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LA PHILOSOPHIE DE CORNELIUS CASTORIADIS : POUR UNE CRITIQUE DES
CONCEPTIONS CYBERNĂTIQUES/INFORMATIONNELLES DE LA S UBJECTIVITĂ
Dominique Trudel
Université de Montréal
RĂ©sumĂ© : LâĂ©mergence du paradigme cybernĂ©tique est Ă la base des rĂ©volutions scientifiques du siĂšcle dernier et de celles qui risquent de bouleverser le prochain, notamment dans le domaine de lâingĂ©nierie gĂ©nĂ©tique. Dans le cas particulier des sciences de la communication, la place prĂ©pondĂ©rante du couple cybernĂ©tique/thĂ©orie de lâinformation dans son Ă©pistĂ©mologie particuliĂšre et ses prĂ©misses apparaĂźt inĂ©galĂ©e. Mais lâĂ©volution disciplinaire se faisant, une distance confortable sâinstalle bientĂŽt entre une science et ses radicalitĂ©s, si bien quâelles ne sont que trop rarement remises en cause. Lâobjectif de cette contribution est double. En premier lieu, il sâagit de revenir aux sources premiĂšres de la thĂ©orie cybernĂ©tique afin dâen exposer la dimension la plus fondamentale : celle de la conception du sujet quâelle vĂ©hicule. En second lieu, il apparaĂźt nĂ©cessaire dâexposer les problĂšmes soulevĂ©s par une telle conception du sujet et de proposer une alternative. Ă ce titre, lâĆuvre du philosophe Cornelius Castoriadis est porteuse dâune critique virulente Ă lâencontre de la cybernĂ©tique tout comme dâun projet social concurrent qui questionne jusquâaux catĂ©gories les plus essentielles de toutes : celles de la politique, de la vie et de la mort.
1. Introduction
1.1 Les conceptions modernes de la subjectivité
Depuis Descartes et sa célÚbre formule « Je pense donc je suis », la question du sujet ne cesse de
tirailler la philosophie occidentale moderne1. Cette maxime affirme lâexistence premiĂšre du
cogito, mais introduit Ă©galement le principe du doute systĂ©matique dont fera lâobjet ce mĂȘme
1 Ăvidemment, la problĂ©matique du sujet est dĂ©jĂ prĂ©sente dans la philosophie grecque antique, notamment chez Aristote dans les CatĂ©gories. Afin de circonscrire mon analyse, je concentrerai mes remarques introductives dans le cadre â plus restreint mais dĂ©jĂ gigantesque â dâune mince parcelle de la modernitĂ©.
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cogito, quant à son origine ou sa substance. Le sujet réflexif cartésien marque aussi le début
dâune tradition « moderne » oĂč rationalitĂ© et capacitĂ© dâagir sâincarnent dans un sujet contenant
les limites de sa subjectivitĂ©, et ce, Ă lâintĂ©rieur mĂȘme de son corps biologique. En effet, le
dualisme cartĂ©sien, bien quâil admette que corps et esprit correspondent Ă des substances
diffĂ©rentes, lâune physique et lâautre mĂ©taphysique, soutient une relation Ă©troite, sinon parfaite
entre corps et subjectivitĂ© : « LâĂąme de lâhomme est rĂ©ellement distincte du corps, et toutefois
quâelle lui est si Ă©troitement conjointe et unie, quâelle ne compose que comme une mĂȘme chose
avec lui » (Descartes, 1974, p. 12).
Suite aux fragmentations disciplinaires, la problĂ©matique du sujet, dont lâavĂšnement est une
conséquence directe de la rationalité et de la distinction sujet/objet, a colonisé les champs
Ă©mergeants des sciences sociales et des sciences naturelles. Mais Ă cette premiĂšre fragmentation
fait bientĂŽt Ă©cho une seconde, celle du lieu mĂȘme de la subjectivitĂ©. En effet, dĂ©jĂ chez Marx, la
subjectivitĂ© passe du corps biologique au corps social. Câest ainsi que dans LâidĂ©ologie
allemande, Marx affirme que : « Lâessence humaine nâest pas une abstraction inhĂ©rente Ă
lâindividu singulier. Dans la rĂ©alitĂ©, câest lâensemble des rapports sociaux » (Marx, 1988, p. 52).
La production mĂ©canisĂ©e transforme les rapports sujet/objet; câest lâouvrier qui devient
lâaccessoire de la machine, et non plus lâinverse. Câest en dĂ©finitive la raison dâĂȘtre du projet
rĂ©volutionnaire : libĂ©rer le sujet des rapports sociaux aliĂ©nants afin quâil retrouve un « ĂȘtre-soi »
véritable. Si le sujet existe seulement au carrefour des rapports sociaux, il y a bien un sujet
normatif a priori et a posteriori de ces mĂȘmes rapports. En ce sens, certaines conceptions
postmodernes de la subjectivitĂ© peuvent ĂȘtres situĂ©es sur un continuum â et non pas en
opposition â avec Marx. Les changements possibles des configurations sujet/objet entrevues par
Marx conduisent logiquement Ă lâabandon de toutes conceptions essentielles du sujet et de son
rapport Ă lâHistoire. Lâessence humaine, encore prĂ©sente chez Marx, se dissout dans lâinfinitĂ© des
combinaisons sujet/objet envisageables. Par exemple, la notion dâhybriditĂ© chez Bruno Latour
Ă©vacue complĂštement lâessence des notions de sujet et dâobjet pour mettre lâaccent sur une
capacitĂ© dâagir radicalement situationnelle oĂč humains et non-humains (re)combinent leurs buts
et font constamment émerger de nouveaux acteurs-réseaux instables (Latour, 1999).
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Cette brĂšve discussion des conceptions de la subjectivitĂ© a su mettre de lâavant les oppositions
constitutives de cette question philosophique : la subjectivité, dernier repli intérieur ou extériorité
pleinement dépliée? Exercice du libre arbitre ou espace socialement déterminé? Mais ces
oppositions, souvent réduites à un dilemme artificiel entre « modernité » et « postmodernité », ne
rĂ©sistent pas Ă lâanalyse. Par exemple, on voit bien comment chez Marx est dĂ©jĂ prĂ©sente la
logique qui conduira Ă lâĂ©laboration des conceptions « postmodernes » de la subjectivitĂ©. Ces
dilemmes constituent davantage les deux faces dâune mĂȘme mĂ©daille quâils ne formulent une
réelle alternative, échouant à rendre compte de la richesse de la question de la subjectivité. Car
au-delà des catégories existantes, la subjectivité demeure une des rares questions authentiques,
câest-Ă -dire, suivant Castoriadis, « une de ces questions qui doivent rester ouvertes Ă jamais »
(Castoriadis, 1986, p. 283).
1.2 La matrice cybernétique
Au milieu du vingtiĂšme siĂšcle, le projet cybernĂ©tique et ses concepts dâinformation, de feedback
et dâentropie marquent une rĂ©volution dans la science et la technique moderne. Il sâagit dâun
vĂ©ritable changement paradigmatique, non seulement dans le sens kuhnien du terme, oĂč une
communautĂ© disciplinaire modifie ses prĂ©misses, mais aussi en tant que matrice dâune
reprĂ©sentation totale du monde, en tant que modĂšle interprĂ©tatif gĂ©nĂ©ral Ă lâintĂ©rieur duquel la
subjectivité se réfléchie et se performe (Lafontaine, 2004, p. 16). La cybernétique interroge la
question de la subjectivité depuis une perspective nouvelle, à la fois technique et théorique.
Certaines innovations découlant directement des concepts cybernétiques, notamment en
gĂ©nĂ©tique et en informatique, reviennent aujourdâhui poser la question du sujet. JusquâĂ quelle
limite un humain augmenté techniquement est-il toujours humain? Quel est le sens de la
traditionnelle distinction sujet/objet pour un cyborg? Déjà aux fondements de la cybernétique, la
volontĂ© de Wiener de rassembler toutes les sciences au sein dâune nouvelle transdiscipline, tout
comme certaines propositions audacieuses (par exemple, lâanalogie homme-machine) appellent Ă
reconsidérer, une fois de plus, la question du sujet.
Lâobjectif de cette contribution est double. En premier lieu, il sâagit de cerner un conception
cybernĂ©tique/informationnelle de la subjectivitĂ©. Dans la diversitĂ© cybernĂ©tique, câest chez
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Bateson que la question du sujet se pose avec le plus dâacuitĂ©. Bateson est lâun des
cybernéticiens les plus importants. Il est présent aux balbutiements de la cybernétique (les
premiÚres conférences de la fondation Macy) à titre de seul représentant des sciences humaines,
en compagnie de son Ă©pouse, lâanthropologue Margaret Mead. Câest aussi le premier qui
transgresse lâinterdiction de Wiener â « la cybernĂ©tique comme science du contrĂŽle et de la
communication chez lâanimal et la machine » (Wiener, 1948) â quant Ă lâapplication des
concepts cybernĂ©tiques dans une science de lâhomme, notamment dans ses travaux sur
lâalcoolisme et la schizophrĂ©nie. DĂ©jĂ dans son Ćuvre anthropologique antĂ©rieure, Bateson
explique des comportements sociaux dans des notions â par exemple la schismogenĂšse2 â que
lâon peut qualifier de « prĂ©cybernĂ©tiques ». Bref, Bateson est au cĆur de la rĂ©volution
cybernĂ©tique en sa qualitĂ© de spĂ©cialiste des sciences humaines. Câest donc bien Ă lui que lâon
doit poser la question du sujet cybernĂ©tique, surtout si lâon considĂšre lâimpact transdisciplinaire
quâa eu son Ćuvre3. JâexpĂ©rimenterai aussi un commentaire sur Bateson et le politique. Je dis
« expĂ©rimenter » car trĂšs peu de textes abordent ce thĂšme et la rĂ©ponse quâapporte Bateson Ă la
question préalable du sujet rend difficile une articulation politique de sa pensée.
En second lieu, et câest lâobjectif principal de cet essai, jâexpliciterai la critique formulĂ©e par
Cornelius Castoriadis Ă lâencontre des conceptions cybernĂ©tiques/informationnelles de la
subjectivitĂ© et du concept mĂȘme dâinformation, tout en exposant lâalternative sujet/politique
quâelle suggĂšre. Castoriadis est une figure intellectuelle marquante de la seconde moitiĂ© du
siĂšcle. Fondateur de Socialisme ou Barbarie4, philosophe, Ă©conomiste et psychanalyste, il est le
premier intellectuel français Ă sâopposer Ă Staline, et ce, dĂšs 1949. Son Ćuvre permet
dâapprĂ©hender la cybernĂ©tique dâun angle original et de penser la subjectivitĂ© Ă lâextĂ©rieur des
catégories éculées. Je nuancerai sa critique en montrant comment certains aspects font résonance
avec un courant de la seconde cybernétique, autour du biologiste Francisco Varela. Ce
rapprochement, loin dâinvalider sa critique, met de lâavant lâextensibilitĂ© des concepts 2 Le concept de schismogenĂšse, provient de la contraction de « schisme » et « genĂšse » et signifie crĂ©ation dans la division. Il est employĂ© par Bateson pour signifier que lâexistence dâun organisme est relative Ă la relation entre cet organisme et un autre. Il distingue la schismogenĂšse complĂ©mentaire, oĂč les organismes Ă©voluent dans des directions opposĂ©es, de la schismogenĂšse symĂ©trique, oĂč les organismes Ă©voluent dans le mĂȘme sens (Bateson, 1971). 3 Par exemple, la prĂ©sente rĂ©forme du MinistĂšre de lâĂducation du QuĂ©bec semble hĂ©ritĂ©e du principe batesonien selon lequel il est nĂ©cessaire « dâapprendre Ă apprendre ». 4 Socialisme ou Barbarie un est collectif formĂ© autour de Castoriadis (qui Ă©crit sous un pseudonyme) et de quelques collaborateurs cĂ©lĂšbres (Jean-François Lyotard, Claude Lefort, Guy Debord) qui proposait un marxisme alternatif et non-bureaucratique Ă travers une revue Ă©ponyme publiĂ©e de 1949 Ă 1966.
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cybernĂ©tiques, leur extraordinaire capacitĂ© Ă se remodeler â qui dĂ©coule du relativisme
Ă©pistĂ©mologique sur lequel ils sont Ă©rigĂ©s â et Ă intĂ©grer la critique (Lafontaine, 2004, p. 21). Un
bref retour sur les entretiens entre Castoriadis et Varela, publiés dans Post-scriptum sur
lâinsignifiance, est susceptible dâĂ©clairer les rapprochements conceptuels ainsi que les
différences essentielles entre les deux penseurs. Je conclurai en considérant les chemins de la
pensĂ©e qui sâouvrent alors, vers une reconsidĂ©ration des prĂ©misses Ă©pistĂ©mologiques les plus
intimes des sciences de la communication.
2. Gregory Bateson et le sujet cybernétique
Il est important de percevoir combien votre propre bonheur est lié à celui des autres. Il n'existe pas de bonheur individuel totalement indépendant d'autrui.
â Le 14e DalaĂŻ Lama
Chez Bateson, la conception de la subjectivitĂ© sâĂ©rige sur une critique de Freud. La notion
dâinconscient est reprise mais dans un sens nouveau, au sens dâune diffĂ©rence de degrĂ© de
conscience, « comparable à la distinction entre vue perçante et vue floue » (Bateson, 1981,
p. 121). Dans lâorthodoxie freudienne, lâinconscient est un lieu radicalement autre, siĂšge des
pulsions innées et du refoulé, en discontinuité avec le conscient et qui ne peut en constituer la
porte dâentrĂ©e. Lâinvestigation de lâinconscient doit donc passer par le rĂȘve, lâacte manquĂ© ou le
mot dâesprit mais en aucun cas par des processus conscients (Roustang, 1997, p. 332-342). En
transformant ainsi cette notion dâinconscient, Bateson la vide des conflits et des hiĂ©rarchies qui
lui sont propres en les projetant plutĂŽt Ă lâextĂ©rieur de lâintĂ©rioritĂ© subjective. En mettant lâaccent
sur la perception et les processus de communication au détriment des processus internes, Bateson
dĂ©place le lieu de la subjectivitĂ©. Lâhomme social et lâhomme des profondeurs, qui coexistaient
depuis Marx et Freud, se fondent lâun dans lâautre au dĂ©triment certain de la psychanalyse. Câest
lâĂ©mergence du nouvel homme social et le dĂ©but dâun processus que certains qualifient de
« décentrement du sujet ». La nouvelle hiérarchie externe est formalisée par Bateson selon une
logique de niveau. Lâindividu existe comme sujet Ă travers une hiĂ©rarchie dâapprentissage sur au
moins quatre niveaux, voire davantage : (1) Réflexes et conditionnement stimulus-réponse; (2)
Apprendre Ă recevoir des signaux; (3) Apprendre Ă apprendre Ă recevoir des signaux; (4)
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Réaménagement structurel/spirituel de la pensée (Bateson, 1981, p. 137; Bateson 1977, p. 270-
275). Les perceptions et les significations ne sont plus le résultat des processus cognitifs internes
mais bien des Ă©lĂ©ments appartenants au contexte et Ă lâinteraction mĂȘme. Bref, le sujet nâest plus
la source des processus de pensée ni leur aboutissement; il est totalement traversé par les
processus informationnels (Lafontaine, 2004). Lâensemble de ces processus informationnels se
recouvrent dans le mĂ©ta-concept moniste de Bateson : lâesprit. Lâesprit est le concept
métaphysique de Bateson, un principe premier, une énergie, un peu comme la libido5 chez Freud
mais Ă la diffĂ©rence que lâesprit ne connaĂźt aucune clĂŽture et existe au-delĂ de la matiĂšre. Dans
Vers une Ă©cologie de lâesprit, Bateson tente plusieurs dĂ©finitions du concept qui demeurent
Ă©videmment floues, puisque dĂ©finir, câest cerner, formuler un intĂ©rieur et un extĂ©rieur, ce que ne
suppose justement pas esprit. Alors Bateson se dĂ©bat « avec esprit » et dira que câest « lâordre ou
le modĂšle qui sous-tend lâunivers » ou encore ce qui transcende la dichotomie entre forme et
substance (Bateson, 1977, p. 11-21). Conscient des limites de son concept et de sa dimension
mĂ©taphysique, câest avec humour que Bateson rĂ©pond Ă ses critiques : « on ne comprend pas
mon catéchisme » (Bateson, 1977, p. 12). Bref, Bateson est pleinement lucide vis-à -vis de la
singularitĂ© Ă©pistĂ©mologique de sa dĂ©marche, ainsi que devant sa dimension religieuse. Dâailleurs,
le concept batesonien dâesprit se rapproche du vijñÄna bouddhiste, conceptualisation de la
conscience niant la dualitĂ© corps/esprit ainsi que lâexistence dâun « moi » interne.
En remettant en question la distinction sujet/objet de Descartes, lâun des fondements de la
modernité, Bateson adopte une posture pour le moins paradoxale : faire de la science à partir
dâun mode de connaissance prĂ©scientifique. Ă ce titre, la figure de Bateson est semblable au Don
Quichotte racontĂ© par Foucault. CoincĂ© entre lâĂ©pistĂ©mĂš de lâanalogue et lâĂ©pistĂ©mĂš classique, il
est rupture épistémologique radicale :
Il est le hĂ©ros du MĂȘme. Pas plus que de son Ă©troite province, il ne parvient Ă sâĂ©loigner de la plaine familiĂšre qui sâĂ©tale autour de lâAnalogue. IndĂ©finiment il la parcourt, sans franchir jamais les frontiĂšres nettes de la diffĂ©rence, ni rejoindre le cĆur de lâidentitĂ© (Foucault, 1966, p. 60).
5 Chez Freud, la libido est nĂ©cessairement orientĂ©e vers un objet particulier, que ce soit le « sujet » lui-mĂȘme (libido du moi ou libido narcissique) oĂč un autre « objet » (libido dâobjet) (Freud, 1969).
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Loin dâĂȘtre le talon dâAchille de la pensĂ©e de Bateson, cette Ă©pistĂ©mologie constitue le principe
mĂȘme dâune dĂ©marche complĂštement assumĂ©e : « Ă vrai dire, cette hypothĂšse dâaprĂšs laquelle le
microscopique reflétera le macroscopique est une justification majeure de la plupart de nos
procédures de tests » (Bateson, 1981, p. 144). Ainsi, Bateson rejoint les rationalistes du seiziÚme
siĂšcle, tels Spinoza ou Leibniz.
2.1 De la subjectivité au politique
Il est difficile dâarticuler un projet politique Ă partir de la conception batesonienne de la
subjectivitĂ©. De son point de vue, le politique nâest pas le projet du sujet mais une complĂšte
immanence qui le transcende. Cette mise en proximitĂ© de la transcendance et de lâimmanence
nâest pas fortuite. Il sâagit ici de signifier que ce ne sont pas des concepts antinomiques mais
plutĂŽt deux versants dâun absolu â dans ce cas lâesprit batesonien â qui ne saurait en aucun cas
rencontrer de limites6. En cela, penser la politique avec Bateson nous conduit à la célÚbre
formule du philosophe Anaxagore selon laquelle « Tout est dans tout »; et Sainte-Beuve
dâajouter « et vice-versa! ». Mais tout le projet politique moderne (lâĂtat-nation, le droit, la
bureaucratie, etc.) sâest justement construit contre la transcendance divine et lâĂ©pistĂ©mologie
mĂȘme qui permet de construire le politique est le refus de la transcendance mĂ©taphysique. Câest
le cas par exemple chez Hannah Arendt, pour qui lâautoritĂ© absolue et le domaine politique
sâexcluent mutuellement (Arendt, 1958, p. 65). LâintĂ©rioritĂ© subjective est ce qui permet
dâopposer, de contrebalancer les forces de lâunivers social et donc, au politique de se constituer.
En ce sens, une pensée politique batesonienne est bien « prémoderne » (Lafontaine, 2004,
p. 218), voire « prépolitique ».
Par ailleurs, les cybernéticiens de la premiÚre heure ne se préoccupaient pas de politique, un des
rares sujets tabous des confĂ©rences Macy. Bateson lui-mĂȘme semblait spĂ©cialement rĂ©fractaire Ă
lâinstrumentalisation politique des sciences sociales (Lafontaine, 2004, p. 65). Il ne sâest donc
pas vĂ©ritablement engagĂ© dans le dĂ©bat politique, si ce nâest quâĂ un seul moment, Ă la fin de sa
vie, oĂč il a dĂ©noncĂ© les politiques pĂ©dagogiques de lâUniversitĂ© de Californie. Sa critique,
6 Sartre utilise dâailleurs lâexpression immanence-transcendance (avec un trait dâunion) dans Critique de la raison dialectique.
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rapportĂ©e par Brunet, est la suivante : « On apprend Ă lâUniversitĂ© une seule vĂ©ritĂ©, qui a eu
raison et qui a eu tort » (Brunet, 1988, p. 230). On remarque donc la continuité de son
engagement avec son Ćuvre scientifique et le relativisme Ă©pistĂ©mologique qui la caractĂ©rise
(Brunet, 1988). Curieusement, ce relativisme épistémologique conduit à une politisation de la
science (Proulx, 1988) : en effet, dĂšs que lâon conçoit la science comme lâaffaire de plusieurs
vĂ©ritĂ©s concurrentes, le partage paradigmatique dâune vĂ©ritĂ© apparaĂźt comme un choix politique
rĂ©sultant de rapports de pouvoir qui existent indĂ©pendamment de la vĂ©racitĂ© particuliĂšre dâune
vĂ©ritĂ©. Pour poursuivre lâanalogie avec Foucault, il est possible dâĂ©voquer sa notion de savoir-
pouvoir : « un instrument permettant dâanalyser [âŠ] le problĂšme des rapports entre sujets et jeux
de vĂ©ritĂ© » (Foucault, 1994, p. 718). Câest Ă mon sens les deux façons de comprendre Bateson et
le politique. Dâune part, sa science rejette lâopposition sujet/objet qui fonde la politique moderne
comme projet dâun nouveau sujet politique. Dâautre part, son relativisme politise la science,
domaine de la vĂ©ritĂ© sâil en est un. VoilĂ un vĂ©ritable cas de double contrainte batesonienne!
Câest donc Ă juste titre que Serge Proulx pose la question du « paradoxe du pouvoir » : si on
accepte la vision batesonienne et immanente du politique, cela nous conduit-il Ă adopter une
attitude passive vis-à -vis de ceux qui président aux rapports de forces? (Proulx, 1988, p. 225).
Bref, il pourrait sâavĂ©rer extrĂȘmement pĂ©rilleux de fonder une praxis politique Ă partir de la
pensée de Gregory Bateson. En nous projetant dans une situation de double contrainte, une telle
conception risque de nâaboutir sur aucune praxis politique, ou si peu, comme câest le cas pour
Bateson lui-mĂȘme, fidĂšle au principe de « non-agir » du bouddhisme zen.
3. Cornelius Castoriadis : Le sujet comme projet
Pour Castoriadis, la question du sujet est nĂ©cessairement celle dâun projet (Castoriadis, 1990b,
p. 118). Bien que lâindividu soit irrĂ©ductible Ă sa dĂ©finition sociale, il ne peut sâen extraire
complĂštement, ĂȘtre considĂ©rĂ© Ă lâextĂ©rieur dâun rapport au monde. De la mĂȘme façon, le social
est irrĂ©ductible Ă lâindividu (Castoriadis, 1997, p. 26). Câest seulement Ă lâinterface
individu/sociĂ©tĂ© que la question du sujet Ă©merge. Il sâagit donc dâune seule et mĂȘme question Ă
laquelle Castoriadis apporte une rĂ©ponse unique, celle du projet dâautonomie.
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3.1 De lâessence Ă lâautonomie - Penser le sujet
Dans la pensĂ©e de Castoriadis, on distingue deux ontologies, deux « modes dâĂȘtre » :
lâensembliste-identitaire et le social-historique. Lâensembliste-identitaire est subordonnĂ© au
social-historique. Celui-ci est le fruit de lâinstitution dâun « pour soi » particulier, câest-Ă -dire
lâexercice mĂȘme de lâautonomie. Cette institution dâun « pour soi » est susceptible de sâeffectuer
Ă six diffĂ©rents niveaux : celui du vivant, de la psychĂ©, de lâindividu socialement fabriquĂ©, du
sujet humain, de la sociĂ©tĂ© « elle-mĂȘme » et de la sociĂ©tĂ© rĂ©flexive (Castoriadis, 1990b). Ă
chacun de ces niveaux, une instance subjective exerce ce « pour soi » et fait émerger un monde
propre, un cosmos, un social-historique particulier. La relation dâun « pour soi » avec le social-
historique quâil crĂ©e est une correspondance absolue, cosmologique. Ă lâintĂ©rieur de ce monde,
câest lâontologie ensembliste-identitaire qui sâĂ©tablit. Si nous prenons lâexemple suivant : « Je
regarde le joli nuage blanc », le « blanc » nâa de sens quâen tant que catĂ©gorie instituĂ©e par le
« je » dans et par ce monde social-historique particulier.
PrĂ©cisons maintenant comment le concept dâautonomie sâactualise dans le « pour soi » Ă trois de
ces différents niveaux, celui de la psyché humaine, celui de la société réflexive et celui du vivant.
Au fond de la psychĂ© humaine, dans lâinconscient â qui est ici entendu comme lieu radicalement
autre â se trouve un magma, une espĂšce dâĂ©nergie en fusion semblable Ă la libido freudienne. Ce
magma ne peut pas ĂȘtre dĂ©composĂ©, câest un lieu oĂč sâaffrontent les diffĂ©rentes instances du sujet
humain : le Ăa, le Moi et le Surmoi. Ces micro-sujets sont constitutifs du sujet et forment son
fond psychanalytique. En tant quâinstances subjectives possĂ©dant un « pour soi », ils nâont cesse
de créer des mondes et des buts qui leurs sont propres (Castoriadis, 1990b, p. 118). Ainsi, dans
Sujet et vérité dans le monde social-historique, Castoriadis écrit :
LâunitĂ© (du sujet) en ce sens est lâunitĂ© dâun ring dont les boxeurs font partie sans pouvoir en sortir ou, encore mieux, lâunitĂ© dâun combat du dĂ©but Ă la fin et avec toutes les parties prenantes, y compris lâarbitre et peut-ĂȘtre des spectateurs intĂ©rieurs (Castoriadis, 2002, p. 201).
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Câest dans ce fond psychanalytique que rĂ©side lâessence, la substance du sujet; ce que
Castoriadis nomme aussi lâimaginaire radical. Lâimaginaire est « radical » par opposition Ă
lâimaginaire commun â celui par lequel la proposition « le joli nuage blanc » Ă©voque lâimage de
ce nuage â qui est second. Rien ne prĂ©existe lâimaginaire radical : « cette imagination vient avant
la distinction du "rĂ©el" et de "lâimaginaire" ou "fictif". Pour le dire brutalement, câest parce quâil
y a imagination radicale [âŠ] quâil y a pour nous "rĂ©alitĂ©" et telle rĂ©alitĂ© » (Castoriadis, 1997,
p. 228). Lâimaginaire radical sâincarne toujours dans lâimagination de quelque chose, il fait
surgir une premiĂšre reprĂ©sentation Ă partir de rien. Câest la source indĂ©terminĂ©e de crĂ©ation ex
nihilo , « ce soi qui se fait ĂȘtre sans encore ĂȘtre, câest le Sans Fond, le Chaos, lâAbĂźme de lâĂȘtre
humain » (Castoriadis, 1997, p. 61). Si nous reprenons notre exemple, le « joli nuage blanc »
nâexiste pas Ă lâextĂ©rieur de lâimagination radicale. Le « joli nuage blanc » nâest pas un Ă©lĂ©ment
de sens prĂȘt Ă ĂȘtre reçu dans la passivitĂ©. Câest seulement Ă travers lâimaginaire radical â qui
« fait ĂȘtre » quelque chose qui nâexiste pas « rĂ©ellement » â que le nuage « est » « blanc » et
« joli ». Dans la rĂ©alitĂ© du monde physique, il nây a pas de couleurs et encore moins de
catégories esthétiques. Il y a seulement des atomes, des ondes électromagnétiques, etc. En
dâautres mots :
Le quale sensible, les fameuses "qualitĂ©s secondaires" sont une pure crĂ©ation de la sensibilitĂ©, câest-Ă -dire de lâimagination dans sa manifestation le plus Ă©lĂ©mentaire, donnant une forme, et une forme spĂ©cifique, Ă quelque chose qui, "en soi", nâa aucune relation avec cette forme (Castoriadis, 1997, p. 234).
Cette conception de lâessence du sujet est diamĂ©tralement opposĂ©e Ă celle de Bateson, qui, Ă
travers son concept moniste dâesprit, dissout lâessence au-delĂ des limites de lâintĂ©rioritĂ©
subjective et dâun projet politique covalent.
Le fond magmatique est donc susceptible de créer une multitude de différents mondes, chaque
« pour soi » donnant lieu Ă une construction originale. Lâindividu ne peut donc pas, comme chez
Bateson, ĂȘtre rĂ©duit complĂštement au social. Lâindividu et le social sont des institutions de
lâimaginaire. La notion dâinstitution doit ĂȘtre comprise dans la polysĂ©mie des mots en « tion »,
câest-Ă -dire des mots qui dĂ©crivent Ă la fois les processus et leurs rĂ©sultats. Chaque institution
particuliĂšre est le fruit dâun « pour soi » et construit un monde propre et la finalitĂ© de ce monde.
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Sur les ruines de ce monde sâĂ©difient constamment des mondes nouveaux qui ne sont pas image
de mais plutĂŽt :
[...] crĂ©ation incessante et essentiellement indĂ©terminĂ©e de figures/formes/images, Ă partir desquelles seulement il peut ĂȘtre question de quelque chose. Ce que nous appelons rĂ©alitĂ© et rationalitĂ© en sont des Ćuvres (Castoriadis, 1975, p. 7).
Le projet dâautonomie est donc un processus par lequel, Ă partir du social-historique accumulĂ©
dans les instances de lâinconscient, il est possible de passer Ă la crĂ©ation dâun nouveau cosmos.
En dĂ©finitive, câest en cette possibilitĂ© de sâabstraire du dĂ©terminisme social-historique que
rĂ©side le projet dâautonomie. Ainsi, une sociĂ©tĂ© autonome, câest « une sociĂ©tĂ© dans laquelle il est
possible de penser, choisir, proposer une vĂ©ritĂ© Ă lâextĂ©rieur des institutions » (Castoriadis, 2002,
p. 175).
RĂ©flĂ©chi Ă travers le prisme du projet dâautonomie, le concept cybernĂ©tique dâinformation nâa
plus de sens. La notion dâinformation est liĂ©e Ă lâinstitution dâun certain monde propre de
lâhumain, situĂ© historiquement. Lâinformation nâest pas une donnĂ©e prĂ©sente dans la nature et
quâil suffit de recueillir. Câest une catĂ©gorie qui existe seulement dans un monde instituĂ©, dans
lâensembliste-identitaire et qui nâest en aucun cas « naturelle » :
LâidĂ©e mĂȘme dâinformation implique lâidĂ©e dâun pour soi, de quelquâun pour qui telle occurrence est information â ce qui dĂ©jĂ prĂ©suppose que lâoccurrence a) doit ĂȘtre captĂ©e et b) transformĂ©e en quelque chose pour le sujet puis c) entrer dans une matrice de signifiance. Un mathĂ©maticien rencontre un autre mathĂ©maticien et lui dit : jâai enfin pu dĂ©montrer que tout corps fini est commutatif. Cela aurait Ă©tĂ© une information il y a cent ans, ça ne lâest aujourdâhui que pour un Ă©lĂšve de terminale, et ça ne lâest pas du tout pour la concierge (dans le cas gĂ©nĂ©ral) du mathĂ©maticien. Il nây a information quâĂ©tant donnĂ© une base pour laquelle elle fait sens en tant quâinformation, qui lui octroie son caractĂšre dâinformation (Castoriadis, 2002, p. 66).
Bref, le vivant construit son cosmos particulier et en aucun cas, des Ă©lĂ©ments de sens â de
lâinformation â ne sauraient prĂ©exister. Ce que Bateson nomme information possĂšde dans
certains cas un « pour soi » qui lui est propre et est susceptible dâinstituer un monde oĂč la notion
dâinformation ne fait aucun sens. Câest le cas par exemple de la cellule ou du ver de terre dont le
« pour soi » aboutira Ă la crĂ©ation dâun monde oĂč la catĂ©gorie dâinformation sera plus que jamais
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Ă©pistĂ©mologiquement douteuse. Sans information Ă percevoir, il nây a pas non plus
dâapprentissage Ă faire. Tout apprentissage nâest envisageable quâĂ lâĂ©chelle du lâensembliste-
identitaire. Si, comme le suggĂšre Bateson, le comportement humain Ă©tait seulement
apprentissage, comment expliquer lâĂ©volution sociale-historique? Pour Castoriadis,
« lâapprentissage ne concerne que les fonctions de lâhumain comme "pur animal" â prĂ©hension,
station debout et marche, etc. â pour autant quâil soit lĂ©gitime de les sĂ©parer abstractivement du
reste » (Castoriadis, 1997, p. 34). Ă partir de cette dĂ©monstration, câest une simple dĂ©duction
logique que dâaffirmer que lâhomme est qualitativement distinct de lâanimal â de par le monde
social-historique quâil institue â dâoĂč la pertinence de lâinterdit de Wiener quant Ă lâapplication
des concepts cybernĂ©tiques Ă lâhomme. Cette question nous dĂ©montre lâampleur de lâerreur de
Bateson quant au fait humain, tout comme elle explique la difficultĂ© de penser le politique Ă
partir de son modĂšle. Ainsi, Castoriadis a doublement raison lorsquâil affirme :
Lâimportant et lâĂ©tonnant chez lâhomme nâest pas tant quâil apprend, mais prĂ©cisĂ©ment quâil nâapprend pas. Il fait et refait les mĂȘmes absurditĂ©s, tombe et retombe dans les mĂȘmes amours malheureuses, querelles ou Ă©checs professionnels sans rien apprendre du tout (Castoriadis, 2002, p. 95, citĂ© dans Lafontaine, 2004, p. 80).
3.2 Une sociĂ©tĂ© autonome â Penser la politique
Dans sa vie, Castoriadis sâest fait un devoir dâincarner cet idĂ©al dâautonomie. Ainsi, il a pensĂ© Ă
lâencontre de la plupart des « institutions » de son Ă©poque : Lacan, Althusser, Sartre, Foucault,
Barthes, Deleuze et mĂȘme, mourant, Bernard-Henri LĂ©vy. Ă cette liste, nous pouvons dĂ©jĂ
ajouter le nom de Bateson, et bientĂŽt celui de Francisco Varela, dans une moindre mesure. Ce
faisant, Castoriadis a mis de lâavant un projet social et politique original et consĂ©quent Ă travers
lequel il est possible dâapprĂ©hender le « pour soi » dâune sociĂ©tĂ© qui rĂ©flĂ©chit sur elle-mĂȘme.
Une société autonome ne peut pas non plus se concevoir en complÚte continuité avec Marx.
Dâune part, Castoriadis sâoppose Ă sa conception dĂ©terministe et tĂ©lĂ©ologique de lâhistoire :
Lâhistoire nâa pas plus de sens ou nâest pas plus de sens que le champ gravitationnel ne pĂšse quatorze kilos. Câest dans le champ gravitationnel que quelque chose peut peser quatorze kilos. De mĂȘme, lâhistoire est le champ dans
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lequel le sens Ă©merge, est crĂ©Ă© par les humains. Et il est absurde, linguistiquement absurde, dâessayer de trouver un sens au champ dans et par lequel Ă©merge le sens (Castoriadis, 2005, p. 94).
Dâautre part, il sâoppose Ă la rĂ©volution des Ă©pigones de Marx : la bureaucratie stalinienne ne fait
que fixer le social-historique, elle nâest pas du tout rĂ©volutionnaire : « rĂ©volution ne signifie pas
des massacres, des riviĂšres de sang, lâextermination des Chouans ou la prise du palais dâhiver »
(Castoriadis, 2005, p. 18). Durant un moment, Castoriadis se range donc derriĂšre les trotskystes :
câest lâidĂ©al de la rĂ©volution permanente. Mais bien quâil demeure fidĂšle Ă cet idĂ©al
révolutionnaire, il abandonne bientÎt le mouvement. Trop de parti, trop de structures qui nuisent
Ă lâexercice de lâautonomie :
Lâexpression socialisme dâĂtat Ă©quivaut aux expressions cercle carrĂ©, solide Ă une seule dimension, etc. Elle nâa quâune fonction idĂ©ologique, faire oublier que le rĂ©gime russe et les autres rĂ©gimes similaires nâont rien Ă voir avec le socialisme (Castoriadis, 2005, p. 131).
La révolution demeure toutefois le véritable projet. Toujours dépasser le marxisme sur sa
gauche : faire la révolution de la révolution. En ce sens, le projet de Castoriadis est plus proche
de lâavant-garde situationniste ou encore du luxembourgisme. Chez Marx, la rĂ©volution est
surtout une question dâĂ©volution. Jusquâau grand jour, elle sâĂ©coule tranquillement dans sa
marche implacable et rythmĂ©e. Castoriadis lui oppose une conception de lâhistoire et de la
rĂ©volution rĂ©ductible Ă lâimaginaire radical. Lâaffixe â rĂȘve â de rĂ©volution signifie sa dimension
imaginaire tandis le suffixe â tion â renvoie autant au rĂ©sultat quâau processus, tout comme
lorsque Castoriadis emploie « institution ». Quant Ă une hypothĂ©tique fin de lâhistoire, Ă©trange
idée déjà présente chez Marx et si caractéristique de la théorie postmoderne, Castoriadis écrit :
« Il nây a pas et il nây aura jamais dâĂ©tat dĂ©finitif de la sociĂ©tĂ©. Lâencre avait Ă peine sĂ©chĂ© sur les
textes de Fukuyama que leur idiotie Ă©tait bruyamment dĂ©montrĂ©e par lâhistoire (Castoriadis,
2005, p. 20).
Sa conception particuliĂšre de la mort est susceptible dâĂ©clairer le projet dâautonomie. Pour lui, la
mort est un événement éminemment politique :
Toute vraie politique, en tant quâelle vise lâinstitution de la sociĂ©tĂ©, est aussi une politique de la mort [âŠ] une sociĂ©tĂ© autonome ne pourra ĂȘtre rĂ©alisĂ©e que lorsque
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les humains seront capables dâaffronter jusquâau bout et sans fĂ©tiches leur mortalitĂ© (Castoriadis, 2002, p. 146).
Vaincre sa peur sans jamais tomber dans les fĂ©tiches peut sembler difficile. Câest Ă la mesure du
projet dâautonomie et de lâexigence de sâabstraire du social-historique. En dĂ©finitive, câest dans
le narcissisme, dans un retour Ă soi, que rĂ©side le projet dâautonomie. La mort peut sâavĂ©rer le
moment du choix : mourir pour conserver lâimage de soi et chĂ©rir le projet dâautonomie
politique, ou alors vivre dans un monde oĂč le « moi » nâa aucune dimension transcendante,
aucun sens? Pour Castoriadis, lâexemple de Socrate est signifiant; il vaut mieux mourir que de
vivre Ă lâextĂ©rieur du projet de lâautonomie :
Câest pour cela que Socrate accepte de mourir â et câest pour cela quâen mourant il se sauve aussi. Il se sauve pour lui-mĂȘme; il sauve son image, triomphant retour de lâauto-finalitĂ© dans la disparition de son "sujet". Mais il sauve aussi quelque chose pour nous ; affirmation Ă©galement triomphante de la sublimation, racine et condition continuĂ©e de la vie historique nourrie par tant de morts volontaires (Castoriadis, 1990a, p. 225).
Encore une fois, on ne saurait trouver de vision plus antagonique que celle mise de lâavant par
Bateson et la philosophie bouddhiste pour qui la mort est une question que lâon refuse de se
poser, une chimĂšre. La mort nâest quâun mouvement dans lâesprit.
3.3 Castoriadis et la seconde cybernĂ©tique de Francisco Varela â Penser le vivant
Câest dans sa conception du vivant que Castoriadis flirte avec la seconde cybernĂ©tique, aussi
appelée « cybernétique de la cybernétique ».7 En effet, il conçoit le « pour soi » de toute entité
vivante comme limité par différents facteurs : sa perception, sa biologie, ses capacités de
computation, etc. Il conçoit le vivant avec le concept de clÎture du biologiste chilien Francisco
Varela (1989) qui implique une façon de penser le vivant en tant que tel, comme domaine
autonome, Ă lâextĂ©rieur de toutes relations (Castoriadis, 2004, p. 98-99). La clĂŽture apparaĂźt
clairement en opposition au monisme de Bateson â au « tout est dans tout ». Pour Castoriadis,
7 Il est intĂ©ressant de considĂ©rer ce passage dâune cybernĂ©tique Ă lâautre comme une forme de rĂ©alisation autopoiĂštique. Le principe de feedback existe dĂ©jĂ ; il est potentiellement applicable Ă soi et ce mouvement est similaire Ă ce que pourrait ĂȘtre un « pour soi » de la cybernĂ©tique actualisĂ©e.
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« le psyché est dans le psyché et le vivant est dans le vivant », tout simplement (Castoriadis,
1990b, p. 121).
La cybernétique de second ordre est surtout associée à la biologie de Varela et de Maturana. Le
principe central de leur pensĂ©e est lâautopoiĂšse, câest-Ă -dire le principe cybernĂ©tique de feedback
appliquĂ© dâun vivant Ă lui-mĂȘme, un feedback auto-rĂ©fĂ©rentiel (au lieu dâun feedback hĂ©tĂ©ro-
rĂ©fĂ©rentiel). Câest en fait le passage dâune cybernĂ©tique du contrĂŽle de lâautre Ă une cybernĂ©tique
du libre, de la crĂ©ation de soi. Est-ce donc dâun nouveau sujet cybernĂ©tique dont il est question,
capable de rĂ©flexivitĂ© et animĂ© dâune vie intĂ©rieure? Non. L'Ă©pistĂ©mologie de Varela est
construite à partir du concept bouddhiste8 de sunyata qui signifie « absence de soi » ou encore
« absence de fondement absolu » (Duquaire, 2003, p. 20). Chez Castoriadis, le sujet a un fond
psychanalytique : câest lâinstance magmatique9.
Aussi, une différence capitale existe dans leur conception du vivant. Castoriadis est tenant de la
thĂšse dâAdolf Portmann selon laquelle lâhomme est qualitativement distinct de lâanimal
(Portmann, 1990). Pour Portmann, la vivant nâest pas le rĂ©sultat du hasard ou encore de
lâadaptation. Le vivant, dans sa dimension biologique visible, est dĂ©jĂ le rĂ©sultat dâun principe
quâil contient. Le biologique possĂšde une « imagination Ă©lĂ©mentaire » qui organise sa formation,
si bien que la forme visible est déjà le résultat de son autoreprésentation, est image de
(Castoriadis, 1997, p. 260-261). En dâautres termes, lâapparence extĂ©rieure, la forme, est
manifestation, reprĂ©sentation de lâintĂ©rioritĂ© et lui donne accĂšs. Selon Portmann, câest pourquoi
les apparences du vivant sont si variées, alors que les organes internes se ressemblent davantage.
Cette relation dâimage entre lâintĂ©rieur et lâextĂ©rieur suppose lâĂ©tablissement dâun monde
propre puisquâil nây a pas dâimage « atomique », sans mise en relation (Castoriadis, 1997,
p. 260). Donc, chaque organisme vivant est dans le mode dâĂȘtre social-historique. Ăvidemment,
apprĂ©hender le vivant via son apparence extĂ©rieure est incompatible avec lâesprit batesonien, qui
ne suppose pas ces catégories intérieur/extérieur.
8 Ă lâinstar de Bateson qui sây est grandement intĂ©ressĂ©, Varela pratiquait activement le bouddhisme. 9 Castoriadis emploie lâexpression Sans-Fond pour signifier les retranchements psychanalytiques du sujet. Ce Sans-Fond rencontre toutefois un fond, il est circonscrit Ă la psychĂ© du sujet. Ce Sans-Fond est fondamentalement diffĂ©rent du sans fond de Varela qui, Ă lâinstar du concept dâesprit chez Bateson, dĂ©passe mĂȘme les limites de la matiĂšre. En un sens, la notion de clĂŽture est donc beaucoup plus Ă©tanche chez Castoriadis que chez son instigateur.
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Chez Castoriadis, le Sans-Fond dâoĂč jaillit lâimaginaire est « co-biologique » mais il est plus
juste de dire que lâimaginaire dĂ©termine le biologique que lâinverse. Chaque organisme est bien
davantage que le social-historique. Sur les débris du monde ancien institué, du préexistant, il
actualise des nouveaux mondes, des cosmos, des lieux autres. Chez Varela, lâĂ©naction vise
prĂ©cisĂ©ment Ă prendre conscience, Ă travers la mĂ©ditation, du vide, de lâabsence de cause
premiĂšre : il nây a pas dâunivers objectif prĂ©cĂ©dent lâexistence dâun sujet, ni de sujet prĂ©cĂ©dent
lâexistence dâun univers objectif10. En dâautres mots, il nây a pas dâontologie Ă©mergeant avec le
vivant (Duquaire, 2003). Le biologique demeure la rĂ©alitĂ© premiĂšre de la vie spirituelle et nâest
en aucun cas lâauto-reprĂ©sentation active de son Sans-Fond. Cette diffĂ©rence est illustrĂ©e par la
question du langage. Chez Castoriadis, le langage est ce qui diffĂ©rencie lâhomme de lâanimal,
radicalement; câest aussi ce qui prouve lâexistence de lâimaginaire radical humain, crĂ©ation ex
nihilo, sans aucune stimulation extĂ©rieure (Castoriadis, 1990b, p. 123). Chez Varela, câest
exactement lâinverse : « le langage nâest pas a priori, il rĂ©sulte dâun couplage structurel entre
lâhomme et son environnement » (Duquaire, 2003, p. 16). Lâanimal ne parle pas car ses rapports
avec le monde extérieur ne sont pas assez riches et demeurent limités par le biologique. Donc,
lâanimal nâest pas qualitativement diffĂ©rent de lâhomme, autre position proche du bouddhisme,
oĂč lâon considĂšre que lâhomme est susceptible de se rĂ©incarner en animal. Pire encore, Ă lâheure
oĂč la technoscience a les moyens de transformer radicalement le vivant, cette conception, en
refusant de considĂ©rer une diffĂ©rence qualitative entre lâhomme et lâanimal, ouvre la boĂźte de
Pandore des transformations gĂ©nĂ©tiques artificielles appliquĂ©es Ă lâhomme. Si on ne considĂšre
pas une différence de statut, il faut bien admettre que le clonage de Dolly est aussi éthique que
celui de nâimporte lequel des « humains », si la notion recouvre encore un quelconque sens.
Cette question illustre aussi la puissance performative de la cybernétique : ses concepts
fondamentaux permettant le dĂ©veloppement des techniques dont lâapplication est par la suite
garantie par ces mĂȘmes concepts.
Quoiquâil en soit, Ă la lecture des entretiens entre Castoriadis et Varela, leur bonne entente est
manifeste, tout comme une certaine parenté conceptuelle et politique, ne serait-ce que dans cet
idĂ©al autonomiste et cet intĂ©rĂȘt pour les relations corps/esprit (Castoriadis, 2004, p. 97-120).
10 Pour Castoriadis, la mĂ©ditation au sens oriental du terme nâa aucun sens. Reprenant Husserl et Sartre, il fait sien le principe selon lequel « Toute conscience est toujours conscience de quelque chose ».
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Varela et Castoriadis sâopposent tous deux Ă une conception du vivant hĂ©ritĂ© de lâanalogie, ou
pire, de lâontologie avec lâordinateur. Varela dĂ©veloppe son concept dâautopoiĂšse en rĂ©action au
modÚle dominant du vivant hérité de la premiÚre cybernétique. Au vivant qui capte de
lâinformation, il oppose le vivant qui « fait » lâinformation Ă partir de son existence propre et
circonscrite (Castoriadis, 2004, p. 102).
Leur Ă©change porte ensuite de la possibilitĂ© quâun ordinateur puisse avoir un « pour soi » :
Y aura-t-il un jour un ordinateur suffisamment passionnĂ©, de lui-mĂȘme et sans instructions, par la question de lâinfinitĂ© des nombres premiers ou par la dĂ©monstration du fameux thĂ©orĂšme de Fermat pour entreprendre une recherche lĂ -dessus? (Castoriadis, 2004, p. 105).
Ils envisagent alors la construction dâun nouveau type dâordinateur non-computationnel, non-
logique, non-hĂ©ritĂ© de lâarchitecture de Von Neumann. Ils sâentendent pour dire quâun tel
ordinateur est susceptible de simuler la création humaine et de réussir le test de Turing11. Mais
pour Castoriadis, les mathĂ©matiques procĂšdent dĂ©jĂ de lâensembliste-identitaire, câest le propre
dâun certain cosmos humain instituĂ©. Les mathĂ©matiques non-probabilistes â Ă partir desquelles
un ordinateur de ce type serait construit â sont nĂ©anmoins des mathĂ©matiques et la simulation
quâelles peuvent produire nâest que simulation. Varela est plutĂŽt dâavis que la nouvelle
mathématique non-linéaire permet de faire émerger un cosmos propre, de passer outre
lâensembliste-identitaire (Castoriadis, 2004).
Leur dialogue sâachĂšve sur le politique. Castoriadis dĂ©taille son projet dâautonomie et explique
comment celui-ci fait sens en regard de cette thĂ©orie du vivant. Varela est dâaccord, mais affirme
quâil ne prend pas la question sous cet angle. En bon sujet multiple, il prĂ©fĂšre distinguer son
activité scientifique de son agir citoyen. Il se montre aussi beaucoup plus prudent quant aux
implications politiques de sa pensĂ©e, ce qui nâest pas sans Ă©voquer lâattitude de⊠Gregory
Bateson.
11 Le test de Turing est une Ă©preuve dâimitation qui consiste en une conversation textuelle entre un homme et une machine oĂč la machine doit rĂ©ussir Ă imiter un humain aux yeux dâun humain.
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4. Conclusion : Repenser la communication avec Castoriadis
La question du sujet sâest polarisĂ©e autour de quelques catĂ©gories stĂ©riles : « modernitĂ© » vs.
« postmodernité », « libre arbitre » vs. « déterminisme », « essentialisme » vs.
« constructivisme ». Ce type dâalternative exagĂšre lâopposition rĂ©elle de ces positions et
contribue Ă clore la question du sujet davantage quâĂ lâouvrir. Ă mon sens, la philosophie de
Cornelius Castoriadis transcende ces catégories. Son parcours parsemé de controverses témoigne
dâune pensĂ©e autonome, vivante et critique. Elle est critique car elle pose le sujet comme a priori
absolu au monde social-historique, quâil peut et surtout quâil doit constamment reconstruire. Elle
est aussi critique au sens de lâexpression mĂ©dicale « Ă©tat critique ». Alors que les philosophes
annonçaient la fin (la mort) de la philosophie, câest Castoriadis qui lui a insufflĂ© un peu de vie
(Descombes, 1989). Tandis que le marxisme achĂšve de se retirer de lâexpĂ©rience politique vĂ©cue,
Castoriadis appelle Ă une sauvegarde ontologique de lâidĂ©al rĂ©volutionnaire (Honneth, 1989).
Les sciences de la communication contemporaines ont une dette immense envers le paradigme
cybernĂ©tique/informationnel sur lequel repose lâessentiel de ses prĂ©misses Ă©pistĂ©mologiques. Les
conceptions de la subjectivitĂ© hĂ©ritĂ©es de ce paradigme rendent difficile lâarticulation dâun projet
social et politique dans la mesure oĂč le social et le sujet sont irrĂ©ductibles lâun Ă lâautre. Ce
faisant, câest la fonction critique de la discipline qui disparaĂźt. Les modĂšles actuels peuvent
sembler satisfaisants sur le plan heuristique, mais certains de ces concepts fondamentaux ne
rĂ©sistent pas Ă une remise en question Ă©pistĂ©mologique. Ă ce titre, il est prometteur dâinclure
lâĆuvre de Cornelius Castoriadis au sein dâun corpus renouvelĂ©. Sans abandonner complĂštement
les modĂšles existants, il serait intĂ©ressant dâen rĂ©nover les fondations en replaçant le sujet en leur
centre. Bien sĂ»r, il sâagit dâune forme dâa priori mĂ©taphysique, « dâune cosmologie du sujet sur
laquelle il nâest plus possible de discuter avec des arguments » (Honneth, 1989, p. 207). Encore
que pour quâun argument existe, il faut bien quâun sujet Ă©nonçant cet argument prĂ©existe. Ce
nâest toutefois pas tant la vĂ©ritĂ© mĂ©taphysique de lâexistence du sujet qui importe que la nĂ©cessitĂ©
normative de penser le sujet. Câest seulement ainsi que les sciences de la communication
arriveront Ă formuler un vĂ©ritable projet social et politique et Ă transcender lâinstrumentalisation
heuristique de ses concepts pour devenir une science critique.
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Remerciements
Outre les lecteurs anonymes, jâaimerais remercier tout particuliĂšrement Chantal Benoit-BarnĂ©
pour ses précieux commentaires sur une version précédente de ce texte, ainsi que Céline
Lafontaine dont le séminaire et le livre ont significativement contribué à ma réflexion.
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Notice biographique : Dominique Trudel termine prĂ©sentement une maĂźtrise en sciences de la communication Ă lâUniversitĂ© de MontrĂ©al. Son mĂ©moire aborde la dĂ©licate question de lâespace public contemporain, considĂ©rĂ©e Ă travers la matrice du concept de contre-public/contre-publicitĂ© et du cas du groupe dâaction directe Reclaim the Streets. Dans le cadre de ses diffĂ©rents projets, lâauteur sâintĂ©resse particuliĂšrement aux questions dâĂ©pistĂ©mologie et de philosophie de la communication ainsi quâaux thĂ©ories critiques.