la rÉception de la violence Économique en droit comparÉ

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1 PIOLLET Fabrice Magistère de Juriste d’Affaires Paris 2 LA RÉCEPTION DE LA VIOLENCE ÉCONOMIQUE EN DROIT COMPARÉ Sous la direction de Madame le Professeur Patricia Kinder-Gest Mai 2008 Université Paris II Panthéon-Assas

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………………………………………………………………p.4Partie 1 : Vers une convergence des réceptions de la violence économique entre droit françaiset droit anglais……………………………………………………………………………... p.8Section première : La réception de la violence économique1 : Le développement de la doctrine de l’economic duress en droit anglais1-1 : Genèse de la protection du contractant en position de faiblesse1-1-a) L’émergence du concept de violence économique (economic duress)1-1-b) Une réponse graduée aux abus de situation…………………………………p.111-2 : Régime de l’economic duress................................................................p.131-2-a) La caractérisation de la contrainte1-2-b) Champ d’application et sanctions…………………………………………...p.152 : La récente réception de la violence par le droitfrançais……………………….........................................................................................p.172-1: Genèse de la protection du contractant en position de faiblesse2-1-a) : Apparition de la violence économique en droit commun2-1-b) : La protection offerte par les droits spéciaux………………………….…..p.192-2: Le régime de la violence économique………………………………...p.222-2-a) : Les éléments caractéristiques d’un vice du consentement2-2-b) : Un champ d’application et des sanctions discutables…………………….p.24Section seconde : Vers une perte d’efficacité de la protection de la partie faible………….p.261 : La protection contrastée des droits français et anglais1-1 : Le peu de succès pratique, reflet de la sévérité du régime probatoire de laviolence économique1-1-a) : Un droit civil trop exigeant1-1-b) : L’inadaptation d’un recours centré sur l’illegitimacy……………………p.281-2 : Le manque de rationalisation des régimes……………………...……p.331-2-a) : La collusion spéciaux et du droit commun en droit français1-2-b) : L’opportunité d’une unification des doctrines en droit anglais ? ………..p.372 : Les propositions communes……………………………………………..………..p.392-1 : Une redéfinition des critères2-1-a) : Les limites de la subjectivité dans l’appréciation de la violence2-1-b) : Le recentrage sur l’absence d’alternatives suffisantes……………………p.412-2 : la mise à l’écart des notions de violence économique et d’economicduress…………………………………………………………………….p.442-2-a) : Le rayonnement de la notion de bonne foi2-2-b) : Le renouveau de la notion d’enrichissement sans cause ? ……………….p.46« Oui, si un peuple veut être grand, le vice est aussi nécessaire à l’Etat que la faiml’est pour le faire manger, la vertu seule ne peut faire vivre les nations ». 1 Le cynisme de lamorale de la fable des abeilles, relayé par la formule private vices, public benefits par leséconomistes anglais du 18ème siècle, est au coeur de l’évolution initiale de la penséeéconomique. Pourtant, la doctrine souligne le faible intérêt des juristes pour ce texte2. Ce sontles économistes qui les premiers se sont interrogés sur le point de savoir quand l’interventionde l’Etat ou du droit devait être préférée au jeu spontané des entreprises. Les économistes,encore, qui se sont d’abord posés la question de l’utilité de la violence, de sa légitimité, ainsique de ses limites. Parmi les juristes, le débat entre le libéralisme et les doctrines plusinterventionnistes, allant jusqu’au « solidarisme contractuel », est certes latent, mais l’éveildu droit français à la notion de violence économique, apparaît bien tardif. Celui-ci anéanmoins le mérite de donner à ces questions fondamentales une vigueur renouvelée.En effet, si, pour reprendre le mot du Doyen Carbonnier, « la violence violente tend à devenirrare dans nos sociétés policées »3, « la disparition ou le camouflage de la violence ne signifiepas nécessairement l’abolition de la violence tout court. Il peut se produire une simplemétamorphose. Or, notre époque a vu naître un système de mise en condition psychologiqueet sociale des individus…sous nos yeux distraits, un colossal édifice de violence feutrée est entrain d’émerge

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  • 1

    PIOLLET Fabrice Magistre de Juriste dAffaires Paris 2

    LA RCEPTION DE LA VIOLENCE CONOMIQUE EN DROIT COMPAR

    Sous la direction de Madame le Professeur Patricia Kinder-Gest

    Mai 2008 Universit Paris II Panthon-Assas

  • 2

    Table des matires

    Introductionp.4 Partie 1 : Vers une convergence des rceptions de la violence conomique entre droit franais et droit anglais... p.8 Section premire : La rception de la violence conomique

    1 : Le dveloppement de la doctrine de leconomic duress en droit anglais 1-1 : Gense de la protection du contractant en position de faiblesse

    1-1-a) Lmergence du concept de violence conomique (economic duress) 1-1-b) Une rponse gradue aux abus de situationp.11

    1-2 : Rgime de leconomic duress................................................................p.13 1-2-a) La caractrisation de la contrainte 1-2-b) Champ dapplication et sanctions...p.15

    2 : La rcente rception de la violence par le droit franais.........................................................................................p.17

    2-1: Gense de la protection du contractant en position de faiblesse 2-1-a) : Apparition de la violence conomique en droit commun 2-1-b) : La protection offerte par les droits spciaux...p.19

    2-2: Le rgime de la violence conomique...p.22

    2-2-a) : Les lments caractristiques dun vice du consentement 2-2-b) : Un champ dapplication et des sanctions discutables.p.24

    Section seconde : Vers une perte defficacit de la protection de la partie faible.p.26

    1 : La protection contraste des droits franais et anglais 1-1 : Le peu de succs pratique, reflet de la svrit du rgime probatoire de la

    violence conomique 1-1-a) : Un droit civil trop exigeant 1-1-b) : Linadaptation dun recours centr sur lillegitimacyp.28

    1-2 : Le manque de rationalisation des rgimes...p.33 1-2-a) : La collusion spciaux et du droit commun en droit franais 1-2-b) : Lopportunit dune unification des doctrines en droit anglais ? ..p.37

    2 : Les propositions communes....p.39 2-1 : Une redfinition des critres

    2-1-a) : Les limites de la subjectivit dans lapprciation de la violence 2-1-b) : Le recentrage sur labsence dalternatives suffisantesp.41

    2-2 : la mise lcart des notions de violence conomique et deconomic duress.p.44

    2-2-a) : Le rayonnement de la notion de bonne foi 2-2-b) : Le renouveau de la notion denrichissement sans cause ? .p.46

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    Partie 2 : Le droit franais lpreuve des autres droits : de lirrductibilit des divergences la ncessaire volution du droit franais...p.49

    Section premire : La violence conomique, cheval de troie de lintroduction de concepts anglais en droit franais

    1 : La violence conomique, faux vice du consentement, vrai prise en compte du dsquilibre contractuel

    1-1: La violence conomique, outil ncessaire au droit franais 1-1-a) : Le refus de la lsion 1-1-b) : La pression des juges du fond.....p.51 1-2 : Lintroduction cache de lunconscionable bargain.p.52 1-2-a) : La discrte tentation de la Cour de cassation 1-2-b) : Le dsquilibre contractuel, lment au cur de la violence.p.56

    2 : Lintroduction diffuse des doctrines dundue influence et deconomic duress....p.57 2-1 : Le resserrement apparent du champ de la violence conomique 2-2 : Labus dautorit la franaise..p.62

    Section seconde : La violence conomique, simple concept transition ?

    1 : Le projet Catala laune des autres droits europens 1-1): La codification de la rigueur jurisprudentielle

    1-2): Un droit isol au regard des autres droits europens...p.64

    2 : Un concept dj dpass en doctrine...p.68 2-1) : La tentation de la gnralisation 2-2 : La voie de la proportionnalitp.70

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    1. Oui, si un peuple veut tre grand, le vice est aussi ncessaire lEtat que la faim

    lest pour le faire manger, la vertu seule ne peut faire vivre les nations . 1 Le cynisme de la

    morale de la fable des abeilles, relay par la formule private vices, public benefits par les

    conomistes anglais du 18me sicle, est au cur de lvolution initiale de la pense

    conomique. Pourtant, la doctrine souligne le faible intrt des juristes pour ce texte2. Ce sont

    les conomistes qui les premiers se sont interrogs sur le point de savoir quand lintervention

    de lEtat ou du droit devait tre prfre au jeu spontan des entreprises. Les conomistes,

    encore, qui se sont dabord poss la question de lutilit de la violence, de sa lgitimit, ainsi

    que de ses limites. Parmi les juristes, le dbat entre le libralisme et les doctrines plus

    interventionnistes, allant jusquau solidarisme contractuel , est certes latent, mais lveil

    du droit franais la notion de violence conomique, apparat bien tardif. Celui-ci a

    nanmoins le mrite de donner ces questions fondamentales une vigueur renouvele.

    En effet, si, pour reprendre le mot du Doyen Carbonnier, la violence violente tend devenir

    rare dans nos socits polices 3, la disparition ou le camouflage de la violence ne signifie

    pas ncessairement labolition de la violence tout court. Il peut se produire une simple

    mtamorphose. Or, notre poque a vu natre un systme de mise en condition psychologique

    et sociale des individussous nos yeux distraits, un colossal difice de violence feutre est en

    train dmerger 4. Cest de la violence conomique dont il est ici question, entendue, dans

    une approche gnrale, comme lexploitation ou la menace exerce sur les intrts purement

    conomiques dune personne pour obtenir un consentement quelle naurait pas donn

    spontanment.

    2. Lenjeu apparat comme tant la protection du contractant en situation de faiblesse,

    dans le cadre dune conomie librale. Les questions sont multiples, et la premire est dores et

    dj complexe : au nom de quelle justice protger le contractant sur lequel le fort tire avantage

    de sa supriorit, que celle-ci soit intellectuelle, sociale, statutaire ou conomique ? Ripert

    notait ainsi que la faiblesse est coupable de faire commerce avec la force , relevant que

    linquitable pouvait tre juste et utile5. 1 Bernard de Mandeville (1670-1733). 2 G. PARLEANI, Violence conomique, vertus contractuelles, vices concurrentiels, Mlanges Guyon Dalloz 2003, p.881. 3 J.CARBONNIER, Les Obligations, 22e d., Thmis, PUF, 2000, spc. N45, p.107. 4 COTTIER, Y a til une doctrine chrtienne sur la violence, in Semaine des intellectuels catholiques, La violence, Paris, 1967, cit par M. ROVINSKI, La violence dans la formation du contrat, thse Aix-Marseille, 1987, p.2, n1 in fine.5 RIPERT, La rgle morale dans les obligations civiles, LGDJ,1949, n5.

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    3. La volont de tout contractant, dans un environnement capitaliste et libral, supporte

    de manire incessante, diverses pressions inhrentes aux relations conomiques et sociales, de

    sorte quil nest de consentement qui soit parfaitement libre. En raison, ladmission dun vice

    de violence conomique semble instinctivement attentatoire la scurit des affaires et la

    stabilit des relations contractuelles en ce que la conclusion des conventions rsulte

    invariablement dun tat de ncessit conomique viciant dans sa composante libert la

    volont dun des contractants. La vie contractuelle des affaires mrite-t-elle pour autant le

    sacrifice de la protection des parties conomiquement faibles ? Un tel choix reprsente nen

    pas douter une entorse profonde aux principes fondamentaux de notre droit, qui reposent

    historiquement sur lautonomie de la volont et la libert contractuelle.

    Le dfi lanc aux diffrents systmes juridiques est celui de la conciliation entre lingalit et

    la libert, que lorganisation contemporaine du march semble avoir delle mme rsolue. Un

    auteur6 dnonce une nouvelle forme dallgeance, appartenant un mouvement de

    contractualisation de la Socit par le biais de nouveaux hybrides ractivant par le lien

    contractuel des manires fodales de tisser le lien social . Sont ici viss les contrats

    prsents autant dans le droit de la distribution que dans celui de la sous-traitance par exemple.

    Si lon saccorde avec lauteur pour prendre acte de cette refdolisation et sefforcer de la

    matriser plutt que de la nier , le rle de la violence conomique prend tout son sens :

    prserver un espace de libert la partie faible dans le contrat, en donnant au juge le moyen

    de sanctionner les abus de puissance conomique.

    Pour autant, dillustres auteurs, et parmi eux le Doyen Josserand, nont pas manqu de

    dnoncer cette singulire psychose collective qui tend voir dans le crancier comme dans

    le propritaire, plus gnralement dans tous ceux qui occupent une situation dominante,

    juridiquement et moralement, des ennemis de la socit 6bis. Ni la justice, ni la prosprit,

    ne sauraient dcouler dun sacrifice systmatique des intrts des parties en situation de

    domination conomique.

    6 A.SUPIOT, La contractualisation de la Socit, in Universit de tous les savoirs- quest ce que lhomme ? , vol.2, d. Odile Jacob, 2000, p.166 167, cit par B.EDELMAN, De la libert et de la violence conomique, Recueil Dalloz 2001, N29, p.2315. 6bis L. JOSSERAND Aperu gnral des tendances actuelles de la thorie des contrats, RTD civ. 1937, p.1, cit in D. MAZEAUD, Le contrat, libert contractuelle et scurit juridique, Defrnois 1998, art. 36874, spc. P.1142.

  • 6

    4. La difficult originaire, pour le droit franais, a t celle de lorigine de la violence.

    Historiquement, la violence est dabord sanctionne comme un dlit, et napparat que dans

    des hypothses proches de lextorsion de fonds. La crainte metus suscite par la menace

    de violence dune des parties nentrera dans le spectre du droit que dans un second temps (au

    1er sicle avant JC aprs sa reconnaissance par le prteur Octavius)7. La violence sera

    assimile en droit romain un dfaut de libert, mme si elle ne pouvait maner que de la

    personne et non des circonstances extrieures. Le droit savant mdival exclut lui la nullit de

    plein droit du contrat entach de dol ou de violence et la violence morale doit alors tre

    caractrise8. Le code civil va choisir une conception mixte, entre la conception traditionnelle

    des Romains, qui requiert que le consentement ait t extorqu par la violence et exige

    que la violence fasse impression sur une personne raisonnable (courant objectif), et une

    approche plus subjective en prcisant dans larticle 1112 que le juge doit avoir gard lge,

    au sexe et la condition des personnes. La violence ne saurait tre que dorigine humaine,

    dans la conception des rdacteurs du Code Civil.

    Pothier, pourtant, dsireux dattnuer la rigueur romaine, enseignait que la convention

    consentie dans un tat dimprieuse ncessit puisse tre refaite, rquilibre par le juge,

    lorsque celle-ci se trouvait entache dexcs. Ce faisant, lauteur liait ncessit et dsquilibre

    de la convention9. La violence pouvait ainsi natre des circonstances, et le concept de violence

    conomique se dvelopper. Sa position ne fut cependant pas suivie en 1804, les rdacteurs du

    Code Civil se prononant nettement pour un refus de principe de la lsion, mcanisme qui

    apparaissait au cur du raisonnement de Pothier. Ce nest que trs ponctuellement au regard

    de limportance du dveloppement conomique au cours des deux derniers sicles, que le

    droit franais a peu peu pris en compte lexploitation dun tat de ncessit, avant de

    consacrer dans les annes rcentes la notion de violence conomique en sappuyant sur la

    lettre des articles 1111 et 1112 du Code Civil et en rattachant ainsi cette problmatique celle

    des vices du consentement.

    Larrt du 21 avril 1887 de la Chambre des requtes de la Cour de Cassation (affaire Le Rolf),

    statuant sur la question de savoir si le capitaine dun navire qui avait fait un remorqueur une

    promesse de rmunration exagre devant les dangers dun naufrage tait bien fond 7 I. BENEIX, Lunification prtorienne du vice de violence conomique en droit priv, Les Petites Affiches 25 aot 2006. 8 I. BENEIX, ibid.. 9 P.CHAUVEL, Violence, contrainte conomique et lsion, in Mlanges Sohm, 2004, p.19

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    contester son engagement une fois tir daffaire, se dtourne de la question de lorigine de la

    violence pour se focaliser sur le caractre libre, ou non, du consentement : lorsque le

    consentement nest pas libre, quil nest donn que sous lempire de la crainte inspire par

    un mal considrable et prsent, auquel la personne ou la fortune est expose, le contrat

    intervenu dans ces circonstances est entach dun vice qui le rend annulable .10 La solution

    prsente un caractre rvolutionnaire, en ce que ni lorigine de la violence, ni le caractre

    dsquilibr de la convention ne sont pris en compte pour apprcier lexploitation de ltat de

    ncessit. Lessentiel rside ici dans la dimension volitive du consentement.

    Si cet arrt est trs loign aujourdhui des exigences poses par la Cour de cassation au cours

    des annes 2000 pour recevoir le concept de violence conomique, celui-ci nen est pas moins

    le premier prendre position de faon si ferme pour la possibilit dune sanction de

    lexploitation dun tat de ncessit. La gnralit de sa formule, bien quapplique au

    contexte particulier du droit maritime, pouvait permettre la sanction de la violence

    conomique, mesure que le contexte conomique favorisait des rapports contractuels

    marqus par la contrainte. Ds lors que le consentement nest pas libre, le contrat est

    annulable : lorigine de la contrainte peut devant une telle formule provenir des circonstances,

    et donc des circonstances conomiques.

    Au cours des annes 2000, la Premire Chambre Civile de la Cour de Cassation11 consacre

    dans son principe la prise en compte par le droit de la violence conomique, entendue comme

    une technique de contrle des rapports contractuels devant se rattacher au cercle des vices du

    consentement et se dtacher de la lsion. La position du droit franais semble quilibre en ce

    quelle se veut aussi bien protectrice des intrts de la partie faible que de notre tradition

    juridique. Il sera dmontr quil nen est rien, et que la solution nest quun artifice visant

    prserver les principes sculaires du droit franais, tout en intgrant discrtement des

    principes communment admis outre Manche et outre Atlantique.

    5. La rponse du droit franais ne devrait en effet pas tre examine sans tre compare

    celles des principaux systmes juridiques qui lentourent. Il convient de renverser demble

    lassociation instinctive des pragmatismes anglais et amricain avec une finalit conomique

    10 Cass. Re., 27 avr.1887, D.1881, 1, p.263, cit par P.CHAUVEL, ibid. 11 Cass.1e Civ, 30 mai 2000, Bull. civ. I, n169, p.109 ; Cass.1e Civ., 3 avr. 2002, D.2002., p.1880.

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    prvalente dans le droit des contrats12 et constater ainsi que la France ne fait pas figure de

    pionnire en matire de protection de la partie en situation de faiblesse conomique. La

    moralisation du comportement des parties contractantes a depuis longtemps impliqu la

    reconnaissance de la notion deconomic duress, ie de la contrainte conomique chez les

    champions du libralisme, au prix dune certaine entrave au libre jeu des relations

    contractuelles.

    Si les systmes de Common Law et le droit franais prsentent de profondes diffrences, la

    comparaison des mcanismes de protection des parties conomiquement en situation de

    faiblesse est rvlatrice dune certaine convergence entre les solutions, mesure que droit

    franais et droit anglais rencontrent des difficults similaires (Partie I). La rception franaise

    de la violence conomique met en vidence les incohrences de notre droit, qui sefforce,

    dans la forme, de prserver sa tradition juridique, tout en laissant percevoir la ncessit

    dvolutions substantielles, pour partie inspires des concepts de Common Law (Partie II).

    12RuthSEFTONGREEN,Linfluencedelanalyseconomiqueendroitanglaisdescontrats:lerenversementdesidesreues,LaGazetteduPalais,910mars2005.

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    PARTIE I : Vers une convergence des rceptions de la violence conomique

    entre droit franais et droit anglais

    Section premire : La rception de la violence conomique

    Ltude compare de lmergence du concept de violence conomique au sein des pays de

    Common Law, et particulirement de la Grande-Bretagne (1), avec celle que connat le droit

    Franais (2) rvle certaines diffrences dans le traitement de la problmatique de la

    protection du contractant en position de faiblesse. Pourtant, dimportants mouvements de

    convergence peuvent tre mis en vidence.

    1- Le dveloppement de la doctrine de leconomic duress en droit anglais

    Nous tudierons le dveloppement historique des modes de protection des parties dont la

    position contrainte ou de faiblesse est exploite par une autre partie (1-1), avant de prsenter

    le rgime de la doctrine de leconomic duress (1-2), qui prsente a priori le plus de

    similitudes avec la notion de violence conomique telle quelle est aujourdhui entendue en

    droit Franais.

    1-1 : Gense de la protection du contractant en position de faiblesse

    Le droit anglais sest dot de diffrentes techniques : la violence conomique a t peu peu

    accepte en Common Law (1-1-a)), pendant que sur le terrain de lEquity, dautres modes de

    recours se dveloppaient au bnfice des parties dont la faiblesse, conomique ou

    intellectuelle, a t exploite (1-1-b)).

    1-1-a) Lmergence du concept de violence conomique (economic

    duress)

    6. linstar du droit franais, la premire forme de contrainte reconnue par la Common

    Law tait la violence exerce par une personne physique ou la menace de laccomplir. Les

    critres runir pour caractriser la violence en faisaient une notion dutilisation dlicate. En

    effet, les plaideurs devaient la fois dmontrer que la conduite de leur cocontractant tait

    dlictuelle ou criminelle, mais encore quelle tait de nature triompher de tout homme

    raisonnable. Laccent tait alors mis sur le caractre illgal de la menace plutt que sur les

  • 10

    consquences de celle-ci sur la partie contrainte12. Le droit franais a conserv le standard de

    lhomme raisonnable, alors que le droit anglais et le droit amricain ont peu peu abandonn

    ce dernier critre.

    7. Les tribunaux anglais ont dabord tendu la porte de la violence, dans des cas o la

    contrainte rsultait de la saisie ou de la dtention illgale de biens par une des parties

    contractantes (duress of goods). Le premier arrt, Ashley v. Reynolds remonte 1732, et

    aucune distinction nest faite entre la simple menace de saisie des biens et leur saisie

    effective. Lattention des juges se porte encore sur le caractre illgal de la contrainte, et non

    sur leffet de celle-ci sur le consentement de la victime de la contrainte. En 1840, larrt

    Skeate v. Beale porta un frein au dveloppement de la doctrine de la contrainte conomique,

    en rduisant lintrt dutiliser un tel fondement : le contrat rsultant dune pression sur les

    biens de la victime ne pouvait pas tre annul, la victime ne pouvant obtenir que la

    rtrocession des paiements effectus en vertu dudit contrat. Pendant plus dun sicle, cette

    solution, couple avec le critre de lhomme raisonnable, a retard le dveloppement dune

    doctrine cohrente de la contrainte conomique en droit anglais14. Pourtant la dimension

    patrimoniale nouvellement acquise de la contrainte, devait faciliter son extension

    lhypothse de menaces portant sur les intrts conomiques de la personne contrainte.

    8. Ds les annes 1960, des cas comme Rookes v. Barnard ou encore D. C. Builders Ltd.

    V. Rees15, ont pu tre interprt par une partie des commentateurs comme annonant

    louverture dun plus grand domaine de relations contractuelles susceptibles dentrer dans le

    champ de la doctrine de duress. Le contexte des annes 1970, priode de crise conomique,

    dinstabilit des marchs et dinflation, explique par le besoin pressant des contractants de

    rengocier les contrats, lmergence de la doctrine deconomic duress. En 1976, le cas

    Occidental Worldwide Investment Corp. V. Skibs /S Avanti (plus connu sous le nom de The

    Siboen and The Sibotre), marque un tournant, mme si en lespce les demandeurs laction

    nont pu prouver la contrainte et ont obtenu gain de cause sur le terrain de lerreur. Reprenant

    la doctrine de duress, le juge Kerr y affirme la ncessit dlargir le champ des sanctions dans

    le cas datteintes aux biens, jugeant la solution trop restrictive. Celui-ci se pronona ainsi en

    12 R.HALSON, Opportunism, economic duress and contractual modifications, The Law Quarterly Review 1991. 14 Alan EVANS, Economic duress, in Journal Of Businness Law 1981 15 R. HALSON, op.cit.

  • 11

    faveur de la possibilit pour les victimes dune telle contrainte dobtenir la nullit du contrat

    qui en est le rsultat.

    Un important changement dapproche est encore souligner : dans lapprciation de la

    contrainte, les juges ne doivent pas seulement apprcier le comportement de la partie

    susceptible dtre lauteur de la violence, mais sattacher dterminer si le contrat est le

    rsultat dune libre rencontre de volonts. Ds lors, des pressions commerciales ne sauraient

    suffire carter la validit du contrat si le demandeur laction ne peut prouver quelles

    taient de nature vicier son consentement16. En mettant laccent sur la libert du

    consentement, les tribunaux anglais se rapprochent de la solution pose en droit franais dans

    laffaire Le Rolf prcite.

    Le raisonnement dvelopp par le juge Mocatta dans larrt North Ocean Shipping Co. Ltd. V.

    Hyundai Construction Co. Ltd. (plus connu comme The Atlantic Baron), et rendu en 1979,

    marque une tape dcisive dans la rception de la contrainte conomique par le droit anglais.

    La contrainte tait ici constitue, selon les demandeurs, par la menace de lentrepreneur partie

    au contrat de mettre fin au contrat, si ceux-ci nacceptaient pas une augmentation du prix. Il

    est relever quen lespce, les demandeurs ntaient pas en situation conomiquement

    dfavorable, et taient au contraire en train de ngocier un contrat particulirement lucratif

    avec dautres parties, dpendant cependant de la ralisation du contrat litigieux. La contrainte

    ne provenait ainsi aucunement des circonstances conomiques ou de la situation dlicate des

    demandeurs, mais uniquement de la menace par lune des parties de mettre fin au contrat sils

    nacceptaient pas la modification contractuelle. Autrement dit, il ntait pas tabli quun refus

    des demandeurs les auraient mis en grande difficult conomique, mais simplement quil les

    auraient certainement priv dun contrat particulirement intressant. Pourtant, cest partir

    de cette situation que le juge Mocatta a reconnu que la contrainte pouvait prendre la forme

    dune contrainte conomique (economic duress), et tendu lopinion du juge Kerr quant la

    possibilit dannuler les contrats rsultants de atteintes aux biens dun des contractants aux

    contrats conclus sous la pression de contraintes conomiques. Ds lors, de tels contrats

    peuvent tre annuls et les sommes indment payes, restitues la victime de la contrainte.

    Leffet de cette dcision est douvrir un large champ la contrainte conomique, ds lors que

    celle-ci peut tre avance par les victimes dans le cas de modification contractuelle, sans que

    celles-ci naient prouver la fragilit de leur situation conomique. 16 A. EVANS, op.cit.

  • 12

    9. Enfin, larrt Pao On v. Lau Yiu rendu en 1980 permit de fixer dfinitivement en son

    principe la doctrine de la contrainte conomique, en affirmant que les contrats conclus par

    leffet dune telle contrainte pouvaient tre annuls ds lors quil tait prouv que le

    consentement avait t vici. Lapproche semble rsolument subjective.

    Notons quaux Etats Unis, la notion deconomic duress a connu un dveloppement plus

    ancien, llargissement commenant ds la fin du XIXe sicle, avant de prendre toute son

    ampleur sous limpulsion de la doctrine dans les annes 1930-1940. Cest encore une fois au

    cours dune priode crise conomique et dinterventionnisme tatique, que des auteurs comme

    J. Dalzell sinterrogent sur le devenir de la libert contractuelle.

    1-1-b) Une rponse gradue aux abus de situation

    10. Loriginalit du droit anglais est de prsenter une pluralit de notions remplissant

    premire vue la fonction commune de protger les contractants dont la position de faiblesse

    est exploite par leurs cocontractants en position dominante. Il sagit de la doctrine de labus

    dautorit (undue influence), qui se divise elle-mme en deux branches (actual undue

    influence et presumed undue influence), ainsi que de celle de lunconscionability. Ces

    doctrines se sont essentiellement dveloppes en Equity, alors que la rception par la

    Common Law de la contrainte conomique tait encore trs restrictive. Leur coexistence

    pouvait permettre denvisager lensemble des rapports contractuels humain et les diffrentes

    formes de domination. Leurs interrelations taient enfin lexemple du relais russi de lEquity

    pour venir pallier les dficiences de la Common Law17.

    11. Labus dautorit, dans sa premire branche, ie lorsque celui-ci doit tre dmontr

    rsulte de labus par une partie en position de domination, intellectuelle ou conomique. La

    doctrine voit dans cette forme dabus dautorit le pendant en Equity de la doctrine

    deconomic duress18. La victime doit apporter la preuve que son consentement a t influenc

    de faon dterminante par la partie ascendante. De la mme faon que pour la violence,

    lvaluation de la substance du contrat qui en rsulte nest pas un critre pour obtenir

    satisfaction en justice, mais le caractre dsquilibr de celui-ci pourra servir dlment de

    preuve. Le cur de la dmonstration repose ici encore sur le comportement de la partie 17 Matthew D J CONAGLEN, Duress, Undue Influence, and Unconscionable Bargains The theoretical mesh, New Zealand Universities Law Review. 18 M. D J CONAGLEN, ibid. ; CAPPER, Undue Influence and Unconscionability : a rationalisation., TheLaw Quarterly Review 1998-479.

  • 13

    ascendante et en labsence de conduite immorale ou de fraude, le recours ne sera daucune

    aide la victime.

    12. Lorsque les parties contractantes sont dans certaines relations dfinies par la loi,

    marques par une forte confiance dune des parties lgard de lautre, et que la transaction

    entre les parties nest pas de celles qui peuvent tre raisonnablement attendues de ce type de

    relations, la loi prsume en faveur de la partie la plus faible que la transaction est le rsultat de

    lusage abusif de son autorit par la partie ascendante19. Au contraire de la doctrine dactual

    undue influence, celle de presumed undue influence, repose sur une apprciation de labus au

    regard du caractre dsquilibr de la transaction, par la dmonstration dun dsavantage

    manifeste . Ce nest quaprs cette preuve que la prsomption joue. On remarque en doctrine

    que ce facteur nest pas pour autant lunique critre, mais quen la matire, il convient de

    prendre en considration la fois le processus qui a pouss la partie la plus faible contracter

    et la substance du contrat qui en rsulte20. Le droit anglais apparat, avec le recours la

    thorie de labus dautorit, enrichi dune technique de protection efficace de la partie faible,

    en permettant dapprhender des formes de pressions plus subtiles, qui partagent avec la

    doctrine de leconomic duress le mme souci de protection de la partie faible devant les

    pressions exerces sur ses intrts conomiques.

    13. Si les applications en droit anglais de la doctrine de lunconscionable bargain, ie

    littralement du contrat moralement rprhensible sont trs rares, lunconscionability procde

    du mme esprit et vise punir le comportement rprhensible de celui qui profite dune

    situation de faiblesse pour tirer un avantage excessif. Le contrle des tribunaux ne se rsout

    pas en la matire un contrle objectif, et le droit anglais impose la runion de trois

    conditions cumulatives21, introduisant galement une part de subjectivisme : lune des parties

    doit tre en situation de faiblesse par rapport son cocontractant, du fait de sa pauvret ou de

    son ignorance, dun manque de conseil ou pour tout autre raison ; cette faiblesse doit tre

    exploite par lautre partie de faon moralement rprhensible et enfin le contrat doit faire

    apparatre un dsquilibre extrme, de nature choquer la conscience daprs les termes

    dun auteur. Cette doctrine apparat premire vue comme une technique complmentaire de

    leconomic duress sur le continuum des relations contractuelles, en ce que cette dernire 19 M. D J CONAGLEN, ibid. 20 M. D J CONAGLEN, ibid. 21 Yves-Marie LAITHIER, Remarques sur les conditions de la violence conomique (suite et fin), in Les Petites Affiches 23 novembre 2004.

  • 14

    suppose une menace alors que lexploitation de la situation qui caractrise lunconscionability

    nest pas ncessairement assimilable une menace.

    Cette doctrine est officiellement reconnue et codifie22 aux Etats-Unis mais donne en

    revanche lieu une jurisprudence peu unitaire alors que celle-ci est souvent invoque. La loi

    ne donne pour autant aucune dfinition de lunconscionability et lessentiel de la

    jurisprudence articule cette doctrine autour de deux critres : une importante ingalit entre

    les parties ayant priv lune dentre elles de choix rel au moment o il sest engag et un

    dsquilibre manifeste dans le contenu du contrat23.

    1-2 Rgime de leconomic duress

    Ltude du rgime de leconomic duress impose de dterminer les lments constitutifs de la

    contrainte et de relever que cest sur cette problmatique que se concentre lessentiel des

    difficults du droit anglais (1-2-a)), avant de dlimiter le champ dapplication de la doctrine et

    les sanctions applicables (1-2-b)).

    1-2-a) La caractrisation de la contrainte

    14. Ltude du droit anglais et de lvolution de la jurisprudence rvle les tensions

    permanentes que ce concept fait natre entre les tenants du libralisme et ceux pour lesquels la

    libert contractuelle ne saurait tre vritable sans un consentement libre et clair. Dans un

    premier temps, les juges ont entendu dmarquer nettement la doctrine de leconomic duress

    de la conception traditionnelle de la violence qui insistait sur le caractre dlictuel ou criminel

    des actes de la partie coupable de violence. Laccent est mis sur lapprciation du caractre

    contraint, voir absent, du consentement. Le juge Kerr affirme avec force dans The Siboen and

    The Sibotre que les tribunaux doivent dans chaque cas tre convaincus que le consentement a

    t domin par la contrainte au point de la priver de tout animus contrahendi24. Cest la

    doctrine de loverbone will. Le consentement nest pas seulement vici, il est considr

    comme tant quasiment inexistant.

    Pour encadrer le juge dans cette recherche, larrt Pao On donne un certain nombre de

    facteurs, tous relatifs aux consquences du comportement de lauteur de la violence sur le

    consentement de la victime de celle-ci. Lattention du juge se porte presque exclusivement sur 22 2-302 de lUCC, puis 208 du Restatement (Second) of Contracts. 23 Y-M. LAITHIER, op.cit. 24 A.EVANS, op.cit.

  • 15

    la victime, ds lors que la simple menace de rompre un contrat en cours dexcution est

    prsume comme tant illgitime. Cest leffet de celle-ci sur le consentement de la victime

    qui permettra de trancher les cas deconomic duress. Le comportement de lauteur de la

    violence, sa bonne foi ventuelle, ne sont pas des facteurs dterminants25. Les 4 critres poss

    par Pao On par le juge Scarman sont : 1) lexistence dune solution alternative satisfaisante au

    bnfice de la partie contrainte (comme un recours en justice par exemple), 2) et 3)

    lexistence de protestations faites par la victime au jour de la conclusion du contrat et celle

    dun avis juridique indpendant sur lequel elle peut sappuyer, 4) de dterminer si cette

    dernire a pris des mesures pour viter lapplication du contrat une fois celui-ci conclu.

    15. Certains remarquent en doctrine que Lord Scarman lui-mme semble suggrer la fin

    de cette numration que ces facteurs sont uniquement probatoires et quaucun nest

    dfinitivement concluant. La critique de ces tests a particulirement t dveloppe propos

    darrts ultrieurs (The Vantafe Navigation Corporation v. Suhail and Saud Bahwan Building

    Materials LLC (The Alev ) et The Atlas Express Ltd v Kafco Ltd), o il est apparu que ces

    tests avaient t peu utiles la caractrisation du caractre vici du consentement26 (mme si

    les juges y ont fait rfrence). La premire raison est le dfaut de hirarchie entre ceux-ci,

    laissant ainsi les tribunaux avec lembarras de dterminer leur articulation. Il peut certes tre

    remarqu que la doctrine de leconomic duress est par essence trs factuelle, expliquant ainsi

    les difficults des tribunaux. Cest sans doute la prise en considration de cet tat de fait qui a

    pouss les juges anglais dplacer leur contrle de lintgrit du consentement de la victime

    au caractre illgitime de la contrainte ou des pressions conomiques exerces par lauteur de

    la violence.

    16. Deux dcisions majeures, Universe Tankships Inc. Of Monrovia (1982) et Dimskal

    Shipping Co. S.A. v. International Transport Workers Federation, The Evia Luck (1991), ont

    remis la nature illgitime de la pression au centre de lapprciation de la violence

    conomique, oprant ainsi un retour lapproche traditionnelle de la violence en droit anglais.

    Dans la premire dcision, le rle du caractre illgitime de la contrainte est primordial en ce

    que Lord Diplock considre que la preuve dune pression illgitime est suffisante et que la

    25 R.HALSON, op.cit. 26 A. PHANG, Whither Economic Duress ? Reflections on Two Recent Cases, in The Modern Law Review, jan 1990.

  • 16

    preuve que cette pression et lorigine de lacceptation par la victime du contrat est labsence

    de rvocation subsquente par celle-ci du contrat27.

    Lord Scarman va rejoindre Lord Diplock dans cette conception qui fait de lillgitimit de la

    contrainte le vritable critre. Cependant, celui-ci va considrer que pour dterminer cette

    dernire, il convient de prendre en considration la fois la nature de la pression et la nature

    de la demande sur laquelle la pression sexerce. Cette conception lui permet de faire une

    distinction entre les actes illgaux qui sont clairement illgitimes et les menaces dactes

    lgaux qui ne deviendront illgitimes que si la nature de la prtention objet des pressions est

    elle mme illgitime28. Lord Diplock ne reconnat pas cette extension de la doctrine de

    leconomic duress aux menaces de commettre des actes lgaux.

    La solution de Universe Tankships pose un test exigeant la runion de deux lments distincts

    pour la caractrisation de la violence conomique : 1) une contrainte dterminante du

    consentement et viciant celui-ci, 2) une contrainte illgitime.

    Dans deux arrts rcents, DSND Subsea v. Petroleum Geo-Services28bis et Carillion

    Construction Limited v Felix (UK) Ltd, le juge Dyson a confirm limportance du critre de

    lillegitimacy, en dfinissant leconomic duress comme tant la rsultante de pressions

    illgitimes dont leffet est labsence de choix possible pour la victime, tant de nature

    dterminante quant la conclusion du contrat par la victime de la contrainte29.

    1-2-b) Champ dapplication et sanctions :

    17. Ltude du champ dapplication de la doctrine de leconomic duress rvle quen

    principe celui-ci est beaucoup plus troit que celui de labus de position dominante droit

    franais. En effet, celle-ci ne sentend en principe que dans le cas de modifications

    contractuelles. La doctrine considre mme que la doctrine est devenue loutil majeur de la

    police de rengociation des contrats29bis . La menace de rompre un contrat prexistant apparat

    le plus souvent dans les arrts fondateurs exposs plus haut comme tant illgitime en elle-

    mme. A cet gard, daucuns proposent que la loi devrait reconnatre que la menace de 27 MH OGILVIE, Economic duress in contract : departure, dtour or Dead-end ?, Canadian Business Law Review 2001. 28 MH OGILVIE, ibid. 28bis DSND Subsea Ltd v Petroleum Geo Services ASA 2000 B.L.R. 530 (QBD (TCC)) 29 D. TAN, Constructing a doctrine of economic duress, the Construction Law Journal, 2002, 18(2), 87-96. 29bis D. TAN, ibid.

  • 17

    rompre un contrat peut tre lgitime ds lors quune modification contractuelle est accepte et

    que cette modification est raisonnable au regard des circonstances non anticipes par les

    parties devant excuter le contrat30. Lenjeu est ici la flexibilit contractuelle et une

    reconnaissance trop vaste de la doctrine de la contrainte conomique est de nature empcher

    toute adaptation du contrat aux circonstances extrieures ds lors que lune des parties pourra

    obtenir lannulation de celui-ci (sous rserve davoir exprimer certaines rserves au jour de la

    rengociation du contrat). La solution est pourtant bien loppos et les victimes de la

    contrainte conomique bnficient dune certaine prsomption dillgitimit de la

    modification contractuelle.

    En revanche, lon a pu sinterroger sur la question de savoir si le refus de contracter dans le

    futur oppos par un fournisseur un distributeur alors que ce dernier sapprovisionnait

    exclusivement auprs du premier tait constitutif dune contrainte conomique sanctionnable

    par les tribunaux. Il semblerait que la doctrine et la jurisprudence considrent quune telle

    menace ne soit pas per se illgitime31.

    18. Quant aux sanctions, nous avons vu que depuis le cas The Siboen and The Sibotre, il

    est reconnu que le contrat conclu la suite des pressions conomiques tait annulable,

    renversant la solution trs restrictive qui tait jusqualors applicable au cas datteintes aux

    biens. Pour autant, une certaine controverse sest dveloppe, entre la vision de Lord Diplock

    et celle de Lord Scarman.

    Le premier considrait en effet que si la violence, la duress, peut tre dlictuelle et ouvrir la

    voie des dommages intrts, il ne pouvait en tre de mme pour la violence conomique et

    les victimes ne sauraient obtenir rparation que par la voie des restitutions et de lannulation

    du contrat.

    Le second se prononait en revanche pour ouvrir aux victimes de leconomic duress les

    terrains des dommages intrts et de lannulation du contrat, considrant que les contraintes

    conomiques pouvaient constituer un dlit et causer des dommages32.

    30 MH OGILVIE, op.cit. 31 MH OGILVIE, ibid. 32 MH OGILVIE, ibid.

  • 18

    2- La rcente rception de la violence conomique par le droit franais

    La sanction des abus de situation sest dveloppe de faon parcellaire en droit franais avant

    de trouver une thorisation rcente. linstar du droit anglais, cette protection est assure par

    diffrents fondements (2-1) ; le rgime qui en rsulte est des plus exigeants (2-2).

    2-1: Gense de la protection du contractant en position de faiblesse

    Le contractant dont la situation de faiblesse a t exploite se voit offert diffrents recours,

    dpendant essentiellement de ses qualits. Au recours rcemment consacr en droit commun

    (2-1-a)) ont prcd un certain nombre de fondements issus des droits spciaux (2-2-b)).

    2-1-a) Apparition de la notion de violence conomique en droit commun

    19. Si certains retracent le concept de violence conomique en doctrine 1890 et une thse

    de A. Breton32bis, la jurisprudence sest carte ds la fin du XIXe sicle de la tradition

    romaine et de la lettre du code civil (articles 1109 et 1111) qui exigent que la violence mane

    dun homme dans des affaires de droit maritime et plus prcisment dassistance maritime

    comme ce fut le cas dans laffaire Le Rolf prcdemment expose. Sil ne sagit pas en

    lespce a proprement parl de violence conomique, en ce que ntaient pas seulement en

    cause les intrts conomiques des victimes en situation de dtresse, nous avons remarqu que

    laudace de la jurisprudence franaise fut de consacrer la possibilit dannuler un contrat issu

    de la contrainte provenant de circonstances extrieures aux contractants, ds lors que la

    preuve tait rapporte que le consentement navait pas t libre. On observe en doctrine que

    cette solution est ne dun droit de praticiens, lesprit libr des contraintes du droit civil33.

    Cette solution a t conteste par certains auteurs, estimant que ltat de ncessit ne pouvait

    tre qualifi de violence, la menace devant tre la cause de lengagement et pas seulement

    loccasion34. La majorit de la doctrine a maintenu, mme aprs cette solution, son hostilit

    lassimilation entre violence et tat de ncessit, considrant quil fallait tablir un lien direct

    entre la menace profre et lengagement contract. Il est ds lors trs rare que la violence

    svince des seules circonstances trangres aux parties, et le plus souvent, lune delles en

    fait linstrument dune menace qui dtermine la conclusion du contrat. 32bis I. BENEIX, Lunification prtorienne du vice de violence conomique en droit priv, Les Petites Affiches 25 aot 2006. 33 J.TREILLARD, La violence comme vice du consentement en droit compar, in Mlanges Laborde-Lacoste, 1963, p.419.

  • 19

    En 1980, la Cour de cassation prend une position qui pour la majorit de la doctrine marque

    son refus daccepter lannulation dun contrat conclu sous la pression dune des parties

    abusant de sa puissance conomique, en cassant la cour dappel de Paris qui avait fait droit

    cette prtention35. La chambre commerciale avait en effet reproch aux juges du fond de ne

    pas avoir prcis en quoi les agissements de ce concdant taient illgitimes. Il nous apparat

    curieux de voir avec quelle prcipitation les pourfendeurs de la violence conomique ont

    interprt cette solution comme marquant le rejet par la Haute Cour du concept. La cassation

    pour dfaut de base lgale nest en effet prononce quautant que lillgitimit de la contrainte

    nest pas prouve ni retenue par les juges comme lun des lments constitutifs de la violence.

    Une interprtation a contrario pourrait permettre de voir en cet arrt lune des dcisions

    annonciatrices de lmergence du concept en droit franais. Dautant que la mise en

    perspective de celle-ci avec le droit anglais se dveloppant partir de 1976 et de larrt The

    Siboen and The Sibotre, fait apparatre une singulire concordance entre les solutions des

    cours des deux pays. La pression tait forte en effet parmi les juridictions du fond franaises.

    20. Ds avant les annes 2000, la Chambre sociale de la cour de cassation avait eu

    loccasion, en 1965, de reconnatre, sans la nommer ouvertement, la violence conomique

    sous la forme de la violence morale et, selon les termes de larrt, dune contrainte

    irrsistible constitutive de violence 36. Un arrt du 8 novembre 1984 de la Chambre sociale

    fait apparatre dans une lecture a contrario que si la Cour dappel avait fait tat dun abus de

    force conomique et non de voies de fait, les juges du droit aurait reconnu la violence

    conomique37. On le voit, le concept en tait ses balbutiements et les juridictions du fond,

    presses de porter assistance la partie en situation de faiblesse conomique, en oubliaient de

    trouver le fondement adquat.

    Cest en 1987 que J. Rovinski publie sa thse, dfinissant le vice de violence conomique

    comme lexploitation abusive par un contractant dominant dun tat de supriorit

    intellectuelle lors de la ngociation, caractrise par des pressions matrielles ou

    psychologiques atteignant le consentement du contraint dans son lment de libert dune

    34 Aubry et Rau, Cours de droit civil franais, 5e ed. , 1902 ; t. 4 ; 343 bis, p.500, 501. 35 Cass.com. 20 mai 1980, Bull.Civ., IV, n212. 36 Cass.soc., 5 juillet 1965, Bull.civ., V, n243. 37 Isabelle BENEIX, op.cit.

  • 20

    manire suffisamment forte pour justifier lannulation dun contrat dsquilibr qui en est

    rsult, gnrateur davantages injustes en faveur du contractant dominant 38.

    Sappuyant sur cette dfinition, les juridictions du fond vont assimiler peu peu la contrainte

    conomique la violence, avant de voir leur solution consacre par la Premire Chambre

    civile de la Cour de cassation le 30 mai 2000. En jugeant que la contrainte conomique se

    rattache la violence et non la lsion , la cour va, pour reprendre le mot dun auteur,

    sortir la violence conomique de son ghetto juridique 39. La question de la porte de cet

    arrt avait pu tre un temps pose par les auteurs effrays de cette solution, esprant que la

    solution ayant t pose au visa des articles 2052 et 2053 du code civil et dans le cadre

    particulier des transactions, celle-ci resterait circonscrite ce domaine. Le visa, aux termes

    gnraux, laissait prsager de son extension prochaine toutes les formes de contrats et la

    solution dsormais clbre du 3 avril 2002 rendue par la mme Chambre de la Cour de

    cassation est venue dfinitivement poser le principe dun vice de violence conomique

    rattach au vice du consentement.

    2-1-b) La protection offerte par les droits spciaux

    21. Alors que le droit anglais a dvelopp plusieurs recours prtoriens au bnfice des

    victimes des diffrentes formes de violence conomique, le droit franais prsente lui

    plusieurs dispositions lgislatives toutes tournes vers la protection des parties dont la

    position de faiblesse est exploite. A la diffrence du droit anglais dont nous avons vu quil

    offre une protection graduelle, et des recours variant selon les rapports de domination, le droit

    franais propose des recours qui coexistent mais ne sauraient tre aligns sur un mme

    continuum. Le droit de la concurrence, le droit de la consommation, le droit social et le droit

    pnal ont, chacun leur mesure, prvu des rponses aux abus de puissance contractuelle.

    22. Le droit de la concurrence a du ragir aux rapports de domination qui rgissent les

    relations contractuelles entre producteurs et distributeurs, et dvelopper la notion dabus de

    puissance conomique. Cest par lordonnance n86-1243 du 1er dcembre 1986 que le

    lgislateur va intervenir. Les dispositions de ce texte se retrouvent larticle 420-2 du Code 38 J.ROVINSKI, Le vice contractuel de violence dans le droit moderne des contrats, th. Aix, 1987, spc. N133, p.225 et n 180 , p.387. 39 Grgoire LOISEAU, Violence conomique, in La Semaine Juridiquen4 24 janvier 2001, p.195.

  • 21

    de commerce qui prohibe ds lors quelle est susceptible daffecter le fonctionnement de la

    structure de la concurrence, lexploitation abusive par une entreprise ou un groupe

    dentreprise dune position dominante sur le march intrieur ou une partie substantielle de

    celui-ci , ainsi que lexploitation abusive par une entreprise ou un groupe dentreprises de

    ltat de dpendance conomique dans lequel se trouve son gard une entreprise client ou

    un fournisseur. Les lois du 1er juillet 1996 et du 15 mai 2001 (loi NRE), rformant le droit

    de la concurrence ont introduit de nouvelles dispositions qui figurent larticle L.442-6 du

    Code de commerce, qui se rapprochent nettement de la violence conomique. Sont

    sanctionns par exemple le fait de menacer un partenaire conomique dune rupture brutale de

    relations commerciales pour obtenir ou tenter dobtenir des prix, des dlais de paiement, des

    modalits de vente, ou des conditions de coopration commerciale manifestement

    drogatoires aux conditions de vente. La domination ou la dpendance conomique ne sont

    pas illgitimes en elles-mmes et seul leur abus est condamnable. Lingalit est inhrente au

    march conomique et la libert de consentement doit tre respecte.

    Ce sont des critres essentiellement conomiques, apprcis du point de vue du domin, qui

    permettent le constat de la relation de dpendance. La loi NRE a facilit la preuve de

    labsence de solution alternative, auparavant expressment exige par larticle L.420-2, I, 2

    ancien, en tablissant une prsomption sous condition de la runion de certains indices. La

    rforme a galement supprim la rfrence latteinte au march issue de larticle L.420-1

    relatif labus de position dominante, afin de favoriser les victimes. Ce faisant, la rfrence

    au march pertinent disparat de fait, permettant une caractrisation plus aise de latteinte

    la concurrence, condition maintenue larticle L.420-2. Cette dernire exigence montre que

    labus de dpendance vise toujours des pratiques sanctionnes pour leur effet collectif. Cest

    la principale diffrence avec le droit commun, qui rvle que le droit franais napprhende

    pas la protection des parties faibles selon un continuum des relations contractuelles mais en

    visant des sphres qui coexistent, avec des domaines nettement diffrents.

    Cependant, la loi N.R.E., poursuivant son objectif de protection, a largi considrablement le

    champ des rapports contractuels susceptibles dentrer dans le giron du droit de la concurrence,

    en permettant sur le fondement de larticle L.442-6 du Code de commerce de sanctionner les

  • 22

    effets dune force conomique subis individuellement40. Nous verrons les consquences

    critiquables de cette extension, en ltat de notre droit, dans les dveloppements qui suivent.

    Un constat simpose : la violence conomique existe dj en droit de la concurrence.

    23. En droit de la consommation, ltat de ncessit a un temps t pris en compte presque

    expressment par larticle L.122.13 du Code de la consommation, qui sanctionnait

    lexploitation en connaissance de cause de circonstances extrieures un individu le mettant

    dans un tat de faiblesse. La rpression des clauses abusives a sembl habite du mme

    objectif et si la loi du 1er fvrier 1995 a abandonn les rfrences aux abus de puissance

    conomique et davantage excessif dans le corps de larticle L.132-1 du Code de la

    consommation, lesprit de la rglementation des clauses abusives demeure. La jurisprudence

    est reste fidle aux termes d abus de puissance conomique 40bis. Son but est identique

    la violence conomique : assurer la protection du contractant en situation de faiblesse,

    contraint conomiquement daccepter des conditions dfavorables. En doctrine, on remarque

    que le droit de la consommation a depuis cette loi pu smanciper des conditions de la

    violence conomique tout en rejoignant le droit commun sur le fait que le dsquilibre

    contractuel dsormais exig suggre une situation latente de contrainte conomique 41.

    Enfin, les articles L.122-8 L.122-11 du mme Code traitent du dlit dabus de faiblesse,

    class dans les pratiques commerciales illicites.

    24. Le droit pnal incrimine lui labus de ltat dignorance ou de la situation de faiblesse

    lorsquil tend la conclusion dun acte gravement prjudiciable la personne qui en est

    victime (article 313-4 du nouveau Code pnal) ; il rprime encore labus de vulnrabilit ou

    de situation de dpendance quand il porte obtenir dune personne la fourniture de services

    non rtribus ou en change dune rtribution manifestement sans rapport avec limportance

    du travail accompli. Lobjet et les consquences de cet abus sont avant tout conomiques41bis.

    Enfin, nous avons vu que la formation sociale de la Cour de cassation avait t trs tt

    confronte aux problmatiques souleves par la violence conomique ; ce nest que logique

    ds lors que les salaris sont le plus souvent dans une situation de dpendance conomique

    lgard de leur employeur. Prcisons simplement que la simple dpendance ne suffit pas 40 I.BENEIX, op.cit. 40bis Cass.civ.1re, 1er fvrier 2005, indit, pourvoi n 03-18.795. 41 G.LOISEAU, op.cit. 41bis I.BENEIX, op.cit.

  • 23

    caractriser la violence conomique, qui ne peut tre valablement invoque quen cas de

    contrainte conomique.

    Le droit franais prsente ainsi un panel de fondements diffrents, destins des catgories de

    demandeurs bien dtermines : consommateurs, entreprises en situation de dpendance

    conomique

    2-2 : Le rgime de la violence conomique Le choix de la jurisprudence franaise de rattacher la violence conomique aux vices du

    consentement entraine un rgime fortement imprgn des lments essentiels cette thorie

    (2-2-a)) ; son champ dapplication et ses sanctions participent du mme esprit (2-2-b)).

    2-2-a) Les lments caractristiques dun vice du consentement

    25. Le principal apport des arrts rendus par la Cour de cassation le 30 mai 2000 et le 3

    avril 2002 est de rattacher la violence conomique un cadre juridique tabli, et den prciser

    les conditions dapplication, mettant ainsi un terme aux divergences parmi les juges du fond

    dans lapprciation de la contrainte et la qualification de la violence.

    Dans le premier arrt, la Cour de cassation dtache nettement la contrainte conomique de la

    lsion, admettant ainsi que la contrainte conomique puisse tre sanctionne en elle-mme, et

    en la rattachant la violence. Cette position montre clairement que par la violence

    conomique, cest la libert contractuelle que lon cherche protger, en assurant la ralit du

    consentement. En lespce, la Cour casse une dcision de la Cour dAppel de Paris41ter qui

    avait refus la demande dannulation dune transaction prsentant un caractre manifestement

    lsionnaire entre un assur et son assureur, considrant que la transaction ne pouvait tre

    attaque pour cause de lsion. La contrainte conomique, fondement de la prtention de

    lassur, tait dans cette dcision envisage de faon strictement objective, ie uniquement au

    travers du dsquilibre lsionnaire qui peut en rsulter entre les prtentions. Certes la Haute

    Cour ne vise ni larticle 1111 ni larticle 1112 dans cette dcision, mais on remarque en

    doctrine quen lespce les textes de droit spcial viss par les juges (articles 2052 et 2053 du

    Code Civil) taient parfaitement adapts la situation42. Ladmission de la lsion tait en effet

    spcialement carte par le lgislateur et lon a pu faire remarquer que la distinction entre la 41ter CA Paris, 27 sepr. 1977 42 CHAZAL, La contrainte conomique se rattache la violence et non la lsion, RTD civ 2000, p.827.

  • 24

    contrainte conomique initiale le vice subjectif et ses ventuels effets sur lquilibre de la

    transaction le vice objectif simposait particulirement dans cette affaire43 ds lors que

    larticle 2053, alina 2, pose le pouvoir invalidant du vice violence et que larticle 2052,

    alina 2, exclue expressment le jeu de la lsion. En dotant la contrainte conomique dune

    existence propre, la premire chambre civile lui ouvre un champ plus vaste, tout en insistant

    sur la ncessit dune approche plus subjective de la notion.

    Larrt du 3 avril 2002 nen est que la confirmation. La premire chambre civile casse ici une

    dcision de cour dappel qui, pour annuler sur le fondement de la violence un contrat par

    lequel lauteur dun dictionnaire avait cd les droits dexploitation la maison ddition dont

    elle tait salarie, avait considr que le statut salarial de lintresse la plaait dans une

    situation de dpendance conomique par rapport la socit ddition, ce qui lavait

    contrainte daccepter les contrats malgr des termes contraires ses intrts personnels et aux

    dispositions protectrices des droits dauteurs. La salarie avait en effet connaissance de

    lexistence dun plan de licenciement et tirait argument de celui-ci pour fonder la contrainte.

    Les juges du fond ont valid cette dmonstration, en retenant la crainte de perdre son travail

    comme fondement de la violence. La Cour de cassation intervient alors, pour poser les

    conditions de caractrisation de la violence conomique : seule lexploitation abusive dune

    situation de dpendance conomique, faite pour tirer profit de la crainte dun mal menaant

    directement les intrts lgitimes de la personne, peut vicier de violence son consentement.

    Il faut donc en dduire que la contrainte conomique nat de labus dune situation de

    dpendance conomique. Larrt est cette fois ci rendu au visa de larticle 1112 du Code civil,

    confirmant la nature de vice du consentement de la violence conomique. Le droit commun

    des contrats et des vices du consentement sintroduit alors et la cour de reprocher aux juges du

    fond de ne pas avoir constater que lors de la cession, (la salarie), tait elle-mme menace

    par le plan de licenciement et que lemployeur avait exploit auprs delle cette circonstance

    pour la convaincre . Alors que les juges du fond navaient pas manqu daudace, la violence

    ne ressortant en lespce que des seules circonstances trangres aux parties, sans quil soit

    allgu que lemployeur en avait fait linstrument dune menace ayant dtermin la

    conclusion du contrat, la cour de cassation fait le choix de lorthodoxie. Elle exige que la

    partie avantage par le contrat ait pris une part active et personnelle la manifestation de la

    crainte ayant dtermin le consentement de son cocontractant.

    43 CHAZAL, ibid.

  • 25

    26. La solution est conforme la lettre du code civil et de son article 1109 qui exige

    que le consentement ait t extorqu par la violence. La condition dun lien direct entre la

    violence et les intrts de la personne rappelle la conception classique des vices du

    consentement. De cette faon, lon peut mme sinterroger sur la question de savoir si lon

    nest pas revenu la tradition romaine, exigeant que la violence ait pour origine les actes

    dune personne physique.

    Les juges du fond semblent se rallier cette position et un arrt de la Cour dAppel de Pau44

    du 27 juin 2006 qui reprend mot pour mot lattendu de la cour de cassation et qui considre

    que la violence nest pas caractrise dans les relations entre une banque et son client,

    dirigeant de socit, qui elle avait demand de fournir son cautionnement en contrepartie du

    maintien de ses concours financiers. Le fait que ce dernier ne disposait que de peu de temps et

    que la banque exerait une pression intense est indiffrent : la pression est inhrente toute

    ngociation commerciale et la banque a t de bonne foi en nexigeant quun cautionnement

    limit dans le temps et quant au montant des remboursements requis. Les exigences de la

    Cour de cassation semblent gagner les juridictions du fond.

    2-2-b) Un champ dapplication restreint et des sanctions discutables;

    27. Au contraire de la notion deconomic duress, le droit franais ne retient la violence

    conomique quau stade de la formation du contrat et refuse ce fondement pour toutes

    modifications contractuelles. La solution peut tre comprise par limportance laisse la

    bonne foi et au jeu de larticle 1134 alina 3 du Code civil, qui, imposant une certaine

    correction 45, interdit de menacer son contractant dune inexcution et dexiger de lui des

    avantages supplmentaires non fonds. Lextension du vice de violence sur ce terrain le

    rendrait en quelque sorte surabondant et sa nature de vice du consentement la rend en thorie

    impossible; il convient de respecter ici un quilibre entre limpossibilit dadmettre la

    lgitimit dune menace dinexcution motive par le seul but de senrichir aux dpens du

    crancier plac dans une situation contraignante et la volont de prserver une certaine

    flexibilit contractuelle afin de permettre lexcution des contrats ainsi que le libre jeu de la

    concurrence. Le droit amricain propose en la matire une solution intressante, au sein du

    Restatement (Second) of Contracts, en posant que la modification du contrat nest valable que

    44 CA Pau, Chambre 2 section 1, 27 jun 2006, n JurisData : 2006-306184. 45 Y-M. LAITHIER, op.cit.

  • 26

    si celui qui annonce quil ne respectera pas ses engagements se conforme au devoir de bonne

    foi.

    Il nous apparatrait pourtant plus simple, et moins audacieux, dtendre, linstar de la

    Common Law, le domaine de la violence conomique la modification du contrat convenue

    mutuellement par les parties. Le critre de la bonne foi est en effet li un rgime probatoire

    particulirement flou. O rside lobstacle ds lors que ce type de modification reprsente une

    convention, dont le rgime ne devrait pas chapper au droit commun des contrats ?

    Linconvnient est quen droit franais, la simple menace dune violation des obligations

    contractuelles nest pas une inexcution, faute de pouvoir tre anticipe juridiquement. On

    remarque en doctrine que la menace de commettre une faute intentionnelle devrait suffire

    caractriser lillgitimit de la contrainte46.

    28. Quant aux sanctions, celles-ci sont logiquement celles de la violence, vice du

    consentement. La victime a ainsi, du fait de la double nature de la violence, la fois vice du

    consentement et dlit, le choix entre le prononc de la nullit relative du contrat et

    lattribution de dommages-intrts.

    Si certains voient dans la menace de la nullit la meilleure solution pour dissuader toute

    pratique entrant dans le champ de la violence conomique47, dautres en font lun de leurs

    principaux arguments pour rejeter la notion48, entendue comme un vice du consentement.

    Lexistence dun vice du consentement entraine en effet la nullit du contrat irrgulirement

    form et donc son anantissement rtroactif. La question des restitutions soulvent de relles

    difficults, aussi bien eu gard aux parties au contrat que quant aux tiers celui-ci. La

    restitution napporte souvent gure de satisfaction aux contractants et le retour au statu quo

    ante est particulirement difficile dans de nombreuses conventions, notamment les prestations

    de services.

    Un auteur prsente larrt de la Chambre commerciale du 18 fvrier 1997 comme une

    illustration parfaite des incohrences de la solution49. Les demandeurs se sont en effet dsists

    de leur action en nullit au profit dune action en rparation sur le fondement de larticle 1382

    du code civil, rvlant ainsi la prfrence des acteurs conomiques, principaux intresss, 46 Y-M.LAITHIER, ibid. 47 G. LOISEAU, op.cit. 48 C. NOURISSAT, La violence conomique, vice du consentement : beaucoup de bruit pour rien ?, recueil DALLOZ, 2000, n23 p.369. 49 C. NOURRISAT, ibid.

  • 27

    pour une rparation pcuniaire plutt que la traditionnelle sanction du droit commun des vices

    du consentement.

    Il nous apparat que cette objection ne saurait tre dcisive, ds lors que si en pratique les

    plaideurs optent le plus souvent pour les dommages-intrts, la menace dune action en nullit

    a sans conteste un effet dissuasif. La solution apparat, quant aux sanctions du moins,

    quilibre.

    Section seconde : Vers une perte defficacit de la protection de la partie faible

    La convergence entre les droits anglais et franais se rvle encore par la mise en vidence

    des difficults auxquelles ils sont confronts : leurs solutions chouent offrir des recours

    sduisants pour les victimes (1), et lon trouve au sein des deux systmes de droit des

    propositions similaires pour remdier ce constat (2).

    1- La protection contraste des droits franais et anglais

    1-1 : Le peu de succs pratique, reflet de la svrit du rgime

    probatoire de la violence conomique Aussi bien le droit franais (1-1-a)), que le droit anglais (1-1-b)) prsentent des recours

    enferms dans des conditions probatoires trop stricts pour assurer une protection effective des

    parties dont la situation a t abuse.

    1-1-a) Un droit civil trop exigeant

    29. Sans doute est il rvlateur que larrt qui consacre en son principe la violence

    conomique, en tant que vice du consentement, rejette paralllement les prtentions de la

    partie qui linvoquait. En lespce pourtant chacun jugera du caractre dsquilibr,

    lsionnaire, de la convention, qui liait la salari la maison ddition, alors que celle-ci avait

    du abandonner ses droits dexploitation sur louvrage pour une somme de 30 000 francs en

    reconnaissant quil avait t ralis dans le cadre de son contrat de travail alors quil avait en

    ralit t effectu hors de son temps de travail. Surtout, louvrage en question sest avr tre

    un des plus rentables de la maison ddition.

  • 28

    Les arrts postrieurs confirment la tendance la svrit, qui sest tendue de la Haute Cour

    aux juridictions de fond, et aussi bien la Cour dAppel de Paris (Arrt CAP Chambre 5

    section B 28 juin 2007) que la Cour dappel de Nmes (Arrt CA Nmes Chambre 2 section B

    21 juin 2007) jugeront que la violence ntait pas caractrise dans les affaires qui taient

    portes devant leur autorit.

    Le premier cas est celui de linvocation par un liquidateur judiciaire de la violence

    conomique pour obtenir la nullit dun avenant portant fin de non recevoir non

    conventionnelle ; la prtention sera rejete en lespce : lavenant met fin au contrat et donc

    la violence conomique. La violence conomique nest pas tablie car le locataire grant

    dune station service conservait toute libert pour exploitation des locaux, malgr une clause

    dexclusivit dapprovisionnement pour les carburants.

    Le second est celui dun fournisseur qui menaait de ne plus livrer une socit les matriaux

    ncessaires son activit. Les juges estimeront que lexigence dune garantie de paiement par

    un fournisseur, qui il est demand de fournir crdit des marchandises au profit dune

    socit insolvable, ne constitue pas une exigence illgale ou illgitime mais participe de la vie

    normale des affaires. La prtendue contrainte conomique est selon la cour venue uniquement

    du distributeur, lequel navait pas les moyens de rgler le fournisseur.

    30. Si certains avaient pu voir dans lmergence du concept de violence conomique un

    ferment rvolutionnaire 50, la solution du 3 avril 2002 devrait les rassurer en ce quelle

    paralyse pratiquement lapplication du principe quelle consacre. Lapplication du droit

    commun des vices du consentement implique en effet la caractrisation dun mal menaant

    les intrts menaant les intrts lgitimes de la personne . Pour reprendre les explications

    claires dun auteur51, la formule exprime, ce qui est incontest, lexigence dune contrainte

    suffisamment prcise lorigine directe de lengagement. Mais lauteur remarque que

    lapplication de cette exigence porte en ralit requrir ce titre que la menace, prcise

    dans son contenu, directe dans ses effets, soit galement clairement dtermine sa

    source. 52 La contrainte implique ici, selon lauteur, une participation active du sujet la

    manifestation de la crainte qui pousse lautre partie contracter. Le demandeur laction est

    donc confront des exigences probatoires particulirement leves. La formule de la cour de 50 J. MESTRE, RTD civ. 1989, p.538. 51 G.LOISEAU, op.cit. 52 G.LOISEAU, ibid.

  • 29

    cassation, ne fait aucune rfrence aux effets de la contrainte, et ainsi lventuel dsquilibre

    contractuel. La contrainte ne saurait se dmontrer selon cette approche, que par les lments

    lorigine de la contrainte. La svrit du critre laisse penser que les situations o lune des

    parties se contenterait dexploiter un tat de fait dont elle nest pas linstigatrice ne sauraient

    tre sanctionnes par le vice de violence conomique. Cest l restreindre considrablement la

    porte dun vice qui avait fait croire un certain renouveau du vice de violence. La contrainte,

    en elle mme ne saurait tre assimile la violence.

    31. La contrainte ne dgnre en violence que sil peut tre prouv quelle est illgitime.

    Cest ici labus qui tablit la violence : tout consentement est troubl par la contrainte, dans le

    jeu moderne des rapports contractuels ; en revanche, lexploitation de ce trouble ne saurait

    tre tolre. Pour la doctrine, cette condition est une faon dassurer le maintien de lordre

    du march. 53

    Lillgitimit de la contrainte suppose quun jugement de valeur soit port sur la faon dont

    son auteur sest rellement comport, ce qui dfavorise encore la partie lse sur le terrain

    probatoire. Ds lors, lon remarque que jouir dune position de force et en tirer avantage

    nest pas en soi abusif. Labus suppose une attitude rprhensible. 54 La doctrine y voit un

    renvoi la conception romaine de la violence, selon laquelle la violence tait un dlit.

    Lillgitimit renvoie la condition dune faute et implique lexamen du comportement de

    lauteur de lacte. Lillgalit est de faon certaine le rvlateur dun acte ou dune menace

    illgitime en droit franais. En labsence de consensus thorique, il convient de se rfrer la

    jurisprudence. Celle-ci a pu juger illgitimes54bis : la spculation sur la dtresse dautrui54ter, la

    provocation volontaire des difficults financires dune socit pour en prendre le contrle par

    une augmentation de capital impose aux actionnaires54quater, ou le dtournement dun droit

    afin dobtenir un avantage sans rapport direct avec celui auquel il pouvait lgitimement

    prtendre54quinq.

    En cela, le droit franais se rapproche du droit anglais qui a opr un recentrage sur le critre

    de lillegitimacy. On observe ainsi le mme mouvement vers le rle actif de lagent qui abuse

    duen situation pour en tirer profit au prjudice dautrui. Cependant, alors quen droit franais 53 Y-M. LAITHIER, op.cit. 54 Y-M. LAITHIER,op.cit. 54bis Y-M. LAITHIER, op.cit. 54ter Cass. Req. 27 avril 1887, D. 1888, I, p.263. 54quater Cass. Com., 18 fvrier 1997 54quinq Cass.civ. 3e., 17 janvier 1984, Bull. Civ. III, n13.

  • 30

    lillgalit apparat comme un sous-ensemble appartenant lensemble illgitimit , la

    Common Law fait de ces deux notions deux ensembles spars, dont les domaines se

    superposent partiellement55. Cest l lune des difficults majeures rencontres par le droit

    anglais dans la dtermination de la violence conomique.

    1-1-b) Linadaptation dun recours centr sur le critre de lillegitimacy

    32. Si le rejet dune apprciation de leconomic duress uniquement fonde sur des

    lments centrs sur le consentement de la victime fait aujourdhui lunanimit de la doctrine,

    celle-ci ne sest pour autant pas rallie la position actuelle de la Common Law;

    La thorie de loverborne will apparat ainsi comme un faux dpart la thorie de leconomic

    duress et beaucoup estiment que les juridictions anglaises se sont engages sur une mauvaise

    voie avec le critre de lillegitimacy. Au vue du faible nombre de recours intents sur ce

    fondement, et du nombre encore plus rduit de plaideurs ayant ainsi reu satisfaction, il

    semble que la formule dun auteur franais56 quant la violence conomique soit transposable

    au droit anglais : leconomic duress nen finit pas dchapper son destin.

    Les problmes soulevs par le test de lillegitimacy sont essentiellement lis la difficult

    den dfinir le contenu. Le flou est originaire en ce que larrt qui opre ce glissement dans

    les techniques de contrle, Universe Tankship, rendu en 1983 par la Chambre des Lords (avec

    en autres Lord Scarman et Lord Diplock, ne dfinit pas clairement ce qui est illgitime. Lord

    Diplock se contente de prciser que lillgitimit ne sarrt pas aux seuls crimes et dlits. Lord

    Scarman suggre lui, sans dvelopper plus avant, que lillegitimacy englobe les pressions qui

    ne sont pas illgales. Les consquences de cette incertitude sont dnonces en doctrine, et

    illustres par les divergences entre les solutions : ltude compare des cas Vantage

    Navigation Corporations v Suhail and Saud Bahwan Building Materials LLC (The

    Alev )57et Atlas Express Ltd v Kafco (Importers and Distributors) Ltd58 rvle

    lincohrence qui en rsulte. Un auteur59 remarque en effet que les deux solutions utilisent

    toutes deux de faon interchangeable la fois le critre de loverbone will et celui de

    lillegitimacy. Cela rvle quen ltat de sa dfinition, le seul critre de lillgitimit des 55YM.LAITHIER,op.cit.56G.LOISEAU,op.cit.5719891LloydsRep.138.5819891LloydsRep13814759PHANG,op.cit.

  • 31

    pressions exerces par lauteur suppos de la violence est insuffisant tablir clairement la

    contrainte conomique illgitime.

    33. Ds lors, la problmatique est celle de lextension ou non de lillgitimit aux actes

    lgaux et menaces dexercer des pouvoirs lgaux, en principes lgitimes, qui utiliss dans

    certaines circonstances pourraient ou non devenir illgitimes. La dtermination de leconomic

    duress appelle dans laffirmative un autre test, permettant de dfinir une grille dinterprtation

    aux tribunaux. Lexemple type est le chantage, la menace dexercer un recours accord par la

    loi, lgitime en principe, mais qui au regard des circonstances peut devenir illgitime (si

    lauteur de la menace est de mauvaise foi, est lui mme en faute, ou encore si ce dernier sait

    que la victime nest aucunement en mesure de satisfaire ses demandes).

    La doctrine se divise sur cette question. Tous saccordent sur un impratif commun :

    prserver la flexibilit du contrat, et lvolution des acteurs aux exigences du march.

    Certains estiment que le contrat est avant tout linstrument de la cration de droits et

    dobligations et que le respect de cette fonction impose que ces droits soient respectes :

    autrement dit que la contrainte conomique soit entendue largement60. Ces auteurs sappuient

    sur lopinion du juge Scarman, dont lutilisation du terme illgitime plutt quillgal,

    implique selon eux dinclure les actes lgaux dans la dfinition du spectre des atces pouvant

    tre considrs comme illgitimes. Ces actes deviendraient illgitimes si motivs par de

    mauvaises raisons(comme lexploitation dune faiblesse). Dautres sont ouvertement contre

    louverture de leconomic duress, affirmant avec force quil convient de maintenir une ligne

    de dmarcation entre les cas o les pressions sont de simples pressions commerciales,

    lgitimes et licites, et ceux o les pressions sont lexercice de la violence61.

    Un auteur a ainsi propos en 1991 que le critre dterminant pour lapprciation de

    leconomic duress soit le comportement illgitime dune des parties, en ce que la pression doit

    sexercer par la commission ou la menace dactes illgaux. Lintrt du critre serait dviter

    trop de concentration sur le consentement de la personne pour tudier la nature de la pression

    exerce et ainsi sextirper des eaux troubles de la question de lingalit de puissance

    contractuelle (inequality of bargaining power)62.

    60 BIGWOOD Economic duress by (threatened) breach of contract, in The Law Quarterly Review 2001. 61A. PHANG, op.cit. 62 A.EVANS, op.cit.

  • 32

    Les cours anglaises vont osciller entre les deux conceptions : en 1991, larrt The Evia Luck

    (prcit) prsente lopinion de Lord Goff qui observait que les actes pouvant tre le moyen

    des pressions ntaient pas forcment de nature dlictuelle et suggrait ainsi que des actes en

    eux mmes lgaux pouvaient devenir illgitimes selon les circonstances62. En 1994, dans

    larrt Cash and Carry Ltd v Gallagher Ltd63, le juge Steyn, prcisant que la nature gnrale

    de la transaction tait lindice le plus important pour trancher les plaintes pour economic

    duress. Il convient ainsi de distinguer les contrats entre professionnels galement avertis des

    contrats conclus64 au sein de relations quil convient de protger . Cette distinction permet

    en lespce de rejeter la demande, en considrant que les pressions taient de nature

    commerciale et lgales, ntant no criminelle ni dlictuelle. Larrt refuse nettement

    lextension de lillegitimacy ce type de pression.

    Au dbut des annes 2000, la position de la Common Law se prcise par deux arrts, sous

    limpulsion du mme juge, Lord Dyson :DSND Subsea Ltd v Petroleum Geo Services ASA65et

    Carillion Construction Ltd v Felix (UK) Ltd66. Dans ces arrts, le juge pose trois critres que

    les cours peuvent utilement utiliser afin de dterminer si les pressions taient illgitimes: lexistence dune rupture des relations contractuelles ou dune menace dune telle rupture. Ce critre se heurte cependant la difficult de faire le dpart entre les

    ruptures dobligations essentielles et les ruptures de moindre importance qui ne

    devraient pas mettre un terme au contrat. Un auteur remarque galement que ce critre

    va lencontre du principe qui veut quune personne ne puisse se prvaloir de sa

    propre rupture du contrat67. Cette dernire critique est carter notre sens en ce que

    lauteur allgu de la violence ne se prvaudra pas de sa rupture du lien contractuel,

    mais tentera de dmontrer quil ne pouvait faire autrement que rompre le contrat si les

    nouvelles conditions ntaient pas acceptes par le demandeur. Ltat desprit de la partie exerant les pressions, ie dterminer si celle-ci tait ou non de bonne foi. Certains doutent de ce critre, considrant que la preuve de la bonne

    foi ne devrait pas prendre une place prdominante dans lapprciation de la lgitimit

    des pressions et absoudre lauteur allgu de la violence. Selon Lord Dyson, la bonne 62 MH OGILVIE, op.cit. 63 1994 4 All E.R. 714 (C.A.) 64 M.OLGIVIE, op.cit. 65 2000 B.L.R. 530 (QBD (TCC)) 66 2001 B.L.R. 1 (QBD(TTC)) 67 D.TAN, Constructing a doctrine of economic duress, the Construction Law Journal, 2002, 18(2), 87-96.

  • 33

    foi dune des parties permet de considrer le comportement de lauteur des pressions

    comme ayant t raisonnable, ce qui apparat contraire au principe selon lequel le

    caractre raisonnable du comportement de la partie en rupture contractuelle nest pas

    une dfense valable dans une action pour rupture contractuelle68. Lexistence dalternatives pratiques ralistes, de protestation ou dune confirmation des termes du contrat.

    La dmarche du juge Dyson doit tre salue en ce quelle reprsente leffort de thorisation

    tant attendu par la doctrine et de dfinition de lillgitimit. Pour autant, la doctrine nest pas

    entirement convaincue, et certains militent toujours pour que les cours ne se consacre qu la

    question de la lgalit ou non de lacte constituant le moyen des pressions69. Ce critre a le

    mrite de la simplicit, et en offrant peu de liberts aux juges, de prsenter des garanties de

    prvisibilit pour les contractants. Un auteur remarque enfin que si des actes lgaux ne

    peuvent tre inclus dans le spectre de lillegitimacy, mais quils apparaissent comme tant

    moralement rprhensible, cest la loi quil convient de changer70

    Certains proposent encore de reconnatre que la rupture dun contrat est invariablement

    illgitime dans le cadre du test deux lments pos par Universe Tankships et ainsi de poser

    une prsomption de faute lgale. Mais les tribunaux devraient ensuite considrer lensemble

    des circonstances pour voir si cette rupture est vraiment lorigine de lobligation pour le

    demandeur davoir accept cette modification71.

    Il apparat ainsi que lessentiel de la critique se porte sur le fait que lillegitimacy soit le seul

    critre de leconomic duress, alors que ses contours en sont encore incertains. Une des

    difficults pour dgager un critre est que les cours dappels ne peuvent interfrer avec

    lapprciation souveraine des juges du fond quant au fond alors queconomic duress est

    matire trs factuelle71bis. La doctrine pousse ds lors pour lmergence dun second critre,

    en germe dans le raisonnement du juge Dyson, savoir labsence dalternatives pratiques

    satisfaisantes. En ltat, la doctrine en vient mme se poser la question de lutilit de la

    68 D.TAN, op.cit. 69 D.TAN, ibid.. 70 D.TAN, ibid. 71 BIGWOOD, op.cit. 71bis A. PHANG, op.cit.

  • 34

    notion mme deconomic duress en Common Law, ds lors que ses fonctions sont pour

    linstant assures par dautres rgles plus faciles dapplication72

    1-2: le manque de rationalisation des rgimes :

    Les deux systmes de droit prsentent le mme dfaut : un manque de cohrence entre les

    diffrents recours, qui sexprime en droit franais par le chevauchement du recours de droit

    commun avec ceux des droits spciaux (1-2-a)) et en droit anglais par la coexistence des

    recours de Common Law et dEquity, qui ont vu au fil des annes leurs diffrences sattnuer

    (1-2-b)).

    1-2-a) La collusion des droits spciaux et du droit commun en droit franais

    34. Nous avons vu que le droit franais prsentait un certain nombre de dispositions

    parpilles entre les diffrents droits spciaux qui peuvent permettre certaines catgories

    dacteurs conomiques, dans le cadre de relations contractuelles prcises (professionnels -

    consommateurs, distributeurs - fournisseurs), dobtenir rparation sur des fondements

    proches en essence du vice de violence conomique. Si cette coexistence avait un sens avant

    lmergence dun principe en droit commun, il convient de sinterroger sur leur cohrence,

    aprs la dfinition par la Cour de cassation du rgime du vice de violence conomique dune

    part, et aprs les rcentes volutions au sein des droits spciaux dautre part.

    Le droit commun des contrats apparat comme tant sous linfluence la fois du droit des

    relations entre professionnels et consommateurs et du droit de la concurrence.

    35. Depuis larrt rendu par la Premire Chambre civile du 30 mai 2000, la solution est

    arrte : la contrainte se rattache la violence et non la lsion. Ds lors, la sujtion

    conomique nest pas susceptible de sanction en droit commun, au regard du seul dsquilibre

    lsionnaire des prestations. Cest l une diffrence fondamentale avec le droit de la

    consommation, dont le Code prvoit en son article L.132-1 que sont abusives les clauses qui

    ont pour objet ou pour effet de crer, au dtriment du non-professionnel ou du consommateur,

    un dsquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

    Notons que le retrait du projet de loi dfinissant la notion de ventes agressives et transposant

    la directive n2005/29/CE du Parlement europen et du Conseil du 11 mai 2005, qui qualifiait

    dagressives les pratiques commerciales rsultant de sollicitations rptes et insistantes ou 72 OLGIVIE, op.cit.

  • 35

    dusage de contraintes physiques ou morales qui altrent ou sont de nature altrer ou vicier

    le consentement dun consommateur ( ex futur article L.122-13 du Code de la consommation)

    porte un frein lexpansion du concept au sein du droit de la consommation72bis.

    Le droit commun repose lui sur la thorie de lautonomie de la volont, et une approche aussi

    objective irait son encontre ; pourtant, une telle tendance est perceptible en matire dabus

    dans la fixation du prix, dont un auteur remarque quelle partage avec la violence conomique

    limpratif de dgager la double exigence dune intention fautive et dun dsquilibre

    conomique73. Labus dans la fixation du prix tend tre constat en fonction de sa

    consquence, ie le dsquilibre lsionnaire.

    La notion de droit commun est concurrence par le droit de la consommation, en ce que les

    principes ports par ce dernier stendent peu peu hors des seules relations entre

    professionnels et consommateurs. La meilleure illustration en est le droit de la concurrence,

    dont limportance en matire de violence conomique a t expose plus haut et dont les

    volutions ne sauraient tre sans impact sur le droit commun.

    36. Les rapports entre producteurs et distributeurs montrent que les contrats conclus entre

    professionnels refltent souvent la domination dune des parties sur lautre. Le droit de la

    consommation ntant lvidence daucune aide en la matire, cest au droit de la

    concurrence quest revenue la tche de sanctionner les abus de dpendance conomique. On

    remarque en doctrine que cet abus, libr du critre relatif au bon fonctionnement du march

    depuis la loi N.R.E., et visant directement corriger le dsquilibre contractuel est plus

    susceptible dinterfrer avec le vice de violence conomique74.

    A linstar du droit commun, le droit de la concurrence ne sanctionne pas la dpendance

    conomique en tant que telle mais seulement lorsquelle dgnre en un abus au prjudice du

    domin, conformment larticle L.420-2 du code de commerce.

    Cependant, le droit de la concurrence se distingue du droit commun dans la mthode

    didentification de la relation de dpendance, en ce quil se rfre des critres

    essentiellement conomiques, apprcis du point de vue du domin, dgags du 72bi A. BRUDER, Le retrait du projet de loi dfinissant la notion de ventes agressives : la fin dun nouveau souffle pour la notion de violence conomique ?, Revue Lamy Droit Civil , novembre 2007, n43. 73 M.BOIZARD, La rception de la notion de violence conomique en droit, Les Petites affiches, 16 juin 2004, n120. 74 M.BOIZARD, ibid.

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    comportement du dominant. La jurisprudence attend ainsi de lentreprise domine quelle

    prouve tre un acheteur dpendant dun fournisseur, que ce dernier a une marque de grande

    notorit et enfin de caractriser sa part sur le march pertinent et la part de ses produits dans

    le chiffre daffaires de lacheteur75. Cette diffrence est logique, en ce que les acteurs

    concerns par ce droit se distinguent en principe des requrants sur le terrain du droit

    commun.

    Cest essentiellement dans la mthode de caractrisation de labus que le droit de la

    concurrence et le droit commun diffrent. Ltude des dispositions du code de commerce

    rvle un paradoxe du fait que les textes du droit de la concurrence semblent voluer vers une

    fonction de protection des agents face aux situations de violence conomique, alors que les

    destinataires de ce droit sont en principe les entreprises, et que cette fonction semble en

    revanche trangre au droit civil76. Si lexigence dune possible affectation du