,priepournepas t’empâter,aimeêtreunevieillefilleobèse.Plusmoyen de reculer à présent. Il fallait seulement qu’elle inspire profondément et qu’elle en
finisse,enespérants’ensortirindemne.—EtmaintenantjevaisvousmontrercommentcettechèreSuzierépondraàl’avenir,reprit-elleen
sepenchantpourcliqueretafficherladiapositivesuivante,sansquitterAlexdesyeux.Ellelutlalettrederéponselentement,prenantletempsdelaisserrésonnerchaquemot.
Chèreincorrigibleromantique,Vousêtesuneimbécile.Iln’enarienàfairedevous.Veillezàlireetrelirelaphraseprécédentejusqu’àcequevousycroyiez,parcequec’estlavérité.Ma boîte aux lettres est remplie demessages de femmes comme vous, quim’écrivent enquêted’espoir.L’espoirqu’ilyaitquelquechoseàfairepourtransformerleurcauchemarencontede fées,pourqu’ellespuissent vivreheureuses jusqu’à la finde leurs jours.Ehbien,écoutezunpeu.Oubliezl’espoir.
L’espoirn’estpasvotreallié.L’espoirestledémonquivousamèneraàprendredesmesuresvainesetdésespérées.Donc tournez la page. Mais pas avant d’avoir montré à cet homme qu’il ne peut paspiétiner votre cœur de la sorte. Pas avant de lui avoir enseigné que ses actes ont desconséquences.Pas avant de l’avoir fait souffrir autant que lui vous a fait souffrir. Et sivousnelefaitespaspourvous-même,alorsfaites-lepourtoutescesautresfemmes,pourluimontrerqu’ilatoutintérêtàmieuxtraiterlaprochaine.Donc,chèreincorrigibleromantique,votre lâchedecollèguedoitapprendrepasune,pasdeux,maistroisleçonsfortutiles.Leçonnuméroun:nejamais,augrandjamais,gâcherleNoëld’unefemme.
Suzielevalesyeux,soncœurtambourinanttellementdanssapoitrinequ’elles’étonnaquenulne
l’entende. Drew avait toujours les yeux écarquillés ; Gareth, Dieu merci, semblait vaguementintéressé;tandisqu’Alexlaregardaitcommesiellesortaitd’unasiledefous.Elleavaitl’impressiondevivreuneexpériencehorsdesoncorps,etd’observerquelqu’und’autre
secouvrirderidicule–oupeut-êtreprenait-ellesesdésirspourdesréalités.Elles’efforçatantbienquemald’avoirl’airconfiante,tandisqu’ellesepenchaitenavantpourappuyersurlehaut-parleurdutéléphoneposéaumilieudelatable.—Venons-enmaintenantàunexercicepratique.Ellepressalatouche«bis»etsentitlestroishommesdanslapiècesedévisagerlesunslesautres,
en pleine confusion. Le téléphone émit une tonalité, comblant le silence, jusqu’à ce qu’on entendequelqu’undécrocher.—Bonjour,Paulineàl’appareil,ditunevoixdefemme.—Bonjour,madameCollingswood,s’empressaderépondreSuzieavantqu’Alexn’aitl’occasion
d’exprimer son étonnement en constatant qu’elle appelait sa mère, au beau milieu d’une réuniond’équipe.C’estencoreSuzie,etAlexesticiavecmoi.—Bien,machère.Commentva-t-il?—Oh,ilsemontretrèsfort,madameCollingswood.—Ah,oui?Tantmieux.Jesuistellementcontentequevousm’ayezappelée,Suzie.J’yairéfléchi
toutelamatinée.Jesaisàquelpointc’estdifficiledemettrefinàunerelationamoureuse,maisc’esttellementgentildevotrepartdevousinquiéterdesavoircommentAlexvasurmonterça.—Avecdesparentstelsquevouspourl’aider,madameCollingswood,jesuiscertainequ’ils’en
sortira.—Nousavonstoujoursétélàpourlui,illesaitbien.Voulez-vousbienlemettreenlignepourque
jeluiposelaquestion?—Biensûr.Jevouslepasse,repartitSuzieenflanquantuncoupdanslescôtesàAlex.—Qu’est-cequetuesentraindefaire?luimurmura-t-il.—Contente-toidedire«bonjour»,répliqua-t-elleàvoixbasse.—Hum,bonjour,maman,dit-il,toutenlevantlesmains,aucombledelaconfusion.—Oh,Alex, je suis tellement navrée que cela n’ait pas fonctionné avec Suzie. Quand ellem’a
appeléepourm’annoncerqu’elleavaitrompu,j’aibienfaillienpleurer,sincèrement.D’autantqu’ellem’aditquetuleprenaismal,etquecequit’inquiétaitleplusétaitdepasserNoëltoutseul.Ehbien,mongrand,tun’asplusàt’enfaire.Biensûrquenousserionsenchantésdet’avoiriciavecnous.Sanscompterquetoustespetitsneveuxetniècesserontravisd’avoirleurtontonAlexpréférépourjoueraveceux,pourchanger.J’aidéjàprévenutessœurs,ettoutestréglé.UnNoëlenfamilleestpile-poil
cequ’iltefautpourcesserdebroyerdunoir.Alexétaitclouésursachaise,ouvrantetrefermantlabouchesansriendire.—Mais,maman…,finit-ilparbredouiller,levisagerougissant,toutengardantlesyeuxrivéssur
Suzie.Jecomptais…—Pasde«mais»,mongrand, tupassesNoëldans legiron familial,unpoint, c’est tout.Nous
allonstetirerdelà,ettefaireviterecouvrertabonnehumeur.Bon,jedoisyaller,parcequetonpèrem’emmèneaucentrecommercialpouravoirlemeilleurchoixenbiscuits.Jeterappelleraiplustardpoursavoirsituaseuunebonnejournée.Courage,fiston.Aurevoir.Elle raccrocha, et le silence régna quelques instants dans la pièce. Suzie n’avait pas vraiment
anticipé sur la suite des événements. Son cœur battait toujours à tout rompre,mais elle ressentaitégalementquelquechosed’autre,déclenchéparlaminechoquéeetdéconfited’Alex.Quelquechosequi ressemblait à s’yméprendreàdu triomphe,voirede l’euphorie.Toutcequ’elleavait enviedefaire,c’étaitderegarderAlexenface,etdepousserun«Hourraaaaa!»desplusjuvéniles.Ellejetaun coup d’œil àDrew. Ses sourcils étaient toujours aux abonnés absents,mais il hochait la tête etsouriaitd’unairapprobateur,toutenlançantdesregardsinquisiteursàGareth.—Continue,aboyacedernier,rompantsoudainlesilence.—Quoi?s’écriaAlex.Maiselle…—Çasuffit, l’interrompitGareth,enlevantunemainverslui.J’aiditquetupourraisprendrela
parolequandceseraitàtontour.Pourl’instant,jeveuxvoircequ’ellead’autreenstock.Continue,Suzie.—Trèsbien,répliqua-t-elle.Pas encore renvoyée, ça devait être bon signe. Elle appuya sur un bouton pour projeter la
diapositivesuivante.Leçon numéro deux : ne jamais, au grand jamais, répandre la mauvaise nouvelle par message
interposé.Elleattrapasontéléphoneportable,appuyasurquelquestouches,puislereposasurlatable,croisa
les bras, et sourit àAlex.Quelques instants plus tard, le téléphone de celui-ci émit un « bip », lefaisantsursautercommes’ils’agissaitd’unebombeàretardement.—Tunecomptespasliretonmessage?demanda-t-elle.—Commentça,maintenant?répliqua-t-il.—Toutdesuite!ordonna-t-ellespontanément.Elle ne l’avait jamais vu se méfier autant de l’appareil qui était normalement vissé soit à son
oreille,soitàsesdoigts.Illepritenmainetlaregardanerveusement,avantdebaisserlesyeuxpourlire lemessage qu’elle venait de lui envoyer.Moins d’une seconde plus tard, il laissa tomber sontéléphonecommes’ilvenaitdeluibrûlerlesmains.—Tuescinglée!hurla-t-il.Dis-luid’arrêterça!cria-t-ilàl’intentiondeGareth.Cedernierneprononçapasunmot,secontentantd’adresserunregardinquisiteuràSuzie.Ellesepenchaenavantpourafficherladiapositivesuivante.—Voici lemessagequ’Alexvientde recevoir, expliqua-t-elle àGareth etDrew tandisque trois
motss’affichaientsurl’écran.«Unnom:Bobbitt.»
C’enétaittroppourDrew.Unsonproched’uneexplosionsortitdesabouche,suivid’unetouxetd’un balbutiement, mêlés à un éclat de rire hystérique à la vue de la mine blême d’Alex. Garethparaissait confus, les regardant tour à tour d’un air hébété. Suzie s’empressa de fournir uneexplication.—Pourceuxd’entrenousquiignorentlecasdésespérédeLorenaBobbitt,jevaisdévelopper.Elleprojetaàl’écranunecoupuredepresseannonçantengrostitres:«Crimesendessousdela
ceinture:ablationpénienneetcastration.»GarethpoussaungémissementenécoutantSuzieconterl’histoire de la tristement célèbre Lorena Bobbitt, originaire de Virginie, aux États-Unis, et de saréactionextrêmefaceauxécartsdeconduitedesonépouxen1993.Interprétant le rictus qu’afficha alors Gareth comme un encouragement, Suzie décida de
poursuivre,vuqu’ellesemblaits’entireràboncompte.— Et donc, pour finir, la leçon numéro trois, annonça-t-elle, tout en projetant sa dernière
diapositive.Leçonnumérotrois:lesexeestunprivilège,pasundroit.Alex,sansvoixàprésent,lançaunregardimplorantàGareth,quis’étaitenfoncédanssonfauteuil,
tandisquesonrictuscédaitlaplaceàunlargesourire.SuziecontournalatablepoursedirigerversAlex, qui sursauta quand elle passa près de lui pour attraper unobjet sur une étagère derrière lui,recouvertpar leplusbeau torchonqu’elleavaitdanssesplacards.Elle leposadevant lui,avantdesoulever le torchon pour révéler un bloc à couteaux. Alex gémit lorsqu’elle en sortitcérémonieusementunénormecouteauàviande.Lestroishommessetaisaientàprésent,unelueurdeterreurclignotantdansleursyeux.Onaurait
ditquelapièceentièreretenaitsonsouffle,jusqu’àcequeSuziehausselesépaulesetposeunemainrassurantesurlebrasd’Alex,lefaisant,àsongrandplaisir,sursauterunenouvellefois.—Pasdepanique,jenem’enserviraipascontretoi,dit-elleenremettantlecouteauàsaplace.Alex,àboutdenerfs,s’affaissadanssonfauteuil.—Jepensequecelui-làestplusàtataille,qu’endis-tu?Ellesortitdublocunminusculeéconome,s’assuraquetoutlemondel’aitbienvu,puisleplaçasur
lebureaudevantAlex,avantderetournercalmementdel’autrecôtédelapièceetdesetournerpourfairefaceàsonpublic.—Etceci,messieurs,metfinàmaprésentation,lança-t-elle.Desquestions?Unsilencechoquéplanait.Ce fut Drew qui se leva en premier. De grands applaudissements chaleureux emplirent la salle,
tandisqu’iladressaitunsourireradieuxàSuzie.—Brillant,commenta-t-il.Toutsimplementbrillant.EtàlagrandesurprisedeSuzie,GarethselevaluiaussietsejoignitàDrewpourlaféliciter.—Pasbrillant,protesta-t-il.Dugénie.Voilàcequec’était.Dupurgénie.Regardez-le.C’estlerêve
detoutefemmebafouéed’épinglerunhommedelasorte.Alex,toujoursblanccommeunlinge,restaitassisdanssonfauteuil,lesyeuxrivéssurlecouteau.
Unegouttedesueurs’étaitforméesursonfront.Garethtapadesdeuxpoingssurlatable.— J’adore cette idée ! C’est différent, controversable, et drôle, qui plus est. Une rubrique
revancharde.C’estexactementcequ’ilnousfaut.Ils’assitbrusquement,s’efforçantdesuivrelespenséesquifusaientdanssatête.— C’est juste tellement… tellement… comment dire, Drew ? demanda-t-il tout en claquant des
doigtsdanssadirection.—Digned’untabloïde?émitDrew.—Oui,c’est ça !Digned’un tabloïde ! s’exclamaGarethense relevantpour faire le tourde la
table et prendre lesmains de Suzie. Pitié, dis-moi que tu peux faire lamême chose pour d’autresringardesquetoi?Suzie,abasourdiedesefairequalifiersimultanémentdegénieetderingardeparsonpatron,avait
l’impressiond’avoirpénétrédansununiversparallèle.Elles’attendaitplutôtàsefairevirerd’iciàlafindelajournée.—Jepeuxessayer,parvint-elleàarticuler.—LesmassesdemâlesausupplicedeManchesterteseronttoujoursredevables,annonça-t-ilsur
untonsolennel,avantdesetourneretdepointerAlexdudoigt.Quantàtoi,poursuivit-il,jeveuxunelisted’annonceurspotentielspourl’heuredudéjeuner.Appellelesgrandesenseignes.Demande-leursiçalesintéressedefaireunepromosurlescouteauxdecuisine.Illaissaunblancsuffisantpourqu’Alexdevienneencorepluslivide.—Jerigole!s’exclama-t-ilendonnantunegrandetapedansledosd’Alex,avantdeseretourner
versSuzie.Pasdecouteaux.Lesavocatsneverraientpasçad’unbonœil.—D’accord,souffla-t-elle,sedemandantquellefolieellevenaitdelancer.—Parfait, repritGareth en regardant samontre.On ajourne la séance ? J’ai des coups de fil à
passer.Rendez-vousicidansunedemi-heure.Ilsortitentrombedelapièce,laissantDrewadresserunsourireresplendissantàSuzie.Ils’avança
verselleetposalesdeuxmainssursesépaules.—Brillant,répéta-t-ilavantdetournerlestalonsetdelalaisserseuleavecAlex.—Çava?s’enquit-elle,incapabledes’enempêcher.Ilsemblaitsifaibleetsipathétique,commes’ilétaitàdeuxdoigtsdevomir.Ildétachasesyeuxdu
couteauet la regardad’une façon inédite.Elle l’observaàson tour, tentantdecomprendrecequ’ilavait derrière la tête, jusqu’à ce qu’elle prenne enfin conscience que son regard était empreintd’admiration.—Un«désolé»feral’affaire,dit-elle.—Désolé,répliqua-t-ilensemordantlalèvreetenhochantlatête.Jesuisdésolé.Elleselevalentementetsedirigeaverslui.Quelrégaldelevoirs’enfoncerdanssonfauteuil,la
peur revenant sur son visage. Elle s’interrompit un instant avant de lui pincer l’épaule, le sentantsursauterunenouvellefois.Unlargesourireauxlèvres,ellesortitdelapièce,latêtehaute.—Etdeun,plusquetrois,murmura-t-elle.
Chapitre5
—Jen’arrivepasàcroirequetun’étaisjamaisvenuavant,s’exclamaSuzie.Drewavait été on ne peut plus ravi d’accepter son invitation à l’accompagner pour un verre de
célébrationaprèsletravail,maisils’attendaitàboiretranquillementunepinte,etpasàseretrouverdanscebaranimé.Soncorpsseraiditaufuretàmesurequ’ilrelevaitdessignesdérangeants.Delamusiqueunpeutropforte.Lesond’uneguitarerythmiquequiluirappelaitd’horriblesvacancesenEspagnelorsqu’ilétaitenfant.Desobjetscurieuxunpeupartout,notammentunfauxpalmierdansuncoin,etdesinstrumentsdemusiquesuspendusauplafond.Surunmurenbrique,despostersvantaientles mérites de bières visiblement étrangères, à côté de cartes postales venues de l’autre bout dumonde. Il sursauta lorsqu’il manqua de se faire renverser par un couple en train de tourner etvirevolter, sedandinantsurcequ’il identifiaitmaintenantcommeuneminusculepistededanse.Unseulregardà l’hommeduduodedanseursconfirmasessoupçons.Lesfauxairs latinosdutype,etsonregardlubriqueversledécolletédesapartenaire,indiquaientàDrewqu’ilétaiteffectivemententerreinconnue.ÀquoipouvaitbienpenserSuzieenl’emmenantdansunbarsalsa?—Àquoi diable pensais-tu enm’entraînant ici ? demanda-t-il en s’installant lourdement sur un
tabouret de comptoir à côté d’elle. Est-ce que j’ai l’air d’être le genre d’homme qui apprécie unendroitpareil?—Oh,nesoispasaussirabat-joie,rétorqua-t-elle,enfaisantglisserunDirtyMartinijusqu’àlui.Il contempla l’espècede lavassedevant lui, dansunverredans lequel aucunhommenepourrait
boiresansrenonceràsavirilité.—Jen’aimêmepasdroitàunebière?s’enquit-il.—Non,répondit-ellesuruntonenjoué.C’estl’happyhour.Deuxpourleprixd’un.Ilsepenchaenavantetbutunegorgée,grimaçantlorsquelegoûtamerheurtalefonddesagorge.—Jenepeuxpasresterlongtemps,l’avertit-ilenregardantsamontre.Rendez-voustoutàl’heure
surlelieudumariageavecEmily.—Pas de problème, répondit Suzie, rayonnante, encore regonflée par sa vengeance. Je voulais
justem’assurerquetusavaisàquelpointjetesuisreconnaissante,c’esttout.—Pourquoi?Ilpritunenouvellegorgéehésitante.—Pourm’avoirditdemeretournercontreAlex,expliqua-t-elle.Enfait,mêmeplusqueça.Pour
m’avoirditquej’étaiscapabledemeretournercontreAlex.—J’aifaitça?—Oui,tul’asfait.Hier.Tuasdit:«Jesaisquetupeuxlefaire.»Çam’avraimentinspirée.—Soit,commentaDrew,quelquepeudérouté.—Et,repritSuzieavantd’avalerunegranderasade,jevoulaisteremercierd’avoirsoulignélefait
quetousmesamoureuxpassésétaientenfaitdestocards.DrewimitalabonnelampéedeSuzieavantdetenteruneréponse.—Toujoursprêtàrendreservice,dit-ilenlevantsonverrepourtrinqueravecelle.Monradarà
tocardsresteàtonentièredisposition.—Marrantque tuenparles, ajouta-t-elleenvidant sonverreet en faisant signeaubarmand’en
remettredeuxautres.Visiblementaucombledel’excitation,ellesetournaversDrewetl’empoignaparlebras.—Ilsepourraitjustementquej’aiebesoindecettecompétence.—Tuasdéjàunnouveaumec?s’exclama-t-il.Bonsang,Suzie,tuneperdspasdetemps.Tum’as
faitvenir icipourque je tedonnemonavissur lui?Pitié,dis-moiquecen’estpas le typebourréjustelà,quidanseavecunpalmier?—Non,biensûrquenon,laisse-moiquandmêmelebénéficedudoute.Cequejevoulaisdire,c’est
qu’ilsepourraitquej’aiebesoindetonaidepourretrouvermesextocards.—Pourquoi?s’enquit-il,méfiant.—Parceque, répondit-elleen luipinçant lebrassous lecoupde l’exaltation, jevaismevenger
d’euxaussi.Il ladévisagea,pascertaind’avoirbienentendu.Peut-êtrequeleseauxtroublesduDirtyMartini
pourraient l’aider àyvoirplusclair. Il termina sonpremierverreetpritunegénéreuse rasadedusecond.—Est-cequetuviensdedirequetucomptaistraquertesex-petitsamisetprendretarevanche?—Absolument.—Pourquoi?Ellerelâchasonbrasetledévisageasiintensémentqu’ilcrutqu’elleallaitprendrefeu.— Parce que ça fait un bien fou de finir par gagner, pour la première fois dema vie entière.
Regarde-moi!s’exclama-t-elle,ensecouantlesmainsautourdesatête.Jenagedanslebonheuretjeviensjustedemefairelarguer.Cen’estpasmoi,l’épavequipleurnichesursonsort,maisAlex.C’estpasgénial?—Ehbien,si,consentitDrew.Mais…—Imagine unpeu, l’interrompit Suzie, si tu pouvais remonter le temps et faire lamême chose
avec toutes celles qui t’ont fait souffrir. Être en mesure de regarder en arrière, sans regrets niamertume,maisavecuneprofondefiertéàl’idéequecesrelationssesoientterminéescommetul’asdécidé. En sachant que ces personnes ont parfaitement compris à quel point elles se sont malcomportées.Enayant,toi,lederniermot.LesDirtyMartinin’aidaientpasDrewàavoirlesidéesclaires.Ilsesentaitmêmetrèsconfus.Ilprit
uneautrebonnelampée.—Tuasvraimentenviededéterrerlepassé?—Non,rectifia-t-elle,seulementdeleréécrire.—Jenesuispascertaindevraimentcomprendre,admit-il.—Évidemmentque tunecomprendspas ! s’écria-t-elle, le sondesavoixexprimantune légère
frustration.Parcequeçanet’estjamaisarrivé,pasvrai?Laplupartdesgensnormalementconstituésécumentmoult relations toxiques avant de rencontrer le bon partenaire – en dehors de toi, qui estombé sur labonnepiocheàpeine sortides langes.Bien sûrque tunecomprendspas,vuque toncœuraétéépargnédetoutedéceptionamoureuse.Tuterendscompteàquelpointc’estrare?Drewécoutaitd’uneoreilledistraite.Ilessayaitdedéterminersic’étaitluioulapiècequibougeait.
Ilsentaitunvaguemouvementchaloupéquiluidonnaitlégèrementlanausée.—Àcepropos,poursuivitSuzie,sais-tuàquelpointtuesrare–unhommequinepassepasson
tempsàsautersurtoutcequibouge?Enfinuneremarquesurlaquelleilavaituncommentaireàfaire.—J’aitoujoursrefusédedansersurlamusiquedesboysbands,déclara-t-ilsuruntonferme.—Qu’est-cequeturacontes?
—Mescopainsontdûseridiculiserendansantsurlestubesdesboysbands,justepours’envoyerenl’air.Impossiblequelejeuenvaillelachandelle,ajouta-t-il,ensecouantlatêted’unairsolennel.—Dugrandgénie!s’exclamaSuzie.LegroupeTakeThatt’afaitjurerfidélité.— Oui, confirma Drew. Ça, et les prémixs. Je les ai tous vus en acheter des quantités
astronomiques.Quellehonte.— Drew, tu es une légende, reprit Suzie en lui donnant une tape dans le dos. Je suis certaine
qu’Emilyseraitenchantéed’apprendrequel’amourquetuluiportesdepuistoutescesannéesnetientqu’àdelamusiquemièvreetàdesboissonsalcooliséesrosefluo.Ellebranditsonverreetlegardaenl’air,forçantDrewàleverlesienpourporteruntoast.—Àtoi.L’expertenamour,scanda-t-elle.—Sipeu,répliqua-t-il.Tintementdeverres,suivid’uneultimerasade,etd’unedemandedepause-pipi.—Jevaispisser,annonça-t-il,englissantdesonsiègeavantdetraverserlapistededansed’unpas
incertainpourrejoindrelestoilettesdeshommes.Tandisqu’ilseséchaitlesmains,iljetauncoupd’œilàsamontre.—Flûte!Il allait être en retard à son rendez-vous avec Emily, et arriver à moitié ivre qui plus est. Il
retraversalapistededanseàgrandspas,essayantd’esquiverlacohuedepiètresdanseursenivrésparleurapéritifdefindejournée.Aumomentoùilpensaitavoirréussi,ilsentitquelqu’unluiprendrelamainetletirerenarrière.—Cen’estpasdelamusiquedeboysband,entendit-ilSuzieluicrierdansl’oreille,tandisqu’ilsse
retrouvaient vite encerclés par une foule de danseurs.C’est plus fort que toi, cettemusique donneenviededanser.Ilremarquasonvisageenthousiasteetsutqu’ildevaitladécevoir.—Jenedansepas,hurla-t-il.—Biensûrquesi, rétorqua-t-elle,hilare,en luiprenant lesmainspour lesfairegigoterdehaut
enbas.—Non,répliqua-t-ilensecouantlatête.—Emilys’enfichera.—Nousnedansonspas,insista-t-il.—Commentça,jamais?—Non.—Ilesttempsd’apprendre,trancha-t-elleenluitirantlesbrasdefaçonquesespiedssedécollent
dusol.IlobservaSuzietournerdanstouslessensdevantlui,gloussantcommeuneécolière.Ensoupirant,
iltentaundéhanchépeuenthousiaste,qui,àsagrandesurprise,sechangeaenunmouvementdesoncorpsentier:telétaitlepouvoirdelamusiquequitambourinaitàprésent,etdelatonnedelubrifianttoxiquequ’ilavaitingéré.Folle de joie, Suzie applaudit en voyantDrew succomber à lamusique.Elle lui prit lamain, la
secouantd’avantenarrièrecommes’ilsétaientdesenfantsdanslacourdel’école.Ellebalançalatêteenarrièreetéclatade rire,commesielleétaitaucombledubonheur.Soneuphorieétait tellementcontagieusequeDrewneputréprimerunsourire.Suzies’appuyacontreluietluicriadansl’oreille:—JenecessedepenseràAlex,assisbêtement,visiblementterroriséparunéconome.Drewne pouvait résister face à tant d’enthousiasme.Enun rien de temps, ils s’étreignaient l’un
l’autre, pliés en deux en revivant l’événement principal de la journée par-dessus le tapage de la
musique.IlsfinirentparsecalmeretSuzietoussaententantdesereprendre.—Jen’avaispasriautantdepuisdeslustres,dit-elle.—Moinonplus,avoua-t-il.Fautquej’yaillemaintenant.—Jesais.Merci,Drew.Vraiment.Cettejournéeneseraitjamaisarrivéesanstoi.—Foutaises.J’aitoujourssuquemenacerdecouperlepénisd’unhommefaisaitpartiedetoi.Ellesourit.—Allez,file.SalueEmilydemapart.—Jen’ymanqueraipas.Il lapritmaladroitementdanssesbrasavantdese retourneretde la laisser seulesur lapistede
danse.
Chapitre6
Quandilparvintenfinàsehisserdansuntaxi,Drews’imaginaitdéjàEmily,debout,dansl’entréedu manoir Ripton. La lumière qui irradiait du couloir derrière elle semblait chaleureuse etaccueillante ; la posture d’Emily, en revanche, était tout à fait glaciale. Chancelant, il manqua detomberensortantdu taxi.Enfouissantà lahâteunbilletchiffonnédans lamainduchauffeur, il setournaettentademonterladizainedemarchesenpierreavec,ill’espérait,unedémarchesobre.Uneimposantehorlogeanciennesonna19heuresaumomentoùilatteignaitlamajestueuseentrée
dumanoir.Emilys’étaitvue remplacéeparToby, le témoindeDrew,qui lenarguaitd’un fou rirehystérique.—Tun’asmêmepasidéedupétrindanslequeltut’esfourré,lançaToby,presquepliéendeuxde
rire.—OùestpasséeEmily?s’enquitDrew,toutenbataillantpourôtersonmanteau.—PartieinformerBonnetblancetBlancBonnetquetuasfinipartepointer.Bonsang,jesuisbien
contentd’êtrevenumaintenant.Tevoirtomberdetonpiédestalestmonambitiondepuistoujours.—Merci,marmonnaDrew,enposantsonmanteausurunfauteuild’époque.Ilsavaitqu’ildevaitreprendresesesprits,ouTobyallaits’endonneràcœurjoie.— Inutile de bougonner.C’est plutôt sympaque ce ne soit pasmoi qui foire tout pour changer.
Bref,oùétais-tu?C’estpastongenred’êtreenretard.—J’étaisjustepartiboireunverreavecSuzie.Tutesouviensd’elle?Elleestvenueànotresoirée
defiançailles.—Effectivement,jem’ensouviens.—Enfin,c’estunelonguehistoire,maiselleavaitquelquechoseàfêter,doncnoussommesallés
danscenouveaubarsalsa.Jesupposequej’aibuunverredetropetquej’aiperdulanotiondutemps.—Oh,bonsang,demieuxenmieux,commentaToby,aucombledel’excitation,lesyeuxrivéssur
Drew.Tuesenretardparcequetuprenaisunverreavecuneautrefemme.NomdeDieu,Drew,c’estgénial!Ilsepourraitbienquecesoitlaplusbellesoiréedemavie.Pourlapremièrefois,Drewpritconsciencedecedontlasituationavaitl’air.—Oh,bonsang.Qu’est-cequejevaisdireàEmily?—Contente-toidementir,monpote,c’estfacile.Unecriseauboulot,ouautre,etvoilàletravail.
C’estcequejedistoutletemps.—Horsdequestionque jemente, rétorquaDrew.D’autantque,quoiqu’ilensoit, jen’ai rienà
cacher.Tobyledévisageaunmoment.— Si c’est ce que tu crois, mon pote, alors très bien. Et si on allait vérifier cette affirmation
ridicule?Tobyleconduisitdansunemajestueusesalledebal,luxueusementdécorée.—Ilestlà,annonçaToby.Pasdepanique.Ilajusteétéretenuparcequ’ilbuvaitunverreavecune
collègue,dansunbaroùvontlesgensaprèsletravailpourprendreunecuiteetsepelotersurlapistededanse.Uncridesurprisesefitentendredansl’assemblée.Unhommevêtud’uncostumebleumarineet
portant unbadgedoré, se présentant commeLuke, le directeur adjoint, plaqua lesmainsdevant sabouche,visiblementhorrifié.Une jeune femme,habilléed’ununiformeen toutpoint semblable, ets’autoproclamantcommeTammy,lacoordinatricedemariage,devintécarlateetenlaissaéchappersonbloc-notes.Toby,auxanges,sefrottaitlesmains,tandisquel’assembléeretenaitsonsouffleenguettantlaréponsed’Emily.—Suzie?interrogea-t-ellesuruntoncalme.Seuls ses sourcils quelque peu froncés et un léger tapotement des doigts de sa main gauche
trahissaientunequelconqueréaction.—Comment as-tu deviné ? demandaDrew en s’approchant pour l’embrasser sur la joue. Tu te
souviens,jet’aidithierqu’elleetAlexavaientrompu?Ehbien,noussommesallésprendreunverreen vitesse pour célébrer le fait qu’elle lui a rendu lamonnaie de sa pièce en lemenaçant avec uncouteauaujourd’hui.L’assistanceémitunnouveaupetitcri.—C’estunelonguehistoire,s’empressa-t-ild’ajouterauduoencostumebleumarine.Cen’estpas
dutoutcedontçaal’air.—Tun’aurasqu’ànouslaraconterplustard,repritEmilyensortantundossierbleufoncédesa
mallette.Enattendant,onpeutenrevenirànosmoutons?Drewsoupiradesoulagement.Dieubénisse le tempérament imperturbabled’Emily. Il adressaun
souriresuffisantàunTobyvisiblementdéçu.— Si je me ramenais avec une explication pareille, Chloe se ferait mes roubignoles au petit
déjeuner,jetelegarantis,marmonna-t-il.—Toby, intervintEmily, avant de se pencher en avant et demarquer unepause, le sommant en
silencedebienécoutercequ’elles’apprêtaitàdire.C’estparcequetun’esabsolumentpasfiable,nidignedeconfiance.Drewpeutallerboireunverreavecquibonluisemble.Nousn’aurionsjamaispassétantdetempsensemble,sansêtrecertainsquenouspouvonsavoiruneconfianceabsoluel’unenl’autre.Drewfitunpasenavantet serravigoureusement lamaindeTammy,enchantédevoir la soirée
s’éloignerdelazonedeconflit.—Salut,jesuisDrew.—VoiciTammy,notrecoordinatricedemariage,repritEmily.EtvoiciLuke,ledirecteuradjoint.«Jolisbadges»futlaseulephrasequeDrewtrouvaàdire.Deuxvisagesinterloquésletoisaienten
silence.—Désolédevousavoirfaitattendre,etjevousprieaussidem’excuserpourcequ’aracontéToby,
ainsiquepourtoutecettehistoiredecouteaux.—Inutiledes’appesantirsurlesujet,intervintEmilyenlevantlamain.Samâchoiresecrispalégèrement.Elleouvritledossierbleuetensortitunefeuilledepapier.—Bon,lebutdecetteréunionestdebouclertoutcequitoucheaudivertissement.Puis-jesuggérer,
Toby,quetunousexposestoutestesexigences?—Biensûr.L’intéressé fit demi-tour et traversa lapistededansepour se tenirdans le coinopposé, lesbras
tendus,telungymnastes’apprêtantàexécuterunenchaînementausol.—C’esticiquelamagievaopérer,déclara-t-il,baissantlesbrasdansungestegrandiloquent.—J’aidumalàqualifierdemagiquelefaitd’écouterquelquesalbums,fitremarquerDrew.—Drew, commentoses-tu considérermonmétier avecun telmépris, protestaToby. Je joueun
rôlecrucialdanslesuccèsdetoutecetteaffaire.JenemeconsidèrepastellementcommeunDJ,mais
plutôtcommeunmagiciendemomentsdebonheur.—Plutôtunanimateurradioraté,rétorquaDrew,peucharitable,enchantéderendrelamonnaiede
sapièceàTobypourlerôlequ’ilavaitjouédanslemauvaisdépartdecetteréunion.Tobyavait récemmentmonté sonaffairededisc-jockey, après s’être faitvirerde sonposte à la
radioparcequ’ilparlaittrop.—Etpasdebla-blaentrelesalbums,ajoutaDrew.Ilsepourraitquecertainsaientréellementenvie
dedanser,tusais,etpasd’écoutertesbêtises.—Jevousaiplanifiéunejournéeentièredemusique,rétorquaTobyenretraversantàgrandspas
lapistededanse.J’aimêmeapportémapropresonopourvousprésentermeschoixd’animationpourlegrandjour.IlsortituniPhonedesapocheetleurfitsignedevenirserassemblerautour.Emilyraturaquelquechosedanssondossier.—Nousvoulonsjusteunbonmélangedemusiquesquisatisferatouteslesgénérations,Toby.—Je t’arrête tout de suite, répliquaToby, visiblement atterré. Il s’agit de la bande-sonde votre
mariage.Vousvous en souviendrezpour le restantdevos jours.C’est crucialqu’elle soit le refletexactdevospersonnalités.C’estuneimmenseresponsabilité,quejeprendstrèsausérieux.—C’estunepremière,marmonnaDrew.—Puis-jepoursuivre?demandaToby.Outucomptescontinueràmechambrer?—Écoutons-ledanscecas,ditEmilysansleverlesyeuxdesondossier.— Bien, commenta Toby en pressant quelques touches sur son téléphone. Commençons par
l’arrivéed’Emilyàlacérémonie.Ilprenaitvraimentleschosesàcœur.Drewétaitstupéfait.Ils’attendaitàpeineàquelqueschansons
aprèsledîner,pasàtoutcetintouin.— Imaginez un peu, poursuivit Toby, en regardant Tammy droit dans les yeux, les immenses
portesenchêneentraindes’ouvrirsurlamariéerougissante,danstoutesasplendeur,àcôtédesonpère,fiercommeunpape.Tammyluirenditsonregard,unelarmepointantaucoindesyeux.—Etquoidemieuxqued’admirercesdeux-làenécoutantlesaccordsdececlassiqueabsolu?Délicatement,Tobyappuyasurl’écrandutéléphone,etuntapagetoutbonnementignobleretentit.«Amène ta filleà l’abattoir !»braillaient lesmembresd’IronMaiden, tandisque tout lemonde
rivait des yeux abasourdis sur Toby. Ce dernier, un petit sourire satisfait aux lèvres, appuya denouveausurl’écran,etlethèmedufilmLesDentsdelamerrésonnadanstoutesagloire.—Etensuite,lamariéeremontel’alléeverssonfuturépouximpatient,poursuivit-ilpar-dessusla
musique.Etilssetiennentcôteàcôte,s’apprêtantàêtreunispourl’éternitéenparfaiteharmonie.Àprésent,PoliceentonnaitDon’tStandsoClosetoMe.TammydévisageaittouràtourToby,Drew
etEmily,sansmotdire.Tobyétaittellementcontentdeluiqu’ilsemblaitsurlepointd’éclaterderire,tandisqueDrewluttaitdetoutessesforcespourréprimerunsourire.Emilyavaitrefermésondossieretlesbrascroisés,arboraituneexpressionrésignée.—Tuasfini?demanda-t-ellepatiemment.—Oh,non,réponditToby.Nousn’ensommesmêmepasencoreàlaréception.Voilàceàquoije
pensaispourlevind’honneur.—Nousavonsengagéuneharpiste,l’interrompitEmily.—Uneharpiste?s’exclamaToby.—Oui,uneharpiste,insista-t-elleavecfermeté.—Jesupposequevousnevoudrezpasdecelle-ci,danscecas.
IlmitIPredictaRiot,desKaiserChiefs.—Non.—Jevois,dit-ilenéteignantlamusique.Etd’oùvient-elle,cettefameuseharpiste?—DupaysdeGalles.—Tul’asrencontrée?interrogea-t-ilDrew.—Non.—Elleestdouée?demanda-t-ilàEmily.—Tuen as terminé avec cettehistoire ? s’impatienta-t-elle. Il faut que tuparlesde tonmatériel
aveccemonsieur.Elleluiindiqualegérant,quiparaissaitperplexe.—Jepréféreraisenparleràlaharpiste,répliquaTobyenjetantunregarddédaigneuxaugérant.—Toby!s’écriaEmily,ayantvisiblementtolérésonmanègetroplongtemps.—Allez,unepetitedernière,plaida-t-il.J’aivraimenttapédanslemillepourlesdiscours,promis.
Vousallezadorer.Iltapotasursontéléphoneavantdeleverlesyeuxenaffichantungrandsourireeffronté.— J’ai entendu dire que tu serais la première à te lancer, Emily, donc j’ai pensé que ce serait
parfait.LikeavirgindeMadonnarésonnaalorsdanslapièce.—Eten tantque témoin, j’avaisbesoindequelquechosequi traduise réellementmespenséeset
mesémotionsdurantcegrandjour,doncvoilà.« Je veux embrasser lamariée », entonnait Elton John, suscitant un sourire sur les lèvres fines
d’Emily.—Ensuite,pourmonmeilleurami,Drew,pour l’aideràendurer lapartie laplusdifficiledesa
journée,continuaToby,jesuisalléversquelquechosequitirevraimentsursescordessensibles.LetitreHeavenKnowsI’mMiserableNowdesSmithseffaçaimmédiatementsonsourireduvisage
d’Emily.—Etenfin,passonsàcettepremièredansed’uneimportancecapitale,lachansonquidéfiniravotre
couple auprès de votre famille et de vos amis pour le reste de vos jours. La chanson que tout lemonderegretteradenepasavoirchoisiecommepremièredanseàsonmariage.Lavoici.Veuillezvousrendresurlapiste,monsieuretmadameCarter!I Don’t Feel Like Dancing fut le morceau que Toby avait jugé approprié pour leur entrée en
musiquedanslavieconjugale.—Pourquoivousmeregardezcommeça?demanda-t-il, feignantd’êtreoffensépar lesregards
noirsqueluiadressaientEmilyetDrew.J’auraispuopterpourcelle-ci.LesonenjouédesScissorSistersfutremplacéparceluidesDivinylsinterprétantITouchMyself.—Ouencorecelle-ci.Les voixmélancoliques des 10cc emplirent la salle. Lesmots « Je ne suis pas amoureux » les
enveloppèrent, transportantDrew dans un lieu qu’il fréquentait généralement à 3 heures dumatin,quand il se réveillait parfois, sujet à des sueurs froides. Il fut ramené dans la pièce quand Tobyl’entraîna sur la piste de danse et le fit tourner, encore et encore. Les cocktails se mettant àbouillonnerenlui,Drewcommençaàsesentirnauséeuxetdésorienté.—«Jenesuispasamoureux»,entonnaitTobyjustesoussonnez,jusqu’àcequeDrewnepuisse
pluslesupporter.—Éteins-moiça!hurla-t-il.Ilsepritlatêtedanslesmains,espérantainsiquelasallecesseraitdetournerautourdelui.
—Hé,calme-toi,répliquaToby.C’étaitjusteuneblague,monpote.Tumeconnais.J’aicruquetutrouveraisçadrôle.Detouteévidence,jesuisallétroploin.Ilenfouitsontéléphonedanssapocheetlatapotad’unairprotecteur.Drewétaitincapabledeparler.Ils’aperçutaussiqu’iltremblait.—Écoute,jetedonneraiuneliste,intervintEmily,toutenouvrantsonfichierpourynoterquelque
chose. De chansons que nous estimons appropriées. Oh, et pas de première danse, n’est-ce pas,Drew ? ajouta-t-elle en lançant à celui-ci un regard de compréhension mutuelle. Aucun de nousn’aimedanser.Drewserevitsoudainaudébutdelasoirée,entraindesetortillercommeunbeaudiable,agitépar
unrirehystérique.—Non,aucund’entrenousn’aimedanser,insista-t-il.
Chapitre7
ChèreSuzie,J’ai seizeans etmonpetit ami veutqu’on couche ensemble, vendredi dansquinze jours.Nous allons à une fête et aucun des parents ne sera présent, donc les garçons se sontpartagédescréneauxd’unedemi-heurepourutiliserunedeschambres.Monpetitamiveutsavoirsijecomptecoucheraveclui,sinonils’adresseraàquelqu’und’autre,histoiredenepasgâchersoncréneau.Jeveuxquemapremièrefoissoitparfaiteetj’aipeurqu’unedemi-heurenesuffisepas.Devrais-jeluidemanderderéserverdeuxcréneaux?
Aidez-moi,s’ilvousplaît.Sophie
ChèreSophie,Si ça prend plus d’une demi-heure, alors envoyez-moi le numéro de votre petit ami ! Jeplaisante.Plussérieusement,j’aiunconseilextrêmementimportantàvousdonner.Necouchezpasaveclui,vousn’yprendrezaucunplaisir.Coucheravecungarçondeseizeansn’estenaucuncasunebonnechose.Souvenez-vous,ilest impossible qu’il ait beaucoup d’expérience, s’il en a, d’ailleurs. Réfléchissez.Monteriez-vous en voiture avec lui la première fois qu’il conduit ? Non. Il aurait deuxmainsgauches,enchaîneraitlesdémarragesetlescalages,incapablededéterminerquelsboutons ou leviers actionner ; tous ces éléments ne pouvant donner lieu qu’à une viréeextrêmementinconfortable.Etn’espérezpasmieuxsivouscédezàsesavances.Maintenantpassonsauproblèmeessentiel–cepartagedecréneauxhoraires,etsamenacede demander à une autre. Réveillez-vous, Sophie. Ce comportement est inacceptable, etvousvous laissez toutesabuserparcesgarçons.Dites-luiquevouscoucherezavecluietqu’il devrait réserver deux créneaux, parce que vous êtes convaincue qu’il va êtreépoustouflantau lit.Unefoisdans lachambre,expliquez-luiquevousdésirezardemmentsoncorpsdepuisdeslustres,etquevousvoulezlevoirnuimmédiatement.Dèsqu’ilseseradéshabillé,éclatezd’unrirehystériqueetfilezdanslacuisine,oùvousaurezprissoindelaisseruntableauprêtàl’emploi,attendantquevousyconsignieztouteslatailleridiculedespénisdevospetitsamis.
Bonnechance,Suzie
—Pourquoi?s’écriaJackie,aprèsavoirluladernièrelettredeSuzie.Pourquoitun’étaispasdans
lecoinquandj’étaisadolescente?C’estprécisémentcequej’avaisbesoind’entendre.Situavaisétélà, je neme serais peut-être pas retrouvée en cloque à dix-huit ans, et je n’aurais pas épousé cetteorduredeCarl.
—J’étaisdanslecoin,fitremarquerSuzie.Onestmeilleuresamiesdepuisnoscinqans.—Alorspourquoinem’avoir jamaisparlécommeçaà l’époque?demandaJackie,visiblement
outrée.Regarde-moi.Jesuisdansleslangesjusqu’aucou.Situavaisfaitpreuved’unetellesagesseàl’époque,mavieauraitprisunetournurecomplètementdifférente.Suzie,assiseàlatabledelacuisinedeJackie,baissalesyeuxsurTroy,quisautillaitjoyeusement
sursesgenoux.EllesavaitqueJackienelepensaitpasréellement,mêmesielleinsistaitlourdementsurlefaitqueTroyresteraitledernierdesesquatreenfants.Lebébé«prévasectomie»,commeelleseplaisaitàl’appeler.Elleavaitaussieusonbébé«grossesseadolescenteimprévue»(Jamie),etsonbébé«prétendonsqueJamien’étaitpasuneerreur»(Cara).LesdeuxétaientdeCarl,sonamourdejeunessequi,aprèsdixansdeviecommune,futrattrapéparunproblèmechroniquedenostalgiepourson adolescence, et s’était barré avecune lycéennededix-sept ans. Il avait fallu deux ans à Jackiepours’enremettreettrouverDave,rencontrequiavaitdonnénaissanceàsonbébé«onestdinguesd’en repasser par là », Lenny, et enfin à Troy, dont l’anniversaire resterait toujours dans lesmémoirescommelaveilledujouroùsonpères’étaitfaitémasculer.—Àl’époque,jenesavaispasencorecequejesaismaintenant,si?rétorquaSuzie.Jackiehésitaunmoment, plongéedans sespensées, comme si elleprojetait sonesprit dans leur
jeunesse.—Tuasraison.T’yconnaissaisrien.—Jen’étaispassinulle.—Suzie,répliquaJackie,enposantlesmainssurseshanches,ChristianSleafordt’aracontéquele
Spritepouvaittuerlespermeetquetudevraisenboireaprèsl’amour,ettul’ascru.—Absolumentpas!—Si.Tum’asmêmedit…Jackies’interrompitetéclataderire,allantmêmejusqu’àêtreagitéedesoubresauts.—Bonsang,çame fait encore rireaujourd’hui, reprit-elleense redressantpour reprendre son
souffle.Jetejure,Suzie,tum’asditquec’étaitdommagequecenesoitpaslecasduFanta,parcequetun’aimaispaslegoûtduSprite.Suziepiquaunfard.Parfois,avoiruneamiequiconnaissaitabsolumenttoutsursoiétaitàdouble
tranchant.—Tout ce que je peux en dire, Jackie, c’est que visiblement, j’étais bien plus douée que toi en
matièredecontraception,rétorqua-t-elle.JackietenditlesbraspoursoulagerSuziedeTroy,ets’assitpourluidonnerlebiberon.—C’estdebonneguerre,Suze,admit-elle,enembrassantsonfilssurlesommetdelatête.Tum’as
eue sur ce coup-là. Cela dit, c’est vraiment bien, ajouta-t-elle en rendant à son amie la lettre del’adolescenteaucœurbrisé.Quandjerepenseàtouteslessituationsdébilesdanslesquellesjemesuisfourréeadolescente,parcequejen’yconnaissaisrien…Ellesecoualatêteenaffichantunemineconsternée.—Sansparlerdessituationsdanslesquellesnousavonslaissédesgarçonsnousfourrer.—Toutàfait.—Bon,tuvasm’aideràleretrouveralors?demandaSuzie.—Qui?—PatrickConnolly.Jackiepritunairatterré.—Tuveuxdiretonpremiergrandamour?—Oui,monpremiergrandamour,celuiquim’aaussibrisélecœur,situtesouviensbien,reprit
Suzie,sesentantrougirunenouvellefois.—Jenerisquepasdel’oublier,acquiesçaJackie.Tuétaistellementmalquetut’estournéeversla
bouteille.Tunousasforcéesàmonterd’uncran,etàpasserduCinzanoauMartiniblanc.—SeulementparcequeleCinzanomefaisaittroppenseràlui.Jenesupportaismêmeplusl’odeur,
protestaSuzie.—Mais j’adorais le Cinzano,moi, déclara Jackie. LeMartini blancmemontait à la tête etme
donnaitletournis.Ellessetoisèrentduregardensilence,jusqu’àcequeJackiereprennelaparole:— Jamais, au grand jamais, tu ne dois répéter à Dave que cesmots sont sortis dema bouche,
implora-t-elle.—Qu’est-cequej’ygagne?interrogeaSuzie.—Cequetuveux.Àtoidevoir.Undiscourspareilseraitsûrementmotifdedivorce,s’ilenavait
vent.—Ehbien,aide-moiàretrouverPatrick,etpeut-êtremêmequej’oublieraiquecetteconversationa
eulieu,rétorquaSuzie.—Bonsang,pourquoiveux-turevoircetteraclureaprèstoutcetemps?—Parcequec’estàsontour.Jevaismevengerdeluipourm’avoirbrisélecœur.—Commentça,commetul’asfaitavecAlex?l’interrogeaJackie,lesyeuxécarquillés.—ExactementcommeavecAlex,réponditcalmementSuzie.Jackieobservasonamieavantdeluirendresonverdict.—Bon,tantmieuxpourtoi,dit-elleenlagratifiantd’unetapedansledos.—J’enaiassezderegarderdanslepassé,etdemevoiràlamercid’unPierre,d’unPaul,oud’un
Jacquesquiasuenprofiter,renchéritSuzied’untonferme.Ilesttempsderéécrirel’histoire.—Waouh ! s’exclama Jackie. Je veuxbienprendre lamêmecameque toi.Tu as l’air tellement
déterminée.—Jeleserai,situarrivesàtrouverquiquecesoitquipourraitencoreêtreencontactavecPatrick.—Oh,ben,facile.Moi.—Quoi?—OnestamissurFacebook.—Commentçasefait?—Ehbien,ilm’aenvoyéunedemanded’ajout.—Ettuasaccepté?—Biensûr.Pourquoipas?—Pourquoipas?s’indignaSuzie.Ilabrisélecœurdetameilleureamie,voilàpourquoi!—J’enconclusquetun’aspasreçud’invitation?demandaJackie,lessourcilsfroncés.—Non,eneffet,réponditSuzie,bienconscientequesonchagrinàcesujetselisaitsursonvisage.—Peut-êtrequ’elles’estperdue,avançaJackie.—Trèsdrôle,rétorquaSuzie.Commentva-t-il?s’enquit-elle,incapabledes’enempêcher.—Ehbien,allonsjeteruncoupd’œil,qu’est-cequet’endis?Viensdansmonbureau.Tenant toujoursTroydanssesbras, Jackiesedirigeavers lecomptoirde lacuisineetouvritun
ordinateurportable.HappéesparunefouilleminutieusedesmoindresrecoinsduprofilFacebookdePatrick,ellesne
remarquèrentpasDave,lemarideJackie,entrerdanslacuisine.—Qu’est-cequevousêtesentraindefaire?gronda-t-ilderrièreelles,lorsqu’ilrivalesyeuxsur
unephotodePatrick en traindeprendre lapoitrined’une femmeàpleinesmains aumilieud’une
boîtedenuit,pourl’enterrementdeviedegarçond’uncopainàTenerife.—Oh,bonjour,monamour,répliquaJackiesansquitterl’écranduregard.C’estPatrick,ajouta-t-
elleenpointantdudoigtunvisagerougedébordantd’uneénormepairedeseins.SuzievaaccomplirsaprochainemissionBobbittsurlui.—C’est quoi, unemissionBobbitt,maman?demandaLenny, apparaissant soudain à côtéde sa
mère.Jepeuxavoirungâteau?JackiebaissalesyeuxsurLenny,réfléchissantàsaréponse.—Bobbittétait lenomd’unedamequiacoupélezizidesonmariparcequ’ilavaitfaitquelque
chosedetrèsmal,répondit-elle.Tucomprends?—Mesdames!s’exclamaunDaveoutré,toutencouvrantlesoreillesdeLenny.Quesepasse-t-il
ici?—Tusaisquejesuiscontrelefaitdementirauxenfants,plaidaJackie.Daverestasansvoix,dévisageant tourà tourSuzieet Jackie, tandisque lesoreillesdeLennyse
nappaient peu à peu d’une couche de poussière de ciment, rapportée d’un chantier quelconque oùtravaillaitDave.Ilsupportaitsonmétierdemaçon,nonparamourdel’architecture,maispourpayerlesfacturesets’investirdanssavéritablevocation:guitaristesoloetchoristelégèrementdissonant,dansungroupemontéenhommageàDeepPurpleetbaptisé,àjustetitre,«CheapPurple».SonregardfinitparseposersurSuziepourréclameruneexplication.—Cen’étaitpasexactementunemissionBobbitt,sejustifiacettedernière.—Dequoituparles?s’enquitDave.—Suzies’estfaitplaquerparAlex,etelles’estvengéeenlemenaçantdeluifairelecoup,rectifia
Jackie.—Bonsang,Suzie!s’exclamaDave.Etmoiquit’aitoujoursconsidéréecommelaplussageetla
plusadorabledesamiesdemafemme.—Tul’astraitéedevieillefillehystériquel’autrejour,s’écriaJackieenseretournantpouraller
remplirlelave-vaisselle,toutenfaisantvoltigerTroy.SuziejetaunregardaccusateuràDave.—SeulementquandtupleuraisautéléphoneparcequetuvenaisdedécouvrirqueBenFogleétait
marié,expliqua-t-il.— Ouais, eh ben, je viens de tourner une nouvelle page, rétorqua-t-elle, tout en enregistrant
soigneusement les mots « hystérique » et « vieille fille » dans la partie la moins assurée de soncerveau.J’enaiassezdeshommesmaintenant.Àvraidire,j’enaitellementmarrequej’aitransformémarubriquedeconseilsenrubriquedevengeance,etquejetraquemesex-petitsamisquim’ontbrisélecœurpourleurrendrelamonnaiedeleurpièce.—N’est-cepasfantastique!s’écriaJackie.Daven’encroyaittoujourspassesoreilles.— Et c’est un de ces pauvres bougres, n’est-ce pas ? demanda-t-il enmontrant l’ordinateur du
doigt.—Oui,Patrickétaitmontoutpremierpetitamiquandj’avaisquinzeans.—Quinzeans!s’exclamaDave,lavoixmontantdanslesaigus.Tuvasallerretrouveruntypeavec
quitun’espassortiedepuisvingtans,etmenacerdeluicouperla…?Ils’interrompitetpoussaLennyderrièreluipourleprotéger.—Non,jenevaispasm’yprendredenouveaucommeça.C’estdudéjà-vumaintenant,répondit
Suzie.—«Dudéjà-vu»,bafouillaDave.Qu’enest-ildufaitqueturisquesdepasserpourunecingléeàla
rancunetenace,etquecestypespuissents’arrangerpourtefaireinternerenhôpitalpsychiatrique?— Exactement, acquiesça Suzie, sans se démonter. Assener des coups violents au hasard leur
permettraitdejouerlesvictimes,cequin’estpasdutoutlebutrecherché.Jedoismemontrerbienplusmalignequeça.Ilsdoiventressentircequemoi, j’airessenti,sinon,aucunintérêtàfairequoiquecesoit.Ilfautqu’ilsprennentunebonneleçon.—Mincealors,Suze,jen’avaispasconsciencequetuyavaisréfléchiàcepoint,intervintJackieen
serapprochant.Etmoiquiallaistesuggérerdedéchirerleurscostumes,ouuntrucdanslegenre.—Bientropévident,rétorquaSuzie.JedoisfaireensortequePatricksesentetotalementrejetéet
humilié.—Ehbien, c’est simple, reprit Jackie.D’après son statutFacebook, il est célibataire,donc tues
librede lerejeteretde l’humilierà taguise.Toutcequ’il teresteàfaire,c’est leferrer, le laissercraquerpourtoi,puisleplaquerd’unemanièrespectaculaire.Missionaccomplie.—Jen’arrivepasàcroirecequej’entends,intervintDave.C’étaitilyaunevingtained’années,ça
n’aplusd’importance.—Si,çaena,répondirentSuzieetJackied’uneseulevoix.—C’estimportantpourmoi,insistaSuzie.—C’estimportantpourelle,renchéritJackieaumêmeinstant.Jesuisavectoi,Suzie,ajouta-t-elle
enpassantunbrasautourdesonamie.Fais-lepourmoi,etpourtoutesleschosesquej’auraisdûdireetfaireàCarlsansjamaisoser.TupourraisséduirePatricksansproblème.Jesaisquetupourrais.Suzies’interrogea:pouvait-ellesefairesubirtoutça?Lejeuenvaudrait-illachandelle?Ellese
souvintalorsdelajeunefilledeseizeansaucœurbriséquiavaitpleurélajournéeentière,lejourdeson anniversaire, à la suite de leur horrible rupture. Sur la page Facebook, elle regarda la photorépugnante de Patrick, en train de peloter une fille aux seins nus dans une boîte de nuit.Oui, ellepouvait.Voilàunhommequiavaitgrandbesoinderecevoirunecorrection,etellesavaitqu’elleétaitlafemmeidéalepours’encharger.
Chapitre8
Drewavaitlesyeuxrivéssursaboîtederéceptiondepuisunedemi-heure.Ilaimaitlagardervide.Ne rien laisser en suspens dans le cyberespace. S’occuper religieusement de son courrierélectroniqueétaitsatâchepremièrelematin,etsadernièreavantderentrerchezlui,pours’assurerd’avoirréponduàtouteslesquestions,d’avoirtriétouteslescorrespondances,etderesteravecuneardoisevide.Toutcommesavie,ilaimaitquesaboîtederéceptionsoitbienordonnée.Hélas, un message indésirable avait violé son système. Le genre de courriel qui demeure en
suspens en attendant de capter l’attention,mais qu’on choisit d’ignorer jusqu’à ce que la situationdevienne absolument critique. À ce stade-là, bien évidemment, la masse d’efforts à fournir pourrésoudre le dilemme qu’il contenait prenait des proportions épiques. En général, Drew traitaitrapidementcesmessages,empêchantainsitoutphénomèned’escalade.Maispascettefois.Sansdouteparcequeleproblèmequirequéraitsonattentionnesetrouvaitpasdanssaboîtederéception,maisquelquepart dans sa tête, où il était resté enfoui pendant longtemps.Et à présent, il s’était soulevépourréclameruneréponse.Aimait-ilvraimentEmily?Sondésarroiétaittelqu’ilavaitappelésamèrecematin-là.Lasurprisedecelle-cifaceàcetappel
enpleinesemaine,aubeaumilieudelamatinée,nel’avaitpasaidéàluidélierlalangueetàamorcercequi,detoutemanière,s’annonçaitcommeuneconversationpénible.Illuiavaitdemandécommentelleallaitetcequ’ellefaisait,puisilsn’avaientpassucommentgérerlelourdsilencequiavaitsuivi.Difficile de lâcher lemorceau et de lui demander ce que ça faisait d’être amoureux. Interroger samère sur son état d’esprit troismois avant qu’elle semarie serait tombé commeun cheveu sur lasoupe,doncilluiprésentasesexcusesetsecontentadel’inviteràdéjeunerledimanchesuivant.IlavaittoujourslesyeuxrivéssursaboîtederéceptionvidelorsqueSuzieréapparutavecducafé,
impatientedeluimontrerleprofilFacebookdesonpremierpetitami.—Àvraidire, jecroyaisquetuplaisantais l’autresoir,quandtum’asditquetuallaisretrouver
toustesex-trolls,lança-t-il,ravidesevoiroffrirunediversion.LestrollsavaientréintégrélebureaupourmotiverSuzieàmenersamissionàbien–saufceluià
l’effigied’Alexquiavaitfinijetédanslecanal.—Pourquoiest-cequejeplaisanterais?questionna-t-elle.—Ehbien,d’abord,nem’as-tupasracontéquelepremier,c’étaitquandtuétaisaulycée?Vous
n’étiezquedesados,pasvrai?—Ne commence pas, trancha-t-elle. C’est justement le propos. Nous n’étions que des ados. La
périodeoùtomberamoureuxest lachose laplus incroyable, laplusexcitante, laplusmerveilleusesur cetteplanète.Et il a toutgâché. J’aurais cruque toi, plusquen’importequi, serais àmêmedecomprendreça.Tudoisbientesouvenirdelafoliequec’était,detomberamoureuxaussijeune.Çan’estplusjamaisaussifortaprès,tupeuxmecroire.DrewdévisageaSuzieunmoment,envisageantdeprofiterdelasituationpourposerlaquestionà
laquelleilcherchaitdésespérémentuneréponse.Soncorpsentiertremblalorsqu’ilseforçaàchassersesinterrogations.—Alors,commentc’était,aveccetype?
—Oh, bon sang, je m’en souviens comme si c’était hier, répondit-elle en s’affalant dans sonfauteuil.MonuniversentiertournaitautourdePatrick,etdemondésirpourlui.Unefoisparmois,ilallaitdanscetteboîtedenuit,danslevillaged’àcôté,etjevivaisdansl’attentedecessoirées.Ellefermalespaupières,commesiellerevoyaitréellementlascène.—Lestressdenepasêtresûrequ’ilvienne,etlepotentielromantiquedelasoiréemerendaient
malade, poursuivit-elle avant de rouvrir les yeux et de se pencher en avant. Et la préparation étaitépique.Entrelechoixdelatenue,lesessaisdemaquillageetl’achatdeschaussures,çameprenaitlemoisentierpourpeaufinerletoutavantlasoiréeenquestion.Elles’interrompitet,leregardrivéobstinémentsurDrew,elleprituneprofondeinspiration.—La journéeentière s’écoulait au ralenti jusqu’aucréneaudedeuxheuresnécessairespourme
préparer,puis soudain,ellepassait enaccéléréet jeme retrouvaisdevant laported’entrée,prêteàvivreunenouvellehistoired’amourimminente.Drewladévisagea,bienincapabledeseremémoreruntelengouementdanssonproprepassé.Ilse
rappelaitqu’enarrivantàl’université,ayantlaissélemariagechaotiquedesesparentsderrièrelui,ilvoyaitlefaitdetomberamoureuxcommeunobstacleàécarterdesoncheminleplusvitepossible.Ce soir-là, il avait enfilé son tee-shirt de Blur préféré, et était descendu à l’union étudiante pourrencontrerlesautresélèvesdepremièreannée.— Jackie et moi arrivions tôt pour descendre quelques verres de Cinzano-limonade, continua
Suzie.Paspourfinirivres,évidemment,vuquec’estphysiquementimpossibledes’enivreravecduCinzanocoupéàl’eaudansdesgobeletsenplastique.Crois-moi,onaessayé.Puisondansait.Oh,çaoui,l’uniquemomentdesavieoùondanseseulementparpureenvie,etnonàcausedel’alcool.Jecroyaisêtredansl’endroit leplusfestifet leplusromantiqueaumonde,quandjemetrouvaissouscettebouleàfacettes,entraindedanseravecmonsacàmainblancencuirverni.Drewsesouvintquelebarétudiantétaitenfuméetcrasseux,etquedeprimeabord,ilavaitétépeu
impressionné par les nouveaux étudiants, affairés à boire de la vraie bière, à se trémousserlamentablement sur de la musique qu’ils n’avaient jamais entendue auparavant, et terminant leursoiréeivresmorts,àaspirerleslèvresdequelqu’undemocheàquiilsavaientàpeineadressédeuxmots.—Jemerappelleencorequemoncorpsentiertremblaitd’excitationquandPatrickentraitdansla
salle,repritSuzie.Ilsesouvintquelecinquièmejour,ilavaitrepéréEmily,assisetranquillementdansuncoinàcôté
d’une fille en larmes. Elle hochait la tête patiemment, sa queue-de-cheval impeccable se balançantdélicatement.—Moisaprèsmois, j’aifaitensortequemespauses-toilettescoïncidentaveclesmomentsoùil
sortaitfumeruneclope,dansl’espoirqu’onserentrededans,etquesionserentraitdedans,alorsilm’adresseraitlaparole,etques’ilmeparlaitetsijefaisaisensortequecelaarrivepile-poilaudébutdes slows, alors il m’inviterait à danser, et que si on dansait un slow, alors bien sûr, ons’embrasserait,parcequec’estlaseuleraisonpourlaquelleungarçoninviteunefilleàdanser,pasvrai?racontaitSuzie,àboutdesouffle.—J’imagine,réponditDrew,serappelantqu’ilavaitfoncédroitsurEmily.«Jepeux teparleruneminute?»avaitétésaphrased’accroche.Emily l’avait regardéd’unair
incrédule,décontenancéeparsafamiliarité,avantdecomprendrecequ’ilavaitentête.Puiselles’étaitlevéeavecgrâce,etavaitconseilléàlafilleenlarmesd’allerappelersonpetitami,avantdelesuivreà l’extérieur. Elle lui avait expliqué que sa colocataire avait embrassé quelqu’un la veille, et quemaintenant,ellenesavaitpasquoidireàsonpetitamiavecquielleavaitpasséquatreansdanssaville
natale. Le commentaire qu’elle avait émis ensuite avait résonné comme une douce musique auxoreillesdeDrew.—Jen’aimepaspleurer.Quelleperted’énergie.Siquelquechosevadetravers,ilfautfournirles
effortsnécessairespourremédieràlasituation,paspousserdessanglotshystériquesenespérantquelasolutionvasortird’unchapeau.Elleavaitsecouélatêteetprisunetoutepetitegorgéedevinblancdanssongobeletenplastique.
Unefemmequin’aimaitnilesémotionsnileslarmes.Unefemmerationnelle.Ilsutinstantanémentqu’ill’avaittrouvée.Lafemmedontiltomberaitamoureux.Ilpensaitquec’étaitexactementlegenrede relation qu’il recherchait. À l’opposé de celle avec laquelle il avait grandi, parsemée detromperies,demensonges,etd’unespoirvainetpathétique.Non,ilétaitconvaincuquecelaallaitêtrela bonne sorte d’amour, celui qui grandirait lentement et tranquillement, sans heurt, ni lamoindrelarmeféminineversée.IlfutarrachédesarêverieparlavoixdeSuziequipoussaitlachansonnette.—Qu’est-cequec’estqueça?demanda-t-il.—NeverGonnaGiveYouUp,RickAstley,déclaraSuzie.Lachansonquipassaitquandnousnous
sommesembrasséspourlapremièrefoisdevantlestoilettesdesfilles.—Commec’est…romantique,commentaDrew.—Çanel’étaitpas,enfait,rétorquaSuzie.—Ahbon?—Non.Onauraitditunemachineàlaver,puisilm’aemmenéeaufonddelasallepourm’enlever
monsoutien-gorge.—Charmant,fitremarquerDrew.Etças’estfinicomment?—Nesoispasbête.Jesuisrestéechezmoiàattendresoncoupdefil,biensûr.Sesbaiserspourris
et ses critiques incessantes nem’ont pas rebutée. Et d’ailleurs, il a appelé, et nous sommes sortisensemblependant les vacancesd’été.C’était le bonheur ; jeme croyais aunirvana, poursuivit-elleavantdes’interrompre, laminesombre.Puis le jourde larentréescolaire, j’aiaccouruvers lui. Ilétait au milieu de tous ses copains. Il se comportait bizarrement, mais je me suis dit que c’étaitseulementparcequ’ilvoulaitparleràsesamis,doncjeluiaidonnérendez-vousaudéjeuner.Ils’esttournéversmoidevant tout lemonde,etm’adéclaréqu’ilnemerejoindraitpasaudéjeunerparcequ’onnesortaitplusensemble.Iladitqu’ils’étaitlassédemoi.Qu’ilétaitsortiavecmoiuniquementparce que son meilleur ami, Martin, avait passé l’été entier à l’étranger et qu’il avait besoin des’occuper.MaismaintenantqueMartinétaitrentré,iln’avaitplusbesoindemoi.C’étaitunesemaineavantmonseizièmeanniversaire.J’aipassélajournéeàpleurer.Suziesemblaitàdeuxdoigtsdefondreenlarmes,pourquelqu’unqu’elleavaitaiméilyaplusde
vingtans.—Ettusaislepiredansl’histoire?reprit-elleenreniflantbruyamment.Jen’aijamaissentimon
cœurbondircommeçaenvoyantunhommeentrerdansunepièce.C’estpourçaquetuesunveinard.Tarelationamoureuseadébutéaveccessursautsd’adolescent–c’estpasgénial?À aucunmoment il ne se souvenait d’avoir senti son cœur bondir – il n’y avait jamais rien eu
d’aussifortqueçaentreEmilyet lui.Ilss’étaientseulement installésdansunerelationconfortable,dénuéedetoutledrameetdetoutlestressqu’ilsobservaientensecongratulantdanslescouplesdeleursamis.Leursannéesà l’universitéavaientdéfilésans lemoindrefauxpas,et ilsavaientachetéunemaisonune semaineaprès la remisedesdiplômes, afinde se concentrerpar la suite sur leurscarrièresrespectives.Quandilétaitpasséreporter,etqu’ilavaitvuqu’EmilyserapprochaitàvitessegrandVdedevenir associéedans soncabinetd’avocats, cela leuravait semblé lemoment logique
poursemarier.Logique.Exactementcequ’ilaimait.Maisàprésent,pouruneraisonobscure, ilseretrouvaitassaillidepenséesirrationnelles,alorsquelemariageapprochaitàgrandspas.—Donc voilà pourquoi je vais faire en sorte que Patrick tombe amoureux demoi, poursuivit
Suzie,attrapantletrollhabilléenfootballeursursonbureaupourlelancerdanslesairs.Puisjevaislefairetomberdehaut.Luifaireressentirexactementcequej’airessenti.Qu’est-cequ’elleracontaitmaintenant?Qu’elleallaitfaireensortequ’untypequ’ellen’avaitpas
vu depuis vingt ans tombe amoureux d’elle en claquant des doigts ? C’était comme ça que çamarchait?Drewn’ycomprenaitrien.—Tunetrouvespasquec’estunebonneidée?s’enquit-elle.— Je suppose que si, répondit-il, profondément perplexe. Tu peux vraiment le faire tomber
amoureuxdetoi,justecommeça?Ellesetutetclignarapidementdesyeux.—Tunecroispasquej’arriveraiàlefairetomberamoureuxdemoi,c’estça?demanda-t-elle,sur
untonquelquepeuaccusateur.—Non,cen’estpascequej’aidit.Elledétournaleregard,cachantsonvisage.—Merci,marmonna-t-elleavantd’attraperunmouchoiretdesemoucherbruyamment.Drewremarquasesyeuxbrillants.—Quoi?Pourquoitupleures?s’enquit-il.—Jenepleurepas,renifla-t-elle.—Nedispasn’importequoi,rétorqua-t-il.Tupleures,jelevoisbien.—Non,franchement,c’estjusteque…Tusaisbien,tuasdit…quec’étaitimpossiblequequique
cesoittombeamoureuxdemoi.—Non,c’estfaux.—Sic’estvrai,geignit-elleavantd’enfouirsesyeuxdanssonmouchoir.—Quandai-jeditunechosepareille?—Àl’instant.—Pasdutout.—Si.—Absolumentpas.—Si.TuasditquejeneréussiraispasàforcerPatrickàtomberamoureuxdemoi.Untorrentdelarmesfraîchesjaillit.Commentenétaient-ilsarrivés là?Voilàpourquoi ilesquivait l’amour.Oncommençaitàparler
d’amour, et à coup sûr, les femmes semettaient àpleurerpourun rien. Il ne savaitpasquoi faire.Emily ne pleurait jamais. Si quelque chose la tracassait, elle le priait calmement de s’asseoir, luiexpliquaitclairementcequ’ilavaitfaitdemal,luidemandaitpolimentdes’excuser,puisluiexposaitcomment éviter de reproduire la situation. Parfois, cela lui donnait le sentiment d’être un écolierconvoqué dans le bureau du directeur, mais il préférait ça à des larmes, quoi qu’il en soit. Fairepleurerunefillelefaisaitsesentirmal.Çaluirappelaitbientroplesfoisoùilétaitréveilléaubeaumilieudelanuitparlesondesamèreentraindesangloterdanslapièced’àcôté.—Jet’enprie,cessedepleurer,implora-t-il.Jenevoulaispasteblesser,franchement.Il regarda autour de lui, cherchant désespérément une échappatoire. Il n’avait aucune envie de
penseràl’amour,nid’enparler,etencoremoinsderesterassisàcôtédeSuzieenlarmes.—Çanedevraitpasêtreaussidur,bredouilla-t-elle,abandonnantsonmouchoirpourdéplacersa
sourisjusqu’àcequ’unephotos’afficheàl’écran.
—Regarde,c’estunvicelard,detouteévidence.Ilsuffitquejeporteundécolleté.Drewobservalaphotoetfutdistraitdelablondeàmoitiénueparquelquechosedebienpluscher
àsoncœur.—Enfin,ilnepeutpasêtreaussiatrocequeça.—Pourquoiça?s’étonnaSuzie.—IlsupporteManCity.Regarde,ilalemaillotdel’équipeàdomicile,poursuivit-ilenluiprenant
lasourisdesmains.Voyonss’ilauncommentaireàfairesurlapiètreperformanced’hiersoir.IlcliquasurleprofildePatricketycherchadescommentairessurlematchdelaveille.— Il s’y connaît, fit-il remarquer, tandis qu’il hochait la tête en tombant sur des remarques
hautementpertinentes.Malin,cetype.—Qu’est-cequetufabriques?Suziesemblaitaussicontrariéequelorsqu’il l’avaitprétendumentaccuséedenepaspouvoirêtre
aimée.—Désolé,désolé,s’excusaDrewenreculantd’unbond.Ils’étaitégaréuninstant.Ils’étaitréfugiédanslefootball,loindesonmarasmeintérieur,maisil
enavaitoubliépourquoiSuzieregardaitleprofilFacebookdePatrickàlabase.—Tunepeuxpast’immiscerentreunhommeetlefootball,expliqua-t-ilenguised’excuses.Ellefronçalessourcils,etilpriapourqu’elleneseremettepasàpleurer.Ellenelefitpas.À la place, elle ébaucha un sourire. Puis un large sourire, auquel il ne put répondre que par la
réciproque.—Tuesungénie!s’écria-t-elleenbondissantpourleprendredanssesbras.Qu’est-ce qu’il lui prenait ? En trente-quatre ans, il n’avait jamais passé une matinée aussi
déroutante.—Tuvasm’aider, hein ? implora-t-elle en s’écartant de lui. J’ai besoin de tesméninges sur ce
coup-là.—Qu’est-cequeturacontes?— Le football ! s’exclama-t-elle. J’ai besoin de tout savoir sur le football. Allez, je t’invite à
déjeuneretjet’exposemonpland’attaque.Visiblementaucombledubonheur,elleluiadressaunsourireradieux.Dieumerci.Elleavaitdéjà
enfilésonmanteauetluitendaitlesien.Ilseleva.Unrepasetdufoot:uneinvitationqu’ilnepouvaitdécliner.Toutvalaitmieuxquederesterseul,aveclatêtesensdessusdessous.
Chapitre9
ChèreSuzie,Tous les jours quand j’arrive au lycée, les garçons cool de ma classe me traitent deBoubouleoudePoildecarotte.Leproblème,c’estque jemeursd’envied’avoirunpetitamietj’apprécievraimentl’und’entreeux.Commentfairepourqu’ilsorteavecmoi?
LottieChèreLottie,J’aibienpeurquetunedoivesvoirlaréalitéenface.Avoirdeskilosentropetlescheveuxrouxne facilite pas le fait d’avoirunpetit amiau lycée.Monmeilleur conseil serait detrouverunstyle.Devenirgothique,parexemple,semblefonctionnerpourcellesquinefontpas un parfait petit 36 et qui ne sont pas blondes. Les garçons gothiques paraissentcapablesdevoirau-delàdesimperfections,tantqu’ellessontcouvertesdecouchesdenoiroudeviolet,avecdesquantitésfaramineusesd’eye-lineretderougeàlèvresnoir.Passons à ces garçons soi-disant cool qui t’insultent.Çan’a riende cool, et les laissers’entireràboncomptenel’estpasnonplus.Doncvoilàcequetuvasfaire.Achèteunkitdetrophéesbonmarchéetlaisse-lesdansuneboîte,devantl’accueildulycéeavecunmot.Lemot dira que ces garçons ont gagné une compétition régionale de danse leweek-endprécédent,maisqu’ilsontdûpartiravantderécupérerleursrécompenses.LaFédérationdedanseseraitextrêmementreconnaissantequ’onleurremetteenpublicpoursaluercetteperformancemajeure.Pluscooldutout,cesgarçons.Lottie:unenanacool.
SuzieSuzie recula et relut son travail. Rédiger le courrier du cœur était devenu nettement plus facile
maintenantqu’elleavait l’autorisationdedireexactementcequ’ellevoulait.Fomenterdesplansdevengeanceétaitmillefoisplusamusantquedes’apitoyersurlesortdeseslectrices,etdesecreuserla cervelle en vain pour trouver desmoyens de les aider à contraindre un homme, qui n’en avaitvisiblementrienàfaire,àlesaimer.D’autantqu’avecDrewcommealliépoursaprochainerevanchepersonnelle,elleétaitsurvoltée.Ledéjeunerdelaveilleavaitétéunfestivald’idéesplusinventiveslesunesquelesautres.Considérationsfootballistiquesetproposrevanchardss’étaientenchaînéspouraboutiràunpland’uneenverguredontlaseulepenséel’épatait.Enfait,elledutmêmes’empêcherdetrop y réfléchir, parce que dès qu’elle le faisait, ça la terrifiait un peu. Mais, comme elle se lerappelait, elle avait une mission à accomplir. Elle ne pouvait laisser tomber ses lectrices en secontentantd’unevengeance insignifiante.Uncoupd’éclat, c’était ça, la réponse, et lemomentétaitvenudelancerlamachine.—Bon, je vais envoyer unedemanded’ami àPatrick surFacebook, annonça-t-elle àDrew, qui
étaitenpleintravailàcôtéd’elle.—Ets’ill’ignore?demanda-t-ilensetournantpourladévisager.Ellen’avaitpaspenséàça.DrewsoupiraetsepenchapourtapersurleclavierdeSuzie.—«Jevoisque tusoutiens toujoursManCity. Jen’arrivepasàcroirequ’onait jouéaussimal
l’autresoir!Quandva-t-oncesserd’acheterdesRitalsdesecondezone?»lut-ilàvoixhautetoutenécrivant.—Etqu’est-cequeçasignifieexactement?Elleavaitlesyeuxrivéssurl’écran,enpleineconfusion.—Çasignifiequetuaurasforcémentuneréponse.Aucunhommenepeutignorerunbondébatsur
sonéquipedefootbien-aimée.—Si tu ledis,acquiesça-t-elleenobservantDrewenvoyer lemessage.Bon,qu’est-cequ’onfait
maintenant?—Onattend.—D’accord,dit-elleencroisantlesbras,toutencouvantl’écranduregard.—Ilsepourraitqueçaprennequelquesjours,fitremarquerDrew.—«Quelquesjours»!s’écriaSuzie.—Ouais.N’ypensepastroppendantunmoment,ajoutaDrew.Elleparvintàtenirdix-neufminutesavantdevérifiersaboîtederéceptionpourvoirsielleavait
une réponse.Rien.À l’heuredudéjeuner, riennonplus.Après la réunionéditoriale, toujours rien.Tandis qu’elle se levait pour mettre son manteau, tout en repoussant le moment d’éteindre sonordinateur,idem.C’étaitencorepirequed’attendreprèsdutéléphone.—Cessederegarder,luirépétaDrewpourlavingtièmefoiscejour-là.—Jeneregardepas.Jevérifie justemesrendez-vouspourdemainetc’est fini, toutcommema
journéedetravail.Ellecliquasursonagenda,puisneputrésisteràl’enviedejeterunderniercoupd’œil.Etilétaitlà.LenomdePatrick.Danssaboîtederéception.Entraind’attendreinnocemment.Elle
garda les yeux rivésdessus, incapablede l’ouvrir.Sa réactionphysiquedevant sonnomécrit étaitaussitangibleques’ilvenaitjusted’entrerdanslapièce.Soncœurbattaitsifortqu’elles’étonnaqueDrewnel’entendepas.Cettesensationluirappelaittantcequ’elleavaitéprouvélapremièrefoisqu’ill’avaitappelée,aprèsleurbaiserfougueuxsurlapistededanse,qu’elleenavaitletournis.«Ilm’aenvoyéunmessage,serépétait-elledanssatête.Lui.»—Etvoilà le travail. Je t’avaisbienditqu’il te répondrait,pasvrai ? lançaDrew,apercevant le
nomdePatrickencaractèresgrastoutenhautdelalistedeSuzie.Ouvredonccemessage.Flûte,ilaraison.Pourquoiest-ilaussidiabolique?—Allez,l’encourageaDrewenluitapotantlebras.Çayest,tevoilàdansl’arène,annonça-t-ilen
passantsonbrasautourd’elle.Jepeuxcomptersurtoipournepasficherenl’airleprochaincoup?Jedoisfiler.—Biensûr,jem’entireraitrèsbien,répondit-elle,reconnaissanted’avoirunmomentseuledansle
cyberespaceavecPatrick.EllesouritàDrewtandisqu’ilenfouissaitdesdossiersdanssasacoche.—Merci,dit-elle.Vraiment.—Yapasdequoi.C’estbienplusamusantqued’organiserunmariage,dansunsens.Àdemain.Ellerestaassisependantunlongmomentdevantl’écranavantdecommencer,nonsanshésitation,à
racontersonhistoireàPatrick.L’histoire,bienévidemment,qu’ellevoulaitluifaireavaler:celledu
succèsphénoménalqu’elleavaitrencontrédanstouslesaspectsdesavie,racontéeavecdesphrasespleinesd’esprit,retournéesdanstouslessensdanssatêtepresqueautantquepoursarubrique.Durant les jours suivants,Patrick lui renvoyasonhistoireà son tour,celleque, sans lemoindre
doute,ilvoulaitluifairecroire.Çalafrappadeconstateràquelpointlesrencardsétaientplusfacilesde la sorte. Le moindre mouvement, le moindre commentaire pouvait être prémédité et enjolivéjusqu’à atteindre exactement sa cible. Contrairement à des années plus tôt, quand les relationss’envolaient et s’écrasaient avantmême d’avoir commencé, à cause d’un cas imprévu de diarrhéeverbalesurunsujethorsdepropos,durantcecrucialpremiercoupdefil.Peut-êtreques’ilsavaienteuFacebookquandelleétaitplusjeune,elleseraituneépousecombléeàcetteheure-là.Quandelletrouvaenfinlecouragedel’appeleraprèsdesjoursdesimagréesenligne,elles’étonna
de sentir son estomac se nouer tandis qu’elle attendait qu’il réponde, plus capable de se cacherderrière l’écrit, rendant lesbourdesverbaleshautementprobables.Ildécrochale téléphoneavecun«bonjour»rauque,puissontons’adoucitinstantanémentquandilcompritquiétaitàl’autreboutdufil.Unefoispassélagêneinitialederigueur,ilsrirentetplaisantèrentplutôtfacilement.Ilparaissaitplus sûr de lui qu’elle ne l’escomptait, presque décontracté, en particulier lorsqu’il interrompit laconversationàplusieursreprisespourprendreundoubleappel.Ils’excusadesagrossièreté:quandongérait une affaire d’envergure internationale comme lui, ondevait se tenir à dispositionde sesclientsàn’importequelleheuredujouroude lanuit.Lemot«baratineur»surgitdans l’espritdeSuzieetluirappelalebutdesonappel.Elledevaitleconvaincredeveniraumatchavecellelesamedisuivant.Ellesecontentad’unebanaleinvitationaustade,commeDrewl’avaitrecommandé.C’étaitenbonnevoie.Lesamedisuivant,Suzieseréveillaà4h34dumatin.Elles’assitd’unbonddanssonlit,prisede
paniqueàl’idéed’avoirratéleréveil.Envoyantl’heure,ellesesentitsoulagée–sentimentbienpeucourantàunhorairepareil.Elleselevasansattendre,sachantquelemomentétaitvenudeprendrelaplusimportantedécisiondelajournée.Quoimettre?Laveilleausoir,elleavaitparadédevantJackiependantcequiluiavaitparudesheures,toutesdeuxgriséespardegrandsverresdevin.Sapremièreidéepenchaitpourunetenuesophistiquéeetdiscrète,maisJackieavaitunlookbienplusprovocantentête. En définitive, elle opta pour une valeur sûre. Ce n’était qu’unmatch de football, doncmieuxvalait ne pas trop en faire. Elle étala devant elle son meilleur jean de créateur, ses imitations dechaussures JimmyChoo, ainsi qu’un pull relativementmoulant qui, assorti du bon soutien-gorge,faisait un effet assez spectaculaire. Le problème épineux de ses vêtements étant réglé à 5 h 04précisément, elle se traîna jusqu’à la cuisine et traqua dans son frigo les aliments à éviter pours’assurerquelepulllamoulesanslaboudiner.À14heures,ellerejoignitDrewaustade.Ilinspectasatenueavecunemineatterrée,tandisquedes
supportersgrouillaientautourd’euxàl’extérieurdustade.—Tunepeuxpasporterça,trancha-t-ilensecouantlatête,lesyeuxrivéssursapoitrine.—Pourquoipas?protesta-t-elle.Ceshabitsm’ontcoûtéunbras.—Tourne-toi,grommela-t-il.—Pourquoi?—Contente-toidetetourneruneminute,répéta-t-il.Elle fitun tour surelle-même,aussi lentementetd’aussimauvaisgréqu’unécoliercontraintde
montrersonnouveluniformeàsamamie.—Ilfautquetul’enlèves,annonça-t-il.—Maisj’adorecepull.
—Jen’endoutepas,maisonnepeutcacherlescâblesnullepart.Ilvalesrepéreràunkilomètreàlaronde.Elleledévisageafroidement.Mincealors!Ilavaitraison.Leplanentierreposaitsurlefaitqu’elle
porteunmicro,pourqueDrewpuisseluiparlerensecretpendantqu’elleétaitavecPatrick.Sansça,toutallaits’effondrer.—Onn’aqu’àimproviser,repritDrew,scrutantlesenvironsduregardenquêted’inspiration.Ilte
fautvraimentquelquechoseavecuncol,pourdissimuler lesfilsquiremontent jusqu’à tonoreille.J’aitrouvé,poursuivit-il,encommençantàdéboutonnersachemisebleupoudre.—Maisqu’est-cequetufais?s’exclama-t-elle.—C’estbon. J’aimon tee-shirtporte-bonheurendessous, répondit-il.Tun’auraspasàmevoir
dénudé.—Tucroisvraimentquejevaisportertachemisepourrevoirunex-petitami?Jeveuxqu’ilse
disequ’ilafaituneerreurenmelarguantilyatoutcetemps,pasqu’ilaeudelachanced’échapperàuntravesti.Ils’arrêtaenpleinmilieudesondéboutonnage.—Bon,alorsonlaissetomberdanscecas,non?Jesuisplutôtcontentdemecontenterderegarder
lematch.—Non,imploraSuzie,posantlamainsursonbraspourl’empêcherdepartirénervé.ElleavaitbesoindeDrew.Nonseulementiljouaitunrôleessentieldansleplan,maisellesesentait
aussinettementplusconfiantequandilétaitdanslesparages.—Pitié,neparspas,plaida-t-elle.Jesuisdésolée.Jesuisextrêmementnerveuse,c’esttout.Drew s’approcha pour passer sa chemise autour des épaules de Suzie, puis se pencha pour que
leursyeuxsoientàlamêmehauteur.—Aucuneraisond’êtrenerveuse,dit-ildoucement.Jesaisquetupeuxlefaire.Tum’entends?Elledéglutitetdétournaleregard,avantdeselaisserhypnotiserparsesyeuxbleuclair.—D’accord,acquiesça-t-elleenaffichantunfaiblesourire.Suziesedirigeaversles toilettesets’examinadanslemiroir.Quelquesajustementss’imposaient
pour rendre la chemise de Drew sexy. En définitive, elle décida de la porter nouée, vu que, parchance, elle portait une ceinture à strass plutôt jolie, et elle laissa suffisammentdeboutonsdéfaitspour dévoiler une portion tout à fait décente de son décolleté. Le plus étrange, c’est qu’avec cettechemise,ellesesentaitsexy.Çaluirappelaittouscesfilmsromantiquesoùunefillecoucheavecungarçon,puisselèvelematinetluipréparelepetitdéjeuner,vêtueentoutetpourtoutdelachemisequ’elleluiaarrachéelaveilleausoir,surunélandepassion.Hélas,ellen’avaitjamaiseul’occasiondevivrecefantasme.Ils’étaitrévéléqu’engénéral,lesmatinssuivantcegenredesoiréesconsistaientenuneviréechezMcDonald’savecuntypequelconque,pourépongerleursgueulesdebois.Àvraidire,elleavaittentédeleréaliserunefois,biendesannéesauparavant,maisquandelleavaitramassélafameusechemise,ellepuaitl’alcooletlacigarette,etluiavaitdonnédeshaut-le-cœur.Elle retrouvaDrewdans la tribunedes journalistes, contrairement à sonhabitude, vuqu’il avait
réussiàpiquerlaplacedureportersportifpourrédigerl’article.—Elletevamieuxàtoiqu’àmoi,fitremarquerDrew,lesyeuxdenouveauvisséssursapoitrine.—Toutestdanslacoupe,rétorqua-t-elletoutenhissanttantbienquemallepanieràpique-nique
qu’elleavaitpéniblementréussiàcomposer,surlerebordquilongeaitl’avantdelapetitepièce.EllesetournapourfairefaceàDrew,etseposalesmainssurleshanches.—Maintenantmets-moilemicro,l’Écossais,lança-t-elle,unlargesourireauxlèvres.
Après quelques moments gênants à farfouiller sous sa chemise pour faire fonctionner lebranchementdumicro,DrewabandonnaSuzieàsonsort,seretirantdansunepièceunpeuplusloindanslecouloir.Quandilseurentétabliqu’ilsarrivaientàs’entendreenchantant«Brille,brille,petiteétoile»,elleentrepritd’exposersonsomptueuxfestin.—Ce n’est pas qu’un pique-nique, c’est un pique-nique de vengeance,marmonna Suzie tout en
manipulantdélicatementlesroulésàlasaucissefriables,etlesuperbedoublegâteauauchocolat.Puis, cérémonieusement, elle déboucha la bouteille de champagne, se servit une flûte, et la vida
d’unetraite.—Prêteetmêmeimpatiente,déclara-t-elleàvoixbasse,aumomentoùonfrappaitàlaporte.Bon
sang,ilestàtomber,murmura-t-elletandisquePatrickentraitàgrandspasdanslapièce,semantdeseffluvesd’après-rasagedeluxesursonpassage.Lesjambesencoton,ellelevalesyeuxverslui,toutcommeellel’avaitfaitchaquefoisqu’ilentrait
quelque part des années auparavant.D’une façonou d’une autre, il avait encore plus d’allure qu’àl’époque.Sescheveuxavaientperdulapointederouxquis’attardaitsursesracines.Sabarberaséedeprèsavaitététailléeenpointesurledevant,àladernièremode,bienloindescoupesqueluiinfligeaitsamère durant sa jeunesse.Sa subtile petite barbe de trois jours avait un charme fou auxyeuxdeSuzie, parce qu’elle donnait toujours un côté incroyablement viril.Etvoilà. Le sourire qui l’avaitmiseàgenouxautrefoisà travers lesvapeursd’unCinzanoluidonnaitunpeu le tournisàprésent,conséquencedirecteduchampagnesursonestomacvide.— Concentre-toi, Suzie, concentre-toi, chuchota fermement Drew dans son oreille, à l’instant
mêmeoùellesesentaitdéfaillir,tandisquel’envoûtantaprès-rasagedePatrickluititillaitlesnarines.— Suzie, lança ce dernier, la gratifiant d’une embrassade qui manqua de la faire tomber à la
renverse.Tun’aspaschangéd’unpoil,poursuivit-il,latenantàlongueurdebraspourlajaugerdelatêteauxpieds.Suzieeutinstantanémentunflashdesannéesquatre-vingt,époqueoùporterlachemisedesonpère
cintréeparuneénormeceintureétaitconsidérécommetendance.Etvoilàqu’elleseretrouvaitdanslachemise deDrew, comme si elle était restée coincée dans la pire décennie du siècle précédent enmatièredemode.ElleexaminalatenuedePatrick.Lemoindreaccessoireétaitclairementunepiècedecréateurvalantunesommefolle,letoutassemblépourvenircomplétersonmaillotdel’équipe,decettefaçonnonchalantedontleshommesdeManchesterontlesecret.LiametNoelGallagheravaientdequoibiensetenir.C’estavecembarrasqu’elleconstataqu’ilavaitl’airnettementpluscoolqu’elle.—Etregarde-toi,rétorqua-t-elleenluiébouriffantlescheveux,tropoccupéeàchercherquoidire
exactement.Unvraiadulte,parvint-elleenfinàarticuler.Elleétaitcertained’avoirentenduDrewgrognerdanssonoreille.—J’aibienfaillinepas te trouver, repritPatrick.J’aidemandé,etonm’aditqu’ils’agitenfait
d’unelogedejournaliste.—Ah,oui,ehbien,jemesuisditquetuavaisprobablementétédansquantitédelogesprivéesdans
cestade,etqueceseraitàpeinedifférentpourtoi.Etcecommentateurquejeconnaisaréussiàmel’obtenir.—Oh,super,dit-ilenbalayantlapièceduregard.C’estqui?— Oh, hum, c’est…, balbutia-t-elle, attendant que Drew lui souffle le nom de son ami, mais
n’entendantrienvenir.Oh,sonnomnetediraitrien.Ilnefaitpassescommentairesici ; ilconnaîtseulementdesgensquis’enchargent.Champagne?—Waouh, avec plaisir, répondit-il, en hochant la tête pour marquer son approbation. Attends,
laisse-moifaire.
Ilpritlabouteilleetremplitdeuxflûtes.—Bon,poursuivit-ilenladévisageantdelatêteauxpieds,sonregards’attardantpeut-êtreunpeu
troplongtempsauniveaudesapoitrine.Auxvieuxamis,lança-t-ilenlevantsonverrepourporteruntoastavecelle.— Aux vieux amis, acquiesça-t-elle, incapable de s’empêcher d’afficher un large sourire en
réponseausien.— Alors, Suzie Miller, une pro du journalisme, hein ? Je dois admettre que je suis très
impressionné.Ilpassalebrasautourdesesépaulesetluidonnaunepetitetapeamicale.Quandsabarbedetrois
joursl’effleura,ellemanquades’évanouir.—Imagineunpeuça,mavieillecopineSuziedanslesmédias.Incroyable.—Ehbien,tusais,j’aitravaillétrèsdurpourarriveroùj’ensuis.ElleentenditDrewéclaterd’unriremoqueur.—Nesoispasmodeste,Suzie.J’aitoujourssuquetuiraisloin.—Vraiment?s’exclama-t-elle.—Oh, oui, répondit-il en tendant le bras pour trinquer avec elle. Tu as toujours fait partie des
gamines futées à l’école, non ? Je vais te dire, quand j’ai réussi à t’avoir, je ne parvenais pas à ycroire.Jemesuisditquej’avaisdécrochélejackpot.L’intelligenceetlabeauté.Quelleassociation.—Vraiment?insista-t-elle.—Vraiment,acquiesça-t-ilenhochantlatêtevigoureusement.Honnêtement,jen’auraisjamaiscru
quetuauraisdesvuessurmoi.Etquandc’estarrivé,jemesouviensd’avoireul’impressiondevivretousmesmatinsdeNoëlenuneseulefois.—Sérieusement?Elle prit une bonne lampée dans son verre. Avait-elle retrouvé le bon Patrick, ou s’était-elle
méprisesursonidentité?—Queldommagequenousnoussoyonsconnusadolescents.Nousétionstropjeunespourfaireen
sortequeçamarche,pasvrai? reprit-il, touten laissantminutieusementcourir sesdoigtsdanssescheveuxgominés.—Oui,sansdoute,murmura-t-elle.Peut-êtrequ’elles’étaitplantéesurtoutelaligne.Peut-êtrequeçanes’étaitpaspassécommedans
sessouvenirs.—Maisregardeunpeu,poursuivit-ilenécartantlesbras.Nousvoilàicimaintenant,pasvrai,etje
doisavouerqueçafaitvraimentdubiendetevoir.—Ehbien,Patrick.C’est…trèsagréableàentendre.Merci.Patrickpritune rasadedechampagneet ladévisageade la têteauxpiedsunenouvelle fois.Elle
espéraitqu’ilavaitremarquéqu’ellen’avaitprisqu’unetailledepuissonadolescence.—C’estlavérité,Suzie,dit-ilensecouantlatête.J’aiconnudesfemmescomplètementfollesdans
mavie,tupeuxmecroire,notammentmonex-épouse–maisnemelancepassurlesujet.C’estunetoutautrehistoire.Etvoilàquetusurgisdenullepart.Unefemmeadorableetsensée,quigagnesonpropreargentetaimelefootball.Suzie,j’aidenouveaul’impressiond’êtrelematindeNoël,ajouta-t-ilenluiadressantunsouriresuggestif.ElleespéraitqueDrewn’enavaitpasloupéunemiette.Troprisquédemisersurlefaitqu’iltombe
amoureuxd’elle–voilàquecequeDrewavaitdit.Bonsang,Patrickétaitquasimententraindeluidemander sa main. Subjuguée, elle l’observa s’asseoir puis étendre son corps longiligne sur unfauteuil,avantdemettrelesmainsderrièresatêteetdelagratifierd’unsouriresatisfait.Sonplaisir
évident était contagieux.Elle ne put s’empêcher de se demander à quoi cela ressemblerait d’être ànouveau la petite amie de Patrick. Visiblement, ils seraient un couple du genre à faire des pique-niquesauchampagne.Elles’accrochaàcettevisionplaisante.Elles’imaginaPatricketelledansunchamp,enpleinété, surunenappeàcarreaux,en traindesenourrirnégligemment l’un l’autredefraisesetdeboireduchampagne,avantqu’ilneluifassel’amourtendrement,surplace,leurscorpsbaignantdanslalumièredusoleil.Peut-êtrequeledestinluidonnaituncoupdepouce.Peut-êtrequesa mission de vengeance était seulement un moyen pour qu’elle retrouve Patrick, et qu’elleredécouvrelepremierhommequiluiavaitfaitbattrelecœurplusfort,etquiavaitcertainementfaitgrimper sa température à l’instant même où il s’était pavané sous ses yeux. Après tout, peut-êtreétaient-ilsfaitsl’unpourl’autredepuistoujours.—Pourquoitun’apportespascesroulésàlasaucisseetuneautrebouteilledecemousseux,avant
devenirt’asseoirprèsdemoi,ronronna-t-il.Ellepritlabouteillesurl’étagèredevanteuxets’installa,constatantalorsquesoncœurbattaitla
chamade.Elleneputs’empêcherderemarquerlespoilsdouxsurledosdesesmains–undétailqu’iln’avaitcertainementpasquandilavaitquinzeans.Ladernièrefoisqu’ilsétaientensemble,c’étaitunjeune garçon, mais il était devenu un homme à présent – de la tête aux pieds, visiblement, etprobablemententièrementdifférentdeceluiqu’ilétaitàl’époque.Ilavaiteuletempsdemûriretdecomprendrecequ’ilvoulaitvraimentdans lavie. Iln’étaitplus l’adolescentcapricieuxd’autrefois.Ellel’observaittoujoursattentivement,perduedanssespensées,quandilluipritlamainetlaportaàseslèvres,toutenlaregardantdroitdanslesyeux.—Oh,Patrick,neput-elles’empêcherdemurmurerlorsqu’ils’avançaverselle.—Jenevaispasaussiviteenbesogned’habitude,maistuesdifférente,Suzie.Ilcommençaàl’embrasser,etsamissionseretrouvaimmédiatementreléguéeausecondplanau
premiercontactdeslèvresdePatricksurlessiennes.—Suzie,ilfautquejeteparle,toutdesuite,entendit-ellesoufflerdanssonoreille.Elles’écartabrusquement,inquièteàl’idéequePatrickaitentenduDrewdanssonoreillette.—Qu’est-cequisepasse?demandasoncompagnon,surpris.Tun’asaucuneraisond’avoirpeur,
Suzie.Cen’estquemoi,ajouta-t-ildoucement.—Toutdesuite!s’écriaDrew,faisantsursauterSuzie.—Ilfaut juste…quej’ailleauxtoilettes,bredouillaSuzie.Jereviensdansuneminute.Nebouge
pasd’ici.Ellesortitentrombedanslecouloir.PourquiseprenaitDrewenl’interrompantdelasorte?—Qu’est-ce que tu fous ? lança ce dernier lorsqu’elle entra dans la pièce. Tu étais en train de
l’embrasser?Suziebaissalesyeuxsurlesol.—Jen’arrivepasàcroirequetulelaissest’embrasser,repritDrew,exaspéré.— Et je n’arrive pas à croire que tu me sommes d’arrêter dans l’oreille, rétorqua-t-elle avec
colère.Jesuisadulte,tusais.Tun’aspasledroitdefaireça.—As-tuoubliépourquelleraisonnoussommesici,outuesjustedevenuedingue?—Non, jen’ai pasoublié,Drew,mais…Tune l’aspas entendu? Il voulait demoi à l’époque.
C’estcequ’iladit.C’estjusteparcequ’onétaitadolescents,voilàpourquoionarompu.Jemesuistrompée,tunecomprendspas?Etilm’apprécie,jelevoisbien.Çapourraitêtrelui,Drew.Lebon.Jepensequ’onferaitmieuxd’oubliermonplandevengeanceetdevoiroùçamène.Drewladévisagea.— Je l’ai entendu, Suzie, répondit-il avec douceur. Je ne crois pas qu’il se souvienne vraiment
d’êtresortiavectoi.Ilinvente.Iltedragueuniquementparcequ’iltecroitpleineauxasparcequetutravaillesdanslesmédias,etqu’ilseditquetupeuxluiobtenirunelogepourlesmatchsdefoot.—Non, cen’est pasvrai, protesta-t-elle, choquée face à l’attitudedeDrew. Il a affirméqu’il se
trouvaitchanceuxdesortiravecmoi.Tul’asentendu.Iladitqu’ilavaiteul’impressiondevivretouslesmatinsdeNoëld’unseulcoup.—Oh,Suzie,n’importequipourraitsortirun trucpareil.Écoute, jen’essaiepasde toutgâcher,
franchement ; jeveux justeéviterqu’on te fassesouffrir,c’est tout. Jen’aiaucuneconfianceencetype.Toutcequ’ilaracontésurl’époqueoùvoussortiezensemble,ill’invente.—Non,c’estfaux.—D’accord, repritDrew, commençant à sembler un peu agacé. Je vais te dire. Pourquoi ne lui
demandes-tupascommentvousêtessortisensemble,etcommentvousavezrompu?Situcomptaistantqueçapourlui,ils’ensouviendra,pasvrai?—Biensûrqu’ils’ensouviendra.— Eh bien, si je me trompe, tant mieux. Je couperai le micro et je regarderai le match
tranquillement.Mais si cen’estpas le cas, alors je tiensà ceque tumepromettesquenousallonscontinuercommec’étaitprévu.—D’accord,consentit-elleenfaisantlamoue.—Onvautiliseruncodepourquetun’aiespasàquitterlapièceunenouvellefois.—S’illefautvraiment,soupira-t-elle,impatientederetourneravecPatrick.—Bien,donclecodeest,voyonsvoir…Pourquoipas…—«Vaaudiable»,l’interrompitSuzie.Parcequec’estcequej’auraienviedetedirequandilse
rappelleratoutconcernantnotrecouple.—Trèsbien,acquiesçaDrew.Vapour«vaaudiable».—Viensdonct’asseoir,beauté,ronronnaPatrickdèsqu’ellerevintdanslapièce.Lecoupd’envoi
nevapastarder.Ilfautquejetedise,jen’aijamaiseuunevuepareillependantunmatch.J’aienvoyédesphotospartéléphoneàtousmespotesquisontdanslatribuneNord.Ilsmemaudissent,c’estpassuper?—Super,réponditSuzie,plongéedanssespensées,tandisqu’elleattrapaitlechampagne.Alors,tu
estoujoursfourréavecMartin?demanda-t-elle.—Martinqui?—Tonmeilleuramiàl’école,MartinHolmes.—Ah, lui, non. Aucune idée de ce qu’il est devenu. On a perdu contact après le lycée, tu sais
commentc’est.Enfindecompte,ilétaitunpeuringard.Jesuisravidem’enêtredébarrassé.—Certes,acquiesça-t-elle.Elles’interrompitpourréfléchiràlafaçondontelleallaitenchaîner.—Tusais,jemesenstoujoursmalquantàlafaçondontnousavonsrompu,ajouta-t-elle,surun
tonaussianodinquepossible.Patrickluiadressaunregardinterrogateur.Elleluirenditsonregard,dansl’expectative.—Oh,Suzie,jen’enavaisaucuneidée,dit-iltoutenluiprenantlamainpourlacaresser.Tun’as
plusàtesentirmal.Jesaiscommentçamarche.Lesadolescentessontindécises.Uneminutetufaisl’affaire,lasuivante,c’estfini.Jen’aipleuréquependantunesemaine,promis.Suzieledévisagea,sansvoix.Enfait,ilcroyaitquec’étaitellequil’avaitquitté.—Tusaisquoi?reprit-il.Considéronsquetuviensdemefairedesexcuses.Jenetetiendraipas
rigueur dem’avoir impitoyablement plaqué, alors que j’étais unpauvregarçon sansdéfense, si tu
peuxcontinueràm’avoirdesbilletspareils.Qu’endis-tu?Çat’aideraitàtesentirmieux?Ilbaissalesyeuxsursamontre,puisjetauncoupd’œilàtraverslavitre.—Allez, les bleus ! hurla-t-il d’une voix haut perchée, se levant d’un bond pour accueillir son
équipesurleterrain.LecœurdeSuziebattaitviteànouveau,maispasdejoie.Mêmepasdedéception.C’étaitdûàla
prisedeconsciencequ’unefoisencore,quandbienmêmeelles’étaitpromisdeneplus laisserunechose pareille arriver, elle s’était laissé aveugler par une lueur d’espoir. Pendant unmoment, elleavaitcruêtreenfacedesonprincecharmant,alorsqu’ilnes’agissaitqued’unimposteur,l’abreuvantdesparolesqu’ellevoulaitentendrepourparveniràsesfins.Quelleidiote!Ellesemorditlalèvre,etmarmonnadanssabarbe:—Vaaudiable,PatrickConnolly.Vaaudiable.
Chapitre10
Drewserassitetpoussaunprofondsoupirdesoulagement.Qu’est-cequinetournaitpasrondchezcette fille ?Elledevait avoirunecase enmoinspour fairepreuved’unepareillebêtise enmatièred’hommes.Quoique,endéfinitive,cenesoitpasvraimentelle, leproblème;c’était l’amourquilarendaitstupide.Desoncôté,Dieumerci,ilétaitrevenuàlaraisonetavaitdécidédemettredecôtésasoudaineangoissesurlesujet.Toutbienpesé,iln’avaittoutbonnementpasréussiàtrouverquoiquece soit qui prouvait que l’amour était l’ingrédient essentiel d’unmariage heureux. La plupart descouples divorcés se disaient passionnément amoureux le jour de leurs noces, et pour quel brillantrésultat?Autantlaissertombercetteidée.Etseconcentrersurlefaitqu’ilavaitunmillionderaisonslogiquesd’épouserEmily,mêmes’iln’étaitabsolumentpasconvaincuquel’amourenfassepartie.La compatibilité, des goûts en commun, des capacités intellectuelles semblables, lemême sens del’humour–debonnesraisons,solides,quileuravaientpermisdetraverserseizelonguesannées.Pluslongtempsquelaplupartdescouplesnerestentunis.SejeteràcorpsperdudanslamiseenœuvredudernierplandeSuzieluiavaitoccupél’esprit,et
avait coupé court à ses réflexions. L’envergure du projet, et le rôle crucial qu’il jouait dans saréussite,l’avaittenuéveillétoutelanuit,maisc’étaitunmotiftoutàfaitvalablepourcontemplerleplafondà3heuresdumatin.Bienplusque leprécédentdébat intérieurqui l’avait réveillé aupetitjour.Il attrapa son téléphone pour passer le coup de fil qui allait lancer la prochaine étape du plan.
Maintenant qu’il avait fait la connaissance de Patrick, quoique uniquement par l’intermédiaire dumicrodeSuzie,saculpabilitéinitialequantàcequ’ilss’apprêtaientàfairesubiràunautrefandesonéquipeavaitdisparu.Unefoisqu’ileutappelésonamidans la logedescommentateurs, ilserassitpourprofiterdumatch.Quand les dernières minutes de la première mi-temps approchèrent, Drew se rebrancha pour
s’enquérir de ce qui se passait entre Suzie et Patrick. Silence absolu, en dehors des quelquescommentaires footballistiques émis par Patrick. Suzie devait s’ennuyer ferme. Mais alors, Drewentenditfrapperlourdementàlaporte,justeavantqu’ellenes’ouvre.—Désolédevousdéranger,entendit-ildiresonami.JesuisSteveBromley,leprésentateurdela
mi-temps.MonassistantaomisdesélectionnerdescandidatspourlegrandquizdeManCityquisetientpendantlami-temps.Çavousintéresse?—Çaoui!réponditPatrick,enbondissantdesonfauteuil.J’aitoujourseuenvied’yparticiper.En
général,j’aiplusdebonnesréponsesquelesnulsquevousfaitesjouerlamajeurepartiedutemps.—Fantastique.Çanevousgênepas,aumoins?demanda-t-ilàSuzie.Ilmefautencoreuneautre
personne.—D’accord,acquiesça-t-elle.—Euh,Suzie,jenepensepas…,commençaPatrick.—Non,jevaislefaire.J’adorelesjeux.Çavaêtremarrant,dit-elle.—D’accord,repritSteve.Génial.Garçoncontrefille.Çavamettreunpeudepiment.Rendez-vous
enbas,dansl’entrée,danscinqminutes.—Lesquestionssontvraimentpointues,Suzie.Jevais tebattrefacilement, lançaPatrickdèsque
Steveeutquittélapièce.—Quelsalevantard,marmonnaDrew.—Passûr,rétorquaSuzie.Jesuisplutôtunegrandefan,tusais.DrewentenditPatrickrireunpeutropàsongoût.—Situledis,Suze.Situledis.Maisjetepréviens,personnenem’arriveàlachevillequandil
s’agitdeManCity.Surtoutpasunefille.DrewobservaitlasilhouettemenuedeSuzie,aumilieuduterrain,surlepodiumàcôtédePatrick,
occupéàprendredesphotosavecsontéléphoneenfaisantdegrandssignesenthousiastesàlafoule.—Mesdames et messieurs, entama Steve dans son micro. Aujourd’hui, nous avons droit à un
combat fille contregarçondansnotrequêteduplusgrand fandeManchesterCity.Les fillesvont-elles prouver que ce n’est pas qu’un sport d’hommes, ou les garçons vont-ils revendiquer leurterritoire?Ungrondementmassifs’élevadestribunes,etDrewobservaPatricksepavanersurl’estrade,les
brastendus,commes’ilavaitdéjàgagné.—Tupeux le faire, souffla-t-il.Aucune raisonde t’inquiéter.Tu t’ensorsàmerveille.Laisse-le
croirequ’ilvagagner.—Jevaismefairedessus,chuchotaSuzieenguisederéponse.Ondiraitqu’ilyaunmillionde
personnesaveclesyeuxbraquéssurmoi.—Concentre-toi,Suzie,concentre-toi,larassuraDrew.Cinqminutesàpeine,etc’estterminé.La
finestproche,maintenant.Jesaisquetupeuxlefaire.Ils’abstintdeluiconfierquelui-mêmeavaitl’estomacnouéàcausedustress.—Bon,pouvez-vousmedonnervotrenom,etmediredepuiscombiendetempsvousêtesfande
ManCity?repritSteveentendantlemicroàPatrick.—Jem’appellePatricket jesuis lesbleuscieldepuisquemonpèreacommencéàm’emmener
voirleursmatchsàl’âgedetroisans.Ilestlà,danslatribuneNord.Salut,papa!Patricks’avançajusqu’auborddupodium,ethurlad’unevoixhautperchée:«ManCityjusqu’àla
mort»,ensecouantlesbrasfrénétiquementjusqu’àcequelestadeentiernereprennelechantaprèslui.ManCityjusqu’àlamortManCityjusqu’àlamortTusaisquijesuisJesaisquijesuisManCityjusqu’àlamortLesonétaitassourdissant,etDrewobservaSuzieregarderautourd’elle,visiblementpétrifiée.—Etvous?demandaSteveàSuzie,unefoislevacarmeretombé.— Euh, je m’appelle Suzie Miller, et je suis fan depuis, euh, toujours, répondit-elle, avant de
donner un coup de poing en l’air sans grande conviction, et de marmonner un plutôt faible«ManCitypourlavie»,écorchantlesloganaupassage.Drewsetassadanssonfauteuil.Ilespéraitqueçafonctionne,sinonilnepourraitplusjamaisêtre
vuenpublicavecSuzie.C’était incroyabledeconstater la façondontune fouleaussigrandepouvait faireautantdebruit
uneminute,etêtreaussidramatiquementsilencieusecelled’après.
—Bien, revoyons les règles, d’accord ? poursuivit Steve. Je vais vous poser deux questions àchacun.Celuiquidonneleplusdebonnesréponsesl’emporte.Celadit,encasd’égalité,onpasseauxquestionsdemortsubite.Compris?—Balancelasauce!s’écriaPatrickenguisederéponse.—Oui,d’accord,murmuraSuzie.—Parfaitdanscecas,allons-y.Onvacommenceravecvous,Patrick.Premièrequestion:enquelle
annéeManCitya-t-ellegagnésontoutpremiertitreenchampionnat?—En1937,réponditPatrickdutacautac.—Correct,hurlaStevetandisquePatricksautaitenl’airetfaisaitunerondedelavictoireautour
dupodium.Lafouleémitungrognementd’appréciation.—Bon,Suzie,repritSteved’unevoixdouce.Voicivotrepremièrequestion.Qu’ontfaitlesbleus
ciellasaisonsuivante,qu’aucunautreclubn’aitjamaisfaitavanteux?Lestadebondéseréduisitpresqueausilence,tandisqueSuziedévisageaitSteve,leregardvide.—Souhaitez-vousquejerépètelaquestion?interrogeaSteve.Suziehochalatête,etunevaguemoqueusecommençaàagiterl’assistance.—LasaisonsuivantcelleoùManCityagagnésontoutpremiertitreenchampionnat,qu’est-ceque
l’équipearéussiàfaire,làoùaucunautreclubn’yétaitarrivéjusque-là?Àprésent,Suziejetaitunregarddésespéréauprésentateur.—Jesuispresquecertainquelesbleuscielontétérelégués,ditDrewdanslemicro.Il était aubordde lanausée ;peut-êtrequecen’étaitpasune sibonne idéequeça. Il avaitbeau
s’êtredévouéàManCitydurantsavieentière,répondreàdesquestionssouspressionétaitdifficile.Mêmesicen’étaitpasluiquiétaitsouslesprojecteurs.IlobservaSuziesepencherpourparlerdanslemicro.—Sesont-ilsfaitreléguer,Steve?demanda-t-elle,lavoixlégèrementtremblante.Un faible son d’applaudissements respectueux se répandit dans la foule avant que Steve n’ait le
tempsderépondre.—Oui,eneffet,grommelacedernier,enluidonnantunetapedansledos.Suziesouritjusqu’auxoreilles,sesentantenfinàsaplacesurlepodium.Patrickhaussalesépaules
avecnonchalance,commes’ilpensaitqu’elledevaitsabonneréponseàuneintuition.—Bon,Patrick.Pouvez-vousmaintenirleniveaupourcesmessieurs?s’enquitSteve.—Jepeuxlefairepourn’importequi,repartit-ilenfaisantunclind’œil.—Parfaitdanscecas,voicivotredeuxièmequestion.QuelleéquipeManCitya-t-ellebattuepour
remportersonuniquetrophéeeuropéen,laCouped’Europedesvainqueursdecoupes?—Górnik Zabrze, de Pologne, lança-t-il immédiatement, avant de sauter sur place en signe de
victoire,avantmêmequeSteveneluiaitconfirmélerésultat.—Bienjoué,Patrick.Bonneréponse.Bon,Suzie,vousdevezrépondreàcettequestionpourrester
enpiste.DansquellevilleManCitya-t-elleremportélaCoupedescoupes?—Vienne,ditDrewdanslemicro.Dieusoitloué.Ilsallaientpeut-êtrebiens’entirer.IlbaissalesyeuxsurSuzie,quiétaitfigéesurl’estrade,sansmotdire.—Vienne,répéta-t-il.Vienne.Suziejetaunregarddésespéréverslatribuneoùilsetrouvait.—Maisqu’est-cequ’ellefout?s’exclama-t-il,selevantd’unbondsouslecoupdelafrustration.Ilconstataalorsquelecordonreliéàsonoreillettesebalançaitjoyeusementautourdelui.
—Flûte,flûte,flûte,s’écria-t-il,prenantconsciencequ’ilétaitdéconnectéetqu’ellenepouvaitpasl’entendre.Ilrebranchal’emboutethurla:«Vienne»,àl’instantmêmeoùSteveposaitlaquestionàsonamie
pourladernièrefois.—Varsovie, suggéra Suzie désespérément, un quart de seconde avant que la connexion ne soit
rétablie.—Nooon,Vienne!criaDrew, tandisque lamaindeSuzie,visiblementchoquée,seplaquaitsur
sonoreillegauche.Lamain sur sonvisage, il l’observaentre sesdoigts, lorsqueSuzie,hystérique, éclatade rireet
donnauncoupdepoingfarceuràSteve.—Jeplaisante,Steve.Bienévidemment,lavilleoùlesbleuscielontgagnéétaitVienne,annonça-t-
elleenfaisantungestetriomphant.—Cen’estpasjuste,protestaPatrick.Elleaentendulafoulecrierlabonneréponse.—Enfin,Patrick.JesuiscertainqueSuzien’arienentendudutout,n’est-cepas?—Non,biensûrquenon,acquiesça-t-elle.—Bon, soit, rétorqua Patrick. Pouvez-vous juste dire aux spectateurs de cesser de souffler les
réponses?poursuivit-il,enadressantunsignedemaindédaigneuxàlatribuneNord.Soudain,deshuéesenvahirentleterrainentier.Ilsseretournentcontrecesaletypetropsûrdelui,seditDrew.Parfait.— Restons fair-play, d’accord ? reprit Steve. Ou l’idée d’être battu par une fille vous est
intolérable?ajouta-t-il,unsouriremalicieuxauxlèvres.Patrick,levisagedemarbre,toisaSteve,tandisqueleshuéeslaissaientlaplaceàdesgloussements
moqueurs.—Passonsmaintenantàlamortsubite,annonçaSteve.Jevaisvousposeràtouslesdeuxlamême
question,etceluiquiserapprocheleplusdelabonneréponseremporteletitre,celuiduplusgrandfandeManCity.Est-cequevousêtestouslesdeuxprêts?—Oui,répondirentSuzieetPatrickenchœur.—DepuislespremièresarchivesàlafinduXIXesiècle,combiendejoueursontjouépourl’équipe
deManchesterCity?Lafouleenavaitlesoufflecoupé.C’étaitunequestionvraimentdifficile.Drewétaitàdeuxdoigts
devomir.C’étaitvraimentunequestionextrêmementdifficile.—Alors,Patrick,qu’endites-vous?lepressaSteveaprèsleuravoirlaisséquelquesinstantspour
réfléchir.Patrick,enpleineconcentration,fermaitlesyeux.Illesrouvrit,puisannonça:—J’estimequec’estautourde8500.—Etqu’enpensez-vous,Suzie?demandaSteve.—Jepensequ’il a tablé trophaut, soufflaDrew. Ilme sembleque lesbleus ciel n’ontpas joué
pendantlaguerre.Descendsunpeu.—Euh,jepensequejevaisrestersur8000,ditSuzie,lavoixdenouveauchevrotante.Flûte,songeaDrew.Elleétaitdescenduetropbas.—Est-cevotrederniermot?interrogeaSteve.Suzieacquiesçaensilence.—Ehbien,laissez-moivousdirequevousêtestouslesdeuxtrèsproches,repritSteve.Suzieva-t-
ellel’emporterpourcesdames,ouPatrickva-t-ilvaincrepourcesmessieurs?Unpeudesilence,jevousprie,pendantquejedonnelerésultatfinal.
L’assistancesetut,tandisqueDrewpriaitàvoixhautedanssapetiteloge.—La réponse à la question, à savoir, combiende joueurs se sont succédé au seindeManCity,
est…8214.Il y eut un blanc, le temps que tout lemonde s’efforce de déterminer qui avait gagné. Suzie et
Patrickétaientcommeclouéssurplace,pascertainsdecomprendrelaréponse.—Celaimpliquedoncque,cettesemaine,leplusgrandfandeManCityest…Suzie,àuncheveu
près.Donc,désolé,Patrick,maisaujourd’hui,vousvousêtesfaitbattreparunefille.CefutautourdeSuziedefairedesrondesdelavictoireautourdel’estrade,souslesyeuxhorrifiés
dePatrick.Ildemeuraitimmobile,visiblementsouslechoc,tandisqu’unchantcommençaitàs’éleverdelafoule:BattuparunefilleBattuparunefilleBattuparunefilleBattuparunefille!Hébété, il leva les yeux vers la tribuneNord, d’où le chant était parti.Desmilliers de ses bien-
aimés supporters pointaient un doigt accusateur vers lui et se moquaient de lui de la pire façonpossible. Il blêmit et se ratatina sur lui-même, tandis que toute formed’arrogance et de prétentionsemblaitl’abandonnerfaceàuntelaffront.Suzieluijetauncoupd’œiletneputs’empêcherd’éclaterderire.L’ampleurdel’humiliationdePatrickdépassaitsesrêveslesplusfous.—LaplusgrandefandeManCitya-t-elleuncommentaireàfaire?demandaSteve,entendantle
microverssafigurehilare.—Certainement, répondit-elle en se tournant pour faire face à la tribuneNord qui ricanait, en
levantlesmainsenl’air.Jevoudraisjusteremerciercepublicabsolumentmagnifique.D’énormesapplaudissementsvinrentrépondreàsoncommentaire.—C’estquoi,cebordel?s’exclamaPatrick,ensaisissantlemicro.—Pasdegrosmots,s’ilvousplaît,l’interrompitSteve.Ilyadesenfantsdansl’assemblée.— C’est moi, le plus grand fan de Man City, grommela-t-il. Impossible que ce soit une vraie
supportrice.Son visage d’une pâleur cadavéreuse quelques instants plus tôt était désormais rouge écarlate,
tandisquesonchocinitialsechangeaitencolère.—Quandjesortaisavecelle,ellenesavaitmêmepasquiétaitFrancisLee,bonsang,poursuivit-il.
C’est laplusgrandefandeRickAstley,pasdeManCity.Ellemecassait lesoreillesaveclui,c’estpourçaquejel’aiplaquée.Suzieenavaitlesoufflecoupé.IdempourDrew.—Donctut’ensouviens,souffla-t-elle.Illuiadressaunregarddepurmépris.—Oui,jem’ensouviens,rétorqua-t-ilsuruntondedéfi.Suzien’encroyaitpassesoreilles.Toutcequ’ilavaitditàl’étagen’étaitquepurmensonge,eten
prime, il venait encore une fois de la qualifier d’ennuyeuse en public.Elle s’était dit que le battredevanttouslesautressupporterssuffiraitàluidonneruneleçon,maisvisiblement,elledevaitallerencoreplusloin.Cen’étaitpasterminé.Ellen’avaitpasl’intentiondepousserlebouchonàcepoint,maisilluiforçaitlamain.Elles’avançad’unpas,etdonnaunpetitcoupsurl’emblèmeduclubqu’il
arboraitfièrement.—Tuteproclamessupporter,siffla-t-elle.Jemesouvienspourtantdecequetuasfaitl’étéoùon
estsortisensemble,poursuivit-elleenluiarrachantlemicrodesmains.Etsionpartageaittonvilainsecretavectoutlemonde?CefutautourdePatrickderesterbouchebée,tandisquetoutecouleurquittaitsonvisagepourla
secondefoisdel’après-midi.—Tun’oseraispas!s’écria-t-il,enavançantversellemenaçant.Heureusement,Stevedécrétaqu’ilétaittempsd’intervenir.—Doucement,mon garçon, lança-t-il, en posant fermement lamain sur l’épaule dePatrick.Ce
n’estpasunefaçondesecomporter,si?Suzies’éclaircitlavoixpourseprépareràfairesonannonce.—Noooooooon,hurlaPatrick,tombantàgenouxdevantelle.Nedisrien,lasupplia-t-il,lesmains
jointes.Tout,maispasça,jet’enprie.Ilavaitl’airpathétique,àl’opposédelafaçadearrogantequ’ilaffichaitquelquesinstantsplustôt.—Pasici,gémit-il.Tunepeuxpasenparlerici,jet’ensupplie.Ilsvontmecrucifier.Ellesavourasamineterrifiéeencoreuninstant,puisluimurmuraaucreuxdel’oreille:—Pastrèsagréable,hein?souffla-t-elle.D’êtrehumiliédevantlesdernièrespersonnesaumonde
en face de qui tu voudrais l’être. C’est exactement ce que j’ai ressenti quand tu m’as quittée, etaujourd’hui,c’estàtontour.Abattu,Patrickl’observaseredresseretleverlemicropours’adresseràlafoule.—Durantl’été1988,lesjoueursdeManchesterCityontconnuunedéfaitecuisantede4à1faceà
l’équipeOldhamAthletic,quilesalaisséscroupiràladernièreplacedelaligue2,déclara-t-elleavecassurance,tandisqu’unmarmonnemententenduparcouraitlestade.Patrickétaitprésentàcematch,etenpartant,ilaprisunedécisionimpardonnable.Lemurmurecédalaplaceàungrondementsonore.—IladécidédecesserdesoutenirManchesterCity.Legrondementsefitplussourd.—Nooooon,criaPatrick,lesmainsdésormaisplaquéessursesoreilles.—Cen’estpaslepire,reprit-elle.IlaabandonnéManchesterCityaumomentoùl’équipeavaitle
plusbesoindesoutienpoursetournervers…,expliqua-t-elle,marquantunepausepourfairesonpetiteffet.ManchesterUnited,pendantcinqjoursentiers,conclut-ellesuruntontriomphant.Legrondementcédalepasàungrognement, tandisquelestadesemblaitsechangerenarènede
gladiateurs.Suruntonmenaçant,lesautressupportershuaientetsifflaientàgorgedéployée,rejetantPatrick avec toute l’énergie dont ils disposaient. Sa relation avec eux, avec le football, avecManchester City, était ternie pour toujours. Supporter une équipe rivale de lamême ville était unpéchépassibledelapeinecapitale.—Avez-vousquoiquecesoitàdirepourvotredéfense?demandaSteved’unevoixsolennelle,
tandisqu’ilrelevaitPatrickpourquecedernieraffrontelafureurdesescompagnonssupporters.— J’étais jeune, plaida-t-il. Je me suis dit que Manchester United avait plus de chances de
remporteruntitre.Ilsecachalafiguredanslesmains,incapabledefairefaceàcesmilliersdevisagesfurieux.—Çan’aduréquecinqjours,gémit-il.Quanddesmissilescomposésdebouteillesenplastiqueetdeboîtesenpolystyrènecommencèrent
à joncher le terrain, Steve comprit qu’il était plus sage demettre un terme aux activités de lami-temps.
—Disonsqueçavous faitunebonne leçon, fit-il remarquer,hilare,ensecouant la tête.Quantàvous,poursuivit-ilensetournantversSuzie,vousincarnezl’espritmêmedecetteéquipe.Unexemplebrillantd’engagementetdeloyauté.Mesdamesetmessieurs,faitesuntriompheàlagagnanteduplusgrandfandeManchesterCity,laseuleetl’uniqueSuzieMiller!Le public gronda en signe de reconnaissance. Stupéfait, Patrick observa Suzie se pavaner sur
l’estrade, avec autant d’assurance et de joie qu’il en avait manifesté quelques instants plus tôt. Ilsursautalorsqu’elles’arrêtajusteàcôtédelui,etsepenchapourmurmurerunenouvellefoisdanssonoreille.—Profitedecemomentautantquepossible,Patrick,dit-elle.Àmonhumbleavis,c’estladernière
foisquetupourrasposerlepieddanscestade.Profites-en.Etlà-dessus,ellesautadupodiumettraversaleterrainencourant.Lorsque Drew vit Suzie bondir de l’estrade, il comprit qu’il devait aller la retrouver
immédiatement. Il sortit de la pièce et dévala les trois étages en courant, avant de grimper lesquelquesmarchesmenantàlatribune.Endessous,ilaperçutSuzieguidéederrièreunebarrièreparlesagentsdesécurité.Elleétaitsurlepointdedisparaître.—Suzie!beugla-t-il.Elleneseretournapas.Ellenel’avaitpasentendu.—Attends,Suzie!Ildévalaà touteallure lesescaliersquimenaient au terrain,bienconscientdes regardsétranges
qu’ilsuscitaitsursonpassage.Ilcriaunenouvellefois,etellefinitparseretourner.Comprenantquil’interpellait,ellesefrayaun
cheminentrelesdeuxagentsdesécuritéquitentaientdelesprotégerdelafoule,elleetsontrophée–unmaillotdédicacéôcombienconvoité.—Drew!s’écria-t-elle,toutenmontantlesmarchesencourantpourlerejoindre.Jel’aifait,jel’ai
fait!Ilsserejoignirentàmi-chemindansl’escalierdelatribune104ets’enlacèrent,toutensautillantde
joie.—Jel’aifait,répétait-elleinlassablement,avantdes’écarterdelui.Tuasvulatêtequ’ilfaisait?Il
n’arrivaitpasàcroirecequisepassait.C’étaituncoupdegénie,Drew.Deslarmesroulaientàprésent le longdesesjoues,maisDrews’enmoquaitcettefois ; ilsavait
pertinemmentquec’étaientdeslarmesdejoie.Elles’approchapourlereprendredanssesbras,etilluirenditimmédiatementsonétreinte.Soudain,ilpritconsciencequ’iln’étaitpascertaindesavoirquandinterromprecesembrassades,
nimêmes’ilenavaitréellementenvie.Sentirunefemmepleurerdejoiesursonépauleavaitquelquechosedetrèsréconfortant.Ilreculad’unbond,commes’ilvenaitdeprendrefeu.—Bon,dit-il,ayantbesoindemettrefinàcemoment.Unedernièrequestion.—Laquelle?—Jepeuxavoirlemaillot?Ilfitunsignedetêteendirectiondel’objetcollectorqu’elletenaitàlamain.—Biensûr!Jenel’auraisjamaisgagnésanstoi,observa-t-elleenleluifourrantdanslamain.Aumêmeinstant,unhommeentredeuxâges,assisjusteàcôté,sepenchaverseux.—Vousdevezêtrel’hommeleplusheureuxsurcetteplanète,dit-ilàDrew.Nonseulementvotre
épouseaimelefootball,maisenprime,ellevousgagneunmaillotdédicacé.Lamiennenemelaissemêmepasm’abonnerauxchaînessportives,grommela-t-il.—Cen’estpasmafemme,rétorquaDrew.
—Jenesuispassafemme,déclaraSuzieaumêmeinstant.L’homme les dévisagea tous les deux, visiblement perplexe, avant qu’une lueur ne traverse son
visage.—Jevois,dit-il lentement.Danscecas,vousn’êtespasuniquementheureux,vousêtesunsacré
veinard,ajouta-t-ilensecouantlatêted’émerveillement.—Non,vousnecomprenezpas,protestaDrew.Lespectateurluiadressaunregardentendu,commes’ilcomprenaitparfaitement.—Allez,intervintSuzieenletirantparlamanche.Ondoitallerfêterça.—Non,jenepeuxpas,répondit-ilsuruntonferme.J’aipromisàEmilydel’emmenerauLoftce
soir.Jenepeuxpasmepermettred’arriversoûlaujourd’huiencore.Pasaprèsladernièrefois.L’hommederrièreeuxsemitàtousser.—Bien sûr, concéda-t-elle. Je t’ai assezmonopolisé pour aujourd’hui.Comment vais-je jamais
arriveràteremercier?Lesupportertoussadenouveau.Drewpréféral’ignorer.—Tul’asdéjàfait,répondit-ilenbrandissantlemaillot.Elleéclataderire.—Bon,alorsàlundi.Ellesepenchaenavantpourleprendreuneultimefoisdanssesbras.Ilsrestèrentenlacésunpeu
troplongtempsaugoûtdeDrew.Ilfutlepremieràs’écarter.Tandisqu’ilmontaitl’escalier,illuifalluttoutesavolontépournepas
seretournerpourvoirsielleleregardaitpartir.
Chapitre11
—Tuauraisdûvoirsatête,Em,racontaDrewcesoir-là,alorsqu’ilsétaientattablésdansl’undesmeilleursrestaurantsdeManchester.Ilétaitcomplètementestomaqué.Jen’aijamaisvuuntrucpareil.Lepublicentierlehuait,autantques’ilavaitmanquéunpenaltydanslesdernièresminutesdelaFACup.—Hmm,c’estgénial,acquiesçaEmily,lesyeuxrivéssurunpetitcalepinnoirqu’elleavaitsortide
sonsacàmain.— Qu’est-ce que tu regardes ? demanda Drew sur un ton cassant, quelque peu contrarié de
constaterque,visiblement,Emilynel’écoutaitqued’uneoreilledistraite.Il s’était donnébeaucoupdemalpour s’assurerqu’elle soit au courantde cequ’ilmijotait avec
Suzie, et qu’il n’y ait pas de malentendu, mais le sujet l’intéressait aussi peu que le football engénéral.—La formulationdes invitations,marmonna-t-elle, sans lever le regard. Il fautencorequ’onse
metted’accordsurl’énoncépournosfaire-part,ajouta-t-elleennotantquelquechosedanssoncarnet.Drewsoupira. Ilétait surunnuagedepuisqu’ilavaitquitté lestade,et ilvoulaitpartagersa joie
avecEmily,maisdetouteévidence,elles’enmoquaitéperdument.—Onnevatoutdemêmepass’enoccupermaintenant?s’enquit-il.—Non,biensûrquenon.Jevoulaisjustejeteruncoupd’œilenvitesseàlalistedeschosesàfaire
pournotremariage,pourm’assurerqu’onestdanslestemps.—Super,bonneidée,soupiraDrew.Bonsang!Ilvoulaitpasserunagréablemoment,pasengagerundébatpourdéterminersi«nous
espéronsavoirleplaisirdevotrecompagnie»étaitunemeilleurefaçondedire«venezànotrefêtedemariage».Ilrestaassissansbroncher,espérantqu’Emilyfiniraitparconclurequ’ilsétaientdanslestempssansqu’ilintervienne.—D’ailleurs,commença-t-elleenlevantlesyeux.Etvoilà.Tarteauxfruitsougénoise?—J’aimenémonenquête,etj’airéussiàsaisircequ’onconsidèrecommelecontratdemariagele
pluséquitabledans lemilieu. J’enaiunexemplairedansmonattaché-caseà lamaison.Ondevraitvraimentlesignerdèsquepossible.Ellebaissadenouveauleregardverssoncalepinetyraturaquelquechose.Drewreposarapidementsonverre.Iln’avaitpasvuvenirceproblèmeprénuptialenparticulier.—C’estvraimentnécessaire?—Qu’est-cequetuveuxdire?demanda-t-elleenrefermantsoncarnetpourlerangerdanssonsac.—Ehbien,jen’auraispascruqu’onauraitbesoind’undecestrucs,toisi?Emilyéclataderire.—Sionm’avaitpayéechaquefoisqu’uncouplepassaitmaporteetdisaitlamêmechose,jeserais
millionnaireàcetteheure-ci.Personnenepensequec’estnécessaire,Drew.Mêmemoi,jenelepensepas,maisçameparaîtraisonnable.Nettementplusquededépenserdesmilleetdescentspourpayerdesavocatsspécialisésendivorcehorsdeprix,commemoi,si lepirevenaitàseproduire.Mieuxvaut se mettre d’accord de façon calme et lucide sur la marche à suivre avant le mariage, plutôt
qu’unefoisprisdansunetourmenteémotionnelleirrationnelle,quandonenarriveaustadeoùonsedéteste.DrewdévisageaEmily.Ilsavaitqu’iln’auraitpasdûêtresurprisparsasuggestion.Lajeunefemme
disposaitd’unecapacitéuniqueàutilisersaraisonlàoùlesémotionsétaientdemise.—Bon,queditcecontratdemariage,danscecas?—Engros,nous restonsdétenteursde tous lesbiensdontnousdisposionsavantnotreunion, et
divisons en deux tout ce qui touche à lamaison et au compte joint.C’est très simple. Pas de quois’inquiéter.—Etsionadesenfants?interrogea-t-il.—Gardepartagée.Les comptes épargnequenous avons serviraient pour leurs études, et autres
frais exceptionnels à discuter entre nous deux. Je te lemontrerai tout à l’heure si tu veux. Je suiscertainequeçat’iratrèsbien.Surce,ellepritunebonnebouchéedesonpetitpain.Ill’observamâcherminutieusement.Onauraitditqu’ellevenaitdeluiannoncerqu’ellechoisissait
du fromage de chèvre en entrée, et non qu’elle avait déjà planifié quoi faire de leurs enfantspotentiels,sitouseuxdevaientunjourbriserleursvœux.Ilétaitsansvoix.Vuqu’ilnerépondaitpas,ellefinitdemanger,puisluipritlamaindanslessiennes.—Cessedet’enfaire,dit-elle.Jesaisquenousn’enauronsjamaisbesoin,maisçameparaîtidiot
denepasensignerun.Jevoisbientropdecouplessedéchirerpourprendrelerisquedevoirunetellechosenousarriver.—Soit,finit-ilparmurmureraprèsunlongsilence.— Et si je te parlais de l’essayage de ma robe aujourd’hui ? demanda-t-elle, en lui frottant
vigoureusementlamain,commesiellecomptaitsurcegestepourchassersamauvaisehumeur.—Vas-y, répondit-il, toujours unpeu confus,mais impatient d’envenir à un aspect agréablede
leurunionàvenir.Bonneidée,ajouta-t-ilenesquissantunsourire.Elle lui rendit son sourire et lui serra la main, avant de se lancer dans un récit détaillé de sa
conversationavec lacouturière.Assezvite, ilpritplaisirà laisserEmily le taquineren luidonnantdesindicessursarobe,etlemalaiseducontratdemariagedevintpeuàpeuunlointainsouvenir.Emilyvenaitdeselancersurlacomplexitédechoisirunepairedechaussurespourlacérémonie,
quandlestraitsduvisagedeDrewsefigèrent,dèsqu’ilaperçutquelquechosederrièreelle.Tandisquelesdeuxsilhouettesenquestionsedirigeaientdroitsureux,ilsesentitsubmergéparunefurieuseenviedeprendrelafuiteetdesecacher.—Hé,vousvoilà!s’exclamaSuzieenatteignantleurtable.Unefemmearrivaentitubantderrièreelle,l’empoignantparl’épaulecommesielles’efforçaitde
garderl’équilibre.—Qu’est-cequetufaisici?s’enquitDrew,luttantpourdétournerlesyeuxdel’opulentepoitrine
de l’amiedeSuzie,quimenaçaitde jaillirdesonbustierendentellepour luidonneruncoupdansl’œil.—Ehbien,jeracontaisàJackie…Oh,voiciJackie,d’ailleurs.Désolée,c’esttrèsgrossierdema
partdenepasfairelesprésentations.Jackie,voiciDrewetEmily.—Drew,vousêtesunelégende,lançaJackie,visiblementivre.Suziem’atoutracontésurceque
vousavezfaitcetaprès-midi,etjenevaispasyallerparquatrechemins:vousêtesundieu.Emily toussa et balaya la pièce du regard, visiblement inquiète qu’on puisse entendre leur
conversation.
—Jackieavaitenviedeterencontrer,expliquaSuzie.Ettuasmentionnéquetuvenaisici,doncjemesuisditqu’onpasseraitencoupdeventetqu’onvousoffriraitunverreàtouslesdeuxpourvousremercier.Ellesemblaitsicontented’ellequec’étaitdurdenepassourire.—Enparticulier,vous,Emily,pourm’avoirprêtéDrewtout l’après-midi, reprit-elleendonnant
unpetitcoupsurl’épauled’Emily.—Euh,merci,réponditcettedernièresuruntonpincé.Raviedevousvoir,Suzie,maisnousétions
surlepointdecommander,doncpeut-êtreuneautrefois,d’accord?EllepritsonmenuetjetaàDrewunregardinsistant.—Pourquoivousnevenezpasànotrefête?s’écriaJackie,droitdansl’oreilled’Emily.— Pardonnez-moi, rétorqua celle-ci, s’écartant tant de Jackie qu’elle semblait à deux doigts de
tomberdesachaise.—Venezàlafêtequ’ondonnepourlenouvelan,expliquaJackie,envacillantversDrewcettefois.
VouspourrezrencontrerDave,mamoitié.Jeluiaidéjàdittoutcequ’ilyaàsavoirsurvous,Drew.Vous êtes l’homme, poursuivit-elle en plantant son doigt dans l’épaule deDrew, qui a conseillé àSuzied’allertouslescastrer.Instantanément,lesilencesefitauxtablesautour,etmêmeJackieleremarqua.Elleregardaautour
d’elle en montrant fièrement Drew du doigt, pour s’assurer que tous les clients n’avaient pas lemoindredoutesurlapersonnedontelleparlait.—C’estfaux,protestaDrew,secouantvigoureusementlatêteenregardantEmilyetlespersonnes
attabléesautour.LesouriredeSuzies’étaiteffacé,lorsqu’elles’aperçutquel’ivresseaffichéedeJackieétaitpeut-
êtredéplacéedanscetenvironnementcalmeetsophistiqué.Emilyintervintpourreprendreleschosesenmain.—Mercipourvotrecharmanteinvitation,dit-elleàJackielentement,commesielles’adressaità
unenfantenbasâge.Maisj’aibienpeurquenousn’allionstoujourschezmesparentspourlenouvelan.JackiedévisageaEmilycommesiellen’avaitpascomprisuntraîtremotdesondiscours.Emilyrefitunetentative.—Nousallonstoujourschezmesparents,répéta-t-elle,encorepluslentement.—J’aientendulapremièrefois,rétorquaJackie.Vousn’êtespasobligésd’allerchezvosparents,
vous savez. Quel âge avez-vous ? Pas loin de quarante ans ? Ça fait un peu beaucoup pour êtreconsignéscommedesadolescents,non?Emilyrajustalecoldesavesteélégante,etbombaletorse,commesielles’apprêtaitàremettreà
saplaceunefripouilleaubancdesaccusés.—Enplus, notre fête seravachementmieux, insista Jackie.Parceque le frèredeDave travaille
chezungrossiste.Personnen’ouvritlabouchetandisqueJackielesdévisageaittouràtour.Suzieluipritlebrasavecespoir.— Allez, Jackie, dit-elle. Nous les dérangeons pendant leur dîner. Allons manger un morceau,
d’accord?—Qu’enpensez-vous,Drew?demandaJackie,pasdécouragéelemoinsdumonde.Çavoustente,
non?L’andernier,onaditànotreJamiequ’ilpourraitboireunpanaché,s’ildansait laMacarenapendanttrenteminutesd’affilée,enportantunmasqueàl’effigiedeMargaretThatcher.Onenvisagedel’inscrireàl’émissionBritain’sgottalentl’anprochain.
Drew jeta un coup d’œil à Emily, et repensa au pianiste que les parents de la jeune femmeengageaientpourl’occasionpresquechaqueannée.—Comme jevous l’aidit,nousallons toujourschezmesparents, répétaEmily, enaffichantun
fauxsouriredésolé.—Maisçanevapasnoustuerdefaireuneexception,pourunefois?osaDrew,lui-mêmeétonné
d’émettreunesuggestionpareille.Levisaged’Emilyparutdécontenancéuninstant.—Tusaispertinemmentquenousyallonstouslesans.Onl’atoujoursfait,etonleferatoujours,
ajouta-t-elle brusquement, reprenant sonmenu et feignant de lire la carte. En plus, je leur ai déjàconfirméquenousserionsprésents.—Dites-leurqu’onvousa faitunemeilleureoffre, réponditJackie,envahissantdangereusement
l’espacevitald’Emilyunenouvellefois.Oumieux,tiens,emmenez-lesavecvous.Plusonestdefous,plusonrit.—Jenesuispascertainequecesoitleurtassedethé,protestaEmily,refusantdecéderunpoucede
terrain.—Qu’est-cequejesuiscenséecomprendre?—Allez,Jackie,imploraSuzie,latirantdenouveauparlebras.Onyva?Onvaraterleconcertde
Daveàcerythme.—Pour tout dire, repritEmily, trop occupée à ne pas se laisser intimider par Jackie pour tenir
comptedeSuzie,jedoutefortqu’ilsaientjamaisentenduparlerdeBritain’sgottalent,nonpasquelesujetlesintéresse.Jackieneselaissapasdémonter.—Peut-êtrequ’ilssontfansdeDeepPurple,danscecas?Davefaitpartied’ungroupedereprises,
CheapPurple.Possiblequevousenayezentenduparler.Songroupeetluisontenpleinetournéecestemps-ci.—Etoùaurais-jepuenentendreparler?Enprison?Stupéfaite,Jackiereculabrusquementd’unpas,puistrébucha.Elleserelevapéniblementetpointa
Emilydudoigt.—Espèce de snobinarde, proféra-t-elle avant d’empoigner Suzie par le bras et de se retourner
pourpartir.—C’étaituneblague,plaidaEmilysansgrandeconviction,tandisqueJackietitubaitverslasortie,
entraînantSuziederrièreelle.Drewlesobservaquitterlapièce,horrifié.Suzieseretournapourluimurmurerun«désolé».—Jeferaismieuxdevérifierqu’ellesvontbien,dit-ilenselevant,avantqu’Emilyn’aitlamoindre
chancedel’arrêter.Illestrouvaàl’extérieursurletrottoir,essayantdehéleruntaxi.Jackielevitenpremieretfonça
droitsurlui,sejetantdanssesbras.—Désoléedel’avoirtraitéedesnob,dit-elleenappuyantlatêtesursonépaule.— Et si on oubliait tout ça ? rétorqua Drew, s’efforçant tant bien que mal de s’écarter de son
opulentepeauexposée.—Jesuistellementnavrée,Drew,intervintSuzie,visiblementtroublée,voireauborddeslarmes.
Nousn’aurionspasdûvenir.—Toutvabien,vraiment,larassura-t-il.—Vous,vouspourriezquandmêmevenirànotrefêtedunouvelan,repritJackieenleserrantde
nouveaudanssesbras.—Jenesuispascertainquecesoitapproprié, si ? fit remarquerDrew.Mercipour l’invitation,
celadit.—Certes.Ellelerelâchaettitubaversuntaxiquivenaitjustedes’arrêter.DrewetSuzieseregardaientenchiensdefaïence,aucundesdeuxnesachantquoidire.—J’espèrequenousn’avonspasgâchévotresoirée,finit-elleparlancer,lavoixtremblante.Après
toutcequetuasfaitpourmoiaujourd’hui.—Toutirabien,larassuraDrew.Allez,file,lapressa-t-iltandisqueJackieinterpellaitSuzieàcôté
dutaxienattente.Jeferaismieuxderetournerauprèsd’Emily.Il les observa partir, Jackie lui faisant de grands signes par la vitre arrière, et Suzie semblant
démoralisée,visiblementinquiètedesdégâtscausésparsonamie.Ilregagnalerestaurantetdécidadefaireundétourparlestoilettespourreprendresesespritsavantderetourneràlatable.Ils’enfermadansundescabinetsets’enfouitlatêtedanslesmains.Penseràlafaçondontilallait
devoir se débrouiller avec Emily suffisait à lui flanquer la nausée. Il savait qu’elle émettrait descritiquesméprisantesenversJackieetSuziependantlerestedelasoirée,etilnesavaitvraimentpascommentilallaitfaireavec.Maiscen’étaitpasl’uniqueraisonpourlaquellesonestomacétaitretourné.Pendantcetincident,il
s’étaitproduitautrechose,quepersonnen’avaitremarqué.Unévénementnettementpluscontrariantquetoutcequivenaitdeseproduire.Uneexpériencequ’ilétaitcertainden’avoirjamaisvécudesavieentière.Il était assis là, au beau milieu du restaurant, et avait senti son cœur bondir, sa respiration
s’accélérer,etunesensationdejoieluiparcourirlecorps.Pourtant,iln’avaitpasfaitunseulgeste.Ilnes’étaitrienpassé.Sicen’estqueSuzieétaitapparuedanslapièce.
Chapitre12
ChèreSuzie,J’airencontrémonâmesœurdansunbarilyaquelquessemaines.Onauraitditquenousétions faits l’un pour l’autre. Nous aimions lesmêmes choses, y compris la glace rhumraisins–etjen’aijamaisrencontréquiquecesoitquiaimeceparfum.Nousavonsparlétoutelanuit, jusqu’àcequemesamisenaientmarredemevoirregarderPeteravecdesyeuxdemerlanfrit–ilportelemêmenomquemonpremierlapinenpeluche!–doncilsnous ont laissés. J’ai fini par rentrer avec lui et il s’est comporté en parfait gentleman,jusqu’àmeproposerdefairechambreàpart.Maiscelamesemblaittellementnaturelquej’aidécidédecoucheraveclui.Parlasuite,nousnoussommestouslesdeuxditquenousn’avions jamais ressenti la même chose pour qui que ce soit. Le lendemain, il devaittravaillerdoncjesuispartietôt.Ilaprismonnuméroetapromisd’appeler,maisc’étaitilyatroissemaines.Jesuisretournéedanslebaroùnousnoussommesrencontrésneuffoisdepuis,mais iln’yest jamais.Je suispasséeenvoituredevantchez lui tous les soirsenrentrantchezmoi,maisiln’yestjamaisnonplus.Jesuismêmealléedanssonépiceriedequartier pour traîner dans le rayon des glaces, mais toujours aucune trace de lui. Jecommenceàcroirequ’iladûluiarriverquelquechosedemal.Croyez-vousquejedevraisappelerlapolice?
Unefolled’inquiétudedeDidsburyChèrefoldinguedeDidsbury,Pourreprendreuntitredefilmbienconnu,jediraisqu’ilatrouvé«10bonnesraisonsdetelarguer».Ilneluiestrienarrivé,iln’aseulementaucuneenviedevousrevoir.Passonsmaintenantà l’essentiel,àsavoir,commentgérer lasituation. Inutiledepleurer,oudevousapitoyersurvotresort.Plusimportantencore,lachoseànepasfaire,c’estdevousretirersansriendire.Unlivreentieraétéconsacréàcesimpleconseil,etvoussavezquoi ? Il a été écrit par un homme.Comme c’est pratique et perfide de faire croire auxfemmesquececheminleurdonneraitenfaitl’avantage.Foutaises.Lachoseàfaire,c’estdecréerleplusgrosscandalepossiblepourvousassurerqu’ilyrepenseàdeuxfoisavantd’agirdelamêmefaçonavecuneautre.Ainsi,vousallezlaisserunmotdanslaboîteauxlettresdePeter,luidisantquevousavezbesoindelevoirenprivélesoirmême,parcequevotrepetitamiadécouvertquevousavezcouchéensemble,etquevousêtestrèsinquiètepoursasécurité.Quandvousleretrouverez,expliquez-luiquevotrepetitamiestvideur,etquevousêtessurlepointdevousmarier.L’undesescollèguesvousavusquitterlebarensembleetavendulamèche.Votrefiancéarécupéréunecaptured’écrandelacaméradesurveillance,etl’afaitcirculerauprèsdetouslesvideursdeManchester,etapromisunerécompensesurla
têtedePeter–depréférence,trèsamochée.Suggérez-luidenepassortirdutoutpendantlestroisprochainsmois,letempsque,peut-être,lesespritssecalment.Enfin,excusez-vousdel’avoirutiliséuniquementpourdusexe,etsouhaitez-lui«bonnechance»pourtrouverunegentillefille.Tenez-moiinforméedevosavancées.
SuzieSuziepressa la touche«Sauvegarder»sursonordinateurportableets’enfonçasursachaisede
cuisine.Tandisquelesilencedecedébutdedimancheaprès-midil’enveloppait,ellepoussaunlongsoupir, et se demanda ce qu’elle devrait faire du reste de sa journée.Elle avait déjà accompli sonritueldudimancheenentier.Aprèsêtrerestéeaulitjusqu’às’ennuyer,elleavaitfiniparsetraîneraurez-de-chausséepourprendreunboncafé,avantd’enfilersonlongmanteaud’hiverpar-dessussonpyjamapour flâner jusqu’à l’épicerie du coin.Une fois là-bas, elle avait achetédeux journaux, unhonteuxetunsérieux,aucasoùellecroiseraitquelqu’unqu’elleconnaissait.Elleavaitaussisurvoléles rayons en quête d’un petit plaisir qui ne contienne aucune calorie. Après une rechercheinfructueuse,elleavaitoptépoursesbiscuitsà lapommehabituels,puiss’étaitprécipitéechezellepourenengloutir laquasi-totalitéavantmêmed’enarriverà la rubriquedespotinsdu tabloïde.Latélévisionronronnaitgentimentenfond,proposantcommed’habitudedesprogrammescensésluttercontrelagueuledebois–piètreexcusepourdiffuserdesémissionsmédiocres.À13heures,lesjournauxétaientlus,lesgâteauxmangés,lecaféétaitbu,etlesprogrammescontre
la gueule de bois s’étaient vus remplacés par un débat politique sérieux, ou par un documentaireanimaliersurlesblaireaux.Letantredoutédimancheaprès-midiétaitarrivé–autrementdit,undésertsocial pour toute personne célibataire. Une fois la gueule de bois estompée, survenait un désirsoudaindefréquenterdesgens,desortir,d’avoirlesentimentdefairedenouveaupartiedelaracehumaine.Maiscommechacunsait,c’étaitprécisémentlemomentoùlerestedumondechoisissaitdese retirer dans son nid. Les amoureux se blottissaient dans leur canapé et regardaient des chaînessportives ou des séries à l’eau de rose, en fonction de qui portait la culotte dans le couple. Lesfamilles se rassemblaient autour de la table et partageaient un bon déjeuner, laissant les âmesesseuléessedébattreavecleurinterminabledimancheaprès-midi,sansrienàfaire,ninullepartoùaller,etsurtout,personneavecquilepartager.Commencer sa rubrique de la semaine l’avait quelque peu soulagée,mais à présent, Suzie avait
besoind’uneautredistractionpourarriverauboutdeslonguesheuresquiseprofilaientdevantelle.À 13 h 56 précisément, elle craqua.En poussant un profond soupir, elle ouvrit le tiroir sous la
télévision et passa en revue sa collection de comédies romantiques en DVD – ou de « pornossentimentaux»,commeJackieseplaisaitàlesappeler.Elledécidadefermerlesyeuxetd’enprendreunauhasard.Ellenepouvaitsupporterl’idéederesterassiselàpendantlesvingtprochainesminutesà examiner toutes les intrigues pour déterminer laquelle la réjouirait le plus ou la déprimerait lemoins.Sonchoixàl’aveugleseportasurQuandHarryrencontreSally,cedontelleétaitravie.Unecomédiesentimentaledequalité,sitantestqu’ilenexiste,réaliséebienavantqueSandraBullocknese lance dans le genre, et ne réduise les films de filles à des inepties sans le moindre intérêt. Àl’exceptiondeL’amouràtoutprix,biensûr.Unfilmfutileréellementexcellent.ElleinséraledisquedanslelecteurDVDetretournas’affalersurlecanapé,lesquatrefersenl’air.
Une fois installée, elle regonfla le coussin sous sa tête et priapour s’endormir avantqueSallynes’aperçoivequ’elleétaitseuleetqu’elleapprochaitdelaquarantaine.Elleéprouvaunepointedesatisfactionenentendantlesquelquespremièresrépliquessifamilières.
Puis,lorsqueHarryentamasesadieuxàsonamourd’université,l’abreuvantde«jet’aime»àtout-va,etdepromessesderesterencontactpermanent,ellecommençaàsesentirmalàl’aise.Àpeineavait-il prononcé les mots « tu me manques déjà », que Suzie était plongée dans une nostalgieprofonde en se rappelant sa propre histoire d’amour d’étudiante, morte et enterrée depuis bellelurette.Ils’appelaitAntony.Ilss’étaientrencontréspendantlasemained’intégrationsurlesmarchesdubar
de l’union étudiante. Ils avaient tous deux une tête d’ahuri,marque de fabrique de n’importe quelnouvelétudiantquin’avaitpasfaitd’annéedecésure.Aucund’entreeuxn’avaitderécitsdevoyagesdansdescontréesaussiexotiquesqueleBrésilouleGuatemalaàraconter,anecdotesquidonnaientaux étudiants concernés l’occasion de rouler des mécaniques. Ils s’étaient liés par ce manqued’expérienceàl’autreboutdumondeetparl’absencedepiercings,choisissantdoncd’évoqueràlaplace leurs souvenirs des draps en coton peigné et des sauces faitesmaison qu’ils avaient laissésderrièreeux,enmêmetempsqueleursmèresaimantes.Ilne fallutpasbien longtempsavantqu’Antonyemménagedanssachambreuniversitaire,où ils
vivaientquasimentcommemarietfemme.Enchemin,ilssefirentdesamiscommuns,principalementdescouples,bienévidemment,quipartageaientleurpassionpourlesdînersintimesavecd’énormesquantitésdechiliconcarneetdevinrougebonmarché.Suziepensaitque lesdésétaient jetés.Ellen’avaitpas lemoindredoutequantaufaitqu’un jour,
dans l’avenir, elle deviendrait une de ces femmes qui disent : «Mon époux etmoi nous sommesrencontrésàlafac.»Enregardantuncoupledepersonnesâgéesapparaîtreàl’écranetracontersonhistoired’amour,
ellesesentitprofondémenttristequesaproprehistoiren’aitpastournécommeelle l’espérait.Elleappuyasurlebouton«Pause».Entraînantlespieds,ellegrimpajusqu’àsachambreàl’étage,ouvritl’armoireetensortitunegrosseboîteencarton,toussantlorsqu’unnuagedepoussières’enéchappa.Ellelatintdanssesbrasunmoment,hésitantàlarangerimmédiatement,puisretournapéniblementenbas.Elle posa la caisse sur le tapis du salon et remit le DVD en lecture, révélant Sally en train
d’embrasserbéatementunhommedansunaéroport.—Andouille,dit-ellecalmementàl’écran.Cequ’elletrouvaausommetdelaboîteladéprimaencoredavantage.Ellearrachal’enveloppeà
bulles,envoyantaupassageuneflopéedeconfettisgrissurletapis,tandisquelecontenudupaquetdépassait du coin déchiré. Tout à fait approprié, songea-t-elle. Lentement, elle extirpa une piled’enveloppes et les étala sur le sol. Chacune d’entre elles portait son nom, et un certain nombred’adresses qui retraçaient ses déménagementsmultiples dans les banlieues louches deManchester,durantsavingtaine.Elleenrepérauneadresséeàlarésidenceuniversitaireoùellevivaitpendantsapremièreannéedefac,etensortitdefinesfeuillesdepapieràlettresassortiesàl’enveloppe.Lavuedel’écritureaustyloàplumeluidonnaenviederetournersur-le-champaudébutdesannéesquatre-vingt-dix,etd’empêcherpartouslesmoyensl’avènementdel’informatique.Celaparaissaitsidésuetetvieuxjeu,maisaussitellementromantique.Lasignatured’Antonyenbasdelapageluirappelaunamour perdu depuis longtemps. Tout comme ces trois petits cœurs prolongeant à la perfection ladernière lettreduprénomdu jeunehomme.Elle se forçaà lire rapidement ; l’intensitéde l’amourqu’iléprouvaitpourellesemblantdécollerdelapage,l’oppressantpresque.Elleenconclutquecettelettreavaitétéécritedurant l’undesraresweek-endsqu’ilpassaitchezluipourvoirsesparentsenpériodescolaire.Iln’étaitpartiquepourdeuxnuits,etressentaitnéanmoinslebesoindeluiécrire.C’était hallucinant. Et totalement désuet à présent. Était-il concevable qu’un homme moderne,
électroniquementmodifié, puissene serait-cequ’envisager de s’asseoir avecun stylo et dupapier,d’écrireunelettre,d’alleraubureaudepostepouracheteruntimbre,etdel’envoyer?Ellesurvolalaquarantained’enveloppesquiétaientdésormaiséparpilléessurlesol,pourvoirsi
ellepouvaitenrepéreruneécriteverslafindeleurrelation.Ellefinitpardénicherungrandplivertpâlecomportantsadernièreadresse.Elleensortitunecarted’anniversaireetdemeuraperplexeunmoment.Cen’étaitpas legenredecartequ’onrecevaitdelapartd’unpetitami.Ils’agissaitd’unecartesansintérêt,sevoulantamusante,quiarboraitdesanimauxmaldessinéssurledevant,entraindefaireuneblaguepathétiquesur l’âge.Elle l’ouvrit,etfutsidéréedeconstaterqu’ellevenaitbiend’Antony.«Bisous,Antony»,disait-elle.Pasdecœurssurle«Y»cettefois.Pasdecœursdutout.Nidepromessesd’amouréternel.Justeun«Bisous,Antony»gribouilléauBicvert,pirechoixdestyloaumonde, sur une carte d’anniversaire représentant de vieux blaireaux en train de plaisanter. S’ilexistaitunsigneannonciateurde lafind’unerelation, ilétait là,sursesgenoux,dansdescouleurscriardessortiestoutdroitd’undessinanimé.Elleexamina leserre-livredesonhistoireavecAntony,qu’elle tenaitentresesmains.Comment
avaient-ils dégringolé des hauteurs vertigineuses du papier à lettres assorti et du stylo-plume, auxabîmesd’unecartepathétiqueachetéedansunestation-service?Ellebranditlacarted’anniversaireetladéchiraenmillemorceaux,lesbalançantverslatélévisionaupassage.Sonactivitéfutsuspendueparlasonneriestridentedelaported’entrée.L’enferdudimancheaprès-
midi interrompu par un visiteur. Ses prières avaient été entendues – tant qu’il ne s’agissait pas detémoins de Jéhovah. Elle était désespérée, mais pas à ce point-là. Elle ouvrit prestement la ported’entrée,etseretrouvaenfacedeDrew,vêtud’unetenuedécontractéedecirconstance,lesmainsdanslespoches,commes’ils’apprêtaitàrepartiraussitôt.Soulagée,ellesourit.UnebonneconversationavecsonvieilamiDrewserait la façon idéaledefairepasseruneheureoudeux.Ensuite,ceseraitpresquel’heureduthé,puiselleverraitenfinleboutd’undimanchedeplus.—Entre,entre,dit-elleenletirantparlebrasavantqu’iln’aitl’occasiondedétaler.—Pasletempsdem’arrêter,rétorqua-t-il,suruntoncurieux.—Allez,implora-t-elle.Entrerienqu’uneminute.Ellepaniquaenconstatantquel’heurequ’ellevenaitjustedesupprimerdanssatêteseprofilaitde
nouveau.—Non,franchement,j’aidestrucsàfaire,protesta-t-il.— Allez, entre, s’il te plaît ? insista-t-elle en le tirant pratiquement à l’intérieur. Tu ne peux
décemmentpasmeforceràteparlersurlepasdemaporteenrobedechambre.—Seulementcinqminutesdanscecas,concéda-t-iltandisqu’elleclaquaitlaportederrièrelui.—Faiscommechez toi, lança-t-elleenaffichantunsourire radieux, toutenpointantdudoigt la
portedusalon.Jevaisjusteallerenfilerunetenuedécente.—Euh,ouais,dit-il.Bonneidée.Ellemontal’escalieràtouteallureetenfiladesvêtementsàlava-vite.Sonsweat-shirtétaitmaculé
d’unetachedecafésurledevant,maisellesavaitqueDrewn’étaitpasdugenreàluientenirrigueur.Elleredescenditencourantets’arrêtaenpoussantuncriàlaportedusalon.—Duthé?s’écria-t-elle,àboutdesouffle.AucuneréponsedeDrew,quiétaitperchénerveusementsurlebordducanapé,noyédansunemer
de lettres d’amour, saupoudrée de morceaux de carte d’anniversaire et de poussière. Histoired’empirerleschoses,MegRyangémissaitjoyeusementenfond,feignantd’avoirunorgasme.—Jepensequejeferaismieuxd’yaller,dit-ilenselevant.Jenesuispasconvaincud’avoirma
placedanscequisepasseici,quoiquecesoit.
—Non!s’exclama-t-elle,enl’empoignantparlesépaulespourleforceràserasseoir.Ilfautquetu restes. Je regardais juste de vieilles lettres, c’est tout. Il faut que je commence à réfléchir àmaprochaine vengeance, en fait, donc c’est super que tu sois là.Tupeuxm’aider à trouver commentrendrelamonnaiedesapièceàAntony.—Non,Suzie, rétorquaDrewen secouant la tête. Je suis venu te dire que je ne peuxplus faire
partiedetoutça.C’estjuste…—Maisj’aibesoindetoi,implora-t-elle.Ilsdemeurèrentlesyeuxdanslesyeuxunmoment,tandisqu’ellesentaitlapaniquel’envahir.Drew
lui donnait confiance en elle. Sans lui, elle n’était pas sûre de pouvoir être cette femme intrépide,capablededéfendresonhonneuravecperteetfracas.CefutDrewquidétournaleregardenpremier.Lesyeuxrivéssurseschaussures,ilmarmonna:—Jenepeuxpas,Suzie.Vraimentdésolé,maisilesttempspourmoidetelaissertedébrouiller.—Maispourquoi?plaida-t-elle.Onafaitunesibonneéquipehier.Onaétégéniaux.Tul’asdit
toi-même.—Jesais,rétorquaDrew,avantdeseraclerlagorge.Maisaprèslascèned’hiersoiravecJackieet
Emily,j’ailesentimentqu’ilfautquejeprennedurecul.Suzieledévisagea,surpriseparleslarmesquimenaçaientdelaridiculiser.Bonsang!Cen’était
pascommes’ilsétaiententrainderompre,ouuntruccommeça.—Je suisvraimentnavréepour Jackie, reprit-elle.Ellen’aurait jamaisdûsecomportercomme
ellel’afait.Elleavaittropbu,etEmilyl’aénervée.Elleestdésoléeaussi,tusais.Peut-êtrequesielleprésentaitsesexcusesàEmily,elletelaisseraitcontinueràm’aider.—Çan’arienàvoiravecEmily,répliquaDrewsuruntonsec.Tun’aspasbesoindemoi.Suziesecreusalesméningespourdénicherquelquechosequipourraitleconvaincredecontinuer
à l’aider. Ilsformaientunesibonneéquipe.Mais ilsemblaitvraiment tendu–comportement toutàfaitinhabituelchezlui.Peut-êtreferait-ellemieuxdelaissertomberpourl’instant.—D’accord, finit-ellepar acquiescer. Jecomprends.Tuvasquandmême resterboireunepetite
tassedethé,non?demanda-t-elle,pleined’espoir.—Justeune,répondit-il.Après,ilfautvraimentquej’yaille.—Super!Unlargesourireauxlèvres,elleseprécipitadanslacuisineavantqu’iln’aitl’occasiondechanger
d’avis.Quand elle revint dans le salon avec deux tasses de thé fumantes, elle s’étonna de voir Drew
farfouillerdanslaboîtesurlesol.—Pourquoiest-cequetugardestoutescessaletés?interrogea-t-ilenbrandissantuntee-shirtrose
pâle arborant un énorme « T », qui avait visiblement été la victime d’unmalheureux accident delavage.—Oh,monDieu,jen’arrivepasàcroirequej’aieencorecetruc,s’exclama-t-elleenposantles
tasses. Je l’aiportépouraller auconcertdeTakeThat ily adesannées.Nousétionshuit, etnousavionstoutesunelettresurnostee-shirtspourpouvoirépeler lenomdugroupequandnousétionsréunies.Drewlacontempla,complètementhébété.—GaryBarlownousafaitunsignedelamain.Onestdevenuesdingues.C’étaitgénial.—Etça?Drewavaitbalancéle tee-shirtsur lecanapéetbrandissaitàprésentunegrandefeuilledepapier
présentantungraphiqueencourbesdessinéaufeutre.
—C’estlegraphiquedelapopularité.—Legraphiquedelapopularité?—Ouais.Une demes amies se trouvait vraiment populaire avant qu’elle ne commence à sortir
avecuntypequiavaitdesbasketsGola,doncnousavonstoutesdécrétéqu’ellen’avaitpluslacote,etnous avons décidé de faire un graphique pour luimontrer à quel point. Elle s’est vengée en nousajoutant dessus.Ça, c’estmoi quand j’étais ivre, et que j’ai embrassé à pleine bouche un type quiportaitunechemisesaumonetunjeanblanc.Etça…—Ettuaspassédutempsàfaireça?l’interrompit-il.—Eh bien, c’est le genre de trucs qu’on fait quand on a la vingtaine, non ? Tu continues à te
comporter comme une étudiante, tout en profitant du fait d’avoir un emploi à plein temps. Tun’arrêtesd’êtreunétudiantquequandtugravisunéchelondanstacarrière,autrementdit,quandavoirlagueuledeboistoutelajournéeauboulotn’estplusenvisageable.— J’imagine, dit-il, reposant le graphique dans la boîte et en sortant un album photo avec une
couvertureblanche.—Waouh!s’exclamaSuzie,enleluiarrachantdesmains.L’albumdemariage!Jen’yaipasjeté
uncoupd’œildepuisdeslustres.Elletournalapremièrepage.—Doncquis’estmarié?demandaDrew,enregardantpar-dessussonépaule.—Oh,personne,répondit-elle.C’étaitunmariageimaginaire.—Tun’espassérieuse.—Oh, si, insista-t-elle.Une bonne partie d’entre nous se plaignait de ne pas avoir assisté à un
mariagedepuisunbail.Jepensequ’Angieessayaitdefaireensortequ’Antonymefassesademande,vuqu’onétaitensembledepuistrèslongtemps.Quoiqu’ilensoit,iln’apasmorduàl’hameçon,maisquelqu’unaproposéqu’onfassedefaussesnocespourprofiterdesfestivitéssansavoiràs’engager.Doncc’estcequ’onafait.—Vousavezmisenscèneunmariage?—C’étaitjusteuneexcusepourfairelafête,enréalité,maisçaapristellementd’ampleurqu’au
momentoùonl’avraimentfait,onamêmeorganisédefauxenterrementsdeviedejeunefilleetdegarçonlaveilleausoir.EtlejourJ,onatoutinstallédansnotrejardin.Regarde,tuvois?dit-elleenpointantlaphotodudoigt.Brianhabilléenpasteur.Avantlacérémonie,lesgarçonssontallésdansunpubvêtusdeleurcostume,etonteudesverresgratuitsparcequelepatronacruquec’étaitunvraimariage. Richard était le fiancé et croyait qu’il allait faire semblant d’épouser Emma, qui était lapetiteamiedeBrian,maisonaréussiàconvaincreGuydedescendred’Édimbourg,oùilhabitait,etdejouerlerôledelafiancée.Ilportaitunvoileépais,doncpersonnen’asuquiilétaitavantlafindelacérémonie.Etregardeunpeu,nousavionsmêmeunvraigâteaudemariagepréparéparmamère.—Vousétieztouscinglés,observaDrewensecouantlatête.J’étaistropoccupéàmecomporter
comme si j’avais quarante ansquand j’avais la vingtaine.Emily etmoi avonsquitté l’université etsommesdevenusdirectementpropriétaires.Jesupposequ’onnesortaitpasbeaucoupparcequ’Emilyétait trop absorbée par ses examens de droit, et que nous n’avions pas d’argent parce que nousremboursionsleprêt.—Maisçaenvalaitlapeine,celadit,non?Regarde-toiaujourd’hui.Tuasunejoliemaisonettues
surlepointd’épouserunefemmequimènesacarrièreavecbrio.Tandisquemoi,laratéedeservice,jevisdansunappartementminuscule,àfairegrossirlesstatistiquesdepersonnesvivantseules.Peut-êtrequej’auraisdûpluspenseràl’aveniràl’époque,aulieudecourirdanstouslessens,accoutréed’uneridiculerobesaumon,àunfauxmariage.
—Ondiraitbienquevousavezpasséunsupermoment,malgrétout,fit-ilremarquerdoucement.—C’estlecas,concéda-t-elle,enregardantdenouveauunephotodegroupedelafête.C’étaientde
bonsmoments.Onnesevoitpresqueplusmaintenant.Nousétions tellementproches,etd’uncoupd’un seul, on a tous pris des directions différentes. Que ce soit en gravissant les échelons, endéménageant,ouensuccombantauserpentdumariagepourdisparaîtredansletrounoiroùvontlesgensquandilsontdesenfants.—EtlequelestAntony?demandaDrew,enexaminantleclichédeprès.—Oh,onlevoitseulementdanslesphotosprisesplustard,répondit-elle,enfeuilletantlerestede
l’album.Àl’époque,ilétaittrèsinvestidanslapolitiquelocale,etilétaitpartifairecampagnepourremporteruneélectionquelconquecetaprès-midi-là.Pourêtrehonnête,jepensequ’iltrouvaittoutçaunpeuidiot,doncilapassélajournéeailleurs.Envoilàune,finit-elleparannoncer,ens’arrêtantàunepage,presqueàlafindel’album.Onn’apasl’airduparfaitpetitcouple?Elleémitunrireamer.DrewbaissalesyeuxsurlaphotoavantdereleverbrusquementlatêtepourdévisagerSuzie.—Cen’estpasquijecroisquec’est?demanda-t-il.—Çadépendàquitupenses.—C’estAntonyBarwood.—Euh,oui.—LeAntonyBarwood?—J’imagine,répondit-elleenhaussantlesépaules.— Oh, mon Dieu, s’exclama-t-il en s’enfonçant dans le canapé, visiblement hébété.
AntonyBarwood,députélibéral-démocratepourWestKeeling,esttontrollauxcheveuxjaunefluo?—Exact,acquiesça-t-elle.—Bonsang,soufflaDrew.—Qu’est-cequec’estcensésignifier?Non,nedisrien.Çat’épatequejepuisseavoirlescapacités
mentalespourêtresortieavecquelqu’unquiafinidéputé.C’estbiença,pasvrai?—Non.C’estjustequejen’arrivepasàcroirequetunem’aiesjamaisracontéquetuessortieavec
AntonyBarwood.—Àquoibon?M’as-tudonnélenomdetoutestesex-petitesamies?—Euh,non,maiscettefillen’étaitpascélèbre,nirien.—Cettefille?—Oui,quoi?—Tun’aseuqu’unepetiteamieavantEmily?Drewrougitetdétournalesyeux.—J’étaistimidequandj’étaisjeune,OK?Suziehésitaquelquesinstants,puisdécidadeposerlaquestion.—Donctun’ascouchéqu’avecdeuxfemmesdanstoutetavie?—Non,protesta-t-il,visiblementsurladéfensive.—Tuaseuquelquescoupsd’unsoirdanscecas?—Certainementpas!répondit-il,outré.—Donc…,reprit-elleenleregardantpleined’espoir.—Bon,jen’aijamaiscouchéqu’avecEmily,tuescontente?Nousétionsencoreaulycéequandje
sortaisavecl’autrefille,etj’airencontréEmilyàlafac.Qu’est-cequejesuiscenséfaire?Coucheràdroiteàgauchepourfairegrimpermamoyennesexuelle?— Non, non, dit Suzie. C’est juste que tu es tellement hors du commun, ajouta-t-elle en le
contemplantavecémerveillement.Drewdécrétaquel’interrogatoireavaitassezdurécommeça.—Quoiqu’ilensoit,çan’arienàvoiravecmoi,maisavectoi,etlefaitquetum’aiescachéquetu
étaissortieavecundéputé.—Seulementparcequejeblâmeunpeulapolitiquedenousavoirséparés.Suziefeuilletadenouveaul’albumdemariage.Elles’arrêtaetpointasondoigtsurunefilleplutôt
quelconque,vêtued’unetenueàfleursLauraAshleypeuflatteuse.—CharlotteCampbell-Wright,déclara-t-elle.OuCharliepourlesintimes,quandelleavaitencore
desamis.Songrand-pèreétaitàlaChambredeslords–unfaitquilarendaittrèsattiranteauxyeuxd’Antony. Elle était vraiment timide en présence des hommes, puis soudain, on aurait dit qu’elles’étaitépanouie,dujouraulendemain.J’étaisloindemedouterquequelquesflatteriesd’Antonyenétaient lacause.Puisd’unesecondeà l’autre,elles’estmiseàpasser toussesweek-endsavecmonpetitamisur lesroutesdecampagne,vuqu’ilsefaisait inviteràprendrele thépar lordCampbell-Wrightenpersonne,pourdébattrepolitique.Unjour,jesuisrentréedutravailenavance,etjelesaisurprisentraindes’envoyerenl’airdansnotrelitaumilieud’unemerdefroufrousjaunes.—Bizarre,fitremarquerDrewengrimaçant.Qu’est-cequis’estpassé?—Antonysemblaitsoulagéd’avoirétédécouvert,àlavérité.Jeluiaiditdefairesesvalisesetde
partir.Troisheuresplustard,toutetracedeluiavaitdisparu,etjenel’aijamaisrevudepuis.Dixans,on a passé ensemble, s’émerveilla-t-elle en secouant la tête. Et en l’espace de quelques heures, onauraitditquecesdixannéesavaientétéeffacées.Tousnos souvenirsvidesde sens.Etmonavenirpartienfumée.—EtCharlotte?demandaDrew.—Oh,ellem’aprésentésesexcusesaumoins.Elleest restéesur lepasdemaporte,en larmes,
pourmedireàquelpointelleétaitdésolée.Elleaajoutéqu’ellel’aimait,qu’ellenepouvaitpass’enempêcher,etqu’elleespéraitqu’unjour,jepourraisluipardonner.—Jesupposeque,parfois,ilfautjustesuivresoncœur,commentaDrew,lesyeuxrivéssurlesol.—Foutaises,rétorquaSuzie,sortantdesamélancoliepassagère.Lecœurn’arienàvoirlà-dedans.
Leshommestrompentparcequecesontdeslâches.—C’estunpeutranchécommepointdevue,non?—C’est lavérité.Laplupartdeshommes trompentparcequ’ils sont troppathétiquespour faire
preuve d’honnêteté, et dire à leur compagne que c’est terminé. Si seulement ils étaient assezcourageuxpouravouerenfaceàleurspauvresfemmesetpetitesamiesqu’ilsnelesaimentpas.Drewladévisagea,abasourdi.Ilselevaprestement,commes’ilétaitsurledépart.—Oh,monDieu,s’écriaSuzie,empoignantlatélécommandeetlebrasdeDrew.Attendsjusteune
secondeetregardeça.C’estmonpassagepréféré.Ellemontalevolume.HarryetSallyétaientàprésentdanslascènefinale,àunefêtedenouvelan,
entourésdeballonsetdebanderoles.—ÉcoutejustecequeHarryditàSally,ajoutaSuzieengratifiantDrewd’unpetitcoupdansles
côtes.Voilàcequeveulentlesfemmes.—«Etj’adorequetusoisladernièrepersonneàquij’aienviedeparleravantdememettreaulit,
marmonnaSuzie dans sa barbe tandis queHarry faisait éclater ses sentiments augrand jour.Et cen’estpasparcequejesuisseul.Etquec’estlaSaint-Sylvestre.Sijesuislà,moi,cesoir,c’estparcequequandonserendcomptequ’onveutpasserlerestedesavieavecunefemme,fautpastraînerlespieds,fautselanceraussitôtquepossible.»Drewdemeuraitimmobile,lesyeuxbraquéssurl’écranjusqu’àcequelegénériquecommenceà
défiler.—Encoreunpeudethé?demandaSuzie,lefaisantsursauteraupassage.Ilsemblaitsurlepointdedirequelquechose,puisilseravisaetjetauncoupd’œilàsamontre.—Jesuisunhommemort!s’exclama-t-ilavantdefoncerverslaportesansmêmeluidire«au
revoir».
Chapitre13
Drew avait les yeux rivés sur la vitrine du magasin, encore hors d’haleine d’avoir traversé lamoitié deManchester aupas de course.Lesmannequins sans tête semblaient curieusement à l’aisedansleurcostumedecérémonieetleurcravatecouleurpastel.Peut-êtreétait-cedûàladésinvolturedeleursbrasballantsvêtusdemanièreformelle,ouaufaitqu’ilsaient lepiedposésurunénormecadeauornédegrosrubansblancs. Ilsavaient l’airdenepasavoir lemoindreproblème.Peut-êtrequec’étaitl’effetqueçafaisait,denepasavoirdetête–êtreincapabledepenser.Enpleineréflexion,Drewacquiesça.Oui,ils’imaginaittrèsbiencommentcesserdepenserpouvaitmeneràuneexistencesansaucunsouci.Danssasituation,c’étaitmêmeexactementcedontilavaitbesoin.Celaempêcheraitcesidéesmalvenuesdepointerleboutdeleurnez,denullepart,telsdeminusculesmissilessemantlechaosabsolusurleurpassage.Àcetinstantprécis,ilauraitencorepréféréalleressayerdescorsetspour jouer dans un drame historique que ces costumes. En définitive, des corsets lui donneraientmoinsl’impressiond’êtreprisaupiègedesonproprecorps,quelecostumequiallaitscellerlerestedesavie.Iln’aurait jamaisdûentrer.S’iln’avaitpaspénétréchezelle, alors iln’auraitpasen têteàcette
minuteune imagementaledeSuzieenpyjama.Erreur tactiquenuméroun.S’iln’étaitpas entré, iln’auraitpassucequec’étaitdesesentirchezsoidanslapagaillequiconstituaitlaviedeSuzie,oùdesaffairesétaientbalancéesàdroiteàgauche,plutôtquesoigneusementrangéesàleurplace.Oùilyavait de la vraie moquette molletonnée au lieu d’un plancher sans âme. Où, dans des cadres pasassortis, trônaient joyeusement des photos banales de moments heureux quelconques, au lieud’œuvresd’artmodernedansdescadresenacierbrosséhorsdeprix,suspenduesàl’endroitidéaldelapièce.Àl’instantmêmeoùils’était installésurlecanapédeSuzie, ils’étaitd’instinctenfoncédansses
énormes coussins et s’était assis en tailleur. Il ne s’installait jamais sur le canapé dans samaisonmoderne,éléganteetpropre.Ceconstatluifituntelpincementaucœurqu’ileutl’impressiond’avoircommisuneatrocité.Pourtant, toutcequ’il avait fait, c’étaitde s’asseoir sur lecanapéd’uneautrefemme,ildevaitselerappeler.C’estlorsqu’ils’étaitefforcédereprendresesesprits,quesonregards’était posé sur la boîte qui gisait ouverte sur le sol devant lui. Les bribes de l’existence deSuzieétaient improbables, insensées,etreflétaientsapersonnalitéàmerveille.Voircetteboîte luidonnaitenvied’enavoirunesemblable.Iln’arrivaitpasàtrouverunseulobjetquiluiévoquaitsavingtaine.Illuttapourpenseràdegrandsmomentsqu’ilauraitvoulusauverpourlapostérité.Quediableavait-ilfaitdesavie?ExaminerlaboîteàsouvenirsdeSuzieavaitétél’erreurtactiquenumérodeux.Maispireencore,ilavaitdûécouterlerécitdesarelationavecAntony:unerelationnaissanteà
l’université,quiauraitdûs’épanouirenpartenariatàvie,pourfinirdétruiteparl’interventiond’unetiercepersonne.Lesmotsde la jeunefemmes’amassaientdanssa têtecommeunbancdepoissonsdésorientés.—Stop,dit-ilàvoixhautepourarrêtersonflotdepensées.Iltoisalonguementsonrefletdanslavitrine.—Çasuffit,souffla-t-ilavantd’inspirerprofondément,d’ouvrirlaporteetdepasserleseuil.—Regarde-moi,s’écriaTobyàl’instantmêmeoùilvitarriverDrew.C’estexactementlematos
qu’il nous faut pourmettre de l’ambiance à cemariage, ajouta-t-il en faisant une petite courbette.Sexy,hein?—Ondiraitunmaquereau, rétorquaDrew,examinant son témoinaccoutréd’un smokingblanc,
assortid’unechemiserayéerosebonbonetd’unecravateviolette,enpleinmilieudelaboutiquedeluxeMossBros.Situcroisvraimentqu’onvaporterça,tuesunimbécile.Onvacroirequec’estnousdeuxquinousmarions,pasEmilyetmoi.—Oh,allez,monpote,essaie-le,tupourraisavoirdessurprises.Tuneveuxpasmettredublanc
commelamariée?—Euh,non.Tusaisbienquelesvêtementsblancsetmoinesommespasamis.Àmoinsque,bien
sûr,iln’existeunbavoirassorti.Detoutefaçon,Emilym’adonnédesinstructionstrèsstrictesquantàcequejedoisporter.Toutestinscritici.— Foutrement génial, commenta Toby en soupirant. Tenue de croque-mort avec une touche
inspiréedebordeaux,danscecas,ajouta-t-ilenôtantlavesteimmaculée.—On ne sait jamais, protesta Drew. Peut-être qu’elle a choisi quelque chose de plus osé pour
s’accorderavectapersonnalitésicool.—Emily?LasiclassiqueEmily?Uneceinturedesmokingéquivautprobablementàuneoffense
danssaperceptiondubongoût.—Elleveutseulementque toutsepassebien,c’est tout,plaidaDrew,sur ladéfensive.C’estson
grandjour,aprèstout,pasletien.—Vraiment?Alorspourquoij’yassiste,rafraîchis-moilamémoire?—Parceque,endépitdufaitquetusoisuntocardfini,tuesmonmeilleurami,etj’apprécierais
vraimentquetusoisprésent.—Ah,oui.Etj’ailedroitdet’insulterenpublic;jemesouviensdelafaçondonttumel’asvendu
maintenant.—Non,tuasledroitd’êtretoutémuquandturaconterasàtoutlemondequelamigénialj’aiété
durantcesvingtdernièresannées.—Vatefairevoir.Tuvasavoirlatotale,monpote.Ycomprisunrécitenpublicdelafoisoùtuas
mouillétonpantalondanslevivarium,pendantcettesortiescolaireauzoodeLondres.—Jen’aipasmouillémonpantalon,jemesuisassisdansquelquechose–combiendefoisencore
dois-jetelerépéter?—Vraiment?Çavamefaciliterlatâchepourtonenterrementdeviedegarçon.—Quelestlerapportavecmonenterrementdeviedegarçon?—Ehbien,jepensaisàunthèmevêtementsmouillés.Jemesuisditqu’onpourraitdemanderàde
joliesfillesdebalancerleursbièressurtonentrejambeparcequetuadoresavoirlepantalonhumide.Enéchange,tuaurasledroitdemouillerleurstee-shirts,tusaisbien,leclichédugenre.—Tuesdégoûtant.—Oh,arrêteunpeu.Tun’asdoncpasenviedevoirpointerlestétonsdejoliesfillesàtraversun
haut transparentavantde t’engageràunevied’abstinence?Jesaispertinemmentqu’onn’aaucunechanced’arriveràtraînerM.Moraledansunclubdestriptease.—Non,jen’enaiaucuneenvie.Onnepeutpassecontenterd’allermangerindien?—Indien!J’aiuneréputationàpréserver.Commentpourrais-jegarderlatêtehaute,sij’organisais
unenterrementdeviedegarçonquiconsisteraitjusteàallersefaireuncurry?Drew dévisagea Toby un moment. Il réfléchissait de nouveau. Pourquoi ne parvenait-il pas à
interromprecesfichuespensées?—Pourquoionfaittoujourstoutunfoinautourdesmariages?finit-ilpardemander,exaspéréde
lui-même.Pourquoionnepeutpasjustesemarieretpoursuivresavie?—Puis-jevousaider,monsieur?s’enquitunvendeur,apparaissantsoudainàcôtédeDrew.—Oui,crachacedernier.J’aimeraismedéguiserenimbécile,s’ilvousplaît,pourlejourleplus
importantdemonexistence.Pouvez-vousm’aideràfaireça?—Certainement,monsieur,réponditl’hommeâgé,sanssedémonter.Enquelgenred’imbécileen
particuliersouhaiteriez-vousvousdéguiser?—Celui-ci,réponditDrewenfourrantlalisted’Emilydanslamainduvendeur.Celui-ciétudialafeuillependantquelquesinstants,tandisqueDrewobservaitTobyavecunairde
défi.—J’aimeraiscomplimentervotrefutureépousepoursonchoix.Sansnuldoute,ceseraelle,lastar
du spectacle. Si vous voulez bien patienter ici unmoment, je vais rassembler les éléments de voscostumes.L’hommegratifiaDrewd’unsourirerassurantetd’unepetitetapesurl’épaule.—Merci.Drewselaissatombersurunfauteuilencuirélimé,etsepritlatêtedanslesmains.—C’étaitmarrant.Tun’espasaussimarrantd’habitude.Tuesmalade?s’enquitToby.—Non,ditDrew,cachéderrièresesmains.—Alors qu’est-ce qui ne va pas, monmignon ? demanda Toby. Un petit coup de panique, ou
carrémentunetransplantationdepersonnalité?Drewréfléchit àcequ’ilpourraitbien répondreà sonmeilleurami. Iln’arrivaitmêmepasà se
l’expliqueràlui-même,alorsencoremoinsàquelqu’und’autre.—Jenesaispas,finit-ilparavouerdésespérément.Toutcetintouin,jesupposequeçam’agaceun
peu.—Ehbien,prendsunpeudereculdanscecas.Tun’aspasàjouerlesprinceCharles,tusais.—Maisc’estcequeveutEmily.Jenepeuxpasluirefuserça.—C’esttonmariage,àtoiaussi.Cequetuveuxcompteaussi.DrewdévisageaTobypendantunlongmoment.—Etsijenesaispascequejeveux?lâcha-t-ilenfin.—Hmm,jevois,repritTobyenapprochantetenselaissanttombersuruntabouret.Est-cequetu
disquetunesaispascequetuveuxentermesdevinrougeoublancpourlaréception,ouàunniveauplusprofond?Commepeut-êtreentreuneblondeetunebrune?Drewgardalesyeuxrivéssurseschaussuresavantderépondre.—Peut-êtrequej’ensuisauniveaudelablondeoulabrune,dit-il.Ilavaitenviedepleurer.—Bon sang ! s’exclamaToby en se levant d’unbond.Cet hommen’est doncpas un saint, tout
comptefait.Quiest-ce?Tul’asdéjàsautée?—Jen’ai sautépersonne.C’est justequequelqu’unmedonnematièreày réfléchir àdeux fois,
c’esttout.Iln’yaabsolumentaucunechancequequoiquecesoitarriveunjourentrenous,maisleseulfaitd’ypensermeperturbeunpeu.—Coucheavecelle,sors-ladetatête,etmarie-toi.Simplecommebonjour.Çaalors,cesplatitudes
de témoinmeviennent tout naturellement, tu ne trouvespas ? fit remarquerToby, en adressant unsourireradieuxauvendeur,quivenaitdereveniravecleurscostumes.—Pardon,quesepasse-t-il,monsieur?demanda-t-ilpoliment.—Lemariéiciprésentaleschocottesparcequ’ils’estfaithapperleregardpardejolispetitsseins
quin’appartiennentpasàlafuturemariée.Entantquetémoin,jeluiconseilledejetersagourme.
—Etdequellefaçoncelaaideracemonsieuràrésoudresondilemme,sijepuismepermettre?—Ça lui sortira de la tête.Séanced’exercicede la dernière chance, pour ainsi dire.Le laissant
libredesemarier.Missionaccomplie.L’homme dévisagea tour à tour Toby et Drew, qui était assis, lementon appuyé sur lesmains,
regardantdroitdevantluid’unairmaussade.—Coucheavecelle,répétaToby.Bon,maintenanttuveuxbienessayercesvêtementsdeclown,ou
dois-jem’attendreàcequetuprennesunedécisioncrucialeici?Drewselevasansmotdire,pritlescintresdesmainsduvendeuretdisparutderrièreunrideau.—Jenecomptecoucheravecpersonne,résonnasavoixderrièrelerideau.—Detouteévidence,confirmaToby.—Qu’est-cequec’estcensévouloirdire?—Seulementquejenet’aijamaisvuaussitendu,c’esttout,monpote.—Tut’attendaisàquoi?—Ehbien,pourêtre franc, jem’attendaisàmonamide toujours.CebonvieuxDrew,calmeet
détendu,prévisible.OuM.Morale,commej’aimeàl’appeler.Seulementàtraversunrideau,biensûr,jamaisenface.Etaulieudeça,jemeretrouvefaceàundieudusexeenpersonne.J’enperdsunpeumonlatin.Tuempiètessurmonterritoire.Jepensaisquec’étaitmoiquienavaisunepaire,danscetterelation.—Jenesuispasundieudusexe.Jen’airienfait.— Eh bien, peut-être que c’est tout le problème, mon ami. Tu n’as rien fait. Tu t’es toujours
comportécommeunsaint.Bonsang,tun’asjamaiscouchéqu’avecEmily.Quifaitçadenosjours?Lepape,voilàqui.—JenepensepasquelepapeaitcouchéavecEmily,intervintlevendeur.—Vousavezraison.Ilsnesesontjamaisrencontrés.Mercidelefaireremarquer,rétorquaToby.—Derien.Çafaitpartieduservice,réponditl’hommeavantdedisparaîtreànouveau.—Écoute, qui pourrait te blâmer de jeter ta gourme avant de t’engager, hein ?Autant faire ça
maintenant,plutôtqu’unefoismarié.Jenet’enaijamaisparlé,maissiçapeutaider,c’estcequej’aifait.—Faitquoi?—Avoirunepetiteliaisonavantd’épouserChloe.—Tutefichesdemoi!C’estdégoûtant.Drewouvritlerideaud’uncoupetadressaunregardnoiràToby.—Voilà, c’est pour ça que je ne te l’ai pas dit.Qu’est-ceque tu peux êtremoralisateur parfois.
Etenfait,c’étaitunpeubizarre.Maiscen’estpaslepropos.Lepropos,c’estquej’aieuuneaventure,çam’estsortidelatête,etmevoilàmaintenantdevenuunhommeheureuxenménage.Yapasdemal.—Chloeestaucourant?—Biensûrquenon.Ellemecastreraitsur-le-champ.Tulaconnais.—Précisément,réponditDrew.Imagineunpeucequ’elleressentirait.Tunepeuxpasfaireçaaux
gensquetuescenséaimer.C’estjusteimpossible.Il se tourna pour se regarder dans le miroir. Il n’avait pas du tout l’air d’un clown. Ni d’un
imbécile.Enréalité,ilétaitmêmeplutôtbelhomme.Emilyavaitchoisiunstylequiallaitàmerveilleavecsesépaulescarréesetsataillefine,etilétaitsoulagéqu’elleaitoptépourunecravateplutôtquepourunfoulardridicule.Etheureusement,ellen’avaitpasnonpluschoisidegiletinspiréd’unpapierpeintfloquédesannéescinquante.Levendeurapparutàcôtédeluiethochalatêted’unairapprobateur.
—Çavousvabien,dit-il.Vousparaissezprêt.L’êtes-vous?demanda-t-il.Drewsetournapourleregardermaisneréponditpas.—De toute évidence, ellevousconnaîtbien,poursuivit l’homme.Vousne trouvezpasqu’elle a
bienchoisi?—Si,finit-ilparmarmonner.Si.
Chapitre14
ChèreSuzie,Ça fait cinqansmaintenant que je vis avecmonpetit ami, et j’ai cruqu’il comptaitmedemanderenmariagepourmonanniversaire.Ilauncomportementtrèsmystérieuxdepuisdeslustres–ildisparaîtdesheuresd’affilée,cachedesbrochuresdeshôtelslespluschicdanssatroussedetoilette,raccrochesontéléphoneportabledèsquej’entredanslapièce,etenrèglegénérale,ilal’airtendu.Quoiqu’ilensoit,monvingt-neuvièmeanniversaireestarrivéetilnem’apasdemandédel’épouser.Nousn’avonspasnonpluspassélanuitdansunhôtelchic.Jepensequ’ils’estretenuparcequ’ilestnerveuxdenepassavoirsijedirai«oui».J’aivraimentenviedel’épouser,doncdevrais-jeluifairemademande?
KerryChèreKerry,Il ne va jamais vous épouser. La raison pour laquelle je le sais, c’est parce qu’il a uneaventure.Desdisparitionsmystérieuses,desappelsinterrompusetdeshôtelsnesignifientjamaisqu’unechoseavecleshommes,etcen’estpasunedemandeenmariage.Vousavezatteintcetâgecritiqueoùleshommesdisposentdedeuxoptionsquandilsontunepetiteamie.Semarier,oucoucheravecquelqu’und’autre.Notezbienquecelan’inclutpaslefaitd’avoueràleurpetiteamiequ’ilsnel’aimentplus.Ceseraitbientropcourageux.Donc, de toute évidence, il a choisi le sexe.Maintenant vous avez le pouvoir, parce quevoussavez,maisluil’ignore.Doncplaquez-le.Maisfaites-leavecclasse.Tâchez de découvrir quand il aura son prochain rendez-vous dans cet hôtel chic enappelantlaréception,etendisantquevousêtessafemmeetquevousvoulezluifaireunesurprise. Je m’arrangerai pour l’y attendre accompagnée d’un photographe. Quand ilsarriveront tous les deux, je lui sauterai dessus et le féliciterai d’avoir été élu, avec sacompagne, lecoupleleplusromantiquedeManchester,àlasuitedelanominationdesapetite amie Kerry. La chambre sera payée par nos soins et leur photo paraîtra dans lejournal.Ilregretteradenepasavoirétéhonnêteavecvousquandildevrafairedespiedsetdes mains pour s’en tirer, et qu’il verra sa photo dans cette rubrique, sous le titre :«LaplusbelleorduredeManchester».
SuzieSuzie aimait particulièrement répondre aux lettres qui impliquaient un adultère, le pire crime
commis par un homme selon elle. Une véritable torture : c’était la seule façon dont elle pouvaitdécrire ce qu’elle avait ressenti après la trahison d’Antony. Bien sûr, elle soupçonnait depuis unmomentquequelquechosesetramait,maiselleavaitréussiàenfouirtouslessignauxd’alertedansune boîte estampée des termes « En plein déni ». Elle n’arrivait tout simplement pas à accepter
qu’Antonypuisselanégligeraupointdelatromper,etavecCharlie,quiplusest.Sansdoutecelle-ciétait-elleassezattirante,maissoncomportementeffacéetsanaturetimidenesemblaientpasenfaireunevoleused’hommes.Suzieétaitintimementconvaincuequ’Antonyétaitl’uniquecoupable.LeseulcrimedeCharlotteétaitd’êtrefaibleetdeselaisserfacilementséduire.Néanmoins,tandisqueSuzies’approchaitdelaboutiquesolidaireoùCharlietravaillaitàprésent,
elle ne put s’empêcher d’éprouver une pointe de colère enfouie depuis longtemps. Elle s’était ditqu’approcherCharlied’abordseraitplusfacilequederéglerdirectementsescomptesavecAntony.Elleespéraitaussique les informationsglanéesauprèsdeCharlie l’aideraientàmonterunplandevengeanceadéquat.Celadit,alorsqu’elleobservaitlavitrinenégligée,rencontrerlafemmequ’elleavaitvuepourla
dernièrefoisaulitavecsonpetitamineluisemblaitplussifacilequeça.C’étaitmêmeterrifiant.Elleouvritlaporte,etseglissadanslaboutiqueaussidiscrètementquepossible,décidéeàbienobserverCharlotteavantdesefairerepérer.Aprèstoutcetemps,elleavaitbesoindegérerlechocsansêtrevue,etnonsousleregardinsistantdeCharlotte.Elleseglissaderrièreunerangéed’étagèresetdeprésentoirspleinsàcraquer,prétendants’intéresseràunimperméableenplastiquecouleurlavande,avantd’oserleverlesyeuxverslecomptoir.Ellen’estpaslà,sedit-elleenregardantdroitderrièreladameplutôtenrobéequiécrivaitquelquechosesurunbloc-notes.Uncouppourrien.Elle remit levêtementdepluiesur leportantet jetaunderniercoupd’œilverslecomptoir toutens’apprêtantàpartir.Bouchebée,elleregardadeplusprès.Lafemmerondeletteàlaminemorneentraindeservirun client n’était tout demême pas Charlie, si ? Elle examina ses traits. En tout cas, elle avait lesmêmesyeux.Puisellel’entenditriredoucement,etelleenfutpersuadée.Onlareconnaissaitàpeine,maisc’étaitbienCharlie.Suziesentitungrandsourireseformersursonvisage.Charlieavaitprisdupoids.Ôjoie!Rienn’étaitplussatisfaisantquedeposerleregardsurquelqu’unqu’onn’avaitpasvudepuisdeslustres,etquis’étaitlaisséallerplusquesoi.Surtoutquandlapersonneenquestionvousavaitvolévotrefuturmari.Arméedusacplastiqueremplidevieuxvêtementsqu’elleavaitapportécommeexcusepourentrer
dans laboutique solidairede laLiguedeprotectiondes chats, elle sedirigea àgrandspasvers lecomptoir,portéeparunsoufflenouveau.—Charlie?lança-t-elleenapprochant.C’estbientoi?Charlienelevapaslesyeuxducahierdanslequelelleécrivait.—Charlie?répétaSuzieunpeuplusfort.— Oh, pardon, répondit Charlie en relevant rapidement la tête. Plus personne ne m’appelle
Charlie…Savoixs’éteignitsouslecoupduchoc.—Suzie,articula-t-ellesuruntonquinesous-entendaitniuneaffirmationniunequestion.—Amusantdetevoirici,poursuivitSuzie.Jen’auraisjamaiscrutevoirtravaillerdansunendroit
pareil.Charliesemblaitbalayerlapièceduregardenquêted’uneéchappatoire,oupeut-êtred’unénorme
troupourl’engloutirtoutentière.—Jefaisdubénévolatdeuxfoisparsemaine.—Vraiment?Jesupposequec’estcequefaittoutebonneépousedepoliticien,rétorquaSuzie.UnpetitfiletdetranspirationapparutsurlalèvresupérieuredeCharlie,etSuzieeutl’impression
qu’ellepouvaitpresquereniflersapeur.— Tu nous as apporté quelque chose ? finit par demander Charlie, en attrapant le sac
qu’empoignaitfermementSuzie.
—Oh,oui,bienentendu.Justequelquesvieilleriesquej’allaisjeter,tusais.Toutesentaille40.—C’est,euh,trèsgentildetapart,marmonnaCharlie,rougissantàprésent.Leschatst’enseront
trèsreconnaissants.—Çaalors,jen’avaispasidéequevousdonniezlesvêtementsauxchatspourqu’ilslesportent.Je
necroispasavoirquoiquecesoitdelabonnecouleur.Suzie éclata d’un rire hystérique à son propre trait d’esprit, galvanisée par un sentiment de
supérioritéenconstatantqu’elleavaitbienplusfièreallurequeCharlie.Cette dernière ébauchaunpetit sourire tout enpassant curieusement ses doigts au coind’undes
vieuxtee-shirtsdeSuzie.—Etcommentvas-tu?s’enquit-elle.Suzieauraitjurévoirunepetitelarmedanslecoindesonœildroit.—Oh, comme un charme, répondit Suzie. Je travaille pour leHerald. Certes, çam’a demandé
beaucoupdetravail,maisjesuisdevenuejournaliste,commejel’avaisprédit.—C’estsuper,commentaCharlie.Jesuisvraimentraviepourtoi.—Merci. J’adore ce travail. J’écris cette rubriquegéniale en cemoment, qui est consacrée à la
façondontlesfemmesdevraienttraiterleshommesquisecomportentmal.Elleaunsuccèsfou.Suziemarquaunepause,avantdepoursuivre:—EtcommentvaAntony?Charliesefigea,avantdedétournerleregard.—Ilvabien,marmonna-t-elle.—Bien,bien,tantmieux.Ehbien,jedoisavouerqu’êtrelafemmed’unpoliticienteréussit,tuas
uneminefantastique.CharlierivadenouveaulesyeuxsurSuzieavantdetirerfrénétiquementsurlamanchedesonpull
et de renifler bruyamment. Abasourdie, Suzie observa Charlie arriver enfin à sortir unmouchoirvisiblementhumideetleporteràsesyeux.—Jesuisdésolée,bredouilla-t-ellederrièresonmasquedétrempé.Jecroisquetuferaismieuxd’y
aller.Jeneveuxpasquetumevoiescommeça.—Tupleures?Suzien’encroyaitpassesyeux.Cen’étaitpasdutoutcommeçaqueceladevaitsepasser.— Tu n’as pas pris tant de poids que ça, reprit-elle, ignorant quoi dire d’autre. À la vérité, je
n’avaismêmepasremarquéavantdem’approcher.Ondiraitàpeinedeloin.—Jet’enprie,va-t’en,insistaCharlieenreniflant,toujourscachéederrièreunmouchoirruisselant
àprésent.La sonnette au-dessus de la porte de la boutique émit un son strident, et une vieille dame
s’engouffraàl’intérieur,traînantunpanieràroulettesduquels’échappaitunmiaulementsonore.Elleregardaitverslecomptoirets’apprêtaitàouvrirlabouchequandelleremarqual’étatdeCharlie.—Oooh,gémit-elle.Qu’est-cequiluiarrive?Charliereniflabruyammentmaisnefournitaucuneexplication.—Unchatestmort,réponditSuzie.Enfait,nousallonsdevoirfermerlaboutique,ajouta-t-elleen
avançantpourpousserladamedehors.Lecroque-mortdeschatsestenchemin.—JevaisappelerConnie,àBridgeStreet,s’écrialafemme.Dollyvientd’avoirunegrosseportée.
Jeluidiraid’amenerunchatondemain,d’accord?—Excellenteidée,réponditSuzietoutenluifermantlaporteaunezetentournantl’écriteausur
«Fermé».Àprésent,lesépaulesdeCharliesesoulevaientfrénétiquement,tandisqu’elletentaitdepresserle
mouchoirtrempédirectementcontresesorbites.Quefairemaintenant?Laprendredanssesbrasetluidemandercequin’allaitpas?Impossible.La
compassionneviendraitpascommeça.—Duthé?parvint-elleenfinàarticuler.Oui,unthé,c’étaitunebonneidée.CommencerparoccuperCharlie,puiss’enallerpours’efforcer
decomprendrecequiavaitbienpusepasserdurantcetteétrangeentrevue.Charliereniflabruyammentpuispressasonderrièrecontreleboutducomptoir,envoyantvalser
unepileentièredesacsenpapiersurlesol.Ellesedandinajusqu’àuneporteàl’arrièredumagasin,sansjeterneserait-cequ’uncoupd’œilàSuzie.Devait-ellepartirourester?Suzienesavaitabsolumentpasquoifaire.Sacuriosité l’emportaet
ellesuivitnonchalammentCharlie,quisetrouvaitàprésentdansunpetitréduitentraindemettredessachetsdethédansdeuxtassesébréchéesdécoréesdechats.Suziepassaprèsd’elled’unpastraînantpouratteindreuntabourethaut,tandisqueCharlieselaissaittomberdansunvieuxfauteuildéfoncéetbataillaitaveclecouvercled’uneboîtedeQualityStreet.Unefoisqu’ellel’eutouverte,elleyplongealamainetoffritunebarrechocolatéeàSuzie.Celle-ciregardal’offrandemaisneputréprimerunerailleriedeplus.—Non,merci,dit-ellesuruntonguindé.Charlie la dévisagea avec lamined’une femmebrisée.Puis elle regarda la barre chocolatée un
momentavantdecéder.Toutendéchirant l’emballage,ellepritunegrossebouchée, tandisquedeslarmesseremettaientàcoulerlelongdesesjoues.Suzie ne ressentait toujours aucun élan de compassion. Tout ce qu’elle éprouvait, c’était un
immensesoulagementdenepasenvierlaviedeCharlie.Elleavaitpassétoutescesannéesàpenserqu’elleauraitdûmenerl’existencequecettefemmedevaitavoir,pourfinalementserendrecompteque cette vie l’avait rendue grosse et triste.Mais elle devait dire quelque chose, vu que, de touteévidence,Charlieétaitincapabled’entamerlaconversation.—Bon…,commença-t-elle.Qu’est-cequisepasse?Aprèsavoirattrapéunmouchoirpropredansuneboîteabritéedansunehousseenformedechat
bleuetblanc,ets’êtremouchéebruyamment,Charlieserepritsuffisammentpourrépondre.—C’estrien,finit-ellepararticuler.Suziefronçalessourcils.—Commec’estironique,repritCharlie,lesyeuxrivéssurlesol,ensecouantlatêted’unairtriste.— Quoi donc ? demanda Suzie, incapable d’empêcher Alanis Morissette de se diffuser
instantanément dans sa tête, tout en réfléchissant pour la énième fois à la vraie définition dumot«ironique».—Rien,ditCharlieplatement.—Oh,allez,ripostaSuzie.Sicen’estpasvraimentironique,jen’ensouffleraipasunmot.Presque
personneneconnaîtladéfinitionexactedel’ironie,etjesaisdequoijeparle–jesuisjournaliste.CharlieadressaunregardperplexeàSuzie.—SiAlanispeutsepermettredesetromper,alorstoiaussi.Pasdequoifouetterunchat.—Alanis?—AlanisMorissette.Isn’titironic?Tutenesouvienspasqu’onl’écoutaitenbouclependantl’été
95?«Dixmillecuillèresquandonaseulementbesoind’uncouteau»?Qu’est-cequiluiestpasséparlatête?Quequelqu’unoffreundictionnaireàcettefemme.Charlie avait cessé de pleurer à présent, et semblait profondément confuse. Enfin, elle prit la
parole.
—Tum’asmanqué,souffla-t-elle.—Tuasraison.Sacrémentironique,ça,fitremarquerSuzie,enseforçantàsourire.Charlieneréponditpas.Ellesecontentadedéchirersonmouchoirenlambeauxetdel’examinerde
près.—Pourquoitupleures?s’enquitSuzie.Il fallaitqu’ellesache.Elles’aperçutqu’ellecommençaitàs’inquiéterpourCharlie.Personnene
devraitsesentiraussimal.NouveaureniflementsonoredeCharlotteavantqu’ellenelèvelesyeuxversSuzie.—Ilsepourraitbienqu’Antonyaituneaventure,annonça-t-elleavantdesecacherlevisagedans
lesmains,etderelancertoutlephénomènedestremblementsetdeslarmes.—Jen’enrevienspas,murmuraSuzie.Dommagepourtoi,Alanis.Lecombledel’ironie,eneffet.Ellerencontrait lafemmequiavaiteuuneaventureavecsonpetit
amidixansaprès,pourserendrecomptequ’illatrompaitaujourd’hui,elleaussi.—Jen’ensuispastoutàfaitsûre.Peut-êtrequenon,mais…,marmonnaCharlie.—Charlie,l’interrompitbrusquementSuzie.Jepeuxt’assurerquesi.—Maisjen’enaipaslapreuveabsolue,jepourraismefourvoyer.—Écoute-moibien,repritSuzie,ensepenchantenavantsursontabouretavecenthousiasme.Ellesétaientsursonterrainàprésent.—Iltetrompe.Ettusaispourquoi?Parcequenoussommesprogramméespournierl’évidence
dansuncaspareil.Nousavonstouslessignessousnotrenez,etnouspensonsquandmêmequenousdevonsfaireerreurparcequelanouvelleesttropdureàencaisser.—Maiscommentpeux-tuenêtreaussisûre?demandaCharlie.—Répondsàmesquestions, ripostaSuzie,prenantdupoilde labête.Est-ceque tu le retrouves
dans des endroits bizarres de la maison, derrière des portes closes, à discuter au téléphone ?interrogea-t-elle.—Euh,oui.—Est-cequ’ilmetbrutalementfinàsesappelsquandtuentresdanslapièce?—Parfois,oui.—Etest-cequ’ilpartpasserlanuitailleurs,enprétendantquetunepeuxpaslejoindreparcequ’il
n’yapasdetéléphoneàlaréception?—Oui.—Quandilmentionneunecertainefemme,est-cequesontonchange,ouest-cequ’ilmarqueune
légèrepauseavantdecitersonnom?Charliesemorditlalèvreethochalatête,laissantdenouvelleslarmescouler.—A-t-ilsoudaincommencéàeffacertoussesmessagesdèsqu’illesalus?Charlieacquiesçaensilence.—Etas-tuapprisçaparcequetutefaufilesaumilieudelanuitpourvérifiersesmessagessurson
téléphone,parcequetucherchesdésespérémentàsavoirs’ilcommetunécartdeconduite?—Oui,sanglota-t-elle.Commentsais-tuça?Suzies’interrompit,sedemandantsilavisiblementbouleverséeCharlieavaitbesoindeconnaître
laréponseàcettequestion.—Parcequec’estcequejefaisaisquandjelesoupçonnaisdecoucheravectoi,répondit-ellesur
untoncalme.Jepensequec’estcequefonttouteslesfemmesquandellestententdésespérémentdetrouverlapreuvequeleurssoupçonssontinfondés.— Je suis tellement navrée, sanglotaCharlie. Je suis tellement navrée que nous t’ayons fait une
chosepareille.Suziedemeurasilencieuse.—Tudoispenserquej’aiexactementcequejemérite,repritCharlie.—Enfait,non,finitparrétorquerSuzie.C’estAntony,lefautif,pastoi.—Qu’est-cequejevaisfaire?poursuivitCharlie.Suziesesouvintalorsdelaraisondesavenue.FaireressentiràAntonycequ’elleavaitéprouvé
toutes ces années auparavant, quand l’avenir sur lequel elle avait toutmisé lui avait filé entre lesdoigts.Quellemeilleurefaçondesevengerqu’enpassantparCharlie?C’étaitàsontour.Aulieudes’éloignersansfairedevaguesetdepansersesblessurespendantlesmoisàvenir,Charliepouvaitfairecequidevaitêtrefait,etdonnerunebonneleçonàAntony.Quelleperspectivefantastique!—Charlie,dit-elletimidement,inquiètequecettedernièreneselaissepasembarquerlà-dedans.Si
tumelaissesfaire,jet’aideraiàneplustesentiraussimaletàreprendreleschosesenmain.Jet’aiparlédemarubrique,n’est-cepas?Voilàcequejefais.J’aidelesfemmesquiontdesproblèmesavecleurshommes.— Mais pourquoi aurais-tu envie de m’aider ? demanda Charlie, ayant l’air complètement
pathétiqueavecsatêtetouterougeetboursouflée.Tudoissûrementmedétester?—Parceque,soupiraSuzie.Pourêtretoutàfaitfranche,jedoisavouerquet’aiderm’aidera.Ilya
tantdechosesque jen’aipasditesni faitesquand j’aiapprispour toietAntony,et je l’ai regrettédepuis.Sijepeuxt’aideràletraitercommeillemérite,tun’imaginespasàquelpointçameferadubien.CharliedévisageaSuziependantunlongmoment.—Tum’asvraimentmanqué,finit-ellepardire.Jesuistellementdésolée.Suzieluirenditsonsourire.—Bon,reprit-elle.Prenonsleschosesuneparune.Considéronslesfaits.Quandas-tusoupçonné
qu’ilsepassaitquelquechosepourlapremièrefois?
Chapitre15
Drewn’étaitpasalléaubureaucejour-là.Sesréflexionsincessantesl’empêchaientdemaintenirsaroutine. En quittant la boutique Moss Bros, il avait recouvré la conviction que sa vie étaiteffectivementsurlabonnepente.Ilsuivaitlebonchemin.Toutallaitpourlemieuxdanslemeilleurdesmondes.Cette impressionavaitduré jusqu’à23h04,quand il était allévérifierque son réveilétaitréglépourlelendemainmatin, justeaprèsunedisputeavecEmilyausujetdesœillets.Laplusgrande fierté de lamère deDrew étaient lesœillets qu’elle faisait pousser pendant l’été dans sonminuscule jardin. Vu son amour pour cette fleur en particulier, elle avait demandé à son fils s’ilaccepteraitd’enporteruneàsaboutonnièrepoursonmariage.C’étaitsanscomptersurlesmenacesdemortd’Emilyetsamèreenréponseàcettesuggestion,etDrewétaitcenséannoncerlamauvaisenouvelle.Quandbienmêmeilavait tentétimidementl’argument«celaferait tellementplaisiràmamère»,iln’avaitpaslamoindreillusion:avoirdesœilletsaumilieudesanthuriumsrosesruineraitlemariageentier.N’ayantpasl’énergied’insister,ilavaitéteintsalampedechevetetposélatêtesursonoreiller,momentàpartirduquelsespenséesconfusesl’avaientrelancédanssaquêtesansrelâchedelatranquillitéd’esprit.À3heuresdumatin,ilenétaitréduitàessayerdeserecenserlesscoresdetouslesmatchsjouésàl’extérieurparManchesterCitydepuiscinqans,dansl’espoirdedistrairesoncerveauhyperactif.Ilavaitréussiàdormirparà-coups,maisaumatin,ilétaitépuisé.IncapabledefairefaceàSuzieaussiconfusetéreinté,ilavaitprissesquartiersdansuncafééquipé
duwifi, et avait appelé au journal pour dire qu’il travaillait de l’extérieur. L’article qu’il essayaitd’écriresuruncasdeviolencedomestique,impliquantunefemmequiavaitfaitavaleràsonmaridesversdeterreécrasésdansdeslasagnesparcequ’elleenavaitassezdesonobsessionpourlapêche,n’aidaitenrienàsoulagersoncerveauenébullition,nisonestomacnoué.Vers l’heure du déjeuner, il entendit la porte s’ouvrir et un gloussement familier résonner. Il se
baissaderrièresonordinateurlorsqueSuziedébouladanslapièce.Il jetauncoupd’œilpar-dessusson écran, juste à tempspour voirGarethpasser nonchalamment unbras autour des épaules de lajeunefemme,tandisqu’ilsregardaienttousdeuxletableaupourfaireleurchoixparmilesplatsdujour.En remarquant leur proximité évidente, Drew se sentit à la fois troublé, horrifié, soulagé, en
colère, et ainsi de suite : toute la palette d’émotions d’un homme qui ne voit plus clair dans sessentiments.Commehypnotisé,illesobservas’installeràunetableàl’autreboutdelapièce.Aumoins,ilsne
l’avaientpasrepéré.Ilspassèrentledéjeunerentieràdiscuteretplaisantercommelarronsenfoire.Suziesemblaitsurunpetitnuage,etGarethavaitl’airdeluifaireunnumérodecharme–manœuvrequ’ilréservaitd’habitudeàsesplusgrosannonceurs.ChaquefoisqueleriredeSuzieretentissait,Drewéprouvaitunedouleuraiguë,quelquepartdans
sapoitrine.Detouteévidence,elleétaitsouslecharmedeGareth–etdirequ’ilpensaitqu’elleavaittiréuntraitsurleshommes.Bêtement,iltapalenomdeGarethsurGooglepourvoirquelsrésultatssortaient,espérantdécouvrirqu’ilavaitété inculpédemeurtredans leKansas,etqu’ilavaitpris lafuitepouréchapperaucouloirdelamort.AlorsmêmequeDrewdéterraitlepassébrillantdeGarethàCambridge,unepaired’yeuxscintillantsseposèrentsurluidel’autrecôtédesonécran.
—Coucou,entonnaSuzie.Qu’est-cequetufaisplanquéici?Elleplongeasurlesiègeenfacedelui,avantdepoursuivre:—J’aiattenduquetuarrivestoutelamatinée.J’aitellementdetrucsàteraconter,c’estfou.—Je…J’avais justebesoind’êtreaucalmepourfinirça,bredouilla-t-il,enpointantdudoigt la
photo prise durant la remise des diplômes de Gareth sur le blog de ses parents, que fortheureusement,Suzienepouvaitpasvoir.—J’aibeaucouppluscroustillantàtemettresousladent,rétorqua-t-elleenrabattantl’écrandeson
ordinateur.Jeviensdedéjeuneravecnotrecherrédacteurenchef,Drew,etdevinequoi?Ilm’adore.—Ilquoi?s’exclamaDrew.C’étaitencorepirequecequ’ilcraignait.Depuiscombiendetempsceladurait?—Iltrouvequejesuislameilleurechoseaumondedepuisl’inventiondupaintranché,parceque
les revenuspublicitairesontdoublégrâceausuccèsdemanouvelle rubrique.Doublé,Drew.Tu terendscompte?Jesavaisquejerecevaisbeaucoupplusdelettresetd’e-mails,maisquiauraitcruquecelapuissearriver?Etdevinequoi?ajoutaSuzie, sansattendrede réponse.Apparemment,depuisquej’aiconseilléàcettefemmedebrûlerlespartiesintimesdesonmari,lesventesdechalumeauonttriplé.Unmagasindebricolageveutuneannonceenpleinepage.Dupurgénie.C’estcequeGarethadit.«Dugénie.»ElletenditlamainetterminalederniermorceaudebeignetqueDrewgardaitprécieusement.—C’estvraimentsuper,commentaDrew,soulagédeconstaterqueGarethetSuzien’entretenaient
pasuneliaisonpassionnée.— Attends un peu, reprit-elle en mâchant, ce n’est pas la chose la plus importante que j’aie à
t’annoncer.Drewsesentitdenouveautendu.Ilsétaientamoureux.MaintenantqueSuzieavaitsauvélejournalà
elleseule,Garethavaitcraquépourelle.—Hier,jesuisalléevoirCharlie.Bonsang!D’oùilsortait,celui-là?C’étaitqui,cefichuCharlie?—Tu sais, la femme d’Antony, expliqua-t-elle, percevant son expression confuse. Lameilleure
nouvelle,enfait,c’estqu’elleagrossi.Çam’afaittellementplaisir,situsavais.Elles’interrompitquandelleremarquaqu’ilavaittoujoursl’airaussiperplexe.—Untrucdefilles,ajouta-t-elle.Bref,devinequoi?—Quoi?marmonna-t-il.—Ilrecommence,répondit-elle,visiblementsurexcitée,avantdebaisserleton.Ilauneaventure.—Oh,monDieu,s’exclamaDrew,l’annoncedecettenouvellebalayantsesinquiétudespremières.— Et tu ne croiras jamais avec qui, lui souffla-t-elle dans le creux de l’oreille, au point qu’il
arrivaitàsentirsonsoufflesursajoue,relançantsaréflexion.
Chapitre16
ChèreSuzie,J’ai vingt-huit ans et j’ai récemment repris contact avecmon tout premier petit copain,Michael,parFacebook.Aprèsavoiréchangéquelquese-mails,nousnoussommesrevusetc’était comme au bon vieux temps. On s’entendait si bien, et cette fois, j’ai même pucoucher avec lui. Ilm’a dit qu’il ne voulait pas être en couple, parce qu’il venait de sebrûlerlesailesavecsadernièrepetiteamie,maisqu’ilpensaitpouvoirgérerune«amitiéaméliorée».Toutsepassaitbiencesderniersmois,maisvoilàqu’ilm’ademandésij’étaistoujoursencontactaveccertainesdesplus jolies fillesdu lycée,et si je seraisd’accordpour les emmener laprochaine foisqu’on se verrait. Jen’enaiaucuneenvie,parcequedans ce cas, nous ne pourrons pas coucher ensemble. Je ne crois pas qu’il s’en rendecompte.Pensez-vousquejedevraisleluifaireremarquer,oucelaseraittropdéplacé?
Bienàvous,Lisa
ChèreLisa,Parpitié,nemelancezpassurlesujetde«l’amitiéaméliorée».Autantporterautourducouunepancartedisant«Sexegratuit–Aucuncompteàrendre».Quantaufaitquevouslepreniezpourunami,çamesidère.Onn’appellepasçaunami,onappelleçaunclient.Ouvrezlesyeux,Lisa,ilprofitedevous,etilesttempsd’inverserlesrôles.Dites-luiquevousêtestoujoursencontactaveclapersonnelaplussplendidedulycéeetqu’ellemeurtd’enviedelerevoir.Ajoutezquevousdevrieztousvousretrouverchezlui,parcequecettepersonneaimevotreconcept«d’amitiéaméliorée»,etqu’elleestintéresséeparunplanàtrois.Arriveztôt,etdites-luiquevouspensezquevousdevriezmonterlechauffageetvousmettreensous-vêtementspourvousmettredansl’ambiance.Unefoisqu’ilseraencaleçon,et cinq minutes après l’heure à laquelle votre invité était censé arriver, prenez votretéléphone et vérifiez vosmessages. Annoncez àMichael queGary est à deuxminutes àpeine,etqu’iltrépigned’impatience.Précisez-luiquec’estunbonamiàvousetqu’iln’yastrictementrienàaméliorerchezlui.
Amusez-vousbien.Suzie
—Salepimbêchearriviste,grommelaJackieàSuzielorsqu’elless’installèrentsurunerangéede
chaises,aufinfonddelabibliothèqueKeeling.—Chut,ellepourraitt’entendre,chuchotaSuzieenretour.—Jem’enfiche,ditJackie,unpeuplusfortcettefois.Enfin,regarde-ladanssonpetittailleuren
polyester, si collet monté. On lui donnerait le bon Dieu sans confession. Non pas que je veuille
entendrecequ’elleaàconfesser,sielles’envoieeffectivementenl’airavecAntony.—Mercipourl’imagementale,Jackie.Antonyavait,pourainsidire,serviàSuziesonplandevengeancesurunplateau.Siçafonctionnait,
les retombées pourraient se révéler spectaculaires, même s’il avait fallu un peu de temps pourconvaincreCharliedejouersonrôle.PlusieursvisiteschezBen&Jerry’sauTraffordCentreavaientéténécessaires,letempsdecomploterensecret,toutenengloutissantd’énormesquantitésdecrèmeglacéeenquêted’inspiration.Charliesemblaitàprésentcomplètementenphaseaveclaphilosophiede «Chère Suzie », quant à la façon de traiter les hommes infidèles.À cet instant, cela dit, alorsqu’elle était assise, attendant son tour de revoirAntony pour la première fois en presque dix ansdurantsaséancedeconsultationavecsesélecteurs,Suziecommençaitàdouter.—Lavoilà,repritJackie,endonnantuncoupdanslescôtesàSuzie.Troy,tuesprêtavectasucette,
monchou?Assure-toidelacollersurlajoliejupedeladame,d’accord?Tandisqu’ilsapprochaientdelajeunefemmeentailleurbleumarine,Troyleuradressaungrand
sourire.— Bonjour, mesdames, je suis Megan, les accueillit la femme, atrocement propre sur elle et
rayonnante.Quelbeaubébé,s’épancha-t-elle,sepenchantpourcaresserlajouedeTroy.Sentantdelanourriturepotentielle,cedernierattrapasondoigtet lefourradanssabouchepour
croquerdedansàpleinesdents.—Ooh,gémit-elle,souslecoupdelasurprise.—Non,Troy,grondaJackie.Tunesaispasoùçaatraîné.MeganetJackieéchangèrentdesregardsnoirs,notanttoutesdeuxquecetteentrevueavaitpeude
chancesdedonnernaissanceàunerelationfructueuse.Megantoussa,ajustaseslunettesinvisibles,etrivalesyeuxsursonbloc-notes.—Pourl’instant,Antonyvientjustederecevoirunautreélecteur,maissivouspouvezmedonner
de plus amples informations sur ce dont vous souhaitez vous entretenir avec lui, cela nous feragagnerdutempsparlasuite,dit-elleenlevantlesyeux,unsouriredédaigneuxauxlèvres.— Donc vous êtes un peu comme l’elfe avant qu’on ait le droit de rencontrer le père Noël ?
demandaJackie.Meganluijetaunregardassassinavantd’éclaterderire.—Oh,oui,trèsamusant.Enfait,jesuisstagiaire,expliqua-t-elleengratifiantJackied’unsourire
faux.—Ehbien,c’estunplaisirdevousrencontrer,Monica,rétorquaJackie,enluirendantlapareille.—Enfait,c’estMegan.Son sourire hypocrite s’effaça, et sous son col blanc rigide, taillé comme celui d’un uniforme
scolaire,sapeaucommençaàrosir.—Sivousledites,répliquaJackie.Suzieneputréprimerunsourire.—Bon,poursuivitMegan, reprenant sesmoyens.Puis-jem’assurerquevousvivezbiendans la
circonscriptiond’Antony?Pouvez-vousmedireoùvoushabitez?—DanscelledeFairlawns,chérie.—Parfait,répondit-elleenhochantlatête.—Jesais,jesuisungénie,lanarguaJackie.Jeconnaismonadresse.— Et à quel sujet souhaitez-vous vous entretenir avec votre député ? interrogea Megan,
commençantàparaîtreagacée.— Je souhaiterais soulever le problème du cruel manque d’installations pour allaiter dans le
secteur,expliquaJackie.SimonTroysemetàavoirsoifpendantquenoussommesdanslesparages,jen’aisouventaucuneautreoptionquedetoutdéballerenpublic.C’estunscandale,vouspouvezmecroire.—Euh,oui,jesupposequecedoitêtreparticulièrementinconfortablepourvous.—Toutàfait.Cen’estpastâchefaciled’êtrediscrèteavecdesenginspareils.MeganfutincapablederésisteràsafurieuseenviedefixerleregardsurlapoitrinedeJackie.—Vousvoyezcequejeveuxdire?lapressaJackie.—Oui,euh,non,euh…,balbutiaMegan.—Bref, jeme disais que ce serait une excellente façon d’utiliser l’argent des contribuables de
mettreenplacedesinstallationspourlesfemmesquiontbesoindenourrirleurpetit.—Oui,oui,biensûr.Etavez-vousdespropositionsàfairequantauxendroitsoùceséquipements
devraientêtreinstallés?C’esttoujoursd’ungrandsecoursdeveniravecunesolutionplutôtqu’avecunproblème.C’estcequ’Antony…euh,M.Barwooddittoujours.—JepenseàlasallefumeursduWhiteHart,quinepeutplusêtreutiliséeàceteffet,doncpeut-être
qu’elle pourrait servir pour l’allaitement, répondit Jackie.Pratiqued’avoir des rafraîchissements àportéedemain,voussavez.Onnepeutpassepermettred’êtredéshydratéequandondonnelesein.MegantournalesyeuxversSuzie,cherchantàsevoirconfirmerquelesproposdeJackieétaient
ridicules,commeellelesoupçonnaitfortement.—Quelleidéedegénie,Jacks,acquiesçaSuzie.Etdevinequoi?Onvientjusted’yréinstallerPac-
Man.—C’estpasvrai?—Si.—C’estpasgénial?s’exclamaJackie,àl’intentiondeMegan.Queldonàlacommunauté,quela
sallefumeursduWhiteHartdevienneunhavredepaixpourtouteslesfemmesquiallaitent.JepensequevotreAntonyvaadorercetteidée,pasvous?Megan les dévisageait toujours toutes les deux quand la porte menant à la pièce derrière elle
s’ouvrit,etqu’unhommemunid’unecanneensortit.—Bonne journée,ma chère, lança-t-il en levant légèrement son chapeau de feutre pour saluer
Megan.Ilesttoutàvous,ajouta-t-il,unlargesourireauxlèvres.—Euh,ceneserapaslong,marmonnaMegan.Elles’engouffraparlaporteouverteetpritbiensoindelarefermerderrièreelle.—Commentj’étais?questionnaJackie.—Tuasétébrillante,luiditSuzie.J’espèrejustequ’ilnevapasflairerl’entourloupeetrefuserde
nousrecevoir,sinonleplantombeàl’eau.—Ilvanousrecevoir,iln’apaslechoix;c’estmondéputé.—Hmmm,j’espère,repritSuzie,ensemâchouillantlesongles.—Çava?s’enquitsonamie.—Jemesensjusteunpeubizarre,c’esttout.Tusais,jenel’aipasvudepuisdesannées.Jenesais
pastropqueleffetçavamefaire.—Souviens-toiseulementquitues,etpourquoituesici.C’esttoiquimèneslejeu,tuterappelles?
C’estcequetunecessesderépéteràteslectrices.Aufait,j’adoreleschocolatsgratuitsquej’aireçusensouscrivantàtanewslettersurlesite.—Tulesasreçus?demandaSuzie,aucombledel’enthousiasme.Jen’arrivepasàcroirequ’onait
déjà trouvé un sponsor. On n’a mis le site en ligne que la semaine dernière. Apparemment, unecliniquespécialiséedanslesMSTvadevenirnotresponsorprincipallemoisprochain.
—Etqu’est-cequejevaisrecevoirpourça?Unéchantillongratuitdechaude-pisse?Au même instant, la porte se rouvrit et Megan apparut, quelque peu rougissante, comme le
remarquaSuzie.Antonyétaitvraimentuneordure.—Ilvavousrecevoirmaintenant,annonçaMeganàl’intentiondeJackie.—Désolée, chérie. Une petite urgence vient de tomber, et je dois y aller. Troy a besoin d’être
allaité,àlavérité.Maisvulecruelmanqued’équipements,jevaisêtrecontraintedem’exhiberdanslasalled’ouvragesderéférence,expliqua-t-elleàpleinevoix,poursefaireentendreduplusgrandnombred’habitantsduGrandManchester.Celadit,mabonneamieSuzieiciprésentevaexposermonproblèmeàM.ledéputé.Allez,salut.Raviedevousavoirrencontrée,Monica.—C’estMegan,rétorquacelle-cisuruntonsec.—Commevouslesentez,chérie,répliquaJackieenpartantentrombeavecTroysouslebras,qui
sedébattaitenhurlant.La jeune stagiaire afficha un sourire forcé et semit sur le côté pour ouvrir le passage àSuzie,
avantdefermerlaportederrièreelle.Lorsque Suzie entra, Antony avait les yeux baissés, affairé à écrire quelque chose sur un
formulaire.Elleremarquaunelégèrecalvitieausommetdesatête,etsentitinstantanémentunsursautdeconfianceenelle.— Venez vous asseoir, lança-t-il sans lever le regard. Ce ne sera pas long, madame, euh,
madame…Ilexaminaitférocementleformulaire.—MmeMiller,enfait.SuzieMiller.—Quoi?s’exclamaAntonyenrelevantbrusquementlatête.Suzie,qu’est-cequetufaisici?Elleseretrouvabouchebée.ElleétaitbientropoccupéeàvoirsarelationavecAntonyluidéfiler
devant les yeux, car le seul fait d’apercevoir son visage lui rappelait un million de souvenirs,ensevelis jusque-làdanslestréfondsdesonesprit.Premiersbaisers,dernièresdanses,pique-niquesenété,baladesenhiver,dînersdehors,petitsdéjeunersaulit,grandescélébrations,tendresélansdecompassion:toutrepassaitdanssatêteenaccéléré.Iln’avaitpaschangé,endehorsdufaitqu’ilétaitdevenudéputé.Sa chemise était caractéristiqued’unhommebarbant entredeuxâges.Sonnœuddecravate était bien serré en haut, au lieu d’un peu lâche commepar le passé, et la naissance de sescheveuxreculaitpourrejoindresacalvitienaissante.Maisàpartça,c’étaitexactementlemême.Oh,etilportaitunealliance.C’étaitnouveau,çaaussi,parrapportàladernièrefoisoùellel’avaitvu.—Suzie,répéta-t-il.Alors…commentvas-tu?Quellesurprise.Iltapotaitnerveusementsurlatableavecunstylo.—Ehbien…jevaisbien,mentit-elle.Lemagnétoscopedanssatêtevenaitd’atteindrelafindeleurrelation,etcommençaitàrejouerle
moment où elle avait surpris Antony dans leur lit avec Charlie. Elle arrivait à revoir ses fessesblanchesfairedesva-et-vient,etellesesouvintdes’êtrefaitlaréflexionqu’ellenel’avaitjamaisvusouscetangleauparavant.Antonydétourna lesyeux, incapabledesoutenir son regard,etentrepritde rangernerveusement
destrombonesdansunsecrétaireenplastiquebleu.Enfin,vuqu’ellen’ouvraitpaslabouche,illevalesyeuxetfronçalessourcils.Illajaugeadelatêteauxpieds.—Tuasl’airenpleineforme,finit-ilpardire.Elle avait fait de sonmieux pour ne pas s’habiller pour l’occasion. Ellemourait d’envie de se
moqueréperdumentdecequ’Antonyallaitpenserd’elle,maissafiertél’avaitemporté,etelleavaitsorti de son placard son plus beau tailleur, associé à des talons hauts sexy, qui lui avaient paru
nécessairespourstimulersaconfianceenelle.Commeilétaittoutaussinécessaire,d’ailleurs,desemettredanslapeaud’unejournalistedehautvoletd’incarnerunbelexemplederéussite.Cejour-là,elle n’était pas SuzieMiller, rédactrice du courrier du cœur pour leHerald. Ce jour-là, elle étaitKateAdie,legiletpare-ballesenmoins,enpleineenquêtepourfaireéclaterlavérité.DeplusenplusnerveuselorsqueAntonycontinuaàladétaillerdelatêteauxpieds,ellesedemandacequeKateferaitensuite.Nepas avaler ses salades, etpasser à l’attaque.Faire commesi lemondeétait à sespieds.Ignorer la bataille, et se concentrer sur les faits.KateAdie était l’idole deSuzie dans sa jeunesse.Certes,ellen’étaitpasalléejusqu’auxchampsdebatailleauMoyen-Orient,maisdetouteévidence,lasphèreducoupleétaitl’arènedanslaquelleelleétaitdestinéeàmenersoncombatpourlavérité.Elles’assitsurunechaiseenplastiquefaceaubureaud’Antonyetsortitsonbloc-notesdesonsac.
Préparantsonstylo,elleleregardadroitdanslesyeuxetposasapremièrequestion.— Antony Barwood, j’ai des raisons de penser que vous avez une liaison. Souhaitez-vous
confirmermesdires?Dugrandn’importequoi.Kateneposeraitjamaisunequestionaussifermée–qu’est-cequiluiétait
passéparlatête?—Qu’est-ceque…Iljetasonstylosurlebureau,dispersantdestrombonesdanstouslescoins.—Qu’est-cequetufous?Pourquituteprendspourveniricietmeposerunequestionpareille?—Antony, je suis reporter pour leManchesterHerald. J’ai la preuve que tu as une liaison et
j’aimeraisrecueillirtesimpressions…s’ilteplaît?ajouta-t-elle.Bonsang!Katenediraitjamais«s’ilteplaît».—Suzie,j’ignorecequetufichesici,maisjepensequetuferaismieuxdepartir.Personnen’entre
icipourm’accuserd’avoiruneaventure.—Moi,si,rétorqua-t-elleàvoixbasse.—Ohquenon.Jen’aipasdefichueaventure.Maintenant,dehors,lasomma-t-ilenselevantdesa
chaise.Suzieécrivitcalmementdanssoncalepin,toutenréfléchissantàsaprochaineoffensive.—Qu’est-cequetuécris?hurla-t-il,encontournantlebureaupours’approcherd’elle.—« Je n’ai pas de fichue aventure », a déclaré le député deWestKeeling, répondit Suzie sans
cesserdenoter.— Donne-moi ça, gronda-t-il en lui arrachant le bloc-notes des mains pour le balancer sur le
bureau.Jet’interdisdeveniriciaveccesmensongeséhontés.Dequois’agit-ilvraiment?D’unesortedevengeancebizarrepourcequinousestarrivé?Aprèsquoi,presquedixans?Tuescinglée,voilàcequetues!Vadoncfaireunethérapieetneremetsplusjamaislespiedsici.—Jesuisdéjàunethérapie,rétorquaSuzie,toujoursbienassisesursachaise.Antony,encheminpourallerouvrirlaporte,s’interrompit.—Bien,bien,répliqua-t-ilpluscalmement, lapeurse lisantclairementsursonvisage.C’estune
très bonne chose, Suzie. Maintenant, va-t’en. Je suis certain que ton psychiatre te déconseilleraitfortementdetetrouvericimaintenant,pasvrai?—Ohsi,bienaucontraire,répondit-ellesuruntonenjoué.Cette thérapieestautoadministrée,et
mefaitvraimentunbienfou.—«Autoadministrée»?laquestionna-t-il.Qu’est-cequec’estcensévouloirdire?—Ehbien,tuasparfaitementraison.C’estunevengeance.Tuestoujoursunvraipetitmalin,hein?Ellerepéradestachessombrespointantsoussesaisselles.—Unevengeance?répéta-t-il,endéglutissantàgrand-peine.
—Oui.—Pourlafaçondontnousavonsrompu?—Oui.—Maisc’étaitilyadixans,plaida-t-il,levantlesmainsenl’airpourmanifestersonexaspération.—Oh,jelesaisbien.Mais,tuvois,tunem’aspasdonnél’occasiond’agiràl’époque,doncjele
faismaintenant.—Enm’accusantd’avoiruneliaison?Tuplaisantes,j’espère.J’aiépouséCharlotte,tun’espasau
courant?Jenetromperaisjamaismafemme.—Ellecroitpourtantquec’estlecas,rétorquacalmementSuzie.—Quoi?s’écriaAntony.—Quetulatrompes.—TuasvuCharlotte?Qu’est-cequisepasseàlafin?Jevaisfaireappelerlasécurité.Ilfitunenouvelletentativeverslaporte.— Pourquoi ne pas poser la question à Megan ? demanda Suzie, en examinant ses ongles
nonchalamment.Jesuiscertainequ’elleseraitraviederendreservicedanstouslescas.Antonysefigeadevantlaporteàpeineentrouverte.—Qu’est-cequec’estcensévouloirdire?— Seulement qu’elle a l’air d’une jeune fille très serviable, voilà tout. Tu dois être vraiment
enchantédel’avoiràdispositionpoursubveniràtesmoindresbesoins.Antonyrefermalaporte—Jen’aipasdeliaison,répéta-t-il,lesdentsserrées.—SionposaitlaquestionàMlleLewinsky,àcôté?répliquaSuzie.Elle crut qu’Antony allait exploser juste devant elle, avant qu’il ne parvienne à se calmer
suffisammentpourrépondre.—Tun’asaucunepreuve,maintenantsorsdemonbureau!Ilouvritlaporteàlavoléeetfitunpasdecôtépourlalaisserpasser.—Excusez-moi, lança soudain une voix haut perchée, suivie dumouvement de balancier de la
queue-de-chevalimpeccablequitrônaitsurlatêtedeMegan.—Navréedevousimportuner,Antony,maislemaireatéléphoné,etvoudraitquevouslerappeliez
detouteurgence,lepressaMegan.EllesetournaversSuziepourluiadresserunsourireenguised’excuses.—Suzie…euh,MmeMillerallaitjustementpartir,déclaraAntony.Flûte.Quefaireàprésent?Suziesavaitqu’Antonyavaitraison.Ellen’avaitpaslamoindrepreuve.
Tout ce qu’elle avait, c’étaient les soupçonsdeCharlie – et enmatière d’adultère, les soupçons serévélaientsouventfondés.—KateAdie,KateAdie,KateAdie,marmonna-t-elledanssabarbe.Doncc’estvousquicouchez
avecAntony?balança-t-elleàMegan.Lesilencesefit, tandisquetoutlemondeseremettaitduchoc,àlasuitedel’annoncedesfaitsà
voixhaute.LamaindeMeganvolajusqu’àsabouche,etelleregardalevisagehorrifiéd’Antony.Leslèvres
decelui-ciremuaientmaisaucunmotn’ensortait.— Je suis une vieille amie et nous avons eu une bonne conversation, reprit Suzie, en souriant
àAntony.—Maisjecroyaisquenousnedevionsenparleràpersonne,intervintMegan.Jecroyaisquenous
devionsattendrelaréélection.
—«Nous» ? s’exclamaSuzie, incapablede contenir sa colère.Vousvousprenezdéjàpourun«nous»?Vousavezcouchéensemblequelquesfoisdansledosdesafemme.Çanevousdonnepasledroitdedire«nous».AntonyempoignaMeganparlebrasetlatraînadanslapièce,claquantlaportederrièreelle.—Tais-toi,siffla-t-il.C’estunejournalisteetunemaladementale,donclaisse-moiparler.Megan,prenantconsciencedelasituation,chancela.—Oh,Seigneur,répétait-elle,encoreetencore,tandisqu’Antonysedressaitduhautdesonmètre
soixante-dixetsemesuraitàSuzie.—C’esttaparolecontrelamienne,dit-il.Personnenetiendracomptedetonseultémoignage.Suziesetapalefrontpourfeindrelasurprise.—Tu as raison, répliqua-t-elle. Bien sûr que tu as raison. Ta parole contre lamienne. En fait,
techniquement,ceseralaparoledeMegan,poursuivit-elleensortantunDictaphonedesapoche.EllelaissaletempsàAntonydeleremarquerunbrefinstantavantdeleglisserdenouveaudanssa
veste,lamainposéedessuspourleprotéger.—Commentoses-tu!explosa-t-il.Donne-moiça.—Non, rétorqua-t-elle, avançant jusqu’àceque sonvisage se retrouveàquelquescentimètresà
peinedusien.Sais-tucequejetiensdansmamain?Tonavenir.Surcetteminusculepetitemachinesetrouvetonavenir,etilestentremesmains.Toutcommelemienétaitdanslestiennes,ilyatoutescesannées. Tu m’avais dit que nous en avions un. Je comptais sur cet avenir, et tu me l’as enlevé.Aujourd’huijepeuxterendrelapareille.Alors,qu’est-cequeçafait,Antony?Àprésent,lalèvreinférieured’Antonytremblait,etladésagréableodeurdesatranspiration–ou
peut-êtredesapeur–montaitauxnarinesdeSuzie.Elletintbon,soutenantsonregard,ignorantlesjérémiadesdeMegan,quelquepartderrièrelui.—D’accord, tu t’esbien amusée, déclara lentementAntony. Je suis désolépour ceque j’ai fait,
sincèrement.Maisdisonsqu’onestquittesmaintenant,d’accord?Tumedonnescetruc,ettupourrasdormirsurtesdeuxoreillesentedisantquetuaseutavengeance.—Tuveuxrécupérertonavenir,hein?interrogeaSuzie.—Oui.Commejel’aidit,jesuisdésolé.Donne-le-moi,s’ilteplaît,implora-t-il.—Non,répondit-ellebrutalement.Tunepeuxpasl’avoir,parcequejedoisleremettreàquelqu’un
d’autre.Blottiedansuncoin,Megansanglotait,safaçadeimpeccabledésormaisréduiteànéant.—Non,Suzie, je t’enprie, tunepeuxpasfaireça.Jeferai toutcequetuveux.Tusaisquesi tu
l’imprimes,jesuisfini.Suzieledévisageaunlongmoment,sedemandantcequ’elleavaitbienpuvoirenlui.— J’aurais dûme douter que ta précieuse petite carrière serait ton souci premier, finit-elle par
cracher.Qu’enest-ildetafemme,Antony?Ilneréponditpas.Megansetutd’unseulcoup.—Tuasraison,jemesuisbienamusée,repritSuzie.Jen’aipasbesoind’allerplusloin.—Oh,Suzie,merci,répliquaAntony,visiblementsoulagé.Tuneleregretteraspas,promis.IltenditlamainpouratteindreleDictaphone.—Passivite,rétorquaSuzie,enreculantd’unpas.Jemesuisbienamusée.Maismaintenant,c’est
autourdeCharlie.C’estellequivarécupérerceci,ajouta-t-elleenfaisantunetapesursapoche.Jepensequecedevraitêtreàelledetranchersurtonavenir,pastoi?Elle se tourna et quitta la pièce avant que Megan n’ait le temps de se remettre à pleurer, et
qu’Antonynes’effondresurlesolpourenfairedemême.
Chapitre17
ChèreSuzie,J’approchedemesquaranteansàgrandspas,etj’aicruquej’avaisgâchémachancedetrouverl’amour,maistoutachangéquandj’airencontrél’hommeidéalilyasixmois.Ondirait un rêve devenu réalité. On s’entend comme larrons en foire, et le sexe est toutbonnement incroyable.Seuleunechoses’interposepourqu’onviveheureuxà jamais.Safemme.Ilneveutpaslaquitterparcequ’ilprétendqueceladétruiralaviedesonépouse,mais je ne veux pas passer le reste de la mienne à ne pouvoir que grappiller quelquesheurespar-cipar-làavecl’hommequej’aime.Jeveuxseulementqu’onsecomportecommeuncouplenormal.Me réveillerdans sesbras, sortir et faire les coursesavec lui.Est-cetropdemander?Bienàvous,KatherineChèreKatherine,Oui,c’esttropdemander.Donnez-moiuneseulebonneraisonpourlaquelleiljetteraitauxortiesvotre relationconsistantendu sexe sansengagement.Est-ceattrayantpour luidepasserdesheuresàbabillertoutendépensantunefortunedansunrestaurantchic?Veut-ilvraimentvoustenirdanssesbrastoutelanuit,alorsqu’ilpeutarriveràsesfins,selever,rentrerchezlui,etfaireunebonnenuitdesommeildanssonlit?A-t-ilréellementenviededébattre avec vous de quelle marque de gel W.-C. acheter ? Non. Cet arrangement estparfaitpourlui,parcequ’iladesrapportssexuelsavecvous,cequiluipermetdenepasaffronterlefaitque,detouteévidence,sonmariageaunproblèmemajeurqu’ildoitrégler.Doncjevoussommeàvous,ainsiqu’àtoutescellesquiseretrouventactuellementàjouerle rôle de « l’autre femme » d’arrêter immédiatement. Je proclame donc la journée devendrediprochaincommeétantofficiellementcelledelarevanchefaçonLiaisonfatale.Jevous demande à toutes de célébrer votre libération d’une relation compromettante, enenvoyant à votre homme infidèle un lapin en peluche accompagné d’un petit motl’avertissant que, la prochaine fois, ce sera un vrai, s’il ne vous fiche pas la paix et necommencepasàjouerfranc-jeuavecsonépouse.
Courage,Suzie
—Deslapins?marmonnaDrewderrièresonécharpe,alorsqu’illuttaitcontrel’airglacialdece
matindedécembre.—Pasbesoindemefaireremarqueràquelpointc’estunebonneidée,réponditSuzie,observant
autour d’elle la flopée de journalistes amassés devant le portail de la résidence de Manchester
d’AntonyBarwood.Elle s’autorisa un sourire en coin. La journée « Liaison fatale » était une bonne idée, mais sa
vengeancecontreAntonyétaitunvraicoupdegénie.Elle jetauncoupd’œilà son téléphonepourvoirsiCharlieluiavaitenvoyéunmessage.Rien.Autantespérerquecesoitbonsigne.—Bon,tuvasm’expliquercequisepasseici?demandaDrew.Jenepigetoujourspaspourquoitu
asrenoncéauxaveuxd’Antony,poursuivit-ilenbaissantd’untonpouréviterqu’onnel’entende.As-tupenséàceque tuauraispuen faire?Onparledepasseràcôtéd’unscoopetd’unevengeance.Qu’est-cequit’apris?—Tuverrasbien,murmura-t-elletoutenregardantlaported’entrées’ouvrirsurAntony,faisant
desonmieuxpouravoirl’aird’undéputéquelconqueundimanche,vêtud’unjeanmaltailléetd’unmanteau de ski qui n’avait visiblement jamais approché d’une piste. Charlie apparut derrière lui,accoutréed’unimperméablenoirtroplargeetdelunettesdesoleil.—Oh,mauvaischoix,grimaçaSuzie.Ondiraitqu’elleporteunehoussepourbarbecue. Jevois
déjàlesgrostitresd’ici:«Lafemmedudéputésurlegril».—Sonlookestsansdoute lecadetdesessoucispour l’instant, fit remarquerDrew.Elledoiten
avoirgrossurlapatate.—Mais je lui ai conseillé d’être glamour, grommela Suzie, en tapant du pied par terre. Flûte,
pourquoin’a-t-ellepasécoutéuntraîtremotdecequejeluiaidit?Antony et Charlie avaient presque atteint le portail. Ils se tenaient la main, mais marchaient en
silence.Antonyarboraituneminemorosemaisrésignée.L’expressiondeCharlie,quantàelle,étaitimpossibleàdécrypter,àcausedeslunettesdesoleil.Suzieespéraitqu’ellesnedissimulaientpasdesyeuxrouges.Elleluiavaitconseillédeparaîtreenjouéeetoptimiste,pasdedonnerl’impressiondeserendreàunenterrementunjourdedéluge.Antonys’arrêtajustederrièreleportail,auboutdel’alléebordéed’arbres,etadressaunsignede
têteà lavingtainedejournalistesetdephotographesamassésdel’autrecôté,mandatéspar touslesplusgrandsjournauxnationaux.Ilmitlamaindanssavesteetensortitunefeuilledepapier,avantdes’éclaircirlavoixetdeserrerlamaindeCharlie.—Mercid’êtrevenus,commença-t-ilsuruntonsolennel.Jemetiensicidevantvousaujourd’hui
aunomdel’honnêtetéetdelatransparence,qualitésqu’àmonavisvousattendezd’undéputé.Etentantquetel,jemedoisdevousavouerquej’aicommisunefautetrèsgrave.Récemment,j’aieuunerelationinappropriéeavecunefemmeautrequemonépouse.Cetterelationestmaintenantterminée.J’ai eu l’occasion d’être honnête avec Charlotte, et de lui exprimer mes profonds regrets pourl’erreurquej’aicommise.Illevaleregardverssafemmeethochalatêted’unairgrave,avantdereprendresondiscours:—Entantqueserviteurpublic,jemedoismaintenantdefairepreuvedelamêmehonnêtetéenvers
mesélecteursetlemerveilleuxpeuplebritannique.Jeprendsconsciencequej’ailaissétombertoutlemondeetjen’auraidecessedem’enexcuser.Jenepeuxvousdécrireàquelpointcelamepeinedemeteniriciaujourd’huienayantàfairecettedéclaration.J’aidévouémonexistenceentièreàêtreunserviteurpublic,etjen’aijamaisenvisagéqu’unechosepareillearriverait.Monintentionatoujoursétédeservirlesautrespourfaireunedifférencedansleurvie.Il s’interrompit un instant et leva les yeux de son discours. Les flashs s’enflammèrent aussitôt,
faisantbaignerl’étrangecoupledansunelueurfluorescente.Cequiressemblaitàunmilliondevoixfendit soudain l’air, tandis que les vautours impatients tentaient leur chance pour prendre part aumassacre.—SimonAndrews,pourleMirror.Quiétaitdonccetteveinarde,Tony?
—RichardBartholomew,duTelegraph.Comptez-vousdémissionner?—PhilipBarker,duSun.Maintenantquevousavezrejoint leclubdesdéputésdonJuan,va-t-on
vous voir dans le magazineHello ! en compagnie de femmes d’une vingtaine d’années à moitiénues?Antony,accabléparlalumièredesflashs,clignadesyeuxunmoment,visiblementsurpris,avantde
parveniràrecouvrerunecontenance.Ilpoursuivitsondiscours,sansseréféreràsafeuille.—J’aiétémomentanémentdistrait,etj’aifaitpreuved’unefaiblessedontjenesuispasfier.Mais
commejel’aidit,jesuisdevenuunserviteurpublicpourfaireunedifférencedanslaviedesgens,etaveclesoutiendemonépouse,j’espèrecontinuerainsipendanttrèslongtemps.Antonypointaitmaintenantdudoigtunedescamérasdetélévisionpours’adresserdirectementau
publicentraindeleregarderdechezlui.—IlseprendpourBillClinton,fitremarquerSuzie,horrifiée,àDrew.Cegestedudoigt.Ilespère
faireunepirouetteàlaClintonets’entirerindemne.Elle balaya du regard la foule, silencieuse à présent, comme suspendue à chacun de ses mots.
Incapabled’encroiresesyeux,elleseconcentradenouveausurAntony.—Regarde-le,poursuivit-elle,sanschercheràs’adresseràquiquecesoitenparticulier.Ilpense
queçapourraitfaireavancersacarrière.Fairelauneavecunscandalesexuellerendracélèbre,aulieuderesterunbanaldéputédontpersonnen’ajamaisentenduparler.ElleobservaCharlie,quiavaitlesyeuxrivéssurlesol.—Oh,allez,Charlie,reprit-elle.Àquoitujoues,bonsang?Cen’estpascensésepassercomme
ça.—De quoi tu parles ? chuchotaDrew, tout en griffonnant furieusement dans son calepin, pour
essayerd’yretranscrirel’allocutionmotpourmot.—C’estjustequ’elleestlà.Àsescôtés.Cequiestprécisémentcequ’elleavaitpromisdenepas
faire. Je lui ai dit que je lui apporterais la preuve, et qu’ensuite, elle devrait semontrer digne, etcertainement pas faire bloc avec son époux, etmettre fin à cettemascarade pour de bon. Qu’ellelibérerait toutes les femmes sur cetteplanète en faisant cequ’il fallait et enpartant.Aucunhommen’accepterait de subir une humiliation pareille. Pour l’amour du ciel, les suffragettes vont seretourner dans leur tombe. Elles n’ont pas combattu pour le droit de vote, pour que des femmeslaissentdesdéputéss’entirerensautantsurtoutcequibouge.Drewlevaleregarddesongribouillage.—Donctuaspasséunaccordstipulantquetuobtiendraisdespreuvessi,parlasuite,ellehumiliait
Antonypubliquementpendantsondiscourslarmoyant,auportaildesonjardin?L’avenird’Antonyen lambeaux, mission accomplie. Mais en attendant, elle ressemble plutôt à une parfaiteTammyWynette.—Ondiraitbien.Suziebaissalesyeuxsurletrottoir,sedemandantsielleneferaitpasmieuxdepartir,plutôtquede
voirsedéroulerpluslongtempscettescènetragique.Àprésent,Antonyrépondaitcalmementàtouteslesquestionsdesjournalistes,avecuneexpression
relativement soulagée sur le visage. Suzie ne put s’empêcher d’admettre qu’il s’en était bien tiré,mêmesiellesupposaitqu’ilavaitétécoachéàfoisonparlesmeilleursconseillersencommunication.Ilrépétaitsanscesselesmots-cléssurlesquelsonluiavaitvisiblementconseillédemettrel’accent:«erreur»,«honnêteté»,«serviteurpublic».C’était intolérablepourSuzie.Charlieavait toujourslesyeuxrivéssurlesol, ignoranttoutesles
questionsquifusaientdanssadirection,tandisqu’Antonyprenaitledevantdelascèneetsaisissaitson
momentsouslesprojecteurs.Suzien’arrivaitpasàsesortirTammyWynettede la tête.Son tubeStandbyyourman résonnait
inlassablement à ses oreilles. Il fallait qu’elle fasse quelque chose. Aux grands maux, les grandsremèdes.Ellejouadescoudes,etparvintàsefrayeruncheminjusqu’auportail,àquelquesmètresàpeinedeCharlie.Ellel’appelaparsonprénom,maiscelle-cirefusaitobstinémentdeleverlesyeux.Enréalité,ellesemblaitmêmereculerpeuàpeu,commesielles’efforçaitdedétournerAntonydesonpubliccaptivé.Suzieinspiraprofondément,etdécrétaqu’iln’yavaitqu’uneoption.Illuifaudraitsetournervers
laseulepersonnedontlesmotspouvaientpeut-êtreatteindreCharlieàcetinstantprécis.Lesmotsdequelqu’unparquiCharlieétaitobsédéedans lesannéesquatre-vingt-dix,quandellesétaientencoreamies.Lesmotsduseuletunique…GaryBarlow.Ainsi, lorsdecette froide journéed’hiver,entouréepar lacrèmedes journalistes,Suziepritune
profondeinspiration,etentonnalesparolesdePromises,écritparcegrandhommeenpersonne.CharlielevalesyeuxversSuziedèsledeuxièmevers,tantlesmotsdesonmembrebien-aimédes
TakeThatluiétaientfamiliers.Suziepoursuivitàgrand-peine,s’efforçantdesesouvenirdesparoles.Unpar un, les journalistes amassés autour se tournaient pour observer la scène.Quelques instantsplustard,Antonylarepéra,lorsquelafouleentièresetut,sedemandantcequipouvaitbiensepasser.Uneexpressiondepaniqueabsoluetraversasonvisage,soulagéquelquesinstantsplustôt,etilsemitàjeterdescoupsd’œilnerveuxàCharlie.—Ehbien,mercid’êtrevenus,dit-iltandisqueSuziereprenaitsonsouffleàlafindurefrain.Voici
quiconclutlaconférencedepresse.Jevousdemanderaimaintenantdenouslaisser,àmonépouseetmoi-même,unpeud’intimitépourreconstruirenotremariage.Ilsetournapourpartir,maisCharliedemeuraclouéesurplace,leregardtoujoursfixésurSuzie.Allez.Dernièrechance.Elleserelançadans lerefrain,enremplaçant lesmotspar lessienspour
quesonpropostapeenpleindanslemille.—«Ilfaitlepaon,çasevoitd’ici,il tentedesemoquerdeCharlie»,chanta-t-elleenregardant
l’intéresséedroitdanslesyeux,espérantqu’elleréponde.—C’estquoi,cettechanson?interrogeaunhommeàcôtédeSuzie.—LedeuxièmetitredesTakeThat,Promises.Iln’estarrivéquetrente-huitièmedanslehit-parade,
c’est peut-être pour ça que vous ne le reconnaissez pas, expliqua-t-elle du bout des lèvres, enregardanttoujoursCharlielesyeuxpleinsd’espoir.Charlie lui rendit son regard, avantde se tournerpour jauger la fouledéchaînéede journalistes
chevronnés,quin’avaientapparemmentjamaisassistéàunescèneaussiétrangedetouteleurcarrière.—J’aiuneannonceàfaire,déclara-t-ellecalmement.—Parlezplusfort,machère,hurlaquelqu’undanslefond.—C’est bon, Charlotte, tu n’as pas à dire quoi que ce soit. Rentrons, d’accord ? l’interrompit
Antony,laminetrèscontrariée,enlatirantparlamain.—Vas-tutetaireunesecondeetmelaisserparler?rétorquaCharlie,arrachantsamaindelasienne
etsortantdelapochedesonmanteauunefeuilledepapierrouléeenboule.Elleladéplialentementdevantl’assistancedevenuemuette.—Jenepensaispasenêtrecapable,maisquelqu’unvientdemerappeleràl’instantpourquoiille
faut.EllelevalesyeuxetfitunpetitsourireàSuzie,avantd’ôterseslunettesdesoleil,etdesetourner
pourfairefaceàunecaméradetélévisionsurpied.—Voilàcequej’aiàdireàmonépoux,reprit-elle,enregardantdroitdevantelle.C’estuneordure.
Après quelques instants de silence choqué, les journalistes devinrent fous furieux, bombardantCharliedequestionspourqu’elledétaillesonannonce.Aprèsavoirattendupatiemmentqueletapagecesse,ellepoursuivit:—Jen’ai riendeplusàdireà sonsujet, et c’est toutcequevousavezbesoind’écrire. Jevous
demandedenepasluidonnerlasatisfactionderédigerdespagesetdespages,ensurveillantdeprèssa carrière ainsique lemoindrede ses faits etgestes. Il n’envautpas lapeine.C’estundéputédesecondezone,quiseraitincapabled’organiserunpotdedépartenretraite.Doncignorez-leetespérezqu’ilsortedescène,pourlebiendetous.LafouleécoutaitattentivementchaquemotdeCharlie, tandisqu’Antony,souslechoc,demeurait
figé,sanssavoirquoifaire.—Toutefois,j’aimeraispréciserquelquechoseàmonsujet.J’aisoutenuAntonydanssacarrière
pendantpresquedixans.J’aisacrifiétoutesmesambitionspourresterauprèsdeluietmecomporterenparfaiteépousedepoliticien.Jel’aifaitparcequejel’aimais.Maisj’aileregretd’admettrequejel’aiaussifaitparcequec’étaitunhommeambitieux–unhommeavecunbutdanslavieetunesoifdevaincre – et que j’ai trouvé ça terriblement attirant.Mais hélas, une fois au pouvoir, les hommespeuventêtredangereux,carpourune raisonobscure,ce sentimentdepouvoirdescenddirectementjusqu’àleurpénis.CharliemarquaunepauseetregardaAntonydanslesyeux,alorsqu’ilreprenaitsonsouffle,sous
lechoc.Unricanementparcourut lafoule, tandisqueles journalistesgriffonnaientfurieusement,etque les photographes s’acharnaient sans le moindre scrupule pour capturer la mine écarlated’AntonyBarwood.—Malheureusement,çacréeeneuxundésirdeprouver leurpuissance,enmanipulantautantde
femmesquepossiblepour lesattirerdans leur lit.Etpireencore, les femmessuccombent, souventparcequ’ellessesententhonoréesqu’untelhommeleuraccordesonattention.Charlies’interrompituninstant,baissaleregardsurlafeuilledepapierfroisséeetsemblahésiter,
avantdelaroulerdenouveauenbouleetdelaremettredanssapoche.—Àcesfemmes,voilàcequejevoudraisdire,reprit-elle,l’airpresquesereine.Enparticulieràla
fillequiacouchéavecmonmari.Touteslestêtesserelevèrentetlesjournalistesretinrentleursoufflepourécoutercequel’épouse
bafouéedudéputéavaitàdireàlamaîtressedesonmari.—Ne vous donnez pas cette peine. Peut-être bien que le pouvoir descend dans leur pénis,mais
hélas,çanejouepassurleursperformances.Ilyeutun instantdesilence,avantque l’assistanceentièreneparteenéclatsde rireetendébats
surexcités.Hébétée,Suzieobservaitlesjournalistesblaséssetournerpoursefairedessignesdetêteentre eux en guise d’approbation. À son insu, Charlie avait délivré une information capitale quel’universentieravaitenvied’entendre.Leshommespuissants,ausuccèsévident,étaientnulsau lit.Mêmes’ils’agissaitd’unegénéralisationgrossière,lesjournalistesrassembléslà,presquetousentredeuxâges,quiavaientsansdoutesouffertauxmainsdepatronsdontlepouvoirétaitmontéàlatête,accueillaientchaleureusementlanouvelle.QuandCharliesetut,unepléthoredequestionsfusèrentdenouveau,maisellelevalesmainspourréclamerlesilence.— C’est tout ce que j’ai à dire pour l’instant. En dehors du fait que je tiens à remercier tout
spécialement la personne sans qui je ne serais pas là aujourd’hui. Je voudrais donc remercierSuzieMiller,quiécritlafantastiquerubrique«ChèreSuzie»pourleHerald.Viensparici,Suzie.Lajeunefemmeavaitunefolleenviedesecacher.Ellen’avaitaucuneenviedesetenirdevantune
légionde journalistesprofessionnels, etde se faire féliciterpour sa rubriquedecourrierducœur.
EllesecoualatêteenregardantCharlie,espérantqu’ellelalaisseraittranquille.—Allez,Suzie,viensparici,insistaCharlie.Suzie aperçutAntony la foudroyerdu regard, et sentit sa confianceenelle revenir aussitôt.Elle
ouvritleportillonsurlecôtéetmontarejoindreCharlie,laprenantdanssesbrascommesicelle-civenaitderemporterunemédailleolympique.—«ChèreSuzie»estlapremièrerubriquedecourrierducœurquej’aiejamaisluequidonnela
vérité toutenuesur la façondegérersesproblèmesdecoupleetsedéfendrequandça tournemal.Toutepersonnequiadesproblèmesrelationnelsdevraitliresachronique,parceque,commeellemel’a dit, on ne devrait pas tourner les talons pour se laisser mourir ; mais plutôt pour piétiner lecoupablejusqu’àlamortavec.CharliesetournaetserraSuziedanssesbras,avantdeluimurmurerdanslecreuxdel’oreille:—Merciinfiniment.Tuavaisraison.Jemesensenpleineforme.Suzie,sansvoix,luirenditsonétreinte.Cen’étaitpasdutoutceàquoielles’attendait.EntenantfermementSuzieparlamain,Charlieconclutlaconférencedepresse.— Je ne répondrai à aucune autre question maintenant. Toutefois, je donnerai une interview
exclusiveauManchesterHerald,doncassurez-vousd’enacheterunexemplairedemain.Elle pivota pour donner un dernier baiser à Suzie, puis remonta l’allée de gravier sans se
retourner,laissantAntonygémirsursonpassage.IladressaunregardsournoisàSuzie,puissortitsontéléphonedesapoche,sansdoutepourpasser
uncoupdefilàsesconseillers,etsuivitCharliedansl’allée,visiblementfurieux.Suziesedemandaun instant si elle ne ferait pas mieux de les rejoindre, puis décréta que Charlie était maintenantlargement capable d’encaisser tout ce qu’Antony, le député déshonoré et sexuellement remis enquestion,avaitàluibalancer.
Chapitre18
« Les secrets et les mensonges sont le poison qui tue un mariage », a déclaré hier Charlotte,l’épousedudéputédisgraciéAntonyBarwood,enréfléchissantàlafindeleursdixansdemariage,aprèsqu’ileutadmisavoiruneliaison.«Unefoisqu’onmentàsonépouse,onluimanifestelapireforme de manque de respect, et sans respect, comment un mariage peut-il survivre ? » De touteévidence, son refus de faire front avec son mari hier lui a redonné son estime d’elle-même, et lecouragederamasserlesmiettesdesaviepourprendreunnouveaudépart.SuziecessadelirelaunedujournaletsetournapourregarderDrew,enfoncédanssonfauteuilde
bureau,siroteruntripleexpresso,vuqu’ilavaitdûresterdebouttoutelanuitpouracheverl’article.—C’estvraimentbien,fit-elleremarquer.Tuesdouéaveclestrucsdefilles.Tudevraisfairece
genred’analysesplussouvent.—Jecontinuedepenserquetuauraisdûtechargerdel’interview,rétorqua-t-il.— Hors de question, répliqua-t-elle. Je t’en devais une, et je savais que tu te débrouillerais
nettementmieuxquemoi.Regardeunpeucequetuasécritlà,renchérit-elle,enplantantsondoigtsurle journal.«Visiblement,CharlotteBarwoodmanifestedéjàdessignes indiquantqu’ellesortdesachrysalide.Alorsqu’elleaétébientroplongtempsenveloppéedanslalourdecaped’unhommeimbude sa personne, un sourire éclatant illumine désormais son visage, quand elle repense à soncourageuxdiscours,donnélorsd’uneconférencedepresselematinmême.»Ellelevalesyeuxetsoupira.—C’esttellementvrai.Sijolimentdit.Elleneteplaîtpas,si?—Quoi?Non,andouille.J’étaisdésolépourelle,voilàtout,expliquaDrewenrougissant.Ilétaitmortdefatigueetladernièrechosedontilavaitbesoin,c’étaitbienqueSuziefassecegenre
deremarquesidiotes.ÉcouterpendanttroisheuresCharlie,etsonrécitsursonmariagechaotique,luiavaitsuffisammentretournélecerveaucommeça.Unephraseenparticulierplanaitdanssonesprit.Charlieavaitfonduenlarmesetluiavaitconfiéqu’ellesavaitquesonmarinel’aimaitpasdèslejouroù ils s’étaientmariés.Elle savait au fondd’ellequ’ils étaient amisproches,maisqu’il n’était pasamoureuxd’elle.Illaconsidéraitseulementcommeuneépousedécentepourunpoliticien,etmunieduboncarnetd’adresses.«Commentépouserquelqu’unquel’onn’aimepas?»avait-ellesangloté.Effectivement,ils’étaitposélaquestion,puiss’étaitefforcédelachasser.Maismaintenantqu’ilavaitterminél’article,etpassélesvingtdernièresheuresoupresquedebout,
sonespritétaitconfus,etplusriennefaisaitbarrageàsespenséesincohérentes.Ilfallaitqu’ilsortedecetendroit,qu’ildorme,etgardelatêtefroide.Suziedévoraittoujoursl’articlelorsqu’ilcommençaàrangersonbureau.Letéléphonedelajeune
femmesonnaetelledécrochadistraitement,sansdétournerlesyeuxdujournal.—Allô…Oui,c’estelle…D’oùça,pardon?…Jevois.Elleabandonnalejournaletseredressa.—Ehbien,celafaitunmomentmaintenantquejerédigecetterubriquecommeça,etd’ailleurs,je
reçoisquatrefoisplusdelettresdepuisquej’aichangédeformule.Unblanc.
—Oui,c’estexact.Unautreblanc.—Ehbien,euh,oui.Jecroisquejesuislibre,laissez-moijustevérifiermonagenda.Ellebouchalemicrodesontéléphoneetl’éloignad’elleavantd’émettreunpetitcri.Elleenlevasa
mainetrepritl’appel.—Oui,enfait,jesuislibre.Ultimeblanc.—Trèsbien,onsevoitlà-basdanscecas.Mercibeaucoup.Aurevoir.Elleposadélicatementlecombinépuislevadesyeuxécarquillés,surexcitésmême,versDrew.Elle
seredressalentement,fitletourdubureau,puisagitalesbrasenhurlant«Oh,monDieu!»d’unevoixhystérique.Aprèstroistours,ellefinitpars’arrêterbrutalementàcôtédufauteuildeDrew,posalamainsursatête,etl’embrassafermementsurlefront.Puisellereculad’unpasetsautillasurplaceenchantonnant:—Devinequoi?Devinequoi?Devinequoi?—Quoi?finit-ilpars’écrier.Elle lui donnaitmal au crâne, et ses narines s’efforçaient toujours de chasser le parfumqu’elle
avaitseméensepenchantau-dessusdelui.— Je vais passer à la télé ! s’exclama-t-elle, en sautant de joie. Genre la vraie télé, pas une
prétenduechaîneYoutube,lavraietélé!—Pourquoi?demanda-t-il,stupéfait,espérantqu’ellecessedebondirdanstouslessens.—GranadaReportsveutm’interviewerdemainmatinsurmarubrique.Moi,moi,moi!luicria-t-
elleenpleinvisage.—Waouh,commenta-t-ilenreculant,déstabiliséparsaproximitésoudaine.—C’estpasgénial?reprit-elle.Quiauraitcruqu’àlaminuteoùjedécidedefaireunecroixsur
leshommes,mavien’endeviendraitquemeilleure?Jenesaispaspourquoijenel’aipasfaitplustôt.Peut-êtrequejeseraisunecélébritédepuisdesannéessic’étaitlecas.—Tun’espasencoreunecélébriténonplus,fitremarquerDrew.—Maisquisaitoùçapourraitmener?répondit-elle.Toutlemondecommencequelquepart.Qui
saitquipourraitrécupérerl’histoireunefoisqu’elleseradanslapresselocale?Elles’interrompit,etaffichasoudainuneminetriste.—Oh,mince,ajouta-t-elle,sonéland’enthousiasmesoudainévanoui.—Qu’est-cequinevapas?s’enquitDrew.—Flûte,RichardetJudy.—Qu’est-cequ’ilsontfait?—Ilsnepassentplusàlatélé,si?Jerêvaisd’êtreleurinvitéeàleurémissiondumatin,etvoilà
qu’à laminuteoù j’aimeschances, ilsme la font louper. J’ai l’impressionque l’affaireWoganserépète.—«Wogan»?—Oui,Wogan.Dansmon album de promotion de dernière année, j’ai écrit quemon ambition
ultime était de passer chez Wogan, puis cet imbécile a été remercié. Pourquoi ces célébrités nerestent-ellespasassezlongtempsàl’antennepourm’interviewer?Drewse rendit comptequ’il avait définitivementbesoindepartir et de rejoindreunmondeplus
terreàterre.—Bon, commença-t-il. Faut que j’aille dormir. Envoie-moi unmessage pourme dire quand tu
passes,d’accord?
—Biensûr.AumomentoùDrewprenaitsonsac,lerédacteurenchefarrivaentrombe.—Voilàmonduodynamique,lança-t-il,lesourirejusqu’auxoreilles,enplaçantlesmainssurune
épauledechacund’eux.Jesuisjustevenuvousdirequ’entretoninterviewexclusive,etlesuccèsde«ChèreSuzie»,nousavonsdéjàdoublé lesventesaujourd’hui.Lesvisitessur lesiteont triplé,etd’aprèsAlex,ilnousfautunassistant,tropd’annonceursl’appellent.—Sérieusement?demandaDrewenserasseyant.—Sérieusement,réponditGareth.Enplus,j’aid’excellentesnouvellespourtoi,fiston.Drewneput s’empêcherdegrimacer.Quelle que soit l’ampleurde la nouvelle, se faire appeler
«fiston»paruntypeplusjeunequeluin’avaitvraimentrienderéjouissant.—Tuvasdevenirjournalisted’agence.LebureaureçoitdesappelsdesitesInternetetdejournaux
dumondeentierquiveulentutilisertonarticle.Cettepetitedameafaitsensationhier.Jecroisqu’ellea touché une corde sensible.Elle a fait ce que tout lemonde a toujours rêvé de voir arriver à unpoliticieninfidèle.C’estvraimenténorme,cequisepasse.—Waouh,journalisted’agence!Ce furent les seuls mots que Drew parvint à prononcer. Maintenant c’étaient ses rêves qui
devenaientréalité,n’endéplaiseàSuzie.—Drew, c’est fantastique ! Toi aussi, tu vas devenir célèbre ! s’exclamaSuzie, en sautillant de
nouveauenl’air.—Jerefusequetuaiesdesambitionsquioutrepassenttaposition,répliquaGareth,laminesoudain
sévère.HorsdequestionquetutemettesàrêvasseretquetuquittesleHerald.Bon,bienjouéet…onseremetautravail.Il partit à grands pas, les laissant tous les deux silencieux, décontenancés par ce soudain
changementd’humeur.—Waouh,murmuraSuzie.Ilpensequetuvastefairedébaucher.Questiondetemps,monvieux.
Réfléchis une seconde, Emily et toi pouvez partir pour Londres, et devenir un de ces couplesbranchés – toi le journaliste de haut vol, et elle, la brillante avocate.Vous aurez des nounous, desfemmesdeménageet…desvoituresdeluxe,toutletintouin.AppelleEmily.Téléphone-luietdis-luiqu’ilsepourraitquevousdéménagiezàLondres.Drewavaitl’impressionquesesyeuxallaients’enfoncerdanssoncrâne.Lafatigueetletrop-plein
d’informationsétaienttropdursàsupporterpoursonorganisme.—Jesuistellementheureusepourtoi,tulemérites,entendit-ilSuzieluidire.Il la dévisagea unmoment, puis sa bouche commença à remuer sans qu’il soit capable de l’en
empêcher.—Jenetemanqueraispas?demanda-t-il.—Biensûrquenon!s’exclama-t-elle.ToiettapetitevieparfaitepouvezpartirdansleSud,ence
quimeconcerne.Simplequestiondetempsavantquejemeretrouveassiseàcôtédequelqu’unquiaautantgâchésaviequemoi.L’amèrevérité.Ilneluimanqueraitpass’iln’étaitpaslà.Cettepenséeluitrottaittoujoursdansla
tête quand Diane, la réceptionniste, les interrompit en lui mettant une corbeille remplie de petitspapierssouslenez.—Prends-enun,lepressa-t-elle.—Quoi?bredouilla-t-il.Lemanquedesommeilprovoquaitsûrementlessituationslesplusdélirantesquisoient.—Unnom,expliqua-t-elle,ensecouantlacorbeille.
—Euh,Gordon,dit-il.—Personne qui travaille ici ne s’appelleGordon, et de toute façon, tu dois piocher un nomen
secret.Neledispastouthaut,çavatoutgâcher.Drew crut qu’il allait finir par fondre en larmes. Que se passait-il ? Il regarda Suzie pour lui
demanderdel’aide.—LejeudupèreNoëlsecret,chuchota-t-elle,enpointantdudoigtdanslacorbeilleletasdepetits
papierssoigneusementpliésquiportaientlesnomsdetouslesemployésdubâtiment.—Oh,jevois,dit-il,soulagédeconstaterqu’ilexistaituneexplicationlogique.—Jedétestecejeu,poursuivitSuzie.Quelgâchis.Tuoffresuncadeaunul,tuenreçoisun,puisil
reste quelque part au fond d’un tiroir pendant des centaines de millions d’années, en refusant dedisparaîtreetdesedécomposer.—Etqu’est-cequetuaseul’andernier?demandaDrew.—Uncoffretcadeaud’après-rasagepourhomme,réponditSuzie.—Pourmoinsde5livres?s’exclamaDrew.—Exactement,acquiesça-t-elle.Uncadeaunulàtouslespointsdevue.Autantprendreunbilletde
cinqetlejeterdanslestoilettes.LepèreNoëlsecret,çadevraitêtreinterdit.—Contente-toidepiocherunnom,intervintDiane,perdantpatienceetsecouantunenouvellefois
lacorbeille.Drew et Suzie plongèrent tous deux lamain dedans et en sortirent unmorceau de papier. Suzie
ouvrit lesienenpremieretémitungrognementsourd.Drewdéplia lesienàson touretgarda lesyeuxrivésdessus.—Ehbien,aumoins,c’estsansdouteladernièrefoisquetudevrasjoueràça,lançaSuzieaprès
queDianefutpasséeaubureausuivant.Jen’arrivepasàenvisagerquelesjournauxnationauxhuppésfassentdespèreNoëlsecret.Plutôtdugenreàorganiserdespseudo-soiréeséchangistes,jesuppose.Bref,tuestombésurqui?Ilrepliasoigneusementlepapieretlemitdanssapoche.—C’estunsecret,répondit-ilenprenantsonattaché-caseetensedirigeantverslaporte.
Chapitre19
Drew fixait son regard sur la dame orange assise en face de lui. Après tous ces événementsétrangesaubureau,etseulementquelquespetitesheuresdesommeil,ils’étaitditqu’enaucuncas,sajournéenepourraitêtreplusbizarre.Maistandisqu’ilécoutaitlafemme,vêtued’untailleurvertenpolyester et d’une cravate couleur crème maculée d’autobronzant, il regrettait de tout son cœurl’environnementrelativementdélirantdesontravail.— Bon, je vous recommande chaudement de ne pas négliger notre rayon des accessoires
décoratifs. Nous avons des articles fantastiques qui peuvent vous permettre d’exprimer votrepersonnalitédansladécorationintérieuredevotrefoyerdejeunesmariés.Etbiensûr,vulapériodedel’année,nousavonsdesplendidesarticlespourlesfêtes.Bonnombredemescouplesontdéjàoptépour nos adorables bas de porte en forme de rennes. Ne serait-ce pas amusant de célébrer votrepremierNoëlentantquemarietfemme,avecdesbasdeportedécoréspourl’occasion?Lafemmegloussa,tandisqueDrewjetaituncoupd’œilàEmily,qui,heureusement,paraissaitelle
aussiquelquepeudéroutée.—Àlavérité, finitpardireEmilyà lacoordinatricede la listedemariage,dont le teintorange
semblaits’êtreaccentuédepuisqu’ilsétaientassislà,j’aidéjàfaitletourdevotresiteInternetetj’aiune liste précise de ce que nous voulons, hormis le coloris de certaines choses. Je voulais aussim’assurerquevosdrapsencotonégyptienontuntissagedecinqcentsfils.—Madame, reprit la dame orange, en trifouillant du doigt sa cravate, lamaculant encore plus
d’autobronzant,jepeuxvousgarantirquejenefermeraispasl’œildelanuit,sijepensaisquemesjeunesmariésdormaientdansunequalitémoindre.—Bien,répliquabrusquementEmily.Oncommence,danscecas?Elletapotaledossierqu’elleavaitposésursesgenoux,contenantsalisteminutieusementtapéede
cadeauxdemariage.—Sivouspouviezjustemesupporterencorequelquesminutes,jevousexpliqueraisoùsetrouvent
tous les rayons. Je ne saurais vous dire la quantité de fois où, dans l’excitation de choisir leurscadeauxdemariage,mescouplesenoublienttotalementlelingedetable,gloussaladameorange.Etvousnepouvezdécemmententamerunevieconjugalesanslingedetable,si?ajouta-t-elle,adressantsaquestionàDrew.—Absolument,répondit-il,ens’affaissantdanssachaise.Ilbalayaduregardlapièceautroisièmeétagepourvoirsiquelqu’und’autrequeluiavaitpeurde
cescurieusescréaturesdemariage.Quatreautrescouplesassisdansdesboxsemblablessefaisaientharceler par des vendeuses en polyester. En fait, ils n’avaient pas du tout l’air mal à l’aise. Lesfemmes étaient penchées en avant, visiblement impatientes, buvant la moindre parole que leurprêchaient ces mercenaires, tandis que leurs partenaires avaient les mains jointes et souriaientbêtement.—Inutiledenousindiqueroùsetrouventtouslesarticles,ditEmilyàlafemme.J’aifaitunplandu
magasin, ajouta-t-elle avant de se tourner vers Drew. Je pense que le plus efficace serait que tut’occupesdurez-de-chaussée.Voicilalistedansl’ordreparrapportàlaportedel’ascenseur,çanedevraitpasteprendreplusd’unedemi-heure.Jevaismechargerdecetétage-ci.
Elleseretournaverslafemmeassisedel’autrecôtédubureau.—Bon,pouvons-nousavoirdeuxscanners,s’ilvousplaît,afinquel’onpuisses’ymettre?LadameorangedévisageaitEmilyavecunairdeprofondeconfusion.Drewdutadmettrequ’ilse
sentaitfier.Ellepouvaitselegarder,sonbasdeporteenformederenne.— Eh bien, évidemment, si c’est de cette façon que vous voulez procéder, pas de problème,
rétorqualaconseillèresuruntonpincé.Toutefois,ilmesemblequelaplupartdemescouplesaimentfaireletourensemble,aucasoùilsauraientbesoindeprendredesdécisionsencoursderoute.Cesontvoscadeauxdemariage,aprèstout.Vousvivrezavecpourlerestantdevosjours.—Inutile,rétorquaEmilyenselevant.Lesdécisionsontdéjàétéprises,nousvoulonsseulementen
finir.Maintenantveuillezmedonnerlescanner,s’ilvousplaît.Elletenditlamain.Plutôtàcontrecœur,ladameorangeluidonnalesdeuxscanners,maisalorsqueDrewétaitsurle
pointdes’enaller,ellel’empoignaparlebras.—Pourquoiest-cequejeneviendraispasavecvous?Jenereçoispasd’autrecoupleavantune
demi-heure.Onnesaitjamais,jepourraisvousaideràtrouverquelquechosequin’estpassurvotreliste.—Non,répondirentDrewetEmilyenchœur,enhurlantpresque.—Merci,repritDrew.Jepensequejepeuxmedébrouiller.Unefoisàcôtédel’ascenseur,EmilytenditàDrewsalisteetunstylo.—S’ilyaquoiquecesoitque tun’arrivespasà trouver,alorsmetsunecroix,et jedescendrai
choisirautrechose.D’accord?—Super,réponditDrewensouriant.Choisirdescadeauxdemariage,quelpied.— Il faut bien enpasserpar là,Drew,gronda-t-elle surun ton sérieux.Sinon,nous allonsnous
retrouveravecunemaisonrempliedebabiolesqu’onnepourrapasjeter.Jedescendraiteretrouverquandj’auraifini.Là-dessus,ellesetournaetsedirigeadroitsurunétalagedetaiesd’oreiller.Toutenprenantl’ascenseurpourdescendre,Drewexaminalescanner.Ilpressaladétenteplusieurs
foisets’aperçutques’illepointaitverssamain,ilémettaitunelumièrerougesursapaume.Alorsilfitcequ’auraitfaitn’importequelhommeenpossessiond’ungadgetpareil.Ilprétenditquec’étaitunsabre laser, en leballottantde façon théâtraled’uncôtéà l’autrede l’ascenseur, jusqu’àceque lesportess’ouvrent,àl’instantmêmeoùilétaitentraindeviserl’autoritairedameorange.IlnefallutpaslongtempsàDrewpoursesentirfranchementmalàl’aise.Ilseretrouvanoyédans
unemerdeporcelainedanslerayondelavaisselle.Partoutoùilposaitlesyeux,desassiettesblancétincelantlemitraillaient,tellementimmaculéesetparfaitesqueluisesentaitsale,etpasdutoutàsaplace. D’autant qu’à chaque « bip » agaçant de l’horrible scanner, il grimaçait en regardant leminuscule viseur pour voir le prix.Comment une soucoupepouvait coûter près de20 livres ?Unobjetaussiinutile;àsavoiruneassietteservantàporterunetassedéjàmunied’uneanse,àunprixtel–commentétait-cepossible?Etquediableétaitunpotàcrème?Iln’avaitjamaisentenduparlerd’untrucpareil, et enavait encoremoinsutiliséun, il enétaitpersuadé.Doncpourquoiaurait-ilbesoinqu’undesesamis,ouundesmembresdesafamille,dépensesonargentsidurementgagnépourluienacheterun?Ilcommençaitégalementàentrevoirqu’Emily,endépitdesontalentspectaculaireenmatière d’organisation, avait complètement négligé le fait que sa famille à lui ne disposait pas detellessommes.Enfait,iln’avaitmêmejamaisvuquiconquedanssafamillefairedelistedemariage,saufsacousineCatrina,quis’étaitmariéedanslaprécipitationetavaitdéposéunelistedenaissancechezMothercare.Ilsavaitqu’illuifaudraitentoucherdeuxmotsàEmily.Peut-êtrequ’ilspourraient
aussi en faireunedansunmagasinmoinscher,voirenepasen fairedu tout. Ilbalaya lapièceduregard et aperçut un des couples qui étaient assis dans les box à l’étage, en train d’étudier descafetières.L’hommetenditlamainetattrapaunepetitetasse,puisfeignitdepréparerunexpressoàsapromise,avantdelaluitendreavecungestethéâtral,endisant:—Pourvous,futuremadamePemberton.Lafillegloussaetluifitunpetitbisousurlajoue,avantdeluiordonnerdereposerlatasseetdese
concentrer.Voilà ce qui clochait. Ils ne devraient pas faire ça séparément.Au diable l’efficacité. S’il fallait
vraiment en passer par là, alors autant s’amuser à le faire ensemble plutôt que d’avoir l’air d’unimbécile,toutseul,àpointerunstupidescannersurunethéière.Ravid’avoirtrouvéuneéchappatoireàcetteséancedetorture,ildétalaversl’ascenseuretappuyasurleboutonpourmonter.Il lui fallut un peu de temps pour trouver Emily, vu qu’elle était cachée par une montagne de
Téflon,etuncartonàl’effigiedeJamieOliver,àtailleréelle,souriantbêtementenbrandissantcequiressemblaitàs’yméprendreàunvibromasseurdeluxe.—Tuprendsundecestrucs?criaDrewàEmily,enpointantdudoigtl’objetépurécoincédansla
maindeJamie.Emilyluiadressaunbrefcoupd’œil.—Oui.Enrougevif.—Waouh,s’exclamaDrew,unlargesourireauxlèvres.Çacommenceàmeplaire,cettehistoire
delistedemariage.—Tuasdéjàterminé?demanda-t-elleenserelevantpoursedirigerverslui.—Pastoutàfait,répondit-il.Entoutefranchise,çanem’amusaitpasdefaireçatoutseul.Jemedis
queladameorangeavaitpeut-êtreraison.Ondevraits’enoccuperensemble,vuquec’estnotrelistedemariage.Emilyledévisageaunmomentsansriendire.Puiselleconsultasamontre,avantdeluiexpliquer
que ce n’était pas un problème,mais qu’il fallait faire vite, parce qu’elle devait partir en réunionvingt-cinqminutesplustard.—Aucunproblème,répliqua-t-il.Tusaisquoi,tulislaliste,etmoi,jescanne.Jemaîtriselelaser
mieuxquepersonne.Elleledévisageadenouveauquelquesinstants,avantdepousserunpetitsoupiretdeluitendrele
scanner.Elleinspectasafeuillepourretrouverl’endroitoùelles’étaitarrêtéedanslaliste.—D’accord.Lesuivant,c’estunecocottePyroflamenvitrocéramiqueblanche,capacitéd’unlitre,
lut-elleàvoixhaute.—Jetedemandepardon?s’enquitDrewsansbouger.—J’aiditunecocottePyroflamenvitrocéramiqueblanche,capacitéd’un litre, répéta-t-ellesans
avoirbesoinderecouriràsaliste.Drewnefitpasungeste.—Qu’est-cequ’ilya?interrogea-t-elle.—Onn’utilisejamaisdecocotte.—Etalors?—Alorspourquoiendemande-t-onune?—Parcequ’ilsepourraitqu’onenaitl’utilitéunjour,répondit-ellesuruntonunpeusec.Drewnebougeaittoujourspas.—Tuesentraindemedirequenousdemandonsàquelqu’undedépenserdel’argentpournous
offrirunecocotte,justeaucasoù,unbeaujour,onselèveraitensedisant:«Mincealors,jemeurs
d’enviedemangerunragoût.Quellechanceque tanteMavisnousaitoffertunecocottepournotremariage,sinononseraitdansdebeauxdraps»,rétorquaDrew,lavoixdeplusenplushautperchée.Emilyregardaautourd’elle,visiblementexaspérée.—Contente-toidescannercefichuplat,finit-ellepardire, lesdentsserrées.Jen’aipasletemps
pourça.—Non,déclaraDrew.Emilyparutprisedecourtun instant,puiselleavançabrusquement,prit lescannerdesmainsde
Drew,etsedirigeaàgrandspasversunimmenseétalagedeplatsdecuisson.Drewrestabouchebée,avantdehurlerderrièreelle:—Situscannescettecocotte…Emilyseretournaets’arrêtajusteàcôtédustand,brandissantlescannerversunénormeplatblanc.—Quoi?rétorqua-t-elle.Jenetepermetspasdemedirecequejepeuxounepeuxpasscanner.—Situscannescettecasserole,je…,reprit-il.—Tuferasquoi?insista-t-elle.Drew soutint le regard imperturbable qu’elle lui lançait, le visage impassible, déterminée quoi
qu’ilencoûteàaccomplir la tâchequ’elleavaitsiméticuleusementplanifiée.Commentensommes-nousarrivéslà?songeaDrew,safatiguereprenantunenouvellefois ledessus.Quediableavait-ilbienpusepasserpourqu’ilseretrouvedansunmagasin,entraindesedisputeravecsafiancéeausujetd’unecocotte?—Tuferasquoi?répéta-t-elle.—J’annulerailemariage,répondit-ild’instinct,lesmotssortantdesaboucheavantqu’iln’aitle
tempsd’yréfléchirréellement.Il les entendait résonner pour la première fois, cesmots qui planaient dans son esprit depuis si
longtemps,maisqui,jusque-là,étaientrestéssecrets.—Qu’est-cequetuasdit?demandaEmily,l’interrompantdanssespensées.Était-ilcapablederépétercettephraseàvoixhaute?Lefosséentrelefaitdepensercesmotsetde
les prononcer lui avait paru impossible à franchir, et pourtant, il l’avait fait. Tout naturellement.Àprésent,Emilyavançaitverslui,brandissantlescannercommeungladiateurtiendraituneépée.—Qu’est-cequetuasdit?reprit-elle.—J’annulerai lemariage, souffla-t-il, sansmême la regarder, àpeine conscientde saprésence,
tantilétaithébétéd’entendreéclatercesparolesaugrandjour.Emilys’immobilisa,puiséclataderire,secouantlatêteetseconcentrantdenouveausursaliste.—Tueshystérique, tulesais?lança-t-elle.Jevaistedire.Jevaisrayerlacocotte,etajouterun
mousseuràlaitàlaplace,çateva?—Unmousseuràlait?demanda-t-ilenappuyantsurchaquesyllabe.—Oui,tusaisbien,unepetitecasserolepouryfairebouillirdulait.—Dulaitpourfairequoi?—Ehbien,pourlecafé,parexemple,réponditEmily.Écoute,letempspasse,Drew,ilfautqu’on
enfinisse.—Onleboitnoirtouslesdeux,fit-ilremarquerensecouantlatête.—Drew, tues ridicule.Onpeut continuer, s’il teplaît.Tu réfléchis trop.C’est justeune listede
mariage,riendeplus.—Justeunelistedemariage,répéta-t-il.—Oui,insista-t-elleenluiprenantlamainpouryremettrelescanner.Justeunelistedemariage.—Etnousallonsjustenousmarier,poursuivitDrew.
—Oui,sifflaEmily,aucombledel’exaspérationàprésent.Nousallonsjustenousmarier.Pasdequoienfaireunplat.Bon,allons-y,jevaisfinirparêtreenretardàforce.Drewétaitsurlepointdefondreenlarmes.—Onnepeutpas,déclara-t-il.—Onnepeutpasquoi?s’enquit-elle.—Onnepeutpasjustesemarier,répondit-il,avançantd’unpaspourluiprendrelamain.—Drew,tuteconduisdemanièreinsenséeaujourd’hui.Qu’est-cequit’arrive?—Personnenedevraitjamaisjustesemarier.Onfaitçaparcequec’estlaprochaineétapelogique,
parcequ’onestrestésensembletellementlongtemps,alorspourquoinepassemarier?Maisonn’ajamaisprisletempsdevraimentréfléchiràpourquoiondevraitsemarier.—Pourquoifaireunechosepareille?rétorquaEmily.Pourquoi?répéta-t-elleunpeuplusfort.Tu
veuxsavoirmaintenantpourquoiondevraitsemarier?—Oui,jeleveux,dit-ildansunsouffle.—Parcequeçafonctionne,Drew.Çafonctionnedepuisseizeans,s’écria-t-elle,perdantfinalement
sonsang-froid.Jenesaisisvraimentpaspourquoitumeposeslaquestionici.Ons’entendbien.Ons’autorise l’un l’autreàvivrenosviescommebonnoussemble.Onsesoutient.Voilàpourquoiondevraitsemarier.Bonsang,Drew,qu’est-cequinetournepasrondcheztoicestemps-ci?C’estcepour quoi nous avons construit nos vies ensemble. Regarde-nous, nous sommes le couple parfait.Iln’yaabsolumentaucuneraisonpourlaquelleonnedevraitpassemarier.Drew se mordit la lèvre. L’autre phrase qui lui trottait dans la tête depuis quelques semaines
menaçaitdepointerleboutdesonnez,etiln’étaitpascertaindevouloirlalaissers’échapper.—Donne-moiuneseulebonneraisonpournepasnousmarier,lesommaEmily.Etmince ! Les dés étaient jetés. Elle lui avait posé directement la question, donc il n’avait rien
d’autreàfairequedelaisseréclaterlavérité.—Jenepensepasquejet’aime,dit-il,luiserrantfermementlesmains,commesicegestepouvait
aideràatténuersaréaction.Levisaged’Emilyperdittoutecouleur.Elleneprononçapasunmot.—Jesuisdésolé,reprit-il.Emilyn’ouvraittoujourspaslabouche,secontentantdeclignerrapidementdesyeux.—Aahh,vousavezunepetitedispute?lançaunevoixderrièreDrew.Laplupartdemescouples
deviennentassezémotifsune foisqu’ilscommencentàchoisir lescadeauxque leuroffriront leursprocheslejourJ.Ladameorangesemblaitsortirdenullepart.—Avez-vousdumalàtrouverquoiquecesoit?insista-t-elle.L’ampleurdelatâchepeutparaître
quelquepeuintimidante.Drewobservalevisagelivided’Emily,enquêtedespremierssignesderéactionàsaconfession.
Soudain,elleprituneprofondeinspirationetparutseressaisir.—Jevaisêtreenretard,murmura-t-elle,sepenchantpourprendresonsacsanslequitterdesyeux.Ellesetournaetmarchaversl’escalierlentement,maisd’unpasrésolu,sansseretourner.Quand
elle finit par disparaître,Drew s’effondra sur le sol et s’enfouit la tête dans lesmains, laissant lescannersefracasserbruyammentsurlecarrelage.Ladameorangesepenchapourleramasser.— Je sais, c’est épuisant, pas vrai ? dit-elle en lui donnant une tape dans le dos. Je vais aller
téléchargertoutça,etquandvousserezprêt,montez,unebonnetassedethévousrevigorera.Drewattenditque lesondeseschaussuresà talonss’évanouisseavantdes’autoriserunpremier
Chapitre20
— Et notre prochain appel sur la ligne deGranada Reports ce matin, nous vient de Marion,d’AlderleyEdge.Bonjour,Marion.Quesouhaiteriez-vousdemanderàChèreSuzie?—Bonjour,Andrew,bonjour,Suzie.JevoulaisjusteremercierSuziepourlesmerveilleuxconseils
qu’ellem’adonnés ilyaquelquessemaines.Je luisuis tellementreconnaissante.Elleasauvémonmariage.— Excellente nouvelle, Marion. Seriez-vous d’accord pour nous expliquer quel était votre
problème?—Biensûr,Andrew.Jeferaisn’importequoipouraiderd’autresfemmesquipourraientsouffrir
autantquemoi.Voyez-vous,legolfm’avaitrendueveuve.Depuisquemonmariavaitprissaretraiteanticipée, il passait tout son temps sur le green et m’adressait à peine la parole, sans parler depourvoiràmesautresbesoins,sivousvoyezcequejeveuxdire?—Inutiledenousfaireundessin,àmonavis,Marion;c’estuneémissionfamiliale.—Ehbien,cen’estpasparcequ’ondépassecinquanteansque…—Noussavonsexactementàquoivousfaitesallusion,Marion.Pourquoinepasnousdirequels
conseilsSuzievousadonnés?—Eh bien, c’était du pur génie, vraiment. Ellem’a conseillé de dire àmonmari qu’ilm’avait
forcéeàdevenir lesbienne,parcequ’ilétait tropennuyeuxau lit.Çaamarchécommeuneformulemagique,sincèrement.J’aimaintenantlesmeilleursvoussavezquoidemavie.—Bonjour,Marion.Suzieenligne.Jemesouviensdevotrelettre.Doncçaamarché?—Comme sur des roulettes,ma chère.Commevous l’aviez prédit, son esprit de compétition a
repris le dessus, quand il s’est dit que ses copains degolf pourraient avoir vent du fait qu’il avaitrendusonépousehomosexuelle.Ilacomplètementchangésonfusild’épaule.Maintenant,jen’aiqu’àprononcerlenomdeBillieJeanKingetilestdéjàenorbite.—C’estfantastique,Marion.Jesuistellementheureusepourvous.—JevoulaisseulementdireàtoutlemondequeSuzieestunvéritablegénie,etauxhommesgareà
vous.Onvoussurveille.—Ehbien,merci,Marion.Noussommesinondésd’appels,maishélas,nousn’avonspasletemps
d’enprendred’autresaujourd’hui.Mercid’êtrevenue,Suzie.Àenjugerparlenombred’appels,jesuiscertainquenousallonsvousvoirdeplusenplusàl’avenir.—Regarde,Drew,regarde!Onm’amaquilléeettoutletralalapourpasseràl’antenne,s’exclama
Suzie,sejetantsurDrewdèssonretourdustudioetluiflanquantsonvisagesouslenez.Drewladévisagea,sesentantencoreplusmalquelaveille.— Tu as une mine déplorable, poursuivit-elle, avant de se laisser de nouveau gagner par
l’excitation. Tu m’as vue ? J’étais bien ? demanda-t-elle en sautillant de joie sur son fauteuil debureau.—Vueoù?interrogeaDrew,l’airpresquehanté.—Àlatélé,imbécile,répondit-elle,ens’arrêtantnet.J’étaissurGranadaReportscematin.Neme
dispasquetuasoubliéderegarder?
—Oh,jesuisvraimentnavré,Suzie,sincèrement.J’aioublié,je…— C’est pas grave, ma mère, ma tante Dorothée, et Malcolm, dans le bureau d’à côté, ont
enregistrél’émission,doncsituveuxpassercesoir,onlaverraensemble.—Super,ditDrew,avecunhochementdetêtedistrait.Pascesoir,celadit,je…—Tuasbesoindesommeil,vuta tête, l’interrompitSuzie.Tuasencorefaitnuitblanche,ouun
trucdanslegenre?—Ouais,untrucdanslegenre.Suzie l’examinaunmoment. Ilse tramaitquelquechose.Normalement,Drewluiauraitposéune
tonnedequestionsaprèsuntelévénementdanssavie.D’ailleurs,elleétaitaussiimpatientederevenirpourleluiannoncer,parcequ’ellesavaitqu’ilvoudraitenconnaîtrelemoindredétail,etvoilàqu’ilnesemblaitpasintéressélemoinsdumonde.—Çava?s’enquit-elle,alorsqu’ilavaitlementonappuyésursamain,lesyeuxbêtementrivéssur
saboîtemail.Ilreniflaplusieursfoispuistournalentementlatêteverselle.Ilparaissaittellementbizarre.Ilavait
lestraitstirés,etlorsqu’illevalamainpourlapasserdanssescheveux,elleremarquaqu’iltremblaitlégèrement.Ellen’avaitjamaisvuDrewcommeça.Lui,c’étaitlehavredepaix,calmeetréfléchi,etelle, l’épave qui parlait pour ne rien dire. Voilà pourquoi ils s’entendaient aussi bien. Ils étaientcommeleyinet leyang.Elleratait toutcequ’elleentreprenait,et lui laremettaitsur lesrails.Ellen’avait jamais euà le remettre sur ledroit chemin.Ellene savaitmêmepascomment s’yprendre.Ignorant quoi faire d’autre, elle se pencha en avant et lui prit la main. Elle sursauta lorsqu’ill’empoigna,puiss’émerveilladeconstateràquelpointsamainétaitgrandeetrassurante.Ellebaissalesyeuxsurcettevisionpeufamilièredeleursdoigtsentremêlés,jusqu’àcequelasonneriestridentedesontéléphonen’interrompelesilencequis’étaitinstallé.— Je vais me débarrasser de ça, dit-elle en utilisant sa main libre pour prendre le combiné.
Bonjour,SuzieMiller,lança-t-ellelaconiquement.—Bonjour,BruceWhitaker,duMirror.Vousavezquelquesminutespourdiscuter?J’aiuneoffre
quipourraitbienvousintéresser.LecerveaudeSuzies’emballa.Unmembred’unjournalnationalquiappelleunejournalistepour
lui faire une proposition ne pouvait signifier qu’une chose.Uneoffre d’emploi. Le ton discret surlequelilparlaitnefaisaitquerenforcersessoupçons.ElleregardaDrew,quiobservaitbêtementleursmainsjointes,etlepinçapours’excuserdelefaireattendre,espérantqu’ilsaisissel’allusion.—Euh,oui,j’aicinqminutes,bredouilla-t-elle.—Bien. Bon, je ne compte pas tourner autour du pot. Nous suivons votre rubrique depuis des
semainesmaintenant,etnoussommesextrêmement impressionnéspar l’attentionquevousrecevez,sansparlerde la réactiondupublic.Jesuis tombésurvousdansGranadaReports cematin, et j’aibienvuquelesfemmesvousadorent.—Merci,bafouillaSuzied’unevoixrauque.—Bref,notrelectoratfémininachutédemanièredramatique,etçafaitunbonmomentquenous
cherchonsunesolution.Nouspensonsquec’estvous.Quediriez-vousdevenirécrirevotrerubriquepournous?Pleinepage,premièremoitiédujournal.Qu’enpensez-vous?Suzie,souslechoc,faillitenlâcherletéléphone.Unjournalnationalquiluioffraitunerubriqueen
pleinepage!Mêmedanssesrêveslesplusfous,ellen’aurait jamaiscruquecelaarriverait.MêmeKateAdien’avaitjamaiseudepleinepage.Elleauraitététellementfière.—Jenesaispasquoidire,bredouilla-t-elle,s’efforçantderéprimerseslarmes.—Jesais.Çafaitbeaucoupd’infosàdigérer,sansdoute.Aumoins,vousn’avezpasàdemanderà
votrepetitamis’ilestd’accordpouremménageràLondres.Vousdevezêtrecélibataire,jesuppose,ajoutalecadreens’esclaffant.Ellericanaunpeuhystérique,avantderéussiràrecouvrersesesprits.—Ehbien,ilyad’autresélémentsàprendreencomptequemonstatutrelationnel,parvint-elleà
dire.Maisjedoisavouerquej’aitoujoursrêvéd’écrireunerubriquepourleSun.Ilyeutuncourtblancavantquel’hommenereprennelaparole.—LeMirror,dit-ilfroidement.J’appellepourleMirror.Horrifiée,Suziesefigea.Flûte,ellevenaitpeut-êtredegâcherlachancedesavie.Elleéclatad’unrirehystérique.—Justeunepetiteblague,gloussa-t-elle.Visiblement,vousallezdevoirvoushabitueràmonsens
del’humourdécalé.Elleretintsonsouffleenattendantsaréponse.Unsilencegênants’installa.— Très amusant, finit par dire son interlocuteur, complètement impassible. J’ai un autre appel.
Nousdevrionsdéjeunerensembleetendiscuter.Masecrétairevousappellerapourlesdétails.—Oui,oui,biensûr,répliquaSuzie.Mercibeaucoup.Pasderéponse.Ilavaitdéjàraccroché.Elleposalentementsoncombinéets’efforçaderalentirsonrythmecardiaque.EllesetournaversDrew,quil’observaitattentivement.—C’étaitleMirror,murmura-t-elle.Onm’aoffertunboulot.Unerubriqueenpleinepage.Ilavaitl’airvide,commes’iln’arrivaitpasàintégrercequ’elledisait.—Onmeproposederédiger«ChèreSuzie»pourleMirror,expliqua-t-elle.—Waouh,ditDrew,retombantdanssonfauteuilcommesiellevenaitjustedelefrapper.—Oh, bon sang,Drew, je suis désolée, reprit-elle, se rendant compte que lemoment étaitmal
choisi.Qu’est-cequetut’apprêtaisàmedire?Qu’est-cequis’estpassé?Ilsecontentadelaregarderd’unairniais,lesmainsagrippéesàsatête.—Tupeuxm’enparler,n’hésitepas,poursuivit-elleenposantlamainsursonépaule.Ilsursautaets’écarta.Elleobservasonvisageremplidedouleur,maispour ladeuxièmefoisce
matin-là,ilfutempêchédedirequoiquecesoit, lorsquelesportesdel’étages’ouvrirentetqu’unemusiquerythméerésonnadanslapièce.—Qu’est-ceque…,commençaSuzie,tandisqu’ilssetournaienttousdeuxpourvoirlaraisonde
toutcetapage.UnevieentièrepasséeàregarderJerrySpringern’auraitpuprépareraucund’euxàlavisionqu’ils
avaient sous les yeux. Suzie entendit gémir Drew, lorsqu’il se renversa sa tasse de café sur lesgenoux.Surleseuil,unefemmesetenaitdansuneposturedramatique,balayantfurieusementduregardle
bureauenopenspace,jusqu’àcequesonregardseposesurDrew.Puiselleattrapaderrièreellesavoluptueuse traîne en satin couleur ivoire, et avança vers lui. Elle portait sa tenue complète demariage, y compris la tiare et le voile, et sur son épaule gauche, elle tenait une radiocassette trèsannées1980,quientonnaitleclassiquedeBillyIdolWhiteWedding.Suzie parvint à détourner les yeux de l’apparition qui s’approchait d’eux juste assez longtemps
pourremarquerqueDrewétaitblanccommeunlinge.—Elle ne sait donc pas que ça portemalheur de voir lamariée dans sa robe avant le jour J ?
souffla-t-elleaumomentoùEmilyatteignaitlebureaudeDrew.Cedernierneditpasunmot,secontentantderesterassisensecouantlatête.Entre-temps,unepetite
foule s’était amasséeà lapériphériede lapièce, la rumeur s’étant répanduecommeune traînéede
poudrequ’unedémentevêtued’unerobedemariéeerraitdansleslocaux.Emilyposa lourdement la radiocassette sur lebureaudeDrewetéteignit lamusique.Unsilence
absolurégnaitdanslapièce.Lafoulerassembléesetenaitprêteàl’action,attendantquelespectaclecontinue.—Jesaisqueçaportemalheurdevoirlamariéedanssarobeavantlejourdumariage,annonça
Emily.—C’estexactementcequejeviensdedire,murmuraSuzie.Emilyluijetaunregardnoiravantdepoursuivre:—Maisjemesuisditque,vuqu’iln’yauraitpasdemariage,çan’avaitaucuneimportance.EllebraquasonregardassassinsurDrew.L’assistance retint son souffle, puisdesmurmures emplirent la salle.Lorsque les chuchotements
s’arrêtèrent,seulelarespirationhaletantedeDrewrésonnaitdanslapièce.—Dequoij’ail’air?demandaEmily.—Tuestrèsbelle,répondit-ilsur-le-champ,avantdedéglutiràgrand-peine.—Jevoulaisquetumevoiescommetum’auraisvuepournotregrandjour.Commeça,l’image
demoidansmarobedemariéetehanterapourlerestantdetesjours,cracha-t-elle.—Jesuistellementnavrédet’avoirmisedansunesituationpareille,rétorquaDrew,quisemblaità
deuxdoigtsdevomir.Maisj’essayaisdefairecequ’ilfallait.Tudoislecroire,Emily.Iljetauncoupd’œilàSuzie.Elleluirenditsonregard,horrifiée.— Eh bien, reprit Emily, en rejetant ses cheveux derrière son épaule avec assurance. Tu ne
t’attendaistoutdemêmepasàcequejem’enaillesansbroncher,si?Tunepeuxpasbalancerauxorties toutes lesannéesquenousavonspasséesensemble, sans t’attendreàceque j’aiemonmotàdirelà-dessus.Ça,Drew,c’estmoiquitemontrequetuviensjustedefairelaplusgrosseerreurdetavie.—Jesuisdésolé,répéta-t-ildésespérément.Jen’aijamaiseul’intentiondet’entraînerlà-dedans.—Ehbien,tupeuxlablâmerpourça,rétorquaEmilyenpointantsamainparfaitementmanucurée
versSuzie.—Quoi?s’exclamacettedernière,enreprenantsesesprits.Jen’airienfait.ElleregardaDrew,visiblementdistrait.Ilsebalançaitd’avantenarrièresursonfauteuil,jetanttour
àtourdesregardseffrayésàSuzieetEmily.—Elle…Elle…Lesondesavoixétaitétranglé.—Elleatellementraison,poursuivitEmily,enplantantsonpoingsurlatable.Cequevousavezdit
cematinàlatélé…,poursuivit-elleenpointantrageusementSuziedudoigt.Cettepartiesurlefaitquenous nous plaignons des hommes quand ils nous font du mal, mais sans jamais les punir, donccomment attendrequ’ils en tirentune leçon?C’estmapunition,Drew,pourm’avoirplaquée sansvergognedevantl’autel,etj’espèrequejamais,augrandjamais,tun’oublierascommenttutesensàcetinstant.Ellearrachasatiareetsonvoile,etlesjetasurDrew.Suzien’encroyaitpassesoreilles.Qu’est-cequeDrewavaitfait?Celaneluiressemblaittellement
pas.Çan’avaitaucunsens.Emily se pencha pour récupérer sa radiocassette, et remit la musique pour faire brailler les
dernièresnotesdelachanson.Puiselleseretournaetsortitentrombedelapièce,passantàcôtédelafoulehébétée,sansseretourneruneseulesecondeversDrew.Suziesetournafaceàlui,etenvintàlaseuleconclusionsensée.
— Tu as couché avec quelqu’un d’autre, pas vrai ? déclara-t-elle, sans attendre de réponse.Commentas-tupu,Drew?Etmoiquicroyaisquetufaisaispartiedesrarestypesbien.Ayanttoutd’unhommebrisé,illuirenditsonregard,puisselevalentementdesonfauteuiletsortit
dubureau.Typique,sedit-elledanssonforintérieur.
Chapitre21
DrewseregardadanslemiroircrasseuxdestoilettespourhommesduMajesticHotel.Ilavaitdéjàlanauséealorsqu’iln’avaitpasencoreapprochédubargratuit.LafêtedeNoëldubureauseraitlapremièrefoisqu’ilreverraitsescollèguesdepuislaprestationd’Emily.Danslaprécipitation,ilavaitprisunesemainedecongéspourramasserlesdébrisdesavie.Ilétaitallédirectementchezsamère,et avait littéralement passé quatre bonnes heures à regarder le mur en s’efforçant de cesser detrembler,tandisqu’ellelegavaitdethéetdepâtisseries.Quandenfin,ilavaitréussiàluiexpliquercequ’il avait fait et pourquoi, elle l’avait pris dans ses bras et avait pleuré avec lui. Des larmes decompassion,sansdoutemêléesàdeslarmesdetristessequantàsaproprehistoired’amour.Sonpèreétait rentré à un moment donné, et sa mère l’avait entraîné dans la cuisine pour lui annoncerdiscrètementlanouvelle.Quandilavaitfiniparrevenir,iln’avaitvisiblementpasl’airdésolé.«Questiondetemps,fiston,avait-ilditenluidonnantunetapedansledos.Jesavaisquetufinirais
parjetertagourmetôtoutard.»Drewavaitregardédésespérémentsonpèrepuissamère.Lepointdevuetordudesonpèrequant
auxrelationsdecouplesétaitbienladernièrechosedontilavaitbesoin.Forcédefuirsurlecanapéd’unamipourquelquesjours,ilcompritqu’ildevaitremettresaviesur
lesrails,quandilsesurpritàmettresurpauseuntournoiinternationaldepokerpendantqu’ilallaitaux toilettes. Et donc il se mit à marcher. Il marcha, encore et encore, espérant amoindrir laculpabilitéincessantequil’assaillait.Cenefutquelorsqu’ilcommençaàvoirsonavenirseprésenterà lui commeun immense champdepossibles, au lieudumurdebriquequ’il voyait sedresser enpensantau jouroù il étaitcensésemarier,que le soulagementvintpeuàpeuadoucir sapeine.Cequ’iln’avaitpasprévuétaitques’ensuivraitunsentimentdecolère. Ilavaitperdu tellementdesontemps,etdeceluid’Emily.Ilavaitpassédesannéesàexisteràpeine,dansunebullestablequinelerendepas triste,mais qui ne l’avait certainement pas renduheureuxnonplus.Àprésent, il prenaitconsciencequ’il voulait vivre. Il voulait se sentir vivant. Il voulait sentir ses émotionsbouillonnerdanssoncorpsentier,paslesenfouircommeill’avaittoujoursfait,aupointd’endevenirunhommeartificieletennuyeux.Cesoir,jevaisrecommenceràvivre,sedit-il.Cesoir-làétaitledébutdurestedesavie.Ilselevad’unbondets’éclaircitlavoix,avantdesortirà
grandspasdestoilettespourchercherToby,quiavaitacceptédefaireleDJpourunprixdérisoire,etquijouaitunrôleclédansl’avènementdunouveauDrew.—Tuasl’aird’unimbécile,ditToby,entraînantuneenceintesurlascèneimprovisée.—Merci.J’ail’impressiond’enêtreun.Touslesautresavaientdéjàprislesmeilleurscostumesde
nain,nemelaissantquelesrestes.—Donctuescenséincarnerlequel?—Leclodo,apparemment.Drewdégageapourlaénièmefoisdedevantsesyeuxlepompongrisonnantdecrassequitrônait
ausommetdesonbonnet.—Parfaitpourlesfestivitésdecesoir,tunetrouvespas?ajouta-t-ild’unairgrave.Toby,luttantpourfairetenirl’enceintedebout,neréponditpas.Unefoissamissionaccomplie,il
enjambal’enchevêtrementdecâblespours’asseoiràcôtédeDrew,auborddelascène.—Écoute,monpote,dit-ilenpassantlebrasautourdesépaulesdesonami,tuesvraimentsûrde
toncoup?—Oui,acquiesçaDrewenhochantvigoureusementlatête.—Mais…,commençaToby.C’étaitlapremièrefoisqueDrewlevoyaitcherchersesmots.—Maisquoi?demandaDrew.Crachelemorceau.—Mais c’est juste que ça ne te ressemble tellement pas, mon pote. Tu ne fais jamais de trucs
pareils.Jetereconnaisàpeineàcetinstant.—C’estparcequejesuisaccoutrécommeunnainauxgoûtsdouteux.—Tusaistrèsbiencequejeveuxdire.Uneminute,tuplaqueslafemmeavecquituaspassétoute
ta vie d’adulte alors que tu es sur le point de temarier, et l’instant d’après, tum’appelles au beaumilieudelanuitavecunplanfarfelucommecelui-là.Tutecomportescommemoi,pascommetoi.Etfranchement,jenesuispastrèscontentquetumeforcesàparlercommetoi.—Qu’est-cequec’estsupposévouloirdire?— La voix de la raison, normale, sensée, répondit Toby en grimaçant. Ça me donne envie de
vomir.—Désolé.Loindemoil’idéedeteretournerl’estomac.—Écoute,repritToby.Jesaisquetuviensdequittertafiancée,etquec’estNoël,donctutesens
seul, mais est-ce que tu es vraiment sûr de vouloir aller au bout de tout ça ? Pourquoi tu ne tecontentes pas de te mettre dans le vrai esprit d’une fête de boulot ? Boire une bouteille de vinmédiocreetcoucheravecunesecrétaire,aulieudecettemiseenscènethéâtrale?—Lessecrétairesn’existentplus.Onlesappelledesassistantespersonnellesdenosjours.—Encoremieux,s’écriaToby.Faisensortequel’uned’entreellest’assistepersonnellementpour
tefaireoublierceplanboiteuxavecunebonnepartiedejambesenl’air.Drewsepenchapourastiquerlaboucledoréedesabotte,puisseredressapourregarderToby.—Jeneveuxpasd’unebonnepartiedejambesenl’air,dit-il.C’estelle,quejeveux.Tobyarboraunairgrave.—Alorsvaluiparler.Pourquoienpasserpartouscesennuis?—Tuaslusarubrique.Ellenousprendtouspourdessalopards,ycomprismoiaprèscequej’ai
faitàEmily.Jenepeuxpasmecontenterdetoutluiavouer.Jedoislaconvaincrequ’ellenevapasfiniravecsesespoirsanéantis,commeavant.—Waouh,mec,ellet’avraimenttournélatête,soupiraToby.—Ehbien,ilsetrouvequejepensequ’elleenvautlapeine.—Faisjusteattention,c’esttout.—Qu’est-cequetuveuxdire?—Jenesaispas,réponditTobyenagitantlespieds.Jeneveuxpasquetusouffres,monpote.On
nesaitjamaisaveclesnanas.Ilsepourraitqu’ellenesoitpascellequetucrois.Lesfemmesfontdestrucsdingues.Ellespeuventêtreimprévisibles.Jeneveuxpasqueçaseterminemalpourtoi.—Jepensequeçavautlecoupdeprendrelerisque,déclaraDrewsuruntonsolennel.—Ettuessûrquec’estelle,absolumentcertain?—Àcentpourcent.Tobyouvritlabouchecommes’ils’apprêtaitàdirequelquechosedesérieux,avantdeseraviser.Il
empoignaDrewparl’épaule.—Bon,alorsfonce,idiot.VacherchertaBlanche-Neige,s’illefaut.Jesuisprêtdemoncôté.
—Merci,monpote.Siçamarche,j’auraiunesacréedetteenverstoi.Drewquittalapièce,injustementqualifiéede«grandesalledebal»,etpartitenquêtedubarpour
affronterlerestedesescollègues.Ilespéraitqu’ilssoientdéjàgrisésparlesverresgratuits,etparl’hilaritédesevoir lesuns lesautresdéguisésenpersonnagesdecontesdefées,etdoncbien tropdistraitspourluiposerdesquestionssursaspectaculairedernièreentrevueavecsonex-fiancée.«Onnevapassemarierdemainmatin,dingdong,lessonnettesnevontpasretentir»,entonnèrent
lessixautresnainslorsqu’ilapprochadubar.—Merci,lesgars,marmonna-t-ilenattrapantunverretoutencherchantuneissue.Il se dirigea vers la réception, dans l’intention d’aller prendre l’air, mais se fit coincer par
l’hommeengagépourphotographierlesemployésduManchesterHeraldàleurarrivée,avantqu’ilsnesoienttropenivréspourprendrelapose.—Allez,fiston,jenevousaipasencorepris,ilmesemble?Mettez-vouslà.Drew traîna lespieds jusqu’audécormontépar lephotographe.Alorsqu’il se tenait là, seul, se
sentantprofondémentmalheureux,ils’aperçutqu’unesoiréedurantlaquelleonétaithabilléennainetcontraintde se faireprendreenphotodansde la fausseneigeenpolystyrèneàcôtéd’un renneenpelucheétaitloindegarantirseschancesdesuccès.—Jevaisvousdire, reprit lephotographe. J’aivoulu tenterun truc toute la soirée.Enlevezvos
chaussures,agenouillez-vous,etmettezvosgenouxdansvoschaussures,commeçavousaurezl’aird’unvrainain.Allez,çavaêtrehilarant.Drew fut coupé dans son élan de luimettre son poing dans la figure par l’arrivée deBlanche-
Neige.— Bon sang, impossible de trouver des nains dignes de ce nom ces temps-ci, lança Suzie,
apparaissantderrièrelephotographevêtued’uneparfaitepanoplie,complétéeparuneperruquenoirdejais.— Juste à temps, répliqua le photographe.Allez, nous avons besoin de vous sur cette photo, et
dites-luidesemettreàgenoux,ajouta-t-ilenmontrantDrewdudoigt.Suzieempoignasonjuponetseglissadanslecadre.LecœurdeDrewbattaitlachamade.Onaurait
ditqu’ellesortaittoutdroitd’uncontedefées.Commentdiableallait-ilbienpouvoirmettresonplanenactioncesoir-là,surtoutenressemblantplusàuntrollqu’àunnain?Suziedétestaitvraimentlestrolls.Ildevaitêtrefou.Cen’étaitpasuncontedefées,maislavraievie,oùlesnainsnefinissentpasaveclaprincesse.—Allez,àgenoux, lesomma-t-elle, interrompantsacrisedepanique.Si tu te lèves, tuvas juste
passerpourunclochardbourréquiatitubédelaruejusqu’ici.Aumoins,situesàgenoux,lesgenscomprendrontquetuescenséêtreunnain.Elleluipritlamainetluiindiquades’exécuter.Il se retrouva incapabledeparler,donc il fit la seulechosequ’ilpouvait faire. Il s’agenouillaet
s’efforçadenepasleverlesyeuxversBlanche-Neige.—Super,s’enthousiasmalephotographe.Envoilàunepourlacheminée,ajouta-t-ilunefoisqu’il
eutterminé.SuzierelevaDrewetl’attendit,tandisqu’ilbataillaitaveclesbouclesdeseschaussures.—Bon,commentçava?s’enquit-elletandisqu’ilssedirigeaientverslebar.Jecomptaist’appeler
maisjemesuisditquetuavaissûrementbesoind’air.—Çaaétéunesemaineéprouvante,sionpeutdire,répondit-il, tentantdefairerevenirsasalive
danssabouchesèche.—SansdouteencorepluspourEmily,rétorqua-t-elle.
—Oui,bienentendu,répliqua-t-ilsansattendre.Justeàl’entréedubar,elles’arrêtaetsetournaverslui.— Écoute, Drew, commença-t-elle. Je veux te remercier de m’avoir aidée avec tout ça ces
dernièressemaines.Jen’auraisjamaispuenfairelamoitiésanstoi.ElleleregardaitsiintensémentqueDrewsedemandasicetinstantétaitsachance.Peut-êtredevrait-
ilenfinirettoutconfesser.Laissertombertouteslesfioritures.— Je dois t’annoncer, cela dit, que j’ai prévu d’accomplir ma dernière vengeance ce soir,
poursuivit-elle.Jesaisquejen’enaijamaisfaitmentionauparavant,maisjemesuisditquetuavaissuffisammentdechosesàgérer.L’espritdeDrews’emballa.Ellecomptaitaccomplirsadernièrevengeancecesoir-là?Autrement
dit,letrolljoueurdeflamencoétaitprésent.Dequis’agissait-il?Dansl’ensemble,leshommesquitravaillaientpourleHeraldétaientdetelsratésqu’ilnepouvaitimaginerSuzies’engageravecl’und’eux.Àmoinsque…Non, ellen’aurait pas fait ça, si ?Drew repensa à cematin-là, dans le café,quand,vertdejalousie,ilavaitvisitéleblogdeGareth.IlserappelaqueGarethavaitmentionnélaguitarecommel’unedesespassions.Ils’ensouvenaitparceque,instantanément,ill’avaitimaginéentraindejouerlasérénadeàuneSuzietransie,etquecettevisionluiavaitretournél’estomac.Ainsi,SuzieavaiteuuneliaisonsecrèteavecGareth.Voilàpourquoielleavaitditquec’étaitcompliquéetqu’ellepréféraitnepasenparler.Cequin’avaitpasde sens, c’était la raisonpour laquelleGarethsoutenaitautantlarubriquerevanchardedeSuzie.Sansdouteparcequ’ilsevoyaitcommeuneciblepotentielle.Parailleurs,ilétaittellementaveugléparl’ambition,qu’ilseraitprêtàtoutencaisserpourgrimperjusqu’ausommet.—Drew, tum’écoutes?demandaSuzie, l’interrompantdans sespensées. Jevoulais justeque tu
soisaucourant,pourquetunesoispassurprisquandçaarrivera.—Ouais,biensûr,répondit-il,toujourssouslechoc.Ilcompritqu’ildevaitmettreuntermeàsonplanimmédiatement.Ilnepouvaitpasagircesoir-là.
Passielleavaitdesigrandsprojetsdesoncôté.—Bon, je dois justepasser aux toilettes, ensuite allonsprendreunverre avant denous torturer
aveclescharmantessurprisesquenousréservelepèreNoëlsecret.Drewrestaclouésurplace,encoreabasourdi,puispoussaunhurlement.—Bonsang!IlpoursuivitSuzieencourant.IldevaitatteindrelepèreNoëlsecretavantelle.
Chapitre22
—ChèreSuzie,Dieusoitloué,vousêteslà,gémitClare,lanouvellestagiaire,dèsqueSuziemitunpieddanslestoilettes.Qu’est-cequejevaisfaire?EllesejetapourprendreSuziedanssesbrasetsemitàsanglotersursonépaule.Suzieétaitperdue.Elleavaitàpeineadressédeuxmotsàcettefilledepuissonarrivée,sansparler
du moindre contact physique. Bizarrement, elle tapota Clare dans le dos d’une manière qu’elleespéraitréconfortante.—Le petit ami deClare, Theo, discute avecBecca depuis qu’il est arrivé, expliquaMaddie, du
service commercial. Il n’a d’yeux que pour elle. Il lui a même offert un Cosmopolitan, et s’estcontentéd’apporteràClareunvulgaireverredeBacardiBreezer.Clarelevalatête.—À…à…à…àl’ananas,bredouilla-t-elled’unevoixétranglée.Ilm’aprisdel’ananas,etilsait
quej’aihorreurdeça.Qu’est-cequejevaisfaire,Suzie?Suzieregardaderrièreelleenquêtedesoutien,ets’aperçutqu’unepetitefoules’étaitrassemblée
pourassisterà lascène.Elles l’observaient toutes, lesyeuxpleinsd’espoir,etellecompritqu’ellesattendaientqu’ellerésolveleproblèmedeClaresur-le-champ.—Çavaaller, repritMaddie,en frottant ledosdeClare.Suzieest làmaintenant.Elleva tedire
quoifaire.Suzie n’en revenait pas. Pas si longtemps auparavant, les femmes les plus jeunes du bureau
l’ignoraient presque, la considérant comme une journaliste ratée qui empêchait leur carrière deprogresser. Et voilà qu’elles la regardaient comme si elle incarnait unYoda de l’amour, attendantpatiemmentqu’elleleurdispensesessagesconseils.Ehbien,sic’étaitcequ’ellesvoulaient,elleallaitleurendonnerpourleurargent.ElleétaitChère
Suzie,aprèstout,futurechroniqueusepouruntabloïde,etgrandestardelatélé.ElleempoignaClareparlesépaulesetlasecouadélicatementpourpouvoirlaregarderdroitdans
lesyeux.—D’abord, je veux que vous arrêtiez les alcopops, dit-elle avec fermeté. Rien de bon ne peut
jamaisarriveràunefillequienboit,d’accord?—Oui,biensûr,reniflaClare,enhochantlatêteavecvigueur.—Etdeuxièmement…Ellemarquaunepausepouraccentuerl’effetdramatique,sentantsonauditoiresepencherenavant.—Jeveuxquevoussortiezd’ici,etquevousluidemandiezdepartirimmédiatement.—Quoi?s’exclamaClare,visiblementpriseaudépourvu.— Demandez-lui de partir, répéta Suzie. C’est votre invité ici. Il se comporte de manière
inappropriée,doncdemandez-luidepartir.C’estvotre seulespoirdevousamusercesoir, croyez-moi.Clare, les yeux écarquillés, dévisagea Suzie. Pas un son ne s’élevait derrière elle, vu qu’elles
attendaienttoutessaréaction.—Biensûr!s’écria-t-elle.Jeluidemandedepartir.Simplecommebonjour.Iln’aaucundroitde
merendremalheureuseàmafêtedebureau,si?Oh,Suzie,jevousremercie.
— Il n’y a pas de quoi. Mais souvenez-vous, plus de Bacardi, reprit Suzie, sentant une pointed’autosatisfactionlaparcourir.Elle se tourna vers lesmiroirs pour vérifier sonmaquillage, quand la porte s’ouvrit tout d’un
coup,Sandraseprécipitantàl’intérieur.—Jesuisenretard?questionna-t-elle,horsd’haleine.DivientdemedirequeSuziedonnaitdes
conseilsgratuitsdanslestoilettes.Waouh ! Il allait lui falloir sa propre émission télé sans tarder. Les fêtes cauchemardesques de
Suzie.—Oh,Suzie,Dieumerci,vousêteslà.Écoutez,monmariagâchémasoirée.Ilvientdemedire
quemoncostumedePeggylacochonnem’allaitcommeungant.Qu’est-cequejedoisfaire?Suziesoupira.Celle-làétaitvraimenttropfacile.— Retournez-y, et dites-lui que quand vous faites l’amour, vous fantasmez sur Kermit la
grenouille,parcequetoutvautmieuxquederegardersonpathétiquecorpsbedonnantetflasque.Unéclatderirecollectifretentitdanslapièce.—Parfait,déclaraSandraavantdeseretournerd’unbondetderessortiràlahâte.—Aumoins, sonmari est venu,marmonnaBrenda.Lemien a refusé. Ilm’a dit qu’il préférait
encoreresteràlamaisonetregarderlapeinturesécher,plutôtquedesortiravecmoi.Suziepivotaversleurfemmedeménagedesoixanteans.—Rentrezchezvous,gronda-t-elle.—Quoi?—Rentrezchezvoustoutdesuite.Récupérezdeuxdevospetitesculotteslesplusosées,etvotre
brosseàdents,puisdites-luiquevousleverrezdemainmatin.Vousrestezicicettenuit.Etenrentrantdemain,refusezdeluidireoùvousétiez.Laissez-lemijoterpendantdouzeheures.Non,pendantunesemaine.Çaluiapprendraàs’intéresseràcequevousfaites.BrendadévisageaSuzieunmoment,visiblementincrédule,avantdechangersonfusild’épaule.—Ceneserapaslong,lança-t-elleensortant.Suzie regarda la flopée de mains levées qui l’entourait. Encore plus de femmes s’étaient
rassemblées,etellessemblaienttoutescriersonnom.Combiendedésastresliésàlagentmasculinepouvait-ontrouverpendantunefêtedeNoël?C’étaitunvéritablechampdemines.Ellelevalesmainspouratténuerlacacophoniedeproblèmes.Quandlesilencesefit,elleleurdonnalaréponseàtoutesd’unseulcoup.—Encasdedoute,dansez,s’écria-t-elle.Ilsnepeuventpasvouscontrariersurlapistededanse.
Allez,qu’est-cequ’onfichetoutesici,alorsquelapistenousattend?Elleslasuivirent,commesielleétaituncharmeurdeserpent,jusqu’àlagrandesalledebal,eten
quelquesinstants,elleseretrouvanoyéedansunefouled’hormonesenfolie.Suzieavaitl’impressiond’êtrelareinedumonde.Cesfemmesl’adoraient.Ellelesrendaitheureuses.Quiauraitcruquesonatroce passé amoureux finirait par la forger ?Qui avait besoin des hommes, en définitive ?Et lemomentfortdelasoiréerestaitencoreàvenir:sonultimevengeancedevantsesfansendélire.Elleétaitimpatiente.Trois chansons plus tard, une émeutemanqua de se déclencher lorsque leDJ, seméprenant sur
l’humeurdel’assemblée,commençaàmettreuneversionmièvredeAllIWantforChristmasIsYou.Suziesesentittellementfièreenobservantunearméedefemmesencolèreexigerqu’onl’enlèvesur-le-champetqu’onlaremplaceparIWillSurvive.Rassuréede lesvoirmaîtriser lesardeursduDJ,elledécidad’allersedébarrasserdupèreNoëlsecretavantqu’onneprielesinvitésdepasseràtable,etretournaaubarpourtrouverledécordegrotteplantépourl’occasion.
Comme si le concept du pèreNoël secret n’était pas suffisamment catastrophique comme ça, ilfallaitenpluss’asseoirsurlesgenouxdeChrisduserviceinformatique,sonénormeventreexplosantsous sa fausse fourrure, tandis qu’il frissonnait en demandant à ses collègues féminines si ellesavaientétédesagespetitesfillescetteannée.LeseulbonusétaitqueChrisavaitutilisésonéquipementpourproduireunesupergrotte.DesimagesnumériquesdupôleNordétaientprojetéessurunécranderrière lui, un néon donnait l’impression que des flocons de neige tombaient du ciel ets’évanouissaient dans le néant, créant un effet magique impressionnant. Un de ses sous-fifrescommandaitlamachinerieentièrederrièreunordinateur,tandisquelesdeuxautresvêtuscommelespetitesmainsdupèreNoël,affichaientuneminesombre,ettenaientdessacsremplisdecadeauxdontpersonnen’avaitrienàfaire.—Suzie!s’exclamalepèreChrislorsqu’elleapparut.VousêtesaussisexyqueBlanche-Neige.Il avait les yeux écarquillés de plaisir.Un sifflement strident s’éleva de nulle part.Le sous-fifre
derrièrel’ordinateuravaitl’airembarrassé.—Toutàfaitinapproprié,pèreNoël,fitremarquerSuzieensecouantlatête.Onpeutenfiniraussi
vitequepossible?ajouta-t-elleentendantlamain.Donnez-moiçaetlaissez-moipartir,d’accord?— Désolé, Suzie. Papa Noël a besoin que vous vous asseyiez sur ses genoux et que vous lui
racontiezcommentvousvousêtescomportéecetteannéed’abord, rétorqua lepèreChris, lesyeuxbrillants.— Allez vous faire voir, Chris, répliqua-t-elle. Je ne vous laisserai pas entretenir un fantasme
bizarre avecBlanche-Neigepour le reste de la décennie, juste parceque jeme suis assise sur vosgenoux.Maintenant,donnez-le-moi.—Sinonquoi?questionna-t-ilsuruntondedéfi.—Jevousdénonceraiàl’UniondespèreNoëlsecretpourrétentiondecadeauxnuls.—Nevousgênezpas,dit-il.Vousverrezbiensijem’ensoucie.Jen’aipasbesoindevous.Jeviens
d’avoirCendrillonsurlesgenouxpendantdeuxminutesetdemie.—Deuxminutestrente-six,pourêtreprécis,gazouillal’opérateurinformatique.— Vous voulez dire que vous chronométrez le temps que l’on passe assise sur vos genoux ?
demandaSuzie.Lessous-fifresricanèrent.—Onfaitunpari,réponditChris.Onestimequevousdevezentrerdansletoptroisvuquevous
êtescélibataireetdésespérée.Allezvenez,yaunejoliesommeenjeu.—Vousêtestousrépugnants.Vouspouvezvouslegarder,votrepèreNoëlsecret,ajouta-t-elleen
s’éloignant.— Donc vous ne voulez pas de cette enveloppe dorée ? répliqua-t-il en brandissant l’objet en
question.Suzies’arrêtadanssonélan.Uneenveloppe?Voilàquichangeaitladonne.Uneenveloppeavaitdu
potentiel.Cepourraitêtreduliquide,cequiseraituncadeauparticulièrementsenséàmettredansunpèreNoëlsecret,oubienunbonderéductionpourunemanucure,ouautre.Lesenveloppesn’avaientrien à voir avec ces paquets qui contenaient sans nul doute une abomination. Elle se retourna ets’avançapourlaprendre,maislepèreChrislamitrapidementhorsdesaportée.—Oh,non,vousnel’aurezpasaussifacilement.Vuquevousavezétéunevilainefille,vousdevez
vousasseoirsurmesgenouxpourl’ouvrir.—Arrêtezvosbêtises.Elleessayad’attraperl’enveloppeunenouvellefois,maisill’enlevaprestement.Aumêmeinstant,
elleremarqual’arrivéedunainDrew,quiparaissaittroublé.
— Drew, dis-lui de me donner mon père Noël secret, ordonna-t-elle. Il prétend que je doism’asseoirsursesgenouxpourl’avoir.—Dis-luidelegarder.Ilseranul,detoutemanière,rétorqua-t-il.—Maisc’estuneenveloppe,gémitBlanche-Neige.Cen’estpascommelescadeauxemballés,elles
ontdupotentiel.J’aibesoindesavoircequ’ellecontient.—Tutelaissesembobiner,reprit-il.Cen’estqu’unpèreNoëlsecret,cenepeutrienêtredebon.
Souviens-toidecequetudisaisl’autrejour,ajouta-t-ilenluitendantlesmains.Éloigne-toijustedupèreNoëlsecret,tupeuxlefaire.Blanche-Neigedévisageait tourà tour lepèreChriset lenainDrew.Elleauraitdûpartir, elle le
savaitbien.Mais,etsic’étaitunbeaucadeau?Etsiquelqu’unavaitenfintapédanslemille,etavaitdénichéleparfaitcadeaudepèreNoëlsecretetqu’elles’éloignait?Elleenétaitincapable.Elledevaitsavoir ce que contenait cette enveloppe dorée. Elle se tourna vers Drew, affaissant les épaules ensignededéfaite,avantdeseretournerd’unbondàlavitessedel’éclair,sajupejaunebrillantheurtantun arbre deNoël décoratif au passage. Elle bondit en avant et arracha l’enveloppe de lamain dupèreChris.—Jel’ai!s’exclama-t-elle,ensautillantsurplace.—Pourquoinel’ouvres-tupasdemain?suggéralenainDrew.Ougarde-lapourlejourdeNoël.—Horsdequestion,s’écriaSuzie.LeseultrucbienaveclepèreNoëlsecret,c’estqu’onaledroit
d’ouvrirsoncadeautoutdesuite.Elledéchira l’enveloppe, semantdesmorceauxdepapierdorépar terre,puisen sortitunecarte
blancheetlutlesmotstapésàlamachinequiavaientétélaborieusementcollésdessus.—Qu’est-cequeçadit?demandèrentlestroissous-fifresenchœurens’amassantautourd’elle.—«Soissurlapistededanse,souslabouleàfacettes,àminuitpourtalivraisonspécialedupère
Noëlsecret»,lut-ellelentement.Lesilencesefittandisqu’ilss’efforçaienttousdecomprendrelemessagecrypté.EllesetournaverslepèreChris.—Yaintérêtàcequecenesoitpastoiquiessaiesdemetripoterdansl’obscurité,aboya-t-elle.—Cen’estpasmoi,plaida-t-il,levantlesmainsengestedesoumission.Bonneidée,celadit.Peut-
êtrequejetenteraiçasurDebsdelacomptal’anprochain,ajouta-t-il,l’airsongeur.—Jenecomprendspas,repritBlanche-Neige,lesyeuxrivéssurlemessage.Qu’est-cequeçapeut
bienvouloirdire?—Unadmirateursecret,murmural’undessous-fifres.C’estlaseuleexplication.Ilvaserévélerce
soiràminuit,vousnecomprenezpas?C’esttellementromantique,soupira-t-il.—Vouscroyez?demandaBlanche-Neige.—Non,cen’estpasça,intervintlenainDrew,enarrachantlacartedesmainsdeSuzie.Quelqu’un
tefaitmarcher,forcément.C’esttoi,non,Chris?Neleslaissepast’entuber,Suzie.Oublietoutça.Il tentademettre lacartedans lapoche supérieurede saveste, jusqu’àcequ’il se rendecompte
qu’iln’yenavaitpas–seulementunvestonmaculédetachesdevin.Blanche-NeigerepritlacarteàDrewpourlarelire.—Souviens-toideceque tuasdit, lapressa-t-il.LepèreNoëlsecretdéçoità tous lescoups.Le
pèreNoëlestunhommeaprèstout,doncautantlajeter,pasvrai?—Oui,finit-elleparacquiescerenlevantlatête.Tuasraison.Chris,vousêtesunhommemort.Ellesortitdelapièceendressantfièrementlatête,s’efforçantd’ignorerque,l’espaced’uncourt
instant,soncœuravaittressautéquandlesmots«admirateursecret»,«minuit»,«bouleàfacettes»et«pistededanse»avaientpeuplélaconversation.
Pasderaisondes’emballer,sedit-elleensonforintérieur.Aprèstout,ils’agissaitdelafêtedeNoëldubureau.Autrementdit,l’occasionidéalepoursefaire
briserlecœurenunriendetemps.Laséanceauxtoilettesenétaitlapreuve.Non,ilfallaitqu’elleseconcentre.Cesoir-là,lederniertrollseraitbeletbienenterré.Voilàcequiimportait,etcertainementpaslefaitquequelqu’unseserved’unjeustupidepourfaireuneblaguedemauvaisgoût.
Chapitre23
Àlafindurepas,Drewsesentaitpresquedétendu,soulagédesavoirqu’iln’allaitpastoutavoueràSuziecesoir-là.Mêmes’ilavaitfrôlélacatastropheaveclepèreNoëlsecret.Ils’étaitrenducomptequeréclameràChrislecadeaudeSuzierévéleraitsonidentitéetsusciteraitbientropdesuspiciondesapart.Autantlaconvaincrequ’ellesefaisaitentourlouperparquelqu’un,l’amenerànepastomberdanslepanneau,etenresterlà.Illuiserviraitsoncœurbattantsurunplateauunautrejour.Alorsmêmequ’ilenvisageaitdes’excuseretdepartir,Suziesurgitsurlachaiseàcôtédelui.— Je suppose que tout le budget de la soirée est parti pour la picole gratuite et pas pour la
nourriture.EllepiquasafourchettedansunebûchedeNoëlaussidurequelapierre,quiavaitétéabandonnée
dansuneassiette.—Hmm,marmonna-t-il,s’efforçantdenepasregarderseslèvresalorsqu’ilsesentaitlégèrement
griséparlevinbonmarché.Ilsdemeurèrent silencieuxenobservant lahideuseexhibitiondedéhanchésqui avaient envahi la
pistededanse.—Tusais,c’estvraimentcurieux,maisjen’avaisjamaisrelevéqu’ilyavaitunebouleàfacettes
ici auparavant, fit-elle remarquer, en faisant un signe de tête vers le plafond.Même si ça fait desannéesqu’onvientpournossoiréesdeNoël.Drew n’osa pas répondre, donc il observa Suzie contempler la boule à facettes, complètement
hypnotisée,unpetitsourireaucoindeslèvres.—TupensesàcettecartedepèreNoëlsecret?fut-ilcontraintdedemander.Elle se tourna pour le regarder. Elle était d’une beauté époustouflante. Il mourait d’envie de la
prendredanssesbrasetdel’embrassersur-le-champ.—Non, répondit-elle. Tu avais raison. C’est juste un crétin qui essaie dem’entourlouper.Quel
idiot,hein?Embrasse-la,embrasse-la,imploraitunevoixàl’intérieurdeDrew.—Ouais,quelidiot,marmonna-t-ilendétournantlesyeux.Embrasse-la,luihurlaitsoncorpsentier.LebrasdeSuzieeffleuralesienlorsqu’elleselevabrusquement.—Tunet’envaspas,si?s’exclama-t-il.—J’aidestrucsàfaire,répondit-elle.Onsevoittoutàl’heure.—Ouais,pasdesouci,àtoutàl’heure.Drew l’observa se retourner et s’éloigner. Imbécile. Il aurait dû aller jusqu’au bout. Il s’était
promis qu’il allait commencer à vivre, commencer à montrer ses émotions, et voilà qu’il lesenfouissait comme d’habitude. D’autant qu’il avait vu la façon dont elle regardait cette boule àfacettes.C’étaitdel’espoirdanssesyeux,ilenétaitconvaincu.Ilfallaitqu’ilagissecesoir-là.Ilnepouvaitpaslaisserpassersachance.Ladernièrevengeancedelajeunefemmen’étaitpasuneexcuse.Deplus,Suzieoublieraittoussesprojetsunefoisqu’illuiauraitdéclarésaflamme.Çan’auraitpluslamoindreimportance.
L’horloge approchait rapidement de minuit, et l’humeur dans la pièce changea lorsque le DJralentit lacadence,etglissa lentementversunesériedeslows.Les femmesqui,auparavant,étaienteuphoriséesparlasolidaritéféminine,sefondaientàprésentdanslecorpsdeleurescortemasculine,tandisquel’alcooletleromantismedumomentlessubmergeaientetqu’ellessuccombaientàlavoixsuavedeBarryWhite.Suzie regarda samontre : « 23 h 58 ». Il était temps de semettre en position et d’accomplir sa
dernièrevengeanceavantquelasoiréenesetermine.Ellepartitcherchersavalise,qu’elleavaitcachéesousunetablesur tréteauxaufondde lasalle,
plustôtdanslasoirée.Leplanétaitsimple,rapide,etavecunpeudechance,efficace.Elles’apprêtaitàtraverserlapistededanselorsquelachansons’acheva,etlavoixduDJvintinterromprel’instant.—Nousarrivonsàlafindelasoirée,mesdamesetmessieurs,etonm’apriédevousrappelerde
vousassurerd’aller récupérervoscadeauxdupèreNoëlsecret.PapaNoëlprétendquesahotteestencorepleine,etilaimeraits’assurerquevous,mesdames,alliezlavideravantdepartir.Tobyponctuasondiscoursparunroulementdetambour.Personnenerit.—Bon,onm’ademandédeprésenterundescadeauxdupèreNoëlsecretpersonnellement.Donc,
au prix d’un grand effort financier, nous aimerions présenter à SuzieMiller son cadeau de Noëlsecrettrèsspécial.Suzie s’arrêta dans son élan au bout de la piste de danse, et lâcha le bagage sur le sol.Que se
passait-il ?Elleavaitdupain sur laplanche ; ellen’avaitpasde tempsàperdreavec lepèreNoëlsecret maintenant. D’autant plus s’il s’agissait d’une mauvaise blague. La musique repartit et ellereconnutimmédiatementlestoutespremièresnotesdelachansondeRickAstley,NeverGonnaGiveYou Up. Un million de pensées affluèrent en cascade dans son esprit. Que diable se passait-il ?Pourquoipassait-oncetitre?Bonsang,RickAstleyluimanquaittant.Était-iltoujoursaussisexy,etportait-iltoujoursdescostumesviolets?Tandis que la chanson continuait, elle eut soudain envie de pleurer. Les paroles du refrain la
ramenèrent directement à ses années d’adolescence, quand elle avait vécu son tout premier baiser.Uneseconde.Quisurcetteplanètesavaitunechosepareille?Elleregardavers lapistededanse,àprésentvide,vuquelescouplesquisebécotaientavaienttentésanssuccèsdecontinuerleurparadeamoureuse surcettemusiqueplusentraînante.Seuleunepersonneyétait toujours, enpleinmilieu,souslabouleàfacettes,habilléennain.Drewlevaitungobeletenplastiquedanssadirection.Qu’est-cequ’ilétaitentraindefaire?Était-celuiquisecachaitderrièrelemessagedupèreNoëlSecret?Certainementpas.Quelquepeuagacée,elleempoignasajupeet traversalapistededanseàgrandspas.Ilsouritetluitenditlegobeletenplastique.—Cinzanoetlimonade,dit-il,visiblementnerveux.Ellebaissaleregardverslegobeletetremarquaquesonamitremblaitcommeunefeuille.EllerelevalesyeuxversDrewmaintenantaussiblêmequ’unfantôme.— Qu’est-ce que tu fabriques, Drew ? interrogea-t-elle, agacée qu’il la mette tant sous les
projecteurs,ets’interposeentreelleetsavengeance.—Jevoulaisteramener,souffla-t-il.— Parle plus fort, je n’arrive pas à t’entendre, cria-t-elle par-dessus le vacarme de lamusique
disco.Il baissa les yeux vers le gobelet et en descendit le contenu avant de le balancer par-dessus son
épaule.Puisilavançad’unpasetluipritlesdeuxmains.—Jevoulais te ramener, répéta-t-il.Àl’époqueoù tuétaisadolescente,danscettesalledesfêtes
dont tum’as parlé. Tu sais, celle avec la boule à facettes, lamusique disco un peu louche, et lesboissonscoupéesàl’eau.—Mais…maispourquoi?demanda-t-elle,complètementabasourdie.— Parce que tu as dit que c’était la meilleure époque de ta vie. Quand une chanson passait, ta
chanson,tutelevais,tudansais,ettuavaisl’impressiond’êtreàl’endroitleplusmerveilleuxdetoutl’univers.Quandtudansaisparcequetuétaisheureuse,etnonparcequetuétaiscontrariée.Quandunsourire de la bonne personne pouvait envoyer ton cœur dans la stratosphère pendant une semaineentière.Il s’arrêta, comme s’il attendait une réaction de sa part.Comme elle n’ouvrait pas la bouche, il
poursuivit:—Quandtuavaisencoredel’espoir,Suzie.Quandtucroyaisencoreenl’amour.C’estcequeje
voulaisquesoittonpèreNoëlsecret.Pourquetuteremettesàespéreretàcroireenl’amour,parceque…parceque…Sarespirationétaithaletanteàprésent,commes’ilétaitàdeuxdoigtsdel’hyperventilation.Suzieavaitlesyeuxrivéssurlui,s’efforçantd’intégrercequ’ildisait.Lesmotsentraientdansses
oreilles,maissemélangeaientunefoisdanssa tête.Elle tentadeseconcentrerpourycomprendrequoi que ce soit, mais alors elle aperçut quelqu’un derrière Drew, et soudain, ses paroles furentcomme aspirées de son cerveau et remplacées par quelque chose qu’elle arrivait à comprendre.Accomplirsamissiondusoir.—Drew, l’interrompit-elle en posant lesmains sur ses épaules. Tout ça, c’est bien gentil, et je
m’assureraidetéléchargerRicksurmoniPod.Mercipourm’avoirrappeléàquelpointc’étaitgénial.C’estunmerveilleuxcadeaudeNoël.Ellelepritdanssesbrasenespérantclorelaconversation.—Oh, Suzie, l’entendit-elle lui souffler au creux de l’oreille, avant de s’écarter d’elle. Ce que
j’essaiededire,c’est…Ellelevalamainpourluiintimerdesetaire.—Drew,reprit-elle.J’aiquelquechoseàfaired’abord,aprèsjeteprometsqu’onparleradeRick
autantquetuveux.—Mais,Suzie,répliqua-t-il,commençantàsemblerfrustré.—Jevoulaisvousdirequejesuisvraimentheureuxpourvous,lançaToby,apparaissantsoudain,
etregardantnerveusementSuzieetDrewtouràtour.Etjesuisimpatientqu’ondeviennetousamis,ajouta-t-ilenadressantunregardinsistantàSuzie.Celle-ciledévisagea.Voilàqu’ilparlaitenénigmes.Était-elleentrainderêver?EllesetournaversDrew,quipouruneraisonobscuresecouaitvigoureusementlatêteversToby.—Drew,répéta-t-ellesuruntonferme.J’essaied’accomplirmadernièrevengeance.—Suzie,non!s’exclamèrentDrewetTobyenchœur.—Tupeuxarrêtermaintenant,poursuivitDrew.Tun’asplusàprendretarevanche.Ilfautjusteque
tum’écoutes.—Oui,laissetomber,renchéritToby.—Oh,çat’arrangeraitbien,n’est-cepas?rétorquaSuzie,ensetournantverscedernier.—Nefaispasça,Suzie,implora-t-il.—Qu’est-cequisepasse?intervintDrew,ayantsoudainl’airconfus.—Tobyestmonderniertroll,réponditSuzie,lesdentsserrées.Etmaintenant,tuasfichuparterre
madernièrevengeance.—Monpote.C’étaitrien,plaidaTobyenregardantDrew,terrifié.
—Quoi?demandaDrewenvacillant.Jenecomprendspas.— Ilm’a appelée après que nous nous sommes rencontrés pour ta fête de fiançailles, expliqua
Suzie.Ilm’aditqu’ilvoulaitqu’onsevoiepourcommenceràtravaillersursondiscoursdetémoin,etqu’ilavaitbesoindebonnesanecdotesdebureau,doncjen’allaispast’enparler.Ons’estretrouvésdansunbarpendantl’happyhouret,enfin…—Vousavezcouchéensemble?interrogeaDrew,incrédule.—Monpote,c’étaitrien,vraiment,protestaToby.—Maistuétaisfiancéàl’époque,répliquaDrew,horrifié.—C’étaitcommejetel’aidit–tusais,pendantl’essayagedenoscostumes.J’avaisjustebesoinde
melasortirdelatête.Çanesignifiaitrien;jenepouvaispassavoirqueçaallaittournercommeça.—Çanesignifiaitrien?s’écriaSuzie.Tum’asditquetuallaisrompreavectafiancée,maisc’était
unmensonge.Tunel’asjamaispensé,tuvoulaisjustememenerenbateauunpeupluslongtemps.Elleseretournaetsedirigeaversl’extrémitédelapistededansepourramasserlavalisequ’elle
avaitabandonnéelà.EllelabalançalourdementauxpiedsdeToby.—Tuvoiscebagage?demanda-t-elle,enpointantl’objetdudoigt.C’estceluiquej’aipréparéle
soiroùtum’asditquetuallaisquitterChloe.Jecomptaistedirequ’aprèstoutcetemps,jenel’avaistoujours pas déballé.Que je t’attendais toujours. Je voulais te flanquer la trouille, au point que tufasseslesermentdeneplusjamaisdévierdudroitchemin.Le silence régnait à présent. En l’absence du DJ, la musique s’était arrêtée. Tout le monde les
observait.—Tusavaisqu’ilétaitfiancé?questionnaDrew,horrifié,lesyeuxrivéssurelle.—Non,biensûrquenon.Pasaudébut.Pasavantqu’ilm’aitséduite.Etpuis…Elles’interrompit,ignorantquoidire.Drewsecoualatêted’unairdésespéré.—C’estluiquiétaitfiancé,pasmoi,protestaSuzie.—Non,non,dit-il,enreculant.Ilchancelalégèrement,etluilançaunregardaccusateur.—Pourquoi est-ceque tume regardes commeça?C’est luiqui s’estmal comporté,Drew,pas
moi.Pourquoicen’estpasàluiquetut’enprends?Oualors,c’estparcequetuasfaitlamêmechoseetquetucompatis?C’estbiença?Drew semblait à deux doigts de fondre en larmes, et il respirait si fort qu’on aurait dit que
quelqu’unl’avaitfrappédansl’estomac.—Non,finit-ilparrépondre.J’aiprisconsciencequejen’aimaispasEmily,etquejedevaisfaire
quelquechoseavantdegâchersavie.J’essayaisdefairecequ’ilfallait.—Ohvraiment,rétorquaSuziesuruntonsarcastique.—Oui,vraiment,répliquaDrew.Ils’interrompit,etrivalesyeuxsurlesol.—Etj’aiaussiprisconsciencequej’avaisdessentimentspourquelqu’und’autre,ajouta-t-il.— Tu vois, s’écria-t-elle d’un air triomphant. Tu es tellement cliché, Drew. Tu as couché avec
quelqu’und’autre,ettut’esditquel’herbeétaitpeut-êtreplusverteàcôté.Quediredeplus?—Jen’aicouchéavecpersonne.—Ouais,ouais,c’estça.Tunevastoutdemêmepasmedirequetun’aspasgoûtéaufruitdéfendu
avant de quitter le navire ?Pour l’amour du ciel, tu es unhomme,Drew.C’est commeça que leshommessecomportent.—Cen’estpascommeçaquemoi,jemecomporte!hurlaDrew.
— Enfin, nous verrons bien, n’est-ce pas ? La vérité éclatera quand tu te ramèneras avec unegourded’unevingtained’annéesdansquelquessemaines,quandtuestimerasqu’undélaidécents’estécoulédepuisquetut’esdébarrasséd’Emily.—Iln’yaaucunegourded’unevingtained’années,rétorquaDrew,visiblementénervé.Suziefronçavaguementlessourcils.Drewluijetaunœilnoir,etlessecondess’écoulèrenttandisqu’elleluirendaitsonregarddedéfi.—Regarde-toi,cracha-t-il.Tut’estellementpriseàcepetitjeude«ChèreSuzie»quetun’arrives
pasàregarderunhommesansmépris,etsansimaginerlepire,etpourtant…Ilhésita,deslarmescoulantmaintenantlelongdesesjouestandisqu’ilobservaittouràtourToby
etSuzie.—Etpourtant,toi,SuzieMiller,tun’asvisiblementriendecommunavecBlanche-Neige,conclut-
il,enpassantentrombeprèsd’elleavantdedisparaîtredanslanuit.Toby lui courut après et Suzie se retrouva toute seule aumilieu de la piste de danse, lesmains
agrippéesàsapochetteensoiebleuvif,tandisquedepetitspointslumineuxscintillaientautourd’elle.
Chapitre24
EllearpentaitlesrueshumidesdeManchester,sajupeensoiejauneabsorbantlacrassedespavés,savalisegrinçantderrièreelle.AprèsledépartdeDrew,elleétaitrestéeaubeaumilieudelapistededanse et avait balayé la pièce du regard, tandis que tous ses collègues suivaient la scène dans unsilencepesant.Sarevancheavaitreçuunaccueildésastreux;pasd’applaudissements,justedesmineshébétées.Personnen’avaitvoléàsonsecoursalorsqu’elleluttaitpourdéfendresacause,pasmêmelesfemmesqu’elleavaitaidéesdanslestoilettes,plustôtdanslasoirée.Lesilencerégnaittoujours,lorsqu’ellepassa laporteet se retrouva seuledans la rue, aprèsune soiréedeNoëldebureau.Unendroitoùpersonnen’avaitenvied’être.Commentosait-il?Commentosait-illuifaireporterlechapeau,etluidonnerl’impressionqu’elle
était une garce, juste parce qu’il avait foutu en l’air sa petite vie si parfaite ? Pour qui diable seprenait-il?Elleleconsidéraitcommesonami,maisvisiblement,cen’étaitpaslecas.Endéfinitive,cen’étaitqu’unsalecon,commetouslesautres.Elleremontaunealléedansunjardin,s’arrêtadevantlaporterougevif,puissonna,marmonnant
toujoursdanssabarbe.—Tousleshommessontdestocards,déclara-t-elle,tremblantcommeunefeuille,lorsqueJackie
ouvritlaporte.Jackieladévisageapuishurlapar-dessussonépaule:—Dave?Qu’est-cequetuasfoutudanscescocktails?—Pourquoi?—ParcequeBlanche-Neigevientd’arriversurlepasdelaporte.—Ça doit êtreNoël, cria-t-il en retour. Fais-la entrer. J’ai toujours rêvé d’un plan à trois avec
Blanche-Neige.JackiefronçalessourcilsetinvitaSuzieàentrer.Daveétaitdanslesalon,secouantlatêteaurythmedeDeepPurple,visiblementivre.—Blanche-Neige,s’exclama-t-ilentendantlesbras.PapaNoëlareçumalettre,detouteévidence.
Cellequej’aienvoyéequandj’avaisdouzeans.—Laferme,Dave,grondaJackie.Jepensequ’ils’estpasséquelquechose.—Tousleshommessontdestocards,répétaSuzie,ensejetantsurlecanapépoursecacherlatête
danssesmains.Jackies’assitàcôtéd’elleetl’étreignit.—Lesnainst’ontencorejouéuntour,machérie?s’enquit-elle.—Oui,geignitSuzie.J’enaipar-dessuslatêtedecesfichusnains.—Oh,non,intervintDave.Pasdeçadanscettemaison.Tupeuxveniricietcitertouteslesâneries
deChèreSuziequetuveux,maislaissedonclesnainstranquilles.Euxsontdesêtresfiables.Suziesemblaitsurlepointdefondreenlarmes.—Ignore-le, repritJackie,encaressant lebrasdesonamie.Jenesupportepascesfichusnains,
moinonplus.SurtoutDormeur.Typiquementlegenredemecquijouelacartedelafatiguequandilfautsemettreauboulot.Salefainéant.SuzielevadesyeuxreconnaissantsversJackie.Unsourires’ébauchasurseslèvres.
— Quant à Prof, poursuivit Jackie. Il fait semblant de tout savoir, et en fait, c’est du grandn’importequoi.Unvraibaratineur.—Tuasraison,approuvaSuzie.Profestunvraibaratineur.—EtTimide,ehbien,c’estundébileprofonddèsqu’ilestensociété.Impossibledelesortiroù
quecesoit.—Arrêtez,s’écriaDave.C’estfaux.Ildisparutdanslacuisineetrevintavecunlivrepourenfantsusé.—Voyonsvoir,dit-ilenfeuilletantquelquespages.Qu’enest-ild’Atchoum?demanda-t-ilsurun
tonaccusateur.JesupposequevousavezquelquechosecontreAtchoum,pasvrai?—Oh,lui,c’estlepire,réponditJackie.Uncaspermanentdegrippemasculine,celui-là.Rienqui
clochechezlui,ilcherchejusteàattirerconstammentl’attention.Pathétique.Ensuite?Davelesdévisagea,bouchebée.—Simpletn’estqu’unimbécile,repartitSuzie.Ilessaied’êtretoutmignonmaisenfait,ilestjuste
lourd,cequiestextrêmementirritant.—Joyeux ! s’exclamaDave, qui feuilletait l’ouvrage en silence, enquêtedunainqui allait leur
donnertort.Joyeuxn’ariend’untocard.Commentpouvez-vousnepasl’aimer?Illeurcollaundessindupersonnagesouriantsouslenez.—Ilest seulementJoyeux,parcequ’il secontrefoutde toutetde tout lemondeendehorsdesa
petitepersonne,etqu’iln’apaslemoindreennui.Unsaletocardégoïste,déclaraSuzie.Dave,frustré,jetalelivreparterre.—Bon, repritJackie.Tous leshommessontdes tocards,ycompris lesseptnains.Ça t’a faitdu
bien,Blanche-Neige?—Beaucoupdebien,réponditSuzie.Ellesavaitqu’elleavaiteuraisondevenir.Jackiesavaittoujourscommentluiremonterlemoral.—Non,non,non,etnon,jenepeuxpastolérerça,interrompitDave.Iltraversalapiècejusqu’àuntableaunoirpourenfantsposésurunchevalet.Illerapportajusqu’à
l’endroitoùSuzieetJackieétaientassises,etpritunmorceaudecraierose.—Bon,mesdames,commença-t-il.Nousallonsfaireunelistedetousleshommesquinesontpas
destocards.—Pourquoi?!s’écrièrentSuzieetJackieenchœur.—Pour prouver à cetteChère Suzie ici présente que tous les hommes ne sont pas des tocards,
d’accord?JackieetSuzieobservaientDaved’unairdubitatif,tandisqu’ilécrivait«Hommesquinesontpas
destocards»enhautdutableau.—Bon,jesuiscertainqu’ilyaaumoinsunnomquivousvienttoutdesuiteàl’esprit,poursuivit-
il,ensetournantpourlesregarder.Ellesluilancèrentunregardvide.—Moi!s’écria-t-il.Enfin,chérie.Jet’aioffertcetoriginaldeDeepPurple.Jackiejetauncoupd’œilàSuzie,quisecontentadehausserlesépaules.—Continue,reprendslaliste,dit-elle.—Tuestropbonne,vraiment,grommelaDaveenécrivantsonnom.Bonallez,unautre.Jackiemitlatêteenarrièreetplissalesyeux,enpleineconcentration.Lesilencerégnaitjusqu’àce
qu’ellesepenchesubitementenavant.—Barry,s’exclama-t-elle.Ilestpasmal.—Barry,s’exclamaDave.C’estqui,ceBarry?
—BarryObama,biensûr,réponditJackie.—C’estcetypequiareprislatêtedubureau,non?demandaDave.Celuiquitematetoujoursles
seinschaquefoisqu’onentre?Jevaisletuer.—Non,cen’estpaslui.JeparlaisduprésidentdesÉtats-Unis.Ilal’aird’untypebien.—C’estBarack,imbécile,rétorquaDave.BarackObama.—Jesais.JetrouvejustequeBarry,çaluivamieux.DavedévisageaJackie,avantdesoupirerbruyammentetdesetournerpourinscrireM.Obamasur
letableau.— Bien, reprit-il, s’agenouillant pour prendre délicatement les mains de Suzie. Je veux que tu
pensesàunhommequin’estpasuntocardàmettresurcetteliste.Allez,çateferadubien.Lesilencerégnajusqu’àcequeDaveémetteunesuggestion.—Etcetypeduboulotquit’aideavectesvengeances?Ildoitêtrebien.Commentils’appelle?Àsagrandesurprise,Suziesentitleslarmesluimonterauxyeux.Ellelesréprimapourévitertoute
situationembarrassante.—Ilvientdeplaquersafiancéequelquessemainesavantlemariage,ditJackieàDave,ensecouant
tristementlatête.Unvraitocard,hein,Suzie?—Unvrai devrai,marmonna cette dernière.Sais-tu cequ’il a eu le culot demedire ce soir ?
Il m’a dit que je n’avais rien de commun avec Blanche-Neige. Après ce qu’il a fait à Emily. Jen’arrivepasàlecroire.—Laculpabilité,rétorquaJackie.Detouteévidence,ilsedéfoulepoursesentirmieuxàproposde
cequ’ilafait.— Bien sûr que oui, grommela Suzie. Tout ce que j’essayais de faire, c’était de terminer ma
dernièrevengeance,commej’avaisditquejeleferais.Ilm’atellementsoutenuejusqu’ici.Jen’arrivepasàcroirequ’ilaitétéaussiméchantavecmoi.—Tuvoulaisaccomplirtadernièrevengeancependantlafêtedubureau?demandaJackie.Tun’en
asjamaisparlé.—Oui.—Alorsc’étaitqui?—Tutesouviensquandjet’aiparlédupotedeDrew,leDJquiserévélaitavoirunefiancée?—Ohqueoui.Iladitqu’ilt’aimaitetqu’ilallaitlaquitter.—Holà,intervintDaveauboutd’unmoment.Moncerveauneparvientpasàsuivreaveccelui-là.
TuesentraindedirequetuascouchéavecunamideDrewetqu’ilétaitfiancé?—Oui,maisjenelesavaispasaudépart,réponditSuzie.—Tunel’auraispasfaitsituavaisétéaucourant,si?ajoutaJackie.—Attendezuneseconde,répliquaDaveenagitantsondoigt.Deuxpoidsdeuxmesures,mesdames.Ils’interrompit,reculantlégèrementavantdepoursuivre:—Tuesen traindemedirequeChèreSuzie, laChèreSuziequia faitvivreunenferà lagent
masculinecesdernièressemaines,aenréalitétrahisonpropresexe,etacouchéavecl’hommed’uneautrefemme?JackieetSuziedévisageaienttoutesdeuxDaveensilence.— Dave, ne l’interromps pas, s’il te plaît. Suzie nous raconte sa dernière vengeance, rétorqua
Jackie,sedétournantdeluipourfairefaceàsonamie.Jenecomprendspas.Pourquoicetypeétait-ilàtasoiréedeboulot?—C’étaitleDJ.Drewl’aengagépourunebouchéedepain.—Bon,continue.Donne-moitouslesdétailssanglantsdetavengeance,repritJackie,sefrottantles
mainssouslecoupdel’excitation.—Ehbien,Drew etmoi étions sur la piste de danse à la fin de la soirée, parce que c’était son
cadeaudepèreNoëlsecret.—Sonquoi?interrogeaDave.—SonpèreNoëlsecret,répétaSuzie.Daveobservaittouràtourlesdeuxfemmes,attendantuneexplicationquin’arrivaitpas.—Pourquoifaire,pouravoirladernièredanse?demandaJackie.C’estquoi,cedélire?—Non,enfait…,protestaSuzieensecouant la tête,nesaisissant toujourspasenquoiconsistait
vraiment lecadeaudeDrew.Jen’aipasvraimentcompris,pourêtre franche,mais iladitquelquechosequantaufaitdemeredonnerespoir.—Soit,ditJackie,confuseelleaussiàprésent.—Espoir?répétaDave.Qu’est-cequeçapeutbienvouloirdire?Quelqu’unpeutm’expliquerce
qu’elleraconte?—Jen’enaipaslamoindreidée,admitJackie.Qu’est-cequeturacontes,Suzie?Suzieattrapasonsacetensortitl’enveloppedorée,puistenditlacarteàJackie.—Oh, jevois, repritJackieaprès l’avoir lue. Ilaperdusafiancée, ilsesentseul,etc’estNoël,
donc il s’enprendàdes femmesnaïvescomme toi. Jen’arrivepasàcroireque tuaiesacceptédedanseraveclui.—Enfait,jen’aipasdanséaveclui,maislachansondeRickAstleyétaitentraindepasser.—TuveuxdireNeverGonnaGiveYouUp?questionnaJackie.—Oui.—LachansonsurlaquelletuasfricotéavecPatrickpourlapremièrefois?—Oui.Drewadûlademander.Puisilm’aoffertunCinzanodilué.Àprésent,JackieetDavelaregardaienttousdeuxavecunairhébété.—Dis-moi que tu n’as jamais bu de Cinzano, s’exclamaDave à l’intention de Jackie. C’est un
motifdedivorce.Siunjourjetesurprendsà…—Laferme,Dave,grondaJackie.J’essaiederéfléchirlà.Qu’est-cequ’ilafaitd’autre?—Ila justecontinuédebabillersurce trucavecl’espoir.Quelquechosesur lefaitdecroireen
l’amour.Jenesaispas,jen’arrivepasàvraimentmesouvenir.Suzies’enfonçadanslecanapé.— Il a infligé Rick Astley à des gens qui croyaient que, fort heureusement, des décennies les
séparaientdecettenullitésansnom?repritJackie,interloquée.—Ils’estprésentéàunbaretademandéunCinzanodilué?enchaînaDave,totalementhorrifié.Suziehochalatête.—Waouh,futleseulmotqueJackieparvintàarticuler.Dave,enpleineconfusion,seremitàlesdévisagertouràtour.—Maispourquoia-t-ilfaitunechosepareille?finit-ilpardirevoyantqu’aucuned’entreellesne
fournissaitd’explication.—Qu’est-cequetuenpenses?demandaJackie.—Qu’est-ceque j’ensais? IlveutmonterungroupeenhommageàRickAstleyavecelle?Le
Cinzanoestlanouvellebièrebrune?Ilestcomplètementtimbré?—Non,imbécile.Parcequ’ill’aime,bonsang.SuzietournabrusquementlatêtepourdévisagerJackie.—NomdeDieu,soufflaDave.—Non,s’exclamaSuzieense levantd’unbond.Cen’estpasça. Ilessayait justedemeprouver
qu’onpeutfaireuncadeaudeNoëlsecretdécent.C’esttout.Ellesemitàfairelescentpas.—Oh,Suzie, reprit Jackie.Aucunhommesur terrenevaau-devantdepareilsennuis justepour
faireuncadeauacceptable.Ilt’aime.C’estévident.Suzies’arrêtanet,lavéritécommençantàluiapparaître.—Il aditqu’ily avaitquelqu’und’autre,déclara-t-elledoucement.C’estpourçaqu’il a rompu
avec Emily. Oh,monDieu ! s’écria-t-elle, se laissant lentement tomber à genoux, la tête dans lesmains.LeseulsonquirésonnaitdanslapièceàprésentétaitlarespirationsaccadéedeSuzie.—Bon?finitpararticulerDave.—Quoi?demandaJackieavantqueSuzien’aitletempsdeparler.—Qu’est-cequis’estpasséensuite?s’enquit-il.—Jen’aipassaisi,marmonnaSuzie, toujourscachéederrièresesmains. Jenevoyaispasoù il
voulaitenvenir.—Ehbien,çasecomprend,commentaDave.Bientropsubtil,situveuxmonavis.Suzie,prised’unmouvementfrénétique,secouaitlatêtedanstouslessens.—J’aiétédistraiteparToby,reprit-elle.Drewracontaittouscestrucs,etj’essayaisdelefairetaire
pour pouvoir achever ma dernière revanche. Puis Toby est arrivé et tout a commencé à tournerautourdufaitquenousavionscouchéensemble,etc’estlàqueDrewm’aditquejen’avaisriendecommunavecBlanche-Neige…—Bonsang,çanem’étonnepas!s’exclamaDave.ChèreSuzie, lamoralisatrice,acouchéavec
sonmeilleuramiquiétaitfiancé.—Dave!l’interrompitJackie.Jepensequetupassesàcôtédel’essentiellà.L’essentiel,c’estque
DrewestamoureuxdeSuzie.C’estçaquenoustentonsdecomprendre.—Non,faux,rétorquaDave.L’essentiel,c’estqueDrewétaitamoureuxdeSuziejusqu’àcequ’il
découvrequec’étaitunehypocrite.DrewétaittellementamoureuxdeSuziequ’ils’estcomplètementridiculisé endemandantRickAstley et duCinzano lamême soirée, tout çapourdécouvrir qu’elleavaitcouchéavecsonmeilleurami.JackieetSuziedévisagèrentDaveàleurtour.—Oh,maistoutvabien,Suzie,poursuivit-il,enlevantlesmainsenl’air.Tousleshommessont
des tocards,pasvrai?Tu t’encontrefous,hein?Regarde la liste,ajouta-t-ilense retournantetendonnantuncoupsifortdansletableauqu’ilfaillittomberàlarenverse.SeulsmoietlegagnantdecefichuprixNobeldelapaixn’ensommespas.Donctouslesautreshommessontdanslemêmesac,exact?—Exact,souffla-t-elle.—Sauf, reprit Jackieàvoixbasse, toi,M.Obama,etpeut-êtreceluiquiparvientà fairedupère
Noëlsecretl’inventionlaplusstupidedel’histoire,quelquechosequivautlecoupd’êtrevécu.Jenecroispasquecesoituntocard.Àmonavis,ilsepourraitbienquecesoitungénie.
Chapitre25
«Àmonmari.C’estsanssurprisequemacarrièreadécolléquandjet’airencontré,parcequejen’avaisjamaissucequeçafaisaitd’avoirquelqu’underrièremoiauparavant.Doncmerci…»Tonnerred’applaudissements.Photodumariamoureux…Non!Ce matin-là, Suzie en était à son dixième visionnage sur Youtube de l’émouvant hommage de
SandraBullockàsonépoux,pendantsondiscoursauxGoldenGlobeen2010.Puis,ellecliquaunenouvelle fois sur les gros titres qui étaient sortis quelques semaines après à peine, révélant queJesse James était la pire des ordures de la planète. Pour se convaincre que les fins heureusesn’existentpas, il suffisaitde regarder la reinede la comédie romantique,dont la carrière a tournéautourdufaitdemontreràdesmillionsdefemmesque l’amourpeuteffectivement toutconquérir,tomberde trèshaut,desmainsdesonprincecharmant.SiSandraBullocknevitpasheureusepourtoujours,alorsclairement,vivreheureuxpourtoujoursestimpossible.Suzie se leva d’un bond de sa chaise de bureau, et s’agenouilla devant la télé, ouvrant le tiroir
contenanttoussesvieuxDVDdecomédiesàl’eauderose.Pourquoidiableavait-ellegardétoutça?Cen’étaientquedesramassisd’inepties,sanslamoindrevéracité.—Vousavezunmessage,marmonna-t-elledanssabarbe,enanalysantlaphotodelajaquette.Ila
détruit toncommerce, lança-t-elleàuneMegRyan transied’amour, lesyeuxplongésdansceuxdeTomHanks.Cen’estpasunhommebien,idiote.Qu’est-cequetucroisêtreentraindefaire?Elle jeta leboîtieroffensantdanslacorbeilleàpapierdanslecoindelapièce, lafaisant tomber
aupassage.—Quantàtoi,JuliaRoberts…,dit-elleàlaphotodel’actriceàmoitiénue,surlacouverturedu
boîtierusédePrettyWoman.Ilpaiepourdesprostituées,imbécile.Riendebonnepeutjamaisvenird’unhommequipaiepourdusexe.Vousêtesvouésàl’échec.Elleattrapal’étuisuivant.—«Tum’aseuesurtonbonsoir»,s’écria-t-elle.Tutefichesdemoi,Renée?Unhommetedit
«bonsoir»,ettoutestoublié?Loind’êtresuffisant,mêmes’ils’agitdeTomCruise,ajouta-t-elleenlançantlacopiedeJerryMaguirepar-dessussonépaule.Ellefutcoupéedanssonélanlorsqu’ellerepérasonfilmpréféréentretous.Elleobserval’image
deMegRyanetBillyCrystalsebaladantdansCentralParkenpleinautomne,surlajaquettedeQuandHarryrencontreSally.—«Etj’adorequetusoisladernièrepersonneàquij’aienviedeparleravantdememettreaulit,
murmuraSuziedanssabarbe.Etcen’estpasparcequejesuisseul.Etquec’estlaSaint-Sylvestre.Sijesuislàmoicesoir,c’estparcequequandonserendcomptequ’onveutpasserlerestedesavieavecunefemme,fautpastraînerlespieds,fautselanceraussitôtquepossible.»Despenséesindésirablesluitraversèrentl’esprit.Ellecriadefrustration.Voilàcequiarrive,sedit-
elle,furieuse.Àpeinequelquesheuresplustôt,elleétaitausommet.Sacarrièredécollaitenfin,lesfemmes qu’elle aidait avec leurs problèmes d’hommes l’adulaient : elle n’aurait pu être plusheureuse.Etvoilàqu’elleseretrouvaitundimanchematingrisetfroid,autrente-sixièmedessous,et
ôsurprise,c’étaitàcaused’unhomme.Elle se leva et se rassit devant son ordinateur.Après quelques clics et un peu de lecture, elle se
sentait mieux. Pourquoi n’avait-elle pas pensé à ça plus tôt ? Un seul regard à la rubrique«ChèreSuzie » sur le site duManchesterHerald avait réduit à néant tous les doutes qu’elle avaitdepuislesrévélationsdelaveilleausoir.Tandis qu’elle faisait défiler les e-mails reçus, et parcourait le forum qu’elle avait créé pour
permettreauxfemmesdediscuterdeleursennuisavecleshommes,ellesetrouvaconfortéedanssonidéequelefaitdetomberamoureuxnepouvaitdonnerlieuqu’àduchagrin.Elle continua à lire, sentant la douleur profondément enfouie quelque part dans sa poitrine
décroître alors qu’elle survolait les récits d’infortune qui arrivaient par vagues. Histoire aprèshistoire,deshommesconvoitésdepuissilongtempsserévélaientêtred’amèresdéceptions.Chaque clic sur la souris la calmait un peu plus, jusqu’à ce qu’elle fût contrainte de s’arrêter
brutalementetderelireunproblèmeenvoyéparquelqu’unsignantsouslenomdeLeVraiJayKay.
Le Vrai Jay Kay – J’ai besoin de savoir comment aider mon amie. Elle est tellementremontéecontre leshommesque j’aiétéobligéd’enlever tous lescouteauxdecuisinedechezelle,aucasoùellesedécideraitàcouperdespénisàtout-va.Ilapparaîtqu’undesescourageux collègues est tombé amoureux d’elle, après avoir récemment rompu avec safiancée, quelques semaines à peine avant lemariage.Que dois-je faire ? Lui rendre sescouteaux,ouluioffrirunplumeaudépoussiérantpoursonvagin?
Suzie était scandalisée. Elle allait tuer Jackie. Qu’est-ce qu’elle s’imaginait, en postant ses
problèmes sur le forum ? Aumoins, elle pouvait compter sur ses abonnés pour la soutenir. Ellecontinuaàlirepourvoirquelscommentairesavaientétéajoutés.
LaplaquéedeDidsbury–Unhommequidemandeàune femmede l’épouser,puisprendpeur, est un lâche pathétique. Ne faites pas confiance à cet homme. Optez pour lescouteaux,etenfermezlesplumeauxàdoubletour.
—Merci,ditSuzieàl’écran.Lemondecommençaitàluiparaîtreunpeuplussensé.Ellepoursuivitsalecture.
L’échangiste branchée de Salford – Il se sent seul. Il craint d’avoir fait une erreur enannulantsonmariage,etilveutquevotreamieluichangelesidées.Dites-luides’enservirpour le sexe et joignez-vous aux festivités ! Nous avons des plumeaux, en plumesvéritables!
Beurk,songeaSuzieenfrissonnant.
La loi, c’estmoi–Mon fiancévientd’annulernotremariage. Jeme suis ramenéeà sonbureau dansma robe demariée, pour lui montrer ce qu’il avait jeté aux orties. Il étaitcomplètement humilié, j’ai eu l’impression d’être le maître du monde. Quel que soit leconseilquevousdonneChèreSuzie,suivez-le,vousneleregretterezpas.
Suzies’écartabrusquementdel’écran.Emily?Quefaisait-ellesursonforum?Sansdouteavait-
elle bien plus important à faire, comme faire divorcer des femmes, ou un truc dans le genre. Enregardantendessous,elles’aperçutqueJackieavaitmisunnouveaupost.Bonsang,quemijotait-ellemaintenant?
Le Vrai Jay Kay – Quelques commentaires pertinents, mesdames. Toutefois, j’ai lesentimentdedevoirentrerdanslesdétails.Cetypeaplaquésafiancéeavantdetenterquoiquecesoitavecmonamie.Doncilnes’estpascomportéenlâche,cequi,d’aprèsmoi,estréglo.Parlasuite, ilafait lachoselaplusromantiquedontj’aiejamaisentenduparler.(Jedoisavouerquejenesuispasvraimentdugenrefleurbleue.Monex-marim’aoffertunénormebouquetd’œilletsunjour,etjedétestecesfleurs.Pourlapeine,j’aiutilisésonsacdegolfcommevase.)Donccetypearecréél’instantoùmonamieareçusontoutpremierbaiser, quand elle était adolescente, dans une boîte de nuit. Jusqu’à la musique et auxboissonspourries.Etilafaitçaparcequ’elleluiaracontéunjourquec’étaitlemomentleplus heureux de son existence. Quand elle avait encore espoir de vivre heureuse pourtoujours.Iladitqu’ilvoulaitluiredonnerespoir.
Suzieavait lesyeuxrivéssur l’écran.Iln’yavaitpasderéponsessous ledernierpostdeJackie.
Elledevaitsuivreladiscussionentempsréelàcetinstant.—Allez,mesdames,marmonna-t-elle.Mièvre,hein?Vraimentdésespérédes’envoyerenl’air?
Mauvaisperdant?Allez,Emily,envoie-leaudiable.Une éternité lui parut s’écouler tandis qu’elle attendait leur verdict. Enfin, des réponses
commencèrentàapparaître.
LaplaquéedeDidsbury–Sielleneveutpasdelui,jepeuxavoirsonnuméro?L’échangistebranchéedeSalword–Sijel’avais,j’arrêteraisl’échangisme.Laloi,c’estmoi–Monfiancén’ajamaisfaitquoiquecesoitdesemblablepourmoi.Siunjourjetrouvequelqu’und’autre,j’espèrequ’ilm’aimeraautantquecethommedoitaimervotreamie.
Suzieregardal’écran,bouchebée.Qu’est-cequ’elless’imaginaienttoutes?Avaient-ellesretenuquoiquecesoitdesarubriquedurant
ces dernières semaines ?N’avaient-elles pas conscience que l’amour débutait toujours comme ça,pleindegrandsgestes et depromesses à foison?Necomprenaient-ellespas encorequebien tropvite,ças’évaporeetqu’onresteavecunedéceptioncuisante?Ignoraient-ellesquec’étaittotalementinévitable,mêmeavecunhommecommeDrew?Unhommesurquiellecomptaittantcesdernierstemps.Quiavaitétélapremièrepersonneàsesouciersuffisammentd’ellepourluidiredeserebellercontre leshommes.Qui luiavait tenucediscourscrucial,àsavoirqu’ilcroyaitenelle,quandelleavaitbienfailliperdretouteconfianceavecAlex,puisavecPatrickaustade.Ladéceptionnepouvaitêtre évitée. Même avec Drew, qui était allé jusqu’à lui prêter sa chemise pour s’assurer qu’elletriomphe. La chemise bleu poudre qui allait si bien avec ses yeux, chemise que, pour une raisonobscure,elleavaitomisde lui rendre,préférant lasuspendredanssonplacardsans la laver.MêmeavecDrew,quiluiavaitserrélamainsifortaprèssaruptureavecEmily,qu’elleavaitl’impressionque l’empreinte de ses doigts était restée gravée, créant au passage rougeurs et sensation depicotement. Même avec Drew, dont l’absence au bureau la semaine précédente l’avait laissée sidémuniequ’elleenétaitvenueàparlertouteseule,chaquefoisqu’ellepensaitàquelquechosequ’il
auraitaiméentendre.MêmeavecDrew.Ousepourrait-ilquecesoitsaufavecDrew?Confuse,elleselevaetmontachercherlachemisebleupoudre.Ellelarapportaenbas,etsemiten
quêtede lacartedepèreNoël secret,qu’elleavait jetéedans lapoubellede lacuisine.La trouvantsousunsachetdethéusagé,elles’assitàsonordinateur,tenantdanssesmainslachemisedeDrew,etlecadeauqu’illuiavaitfait.—«Soissurlapistededansesouslabouleàfacettesàminuitpourtalivraisonspécialedupère
Noëlsecret»,lut-elleàvoixhaute,laissantcourirsesdoigtssurlesmots.ElleposalacarteetfitunerechercheGooglepourtrouverl’hôteloùilssetrouvaientlaveilleau
soir.IlneluifallutpaslongtempspourouvrirsonsiteInternetetdesphotosdelagrandesalledebalvolontairement flatteuses. Soudain, son cœur battit la chamade, lorsqu’elle inspecta la pièce parordinateurinterposé.Iln’yavaitpasdebouleàfacettesdanslagrandesalledebal.Elleattrapasontéléphone,bafouillantententantdetrouverunnumérodecontact.—MajesticHotel.Puis-jevousaider?réponditunevoixaprèsbientropdesonneriesàsongoût.—Est-cequevousavezunebouleàfacettesdansvotresalledebal?cracha-t-elle.—Jevousdemandepardon?—Avez-vousunebouleàfacettesdansvotresalledebal?répéta-t-ellesuruntonpressant.Cettefemmenecomprenait-elledoncpasàquelpointcetteinformationétaitcapitale?—Euh,non,madame,enrèglegénérale,mêmesiunmonsieurenafaitinstallerunehiersoirpour
uneoccasionspéciale,doncc’estpossible,sivoussouhaitezquenousallionsvérifierpourvous?Suzien’entenditpasladernièrepartiedelaréponseparcequ’elleavaitdéjàposélecombiné.Ou
plutôt,elleavaitlaissétomberletéléphoneparterre,avaitenfouisatêtedanslachemisedeDrew,etavaitsanglotéjusqu’àcequ’ellen’aitplusdelarmesàverser.
Chapitre26
C’étaitlelundi22décembre,etelleportaitsarobepréféréesanscollants,ainsiquedestalonsdequinzecentimètres.Elleavaithésitépourlescollantspendantunebonneheurecematin-là,essayantlarobeavecetsansàplusieursreprises,avantdedécréterfinalementqu’elleluiallaitmieuxsans.Elleremarquaàpeinequ’ellenesentaitdéjàplussesorteilsenpoussantlaporteduManchesterHerald.La seule chose dont elle avait conscience ce matin-là, étaient ses émotions à fleur de peau, sanervositéétanttellequ’elleavait l’impressiond’avoirenchaînélescafésdurantlesdouzedernièresheures. Le fait qu’elle ait effectivement enchaîné les cafés durant les douze dernières heures luidonnaitlasensationdevivreuneexpérienceendehorsdesoncorps,tandisqu’ellesevoyaitmonterlentementl’escalierquimenaitaupremierétage,oùsetrouvaitsonbureau,àcôtédeceluideDrew.Une fois enhautde l’escalier, elle s’immobilisa, lissa lesplisde sa robe, se frotta les lèvrespours’assurerunecouchederougeàlèvresimpeccable,puisarboraunlargesouriresursonvisage.Dèsqu’ellepassaàcôtédeClare,pourallerprendreuncafédans lacuisine,elleperçutdéjàun
premier signe indiquant que la matinée s’annonçait périlleuse. Elle s’arrêta pour lui demandercommentallaitsonpetitamiaprèslasoirée,maisfutaccueillieparuncoupd’œilglacial,suivid’unregard appuyé sur le sol, la jeune femme évitant tout contact visuel. Une fois sa surprise initialepassée,Suziesedirigeaverssonbureau,déterminéeàseconcentrersursatâcheclédelajournée.Elle garda les yeux rivés sur le sol durant le reste du trajet, refusant de laisser une quelconque
distractioninterférerdanssonesprittandisqu’elles’approchaitdeDrew.Enfin,elleaperçutlavisionaccueillantedesacorbeilleàpapier,ets’autorisaàleverleregard,toutenrépétantmentalementsespremiersmots,minutieusementpensés.— Drew, je suis tellement navrée, je…, lâcha-t-elle avant de remarquer que le fauteuil du
journalisteétaitvide.Sansdouteétait-ilpartichercherducafé.Ellesoupiradesoulagement. Ilétaitgrand tempsdese
ressaisir.Aprèsavoirenlevésonmanteau,elles’assitettapotanerveusementsurlebureau.Etmaintenant?
Elleétait troptenduepoursemettreautravail.Il luifallaitréglercettehistoireavantdepouvoirseconcentrersurquoiquecesoit.Elleinspectasonbureau,espérantytrouverunequelconqueformededistraction, mais le désordre habituel qui réclamait son attention de toute urgence ne faisaitqu’accroître son impatience de voir Drew. Elle observa la table de travail de son collègue ets’interrogea sur les qualités d’organisation de celui-ci, et sa capacité à semontrer si soigné. Elleafficha un sourire attendri, comme elle l’avait fait ces vingt-quatre dernières heures chaque foisqu’ellepensaitàlui.Vingt-quatreheuresàattendrecetinstant–leseuldanstoutecomédieromantiqueoùlecoupletombeamoureux.Aucoursdesaréflexion,elleavaiteuprofondémentmalaucœur,enprenantconsciencequ’elle
espéraitplusquetoutêtreMegRyan,ausommetdel’EmpireStateBuilding,quandTomHanksarrivepourqu’ilscommencentleurvieensemble.Ellepritconsciencepourlapremièrefoisque,quoiqueenchantée de rendre lamonnaie de leur pièce aux hommes qui lui avaient brisé le cœur, et ravied’aidersessemblablesàpanserleursblessures,jamais,augrandjamais,elleneparviendraitàrendreunefemmeaussiheureusequeça.Maissurtout,quandelleavaitregardécesfilms,elleavaitcompris
qu’aucundeceshérosn’arrivaitàlachevilledeDrew.Aucund’entreeuxneriaitautantàsesblagues,aucund’entreeuxnecroyaitautantenelle,aucund’entreeuxn’étaitsonroc,aucund’entreeuxnelacomplétait–etn’importequelautreclichéquiexistedanslemondedel’amour.Clichéssi irritantsavantqu’ontombeamoureuxetqu’ilsnedeviennentnosclichés.Bien entendu, enprenant consciencequeDrew lui avait redonné espoir, elle avait aussi compris
qu’elleavaitelle-mêmegâchésonhappyend.Passeulementgâché,d’ailleurs,maismêmeanéantidelapirefaçonquisoit.Elleavaitpasséunlongmomentàpleurnicher,croyantquesavieétaitterminée.Au fonddugouffre, elle s’était retrouvéeà regarderune foisencore l’imagedeSandraBullockàl’écrandansL’amouràtoutprix,alorsqu’ellesetenaitdevantl’autelàépouserlemauvaisfrère.Cefutàcetinstantprécisquelabêtisedontelle-mêmefaisaitpreuvelafrappa,etquel’espoirpointadenouveau le bout de son nez.Les fins heureuses n’arrivaient pas comme ça. Il y avait toujours unefaussenote,quelquechosequiforçaitàsebattreencoreplusfortpouraccomplirsondestin.Aprèstout,queseraitunhappyendsanslasouffranceàendurerenguisedeprélude?Griséepartoutescescomédiesà l’eaude rose,elleavaitcomprisqueson indifférence faceà ladéclarationd’amourdeDrewn’incarnaitquel’obstaclequ’elledevaitsurmonterpourobtenircequ’elledésiraitvraiment.—Merci,Sandra,avait-ellemurmuré.Mercidemel’avoirrappelé.Ensuite,elleétaitrestéedebouttoutelanuitpourpréparersondiscours,satenue,toutlenécessaire
pourle lendemainmatin,quandelleseraitenfinenmesuredeseréconcilieravecDrewetdevivreheureusepourtoujours.ToujourspasdeDrew.Faireducafénepouvaitpas luiprendreautantde tempsqueça.Peut-être
était-ilpartieninterview,cequiseraitunvéritabledésastre.Elleavaittantplanifiécemoment,quelemoindreécueilétait sourcedecontrariétémajeure.Ellesepenchapourvoirsisonordinateurétaitalluméafindejeterunœilàsonagenda.Rienneseproduisitlorsqu’ellebougealasouris.Rien,sicen’est le fait qu’elle remarquaque sa tassedeManchesterCity, contenant son stylo et son crayon àpapier revêtant eux aussi l’emblème de l’équipe, n’était pas perchée au sommet de son disque durcommed’habitude.Étrange,parcequepersonnen’étaitautoriséàtouchercepetitsanctuaire.Soudain, samainvola jusqu’à sabouche.Elle se levasiprestementqueson fauteuil se renversa
derrièreelle.ElleouvritletiroirduhautdubureaudeDrew.Vide.Sonétagèreenhauteur.Vide.Sonautre tiroir, généralement fermé à clé de peur que Suzie ne vole sa réserve secrète de chocolats.Désespérémentvide.Leschocolatsavaientdisparu.Autrementdit,Drewavaitdisparu,luiaussi.Non,celanepouvaitpasarriver.Oùdiableétait-il?Qu’est-cequis’étaitpassé?Aussi vite que possible sur ses talons de quinze centimètres, elle grimpa les deux étages et
parcourutlelongcouloirmenantàlaportedurédacteurenchef.ElleétaitferméemaisSuzienepritpaslapeinedes’arrêterpourfrapper,secontentantd’ouvrirlaporteàlavoléeetdetrébucherdanslebureau,àboutdesouffleetenboitant.—Oùest-il?haleta-t-elleens’efforçantdereprendresonsouffle.—Suzie!s’exclamaGareth,visiblementfurieux.Tun’asaucundroitdefaireirruptionici.—Oùest-il?répéta-t-elle.—Jen’aiaucuneidéedequituparles,maismaintenantquetueslà,jevoudraistediredeuxmots.—Oùest-il?répéta-t-elleencore,suruntonplusdésespéré.—Laferme,etassieds-toi,ordonnaGareth,ayanteffectivementl’airfurieux.Elles’effondradansunechaiseettentaderecouvrersonsouffle.—Quandest-cequetucomptaism’enparler?demanda-t-il.—Teparlerdequoi?—DufaitqueleMirrort’aoffertdutravail.
Le Mirror ? Du travail ? Elle était incapable de penser à ça maintenant, elle avait bien plusimportantentête.—Jen’arrivepasàlecroire,Suzie.Jet’aioffertunefantastiqueoccasioniciavec«ChèreSuzie»,
ettuvastoutmebalancerenpleinepoireetpartirtravaillerpourlaconcurrence.Uneminute,songea-t-elleenintégrantlesproposdeGareth.«ChèreSuzie»étaitsonidéeàelle,et
leManchesterHeraldfaisaitdifficilementdelaconcurrenceàuntabloïdenational.Elleouvritlabouchepoursedéfendre,maistoutcequiensortitfutuneénièmequestionquantàla
disparitiondesoncollègue.—Drew?demanda-t-il,écoutantenfinsarequêtedésespérée.TuveuxsavoiroùestDrew?ajouta-
t-ilavantd’éclaterderire.Ilestparti,machèreSuzie.Etaprèslafaçondonttul’astraitésamedi,çanem’étonnepas.—Partioù?interrogea-t-elle,anéantieàprésent,ensentantsonavenirluifilerentrelesdoigts.—Jen’enaipaslamoindreidée.Iladitqu’ilavaitbesoindes’éloigner.S’éloignerdetoi,sans
aucundoute.Ilselevaetcroisalesbras,sedélectantdel’angoissequ’elleéprouvait.Leslarmescommencèrentàcouler.Deslarmesd’épuisementetdeprofondedéception.Enfin,Garethseradoucitsuffisammentpourluitendreunmouchoir.—Est-cequ’ilvarevenir?parvint-elleàbredouillerenreniflant.—Pas sûr, réponditGareth. Il aditqu’il appellerait après lenouvelan.Doncmercià toi, chère
Suzie,ondiraitbienquej’aiaussiperdumonmeilleurreporter.Elleenfouitsatêtedanssonmouchoir,incapabledecroisersonregard.Lapiècerestasilencieuse
quelques instants, tandis que Suzie s’asseyait pour digérer la nouvelle, avec l’horrible impressionqu’onl’avaitpoignardéeenpleincœuravecunelameémoussée.Maisalors,Garethrepritlaparoleetenfonçalecouteaudanslaplaie.—Jevaisimprimerl’histoire,annonça-t-il.—Quellehistoire?—CellequiracontequeChèreSuzien’estpaslaguerrièrequ’elleaprétenduêtre.Commentellea
volé le fiancé d’une autre femme, et brisé l’homme le plus doux et le plus romantique aumonde.J’imprimeraicettehistoiresituparstravaillerpourleMirror,etensuite,«ChèreSuzie»neseraplus,parcequeplusjamaisaucunefemmeneteferaconfiance.Suzie reprit son souffle. Comment pouvait-il lui faire une chose pareille ? Comment pouvait-il
faireçaàDrew?—Tuesdiabolique,murmura-t-elle.—Jepensequetuconcéderasquetun’espasblanchecommeneige,toinonplus,rétorqua-t-ilavec
unsouriresuffisant.Elle le foudroya du regard. Elle avait commencé cette journée si pleine d’espoir, et voilà qu’à
présent,Drewétaitpartietquesonpatronlamenaçaitdedétruiresacarrière.
Chapitre27
— Et si je reste ? demanda-t-elle, en refaisant irruption dans le bureau de Gareth une heureplustard.Lamenacedesonpatronetl’annoncedeladisparitiondeDrewluiavaientdonnél’impressionque
son cœur était pris dans un étau, et elle s’était mise à faire de l’hyperventilation. Gareth avaitcalmementappelélessecours,etDianeétaitarrivéeàlarescousse,sacenpapieràlamain,etl’avaitemmenéeàlacantine,Suziehaletantpéniblemententredeuxboufféespourreprendredel’air.TroissacsetuneflasquedewhiskyqueDigardaitpour lescasd’urgenceplus tard,elle recommençaitàrespirernormalement.Assiselà,hébétée,tandisqueDibabillaitsurlespeeddatingréservéauxplusde cinquante ans où elle s’était rendue la semaine précédente, Suzie avait senti un sentiment dedéterminationl’emportersurlapanique.Suzies’étaitérigéeelle-mêmeenhéroïneromantique,etellenepouvait laisserni ladisparitiondesonpremierrôlemasculin,ni lesmenacesdugrandméchantrédacteurenchefluibarrerlaroute.Elleauraitsondénouementheureux,mêmesiçadevaitlatuer.—Rectodujournal,pleinepage,photoavecsignature,réponditGarethsanssourcillerlorsqu’elle
débouladanssonbureaupourlasecondefois.—Pleinspouvoirssurlecontrôleéditorial,aboya-t-elleenretour.—Ouais,ouais,peuimporte,rétorqua-t-ilenfaisantunsignedemaindédaigneux.—Qu’il s’agisse du contenu, ou du délai, sinon jem’en vais, ajouta-t-elle en se tournant pour
partir.—Tul’as,répliquaGarethd’unairsuffisant.Tuneleregretteraspas,cria-t-ilderrièreelleaprès
qu’ellefutrepartieentrombedanslecouloir.—Moinon,toipeut-être,marmonna-t-elledanssabarbetoutendescendantl’escalierencourant
pourcommenceràtravaillersursarubriquesur-le-champ.Ellen’avaitpasunesecondeàperdre.
Chapitre28
—Horsdequestionquej’imprimecetorchon,déclaraGarethlelendemain,enécrasantlacopiedesadernièrerubriquesursonbureau.—Cen’estpasuntorchon,rétorquaSuziesuruntondedéfi.—Non,tuasraison.Cesontdesfoutaisespathétiques.Oùestlacolère?Oùestlaméchanceté?Où
estlavéritétoutenue?Iltapaitdupoingsurlatableàlafindechacunedesesphrases.—C’estcequelesfemmesveulentvraiment,réponditcalmementSuzie.—Jem’enfousdecequelesfemmesveulentvraiment,répliquaGareth,virantaurouge.Jeveux
queChèreSuzierevienne,donctuferaismieuxdetemettreàécriretoutdesuite.—Ne pas se foutre de ce que les femmes veulent vraiment est ce qui a fait le succès de cette
rubriqueaudépart.Maintenant,jeteledis,c’estçaquelesfemmesveulentréellement.—Donctuaschangéd’avissurcequecesdamesveulent,c’estçaquetuesentraindemedire?—Précisément.—Foutuesbonnesfemmes!s’écriaGarethenseprenantlatêtedanslesmains.—Etj’aimeraisfaireremarquerquemonnouveaucontratmedonnelespleinspouvoirsentermes
decontenuéditorial, ajoutaSuzie, lui indiquantoùcetteclauseenparticulieravait été surlignéeenrose.—Lespleinspouvoirspourtemontreraussivicieusequeparlepassé,paspoursoumettrecetissu
d’âneries,rétorqua-t-il.—Gareth,reprit-elleposément,cetterubriqueauraunaccueildesplusfavorables,crois-moi.Ça
vamarcher.—Ilvaudraitmieux,ou tonboulotvaêtre sur la sellette, jeune fille, répliqua-t-il en s’éloignant
d’unairassuré.SuzieserassitetramassalesfeuillesdepapierqueGarethavaitjetéessurlebureau.Ensemordant
lalèvre,ellerelutsonarticlepourlaénièmefois.Effectivement, ilvalaitmieuxqueçamarche,outoutseraitsurlasellette.
Chèreslectrices,J’aimerais terminer cette année en vous présentant mes vœux pour les fêtes de Noël,sachantquec’estunesaisontoutbonnementfollequandonenvientauxaffairesdecœur.Chercher l’amour ressemble beaucoup à Noël. Une montée en puissance sans fin, etd’énormesattentesquimènentinévitablementàunedéception.Etpourtant,chaquefois,ons’attendàcequeçasoitdifférent.Chaquefois,onespèrequ’ils’agiradeceluiquidonnevieaucontedeféesetonenrêve.Pour cette raison, j’ai décidé qu’il n’y aura plus de « Chère Suzie » comme vous laconnaissez.Pourquoi ?Parce que la dernière chose que je vous souhaite, c’est de cesser d’attendreNoëlavecimpatience.Sicelaarrive,alorsvousaurezperdutoutespoirdevivrelesjoies
quelaviepeutapporter.Jenesaispascequ’ilenestpourvous,maisjen’auraisaucuneenviedepasserdutempsavecunepersonnepareille.Et j’en suis venue à prendre conscience que je ne veux pas que vous cessiez d’attendrel’amouravecimpatience.«ChèreSuzie»estdevenuetellementconcentréesurlecalvairedesamoursdéçues,etsurlafaçonderemportercettebataille,qu’elleenaoubliélaraisonfondamentalepourlaquellevousaveztoutesécritceslettresdouloureusesaudépart.Parce que vous savez toutes que le plus grand bonheur que l’on puisse connaître estd’aimer,etde l’êtreenretour,etque lapoursuite incessantedecebonheurestnotrebutpremierdansl’existence.Doncàl’avenir,cetterubriqueseconcentrerasurlafaçondetrouverl’amourvéritable,etnonsurlemeilleurmoyendes’enprendreàquelqu’unquiaéchouéàvousaimerenretour.Sisatisfaisantequelarevanchepuisseêtre,ellenevousrendrajamaisaussiheureusequedetrouverquelqu’unàaimeretquivousaime.Aprèstout,ilexisteunmilliondechansonsd’amour,maispresqueaucuneneparledevengeance.Jemerendscomptequel’annonced’unetellenouvellepourraitbienvousfairepaniquer,vuquevousmettreenquêtedel’amourpassepardessouffrancesetdesdéceptions.Doncvoilàmonpremierconseilpourvousaideràendurercettesouffranceinévitable.Suivezseulementcetterèglebasique.Cherchez votre reflet.Regardezdans les yeuxdevotre compagnonet voyez cequ’il voit.Honnêtementetprofondément.Sivousvousvoyezd’unefaçondontvousavezenvied’êtrevue,d’unefaçonquivousfaitparaîtreàvotreavantage,alorsvoussavezquevousêtesàvotreplace.Voustenezlesbasesd’unerelationheureuse.Enrevanche,silerefletquevousvoyezestpeuflatteur,sivoussavezaufonddevotrecœurquevotrebien-aiménevousvoitpascommevousvoulezêtrevue,alorsfuyez.Fuyezavantqu’il ne vous fasse vivre une véritable torture, parce qu’il le fera, c’est une certitude.Laissez-le être le premier à savoir qu’il n’en vaut juste pas la peine, avant d’avoir àrecouriràunequelconqueformedevengeance.Pourquoiperdrevotretemps?Allezdonccherchervotremeilleurrefletailleurs.
JoyeuxNoël,Suzie
Suziedéglutitavantdecontinuerà lire.Elleavaitécrituneautre lettrepour l’éditionspécialede
Noël,etc’étaitcellequicomptaitvraiment.C’étaitrisqué,elleenétaitconsciente,maisellenesavaitpasquoifaired’autre.
Àquidedroit,J’aivumonreflet.Pendantuncourtinstant,danstesyeux,surlapistededanse,endessousdelabouleàfacettes.Etlaminuted’après,ilavaitdisparu.Chasséparmabêtise,parmonégoïsme,etparmavanité.Jeferaisn’importequoipourrevoircereflet.Jesaisquetun’espasunhommesusceptibledemedécevoir.Plutôtl’opposé.Toutcequetuasfait,c’estdemedonnerconfianceenmoietdem’aideràrecouvrermonestime,tandisquetoutcequej’aifait,moi,c’estd’êtreuneamère déception pour toi. Exactement ce que j’ai reproché à tous les hommes sur cetteplanète.
Jemerendscompteaujourd’huiquenous sommes toushumainsetquenous faisons tousdes erreurs. Peut-être que certaines erreurs méritent d’être punies, mais maintenant, jeprendsconsciencequetoutlemondemériteunechanced’arrangerleschoses.Etjeveuxarrangerleschosesavectoi.Parcequej’aibesoinderevoircereflet.Etj’aibesoinquetuvoiestonrefletdansmesyeux,parcequesituveuxmonavis,ilestàcouperlesouffle.Je t’en prie, donne-moi une chance de me rattraper. Par pitié, reviens. Je veux vivreheureusepourtoujours,etjeveuxlefaireavectoi,toutcommeHarryetSally.Tusaurasoùmetrouver.
Suzie
Chapitre29
Réveillondunouvelan,20heures.Jackieversaunebouteilled’ouzodanslesaladierposédevantelle.—Quandes-tupartieenGrècepourladernièrefois?demandaSuzie.—Avectoi,imbécile,réponditsonamie.Souviens-toi,pourcélébrermondivorce.Onasurvécu
grâceàcetruc.—Maisçadoitfairepresquedixans.—Ouais.—Çanevapasavoirmauvaisgoût?—Sûrement.Maiscommentfaireautrementpoursedébarrasserdesimmondicesqu’onrapporte
devacances?J’aidulimoncelloàajouter.Çamasqueralegoût.—Jepensequejevaisenresterauvin,ditSuzieengrimaçant.—Tunedevraispaséviterdeboire?Tunevoudraispasêtreivrequandilarrivera,si?—Quandquiarrivera?s’enquitDave,enplongeantungobeletenplastiquedanslecocktailfatal
deJackie.—Drew,réponditJackie,enattrapantlabièreaugingembre.Daves’arrêtaàmi-gorgée.— Le type dont tu as couché avec le meilleur ami ? questionna-t-il, complètement éberlué. Je
n’arrivepasàcroirequ’ilteparleencore.—Ilnelefaitpaspourl’instant,fitremarquerSuzie.—Maistul’asinvitécesoir?lapressaDave.—Pasexactement,repartitSuzie,visiblementembarrassée.Davebutd’unetraitesonverre, toussa,puiss’agrippaaubordducomptoirdelacuisinecomme
pourgarderl’équilibre.— Alors dis-moi, Chère Suzie, comment sait-il qu’il doit venir si tu ne lui as pas exactement
demandé?—Jeluiaiécritunelettre.—Ettul’asinvitédanscettelettre?Suzieattrapaungobelet,leplongeadanslepunch,puislevidad’untrait.—Non,j’aijustefaitunsous-entendu,expliqua-t-elleenregardantDaveavecunairdedéfi.—Tuasfaitunsous-entendu?—Oui.—Pourrais-tum’expliquer,jeteprie,commenttuassous-entendud’inviterquelqu’unàunefêtede
nouvelan?—J’aiditquejevoulaisvivreheureusepourtoujours,commedanslefilmQuandHarryrencontre
Sally.—Etenquoiest-ceunedemandepourqu’ilvienneàlafêtedecesoir?interrogeaDave,lesyeux
écarquillés.— Oh, Dave, pour l’amour du ciel, n’as-tu pas une once de romantisme dans tout le corps ?
intervintJackie,visiblement frustrée.Tout lemondesaitqueHarryetSallysemettentensembleaunouvelan.DavedévisageaJackieaveclessourcilsfroncés.—Ilnesaisirapasl’allusion,finit-ilpardire.C’estlegenredetrucdontvous,lesfemmes,vous
rêvez pour obtenir ce que vous voulez, puis vous êtes contrariées quand ça n’arrive pas.C’est unhomme.Ilnecomprendrapas.—Tuas raison, réponditcalmementSuzie.C’estunhomme.Unhommequi s’estdonnédumal
pourmeredonnerespoirenrecréantmesannéesd’adolescente.Ilainstalléunebouleàfacettes,ilafait passer RickAstley et bu duCinzano coupé à la limonade, ajouta-t-elle, au bord des larmes àprésent.S’ilveutsaisirl’allusion,illefera.Ellepritunverredepunchetsedirigeaverslaportemenantaujardinpoursecalmer.
21heures.Suzie s’efforçait de ne pas lever les yeux chaque fois qu’on poussait la porte, mais c’était
impossible.ChaquefoisquerésonnaitlecarillondeRudolph,lerenneaunezrouge,surlasonnettequeDaveavait installéepourlasaison,soncœurluiremontaitdanslabouche.Maischaquefois, ilretombaitdans seschaussonsargentés,dèsqu’uneautre fournéedesproches, amiset collèguesdeJackieetDavearrivait.Elleavaitaussiprisconscience,enexaminantlenombrecroissantdeconvives,qued’unefaçonou
d’uneautre,durantl’annéeprécédente,elleavaitpasséuncap.Unanplustôt,leréveillondunouvelanauquelelleavaitassistéétaitunesoiréeréservéeauxadultes.Costard-cravatedemise,ungroupedemusiciens,etdesballonsnoiretargentédebongoût.Cetteannée,elleavaitatterridansunasiledefous.Lesbambinss’évertuaientàluifairedescroche-pieds,toutenpourchassantdesballonsBoblebricoleurdans tous lescoinsdusalon.Lesparentssefâchaientcontre leursadolescentsen traindeboireendouce.Enrevenantdelasalledebainsàl’étage,elleavaitaperçuungarçonetunefillequijouaientàfrotti-frottasouslesmanteaux,surlelitdeJackie.Elleavaitpourtantl’impressionquelaveille à peine, elle aurait pu se trouver sur ce lit pendant une fête, à coup sûr en train de se fairetripoterparunhommesoûl.Commentenétait-ellearrivéelà–lacélibataireesseuléeàunefêtedefamilledonnéepourlenouvelan?Lavieillefille.Elleseprécipitaaurez-de-chausséepourprendreunautreverre,ets’assitdevantlaported’entréejusqu’àcequeDrewarrive.
22heures.—Ilnevapasvenir!s’écriaSuzie.—Quoi?hurlaJackiepar-dessusletapagecauséparunemusiqueinconnueaubataillonqueles
adolescentsprésentsavaientmise.—J’aiditqu’iln’allaitpasvenir!répétadésespérémentSuzie.Jackiel’empoignaparlesépaules.—Ilviendra,dit-ellesuruntonferme.—LeprinceHarryn’estpasencorearrivé?s’exclamaDavederrièrel’épauledeJackie.—Jeluiassuraisjustementqu’ilallaitvenir,rétorquaJackie.Dis-lui,Dave.Ilvavenir,hein?On
neseridiculisepascommeill’afaitpourunepersonnesansluidonnerunechance.
—Ilneviendrapas,repritDave.Ilfautt’yfaire.—Qu’est-cequejevaisdevenir?selamentaSuzie,enenfouissantsatêtecontrel’épauledeJackie.
J’aitoutgâché.—Commenceparl’ignorer,réponditJackieenjetantunregardnoiràDave.—Jeluidisjustelavérité,chérie,sedéfenditDave.Suziecroitenlavéritétoutenue,pasvrai?
poursuivit-il.Suziegémitenguisederéponse.—Cet homme est un pur romantique,Dave Smith, reprit Jackie. Il viendra. Et quand il le fera,
prendsdesnotes,parcequetupourraisapprendredeuxoutroischosesdelui.—S’ilvient,c’estunevraielavette,marmonnaDavedanssabarbe.—Dave!s’écriaJackie.Jenevaispastelaisserdiredesgrosmotsdevantlesenfants.Cessetoutde
suitedetecomportercommeunidiot.—Ilnevapasvenir!s’époumonaDave.—Si!hurlaJackieàsontour.—Non!—Si!—Non!—Tuesunvraitocard,déclaraJackie.— Et toi, une grosse vache stupide, rétorqua Dave à l’instant même où la chanson par-dessus
laquelleilcriaitseterminait,etquelesilencesefaisaitdanslapièce.Lafouled’enfantssetournapourdévisagerlecoupleenpleinedispute,tandisqueSuzies’enfuyait
pourprendreunautreverreetsecalmeràl’extérieur.
23heures.—Ilvavenir!s’écriaSuzie,entapantfurieusementJackiesurl’épaule.—Quoi,oùça?Jackiedélivraseslèvresd’unbaiserpassionnéavecsonmari,aubeaumilieudelapistededanse
improviséedanslesalon.— Il va venir, répéta Suzie, un large sourire aux lèvres, enlaçant Jackie et Dave, quelque peu
surexcitéepar l’alcool.Mais iln’arriverapasavantminuit,si?ToutcommeHarry.Harryarriveàminuit.Quelleidiotejefais.J’aipassélasoiréeàsurveillerlaporte,alorsqu’enfait,ilvavenirauxdouzecoupsdeminuit,commedanslefilm.—Biensûrqueoui,acquiesçaJackieensouriant.N’est-cepas,Dave?Celui-ci luirenditsonsourire, lesourired’unhommevraiment ivredanslesbrasdesachèreet
tendre.—Biensûrqueoui,répéta-t-il,enattirantdenouveausafemmecontrelui.
Justeaprèsminuit,réveillondunouvelan.Suziescrutal’obscuritéjusqu’àcequ’ellenevoieplusrien.Savisionsetroublaetelles’aperçut
qu’elleavaitembuéledoublevitrageavecseslarmes.Iln’estpasvenu,serépétait-elle,encoreetencore.
Elle regarda les deuxverres qu’elle avait soigneusement remplis de champagne, et posés sur lerebord de la fenêtre en vue de la célébration, etmesura sa bêtise. Bien sûr qu’il n’était pas venu.Iln’avaitjamaiseul’intentiondevenir.Ellel’avaitvraimentdéçu,etelles’attendaitàcequ’ilpassel’éponge,justecommeça.Elleavaitespéréqu’ilcomprennequ’elleavaitfaituneerreuretqu’illuipardonne.Maiselleavaitpassédessemainesàdireàseslectricesdenepaspardonner,maisdepunir,etpasàmoitié.Commentpouvait-elleespérerqueDrewne lapunissepas?Commentpouvait-ellemêmerêverquenonseulement,illuipardonne,maisqu’ilsviventheureuxpourtoujours?Elleétaitstupideetméritaitd’êtreseuleàlapériodedel’annéeoùc’étaitleplusdouloureux.Enfin,elledécidadedétournersonregarddel’alléedujardin,maisellenesesentaitpascapable
pourautantd’affronterlascènequisedéroulaitderrièreelle.Elles’attendaitàseretrouverfaceàunemaréedecouplestendres,célébrantlenouvelanavecpassion,portésparl’espoirdel’annéeàveniretparlesbientropnombreuxpunchsdeJackie.Elle se tourna lentement et éprouva un étrange soulagement en remarquant les seuls autres
occupants de la pièce. Une petite colonie d’enfants blottis dans le noir, en train de regarder desdessinsanimésà la télé ; lespersonnagesdudessinaniméenquestions’agitantdans tous les sens,rayonnantdejoie,dansdestonscriardsquisereflétaientsurlevisagedesgaminsépuisés.Soncœurseremitsoudainàbattreàtoutrompre.Peut-êtrequesamontreétaitmalréglée.Peut-
êtren’était-ilpasencoreminuit,aprèstout.Biensûr,c’étaitdoncça.Ellen’avaitpasencoreentendulamoindrenotedeCen’estqu’unaurevoir.Ellecherchadésespérémentunehorlogepourconfirmersasupposition, mais il n’y en avait aucune. Elle se pencha et prit la télécommande des mains d’unbambin àmoitié endormi, et commença à zapper au hasard entre les chaînes.Elle avait seulementbesoindejeteruncoupd’œilàuneémissiondeJoolsHolland,etensuite,toutiraitbien.Ellesauraitquelleheureilétait.Aumomentmême où des bouchons de champagne et des célébrités enveloppées de banderoles
peuplèrentl’écran,ellesentitunedouleuraiguëdanssachevillegauche,etpoussauncristupéfiant.Ungarçond’environseptanssepostadevantelle.—Rends-la-moi,oujeluidisdemordrel’autre,ordonna-t-il,enfaisantunsignedetêteàlajolie
petitefilleencostumederenne,auxdentsbienaiguisées.Pétrifiée,ellelâchalatélécommandeetclaudiquajusqu’àlacuisine.Leschosesnesepassaientpas
du tout comme c’était prévu. En réalité, la situation lui échappait même complètement, vu que lepremiercontactcorporelqu’elleavaiteupourlanouvelleannéeétaitlamorsured’unegaminedanssajambe.EllecherchadésespérémentJackie.Elleavaitbesoindevoiraumoinsunepersonnequi l’aimait,
quelqu’unquilaferaitsesentirimmédiatementmieuxqu’àcetinstantprécis.Jackien’étaitnullepartdanslacuisine,doncellemontaàl’étage,pensantquesonamiedevaitmettreundesespetitsaulit.Les chambres des enfants étaient vides,mais elle finit par trouver Jackie et Dave, sous la pile demanteauxsurleurlit,àmoitiénus.Jackieapparutdesousunepeaudemoutondouteusequandelleentenditlaportes’ouvrir.—Ilestvenu?s’écria-t-elle.Les jouesrosesdeDaveapparurentàcôtéd’elleenunéclair,et ilbaissa lesyeuxsuruneSuzie
abattue.— Bien sûr que non, répondit-il. Maintenant, si quelqu’un s’apprête à venir, c’est moi, donc
pouvons-nouslaissertombercesfadaisesromantiques,etalleràl’essentiel?Là-dessus,iltiradenouveauJackiesouslapiledemanteaux.Suzie sentit sa lèvre inférieure commencer à trembler.Elle attrapabrusquement sonmanteau en
lainerougeets’enfuit,entendantJackieluicrierderevenir.Ellenerepritpassonsouffleavantd’êtreàl’extérieuretd’avoirclaquélaported’entréederrièreelle.Puiselles’effondrasurleseuildeJackieetDave,àprécisément00h11lesoirdunouvelan,etfonditenlarmes.
Chapitre30
Elle n’avait aucune idée de l’heure qu’il était quand elle commença à rentrer. Elle ne pouvaitsupporter l’idée de regarder une nouvelle fois sa montre. De toute façon, elle ne pouvait plus laregarder du tout, parce qu’à unmoment donné, elle l’avait enlevée et, de rage, l’avait jetée dansl’obscurité.Toutcequ’ellepouvaitentendreétait leclaquementrégulierdeseschaussuresà talons,et leson
inquiétantqu’émettaitlabruinebalayéeparlevent.Sescheveuxétaientplaquéssursonvisage,etellesavaitqu’ildevaitfairefroid,maiselleneparvenaitpasàressentirquoiquecesoit.Rien.Ellenesentaitpassespieds,notamment,cequiétaitcurieux.Commesielleflottaitdanslesairs.
D’ordinaire,cettemarcheluiauraitétépénible,elleauraitgrimacéaumoindrepas,vuqu’elleauraitpassélasoiréeàdanserdansdeschaussuresinconfortables.Mais,àcetinstant,ellenesentaitplussoncorps.Ellesavaitqu’ellen’étaitpasanesthésiéeparl’alcoolétantdonnéqu’elleavaitcessédeboireà23heures,pourêtresobreàminuit.Maisleplusétrange,peut-êtrelepluseffrayant,c’étaitqu’ellenesentaitplus lapeurnonplus.Normalement,quandellearpentait les ruesdeManchesterseuleaprèsminuit, elle sursautait à lamoindreombre,convaincuequ’onallait l’agresser.Maisce soir-là, elles’enmoquaitéperdument.Personned’autrenesesouciaitdesavoirsiellerentraitounonenunseulmorceau,alorspourquois’enfaire?Cettepenséesuffitàajouterunflotdelarmesàlabruinequiluitrempaitdéjàlafigure.Alorsqu’elletournaitaucoindesarue,elleralentitlacadence.Ellenepouvaitaffronterlavision
desonappartementfroid,sombreetvide,etcequelefaitd’arriverseulelà-basferaitàsonhumeurdéjàmaussade.Ellenepouvait endurerdevoir l’étatdans lequelelleavait laissé sa salledebains,parcequ’ellesavaitquec’étaitl’incarnationparfaitedel’espoirqu’elleavaitressentiaudébutdelasoirée.Maquillage,soinspourlescheveux,parfumsetcrèmeshydratantesétaientéparpillésdanstouslescoins–lesoutilsessentielspourpréparerledébutd’unenouvellerelation.Maisleplusdouloureuxseraitdevoirsachambre.Proprecommeunsouneuf,lesdrapschangés,
la lumière tamisée et la musique déjà prêtes : c’était une chambre qui attendait qu’un événementsignificatif se produise. À présent, elle ne constituerait qu’un rappel indésirable de sa profondesolitude.Àquelquesmètresàpeinedesaported’entrée,Suzies’arrêtadanssonélan.Commesij’avaisbesoindeça,songea-t-elleentirantsanssuccèssursontalon,coincédansuntrou
danslepavé.Le talon refusaitdecéder,doncelle fut contrainted’enlever sa chaussure, etde sentir le contact
désagréable du trottoir sale et mouillé s’insinuer dans ses collants, jusqu’à ses orteils déjà gelés.Alorsqu’ellesepenchaitpour tirerde toutesses forcessur l’escarpin,ellepritconsciencedespaslourdsaccourantdanssadirection,etenfin,soninstinctdesurviecommençaàsemanifester.Nousyvoilà,sedit-elle,prisedepanique.C’estlemomentdemamort.Elle tira de toutes ses forces sur la chaussure, se préparant mentalement pour déterminer dans
quellepartieducorpsdesonagresseurelleplanteraitsontalonaiguilleenpremier.Puislespass’arrêtèrentetelleentenditunerespirationhaletanteau-dessusd’elle.—Laisse-moifaire,ditunevoix.
Aumêmeinstant,lachaussureselibéraetSuzietrébuchaenarrière,tombantdetoutsonpoidssurletrottoir.—Laissez-moitranquille,hurla-t-elle,enbrandissantletalonaiguille.Laissez-moitranquille,ou
jevousplanteçadanslesvalseuses.—Charmant,fitremarquerDrew,tendantlamainpourl’aideràseredresser.—Drew!s’écria-t-elle.Ellelevalesyeuxversluitandisquel’humiditéetlacrassedutrottoirs’infiltraientsoussarobe.—Çava?s’enquit-ilenlarelevant.Jenevoulaispastefairepeur.Ellecontinuaàleregarder,s’efforçantdegérerleflotdepenséesetd’émotionsquiaffluaientdans
satête.—Qu’est-cequetufaislà?parvint-elleenfinàdemander.—Ehbien,commença-t-il.AprèsdesvisionnagesmultiplesdeQuandHarryrencontreSally,etdes
consultationsauprèsdeplusieursfemmesobsédéespar leromantisme, j’aienfincompriscequetuvoulaisdiredanstalettre.JeprésumequetuespéraisquejevienneteretrouveràminuitàlafêtedeJackie,pasvrai?Suziehochalatêteensilence,nesefaisantpassuffisammentconfiancepourparler.—Seulementj’ignoreoùvitJackie,n’est-cepas,imbécile?ElledévisageaDrew,stupéfaite.Commentavait-ellepuoublierunedonnéeaussiélémentaire?—Doncjemesuisditquejet’attendraisici,ajouta-t-il.Unsilencegênants’installa,jusqu’àcequeSuzieparvienneenfinàprendrelaparole.—Pourquoi?interrogea-t-elletimidement.—Parcequetumel’asdemandé,réponditDrew.—Jesais,maispourquoi?répéta-t-elle.Allez.Sors-moidemonmalheur.Dis-moiquec’estledébutpournous.—Vraiment,pourquoi?questionna-t-il,visiblementconfus.—Ouais,vraiment,pourquoi?—Est-ceencoreunedeceschosesquejedoisdéchiffrer,parcequejeteledis,ilvanousfalloirun
traducteur.—Onrecommence?proposa-t-elle.—Oui,s’ilteplaît,répondit-il.—Jesuistellementdésolée,gémit-elle,incapablederéprimerunflotdelarmes.Pourcequej’ai
fait.J’avaistellementtort.Peux-tumepardonner?Elleluilançaunregardimplorant.Ilneditpasunmotpendantunmoment,puisill’attiracontrelui.— Je n’en suis pas sûr, déclara-t-il en la regardant dans les yeux. J’ai besoin de te regarder
d’abord.Vraimentteregarder.J’aibesoindevoiràquoiressemblemonreflet.Elledéglutitenplongeantsesyeuxdanslessiens.SonamiDrew.SonâmesœurDrew.Ellelevoyait
clairementpourlatoutepremièrefois–commelapersonneavecquiellevoulaitpasserlerestedesesjours.—Qu’est-cequeçadonne?finit-ellepardemander,incapabledesupporterlesuspense.—J’aimebien,répondit-ilensouriant.J’aimebeaucoup.Jepensequetum’enlèvesaumoinscinq
kilos.Ellerenversalatêteenarrièreetéclataderire–lerired’unefemmequitouchaitdudoigtleplus
grandaccomplissementdesavie.Aimeretl’êtreenretour.—Justeunepetitechose,ajoutaDrewunefoisqu’elleeutrecouvrésonsérieux.Si jamais tume
forcesàregarderQuandHarryrencontreSallyunefoisdeplus,c’estfini.—Jen’aiplusbesoinde le regarder, rétorqua-t-elle. J’aimondénouementheureux justedevant
moi.Enfin,presque.Ellepassalesbrasautourdesoncouetl’attiracontreellepourleurpremierbaiser,àprécisément
00h57,lesoirdunouvelan.
REMERCIEMENTS
Enpremier lieu, je tiens à préciser que ce livre n’a pas été inspiré par les hommesdemavie.Laplupart de ceux que je connais sont fantastiques.Mais il y a toujours une ou deux exceptions à larègle,pasvrai?UnimmensemerciàmonamieHelenpoursoncôtéterreàterre,quim’apermisderesterdrôledanscelivre,etàGemma,dontl’aidem’estsiprécieuse.Enmatièredeconseilstechniques,merciàMarcetBrucepourleursconnaissancesenfootball,maisaussiàmaman,papa,Helen,Andrew,Gillian,Chris,David,ainsiqueGillianetChrisenNouvelle-Zélande,pourleursoutienfamilialsanslequeljenepourraisrienfaire.MillemerciségalementàAramintaWhitleyetPetaNightingaledel’agenceLAWpourleursoutienindéfectible.Nousavonsconnudesallers-retours,deshautsetdesbas,presquelittéralement.Jesuisraviedenepasêtrepasséeparlàtouteseule.JennyGeras,SelinaWalkeretlerestedel’équipedeséditionsArrowm’ontaccueillieàbrasouverts,etm’ontpermisdepartagerlefonddemapenséeetde poser pléthore de questions. En parlant de ça, mention spéciale aux blogueurs littéraires, dontl’enthousiasme et la volonté de transmettre ne manqueront jamais de m’époustoufler. Je vousremercietouspourl’accueilquevousavezréservéàmesromans.Etenfin,merciàvous,lecteurs.Merciinfinimentdemepermettredecontinueràécrire.C’estunrêvedevenuréalité,pourlequeljevousseraiéternellementreconnaissante.
TracyBloomacommencéàécrirequandsonmari,unhommecruelet sanscœur, l’aarrachéedeforceautravaildesesrêves–acheteusedemontagnesrussespourlesplusgrandsparcsd’attractionsduRoyaume-Uni–pourl’embarquerenAmérique.Déterminéeàsaisirsachance,ellesetourneverssonamourdesmotsetdurire,etentreprendd’écrirePersonnenecouche lemardi (àparaîtrechezMilady).Celivreluivautunsuccèsinternational.Désormais,Tracyestsurunpetitnuagegrâceàcenouveauboulotidylliquequiluipermetdefairerire,etparfoispleurer.Accompagnéedesonmarietdesesdeuxenfantsquimettentlapagailledanssonquotidien,lavoilàmaintenantrentréedanscettebonnevieilleAngleterre,impatiented’inventerd’autreshistoiresavecunebonnedosed’humour.
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