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LA PROTECTION JURIDIQUE DU FOLKLORE DANS LES ÉTATS MEMBRES DE L’ORGANISATION AFRICAINE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE Nicole Florence Matip * Konstantia Koutouki ** L’Accord de Bangui, loi supranationale des États membres de l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI), régit aussi bien le droit de la propriété industrielle que le droit de la propriété intellectuelle. Alors que la réglementation des objets protégés par le droit d’auteur se rapproche beaucoup plus des standards appliqués au niveau international, le folklore qui est l’objet de notre étude bénéficie d’un régime particulier. En effet, les pays de l’OAPI, grâce à l’Accord de Bangui révisé, ont établi une protection sui generis pour les expressions culturelles traditionnelles ou des expressions du folklore. Cette soumission du folklore à des règles particulières est l’objet de vives controverses. Néanmoins, même si cette protection particulière du folklore comporte intrinsèquement des limites, elle s’adapte mieux aux manifestations du folklore qui sont ondoyantes, diverses et variées. The Bangui Accord, in force across all States that make up the African Intellectual Property Organization (known by its French acronym OAPI) governs both industrial property and copyright. Although the subject matter covered under copyright resembles closely that of the international intellectual property regime, Folklore, the focus of this paper, benefits from a unique system. In fact, the States of OAPI, via the revised Bangui Accord established a sui generis system of protection for traditional cultural expressions or Folklore. The special rules applicable to Folklore have been a very controversial proposition. Despite this, the sui generis system even if it is subject to certain limitations, is better suited to protect Folklore that can be diverse and ever changing. * Post doctorante en droit à l’Université de Montréal. Docteure en droit (Université de Montréal); assistante de recherche (Centre de recherche en droit public de l’Université de Montréal). ** Professeure adjointe à la Faculté de droit de l’Université de Montréal; Docteure en droit (Université de Montréal).

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LA PROTECTION JURIDIQUE DU FOLKLORE DANS LES ÉTATS MEMBRES DE L’ORGANISATION AFRICAINE DE LA PROPRIÉTÉ

INTELLECTUELLE

Nicole Florence Matip* Konstantia Koutouki**

L’Accord de Bangui, loi supranationale des États membres de l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI), régit aussi bien le droit de la propriété industrielle que le droit de la propriété intellectuelle. Alors que la réglementation des objets protégés par le droit d’auteur se rapproche beaucoup plus des standards appliqués au niveau international, le folklore qui est l’objet de notre étude bénéficie d’un régime particulier. En effet, les pays de l’OAPI, grâce à l’Accord de Bangui révisé, ont établi une protection sui generis pour les expressions culturelles traditionnelles ou des expressions du folklore. Cette soumission du folklore à des règles particulières est l’objet de vives controverses. Néanmoins, même si cette protection particulière du folklore comporte intrinsèquement des limites, elle s’adapte mieux aux manifestations du folklore qui sont ondoyantes, diverses et variées. The Bangui Accord, in force across all States that make up the African Intellectual Property Organization (known by its French acronym OAPI) governs both industrial property and copyright. Although the subject matter covered under copyright resembles closely that of the international intellectual property regime, Folklore, the focus of this paper, benefits from a unique system. In fact, the States of OAPI, via the revised Bangui Accord established a sui generis system of protection for traditional cultural expressions or Folklore. The special rules applicable to Folklore have been a very controversial proposition. Despite this, the sui generis system even if it is subject to certain limitations, is better suited to protect Folklore that can be diverse and ever changing.

* Post doctorante en droit à l’Université de Montréal. Docteure en droit (Université de Montréal);

assistante de recherche (Centre de recherche en droit public de l’Université de Montréal). ** Professeure adjointe à la Faculté de droit de l’Université de Montréal; Docteure en droit (Université de

Montréal).

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Le droit de la propriété intellectuelle n’a cessé de s’harmoniser aussi bien à l’échelle internationale qu’à l’échelle régionale. Ainsi, au niveau international, on note la signature de conventions à caractère mondial dominées par trois grands textes. Il s’agit de la Convention d’union de Paris du 20 mars 1883 pour la protection de la propriété industrielle1 (première convention à caractère mondial), du Traité de coopération en matière de brevets2 du 19 juin 1970 et enfin, de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC)3 du 15 avril 1994.

Au niveau régional, l’harmonisation s’est accompagnée d’une intégration juridique dans presque tous les continents du monde. Au niveau européen, il y a eu la Convention sur la délivrance de brevets européens de 19734, qui donna naissance à l’Office européen des brevets (OEB). En Amérique latine, les pays du Pacte Andin (la Bolivie, la Colombie, l’Équateur, le Pérou et le Venezuela) définissaient également, au travers de l’Accord de Carthagène du 23 avril 19935, devenu décision numéro 486, un régime de protection des droits de propriété industrielle pour se conformer aux prescriptions de l’ADPIC. L’Afrique n’a pas échappé à cette tentative d’harmonisation puisqu’il y a aussi eu l’entrée en vigueur de l’Accord de Lusaka du 15 février 1978 donnant naissance à l’African Regional Intellectual Property Office (ARIPO)6 ainsi que la mise en place de l’Accord de Libreville de 19627. Ce dernier accord a jeté les bases de l’Organisation africaine et malgache de la propriété industrielle (OAMPI) en 1962, devenue l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle8 (OAPI) depuis 1977 grâce à l’Accord de Bangui. La dernière révision de ce texte date de 1999 pour se conformer aux prescriptions de l’ADPIC9. En effet, il s’agit de l’Accord de Bangui (Acte de 1999) portant révision de l’Accord de Bangui 1 Convention d’union de Paris du 20 mars 1883 pour la protection de la propriété industrielle, 20 mars

1883, 192 R.T. Société des Nations (entrée en vigueur : 1er août 1938). 2 Traité de coopération en matière de brevets, 19 juin 1970, 1160 R.T.N.U. 268 (entrée en vigueur : 24

janvier 1978). 3 Il s’agit de l’annexe 1C de l’Accord de Marrakech instituant l’Organisation mondiale du commerce,

15 avril 1994, 1867 R.T.N.U. 4 (entrée en vigueur : 1er juillet 1995). 4 Convention sur la délivrance de brevets européens, 5 octobre 1973, 1065 R.T.N.U. 308 (entrée en

vigueur : 7 octobre 1977). 5 Accord-cadre de coopération entre la Communauté économique européenne et l'Accord de

Carthagène et ses pays membres, 23 avril 1993, 2064 R.T.N.U. 329 (entrée en vigueur : 1er mai 1998) devenu décision numéro 486 pour se conformer aux prescriptions de l’ADPIC.

6 Accord sur la création de l'Organisation régionale africaine de la propriété industrielle (ARIPO), 9 décembre 1976, en ligne : OMPI <http://www.kipo.ke.wipo.net/clea/fr/text_pdf.jsp?lang=FR& id=4107> (entrée en vigueur : 15 février 1978) [Accord de Lusaka].

7 Accord de Libreville, 13 septembre 1962, disponible dans Denis Ekani, « L’Office africain et malgache de la propriété industrielle » (1966) 82 La Propriété industrielle 232. Voir aussi Bertrand Cazenave « L’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI) : De Libreville à Bangui », (1989) 105 La Propriété industrielle 311 [Cazenave].

8 Accord relatif à la création d'une Organisation africaine de la propriété intellectuelle, constituant révision de l'Accord relatif à la création d'un Office africain et malgache de la propriété industrielle, 2 mars 1977, en ligne : Organisation mondiale de la propriété intellectuelle <http://www.oapi.wipo.net/ fr/OAPI/accord_bangui.htm> (entrée en vigueur : 8 février 1982) [Accord de Bangui].

9 Accord portant révision de l'Accord de Bangui du 2 mars 1977 instituant une Organisation africaine de la propriété intellectuelle, 24 février 1999, en ligne : OMPI <http://www.oapi.wipo.net/ fr/OAPI/accord_bangui.htm> (entrée en vigueur : 28 février 2002).

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du 2 mars 1977 ayant pour objectif principal de se conformer aux dispositions de l’ADPIC.

Toutefois, relativement à notre sujet, nous ne traiterons que de l’Accord de Bangui qui régit actuellement l’OAPI. Ainsi, pour ce qui est des objets de droit protégés par ledit accord, alors que l’Accord de Libreville (OAMPI) ne traitait que des brevets d’invention, des marques, des dessins et modèles industriels, les compétences rationae materiae se trouvent élargies sous l’égide de l’Accord de Bangui (OAPI). Ainsi, aux objets classiques protégés initialement par l’Accord de Libreville ont été rajoutés sous l’Accord de Bangui des objets nouveaux au rang desquels figurent les modèles d’utilité, les noms commerciaux, les appellations d’origine, les indications de provenance, la répression de la concurrence déloyale ainsi que les attributions de droit d’auteur et de patrimoine culturel. Autrement dit, la compétence de l’organisation s’étend au droit d’auteur et au patrimoine culturel, pour embrasser la propriété intellectuelle en général10.

À cet égard, il y a lieu de faire une différence dans l’applicabilité de la propriété industrielle et intellectuelle au sein des États membres de l’OAPI. Ainsi, pour ce qui est de la propriété industrielle, la procédure est commune quant à l’obtention et au maintien des titres de propriété industrielle même si des confusions demeurent quant à l’appréciation de la notion de bonnes mœurs d’un État à un autre11. En revanche, concernant le droit d’auteur, « de tels conflits demeurent possibles, non seulement parce que de nombreuses dispositions du texte régional n’ont pas été transposées au niveau des États, mais aussi parce que l’Annexe VII de l’Accord de Bangui relative au droit d’auteur n’entend pas régir toute la matière »12.

Il y a lieu de préciser que, dans le cadre de cet article, nous ne traiterons pas des conflits de lois que soulèvent l’application du droit d’auteur dans les États membres de l’OAPI, mais plutôt de la protection juridique du folklore, et ce, relativement au droit d’auteur.

Selon Mezghani, « la protection du patrimoine culturel traditionnel a toujours eu une grande importance, mais elle a acquis de nos jours une nouvelle résonnance, face au défi soulevé par la globalisation de l’économie mondiale, alliée au développement spectaculaire de la technologie de reproduction et de diffusion des

10 Sur les innovations que représentent l’Accord de Bangui par rapport à celui de Libreville, voir Denis

Ekani, « Les innovations de l’Accord de Bangui du 2 mars 1977 » (1982) 98 La Propriété industrielle 224. Cazenave, supra note 7 à la p. 311.

11 Ayawa C. Tsakadi « L’accès à l’exploitation des droits de propriété industrielle par la voie contractuelle dans les pays de l’OAPI », Thèse de doctorat en droit, Université de Poitiers, Lille, Université de Lille III ,1999 à la p. 46; Réné Kiminou, « Le brevet d’invention africain », Thèse de doctorat en droit, numéro 509, Université de Montpellier I, 1990 à la p. 251, Nicole Florence Matip, « L’Organisation africaine de la propriété intellectuelle et l’Accord relatif aux aspects de droit de propriété intellectuelle qui touchent au commerce » [Matip], Thèse de doctorat en droit, Université Jean Moulin Lyon III, 2006 aux pp. 33-34, Cazenave, supra note 7 à la p. 312.

12 Laurier Yvon Ngombé, « Mise en œuvre du droit d’auteur dans les États membres de l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle et questions de droit international privé » (2006) 2 J.D.I. 563 à la p. 565.

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biens culturels et des applications de l’Internet »13. En effet, les créations traditionnelles à l’heure actuelle sont en proie à des détournements et dénaturations menant à leurs appropriations exclusives sans contreparties pour les détenteurs originels de ces œuvres14. C’est pourquoi ce patrimoine culturel traditionnel mérite davantage d’attention15 d’autant plus, que nous savons depuis Valéry que « les civilisations sont mortelles »16. Cette prise de conscience a eu lieu au début des années 1970 avec la recommandation de la réunion de Brazzaville17. Elle a amené certaines instances nationales à adopter des dispositions pour la protection du folklore et du patrimoine culturel par le droit d’auteur. Par la suite, en 1976, le gouvernement tunisien a adopté et ce, en collaboration avec l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) et l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO)18, une loi type sur le droit de l’auteur à l’usage des pays en voie de développement19. En fait20, il s’agissait surtout d’aménager des conditions avantageuses pour l’application des conventions internationales et ce, eu égard à la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques21 qui contient des dispositions permettant à certains pays de s’écarter sous certaines conditions des minimas de protection prévus en matière de droit de traduction et de reproduction. Cette loi permet aux États signataires de choisir pour chaque question entre l’approche anglo-saxonne et l’approche dite latine. De plus, elle aménage des conditions plus avantageuses pour l’application des conventions internationales relatives au droit d’auteur (Convention de Berne et Convention universelle sur le droit d’auteur22) tout en restant fidèle à leur esprit. Ainsi, elle prévoit de manière expresse la protection du folklore par le droit d’auteur (article 6) alors que la Convention de Berne y fait simplement allusion à l’article 15(4). L’on peut encore citer au rang de la protection internationale du folklore, la Recommandation sur la sauvegarde de la

13 Nébila Mezghani, « La protection du folklore, des créations populaires et du savoir traditionnel »

(2004) à la p.1, en ligne : International Association for the Advancement of Teaching and Research in Intellectual Property <http://www.atrip.org/upload/files/activities/Parma2006/Mezghani%20ATRIP %20PARMA%202006.doc>. [Mezghani].

14 Ibid. à la p. 2. 15 Ibid. 16 Valéry tel que cité dans Babacar Ndoye, « La protection des expressions du folklore au Sénégal »

(1989) 102 Le droit d’auteur 396 à la p. 397 [Ndoye]. 17 Ces recommandations faisaient suite à la « Réunion d’étude sur le droit d’auteur » (organisée par

l’Union de Berne et l’UNESCO) qui s’est tenue du 5 au 10 août 1963 à Brazzaville au Congo, (1963) R.I.D.A. 244.

18 UNESCO est l’acronyme pour United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization. 19 WIPO, « Loi type de Tunis sur le droit d'auteur à l'usage des pays en voie de développement », en

ligne : WIPO <http://www.wipo.int/cgi-bin/koha/opac-detail.pl?bib=16874&single=1> 20 Ibrahima Dia, « Comment est protégé le droit d’auteur en Afrique », en ligne : Magazine Jeune Afrique

(2005) <http://www.jeuneafrique.com/Article/LIN17075commeeuqirf0/comment-est-protege-le-droit-d-auteur-en-afrique.-Actualite_Info.html>

21 Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, 9 septembre 1886, 828 R.T.N.U. 222 (entrée en vigueur : 29 janvier 1970; la dernière révision remonte au 28 septembre 1979) [Convention de Berne]

22 Convention universelle sur le droit d’auteur, 6 septembre 1952, 216 R.T.N.U. 135 (entrée en vigueur : 16 septembre 1955), [Convention universelle]

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culture traditionnelle et populaire adoptée en 1989 par l’UNESCO23, le dispositif concernant les « biens culturels vivants » proposé par le conseil exécutif de l’UNESCO en 1993, et enfin, la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel24 adoptée le 17 octobre 2003 sous l’égide de l’UNESCO.

Cette prise de conscience s’est poursuivie au niveau des organismes régionaux puisque ces différentes entités ont mis en place des instruments juridiques pour la protection du folklore et du patrimoine national. Tel est le cas de onze pays arabes qui ont adopté le 5 novembre 1981 la protection du folklore, les autres pays n’ayant pas adhéré à l’accord car ils disposaient d’une législation prévue à cet effet (on peut citer entre autres, l’Algérie, le Maroc, la Tunisie)25. Les pays de l’OAPI ont suivi ce vaste mouvement de la protection du folklore au niveau régional puisque par l’entremise de l’Accord de Bangui de 1999, ils ont établi une protection sui generis pour la protection du folklore fondée sur le droit d’auteur.

Cette soumission des œuvres du folklore à des règles particulières par les pays de l’OAPI soulève des objections de la part d’une partie de la doctrine quant à la place de ce type de création dans le champ de la propriété intellectuelle26. Une des principales raisons avancées à l’encontre de l’introduction d’une protection sui generis a été, et reste encore aujourd’hui, l’argument selon lequel « les savoirs traditionnels et le folklore feraient partie du domaine public et, dès lors, ne pourraient pas être protégés mais doivent rester accessibles au public »27. Toutefois, les créations traditionnelles ne peuvent pas être exclues d’emblée de la protection, par le droit d’auteur ou par un droit sui generis, dans la mesure où « le domaine public ne met pas fin au droit moral de l’auteur »28. En effet, la divulgation de l’œuvre au public n’empêche pas à l’auteur de ladite œuvre de faire prévaloir certaines prérogatives du droit moral de l’auteur, à savoir le droit à la paternité de l’œuvre, le droit à l’intégrité ainsi que le droit à la citation de l’œuvre. De plus, cette controverse sur la protection ou non du folklore par le droit d’auteur n’a plus, à notre sens, sa raison d’être, puisqu’actuellement cette protection est interprétée au sens large du terme. En témoigne la protection par le droit d’auteur des sculptures impliquées dans des rituels religieux ou sociaux29. Néanmoins, l’on peut concevoir que le débat se pose pour des éléments du folklore qui ne peuvent pas être définis comme des œuvres au sens du droit d’auteur. Il s’agit en l’occurrence des savoirs traditionnels30 qui pourraient être 23 Recommandation sur la sauvegarde de la culture traditionnelle et populaire, 15 novembre 1989, en

ligne : UNESCO <http://unesdoc.unesco.org/images/0008/000846/084696f.pdf#page=250>. 24 Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, 17 octobre 2003, 2368 R.T.N.U. 3

(entrée en vigueur : 20 avril 2006). 25 Mezghani, supra note 13 à la p. 3. 26 Laurier Yvon Ngombé, « De quelques aspects du droit d’auteur en Afrique : Regard furtif sur la

propriété littéraire et artistique en Afrique au début du 21ème siècle » (2004) 201 R.I.D.A. 127 à la p. 133.

27 Ibid. 28 Ibid. à la p. 131. 29 Haidy Geismar, « Copyright in context: Carvings, carvers, and commodities in Vanuatu » (2005) 32:3

American Ethnologist 437. 30 Qui peuvent être définis comme des connaissances scientifiques ou techniques, issues du patrimoine

culturel traditionnel et relevant de domaines très variés tels que le domaine médical, pharmaceutique, biologique, écologique, agricole, artisanal pour ne citer que ceux là.

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protégés par le droit des appellations d’origine, les dessins, les motifs, les symboles qui relèveraient de la protection fondée sur le régime du droit des marques, ou encore de l’émaillage, du flambage, des techniques de tissage (haïk) qui bénéficieraient, quant à eux, d’une protection fondée sur le régime du droit des dessins et modèles industriels.

Nous allons donc, dans une première analyse, définir l’objet de la protection des expressions du folklore, la seconde analyse quant à elle, portera sur la question de savoir si la protection du folklore par un droit sui generis dans les pays de l’OAPI est appropriée auxdites œuvres.

I. Les œuvres protégées

Certaines législations à l’instar de celles d’Afrique ou du Maghreb plus particulièrement évoquent tour à tour les œuvres du patrimoine culturel traditionnel, le folklore, les expressions du folklore ainsi que les œuvres inspirées du folklore31 pour désigner de manière spécifique les œuvres relevant de cette catégorie et protégeables au titre du droit d’auteur. Tel est le cas des pays de l’OAPI qui mettent en place la protection du folklore ou des expressions du folklore au titre II de l’annexe VII relative aux droits d’auteur et aux droits voisins de l’Accord de Bangui.

Toutefois, avant d’examiner les œuvres relevant de la catégorie du folklore, il y a lieu de s’attarder au préalable sur les raisons qui poussent à la protection du patrimoine folklorique dans ces pays.

A. Les fondements juridiques, socioculturels et économiques de la protection juridique du folklore ou des expressions du folklore

A l’époque précoloniale32, les objets du folklore étaient fabriqués et utilisés au sein de la communauté locale. Il n’était pas nécessaire d’en produire en grande quantité pour satisfaire les besoins de la communauté. Il n’y avait donc pas d’exploitation commerciale du folklore. Toutefois, tel n’est plus le cas aujourd’hui dans la mesure où les procédés technologiques modernes et un intérêt toujours croissant pour les cultures traditionnelles de la part des étrangers ont entraîné une exploitation du folklore à un niveau jamais atteint précédemment. Ainsi, eu égard aux échanges culturels entre pays, les pays en développement reçoivent des pays industrialisés, des œuvres protégées par le droit d’auteur; parallèlement, les pays développés importent un grand nombre d’œuvres du folklore qui ne sont donc pas protégées33. Cela implique comme conséquence que des objets d’artisanat sont maintenant en vente libre sur des marchés de détail tandis que la danse et la musique autochtone sont copiées par des maisons de disques et des groupes d’interprètes et

31 Mezghani, supra note 13 à la p. 5. 32 Paul Kuruk, « Le droit coutumier africain et la protection du folklore » (2002) 36:2 Bulletin du droit

d’auteur 4 à la p. 14 [Kuruk, « Le droit coutumier »]. 33 E.P Gavrilov, « La protection juridique des œuvres du folklore » (1984) 20 Bulletin du droit d’auteur

75 [Gavrilov].

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présentées comme des compositions ou des chorégraphies originales34. D’ailleurs, certaines personnes35 ou maisons de disques s’approprient officiellement des thèmes folkloriques dans le cadre de la législation sur la marque déposée afin de dissuader leurs concurrents de les utiliser. C’est ainsi que certaines personnes ont essayé d’enregistrer comme marques déposées des noms tels que kente, un tissu courant produit en Afrique de l’Ouest36. Ces appropriations frauduleuses sont inopportunes37, dans la mesure où l’article 3 de l’Annexe III de l’Accord de Bangui énonce qu’une marque ne peut valablement être enregistrée si « elle est dépourvue de caractère distinctif notamment du fait qu’elle est constituée de signes ou d’indications constituant la désignation nécessaire ou générique du produit ou la composition du produit ». Cette disposition permet en fait, d’exclure de l’enregistrement les marques descriptives qui ne font que décrire les qualités d’un produit ou encore de faire annuler la marque lorsque cette dernière ne répond pas aux critères de fond exigés par l’article susvisé.

Les ethnobotanistes, soutenus par les sociétés pharmaceutiques (Merck, Sharp, Dohme, Monsanto) et les gouvernements, ont jeté leur dévolu dans les zones tropicales afin d’exploiter les savoirs locaux sur les vertus médicinales de plantes qui pourraient alors servir à mettre au point de nouveaux médicaments38. De plus, des chercheurs collaborent avec des paysans autochtones dans le but d’obtenir des variétés locales de plantes cultivées afin d’améliorer les semences et ce, dans le cadre de pseudos programmes de biodiversité39.

Toutefois, en dépit du fait que l’ADPIC40 ne prenne pas position sur le folklore au vu de l’exploitation abusive dudit élément au niveau mondial, il est plus qu’indispensable de protéger le folklore de ces atteintes, compte tenu en particulier de son importance manifeste pour la survie des sociétés traditionnelles. Par conséquent, plusieurs raisons à la fois culturelles et économiques justifient la protection du folklore par le droit d’auteur.

1. JUSTIFICATIONS CULTURELLES

L’intérêt de la protection au plan culturel réside dans le fait que, le folklore est l’expression de l’identité culturelle d’une communauté ou d’un peuple. Comme le dit si bien Babacar Ndoye en parlant du folklore sénégalais, « le folklore apparaît comme le miroir qui permet à chaque [S]énégalais de cerner les contours de son être

34 Ndoye, supra note 16 aux pp. 374-375. 35 Kuruk, « Le droit coutumier » supra note 32 à la p. 14. 36 Ibid. 37 Matip, supra note 11 à la p. 136. 38 Jack Koppenburg Jr., « Défense de chasser! Biodiversité, droits indigènes et braconnage scientifique »

(1991) Cultural Survival Quarterly 14. 39 Kuruk, « Le droit coutumier » supra note 32 à la p. 14. 40 Zheng Chengsi, « On the Copyright Protection of Folklore and Other legislation in China » (1996) 3

China Patents and Trade Marks 91 à la p. 92.

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culturel »41. Par ailleurs, « le folklore permet aux générations actuelles d’apprécier le génie hautement créatif des générations passées »42.

Pour Von Lewinski, « il y a aussi le besoin d’empêcher des usages non conformes à la coutume et de protéger les savoirs traditionnels et les expressions de folklore secrets ou sacrés contre les utilisations non souhaitées »43. Il insiste sur le fait qu’« il s’agit aussi de se préserver de toute destruction, mutilation ou autres utilisations offensives »44. En effet, « lorsque ces œuvres sont créées par des auteurs originaires de la communauté dont est issue la tradition culturelle, elles contribuent au développement et à la valorisation de son patrimoine »45.

Une utilisation abusive du patrimoine culturel traditionnel ou du folklore peut porter atteinte au respect de la communauté culturelle dont il est issu46. Tel est le cas de l’expropriation qui consiste à prélever des objets précieux du folklore dans des communautés traditionnelles et à les envoyer à l’étranger47. Par conséquent, l’on retrouve de plus en plus d’objets d’art provenant du continent africain à Paris, New York ou Londres qu’à Lagos, Dakar ou Kinshasa. De plus, de façon périodique, les congrès, colloques et séminaires inscrivent à leur ordre du jour le retour de ces objets qui témoignent d’une haute créativité artistique48. En effet, « si certains de ces articles ont peut-être été vendus ou donnés par des chefs traditionnels, dans d’autres cas, les objets ont probablement été pris de force, en particulier pendant la période coloniale »49.

De plus, il peut y avoir dégradation culturelle si les articles sont exposés hors de leur cadre traditionnel et à des fins différentes de celles pour lesquelles ils avaient été créés à l’origine, ou lorsque des objets religieux sont vendus comme des éléments décoratifs. Les restrictions à l’emploi des œuvres du patrimoine culturel traditionnel à certaines occasions ou certains rituels peuvent ne plus être respectées lorsque ces œuvres sont commercialisées. Ainsi, un objet sacré pour un groupe autochtone sera utilisé sans précaution ni respect dans le contexte occidental50. La production en série d’articles traditionnels pourrait constituer une « menace culturelle et psychologique pour les [praticiens authentiques des arts] traditionnels et pour les [groupes traditionnels] dont les valeurs s’expriment à travers ces [objets artistiques] »51.

41 Ndoye, supra note 16 à la p. 398. 42 Ibid. 43 Silke Von Lewinski, « Le folklore, les savoirs traditionnels et les ressources génétiques : sujet débattu

dans le contexte de la propriété intellectuelle » (2005) 14 Propriétés intellectuelles 22, à la p. 29 [Von Lewinski].

44 Ibid. 45 Ibid. 46 Folarin Shyllon, « Conservation, préservation et protection du folklore en Afrique : un tour d’horizon »

(1998) 32:4 Bulletin du droit d’auteur 40 [Shyllon]. 47 Kuruk, « Le droit coutumier » supra note 32 à la p. 15. 48 Ibid. 49 Ibid. 50 Ibid. 51 Alan Jabbour, « Protection du folklore et patrimoine national : évolutions et dilemmes dans les

protections juridiques du folklore » (1983) 17:1 Copyright Bulletin 10.

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De même, comme pour les biens culturels, les chants et les contes folkloriques servent à forger la culture africaine étant donné leurs références fréquentes à la moralité et à l’intégrité52. En effet, les contes sont nés en partie du « besoin d’inculquer aux hommes le précepte moral selon lequel la méchanceté et la cruauté trouvent un jour leur juste châtiment »53. Tel est aussi le cas de la musique54 qui est utilisée dans des rituels et des festivités et joue divers rôles, y compris en médecine pour ses vertus apaisantes, dans le cadre des préparatifs de guerre ou encore comme moyen de critiquer ou de limiter les abus du pouvoir central. Leurs auteurs, en s’inspirant d’éléments faisant partie du domaine traditionnel, font revivre les expressions de la culture ancestrale et contribuent ainsi à maintenir et à recréer la mémoire du passé d’une nation ou d’une communauté qui, sans cela, risquerait de tomber dans l’oubli55. De même, la danse56 est également liée à des rituels ou des fêtes religieuses de sorte que lorsque des danses africaines sont imitées et exécutées à l’étranger, il y a un dénigrement de la culture africaine dans la mesure où, « des acteurs non africains ne peuvent interpréter les gestes qui communiquent la chaleur spécifique à l’Afrique »57. Gavrilov explique qu’

[o]n rencontre parfois des groupes et des solistes qui modernisent sans scrupules les œuvres du folklore en les arrangeant de manière nouvelle, en donnant aux chants un rythme et un volume nouveaux aux dépens de leur caractère mélodique […]; l’exécution de chants du folklore prend souvent la forme […] d’exhibitions impersonnelles banales, privées des caractéristiques particulières aux […] danses folkloriques […] quant aux costumes de couleurs criardes portés par des danseurs, ce sont des parodies des originaux.58

En conséquence, cette « copie » met en exergue la dévalorisation du folklore dans la mesure où les acteurs non africains ne peuvent donner à certains gestes cette chaleur communicative propre à l’africain59. D’où l’affirmation de Babacar Ndoye qui pense que « la puissance du phénomène médiatique liée à l’évolution de la technologie milite en faveur de la protection des expressions du folklore musical qui se révèle comme un pactole pour les pays africains en général »60. Nous partageons cette assertion mais il nous semble loisible d’aller encore plus loin dans la réflexion en affirmant que toutes les expressions du folklore doivent être protégées par le droit d’auteur, dans la mesure où ils participent à la valorisation et la protection du patrimoine culturel en même temps, qu’ils sont une « manne financière » pour les pays dont ils sont originaires.

52 Kuruk, « Le droit coutumier » supra note 32 à la p. 16. 53 John Roscoe tel que cité dans Kuruk, « Le droit coutumier » supra note 32 à la p. 16. 54 Kuruk, « Le droit coutumier » supra note 32 à la p. 16. 55 Mezghani, supra note 14 à la p. 8. 56 Betty Nah-Akuyea, Mould-Iddrissu, « Industrial designs : the Ghanaian experience » (1991) Managing

Intellectual Property 29. 57 Ndoye, supra note 16 à la p. 399. 58 Gavrilov, supra note 33 aux pp. 76-79. 59 Ndoye, supra note 16 à la p. 399. 60 Ibid. à la p. 398.

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2. JUSTIFICATIONS ÉCONOMIQUES

L’une des justifications de la protection du folklore se situe aussi sur le plan économique. À ce propos, Oman a porté l’attention sur le fait que l’essor de la technologie et des communications a directement placé des cultures autrefois isolées sur le parcours des autoroutes de l’information en quête de sujets61. Il s’ensuit que les peuples autochtones sont de plus en plus démarchés par des entrepreneurs dynamiques qui cherchent à exploiter des ressources nouvellement découvertes et facilement accessibles62. Les œuvres du folklore sont amplement utilisées à l’extérieur de leurs communautés et de leurs pays d’origine sans que ces derniers en retirent la moindre rémunération ou d’autres avantages. Le problème est d’assurer une indemnisation équitable63. Comme les autochtones américains, les Africains s’émeuvent de voir leurs valeurs culturelles traditionnelles exploitées par des étrangers. Ils refusent de partager ces valeurs sans dédommagement64.

En outre, en cas d’indemnisation desdites communautés, les bénéfices sont bien moindres et ce, comparativement aux profits énormes tirés par les exploiteurs65. L’exemple ci-après illustre bien nos dires. Lors d’une tournée en Europe, un groupe folklorique ouest-africain avait interprété une belle chanson qui avait véritablement impressionné le public. Un compositeur présent dans la salle l’avait discrètement et subtilement enregistrée et, après l’avoir écoutée à plusieurs reprises, il l’a arrangée et déposée auprès de sa société d’auteurs à titre d’œuvre originale. L’œuvre connut du succès et rapporta des droits d’auteur au « compositeur » et ce, sans aucune contrepartie pour le pays dont est originaire le folklore66. De même, au plan de l’expression corporelle, les danses africaines sont régulièrement filmées par des étrangers qui les visionnent, les étudient suffisamment pour en maîtriser les techniques gestuelles et les présentent au public sous forme de ballets par exemple67 et ce, sans contrepartie pour les pays dont sont originaires ces expressions scéniques.

Il y a lieu de signaler que, le phénomène du « plagiat » ne découle pas nécessairement du caractère oral de l’œuvre folklorique. On assiste à une recrudescence actuelle de ce phénomène, du fait aussi de la méconnaissance de certains airs africains dans les pays occidentaux. Ainsi, dans une affaire qui date de 1976,

61 Ralph Oman, « Folkloric treasures: the Next Copyright Frontier? » (1996) 15:4 Newsletter American

Bar Association Section of Intellectual Property Law 3. 62 Ibid. 63 Janice G. Weiner, « Protection of folklore: a political and legal challenge » (1987) 18:1 International

Review of Industrial Property and Copyright Law 57. 64 Tom Greaves, « The intellectual property of sovereign tribes » (1995) 17:2 Science Communication

201 à la p. 203. 65 Paul Kuruk, « Protecting folklore under modern intellectual property regimes : a reappraisal of the

tensions between individual and communal rights in Africa and the United States » (1999) 48 Am. U. L. Rev. 769 aux pp. 782-784.

66 Ndoye, supra note 16 aux pp. 398-399. 67 Ibid. à la p. 399.

Protection du folklore

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Manu Dibango, musicien camerounais […] considéré comme l’un des parrains de la World Music, crée [dans les années 1970 le titre] « Soul Makossa ». C’est un succès fulgurant en Afrique et partout dans le monde. En 1982, c’est au tour de Michael Jackson [de s’approprier le titre qui portera alors le nom de] « Wanna Be Starting Something » extrait de l’album “Thriller”. Dibango décide [alors] d’intenter une procédure devant les tribunaux mais [Michael Jackson] niera le plagiat et le différend sera réglé à l’amiable moyennant [une “maigre compensation financière”]. C’était sans compter sur Rihanna qui, en 2007, [remit cela] avec « Don’t Stop the Music » et [obtint] un succès planétaire. Aujourd’hui, c’en est trop pour Manu Dibango qui [a décidé] d’intenter un procès à la chanteuse. Obtiendra-t-il gain de cause quand on sait que les jeux sont faits d’avance?68

Toujours est-il que ce débat fait encore aujourd’hui l’objet de controverses au même titre que la contrefaçon des produits de marques ou encore de médicaments. De plus, au fil du temps, il a pris des proportions incommensurables69. À notre avis, le délicat problème de la preuve des œuvres folkloriques accentue davantage ce problème. En effet, le folklore étant par essence oral, la preuve d’une culture orale ou la preuve de l’état antérieur du droit concernant le folklore se pose avec acuité. Nous ne ferons toutefois pas de développements importants concernant ce thème qui fera l’objet d’une autre publication. Néanmoins, par le biais de l’affaire Enigma70 qui a fait couler beaucoup d’encre en son temps, c’est-à-dire en 1996, nous tenons à mettre en exergue l’exploitation illicite du folklore qui est presque devenue la règle du fait de l’accès difficile à la preuve de l’originalité à cause du caractère oral de l’œuvre folklorique.

En effet, dans cette affaire, un groupe musical constitué de trente chanteurs taïwanais n’ont reçu aucune compensation financière de leur air musical qui a été intégré dans une des chansons du groupe Enigma, au motif que ladite chanson n’était pas originale au sens de la Convention de Berne71 en matière de droits d’auteur. Autrement dit, la non-originalité résidait dans le fait que l’air musical du groupe taïwanais repris par le groupe Enigma était plutôt le produit d’une culture originale et non pas, comme l’exige la théorie du droit d’auteur, le fruit d’un compositeur original72.

68 Thierry Cadet, « Rihanna, Michael Jackson et Manu Dibango en procès », (2008) en ligne : Charts in

France <http://www.chartsinfrance.net/actualite/news-65987.html>. 69 « André Marie Talla, chanteur camerounais attaque James Brown pour plagiat », (22 septembre 2005),

en ligne : Diplomatix <http://www.grioo.com/blogs/diplomatix/index.php/2005/09/23/388-musique-le-regard-de-am-talla>.

70 Alan Story, « Don’t ignore the copyright, the “Sleeping Giant” on the TRIPS and International Educational Agenda » dans Global Intellectual Property Rights, Knowledge, Access and Development, dir. Peter Drahos et Ruth Mayne, New-York, Palgrave Macmillan, 2002 aux pp. 138-139.

71 Convention de Berne, supra note 22. 72 Alan Story, « Don’t ignore the copyright, the "Sleeping Giant" on the TRIPS and International

Educational Agenda » dans Global Intellectual Property Rights, Knowledge, Access and Development, dir. Peter Drahos et Ruth Mayne, New-York, Palgrave Macmillan, 2002 125 aux pp. 138-139.

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3. INTÉRÊT DE LA PROTECTION

Les œuvres du folklore ont intérêt à être protégées. En fait, l’intérêt de ladite protection réside dans le fait que, « leurs auteurs, en puisant leur inspiration dans le domaine traditionnel, font revivre les expressions de la culture ancestrale et contribuent à maintenir et à recréer la mémoire du passé d’une nation ou d’une communauté qui, sans cela, risquerait de tomber dans l’oubli »73. Dépendamment la façon dont ces œuvres sont utilisées, leur diffusion peut être une arme à double tranchant pour l'autonomisation des communautés en question. Selon Story,

[l]orsque ces œuvres sont créées par des auteurs originaires de la communauté dont est issue la tradition culturelle, elles contribuent au développement et à la vulgarisation de son patrimoine. En revanche, lorsqu’elles sont créées, utilisées et exploitées par des tiers étrangers à cette communauté, ces œuvres peuvent constituer une atteinte et une dénaturation du patrimoine traditionnel de cette communauté.74

De plus, comme nous l’avons affirmé ci-dessus, les retombées économiques sont une « manne financière » pour la communauté traditionnelle d’où les œuvres sont issues.

B. Créations traditionnelles et populaires pouvant être protégées par le droit d’auteur

Pour mieux appréhender les créations traditionnelles et populaires pouvant être protégées par le droit d’auteur, il y a lieu de définir l’objet de la protection ainsi que les bénéficiaires de la protection.

1. L’OBJET DE LA PROTECTION

L’objet de la protection porte aussi bien sur les œuvres du folklore que celles inspirées par le folklore.

a) Les œuvres du floklore

Le folklore en droit de l’OAPI étant protégé aussi bien par les dispositions sur le droit d’auteur (titre I de l’annexe VII de l’Accord de Bangui) que par les dispositions relatives à la protection et à la promotion du patrimoine culturel, l’on retrouve indifféremment les éléments relatif au folklore dans l’un ou l’autre de ces

73 Mezghani, supra note 13 à la p. 8. 74 Ibid. aux pp. 8-9.

Protection du folklore

255

titres. Toutefois, comme nous l’avons précisé ci-dessus, nous ne traiterons que de la protection du folklore par le droit d’auteur.

Que couvre donc exactement le terme folklore? Selon l’article 2 des dispositions types OMPI-UNESCO de la législation nationale sur la protection des expressions du folklore contre leur exploitation illicite et autre action dommageable, on entend par expression du folklore, la « production se composant d’éléments caractéristiques du patrimoine artistique traditionnel développé et perpétué par une communauté nationale ou par des individus reconnus comme répondant aux attentes de cette communauté »75. Entrent donc dans cette définition, les mots tels que les contes populaires et les énigmes, les sons musicaux tels que les chansons et les musiques instrumentales populaires, les expressions corporelles du corps humain telles que les danses, spectacles, rituels, les objets concrets comme les dessins, peintures, poteries, le travail sur bois ou encore, les objets métalliques tels que les bijoux, vanneries76.

En d’autres termes, on y retrouve la langue, la littérature, la musique, la danse, les jeux, la mythologie, les rites, les coutumes, l’artisanat, l’architecture et d’autres arts. Le folklore reflète l’identité culturelle et sociale d’une communauté, ses normes et ses valeurs77. Il fait partie des modes d’expression et des moyens de communication qui lui sont propres78.

Les définitions du folklore de la plupart des législations africaines qui en prévoient la protection s’arriment de façon globale à celle donnée ci-dessus et sont plus ou moins semblables les unes aux autres. C’est ainsi que la loi marocaine79 définit les « expression du folklore » comme les reproductions d’éléments caractéristiques du patrimoine artistique traditionnel développé et conservé sur le territoire du Royaume du Maroc par une communauté ou par des individus reconnus comme répondant aux attentes artistiques traditionnelles de cette communauté et comprenant, les contes, la poésie populaires et les énigmes, les chansons et la musique instrumentale populaire, les danses et les spectacles populaires, les reproductions des arts populaires, tels que les dessins, peintures, sculptures, terre cuite, poteries, mosaïques, travaux sur bois, objets métalliques, bijoux, textiles ou encore, les costumes.

Quant à la loi tunisienne du 24 février 1994, elle définit, dans son article 7 le folklore comme « tout patrimoine artistique légué par les générations antérieures et qui soit lié aux coutumes et aux traditions et à tout aspect de création populaire telles que les histoires populaires, les lettres, la musique et la danse »80. 75 WIPO, « Expressions culturelles traditionnelles (ou expressions du folklore) », en ligne : WIPO

<http://www.wipo.int/tk/fr/glossary/index.html#tce>. 76 Ibid. 77 Kanwal Puri, « La protection du folklore au titre du droit d’auteur : le cas de la Nouvelle-Zélande »

(1988) 22 Bulletin du droit d’auteur 18 à la p. 19. 78 Shyllon, supra note 46 à la p. 41. 79 WIPO, « Maroc, Droit d'auteur, Loi (n° 2-00), 2000 », art. 1er (10), en ligne : WIPO <http://www.wipo.

int/wipolex/fr/details.jsp?id=2954>. 80 WIPO, « Loi n°94 – 36 du 24 février 1994 relative à la propriété littéraire et artistique », en ligne :

WIPO <http://www.wipo.int/clea/docs_new/pdf/fr/tn/tn022fr.pdf>.

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Pour sa part, l’Accord de Bangui, à l’article 68 du titre II de l’annexe VII relatif à la protection et à la promotion du patrimoine culturel, définit le folklore comme suit :

L’ensemble des traditions et productions littéraires, artistiques, religieuses, scientifiques, technologiques et autres des communautés transmises de génération en génération. Entrent notamment dans cette définition, les productions littéraires de tout genre et de toute catégorie orale ou écrite, les contes, les légendes, les proverbes, épopées, gestes, mythes, devinettes, les styles et productions artistiques tels que les danses, les productions musicales de toutes sortes, les productions dramatiques, dramatico-musicales, chorégraphiques pantomimiques, styles et productions d’art plastique et décoratif de tout procédé, styles architecturaux; les traditions et manifestations religieuses telles que les rites et rituels, objets, vêtements, lieux de culte, initiations; les traditions éducatives telles que les sports, jeux, ainsi que des codes de bonnes manières et du savoir-vivre; les connaissances et œuvres scientifiques tels que les pratiques et produits de la médecine et de la pharmacopée, les acquisitions théoriques et pratiques dans les domaines des sciences naturelles, physiques, mathématiques, astronomiques; les connaissances et les productions de la technologie comme les industries métallurgiques et textiles, les techniques agricole, les techniques de la chasse et de la pêche.81

La notion de folklore a donc un sens large dans ces pays et l’on peut considérer que le domaine de protection s’étend à tous les aspects et à toutes les formes de créations populaires82. De plus, la législation de l’OAPI prévoit aussi bien la protection du folklore que la protection des expressions du folklore par les dispositions relatives au droit d’auteur.

b) Les expressions du floklore

L’article 2 du titre II de l’Annexe VII de l’Accord de Bangui définit les expressions du folklore

comme des productions d’éléments caractéristiques du patrimoine artistique traditionnel développé et perpétué par une communauté ou par des individus, reconnues comme répondant aux attentes de cette communauté et comprenant les contes populaires, la poésie populaire, les chansons et la musique instrumentale populaires, les danses et spectacles populaires ainsi que les expressions artistiques des rituels et les productions d’art populaire ». Les œuvres inspirées du folklore ne sont pas exclusivement des œuvres anciennes. En effet, bien qu’inspirées du patrimoine traditionnel, elles sont en général contemporaines.83

81 Accord de Bangui, supra note 8. 82 Mezghani, supra note 13 à la p. 7. 83 Ibid. à la p. 8.

Protection du folklore

257

2. LES BÉNÉFICIAIRES DE LA PROTECTION

Le droit d’auteur est par essence même un droit de propriété conféré à une personne physique ou à une personne morale identifiée. Comme en droit de la propriété industrielle (brevet, marque, dessins et modèles industriels, variétés végétales), cette protection confère à son titulaire le droit exclusif d’exploiter le produit de sa création de même que le droit exclusif d’en tirer profit généralement, sous la forme d’une compensation financière. Cette jouissance financière est rendue possible car le droit de propriété de l’œuvre lui revient en exclusivité. Or, en matière de patrimoine culturel traditionnel, il en est autrement. En effet, la titularité des œuvres du folklore appartient à la communauté ou à l’État d’où émane le folklore84. Ainsi, au Congo, au Bénin, au Burkina Faso et au Mali (pays membres de l’OAPI), les bénéficiaires des droits sont un organisme national chargé de la gestion collective des droits d’auteur et des droits voisins; alors que dans d’autres États, il s’agit d’un fonctionnaire du ministère de la culture85. Ces dispositions (gestion du folklore par les organismes publics) visent à protéger le folklore des exploitations étrangères86.

Nous ne pouvons terminer cette section sans évoquer le problème du métissage en matière folklorique. En fait,

[i]l n’est souvent pas possible d’identifier le créateur des expressions culturelles traditionnelles ou expressions du folklore car elles ont été transmises de génération en génération, oralement ou par imitation […]. Même lorsqu’une personne a créé une œuvre fondée sur la tradition, sur laquelle elle peut revendiquer le droit d’auteur ou d’autres droits de propriété intellectuelle, l’œuvre éveille souvent des intérêts communautaires parallèles, généralement reconnus par le droit coutumier et indigène.87

Cette situation peut être l’objet (comme nous allons le voir dans la section qui traite des problèmes que peuvent soulever la titularité de droits) de controverses, notamment dans l’hypothèse d’une revendication des « redevances » par telle ou telle communauté provenant de l’exploitation de l’un des éléments du patrimoine culturel traditionnel.

84 Laurier Yvon Ngombé, « Brèves observations sur la protection du folklore par le droit d’auteur », 2004

(4) R.R.J. p. à la p. 2372 [Ngombé, « Brèves observations »]. 85 Ibid. à la p. 2373. 86 Ibid. à la p. 2374. 87 Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, Comité intergouvernemental de la propriété

intellectuelle relative aux ressources génétiques, aux savoirs traditionnels et au folklore, Création de systèmes efficace pur la protection des expressions culturelles traditionnelles (expression du folklore), en ligne : OMPI <http://www.wipo.int/edocs/mdocs/tk/fr/wipo_grtkf_ic_7/wipo_grtkf_ic_7_inf_ 4.doc>.

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3. LA DURÉE DE LA PROTECTION

Selon l’article 22 du titre I du chapitre VII de l’Accord de Bangui, « les droits patrimoniaux sur une œuvre sont protégés pendant la vie de l’auteur et soixante-dix ans après sa mort ». Après ce délai, l’œuvre tombe dans le domaine public et à partir de ce moment là seulement, elle peut être utilisée librement. Mais tel n’est pas le cas des œuvres du folklore qui obéissent à un régime singulier et particulier. En fait, ces œuvres sont protégées sans limitation de durée88.

Toutefois, comme nous allons le voir dans les développements qui vont suivre, le concept d’originalité en matière de folklore, de la titularité des droits dans ce domaine ainsi que de la durée de la protection sont autant de difficultés que soulève l’application de notions de droit d’auteur au folklore.

II. Le droit sui generis adopté par les pays de l’OAPI pour la protection du folklore est-il approprié auxdites œuvres? L’application d’un droit sui generis pour la protection du folklore dans les

pays de l’OAPI soulève des problèmes inhérents au folklore ou aux expressions du folklore d’une part, et des difficultés concernant l’exploitation du folklore d’autre part.

A. Problèmes inhérents aux œuvres traditionnelles rendant difficile leur protection par un système sui generis

Les pays de l’OAPI, par l’entremise de l’Accord de Bangui tel que révisé en 1999 pour se conformer aux dispositions de l’ADPIC, ont établi une protection sui generis pour les expressions culturelles traditionnelles. Cette protection s’inspire89 des dispositions du droit d’auteur pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, tout en y apportant des aménagements qui ont trait à la particularité inhérente à tout œuvre issue du patrimoine populaire traditionnel. Ainsi, concernant la durée, la protection du folklore par le droit d’auteur se caractérise par la perpétuité. De même, au contraire du droit d’auteur qui indique que le bénéficiaire de l’œuvre au titre de la propriété littéraire et artistique est l’auteur de l’œuvre, dans le cas du folklore, le bénéficiaire de l’œuvre peut être l’ensemble de la communauté nationale ou une communauté tribale à l’intérieur d’un État. Toutefois, des difficultés peuvent surgir comme nous allons le voir quant à la mise en œuvre au plan pratique de ces notions.

88 Laurier Yvon Ngombé, Le droit d’auteur en Afrique, Harmattan, Paris, 2004 à la p. 61 [Ngombé, « Le

droit d’auteur »]. 89 Ngombé, « Brèves observations » supra note 84 aux pp. 2367-2383.

Protection du folklore

259

1. PROBLÈMES CONCERNANT LA TITULARITÉ DES DROITS D’AUTEUR

Comme nous l’avons précisé ci-dessus, les pays de l’OAPI, dans l’Accord de Bangui, ont choisi une protection sui generis90 pour les expressions traditionnelles fondée sur le droit d’auteur. Autrement dit, ces pays ont prévu pour la protection des œuvres du folklore ou des œuvres inspirées du folklore, une protection fondée sur le régime du droit d’auteur, avec toutefois des règles dérogatoires au droit commun pour ladite protection : c’est pourquoi on la qualifie de protection sui generis.

Ainsi, dans le système du droit d’auteur, l’œuvre appartient en principe à l’auteur créateur. Par contre, en ce qui concerne le folklore et le patrimoine culturel traditionnel, l’auteur est la communauté dont émane le folklore de telle sorte que « la question de savoir qui pourrait revendiquer la paternité et la propriété de telles œuvres pourraient surgir »91. Pour étayer notre argumentation, nous prendrons l’exemple du Ghana92. Ainsi, les communautés ethniques du Ghana ne vivent pas toutes exclusivement dans ce pays. Le Ghana partage la plupart de ses traditions folkloriques avec ses voisins. Il est souvent difficile de prouver si un élément du patrimoine traditionnel ou du folklore appartient exclusivement au Ghana ou non. Le problème est illustré par Kofi Ghanaba, personnalité musicale ghanéenne très célèbre et batteur dans la chanson That happy feeling pour laquelle il perçoit des droits d’auteur. Il l’a enregistrée aux États-Unis dans les années 50 dans un album intitulé Africa speaks America answers. Dans son article intitulé « The poaching world of music », Kofi Ghanaba, anciennement Guy Warren, écrivait :

Dans mon monde musical, tout le monde braconne sur les terres d’autrui […] le grand compositeur et les petits. Moi-même, j’ai toujours pensé qu’en musique, rien n’est original […]. Lorsque je dirigeais la station de radio ELBC au Libéria […] j’ai auditionné un jour un musicien qui jouait un air similaire à That happy feeling […]. Personne ne connaîtra jamais l’origine véritable de cet air dans un monde vieux de quatre cent millions d’années. J’ai simplement pris un air que chantait ma mère, et je lui ai donné une forme personnelle qui a été bien accueillie dans le monde parce qu’elle appartient à l’histoire humaine.93

Il ajoutait que, lors de sa visite en Afrique de l’Est et du Sud, il avait entendu des airs similaires à That happy feeling. En Afrique du Sud, cela s’appelait Sugar Bush94. Nous prendrons également l’exemple de Richard Bona, auteur, compositeur et chanteur d’origine camerounaise qui excelle en ce moment dans le jazz. Il puise son inspiration en partie dans le folklore camerounais qui remonte aux temps anciens et dont on ne peut véritablement en déterminer l’origine. En effet,

90 Mezghani, supra note 13 à la p. 26. 91 Ibid. à la p. 17. 92 A.O. Amegatcher, « La protection du folklore par le droit d’auteur, une contradiction dans les termes »

2002 36 : 2 Bulletin du droit d’auteur 36 à la p. 42 [Amegatcher]. 93 Ghanaba Koffi, tel que cité dans Amegatcher, supra note 92 à la p. 42. 94 Voir Ghanian Times, (13 août 1993) reproduit dans Ghana Copyright News, bulletin no 4, 1992-1993 à

la p. 5.

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si l’on se réfère aux croyances et aux pratiques des peuples autochtones d’Australie, la paternité des œuvres ou des savoirs se trouve peut-être chez les ancêtres créateurs ayant précédé les hommes tels que les Wandjinas dans la région du Kimberley. Au concept de paternité se substitue celui d’interprétation fondée sur une initiation. La notion de titularité est remplacée par celle de dépositaire de rêves ou de légendes.95

De plus, les communautés d’où émane le folklore peuvent être présentes dans plusieurs états de sorte que la question de la « répartition des redevances » vienne à se poser. Selon Ngombe :

Supposons qu’une personne de nationalité burundaise habitant Bujumbura décide d’interpréter une chanson que l’on peut considérer comme faisant partie du folklore Téké. Ledit interprète conformément à la loi, déclare à la société de gestion collective locale le folklore et verse les droits correspondants. La société de gestion collective du Burundi devra rétrocéder les redevances perçues à sa société sœur gérant les droits relatifs au folklore interprété. Puisque la communauté Téké est présente aussi bien au Congo, en RDC qu’au Gabon, à qui la société de gestion collective du Burundi devra-t-elle reverser les droits?... La question ne s’est probablement jamais posée, mais elle ne manquera par de se poser au fur et à mesure de l’effectivité de l’application des lois sur le droit d’auteur en Afrique.96

Toujours est-il que, pour certains auteurs, faute d’auteur identifié, « le folklore ne peut être assimilé à une œuvre »97 et par conséquent n’est pas protégeable à titre de droit d’auteur. D’autres en revanche, pensent que les droits de propriété intellectuelle, en l’occurrence le droit des marques, des appellations d’origine ou encore le régime du droit des dessins et modèles industriels, peuvent servir de cadre propice pour la protection du folklore ou des expressions du folklore98.

Ainsi, selon une certaine partie de la doctrine, la protection du folklore par le droit des marques pourrait garantir aux peuples indigènes l’authenticité de leurs produits du fait de la fonction principale de la marque qui consiste à indiquer la source de l’objet qui a été mis sur le marché. Bien plus, le choix d’une marque collective, et en particulier d’une marque collective de certification, semble particulièrement avantageux étant donné que ces marques peuvent être attribuées à des collectivités légalement établies, alors même qu’elles ne possèdent pas un

95 Communication de Michael Blakeney publiée par l’OMPI dans le cadre de la table ronde sur la

propriété intellectuelle et les savoirs traditionnels, 1999 et citée dans Bulletin du droit d’auteur, vol. XXXVI, no 2, 2002 à la p. 41, en ligne : UNESCO <http://unesdoc.unesco.org/images/0012/001277/ 127784f.pdf>.

96 Ngombé, « Le droit d’auteur » supra note 88 à la p. 53. 97 J. Ramon Obon Leon, « Le droit d’auteur considéré comme moteur de développement » (1982) 16 : 4

Bulletin du droit d’auteur 21. 98 Von Lewinski, supra note 43 aux pp. 25-26.

Protection du folklore

261

établissement industriel ou commercial99. De plus, un deuxième avantage du droit des marques de commerce par rapport aux autres droits de propriété intellectuelle réside dans le fait « qu’il offre une solution à la question complexe de la durée de protection »100. Ainsi, « le droit d’auteur prévoit une durée de protection fixe dont dépend l’un de ses éléments politiques fondamentaux à savoir, la création d’un domaine public où tout un chacun peut se servir »101 alors que le droit des marques de commerce offre une durée de protection aussi longue que la marque est utilisée.

Quant à la protection fondée sur le régime du droit des appellations d’origine, elle est aussi jugée opportune pour la protection du folklore102 ou des expressions du folklore dans la mesure où, comme en matière de marque, elle sert à indiquer la provenance des produits qui peuvent autant être des produits agricoles, de l’artisanat et de l’industrie (savoirs traditionnels des artisans maghrébins et africains en matière de tissage, de bijoux, de verrerie, de broderie…). D’ailleurs, cette forme de protection semble gagner du terrain sur le plan international puisque l’Arrangement de Lisbonne concernant la protection des appellations d’origine et leur enregistrement international103 permet la protection de tout genre de produits, qu’ils soient agricoles ou non. De même104, il est soutenu que la protection du folklore fondée sur le régime des dessins et modèles peut se révéler adéquate car l’aspect esthétique d’un produit résultant de techniques ancestrales, telles que l’émaillage, le flambage et les techniques de tissage servirait de base à la protection. Enfin, la protection par l’action en concurrence déloyale a été envisagée dans l’hypothèse où on appliquerait, par exemple au folklore les dispositions sur les secrets commerciaux, l’information confidentielle et les règles de la concurrence déloyale105. À notre avis, dans une telle hypothèse, la responsabilité civile délictuelle qui légitime ou qui fonde l’action en concurrence déloyale serait plus qu’opportune dans le contexte multi-étatique que représente les pays de l’OAPI.

À notre avis, toutes les solutions envisagées ci-dessus n’offrent pas une protection suffisante et adéquate pour le folklore ou les expressions du folklore. Ainsi, pour ce qui est du droit de la marque, sa fonction se limite à l’indication de la source de l’objet qui a été mis sur le marché. Autrement dit, le droit des marques ne protège pas les savoirs traditionnels ni le folklore tels quels et dès lors, ils ne peuvent être protégés contre la divulgation ou l’utilisation par des tiers sans leur consentement. Le droit des marques n’accorde pas non plus de protection contre des imitations qui ne portent pas la marque106. L’autre défaut du recours au droit des marques de commerce, lorsqu’il est question d’appropriation culturelle, vient du fait que si ce

99 Ibid. 100 Ysolde Gendreau, « Pour un renouveau du droit moral à travers les revendications autochtones »

(2005) 14 Propriétés intellectuelles 15 à la p. 19 [Gendreau]. 101 Ibid. 102 Von Lewinski, supra note 43 à la p. 26 et Mezghani, supra note 13 aux pp. 23-24. 103 Arrangement de Lisbonne concernant la protection des appellations d’origine et leur enregistrement

international, 31 octobre 1958, en ligne : OMPI <http://www.wipo.int/lisbon/fr/legal_texts/lisbon_ agreement.htm>.

104 Mezghani, supra note 13 à la p. 25. 105 Von Lewinski, supra note 43 à la p. 26. 106 Ibid. aux pp. 25-26.

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droit s’avère très pertinent lorsqu’il s’agit d’œuvres relevant des beaux-arts, il l’est beaucoup moins pour d’autres catégories de produits culturels comme les œuvres orales, musicales ou chorégraphiques107. Quant à la protection par le droit des appellations d’origine, il est indirect.

Autrement dit, la protection est accordée à un territoire plutôt qu’à une personne et elle ne confère pas de droit exclusif eu égard aux biens et aux personnes. Enfin, la protection fondée sur le régime du droit des dessins et modèles soulèvent des problèmes qui pourraient se poser au niveau de la nouveauté et de l’originalité, de la titularité ainsi que de la durée de protection. Toutes ces conditions de fond qui se révèlent indispensables dans le cas de la protection des dessins et modèles industriels s’accommodent mal de la nature du folklore ou des expressions du folklore qui, par leur essence même, se révèlent dépourvus de tout critère de nouveauté (valeurs transmises de génération en génération). Toutefois,

[l]a philosophie du droit naturel en vertu de laquelle seul l’auteur (en tant qu’individu) peut être propriétaire (initial) de son œuvre avec une titularité reconnue à une communauté n’emporte pas l’adhésion et ce, pour plusieurs raisons : d’abord le jusnaturalisme invoqué lors de la naissance du droit d’auteur visait à la reconnaissance du droit d’auteur à celui qui le mérite le plus; pour les œuvres du folklore l’équité que suppose l’idée de droit naturel inviterait plutôt à admettre la titularité des droits sur le folklore au profit de sa communauté d’origine. Ensuite, il serait paradoxal que le droit naturel soit invoqué pour refuser de reconnaître à ces communautés des droits sur leur patrimoine, fut-il commun. Enfin, le fait que le droit naturel ait justifié la reconnaissance du droit au créateur de l’œuvre n’a jamais empêché que, dans certains cas (de plus en plus nombreux) la titularité initiale soit reconnue à une autre personne (physique ou morale) que le créateur. De plus, le droit d’auteur n’a pas qu’un fondement jusnaturaliste.108

De plus, « de nombreuses considérations politiques et économiques sont prises en compte, et ce depuis les tous premiers temps de l’histoire du droit d’auteur, dans l’élaboration des lois sur le droit d’auteur; ces considérations permettent de ne pas juger comme un obstacle à la protection “la titularité collective” du folklore »109.

2. PROBLÈMES CONCERNANT LA DURÉE DE LA PROTECTION

Selon l’article 22 du chapitre V du titre VII relatif à la propriété littéraire et artistique de l’Accord de Bangui, « les droits patrimoniaux sur une œuvre sont protégés pendant la vie de l’auteur et soixante- dix ans après sa mort ». Une fois ce délai dépassé, l’œuvre tombe donc dans le domaine public et est désormais libre de toute utilisation exceptées les œuvres du folklore et du patrimoine culturel

107 Gendreau supra note 100 à la p. 18. 108 Ngombé, « Brèves observations » supra note 84 à la p. 2373. 109 Ibid. à la p. 2373.

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traditionnel; ces œuvres sont protégées sans limitation de durée dans le temps. Cette prétention à une protection perpétuelle est l’un des éléments qui pourraient rendre difficile la mise en œuvre effective de la protection des folklores africains à travers le monde110.

Néanmoins, après divers débats doctrinaux sur le caractère perpétuel ou non des œuvres rentrant dans le domaine de la propriété littéraire et artistique111, il est désormais universellement admis que la propriété littéraire et artistique est une propriété temporaire. Néanmoins, malgré cet état de fait, le sujet fait régulièrement encore l’objet de diverses controverses. Desbois admet la possibilité d’une perpétuité, notamment au niveau de l’exploitation112. De même, à la fin de l’ancien régime, le principe d’une protection perpétuelle au profit de l’auteur et de ses descendants avaient même été retenu113. Cette admission du principe de la perpétuité en droit d’auteur se justifiait par le fait qu’il fallait prendre en compte les intérêts divers114. La Convention de Berne115 qui est la convention de référence en matière de droit d’auteur ne fixe qu’une durée minimale pour la protection des droits moraux, à savoir la fixation d’une durée plus longue étant laissée à la libre appréciation ou encore, au pouvoir discrétionnaire des États. En France par exemple, « à partir du moment où la perpétuité est écartée, il faut bien reconnaître que le choix de la protection post mortem intéresse autant la dimension familiale du droit d’auteur que l’activité des exploitants et le renforcement de la position des sociétés de gestion collective »116. Par conséquent, indépendamment du folklore, il est possible d’ajuster la durée de protection en tenant compte des intérêts à protéger117. C’est en considérant cet aspect des choses qu’un juge américain a proposé de remplacer le système actuellement en vigueur aux États-Unis (protection post mortem de 70 ans) par un système de protection renouvelable indéfiniment118. La propriété littéraire et artistique n’étant pas par essence limitée dans le temps, l’objection fondée sur le caractère perpétuel du folklore n’a pas sa raison d’être119.

B. De quelques difficultés concernant l’exploitation du folklore

Les difficultés dans la mise œuvre de la protection du folklore peuvent surgir au regard de l’exploitation du folklore120. Ainsi, des difficultés pourraient surgir quant 110 Ngombé, « Le droit d’auteur » supra note 88 à la p. 61. 111 Laurier Yvon Ngombé, « Droit naturel, droit d’auteur français et copyright américain, Rétrospective et

prospective », (2002) R.I.D.A. 2 à la p. 3. 112 Henri Desbois, Le droit d’auteur en France, 3e éd., Paris, Dalloz, 1978 à la p. 326. 113 Voir Marie-Claude Dock, Étude sur le droit d’auteur, Libraire générale de droit et de jurisprudence,

1963 à la p. 128. 114 Voir Frédéric Pollaud-Dulian, « La durée du droit d’auteur » (1998) R.I.D.A. 83 [Pollaud-Dulian]. 115 Convention de Berne à l’article 6 (2). 116 Voir Pollaud-Dulian supra note 114 à la p. 95. 117 Alain-Robert Nadeau, « Mickey Mouse, droits d’auteur et retenue judiciaire » (2003) 35 Journal du

Barreau du Québec 4. 118 Richard Allen Posner « How Long Should a Copyright Last? » (2003) 50 Journal of the Copyright

Society of the USA 1. 119 Ngombé, « Brèves observations » supra note 84 à la p. 2372. 120 Ibid. aux pp. 2367-2383.

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à la détermination de l’organisme compétent pour recueillir les redevances provenant des œuvres du patrimoine culturel traditionnel. En principe, pour de nombreux États africains, la gestion desdites redevances échoit le plus souvent à un organisme national parapublic chargé de la gestion des droits d’auteur. Toutefois, ces lois121 ne prévoient pas le cas où il existe une multitude d’organismes gestionnaires de ces droits. Pour la doctrine africaine, l’administration du folklore dépend soit d’un organisme spécial (cas le plus fréquent), soit de différents organismes en fonction du genre de l’œuvre considérée122. De même, de nombreux problèmes surgissent, dans le cas où l’exploitation du folklore a lieu dans un pays autre que celui dont le folklore est issu. L’une des solutions à ce problème serait de distinguer selon que l’exploitant est ou non ressortissant de l’un des États pouvant revendiquer la « paternité » de l’élément du folklore qui est en cause123. Il serait par ailleurs, plus opportun de « faire résoudre le litige éventuel par une instance arbitrale composée de représentants des différents organes étatiques chargés de la promotion et de la protection du folklore »124.

* * *

Dans ce contexte des concepts nationaux, voire locaux, un défi particulier se dégage de la protection du folklore; la non-protection du folklore doublée de moyen non-coercitif empêchant son exploitation entraînerait une exploitation abusive dudit bien dans le monde entier sans que l’exploitant ne contribue à sa production et sa protection125. D’ailleurs, au vu des développements précédents, nous pouvons affirmer sans ambages que l’exploitation abusive du folklore dans le monde sans contrepartie pour le pays dont le folklore est originaire est la règle. La question de savoir si les produits folkloriques permettent l’appropriation par d’autres et la commercialisation, et si le folklore appartient à l’État national, à l’individu ou à un groupe ethnique ne peut s’établir ni au niveau international, ni au niveau national, mais seulement selon les critères du groupe qui produit l’objet folklorique dans le cas échéant126. Cette assertion légitime le choix de la protection sui generis du folklore par les États de l’OAPI. Il s’agit d’une nouvelle catégorie de droits de propriété intellectuelle qui a vu le jour et dans laquelle on peut répertorier entres autres, la Déclaration de Mataatua sur les droits de propriété culturelle et intellectuelle des peuples autochtones127 en 1993 ou encore, les Recommandations formulées au

121 Ibid. à la p. 2375. 122 Ibid. 123 Ibid. 124 Ibid. à la p.2377. 125 Josef Drexl, « Les principes de protection des intérêts diffus et des biens collectifs : quel ordre public

pour les marchés globalisés ? » (2003) R.I.D. Econ. 387 à la p. 406. 126 Ibid. 127 Darrell A. Posey et Graham Dutfield, Le marché mondial de la propriété intellectuelle. Droits des

communautés traditionnelles et indigènes, Ottawa, Centre de recherche pour le développement international, 1997, l’annexe 7 à la p. 233.

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congrès intitulé « Voix de la Terre »128. Il y a certes des difficultés dans la mise en œuvre de ce type de protection, mais des difficultés tout de même surmontables comme nous l’avons vu précédemment. D’ailleurs, il a été avancé au cours des débats au sein de l’OMPI qu’il serait plus approprié de prévoir plusieurs systèmes « sui generis autonomes » vue la diversité des expressions culturelles à protéger129. De plus, « si les ardents défenseurs du droit d’auteur voient dans la protection sui generis adoptée par les pays de l’OAPI pour la protection du folklore une objection, il y plane tout de même et de façon incontestable, l’esprit du droit d’auteur »130.

128 Ibid., l’annexe 8 à la p. 239. 129 WIPO, Comité intergouvernemental de la propriété intellectuelle relative aux ressources génétiques,

aux savoirs traditionnels et au folklore, WIPO/GRTK/IC/4/8, 9-17 septembre 2002, p. 7. 130 Ngombé, « Brèves observations » supra note 84 à la p. 2383.

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