la religion et le développement économique: le cas de l'iran

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EHESS La religion et le développement économique: Le cas de l'Iran Author(s): Norman Jacobs Source: Archives de sociologie des religions, 8e Année, No. 15 (Jan. - Jun., 1963), pp. 43-48 Published by: EHESS Stable URL: http://www.jstor.org/stable/30120218 . Accessed: 18/06/2014 16:06 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . EHESS is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Archives de sociologie des religions. http://www.jstor.org This content downloaded from 62.122.73.61 on Wed, 18 Jun 2014 16:06:47 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

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La religion et le développement économique: Le cas de l'IranAuthor(s): Norman JacobsSource: Archives de sociologie des religions, 8e Année, No. 15 (Jan. - Jun., 1963), pp. 43-48Published by: EHESSStable URL: http://www.jstor.org/stable/30120218 .

Accessed: 18/06/2014 16:06

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LA RELIGION

ET LE VELOPPEMENT ICONOMIQUE: LE CAS DE L'IRAN

JE me propose de discuter bri~vement trois aspects des interrelations entre la religion et le d6veloppement 6conomique en Iran, t savoir: les relations

entre la religion et l'autorit6 politique, les relations entre le clerg6 et les mouve- ments sociaux, et les relations entre les valeurs religieuses diffuses et les attitudes envers le d~veloppement 6conomique.

La religion et l'autorit! politique : 95 % des Iraniens appartiennent A la bran- che chiite de l'Islam. La branche chiite est composde d'un certain nombre de sous-branches diff6rentes, mais nous ne nous occupons ici que de la branche associ6e a la structure politique persane, la version Ja'fari. Cette version est ainsi appelhe pour honorer I'imam Ja'far du huitibme sidcle qui 6tablit certains principes importants de l'imamat. Suivant le principe de l'imamat, sont reconnus douze chefs messianiques nomm6s imams. Ces chefs se rattachent directement au proph~te Mahomet, de qui ils affirment tenir la 16gitimit6 de leur pouvoir et de leur savoir. Ce savoir de l'imam se r6fbre ?a la lumidre divine ou la force cosmique transmise sans interruption de g6ndration en g6ndration. Le savoir est la cl6 du salut et exige aupres de Dieu, un intercesseur qui est I'imam. En consequence, il doit toujours y avoir un imam, car autrement ce serait la fin du monde sous forme de jugement. Actuellement nous sommes, et avons 6t6 pendant pros d'un mill6naire, dans I'Are du douzikme imam, qui se cachait au cours de cette p6riode. Mais au Jour du Jugement, un imam, le Mahdi, reviendra pour 6tablir le Royaume de Dieu & la place de l'ordre social imparfait qui existe actuellement. C'est pour- quoi l'imam jafari n'est pas d'abord cette institution sociale qu'il est souvent dans la tradition sunnite: il est une n6cessit6 religieuse. En outre, puisque l'imamat vient de Dieu, l'imam est lib6r6 du p~ch6. Le mal r6sulte des actes du commun des mortels, sp6cialement quand ils n'6coutent pas les injonctions de l'imam, qui sont en fait les injonctions de Dieu.

Tel est le point de vue thbologique. Le rapport intime entre l'imamat et l'Etat persan existe depuis longtemps. L'une des 6pouses du troisibme imam, l'imam martyr Hussein, petit-fils maternel du proph&te Mahomet, passe pour &tre la fille de Yezdegird, le dernier roi iranien de la branche sassanienne, d6pos6 par les envahisseurs arabes. Ce lien entraine une trag~die nationale complexe decoulant ostensiblement de deux 6v~nements historiques distincts, l'un reli- gieux, l'autre politique. En 1502, la dynastic iranienne safavide 6tablit la version

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ARCHIVES DE SOCIOLOGIE DES RELIGIONS

jafari de l'Islam chiite comme religion officielle. Sous l'angle politique traditionnel, I'imam fut le chef & la fois religieux et politique des croyants. Toutefois, il devint bient6t apparent que le monde islamique s'opposait de plus en plus aux pres- criptions religieuses orthodoxes et que les leaders politiques ne se g~naient pas pour cdearter, voire executer, les imams qui leur r6sistaient. Si I'imam avait l'appui divin et 6tait sans p6ch6, comment le mal pouvait-il si facilement triompher ? - se demandaient beaucoup. La premiere explication 6tait que le douzibme imam avait disparu sans nommer un successeur. Ce fait conservait la fonction dans sa nature lib6rde de pich6, mais n'avait que peu d'influence pour prot6ger des parvenus politiques, le r61e thdocratique. Ainsi l'imamat prdtendit ddliguer son autorit6 temporelle au pouvoir politique, lequel exergait d6j& ses prdrogatives en ce domaine. En fait, les accords de 1502 4chang~rent la reconnaissance politique de l'imamat contre la l6gitimation religieuse de l'autorit6 politique d'un Etat absolu, spdcialement le chef de cet Etat, le Chah. Jusqu'au retour de l'imam absent, le peuple devait une loyaut6 absolue au Chah, toute forme de rebellion pouvant $tre interpr6tde comme une faute religieuse. Chose plus importante, le Chah s'attribua, dans la sphere politique, les prdrogatives m~mes des hommes qui lui avaient dil1gud leur pouvoir. La sagesse politique et les vertus politiques devinrent insdparables de la fonction du Chah, mime si certains Chahs ne rdpon- daient pas & l'attente g6ndrale. Fait significatif, le Chah fut & l'abri des fautes politiques sinon des fautes religieuses.

Une implication importante de cette dernibre conception est, semble-t-il, que l'autorit6 politique a utilis6 la doctrine pour justifier le contr6le politique - ou l'intervention - sur certains aspects de l'ordre social, particulibrement I'ordre 6conomique. Prdsumant de sa supdriorit6 morale et intellectuelle sur les autres 6l1ments de la soci6td, l'Etat estima qu'il avait non seulement le droit mais aussi le devoir moral d'intervention et parfois d'arbitrage pour prot6ger l'ordre politique et religieux de la socidtd. N'ayant pas le temps de discuter ce point en detail, nous exposons les faits suivants comme base de recherche. Traditionnelle- ment, la terre est considdrde comme propridt6 personnelle du souverain, qui la retourne aux possesseurs individuels comme don personnel. Ce principe est li6 au r61e traditionnel de I'imam, possesseur et administrateur de toutes les terres. Le Chah n'a pas toujours 6t6 capable d'appliquer cette rbgle, mais il a eu recours & elle dans la mesure du possible. En outre, les activit6s commerciales doivent $tre rdglementies pour que I'esprit mercantile ne provoque pas de perturbations sociales et 6conomiques. Les commergants pieux et loyaux doivent 4tre protig6s contre les spiculateurs et les usuriers. La proportion de membres des religions minoritaires parmi les marchands, et celle plus forte d'illettrds, rendait cette classe sociale suspecte & I'autorit6 politique, en raison de son infdriorit6 pr6sumbe morale et intellectuelle. L'importance et I'utilit6 du commerce 6taient pleinement reconnues dans le monde islamique mais, & ddfaut de liens sous une forme ou une autre avec l'ordre politique (de prbfbrence la protection de certains fonction- naires) le commerce se trouvait rejet6 du cercle des corps l6gitimement constituds. En r~sum6, dans les regions rurales comme dans les r6gions urbaines, la poli- tique dominait l'6conomie d'un point de vue pratique et 6thique, et 1 o0i l'Etat pouvait exercer son autorit6, il dominait l'ordre social. Le clerg6 y souscrivait et renforgait activement cet ordre politique.

L'hdritage moderne de cette situation est que les m~mes principes s'appli- quent au d6veloppement bconomique et fournissent au programme actuel un ensemble pricis de rigles fondamentales. II est d'abord pr6sum6 que l'ordre politique est en soi intellectuellement et moralement sup6rieur & l'ordre bconomique, spdcialement au secteur priv6 de l'6conomie. Quiconque travaille pour le gouver- nement posshde certaines qualitds imamiques de l'Etat; ind6pendamment de

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RELIGION ET DEVELOPPEMENT EN IRAN

son experience antbrieure ou de sa formation, le fonetionnaire est consid~r6 comme sup6rieur intellectuellement et moralement au citoyen privY. Les d~sirs du peuple, notamment ceux du paysan, m~ritent peu d'attention puisque les fonetionnaires savent, en raison de leur superiorit6, ce dont le peuple a besoin et ce qu'il desire. En outre, les aspects administratifs du d~veloppement iconomique ont moins de faveur que la planification sur une grande 6chelle, cela parce que le personnel de la fonction publique est impr6gn6 des qualit~s charismatiques des imams (la personnalit6 dominante, selon les Persans) et les choses s'accomplissent ainsi par le rayonnement de ces qualitis parmi les subordonnis. J'appelle cela le B gou- vernement des modules e. En troisibme lieu, la menace plane toujours sur I'~co- nomie priv&e qui est i la merci d'une intervention officielle. D'une part, le d6velop- pement industriel authentique et libre s'effectue hors du gouvernement, puisque les investissements sp6culatifs sont plus sirs et plus faciles i prot6ger que l'industrie, que l'on ne peut dissimuler, pas plus qu'emporter comme la tente proverbiale du bidouin. D'autre part, m~me dans I'industrie li oi elle existe, I'entreprise est traitde de fagon similaire, les profits 6tant retires meme au risque de ruiner I'entreprise. En quatribme lieu, du c6t6 officiel, ceux qui prennent les decisions sont d'abord des politiciens pour qui I'orientation 6conomique est secondaire. Le choix et l'administration des entreprises sont d~terminds sur- tout par des considerations politiques plut6t qu'6conomiques et rationnelles. Ainsi se comprend la preference accord6e aux projets spectaculaires dans la capitale plut6t qu'i une sdrie de projets 6conomiquement rentables en pro- vince. La tentation d'utiliser la fonetion publique i des fins 6conomiques person- nelles, que les non-Iraniens appellent corruption, et celle d'accroitre les charges publiques par I'engagement de jeunes gens d~sireux d'occuper des fonetions publiques pour s'6lever dans I'~chelle sociale, s'expliquent aussi dans ce contexte. Il n'est pas surprenant d'apprendre que la speculation joue un role aussi impor- tant, sinon plus important, dans le secteur public que dans le secteur priv6, puisque le gouvernement est vou6 i favoriser a l'industrialisation a pour des motifs politiques, sans consid6ration du coit ~conomique rationnel r~sultant des m6thodes pr~sentes. En cinqui~me lieu, il n'est pas vrai que les Iraniens ne s'in- t6ressent pas & I'industrialisation et aux autres aspects du d~veloppement 6cono- mique, mais il est douteux que les rapports entre la politique et I'lconomie en Iran, dans les secteurs public et privY, favorisent ce d~veloppement. En cons6- quence, il faut consid6rer comme problkme majeur celui des pr6somptions (ou valeurs) sous-jacentes de certains aspects de la structure sociale en g~ndral, et nous croyons que ces pr6somptions peuvent se rattacher i certaines valeurs religieuses.

Abordons maintenant la discussion du second type d'inter-relations entre la religion et le d6veloppement 6conomique: le r6le du clergi dans les mouvements sociaux. Nous ne pouvons explorer tr~s brinvement qu'une phase de cette liaison : celle du bas-clerg6 avec les couches sociales moyennes et infdrieures. Cette asso- ciation r6sulte de I'interaction sociale, notamment dans le commerce. Histori- quement, le bazar et la mosqude furent souvent contigus. Le marchand tradi- tionnel, l'artisan et I'ouvrier, qui vivaient et travaillaient dans le bazar, formaient chacun sa propre corporation au sein de laquelle le clerg6 jouait un role signifi- catif dans l'ordre moral, intellectuel, et surtout politique. Comme il a 6t6 sugg~r6 plus haut, le bazar n'a jamais cr&6 les droits et privileges corporatifs associ6s aux confrdries occidentales. En consequence, au lieu de compter sur des mesures positives de protection et d'int6rat, les membres du bazar ont eu recours i la politique n6gative de graves et d'6meutes pour manifester leurs dol~ances, et i l'intervention du clerg~ pour sanctionner la conduite, stimuler le z~le religieux des membres des corporations. Actuellement, les 6l6ments du bazar i l'6chelon

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ARCHIVES DE SOCIOLOGIE DES RELIGIONS

inf6rieur de la hi6rarchie passent par des moments difficiles, car les gens ne s'int~ressent plus aux produits de I'artisanat depuis que les articles 6trangers se vendent A bon march6. Les marchands n'ont pas de relations politiques pour obtenir des pr~ts importants, qui leur permettraient d'importer des produits de luxe, de r6aliser des b~ndfices ~lev6s; ils d6pendent du march6 fort peu brillant procur6 par les gens de revenu modeste. Au cours des r6centes d6cennies, I'6du- cation occidentale et les int6rats s6culiers du gouvernement en particulier et de la soci6t6 en g~ndral, ont amoindri ou rendu d6suktes les fonctions du clerg6, celles notamment du bas-clerg6. Ces trois groupes attribuent leurs maux aux innovations modernes et 6trangbres introduites en Iran depuis la politique du Chah Reza dans les ann6es 1920, qui risquaient de rendre inutiles les services 6conomiques traditionnels et les messages religieux. Abandonn6s A leurs propres idbologies et conceptions du monde, ces groupes auraient canalis6 leurs efforts dans un sens exclusivement rbactionnaire, pour faire revivre I'ordre social d'une 6poque r6volue. Mais ces groupes ont fait cause commune avec d'autres, tirds principalement mais non exclusivement des couches sociales inf6rieures qui ne partagent pas leurs concepts sociaux. Ils se composent d'abord de boutiquiers install6s dans le contexte d'une ~conomie plus ricente mais qui, tout comme les pauvres marchands traditionnels des bazars, sont incapables de prosp6rer, faute de relations 6conomiques aux 6chelons sup6rieurs du gouvernement. Ils se com- posent aussi d'6tudiants et de petits fonetionnaires qui veulent respectivement des emplois ou des promotions dans la fonetion publique d6j& saturde. Ils se composent enfin des professions modestes, techniciens mi-qualifi~s, travailleurs qualifies et semi-qualifies, A la recherche d'une vie meilleure qui, pensent-ils, d6coulera des efforts actuels de d6veloppement 6conomique. Ces trois groupes acceptent la modernisation mais, comme les groupes r~actionnaires, ils attribuent leurs maux & l'influence 6trangbre. La croyance commune est que l'6tranger appuie ces 6l6ments de la soci6t6 dont la politique ne permettra pas & l'Iran de se divelopper de manibre telle que ces groupes en puissent ~tre les principaux b6ndfi- ciaires. La majorit6 des membres politiquement actifs de ces deux blocs r6action- naire et progressiste - chose apparemment contradictoire - se sont unis au sein d'un mouvement social appel6 le Front National. Les deux blocs estiment que l'6limination de l'6tranger est une condition primordiale. Le Front croit qu'avec le d6part de l'6tranger d'Iran, l'ordre social actuel sera suffisamment secou6 pour provoquer certains changements voulus dans la structure sociale du pays. Ils

considerent que les programmes de d6veloppement en seront acc6Cl6r6s et que leur ex6cution s'accomplira d'une manibre profitable (ce qui satisfait le bloc progressiste), mais que tous les changements s'effectueront suivant les m6thodes iraniennes et serviront les valeurs iraniennes (ce qui satisfait le bloc r~actionnaire). Le Front a des disciples en d'autres classes, sp6cialement parmi les aspirants politiques et les 6tudiants qui, eux aussi, voient 1a une occasion d'assainir la fonetion publique, puis de l'6largir en leur faveur.

Il est utile de souligner la place de la religion au sein du Front National. Dans l'esprit de ses membres, il n'y a aucune contradiction entre les valeurs religieuses traditionnelles et le d6veloppement 6conomique; en fait, les membres considbrent les inter-relations de la religion et d'une action ~conomique satisfai- sante comme une n6cessit6, et affirment que les problkmes actuels n~s du d~ve- loppement 6conomique d6coulent d'une substitution des id6aux 6trangers aux valeurs religieuses traditionnelles. Je crois devoir rdp~ter qu'il existe des liens 6troits entre la religion et la politique en Iran. La n6cessit6 de recourir aux vertus religieuses traditionnelles a 6t6 maintes fois soulign6e par de nombreux nationa- listes modernes, d'opinions et de classes sociales diff~rentes, qui voient dans la renaissance religieuse, sur un plan intellectuel souvent tr~s 6lev4, le point de

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RELIGION ET D]VELOPPEMENT

EN IRAN

d6part d'un mouvement national d'examen de conscience et de purification, destin6 & lib6rer l'Iran des p6ch~s provenant de l'6tranger et responsables, pen- sent-ils, de tous les maux du pays. En tant que nationalistes, ils ne regardent pas vers le passe comme vers une r6alit6 & d~passer, mais comme vers une source d'inspiration et d'enseignement pour le monde d'aujourd'hui. Une partie vitale du pass6 est la foi chiite. Il est certain que le nationalisme moderne comprend un facteur s~culier important, mais ce serait une grave erreur d'ignorer le facteur religieux qui se trouve dans toutes les classes. Nous pourrions mentionner ici une intbressante combinaison d'id~ologies. Dans l'enquate qui suivit la tentative d'assassinat du Chah il y a une quinzaine d'annies, on d6couvrit que le jeune coupable 6tait en relation 6troite avec les extr~mistes religieux d~crits ci-dessus, et qu'il 6tait en m~me temps un lecteur insatiable des publications commu- nistes.

Tournons-nous maintenant vers le troisibme et dernier type d'interrelations entre la religion et le d6veloppement 6conomique faisant l'objet de notre discus- sion, & savoir les rapports entre l'action iconomique et les valeurs religieuses, conques comme valeurs sociales g6n~rales et diffuses. Notre premier examen de l'imamat et de la politique pourrait 4tre consid~rde comme donnant un exemple de cette in- terrelation, mais notre sujet se r6f~re plut6t, pour l'instant, au comportement social en g~ndral qu'& des aspects aussi sp6cialists que la structure sp~cifique d'autorit6. Par valeurs diffuses il faut entendre, pensons-nous, ces valeurs qui imprignent simultandment tous les aspects du systhme social. Le rapport avec l'action 6conomique dolt 4tre, bien sfir, d6montr6, mais celle-ci n'est pas trait6e ind6pendamment de tout autre aspect d'action sociale.

Voici quelques liaisons entre les valeurs religieuses de cette nature et l'action sociale d'origine 6conomique. D'abord l'Islam a toujours manifest6 un souci vital envers la regulation du comportement social. Tr~s vite apr~s l'implantation de la foi, sa rapide expansion dans des r6gions de culture 6trangbre, il devint 6vident que de profondes contradictions existaient entre les prescriptions reli- gieuses et la r~alit6 quotidienne, et qu'au lieu d'etre combl6 le foss6 allait s'dlar- gissant. Les chefs religieux en vinrent a croire que le seul moyen de sauvegarder la vdrit6 et l'efficacit6 de la foi, tout en proclamant le message social islamique, 6tait de se retirer des affaires du sidcle, non d'en acqu6rir la maitrise. On pourrait dire que la religion demeura en ce monde, mais ne subit pas directement ses effets. Ce genre d'adaptation est signal6 pour aider a comprendre pourquoi les Ira- niens acceptent les profondes contradictions entre ce que les 6trangers consid~rent comme une r~alit6 en Iran et ce que les Iraniens affirment exister, et ce que les 6trangers consid~rent comme possible, probable dans la voie de l'accomplisse- ment, et ce que les Iraniens voient comme possible et probable. Cette adaptation est aussi mentionnde pour expliquer l'6vasion des Iraniens quand ils se sentent pres- s6s, y compris l'6vasion religieuse telle que le mouvement soufi, plut6t que d'essayer de r6soudre positivement, rationnellement, les problkmes quotidiens. On suppose aussi que la doctrine du Takiya, ou dissimulation religieuse sanctionn6e & l'6poque oi les chiites 6taient sous la domination politique des sunnites, a des liens avec la tendance des Iraniens & s'6vader, leur indiff6rence envers la v~rit6, la confiance et la loyaut6 consid6rdes d'un point de vue universel. La soumission musulmane, traditionnelle et totale, & Dieu devrait favoriser l'apathie, l'abandon au destin, plut6t que l'action personnelle, positive, en vue du progr~s. On suppose que la m6morisation du Coran a contribu6 & l'inhibition de l'activit6 intellectuelle posi- tive et critique. Le refus de l'Iranien de consid6rer avec certitude les affaires de demain r~sulte de l'idde que la vie est prid~termin6e par Dieu et qu'il est sacrilege de se substituer & Lui. Quand on parle de l'avenir, ne feit-ce que pour une seconde, il faut ajouter, < si Dieu veut , (en sha Allah).

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ARCHIVES DE SOCIOLOGIE DES RELIGIONS

Il y a bien d'autres associations de ce genre dans la litt6rature, mais j'estime que l'on s'est fait maintenant une id6e suffisante de I'argumentation employee. Ce type de raisonnement implique certains problkmes bien connus: il s'agit de priciser si les valeurs, les valeurs religieuses surtout, sont le simple reflet d'autres causes (cf. Marx), si elles font I'objet d'une interaction avec d'autres causes (cf. Weber), ou si elles sont les causes (cf. Hegel). J'avoue ma pr6f6rence pour l'approche w6birienne, et j'ai 6tabli les liaisons qui precedent sur cette base. Toutefois, on ne saurait oublier que de nombreux Iraniens progressistes justi- fient leurs actions par des citations religieuses et peuvent pr6tendre $tre aussi justes, sinon plus religieux, que ceux qui ne se soucient m~me pas de recourir B des rationalisations religieuses pour expliquer leur conduite nuisible au d~velop- pement bconomique. Cela tend i confirmer le point de vue de Marx. Il est utile de rappeler que le d6sir des fruits de l'industrialisation ou du d6veloppement 6cono- mique g$ndral n'a pas pouss6 les Iraniens progressistes, sauf quelques rares excep- tions, i envisager la n~cessit6 de modifier radicalement certains aspects de leurs concept des valeurs et de leur comportement, en vue de r6aliser ce qu'ils affirment d6sirer, et ce fait confirme les vues respectives de Hegel et de Weber.

Autre genre de problkme: ces liaisons sont-elles attribuables i l'Islam en g6ndral, ou & l'Islam chiite, ou & l'Islam chiite persan, ou aux valeurs persanes ou A celles du Moyen-Orient, asiatiques, des regions sous-d6velopp6es... ou, simultandment & tous ces facteurs ? Je ne puis fournir de r6ponse, mais on pourrait concevoir un systhme de valeurs relatif au d~veloppement &conomique, qui serait valable pour les r6gions sous-diveloppbes en gn~nral, tout comme s'6difient i cet effet des modules politiques et dconomiques. Pareil module permettrait peut-6tre d'envisager de nouveaux aspects du problkme toujours fascinant des relations entre la religion et le d6veloppement iconomique.

Norman JACOBS. University of Kansas (U.S.A.)

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