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LA LANGUE COMME EXPÉRIENCE

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Page 1: La langue comme expérience

l a l a n g u e c o m m e e x p é r i e n c e

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Ecole nationale supérieure d’arts Paris-CergyDNSEP 2012

la langue comme expérience

Violaine lochu

sous la direction de Federico nicolao

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« Elargir l’art ?Non prends plutôt l’art avec toi pour aller dans la voie qui est plus étroitement la tienne. Et dégage-toi.»

Paul Celan

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Ce mémoire est constitué de cinq parties. Chacune d’entre elles regroupe une/des partitions de performances. Ce sont des textes que j’ai écrits et que j’ai ensuite performés/joués. Chaque partition est accompagnée de notes qui sont souvent des réflexions autour de la pièce. Cependant la difficulté à réaliser ce mémoire ne se situe pas tellement ici. Il y a toute une partie invisible et souterraine que tu ne pourras lire car je ne l’ai pas écrite. Tu ne devineras que sans doute peu le travail de chercheur, de lecteur, d’écriv(eur) qui m’a tant nourrie. Ces 8 derniers mois ont foisonné de tentatives pour décortiquer ce que je fais, saisir les ficelles du nœud de ma pratique. Essayer de la comprendre, la démêler, de l’ouvrir au monde et de la confronter à un domaine particulier. Et puis à chaque essai, la tâche s’agrandissait. Le sujet, ou plutôt les sujets, que mon travail aborde, passaient leur temps à m’échapper. Chacun d’entre eux était si vaste, soulevait à lui seul tant de questions, tant de problèmes… Je me sentais à la fois dépassée par l’étendue de la tâche et à la fois si excitée d’en faire l’expérience. L’une des difficultés majeures était celle d’écrire. Là où mon travail avait su aborder les choses avec simplicité instinctive, mon écriture se faisait compliquée et incontrôlée. Elle était souvent en crise, débordait de tous les côtés, s’emballait d’enthousiasme angoissé. Elle s’étouffait, s’avalait elle-même et en cela se faisait l’écho d’une difficulté à dire et à respirer qui me préoccupe artistiquement.

introduction

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Comment écrire, situer ma pratique dans un espace plus large ? Comment trouver ma voix au milieu d’une discussion depuis longtemps amorcée ? Comment te décrire tout ce fertile fatras d’interrogations mentales ? Comment être sûre que ce que je te décrirai ne changera pas encore ? Et puis au fond, pourquoi fixer l’insaisissable ? Pour cela, pour problématiser mon travail, j’ai d’abord tenté d’adopter une méthode rigoureuse et scientifique, à l’universitaire. J’ai essayé d’isoler, d’organiser, de dépiécer ce bazar. Mais cette autre manière d’aborder les choses, de les connaître m’était éloignée. Je ne me sentais pas à ma place, comme contrainte à un mode d’écriture académique qui ne me convenait pas. Ce moi, ou plutôt cet autre universitaire, n’était pas assez solide et libre pour répondre à mes difficultés.

Bon voilà, je le confie, je le dis, je pose le problème (ou plutôt les centaines de problèmes). Je t’expose les sujets que j’ai croisés et tu te rendras compte par toi-même de la complexité :

Bref le langage, la parole, la langue, l’identité, le territoire, la nationalité. Chacun de ces sujets en contient des milliers en lui-même. Chacun d’eux a fait tant d’adeptes et de morts que rien que leur nomination nous effraie. Et puis moi, j’arrive, je me mets à lire, des dizaines d’ouvrages, j’espère pouvoir dire quelque chose, encore. J’espère trouver ma place, comprendre où je me situe, trouver ma voix, mon cri. Finalement, j’ose à peine chuchoter. Je marche sur la pointe des pieds, sur des œufs prêts à exploser. Je

langue maternelle, langue vernaculaire, langue d’origine, langue interdite, langue étrangère, langue exotique, langue minoritaire, langue adoptée, langue sociale, langue pensée, langue balbutiante, langue chantée, langue organe, langue intime, langue incommunicable, langue majoritaire, langue dialectale, langue imaginaire, langue identitaire, langue nationale, langue natale, langue amante, langue morte, langue mythique, langue véhiculaire, langue intersistes, langue limite, langue bégayante...

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rêve d’eux la nuit, Saussure, Deleuze, Derrida, Bailly, Lacoue-Labarthe, Amery... L’ignorance ingénue de ces premiers pas a été ma force ces derniers mois. Comme K. dans Le château, ne sachant rien, j’ose demander l’impossible :

J’y ai dédié beaucoup de temps. Les choses me résistant j’ai même tenté de défoncer les murs. Je courais à perdre haleine vers un horizon toujours plus lointain. Je prenais sans doute du plaisir dans le défi, je jouissais de pousser plus loin les limites. Je montais encore et encore vers le sommet qui n’en finissait pas de se dérober. Je me rassurais à transpirer, à endurer. Cette énergie incontrôlée c’est la même dont j’use pour réaliser mes pièces. Je joue avec les prouesses, m’angoisse de les dépasser. C’est ainsi que j’ai voulu parler l’anglais comme un américain (Jeff Perkins) en 10 jours, ainsi que j’ai voulu monter toute une théorie sur une Vierge de l’humilité du quatrocento italien en faisant l’économie de son contexte3 , ainsi que j’aurais voulu prendre position sur la question de la langue... Mais voilà à un moment donné, je m’épuise, et la tempête arrive. Je suffoque, je dois m’arrêter avec toutes les difficultés que cela comporte. Je me replie, marmonne dans mon coin et pleure d’impatience. Et puis je m’endors d’un sommeil

« Je suis sans doute ignorant, en tous cas la vérité demeure et c’est triste pour moi, mais cela a tout de même aussi l’avantage que l’ignorant a plus d’audace ; c’est pourquoi j’ai envie d’assumer encore un moment d’ignorance et ses conséquences fâcheuses, tant que mes forces y suffiront2. »

2 Kafka, Le château, Paris, Flammarion, 1984, p 83

3 La Vierge de l’humilité en question a été réalisé vers 1423 par Gentile da Fabriano. Elle a ceci de particulier que des calligraphies arabes sont inscrites dans son auréole. On peut y lire le shahada : « la ilaha illa allah » « il n’y a pas de Dieu que Allah » c’est-à-dire la profession de foi musulmane. Ceci m’a dans un premier temps surprise (bien que les échanges commerciaux et culturels féconds entre Florence et l’Egypte, expliquent que des artistes aient pu facilement recopier, s’influencer de calligraphies kufiques à partir de miniatures, tissus…). Puis m’a ensuite fascinée, j’y voyais l’écho à tant de problématiques liées à mon travail ; l’attrait vers la beauté de l’étranger, son prélévement puis sa mise en situation dans un autre contexte, sa porosité constante vers un ailleurs, son ado(a)ption…

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profond, d’oubli, comme apaisée par l’endorphine cérébrale. Le réveil est long et difficile mais vous êtes là. Vous me dites qu’il ne faut pas être déçue :

Et puis, au final j’y ai gagné à ma manière, je le verrai avec le temps. A la base, tu me le rappelles, je ne suis pas écrivain, je suis artiste (vraiment?). Toute cette aventure de lecture et d’effort d’écriture nourriront la suite. La difficulté n’est pas une sanction. Maintenant, après avoir fait l’état des territoires traversés, je peux rouvrir les portes.

En chant, j’ai vécu le même type d’expérience. J’ai voulu chanter comme les femmes des Pouilles, cette voix si puissante du sud de l’Italie. Je suis allée là bas, j’en ai rencontrées et j’ai ingurgité. En imitant sans connaissance la beauté de leur timbre je me suis retrouvée aphone. C’est souvent la pire des choses que d’être muet... Je suis revenue en France et j’ai cherché à comprendre. Professeur de chant, orthophoniste, phoniatre, tous étaient d’accord. En chœur ils me le disaient : « respire!». Maintenant, J’essaie de trouver une position d’ancrage pour pouvoir respirer. Faire en sorte que mon souffle devienne ma voix sans douleur. Chercher les résonnances au plus profond de soi. Revenir à la base de la matière charnelle, se masturber vocalement. Respirer, émettre. Tout simplement. Sans épuisement.

« Vous êtes si jeune, si neuf devant les choses, que je voudrais vous prier, autant que je sais le faire, d’être patient en face de tout ce qui n’est pas résolu dans votre cœur. Efforcez vous d’aimer vos questions elles mêmes, chacune comme une pièce qui vous est fermée, comme un livre écrit dans une langue étrangère (…) Ne vivez pour l’instant que dans vos questions. Peut être simplement en les vivant, finirez vous par entrer, insensiblement, un jour, dans les réponses4.»

4 Rainer Maria Rilke, Lettres à un jeune poète, in Œuvre I prose, Paris, Le seuil, 1966, p26

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Ce retour aux bases, aux sources, ce début de descente, cette recherche d’ancrage et de position a eu lieu dans ma recherche d’écriture du mémoire. C’est vrai, je te l’avoue, je ne suis pas toujours satisfaite du résultat que tu as entre les mains, et puis qui l’est entre nous? On est souvent énervés à l’idée qu’on ne pourra pas dire exactement ce que l’on voudrait, frustrés de ne pas raconter toutes les beautés que l’on a croisées. Je suis un peu inquiète parce que tu te diras peut être : Quel manque de recul ! Quelle fumisterie ! Quel romantisme à deux balles ! Quelle envolée lyrique ! Et puis merde, je m’en fous au final. Je pense que tu peux comprendre, que quiquonque a recherché, a fait l’effort d’aller au bout saura être indulgent à mon égard (ce n’est pas non plus ça que je demande, entendons nous bien).

Bref cette aventure du « mémoire » sans être encore effective en soi, n’ayant pas donné le résultat auquel je m’attendais, m’a cependant accompagnée ces huit derniers mois. Je n’ai pas encore le recul nécessaire pour te dire ce qui adviendra par la suite. Ce que je peux te dire c’est qu’elle m’a pris beaucoup d’énergie. Je n’ai pas autant produit que d’habitude. Je me suis souvent sentie comme un citron pressé auquel on demandait encore du jus. En faisant cet effort de déconstruction et de recentrage, je ne pouvais plus vraiment être dans le surajout. Je cherchais une position non dans l’excitation de l’envol, mais une position terrestre qui me permette de tenir debout, d’être suffisamment charpentée pour affronter tous les vents. Je ne le suis toujours pas, occupée à prendre soin de mon principal défaut : celui de courir à en perdre haleine vers des destinées difficiles d’accès. Principal défaut qui est aussi une qualité. Mais j’essaye de ne plus le subir, de savoir qu’il est là, d’être à l’aise avec. C’est comme les chanteurs qui font de leur défaut vocal leur empreinte personnelle. Cette aventure-mémoire a aussi et surtout apporté de la matière à ma pratique, parfois de la clarification par les mots. Elle m’a permis en me confrontant à d’autres voix, de me situer et d’assumer d’autant plus mes balbutiements interlinguistiques...

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Stranieri ovunquelangue italiannique

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1 - Stranieri ovunque....................................................13

2 - notes.........................................................................29 Les textes de Claire Fontaine.....................................30 Réflexions sur la langue italiannique.........................32 Notes sur l’interlangue..............................................34 Inspiration.................................................................35 Partition de Tu Bella/Toi Belle...................................36

table deS matièreS

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Sous l’invitation de la fondation Kadist à réaliser un travail à partir des œuvres de sa collection, j’ai décidé de faire une conférence sur l’une d’entre elles : Stranieri ovunque du collectif Claire Fontaine.

1 - Stranieri ovunque(Performance, environ 20 min, réalisée à la fondation Kadist, le 26/01/11)

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Gris

Vert

Orange

Rouge

Bleu

néologismes ou barbarismes, invention de nouveaux mots italianiques.Exemple : parlar qui vient de parlare à la place de parler.

traduction littérale d’expressions italiennes.Exemple : ça se retrouve de front qui vient de ci si ritrova di

fronte à la place de on se trouve face à.

emprunt des mots ou expressions italiennes employés tels quels, auxquels la langue française attribue un sens qui n’est forcement celui de la langue italienne.Exemple : le terme opera sera utilisé selon son sens italien

originel (œuvre) et non pas selon le sens strict de

l’italianisme français (qui désigne un genre de récital

hanté ou le lieu où il est représenté).

accentuation italienne de termes français. Exemple : société (avec accent sur le é final) qui vient de

sociétà.

ajouts de petites locutions propres à la langue italienne.Exemple : les ses relations vient de le sue relazione.

conSigneS de lecture

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Bonjour à toutes et à tous,

Je vais essayer aujourd’hui d’exposer les grands traits de la pensée de l’artiste collective Claire Fontaine afin de mieux saisir les enjeux de l’œuvre Stranieri ovunque acquise par la fondation Kadist. Cette dernière, réalisée en 2005, se présente sous la forme d’une phrase écrite au néon qui mesure 100cm de longueur, 10 de largeur et 4,5 d’épaisseur. Les mots « stranieri ovunque » sont écrits en majuscule dans une police relativement classique. Cette œuvre appartient à une série déclinant les termes « étrangers partout » en plusieurs langues.

Qu’est ce que signifie faire de l’art aujourd’hui ? Y-a-t-il encore un sens à penser produire des formes nouvelles ? Quelles relations l’artiste entretient-il avec les formes de pouvoir ? Telles sont, entre autres, les grandes questions auxquelles s’attaque Claire Fontaine. Nous rappellerons dans un premier temps qui est Claire Fontaine et les raisons de sa fondation. Après avoir présenté le concept propre à l’artiste collective, à savoir « l’artiste ready made », nous verrons en quoi Stranieri ovunque est une œuvre emblématique de la pratique de Claire Fontaine. Pour cela je m’appuierai sur les textes écrits par l’artiste collective, tels que : Artistes ready made et grève humaine. Quelques prècisions, Document à l’usage de France 3 et Note biographique ainsi que sur une interview réalisée par John Kelsey. Tous ces documents sont disponibles sur son site1 .

Claire Fontaine est une artiste collective formée en 2004, vivant à Paris et qui tire son nom d’une marque populaire de cahiers scolastiques. Le fait de se déclarer « artiste collective » crée une ambigüité notevole, qui lui permet de ne pas rentrer dans les catégories connues tels que « collectif d’artiste » ou « mouvement ». L’idée de se définir en tant que telle provient entre autre du fait qu’aujourd’hui il est impossible de se penser autosuffichient ; l’artiste a toujours besoin d’autres personnes qui subalpatanent la sous-traitance de certains aspects de la pièce, l’organisation des évènements ou encore les rapports à l’argent. De plus, selon elle/

1 http://www.clairefontaine.ws/index.html

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eux, le lavore manuel ne peut être séparé du travail intellectuel, l’un ne prévaut pas sur l’autre. Pour ce motif, elle/ils insiste(nt) sur le fait que Claire Fontaine n’est composée que « d’assistants », son centre de direction demeurant vide. Il est plus judicieux de mettre sous un pseudonyme le travail collectif de Claire Fontaine ; la pratique artistique personnelle des membres étant différente les uns des autres tant sur le piane qualitatif que quantitatif.

La sensation d’impotence politique, d’une manquanse de liberté professionnelle et personnelle et d’une débolesse à résister au système sont les éléments qui ont scaténé la naissance de Claire Fontaine. Cette dernière est alors pensée comme un espace d’immédiateté dans lequel on arrêterait de quiaquérer et « d’évaluer le pour et le contre » pour agir directement. Les modes d’actions sont pensés autour d’un langage formel condivisé et avec comme objectif de pratiquer, de communiquer, de sodisfare des besoins simples.

Bien que naissant d’un certain rifiute du fonctionnement de notre société, que l’on peut avertir dans des propos tels que « Nous nous scontrons tous les jours contre l’inferne de la pauvreté, contre la brutalité de l’espace quadrillé des sbires, les policiotés, les vigiles privatés de toute espèce. (…) Nous sommes dévastés par la violence des corps-fattes-merci qui sont l’autre face des corps sans documents expulsés et des corps prigionniers ammaquiés dans l’unique patumière de la société française où la récolte différenciée n’est pas obligatoire2.». Claire fontaine ne se revendique pas comme pratiquant un art révolutionnaire, ou encore comme étant exemplaire. Elle se dit elle-même « inquinitée » par le système « Nos corps sont les ricétacoles d’idées collectives et de problèmes politiques qui nous traversent3.». Elle a pleinement conscience de ne pas être virgine, de faire partie d’une société, d’une organisation sociale. Elle ne cherche donc pas à s’astrare d’un fonctionnement, mais plutôt d’avoir constatemment en tête sa propre contradiction. Elle affirme à ce propos: «Je ne suis pas sicure que la tentative de se tirer à l’extérieur des contradictions au

2 Claire Fontaine, Document à l’usage de France 3, op.cit. 3 ibidem

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moyen d’une position de vérginité donne ses fruits. Claire Fontaine ne croit pas, à l’exemplarité et aux relations politiques et sociales qui en dérivent4.». L’art n’aurait pas une mission révolutionnaire, ne chercherait pas à interromper l’ordine des choses. La pratique artistique serait plutôt pensée comme un moyen d’expression d’éléments qui seraient autrement affogatés et englobés du flux du monde. L’art aurait en prime de tout un rôle d’accompagnateur d’une manifestation humaine plus globale : «l’art est une manière de rester svégliés jusqu’à ce que ces moments se produisent. Nous les accompagnons là où ils se manifestent, nous n’avons pas l’ambitsion de les produire5.».

Une telle conception du ruole de l’art et de l’artiste ne peut condurer Claire Fontaine qu’à être sceptique aux confrons du monde de l’art contemporain qui le circonde. Seconde elle, le monde de l’art, tout comme le reste de la nostre société, serait costitué de subjectivités standardisées. En effet les artistes vivant seconde les mêmes critères en seraient arrivés se somiglier tous. Cela dériverait en partie du fait qu’il n’existerait plus ni moments ni luogues pour coltiver sa propre exception. Les « laboratoires de subjectivité » tels que les grandes métropoles occidentales ou les maisons occupées seraient de toutes parts contrôlés et répréssés de tous points de vue par le potère en charge. L’artiste croisserait alors dans une ambiance définie, il appartiendrait à « cette masse de gens productrice/consommatrice qui se spotent d’inauguration en inauguration dans les grandes capitales, de résidence en résidence, de fiera en biennales6.». Formatatés par les scuoles d’art, les mercates, les galerie, la stampe, les artistes auraient les mêmes goustes, les mêmes vestitement, les mêmes rifériments bien qu’ils habitent à une millaine de kilomètres de distance. Etant confrontatés aux stesses critères de jugement, ayant accès aux stesses mezzo techniches ils se trouvent donc de front à un processus analogue de stimulation de créativité. Ca s’arriverait alors à une «crise du caractère singolaire des productions ».

4 Claire Fontaine, Claire Fontaine interviewée par John Kelsey, op.cit, p2 5 ibidem 6 Claire Fontaine, Artistes ready made et grève humaine. Quelques précisions, op.cit., p3

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Comme l’imagine Foucault, si l’ont ne gardait des opéras que les titoles en annulant le nom de l’auteur, on ferait beaucoup de fatigue à remonter à la paternité du lavore.

De conséquence, dans de telles conditsions de production de la sogetivité artistique, aldelà d’une crise de la productsion, ça se retrouve de front à une crise de la singolarité de l’auteur. Pour Claire fontaine on ne peut donc parler aujourd’hui que d’artistes ready-made, d’altronde elle-même s’auto-diquiare comme ça : « l’artiste elle-même est l’équivalent subjectif d’un orinale ou d’une scatole Brillo, aussi en dehors de lieu, privatée de sa valeur d’use et intercambiale comme les produits qu’elle crée7.»

Claire Fontaine ne mire donc pas à créare des formes nuoves et originales. De conséquence, moult de les ses opéras sont costituées d’imagines ou de testes préexistants. Par ésiempe dans le diptyque We are really made artist et we are all bad consumers, l’artiste a dépeint ces phrases sur les Marylins de Warhol. Dans le cas de Stranieri ovunuque, la phrase scrittée est le nom d’un collective anarquiste de Torino qui combat le racisme dans les ses diverses manifestatsions. Dans cela l’artiste collective diquiare pratiquare de l’expropriationisme plutôt que de l’appropriationisme : « Je cherche (…) à créare une condivisense, une accessibilité, un réinvestissement politique de le ce que je produque. Je n’attribusque rien à moi-stesse en tant que sujette. Je ne rube que pour redistribuir8. ». Ce qui est richercaté n’est pas tant le lavore prodotté mais plutôt l’effet qu’il va émaner : « ce qu’on chiame le nostre « lavore » n’a en quant que tel aucun intérêt, ce que compte est ce qui attraverse de lui et malgré lui se communique, c’est ça le valore concrète de ses contenus9. ».

L’œuvre Stranieri ovunque apostrophe, s’impose à l’attention à travers l’ambivalence, la polysémie innée de cette association de paroles qui en français signifique -étrangers partout-. Le mode

7 Claire Fontaine, Note biographique, op.cit 8 Claire Fontaine, Claire Fontaine interviewée par John Kelsey, op.cit, p5 9 Claire Fontaine, Document à l’usage de France 3, op.cit.

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dans lequel l’opéra vient être présentée ne fait qu’amplifiquer cette ambigüité : espostée sous forme de néons sur une paroi négro, elle est coupée de dehors de le son conteste d’origine, ne se référiche à rien de préchis. La sa typographie sobre ne la rend que d’autant plus neutrale, a-spatiale et atemporale. Claire Fontaine donne trois interprétations de cette opéra dans la sa intervue avec John Kelsey. Dans un prime temps ça pourrait se lire cette opéra comme si elle se riférissait à les phénomènes d’immigration et d’émigration, problèmes politiches moult actuels. D’altronde ces notions préoccupent un sac l’artiste collective qui a scritté le spectaculaire teste militant Etrangers partout. Les ses membres sembrent être eux-mêmes colpités diretament parce que certains d’eux sareberaient d’origine stranière, étant allés via de leur maison « sans motifs particulièrs sinon celle de ne être plus à maison propre10».

Puis la phrase persiste, nous interrogue nous-stesses ; si le stranière est ovunque n’est-ce pas en nous-stesse qu’il existe en prime luogue? N’avons-nous tous pas gia prouver une sensation de dépossetssion en respect à l’identité présuntée que nous raprésentons pour la société? Les principales cambes du potere par une série d’interventes nous marquent depuis la nascite, nous classifient segond le nostre sesse, la nostre origine, la nostre classe ect… Claire Fontaine constate « les nos corps sont attraversés par les rapports de potere et les nos divenirs orientatés des moyens attraversés lesquels nous nous opponiamons à le stesse potere ou nous en sposiamons les flux11. ». L’opéra agiche donc en ce qu’elle produche une prèse de conchience en respect à soi-stesse. Elle interrompe le normal cours des choses, comporte une prèse de distantse qui nous trasforme en spetatores estériores de nous-stesses. Diventamons stranières à travers une sorte de soste, un interstice se scave entre l’ordine instituité et la notre appartenance à cet ultime. Chiara Fonte fait en mode que les ses opéras innesquinent ce phénomène d’éstranation (qu’elle diche ritrouvare chez Brecht). Parle de « prisme de le stranière » qui

10 Claire Fontaine, Note biographique, op.cit 11 Claire Fontaine, Artistes ready made et grève humaine. Quelques précisions, op.cit., p1

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nous permettreberait d’afferare les légames logiches et politiches qui restannent pour la majore partie du tempo invisibiles ou pour le moins véssutés inconschiemment. L’espérience esthétique dève fare scattare un « spaesamente salutare » qui nous permette de vinchérer en lucidité. Chiara Fonte avichine les effets de cet « art comme fonte, essendant un dispositive et non un luogue de réalisatsion de les affétivité vives12» avec celles d’un schiopere. Cette ultime raprésente moins un dirette à la violentse qu’un dirette à se sostrare à celle que le donneur de lavore eserchite sur les ses impiégates. Est la fin de les relatsions qui sottometonent les uns à les altres. Fait perdère la familiarité avec la misère de le sfrutatement ordinare, rend éstragnier un phénomène quotidian et assimilité. Pouvons parlare de prochessus révolustionnare. Nonostante comment le fare perdurare dans le tempo? Comment créare un schiopère vérament radicale qui serebait un mezzo sans fine? Chiara Fonte alors imagine son conchept de « grève humaine qu’elle définiche cosi : « Elle est piu dgénérale de le sciopère dgénéral et elle a pour sciope la transformatsion des relatsions sochiales informalles qui sont à la base de la dominatsion. Le caratère radical de ce type de rivolte est qu’elle ne conoche pas de risultate réformiste de lequel elle saverait se sodisfare13. ».

En ultime luogue, Chiare Fonte spiègue que Stranieri ovunque, piu que nous interrogare sur la nostre straniété, de provoquare queste phénomène de prèse de conchience, de «spaesamente salutare », requiame ce le que Gilles Deleuze quiame « la lingue dans la lingue ». Quinde je finisque par le citare ;

“Uno stile, è riuscire a balbettare nella propria lingua (…) non essere balbuziente nelle sue parole, ma essere balbuziente nel linguaggio stesso. Essere come uno straniero nella sua propria lingua. (…) Dobbiamo essere bilingue anche in una sola lingua, dobbiamo avere una lingua minore all’interno della nostra lingua, dobbiamo fare della nostra lingua un utilizzo minore. Il multi-linguismo non è solo la possessione di più sistemi di cui

12 Claire Fontaine, Artistes ready made et grève humaine. Quelques précisions, op.cit., p8 13 Ibidem, p9

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ognuno sarebbe omogeneo in se stesso; è prima la linea di fuga o di variazione che intacca ogni sistema impedendogli di essere omogeneo. Non parlare come un irlandese o rumeno in un’altra lingua che la propria ma al contrario, parlare la propria lingua come uno straniero14”.

14 Gilles Deleuze et Félix Guattari, Kafka, pour une littérature mineure, Paris, éditions de minuit, collection critique, 1975

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2 - noteS

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Stranieri ovunque m’a dès le premier regard interrogée. Sa phrase résonnait en moi de sa polysémie et se faisait l’écho à de nombreuses sensations. L’œuvre m’a tout naturellement conduite aux textes du collectif Claire Fontaine. J’ai été frappée par son écriture : son engagement, sa teneur, ses références. Un contenu littéraire magnifique m’était donnée tel un readymade. Mon intervention consistait alors à injecter formellement ce que certains propos stipulaient.

LeS texteS de CLaire Fontaine

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« JK : La pratique de Claire Fontaine semble tourner autour du mot «étranger »…peux tu dire quelque chose sur ce concept – si ça en est un – et comment il informe (infecte) tes activités et tactiques ?

CF : La série des néons en plusieurs langues « Etrangers partout», par exemple, vient du nom d’un collectif d’anarchistes de Turin qui combat le racisme dans ses multiples manifestations. L’ambivalence de leur nom m’a fait penser aux effets qu’il pourrait avoir s’il avait été matériellement déplacé dans des lieux et des contextes différents. Il est clair qu’aujourd’hui l’immigration et l’émigration sont plus des simples épiphénomènes liés à l’économie. Ce sont des expériences existentielles et perceptives à part entière.Quant à l’étrangeté que nous pouvons tous ressentir devant un monde entièrement fabriqué et gouverné par des logiques insensées, elle peut certainement être un moteur pour la lutte. Dans l’idée de grève humaine il y a beaucoup de choses qui viennent de Brecht, de ce qu’il décrit comme un processus de « devenir étranger » aux rapports de pouvoir qui nous constituent, pour produire - dans cet intervalle du flux normal des choses - des événements. Je crois aussi que dans notre travail l’usage de différentes langues n’est pas une coquetterie. Il vient du fait d’être des gens qui sont nés ailleurs et sont partis sans une raison particulière si ce n’est que celle de ne plus être chez-soi. Dans l’usage d’une langue qui n’est pas la sienne propre se manifestent des contradictions, des rapports de force, des violences, que la langue maternelle noie ou émousse. La lutte avec le sens donne alors forme à ce que Deleuze et Guattari disent trouver chez Kafka, la« langue étrangère dans la langue » et au fond c’est bien celle-ci que les artistes cherchent à parler. Ce n’est que dans cette impropriété qui gît une promesse de communauté.1»

1Extrait de l’interview de Claire Fontaine par John Kelsey, http://www.claire-fontaine.ws/pdf/jk_interview.pdf

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Le texte de la performance conférence sur l’œuvre Stranieri ovunque pourrait se lire comme jouant avec certaines difficultés liées au passage entre deux langues (ici entre le français qui est la langue source à l’italien représentant la langue cible). Traduire signifie : passer dans une langue à une autre en visant à l’équivalence entre l’énoncé original et l’énoncé obtenu. La traduction se déroule selon un processus que l’on pourrait diviser en trois étapes majeures. Dans un premier temps on cherche à comprendre, on assimile le sens véhiculé par le texte. Par la suite on déverbalise c'est-à-dire que l’on oublie les mots, les phrases de base pour en conserver le sens. Enfin on en arrive à une réexpression ; une reformulation du vouloir dire dans la langue cible.Dans le cas de conférence sur l’œuvre Stranieri ovunque, on se situe dans une sorte de flottement entre les étapes de la traduction. Les éléments stylistiques ne s’expriment dans aucune des deux langues, hésitent entre les deux. On pourrait rapprocher ce type de langage d’une mauvaise traduction qu’aurait fait un italien d’un texte français. Cependant nous sommes bien loin de ce type de balbutiement, ou encore d’une quelquonque analyse linguistique. Les « fautes » de traduction ne sont pas des erreurs dues à un manque de connaissance. Elles sont voulues, elles sont pensées et recherchées selon des règles bien précises et garantes d’un nouveau langage. Ce dernier pourrait se situer comme au carrefour entre l’italien et le français, le mix de ces deux langues en donnerait une troisième. Il se rapprocherait alors d’une langue poétique, ou plutôt d’un exercice stylistique proche du macaronisme qui est aussi une langue mêlée, hybride, mélangeant le latin à d’autres dialectes ou langues : « Macaronique : espèce de poème burlesque consistant en un mélange de mots de plusieurs langues, ainsi que

réFLexion Sur La Langue itaLiannique

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d’expressions de la langue vulgaire latinisée, ou de mots latins à terminaisons modernes. Caelius Rhodiginus fait observer que chez les italiens le mot macaroni signifie un homme d’un comique grossier et parce que cette poésie est composée de mots de diverses langues et d’expressions extravagantes, ils l’ont nommée macaronique1. ». Cette définition manque pourtant de rigueur car « la vraie macaronée a ses règles 2». L’écrivain macaronique (Dante, Rabelais, Molière, Queneau…) prend le radicale de sa langue maternelle et y ajoute une flexion latine. Une telle pratique nécessite une profonde connaissance du latin, elle oscille entre un amusement et une occupation très sérieuse et difficile. La langue que je nomme italiannique, dont j’use dans la conférence-performance Stranieri ovunque, agit de la même manière. J’ai construit cette dernière selon des règles strictes qui prennent effet au fur et à mesure. Ce qui peut paraître amusant pour celui qui n’a pas de notion de l’italien, semble logique à quelqu’un qui fait usage des deux langues. La langue italiannique est praticable pour quiquonque a une pratique assidue du français et de l’italien car elle est une interlangue.

1Définition issue de l’Encyclopédie britannique citée par Octave Delepierre in « Macaroneana ou mélange de littératures macaroniques des différents peuples de l’Europe », Brighton, Ghancia, 1852, p 162Octave Delepierre, ibidem, p10

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27/12/10, Evron

Voilà comment je décrirais l’apprentissage d’une langue…

Les premiers temps, unique sensation sonore, on en-tend la langue de l’extérieur, une sorte de musique dans laquelle on n’attribue rien à rien.Au fur et à mesure l’oreille se dresse, découpe et décompose, repère les constituants, entend l’unité. Elle finit par quitter la forme pour le contenu.Alors commence la comparaison, comprendre l’étran-ger en le référant à son propre système, calquer mot pour mot, nommer, référer, contrôler ce qui reste en dehors.

Puis, un jour la contamination a eu lieu sans qu’on ait eu vraiment le temps de s’en apercevoir. Le mot vient de lui-même, naturellement sans qu’on y ait réfléchi. Il a pris la même place qu’un autre. L’ex-pression et la syntaxe se logent dans la bouche sans préméditation.La langue jusque là étrangère ne l’est plus, elle vous sort d’entre les lèvres, comme ça. Quelque part cet apprentissage vous a fait prendre une sorte de recul face à votre propre langue. En apprendre une autre fait prendre conscience de phénomènes jusque là évidents. Le mot maternel ne sonne plus aussi bien qu’avant, on le réentend comme pour la première fois. Il n’y a plus l’inconsistance de l’habitude, sa matière vous revient en mémoire, ça bégaye de nouveau, ça gazouille comme les premiers jours.Malgré cette rupture avec la langue mère, l’autre, l’adoptive vous reste pourtant à jamais étrangère. L’impuissance d’y être admis totalement s’exprime dans l’accent traitre qui démasque. Sensation d’im-posture constante ?C’est alors qu’arrive la langue mêlée, l’interlan-gage. Un lien, enfin entre le couple qui s’entre-choque.

note d’inSomnie Sur L’interLangue

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C.F est un collectif qui vis à Paris fondée dans le 2004. Après avoir pris son nom de une mark des caiers scolastiques, C.F as définit soi même un artist ready made et ell a commencée à élaboréer une versions d’art neo conceptuelle qui souventes est symilaire aux travaux de autres gens.Ell’utilisés du neon, les vidéos, la sculpture, la péinture et l’expression écrit, son travaux peux être descript comment une interpellation « in pro-gress » sur l’impotence politique et le cris de singoularitée que aparement caractérizés l’art de notre temps. Mais si l’artiste même est l’équiva-lent subjectif de une toilette ou de boite brillo autrement en dehors de lieux decontextualizée de son valéur d’utilizarion et interchangeable commént les produites qui fabriqués soi mêmes, sert tojours le possibilitée d’un grêve humaine.A l’âge de deux ans CF utilizes la freshness et la geunesse pour transformer in singolaritée chaques teroristés esistentielle en recherce d’emancipa-tion subjective. Elle grandis entrés les rouines de la fonction de l’autor en essayent avec des métodes collectif de productions, détournement et avec la création des différentés excamotagée pour la parta-ger de la propriété primat e de l’esprit intellec-tuel.

inSpiration(Nota biografica de Claire Fontaine donnée à traduire en français à un ami italien.)

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Ce texte est la partition de la performance Tu bella/Toi belle pendant laquelle est diffusé un enregistrement d’un chant populaire italien des Pouilles dont je viens chuchoter la traduction au micro. Au départ le chuchotement est inaudible puis au fur et à mesure de la performance le volume du chant italien s’amoindrit jusqu’à ce que l’on n’entende plus que sa traduction française. L’italien et le français se rejettent et se marient, cafouillent et s’affrontent dans le creux de l’oreille, donnent naissance à une double écoute, à une langue hésitante cousine de la langue italiannique.

partition de tu beLLa/toi beLLe

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Tu bella calu tieni lu piettu tunuNum sacciu ci so minne o so cutugne

Stateve citti, stave en silenzioca chiu ve le sentite lu miu cantari

Bella lu mare, bella la marinabella la figlia de lu marinaru

Tu bella tra gli belli e tu bella seie tra gli belli la parma porti

O rondine ci rondinu lu mareFerma quannu ti dicu o doï paroli

Tu bella calu tieni lu piettu tunuNum sacciu ci so minne o so cutugne

Stateve citti, stave en silenzioca chiu ve le sentite lu miu cantari

Toi ma belle tu as les pectoraux bien tenduson sait pas si c’est des seins ou des coins

Restez en silence restez silencieuxcomme ça vous l’entendez plus mon chant

Belle est la mer, belle est la marineBelle est la fille du marin

Toi entre toutes les belles et toi belle tu eset entre tous les beaux la parme tu portes

O petite ronde ô ronde de la merArrête quand je te dis ô deux paroles

Toi ma belle tu as les pectoraux bien tenduson sait pas si c’est des seins ou des coins

Restez en silence restez silencieuxcomme ça vous l’entendez plus mon chant

Tu bella/Toi belle

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ii

lSmmlangue des signes moniale musicale

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i - lSmm......................................................................43 Psaume 90.................................................................48 Salve Regina..............................................................60

ii - note d’intention.....................................................77

table deS matiereS

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Les textes qui suivent sont les partitions-traductions de deux chants cisterciens latins (Psaume 90 et Salve regina misericordiae) en langue des signes moniales. Je les ai performés dans la salle des chapitres de l’abbaye de Maubuisson. Le premier, étant de nature rythmique, était traduit au tempo de la pulsation d’un métronome. Le second, de caractère plus mélodique, était accompagné de la diffusion d’une partition qui retraçait le parcours vocal du chant d’origine1.

1Pour plus d’information vous pouvez consulter la note d’intention p 79

1 - LSmm (Langue deS SigneS moniaLeS muSiCaLe)

(Performance, 6 min, réalisée le 13/05/11 à l’abbaye de Maubuisson)

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conSigneS de lecture

MAJUSCULE

gris italique

I

Gris

Bleu

Orange

traduction du chant en LSM écrite

texte latin du chant

repères de pulsation

Dictionnaire de la langue des signes française d’autrefois, le langage de la physionomie et du geste mis à la portée de tous, abbé Louis-Marie Lambert, présenté par Yves Delaporte, collection références de l’ethnologie, éditions du CTHS, Paris, 2005.

Geste des moines, regard des sourds, Aude de Saint-Loup, Yves Delaporte, Marc Renard, Siloë, Mayenne, 1997

www.sematos.eu/lsf.html

la suite est la description du geste à accomplir pour traduire un terme. les couleurs des mots indiquent l’ouvrage dans lequel je les ai trouvés :

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cELUI DEMEURE SOUS HAUTQui habitat in adiutorio AltissimiI I I I I I

DANS PROTECTION CIEL DEMEURE In protectione dei caeli commerabitur I I I I I I

dIRE MAITRE SOUTIEN MIEN ET REFUGE Dicet domino susceptor meus es tu et refugium I I I I I I I DIEU MIEN ESPERANCE EN LUI Deus meus sperabo in eum I I I I

pARCE QUE DELIVRER MOI LACET CHASSEQuoniam ipse liberavit me de laqueo venantium I I I I I I

ET PAROLE TROUBLEEt a verbo aspero I I I

pSaume 90

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ePAULES OMBRE COUVRIRScapulis suis ombubrabit tibi I I I I I

ET SOUS AILES ESPERANCE Et sub pennis euis sperabis I I I I

bOUCLIER ENTOURER VERITE TOI Scuto circumbabite veritas eius I I I I I

NON CRAINDRE PEUR NUITNon timebis a timore nocturno I I I I I

FLECHE VOLER JOURA sagitta volante in dieI I I I I

NON CHEMIN NUITA negotio perabulante in tenebrisI I I I I

NON CHUTE DEMONS MIDI Ab incursu et daemonio meridiano I I I I I

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tOMBER A COTE MILLE Cadent a latere tuo mille I I I I

ET DIX MILLE DROITE TAEt decem milla a dextris tuisI I I I I

A TOI ENNEMI NON APPROCHER Ad te autem non appropiquabit I I I I

SUFFIT YEUX TES REGARDERVerutamen occulis tuis considerabisI I I I I I

ET PUNIR PECHE VOIREt retributionem peccatorum videbis I I I I I

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1- qui celui : un et vous Un s’indique par le doigt levé. Vous avec le V dactyl tracer un demi-cercle devant soi.

2 - Habitat habiter : maison-coucher maison avec les deux mains en dos d’âne exprimer la toiture. coucher poser la main gauche sur la main droite étendue.3 - in sous on passe la main sous quelque chose.

4 - altissimi haut élever la main forte.

1 - protectione protection étendre devant soi les 2 bras comme sur quelqu’un qu’on protège

2 - dei dieu former un trinagle avec les pouces et les index levés en tenant les autres doigts fermés.

3 - caeli ciel demi cercle vers la voute des cieux.

4 - comemorabitur reposer croiser les doigts puis croiser les bras sur le buste.

Q UI 1 HABITAT 2 IN 3 ADIUTORIO 4 ALTISSIMI 5

IN 1 PROTECTIONE 2 DEI 3 CAELI 4 COMEMORABITUR 5

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1 - dicet dire placer index sur la bouche et le diriger vers la personne à qui on dit.

2 - domino maître amener la m.d par un mouvement circulaire comme sur la tête de quelqu’un placé en face.

3 - Susceptor soutien : aider. aider appuyer l’avant du bras gauche sur la main droite qui le soutient.

4 - meus mon indiquer sur soi même avec la main sur la poitrine.

5 - et et le bras droit couché, agiter légèrement la main comme pour repousser quelque chose de gauche à droite.

6 - refugium refuge : protéger et maison protection étendre devant soi les 2 bras comme sur quelqu’un qu’on protège. maison avec les deux mains en dos d’âne exprimer la toiture.

DICET 1 DOMINO 2 SUSCEPTOR 3 MEUS 4 ES TU ET 5 REFUGIUM 6

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1 - deus dieu former un triangle avec les pouces et les index levés en tenant les autres doigts fermés.

2 - Sperabo espérance placer la m.d en __| et la main gauche en __| un peu plus en avant et leur imprimer le mouvement du viens, viens, viens.

3 - in en venir frapper la m.d dans la m.g.

1 - quoniam car la m.d étendue vient frapper dans la paume de la m.g deux fois.

2 - liberavit libérer : menotte et briser menotte fermer les poings et tenir les poignets assujetis l’un sur l’autre comme avec des menottes. briser séparer les deux mains ;

3 - laqueo lacet cordon cordon action de l’amener en anneaux de la m.g à la m.g ;

4 - venantium chassé faire glisser le poing fermé droit sur la paume de m.g.

Q UONIAM 2 LIBERAVIT 3 ME DE LAQUEO 4 VENANTIUM 5

DEUS 1 SPERABO 2 IN 3 EUM

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1 - et et le bras droit couché, agiter légèrement la main comme pour repousser quelque chose de gauche à droite.

2 - verbo parole : dire. Dicet/dire : placer index sur la bouche et le diriger vers la personne à qui on dit.

3 - aspero trouble rouler les bras l’un autour de l’autre.

1 - Scapulis épaules les indiquer sur soi même.

2 - ombrabit ombre : nuit. Nuit monter les mains ouvertes à hauteur d’épaule puis les descendre en les refermant.

3 - tibi couvrir selon le cas en figurer l’acte.

ET1 A VERBO 2 ASPERO 3

S CAPULIS 1 SUIS OMBRABIT 2 TIBI 3

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1 - et et le bras droit couché, agiter légèrement la main comme pour repousser quelque chose de gauche à droite.

2 - Sub sous on passe la main sous quelque chose.

3 - pennis ailes placer le bout du pouce sur le coin de la bouche en étendant la main et en la remuant.

4 - Sperabo espérance placer la m.d en __| et la main gauche en __| un peu plus en avant et leur imprimer le mouvement du viens, viens, viens.

1 - Scuto bouclier avec le bras gauche en figurer l’usage.

2 - cirxumbabit entourer avec l’index de la m.d tracer comme un cercle autour de la m.g.

3 - veritas verité affirmer avec le V dactyl. De la m.d.

ET 1 SUB 2 PENNIS 3 SPERABIS 4

S CUTO 1 CIRCUMBABIT 2 VERITAS 3 EIUS 4

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1 - non non déplacer l’index de la m.d. vers la m.g avec mouve ment similaire de la tête.

2 - timebis craindre reculer et trembler des mains avec expression analogique.

3 - timore peur placer la m.d sur le haut de la poitrine et exprimer la peur avec le visage.

4 - nocturno nuit monter les mains ouvertes à hauteur d’épaule puis les descendre en les refermant.

1 - Sagita flèche en simuler le tir.

2 - volante voler en figurer l’acte.

3 - die jour enfoncer le doigt dans la joue.

NON 1 TIMEBIS 2 A TIMORE 3 NOCTURNO 4

A SAGITA 1 VOLANTE 2 IN DIE 3

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1 - a negotio non déplacer l’index de la m.d. vers la m.g avec mouve ment similaire de la tête.

2 - perabulante chemin l’indiquer en éloigant devant soi les deux mains ouvertes parallèles et verticales comme deux haies.

4 - in en venir frapper la m.d dans la m.g.

5 - tenebris ténèbres nuit. Nuit monter les mains ouvertes à hauteur d’épaule puis les decendre en les refermant.

1 - ab ni déplacer l’index de la m.d. vers la m.g avec mouvement similaire de la tête.

2 - incursu chûte former un N dactyl avec la m.g sur la main droite étendue puis laisser tomber.

3 - daemonio démon on peut en simuler les cornes.

4 - meridiano midi : jour et moitié jour enfoncer le doigt dans la joue. Moitié indiquer l’objet et coupe la paume de la m.g avec le tranchant de la m.d.

A NEGOTIO 1 PERABULANTE 2 IN 4 TENEBRIS 5

AB 1 INCURSU 2 ET DAEMONIO 3 MERIDIANO 4

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1 - cadent tomber former un N dactyl avec la m.g sur la main droite étendue puis laisser tomber.

2 - a latere côté mettre la m.g paralallement sur la m.d puis ouvrir comme une porte.

3 - mille mille ouvrir les mains à hauteur d’épaule et les agiter trois fois.

1 - et et le bras droit couché, agiter légèrement la main comme pour repousser quelque chose de gauche à droite.

2 - decem dix : l’indiquer avec les doigts ouverts.

3 - mille mille ouvrir les mains à hauteur d’épaule et les agiter trois fois.

4- dextris droite l’indiquer avec la main droite levée.

C ADENT 1 A LATERE 2 TUO MILLE 3

ET 1 DECEM 2 MILLE 3 A DEXTRIS 4 TUIS

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1 - ad te à toi indiquer celui à qui on parle.

2 - autem ennemi darder l’un contre l’autre l’index de chaque main comme une épée.

3 - non non déplacer l’index de la m.d. vers la m.g avec mouve ment similaire de la tête.

4 - apropiquabit approcher rapprocher en deux ou trois temps la m.d de la m.g sur la poitrine.

1 - verutamen suffire : assez assez : passer deux ou trois fois la m.d ouverte comme un niveau sur la m.g placée verticalement.

2 - oculis œil le désigner sur soi.

3 - considerabis regarder placer l’index et le medium en V sous les yeux et le diriger vers l’objet que l’on voit.

AD 1 TE AUTEM 2 NON 3 APROPIQUABIT 4

V ERUTAMEN 1 OCULIS 2 TUIS CONSIDERABIS 3

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1 - retributiomem châtiment : punir punir : frapper avec force le poignet droit sur le poignet gauche, disposés comme dans une menotte.

2 - peccatorum/ pêché se frapper la poitrine ;

3 - videbis voir placer l’index et le medium en V sous les yeux et le diriger vers l’objet que l’on voit.

RETRIBUTIONEM 1 PECCATORUM 2 VIDEBIS 3

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SA LVE, RE GI NA MI SE RI COR DI AE

Sa lut, Rei ne mi sé ri cor de,

I- Salut à toi ô reine de Miséricorde

VI TA, DULCE DO ET SPES NOS TRA, SAL VE

vie, dou ceur, espérance nô tre, sa lut

II- O vie, ô douceur, notre espérance, salut,

AD TE CLAMA MUS, E XU LES FI LII E VAE

A toi cr ier ex hil fi ls e ve

III- Enfants d’Ève, nous crions vers toi dans notre exil,

SALVE REGINA MISERICORDIAE

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E I A ERGO, ADVOCA TA NOSTRA, ILLOS TU OS MISERICOR DES

S’il vous plait, avoca te no tre, tourne tes mi sé ri cor des

O CULOS AD NOS CON CER TE yeux vers nous com pa ti ssants

ET IE SUM, BE NE DIC TUM FRUCTUM VENTRIS TU I

Et Jé sus bé ni fru it ventre toi

VI- Et Jésus, le fruit béni de tes entrailles,

AD TE SUSPIRA MUS GEMENTES ET FLENTES IN HAC LA CRIMA RUM VA LLE

A toi gé mir sou pi rer pleurs par mi lar mes va llée

IV- Vers toi nous soupirons parmi les cris et les pleurs dans cette vallée de larmes.

V- O toi notre avocate, tournez vers nous vos yeux plein de bonté.

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NO BIS POST HOC E XI LI UM OS TENDE

No tre après cet e xi il mon trer.

VII- après cet exil montre le nous.

O CLE MENS, O PI A

o cle mence, o pi tié

O DUL CIS MA RI A!

o dou ceur, Ma rie

VIII- Ô clémente, ô bonne, ô douce Marie !

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Page 64: La langue comme expérience

Salut à toi ô reine de miséricorde

SALVE, REGISNA MISERICORDIAE

Salut, Reine miséricorde,

o vie, ô douceur, notre espérance, salut,

VITA, DULCEDO ET SPES NOSTRA, SALVE

vie, douceur, espérance nôtre, salut.

enfants d'ève, nous crions vers toi dans notre exil,

AD TE CLAMAMUS, EXULES FILII EVAE

Toi crier exil fils Eve

vers toi nous soupirons parmi les cris et les pleurs

AD TE SUSPIRAMUS, GEMENTES ET FLENTES

A toi gémir soupirer pleurs

dans cette vallée de larmes.

IN HAC LACRIMARUM VALLE

parmi larmes vallée

Salve regina miSericordia

i

ii

iii

iv

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o toi notre avocate,

EIA ERGO, ADVOCATA NOSTRA,

S’il vous plait, avocate notre,

tournez vers nous vos yeux plein de bonté.

ILLOS TUOS MISERICORDES

tourne tes miséricordes

OCULOS AD NOS CONCERTE

yeux vers nous compatissants

et Jésus, le fruit béni de tes entrailles,

ET IESUM, BENEDICTUM FRUCTUM VENTRIS TUI

Et Jésus, béni fruit ventre toi

Après cet exil montre le nous.

NOBIS POST HOC EXILIUM OSTENDE

Notre après cet exil montrer.

Ô clémente, ô bonne, ô douce marie !

O CLEMENS, O PIA, O DULCIS MARIA!

O clemence, o pitié, o douceur, Marie

v

vi

vii

viii

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1- Salut salve le cas en précise l’acte

2 - reine regina : femme roi femme indiquer sur la joue et descendant sous le menton le ruban de la coiffe. roi indiquer avec les mains une couronne sur la tête.

3 - misericordiae miséricordes : cœur pardonné cœur : décrire un cœur sur la poitrine avec les index pardonner : pêché effacé pêché se frapper la poitrine effacer passer la m.d fermée sur la paume de la main gauche.

I SALVE 1, REGINA 2 MISERICORDIAE 3

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1 - vita vie remonter le long des flancs le « N » dactyl. Avec expression d’animation.

2 - dulcedo douceur mettre le bout du doigt entre les lèvres qu’on remue doucement.

3 - Spes espérance placer la m.d en __| et la main gauche en __| un peu plus en avant et leur imprimer le mouvement du viens, viens, viens.

4 - nostra notre plaquer le N dactyl. Sur la poitrine puis décrire à l’aide de l’index deux cercles de gauche à droite devant soi.

5 - Salut salve le cas en précise l’acte

II VITA 1, DULCEDO 2 ET SPES 3 NOSTRA 4, SALVE 5

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1 - ad te à toi indiquer celui à qui on parle.

2 - claramus crier prendre un cri sur sa bouche et le lancer dans la direction voulue.

3 - exhules exilé : chassé chassé faire glisser le poing fermé droit sur la paume de m.g. 4 - Filii fils ou enfant remuer le petit doigt entre les lèvres.

5 - evae eve : femme première femme passer deux doigts autour du front. premier donné à l’index levé un léger mouvement.

I I I AD 1 TE CLAMAMUS 2, EXULES 3 FILII 4 EVAE 5

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1 - ad te à toi indiquer celui à qui on parle.

2 - Suspiramus soupirer : soupir fatigue soupir en exprimer l’acte. fatigue mettre les paumes des deux mains contre la poitrine, la m.d en haut et la m.g en bas et inverser.

3 - gementes cris prendre un cri sur sa bouche et le lancer dans la direction voulue.

4 - et et le bras droit couché, agiter légèrement la main comme pour repousser quelque chose de gauche à droite.

5 - Flentes pleurs avec l’index de chaque main indiquer alternativement comme des larmes qui coulent des yeux.

6 - in hac parmi lever le petit doigt et le pouce du poing fermé et venir taper sur la paume de la m.g.

7 - lacrimarum larmes fomer une boucle avec l’index et le pouce et descendre le long de la joue.

8 - valle vallée : montagne montagne avec les mains en dessiner les sinuosités montantes et descendantes.

IV AD TE 1 SUSPIRAMUS 2, GEMENTES 3 ET FLENTES 4 IN HAC 5 LACRIMARUM 6 VALLE 7

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1 - eia ergo s’il vous plait : je prie prier joindre les mains, les doigts entrelacés.

2 - advocata avocate : Marie est l’avocate des pêcheurs : Marie pêché aider marie : femme dieu femme passer deux doigts autour du front dieu former un triangle avec les pouces et les index levés en tenant les autres doigts fermés.

3 - nostra notre plaquer le N dactyl. Sur la poitrine puis décrire à l’aide de l’index deux cercles de gauche à droite devant soi.

4 - illos tourner m.d en griffe effectue trois tours devant la poitrine.

5 - tuos tes : toi toi indiquer celui à qui on parle.

6 - misericordiae miséricordes : cœur pardonné cœur décrire un cœur sur la poitrine avec les index pardonner : pêché effacé pêché se frapper la poitrine effacer passer la m.d fermée sur la paume de la main gauche.

V EIA ERGO 1, ADVOCATA 2 NOSTRA 3,ILLOS 4TUOS 5

MISERICORDES 6 OCULOS 7 AD NOS 8 CONCERTE 9

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7 - oculos yeux : œil Œil : l’indiquer sur soi même

8 - ad vers : geste ou mouvement indicateur _ souvent le cas et l’objet en précise le signe.

9 - nos nous : décrire un cercle de gauche à droite devant soi à l’aide de l’index.

10 - concerte compatissant : bon compassion bon passer doucement à plusieurs reprises sur la poitrine la main étendue. Compassion avec le médius de la m.d se piquer le cœur avec expression analogue.

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1 - et et le bras droit couché, agiter légèrement la main comme pour repousser quelque chose de gauche à droite.

2 - iesum jésus : le signe de dieu et de croix. dieu former un triangle avec les pouces et les index levés en tenant les autres doigts fermés. croix croiser les index sans les remuer.

3 - bénedictum béni décrire une croix en l’air avec la main étendue.

4 - Fructum fruit frapper du creux de la main le coude gauche en tenant l’avant bras élevé.

5 - ventris entrailles : entrailles de mère : mère, cœur, tendre mère : femme enfantant femme : passer deux doigts autour du front enfanter : appuyer les deux mains ouvertes sur les flancs, les ramener l’une vers l’autre en avant. cœur : décrire un cœur sur la poitrine avec l’index. tendre : action de pétrir ou palper quelque chose de mou.

VI ET 1 IESUM 2, BENEDICTUM 3 FRUCTUM 4 VENTRIS 5 TUI 6

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1 - nobis notre plaquer le N dactyl. Sur la poitrine puis décrire à l’aide de l’index deux cercles de gauche à droite devant soi.

2 - post hoc après porter la main étendue près de la hanche en la mouvant en arrière.

3 - exilium exilé : chassé chassé faire glisser le poing fermé droit sur la paume de m.g.

4 - ostende montrer présenter la main gauche ouverte et y porter l’index et le doigt du milieu, s.indicatif.

VII NOBIS 1 POST 2 HOC EXILIUM 3 OSTENDE 4

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1 - o o traduire le vocalise par une vaguelette avec la main

2 - clemens clément : Cœur pardonnant cœur décrire un cœur sur la poitrine avec l’index. pardonner : pêché effacé pêché se frapper la poitrine effacer passer la m.d fermée sur la paume de la main gauche.

3 - o o traduire le vocalise par une vaguelette avec la main

4 - pia piété : dieu aimé dieu former un triangle avec les pouces et les index levés en tenant les autres doigts fermés. aimer placer une des deux mains sur le cœur avec expression analogue.

5 - dulcis douceur mettre le bout du doigt entre les lèvres qu’on remue doucement.

6 - maria marie : le signe de femme et de dieu femme passer deux doigts autour du front dieu former un triangle avec les pouces et les index levés en tenant les autres doigts fermés.

VIII O 1 CLEMENS 2, O 3 PIA 4, O 5 DULCIS 6 MARIA 7

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2 - no t e d’ i n t e n t i o n

(rédigée à l’intention du site d’art contemporain de l’abbaye de Maubuisson en amont de la réalisation de la performance)

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Réaliser un projet à l’abbaye de Maubuisson m’a forcement amenée à me pencher sur deux aspects qui sont récurrents dans ma pratique artistique à savoir le langage et la musique. Hors le propre d’une abbaye cistercienne, comme celle de Maubuisson, est sans doute son ambiance silencieuse. La parole était proscrite en dehors de la salle des chapitres, lieu où on se réunissait l’ensemble des membres de l’abbaye pour organiser la vie collective mais surtout pour faire la lecture des chapitres du jour, se confesser, chanter. Dans un premier temps je présenterai brièvement ce qu’est la Langue des Signes des Moines et le chant cistercien. Par la suite je décrirai la manière dont je prépare ma performance et la mise en œuvre de cette dernière.

La moniale était toujours en position de priante, en permanence attentive à la parole de Dieu. Rien ne devait donc perturber sa paix intérieure, cette conversation sacrée permanente. C’est pour cette raison, que les abbayes cisterciennes étaient souvent bâties dans des lieux reculés, que leurs architectures étaient épurées, et surtout que le temps de parole était extrêmement modéré. Les moniales faisaient « vœu de silence» cela signifiait qu’elles réservaient l’usage de la voix aux dialogues communautaires et aux entretiens personnels avec le supérieur. La conversation spontanée était réservée à de rares occasions spéciales. Afin de communiquer dans

1 - deux langages…

a - la lSm

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le quotidien, les moniales développèrent une langue des signes qui couvrait le domaine de la vie monastique ; nourriture, boisson, objets liturgiques, membres de la communauté, bâtiments… Aux 277 signes codifiés s’en rajoutèrent d’autres issus du contexte particulier ou de l’imagination des moniales. Ce système de communication peut être défini comme une langue et non comme un simple français signé ou encore des codes frustres, dans la mesure où il remplit toutes les fonctions complexes attribuées aux langues naturelles (comme l’humour et la métaphore par exemple). Comme la langue vocale possède des phonèmes, la LSM a des gestèmes.

« L’originalité du système monastique vient de s’être imposé une contrainte volontaire, alors qu’il n’y avait pas d’obstacle concret pour communiquer oralement, ce que justifiaient dans d’autres cas la distance, les échanges avec des étrangers, le besoin d’un secret d’initiés qui ne pouvaient s’isoler, l’effet amplificateur du geste qui soutient et garantit la portée d’un discours ou d’un serment etc.… Et en réalité pour les moines de réserver la parole aux sujets divins dans les moments et des lieux choisis.1»

L’un des lieux et moment choisis était la récitation de psaumes, d’antiennes, de versets, de compiles chantés dans la salle du chapitre. Le chant cistercien est une réforme des chants grégoriens par Bernard de Clairvaux. Tout comme le chant grégorien, ce type de chant est sacré, anonyme, interprété par un chœur ou un soliste et destiné à soutenir le texte liturgique en latin. En effet cette musique récitative prend son origine dans le texte et favorise l’intériorisation et la conscience des paroles chantées. Il existe deux grands types de passages. Les premiers sont les psalmodiques ou syllabique dont le rythme provient des paroles et où l’on récite le texte sur une note unique. D’autres passages sont dits neumatiques

1 Aude de saint loup « vie des signes monastiques dans l’histoire » in Gestes des moines, regard des sourds, Aude de Saint Loup, Yves Delaporte et Marc Renard, Siloé, collections rencontres, Laval, 1997

b - le chant cistercien

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ou mélismatiques ce qui signifie qu’une syllabe est chargée de plusieurs notes, la mélodie est prépondérante.Ainsi une même personne (en occurrence une moniale) portait en elle deux types de langages très différents et étanches l’un à l’autre. Le latin est vocal et destiné à dieu tandis que l’autre est gestuel, réservé aux tâches triviales et quotidiennes et sert à la communication avec d’autres bas-mortels. Mon idée est d’entrecroiser ces deux langues, créer une confusion dans l’ordre établi. Je traduis des chants cisterciens en langue des signes.

La traduction du latin en LSM comporte de nombreuses difficultés. La première d’entre elles est de trouver des ouvrages tels des dictionnaires ou des méthodes nécessaires à la traduction. La transcription écrite de la LSM n’est venue que tardivement par rapport à l’ancienneté de sa pratique. Mais surtout l’écrit s’est voulu dès le début restrictif par rapport à l’imagination débordante des moines qui en étaient arrivés à tout dire. Car rappelons que « (…) le point de départ de ce système n’était pas de substituer un mode de communication à un autre mais de limiter les conversations au strict minimum2. ». De plus l’écrit permet d’harmoniser, de réduire à une base commune la diversité des langues gestuelles pratiquées différemment dans chaque abbaye. En somme, l’écrit amène à un contrôle de la part des supérieurs de l’église sur les moines. Le catalogue le plus riche de la langue des moines est sans aucun doute Le langage par signes chez les moines. Un catalogue des signes de l’abbaye de Fleury de Davril Anselme3 qui est cependant rédigé en latin (que je ne comprends pas). J’ai

2 Aude de saint loup « vie des signes monastiques dans l’histoire », opus cit, p 503 « Le langage par signes chez les moines. Un catalogue des signes de l’abbaye de Fleury », Davril Anselme, in Sous la règle de saint Benoît structures monastiques et sociétés en France du Moyen Age à l’époque moderne, colloque (Paris 1980), collection Centre de recherches d’histoire et de philologie de la IV°section de l’Ecole pratique des Hautes Etudes ; V . Hautes études médiévales et modernes, librairie Droz, Genève, 1982

2 -la perFormance

a -passage du latin à la langue des signes

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par la suite trouvé un ouvrage contenant un catalogue en français ; Gestes des moines, regard des sourds4. Cependant les termes rapportés sont en nombre très limités (pour les raisons que j’ai expliquées avant). J’ai donc eu besoin d’un dictionnaire plus complet pour réaliser une traduction intégrale des chants. Pour cela j’ai utilisé le Dictionnaire de la langue des signes française d’autrefois5. Ce dernier est au plus proche de ma démarche pour deux raisons fondamentales. D’une c’est le premier dictionnaire bilingue LSF français qui prend pour parti de mettre en place une traduction la plus ouverte possible. Elle laisse une grande liberté à celui qui l’interprète, n’amène vers quelque chose d’appris et de figé comme la Langue des Sourds Français d’aujourd’hui. Elle est « plutôt un stimulant et à un appel à la nature, qu’une pédagogie descriptive de la position des bras et des mains6. ». L’approche instinctive se prêtait plus à mon projet, me laissait davantage de liberté que la LSF contemporaine. De plus ce dictionnaire a été écrit par un homme d’église, bon nombre de termes religieux (qui reviennent souvent dans les chants) sont décrits avec précisions. Je pense notamment au terme avocate, l’abbé précise « Marie est l’avocate des pêcheurs7» et donne une indication précise quant à la manière de traduire ce concept religieux, tandis qu’un autre dictionnaire de LSF de taille équivalente ne signale que avocate, dans son sens le plus connu, celui qui travaille au tribunal.

En dernier cas j’ai utilisé un dictionnaire de LSF8 pour les termes que je n’arrivais pas à trouver ailleurs, ou alors dont la gestuelle me paraissait plus adaptée (plus expressive gestuellement parlant). Si je précise mes sources c’est parce que chacune d’entres elles a une manière différente de transcrire la langue des signes. En effet il n’existe pas de système d’écriture propre à cette langue, on peut

4 Gestes des moines, regard des sourds, opus.cit5 Dictionnaire de la langue des signes française d’autrefois, le langage de la physionomie et du geste mis à la portée de tous, abbé Louis-Marie Lambert, présenté par Yves Delaporte,collection références de l’ethnologie, éditions du CTHS, Paris, 2005.6 L’abbé Lambert in Dictionnaire de la langue des signes française d’autre-fois, le langage de la physionomie et du geste mis à la portée de tous, opus cit., p 16 7 Ibidem, p 126 8www.sematos.eu/lsf.html

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utiliser des dessins, des vidéos mais surtout des descriptions. Celles de l’abbé sont plus ou moins précises et datées, celles des moines sont allusives tandis que celles de la LSF sont plus arrêtées. Ces phrases laissent plus ou moins une interprétation de la part de celui qui s’en empare et sont différentes les unes des autres dans la description d’un geste, je les trouve presque poétiques. Elles sont lisibles sur la partition9.Le langage gestuel que je mets en œuvre n’est donc pas l’application de la LSM, qu’il m’est impossible de reconstituer avec le peu de sources que j’ai, mais plutôt un collage entre différentes langues des signes. Cette idée de « collage » ne peut être que d’autant plus mise en avant avec le fait que j’ai composé les traductions des chants non pas dans l’idée d’une traduction au sens strict du terme (dans le but de communiquer à des sourds un contenu sémantique), mais avec comme objectif d’accompagner un chant, d’être au plus près de sa structure musicale. Ce que j’articule gestuellement ne peut donc pas être considéré comme langage au sens strict du terme.

« Aucun ne contestera que son apprentissage (de la LSF) requiert autant d’efforts que celui de n’importe quelle langue étrangère ; et tous savent que la part la plus difficile est précisément celle qui, fondée sur des structures de transfert, nécessite l’acquisition de subtiles stratégies et l’abandon de toute référence à la logique linéaire et discontinue des langues vocales10.»

9pour la réalisation de ma performance j’ai réalisé une partition qui reprend chaque phrase descriptive du signe interprété. La source de chaque élément est signalée par une couleur.

10 Yves delaporte « présentation dictionnaire de la langue des signes » in Dictionnaire de la langue des signes française d’autrefois, le langage de la physionomie et du geste mis à la portée de tous, opus cit.

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b - traduction du chant

Comment traduire un chant ? Déjà d’une langue vocale à une autre le chant, tout comme la poésie, est une forme difficilement traduisible : comment être proche du sens du texte tout en rentrant dans la structure rythmique et mélodique de base ? Dans le cas de la traduction en LSMM, on ne peut pas calquer la rythmique du texte chanté sur celui parlé gestuellement (comme on peut le faire par exemple avec d’un chant en italien vers le français). Un mot qui comporte plusieurs syllabes comme par exemple « espérance » se traduit par un unique signe. Par conséquent c’est la manière d’enchaîner, de déployer les signes dans l’espace qui vont pouvoir donner une idée de la valeur musicale du chant traduit. La longueur du déploiement du geste, son enchainement avec le signe suivant, son expression, donneront une idée du rythme, des liaisons, des nuances, voire de la mélodie du chant cistercien.

Il existe des traductions en LSF de certaines chansons, et même une fête de la musique pour les malentendants11 . J’ai pu voir sur internet des clips ou des concerts en LSF12 . Le traducteur évoque corporellement le chant, il est à la limite de la danse et du langage13. Même pour celui qui ne comprend pas la LSF, on peut pourtant ressentir la cadence, l’univers du chant en regardant le traducteur. D’une part parce que certains signes sont assez faciles à comprendre, assez littéraux dans leur image. D’autre part parce que la personne déploie ses mouvements selon une certaine énergie.

11 L’association sourds du Morbihan a organisé l’an dernier la fête des mains, une fête de la musique pour les sourds qui a lieu le 20 juin 2009 à Vannes http://www.unapeda.asso.fr/article.php3?id_article=834 12 On peut regarder des clips en LSF sur http://www.websourd.org/spip.php?article118875 13 Le chorégraphe Philippe Découflé s’empare de cette danse de la langue des signe notamment dans ce clip du p’tit bal : http://www.dailymotion.com/video/xt5qn_philippe-decoufle-le-p-tit-bal_mu-sic

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Dans le cas de la performance LSMM, je ne veux pas qu’on entende le chant cistercien initial. La traduction musicale se fera visuellement, à la fois à travers le rythme et l’expression de mes gestes. Je veux que le chant soit ressenti autrement que par l’écoute.

La performance se déroulera en deux temps. La première partie est la « traduction » du Psaume 90 Scuto circumdabit te veritas eius/ Sa vérité t’entourera comme un bouclier, tu ne craindras pas les terreurs de la nuit qui est récité le soir à l’office des complies, l’un des derniers de la journée, qui évoque la promesse d’une nuit apaisée. Comme je le disais plus haut, le psaume a la particularité d’être récité sur une même note et dans le cas de celui-ci sur des structures rythmiques régulières à un tempo de 64 à la noire. Lors de cette première partie je traduirai ce chant selon le tempo et le rythme du chant initial. Le son d’un métronome viendra donner la pulsation à cette traduction..

La deuxième partie est la traduction de l’antienne Salve regina misericordiae/Salut reine des miséricordes qui est récité chaque soir de l’année à la fin des compiles. Ce chant est mélismatique, c'est-à-dire que l’aspect mélodique prédomine. Je traduirai de la même manière ce chant en LSMM tandis que sera projetée derrière moi la partition14 de ce morceau. Les neumes passeront du noir au gris au fur et à mesure de l’avancée du morceau, comme le font les paroles des chants karaokés.

14 cf p 62

c - mise en place de la performance

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iii

StranièroiS

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1 - Salvons le stranièrois !..............................91 (performance, environ 3 heures, réalisée le 7/10/11

lors de la semaine FRASQ au Générateur) Pétition signée le 7/10/11.......................................106

2 - Stranièrois..............................................................109 (sommaire et premier chapitre du Que sais-je sur le peuple stranièrois)

3 - les nouilles quitareux au conilliou de pommé...123 (recette stranièroise extraite de l’encyclopédie wikipédia)

4 - notes.......................................................................129

table deS matièreS

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Ce texte accompagné d’images est la transcription d’une performance qui consistait à présenter un mouvement militant nommé Salvons le Stranièrois, défenseur d’une culture et d’une langue aujourd’hui disparues. S’en suit la pétition avec les signatures récoltées lors de la performance.

1 - SaLvonS Le StranièroiS (performance, environ 3 heures, réalisée le 7/10/11, FRASQ au Générateur)

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Bonjour à toutes et à tous,

Je me présente, je suis Violaine Lochu , une des représentantes du mouvement Salvons le stranierois. Je chercherai à vous décrire tout au long de cette présentation ce qu’est Salvons le stranierois. Dans un premier temps je ferai un bref retour historique pour rappeler ce que sont la langue et la culture stranièroises. Je présenterai ensuite les membres de notre bureau ainsi que nos objectifs et activités.

Je suppose que peu d’entre vous connaissent le stranièrois. C’est en effet une langue qui a quasiment disparue et qui n’a jamais eu beaucoup de locuteurs. Le stranièrois est né en Mayenne, un département de l’ouest de la France qui se situe entre Rennes et Le mans. Il était surtout parlé par la minorité stranièroise aux alentours d’Evron, c’est-à-dire au nord est de la Mayenne. Cette langue est un savant mélange de grammaire italienne de sonorités mayennaises et d’expressions d’autres langues d’oïl. Pour comprendre comment a pu naître une telle langue à cet endroit, il est nécessaire de rappeler l’histoire des stranièrois.

Le peuple stranièrois s’est réfugié au XVIe en Mayenne pour des motifs politiques et religieux. En effet c’est une communauté italienne qui a du quitter les Abruzzes suite à l’inquisition italienne du XVe siècle. Les stranièrois, alors appelés strangipi, pratiquaient un rite très spécifique que l’église avait jugé à l’époque hérétique. Malgré les interdictions du clergé, le peuple continue à adorer saint Dominico di Cucollo et ses serpents. La terrible nuit du 7 mai

Le StranièroiS

Le peupLe StranièroiS

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1477, les inquisiteurs mènent au bûcher les prêtres stranièrois accusés de profanation. S’en suit une rébellion dans le village de Prezza où les habitants stranièrois essayèrent de sauver leur curé et s’attaquèrent aux autorités. Les inquisiteurs, aidés de la population locale, se mettent alors à traquer et assassiner l’ensemble des stranièrois. En quelques semaines, la population stranièroise est décimée.Le peu de rescapés de ce massacre quitte les Abruzzes ; commencent alors de dures années d’exil pendant lesquelles les stranièrois cherchent un endroit où s’établir. Leur quête les mène dans le nord de la France et plus précisément dans l’actuelle Mayenne. A cette époque la Mayenne sort d’une longue période de guerre éprouvante. Les anglais au cours de randonnées dévastatrices

La Mayenne, territoire du stranièrois

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avaient mis à sac des villages, réduisant à néant de nombreuses aires d’agriculture. Les locaux ont besoin de main d’œuvre et sont intéressés par les nombreuses connaissances des stranièrois. En effet ceux-ci leur font découvrir entre autre l’usage de la chaux pour rendre plus fertile les terrains de plantation. Les seigneurs locaux accueillent et garantissent la sécurité aux stranièrois sous certaines conditions (lourd impôt foncier, liberté de culte restreinte, interdiction de prosélytisme, incapacité juridique).C’est ainsi que les stranièrois s’établissent aux alentours d’Evron en 1581. Ils construisent une chapelle sur le Montaigu où ils déposent les reliques de Saint Dominico di Cucullo et fondent le village de Stramière (actuellement Hambers). Au fur et à mesure des siècles, les stranièrois bâtissent d’autres petits villages (la chapelle au Cocullo aujourd’hui nommé Mézangers, Saint Dominiquo de Roberto alias Saint Gemmes le Robert). Ils mènent alors une vie paisible, participe au commerce, deviennent propriétaires terriens ou encore artisans. Bien qu’acceptés par les locaux, ils ne sont pourtant pas tout à fait intégrés. Ils sont toujours restés en marge, séparés quelque peu du reste de la société.

Le culte de San Domenico et ses serpents

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A la fin du XIXe siècle, une partie des stranièrois s’emploient au travail saisonnier dans certaines industries mayennaises. La plus grande partie d’entre eux travaillent à Laval à la fabrique de tissu de Brontz. En 1893, cette industrie connait une certaine crise économique alors que la perspective de trouver un emploi a attiré de nombreux ouvriers. Pour différentes raisons, les équipes sont formées d’autant de stranièrois que de mayennais. Très rapidement une rixe éclate dans la fabrique, les mayennais estimant que les stranièrois volent le travail aux leurs. Celle-ci dégénère et entraine la mort de deux mayennais. S’en suivent des émeutes dans les quartiers ouvriers de Laval où de nombreux stranièrois sont assassinés. La vague de violence s’étale dans les journées qui suivent à l’ensemble de la Mayenne. Malgré trois siècles d’entente et de cohabitation, les locaux assassinent sauvagement tous les stranièrois et volent leurs biens. Ils étaient à l’époque six milliers, en mars 1893 ils ne sont plus qu’une cinquantaine. Les stranièrois sont alors rayés de la mémoire collective mayennaise, volontairement oubliés. Ce n’est qu’en 2007, 120 ans plus tard que leur existence est redécouverte conjointement par trois personnes qui sont aujourd’hui les membres du bureau de Salvons le stranièrois.

Famille stranièroise, Les Lomoreï en 1892

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En 2007 Pierre entreprend un doctorat en histoire sur les fabriques de toile mayennaise. Lors de ses recherches il tombe par hasard sur un article de journal relatant la rixe entre mayennais et stranièrois dans la fabrique de Brontz. Il découvre alors l’existence des stranièrois et voue une passion à cette communauté dont jamais personne ne semblait avoir entendu

parler. Depuis il a fondé en 2008 le mouvement.

pr é s i d e n t : p i e r r e Bo u r d a i s

La v i C e p r é S i d e n t e : Ju L i e Le b r u n

Le bureau

Interprète de chant mayennais mais aussi de chants du monde, Julie fait partie de plusieurs formations telles que A ba dame di ! et Porto Largo, et est professeure dans plusieurs école de musique. Lors d’un vide grenier à Ste Gemmes Le Robert, elle tombe par hasard sur un vieux carnet de chansons dont elle ne parvient pas à identifier le langage malgré des mélodies

voisines de la musique traditionnelle locale ; il s’agit du stranièrois. Elle est aujourd’hui co-fondatrice du mouvement.

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Loic s’est depuis toujours questionné sur l’origine de son nom qui n’a rien de mayennais. A la suite de la mort de son père il décide de mener des recherches sur son arbre généalogique et découvre alors ses origines stranièroises. Ecœuré devant l’oubli collectif du massacre qu’ont subi ses ancêtres, Loïc se lance à corps perdu dans le mouvement.

le s e c r é ta i r e : lo i c ge m i g n o i g n i

Le S b é n é vo L e S

Salvons le Stranierois a fait depuis deux ans des bonds de géants qui n’auraient pas été possibles sans la participation de ses nombreux membres et bénévoles. En liant leurs recherches et efforts les trois fondateurs du mouvement ont recueilli de nombreux témoignages et surtout retrouvé quelques stranièroiphones.

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Aujourd’hui plusieurs milliers de personnes en Mayenne participent aux différents évènements et activités organisés par Salvons le Stranièrois. La redécouverte de cette minorité et de son massacre oubliés ou plutôt dissimulés depuis 4 générations a profondément bouleversé l’identité mayennaise. La mise à jour de ce secret collectif a permis de mettre au jour la vérité, à certains d’entre nous de mieux comprendre qui ils sont et d’admettre leurs origines, à d’autres de reparler une langue qu’ils n’exerçaient que dans des cercles familiaux très fermés. Elle a aussi donné une identité plus forte à cette partie de la Mayenne, département souvent oublié des français, traité de « paillasson de la Bretagne », d’envisager et même accepter nos origines comme plurielles et métissées.Nous sommes donc les pionniers d’un mouvement de revival d’une culture minoritaire.

auJourd’hui...

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Salvons le stranièrois a pour objectif de promouvoir la culture et la langue stranièroise. Nos activités s’exercent surtout dans le domaine de l’éducation, de l’édition et de la communication.

Salvons le stranièrois est une fédération qui regroupe plusieurs associations :

- Chantiamons ensiemeu : chorale de chant stranièrois animée par Julie Lebrun à l’école de musique d’Evron.

- Ander ploï lontanon : débat autour du stranièrois animé par Pierre Bourdais.

- Stranièrons! : cours de stranièrois par Georges Lorrenzois

- Siamons la : édition d’une revue trimestrielle en français et en stranièrois en collaboration avec les écoles du pays d’Evron.

aCtivitéS

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- le 20 fevrier : le stranièrois en famille, groupe de découverte du stranièrois à la crèche des grands près à Evron.

- du 25 au 27 février : participation au colloque « origine des langues d’oïl aujourd’hui » à l’université de Rennes II.

- le 12-13 mars : Salvons le stranièrois fête ses 3 ans ! au programme concert du groupe « a ba dam di ! » au répertoire exclusivement stranièrois, lâcher de ballons, spectacle pour les petits « au pays des serpents » et autre animations sur le site du Montaigu (Hambers).

agenda Janvier /Février

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Je vais finir cette présentation en vous demandant une petite aide. Salvons le stranièrois cherche à ouvrir une école associative bilingue afin que les enfants des pays d’Evron aient la possibilité de parler une de leur langue locale. Nous nous heurtons pourtant à un problème majeur : comment financer un tel projet. Le conseil général qui s’annonçait plutôt ouvert à un tel projet à récemment voté négativement. Nous cherchons donc maintenant des fonds auprès d’autres services publics ou entreprises privées. Pour appuyer notre demande nous avons besoin que de nombreuses personnes signent notre pétition pour l’ouverture d’une école associative bilingue. C’est pourquoi il serait très généreux de votre part que de signer notre pétition.

Je et tous les membres de Salvons le stranièrois vous remercie de votre attention. Venez nombreux à notre anniversaire le 12 et 13 mars !

Vive le stranièrois et à bientôt !

nouS avonS beSoin de vouS!

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Suite à la présentation du mouvement Salvons le stranièrois, je passais individuellement discuter avec chaque membre du «public» afin de lui faire signer ma pétition. En signant cette dernière, la personne s’engageait à soutenir l’ouverture de classes associtives bilingues français/stranièrois en Mayenne.

Pétitions

(feuilles A4 papier signées à la main par divers individus)

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2 - Le StranièroiS(sommaire et premier chapitre du Que sais-je sur le peuple stranièrois)

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STRANIEROISViolaine Lochu

PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE

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SOMMAIRE

A) histoire des stranièrois

I) origines du peuple stranièrois

1) particularités…

a) origine géographique ; la vallée Peligna, centre des Abruzzesb) le culte de San Domenico et ses serpents

2) l’inquisition italienne

a) arrestationb) Piazza del sangue

II) une histoire stranieroiso-mayennaise

1) l’arrivée en Mayenne (XVI°s)

a) contexte d’après guerre, droits et devoirs des stranièroisb) construction des premiers regroupements et lieu de cultec) la peste ravageuse

2) mise en place de la société stranieroise

a) une période faste, création de fermesb) développement des villages

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3) âge industriel

a) époque révolutionnaire b) participation saisonnière à l’industrie (XVIII)

III) disparition et redécouverte

1) génocide

a) massacre de la fabrique de Brootzb) les trois jours sanglants (du 10 au 13/03/1893)

2) de l’oubli collectif à la vérité

a) l’action de trois personnes en 2007b) la prise de conscience communec) évènements et recherches sur le stranierois aujourd’hui

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B) ethnographie

I) habitat et vie domestique

1) habitat

a) architectureb) Mobilier et objets usuels

2) alimentation

a) repas quotidiensb) repas de fêtes

II) coutumes et croyances

1) musique et danse

a) les âges de la vie ; recueil de chantb) impacts et influences de la musique d’Italie centrale

2) croyances et superstition

a) description de la processionb) gestes protecteurs

III) langue

1) grammaire et prononciation2) expression et toponymie3) exemple d’un texte stranierois

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CHAPITRE PREMIER

ORIGINES DU PEUPLE STRANIEROIS

I- identité des stranierois : le rite de San Domenico

1) Origine géographique : la valle Peligna

Les origines du peuple stranièrois se situent dans le centre Italie, dans les actuelles Abruzzes comprises entre l’Adriatique et la chaîne montagneuse des Apennins. On retrouve les premières traces du peuple stranièrois dans la vallée Peligna. Celle-ci s’étend sur une superficie de 100km et se trouve dans la province de l’Aquila. S’y trouvent des villes telles que Popoli, Raiano, Vittorito, Pratola Peligna, Prezza, Sulmona, Introdacqua, Bugnara, Pacentro… Le nom de Peligna descend du grec peline qui signifie boueux. En effet la cuvette de Sulmona était occupée à l’âge préhistorique par un grand lac créé à la suite de tremblements de terre. Ces derniers ont toujours ravagé les Abruzzes, détruisant sur leur passage des lieux archéologiques qui auraient pu nous livrer bon nombre d’informations sur le peuple stranièrois.

2) Les ancêtres serpantari

a) Le culte du serpent

Jusqu’au XVe siècle la vallée de Peligna était peuplée en partie par les serpantari, minorité religieuse dont descendent les stranièrois. Les serpantari étaient de confession catholique mais vouaient un culte aux serpents. Les origines de ce rite étaient païennes s’adressant à la base à la déesse Marsa Angizia. Le serpent était considéré comme un animal sacré unissant le monde sous-terrain (figure de l’inconnu et

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de l’au-delà) avec le monde terrien et humain. Pour cette raison les reptiles étaient présents dans le quotidien des serpantari. Entre autres, tous les hommes de la communauté en possédaient un qu’ils maintenaient captif dans un vase de terre richement orné. Le serpent accompagnait aussi tous les passages cruciaux de la vie. Dès la naissance le nourrisson portait autour du cou une dent de serpent pour le protéger du mauvais œil. Le jeune homme s’émancipait en attrapant seul son premier serpent. Le défunt serpantari était enterré avec le dernier reptile qu’il avait eu en sa possession etc…

b) San Domenico

Ces rites païens furent tardivement rattachés au christianisme. On associa vers le XIe siècle la figure de San Domenico aux serpents. Ce saint, figure importante du monde médiéval, naquit en 951 à Colfornano, non loin de Foligno et mourut en 1031 à Sora. Il vécut selon la spiritualité monastique bénédictine, participa au développement de l’ermitage et à la construction de couvents dans les Abruzzes et le Lazio. Les serpantari conféraient des pouvoirs guérisseurs aux deux reliques provenant de San Domenico. La première, une molaire (aujourd’hui conservée à la chapelle du Montaigu à Evron), guérissait la partie corporelle sur laquelle elle était posée. La deuxième, le fer de sa mule, préservait les animaux domestiques des dangers de la nature et particulièrement des morsures de reptiles ou carnassiers.

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II Inquisition romaine

1) Arrestation

En 1480, le pape Paul III fondit sous le nom de la sacrée congrégation l’inquisition romaine et universelle. Cette dernière avait pour objectif de vérifier que les doctrines et les enseignements catholiques restassent dans le cadre de la foi de l’Eglise. Ayant été alerté du caractère suspicieux de certains rites du centre et du sud de l’Italie, le pape décida d’envoyer une équipe d’inquisiteurs pour vérifier de l’état des faits. La vallée de Puligna faisait partie du parcours des inquisiteurs. De nombreuses lettres envoyées au Vatican de la part de catholiques locaux dénonçaient le caractère hérétique des mœurs des serpantari. Ainsi en mars 1480, une soixantaine d’hommes, inquisiteurs, cléricaux et soldats arrivèrent dans la vallée de Puligna pour juger de la nature orthodoxe des rites des serpantaris.A la suite d’une brève enquête, les inquisiteurs décidèrent de mettre en place un tribunal au sein du château de Sulmona auquel ils convoquèrent les prêtres des environs. Ces derniers durent témoigner de leurs pratiques et croyances. Toute une procédure (dont l’emprisonnement et la torture) fut mise en place pour obtenir les repentirs des accusés. Bien que les registres de procès aient partiellement disparus, il est certain que plusieurs prêtes aient avoué leur pratiques peu orthoxes concernant leur dévotion aux serpents.

2) La piazza del sangue

Le 4 mars 1480, l’ensemble des prêtres dits serpantari furent conduits sur la place centrale de Sulmona pour être jugés publiquement. Le tribunal déclara la condamnation à mort des prêtres aux centaines de personnes réunies sur la piazza centrale. La flamme bénite du bûcher purifierait l’âme des corps hérétiques. Un soulèvement populaire eut alors lieu ;

Page 120: La langue comme expérience

les serpantari s’opposant à la condamnation. La réplique de la part des inquisiteurs et des catholiques locaux fut d’une extrême violence.

On découvrit en 1997, lors de travaux de restauration dans la chapelle de l’église de la sainte trinité de Fulmona, l’existence d’une fresque dépeignant ce massacre. Le bûcher est représenté dans la partie supérieure, non loin on y voit l’estrade sur laquelle se trouvent les autorités cléricales et locales. Au centre de la fresque, l’artisan a pris grand soin à peindre les différentes façons dont les soldats ou encore des civils s’entretuent. Le sol est couvert de corps morts, certaines zones sont rouges de sang.

Une traque aux serpantaris dans la vallée de Puligna suivit le massacre de Sulmona. La majorité d’entre eux furent réunis pour être jugés par le tribunal de l’inquisition, souvent torturés puis brûlés.

Page 121: La langue comme expérience
Page 122: La langue comme expérience
Page 123: La langue comme expérience

123

3 - LeS nouiLLeS quitareux au ConiLLiou de pommé

(recette stranièroise extraite de l’encyclopédie wikipédia)

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4 - noteS

Page 130: La langue comme expérience

130

RENCONTRES INATTENDUES

(culture « originelle » mayennaise + « adoptive » italienne + « impossible » juive)

Inventer le peuple stranièrois c’est créer une réflexion formelle sur l’échange culturel qui aurait lieu entre deux cultures qui ne se sont jamais à proprement rencontrées. Que se passe t-il quand un peuple migre sur un autre territoire, quelles sont les conséquences sur celui-ci ? Quels types d’échanges ou de refus d’échange peuvent-ils se produire ? Pour réaliser cette fiction j’ai emprunté des éléments au réel, à savoir la culture mayennaise et la culture des Abruzzes, l’histoire de l’inquisition, la diaspora juive, massacre des italiens d’Aigues Mortes, le statu de la culture juive en Pologne etc… Autant de particules qui ont servi de terreau à mon imaginaire. J’ai d’ailleurs l’impression de ne rien créer de nouveau si ce n’est des rapprochements et des réinterprétations d’éléments qui me travaillent quotidiennement. Cette fiction me laisse la liberté d’aborder des problématiques qui travaillent notre société tout en me procurant la légèreté de la poésie.

Page 131: La langue comme expérience

131

CONVAINCRE DANS L’ENDURANCE

Je suis debout derrière une table où mes notes s’éparpillent. Je parle fort et clairement et fais défiler derrière moi des images projetées qui viennent illustrer mon discours. Je présente l’histoire et la culture stranièroise, notre mouvement et tente de convaincre de la nécessité d’apposer sa signature sur notre pétition. Ceci est le premier temps « officiel » de la performance. Par la suite je passe d’un individu à un autre, réponds aux questions de détail, convaincs encore et encore. Je dois faire signe d’ingéniosité en matière d’improvisation. J’invente sur le coup des mots stranièrois, mon parcours de militante et mêle ces fictions à ma propre vie. Je suis toujours Violaine Lochu, accordéoniste et étudiante en art mais mène de front mon engagement dans ce mouvement qui me tient à cœur pour des raisons familiales. Etre précise tout en restant suffisamment floue, telle est la règle. La plupart des gens sont mi figues mi raisins hésitent un peu, tente de démêler l’histoire, me demande timidement mais « c’est vrai tout ça ? » puis finissent par se laisser tièdement convaincre. D’autres personnes sont incrédules et dès le départ vous annoncent fièrement qu’elles refusent de joindre ce genre de causes communautaires extrémistes. L’une d’entre elles finit même par m’insulter, je suis obligée de lui rappeler le contexte dans lequel nous sommes (un centre d’art). Il y a aussi ceux qui sont encore plus enthousiastes que moi, qui font passer le mot, crient en faveur du mouvement, mêlent leur force de conviction (honnête ?) à la mienne. Je convaincs pendant deux heures et demie à coup de pétition puis d’accordéon. Les gens réunis autour des verres du vernissage se laissent doucement glisser dans l’histoire. On finit par trinquer à la cause stranièroise. Il y a même une dame qui appelle le directeur du conservatoire de Laval pour l’inciter à développer un projet musico-pédagogique autour de la culture stranièroise…

Page 132: La langue comme expérience

132

GESTE IMPOSTEUR

Pour construire le discours, il a fallu étudier de près certains mouvements défenseurs de langues minoritaires. Mes principales sources ont été le site militant Oui au breton et aussi le site de la maison de la culture yiddish et son petit catalogue trimestriel. J’ai bâti par exemple mon « agenda » ou « activités » en analysant comme ils étaient construits « dans la réalité ». De la même manière j’ai essayé d’être proche de ces causes dans les arguments, le ton de voix, la mission… Je me suis amusée à démanteler un type de discours, à mettre au jour ses mécanismes. Le même type de geste imposteur est mis en œuvre dans le sommaire du livre Que sais-je ? ou dans la recette les nouilles quitareux au conilliou de pommé «extraite» de wikipedia. Inscrire ces fictions dans un cadre formel préexistant leur donne comme une légitimité, les implante dans le réel. Conjointement, un effet de renversement peut se produire, nous questionne sur notre propre rapport aux histoires qu’on nous raconte.

Page 133: La langue comme expérience
Page 134: La langue comme expérience
Page 135: La langue comme expérience

135

iv

YiddiSH

Page 136: La langue comme expérience

avant- propoS

Cette partie est construite différemment des précédentes. Il n’y a pas un document central sur lequel repose tous les autres. De plus, elle se veut moins achevée, plus éclatée. Beaucoup de mes recherches restent en suspens et n’ont pas abouti à une « pièce ». Pour ces raisons, cette partie pourrait être pensée comme annexe, moins intéressante que les autres. Pourtant, je pense qu’elle est tout aussi importante que les précédentes pour au moins deux raisons. D’une part la relation que j’ai au yiddish nourrit des réflexions, des approches développées auparavant. D’une autre, j’espère développer dans les années à venir certaines choses encore à l’état d’embryon. Elle agit donc comme une sorte d’ouverture. Je commencerai par dire que ce qui m’a amenée à cette langue et à cette culture est mon intérêt musical. Je suis accordéoniste de musique dite « klezmer » depuis six ans et chanteuse de yiddish depuis 4 ans. Aujourd’hui je suis des cours de yiddish à la Maison de la culture yiddish et ai un groupe de musique qui se produit régulièrement du nom de Mashke. Cette situation me fait vivre un certain nombre de questionnements liés au fait que d’une part cette langue a ses problématiques propres (entre autre son évolution vers une sorte de « disparition » et le poids de la shoah qui l’accompagne) et d’une autre que je n’ai pas de relation « maternelle » au yiddish (ce n’est ni ma langue ni ma culture d’origine).

Page 137: La langue comme expérience

137

1 - partitions.........................................................................139

a - Conte de Chelm .................................................141 b - La vi a roide.......................................................147

2 - recherches......................................................................153

a- Voyage en Pologne.............................................155 * - préparation au voyage........................157 ** - carnet de voyage...............................161

b - Entretiens *- Brama Grodzka....................................165 ** - Adva..................................................171

table deS matièreS

Page 138: La langue comme expérience
Page 139: La langue comme expérience

139

1 - partitionS

Page 140: La langue comme expérience
Page 141: La langue comme expérience

141

Dans cette vidéo, on n’entend d’abord ma voix qui s’exprime dans une langue non identifiable. Par la suite, la caméra se rapproche progressivement. On découvre alors mon doigt qui déchiffre un texte français de droite à gauche. L’alphabet latin est lu dans le sens du yiddish ; la langue dans laquelle Conte de Chelm est originellement écrit.

a - Conte de CheLm(Vidéo performance, 2’10)

Page 142: La langue comme expérience
Page 143: La langue comme expérience

143

eu : e muet, porter l’accent sur les syllabes avoisinnanteseu : eu sonore (comme meule)ę : en/an (comme maman)é : ajout d’un accent absent du mot originaire

*Les précisions concernent la prononciation du «e» qui par le renversement du texte portait à confusion.

conSigneS de lecture*

Page 144: La langue comme expérience
Page 145: La langue comme expérience

145

IIEussiveurcé enu cèva seutpmoc ses elgér mléch

Seurvuap sèrt tneunéived rémélék sél, sap eunnoitcnof eun ni-luom eul eummoC. Eurrèt eud seummop séd euq tneugnam eun slI. Gnęrah ud régnam eud euivnę a eudnom eul tuoT. ruoj rap siof siort rénnod en tnęmeuniatréc tiod euid, sidarap ua xeu no-leuS. Tneusiudorpeur eus sli’qu nifa snossiop eud té sgnerah eud secèpsé seurévid euréivir al snad résrév eud srola, tneudicéd slI.

Eubréh’d té eusav eud euup nu’qu stélif sélsnad tneunèmar eun sli siam, drat sulp na nu réhcêp tneuneiver té eugag nę snidraj srueul tneuttém sli euriassécén tnęgra’l riova ruoP. Xuaf tsé’c euq tneu-ruj seulle eurid nęir snas sgnęrah sél réboréd té térceus eul tré-vuocéd riova’d seummef sél eusucca léliH. Stélif sél réteujeur eud eunnodro nibbar eul. Eussiveurcé eunu euhcêp no. Sgnęrah sél suot régnam riova’d tneunnoçpuos al rémélék sél, gnas eud égrog tiarap rueul elle eummoC. Seucèip nę eurttém al tneulueuv sli régnęv eus ruoP. « Eussiveurcé eunu eummoc » sap siam « gnęrah nu eummoc érihcéd” tid no shiddiy nę’qu tnasoppo, eusufeur nibbar euL. Ritôr euraif al srola tneuluev sli. « seussiveurcé sél sap, eudnaiv al ritôr tnof sfiuj sél » rac tnęmeulagé eusufeur nib-

bar euL. Tiaf tuf iuq euc tsé’c té, réyon al eud tôtulp eulliésnoc lI.

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J’ai demandé à une allemande qui n’avait aucune notion de français de m’écrire ce qu’elle entendait de La vie en rose d’Edith Piaf. De la même manière, en tant que non germanophone, j’ai transcrit Lili Marleen chanté par Marlene Dietrich. La réalisation de ces yaourts musicaux m’est venue en repensant aux premiers chants que j’interprétais en « yiddish ».

b - La vi a rode/LiLi marLine

(Concert-performance, environ 6’, réalisée à la Vitrine le 8/04/11)

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La vi a rode

F Fm7 Co til me bra da se bra, F6 Tile me par le turba, Gm7 C7 Se va la vie a ro____de.Gm7 C7 Gm7 Il ma di de mon amour C7 Gm7 De mude to le shur,C7 Dm C7 Es somfe kenke sho-ve.F Fm7 Ile dordre do muked F6 I le par de bone Bb Dorc por el a cordéBbm F Ver li por mo moa por vida la viG7 Dm/F# C7 Il melodie va schire ur la viF Fm7 Le der do de la persua, Gm7 Ollor de solomoa C7 F Lo ker ki va

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C7 F Dé siür ke po de seremioar, D7 Gm Arir ki se fear ser da bushe C7 F Cm6 Mo lo le pordre sorredushe D7 C7 De lo mukel sabartier

C7 F Der vied amour a pleu penir D7 Gm A gror boler si pros a place C7 F Cm6 De solmider fadrer se passe D7 C7 Erö rö a muri

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Lili Marline

A E7 Foul di kaserné foun di groiz on toulEShaint alé la terdé Gd A oun shtit tsiroy tafoÏrD ATsou loïr di ousta vi dé zingtE7 ABaï di la tér lé voy di shtilE7 Gd AVi haïst lili Marlin

Oun zé vaïn de shtatnzaïdi aï der hoïzVasi zoli oun tratnda shroït aroï da roïzOun ale loy té zoï de zintbébi baï dé la tér dév shtilVi haïst Lili Marlin

Daï ti stoït to kenziDaï di choul gunAlé arbertenzidor britss a garssilandOun solt mir haï laï guéshildVervilst baï dé la tér dev shvildMit mir Lili Marlin

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Oy te shim ler groïéot téyé di grountIp bi spchi di troïédam filip tou mountVensvi shti bétn nibeurdrinkVi hitch baï dé la ter deu shtil

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2 - reCherCheS

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En avril 2011 j’ai décidé de me rendre dans le sud est de la Pologne, aux alentours de Lublin. Je voulais me rendre dans les shtetl décrits par l’auteur de litterature yiddish Isaac Bashevis Singer. Je désirais voir de mes propres yeux un espace qui était pour moi de l’ordre de l’imaginaire. J’avais jusqu’alors échafaudé mentalement un paysage exotique et stéréotypé, à partir de mes lectures et des chants yiddishs

a - voyage en poLogne

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Avant mon départ, j’ai fait un long travail de relecture. J’ai retrouvé tous les noms des shtetl en yiddish dans les différents livres. J’ai du ensuite trouver leur orthographe polonaise pour les situer géographiquement.

* - préparation au voyage

Finalement, pour des raisons pratiques de transport et de temps, je ne suis allée que dans une partie d’entre eux (en bleu). Cependant en étant sur place, je me suis rendue dans d’autres shtetl que Singer ne décrit pas forcèment, tels que Wlodava, Szczebrzeszyn, Łęczna, Bigoraj…

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Shtetl conte/roman pologneRachev Un conseil AnnopolFrampol Gimpel le naïf

Celui qui voit sans être vu

Histoire des trois souhaits

Frampol

Krashnik Le miroir KràshnikZamoshtsh A la lumière des bougies ZamoscYanov Le feu

Le mendiant l’a dit

Histoire des deux mendiants

Nafatali le conteur et son cheval Sus

Janow

Komarov joie introuvableTurbin Le tueur de femmes

L’homme qui est revenu

Turobin

Kreshev La destruction de Kreshev KrzeszówLublin Le magicien de Lublin lublinKhelm Les sages de Chelm

Shlemiel homme d’affaire

Lemel et Tzipa

Chełm

Gorshkov Hershele et Hannukah introuvableTrisk Le châtelain TurzyskTishevitz De dernier démon tyszowceGoray La corne du bélier GorajYosefov Le vieil homme JózefówTzivkev Le mariage noir introuvable

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Ce carnet de voyage a été réalisé à partir des notes et des photos que j’ai prises en avril 2011.

** - carnet de voyage

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Ces entretiens ont eu lieu à la suite d’une rencontre particulière. Seulement quelques unes sont rapportées ici. J’en réalise régulièrement auprès de personnes, ayant une relation particulière à la culture juive ashkénaze, rencontrées au cours de festivals, de concerts, de voyages... Elles représentent un moment de réflexion, un questionnement, et cherche surtout à donner parole.

b - entretienS

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J’ai réalisé ces entretiens avec des personnes qui travaillent au TeatrNN1, une institution culturelle qui sauvegarde la culture juive et polonaise à Lublin. Je leur demandais d’où leur venait leur intérêt pour la culture juive. La plupart des personnes interviewées ont entre 25 et 30 ans, elles font donc partie de la deuxième génération après la Shoah, et en ont une approche particulière.

La traduction du polonais au français a été réalisée par Agnieszka Zachariewicz.

1 Le teater NN est aussi appelé Brama Grodzka, qui désigne le lieu , la porte Grodzka, du siège de cette institution. Autrefois cette porte séparait le quartier juif du reste de la ville de Lublin.

* - brama grodzkaLublin le 26/05/11

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agnieSzka

« Avant, comme beaucoup de gens de mon âge, je ne savais pas grand-chose de la culture juive et de la Shoah. C’étaient des choses dont on parlait seulement à l’école secondaire. La rencontre effective avec les traces concrètes et matérielles d’une autre culture où nous avions grandi a toujours été pour moi quelque chose d’intéressant, d’inspirant. On me demande souvent d’où me vient cet intérêt qui me pousse à m’occuper professionnellement de ces sujets là. Ce sont surtout les gens de l’étranger qui nous posent ces questions, tandis que c’est une chose plus évidente pour nous il me semble. On peut vraiment toucher le passé. Il nous concerne directement parce qu’il est effectivement lié au lieu où nous vivons... »

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emiLe

« Je suis né dans un ancien shtetl et j’ai grandi dans une ancienne maison juive. Elle avait été habité jusqu’à la seconde guerre mondiale par une famille juive d’un cordonnier du nom de Faifefeldel. Ensuite c’est mon grand père, puis ma famille qui y a habité. Le fait que j’habitais dans une maison où avaient vécu autrefois des juifs, le fait que ma grand-mère m’ait parlé des gens qui ont habité là bas, de ses copines d’école et du voisinage juif, de la manière dont ils vivaient ensemble pendant la guerre, m’ont poussé à m’intéresser à l’histoire juive. Mais aussi à l’histoire locale et multiculturelle polonaise ; juive et ukrainienne dans le cas de mon village. Je pense que les sources du début, les raisons de mon intérêt à la culture juive viennent de ça…

De plus, chez moi, les temples des trois grandes religions sont conservés. Il y a l’église orthodoxe, l’église catholique et la synagogue. Jusqu’à récemment il n’y avait que la catholique qui fonctionnait. Les autres étaient en ruines et abandonnés. Une des fenêtres de ma maison donne sur l’église orthodoxe. Je me rapelle que l’on y stoquait des engrais à l’époque, maintenant elle est rénovée et de temps en temps elle fonctionne. Dans la synagogue on stoquait des céréales. Il y a près de 20 ans, elle a été aussi restauré. On a rénové des détails architecturaux, ça a été bien fait. Aujourd’hui elle fait office de bibliothèque.

Le village où j’ai grandi m’a donc porté à m’intéresser à la culture de l’Europe centrale, de l’est. Je me suis intéressé à la culture juive comme partie de l’histoire orientale, c’est un élément intégral de cette culture, de l’identité de l’Europe centrale et orientale. J’essaie maintenant de faire quelque chose avec cette maison familiale. Elle est devenue le siège officiel de l’association que j’ai fondée et nommée Panorama culture qui s’occupe de la promotion de la culture de l’Europe centrale et orientale dont la culture juive. Mon projet est de restaurer et d’organiser là bas une maison de rencontre, peut être aussi un petit musée. »

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domenika

« Comment était ce monde avant nous ? Voilà la question qui m’a portée à m’intéresser à la culture juive et interculturelle de Pologne. Dans mon enfance, ma grand-mère se souvenait encore du monde de l’avant guerre, elle me le racontait. Cet univers me semblait incroyable, bizarre et différent de celui d’aujourd’hui. Il m’était difficile de croire que tout cela s’était passé, que ce monde n’était pas en noir et blanc, que de petits villages parlaient plusieurs langues, que ce bâtiment en ruine près de la place du marché était une synagogue qui fonctionnait… Je la voyais quand j’étais petite… Je me rendais surtout compte que ces lieux étaient en fait le cimetière des gens d’une autre religion. Pour ne pas oublier, il me semble normal que l’on s’en occupe personnellement, qu’on s’y investisse personnellement. Moi j’ai commencé à m’impliquer car ma grand-mère et tous les autres gens de sa génération vont disparaitre. Après il n’y aura plus personne pour raconter de telles histoires. Heureusement, on peut recevoir beaucoup d’aide dans ce genre de recherches sur les histoires du passé. Le centre Brama Grodzka m’a permis d’enregistrer l’interview de ma propre grand-mère et de son histoire et aussi l’archiver dans la section histoire orale. On peut utiliser de tels témoignages dans des activités qui promeuvent le passé juif. Selon moi, l’héritage juif est l’un des sujets dont il faut le plus s’occuper car c’est quelque chose qui est en train de disparaitre.

Je ne suis pas une personne qui se serait intéressée à ce sujet parce que c’était la culture juive en soi. Si j’avais eu un choix, probablement je n’aurais pas choisi comme centre d’intérêt cette culture en particulier, mais je n’ai pas eu le choix. Comme dit souvent Robert Kuwalek (qui s’occupe du camp de concentration de Majdanek) ; si avant la guerre avaient vécu des turcs ou des esquimaux, probablement on s’y serait intéressés. On aurait essayé de la même manière de préserver leur histoire et de découvrir leurs traces. »

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Witek

« C’est la porte Grodzka qui m’a donné il y a 20 ans l’envie de m’interesser à la culture juive. La découverte de cette porte symbolique, de tout ce monde qui se trouvait derrière, m’obligeait à poursuivre cette découverte de ce qui s’est passé autrefois. On pourrait parler d’«imposition du lieu». Ca a commencé il y 20 ans, au moment où il n’y avait plus rien de ce qui s’était passé dans le monde juif et qui avait pourtant existé pendant des siècles. A l’époque je parlais et je pensais à la Shoah comme à un désastre qui concernait plusieurs nationalités sans y voir le lien central avec les juifs et sans comprendre que l’holocauste était lié à la destruction de ce peuple. C’est ici, à la brama grodzka que j’ai découvert mes premières lectures, que j’ai appris l’alphabet hébraïque, mes premiers mots en hébreu. C’est ici que j’ai appris mes premières chansons en yiddish, rencontrer des gens avec qui je me suis lié d’amitié. Cet intérêt pour la culture juive commençait de zéro parce que je ne savais rien. Au bout de plusieurs années, plus je devenais proche de ce savoir, plus je me rendais compte de mon manque de connaissance. C’est ici que toutes les histoires commençaient, les adresses, les noms, les chiffres, peu à peu remplissaient ce vide, cet espace blanc dans ma vie.

Aujourd’hui après toutes ces années, je peux dire que ce savoir fait partie de moi-même. Ma vie personnelle en est aussi affectée. Le soir , chez moi je lis des mémoires, des livres, je réfléchis sur cette question : comment tout ça a t-il pu se passer ? Comment tout ce qui est arrivé au XXe siècle a pu arriver? Comment moi-même j’aurais pu me comporter dans tout cela? Je me demande comment nous pourrions faire pour qu’une telle tragédie ne se répète plus jamais. C’est pourquoi je peux dire que la majorité de ma vie c’est la porte Grodzka, ce sont ces fantômes juifs qui sans doute l’habitent, c’est la découverte de ce monde, la réflexion sur le passé, le présent et l’avenir. »

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J’ai rencontré Adva en juillet 2011, en Pologne, lors du festival « sur les traces de Isaac Bashevis Singer ». Nous sommes restées trois semaines ensemble ; elle comme comédienne, moi comme musicienne. L’entretien a eu lieu deux mois plus tard, lorsqu’elle est venue me rendre visite en France. Il s’est fait en anglais, autour de photos que j’avais prises lors du festival.

** - advaAlfortville, 29/09/11

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Il y a Danielle Adas and Andrej. Danielle et Adas sont d’Israel même si Adas travaille à Lublin. Andrej est polonais, de Cracovie je crois. Nous sommes en train de faire le kavala shabbat, la cérémonie avant le repas. Tu fais la bénédiction sur le vin, tu te laves les mains et tu fais une prière sur le pain aussi. Avant les femmes ont allumé les bougies. On a fait ce Shabbat à Szczebrzeszyn…

Vous l’avez fait avec des gens qui n’étaient pas forcément juifs ?

Oui… En fait pendant le festival on était une quarantaine d’intervenants et il y avait des gens qui n’avait aucune idée de ce qu’on était en train de faire et je me rappelle que je trouvais ça un peu bizarre, je me demandais : « Pourquoi on fait ça ? ». D’un côté je pense que c’était bien. J’étais très fière de l’idée de Danielle mais d’un autre côté je nous sentais un peu comme dans un zoo et tout le monde était… hum… « On veut voir comment ils vivent et ce qu’ils font ».

Je me suis plusieurs fois dite qu’on ne le faisait pas bien, on ne suivait pas à la lettre la cérémonie. Le vin n’était pas cacher et on avait allumé les bougies trop tard. Je me demande si c’était vraiment important… Je n’ai pas grandi dans un environnement religieux mais quand même très traditionnel, alors quand on fait quelque chose on le fait bien… En même temps, je ne pouvais pas m’empêcher de penser : même si tu as une religion, si tu gardes des aspects traditionnels tu dois rester connecté avec le présent. Dans ce cas, peut être que ça va quand même si tu ne fais pas les choses parfaitement. Je suis souvent dans ce conflit ; faire quelque chose à ta manière ou faire les choses comme le veut le Livre.

Le fait que les gens n’étaient pas juifs faisaient que je me demandais: est ce que on est en train de leur donner la juste impression ? Je me rappelle que j’ai expliqué des choses à quelqu’un qui m’avait questionnée à propos du shabbat. Et je me souviens que je me demandais combien lui en dire.

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Qu’est-ce que tu as ressenti en faisant ce shabbat avec des polonais en Pologne ?

Je ne me souviens pas avoir penser quelque chose de particulier… Si… La dernière fois que quelqu’un a célébré ici Shabbat c’était sans doute il y a plus de soixante ans. J’étais très contente de rencontrer des polonais mais aussi très confuse. Je ne savais pas si en rencontrant des polonais, en devenant proche de certains d’entre eux ça voulait dire oublier ou en tous cas ne pas penser au fait que l’un des grand parents de ces personnes était peut être mêlé avec ce qui est arrivé aux juifs. Mais je veux être proche des polonais même si les grands parents ont fait quelque chose.

Je ne sais pas ce que ça veut dire ce shabbat. Je me souviens que Danielle avait le même problème quand elle présentait son spectacle1. Ca lui posait parfois problème de partager la vie de sa grand-mère avec les gens de ces villages… Dans ces endroits où elle avait tellement souffert. Je lui ai dit que le faire ne pouvait pas être mal, qu’au contraire le fait de rencontrer des gens, de se découvrir mutuellement, c’est plutôt quelque chose de beau. Mais il y a toujours ce sentiment d’irrespect face à la mémoire des juifs qui ont vécu ici, qui sont morts qui ont souffert tellement dans ces endroits. Je ne sais pas, je n’ai pas de réponses…

1 Danielle, une autre israëlienne, présentait un monologue racontant la vie de sa grand mère qui avait fui la Pologne pendant la guerre.

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Tu te rapelles qu’on était allées toutes les deux dans ce cimetière à Josefow. C’était la première fois que tu allais dans ce genre de lieu?

J’ai déjà venu une fois en Pologne, mais je ne me souviens pas avoir visité de cimetières, seulement des camps. Cet été, c’était la première fois que j’allais dans un cimetière juif en Pologne. Je me souviens que je ne savais pas quoi ressentir. Je me demandais ce que j’aurais du penser. C’est horrible et difficile à voir, de voir toute cette herbe… Celles-ci tu peux évidemment les voir mais il y avait toute une autre partie où les tombes étaient recouvertes d’herbe, au point que tu ne pouvais même pas y avoir accès. Du coup c’était dur de penser qu’il y avait des gens qui étaient enterrés ici. En même temps, tu penses que le monde entier est recouvert de tombes. Des gens sont morts il y a 100 ou 200 ans et personne ne sait qu’ils sont enterrés là.

Oui mais ici c’est différent, il n’y a de toutes manières plus personne pour s’en souvenir…

Oui, ce cimetière est un symbole de la communauté qu’il y avait ici et qui a complètement disparu. Il n’y a personne qui est resté et même s’il y avait des survivants ils ne reviendraient pas.

Du coup qui est-ce qui devrait prendre soin de ces tombes ?

Je ne veux pas y penser… Peut être que c’est la ville de Josefow qui devrait en prendre soin... Le préserver ça serait peut être se rappeler de ce qui est arrivé et de cette manière promettre que ça n’arrivera plus. Mais ils ne veulent pas faire ça.

Pourquoi ?

Je ne sais pas, parce qu’ils ont leur vie et que les gens ont oublié. Je ne sais pas si je veux ressentir les gens en culpabilité. La culpabilité ne m’aide pas, ce qui m’aiderait plus c’est de savoir que ça n’arrivera plus.

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Tu peux lire ce qu’il y a d’inscrit sur cette tombe?

Dobre, dobrevish… Je pense que c’est un nom. Ce n’est pas écrit en hébreu mais en yiddish.

Et tu ne parles pas yiddish ?

Non.

Pourquoi ?

Il y a plusieurs raisons. Avant tout, seulement mon grand père le parlait et d’aussi loin que je ne m’en souvienne je ne l’ai jamais entendu parler un autre langage que l’hébreu. Je pense que ça représente une culture, une manière de penser des juifs d’origine d’europe de l’est qui sont venus en Israël. Le fait qu’il ne parlent plus yiddish vient en partie de ce qu’ils ressentent mais c’est aussi à cause de la manière dont le peuple israëlien conçoit cette langue. Tu ne parles pas yiddish en Israël : tu parles hébreu, la langue des forts. Tu connais Sabakh ? C’est un juif qui est né en Israel. Il était fermier et il parlait hébreu, il se protégeait de toutes ces choses qui viennent d’Europe de l’est. Nous sommes éduqués pour considérer le yiddish comme la langue des faibles.

Pour toi le yiddish est la langue des faibles ?

Non pas pour moi et ma famille, mais pour le pays. Tu comprends mieux pourquoi mon grand mère ne parlait plus yiddish maintenant. Je ne l’ai jamais entendu quand j’étais enfant et même si c’était le cas je n’aimerais pas le parler. Je pense que c’était une langue pour un temps, dans un endroit. Maintenant nous parlons hébreu. Tu as des juifs qui viennent de la planète entière en Israël alors pourquoi parler yiddish ? Pourquoi pas ladino ? Non, l’hébreu c’est la langue que tout le monde peut parler.

Tu ne parleras donc jamais yiddish ?

Non ça ne fait pas partie de mon identité.

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Et vis à vis de ton grand père et tous tes ancêtres ashkénaze?

Je pense que tu peux choisir ton identité, non ? Tu peux choisir une partie que tu veux et l’autre tu l’oublies. Tout ce qui a à voir avec mes racines ashkénazes ne font pas partie de mon identité. Mon grand père n’a jamais parlé à ses enfants, il ne leur a rien dit à propos de l’Allemagne, de sa vie en Europe, ce qui est arrivé à sa famille, à lui-même. La nourriture… Ma grand-mère quand elle était encore en vie cuisinait français, pas des plats de l’Europe de l’est. Mon père ne se rappelle de rien, comment pourrais-je ?

Qu’est ce que tu penses des gens comme les gens de Brama Grodzka ou moi qui s’intéressent tellement à la culture juive ashkénazes ?

Souvent je ne comprends pas. C’est un peu comme ces américains qui sont fascinés par les indiens. Ils sont intéressés par une culture qui était là mais qui n’existe plus. Je me demande souvent, quel est l’intérêt ? D’un autre côté je me demande pourquoi je ne m’y intéresse pas moi même. Toi tu ressens et tu aimes le chant yiddish, tu le vis avec émotion, tu en ressens le pouvoir, pour moi ça reste une musique étrangère, comme le serait de la musique gypsie. Je suis vraiment confuse… Mais c’est drôle. Je ressens aussi que je devrais en apprendre davantage.Je pense que quand tu chantes je comprends pourquoi c’est magnifique. Tu ramènes à la vie quelque chose qui n’existe plus dans ces endroits. J’admire cela. Quand tu joues quelque chose de très puissant advient… Alors pourquoi je devrais me préoccuper si tu es juive ou pas ?

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« Je n’étais plus un Moi et je ne vivais plus dans un Nous.»

Jean Améry

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Bref, il1est grand temps de te décrire ce que je fais. Quel était le fil commun à toutes ces pièces dispersées ?

Je me suis servie de formes langagières prééxistantes et de la manière dont elles s’incarnent dans la réalité. Je les ai reproduites au plus près. Je voulais que leur imitation soit suffisamment « réussie » pour qu’elles soient vraisemblables, qu’elles soient identifiables à leur référent. Ainsi j’ai pris des chants et les ai performés sous forme de concert, un discours sur l’art déclamé lors d’une conférence, une présentation d’un mouvement associatif et son exposé, etc… Dans un second temps (ou plutôt simultanément puisque la forme a été choisie dans ce but) j’ai créé une « petite » modification, un parasitage qui devenait de plus en plus assourdissant. Je faisais bégayer l’évidence habituelle du format d’origine. Je tentais de brouiller les frontières entre les langues (français/italien, langue des signes/latin). J’essayais de créer des porosités entre des genres (documentaire/fiction). L’autorité naturelle du langage et la « pureté » de la langue se dissolvaient, s’embrouillaient, balbutiaient. Je ne sais si on peut en tirer de conclusions définitives, y appliquer un sens. Et puis, c’est aussi un défi que de te les confier, de te laisser les comprendre à ta manière (dans la limite du raisonnable). Il faut pourtant que je revienne sur des points que mon travail a soulevés au risque d’un certain nombre de raccourcis. Je le ferai en m’appuyant sur quelque chose de l’ordre de l’expérience telle que la décrit Lacoue Labarthe : «(…) Je propose de l’appeler expérience, sous la « condition d’entendre strictement le mot _ l’ex-periri latin, la traversée d’un danger_ (…)2. »

2 Philippe Lacoue-Labarthe, La poésie comme expérience, Paris, Christian

poStFace

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Deux expériences de cet ordre m’ont poussée à m’arracher de l’évidence de la langue. Elles m’ont comme mise à l’extérieur de quelque chose d’intime et automatique. J’ai eu l’impression de reprendre/perdre la mesure de la langue. Tout ce qui semblait acquis s’effondrait. La première est le fait d’avoir eu la possibilité de séjourner à l’étranger et d’apprendre une autre langue que la mienne. L’italien, en l’occurrence, étrangisait l’ordinaire. Il venait m’étonner sur ce qui était jusqu’à présent quelque chose de si habituel, à savoir la langue comme contrat social et la langue comme moyen de penser/ée. N’ayant aucune notion d’Italien, j’étais au début dans l’impossibilité de communiquer avec l’extérieur. J’étais comme muette. D’ailleurs ce n’est pas un hasard si les grecs appelaient l’étranger qui ne parle pas leur langue, le barbare signifiant bègue. Par ce biais, j’ai réalisé l’importance de la langue dans notre rapport au monde. Comment l’acte de parole nous permet de transmettre l’interne vers l’externe. Le pont (si complexe soit-il) qui nous permet de propager le concept devenu image acoustique était rompu. Je n’avais plus le lian qu’est la langue. Ne maitrisant pas ce code collectif j’étais dans l’impossibilité d’échanger verbalement. La langue « est la partie sociale du langage extérieur à l’individu, qui lui à lui seul ne peut ni la créer ni la modifier ; elle n’existe qu’en vertu d’une sorte de contrat passsé entre les membres d’une communauté3. ». La langue m’apparut alors comme une garantie d’être un partenaire social, un moyen essentiel d’exister dans une communauté.

Au-delà de remettre en cause mon lien linguistique avec l’extérieur, l’apprentissage d’une langue étrangère me bouleversa intérieurement. Elle me fit prendre conscience de ma langue maternelle, du rapport particulier que j’ai avec elle. Jusqu’à présent une table était une table, son nom était l’objet en quelque sorte. La réalité maintenant se dédoublait, une table devenait aussi il tavolo. La photographie, Le reflet, de Elina

Bourgois éditeur, collection « détroits », 1986, p 30 3 Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale, Paris, Payot et rivages, 2005, p31

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Elina Brotherus, le reflet, suites françaises 2, 70x56cm, 1999

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Brotherus évoque cette reprise de mesure du monde. Etant suédoise, effectuant un séjour à Paris, cette artiste vient coller sur chaque objet un post-it sur lequel est écrit son nom français. Cet acte met en avant le lien devenu presque naturel que nous avions au monde avant la venue d’une langue étrangère : « pour un monolingue, la langue maternelle n’est pas seulement une langue, elle n’est pas seulement un moyen de résoudre des problèmes de communication, elle est aussi, et peut être avant tout, le système sémiotique de référence pour la compréhension du monde (…). Elle est en quelque sorte la forme absolue du monde4. ».

Ma réalité est façonnée par ma langue mère, parce que c’est avec elle que j’ai commencé à l’appréhender. Elle est mère parce qu’elle est mon enceinte d’origine mais aussi l’interface avec laquelle je comprends, organise et pense le monde « Abstraction faite de son expression par les mots, notre pensée n’est qu’une masse amorphe et indistincte. Philosophes et linguistes se sont toujours accordés à reconnaitre que sans le secours des signes, nous serions incapables de distinguer deux idées d’une façon claire et constante… Il n’y a pas d’idées préétablies, et rien n’est distinct avant l’apparition du langage5. ».

La6deuxième expérience parallèle à ce séjour mais aussi à de nombreux voyages, est celle d’être chanteuse. Apprendre à chanter c’est prendre conscience de ce qu’est la matière de la langue ; à savoir la voix. C’est se pencher sur son fonctionnement physique. Ca demande de se mettre à l’extérieur de sa langue pour

4 Pierre Bange, L’apprentissage d’une langue étrangère cognition et interaction, Paris, l’Harmattan, collection sémantiques, 2005, p25 op.cit, p 285 Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale, opus cit., p 1556 Gilles Deleuze et Félix Guattari, Kafka, pour une littérature mineure, Paris, éditions de minuit, collection critique, 1975, p 35-36

« Riche ou pauvre, un langage quelquonque implique toujours une déterritorialisation de la bouche, de la langue et des dents. La bouche, la langue et les dents trouvent leur territorialité primitive dans les aliments. En se consacrant à l’articulation des sons, la bouche, la langue et les dents se déterritorialisent6. »

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la réapprendre, la replacer correctement. Ca requiert une prise de distance, une remise en cause de l’acte de parole.Ces deux expériences ont posé bien évidemment des questions quant à la nature même de la langue. Langue étrangère, langue maternelle, langue pensée, langue son. La langue est sans arrêt reliée à d’autres secteurs, je dirais « identitaires ».

En7apprenant l’italien et en séjournant dans un pays étranger, j’ai ressenti ce type de dédoublement décrit par Vincent Debaene à propos des premiers ethnologues. J’avais l’impression de prendre une distance avec ma propre langue, la ressentir autrement. Elle résonnait parfois comme une « autre ». J’en prenais les mesures, la comparais à celle qui s’immisçait en moi. Quand j’apprenais un nouveau mot, une nouvelle formule italienne, j’analysais celle-ci au regard du français, trouvais des liens. Le français était lui aussi passé au tamis, remis en question, compris autrement. Un des cas (sans doute commun à tous ceux qui vivent à l’étranger) qui m’a fait le plus ressentir ma propre langue comme extérieure, est le fait de pas avoir pu la parler pendant plus de deux mois. Lorsque j’ai du communiquer de nouveau avec un autre français, je me rappelle qu’elle ne me revenait pas totalement. Je mélangeais les termes, cherchais mes mots. J’écoutais comme de l’extérieur sa musicalité, ressentais charnellement son articulation. C’était à la fois extrêmement agréable de se sentir décollée à ce point là mais aussi inquiétant. L’intrusion de la langue étrangère au-delà de me rendre ma langue maternelle plus distante m’en faisait aussi comprendre les limites. « A cause d’elle » je ne pouvais pas parler comme un italien. Elle avait marqué ma prononciation tellement fort, qu’au moindre mot on savait que ma langue-mère était le français. Le r roulé et surtout

7 Vincent Debaene, L’adieu au voyage, l’ethnologie française entre science et littérature, Paris, Gallimard, collection bibliothèque des sciences humaines, 2010,

p71

« le voyageur se dédouble, entre celui qu’il est et celui qu’il doit devenir, ou entre celui qui éprouve et celui qui observe, devenant en quelque sorte son propre terrain d’investigation7.»

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l’accentuation aux mauvais endroits me trahissaient sans arrêt. De même la structure de mes phrases, le choix de mes mots étaient très souvent tamponnés par leurs origines linguistiques. Mais je crois que toute cette mise à distance, la prise en considération de ses limites me la rendit paradoxalement très proche. Elle était à certain moment, lorsque je n’avais plus de contact avec nul francophone, juste à moi. Elle revenait le soir, ou dans des moments de réflexion. Elle était ma langue intime, secrète. Noble et belle, réservée à mes sentiments et pensées plus complexes que ceux que l’italienne (celle du quotidien, de la communication) ne savait pas remplacer. Elle restait aussi pour moi une référence, souvent la plus juste dans sa désignation des choses. Et je me rappelle encore de débats enflammés autour de la mer qui devenait masculin en italien, il mare, chose pour moi déplacée, extérieure. La mer, la fleur, le papillon, l’art, autant de noms qui n’étaient définitivement pas interchangeables dans leur genre. Comme le dit Amery 8: « on passe chez elle (la langue étrangère) comme on rend visite à des amis ; la table ne sera jamais der tish, tout au plus peut-on s’en remplir l’estomac8.»Je prenais donc conscience de mon attachement profond avec ma langue-mère. Si je voulais accueillir l’autre je ne pouvais le faire qu’en lui trouvant sa place au sein de ma langue d’origine. Je ne pouvais pas me l’enlever, je la portais en moi comme une constante, quelque chose de définitivement ancré. Derrida décrit magnifiquement ce rapport à la langue « maternelle » unique9:

8 Jean Amery, Par delà le crime et le châtiment, essai pour surmonter l’insup-portable, Paris, Actes Sud, 1995, p 999 Jacques Derrida, Le monolinguisme de l’autre ou la prothèse d’origine, Paris,

Galilée, 1996, p 13

« Je suis monolingue. Mon monolinguisme demeure et je l’appelle ma demeure et je le ressens comme tel, j’y reste, je l’habite. Il m’habite. Le monolinguisme dans lequel je respire, c’est pour moi l’élément. Non pas l’élément naturel, non pas la transparence de l’éther mais un milieu absolu. Indépassable, incontestable ; je ne peux le récuser qu’en attestant son omniprésence en moi9. »

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Ce retour aux souches dépassait la langue. C’était, c’est mon être tout entier qui est affecté par mes voyages. Ce sont eux qui m’ont, pour la première fois, par dépaysement, procuré une sensation d’origine. Le sentiment de venir de quelque part, d’un là bas. Je n’étais pas d’ici, j’étais aux yeux des autres d’ailleurs. Cet ailleurs, dans mon cas, c’était la France. Quand je suis rentrée pour la première fois, au bout de 6 mois, je me rappelle avoir été saturée par l’extérieur. Je comprenais toute la masse bruyante autour de moi, ça me fatiguait. Je me souviens aussi me sentir en terrain connu et familier, je me sentais appartenir à cet univers. Bailly parle à ce propos, dans un livre qui s’appelle justement Le dépaysement, de l’émotion de provenance, cette sensation qui permet de se dire « tellement français ». Ce sentiment lui vient lorsqu’habitant à New York il regarde le film La règle du jeu de Renoir10:

Le fait d’être chanteuse yiddish a tout autant concouru à ces questionnements de provenance que le voyage/séjour à l’étranger. Je chante en yiddish et joue de l’accordéon dans un groupe de musique juive. Je suis pourtant « goy ». Ce qui me stimule à m’intéresser à un tel répertoire n’est donc pas du à mes origines. Je ne cherche pas à m’en rapprocher, à les revendiquer en chantant. J’aime la musique juive d’Europe centrale, tout simplement. Comme un bon nombre d’artiste (Fabriano da Gentile, les orientalistes, Debussy, Picasso, Luciano Berio…) j’ai été attiré par la beauté d’une forme qui m’était étrangère. Je trouvais la langue, les mélodies si belles que j’ai voulu m’en imprégner. Par la

10 Jean Christophe Bailly, Le dépaysement, voyages en France, Paris, Seuil, collection fiction et compagnie, 2011, p 8

« Ce que ce film tellement français, ainsi visionné à New York me disait à moi qui au fond n’y avais jamais pensé, c’est que cette matière qu’il brassait (avec la chasse, le brouillard, les roseaux, les visages et les voix. Les voix off surtout) étaient miennes ou que du moins, et la nuance qui ôte le possessif est de taille, je la connaissais pour ainsi dire fibre par fibre – mieux, ou pire, j’en venais10. »

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suite, cette découverte m’a tellement passionnée que j’ai décidé de m’y « arrêter » (ou plutôt d’y avancer), de pousser mes recherches plus loin. Pour cette raison je me suis mise à lire des ouvrages en traitant, à apprendre le yiddish, à voyager en Pologne etc… Tu me diras, quoi d’étrange en cela ? C’est une démarche qui peut avoir du sens et de la légitimité dans le cadre d’une recherche artistique. Cependant, c’est bien loin d’être aussi simple. La langue, en l’occurrence le yiddish, et sa musique traditionnelle sont reliées à des questions d’appartenance identitaire dont je ne soupçonnais pas la force. Pour certains on ne peut pas en jouer « sans être du shtetl ». Je suis maintenant habituée à entendre à mon égard des propos extrémistes (voire racistes) par certains, à ne pas être acceptée par d’autres. J’essaie de ne pas en tenir compte. Après tout, je ne cherche pas à être juive ni à défendre quoique ce soit si ce n’est le droit que j’ai en tant que musicienne de jouer ce répertoire. Certains sont persuadés que la langue et la musique sont les leures, qu’ils les possèdent, qu’ils ont un droit dessus. Je me rappelle encore des propos d’un chanteur populaire yiddish : « vous ne jouerez jamais aussi bien qu’une juive ». Ces questions d’appartenance culturelle sont d’une complexité inouïe qui vous rebrousse le poil dès que l’on les aborde. Elles demandent une grande force, humilité, prudence et patience à qui veut ou doit s’y confronter. Elles comportent en elles « une aveugle pulsion généalogique » dangereuse et glissante. Je suis bien loin de les avoir cernées, j’avance du mieux que je peux, à tâtons, en croyant à la légitimé de ma démarche de chanteuse. Cette expérience de rejet de la part de certains membres d’une communauté, m’a portée à me questionner moi-même sur mon origine. Si je ne suis pas ceci, je suis peut être cela11.

11 Jacques Derrida, Le monolinguisme de l’autre ou la prothèse d’origine, opus

cit,. p24

« On se rappelle, on s’inquiète, on se met en quête d’histoires et de filiations. En ce lieu de jalousie, en ce lieu partagé de vengeance et de ressentiment, en ce corps passionné par sa propre division (…)11..»

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Comment analyser cette recherche d’origine. Comment la définir? Par mon territoire de naissance ? Mes ancêtres, ma filiation, ma culture, ma langue ? Je suis revenue régulièrement en Mayenne (là où réside ma famille et où je suis née) malgré tout confrontée à la notion d’ heimat telle que Améry la décrit : « On fait l’expérience de l’environnement de son premier pays de la même manière que l’on apprend la langue maternelle sans en connaître la grammaire. La langue maternelle et le pays de l’enfance grandissent avec nous, grandissent en nous et deviennent l’univers familier qui garantit la sécurité12. ». C’est vrai que je ressentais, en m’y concentrant, une familiarité avec les lieux, un certain attachement affectif parce que j’y avais vécu mon enfance… Mais c’était bien loin d’un amour patriotique démesuré, d’une sensation d’appartenance à toutes épreuves. La différence béante entre ma situation et celles de tant d’autres, est que j’ai fait le choix d’être ailleurs. Ce n’est ni une guerre, ni une situation économique en crise, ni des difficultés politiques ou ethniques qui m’ont poussée à partir. Si terre natale il y a c’est parce que j’y suis née. Elle à partir de quoi j’ai décidé de m’en aller. J’ai davantage ressenti la Mayenne comme une partie de moi, une pièce d’un puzzle qui s’emboîtait à l’ensemble.

Ces13différentes strates d’expériences ont nourri mon travail. Parce que je crois qu’il questionne justement ces notions d’identité qui tentent d’être des entités closes et rassurantes. Parce que je pense, qu’au contraire, il affiche la langue, la culture, le territoire comme des zones de porosité. Il suggère qu’elles se définissent par l’existence des autres et par leur relation avec elles et non pas intrinsèquement. Il met en branle la notion de catégorie, de définition, les écartèle, les pousse au bout. Il se situe à la limite, il n’est ni dedans ni dehors, mais sur l’interstice.

12 Jean Amery, Par delà le crime et le châtiment, essai pour surmonter l’insup-portable, opus cit., p 9313 Gilles Deleuze et Félix Guattari, Kafka, pour une littérature mineure, opus

cit., p 49

« Même unique, une langue reste une bouillie, un mélange schizophrénique, un habit d’Arlequin à travers le quel s’exercent toutes les fonctions du langage et des centres de pouvoir distincts ventilent ce qui peut être dit et ce qui ne peut pas l’être13. »

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J’ai commencé à en faire l’inventaire mais leur nombre m’a arrêté...

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www.tnn.plwww.zikanina.blogspot.comwww.akadem.org

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Je remercie

Fédérico Nicolao, Pascale Borrel, TeatrNN, Eric Maillet, David Zouker, David Fargeon, mes parents.

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Introduction..............................................................................7

I - Stranieri ovunque..................................................13 II - LSMM.................................................................39

III - Stranierois..........................................................87

IV - Yiddish.............................................................135

Postface.................................................................................185

Bibliographie.........................................................................195

Remerciement........................................................................209

Sommaire

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en couverture : Vierge de l’humilité de Gentile da Fabriano, 1423