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Erin Hunter
LA GUERRE DES
CLANS
La quête de l’Étoile deFeu
Traduit de l’anglais par Betty Peltier-
Weber
POCKET JEUNESSE
COPYRIGHTTitre original :
Firestar’s Quest
Remerciements tout particuliersà Cherith Baldry.
Contribution : Aude Carlier
Loi n° 49 956 du 16 juillet 1949
sur les publicationsdestinées à la jeunesse :
décembre 2010.
© 2007, Working Partners Ltd.
Publié pour la première fois en2007 par Harper Collins
Publishers.Tous droits réservés.
© 2010, éditions PocketJeunesse, département
d’Univers Poche,pour la présente édition et la
traduction française.La série « La guerre des Clans »a été créée par Working Partners
Ltd,Londres.
ISBN : 978-2-266-20524-5
PréambuleDepuis des générations,
fidèles aux lois de leursancêtres, quatre clans de chatsse partagent la forêt. C’est ceque découvre avec étonnementRusty, un jeune chatdomestique. Fasciné par la vietrépidante des guerriers, ildécide de rejoindre le Clan duTonnerre. Il y devient apprenti,mentor, puis lieutenant, avantd’en prendre la tête sous le nomd’Étoile de Feu. Face aux luttesfratricides, aux famines et aux
épidémies, il tente de guider lessiens tout en respectant le codedu guerrier et en interprétant aumieux les rêves que lui envoie leClan des Étoiles. Ces guerriersdisparus veillent sur la forêt, etleurs âmes brillent dans le cielnocturne. Étoile de Feu leuraccorde une confiance totale.Peut-être à tort. Mais sur quipourra-t-il compter si cesvénérables ancêtres trahissentsa confiance ?
LES CLANS
CARTES
PROLOGUE
PROLOGUE
LA PLEINE LUNE flottait dans leciel, déversant sa lueur froidesur la forêt. Une brise légèremurmurait à travers les feuillesde quatre énormes chênes ; denombreux chats, aux fourrures
mouchetées d’ombre et delumière, se laissaient glisserdans le ravin, juste en dessous.
Un matou râblé, couleurrouille, émergea des buissons,bondit à travers la clairière poursauter sur la crête du grandrocher qui la dominait.
Trois autres félins l’yattendaient. Une chatte, aupelage brun tigré, le salua eninclinant la tête.
« Salut, Étoile Rouge !miaula-t-elle. La chasse estbonne pour le Clan duTonnerre ?
— Nous sommes gâtés, je teremercie, Étoile de Bouleau,rétorqua le chef du Clan duTonnerre. Et pour vous, au Clande la Rivière, tout se passebien ? »
Avant que la chatte ait purépondre, l’un des autres chefsl’interrompit, grattant la surfacerêche de ses griffes. Dans le clairde lune, sa fourrure gris-noirapparaissait comme une ombre.
« Il serait temps que cetteAssemblée commence,rouspéta-t-il d’une voix rauque.Nous perdons du temps !
— On ne peut pas encoredébuter, Étoile du Martinet !miaula une chatte dont le pelagebrun clair reflétait lescintillement givré des étoiles.Tout le monde n’est pas arrivé. »
Étoile du Martinet laissaéchapper un grognementd’impatience.
« Le Clan du Vent a mieux àfaire que de rester assis là, àattendre des individus qui ne sedonnent même pas la peined’être ponctuels !
— Oh, regardez ! »Étoile Rouge pointa sa queue
vers le haut de la butte. Lasilhouette d’un chat sedécoupait dans la lueur pâle dela lune. Il resta immobile unbref instant, puis agita la queueet disparut dans les buissons.D’autres chats le suivirent,longeant le bord du coteau,avant de dévaler la pente sous lebruissement des branches.
« Formidable ! s’exclamaÉtoile du Matin. Le Clan du Cielest enfin arrivé !
— Il était temps ! » grommelaÉtoile du Martinet.
Puis il interpella le chat qui
apparut le premier dans laclairière :
« Alors, Étoile de Givre !Pourquoi un tel retard ? »
Le chef du Clan du Ciel, à lafourrure gris pâle tachetée denuages blancs, étaitétonnamment petit pour unmatou. Il ne répondit pas à laquestion d’Étoile du Martinet,mais se fraya un passage parmiles chats et bondit sur le rocherpour rejoindre les autres chefs.
Derrière lui, de plus en plusde félins émergeaient desbuissons. Un groupe de jeunes
apprentis, serrés les uns contreles autres, s’aventurèrent enlisière du Clan, les yeuxécarquillés de peur etd’excitation. Ils étaient suivispar les anciens, dont certainsboitaient. L’un d’entre euxs’appuyait lourdement contrel’épaule d’un guerrier. Deuxreines portaient chacune unminuscule chaton entre lesmâchoires ; d’autres petits, àpeine plus âgés, avançaient àleur côté, titubant de fatigue. Lereste des guerriers entourait cesretardataires pour les protéger.
« Par le Clan des Étoiles !s’exclama Étoile du Martinet.Dis-moi, Étoile de Givre, je rêveou tu as ramené ton Clan augrand complet à notreAssemblée ? »
Étoile de Givre soutint leregard étonné du chef du Clandu Vent.
« Tu as raison, c’est en effettout mon Clan.
— Et pourquoi donc ?demanda Étoile de Bouleau, lechef du Clan de la Rivière.
— Parce que nous ne pouvonsplus vivre sur notre territoire.
Les Bipèdes l’ont ravagé.— Comment ça ? s’étonna
Étoile Rouge. Mes patrouillesm’ont rapporté que le nombrede Bipèdes avait augmenté surton territoire et que le bruitprovoqué par leurs monstresétait devenu insupportable, maisils ne peuvent pas l’avoircomplètement détruit, tout demême !
— Si, malheureusement. »Étoile de Givre contemplait la
clairière comme s’il y percevaitautre chose que les buissonsbaignés par le clair de lune.
« Ils sont arrivés avecd’énormes monstres qui ontarraché nos arbres et retourné laterre. Tout notre gibier a étémassacré ou s’est enfui,terrorisé. Les créatures de fersont maintenant tapies autourde notre camp, prêtes à bondir.Le Clan du Ciel n’a plus deterritoire. »
Puis, se tournant vers lesautres chefs, il ajouta :
« J’ai amené mon Clan icipour solliciter votre aide. Il fautque vous nous cédiez une partiede vos terres. »
Les chats poussèrent desmiaulements de protestation. Àla lisière de la clairière, lesmembres du Clan du Ciel seresserrèrent, les guerriers lesplus forts postés à l’extérieur,prêts à l’attaque.
Étoile du Martinet fut lepremier à répondre :
« Vous ne pouvez pas tousvous présenter ici et exiger unepartie de notre territoire ! Onarrive à peine à nourrir nospropres Clans. »
Étoile Rouge se dandina surses pattes, mal à l’aise.
« Pour l’instant, il y a pas malde proies, parce que c’est lasaison des feuilles vertes. Maisque se passera-t-il à la mauvaisesaison ? Le Clan du Tonnerreaura tout juste de quoi senourrir.
— C’est la même chose pourle Clan de l’Ombre ! miaulaÉtoile du Matin en le défiant deses yeux verts. Nous sommesplus nombreux que vous tous,ajouta-t-elle. Nous avons besoinde tout notre territoire pourfaire face à nos propresbesoins. »
Le regard d’Étoile de Givre setourna vers le seul chef qui nes’était pas encore exprimé.
« Étoile de Bouleau ? Qu’enpenses-tu ?
— J’aimerais vous aider,expliqua la chef du Clan de laRivière. Sincèrement. Mais larivière est très basse et il estplus difficile que jamaisd’attraper du poisson. Sansoublier que les chats du Clan duCiel ne savent pas pêcher !
— Exactement, renchéritÉtoile du Martinet. Et seuls leschats du Clan du Vent sont assez
rapides pour attraper des lapinset des oiseaux dans la lande. Jene vois pas où vous pourriezinstaller votre camp sur notreterritoire. Vous en auriez viteassez de dormir sous les ajoncs.
— Alors qu’est censé fairemon Clan ? » miaula faiblementÉtoile de Givre.
Le silence tomba sur laclairière comme si chaque chatretenait son souffle. D’un seulmot, Étoile Rouge le rompit :
« Partir.— Très juste ! grommela
Étoile du Martinet. Quittez la
forêt et trouvez-vous un autreendroit ! Assez loin d’ici pourque vous ne soyez pas tentés denous chaparder notre gibier. »
Une jeune chatte tigrée noiret argent se dressa sur sespattes.
« Étoile du Martinet !protesta-t-elle. En tant queguérisseuse de ton Clan, je peuxte dire que le Clan des Étoilessera mécontent si nouschassons d’ici le Clan du Ciel. Ily a toujours eu cinq Clans dansla forêt. »
Étoile du Martinet baissa les
yeux vers sa guérisseuse.« Tu prétends connaître le
désir du Clan des Étoiles, Ailed’Alouette. Mais peux-tu medire pourquoi la lune continue àbriller ? Si les ancêtres nevoulaient pas que ce Clan quittela forêt, ils enverraient desnuages pour couvrir le ciel, tu necrois pas ? »
Ne sachant que lui répondre,Aile d’Alouette se tut.
« De mémoire de chat, il y atoujours eu cinq Clans danscette forêt ! s’insurgea Étoile deGivre, incrédule. Cela ne signifie
donc rien, pour toi ?— Les choses évoluent,
rétorqua Étoile Rouge. Il est fortpossible que la volonté du Clandes Étoiles ait égalementchangé. Il a attribué à chaqueClan des dons qui lui permettentde survivre sur son propreterritoire. Les chats du Clan dela Rivière sont de bons nageurs.Ceux du Clan du Tonnerre sontdoués pour chasser le gibierdans les broussailles. Les chatsdu Clan du Ciel peuvent sauterdans les arbres parce qu’il n’y apas beaucoup d’abris sur leur
territoire. Cela signifie bien quechacun de ces Clans seraitincapable de vivre sur leterritoire d’un autre, non ? »
Au pied du Grand Rocher, unmatou au pelage noir ébouriffése leva :
« Tu répètes sans cesse que leClan des Étoiles exige qu’il y aitcinq Clans dans la forêt, maisqu’est-ce que tu en sais ? Aprèstout, nos Assemblées ont lieuaux Quatre Chênes. En toutelogique, il ne devrait donc yavoir que quatre Clans !
— De toute façon, le Clan du
Ciel n’a rien à faire sur cesterres ! feula un chat tigréargent à côté de lui.Repoussons-les tout de suite. »
Aussitôt, les poils desguerriers du Clan du Ciel sehérissèrent et ils sortirent leursgriffes acérées.
« Arrêtez ! s’écria Étoile deGivre. Les guerriers du Clan duCiel ne sont pas des faibles,mais c’est là une bataille quenous ne pourrons jamais gagner.Ce soir nous avons vu ce quevaut le code du guerrier, à vosyeux. Désormais, nous serons
seuls et ne pourrons pluscompter que sur nous-mêmes. »
Il sauta du Grand Rocher etse fraya un chemin parmi sesguerriers pour aller frotter sonmuseau à celui d’une très joliechatte tigrée brun pâle. À sespattes gémissaient deuxminuscules chatons.
« Étoile de Givre, miaula-t-elle d’une voix chargée dedétresse, nos petits sont tropjeunes pour entreprendre unlong voyage. Je resterai ici aveceux, si toutefois l’un des Clansveut bien nous accepter. »
Aile de Crécelle, le guérisseurdu Clan du Tonnerre, écartadeux guerriers du Clan du Ciel,ignorant leurs feulements, et sepencha sur les deux chatons.
« Vous serez tous lesbienvenus dans le Clan duTonnerre.
— Tu es sûr de ça ? le défiaÉtoile de Givre. Surtout après ceque vient de nous dire ton chef !
— Je pense que mon chef atort, miaula Aile de Crécelle.Mais nous ne condamneronspas des chatons innocents àmourir. Ils auront un avenir ici,
dans notre Clan. Tout commetoi, Aile de Colombe.
— Mes chatons et moi teremercions », murmura-t-elleen baissant la tête.
Puis, elle se tourna vers Étoilede Givre :
« Nous allons donc devoirnous quitter », souffla-t-elle, sesyeux ambrés empreints detristesse.
Le chef du Clan du Ciel paruthorrifié.
« Oh, non, Aile de Colombe !Je refuse de te laisser là !
— Il le faut. Notre Clan a
besoin de toi et, dansl’immédiat, nos chatons ontbesoin de moi.
— Je t’attendrai. Je t’attendraitoujours, chuchota-t-il enpressant son museau contre leflanc d’Aile de Colombe. Resteavec Aile de Crécelle. Il trouverades guerriers pour t’aider àporter les chatons jusqu’aucamp du Clan du Tonnerre. Tut’occuperas d’eux ? ajouta-t-ilencore à l’intention duguérisseur.
— Je te le promets ! »Jetant un dernier regard
angoissé à sa compagne, il fit unsigne de la queue à son Clan.
« Suivez-moi ! »Puis, dignement, il les
entraîna vers la pente.Du haut du Grand Rocher,
avant de disparaître derrière lesbuissons, Étoile Rouge lança :
« Que le Clan des Étoiles soitavec toi ! »
Étoile de Givre se retourna etlui jeta un regard glacial. Et direqu’il l’avait jadis considérécomme un ami…
« Je me fiche du Clan desÉtoiles ! feula-t-il, dépité. Ils ont
trahi le Clan du Ciel. Désormais,je ne veux plus rien savoir denos ancêtres. »
Il ignora les protestations quifusèrent autour de lui, certainesprovenant de son propre Clan.
« Le Clan des Étoiles a permisaux Bipèdes de détruire notreterritoire. Ils nous regardent ence moment et laissent la lunecontinuer à briller alors quevous nous chassez d’ici. Ilsavaient assuré qu’il y auraittoujours cinq Clans dans laforêt, mais c’était un mensonge.Le Clan du Ciel ne regardera
plus jamais les étoiles. »Avec un dernier mouvement
de la queue, il disparut dans lesbuissons, suivi du reste de sonClan.
CHAPITRE 1
CHAPITRE 1
ÉTOILE DE FEU CONTOURNA UN
B O U Q U E T de noisetiers ets’arrêta pour humer l’air. Lalune était pratiquement pleine.Il se rendit compte qu’il se
trouvait près de l’endroit où leruisseau longeait la frontière duClan de l’Ombre. Il en entendaitle faible murmure et décelaaisément les traces d’odeurs duClan rival.
Le matou couleur de feus’autorisa un petitronronnement de satisfaction.Cela faisait maintenant troissaisons qu’il était le chef duClan du Tonnerre et il avaitl’impression de connaîtrechaque arbre, chaque ronce, lamoindre trace laissée par lessouris et les campagnols sur son
territoire. La paix régnait depuisle terrible bataille, quand tousles Clans de la forêt s’étaientunis pour repousser le Clan duSang et leur redoutable chefFléau, et les saisons des feuillesnouvelles et des feuilles vertesles gâtaient toujours en gibier.
Mais Étoile de Feu savait quequelque part, dans l’obscuritémystérieuse, rôdait unagresseur. Tous les sens enalerte, il s’efforça de seconcentrer. Il perçut l’odeur dessouris, des lapins, le douxparfum de l’herbe et des feuilles,
ainsi que la puanteur du lointainChemin du Tonnerre. Mais il yavait autre chose. Quelquechose qu’il ne parvenait pas àidentifier.
Il leva la tête pour flairer labrise. Au même instant, unetouffe de fougères s’agitavivement et une forme noiresurgit du cœur des frondes.Surpris, Étoile de Feu seredressa pour l’affronter, mais iln’en eut pas le temps :l’agresseur atterrit lourdementsur ses épaules et le plaqua ausol.
Rassemblant toutes sesforces, Étoile de Feu roula sur ledos et plia ses pattes arrièrepour repousser son assaillant.De larges épaules musclées, unegrosse tête tachetée de noir, desyeux ambrés le dominaient.
Étoile de Feu redoublad’efforts et se défendit de plusbelle. Une patte avant se levasur lui et il se figea, prêt àencaisser le coup.
Soudain, le poids qui l’avaitcloué au sol s’évanouit et sonagresseur sauta de côté enpoussant un miaulement de
triomphe.« Tu ne savais pas que j’étais
là, pas vrai ? Allez, Étoile de Feu,avoue-le ! Tu ne t’y attendaispas. »
Le matou roux se relevapéniblement en secouant lesherbes et les brins de moussequi s’étaient pris dans sonpelage.
« Nuage Épineux, espèce degrosse brute ! Tu m’as aplaticomme une feuille ! »
Les yeux du jeune apprentibrillaient de satisfaction.
« Je sais. Si tu avais été un
envahisseur du Clan de l’Ombre,je t’aurais déjà transformé enchair à corbeau ! »
Du bout de sa queue, Étoilede Feu toucha affectueusementl’épaule du jeune félin.
« Tu as raison. Tu t’es trèsbien débrouillé, surtout enmasquant ainsi ton odeur.
— Dès que j’ai quitté le camp,je me suis roulé dans lesfougères mouillées. Est-ce quemon évaluation est bonne ? »demanda-t-il, anxieux.
Le chef hésita, s’efforçant derepousser le souvenir du père
sanguinaire de Nuages Épineux :Étoile du Tigre. En observant lejeune apprenti, il était aisé de serappeler les épaules larges, lepelage tacheté de noir et lesyeux ambrés de cet imposantmatou prêt à tuer et trahir lesmembres de son propre Clanpour en devenir le chef.
« Alors, Étoile de Feu ? »insista Nuage Épineux.
Étoile de Feu chassa cesbribes de mauvais souvenirs dupassé.
« Oui, bien sûr ! Aucun chatn’aurait fait mieux ! »
Les yeux brillants, le jeuneapprenti dressa une queue bienfière.
« Merci, Étoile de Feu. »Tandis qu’ils approchaient du
camp du Tonnerre, le novice jetaun coup d’œil vers la frontièrejouxtant celui du Clan del’Ombre et demanda :
« Tu crois que Nuage d’Or vabientôt terminer sonapprentissage, elle aussi ? »
Nuage d’Or, la sœur de NuageÉpineux, était née dans le Clandu Tonnerre, mais ne s’y étaitjamais sentie à l’aise, trop
sensible à la méfiance decertains des chats qui nepouvaient oublier qu’elle était lafille d’Étoile du Tigre. Quandson père était devenu le chef duClan de l’Ombre, elle avaitquitté le Clan du Tonnerre pourvivre avec lui. Étoile de Feu s’envoulait de ne pas avoir su laretenir et savait combien ellemanquait à son frère.
« J’ignore comment ilsfonctionnent dans le Clan del’Ombre, miaula-t-il avecprécaution, mais Nuage d’Or acommencé son apprentissage en
même temps que toi et devraitdonc être prête pour sonbaptême de guerrière.
— Je l’espère ! Je sais qu’ellesera formidable.
— Vous le serez tous lesdeux. »
Sur le chemin du retour versle camp, Étoile de Feu eutl’impression que chaque creuxdans la pierre, chaque touffe defougère, chaque fourré deronces pouvait cacher la lueurd’un regard ambré. Quelsqu’aient été les crimes d’Étoiledu Tigre, il aurait été fier de son
fils et de sa fille. Sa mort s’étaitrévélée particulièrement atroce :ses neuf vies avaient étéanéanties d’un seul coup par lescrocs acérés de Fléau.L’imposant chat tacheté lesobservait-il en ce moment ? Pasdu Clan des Étoiles en tout cas,car Étoile de Feu ne l’avaitjamais vu dans ses rêves.Museau Cendré, la guérisseusedu Clan du Tonnerre, n’avaitpas, elle non plus, reporté l’avoirrencontré lors de ses échangesavec le Clan des Étoiles.Pouvait-il y avoir un autre lieu
destiné aux chats cruels prêts àtrahir le code du guerrier poursatisfaire leurs obscuresambitions personnelles ? Si unetelle voie existait, Étoile de Feuespérait que ni lui ni son jeuneapprenti n’auraient jamais àl’emprunter. Nuage Épineuxsautillait dans l’herbe haute àcôté de lui, heureux de vivre.Avait-il échappé au lourdhéritage de son père ?
En descendant le ravinmenant au camp. NuageÉpineux s’arrêta, le regard grave.
« Est-ce que mon évaluation
est vraiment bonne ? Suis-jeassez entraîné…
— Pour être un guerrier ? Oui.Nous allons organiser tacérémonie pour demain.
— Merci, Étoile de Feu !miaula-t-il en inclinantrespectueusement la tête. Je nete décevrai jamais. »
Puis, le regard brillant dedétermination, il dévala la pentepour l’attendre à l’entrée dutunnel d’ajoncs. Étoile de Feu lesuivit des yeux, amusé. Cela luirappelait tellement l’époque oùlui aussi débordait d’énergie,
capable de parcourir la forêt entous sens.
« Tu ferais mieux de dormirun peu, lui conseilla-t-il en lerejoignant. Tu vas veiller toutela nuit prochaine.
— Tu es sûr ? hésita NuageÉpineux en enfonçant ses griffesdans la terre sablonneuse. Jepourrais d’abord te rapporterune proie toute fraîche.
— Non, va te reposer. Tu es sifatigué que tu manquerais unmerle boiteux ! »
Nuage Épineux agita la queueet disparut dans le tunnel qui
menait à sa tanière.Étoile de Feu resta un instant
aux abords du camp, installé surune pierre plate, la queueenroulée autour des pattes. Iln’entendait que le faiblebruissement des feuilles dans labrise et les grattements étouffésdu gibier dans les sous-bois.
La bataille avec le Clan duSang avait rendu tous les Clansméfiants. Pendant plus d’unesaison encore, chaque chat de laforêt avait sursauté au moindrecraquement de brindille ettraqué les étrangers comme si sa
vie en dépendait. Sescompagnons avaient été tropterrorisés pour s’approcher duterritoire des Bipèdes, craignantqu’un survivant du Clan du Sangy rôde toujours. Maismaintenant, cinq lunes plustard, le Clan du Tonnerreprospérait de nouveau. Demain,un nouveau guerrier seraitbaptisé. Après trois lunesd’entraînement, les apprentisNuage de Pluie, Nuage de Suieet Nuage de Châtaigne sedébrouillaient déjàremarquablement bien. Bientôt,
ils deviendraient de bonsguerriers à leur tour. Ils tenaientcela de leur père, TornadeBlanche, son premier lieutenant,qui était mort en combattant leféroce Carcasse, le lieutenant duClan du Sang.
L’esprit occupé par lessouvenirs de son amid’autrefois, il mit un momentavant de déceler les bruits depas discrets d’un chat dans lesfourrés. Il sauta sur ses pattespour inspecter les environs.
Rien.Puis il distingua une pâle
silhouette blanche, assise unpeu plus haut dans la pente.
Est-ce un rêve ? TornadeBlanche a-t-il quitté le Clan desÉtoiles pour me rendre visite ?se demanda-t-il.
Mais ce chat était plus petitque son ami et son pelage étaitgris, tacheté de blanc. Il le fixaitd’un air sérieux comme s’ilvoulait lui communiquer unmessage. Étoile de Feu ne l’avaitencore jamais vu. Était-ce unrôdeur solitaire ? Ou pire : unmembre du Clan du Sang revenuenvahir la forêt ?
Il fonça à la rencontre dufélin, mais celui-ci disparutaussitôt. Quand il fouilla lesenvirons, il ne trouva même pasde traces de pas. Juste un fumetinconnu, presque noyé par lesodeurs familières qui luiparvenaient du camp de sonpropre Clan.
Alors il revint sur ses pas et serassit sur le rocher. Tous lessens aux aguets, il scrutal’obscurité. En vain. Plus aucunsigne de cet étrange chat.
CHAPITRE 2
CHAPITRE 2
TANDIS QU’ÉTOILE DE FEU
attendait de voir si son visiteurreviendrait, des nuagess’amassaient au-dessus de satête, dissimulant les étoiles. De
grosses gouttes éclatèrent surles rochers du ravin et setransformèrent rapidement enaverse. Le matou se laissaglisser dans le tunnel étroitjusqu’au camp et se précipitajusqu’à son repaire, au pied durocher.
Derrière le rideau de lierre,son antre était bien sec. Unapprenti avait changé sa litière,formant un nid avec de lamousse et des fougères. Ilsecoua les gouttes de pluie quiperlaient sur sa fourrure et seroula en boule, le nez enfoui
sous sa queue. La pluie quitambourinait dehors le berçadoucement jusqu’à ce qu’ils’endorme.
Le murmure de l’eaus’évanouit et Étoile de Feuouvrit les yeux, glacé jusqu’auxos. Son nid douillet avaitdisparu, tout comme l’odeurfamilière du Clan du Tonnerre.Une brume dense et poisseusel’entourait, tourbillonnantautour de lui, se déchirant parendroits pour révéler desétendues de lande désolée. Sousses pattes, il sentait une herbe
épaisse et souple.D’abord, il se crut sur le
territoire du Clan du Vent, puisil se rendit compte qu’il n’avaitjamais vu cet endroit,auparavant.
« Petite Feuille ? appela-t-il,dans le brouillard. Tu es là ? Est-ce que le Clan des Étoiles a unmessage à me transmettre ? »
Mais aucun signe de la bellechatte écaille-de-tortue, jadis laguérisseuse de leur clan. Ellevenait souvent lui rendre visitedans ses rêves, mais cette fois, ilne put percevoir sa douce odeur.
Au lieu de cela, il distingua unbruit infime, si éloigné qu’il neréussit pas à l’identifier. Ildressa l’oreille et reconnut lehurlement sauvage de chatsterrifiés. De la tête à la queue,ses poils se hérissèrent aussitôtet il se redressa, prêt à fuir aveceux. Mais quand les cris serapprochèrent, il ne put voir quedes formes floues quisemblaient se diriger vers lui àtravers le brouillard,s’évanouissant avant même del’atteindre. L’odeur de chatsinconnus restait suspendue
dans l’air.« Qui êtes-vous ? cria-t-il.
Que voulez-vous ? »Mais il n’y eut pas de réponse
et très vite le silence remplaçales gémissements stridents.Quelque chose lui piqua le flancet il sursauta. En ouvrant lesyeux, il fut surpris par les rayonsde soleil dorés qui entraientdans son repaire, venantcaresser la fourrure rousse deTempête de Sable, sa compagne.
« Ça va ? demanda-t-elle. Tut’es beaucoup agité dans tonsommeil. »
Il se leva en laissant échapperun grognement. Ses musclesétaient aussi endoloris que s’ilavait réellement parcouru leslandes arides.
« Ce n’était qu’un rêve. Toutva bien.
— Regarde, je t’ai apporté uneproie toute fraîche, annonça-t-elle en poussant vers lui le corpsflasque d’un campagnol. Jereviens d’une patrouille dechasse.
— Merci. »Le rongeur venait juste d’être
tué et son fumet appétissant
vint lui chatouiller les narines.Son estomac gargouillait defaim. Il ne fit qu’une bouchée dela petite bête encore chaude.
« Ça va mieux, maintenant ?Cela t’apprendra à laisser tonapprenti te sauter dessus à toutbout de champ ! » ajouta-t-elleavec un clin d’œil malicieux.
Il lui caressa l’oreille du boutde la queue. De toute évidence,les exploits de Nuage Épineuxavaient déjà fait le tour du camp.
« Hé ! Je ne suis pas encoreun vieillard, tu sais ! »
Les souvenirs angoissants de
son mauvais rêve s’effaçaientsous la lumière vive du soleil. Ilquitta son nid et accomplit unerapide toilette.
« Sais-tu si toutes lespatrouilles sont déjà rentrées ?
— Les dernières viennentjuste d’arriver ! » répondit unevoix de matou.
Une ombre se dessinait àl’entrée du repaire et Étoile deFeu leva la tête pour découvrirson lieutenant, Plume Grise.
« Les patrouilles de chasseont capturé tellement de proiesque Cœur d’Épines a emmené
les apprentis pour aller lesrécupérer, continua-t-il. Avais-tubesoin de les voir ?
— Pas dans l’immédiat, maisj’aimerais qu’ils me fassent leurrapport. »
D’un signe de la queue, ilinvita le guerrier à entrer. Sesouvenant du mystérieux chatqu’il avait aperçu dans le ravin,la veille, il demanda :
« Est-ce que l’un d’entre euxaurait remarqué la présenced’un chat errant sur notreterritoire ?
— Non, rien de tel. Tout est
calme, là-dehors. Pourquoi ? Ya-t-il quelque chose quit’inquiète, Étoile de Feu ? »
Il hésita. Son ami leconnaissait assez pour savoirquand quelque chose letracassait. Mais le moment étaitmal choisi pour lui faire part deson rêve et de son visiteurinsolite. Il avait si peud’éléments… À force deremâcher le passé tout seul ausujet d’Étoile du Tigre et deTornade Blanche, il avait fini parvoir des ombres.
« Non, non, tout va bien.
Nuage Épineux m’a bienimpressionné hier soir. Il m’asauté dessus aux abords du Clande l’Ombre. Venez, tous lesdeux ! dit-il en faisantégalement signe à sa compagne.Je veux qu’on organise sonbaptême de guerrier dès que lesapprentis seront revenus. »
Ils sortirent de l’antre etÉtoile de Feu sauta sur lePromontoire. La pluie avaitcessé de tomber. Au-dessus desarbres, de petits nuages blancsfilaient dans le ciel redevenuazur. Le reflet du soleil sur les
flaques l’aveuglait, tout commela muraille de ronces quientourait le camp, étincelant demillions de gouttelettes. Cœurd’Épines émergea du tunneld’ajoncs, suivi de son apprenti,Nuage de Suie. Tous deuxétaient chargés de proiesfraîchement tuées. Un instantplus tard apparut Flocon deNeige, accompagné de Nuage dePluie et de Nuage de Châtaigne.
Étoile de Feu cria :« Que tous les chats en âge de
chasser s’approchent duPromontoire pour une
assemblée du Clan ! »En regardant les siens se
rassembler sous ses yeux, ilressentit une profonde fierté.Les trois apprentis les plusjeunes se bousculèrent pourvenir s’asseoir au pied duPromontoire. Tout excités, ilsdiscutaient sans doute de ce queserait leur vie future, une foisqu’ils seraient intronisésguerriers, eux aussi. Perce-Neigeavait pris la tête des anciens,sortant du tronc d’arbre évidéqui reposait un peu plus loin.Museau Cendré, la guérisseuse
du Clan, émergea du tunnel defougères qui menait à sonrepaire et boitilla pour venirs’installer à côté de Poil deFougère, Fleur de Saule et Poilde Souris.
Étoile de Feu repéra CœurBlanc qui sortait de lapouponnière. Apprentie, elleavait été blessée par une meutede chiens qui lui avaient arrachéun côté du visage. Maintenant,le ventre enflé des petits quinaîtraient bientôt, elle avait l’airparfaitement heureuse. Elletraversait tranquillement la
clairière pour rejoindre, près dela réserve de gibier, soncompagnon Flocon de Neige, leguerrier blanc, qui lui touchaaffectueusement le museau.
Derrière elle arrivait Fleur deBruyère, avec ses deux petits,qui se précipitèrent en piaillantvers la flaque la plus proche.
« Petite Musaraigne et PetiteAraignée ! Revenez iciimmédiatement ! » lança leurmère.
Les deux chatons restèrentassis devant la flaque, mais nepouvaient s’empêcher de jeter
un coup d’œil à leur mère enessayant de troubler la surfacede l’eau d’un coup de patte.Amusé, Étoile de Feu les regardafaire, tandis que leur père,Pelage de Poussière,s’approchait d’eux pour leuradresser quelques réprimandesavant de revenir s’asseoir auprèsde Fleur de Bruyère. Uneseconde plus tard, une petitepatte revint toucher la surfacede la flaque.
« Petite Araignée ! Qu’est-ceque je viens juste de te dire ! »rouspéta le père, assez fort pour
qu’Étoile de Feu l’entende.Les chatons lui jetèrent un
regard contrit et s’éloignèrent,leur queue miniature dressée enl’air. Très vite, PetiteMusaraigne trouva une boule demousse sur le sol. L’accrochantd’une patte, il l’envoya à sonfrère qui se baissa. La balleimprovisée vint frapper Perce-Neige en pleine poitrine. Lavieille chatte tigrée sauta sur sespattes en feulant. Bien qu’ellepuisse parfois se montrergrognon, Étoile de Feu savaitqu’elle ne ferait jamais de mal à
un chaton, mais cela, les deuxgarnements l’ignoraient. Ilss’aplatirent au sol et reculèrentpour venir s’asseoir entre leursparents.
Étoile de Feu avait manquél’instant où Nuage Épineux étaitsorti du repaire des apprentis.Maintenant, il approchait duPromontoire. Comme Étoile deFeu était son mentor, c’étaitPlume Grise, le lieutenant duClan, qui l’escortait à sonbaptême de guerrier. Sa fourruretachetée impeccablement lissée,le jeune apprenti levait
solennellement ses yeux ambrésvers le chef du Clan.
Étoile de Feu sauta du rocherpour venir à sa rencontre.L’expression sérieuse du jeuneapprenti cachait mal unecertaine excitation. Avait-ilparfois douté qu’il serait un jouraccepté comme guerrier à partentière dans le Clan duTonnerre ?
Étoile de Feu prononça lesparoles rituelles :
« Moi, Étoile de Feu, chef duClan du Tonnerre, j’en appelle ànos ancêtres pour qu’ils se
penchent sur cet apprenti. Ils’est entraîné dur pourcomprendre les lois de notrenoble code. Il est maintenantdigne de devenir un chasseur àson tour. »
Puis, se tournant vers NuageÉpineux, il ajouta :
— Et toi, Nuage Épineux,promets-tu de respecter le codedu guerrier, de protéger et dedéfendre ce Clan, même au périlde ta vie ?
— Je le promets. »Personne n’aurait pu douter
de sa sincérité.
« Alors, au nom des pouvoirsqui me sont conférés par le Clandes Étoiles, je te donne ton nomde guerrier. Nuage Épineux, àpartir de maintenant tut’appelleras Griffe de Ronce.Nos ancêtres rendent honneur àton courage et ta loyauté, etnous t’accueillons dans nosrangs en tant que guerrier à partentière. »
En entendant le mot« loyauté », les yeux de Griffe deRonce s’agrandirent. Étoile deFeu sentit son poil se hérisser :comment faire entièrement
confiance au fils d’Étoile duTigre ? Il nota que d’autres chatséchangeaient des murmures,pensant sans doute la mêmechose que lui.
Il approcha et posa sonmuseau sur la tête du jeuneguerrier qui ressentit un frissonde fierté.
« Griffe de Ronce ! Griffe deRonce ! »
Les autres membres du Clanl’acclamaient en criant sonnouveau nom. Même s’il était lefils d’Étoile du Tigre, il comptaitbeaucoup d’amis, ravis de le voir
enfin devenu un vrai guerrier.Étoile de Feu recula de
quelques pas et son regardtomba sur la flaque danslaquelle avaient joué leschatons, un peu plus tôt. Lasurface en était maintenantaussi lisse qu’un miroir, commeun disque argenté reflétant unnuage à la forme étrange…
Il cligna des yeux. Ce n’étaitpas un nuage. C’était le visaged’un chat à la fourrure gris pâle,avec des taches blanches. Il lefixait de ses yeux couleur d’eau.Une infime trace de l’odeur
inconnue qu’il avait détectéedans le ravin l’effleura.
« Qui es-tu ? murmura Étoilede Feu. Que veux-tu ? »
C’est alors que retentit unmiaulement stridentd’excitation : Petite Musaraignese jeta dans la flaque et brisal’image en mille morceaux enéclaboussant les chats toutautour.
Étoile de Feu leva les yeux : leciel au-dessus d’eux était bleu,sans le moindre nuage. Ilregarda autour de lui, un peugêné, espérant que ses
congénères ne l’avaient pas vuparler à une flaque. Fortheureusement, ils entouraienttoujours Griffe de Ronce.
Craignant toujoursd’éventuelles menaces du Clandu Sang de ce côté du territoire,Étoile de Feu avait entraîné lapatrouille du soir jusqu’auxGrands Pins, à la limite du campdes Bipèdes. Quand ilsrentrèrent, la nuit était déjàtombée et il trouva Griffe deRonce assis tout seul, au milieude la clairière.
« Notre jeune guerrier doitêtre épuisé, murmura Tempêtede Sable, attendrie. Il est restééveillé tard, hier soir, à faire sonévaluation avec toi et en plus il achassé tout l’après-midi avecPelage de Granit et Plume Grise.
— Ne t’en fais pas, la rassuraÉtoile de Feu. Tout nouveauguerrier assume son tour degarde la première nuit.
— Afin que nous puissionsbien dormir », commentaFlocon de Neige, l’autre membrede la patrouille, qui s’étirait enbâillant.
Étoile de Feu laissa sescomparses se diriger vers laréserve de gibier et allarejoindre Griffe de Ronce.
« Tout va bien ? »Le jeune matou se contenta
de hocher la tête, car toutnouveau guerrier devait veilleren silence. Fier de sa promotion,il prenait ses nouvellesresponsabilités très au sérieux.
« Parfait. N’hésite pas àm’appeler en cas de besoin. »
Le vigile acquiesça une fois deplus, les yeux fixés sur l’entréedu tunnel d’ajoncs. Étoile de
Feu le laissa à sa surveillance etretourna dans son antre.Pelotonné dans son nid, aumoment où il ferma les yeux, ilse retrouva transporté dans lalande brumeuse. Lesgémissements d’horreur deschats résonnaient dans sa tête.Non ! Il ne pourrait pas passerune nuit de plus à écouter leurterreur désespérée.
S’efforçant de garder toute savigilance, il se dirigea vers laclairière où Griffe de Roncemontait toujours la garde.Tempête de Sable, l’aperçut et
vint à sa rencontre.« Que se passe-t-il ? Tu
n’arrives pas à dormir ?— Je n’ai pas sommeil, c’est
tout, répondit Étoile de Feu,préférant ne pas lui parler deson rêve. Je vais faire un tour.Tu veux bien venir avec moi ? »
Elle avait dû déceler sondésarroi, car elle se contentad’acquiescer et de le suivre. Sansmême réfléchir, Étoile de Feudirigea ses pas vers les Rochersdu Soleil qui bordaient le coursd’eau, frontière entre le Clan duTonnerre et celui de la Rivière.
Ils grimpèrent sur les pierreset s’assirent côte à côte,observant l’eau qui coulaitdoucement sous les étoilesscintillantes.
Après quelques instants,Tempête de Sable rompit lesilence :
« Tu es inquiet à cause deGriffe de Ronce ? Tu regrettesde l’avoir promu guerrier ?
— Non, il n’est pas commeson père. Cela se passera bien. »
À son grand soulagement,Tempête de Sable n’insista paset se contenta de s’appuyer
affectueusement contre lui.Sa compagnie aurait dû le
réconforter, mais il ne pouvaitoublier les hurlements deterreur ni le reflet dans laflaque. Il regarda vers la rivière,comme hypnotisé par les eauxtumultueuses qui couraient surles pierres à moitié immergées…
Non ! Ce ne sont pas despierres ! songea-t-il, les poilshérissés de peur. C’étaient deschats qui nageaientdésespérément en brassant l’eaude leurs pattes, dans le courantqui les emportait.
Il cligna des yeux et la visiondisparut. Il ne voyait plus que larivière qui continuait sonéternel voyage fous le ciel étoilé.
Au nom du Clan des Étoiles,pensa-t-il, que m’arrive-t-il ?
CHAPITRE 3
CHAPITRE 3
EN QUITTANT SON REPAIRE LE
LENDEMAIN, Étoile de Feu sesentait épuisé. Il plissa les yeuxdans la lumière crue du petitmatin et vit Pelage de Granit
traverser la clairière vers Griffede Ronce.
« Ta garde est terminée,l’entendit-il miauler. Viens, jevais te trouver un endroit oùdormir. »
Ils disparurent dans l’antredes guerriers. Étoile de Feu seglissa dans le tunnel de fougèresqui conduisait au terrier deMuseau Cendré.
La guérisseuse se tenait prèsd’une fissure dans le rocher,retournant des herbes avec sapatte. Assise à côté d’elle, CœurBlanc penchait la tête pour
renifler les feuilles.« C’est de la bourrache,
expliqua Museau Cendré. Tudevrais commencer à en mangermaintenant pour avoir beaucoupde lait quand naîtront tespetits. »
Cœur Blanc les goûta et fitune grimace.
« C’est aussi amer que de labile de souris ! Mais cela ne faitrien, je suis prête à tout pourmes chatons.
— Viens me voir tous lesmatins pour reprendre un peude ces herbes et n’hésite pas à
m’appeler si tu sens que lesbébés arrivent. Cela ne devraitplus tarder maintenant.
— Je te remercie, MuseauCendré. »
Cœur Blanc se dirigea vers letunnel.
« Surtout, repose-toi bien ! »lui lança Étoile de Feu quandelle passa devant lui.
Museau Cendré secouaquelques brindilles debourrache restées collées aubout de ses pattes et vint à larencontre d’Étoile de Feu. Jadis,elle avait été son apprentie, mais
un accident près du Chemin duTonnerre lui avait valu uneblessure à la patte, l’empêchantà jamais de devenir uneguerrière. Il savait combien celaavait coûté à la chatte de devoirrenoncer à son rêve et s’envoulait toujours de ne pas s’êtremieux occupé d’elle.
« Museau Cendré, il faut queje te parle. »
Un cri derrière eux empêchala chatte de répondre.
« Museau Cendré ! Ausecours !
— Ah, que se passe-t-il
encore ? » maugréa-t-elle.Nuage de Châtaigne apparut
en boitillant, tendant vers ellel’une de ses pattes avant.
« Regarde ! Je souffre !— Franchement, à entendre
tes hurlements, je pensais qu’unrenard t’avait croqué la patte. Cen’est qu’une épine.
— Mais ça fait rudement mal !protesta l’apprentie enécarquillant ses yeux ambrés.
— Allons donc ! Allonge-toi etmontre-moi ça. »
Étoile de Feu regarda laguérisseuse tirer l’épine du
coussinet avec ses dents.Aussitôt, quelques gouttes desang perlèrent.
« Mais ça saigne ! s’affolaNuage de Châtaigne.
— Ce n’est rien. Donne unbon coup de langue dessus et cesera terminé, lui conseillacalmement la guérisseuse. Celaarrive à tous les chats demarcher sur une épine et celat’arrivera encore des centainesde fois dans ta vie. »
Nuage de Châtaigne sauta surses pattes.
« Je sais. Merci, Museau
Cendré. Ça va mieux,maintenant. Je vais rejoindre lesautres à la combe sablonneusepour une séanced’entraînement. Tempête deSable va me montrer commentchasser les renards ! » ajouta lajeune chatte, les yeux brillantd’excitation.
Aussitôt, elle s’élança dans letunnel de fougères.
« Tempête de Sable est bienoccupée, avec celle-ci ! fitremarquer Museau Cendré.
— Toi aussi, tu sembles bienoccupée, miaula Étoile de Feu.
C’est ainsi tous les jours ?— Cela ne me déplaît pas, à
condition qu’il n’y ait pas desang versé. C’est un plaisir demettre mes connaissances auservice de mon Clan. »
Ses yeux pétillaient et Étoilede Feu se souvint de l’apprentieguerrière qu’elle avait été, jadis,avant l’accident. Maintenant,elle canalisait toute cetteénergie dans ses dons deguérisseuse.
« Bon, toi aussi tu es un chattrès occupé. J’imagine que tun’es pas venu me voir pour le
simple plaisir de bavarder. Quepuis-je faire pour toi ? »
Soudain, Étoile de Feu hésitaà lui faire part de ses visionsétranges.
« J’ai fait des rêvesbizarres… »
Elle lui jeta un bref regard.Généralement, le Clan desÉtoiles ne communiquaitqu’avec les guérisseurs, maiselle avait compris depuislongtemps que les ancêtress’adressaient également à Étoilede Feu.
« Ce n’était pas un rêve du
Clan des Étoiles. Enfin, je necrois pas… »
Il lui parla de la lande noyéedans le brouillard, deshurlements de terreur des chatsqui y erraient. Il n’osa pas luifaire part du félin gris qu’il avaitvu dans le ravin et qui, plus tardencore, s’était reflété dans uneflaque. Ni des chats qui sedébattaient dans les eauxtumultueuses de la rivière. Toutcela pouvait trop facilements’expliquer : formesinhabituelles de nuages, effetsde lumière sur la surface de
l’eau sombre…Museau Cendré vint s’asseoir
près de lui.« Tu as fait ces rêves deux
fois ?— En effet.— Alors je pense qu’ils ont
une signification. S’il y avaitbeaucoup de chats, cela nepouvait être qu’un Clan. Tu essûr que ce n’était pas le Clan duVent ?
— Sûr et certain ! Ce n’étaitpas la lande de leur territoire etje n’ai reconnu aucune des voix.Et puis, on ne m’a signalé aucun
problème, chez eux.— Ni dans les autres Clans,
non plus ? Penses-tu que celapourrait être les souvenirs de labataille avec le Clan du Sang ?
— Non, ce n’étaient pas descris de combat, mais plutôt ceuxd’une grande détresse. Jevoulais les aider, mais je nesavais pas quoi faire », ajouta-t-il en frissonnant.
Museau Cendré lui passa laqueue autour des épaules.
« Je pourrais te donner desgraines de pavot, suggéra-t-elle.Elles te procureraient au moins
une bonne nuit de sommeil.— Non, je te remercie. Ce
n’est pas dormir que je veux,mais comprendre. Il me fautune réponse. » Elle n’eut pasl’air surprise.
« Ça, je n’en ai pas, pourl’instant. Mais je te le dirai si leClan des Étoiles me donne uneindication. Et n’hésite pas àvenir me parler si tu fais unautre de ces rêves. »
Étoile de Feu hésita avant dedéclarer :
« Je fais peut-être deshistoires pour rien. Ces rêves
disparaîtront sûrement si jecesse d’y penser. »
Sur ces paroles peuconvaincantes, il s’éloigna d’unpas lent, le regard bleu deMuseau Cendré posé sur lui.
La nuit du surlendemain,Étoile de Feu fit de nouveau lemême rêve. Il se trouvait aumilieu des landes, essayant dedistinguer les silhouettes flouesqui l’entouraient, mais ellesn’étaient jamais assez prochespour qu’il puisse les identifier.
« Que voulez-vous ? leur cria-t-il. Que puis-je faire pour vous
aider ? »Il n’y eut pas de réponse. Il lui
semblait avoir été condamné àerrer pour toujours dans cettelande recouverte de brume,essayant de communiquer avecces chats qui ne pouvaient ou nevoulaient pas l’entendre.
Quand il se réveilla lelendemain matin, le soleilbrillait déjà haut dans le ciel et,lorsqu’il sortit dans la clairière,une douce brise ébouriffa sonpelage. Nuage de Suietransportait une grosse boule demousse fraîche pour renouveler
la litière des anciens.Fleur de Bruyère et Cœur
Blanc se laissaient réchaufferpar le soleil à l’entrée de lapouponnière, surveillant PetiteMusaraigne et Petite Araignéequi jouaient à se bagarrer.
Étoile de Feu se figea enentendant un miaulementstrident provenant de l’extérieurdu camp. Son rêve l’avait-ilpoursuivi jusque dans le mondeéveillé ? Ou bien dormait-iltoujours, prisonnier du mêmesonge ?
Il se força à avancer jusqu’au
tunnel d’ajoncs, d’oùémergèrent Flocon de Neige etPoil de Fougère apparurent,portant Longue Plume. Lagueule grande ouverte, cedernier laissait échapper desplaintes déchirantes. L’apprentiNuage de Pluie les suivait, lepoil hérissé de terreur.
Les yeux de Longue Plumeétaient fermés et du sang coulaitpar ses paupières enflées,tachant son pelage clair.
« Je ne vois plus rien ! Je nevois plus ! gémissait-il.
— Que s’est-il passé ? s’enquit
Étoile de Feu.— On était sortis chasser,
expliqua Poil de Fougère.Longue Plume a attrapé un lapinqui s’est débattu et lui a grifféles yeux.
— Ne t’inquiète pas. Ont’emmène auprès de MuseauCendré. Elle va te soigner. »
Dès qu’ils l’appelèrent, laguérisseuse apparut au pied durocher.
« Comment est-ce arrivé ? »demanda-t-elle en posant unepatte sur l’épaule du blessé.
Poil de Fougère répéta ses
explications. Les plaintes deLongue Plume n’étaient plusqu’un faible halètement.
« Je ne vois plus rien. Je vaisêtre aveugle ? s’inquiéta-t-il enfrissonnant de plus en plusviolemment.
— Je ne peux pas meprononcer avant d’avoirexaminé tes yeux. »
Elle l’entraîna sur le seuil desa caverne, à la lumière du jour.
« Nuage de Pluie ! Apporte-moi un peu de mousse trempéedans l’eau aussi vite quepossible. Et vous autres, vous
pouvez repartir. Longue Plume abesoin de calme. »
Les guerriers firent demi-tour, mais Étoile de Feus’approcha de la guérisseuse quicalmait le blessé en lui caressantle flanc d’une patte.
« Je peux t’aider ? demanda-t-il.
— Non ! fit-elle sur le ton unpeu autoritaire qui rappelaitcelui de la vieille Croc Jaune,son ancien mentor. Je vais medébrouiller. Oh, en revanche, tupourrais demander à Flocon deNeige de me laisser Nuage de
Pluie pour la journée. Unapprenti me serait bien utilepour m’apporter ce dont j’aibesoin.
— Bonne idée. Je vais le luidire. »
Il eut de la peine pour LonguePlume. Ce guerrier l’avait défiédès son entrée dans la forêt ets’était montré très proched’Étoile du Tigre. Mais lorsqueles projets meurtriers dulieutenant avaient éclaté augrand jour, Longue Plume avaitchoisi de servir Étoile de Feu,restant depuis son guerrier le
plus loyal.En arrivant dans la clairière,
Étoile de Feu vit Flocon deNeige et Poil de Fougères’entretenir avec Cœur Blanc quileur posait mille questions. Poilde Souris et Plume Grise étaientsortis de la tanière des guerriers,alertés par le bruit.
Étoile de Feu s’approcha deFlocon de Neige pour luisoumettre la demande deMuseau Cendré.
« Bien sûr, miaula le guerrier.C’est un excellent entraînementpour Nuage de Pluie.
— Que va-t-il arriver à LonguePlume ? s’inquiéta Cœur Blanc.Va-t-il vraiment deveniraveugle ?
— Museau Cendré ne peut pasencore se prononcer, réponditÉtoile de Feu. Espérons que lesdégâts ne seront pas aussiimportants qu’ils en ont l’air.
— J’ai eu de la chance,murmura Cœur Blanc. Moi, aumoins, il me reste un œil. »
Voyant leurs visages troublés,Étoile de Feu voulut changer desujet.
« Si on organisait une
nouvelle patrouille de chasse ?Flocon de Neige et Poil deFougère, je vais vousaccompagner. Quoi qu’iladvienne, le Clan doit continuerà être nourri.
— Je peux en diriger uneautre, offrit Plume Grise. Tu espartante, Poil de Souris ? »
La guerrière brune agita saqueue avec enthousiasme.
« Avec plaisir. Je vaischercher Pelage de Poussière »,miaula-t-elle.
Quand elle se fut éloignée,Étoile de Feu jeta un coup d’œil
vers la tanière de la guérisseuseoù tout semblait calme, présent.
Oh, Clan des Étoiles, songea-t-il, faites que Longue Plume neperde pas la vue !
Cette nuit-là, Étoile de Feu sesentait trop agité pour resterdans sa tanière. Il craignait queson rêve ne revienne le hanter,redoutait les landes inconnueset les hurlements de détresse dechats qu’il ne pouvait passecourir.
En faisant les cent pas dans laclairière, il entendit un faiblegémissement provenant de
l’antre de Museau Cendré. Il seglissa dans le tunnel etdécouvrit Longue Plume allongésur un lit de fougères, les yeuxfermés. Un liquide poisseuxs’échappait de ses paupières.
Museau Cendré lui caressaitle front du bout de la queue,tout en lui murmurant des motsde réconfort. Quand Étoile deFeu apparut, elle leva les yeuxvers lui.
« Ne devrais-tu pas te reposerun peu ? demanda-t-il.
— Je pourrais te poser lamême question.
— Je n’arrive pas à dormir,avoua-t-il en venant s’asseoirauprès d’elle. Comment vaLongue Plume ? »
Avec sa patte, elle prit uneboule d’herbes mâchéespréparée sur une feuille posée àcôté d’elle et l’étala doucementsur les yeux du blessé.
Étoile de Feu reconnutl’odeur puissante des feuilles desouci.
« Le sang a cessé de couler,mais ses yeux sont toujours trèsenflés. »
Longue plume leva
doucement la tête.« Étoile de Feu ? Que va-t-il
se passer si je deviens aveugle etne peux plus être un guerrier ?
— Ne t’inquiète pas pour ça !miaula fermement le chef. Quoiqu’il arrive, il y aura toujoursune place pour toi dans le Clandu Tonnerre. »
Longue Plume laissaéchapper un grand soupir etreposa sa tête sur les fougères.
Museau Cendré appliqua unpeu plus de pâte de souci sur lesyeux du blessé.
« Écoute, Étoile de Feu. En
tant que guérisseuse, jet’ordonne d’aller te reposer !Ton rêve ne va pas disparaître,tu le sais aussi bien que moi. Ilfaut que tu découvres ce qu’ilsignifie et la seule manière d’yparvenir, c’est de le laisser serépéter encore et encore, jusqu’àce que tu comprennes sasignification. »
Il hésita. Il n’était pas certaind’être de son avis. Les rêves nelui avaient pas été très utiles,jusqu’à présent.
« D’accord, miaula-t-il àcontrecœur. Mais si le Clan des
Étoiles essaie de mecommuniquer quelque chose, ilpourrait au moins se montrerplus explicite ! »
Puis il retourna à sa tanière.Cette fois, il dormit sans faire lemoindre rêve.
Tôt, le lendemain matin, ilretourna chez la guérisseusepour lui apporter un écureuil,choisi dans le tas de gibierfraîchement tué. Il trouvaMuseau Cendré installée à côtéde Longue Plume endormi,roulé en boule.
« Tu as passé la nuit ici ?
demanda Étoile de Feu enposant l’écureuil devant elle.
— Où veux-tu que je sois ? Il abesoin de moi. Ne t’en fais pas,je ne suis pas fatiguée. »
Elle se contredit avec unénorme bâillement.
« Hier soir, tu m’as ordonnéd’aller dormir. Aujourd’hui, entant que chef de ton Clan, jet’ordonne d’en faire autant. Celan’aidera pas Longue Plume si saguérisseuse tombe malade.— Mais je suis inquiète à sonsujet, chuchota-t-elle. Je croisque ses yeux sont infectés. Les
griffes du lapin devaient êtresales. »
Étoile de Feu inspecta lesplaies. Les yeux étaient dans lemême état que la veille : rouges,enflés, suintant un liquidepoisseux. La pulpe de souciformait déjà une croûte.
« Ce n’est pas trèsencourageant, reconnut lematou. Mais cela ne doit past’empêcher de manger un peu deviande et d’aller te reposer. Jevais te renvoyer Nuage de Pluie.Il pourra surveiller notre blesséet t’appeler si Longue Plume
devait se réveiller. »Museau Cendré se dressa sur
ses pattes et s’étira de tout sonlong.
« D’accord. Mais peux-tu luidemander d’aller cueillir dessoucis avant de venir ? Il enpousse sur le haut du ravin.
— À condition que tu mangescet écureuil. »
Elle se pencha sur la proiepuis releva des yeux inquiets.
« J’ai tellement peur de nepas pouvoir sauver la vue deLongue Plume », avoua-t-elle.
Il frotta son nez contre
l’oreille de la guérisseuse.« Tous les chats du Clan
savent que tu fais de ton mieux.— Et si ça ne suffisait pas ?— Ne t’inquiète pas. Le Clan
du Tonnerre ne pourrait pasavoir de meilleur guérisseur quetoi. »
Museau Cendré soupira et semit à dévorer son repas. Lerouquin savait qu’il perdait sontemps à vouloir la rassurer. SiLongue Plume devenait aveugle,elle s’en voudrait, tout commeelle s’en était voulu quand lacompagne de Plume Grise était
morte en mettant ses petits aumonde.
Étoile de Feu conduisit sapatrouille vers les QuatreChênes. La pluie était tombéeplus tôt dans la soirée : et sonpelage se perla de gouttes quandils traversèrent les herbeshautes. Désormais, les nuagesavaient disparu et la pleine luneflottait dans un ciel pur.
Les guerriers qu’il avaitchoisis pour participer àl’Assemblée le suivaient de près.Griffe de Ronce sautillait à sa
hauteur, les yeux pétillantd’impatience et de fierté.
« Calme-toi ! miaula PlumeGrise à son intention. Ce n’estpas comme si tu participais à tapremière Assemblée !
— Non, mais je n’étais encorequ’un apprenti. Tu croisqu’Étoile de Feu va annoncer àtous les clans que je suis unguerrier, maintenant ? »
Le chef lui jeta un bref coupd’œil.
« Oui, bien sûr que je le ferai.— Mais aussi longtemps que
tu continueras à te comporter
comme un apprenti, ils ne lecroiront pas ! » le prévint PlumeGrise en lui effleurant lesoreilles de sa queue.
Étoile de Feu commençait àentendre les chats au loin. Ildistinguait déjà les odeurscaractéristiques des Clans duVent, de la Rivière et de l’Ombreque lui apportait la brise tiède. Ilaccéléra l’allure. Des voixinconnues hurlant de désespoircontinuaient à hanter ses rêveset il se réjouissait à l’idée depasser un peu de temps avec desêtres bien réels et connus. Il
voulait discuter de problèmesqui lui étaient familiers au lieude se débattre tout seul pourcomprendre ce que lui voulaientces chats étranges.
À peine arrivé à la dernièrepente avant la dénivellation, ilcrut que des chats seprécipitaient vers lui, beaucoupde chats, tout un Clan ! Il pila,cligna des yeux mais ne vit riend’autre que des ombres. L’odeurqu’il avait sentie au cours de sesrêves flottait autour de lui, bienplus intense, à présent. Desimages d’oreilles rabattues, de
poils hérissés lui vinrent àl’esprit, comme si ces chatsfuyaient une Assemblée qui sedispersait dans le désordre. Puisla sensation disparut. Ilreprenait vaguement ses espritsquand Pelage de Poussière vintse heurter à lui.
« Bon sang ! maugréa celui-ci.Quelle idée de t’arrêter commeça sans prévenir. Tu t’es perdu ?
— Désolé », miaula Étoile deFeu avant de reprendre la route.
Mais ses pattes tremblaientencore. Quand ils atteignirent lehaut de la pente, il marqua une
pause pour observer tous ceschats rassemblés au pied desquatre grands chênes quioscillaient doucement dans labrise. Il chercha des yeux unsigne qui pourrait trahir laprésence des chats inconnus.Rien. Alors il invita ses guerriersà poursuivre et s’enfonça dansles buissons, en direction desautres clans.
Quand ils atteignirent laclairière, Griffe de Roncedépassa tout le monde ets’arrêta devant une chatteécaille, assise un peu plus loin.
« Nuage d’Or ! haleta-t-il.Devine un peu… »
Sa sœur le toisa d’un airmalicieux.
« Nuage d’Or ? C’est qui celle-là ? Je m’appelle Pelage d’Or,maintenant, si cela ne t’ennuiepas. » Griffe de Ronce enroulasa queue de plaisir.
« C’est vrai ? C’est génial !Moi aussi… enfin, je veux dire…moi aussi, je suis devenu unguerrier. Je ne m’appelle plusNuage Épineux mais Griffe deRonce ! » Sa sœur ronronna etentortilla sa queue autour de
celle de son frère.« Félicitations ! »Tempête de Sable se dirigea
directement vers Patte deBrume, lieutenant du Clan de laRivière, assise près du GrandRocher. Les deux chattes étaientdevenues de grandes amieslorsque Patte de Brume avait étéchassée de son propre Clan parÉtoile du Tigre, et avait passéquelque temps dans le Clan duTonnerre.
Voyant que le reste de sesguerriers saluaient égalementdes amis d’autres Clans, Étoile
de Feu se dirigeai vers le GrandRocher, où attendaient Étoile duLéopard, Étoile de Jais et ÉtoileFilante.
Ce dernier vint à sa rencontrepour l’accueillir.
« Salutations, Étoile de Feu !Maintenant que nous sommestous là, nous allons pouvoircommencer. » D’un hochementde tête, Étoile de Feu salua lesautres chefs tandis qu’Étoile deJais poussait un longmiaulement pour demander lesilence.
« Je vais prendre la parole le
premier, au nom du Clan del’Ombre », annonça-t-il enjetant un regard de défi auxautres chefs qui risquaient delui contester ce privilège.
Ils n’en firent rien. ÉtoileFilante lança cependant un coupd’œil agacé vers Étoile de Feu, etÉtoile du Léopard agita la queued’un air irrité.
« Le gibier ne manque pas surnos terres, commença Étoile deJais. Et nous avons consacré unnouveau guerrier : Pelaged’Or. »
Un chœur de miaulements
s’éleva quand tous les chats desquatre Clans acclamèrent Pelaged’Or. Étoile de Feu la vitfièrement assise à côté de sonfrère. Mais il nota aussi queFeuille Rousse, le lieutenant deson Clan, restait silencieuse.Elle toisait la jeune guerrièreavec méfiance, sans doute parcequ’elle était née dans le Clan duTonnerre.
« Nous avons encore vu desBipèdes sur notre territoire,poursuivit Étoile de Jais. Ilsarpentent nos terres en se criantdessus et parfois, ils autorisent
même leurs monstres à quitterle Chemin du Tonnerre pourécraser la forêt.
— Quitter le Chemin duTonnerre ? demanda Patte deBrume. Pourquoi ? Ilspoursuivent certains d’entrevous ?
— Non, je pense qu’ils nesavent même pas qu’on est là.Aussi longtemps que nousgarderons nos distances, ils nenous feront rien.
— Ils doivent quand mêmeeffrayer le gibier, grommelaÉtoile Filante. Je ne voudrais
pas que l’un d’eux empiète surmon territoire, en tout cas !
— Les chats du Clan del’Ombre sont plus doués quenous pour se dissimuler, fitremarquer Étoile de Feu.
— À toi, maintenant », miaulaÉtoile de Jais en reculant pourcéder la place à Étoile Filante.
Le chef du Clan du Venthocha la tête.
« Tout se passe bien pournous. Patte Cendrée a eu unenouvelle portée de trois chatons.Moustache et Griffe de Pierreont repoussé un renard qui
pensait sans doute être plusheureux dans notre lande quedans votre forêt.
— On lui a vite fait changerd’avis ! miaula Griffe de Pierre,depuis le pied du Grand Rocher.
— Je vous conseille de legarder à l’œil, continua ÉtoileFilante à l’attention d’Étoile duLéopard. Il est passé dans votreterritoire près de la rivière.
— Trop aimable ! réponditsèchement le chef du Clan de laRivière. Encore un renard ! Il nenous manquait plus que ça ! Jevais prévenir nos patrouilles. »
Étoile de Feu comptait bienen faire autant. À cet endroit, leterritoire de la Rivière étaitassez étroit et le renard pourraitatteindre le camp du Clan duTonnerre sans encombre.
Entre-temps, Étoile duLéopard s’était avancée à sontour.
« Comme toujours, pendantla saison des feuilles vertes, lesBipèdes envahissent le coinrouspéta-t-elle. Ils mettent descanots sur la rivière et leurspetits jouent dans l’eau eteffraient les poissons. Mais pour
l’instant, bien que l’eau soitbasse, nous n’avons pas encorede problèmesd’approvisionnement. »
Étoile de Feu se demanda sielle ne bluffait pas. Moins d’eausignifiait généralement moinsde poissons. Mais ce n’était pasà lui de la contredire. Commetous les autres chefs, elle nevoulait pas que son Clan sembleaffaibli par manque denourriture.
« Le Clan du Tonnerrecompte un nouveau guerrier,annonça-t-il quand ce fut son
tour. Nuage Épineux a étépromu guerrier et s’appellemaintenant Griffe de Ronce. »
Un autre chœur defélicitations éclata, tandis que lejeune guerrier, assis à côté de sasœur, inclinait la tête, intimidé.Alors qu’il attendait que laclameur se calme, Étoile de Feudécida de ne pas mentionner lamésaventure de Longue Plume.D’ici la prochaine Assemblée,Museau Cendré auraitcertainement guéri ses yeux etl’incident ne serait plus qu’unmauvais souvenir.
« Nous avons assez de gibieret les Bipèdes ne nous ennuientpas », conclut-il.
Il était rare que leur réunionse termine aussi rapidement,sans événements importants àsignaler ou sans motifs dediscorde entre les Clans.Pendant qu’Étoile de Jaisclôturait la séance, Étoile de Feucontemplait la clairière, sesouvenant de son état après labataille contre le Clan du Sang,quand l’herbe était devenuerouge, recouverte de cadavres dechats. C’est à cette occasion qu’il
avait perdu sa première vie et vuune pâle silhouette, une copiede lui-même, prendre sa placeparmi les guerriers du Clan desÉtoiles.
C’étaient les guerriers de jadisqui lui avaient donné le couragede continuer à se battre en luiassurant qu’il y avait toujourseu quatre Clans dans la forêt etqu’il en serait toujours ainsi.
La vie continuerait sonchemin. Étoile de Feu trouvaitcette idée réconfortante. Laroutine : les patrouilles, lachasse et l’entraînement des
apprentis… Les petits souciscomme la blessure de LonguePlume et ses propres rêvesinexpliqués, semblaientinsignifiants comparés à la viedes Clans. Il appartenait à unetrès, très longue lignée de chats,fidèles au code du guerrier etsolidaires entre eux. Mêmelorsqu’il aurait perdu sadernière vie et que son nomserait depuis longtemps oublié,les Quatre Chênes sedresseraient toujours là, unpour chaque Clan.
CHAPITRE 4
CHAPITRE 4
L’ASSEMBLÉE ÉTAIT TERMINÉE
et Étoile de Feu s’apprêtait àsauter du rocher quand,soudain, il se figea.Curieusement, le ravin semblait
plus peuplé que d’habitude.D’étranges silhouettes de félinsphosphorescents se mêlaientaux chats de la forêt au pointque leurs pelages se touchaient.Pourtant, ils passaient les uns àcôté des autres sans s’accorderla moindre attention. Les troisautres chefs allèrent se mêler,eux aussi, à ces spectres commesi de rien n’était. Étoile duLéopard manqua atterrir surl’un des félins blancsluminescents et s’éloigna sans lemoindre frémissement demoustache.
Étoile de Feu frissonna. Jesuis donc seul à les voir !
Son regard fut attiré par ungros matou blanc et gris qu’ilavait déjà aperçu à deux repriseset qui le fixait, la gueule ouverteen une supplique silencieuse.Mais avant qu’Étoile de Feu aitpu réagir, Griffe de Pierre, duClan du Vent, passa devant lui etle chat fantôme disparut.
Il savait que ces spectresétaient les mêmes que ceux qu’ilavait vus se débattre dans larivière et qui lui étaient apparusdans la brume de ses rêves.
Qui sont-ils ? Et que font-ilsici ?
« Hé ! Étoile de Feu !l’interpella Plume Grise du pieddu Grand Rocher. Tu comptesrester là-haut toute la nuit ? ».
Étoile de Feu se secoua. Il nepouvait pas continuer ainsi. Ceschats l’avaient hanté dans sesrêves et voilà qu’ils le hantaientaussi une fois éveillé. Il fallaitqu’il sache pourquoi. Et siMuseau Cendré était incapablede l’aider, d’autres devaientpouvoir le faire.
Il sauta au bas du rocher pour
rejoindre le reste de son Clan.« Écoute, Plume Grise, je
veux que Tempête de Sable ettoi raccompagniez le Clanjusqu’au camp.
— Pourquoi ? Où est-ce quetu vas ?
— Il faut que je me rende à laPierre de Lune, pour consulterle Clan des Étoiles. »
Plume Grise sembla étonné,mais Tempête de Sableacquiesça.
« Je savais que quelque chosete préoccupait, miaula-t-elledoucement en venant frotter
son pelage contre celui de soncompagnon. Tu iras peut-êtremieux une fois que tu aurasparlé à nos ancêtres.
— Je l’espère.— Veux-tu que je
t’accompagne ? offrit PlumeGrise. Ils n’ont pas besoin demoi pour rentrer et on ne saitjamais ce qui peut rôder dans leslandes. Si ce renard étaitrevenu ?
— Non, je te remercie. Je vaisme joindre au Clan du Ventjusqu’à leur camp, ensuite je medébrouillerai. »
Plume Grise rassembla sestroupes d’un mouvement dequeue et ajouta :
« Très bien ! Salue Nuage deJais de ma part, en passantdevant la ferme de Gerboise !
— Je n’y manquerai pas. »Puis il se tourna vers Tempête
de Sable et frotta son nez contrele sien.
« Au revoir. Je serai bientôtde retour.
— Bonne chance. J’espère quetu trouveras des réponses. Tusembles si loin de nous, cestemps-ci. »
Il plongea dans les buissonspour rejoindre Étoile Filante quientraînait ses troupes vers leslandes, petites silhouettessombres qui se découpaientdans le clair de lune.
« Salut, Moustache ! haleta-t-il en arrivant à la hauteur duguerrier qui fermait la marche.Je peux faire un bout de cheminavec vous ? Il faut que je merende aux Hautes Pierres.
— Bien sûr ! Tout va bien,j’espère.
— Oui, aucune raison des’inquiéter. »
Près de leur campement,Étoile de Feu poursuivit lechemin seul. L’aube pointaitdéjà quand il s’approcha desroches sombres qui sedessinaient dans le ciel pâle. Unpetit vent glacé agitait les herbescourtes et tendres. L’horizonsemblait illimité, sans arbrepour s’abriter. Les odeurs, aussi,lui étaient étrangères – unmélange d’ajoncs, de bruyère etune légère pointe de tourbe.
Étoile de Feu bondit par-dessus un étroit ruisseau,faisant fuir un lapin : il regarda
s’éloigner la petite queueblanche.
Quand les landes firent placeà de grasses prairies bordées dehaies et de barrières, le soleils’était levé. Étoile de Feuaperçut un nid de Bipèdes puisentendit les aboiements d’unchien au loin. Inquiet, il leva lemuseau pour humer l’air, maisl’odeur de chien restait ténue. Etpuis, il n’avait pas de raison des’inquiéter : les Bipèdes nelâchaient leurs chiens que lanuit et les attachaient pendantla journée.
Il contourna leur nid en sedissimulant le long des haies.Un autre fumet vint jusqu’à lui,plus corsé que celui des chiens.Des rats ! Étoile de Feu marquaune pause, se rappelant qu’aucours de son premier voyage auxHautes Pierres, Étoile Bleueavait perdu une vie lors d’uneattaque de rats à cet endroitmême. Mais il avançait contre levent et, avec un peu de chance, ilpourrait passer sans que cescréatures ne remarquent saprésence.
Près du nid des Bipèdes se
dressait une grange en pierre. Ilse dirigea vers la porte en bois etattendit sur le seuil. Une forteodeur de chat lui parvint d’untrou au bas de la porte et ilronronna de plaisir.
« Salut, miaula-t-il. Je peuxentrer ? »
Un cri de joie retentit et unetête noire surgit.
« Étoile de Feu ! Qu’est-ceque tu fais ici ? »
Le matou roux entra dans lagrange et se retrouva sur unmoelleux tapis de brins depaille. Il fut accueilli par Nuage
de Jais, l’ancien apprenti duClan du Tonnerre qui avait dûpartir en exil afin de ne pas sefaire massacrer par Griffe deTigre dont il avait découvert lesmachinations. À cette époque,Nuage de Jais était maigre etnerveux ; à présent il était poséet bien nourri. Son beau pelagenoir brillait dans le soleil quifiltrait par une percée dans lestuiles.
« C’est un plaisir de terevoir », miaula Étoile de Feu.
La dernière fois qu’ilss’étaient rencontrés, c’était à
l’occasion de la bataille contre leClan du Sang, quand le chat noiret son ami Gerboise s’étaientjoints à eux pour se battre ducôté des chats de la forêt.
Il vint frotter son museaucontre celui d’Étoile de Feu.
« Sois le bienvenu, dit-il. Toutva bien pour le Clan duTonnerre ?
— Oui, mais… »Il s’interrompit en entendant
une autre voix : celle deGerboise, le matou noir et blancqui partageait la grange avecNuage de Jais. Il sauta d’une
pile de bottes de foin et atterrit àcôté d’Étoile de Feu. C’était unchat tout en muscles, plutôtcourt sur pattes, pourvu d’unebedaine bien ronde à force dedévorer toutes les souris quigrouillaient dans le foin.
« Tu veux chasser ? proposa-t-il. Il y a de quoi faire !
— Je suis désolé, je ne peuxpas, miaula à regret Étoile deFeu qui salivait déjà à l’odeurdélicieuse des souris. Comme jeme rends à la Pierre de Lune, jene suis pas censé manger.
— C’est dur ! compatit Nuage
de Jais. Mais tu peux te reposerici, n’est-ce pas ? Inutile departir aux Hautes Pierres tout desuite, tu arriverais bien trop tôt.
— Merci. Je suis tellementfatigué que je pourrais dormirsur mes quatre pattes. »
Nuage de Jais l’emmena àl’autre extrémité de la grange,où les deux solitaires avaientinstallé leurs nids sur de petitstas de foin. Gerboise partit faireun tour pour les laissertranquillement bavarder.
« Alors, qu’est-ce qui t’amèneà la Pierre de Lune ? demanda
Nuage de Jais. Enfin, si tu esautorisé à m’en parler », sehâta-t-il d’ajouter.
Étoile de Feu hésita. Pourl’instant, il ne s’en était ouvertqu’à Museau Cendré. Etencore… En partie, seulement.Ce serait un tel soulagement departager ses inquiétudes avec unchat qui ne le considérait pascomme un chef, mais comme unami.
« J’ai fait des rêves étranges,commença-t-il en lui racontantles landes et les hurlements dedétresse. Et ce n’est pas tout. Je
commence à avoir des visions. Ily a un chat, un guerrier grispâle, qui m’est déjà apparu troisfois. Pas seulement lui… tout unClan de chats, scintillantscomme des étoiles. Je les ai vushier soir, lors de l’Assemblée.Mais personne n’a remarquéleur présence. Parfois je me disque je deviens fou.
— Tu es sûr qu’ils ne font paspartie du Clan des Étoiles ? »s’inquiéta Nuage de Jais.
Comme c’était étrange deparler de Clan avec un chat quin’appartenait plus à aucun
d’entre eux…« Ne crois pas que j’aie oublié
mes ancêtres, miaula lesolitaire, comme s’il avait devinéses pensées. Même si je neparticipe plus aux Assemblées,quelque part je resterai toujoursun membre du Clan duTonnerre.
— Non, je n’en ai reconnuaucun. Pas même leur odeur.J’ignore qui ils sont ou ce qu’ilssont et pourquoi je continue àles voir. C’est justement ça quim’inquiète.
— Le Clan des Étoiles pourra
peut-être te l’expliquer ce soir.Tu devrais dormir un peu pourêtre en forme.
— Tu as raison. Tu veux bienme réveiller au coucher dusoleil ? »
Épuisé, il se blottitconfortablement dans la pailleavec un ronronnement deplaisir. Les rayons de soleilperçaient à travers les trous dutoit, faisant danser lespoussières comme deminuscules étoiles. Ses yeux sefermèrent et il se laissa glisserdans un sommeil parfumé de
foin tiède.
Étoile de Feu eut l’impressionque quelques secondesseulement s’étaient écouléesquand une patte le secoualégèrement. Il ouvrit les yeux etvit Nuage de Jais penché au-dessus de lui.
« Il est temps de te lever »,miaula celui-ci.
Étoile de Feu se leva et s’étiraavec délice. Cela faisaitlongtemps qu’il n’avait pasdormi aussi profondément.Était-ce parce qu’il se trouvait
loin de la forêt et que l’étrangechat gris ne pouvait l’atteindreque là-bas ?
Il prit rapidement congé deses amis. Le fumet des proiesfraîches titilla son ventre vide etil regretta de ne pas avoir pris letemps de chasser et de senourrir avant son départ desQuatre Chênes. Mais il était troptard, désormais, et il devait semettre en route pour les HautesPierres.
Le temps qu’il atteigne lacrête, traverse le Chemin duTonnerre et grimpe les pentes
rocheuses, le soleil se couchait.L’orifice noir de la Grotte de laVie béait sur le flanc de lacolline. Étoile de Feu trouva unepierre plate et s’installa dessuspour observer les nids et leschamps des Bipèdes jusqu’à ceque l’obscurité soit complète etque la lune déverse ses rayonsargentés sur les rochersescarpés.
Maintes fois, il avait parcourule tunnel qui menait à la Pierrede Lune, mais la peur lui serraittout de même le ventre lorsqu’ils’engagea dans l’obscurité. Seul
le contact de ses moustachesavec les parois rocheuses et deses pattes avec la pente inégalelui indiquaient la direction àsuivre. L’air sentait maintenantle moisi, avec des relents depoussière et de pierre. Étoile deFeu frissonna en pensant àl’énorme masse rocheuse souslaquelle il s’enfonçait.
Puis l’air redevint plus frais.Le tunnel débouchât sur unegrande caverne et, par un troudans la voûte, il put apercevoirles étoiles qui scintillaient auloin. Il distinguait à peine la
forme sombre de la Pierre deLune dressée devant lui, à troislongueurs de queue du sol de lagrotte.
Il s’assit et attendit.Le changement se produisit
sous la forme d’un éclairaveuglant, comme si toutes lesétoiles illuminaient la grotte enmême temps. La lune descenditjusqu’à ce qu’on puissel’apercevoir par l’orifice dans lavoûte. Dans sa lumière, la Pierrede Lune scintillait comme de larosée, déversant une lumièrepâle et brillante sur les parois de
la caverne et le plafond cintrée.Étoile de Feu s’allongea
devant la Pierre de Lune ets’étira jusqu’à pouvoir latoucher de sa truffe. Le froid letraversa du museau jusqu’à lapointe de la queue, et il seremémora sa dernière visite,quand il était venu recevoir sesneuf vies et son nom. Il y avaitune éternité de cela. Le matouroux ferma les yeux etl’obscurité prit doucementpossession de lui.
Longtemps, il ne sentit que leparfum de la nuit et le vent
jouer dans son pelage. Mais lapeur enflait en lui et il grinçades dents, refusant d’éloignerson museau de la pierrepourtant si froide.
Puis ses oreilles perçurent unléger bruit qui s’amplifiaitgraduellement : le bruissementdes feuilles dans le vent. Ilouvrit les yeux. D’immensesbranches s’étendaient au-dessusde sa tête, à peine visibles dansl’obscurité. Pas de lune, mais lesétoiles scintillaient vivement,assez proches pour donnerl’impression d’avoir été tissées
dans les feuilles.Étoile de Feu se releva et
regarda autour de lui. Il était deretour aux Quatre Chênes, maiscette fois la clairière étaitdéserte.
Puis il se retourna et vit unechatte au pelage gris-bleuargenté qui sortait de l’ombre.Sous chacun de ses pas, l’herbescintillait comme constellée degivre.
« Étoile Bleue ! »L’ancien chef du Clan du
Tonnerre vint à sa rencontre.« Je suis si heureux de te voir.
Es-tu venue toute seule ? »Elle fit encore quelques pas
vers lui.« Je sais pourquoi tu es venu
et les questions que tu veuxposer ne seront pas bienaccueillies par nombre de tesancêtres.
— Tu veux dire que le Clandes Étoiles connaît les chats quiapparaissent dans mes rêves ?Viennent-ils aussi du Clan desÉtoiles ? Pourquoi ne les avais-je jamais vus ? Que me veulent-ils ? »
Étoile Bleue le fit taire d’un
signe. Ses yeux étaient troubléset il eut l’impression d’être surle point de découvrir un terriblesecret. Soudain, il n’eut plusenvie de connaître la vérité.
« Étoile de Feu, commença-t-elle d’une voix hésitante.Pourrais-tu repartir d’icisatisfait, sans avoir obtenu laréponse que tu cherches ? »
Il lut du désespoir dans sesyeux et faillit lui céder. Puis il serappela la raison de sa venue.S’il repartait sans uneexplication, les hurlementsterrifiants reviendraient hanter
ses rêves et il ne pourraitéchapper à la vision des chats enfuite.
« Non, Étoile Bleue. Il fautque je sache la vérité. » Ellesoupira.
« Très bien. Les chats que tuas vus appartiennent au Clan duCiel.
— Le Clan du Ciel ? Qu’est-ceque c’est que ça ?
— Ils appartiennent… aucinquième Clan », répondit-elleen baissant la tête.
CHAPITRE 5
CHAPITRE 5
« MAIS IL Y A TOUJOURS EU
QUATRE CLANS dans la forêt !— Pas toujours, répondit-elle,
d’une voix glaciale. Autrefois, ily en avait cinq. Le territoire du
Clan du Ciel se trouvait en avalde la rivière, au bout du Clan duTonnerre, là où sont maintenantinstallés les Bipèdes. Quand ilsont construit leurs nids, voilàbien des saisons de cela, lesmembres du Clan du Ciel ont dûquitter la forêt. Il n’y avait pasde place pour eux à l’époque, pasplus qu’il n’y en a aujourd’hui.
— Où sont-ils allés ? demandaÉtoile de Feu.
— Loin de nos cieux.— Et le Clan des Étoiles n’a
rien fait pour les retrouver ?— Leurs propres ancêtres sont
partis avec eux, expliqua-t-elle.Le Clan du Ciel a forcémenttrouvé un nouveau territoireailleurs. »
Étoile de Feu fut choqué parle ton dédaigneux d’ÉtoileBleue, comme si les esprits deleurs ancêtres se fichaient qu’unClan entier disparaisse ainsi.
« Que me veulent-ils, alors ?Essaient-ils de me dire qu’ilsvoudraient revenir ? S’ils onttrouvé un nouveau territoire,pourquoi le quitter ?
— Je l’ignore, admit ÉtoileBleue. Mais la première fois que
je t’ai vu, il y a bien des saisonsde cela, j’ai su que tu sauveraisnotre Clan. Peut-être le Clan duCiel le voit-il aussi. Peut-êtrepense-t-il que toi seul pourrasl’aider. »
Étoile de Feu frissonna.« Alors je dois retrouver le
Clan du Ciel et le ramener dansla forêt ?
— Je ne dis rien de tel !protesta vivement Étoile Bleue.Où vivrait-il ?
— Mais les rêves…— Peu importe ! miaula la
chatte, exaspérée, en battant
l’air de sa queue. Tu es le chefdu Clan du Tonnerre et ton Clana besoin de toi. Il n’y a rien dansle code du guerrier qui t’oblige àaider un Clan disparu depuis silongtemps qu’aucun chat nes’en souvient. »
Étoile Bleue avait raison,mais comment oublier les crisdans la lande ? Ce n’était paselle qui devait supporter lesrêves hantés de gémissements,de visages suppliants !
Et pourtant, c’étaituniquement parce qu’il avait crules guerriers de jadis, quand ils
lui avaient affirmé qu’il y avaittoujours eu quatre Clans dans laforêt, qu’il avait eu le courage demener la guerre contre le Clandu Sang. Le cinquième Clanétait le Clan des Étoiles, quiprotégerait à jamais les quatreautres Clans.
Lui avait-on menti ?Étoile Bleue reprit la parole,
plus calmement, cette fois.« Tes ancêtres te protègent
aujourd’hui comme ils l’onttoujours fait. Rien n’a changé.Ton devoir est de continuer àt’occuper de ton propre Clan.
— Mais le Clan du Ciel…— Il est parti. Sa place n’est
plus ici. La forêt estparfaitement bien partagéeentre les quatre Clans quirestent.
— Est-ce donc la volonté duClan des Étoiles que j’ignoresimplement ces chats ?Personne ne veut se préoccuperde leur souffrance ?
— Certains affirment qu’il n’yaurait jamais dû y avoir uncinquième Clan dans la forêt, unpoint c’est tout ! Pourquoi yaurait-il quatre chênes s’ils ne
correspondaient pas aux quatreClans ? »
Il considéra les chênesimposants et fut pris d’uneterrible fureur.
« Quelle idée de cervelle desouris ! Tu veux dire que le Clandu Ciel a dû partir simplementparce qu’il n’y avait pas assezd’arbres ? »
Étoile Bleue fut sidérée par saréaction et son regard se voila.Sans attendre sa réponse, lematou lui tourna le dos ets’enfuit. Les ronces griffèrentson pelage quand il plongea
dans les fourrés, mais il restaindifférent à la douleur. Depuisson arrivée dans la forêt, il avaittoujours fait confiance auxancêtres, pourtant ils lui avaientmenti ! C’était comme si le solse dérobait soudain sous sespattes.
Il continua à courir mais, aulieu d’arriver sur la crête, il seréveilla dans la grotte de laPierre de Lune. Sa respirationétait haletante, son pelageébouriffé et ses pattes brûlantes.Quand il les lécha, le goût salédu sang lui donna l’impression
d’avoir parcouru une distanceinterminable sur des caillouxacérés.
Loin au-dessus de la voûte,les nuages couvrirent la lune etles étoiles et plongèrent la grottedans une terrifiante obscurité.Pris de panique, il se leva,traversa la caverne en boitant etfinit par trouver la sortie. Quandil émergea de l’autre côté de lacolline, un vent cinglantdéchirait les nuages telles destoiles d’araignées. Il ne putapercevoir que des fragments delune, mais les étoiles brillaient
de nouveau.Il grimpa sur la pierre plate
sur laquelle il avait attendu unpeu plus tôt et s’allongea là, lesyeux tournés vers la ToisonArgentée. Il ne pouvait plus voirle regard bienveillant desancêtres dans les étoiles. Lespleurs désespérés des membresperdus du Clan du Cielretentissaient dans son esprit.
Mais comment suis-je censéleur venir en aide ? Ils doiventtous être morts ! Où se trouventleurs descendants ?
Étoile de Feu resta allongésur la pierre jusqu’à ce que leciel prenne la teinte laiteuse del’aube. Puis, à pas lents etdouloureux, il redescendit lapente jusqu’aux champs,laissant derrière lui les crêtesescarpées des Hautes Pierres. Ilse sentait atrocement trahi. Ilavait toujours respecté le Clandes Étoiles pensant qu’il voulaitce qu’il y avait de mieux pourtous les Clans. S’il n’en étaitrien, à quoi bon la consulter ?
En passant devant la grangede Gerboise, son estomac se mit
à gronder. Il mourait d’envie des’arrêter pour festoyer avec sesamis, mais il ne voulait pasqu’on l’interroge sur sarencontre avec le Clan desÉtoiles. Que répondre à Nuagede Jais, dont la foi était encoreintacte ?
Qu’on leur avait toujoursmenti ?
Après avoir dépassé la fermedes Bipèdes, il s’arrêta pourchasser une souris imprudentequi grignotait des graines à l’abrid’une haie. Minuscule, elleapaisa à peine sa faim, mais
Étoile de Feu était trop exténuépour reprendre la chasse. Il seroula donc en boule sous unbuisson d’aubépines et sombraaussitôt dans un profondsommeil.
Quand il se réveilla, le soleilbrillait déjà. Reposé, il repartiten longeant un champ où le blédoré, presque mûr, ondulaitsous la brise. Il repéra une autresouris qui courait entre lesbrindilles et bondit pour ladévorer. Après une brève toilettedes moustaches, il repartit versla lande.
Lorsqu’il atteignit enfin lecamp du Clan du Tonnerre, lejour tombait presque. Unelumière rouge baignait laclairière, striée de l’ombre desarbres. Étoile de Feu laissaéchapper un profond soupir dedésespoir. Certes, il était contentd’être revenu chez lui, maispourrait-il continuer à assumerson rôle de chef de Clan en dépitde ce qu’il venait d’apprendre ?
Alors qu’il hésitait devant letunnel d’ajoncs, Plume Crisedéboula du repaire desguerriers. Tempête de Sable, qui
se tenait près de la réserve degibier, leva la tête et s’approchaà son tour.
« Étoile de Feu ! Tu es deretour ! s’exclama Plume Grise.Tout va bien ? demanda-t-il envoyant l’expression troublée deson ami.
— Oui, je vais bien. Je suisfatigué, c’est tout », réponditÉtoile de Feu.
Chaque mot lui coûtait. Dubout de la queue, Tempête deSable lui caressa le flanc et leconsidéra un instant sans unmot. Elle voyait bien qu’il était
soucieux, mais ne lui posaaucune question.
« Il est temps que tu prennesun peu de repos, proposa-t-ellesimplement.
— Écoute, reprit Plume Grise.La patrouille de l’après-midivient juste de rentrer. Elle penseque le renard dont Étoile Filantea parlé est entré sur notreterritoire. Elle a repéré desodeurs récentes sur la frontière,près du pont des Bipèdes. »
Étoile de Feu ferma les yeux,essayant de se concentrer sur ceque cela pouvait signifier pour
son Clan.« Les guerriers ont suivi sa
trace ?— Ils ont essayé, mais ils l’ont
perdue sur un lopin de terremarécageuse près de la rivière. »
Plume Grise fixait Étoile deFeu, attendant que leur chef luidise ce qu’il devait faire. Commele silence se prolongeait, ils’inquiéta.
« Étoile de Feu ? » murmuraTempête de Sable.
Les cris stridents des chatonsramenèrent le matou auprésent.
« Et vlan ! Prends ça, Fléau !couina Petite Musaraigne. Sorsde notre forêt !
— Et emmène ton Clan avectoi ! »
Petite Araignée atterrit aubeau milieu de la mousse, laprojetant tout autour de lui.
« Hé ! protesta Nuage dePluie en accourant du gîte desanciens. Je viens juste deramasser ça ! Comment voulez-vous que je prépare les nids sivous dispersez tout ! »
Les deux chatons seregardèrent, puis s’élancèrent
côte à côte vers la pouponnière,la queue en pointd’interrogation. Les poils encorehérissés, Nuage de Pluie se miten devoir de rassembler lamousse.
En voyant les chatons jouerainsi, Étoile de Feu se rappelaque l’existence d’un Clan n’étaitpas seulement centrée sur leClan des Étoiles ou le code duguerrier. Son devoir de chefexigeait qu’il s’occupe desmembres de son Clanmaintenant et leur assure unelongue vie heureuse dans la
forêt. Sentant une étincelled’énergie revenir dans ses pattesfatiguées, il se tourna versPlume Grise.
« Oui… le renard. Doublez lespatrouilles de ce côté-là de lafrontière. Et dis aux patrouillesde chasse de garder l’œil. Nousne voulons pas qu’il s’installeici. »
Plume Grise sembla soulagéde voir leur chef reprendre lecontrôle de la situation.
« Je me charge detransmettre tes consignes. »
Sur ce, il se dirigea vers
l’antre des guerriers.Tempête de Sable resta avec
son compagnon.« Tu peux me le dire, tu sais,
miaula-t-elle doucement.— Je sais. Je le ferai. Promis.
Mais pas maintenant.— Tu devrais aller dormir. Je
vais t’apporter de quoi manger.— Merci, mais je vais d’abord
rendre visite à Museau Cendré.Je voudrais prendre desnouvelles de longue Plume. »
Quand il arriva à la tanière dela guérisseuse, celle-ci étaitpenchée sur le blessé pour
l’examiner. Étoile de Feu futsaisi d’horreur en découvrantLongue Plume. Bien qu’ouverts,maintenant, les yeux du guerrierrestaient opaques et suintaienttoujours.
« Tu peux voir ? demandaÉtoile de Feu en ravalant uneexclamation de pitié qui auraitblessé l’amour-propre de cedernier.
— Un peu. Mais tout est flou.— Ses yeux sont encore
infectés », expliqua MuseauCendré.
Elle avait l’air épuisée et
triste, son pelage gris étaithirsute.
« J’ai essayé toutes les herbeset baies possibles et imaginableset rien ne réussit à enrayerl’infection. »
Longue Plume enfonça sesgriffes dans les fougères surlesquelles il était allongé etbaissa la tête.
« Désormais, je ne serai plusqu’un fardeau pour le Clan,grogna-t-il.
— Non ! protesta Étoile deFeu. Tu n’as pas le droit de direça ! Cœur Blanc, par exemple, a
appris à combattre avec un seulœil.
— Elle, au moins, a un œil quifonctionne ! Autantm’abandonner dans la forêtpour que je serve de nourritureaux renards !
— Certainement pas ! Pas tantque je serai le chef de ce Clan. »
Étoile de Feu fut pris defureur. Non contre LonguePlume mais contre lui-même etson incapacité à protéger songuerrier. S’efforçant derecouvrer son calme, il ajouta :« Allons, tu n’as pas encore
perdu la vue. Museau Cendréfait tout son possible pourtrouver un remède.
— Je cherche toujours »,ajouta la guérisseuse.
Elle entraîna Étoile de Feuvers la sortie et chuchota :
« Tu devrais laisser LonguePlume tranquille pour l’instant.Il est encore très choqué et il vamettre du temps à se faire àl’idée que sa vue ne s’améliorerapas. »
Étoile de Feu acquiesça, puisil lança :
« Ne t’en fais pas, Longue
Plume ! Tu auras toujours laplace dans le Clan. Repose-toi,maintenant. Je reviendraibientôt. »
Encore révolté par tantd’injustice, il regagna sa tanière,sous le Promontoire. Tempêtede Sable lui avait laissé uneproie, un jeune lapin, qu’ildévora avec appétit. Maintenantqu’il était seul, il se sentait aussivulnérable qu’une feuille morte.Cependant, il commençait àentrevoir une issue, un moyende s’occuper de son Clan fragile.
Il se pelotonnait
confortablement, prêt às’assoupir, quand une silhouettese profila à l’entrée de satanière : Museau Cendré.
« Longue Plume s’estendormi. Je voulais en profiterpour te demander ce qui s’estpassé à la Pierre de Lune. As-tutrouvé les réponses que tucherchais ?
— Oui, mais ce n’étaient pascelles que j’espérais. » Il n’entrapas dans les détails, sentantqu’il était encore trop tôt pourtout raconter à la guérisseuse. Àson grand soulagement, Museau
Cendré n’insista pas. Elle sebaissa pour entrer dans latanière et lui donna un coup delangue sur l’oreille.
« Aie confiance. Le Clan desÉtoiles veille sur nous et tout vabien se passer. »
La colère s’empara d’Étoile deFeu. Il avait envie de clamer quele Clan des Étoiles leur avaitmenti, que leurs ancêtresavaient accepté que le Clan duCiel quitte la forêt en dépit ducode du guerrier.
Mais il ne pouvait se résoudreà ébranler la foi de Museau
Cendré, à déverser sa bile surtout ce en quoi elle croyait.C’était son problème à lui. À luiseul. Sans l’aide du Clan desÉtoiles, sans la moindreconfiance en ses ancêtresguerriers, il devait trouver lemoyen de le résoudre.
CHAPITRE 6
CHAPITRE 6
LE VENT QUI SOUFFLAIT SUR LA
LANDE déchira le brouillard enlambeaux et Étoile de Feu put,pour la première fois, distinguernettement les chats en fuite. Ils
suivaient une rivière ; l’odeurfamilière de l’eau lui permit dereconnaître celle qui traversaitleur forêt.
« Attendez ! cria Étoile deFeu. Je suis venu vous aider. »
Il bondit par-dessus l’herbedrue, mais les félinscontinuaient à s’éloigner commes’ils n’avaient pas entendu sesappels.
Soudain, l’un des chatonstomba dans la rivière et sa mèrepoussa un cri de terreur en levoyant emporté par les flots.Puis un jeune apprenti, un peu à
l’écart du groupe, futsauvagement enlevé par unrenard. Étoile de Feu entenditses hurlements paniqués quis’estompèrent quand le renards’élança dans les buissons,fuyant deux guerriers quitentaient de le rattraper. Unevieille chatte qui boitaits’efforçait de suivre le Clan maisprenait de plus en plus deretard, les pattessanguinolentes. Une autretituba, finit par tomber sur lecôté pour ne plus se relever.
À la tête du Clan en déroute, il
reconnut le chat gris et blanc,entouré de guerriers efflanqués,affamés. Étoile de Feu ne réussitpas à les rattraper, mais leurséchanges lui parvinrent auxoreilles :
« Où est-ce que nous allons ?miaulait l’un d’eux. Nous nepouvons pas vivre ici… il n’y apas de gibier et aucun endroitpour installer notre camp.
— Je n’en sais rien, rétorquaitle chat gris et blanc. Il fautcontinuer à chercher.
— Mais pendant combien detemps encore ? » s’inquiéta un
autre guerrier.Personne ne répondit.Étoile de Feu remarqua une
petite chatte tigrée qui se frayaitun passage entre les guerriersjusqu’au chat gris et blanc.
« Laisse-moi parler au Clandes Étoiles, le supplia-t-elle. Ilssauront certainement nousrecommander un endroit.
— Pas question, Patte deBiche ! feula-t-il. Nos ancêtresnous ont trahis. En ce qui nousconcerne, le Clan des Étoilesn’existe plus. »
Ce doit être le chef du Clan !
Sa voix semblait autoritaire et lapetite chatte, sans doute laguérisseuse, baissa la tête sansrépliquer.
Étoile de Feu fit encorequelques tentatives pour lesappeler et les rattraper, mais legroupe s’éloignait. Le brouillardl’enveloppa de nouveau, lecoupant de la horde fuyante.Finalement, ses pattes ne purentplus le porter. Il se laissa tomberet ouvrit les yeux : il se trouvaitdans sa propre tanière.
Peu à peu, il prit consciencede la présence d’un autre chat,
assis dans l’ombre.« Tempête de Sable ? »
murmura-t-il.Le chat se tourna vers lui et la
lumière tomba sur un douxpelage écaille.
« Petite Feuille ? »L’ancienne guérisseuse du
Clan du Tonnerre se leva, vintvers lui et posa doucement satruffe sur la sienne. Il accueillitavec délice son odeur un peusucrée. Il ne parvenait pas à laconsidérer comme l’un de sesancêtres guerriers qui l’avaienttrahi. Quoi que fasse le reste du
Clan des Étoiles, il auraittoujours confiance en PetiteFeuille.
En voyant sa jolie tête fine etsa silhouette gracieuse, il pensaau chat blanc et gris, le chef duClan du Ciel qu’il avait vu dansses rêves.
« Es-tu venue me parler duClan du Ciel ? demanda-t-il.
— Oui, dit-elle gravement.Quand je vivais dans le Clan duTonnerre, j’ignorais qu’il y avaiteu cinq Clans dans la forêt,jadis. Je n’ai appris leur histoirequ’une fois entrée au Clan des
Étoiles.— Comment les ancêtres ont-
ils pu laisser tout un Clanquitter la forêt ? » s’indignaÉtoile de Feu en grattantnerveusement le sol.
Elle s’allongea à côté de lui etil put sentir les vibrations de sonronronnement réconfortant.
« Je sais que c’est difficilepour toi, mais le Clan desÉtoiles ne maîtrise pas tout dansla forêt. Nous n’avons pas pubannir la meute de chiens quivous a menacés ni repousserFléau et le Clan du Sang. »
Étoile de Feu soupira. Ilsavait que c’était la réalité, maiscela n’expliquait pas pourquoi leClan des Étoiles avait menti enprétendant que le Clan du Cieln’avait jamais existé.
« As-tu rencontré certainsmembres du Clan du Ciel ?
— Nous ne fréquentons pasles mêmes cieux.
— J’ai parlé à Étoile Bleue.Elle m’a dit que mon devoir étaitde me consacrer au Clan duTonnerre, qu’il n’y avait rien queje puisse faire pour les membresdu Clan du Ciel. Mais si c’est
exact, pourquoi est-ce que je lesvois sans cesse ?
— Sans doute parce qu’ilspensent que tu pourrais lesaider.
— De quelle manière ? Toutcela est arrivé il y a silongtemps…
— La réponse te sera donnée,promit Petite Feuille. Repose-toi, maintenant. »
Elle se pressa contre lui et ils’endormit, rassuré par sonodeur familière. Cette fois,aucun rêve ne vint troubler sonsommeil.
Quand Étoile de Feu seréveilla, le soleil brillait déjà.Petite Feuille était partie, mais ilpouvait encore humer une tracede son odeur sur sa litière. Il seleva, s’étira, plein d’une énergienouvelle.
Contournant le rocher, iltrouva Plume Grise dans lagrande clairière, entouréd’autres chats qui organisaientles patrouilles de chasse.
« Flocon de Neige, tu irasavec Cœur d’Épines, disait-il auguerrier blanc. Qui veux-tucomme troisième ? Fleur de
Saule ?— J’y vais ! l’interrompit
Étoile de Feu en s’élançant verseux. J’ai l’impression de ne pasavoir chassé depuis des lunes ! »
Plume Grise hocha la tête.« Parfait. Dans ce cas, Fleur
de Saule pourra venir avec Poilde Fougère et moi. On sedirigera vers les Quatre Chêneset on verra bien si on arrive àlocaliser ce renard. »
Une fois qu’ils furent sortisdu camp, Étoile de Feu laissaCœur d’Épines prendre ladirection de l’expédition. Le
guerrier les mena dans unchemin qui débouchait chez lesBipèdes. Tout était calme, mêmele gibier semblait se cacher.Étoile de Feu jeta un coup d’œilà travers la clôture, sedemandant où avait pu setrouver le camp du Clan du Ciel.Leur territoire devait être situétout près d’ici, là où les Bipèdesavaient construit leurs nids. Lui-même y était né ! À l’idée d’avoirvécu sur leur ancien camp, ilressentit un profond malaise.
Flocon de Neige et Cœurd’Épines avaient disparu dans
les buissons, à la recherche deproies. Assez rêvassé ! Il avaitun Clan à nourrir. Il ouvrit lagueule et perçut aussitôt unfumet de souris. Très vite, ilrepéra la petite créature en trainde gratter la terre au pied d’unbuisson d’églantines. Il seplaqua au sol et avança ensilence, posant ses pattes avec ladélicatesse d’une feuille quitombe.
Mais juste avant d’atteindre labonne distance pour bondir, sonattention fut attirée par unetache floue sur le côté. Il tourna
la tête, furieux contre Flocon deNeige qui aurait pu chasserailleurs au lieu de lui chiper sesproies ! Mais la tache floue avaitdisparu et une bribe de l’odeur,désormais familière, restasuspendue dans l’air. Le chef duClan du Ciel avait, une fois deplus, croisé son chemin.
Il resta immobile.« Tu es là ? demanda-t-il
doucement. Que me veux-tu ?Viens et parle-moi ! »
Pas de réponse.Le petit rongeur avait
certainement décampé. Il ne lui
restait plus qu’à trouver uneautre proie. La gueule ouverte, iltenta de capter de nouvellesodeurs. Les oreilles dressées, ilaurait aimé détecter quelquesgrattements intéressants, maisdes cris éclatèrent un peu plusloin, près de la clôture desBipèdes. Était-ce un de leurschiens qui attaquait sesguerriers ?
Il s’élança entre les arbresjusqu’à la lisière du bois. Pelagede Granit et Griffe de Ronce sebattaient avec, un chat inconnunoir et blanc. Griffe de Ronce
avait grimpé sur son dos et luiavait enfoncé les griffes dans lanuque, tandis que Pelage deGranit mordait furieusement saqueue.
L’inconnu se tortillait sur lesol, parvenant à peine : àtoucher ses attaquants de sespattes.
« Lâchez-moi ! feula-t-il. Ilfaut que je voie Rusty… je veuxdire Étoile de Feu ! »
Étoile de Feu reconnutsoudain la boule ébouriffée noiret blanc. C’était Ficelle, son amidu temps où il vivait encore chez
les Bipèdes.« Arrêtez ! »Il s’élança vers les chats en
train de se battre, fonça têtebaissée droit dans le flanc deGriffe de Ronce.
Celui-ci lâcha prise et seretourna en miaulantsauvagement. Mais quand ilcomprit qui venaitd’interrompre la bagarre, il secalma aussitôt.
« Laissez-nous seuls !ordonna Étoile de Feu.
— Mais c’est un intrus !protesta Griffe de Ronce en
nettoyant la poussière de sonpelage.
— Non, c’est un ami.D’ailleurs, que faites-vous ici,tous les deux ?
— On assure la patrouillefrontalière avec Pelage dePoussière et Poil de Souris.Tiens, les voilà !
— Nom d’une souris ! Que sepasse-t-il ici ? s’inquiéta Pelagede Poussière en arrivant. Avectout ce bruit, j’ai bien cru qu’unrenard vous était tombé sur lepoil !
— Non, seulement un chat
domestique ! précisamalicieusement Étoile de Feu,que la mine outragée de sesdeux guerriers amusait. Bon,continuez votre patrouille.
— Et cet individu ? demandaPelage de Granit.
— Je pense que je vaispouvoir m’en occuper. Beautravail, mais souvenez-vous quetout inconnu n’est pasforcément une menace. »
Les quatre guerrierss’éloignèrent et Griffe de Ronce,qui fermait la marche, seretourna :
« À l’avenir, ne t’avise plus deposer une patte sur notreterritoire ! »
Ficelle se releva avec peine, lepoil ébouriffé et couvert depoussière.
« Tu as de la chance que jesois arrivé pour te sauver lapeau ! fit remarquer Étoile deFeu, quand la patrouille eutdisparu derrière les arbres.
— Décidément, je ne tecomprendrai jamais ! Commentpeux-tu vivre avec cesvauriens ? Ce sont des brutessauvages ! »
Étoile de Feu ne jugea pasutile de lui expliquer que cesvauriens étaient de valeureuxguerriers qui avaient maintesfois risqué leur vie à ses côtés.
« Cela me fait plaisir de terevoir, Ficelle. Pourquoi t’es-tuaventuré aussi loin dans laforêt ? Tu sais que c’estdangereux pour toi. »
Ficelle détourna la tête etgratta le sol de ses griffes.
« Alors ? insista Étoile de Feudevant son silence.
— Eh bien… je crois que jevais être obligé de… de venir
vivre avec toi dans la forêt.— Et pourquoi donc ? Ce n’est
pas à cause du Clan du Sang,n’est-ce pas ? s’inquiéta Étoilede Feu.
— Le Clan du quoi ?— Laisse tomber ! Ce sont tes
Bipèdes qui te jettent dehors ?— Non ! Ils ont toujours été
très gentils avec moi. »Ficelle jeta un long regard
plein d’envie vers le nid enpierre qu’il habitait.
« C’est que… j’ai eu ces rêvesbizarres et je me rappelle que,toi aussi, tu avais fait des rêves
avant d’aller rejoindre les chatsde la forêt. »
Ses yeux étaient emplisd’horreur et Étoile de Feu,malgré toute la compassion qu’ilressentait, eut de la peine àretenir un ronronnementd’amusement. Pour son vieilami, rien ne pouvait être pireque de devoir vivre au sein d’unClan.
« Je pensais que ces rêvessignifiaient que j’allais devoirquitter mes Bipèdes.
— À ta place, je nem’inquiéterais pas. Les songes
peuvent avoir de nombreusessignifications et parfois il nes’agit que de simples rêves.Rassure-toi, tu ne vas pas êtreobligé de manger de vieux osdécharnés, dans l’immédiat. »
Ficelle n’eut pas l’air soulagépour autant.
« Mais ces visions sontépouvantables ! miaula-t-il.J’assiste sans cesse à la fuiteéperdue d’une foule de chats,sans savoir ce qui les chasse. Ilshurlent et se lamentent commes’ils étaient terrifiés ousouffrants. Et parfois, je
distingue un chat gris et blanctout seul. Il n’arrête pas d’ouvriret de fermer la gueule commes’il essayait de me parler, maisje n’entends pas ce qu’il dit. »
Les poils d’Étoile de Feu sedressèrent sur son échine.Ficelle faisait les mêmes rêvesque lui ! Mais pourquoi ? LeClan du Ciel ne s’imaginait toutde même pas qu’un chatdomestique allait pouvoirl’aider !
« Tu penses que je vais devoirvenir vivre dans la forêt ? »demanda Ficelle, angoissé.
Que faire ? Même si saconfiance envers le Clan desÉtoiles était ébranlée, il pouvaitdifficilement avouer ses doutesà Ficelle. Celui-ci ne connaissaitpas le code du guerrier et n’avaitaucune idée de ce qu’était la vieen forêt.
« Ne t’en fais pas, miaulafinalement Étoile de Feu. Tun’as aucune raison de quitter tesBipèdes.
— Tu es sûr ?— Absolument. J’ai compris
certains éléments de ces rêves etj’essaie d’y voir plus clair. »
Ficelle eut l’air à la foistroublé et soulagé.
« Je te laisse faire, alors ?— Je te raccompagne jusqu’à
ton nid au cas où ces brutestraîneraient encore dans lecoin. »
Ficelle considéra son pelageébouriffé, poussiéreux, et sedonna quelques coups delangue. Puis tous deux se mirenten marche vers le bouquetd’arbres. Quand la clôture desBipèdes fut en vue, Étoile deFeu remarqua un mulot qui sefaufilait entre les herbes hautes.
Il fit un bond et se redressa avecsa proie inanimée entre lesdents, pas peu fier d’afficher sestalents sous les yeux de son ami.
Ficelle écarquilla les yeux,mais ce n’était pas d’admiration.
« Tu n’en as pas encore assezde devoir attraper toi-même tanourriture ? »
Étoile de Feu laissa tomber saproie et la recouvrit de feuillesavec sa patte afin de la récupérerplus tard.
« Non. C’est ce que font lesguerriers. »
Ficelle haussa les épaules et
se dirigea vers son nid. En lerattrapant, Étoile de Feuremarqua une chatte brune,joliment tigrée, qui sautait de labarrière entourant le nid desBipèdes où lui-même avait jadishabité. Il se souvint l’avoir déjàaperçue quand il avait montré leterritoire à son jeune apprenti,Nuage Épineux.
Elle considéra Étoile de Feude ses beaux yeux ambrésdépourvus de crainte.
« Qui est-ce, Ficelle ? Je nel’ai jamais vu.
— C’est Étoile de Feu. Il vit
dans la forêt.— Je m’appelle Grisette, se
présenta la chatte. Je n’avaisencore jamais rencontré de chatde la forêt. Depuis quandconnais-tu Étoile de Feu ?
— Depuis que nous étionschatons. Il vivait ici avec cesBipèdes.
— Vraiment ? Maintenant,c’est moi qui y habite ! Pourquoies-tu parti ? lui demanda-t-elle,intriguée.
— Oh, c’est une longuehistoire… »
Comment lui expliquer ce qui
l’avait poussé à quitter lasécurité du nid des Bipèdes pourle danger et l’excitation d’unevie en forêt ?
« J’ai tout mon temps »,miaula-t-elle.
Ficelle, à côté d’eux,frissonnait, plutôt tendu.
« Désolé, répondit Étoile deFeu. Une autre fois, peut-être. »
Elle eut l’air déçue.« Tu ne veux pas revoir
l’endroit où tu habitais ? LesBipèdes ont arraché un buissontellement vieux que ses racinestraversaient tout le jardin. Ils
ont planté de nouveauxarbustes. C’est super pour sefaire les griffes ! »
Étoile de Feu s’apprêtait àrefuser, mais se ravisa. Un vieuxbuisson… Depuis quand était-illà ? S’y trouvait-il déjà àl’époque où le Clan du Cieloccupait ce territoire ? Il restaitpeut-être des traces…
CHAPITRE 7
CHAPITRE 7
« POURQUOI TU RESTES LÀ àbayer aux corneilles ? demandaFicelle, de mauvaise humeur.
— Euh… désolé. Oui, je veuxbien y jeter un coup d’œil à
partir de la clôture », réponditfinalement Étoile de Feu.
Puis il fit signe à Ficelle de lesuivre sur quelques pas etchuchota :
« Ce ne sera pas long. Cela vapeut-être nous aider pour tesrêves. »
Ficelle eut l’air suspicieux etjeta un regard anxieux versGrisette.
« Ne t’en fais pas, je ne luidirai rien. »
Il sauta sur la clôture etobserva le jardin. Il se souvenaitdu buisson, à présent. Vieux et
complètement dégarni. LesBipèdes l’avaient remplacé parde vigoureux arbustes à l’écorcebien tendre, où apparaissaientdéjà les coups de griffe deGrisette.
La chatte sauta à son tourpour s’asseoir à côté de lui.
« C’est là que se trouvait lebuisson, miaula-t-elle enpointant l’endroit du bout de saqueue. Et là, c’est l’arbre pourfaire ses griffes. Et là, il y en aencore un autre, bien mieux,près de la clôture de Ficelle.
— Alors ? Qu’est-ce que tu
vois ? chuchota Ficelle qui vintles rejoindre.
— Rien, pour l’instant »,admit Étoile de Feu.
Il se demandait à quoi avaitpu ressembler cette partie de laforêt avant que les arbres soientcoupés. Le nid des Bipèdes deFicelle se dressait au milieu desautres, dans une espèce decreux. Si Étoile de Feu avaitdirigé un Clan à cette époque, etavait dû choisir un emplacementpour le camp, c’est en effet làqu’il l’aurait installé. Dans cetenfoncement bien à l’abri,
entouré d’un rideau de ronces,comme le camp du Clan duVent.
Il prit une longue inspiration,le pelage hérissé. Le nid deFicelle avait-il pu être construità l’endroit même de l’anciencamp du Clan du Ciel ? Celaexpliquerait ses rêves de chatsen déroute.
Il interrompit la discussionentre les deux amis à propos desdifférentes vertus de l’herbe àchat.
« Écoute, Ficelle ! Je peuxpasser la nuit chez toi ? »
Le chat, surpris, cligna desyeux.
« Bien sûr. Mais les… lesautres chats de ton Clan seront-ils d’accord ? »
Son inquiétude attendritÉtoile de Feu. Ficelle était peut-être un chat domestique, maisc’était avant tout un véritableami.
« Ils se débrouilleront trèsbien, je te le promets. Je penseque cela me permettra de mieuxcomprendre ce dont nous avonsparlé tout à l’heure.
— Oh, je vois… Mais je ne sais
pas s’il sera facile de te faireentrer dans le nid », s’inquiétaFicelle.
Passer la nuit dans un nid deBipèdes ? Quelle horreur !
« Je n’ai pas besoin d’entrer.Je dormirai très bien dans lejardin.
— D’accord. Alors viens, suis-moi.
— Il faut d’abord que j’ailleretrouver les membres de monClan pour les prévenir que je nerentrerai pas ce soir. »
Sur ce, Étoile de Feu s’élançadans la forêt. Il entendit
Grisette, derrière lui.« Pourquoi est-ce qu’Étoile de
Feu veut rester dans son jardinet pas dans le mien ? »
Le matou continua à courirjusqu’à l’endroit où il avaitcroisé ses compagnons un peuplus tôt. Cœur d’Épines surgit dederrière un buisson, portantdeux souris par la queue.
Il jeta ses proies devant Étoilede Feu et le considéra avecétonnement.
« Je croyais que tu étaisretourné au camp.
— Non, j’ai eu un
contretemps. Je ne reviendraipas avant demain. Rien de grave,précisa-t-il en voyant la mineinquiète du guerrier. Dissimplement à Plume Grise deprendre le commandement, enattendant.
— Très bien. Flocon de Neigeet moi sommes prêts à rapporternos proies au camp. » Étoile deFeu prit congé et revint sur sespas à travers la forêt, jusqu’auxnids des Bipèdes. Il n’y avaitaucun signe de Ficelle, maisGrisette l’attendait.
« Tu ne m’as toujours pas
raconté comment tu as rejointton Clan, miaula-t-elle quand ilsauta à côté d’elle sur la clôture.Et tu ne veux vraiment pasvisiter ton ancien nid ? »
Elle avait l’air vexée et il nevoulut pas la contrarierdavantage. Et puis, il était assezcurieux de revoir l’endroit où ilavait passé les premières lunesde sa vie.
« Bon, d’accord. Je veux bienvenir y faire un tour. »
Elle poussa un petit cri deplaisir et sauta dans son jardin.Il la suivit, le nez assailli de
centaines d’odeurs inconnues.Les fleurs oscillaient sur leurpassage et l’herbe coupée à raslui chatouillait les pattes. Toutlui semblait à la fois familier etétrange, comme s’il regardait àtravers les yeux d’un autre chat.
« Viens te faire les griffes »,offrit Grisette en s’élançant versl’arbre.
Elle se dressa sur ses pattesarrière et érafla le tronc surtoute sa longueur.
« C’est vraiment délicieux »,ronronna-t-elle.
Puis elle pivota avant
d’ajouter :« Et là, c’est le buisson où les
moineaux viennent chercher deslimaces. Ils le faisaient déjàquand tu habitais là ?
— Oui. Tu as essayé d’enattraper ? »
Elle fronça le nez d’un airdégoûté.
« Pourquoi est-ce que jeferais une chose pareille ? Il yaurait du sang et des plumespartout. Berk ! »
Étoile de Feu réprima uneréponse cinglante. Commentune chatte domestique pourrait-
elle comprendre qu’un moineau,même maigrichon, était parfoisun véritable régal pour un chatde Clan affamé ?
« J’avais l’habitude de traquerles oiseaux, dit-il en allant secacher sous les branches. Maisje n’ai jamais réussi à enattraper. Ils étaient bien troprapides pour moi. C’estseulement quand je me suisinstallé dans la forêt que j’aiappris à chasser. »
Grisette vint le rejoindre.« Je ne comprends pas
pourquoi tu as laissé tes
Bipèdes. Ils… »Elle s’interrompit en
entendant des bruits de pas.Étoile de Feu se redressa et vitses anciens maîtres descendrel’allée qui menait vers le côté dunid, suivis d’un petit Bipède quitenait à peine sur deux courtespattes arrière et s’accrochaitd’une autre à sa mère.
Avant que les Bipèdespuissent le voir, Étoile de Feuabandonna le buisson et fila àl’autre bout du jardin, sauta par-dessus la clôture et disparutdans la forêt où il se cacha sous
des fougères. Aux aguets, ilattendit pour voir si les Bipèdesle suivaient. Avait-il été assezrapide ? Sans doute nel’auraient-ils même pasreconnu, après toutes cessaisons. Mais mieux valait nepas prendre de risque.
Sa respiration se calma peu àpeu. Hormis le bruissement desarbres, les jardins des Bipèdesétaient redevenus silencieux.Mais il resta caché jusqu’aucoucher du soleil qui baignait laforêt d’une belle lumièreécarlate.
Se hasardant à quitter sonabri, il repéra le mulot qu’il avaittué un peu plus tôt et le dévora àgrandes bouchées gourmandes.Puis, à la nuit tombée, il repartitprudemment vers les nids desBipèdes et sauta par-dessus labarrière pour entrer dans lejardin de Ficelle.
Là, il se mit en quête d’unendroit confortable pour ypasser la nuit. Un léger bruit lefit sursauter, mais ce n’était queson ami qui s’était laissé tomberde la branche basse d’un arbre.
« Ah, te voilà ! Je croyais que
tu étais retourné dans la forêt.Grisette m’a raconté ce quis’était passé avec tes anciensBipèdes. »
Étoile de Feu n’avait pasenvie d’en parler.
« Je suis simplement restéhors de vue jusqu’à ce qu’ilssoient partis. »
Ficelle se donna quelquescoups de langue, puis demanda :
« Tu es sûr de pouvoir dormirdehors ? Il va faire froid,maintenant que le soleil estparti.
— Ficelle, je te rappelle que je
dors dehors toutes les nuits ! J’ysuis habitué. D’ailleurs, je nevais pas être capable de dormirde nouveau dans un nid deBipèdes.
— Bon, d’accord… je pensaisjuste… »
La porte s’ouvrit, laissantéchapper une lumière jaune quise déversa dans le jardin obscur.Une Bipède se tenait là,jacassant avec un bol à la main.
« Il faut que j’y aille, s’excusaFicelle, tandis qu’Étoile de Feus’aplatissait dans l’herbe. Mondîner est prêt. Tu es sûr que…
— Je vais bien, je te lepromets.
— Alors, bonne nuit. »Son compagnon sauta à la
rencontre de la Bipède puis sefrotta contre ses jambes. Elle sepencha vers lui pour le caresserpuis entra et referma la porte.
Étoile de Feu descendit versle bas du jardin. Là, il trouva unpetit buisson recouvert de joliesfleurs blanches qui brillaientsous la lune. Il se glissa sous sesbranches et s’improvisa un nid,en éternuant à cause de pétalesqui lui chatouillaient le nez.
Puis il se roula en boule.Comme il était étrange de seretrouver là, dans le camp desBipèdes, après toutes cessaisons ! Les bruits quiprovenaient du nid luisemblaient curieusementfamiliers, tout comme lalumière orangée qui masquaitles étoiles et lui donnaitl’impression d’être encore pluséloigné de ses ancêtres. Levantla tête vers les branches, ilformula une prière silencieuse.Une prière qui ne s’adressait pasau Clan des Étoiles.
Guerrier du Clan du Ciel, quique tu sois, viens me voirdurant mes rêves.
Au cours de la nuit, un froidhumide s’insinua dans safourrure : il se réveilla. Au-dessus de sa tête, la lune senoyait dans la brume. Il se glissahors du buisson et commença àétirer ses membres engourdis.
C’est alors que lui apparut lechat gris et blanc, assis àquelques longueurs de queue,enveloppé de brouillard.L’étrange félin observait Étoilede Feu de ses yeux bleus aussi
pâles qu’un ciel d’hiver.« Je t’attendais », miaula-t-il.
CHAPITRE 8
CHAPITRE 8
« QUI ES-TU ? bredouilla Étoilede Feu. Comment t’appelles-tu ?
— Cela fait si longtempsqu’un chat n’a pas prononcémon nom qu’il n’a plus aucune
importance. »Son regard, tout comme sa
voix, était emprunt d’unetristesse poignante.
« Tu viens du Clan du Ciel ?demanda Étoile de Feu, qui sedoutait déjà de la réponse.
— Pourquoi ? Tu connais ceClan ?
— Un peu. J’ai parlé avec uneguerrière du Clan des Étoiles.Elle m’a dit que cinq Clansvivaient jadis dans la forêt etque le Clan du Ciel en étaitparti…
— Parti ? Nous ne sommes
pas partis ! Les autres Clansnous ont chassés en prétendantqu’il n’y avait plus de place pournous ! »
Étoile de Feu fut consterné.Étoile Bleue lui avait laisséentendre que le Clan du Cielavait quitté les lieux de lui-même, parce que les monstresdes Bipèdes avaient envahi leurterritoire. Elle ne lui avaitjamais dit que les autres Clansl’avaient chassé. Cela allait àl’encontre du code du guerrier !Mais lui-même, aurait-il cédéune partie de son territoire si un
autre Clan le lui avaitdemandé ?
« Le Clan des Étoiles n’a-t-ilrien pu faire pour vous ?
— Le Clan des Étoiles ! Tuparles ! cracha le chat en agitantfurieusement sa queue. Il nousa trahis. Il a autorisé les autresClans à nous chasser comme desvoleurs. Quand nous avonsquitté la forêt, je me suis juré dene plus jamais consulter lesétoiles.
— Et donc, de renier vosancêtres ?
— Notre guérisseuse
continuait à communiquer aveceux dans ses rêves. Certains denos guerriers suivaient encoreles vieilles traditions, et je n’aijamais essayé de les enempêcher. Ils avaient perdu leurfoyer, comment aurais-je puleur retirer aussi leur code duguerrier ? »
L’étrange chat s’exprimaitcomme s’il avait été le chef duClan. Il se redressa et regardaautour de lui avant depoursuivre :
« Jadis, nous occupions ceslieux, surveillions nos frontières
et attrapions autant de proiesque nous le désirions. Puis lesBipèdes sont arrivés, ajouta-t-ild’un ton si lugubre qu’Étoile deFeu en frissonna. Notreterritoire s’étendait sur tout cejardin. Le gîte des guerriers setrouvait juste là, sous nospattes, et la pouponnière à laplace de ces deux nids deBipèdes ; la tanière desapprentis sous les fougères, lelong de la clôture, et les anciensdormaient sous ces buissons, là-bas. C’était il y a bienlongtemps, soupira-t-il.
— Et où est basé le camp duClan du Ciel, maintenant ? »
Le chat gris et blanc regardases pattes d’un air abattu.
« Le Clan du Ciel n’a plus decamp, miaula-t-il calmement.Mon camp a été détruit etdisséminé.
— Il n’y a donc plus de Clandu Ciel ? »
Le vieux chef montra lescrocs, le poil hérissé.
« Je n’ai pas dit ça. Nousn’avons plus de foyer et nosmembres sont éparpillés.Certains sont devenus des chats
errants, d’autres se sontinstallés chez les Bipèdes. Maisle Clan du Ciel vit toujours,même si ses membres ontoublié leur héritage et le code duguerrier. »
Que restait-il du Clan, dans cecas, puisque tous lesfondements en avaient disparu ?
« Pourquoi es-tu venu à moi ?— Parce que tu es le seul à
pouvoir nous aider. Tu doisreconstruire le Clan du Cielavant qu’il disparaisse àjamais. »
Comment pourrait-il
reformer un Clan dont tous lesguerriers étaient dispersés, touten continuant à diriger sonpropre Clan ?
« Mais je…— Suis la rivière jusqu’à sa
source, l’interrompit l’autre.Nous l’avons remontée enfuyant et c’est là que tu pourrasretrouver certains de sesmembres et l’endroit où ils sesont probablement installés. »
L’esprit d’Étoile de Feu étaiten ébullition.
« Mais… pourquoi moi ?— J’ai attendu ta venue
pendant longtemps. Il fallait unchat fort, un chef qui ne portepas dans son sang une trace decette trahison. Tu ne descendspas de ces chats qui nous ontrepoussés et pourtant, tu es unvrai guerrier. C’est ton destin dereconstruire le Clan du Ciel. »
La brume tournoya autour dufélin et son pelage sembla seconfondre avec elle. Étoile deFeu fixait le carré d’herbe où lechat fantôme s’était tenu. Seuleson odeur demeurait.
Il s’assit, enroula sa queueautour de ses pattes. Quand
l’aube rosit le ciel, il n’avaittoujours pas bougé.
Le gémissement d’un chat letira de sa torpeur. Le poilhérissé, il se releva. Est-ce qu’onattaquait le camp ? Puis il sesouvint de l’endroit où il setrouvait. En outre, lemiaulement semblait plusimpatient que terrifié.
Soudain, la porte des Bipèdess’ouvrit et Ficelle bondit hors deleur nid.
« Franchement haleta-t-il endéboulant devant Étoile de Feu.
Parfois, je me dis que cesBipèdes sont stupides ! Jedemande à sortir depuis le pointdu jour, mais tu crois qu’ils seseraient levés pour m’ouvrir laporte ? »
Étoile de Feu était content dene pas avoir à dépendre desBipèdes pour sa liberté.
« Mais tout va bien, puisquetu as fini par y arriver.
— Ouais… Dis, tu as rêvé demes chats ?
— J’ai parlé au chat gris etblanc et je sais maintenant cequ’il attend de moi.
— Ah oui ? Et moi ? Pourquoiest-ce que j’ai fait ce rêve, moiaussi ? Hein ? Qu’est-ce que jedois faire, moi ? »
Étoile de Feu leva la queuepour mettre un terme à cedéluge de questions.
« Les chats que tu as vus ontquitté la forêt il y a bien dessaisons. Maintenant, ilsdemandent de l’aide. Tu as rêvéd’eux parce que c’est ici qu’ilsvivaient, autrefois.
— Ici ? s’affola Ficelle enregardant autour de lui commes’il s’attendait à voir surgir des
buissons ces guerriers depuislongtemps disparus. Tu vas doncles aider ?
— Oui, si je peux. »Quand il lut le soulagement
dans le regard de Ficelle, il eutdes scrupules. Sa réponse avait-elle été vraiment sincère ? Celal’obligerait à quitter le Clan duTonnerre pour entreprendre untrès long voyage. Il lui faudraitretrouver un Clan dispersédepuis mille lunes et abandonnépar le Clan des Étoiles. Pourquoiserait-ce sa destinée de lessauver ? Quel rôle avaient joué
ses ancêtres dans leur fuite ?Portait-il cette culpabilité, luiaussi ?
« Je ferais mieux d’y aller, dit-il à Ficelle. Je demanderai auxpatrouilles de faire attention àtoi et de ne pas t’agresser !
— Merci, Étoile de Feu. Je tesuis vraiment reconnaissant. Tues un bon ami, mais je suissoulagé de ne pas avoir à vivreavec vous tous dans la forêt ! »
Le chef passa la queue autourdes épaules du chat domestique.
« Moi aussi. Je sais que celane t’aurait pas plu.
— Alors, au revoir ! miaulaFicelle en s’éloignant lentement.J’espère que mes Bipèdes serontun peu plus rapides pour melaisser entrer ! »
Déterminé à déguerpir avantque les maîtres de Ficelle letrouvent dans leur jardin. Étoilede Feu s’élança à travers lapelouse et bondit sur la clôture.
« Au revoir, Étoile de Feu ! »C’était la voix de Grisette.
Étoile de Feu repéra la chattedans le jardin voisin, installéesur une branche basse de l’arbreà griffer. Il lui adressa un signe
de la queue.« Reviens nous voir ! » cria-t-
elle quand il sauta de la clôturepour disparaître dans l’ombre dela forêt.
Quand il se sentit assez loindes Bipèdes, il ralentit l’allure.La forêt lui semblait bizarre,comme étrangère, et il pensait àla lande, aux hurlements deschats en fuite, était-il vraimentcensé suivre leurs pas ?
Après une nuit humide, lesoleil flamboyait dans unmagnifique ciel bleu. Les toilesd’araignées scintillaient dans les
buissons et la rosée perlait surles brins d’herbe détrempant aupassage la fourrure d’Étoile deFeu. Quand il sentit l’odeur dechats à l’approche, il marquaune pause. Cœur d’Épinesapparut entre les fougèresaussitôt suivi de Nuage de Suie,Fleur de Saule et Pelage deGranit.
Agacé, Étoile de Feu secouason pelage. C’était la patronnede l’aube, bien sûr ! Son espritétait si accaparé par le Clan duCiel qu’il n’avait même pasreconnu l’odeur de son propre
Clan.« Salut, Étoile de Feu ! Tout
va bien ? demanda Cœurd’Épines.
— Tout va bien ! »Il n’allait tout de même pas
lui expliquer la raison de sa nuithors du camp !
Soudain, Étoile de Feuressentit le besoin de sereplonger dans la vie du Clan.
« Je vais vous accompagnerpour la patrouille et toi, Nuagede Suie, tu vas pouvoir memontrer tes talents de pisteur. »
À l’idée de suivre un
entraînement sous la directionde leur chef de Clan, l’apprentifrétilla d’excitation. Tandis queCœur d’Épines ouvrait la voievers le Chemin du Tonnerre,Nuage de Suie gardait le nez ausol, s’arrêtant régulièrementpour humer l’air.
« Qu’est-ce que tu sens ?miaula Étoile de Feu.
— Le Chemin du Tonnerre,répondit aussitôt Nuage de Suie.Et un mulot. Et puis, un Bipèdeest venu par là avec un chien.Non… avec deux chiens.
— Quand ? demanda Fleur de
Saule.— Pas aujourd’hui. L’odeur
est éventée. Peut-être hier.— C’est aussi mon avis,
miaula Étoile de Feu pendantque Fleur de Saule émettait unronronnement de satisfaction.Bon, continue, dis-moi si tu sensautre chose. »
Ils étaient si près du Chemindu Tonnerre qu’Étoile de Feuput entendre les rugissementsdes monstres qui passaient. Trèsvite, ils sortirent du tunnel pouratteindre le bord du revêtementnoir.
Nuage de Suie fronça le nez.« Berk ! C’est vraiment
dégoûtant ! Et en plus, çamasque toutes les autresodeurs !
— Exact, miaula Cœurd’Épines. Il faut donc que turedoubles d’attention. »
La patrouille à sa suite, illongea le Chemin du Tonnerre,évitant de trop s’approcher desgrosses pattes noires desmonstres. Étoile de Feu sentaitle vent ébouriffer son pelage àchacun de leurs passages.
Il aida Cœur d’Épines, Pelage
de Granit et Fleur de Saule àrenouveler le marquage le longde la frontière. Soudain, Nuagede Suie fit un écart.
« Qu’est-ce qui te prend ?gronda Cœur d’Épines.
— Je viens de trouver uneodeur vraiment bizarre ! miaulale jeune apprenti, tout excité.
— Tu ne peux pas la suivremaintenant, lui dit Cœurd’Épines. Nous ne sommes pasen patrouille de chasse !
— Qu’est-ce que tu appelles“bizarre” ? s’informa tout demême Étoile de Feu.
— Une odeur très, très forte.Je ne l’ai jamais sentie avant. »
Étoile de Feu échangea unregard avec Cœur d’Épines.
« D’accord. Suivons-la ! »Cette fois, ce fut Nuage de
Suie qui ouvrit le chemin et ilss’éloignèrent du ruban noir. Dèsqu’il détecta l’odeur à son tour.Étoile de Feu s’arrêta, le poilhérissé.
« Un blaireau !— Oh, non ! protesta Fleur de
Saule.— Il ne manquait plus que
ça ! » se lamenta Cœur d’Épines.
Pelage de Granit ne dit rien,mais ses yeux bleuss’écarquillèrent.
« C’est méchant, lesblaireaux ? voulut savoir Nuagede Suie.
— Assez, oui, répondit Pelagede Granit.
— On n’en veut surtout passur notre territoire ! » renchéritFleur de Saule.
Étoile de Feu se remémoraune mauvaise saison, quand laneige couvrait le sol et que lesproies se faisaient rares. Àl’époque, Flocon de Neige était
encore un chaton et un blaireauaffamé l’avait attaqué dans leravin. Seule la réactionimmédiate d’Étoile de Feu et dePoil de Fougère l’avait sauvé.Normalement, les blaireaux nese nourrissent pas de chats,mais s’ils sont affamés outerrifiés, ils deviennent deterribles adversaires.
« L’odeur est fraîche, miaula-t-il. Nous allons devoir la suivrepour savoir où se trouve leblaireau et s’il va installer sonterrier ici. Beau travail, Nuagede Suie ! Voilà un pistage bien
utile ! »Les yeux de l’apprenti
brillaient de fierté.« Étoile de Feu a raison,
ajouta Cœur d’Épines.Maintenant, marche bienderrière nous et allons-y ! »
Les guerriers restaient surleurs gardes, muscles tendus,prêts à voir surgir des sous-boisun imposant corps blanc et noir.
Les arbres se firent moinsdenses – la piste du blaireaumenait aux Rochers auxSerpents. Étoile de Feu sesentait vulnérable, convaincu
que de petits yeux malveillantsle surveillaient entre lesbuissons de mûres etd’aubépines. Cet endroit étaitdangereux pour les chats duClan du Tonnerre. Quand leschiens avaient envahi la forêt,ils avaient installé leur tanièredans les Rochers aux Serpents.Nuage Agile était mort dansleurs mâchoires et Cœur Blancavait été grièvement blessée.Étoile de Feu eut l’impressionde pouvoir sentir encore l’odeurde tout ce sang versé.
Les pierres effondrées se
dressaient au centre de laclairière où le sol sablonneuxétait couvert de graminées et depetites plantes rampantes.
« Reste là ! ordonna Cœurd’Épines à Nuage de Suie en luiindiquant un endroit protégéderrière un buisson d’aubépines.Ne bouge surtout pas, maispousse un miaulement bien fortsi tu vois quelque chose dedangereux. »
Nuage de Suie hésita, commes’il avait envie de pister leblaireau, puis il alla s’accroupirdans l’abri, les pattes repliées
sous la poitrine. Son pelage grisse fondait dans l’ombre.
Cœur d’Épines, Fleur de Sauleet Étoile de Feu se mirent àfouiller les pierres. Étoile de Feus’arrêta à l’entrée de la caverneet un frisson fit se hérisser safourrure. Il s’attendait à reniflerun fort fumet de chien, mais ilperçut seulement l’odeuréventée d’un renard. Même lapuanteur fraîche du blaireaus’était atténuée. D’abord, il crutque c’était à cause des pierresqui ne retenaient pas longtempsles senteurs. Mais quand il
fouilla sous les branches basseset les interstices, il se renditcompte que le blaireau ne s’étaitpas enfoncé jusqu’ici, dans leurterritoire. La piste s’était arrêtéebien avant d’atteindre lesrochers.
« Fleur de Saule ? Cœurd’Épines ? cria-t-il. J’ai perdu satrace par ici. »
Il s’interrompit, car unenouvelle odeur lui agressa lesnarines. Il fit volte-face et vitune énorme forme noir et blancsale lever une grosse patte sur lejeune apprenti.
CHAPITRE 9
CHAPITRE 9
« NUAGE DE SUIE ! SAUVE-
TOI ! » hurla Étoile de Feu.Il s’élança mais doutait
d’arriver près de l’apprenti avantque le blaireau l’aplatisse de ses
pattes puissantes.Puis il aperçut Fleur de Saule
plonger d’un rocher, filer àtravers la clairière et pousserNuage de Suie sur le côté avecses pattes avant. Le blaireau sejeta lourdement sur son dos. Lecri de la chatte fut interrompupar un craquement sinistrequand l’immense créature luibrisa la nuque. Puis il ramassason corps inerte d’une patte et lelança dans la clairière.
Nuage de Suie laissa échapperun gémissement atroce. Étoilede Feu sauta sur le blaireau en
feulant et lui laboura le flanc deses griffes. La grosse tête rayéese retourna et tenta de lemordre. Pelage de Granit se jetasur lui et enfonça ses griffesdans sa nuque, les dentsplantées dans l’une de sesoreilles. D’une secousse, la bêtese débarrassa facilement de luiet Pelage de Granit atterrit sur lesol, immobile, le souffle coupé.
Cœur d’Épines se tapit devantle blaireau penché au-dessus delui et tenta de lui griffer lesyeux. Étoile de Feu attaqua denouveau par le flanc et ressentit
une satisfaction féroce quand dusang gicla des griffures qu’ilvenait de lui infliger. Le blaireaulaissa échapper un cri dedouleur, secoua la tête d’un côtéet de l’autre, avant de tournerles talons pour s’enfuir vers lesous-bois. Cœur d’Épines etPelage de Granit lepoursuivirent en poussant desmiaulements assourdissants.
« Revenez ! cria Étoile de Feu.Laissez-le partir ! »
Haletant, il ferma un instantles yeux, écoutant les pas dublaireau qui faiblissaient au
loin. Puis il se ressaisit et sedirigea vers Nuage de Suie,accroupi à côté du corps de samère. Il leva les yeux àl’approche d’Étoile de Feu – desyeux suppliants.
« Elle n’est pas morte, n’est-ce pas ? Elle ne peut pas êtremorte !
— Je suis désolé. »Étoile de Feu toucha le front
de Nuage de Suie du bout de sonnez. Cela ne faisait que cinqlunes que Tornade Blanche, lepère du jeune chat, était mortdurant la bataille contre le Clan
du Sang.Comment le Clan des Étoiles
peut-il permettre une chosepareille ? se demanda lerouquin.
« Elle est morte avec courage,en guerrière.
— Elle est morte en mesauvant la vie ! » gémit-il,misérable.
Étoile de Feu le réconfortad’un coup de langue.
« Ne t’en veux pas. Fleur deSaule savait ce qu’elle faisait.
— Mais elle… »La voix de Nuage de Suie se
brisa et, tremblant de tout soncorps, il enfouit son nez dans lepelage de sa mère.
Cœur d’Épines et Pelage deGranit arrivaient vers eux. Cedernier boitait sévèrement.
« Il s’est dirigé vers leChemin du Tonnerre, déclaraCœur d’Épines. J’espère qu’il sefera massacrer par unmonstre ! »
Il se dirigea vers Nuage deSuie et enroula sa queue autourdes épaules du jeune apprenti.
Mais celui-ci ne leva pas latête.
« Ça va ? demanda Étoile deFeu à Pelage de Granit.
— Oui, je pense. La chute aété un peu dure, c’est tout.
— Il vaut mieux que MuseauCendré y jette un coup d’œilquand on rentrera au camp. »
Le chat gris acquiesça. AvecÉtoile de Feu, ils soulevèrent lecorps inerte de Fleur de Saule etla portèrent jusqu’au ravin. Saqueue laissait une traînée dansle sable. Cœur d’Épines suivaitaux côtés de Nuage de Suie,encore sous le choc.
Écrasé de chagrin, Étoile de
Feu ne remarqua ni le bruit nil’odeur des chats quiapprochaient jusqu’à ce queFlocon de Neige émerge d’unbouquet de fougères presquesous ses pattes.
« Étoile de Feu ! Tu es deretour ! s’exclama le guerrierblanc. Est-ce que… Mais c’estFleur de Saule ! Que s’est-ilpassé ? »
Pelage de Poussière et Poil deFougère vinrent rejoindreFlocon de Neige pour écouter,horrifiés, Étoile de Feu leurraconter comment la chatte
avait sacrifié sa vie pour sauverson fils.
« Attendez que je fasse mesgriffes sur ce blaireau ! feulaFlocon de Neige. Il souhaiterane jamais être né !
— On le poursuit ? suggéraPelage de Poussière. On devraits’assurer qu’il est vraimentparti ! »
Étoile de Feu opina du chef.« Il s’est dirigé vers le
Chemin du Tonnerre. Flocon deNeige, prends ta patrouille etessayez de retrouver sa trace.Suivez-la pour voir ce qu’il fait,
mais ne l’attaquez pas. C’estclair ?
— Si c’est ce que tu veux,rétorqua Flocon de Neige enbattant nerveusement de laqueue.
— S’il s’installe sur notreterritoire, nous trouverons unmoyen de nous débarrasser delui, promit Étoile de Feu. Maisje ne veux pas risquer de perdreplus de chats. »
Grommelant dans samoustache, Flocon de Neigeentraîna sa troupe sur le cheminqui menait aux Rochers aux
Serpents.Clan des Étoiles, faites qu’ils
reviennent tous ! pria Étoile deFeu en les voyant s’éloignerdans le sous-bois.
Les pattes du meneur étaientlourdes comme du plomb quandPelage de Granit et lui durenttraîner le corps inerte tout lelong du tunnel d’ajoncs. Unepeine indicible déchirait soncœur. En tant que chef, il étaitcensé protéger les membres deson Clan, non pas laisser leschats mourir quand ils étaientsous ses ordres.
Lorsqu’il atteignit la clairière,Plume Grise et Tempête deSable étaient assis devant laréserve de gibier. Ilséchangèrent un regard enl’apercevant – ils sedemandaient sans doutepourquoi leur chef avait passé lanuit hors du camp.
Les deux chats s’élancèrentvers lui.
« Que s’est-il passé ?demanda Plume Grise.
— Je vous le raconteraibientôt. Il faut d’abord quej’amène Fleur de Saule auprès
de Museau Cendré pour qu’ellepuisse la préparer pour laveillée.
— Je vais aller la prévenir »,miaula Tempête de Sable, et ellese dirigea aussitôt vers la tanièrede la guérisseuse.
Celle-ci les attendait déjà àl’entrée.
« Posez-la ici, sous lesfougères. Elle y sera à l’ombrejusqu’à la tombée de la nuit. »
Nuage de Suie se laissa choirà côté du corps de sa mèrecomme si ses pattes nepouvaient pas le porter une
seconde de plus. Il resta les yeuxdans le vide, marqué parl’horreur, semblant revivre enboucle cet instant terrible.
« Nuage de Suie aurait besoind’un remontant, murmuraÉtoile de Feu à Museau Cendré.Et il se peut que Pelage deGranit se soit abîmé l’épaule.
— Je vais trouver des grainesde pavot pour ce pauvre chaton.Et toi, Pelage de Granit, viensque je t’examine ! »
À cet instant, un cri retentit àl’autre extrémité du camp.Étoile de Feu vit alors accourir
Nuage de Pluie et Nuage deChâtaigne, qui avaient quitté latanière des apprentis. La petitechatte vint se plaquer contre lecorps déjà froid de sa mère.
« Que s’est-il passé ?demanda Nuage de Pluie.
— Un blaireau l’a tuée.Personne n’aurait pu l’enempêcher. »
L’apprenti le fixa un instant,le poil hérissé, puis, la queue etla tête basses, il alla tristements’asseoir à côté de son frère etde sa sœur.
« Ils ont tous les trois besoin
que Museau Cendré s’occuped’eux », murmura Tempête deSable.
Étoile de Feu avait trop depeine pour répondre. Il donnaun tendre coup de museau à sacompagne, puis se dirigea d’unpas lourd vers le Promontoirepour inviter le Clan à serassembler. Des chatsémergeaient déjà de toutesparts, perplexes et secoués par lanouvelle de la mort de Fleur deSaule.
Quand ils furent tousprésents, Étoile de Feu prit la
parole :« Chats du Clan du Tonnerre,
Fleur de Saule est morte avecbeaucoup de bravoure et sonesprit sera honoré par le Clandes Étoiles.
— Qu’est-ce qui lui estarrivé ? » demanda Perce-Neige.
Anéanti, Étoile de Feu dutune fois de plus raconter letragique accident. !
« Le blaireau s’est enfui versle Chemin du Tonnerre,termina-t-il. J’ai envoyé lapatrouille de Flocon de Neigesur ses traces. »
Cœur Blanc, assise devant lapouponnière, sentit son cœurchavirer en entendant le nom deson compagnon. Fleur deBruyère, quant à elle, attira sespetits contre elle.
« Et mes chatons ? s’inquiéta-t-elle. Et si le blaireau vient ici ?
— C’est peu probable,répondit Étoile de Feu, C’étaitun jeune mâle et il a appris queles chats n’étaient pas des proiesfaciles. Nous en saurons plusquand Flocon de Neigereviendra. Je vous prometsqu’on fera tout notre possible
pour qu’il ne s’installe pas surnotre territoire. »
Fleur de Bruyère n’eut pasl’air convaincu, mais que dire deplus pour la rassurer ?
« Ce soir, nous allons assurerla veillée de Fleur de Saule,annonça-t-il encore avant desauter du Promontoire, mettantainsi fin à la réunion.
— Ils sont tous bouleversés,fit remarquer Plume Grise enarrivant avec Tempête de Sabledevant l’entrée de la tanièred’Étoile de Feu.
— Surtout ses petits, ajouta
Tempête de Sable. Pour eux,c’est dur de se retrouverorphelins.
— C’est le premier chat quenous perdons depuis la bataillecontre le Clan du Sang. Il estdifficile d’admettre que nous nepouvons pas vivre en sécuritédans la forêt, alors que la paixrègne entre les Clans. »
Plume Grise et Tempête deSable échangèrent un coup d’œilinquiet, mais Étoile de Feu n’yprêta guère attention.
« On en parlera plus tard »,grommela-t-il, avant de se
diriger vers la réserve de gibier.
À la nuit tombée, les anciensportèrent la dépouille au centredu camp pour préparer laveillée. En signe d’accueil, laToison Argentée scintillait dansun ciel pur.
« Elle était très appréciée,murmura Plume Cendrée encaressant le pelage de laguerrière du bout de la patte. Etbien trop jeune pour mourir.Elle avait encore tant à apporterau Clan…
— Je sais », répondit Étoile de
Feu, abattu.Museau Cendré accompagna
les trois jeunes apprentis auprèsde leur mère en leur soufflantdes paroles de réconfort. Ilss’allongèrent, leur petite truffeenfouie dans la fourrure grise,inerte. Les autres membres duClan s’approchèrent à leur tour,certains s’attardèrent un instantavant de retourner dans leurtanière en silence, d’autress’installèrent pour veiller lamorte toute la nuit.
Comment pourrais-je partir,maintenant ? Impossible
d’abandonner mon propre Clanen quête d’un autre qui n’existeplus ! Je ne réussis peut-être pasà les protéger des prédateurs,mais ma place est encore ici, auservice du Clan du Tonnerre.C’est cela, être un chef.
Le Clan des Étoilesapprouvait-il ses décisions ? Depetits luminions brillaient trèshaut dans le ciel, mais il n’eutpas de réponse.
Il monta la garde à côté de ladépouille jusqu’aux premièreslueurs de l’aube. Une légèrebrise ébouriffait la fourrure de
la défunte.Perce-Neige se leva et s’étira.« Il est temps, maintenant »,
miaula-t-elle.Dans un silence respectueux
et sous le regard des autresmembres du Clan, ils portèrentla dépouille de Fleur de Saulevers sa dernière demeure.
Museau Cendré entouraaffectueusement les troischatons de sa queue.
« Pas d’entraînement poureux, aujourd’hui, dit-elle àÉtoile de Feu. Ils ont besoin dese reposer.
— C’est toi qui décides,Museau Cendré » »
Puis, les membres ankyloséspar sa nuit de veille, il se dirigealourdement vers sa tanière. Dèsqu’il fut allongé, le sommeill’emporta sur son aile decorbeau.
L’odeur pétillante de l’eauvive lui chatouilla les narines.En ouvrant les yeux, Étoile deFeu se retrouva au bord d’unerivière. Les rayons du soleil sereflétaient sur la surface et despoissons argentés remontaientle courant. Lorsqu’il remarqua
autour de lui des herbesinconnues, il sut qu’il rêvait ànouveau.
Il y eut quelques turbulencesdans l’eau et une tête de chat endéchira la surface, un poissonfrétillant dans la gueule. Quandil arriva sur la berge, Étoile deFeu reconnut Rivière d’Argent,une chatte du Clan de la Rivièrequi était tombée amoureuse dePlume Grise ; elle était morte endonnant naissance à ses petits.Les gouttes d’eau qui perlaientsur son pelage scintillaientcomme des étoiles.
Elle jeta le poisson devant lui.« Tiens, Étoile de Feu. C’est
pour toi. Mange, voyons ajouta-t-elle en poussant sa proie verslui d’un coup de patte.
— Mais je suis sur votreterritoire et je ne voudrais pasvous priver de votre gibier. »
Rivière d’Argent laissaéchapper un ronronnementamusé.
« Ce n’est pas du vol, c’est uncadeau. Tu as l’air affamé.
— Je te remercie. »Sans hésiter davantage, Étoile
de Feu planta ses crocs dans la
chair ferme et fraîche dupoisson. Un régal. À chaquebouchée, il sentit ses forces luirevenir.
Rivière d’Argent s’approchade son oreille et miauladoucement :
« Tu te rappelles la vie quandtu es devenu chef de ton Clan ?Je t’ai donné une vie, et tu laméritais parce que tu as surester loyal à un ami. Celasignifie qu’il ne faut pastoujours suivre le code duguerrier. »
Quand il se tourna vers elle,
surpris, elle ajouta :« Je savais depuis le début
que Plume Grise et moi devionsêtre ensemble, même si nousvenions de Clans différents. Il ya parfois plus important que lerespect du code du guerrier. »
Du museau, elle lui effleura leflanc puis s’éloigna pour plongerdans la rivière qui se refermasur elle avec des éclats argentés.
« Au revoir, Rivièred’Argent ! » lança Étoile de Feu.
À l’endroit même où elle avaitdisparu se dessinèrent desimages de chats en fuite
bondissant dans les vagues.Encore le Clan du Ciel ! C’estalors qu’Étoile de Feu se réveilladans sa tanière, un goût depoisson dans la gueule etl’estomac rassasié.
De toute évidence, Rivièred’Argent estimait, elle aussi,qu’il devait partir en quête duClan perdu. Si un messager duClan des Étoiles était venu luien parler, est-ce parce que celui-ci se sentait coupable d’avoirpermis une telle injustice ?
« Il faut que j’y aille »,miaula-t-il à voix haute.
La perspective d’abandonnerles membres de son Clan luidéchirait le cœur, mais il savaitque Plume Grise s’occuperaitbien d’eux jusqu’à son retour.
Il se dressa sur ses pattes etse dirigea vers la clairière. Lesoleil brillait déjà au zénith. Cepetit somme et le poissonl’avaient bien requinqué. Avantde partir, cependant, il lui restaitun certain nombre de choses àrégler.
D’abord, il se rendit chezMuseau Cendré, où il trouva lestrois chatons de Fleur de Saule
dans les fougères, blottis les unscontre les autres pour seréconforter. Longue Plume,quant à lui, était allongé sur unepierre. Il leva la tête à l’arrivéede son chef.
« Salut, Étoile de Feu.— Tu peux me voir ? demanda
le rouquin, plein d’espoir.— Oui… non… en fait, je n’en
sais rien, balbutia-t-il. Tu esjuste une forme floue. Je t’aireconnu à ton odeur.
— Tes yeux vont mieux,alors ?
— Non, je crois même que
leur état empire. »Museau Cendré apparut, une
feuille enroulée dans la gueule.Elle la posa devant le blessé.
« Mais je ne renonce pasencore. J’ai là un cataplasme desouci avec du jus de baies degenièvre. On verra si celat’aidera. »
Peu convaincu, le blessélaissa néanmoins la guérisseusenettoyer ses yeux infectés.
Une fois qu’elle eut posé lecataplasme, elle s’essuya lespattes dans l’herbe.
« Tu voulais quelque chose,
Étoile de Feu ? »Il hésita : il devait annoncer à
Museau Cendré qu’il avaitdécidé de partir, mais ne savaittrop par où commencer.
« Je te soupçonne d’avoirquelque chose à me dire, Étoilede Feu, miaula-t-elle en plissantles yeux. Alors vas-y !
— En effet. On peut fairequelques pas dans la forêt ?
— Je n’ai pas trop de temps,avec tout ce petit monde.
— On ira plus tard alors. Ilfaut aussi que je parle à PlumeGrise et à Tempête de Sable.
Nous verrons une fois que lespatrouilles de l’après-midiseront constituées. »
L’attitude de son chef latroubla. Pourquoi ne pouvait-ilpas aborder la question ici, toutsimplement ?
« Bon, comme tu voudras.J’emmènerai les trois apprentisà la pouponnière. Fleur deBruyère et Cœur Blanc s’enoccuperont. Comme ils viennentde perdre leur mère, cela leurfera du bien de se faire dorlotercomme des chatons.
— Parfait, on se retrouve donc
près de la réserve de gibier. »Il s’éloigna, le cœur lourd.
Comment ses amis allaient-ilsprendre sa décision ?
Étoile de Feu entraîna PlumeGrise, Tempête de Sable etMuseau Cendré dans le tunneld’ajoncs, de plus en plusnerveux à mesure qu’approchaitle moment de parler du Clan duCiel à ses compagnons.
« Flocon de Neige m’a fait sonrapport, tout à l’heure, miaulaPlume Grise, tandis qu’ilsescaladaient la pente du ravin.
Ils ont suivi la trace du blaireaujusqu’au ruisseau, puis ils l’ontperdue près du marécage.
— On dirait qu’il se dirige versle territoire du Clan del’Ombre », commenta Étoile deFeu.
Plume Grise émit un petitgrognement de satisfaction.
« Grand bien leur fasse !— Mais si l’un de nous le
repérait près de la frontière, ildevrait le leur signaler », fitremarquer Étoile de Feu.
Son lieutenant baissa uneoreille.
« Ça te ressemble, Étoile deFeu, de vouloir aider tous lesClans et pas seulement le tien.D’accord, je le leurdemanderai. »
Tempête de Sable agita sesmoustaches avec agacement :
« Qu’est-ce que c’est que cettehistoire ? Pourquoi nousentraîner dans la forêt pournous parler ? Tu ne pouvais pasle faire dans le camp ? »
Il considéra un instant sesbeaux yeux verts lumineux. Ilavait en effet beaucoupd’explications à lui fournir, mais
pourquoi se mettait-elle déjà encolère ?
« Je voulais éviter qu’on nousinterrompe. Vous allez vitecomprendre pourquoi. »
Il continua à avancer ensilence, attendant qu’ils soienttous confortablement installéssur un joli monticule coifféd’une herbe épaisse et tendre.Seuls le bruissement du ventdans les branches et lepépiement aigu des oiseauxparvenaient à leurs oreilles.
Il considéra les trois chatsauxquels il tenait le plus au
monde.« J’ai fait de nombreux rêves,
ces derniers temps, commença-t-il, avec l’impression des’élancer dans le vide. Ils m’ontlongtemps intrigué, mais je croisconnaître leur signification,maintenant. Et j’ai dû prendreune décision très difficile…
— Et nous, dans tout ça ?laissa échapper Tempête deSable en labourant la terre deses griffes. Comment peux-tupartir et nous laisser ? »
Comment avait-elle devinéqu’il allait quitter le Clan ?
« Tout ira bien, ne t’en faispas…
— C’est faux ! protesta-t-elleavec véhémence. On a besoin detoi ! Le Clan du Tonnerre abesoin de son chef ! Commentpeux-tu imaginer nousabandonner ainsi ? »
Le regard du rouquin passa desa compagne à Museau Cendré,puis à Plume Grise. Les yeux dela guérisseuse affichaient dudésarroi, mais ceux de PlumeGrise de la tristesse et de lacompassion.
« Je ne comprends pas,
miaula Étoile de Feu. Commentas-tu su ? Et qu’est-ce qui te faitcroire que je ne reviendrai pas ?
— Parce que tu as passé lanuit chez tes anciens Bipèdes,gronda Plume Grise. Tu tiensvraiment plus à eux qu’à nous ?
— Quoi ? Vous croyez que jevous abandonne pour redevenirchat domestique ?
— C’est ce que tu es venunous annoncer, non ? le défiaTempête de Sable.
— Non ! Pas du tout ! Monfoyer est ici. Les guerriers duClan des Étoiles sont mes
ancêtres autant que les vôtres.Je ne pourrais vivre ailleurs quedans la forêt.
— Et si tu nous disais plutôtce que tu vas faire, alors !
— Il est vrai que je dois partir,mais seulement pour quelquetemps. »
Et il raconta à ses amiscomment un chat inconnu étaitvenu lui rendre visite. Il décrivitles félins qui fuyaient en hurlantet leur expliqua comment ilavait rencontré Étoile Bleue ense rendant à la Pierre de Lune etce qu’elle lui avait révélé sur le
Clan du Ciel.« Tu veux dire qu’avant il y
avait cinq Clans dans la forêt ?s’étonna Tempête de Sable.
— Oui, il y a très longtempsde cela. Avant la constructiondes nids des Bipèdes.
— Mais les Bipèdes onttoujours été là ! protesta PlumeGrise.
— Non. Pas d’après ÉtoileBleue. C’est la raison pourlaquelle j’ai passé la nuit là-bas.Je n’étais pas avec mes anciensBipèdes. J’ai dormi dans lejardin de Ficelle. Tu te rappelles
de lui, Plume Grise ?— Un chat noir et blanc ?— Je pensais que c’était peut-
être l’ancien site où vivait leClan du Ciel, et j’avais raison.Leur chef m’a parlé dans unrêve. Il m’a dit que c’était mondestin de retrouver les chatsdispersés de son Clan pour lesrassembler.
— Et s’il t’avait annoncé queton destin était d’aller sur laLune, tu l’aurais cru ? » raillaPlume Grise.
Avec sa queue, Étoile de Feuentoura les épaules de son
lieutenant.« Je sais que cela semble
invraisemblable, mais madécision est prise. Il faut quej’entreprenne un voyage pourretrouver le Clan du Ciel etréparer les dégâts provoqués parles autres Clans. »
Plume Grise et Tempête deSable le considérèrent avec desyeux pleins de colère et dereproche. Seule Museau Cendréresta calme.
« Je sais quelle importancecela revêt à tes yeux, miaula-t-elle. Et si c’est vraiment ton
destin, il faut que tu ailles là oùte porteront tes pattes. Mais soisprudent, il se peut que le Clandes Étoiles ne puisse pas teprotéger. Nos ancêtres nefréquentent pas tous les cieux.
— Je n’arrive pas à croire quetu puisses même y songer !s’emporta Tempête de Sable,avant même qu’Étoile de Feu aitpu répondre à Museau Cendré.Et notre Clan ? Tes amis ? Et…et moi ? » ajouta-t-elle d’unevoix tremblante.
Étoile de Feu ressentit lapeine de sa compagne comme si
c’était la sienne.— Viens, lui dit-il en
enroulant sa queue autour decelle de la chatte pourl’entraîner un peu plus loin.
— Je sais bien que tu n’asjamais vraiment voulu de moicomme compagne, miaula-t-elle.Tu as toujours été amoureux dePetite Feuille. »
Heureusement qu’il n’avaitpas mentionné le rêve où il avaitrevu l’ancienne guérisseuse duClan du Tonnerre…
« C’est vrai que j’étais trèsproche de Petite Feuille, admit-
il. Mais même si elle était restéeen vie, comment aurais-je fait ?C’était une guérisseuse. Ellen’aurait jamais choisi decompagnon.
— Je suis donc ton lot deconsolation ? » miaula-t-elleavec amertume en détournantles yeux.
Il se pressa contre elle pourtenter de la réconforter.
« Tempête de Sable, tu saisbien que c’est faux.
— Mais cela ne t’empêche pasde partir et de me laisser seule.
— Je n’ai jamais songé à
t’abandonner. Plume Grise etMuseau Cendré doivent resterpour s’occuper du Clan, mais jene veux pas faire le voyage toutseul. Tempête de Sable, c’estavec toi que j’aimeraisentreprendre cette quête. Veux-tu m’accompagner ?
— Tu le souhaites vraiment ?demanda-t-elle, les yeuxpétillant d’espoir.
— Vraiment. Je ne pourraisjamais réussir sans toi. Tu veuxbien ? Je t’en prie, accepte.
— Bien sûr que oui ! Oh, zut…je ne peux pas. Que deviendrait
Nuage de Châtaigne ? Je suisson mentor.
— Cela ne lui fera pas de mald’être sous les ordres d’un autreguerrier pour quelque temps. Cene sera pas la première foisqu’un apprenti change dementor.
— Tu as raison, concéda-t-elleen hochant la tête.
— Alors, c’est entendu. »Quand seraient-ils de retour ?
Allaient-ils revenir un jour ?Tous deux l’ignoraient.
Ils retournèrent au pied del’arbre où les attendaient leurs
amis.« Tempête de Sable
m’accompagnera ! » annonça-t-il.
Ils n’eurent pas l’air surpris.« Très bien ! déclara Plume
Grise d’un ton ferme. MuseauCendré et moi allons nousoccuper du Clan en ton absence,promit-il. Je savais que tondestin dépasserait les frontièresde notre territoire. Il est peut-être temps que tu sauves unautre Clan, Étoile de Feu !
— Au nom du Clan desÉtoiles, nous te promettons de
protéger le Clan du Tonnerre,miaula Museau Cendré.
— Merci, mes amis. »Les feuilles bruissèrent au-
dessus de leur tête et il leva lesyeux, s’attendant presque àdécouvrir le chat gris et blanc, lechef du Clan du Ciel, perché surune branche. Mais il ne vit rien.
CHAPITRE 10
CHAPITRE 10
ÉTOILE DE FEU TRAVERSA letunnel de fougères menant aurepaire de Museau Cendré en seléchant les babines pour sedébarrasser du goût amer des
herbes fortifiantes. Derrière lui,il pouvait entendre Tempête deSable discuter avec laguérisseuse.
« Dis-moi si j’ai bien compris.Les toiles d’araignées pourarrêter les saignements, le soucicontre les infections, la mille-feuille pour se débarrasser dupoison…
— C’est exact. Et si on a malau ventre, de la mentheaquatique ou des baies degenièvre. »
Tempête de Sable répéta laliste des remèdes. Depuis
qu’Étoile de Feu lui avaitdemandé de l’accompagner, elletentait de mémoriser tout ce queMuseau Cendré pouvait luiapprendre.
« C’est dangereux de partirsans guérisseur, avait-elleexpliqué à Étoile de Feu. Jepourrais au moins connaître lesherbes les plus utiles. »
En émergeant des fougères,Étoile de Feu bondit vers lePromontoire tandis que sesguerriers s’écartaient en silencepour le laisser passer. Quand ilsauta sur le rocher. Tempête de
Sable le rejoignit et murmura :« Ils ne veulent pas que tu
partes.— Je sais. »À part entraîner ses guerriers
dans la bataille contre le Clan duSang, annoncer son départ étaitce qu’il avait eu de plus difficileà faire en tant que chef de Clan.
Il considéra le regard perplexedes membres de son Clan. Celalui brisait le cœur de les voirblessés par son hésitation à leurparler de son voyage. Maiscomment leur dire où il serendait s’il ne le savait pas lui-
même ? Il devait leur laissercroire que c’était le Clan desÉtoiles qui lui dictait cette quêteet non pas le fantôme d’un Clanqui avait perdu son territoire et,dont ils n’avaient jamaisentendu parler.
Plume Grise se tenait au pieddu rocher, entouré des guerriersdu Clan. Étoile de Feu remarquaNuage de Suie avec Cœurd’Épines et Nuage de Châtaigneavec son nouveau mentor,Pelage de Poussière. Nuage dePluie et Flocon de Neige étaientassis à côté d’eux.
Il était soulagé de voir qu’ilss’étaient un peu remis de lamort de leur mère, assez pourreprendre leur entraînement.Griffe de Ronce était assis avecPelage de Granit et Poil deSouris. Perce-Neige jetait unregard courroucé vers Étoile deFeu, comme s’il lui avaitcherché des puces. PlumeCendrée et Un-Œil chuchotaienten jetant de brefs coups d’œilvers les chats qui se tenaient surla pierre. Museau Cendré guidaitLongue Plume pour lerapprocher du lieu du
rassemblement. Devant lapouponnière, Fleur de Bruyèreet Cœur Blanc surveillaient lespetits qui, au lieu de jouer,restaient blottis sous leur mère,comme s’ils comprenaient quel’heure était grave.
« Chats du Clan du Tonnerre,commença Étoile de Feu. Il esttemps pour nous de partir…
— Et pour quoi faire ? C’est ceque j’aimerais savoir !l’interrompit Poil de Souris enagitant nerveusement la queue.Le Clan des Étoiles est censéprotéger la forêt et non pas
envoyer un chef de Clanvadrouiller on ne sait où !
— Qu’est-ce qui peut être plusimportant que de t’occuper deton Clan ? » renchérit Cœurd’Épines.
Étoile de Feu ne putrépondre. Ils avaient tousraison. Mais ils n’avaient pasentendu les chats hurler dans labrume, ils n’avaient pas vu leurchef, désespéré d’avoir perduson Clan.
« Et mes chatons ? s’inquiétaFleur de Bruyère. Il y a unblaireau quelque part sur notre
territoire. Tu as pensé à ça ?— Bien sûr que oui ! Mais le
Clan du Tonnerre a unlieutenant en qui j’ai touteconfiance et qui s’occupera devous aussi bien que moi. EtMuseau Cendré sera là pourvous soigner et interpréter lessignes du Clan des Étoiles. Nousavons la meilleure guérisseusede tous les Clans. »
Une rumeur d’approbations’éleva dans la clairière et CœurBlanc fit un pas en avant.
« Étoile de Feu ne nousquitterait pas si ce n’était pas
nécessaire. Si le Clan des Étoileslui a demandé de partir, alorsnous devons faire confiance ànos ancêtres. Ils le protégerontet nous le ramèneront sain etsauf. Ils ne nous ont jamaislaissé tomber. »
Devant une telle confiance enleurs ancêtres, le pelage d’Étoilede Feu se dressa sur son échine.
Cette foi devait lui permettrede partir… Le cœur écartelé, il seleva.
« Adieu, vous tous ! »Un silence pesant s’abattit sur
l’assemblée.
Pourtant, Étoile de Feuentendit toutes les questions quifusaient dans leur esprit. Où ?Pourquoi ? Était-il sûr d’enrevenir vivant ? Il aurait aimépouvoir les rassurer, maiscomment ?
Finalement, Nuage de Suieavança d’un pas et lança :
« Au revoir, Étoile de Feu. »Lentement, les autres se
joignirent à lui.« Sois prudent !— Reviens-nous vite ! »Il sauta du rocher Tempête de
Sable à sa suite, et ils
rejoignirent le tunnel où lesattendait Museau Cendré.
« Que le Clan des Étoileséclaire votre chemin. »
La gorge nouée, il continua àavancer.
Pelage de Poussières’approcha de Tempête de Sable,Nuage de Châtaigne sautillantderrière lui.
« Je vais m’occuper de tonapprentie, promit-il en fixant lechaton d’un œil sévère. De touteévidence, tu t’es montrée troplaxiste avec elle. »
Il réprima difficilement un
sourire railleur mais la novicene se laissa pas impressionner.
« Je trouve que Tempête deSable est un super mentor. »Jetant un dernier coup d’œil àson Clan et à la clairière quiavait été son refuge depuis tantde saisons, Étoile de Feus’engagea dans le tunneld’ajoncs, puis se dirigea vers leravin, suivi de Tempête de Sableet de Plume Grise.
Le soleil brillait de mille feuxdans un beau ciel bleu tachetéde quelques nuages blancs. Unedouce brise faisait bruisser les
feuilles, emportant dedélicieuses senteurs d’unevégétation encore toute fraîcheet d’un gibier abondant. Ilmarqua une pause pour s’enimprégner. Où qu’il aille durantce voyage, aucun endroit neserait aussi beau que celui-ci.Comme le Clan du Ciel avait dûêtre malheureux de devoir lequitter !
Deux jours de repos et denourriture lui avaient redonnédes forces et, maintenant que levoyage commençait, ses pattesfourmillaient d’impatience.
« Tu nous accompagnesjusqu’à la lisière de la forêt,Plume Grise ? demanda-t-il.
— Non, ceci est votre voyage àtous les deux. Je vais vousquitter ici. Bonne chance ! »
Ils se touchèrent la truffe.« Sans toi, je ne pourrais pas
laisser notre Clan.— Je ferai de mon mieux,
c’est promis.— Tu devras prendre la place
d’Étoile de Feu pendantl’Assemblée, lui rappelaTempête de Sable.
— Oui. Il est hors de question
de laisser croire que le Clan duTonnerre puisse être affaibli. Jeleur dirai que tu as été envoyéen mission par le Clan desÉtoiles, mais que tu serasbientôt de retour…
— J’espère que tu as raison,miaula doucement Étoile deFeu. Mais si je ne revenais pas…— Ne dis pas de bêtises ! Tureviendras. Je le sais. J’attendraile temps qu’il faudra. Je nebougerai pas d’ici. »
« Quelle direction allons-nous prendre ? » demandaTempête de Sable.
Ils avaient quitté Plume Griseet se dirigeaient vers les Rochersdu Soleil à travers la forêt.
« Leur chef m’a dit que sonClan avait fui vers l’amont de larivière. Nous devrions donc lasuivre.
— Jusqu’où ? »Il n’en avait pas la moindre
idée et aurait aimé qu’on luidonne plus d’informations maisses rêves, depuis sa halte dans lejardin de Ficelle, avaient étéobscurs. L’ancêtre du Clan duCiel ne s’intéressait-il plus àlui ? C’était comme s’enfoncer
dans une nuit profonde sanslune ni étoile pour le guider.
« Je l’ignore. Le Clan du Cielnous donnera peut-être uneindication. »
Il s’attendit à uncommentaire cinglant, mais lachatte se contenta d’agiter sesmoustaches et repartit ensilence.
Des Rochers du Soleil, Étoilede Feu longea la rivière jusqu’àl’apparition du pont des Bipèdes.Là, il s’arrêta un instant pourhumer l’air. Une faible trace duClan de la Rivière, mais aucun
signe du passage récent d’unepatrouille.
« Allez, on y va ! »Ils se glissèrent au bas de la
pente jusqu’au pont et sefaufilèrent entre les cailloux etles buissons de ronces afin de nepas se faire remarquer. De là, ilslongèrent les gorges versl’amont. Étoile de Feus’attendait un peu à croiser deschats fantômes du Clan du Ciel,lui indiquant qu’il avait choisi lebon chemin, mais aucun d’euxne se manifesta.
En regardant l’eau agitée
couverte d’écume, il se rappelala manière dont Étoile Bleueavait entraîné derrière elle lechef de la meute de chiens.Étoile de Feu avait sauté pour lasauver et se souvenaitmaintenant du grondement del’eau, du poids de son pelagetrempé, de la fatigue de sespattes quand il s’efforçait denager à contre-courant, traînantle corps d’Étoile Bleue.
Puis il pensa à la dernière foisqu’il l’avait vue, enveloppéed’éclats d’étoiles. Elle n’avait pasvoulu lui parler du Clan des
Étoiles et avait tout fait pour ledécourager de partir. Mais cettequête était la sienne et non celledu Clan des Étoiles. Et il iraitjusqu’au bout, même sans l’aidede ses ancêtres.
Le long des gorges, ils sesentirent assez vulnérables,mais ils réussirent à atteindre lafrontière entre le Clan de laRivière et le Clan du Vent sansse faire repérer par unepatrouille. Le vent qui soufflaitdes marécages aplatissait lesherbes hautes et aurait aisémentpu jeter les deux chats dans la
rivière qui bouillonnait juste endessous. L’odeur du Clan duVent parvint jusqu’à eux.
« Il pourrait y avoir unepatrouille dans le coin, miaulaTempête de Sable.
— On ferait mieux decontinuer. Garde un œil surl’arrière.
— Pas de problème, c’estcomme si j’en avais un sur laqueue ! »
Ils allaient traverser lafrontière quand surgit un lapinpoussant des clapissements,suivi de près par un chat du Clan
du Vent.« Baisse-toi ! » cria Étoile de
Feu.Ils se plaquèrent au sol, mais
il n’y avait pas vraiment de quoise cacher. Heureusement, lechasseur était tellement occupépar sa proie qu’il ne remarquapas leur présence.
Profitant de cette occasion, lerouquin entraîna Tempête deSable vers une brèche dans unrocher. À peine s’y étaient-ilsabrités qu’un dernier cri stridentdéchira l’air.
« Belle prise ! miaula un chat
triomphant.— Ouf, on a eu chaud ! »
murmura Tempête de Sable.Étoile de Feu jeta un coup
d’œil depuis leur cachette et vitdeux chats qui se tenaient sur lerebord de la falaise. Il ne putdistinguer leurs traits, maisreconnut la voix de Moustache :
« C’est bizarre, j’ail’impression de sentir l’odeur duClan du Tonnerre, mais je nevois personne.
— Ils n’ont pas intérêt àmettre une patte chez nous. Sij’en attrape un, il regrettera
d’être né ! » gronda une autrevoix, agressive.
C’était celle de Griffe dePierre, le lieutenant du Clan duVent.
« Un de leurs chats se rendpeut-être aux Hautes Pierres,suggéra Moustache.
— Ce n’est pas le chemin,cervelle de souris ! » gronda soncompagnon.
Étoile de Feu rentra la têtedans sa cachette et se blottitcontre Tempête de Sable.
« Tu devrais peut-être leurdire où on va ? »
Il secoua la tête. Il préféraitque les autres Clans ne soientpas au courant de son absence.Ils l’apprendraient bien asseztôt !
Ils quittèrent leur cachette etÉtoile de Feu frissonna enconsidérant la hauteur de lafalaise. Mieux valait ne pastomber de si haut…
« Ils sont partis ? s’inquiétasa compagne.
— Je crois. Mais on ferait biende se dépêcher avant qu’ils nereviennent.
— Tu n’es pas obligé de faire
autant de cachoteries, tu sais.Quand je pense que tu n’asmême pas raconté toutel’histoire à ton propre Clan !
— C’est moi que les chats duClan du Ciel sont venuschercher. Inutile d’en parler àtous les autres. Ce n’est pascomme si je ramenais ce Clandans la forêt, tout de même.
— Mais ça sert à quoi, alors,tout ça ? Quel est ton but si tune veux pas les ramener ?
— Je n’en sais rien. Mais jesais qu’ils ont besoin d’une aideque moi seul peux leur apporter.
— Et si cela impliquait departager le territoire du Clan duTonnerre avec eux ?
— Non, non. Le guerrier duClan du Ciel m’a assuré qu’ilsauraient un endroit pours’installer. »
Elle ne semblait pasconvaincue.
« Et s’il se trompait ? »Étoile de Feu ne sut que
répondre.
Ils arrivaient au bout desgorges : la falaise descendait enpente douce vers le bord de
l’eau, formant d’étroites plagesde sable. Étoile de Feu laissaéchapper un soupir desoulagement en quittant leterritoire du Clan du Vent. Trèsvite, les marécages cédèrent laplace à un paysage de champssillonnés de haies et dechemins.
« Tu sens ces souris ?s’exclama Tempête de Sable. Jemeurs de faim ! »
Elle se lança entre les tigescraquantes des herbes hautes,aussitôt suivie par Étoile de Feuqui s’était assuré qu’il n’y avait
ni chiens ni Bipèdes dans lesenvirons. D’un coup de patte, ilassomma un rongeur qui couraitle long d’un sillon, puis undeuxième, quelques secondesplus tard. En apportant sa proieà la lisière du champ, il y trouvasa compagne, déjà accroupiedevant sa prise.
Le fumet de la viande luichatouilla agréablement lesnarines et il dévora son repas enquelques bouchées. Rassasié, ils’étira.
« On pourrait piquer un petitsomme jusqu’au coucher du
soleil, miaula-t-il. Onrencontrera moins de Bipèdes,ainsi. »
Tempête de Sable approuva etils se roulèrent tous deux enboule sur un tapis d’herbetendre pour s’endormir ausoleil, repus.
Étoile de Feu essayaitd’imaginer la fuite des chats duClan du Ciel. Ils devaient êtreterrifiés, exilés, sans but précis,à la merci des chiens et desrenards. Il chercha des yeux lasilhouette pâle qui lui étaitdevenue familière – en vain.
Des voix le tirèrent de sonsommeil. Ce n’étaient pas lesgémissements des chats enfuite, mais de vrais cris, procheset de plus en plus forts. Tempêtede Sable se dressait déjà à côtéde lui, la fourrure gonflée. Deuxjeunes Bipèdes, accompagnésd’un chien brun et noir, sedirigeaient vers eux.
« Vite ! Cachons-nous dans lebuisson ! » souffla Étoile deFeu.
Puis, ventre à terre, il rampavers une haie d’aubépines.Tempête de Sable emprunta un
autre chemin et se retrouvacoincée. Son regard vert, chargéde terreur et de frustration,croisa celui de son compagnon.
Le chien gémissait au bord dubuisson, essayant de franchir unfossé, la langue pendue, lescrocs étincelants.
« Il a trouvé notre trace »,murmura la chatte.
Étoile de Feu chercha unpassage pour l’attirer à lui, maisc’était impossible, les branchescouvertes d’épines étaient tropdenses.
Le chien continuait à creuser
la terre et ne se trouvait plusqu’à quelques centimètres despattes arrière de Tempête deSable.
Puis éclatèrent des cris deBipèdes qui tiraient ens’énervant sur le collier duchien. Celui-ci poussa quelquesaboiements de protestationmais, peu à peu, les voixs’éloignèrent, tout comme lesodeurs.
« Je pense qu’ils sont partis !Reste là le temps que jevérifie », murmura Étoile deFeu.
Laissant des touffes de poilsroux accrochées aux épines, il sefaufila jusqu’au bord dubuisson. Le champ de blé étaitdésert et les rayons obliques dusoleil se déversaient sur luicomme du miel.
« C’est bon. Tu peux venir. »Il avança un peu plus et prit
une profonde inspiration,essayant de maîtriser sestremblements. Son sang s’étaitglacé de peur. Pas pour lui-même, mais pour Tempête deSable. N’aurait-il pas été plussage d’entreprendre ce voyage
tout seul ? Pourtant, quand sacompagne le rejoignit, secouéemais saine et sauve, il garda sesdoutes pour lui.
Ils avancèrent sous l’éclatblafard de la lune et nes’arrêtèrent que lorsque leurspattes ne purent plus les porter.Ils trouvèrent un endroit pourpasser la nuit dans un creux,entre les racines d’un hêtre.
Les deux jours suivants, ilscontinuèrent à longer la rivière àtravers des champs de blé puis,le troisième jour, ils
s’engagèrent dans une prairieverdoyante qui descendaitdoucement vers la berge. Destourbillons de vent tièdesfaisaient bouillonner l’eau et, ens’approchant, Étoile de Feurepéra des odeurs decampagnols et d’oiseauxéchassiers. Le soleil se couchait,embrasant la rivière.
Soudain, ils entendirent levrombissement de monstres auloin. Humant l’air, Étoile de Feureconnut une puanteur âcre quilui était familière.
« Il y a un Chemin du
Tonnerre là-devant.— On va devoir le traverser.
Avec un peu de chance, il n’yaura pas trop de monstres. »
Il distingua rapidement unerangée d’arbres qui sedessinaient sur le cielrougeoyant. Le soleil couchantse reflétait sur les dos desmonstres aux pattes agiles.Après la boucle que faisait larivière, il aperçut un pont enpierre qui vibrait à chaquepassage de monstre.
« Le Chemin du Tonnerrepasse au-dessus de la rivière. On
ne risque rien en traversant paren dessous », miaula Tempêtede Sable, rassurée.
Mais Étoile de Feu resta surla défensive à l’approche dupont. Celui-ci projetait uneombre noire sur leur chemin et,tandis que la lumière du jour semourait, les monstres lançaientdes faisceaux de lumièreéblouissante qui balayaient laberge. Quand l’un de cesfaisceaux passa sur eux, les deuxchats se figèrent, le cœurbattant. Mais le monstrepoursuivit sa route en grondant.
Étoile de Feu soupira.« Ouf ! Il ne nous a pas
remarqués !— Peut-être, mais je n’aime
vraiment pas ça ! feula Tempêtede Sable. Partons d’ici. »
Ils passèrent enfin sous lepont. Les pierres étaienthumides et de l’eau gouttait del’arche, tombant dans la rivièreavec des « floc » réguliers etlugubres. Du plus profond del’obscurité, Étoile de Feu vitapparaître les lumières d’unautre monstre lancé à vive alluresur le Chemin du Tonnerre, au-
dessus de leur tête. Soudain, songrondement assourdissant lessubmergea, ricocha sur lespierres et sur l’eau.
Étoile de Feu se figea,imaginant les grandesmâchoires de la créature prêtesà s’ouvrir pour les avaler.
Tempête de Sable laissaéchapper un cri.
« Cours ! »La terreur s’empara d’Étoile
de Feu et ses pattesl’emportèrent à la vitesse duvent jusqu’à un bouquet deroseaux, loin du Chemin du
Tonnerre dont le fracas couvraità peine sa respiration haletante.
Seul l’épuisement ralentit sacourse. Il prit un moment pourretrouver son souffle, les pattesbrûlantes et le pelage enbataille. Sa compagnes’accroupit à côté de lui, jetantun regard craintif vers l’endroitqu’ils venaient de fuir.
Elle agitait nerveusement laqueue.
« Ça va ? » demanda-t-ellequand sa respiration se fit plusrégulière.
Étoile de Feu essaya de lisser
son pelage.« J’ai bien cru qu’on allait
finir en chair à corbeau. Mescoussinets sont à vif, je ne pensepas pouvoir aller plus loin, cesoir. »
Les yeux de Tempête de Sablebrillèrent dans le crépuscule etelle entrouvrit les mâchoirespour humer l’air.
« Attends-moi ici. »Puis elle disparut entre les
roseaux, en direction de larivière.
« Que… ? »Mais elle était déjà partie.
Se laissant tomber sur leflanc, il se mit à lécher sescoussinets endoloris jusqu’à ceque sa compagne revienne, degrandes feuilles plates entre lesmâchoires.
« Frotte-les sur tescoussinets, miaula-t-elle en lesposant à côté de lui. MuseauCendré dit qu’il n’y a rien demieux contre la douleur.
— Merci. »Le jus frais soulagea ses
brûlures et il laissa échapper unprofond bâillement. Il seraittellement bon de pouvoir
s’arrêter là et dormir, songea-t-il. Mais la nuit n’était pastombée tout à fait… Il leur fallaitcontinuer le plus longtempspossible.
Il se leva.« Les feuilles ont été très
efficaces, miaula-t-il. On feraitmieux d’avancer. »
Sans un mot, la chatte sefrotta les pattes sur les feuilleset se leva à son tour pour lesuivre.
La brise cessa en mêmetemps que le jour, et l’air devintlourd et poisseux. Les nuages se
rassemblèrent, dissimulant laToison Argentée.
« Je ne vois même plus mespattes, maugréa Étoile de Feu. Àce rythme, on va se retrouverdans la rivière !
— On ferait mieux de s’arrêterpour la nuit. Je sens unedélicieuse odeur de campagnol.Je propose d’aller chasserpendant que tu nous trouves unendroit pour dormir.
— D’accord, mais ne t’éloignepas trop !
— Promis ! »Et elle s’enfonça dans
l’obscurité.Mieux guidé par l’odorat que
par la vue, Étoile de Feu repérades roseaux. Il les tassa enforme de nid en les écrasantsous ses pattes. Ah… comme ilregrettait le confort de satanière !
Il avait à peine terminé quandsa compagne revint, deux petitsrongeurs pendus entre sesdents. Elle les déposa devant lui.
« En tout cas, on ne mourrapas de faim ! Il y a du gibierpartout et ces pauvres bestiolesse comportent comme si elles
n’avaient jamais vu de chat deleur vie ! »
Le Clan du Ciel ne chassedonc pas dans les environs,pensa Étoile de Feu en dévorantson repas. Il reste encore unlong chemin à parcourir.
Il se roula en boule, la queuesur le museau, et tenta des’endormir dans l’obscuritéinconnue. Bien que Tempête deSable fût allongée près de lui, illa sentait plus distante que lesétoiles cachées dans le ciel.
CHAPITRE 11
CHAPITRE 11
DES « COIN-COIN » RAUQUES
retentirent dans les oreillesd’Étoile de Feu. Il se levaaussitôt et repéra un canardnageant près du bouquet de
roseaux. Devant lui, il s’envolaau ras de l’eau dans unbattement d’ailes. Au mêmeinstant, Étoile de Feu sentit laterre commencer à trembler.
Tempête de Sable leva lesyeux « Qu’est-ce qui… ? »
Il la fit taire d’un signe de laqueue.
« Chuuut… Des Bipèdes ! »Jetant un coup d’œil entre les
roseaux, il vit trois Bipèdesmâles, remontant la rive dansleur direction. Tous portaient leslongs bâtons minces qu’ilspenchaient habituellement au-
dessus de l’eau pour attraper dupoisson. À son grandsoulagement, ils n’étaient pasaccompagnés de chiens.
Les deux chats restèrentparfaitement immobiles tandisque les Bipèdes dépassaient leurcachette. Ils disparurent bientôt.
« Viens, allons-y ! »Suivi de sa compagne, le félin
courut le long de la rivière, àl’ombre des roseaux, jusqu’à ceque l’odeur des Bipèdes sedissipe. Puis il s’arrêta poursouffler un peu et considéra leciel, toujours couvert d’épais
nuages d’un gris jaunâtre quisemblaient effleurer le faîte desarbres. Il faisait encore pluschaud que la veille et très lourd.
« Un orage se prépare, miaulaTempête de Sable. Il va éclateravant la tombée de la nuit. »
Ils repartirent, côte à côte.Étoile de Feu était rongé
d’inquiétude à l’idée de ce quipouvait se passer chez eux. Et sile blaireau était revenu ?Comment allaient réagir lesautres Clans en apprenant sondépart ? À peine quelques lunesplus tôt, ils s’étaient tous alliés
pour combattre le Clan du Sang.Mais combien de temps dureraitcette entente ? Étoile duLéopard pourrait très bienessayer de reconquérir lesRochers du Soleil si elle necraignait pas les représailles.Sans parler d’Étoile de Jais quine manquerait aucune occasiond’étendre le territoire du Clan del’Ombre.
Étoile de Feu aurait aimépartager ses craintes avecTempête de Sable, mais à quoibon l’inquiéter ?
Il ressassait ces sombres
pensées quand il sentit de fortesodeurs de chiens. Bientôt, ilsentendirent des voix de Bipèdes.Tous deux filèrent aussitôt aupied d’un arbre dont ilsescaladèrent le tronc pour seréfugier sur une branche.
À travers le feuillage, lerouquin put distinguer deuxBipèdes, accompagnés de deuxchiens qui sautillaient autourd’eux. L’un d’eux se précipitaaussitôt vers l’arbre en aboyantà tue-tête.
« Il nous a flairés », miaulaÉtoile de Feu.
Tempête de Sable retroussales babines et assura ses griffessur la branche, terrifiée. Mais unsifflement suivi d’un appelcalma le chien, qui retournadocilement auprès de sesmaîtres.
« Bon débarras ! » grommelaÉtoile de Feu.
Lorsqu’ils se furent éloignés,il en profita pour inspecter lesenvirons.
« Tout à côté, il y a des nidsde Bipèdes, annonça-t-il.
— Notre chance ne pouvaitpas durer. Dès qu’il y a des
Bipèdes, il y a des problèmes ! »De leur perchoir, ils ne purent
apercevoir que les toits des nids,mais lorsqu’ils s’élevèrent dequelques branches, le premierleur apparut vite en entier, trèsprès du bord de la rivière.
« Regarde-moi ça ! Ça grouillede Bipèdes ! » lâcha Tempête deSable d’un air dégoûté.
Étoile de Feu s’arrêta à côtéd’elle, consterné. Les nids necontenaient généralement quedeux grands Bipèdes, parfoisavec leurs petits. Mais autour dece nid-là, il y en avait bien plus.
La majorité des adultes étaientassis, en train de manger, tandisque leurs petits couraient vers larivière en piaillant, pour y jeterdes pierres. Parfois des adultesleur criaient dessus, mais sansobtenir la moindre réaction.
« Ils n’éduquent donc jamaisleurs petits ? soupira Tempêtede Sable, exaspérée.
— Il est impossible detraverser ce territoire sans sefaire repérer. Nous devrons lecontourner. »
Quand ils eurent fait le tourde la barrière blanche, Étoile de
Feu fut étonné de ne pasdécouvrir un potager derrière lenid, comme c’étaithabituellement le cas. Au lieu decela, ils virent un grand espacerecouvert du même revêtementnoir que les Chemins duTonnerre. Plusieurs monstresétaient tapis là.
« Ils sont endormis ? »chuchota Tempête de Sable.
Comme pour répondre à saquestion, l’un des monstresexplosa en un grondementrauque et commença lentementà s’éloigner des autres pour
s’engager dans un petit Chemindu Tonnerre.
Les poils d’Étoile de Feu sehérissèrent. Traverser un de ceschemins était déjà difficile, maislà, on aurait dit que lesmonstres les guettaient, prêts àleur bondir dessus.
« Je vais compter jusqu’àtrois. À trois, tu cours !murmura-t-il à Tempête deSable. Un. Deux. Trois ! »
Ils s’élancèrent ensemble. Aumême instant, un grognementde monstre qui se réveille les fitsursauter. Ils foncèrent vers un
buisson où Étoile de Feu fermales yeux et essaya de calmer sestremblements.
« Il nous a repérés, mais il nepeut pas nous suivre jusqu’ici »,souffla Tempête de Sable,paniquée.
Puis le monstre s’approcha.Sa carapace brillait sous lesoleil. Essayait-il de les flairer ?Difficile à dire, avec l’odeur âcrequ’il dégageait lui-même.Finalement, le monstre renonçaet s’engagea sur la route noirequi se déroulait devant labarrière.
« Bon, allons-y ! »Le matou aurait aimé se
reposer un peu mais ce nidrempli de Bipèdes ne lui disaitrien qui vaille. Et ces monstresencore moins, qui semblaientavoir appris à chasser.
Ils reprirent donc la route, etcommencèrent à se détendre dèsque la rivière dessina uneboucle, cachant le nid et sesmonstres. Mais très vite unautre nid apparut. Les nuagess’étaient assombris et un ventcinglant s’était levé, apportantl’odeur de la pluie. Au loin,
Étoile de Feu entendit legrondement du tonnerre.L’orage allait bientôt éclater.
Tempête de Sable s’arrêtapour renifler l’air.
« Des souris ! Ça vient de cenid ! ajouta-t-elle, tout excitée.
— Tu es sûre ? »Elle le fusilla du regard. Sans
se donner la peine de luirépondre, elle se dirigea vers lebâtiment.
Étoile de Feu bondit pour larattraper.
« Attends, tu ne sais pas cequ’il y a là-dedans.
— Je sais ce qu’il n’y a pas, entout cas. Pas d’odeur de Bipèdeni de chien. Tu veux manger oupas ? »
Il dut admettre que sonestomac commençait à miaulerfamine. Ils avaient passé lajournée à éviter les Bipèdes,sans la moindre occasion dechasser.
« Bon, d’accord, mais… »L’ignorant, elle s’approcha du
nid. À sa suite, Étoile de Feu dutreconnaître qu’elle avait raison.Les lieux semblaientabandonnés et la barrière était
en partie cassée, pourrissantdans l’herbe haute du jardinnégligé.
Tempête de Sable entra dansle logis, suivie d’Étoile de Feu.Ils furent aussitôt submergéspar une forte odeur de souris.
À l’intérieur, la lumière, griseet froide, filtrait à travers l’airpoussiéreux. De vieux débrisrecouvraient le sol et une espècede pente montait au niveausupérieur. Tempête de Sablecommença à la gravir.
« Fais attention !— Reste là pour faire le
guet ! » rétorqua-t-elle enagitant la queue d’un air agacé.
Il attendit un instant puis, lesoreilles aux aguets, il partitexplorer les lieux. Chaqueendroit lui rappela des souvenirsde l’époque où il vivait encoreavec les Bipèdes. Leur nid avaitété confortable et bien chaud.Ses Bipèdes dormaient dans unetanière en haut alors que luirestait dans… commentappelait-on déjà la tanière où onmangeait ? Ah oui… la cuisine.
Il pensa aussitôt à Grisette età Ficelle, nageant dans le
bonheur avec leurs Bipèdes.Aurait-il été heureux en restantavec eux, s’il n’avait jamaisconnu les joies de la chasse et dela vie en plein air ? Lesentraînements et lespatrouilles ? Les responsabilitéset les soucis d’un chef de Clan ?
Non. Il appartenait à la forêt.À son Clan. Alors pourquoil’avait-il quitté pour cette quêteinsensée ?
En entendant des pas derrièrelui, il sursauta, puis vit arriverTempête de Sable, la dépouilled’une souris dans la gueule.
« Tu sembles tourmenté,miaula-t-elle en déposant saproie à leurs pieds. Que sepasse-t-il ?
— Rien d’important. »Elle continua à le dévisager
comme si elle n’en croyait rienmais n’ajouta pas un mot.
Ils dévorèrent la souris.Dehors, le vent s’était levé,secouant le nid et poussant destorrents de pluie contre les murset à travers les trous carrés.
« Nous devrions peut-êtrepasser la nuit ici », suggéraTempête de Sable.
Étoile de Feu savait qu’elleavait raison. Ils pourraientattraper quelques proies de pluset dormir ici, à l’abri de la pluie,jusqu’à ce que l’orage soitterminé. Mais il n’était plus unchat domestique et il avaitl’impression d’étouffer derrièreces murs. Ce n’était plus saplace !
« Non. Il ne fait pas tout à faitnuit. On ne peut pas gâcher lereste de la journée. »
Tempête de Sable voulutprotester, mais quelque chosedans l’expression de son
compagnon dut l’arrêter, car ellese ravisa et le suivit hors du nid.
Le vent cueillit Étoile de Feudès qu’il mit une patte dehors.En quelques secondes, la pluielui fouetta le visage et détrempason pelage. Il savait que ce seraitbien plus raisonnable de revenirs’abriter dans le nid, mais sonorgueil l’empêchait de lereconnaître devant sacompagne. Tête baissée il sedirigea vers la rive en affrontantles bourrasques.
L’eau limpide de la rivièreavait pris la couleur de la boue
et des vagues venaient s’écrasersur les bords de son lit. Le ventsecouait les roseaux, cinglant lesdeux chats tandis qu’ilstentaient de se frayer un cheminsous les faibles rayons de lalune.
Tempête de Sable avançait engrommelant, agacée parl’obstination de son compagnon.
Un éclair déchira le ciel,aussitôt suivi d’un coup detonnerre assourdissant. Lalumière froide teinta d’argentles torrents de pluie et de noir lepelage des deux chats qui
avançaient péniblement entreles ronces et les cailloux.
Lorsqu’un deuxième éclaircrépita, Étoile de Feu crut mêmeapercevoir le visage d’ÉtoileBleue se dessiner dans le ciel.Mais il s’évanouit aussitôt.
Soudain, une vague le soulevadu sol et l’entraîna sans qu’ilpuisse résister. Il voulut crierpour prévenir sa compagne,mais sa tête s’enfonça dans l’eauglacée.
Il se mit à agiterfrénétiquement ses pattes pourremonter à la surface. Tout en
se débattant contre le courant, ilréussit à distinguer les buissonsde la rive et nagea vers eux. Puisle courant l’emporta de nouveauet il paniqua, certain de ne pasréussir à rejoindre la berge. Ilparvint cependant à s’accrocherà un tronc qui lui permit debondir sur la terre ferme.
Tremblant de froid et deterreur, il regarda autour de lui.
« Tempête de Sable ! »miaula-t-il désespérément.
Il n’y eut pas de réponse et ilne vit sa compagne nulle part.Enfin, il la repéra plus loin, sur
la rive inondée, accrochée à uneracine par les griffes et les crocs.
Quand il arriva à sa hauteur,elle se hissait hors de l’eau,toussant et crachant.
« Ça va ? demanda-t-il,haletant.
— D’après toi ? feula-t-elle ensecouant furieusement la queue.On aurait pu se faire emporterpar le courant ! Pourquoi est-ceque tu ne peux pas m’écouter,pour une fois, au lieu de temontrer aussi têtu ? »
La culpabilité le submergea.S’ils étaient restés dans le nid,
ils n’auraient pas été pris dans latempête.
« Je regrette…— Ce n’est pas avec des
regrets qu’on attrape les souris !lui lança-t-elle, furieuse.Admets-le, Étoile de Feu ! Tu neveux pas du tout de moi pourcette expédition !
— Ce n’est pas vrai.— Je ne te crois pas ! Je sais
que tu m’aimes, mais est-cesuffisant ? Ne voudrais-tu pasque Petite Feuille soit avec toi,en ce moment même ? »
La question le surprit. Avoir
la guérisseuse du Clan desÉtoiles à ses côtés ? Comme ilhésitait, la colère dans le regardde sa compagne s’évanouit,aussitôt remplacée par uneexpression d’horreur.
« Ne dis pas un mot, Étoile deFeu ! Je connais déjà ta réponse.
— Je ne voulais pas… »Sans l’écouter, elle fit demi-
tour et s’éloigna d’un pas décidé.« Attends, Tempête de Sable !
Il faut que tu m’écoutes !— Je n’en ai aucune envie. Je
rentre à la maison. Je sais quetu ne veux pas de moi. Petite
Feuille a toujours eu tapréférence, avoue-le !
— C’est différent, c’est tout !Tu ne peux pas me demander dechoisir. Vous êtes importantestoutes les deux et je… »
Un éclair zébra le ciel ettomba sur un hêtre. Le tonnerregronda et un craquement sonoreprovenant de l’arbre luirépondit. La cime commença àpencher, entraînant l’arbreentier qui vint s’écraser entravers de la rivière.
Accroupis sur le sol détrempé,ils attendirent que les
branchages cessent de sebalancer en tous sens. PuisÉtoile de Feu se leva avecprécaution.
« Attends, je vais passer sur letronc pour voir à quoi ressemblel’autre côté de la rive. On diraitque c’est moins trempé là-bas. »
Elle le fixa froidement,comme si elle n’était pasd’humeur à lui obéir. Que luirépondrait-il si elle insistaitpour partir ?
« D’accord », finit-elle pargrommeler.
La chute de l’arbre semblait
avoir mis fin à leur dispute.Pour l’instant. Et il adressa uneprière silencieuse au Clan desÉtoiles afin de le remercier.
Les premiers pas sur le troncfurent aisés. Mais quand ildevint plus étroit, Étoile de Feufaillit perdre l’équilibre àplusieurs reprises et tomberdans les eaux tumultueuses quiavaient encore enflé le débit dela rivière. Il enfonçait les griffesdans l’écorce pour résister auxvagues qui voulaient l’emporter.Soudain, le tronc commença àbasculer, menaçant de le
projeter au fond de l’eau.Rassemblant ses dernièresforces, il s’élança vers la riveopposée et réussit à s’accrocheraux herbes qui la bordaient.C’était plus calme, ici. Lesbranches des arbres offraient unexcellent refuge et lesprotégeraient des torrents depluie.
Il se tourna vers la riveopposée et appela :
« C’est bon, Tempête deSable ! Tu peux… »
Un grondement l’interrompit.D’abord, il crut que c’était le
tonnerre. Tempête de Sableregarda vers l’amont de larivière, les yeux écarquillésd’horreur. Une énorme vague,chargée de branches et dedébris, déboulait vers eux,couronnée d’écume. Elle faisaitplus de fracas que les monstresdes Bipèdes.
Se précipitant vers le premierarbre venu, Étoile de Feu sehissa le plus haut possible ets’accrocha à l’écorce de toutesses forces. Il sentit la puissantevague passer à une longueur dequeue de ses pattes et reçut les
éclaboussures en plein visage.Quand tout fut calmé, ilredescendit et vit avec horreurque l’arbre tombé en travers dela rivière avait été emporté.
Comment Tempête de Sableva-t-elle pouvoir traverser,maintenant ?
Il regarda sur l’autre rive etun coup de griffe lui laboura lecœur. Tempête de Sable avaitdisparu.
CHAPITRE 12
CHAPITRE 12
« NON ! TEMPÊTE DE SABLE !Où es-tu ? »
Pas de réponse. Étoile de Feuarpenta la rive, appelant sansrelâche sa compagne. Aucun
signe d’elle dans les débriséparpillés sur la berge. Ilescalada les rochers glissants,s’aventura plus près des flotsrugissants, convaincu quechaque forme pouvait être cellede sa douce compagne disparue.
Épuisé, les coussinets ensang, il dut suspendre sesrecherches. Il se hissa avecpeine sur un talus et observatristement l’eau qui charriait lesdécombres. Si Tempête de Sableétait morte, il ne se lepardonnerait jamais !
Quel imbécile je suis !
Il avait été tellement obnubilépar sa quête qu’il avait oublié cequ’il devait à sa compagne. S’illui était arrivé malheur, ce seraitsa faute. Il laissa échapper unsoupir. Comment avait-il pu luifaire croire qu’il préférait PetiteFeuille ? C’était Tempête deSable qu’il aimait, et elle seule.
La pluie se calma. Legrondement du tonnerres’éloignait et le jour glauqueglissait déjà vers le crépuscule.
Étoile de Feu aurait aimécontinuer, mais il savait qu’il nepourrait pas entreprendre de
recherches efficaces dansl’obscurité. Il risquait même depasser à côté de Tempête deSable sans la voir, si elle gisaitquelque part, inconsciente.Vacillant, il alla se réfugier sousun rocher et sombra dans unsommeil glacé et sans rêve.
Une pâle lumière se reflétaitsur l’eau et réveilla Étoile deFeu. Il sortit de sa cachette ets’étira. Une légère brise chassaitmollement les rares nuagesvoguant encore dans le ciel bleu.L’orage était passé et le soleil
grimpait déjà vers le zénith. Sonpelage était presque sec maisébouriffé.
Il prit une profondeinspiration, prêt à entamer unenouvelle étape de son voyage.C’est alors qu’un souveniraffreux vint le frapper avecviolence, comme un coup degriffe de blaireau : Tempête deSable avait disparu.
Il fallait à tout prix qu’ilretrouve sa compagne. Elleseule comptait. Il envisagea uninstant de plonger dans larivière pour la traverser à la
nage. Mais le courant étaitencore fort. Même un chat duClan de la Rivière n’yparviendrait pas. Il se ravisa etlongea la rive.
Il dut marcher longtemps,sautant par-dessus des rocherscouverts de mousse détrempée,se faufiler entre les roseaux oudes ronciers dont les épines luiécorchaient la peau. Il finit parapercevoir un pont de Bipèdesqui lui permettrait de traverser,mais il dut vite déchanter. Celui-ci était éboulé en son milieu etle trou trop large pour qu’il
puisse le franchir d’un bond.Le soleil descendait déjà
quand il parvint enfin à un autrepont. Malheureusement, desBipèdes lui barraient le passage.Deux adultes et un petit. Unchien sautillait à côté d’eux.Prudent, le félin s’accroupitdans l’herbe, l’échine hérissée.Puis il remarqua que le chienétait très vieux et attaché aupetit Bipède par une espèce deliane. Celle-ci entraveraitsérieusement sa course s’il luiprenait l’envie de le poursuivre.
Étoile de Feu prit donc son
élan et fonça vers le pont qu’iltraversa à quelques longueursde queue seulement desBipèdes.
Sans demander son reste, ilfila vers les buissons où il secacha pour reprendre sonsouffle. La terre sous ses pattesétait détrempée et la bouemaculait son pelage jusqu’auventre. Il continua à explorer lesenvirons et se dirigea vers le nidde Bipèdes abandonné oùTempête de Sable avait voulupasser la nuit. Peut-être s’yétait-elle réfugiée ?
Le soleil avait déjà disparuquand il entra dans la vieillebâtisse. Il tenta de détecterl’odeur de sa compagne et futvite déçu. Il ne sentit qu’unpuissant fumet de souris qui lelaissa indifférent malgré sonestomac qui criait famine.Aucune trace de Tempête deSable. Rongé par la tristesse etle remords, il fit tout de mêmele tour des lieux, montajusqu’au niveau supérieur. Rien.Toujours rien. Titubant defatigue, le cœur lourd, il se laissatomber au beau milieu du
plancher nu et ferma les yeux.Le sommeil fut long à venir,interrompu par des bribes desouvenirs de sa vie avec lesBipèdes, comme s’il ne les avaitjamais quittés pour devenir unguerrier et connaître la joie dediriger son Clan.
Il se réveilla en frissonnantdans l’aube grise. Il descendaitau rez-de-chaussée quand ildétecta soudain un mouvementdans la cuisine. Sans prendre letemps de déterminer l’odeur, ildéboula dans la pièce.
« Tempête de Sable ? »
Il fut arrêté dans sa coursepar un grognement féroce. Unrenard leva son museau maculéde sang et de plumes : il étaitoccupé à dévorer un pigeon.
Étoile de Feu reculalentement jusqu’à la porte, fitdemi-tour et fila, ventre à terre,jusqu’aux fourrés, certain desentir le souffle brûlant durenard sur sa nuque. Mais ilatteignit le bord de la rivièresain et sauf. Le souffle court, ilregarda en arrière. Le renard nel’avait pas suivi.
Il longea la rivière jusqu’à
l’autre nid de Bipèdes, là où lesmonstres avaient failli lesattaquer. Le jardin avait étéremplacé par une flaque d’eaugéante, presque aussi large quela rivière. Étoile de Feu dut serésoudre à contourner labarrière. Il s’arrêta entre deuxbuissons d’églantines pourhumer l’air, cherchant des tracesfraîches de sa compagnedisparue. Toujours rien. D’unpas lourd, la queue basse, ilcontinuait à avancer. Peut-êtreaurait-il plus de chance dans unjardin voisin ? Les autres nids
de Bipèdes étaient tout proches.Cela valait la peine d’essayer.
Mais tous les nids et lesjardins se ressemblaient et lapluie avait emporté toutes lestraces qui auraient pu le guider.Il sauta sur un muret d’où ilpensait avoir une vue jusqu’à laforêt : il fut vite déçu. Encore unautre jardin !
« Crotte de renard ! jura-t-il,dépité. Je suis carrément perdu !Qu’est-ce qui pourrait m’arriverde pire maintenant ? »
Il tenta de revenir sur ses pas,mais ne retrouva pas son
chemin. Devant lui, d’autresjardins inconnus en enfilade. Àplusieurs reprises, il croisa sapropre trace qui ne le menaitnulle part. À la tombée de lanuit, il n’avait toujours pasatteint la rivière.
Trop fatigué pour continuerses recherches, il rampa sous unbuisson aux fleurs bleuesparfumées. Avec un peu dechance, elles cacheraient sonodeur et les chats domestiquesne remarqueraient pas saprésence.
Cette fois, ses rêves furent
peuplés de la voix de sacompagne qui l’appelait engémissant. Il courait comme undamné sans jamais réussir à larattraper. Finalement, il seréveilla toujours aussi épuisé etil dut rassembler toutes sesforces et toute sa volonté poursortir de sa tanière de fortune.
À l’autre extrémité du jardin,il remarqua un gros chat blancqui s’étira devant la porte du nidavant de descendre l’escalieravec nonchalance pour allers’étendre au soleil, sur unepierre plate, où il entreprit de
faire sa toilette.Il ressemble à Flocon de
Neige, pensa Étoile de Feu ens’approchant avec précaution, aucas où le chat se montreraitbelliqueux.
Étoile de Feu inclina polimentla tête. Le gros chat blanc leconsidéra d’un air surpris, sesyeux bleus ronds comme desbilles. Et dire qu’il ne se donnaitmême pas la peine de défendreson propre territoire ! De sa vie,il n’avait jamais dû se battre.
« Bonjour, miaula Étoile deFeu.
— Salut. Qui es-tu ?— Je m’appelle Étoile de Feu.
Aurais-tu vu un chat roux,récemment ? »
Le chat cligna des yeux.« Je t’ai vu, toi.— Oui, mais ce n’est pas moi
que je cherche », s’impatientaÉtoile de Feu.
Comme il aurait aimé secouerun peu ce petit vaurien…
« Eh bien… je crois que j’ai vuun chat roux… oh, il y a cinqjours de cela. À moins qu’il aitété couleur écaille ?
— Bon, laisse tomber ! Tu
peux me dire comment onretourne à la rivière ?
— Quelle rivière ?— Merci pour ton aide si
précieuse », railla Étoile de Feuavant de poursuivre sonexploration des lieux.
Il tenta un autre passage, quidéboucha sur un grand espaceaussi noir et dur que lesChemins du Tonnerre etentouré de boîtes avec degrosses bouches noires grandesouvertes. L’une d’elle semblaitavoir avalé un monstre. Et siune autre voulait l’avaler, lui
aussi ?Puis un ronronnement se fit
entendre, avant qu’un monstres’avance vers lui. Le matouchangea de direction et lemonstre le suivit.
Il me pourchasse, ma parole !paniqua Étoile de Feu.
Terrifié, il bondit ets’accrocha à un tronc en métalqu’il réussit à escalader, sesgriffes patinant sur la surfacelisse dans un crissementstrident. Heureusement, ilréussit à saisir une espèced’anneau qui lui permit de se
jeter de l’autre côté pouréchapper au monstreabominable.
Ses pattes s’enfoncèrent dansdes déchets de Bipèdes dontl’odeur infecte assaillit aussitôtses narines.
Berk ! C’est dégoûtant !Vite, il fallait sortir de là,
sinon il allait étouffer !Secouant son pelage pour enfaire tomber des morceaux dematière grasse et collante, ils’écroula sur le côté, un goûtdésagréable dans la bouche. Latête lui tournait et il avait
l’impression que tous lesmuscles de son corps le faisaientsouffrir.
Le désespoir s’abattit sur lui.Il avait trahi Tempête de Sableet le Clan du Ciel. Il avaitabandonné son propre Clan.Chaque décision qu’il avait priseavait été mauvaise et il sesentait trop las pour continuer.
Son ventre miaulait faminemais il était trop faible pourchasser. Il repéra une vieillefourrure brillante de Bipède etréussit à se hisser dessus. Avecun petit gémissement, il ferma
les yeux et se laissa avaler parles ténèbres.
Ses rêves étaient sombres etchaotiques. La vague déferlait ets’enroulait autour de lui. Ilentendait les miaulements deterreur de Tempête de Sable, quiréclamait une aide qu’il nepouvait lui apporter. Puis lechien du Bipède le poursuivit,l’attrapa par la nuque et lesecoua comme s’il voulait luiarracher la peau.
CHAPITRE 13
CHAPITRE 13
« JE NE L’AI JAMAIS VU DE MA
VIE ! Qu’est-ce qu’il fait ici ?— Il ne bouge pas. Il est
mort ?— Non… Hé ! T’es qui ?
Réveille-toi ! »Les voix réveillèrent Étoile de
Feu. Il cligna douloureusementdes yeux et aperçut une formebrun et noir bloquant le trou parlequel il était entré. Une patte leretenait par la peau du cou et lesecouait vigoureusement.
Encore faible, Étoile de Feutenta de se débattre.
« Que… Bas les pattes !— Tu ferais mieux de rentrer
tes griffes ! » grommela unevoix.
Étoile de Feu cligna denouveau des yeux et distingua
deux félins accroupis devant lui.Une chatte noire et un matoubrun efflanqué à l’oreilledéchirée.
« Tu ne peux pas rester là,miaula la chatte. Les Bipèdesentrent et sortent d’ici tout letemps. Bouge les pattes d’ici.
— Je les bougerai quand j’enaurai envie. »
Étoile de Feu essayait de semontrer agressif, mais il avait sisoif qu’il pouvait à peine parler.Et la faim lui donnait levertige…
« Tu bougeras quand on te le
dira, cervelle de puce ! » lança lematou en lui enfonçant lesgriffes dans les côtes.
Étoile de Feu était tropaffaibli pour protester. Il se levapéniblement et chancela.
« Il était temps, maugréa lachatte. Suis-nous ! »
Elle ouvrit la marche etlongea un passage étroit entredes boîtes de déchets deBipèdes. Étoile de Feu envisageaun instant de filer en douce.Mais pour aller où ? Cet endroitlui était parfaitement étranger etle matou qui fermait la marche
le surveillait de ses yeux jaunesperçants.
Où m’emmènent-ils ?Il pensa à Fléau et au Clan du
Sang. Et si c’était un autre Clande chats cruels ? S’ils savaientqu’il venait de la forêt, ilsrisquaient de le considérercomme un ennemi. Avaient-ilsl’intention de le massacrer ?
La chatte le fit passer par untrou qui déboucha sur un grandespace planté de quelquesarbres rabougris. Il ne vit aucunautre chat mais une très forteodeur de félins flottait tout
autour de lui. La peur lui serraitla gorge ; il avait l’impressiond’étouffer.
« Par là ! »Le matou brun lui donna un
autre coup de patte qui faillit lerenverser.
Il tituba en avant, glissa etfaillit tomber dans une flaque.
« Sors tes pattes d’ici !grommela le matou. Je n’ai pasenvie de boire de l’eau où tu astrempé tes sales coussinets ! »
Étoile de Feu recula aussitôt.« Vas-y, bois ! dit la chatte. Tu
ne crains rien, on n’essaie pas de
t’empoisonner. »Il lui jeta un regard indécis.
Ces chats l’avaient guidé jusqu’àl’eau dont il avait sidésespérément besoin. Pourquoile tueraient-ils ensuite ?
Il se pencha et lapa la flaque.Polluée par des odeurs deBipèdes, elle n’était pas fraîche,mais pour l’instant elle étaitmeilleure que le plus pur desruisseaux de la forêt.
Quand il releva la tête en seléchant les moustaches, il vit lachatte noire qui se tenait à côtéde lui, un moineau entre les
mâchoires.« Tiens », dit-elle en le posant
devant lui.Quoi ? Ces chats me
nourrissent ?« Je t’assure ! Mange !
insista-t-elle. Tu n’as jamaismangé d’oiseau ?
— Euh… »Il se jeta sur le volatile et le
dévora en quelques bouchées.« On dirait que tu n’as rien
avalé depuis longtemps ! fitremarquer le matou. Tu viens deloin ?
— Assez, oui. Je m’appelle
Étoile de Feu.— Moi, c’est Brindille et elle,
c’est Camomille. »Étoile de Feu entrevit une
lueur d’espoir. Peut-être n’était-il pas le seul vagabond qu’ilsavaient secouru.
« Je cherche une chatte aupelage roux pâle. Vous l’avezvue ? »
Ils échangèrent un regard etsecouèrent la tête. Étoile de Feuen était malade de déception.
« Les autres l’ont peut-êtrecroisée, suggéra Brindille.
— Les autres ? Quels autres ?
Vous faites partie d’un Clan ? »Camomille sembla perplexe.« Comment ça, un Clan ?— D’autres chats viennent ici,
expliqua Brindille. Des chatscomme nous.
— Où sont-ils, pour lemoment ?
— J’sais pas, miaula le matou.Dans le coin.
— Vous pouvez m’emmenerjusqu’à eux ?
— Pas la peine, réponditCamomille. Ils viendront ici tôtou tard. C’est une habitude. »
Étoile de Feu regarda autour
de lui. Il n’y avait toujours pasde félins en vue, mais l’odeurforte qu’il avait notée enarrivant lui indiquait que c’étaitun lieu de rendez-vous pour denombreux chats. Le souvenir duClan du Sang le rendait nerveux.Jusqu’à présent, Brindille etCamomille l’avaient bien traité,mais qu’en serait-il des autres ?Son instinct lui dictait des’enfuir, mais l’envie deretrouver Tempête de Sable lepoussa à rester.
« Pourriez-vous me présenteraux autres ? demanda-t-il.
— Tu te débrouilleras trèsbien sans nous, lâchaCamomille en agitantnerveusement la queue.
— On ne les fréquente pas,d’ordinaire, ajouta Brindille.
— S’il vous plaît ! Il faut queje sois sûr qu’ils veuillent bienme parler. Je dois retrouvermon amie. »
Les chats hésitèrent, seconsultèrent du regard.
« Qui est cette chatte que tucherches ? demanda Camomille.Pourquoi est-ce si important dela retrouver ?
— Parce que c’est ma faute sielle s’est perdue ! Nous étionsen train de voyager le long de larivière et elle a été emportée parla tempête. Je l’ai cherchéepartout, en vain. Je ne peux pascontinuer sans elle, ni rentrerchez nous en la laissant ici.Impossible d’abandonner mesrecherches et…
— C’est bon ! N’en dis pasplus ! miaula Camomille. On varester.
— Merci. C’est très importantpour moi. »
Brindille et Camomille se
dirigèrent ensemble vers uncoin d’ombre sous les arbresrabougris, échangèrent quelquesmots, puis entamèrent unepetite sieste. Étoile de Feu enaurait bien fait autant, mais il nevoulait pas manquer l’arrivéedes autres chats. Et, lesconnaissant encore très mal, iln’était pas sûr de pouvoircompter sur Brindille etCamomille pour le réveiller.
Il trouva un endroit bienchauffé par le soleil et s’attaquaà une toilette minutieuse. Lespoils de son pelage étaient
emmêlés, parsemés de bouts debois et de feuilles. Et, pire quetout, il exhalait une odeurinfecte provenant du local àordures des Bipèdes. Si lesmembres de son Clan levoyaient, ils le reconnaîtraient àpeine ! En passant sa languerêche sur ses épaules, il ne putréprimer une grimace de dégoûtmais continua à se lécherjusqu’à ce que son poil soit douxet brillant.
Il eut du mal à rester éveillé.Le soleil descendait, allongeantl’ombre des arbres. Soudain, il
repéra un chat qui sortaitfurtivement de derrière unmuret.
Étoile de Feu jeta un coupd’œil vers Brindille etCamomille. La chatte noirebondit sur ses pattes et s’étira.
« Les voilà ! » miaula-t-elle.D’autres félins suivirent,
venant des quatre coins de laplacette, sautant des clôtures ouse faufilant dans les brèches.Étoile de Feu les observa sesaluer les uns les autres avecune réserve amicale, toutcomme les chats des différents
Clans aux Quatre Chênes.« Viens, je vais te présenter »,
miaula Camomille.Brindille les rejoignit et ils se
dirigèrent vers le groupe le plusproche, assis à côté de la flaqueoù Étoile de Feu s’étaitdésaltéré.
« … alors j’ai dit au rat :avance d’un pas et je t’arrache lapeau ! miaulait un matou noir.
— Et ensuite ? demandait unautre.
— Sa compagne lui a sautédessus par l’arrière, s’amusa unesuperbe reine blanche.
— Et je leur ai arraché la peauà tous les deux !
— Ça, c’est Charbon. Le plusgrand des fanfarons, murmuraCamomille à l’oreille d’Étoile deFeu.
— Mais ses griffes sontacérées ! » ajouta Brindille.
La chatte blanche bâilla.« Qui veut manger du rat, de
toute façon ? Moi j’ai bu du laitde Bipède.
— C’est ça ! Et les merles ontdes dents ! railla Charbon.
— J’en ai bu, c’est vrai ! Labouteille était posée sur la
marche et je l’ai renversée d’uncoup de patte. Tout le lait s’estécoulé. C’était délicieux, ajouta-t-elle en se léchant les babines.
— La chatte blanche s’appelleNeige, précisa Brindille. Ellepasse beaucoup de temps auprèsdes Bipèdes. Elle y a peut-êtrevu ton amie.
— Cela m’étonnerait. Tempêtede Sable ne s’approcheraitjamais des Bipèdes si elle peutl’éviter.
— Neige, je t’ai vue près de cenid, lança un matou brun ens’approchant. Tu n’as peut-être
pas remarqué qu’ils ont unnouveau chien. Il m’apourchassé quand je guettaisune souris dans leur jardin. À taplace, je garderais mesdistances.
— Oh, il ne me fait pas peur,ce gros patapouf !
— J’aimerais bien voir ça ! »ricana Charbon.
Le matou brun vint s’asseoirentre Neige et Charbon. Étoilede Feu remarqua qu’il ne luirestait qu’une moitié de queue.
« Dites donc ! J’ai vu unechatte bizarre, aujourd’hui.
Deux petits Bipèdes l’avaientattrapée. Je leur ai vite faitcomprendre ma façon depenser !
— Oh, Courtaud ! Tu n’as pasgriffé de jeunes Bipèdes, tout demême ? s’indigna Neige.
— Et alors ? Ils l’auraient bienmérité, à harceler un chatcomme ça ! Mais je te rassure.Je leur ai juste fait peur pourque la prisonnière rousse puissese sauver.
— Rousse ? s’exclama Étoilede Feu.
— Ça pourrait être ton amie,
suggéra Brindille.— Pourquoi tu ne lui as pas
proposé de venir ici ? demandaNeige.
— Pas eu le temps ! Elle asauté par-dessus la barrièrecomme si elle avait des ailes. Jecrois que je n’ai jamais vu unfélin aussi rapide. » miaulaCourtaud, admiratif.
Étoile de Feu toucha Brindilleavec sa queue.
« Il faut que je parle à ce chat,lui dit-il.
— Pas de problème. Suis-moi. »
Il se dirigea vers le groupe, laqueue bien dressée.
« Salut ! miaula-t-il. Il y a unchat qui aimerait terencontrer. »
Tous les félins tournèrent latête vers Étoile de Feu. Ils’inclina avec respect.
« Salut ! La chasse estbonne ? »
Charbon et Neige échangèrentun regard, comme s’il venait dedire une énormité.
« Tu es nouveau, par ici,miaula Charbon. D’où est-ce quetu viens ? »
Étoile de Feu n’avait pasenvie de parler de la forêt à ceschats. Et s’ils décidaientd’envahir leur territoire, commel’avait fait le Clan du Sang ?
« Du bas de la rivière.— Il s’appelle Étoile de Feu,
ajouta Camomille ens’approchant. Étoile de Feu, je teprésente Neige, Charbon etCourtaud.
— Tu viens t’installer dans lecoin ? demanda Neige avec unregard amical.
— Non, je ne fais que passer.J’étais accompagné d’une chatte,
mais nous avons été séparéspendant l’orage. »
Puis, se tournant versCourtaud, il ajouta :
« J’ai entendu ce que turacontais au sujet de la chatterousse. Je pense que c’était monamie. »
Les moustaches de Courtaudfrémirent. Il se leva et reniflaÉtoile de Feu.
« C’est bien possible. Elleavait la même odeur que toi :arbres, feuilles, eau de rivière. »
Le cœur d’Étoile de Feu seserra.
« Peux-tu me montrerl’endroit où tu l’as croisée ?
— Bien sûr. »Camomille s’avança entre
Étoile de Feu et Courtaud.« Mais pas ce soir ! Regarde-
toi, Étoile de Feu ! Le moindrecoup de vent te renverserait. Tuas besoin d’une bonne nuit desommeil et de quelques proiesavant d’être en état d’aller oùque ce soit. »
Étoile de Feu piétinad’ im pat ie nce . Je suis unguerrier, pensa-t-il, amer. Je n’aipas besoin de repos.
« Mais Tempête de Sablerisque de s’éloigner encoreplus ! protesta-t-il.
— Elle n’ira nulle part sur ceterritoire qu’elle ne connaît pas,lança Camomille. Sauf si elle aune cervelle de puce ! Et toi,Courtaud, si tu l’emmènesmaintenant, je t’arrache le restede ta queue !
— Que veux-tu que je répondeà ça ! plaisanta Courtaud. Net’inquiète pas, Étoile de Feu, jet’y conduirai demain. »
Il ne put qu’acquiescer et sechercher un coin confortable
pour y passer la nuit. Il pensaitque l’inquiétude l’empêcheraitde dormir, mais il trouva lesommeil aussitôt installé. Cettefois, aucun rêve ne vint letroubler.
Il se réveilla le lendemain enpleine forme. Il sauta sur sespattes et regarda autour de lui.Le soleil brillait déjà mais, endehors de Brindille, il ne vitaucun chat. Celui-ci se dirigeaitvers lui, une proie entre lesmâchoires.
« Tiens, mange ! miaula-t-ilen la déposant à ses pieds.
— Où est Courtaud ?— J’sais pas.— Mais il m’a promis de
m’aider à retrouver Tempête deSable !
— Alors il le fera. Te fais pasde bile ! Il reviendra tôt outard. »
Étoile de Feu n’en était pascertain. Il remercia le matoupour sa proie et entreprit de ladévorer, les sens en éveil pourguetter l’arrivée de Courtaud.Mais il était encore faible et ilpiqua bientôt un nouveausomme.
Il se réveilla en sursaut et vitque les arbres, baignes d’unelumière rouge, projetaient leursombres longilignes autour delui. Le soleil était en train de secoucher !
Il se leva, le cœur battant. Ilrepéra Courtaud, assis sous unarbre, ses yeux ambrés fixés surlui.
« Pourquoi ne m’as-tu pasréveillé ?
— Pour quoi faire ? Ne t’enfais pas, on a tout notre temps. »
Étoile de Feu ravala uneremarque acerbe. S’il offensait
ce chat, il risquait de ne jamaisretrouver Tempête de Sable.
« Reviens chez nous, si tonamie n’est pas là-bas, lui ditCamomille en arrivant à sahauteur. On va se renseignerdans les environs, voir si onpeut apprendre quelque chose.
— Entendu. Merci.— Bon, allons-y ! » miaula
Courtaud.Le matou brun sauta sur le
mur, puis s’engouffra dans unesérie de passages déroutants. Ilse glissa ensuite sous unebarrière pour entrer dans un
jardin entouré de buissons. Lanuit était tombée. La lumièrejaune descendait des carréspercés dans le mur du nid deBipèdes.
« Les deux jeunes Bipèdeshabitent ici. Ils ont attrapé tonamie dans ce coin d’herbe, là-bas. »
Étoile de Feu se dirigea versles herbes hautes, les narinesfrémissantes. L’odeur des fleursdominait toutes les autres, maisil restait une trace de celle deTempête de Sable. Infime.
« Alors ?
— Oui, oui ! C’était bien elle !Elle est vivante ! Par où est-ellepartie ?
— Par là », indiqua le matou,la queue pointée vers le jardinvoisin.
Étoile de Feu s’élança dansl’herbe vers la palissade, et futsurpris de voir que Courtaud lesuivait dans sa course.
« Tu n’es pas obligé dem’accompagner, tu sais.
— Je sais. Mais je veux veniravec toi, si cela ne t’ennuie pas.Camomille va forcément medemander si on a retrouvé ton
amie.— Merci. »Il ne le dit pas à Courtaud,
mais il était agréablementsurpris que les chats errants semontrent si serviables. Il avaitcraint, à tort, qu’ils secomporteraient en ennemis.
Les deux matous escaladèrentla clôture suivante Étoile de Feucrut reconnaître l’odeur de sacompagne, mais elledisparaissait derrière celles desfleurs et des Bipèdes. Il y avaitmême celle d’un chien. Ses poilsse hérissèrent quand il entendit
des aboiements venant du nid.« J’ai perdu sa piste, avoua-t-
il à son compagnon en faisantles cent pas, frustré.
— Suivons la clôture.— Bonne idée ! »Mais ils ne trouvèrent aucun
indice témoignant du passage deTempête de Sable. Même pasune empreinte de ses pattes. Siseulement Flocon de Neige étaitlà ! Son neveu était le meilleurpisteur du Clan du Tonnerre.
Clan des Étoiles, aidez-moi !pria-t-il en se demandant si cedernier pouvait le voir, si loin de
la forêt.En levant la tête, une touffe
de poils roux clair accrochés à lapointe d’un poteau de la clôtureattira son regard. Cettecouleur… cela ne pouvait êtreque Tempête de Sable !
« C’est là qu’elle a franchi lapalissade ! Viens, Courtaud ! »
Mais le matou tigré semblaithésiter.
« Il y a une chatte domestiquedans ce jardin. Une sacréebagarreuse… avec un salecaractère !
— Ne t’en fais pas, je m’en
occuperai ! »Il sauta sur la palissade et se
laissa tomber dans le jardin dontla végétation redevenue sauvagelui rappelait la forêt. C’était toutà fait le genre d’endroit où sacompagne aurait pu trouverrefuge.
« Tempête de Sable ! miaula-t-il doucement. Tu es là ? »
Aucune réponse. Il avançaavec précaution parmi lesherbes folles, les narinesencombrées de senteurs defleurs, d’herbe et du fumetd’autres chats. Une fois, de plus,
il avait perdu la trace deTempête de Sable, mais elle nedevait pas être loin.
« Tempête de Sable ! »Juste derrière lui, un
feulement brisa le silence. En setournant, il se retrouva nez ànez avec une chatte écaille. Ledos arqué, l’échine hérissée, ellemontra les crocs et sa queuedressée doubla de volume.
« Qu’est-ce que tu fais dansmon jardin ?
La gorge d’Étoile de Feu senoua. Apparemment, certainschats domestiques étaient prêts
à défendre leur territoire.« Écoute, ne te fâche pas !
Je… »Toutes griffes dehors, la
chatte s’élança aussitôt vers luiet le renversa dans l’herbe.
« Courtaud ! » miaula Étoilede Feu.
Il se débattit de toute la forcede ses pattes arrière, mais neréussit pas à la repousser. Ellelui lacéra le flanc.
« Espèce de sale intrus ! »rugit-elle à son oreille.
Étoile de Feu se contorsionnapour arriver à lui attraper la
nuque. C’est alors qu’il entenditun miaulement furieux, aussitôtsuivi de feulements menaçants.Son assaillante cessa de pesersur lui. Encore secoué par cetteattaque, il resta allongéquelques secondes, louantCourtaud pour son intervention.
Puis il se releva et laissaéchapper un cri de surprise. Cen’était pas Courtaud qui l’avaitsauvé, mais Tempête de Sable.Les deux chattes roulaient ausol avec des grondementssauvages. Tempête de Sable finitpar saisir l’oreille de la chatte
tigrée entre ses crocs. Celle-ci sedégagea en poussant unhurlement de douleur et s’enfuitvers le nid des Bipèdes, sansdemander son reste.
« Tempête de Sable ! haletaÉtoile de Feu à la vue de sacompagne couverte de griffures.
— Estime-toi heureux que jesois intervenue pour te sauver lapeau ! feula-t-elle.
— Je ne te l’ai pas demandé,rétorqua-t-il sèchement. J’auraispu me débrouiller tout seul ! »
Elle eut un sourire narquois.« Ben voyons ! »
Ce n’était pas ainsi qu’Étoilede Feu avait imaginé leursretrouvailles.
« Écoute…— Tout va bien ? les
interrompit Courtaud enpassant la tête entre deuxplanches. Génial ! Tu l’asretrouvée !
— Non, c’est moi qui l’aitrouvé ! grommela la chatte avecune nuance de regret dans lavoix. Je suis étonnée que tu tesois donné la peine de mechercher ! Après tout, je ne suisqu’un simple membre du Clan.
Quand on pense à tous ces chatsinconnus qui semblentdépendre de toi un peu partout !Pourquoi n’es-tu pas partit’occuper d’eux, plutôt ? »
Étoile de Feu était trop épuisépour riposter. Il s’approchad’elle, huma son odeurréconfortante.
« Je t’aurais cherchée sansfin. Je ne serais jamais partisans toi. »
Elle soutint longuement sonregard.
« J’étais sincère, quand je t’aidit que je voulais t’accompagner
pour ce voyage, miaula-t-elle. Àcondition que je partage tamission. Je veux comprendrepourquoi tu dois aider ce Clan etparticiper à cette quête au mêmetitre que toi.
— Mais le Clan des Étoiles n’aenvoyé ces rêves qu’à moi…
— Ce n’est pas vrai. EtFicelle ? Ce Clan doitdésespérément chercher del’aide s’il s’adresse même auxchats domestiques ! Deux chatsvalent sûrement mieux qu’un,non ? »
Étoile de Feu posa son
museau contre celui de sacompagne. Il se souvenait de cequ’il avait ressenti en pensantl’avoir perdue à jamais.Maintenant, il savait qu’il nepourrait terminer ce voyage sanselle à ses côtés.
« Désolé de vous interrompre,miaula le matou depuis sonperchoir. Mais vous comptezrester là à bavarder toute lanuit ? »
Étoile de Feu et Tempête deSable échangèrent un longregard qui en disait plus quemille mots.
« Excuse-moi, Courtaud. Est-ce que tu pourrais nous montrercomment repartir d’ici ?
— Il faut qu’on retourne versla rivière, ajouta la chatte.
— Facile ! Suivez-moi. »Courtaud leur fit traverser les
jardins, puis un petit Chemin duTonnerre et enfin un passageétroit entre deux nids deBipèdes.
« Ce n’est plus très loin »,annonça joyeusement le matou.
Étoile de Feu pouvait déjàhumer l’odeur de la rivière etentendre le bruissement de
l’eau.« Merci. Merci pour tout !
Sans ton aide, je n’aurais jamaisretrouvé Tempête de Sable.
— Et merci aussi d’avoir fichuune sacrée frousse à ces deuxpetits de Bipèdes ! »
Le matou se donna deuxcoups de langue sur la poitrinepour cacher son embarras.
« Bonne chance à vous ! J’aicomme l’impression que vousallez en avoir besoin, tous lesdeux !
— Tu as raison, admitTempête de Sable.
— J’espère qu’on aural’occasion de se revoir un jour,miaula Courtaud.
— Moi aussi, je l’espère ! » ditÉtoile de Feu en le saluant de laqueue.
Puis, sous le regard du chatbrun, il s’engagea dans unesente entre deux haies deronces, suivi de sa compagne.
CHAPITRE 14
CHAPITRE 14
DURANT TOUTE LA NUIT,Tempête de Sable et Étoile deFeu remontèrent lentement lesberges de la rivière sous un fincroissant de lune. Ils laissèrent
derrière eux des nids de Bipèdesenglués dans la boue del’inondation et durent fairequelques détours pour évitercertaines flaques tropimportantes.
Puis apparurent les premièreslueurs laiteuses de l’aube et lesguerriers du Clan des Étoiless’éteignirent tour à tour.
« Tu penses qu’on devraitmanger maintenant ? suggéraÉtoile de Feu pour que sacompagne n’imagine pas qu’ilprenait toutes les décisions toutseul. Ensuite, on pourrait se
reposer un peu. »Elle écarquilla les yeux, prit
un air consterné.« Quoi ? Se reposer ?
Manger ? Espèce de cervelle desouris ! On ferait mieux decontinuer à avancer !
— Bon… Si c’est ce que tuveux…
— Mais non, stupide boule depoils ! Je plaisantais ! C’est uneexcellente idée de manger unmorceau et je suis tellementfatiguée que je dorspratiquement sur mes pattes !Tiens… je sens même une odeur
de campagnol, pas loin ! »Étoile de Feu repéra aussitôt
le petit rongeur.« Si on ne se dépêche pas, il
va nous passer sous le museau.— Reste là », murmura-t-elle
en contournant le rongeur parl’arrière.
Quand celui-ci remarqua saprésence, il paniqua et seprécipita droit sur Étoile de Feuqui lui brisa la nuque d’un seulcoup de patte.
« Très judicieux ! s’exclama lematou quand elle vint lerejoindre en secouant ses pattes
trempées de boue.— Ne t’attends pas à ce que
j’en fasse une habitude ! Jen’appartiens pas au Clan de laRivière ! »
Pendant qu’ils partageaientleur proie, la chaleur du soleilimprégnait délicieusement leurpelage.
« Cherchons-nous un endroitconfortable, maintenant. »
Tempête de Sable se contentade bâiller.
Quelques pas plus loin, ilstrouvèrent un carré d’herbetendre et épaisse au pied d’un
buisson épineux. Ils seblottirent l’un contre l’autre.Étoile de Feu soupira d’aise.Cela faisait si longtemps qu’il nes’était pas senti aussi détendu !
Étoile de Feu se tenait sur laberge de la rivière, mais nereconnaissait pas la végétation.Comme Tempête de Sablen’était nulle part en vue, ils’affola. Puis il aperçut unimportant groupe de chats, dontcertains avaient l’air épuisés.Des miaulements d’adultes etdes gémissements de chatons se
firent plus distincts.« C’est encore loin ?
demandait un chaton.— J’ai les pattes en compote,
ajouta une petite chatte écaille.— On arrive bientôt, les
rassura leur mère, unemagnifique reine grise, en leurdonnant un coup de langued’encouragement. Ensuite ontrouvera un bel abri tout neuf.
— Moi, je ne veux pas d’unnouvel abri, protesta un chaton.Je veux retourner à notre camp.
— Notre foyer a disparu. LesBipèdes l’ont pris. Mais nous
allons en trouver un autre. Bienmieux. Vous verrez. »
Sur un muret, Étoile de Feureconnut le matou gris et blancqu’il avait déjà vu dans le jardinde Ficelle. Il se tenaitmajestueusement au bord de larivière, la tête tournée versl’amont.
« Tu crois que c’est la bonnedirection ? demanda-t-ilcalmement.
— C’est toi, notre chef,rétorqua une chatte tigrée assiseà côté de lui. C’est à toi dedécider. Je n’ai reçu aucun signe
du Clan des Étoiles depuis quenous avons quitté la forêt.
— Le Clan des Étoiles ne sepréoccupe pas de nous, Patte deBiche. Sinon il n’aurait jamaispermis aux autres Clans de nouschasser. Il ne nous reste plusqu’à avancer jusqu’à ce qu’ontrouve un endroit pour yinstaller notre camp », répondit-il tristement en baissant la tête.
Étoile de Feu se figea quandun chaton tigré fonça droit surlui. Il s’attendait à ce que celui-ci le voie et donne aussitôtl’alerte, mais il le frôla sans le
remarquer.Après avoir réalisé qu’aucun
des chats ne pouvait déceler saprésence, Étoile de Feucommença à se promener parmieux. Il fut horrifié par leurmaigreur, leurs côtes apparentessous leur pelage terne et négligé.
Un ancien était allongé sur leflanc, le souffle court.
« Je ne peux plus avancer,gémit-il faiblement. Continuezsans moi.
— Crotte de souris ! grognaun guerrier roux pâle. Aucun denous ne sera abandonné. »
L’ancien ferma les yeux etsoupira :
« Nous n’aurions jamais dûquitter la forêt. »
Une chatte tigrée vint seplanter à côté du guerrier.
« On trouvera un endroitformidable pour s’installer, c’estpromis !
— Bien mieux que l’ancien. Etsans les autres Clans pour nousennuyer. Plus d’attaques sur nosfrontières, plus de proies volées.Et surtout plus de Bipèdes ! Cesera notre territoire à nous.
— On va te chercher une proie
toute fraîche, miaula la chattetigrée, et tu vas retrouver tesforces. Viens, allons chasser ! »ajouta-t-elle en s’adressant aumatou roux.
Les deux félins s’éloignèrentet inspectèrent les haiesd’aubépine. Installé sur unebranche basse surplombant larivière, un écureuil grignotaitune noisette. La chatte tigrée fitun bond impressionnant etl’attrapa dans ses mâchoirespuissantes avant de retombersur le sol, la proie entre lespattes.
Étoile de Feu l’observait avecadmiration. Quelle prise ! Iln’avait jamais vu de chat sauteraussi haut. Il fut d’abord étonnéque le matou roux ne la félicitepas, puis il remarqua que lesdeux chats avaient des pattesarrière particulièrementmusclées. Bondir devait être ledon propre au Clan du Ciel.
Les chasseurs rapportèrentleur proie auprès de leur Clan.D’autres guerriers avaientattrapé des campagnols, maiscela restait insuffisant. Ilremarqua que la maigre
nourriture était partagée entreles anciens, les mères et lespetits d’abord, selon lespréceptes du code du guerrier.
Quand les chats du Claneurent dévoré les proies, le chefgris et blanc s’approcha d’eux.
« Il est temps d’y aller »,miaula-t-il.
Tous se dressèrent sur leurspattes et le chef prit la tête de lapetite troupe, vers l’amont de larivière. Le matou roux et lachatte tigrée aidaient le vieuxfélin noir et blanc à bout deforces. Quand ils passèrent
devant Étoile de Feu, celui-ci serendit compte qu’il pouvait voirla rivière et l’herbe à travers leurpelage. Les chats du Clan du Cielsemblèrent entrer un à un dansune nappe de brume et Étoile deFeu cligna des yeux en seréveillant sous une haie baignéede soleil.
Durant les trois levers desoleil suivants, Étoile de Feu etsa compagne continuèrent leurvoyage. La rivière devenait deplus en plus étroite, écumantsur les cailloux pointus. Partout
demeuraient des traces dupassage de la grosse vague quiavait emporté Tempête de Sable.Des branches brisées, des débrisaccrochés dans les haies, desflaques de boue sur le chemin.Sur les rives, des poules d’eauappelaient tristement leurspoussins disparus.
« Tu penses que c’est encoreloin ? miaula Tempête de Sable.Si la rivière continue à rétrécircomme ça, elle va carrémentdisparaître.
— Tu as raison. Nous devrionscommencer à chercher des
traces du Clan du Ciel.— Quelle sorte de traces ? Des
marquages de territoire ?— Je ne pense pas. Cela
signifierait qu’il existe toujoursun Clan qui protège sonterritoire. Le chat du Clan duCiel m’a laissé entendre que leClan avait été décimé.
— Il doit forcément en resterquelques membres, sinon je nesais pas ce qu’on fait ici !
— Il reste peut-être quelqueschats qui essaient de vivre selonle code du guerrier.
— Je me demande s’ils savent
encore qui ils sont et d’où ilsviennent. »
Devant eux se dressait unerangée de collines. Un refugeparfait pour un Clan qui fuyaitles autres chats et les Bipèdes.Le chemin devint plussablonneux ; les pattes deTempête de Sable et d’Étoile deFeu se teintaient d’ocre et leursyeux brûlaient à la moindrebrise. Le soleil était encorechaud et les deux félinsaccueillirent l’ombre des arbresavec soulagement.
Quand deux ou trois nids de
Bipèdes apparurent, la fourrured’Étoile de Feu se hérissa.Allaient-ils encore devoir seperdre dans le dédale de leursjardins ? Le chemin passait justeà côté des nids et une portée depetits Bipèdes courait dansl’herbe en braillant.
« Voyons si on peut lescontourner », suggéra Tempêtede Sable.
Elle trouva un passage dans lahaie et ils firent le tour du jardinpour rejoindre un étroit Chemindu Tonnerre.
« Tu crois qu’il est prudent de
traverser ? » demanda Étoile deFeu.
Sans même répondre, lachatte franchit le ruban noird’un pas décidé. Ils coupèrentensuite à travers une prairie quiles mena jusqu’au cours d’eau.Des cris de petits Bipèdesparvinrent à leurs oreilles.
« Et moi qui croyais qu’onéviterait ces fichus Bipèdes enne traversant pas leurs nids ! »rouspéta la rouquine.
À cet endroit, la rivières’élargissait un peu, formantune espèce de bassin dans
lequel les petits se jetaient, sousle regard de femelles bipèdesassises sur des peaux.
« Jouer dans l’eau ! fitTempête de Sable en fronçant lenez de dégoût. Quelle drôled’idée ! J’ai toujours su que lesBipèdes étaient fous. Ils vontgeler à mort, sans poils ! »
C’est alors que deux d’entreeux se mirent à courir dans leurdirection en hurlant, sûrementpour les attraper. Sans plusattendre, les deux chatsdécampèrent en direction d’ungros buisson de ronces.
Heureusement, les femellesbipèdes rappelèrent leurs petitsqui firent aussitôt demi-tourpour retourner dans le bassin.
Quand ils purent enfins’arrêter, Tempête de Sabledressa les oreilles.
« J’entends quelque chose »,miaula-t-elle.
C’était un doux rugissement,semblable à celui des chutesd’eau sur le territoire du Clan dela Rivière. Ils avancèrent avecprudence jusqu’au tournantsuivant.
Devant eux, l’eau limpide
roulait doucement sur lespierres rondes, puis se fracassaitcontre les rochers avant detomber dans un bassin. L’airétait saturé d’une brumebienfaisante irisée sous lesrayons du soleil.
Étoile de Feu resta unmoment immobile, appréciantcette fraîcheur qui recouvraitson pelage de mille gouttelettesscintillantes. Tempête de Sables’aventura au bord d’un rochersurplombant le bassin.
« Sois prudente ! Les pierresdoivent être glissantes ! »
miaula-t-il.Sans hésiter, elle s’approcha
de l’eau et y plongea une patte.Un éclair d’argent jaillit et unpoisson retomba sur le rocheren se tortillant. Elle l’assommad’un vigoureux coup de pattepour l’empêcher de retomberdans le bassin.
« Dis donc ! Pour quelqu’unqui ne veut pas ressembler à unchat du Clan de la Rivière !plaisanta Étoile de Feu enbondissant vers elle.
— Cette créature stupide m’apresque suppliée de
l’attraper ! » lança-t-elle enposant le poisson devant lui.
Généralement, les chats duClan du Tonnerre nemangeaient pas de poisson,mais Étoile de Feu trouva cettechair inhabituelle délicieuse etdévora sa part en quelquesbouchées. Tout en nettoyant sesmoustaches, il observait lafalaise couverte de mousse et defougères.
« Cela ne devrait pas être tropdifficile à escalader miaula-t-il.On devrait essayer avant que lesoleil ne se couche. »
Il planta ses griffes dans larocaille, pétri d’angoisse à l’idéede perdre l’équilibre et detomber dans le bassin. La pierreétait mouillée et la mousse sedérobait parfois sous ses pattes.De temps à autre, les fougères legiflaient, le douchant aupassage.
Quelques instants plus tard, ils’arrêta à bout de souffle. Ilregarda vers le bas pour voir oùen était Tempête de Sable. Ellesemblait tenir en équilibreprécaire sur une étroite sailliesuspendue au-dessus du
précipice.« Tu es bloquée ? Tiens bon,
je vais descendre pour t’aider.— Reste là où tu es, ordonna-
t-elle. Je peux me débrouillertoute seule ! »
Étoile de Feu agitanerveusement la queue.Pourquoi devait-elle toujoursprouver qu’elle n’avait besoin depersonne ?
« Ne fais pas ta cervelle desouris ! Tu ne peux pas…
— Je te dis que je medébrouille ! Inutile de nousmettre en danger tous les deux.
Il faut bien que l’un de noussurvive pour trouver ce Clan duCiel ! »
Avec des mouvementsprudents et calculés, elle pritappui de ses pattes arrière surune minuscule aspérité etréussit à le rejoindre d’un bondpuissant.
Étoile de Feu l’attendait, lecœur battant.
« Tu vois ? Je t’avais bien ditque j’y arriverais ! »
Ils continuèrent leur difficileescalade et, une fois parvenusau sommet de la cascade, ils se
laissèrent tomber sur l’herbe,épuisés et haletants.
« Désolée », miaula-t-elledoucement à l’oreille d’Étoile deFeu quand ils furent installés enboule, l’un contre l’autre.
Le soleil était près de secoucher et la rivière reflétait leciel rouge, en partie masqué parles ombres longilignes desarbres. Ils avaient repris leurmarche, suivant les gorgesabruptes qui surplombaientl’eau.
Quand la pénombre etl’humidité commencèrent à
rendre leur progression pluspénible, Tempête de Sablemarqua une pause.
« On devrait chercher unendroit pour passer la nuit,suggéra-t-elle. S’il y a des tracesdu Clan du Ciel ici, on risque deles manquer dans cetteobscurité. »
Bien qu’il fût pressé depoursuivre sa route, Étoile deFeu savait qu’elle avait raison.Ils trouvèrent refuge sous unbuisson d’églantines. Le solsablonneux était confortable ettous deux s’endormirent très
vite, lovés l’un contre l’autre.Le jour qui filtrait entre les
branches réveilla Étoile de Feu.Quand il découvrit que Tempêtede Sable n’était plus là, ilpaniqua. Il se glissa hors de leurabri de fortune et cligna desyeux, ébloui par le soleil.
À son grand soulagement, il lavit se diriger vers lui.
« J’ai pensé que c’était lemoment idéal pour allerchasser, dit-elle. Mais je n’airien trouvé. »
Habituellement bonnechasseuse, elle semblait dépitée.
« Ne t’en fais pas. Ondébusquera du gibier en chemin.Il y en a forcément quelquepart. »
À la lumière du jour, ilremarqua que l’environnementétait très différent des paysagesluxuriants qu’ils avaienttraversés au bas de la cascade.Les falaises abruptes de la gorges’étaient adoucies en pentessablonneuses où poussaientquelques arbres rabougris et destouffes d’herbes hautes. Lechemin bordant l’eau avaitpratiquement disparu et ils
durent contourner des rocherspour avancer. Ils avaient beauhumer l’air en quête de proies,ils ne purent en détecter lamoindre trace.
« C’est mauvais signe, miaulaÉtoile de Feu après un moment.Il n’y a pas assez de place pourinstaller un camp ici, près de larivière. On ferait mieux degrimper un peu plus enhauteur. »
C’est ce qu’ils firent, sans tropde difficultés.
À leur grande déception, ilstombèrent sur un Chemin du
Tonnerre.« On va éviter de s’attarder »,
grommela le rouquin quandTempête de Sable le rejoignit.
Sa compagne humait déjàl’air.
« Des lapins ! » lança-t-elle, lamine gourmande.
Étoile de Feu ne se faisaitguère d’illusions. Habitué àchasser dans la forêt, il ne sesentait pas la force depoursuivre des lapins, bien troprapides à son goût.
« Continuons, plutôt. Onchassera plus loin. »
En longeant le bord de lagorge, ses pattes commencèrentà frémir. Il sentait la présencede chats ! Les sens en alerte, iltenta de reconnaître l’odeur duClan du Ciel. Après sesnombreuses rencontres, elle luiétait désormais familière.Pourtant, celle qu’il perçut étaittotalement différente.
Tempête de Sable, qui avaitpris un peu d’avance, s’arrêta aupied d’un arbre pour en humerle tronc.
« Viens voir ça ! »Étoile de Feu examina les
traces de griffes gravées dansl’écorce. L’odeur était pluspuissante, aussi.
« C’est un chat qui a posé sesmarques, miaula-t-elle.
— Avec des griffesimpressionnantes, en plus !Allons voir ce qu’on peuttrouver d’autre. »
Un peu plus loin, un nuage demouches tourbillonnait à unehauteur de queue du sol et ilsfaillirent trébucher sur ladépouille d’un lapin à demidévoré.
Étoile de Feu recula aussitôt,
dégoûté.« Berk ! De la chair à
corbeau ! »La chatte s’approcha pour
l’inspecter plus en détail.« C’est un chat qui a dû le
tuer, ce lapin n’est pas mortnaturellement. Il y a aussi desodeurs de chat dessus. Sansdoute un chasseur solitaire,sinon la proie aurait été dévoréeen entier.
— Ils doivent être sacrémentrapides pour attraper des lapins.Et puis, l’odeur n’est pas lamême que celle du tronc griffé.
Ce sont des chats errants quin’appartiennent pas à un Clan,conclut Étoile de Feu.
— N’est-ce pas ce qu’avait ditton visiteur du Clan du Ciel ?Qu’ils s’étaient éparpillés ? »l’interrogea Tempête de Sable.
Il ne répondit pas. Jusqu’à cejour, il ne s’était pas imaginé latâche qui l’attendait :rassembler des chats errants etdes chats domestiques, traiterchaque nouveau venu commeun apprenti et non pas commeun chaton qui connaît déjà lecode du guerrier, pour leur
inculquer la vie en Clan. Il serrales dents, déterminé àpoursuivre sa quête.
Le soleil était déjà bas quandils parvinrent à une petite plagede sable, creusée de trous : desterriers. Soudain, un lapereaudéboula à quelques mètresd’eux. Étoile de Feu se lançaderrière lui, mais fut vitedépassé par Tempête de Sablequi plaqua la bête au sol.
Il la rattrapa.« Bien joué ! Maintenant, te
voilà aussi membre du Clan duVent ! » miaula-t-il, admiratif.
Ils dévorèrent leur proierapidement et s’installèrentdans un petit creux bienconfortable, repus.
« Tu as l’air d’avoir repris dupoil de la bête, lui glissaTempête de Sable. Je suiscontente d’être là, avec toi. »
Étoile de Feu lui effleural’oreille du bout de la truffe.
« Moi aussi, je suis contentque tu sois là. Je ne pense pasque j’y arriverais sans toi. »
Ils passèrent la nuit entre lesracines d’un énorme chêne,
entourés des senteurs de sève etd’écorce et du doux bruissementdu feuillage. Étoile de Feus’endormit avec l’impressionréconfortante de se retrouverdans sa forêt.
C’est le soleil qui le réveilla. Ilouvrit les yeux, soudain affolé.Comment avait-il pu dormiraussi longtemps ? Puis il serendit compte que le paysageautour de lui n’était plus du toutle même. Il se trouvait dans unesorte de caverne aux murs desable, bercé par leronronnement de chats
endormis. L’odeur du Clan duCiel était entêtante. Non loin delà, il vit les silhouettes deguerriers, roulés en boule sur untapis de mousse et de bruyère.
Une ombre se dressa àl’entrée de la caverne et ilreconnut le gros matou rouxqu’il avait déjà aperçu dans sesvisions, près de la rivière. Il pritpeur. Comment tous ces chatsréagiraient-ils à son intrusion ?Mais le matou regardait droitdevant lui et Étoile de Feucomprit qu’une fois de plus ilétait invisible aux yeux des chats
du Clan du Ciel.« Debout ! dit le matou. Il est
temps d’y aller. »Tout autour d’Étoile de Feu,
les guerriers levèrent la tête.Une chatte tigrée s’étira.
« Pas de panique, Plume deBuse. On arrive.
— Entendu, Aile de Bruyère,tu dirigeras la patrouille del’aube. Prends quelques chatsavec toi et gardez l’œil sur cerenard que nous avons repéré del’autre côté de la gorge.
— Ne t’en fais pas. Si on lecroise, il finira en chair
corbeau. »Le matou roux traversa la
caverne et secoua du bout de lapatte une chatte couleur sable.
« Allez, debout, Dent deSouris ! Tu viens chasser avecmoi et on prendra Nuage deChêne en passant. »
Puis, se tournant vers unmatou noir, il ajouta :
« Et toi, Pelage de Nuit, tupeux diriger une autre patrouillede chasse. »
Tous les chats s’étaient levéset s’ébrouaient pour débarrasserleur fourrure des brins de
mousse et de bruyère.« Ceci est notre foyer,
maintenant, miaula Plume deBuse en regardant autour de luiavec satisfaction. Enfin ! »
C’est alors que l’image entièrese dissipa et Étoile de Feu seréveilla dans l’aube grise. Lavoix de Plume de Buse résonnaitencore à ses oreilles. Ceci estnotre foyer…
Impatient, il sortit de son abriet interrogea du regard le ciellaiteux.
Était-ce aujourd’hui qu’ilallait retrouver le Clan perdu ?
« Je suis là ! » miaula-t-ild’une voix assez forte.
Il entendit alors lesgrattements d’une souris àquelques pas. Il se ramassa etbondit sur elle, la tuant d’uncoup de dents dans la gorge.
Puis il la posa devant le nezde Tempête de Sable.
Les moustaches de sacompagne frétillèrent degourmandise.
« Allez, il est l’heure de telever ! dit-il. Ton repast’attend. »
Ils reprirent le chemin le long
de la falaise, mais les odeurs dechats se firent rares et ils netrouvèrent aucun indice leurindiquant où le Clan avait pu serendre.
Quand, au détour d’un rocher,Tempête de Sable se pencha versle fond de la gorge, elle laissaéchapper un cri.
« Regarde ! La rivière adisparu ! »
CHAPITRE 15
CHAPITRE 15
ABANDONNANT LA PROIE QU’IL
PISTAIT, Étoile de Feu seprécipita vers elle. En effet, aufond de la gorge aux paroisabruptes, il n’y avait que des
cailloux rouges. Pas la moindregoutte d’eau.
Son cœur s’affola.« Nous avons dû dépasser le
campement du Clan du Ciel. Lechat gris et blanc m’avait dit delonger la rivière.
— Crotte de souris ! On feraitmieux de descendre pourrebrousser chemin. »
Étoile de Feu prit les devants.Ils s’engagèrent dans la pente,posèrent prudemment les pattessur le sol instable ets’équilibrèrent du poids de leurqueue pour ne pas être
précipités vers le fond de lagorge en provoquant un éboulisde petits cailloux. Étoile de Feus’imaginait déjà en train derouler dans le ravin où il nemanquerait pas de se briserl’échine.
La chaleur devenaitintolérable et, mourant de soif,le matou avait l’impression queson pelage allait prendre feu. Ildérangea un lézard qui paressaitsur un rocher ; quand l’ombredu chat passa au-dessus de lui,le reptile fila sans demander sonreste.
« En tout cas, on ne mourrapas de faim ! » fit-il remarquer.
Tempête de Sable fronça lenez.
« Ce sont seulement les chatsdu Clan de l’Ombre qui senourrissent de bestioles àécailles. Il faudrait que je soistrès affamée pour manger ça. »
Ils finirent par atteindre lefond de la gorge. À part quelquestouffes d’herbes rêches et desbuissons d’épineux rabougris, iln’y poussait rien. Pas d’abris,pas de broussailles permettantaux chats de se mettre à l’abri
d’éventuels prédateurs.« Heureusement que nous
sommes couleur terre, murmuraTempête de Sable. Nos pelagesnous aident à passer inaperçus.
— Reste tout de même sur tesgardes. On ne sait pas ce quipourrait rôder ici. »
Le soleil glissait vers l’horizonet l’air devint plus frais, plushumide.
« J’entends la rivière ! »s’écria Tempête de Sable.
Étoile de Feu accéléra le pas,regrettant le sol moelleux de laforêt quand ses coussinets se
blessèrent sur les caillouxpointus. Ils durent escalader unmonticule de pierres rougespour déboucher sur une sorte deplateau ; là, ils aperçurent unbassin en forme de lune danslequel se déversait un petitruisseau, à peine un filet d’eau.
« C’est donc ici que la rivièreprend sa source ! » s’exclamaTempête de Sable.
Étoile de Feu inspecta lesalentours, s’attendant presque àvoir la pâle silhouette desguerriers du Clan du Ciel entrain de les observer.
Aucun chat en vue. Mais dansles parois de la falaise,s’ouvraient plusieurs cavernes,reliées entre elles par de petitssentiers.
Il se rappela avoir rêvé d’unegrotte aux murs sablonneux, etles paroles encourageantes dulieutenant lui revinrent enmémoire.
« Nous y sommes, dit-il à sacompagne.
— Tu crois que le Clan du Cielvivait dans ces grottes ? Ilsdevaient donc escalader cesfalaises plusieurs fois par jour !
— Oui, je pense.— Je meurs de soif ! Je ne
continuerai pas avant d’avoirbu. »
Ils redescendirent tous deuxjusqu’au bassin et se penchèrentpour se désaltérer de cette eaudélicieusement fraîche.
« Regarde, là ! miaulaTempête de Sable. Des traces depattes dans la boue.
— Ça pourrait être un chaterrant ou un chat domestiqueplus aventureux que les autres.
— Ce serait vraiment très, trèsaventureux pour un chat
domestique ! Allons explorer cesgrottes. »
Ce côté de la rive était encoreplus abrupt que celui par lequelils étaient descendus. Étoile deFeu eut toutes les peines dumonde à ne pas glisser sur lescailloux et, une fois sortis del’ombre, ils furent happés par lachaleur implacable du soleil.
Mais quand ils atteignirentles premiers sentiers,l’ascension devint plus facile.Étoile de Feu se dirigea versl’entrée la plus haute, quisemblait également être celle de
la plus grande caverne. Il eut lacurieuse impression dereconnaître l’endroit. La grotteavait plusieurs fois la surface desa propre tanière, au camp duClan du Tonnerre. L’intérieurétait frais et ombragé, et le solsablonneux. Protégée de la pluieet de la chaleur torride, lacaverne offrait de plus un refugedifficile à atteindre par desennemis.
Qu’avaient ressenti les chatsdu Clan du Ciel en ladécouvrant ?
« Qu’est-ce que tu penses de
ça ? demanda Tempête de Sableen désignant de la queuequelques niches creusées dansle sol, au fond de la grotte.Remplies de mousse et defougères, elles feraient des nidstrès confortables, non ?
— Oui, mais où trouveraient-ils de la mousse et desfougères ? Je n’en ai vu nullepart dans la gorge.
— Il en pousse peut-être enhaut de la falaise. »
Étoile de Feu inspiraprofondément, cherchant àidentifier les nombreuses
odeurs qui se mêlaient à l’air :des souris, des campagnols etmême des chats. Aucune d’entreelles n’était récente.
« Allons explorer les autresgrottes », suggéra-t-il en sedirigeant vers la sortie.
Là, il s’arrêta net.« Tu as vu ça ? » murmura-t-
il.D’un côté de l’entrée, se
trouvait une sorte de colonne enpierre dont la base étaitmarquée de coups de griffe.Osant à peine respirer, Étoile deFeu s’approcha et posa sa propre
patte sur les empreintes.« Ça coïncide », souffla
Tempête de Sable.En effet, les griffes d’Étoile de
Feu entraient parfaitement dansles rainures, comme si c’était luiqui avait laissé ces marques. Ilfrissonna. C’était sans doute lapremière trace tangible del’existence du Clan disparu.
Puis il remarqua de petitesmarques transversales.
« Regarde celles-ci ! Elles ontpeut-être été faites par les petits.
— Pourquoi auraient-ils faitdes marques dans ce sens ?
— Les petits font souvent deschoses bizarres. Mais peuimporte. C’est bien l’endroitqu’on cherchait. C’est là qu’ilsont implanté leur camp, conclutÉtoile de Feu avec assurance.
— Et où sont-ilsmaintenant ? »
Ils passèrent le reste de lajournée à explorer les autresgrottes. Ils continuèrent àtrouver des traces de griffes,prouvant que ces lieux avaientjadis été habités par des chats.
« Et là ! miaula Tempête de
Sable dans une des cavernes.Rien que des petites marques !Ce devait être la pouponnière,ici.
— Oui, derrière ces pierres,les reines et leurs petitsdevaient être parfaitementprotégés des ennemis. »
La chatte avança vers le fondde la grotte.
« Il y a en effet des creux plusgrands. On les dirait prévus pourune reine et sa portée. »
Plus loin, dans la falaise, ilstrouvèrent des cavités pluspetites, sans doute les tanières
pour les apprentis, le guérisseuret le chef du Clan. Puis ilsrevinrent à la première caverne.
« Je pense que ce devait êtrela tanière des guerriers. C’estspacieux et tout en haut de lafalaise. Cela leur permettait deprotéger le reste du Clan si desrenards ou des Bipèdesessayaient de descendre. »
Tempête de Sable huma l’air,songeuse.
« Il y a une odeur de chat, ici.Pas récente, mais c’est la seulequ’on ait pu déceler jusqu’àprésent. Un chat au moins a
séjourné ici au cours de ladernière lune. »
Étoile de Feu fit le tour de lagrotte et son regard fut attiré pardes débris blancs entre unepierre et le mur. De sa patte, il letira vers lui. Un tas de petits os.
« Une souris où uncampagnol. Tu as raison, deschats sont venus ici, mais ondirait qu’ils n’y séjournent pasen permanence. Sinon il y auraitdes odeurs fraîches.
— Je me demande pourquoiils y viennent. »
Mais ni l’un ni l’autre n’avait
de réponse à proposer.La nuit était maintenant
tombée. Ils remontèrentjusqu’au haut de la falaise et semirent tous deux à chasser. Puisils retournèrent dans la grottedes guerriers pour y passer lanuit.
« Je suis si éreintée que jepourrais dormir durant une lunecomplète », soupira Tempête deSable.
Sa respiration régulièreindiqua bientôt à Étoile de Feuqu’elle s’était endormie. Il restaassis à côté d’elle et observa la
caverne en l’imaginant telle qu’ill’avait vue dans son rêve : unedouce chaleur, des corps entrain de respirer paisiblementdans des nids de mousse et defougères, un guerrier quimontait la garde, tout commelui maintenant.
Il cligna des yeux et les chatsdisparurent. La lumière pâle dela lune parvenait jusqu’à lui,caressant son pelage. Mais pasun son, pas une silhouettelumineuse ne vint déranger lesombres.
Se sont-ils dispersés depuis
trop longtemps ? se demandaÉtoile de Feu. Ai-je le moindreespoir de trouver leursdescendants ? Ou suis-je arrivétrop tard ?
CHAPITRE 16
CHAPITRE 16
DES BRUITS DE VOIX
réveillèrent Étoile de Feu. Enbâillant, il songea qu’il étaittemps de se lever pour s’assurerque la patrouille de l’aube était
partie. Mais ce n’était pas danssa tanière de la forêt qu’il avaitouvert les yeux. Il se trouvaitdans la caverne vide, l’anciencamp du Clan du Ciel, Tempêtede Sable lovée contre lui.
Elle leva la tête.« J’ai l’impression d’avoir
entendu quelque chose.— Moi aussi. »Il se dressa, entendit des
grattements au-dessus de sa têteet détecta une forte odeur dechat. Le jour se levait à peine etl’air frais le fit frissonner.Quand il pointa le nez hors de la
grotte, il aperçut une queue dechat tigrée qui disparut sous unbuisson.
« Il est là ? miaula un chatavec nervosité.
— Je crois », chuchota unautre.
Étoile de Feu tendit le cou etvoulut leur répondre, mais iln’en eut pas le temps. Desgravillons dégringolèrent duhaut de la falaise, le manquantde quelques moustaches.
Des ronronnements amuséssuivirent.
« Tu as trouvé ce que tu
cherchais, espèce de vieilleboule de poils ? demanda lepremier.
— Ça ne m’étonne pas que tun’aies pas de copains, avec tonhaleine de chien ! ajouta laseconde voix. Je parie que tu nepeux pas nous attraper, sac àpuces ! »
Une autre pierre dévala lafalaise, manquant de peu Étoilede Feu. Puis il entendit les chatsdétaler vers les buissons enpoussant des miaulements detriomphe.
Furieux, il s’élança à leur
poursuite, mais ils étaient bienplus vifs que lui. Il eut tout demême le temps de voir leurpelage avant qu’ils nedisparaissent dans un jardin deBipèdes : l’un tigré foncé etl’autre écaille.
« Crotte de souris ! lâcha-t-il,contrarié.
— Qu’est-ce qui s’est passé ?demanda Tempête de Sable en lerejoignant.
— Je ne sais pas, mais si lesmembres de mon Clan meparlaient de cette manière, ilspasseraient la lune suivante à
chercher les tiques sur nosanciens ! »
La chatte frotta sa truffecontre la sienne.
« Ils ne savent pas que tu esÉtoile de Feu, le chef du Clan duTonnerre, le consola-t-elle. Ils teprennent sans doute pour unchat errant qui essaie de leurchiper leur territoire.
— Je n’en suis pas sûr. Ilspensaient qu’il n’y avait qu’unseul chat et ne nous ont doncpas vus arriver. Et leurs insultesprouvent qu’ils savaientpertinemment à qui ils
s’adressaient.— Alors il doit y avoir un
autre chat dans le coin. Peut-être celui qui a laissé lesossements dans la grotte…
— Peut-être. »Étoile de Feu explora un
instant les buissons alentour etréussit à relever plusieursodeurs de chats, mais aussi desouris et d’oiseaux.
« Pas de renard ni deblaireau ! miaula Tempête deSable, en revenant vers lui aprèssa propre inspection.
— C’est déjà ça ! La plupart
des traces proviennent de chatsdomestiques, y compris lesfraîches de nos visiteurs.J’aimerais leur parler. Ils saventpeut-être si des félins ont vécuici, dans les grottes. »
La chatte fronça le nez.« C’est possible, mais
voudront-ils nous le dire ? »Il ne répondit pas et descendit
lentement vers le fond de lagorge. De là, il remarqua laprésence d’autres grottes, sur lafalaise en face.
« Je me demande si le Clandu Ciel s’est servi de celles-ci,
miaula-t-il en les montrant à sacompagne.
— Dans ce cas, ils formaientun Clan important. Il y avaitdéjà beaucoup de place dans lesgrottes que nous avons visitées.
— Allons voir. »Ils grimpèrent sur les rochers
et passèrent de l’autre côté de lagorge. Il n’y avait pas la moindreodeur de chat dans ces cavernes,ni de marques de griffes ou detraces d’ossements laissantpenser qu’un félin ait pu yséjourner.
« C’est peut-être parce
qu’elles ne sont pas exposéescôté soleil, suggéra Tempête deSable. Il doit y faire froid ethumide une grande partie de lajournée. »
Elle avait sans doute raison.Il fut soulagé de quitter la
dernière caverne lorsqu’ilsreprirent lentement la directionde la rivière.
Mais soudain, un hurlementprovenant du haut de la falaisele figea sur place. Lessilhouettes de quatre Bipèdes sedessinaient sur le ciel à contre-jour.
« Par là, vite ! » feulaTempête de Sable déjà cachéedans le creux d’un rocher.
Il bondit pour la rejoindre etse tapit à côté d’elle, espérantque les Bipèdes ne l’avaient pasrepéré. C’étaient tous de jeunesmâles. Étaient-ils à leurrecherche ? Contre son flanc, ilsentait le cœur de Tempête deSable battre à tout rompre.
Puis il les vit retirer leursfourrures et se jeter dans lebassin en poussant des cris dejoie.
« Ouf ! Ils ne savent pas que
nous sommes là. Ils sontseulement venus jouer dansl’eau, comme les autres.
— Décidément, ces Bipèdessont vraiment fous ! »
Ils restèrent dans leurcachette jusqu’à ce que lesjeunes aient fini de s’amuser etremis leurs fourrures. Ce ne futqu’après leur départ qu’ils serisquèrent à découvert.
« Je me demande s’ilsviennent souvent ici, miaula lachatte. Le Clan du Ciel ne devaitpas être ravi de se retrouver siprès des Bipèdes.
— Sans doute. Au moins, ilsfont assez de raffut pourannoncer leur arrivée ! »
Il sauta par-dessus le ruisseauétroit, content de retrouver lachaleur du soleil.
« Je n’ai pas vu de poisson,ici, fit-il remarquer à sacompagne quand elle lerejoignit.
— Moi non plus, depuis lacascade. Il y a surtout dessouris, des campagnols et desoiseaux. Et peut-être quelqueslapins…
— Qui se concentrent
essentiellement sur le haut desfalaises. La vie ne devait pas êtretrès facile.
— C’est peut-être pour celaqu’ils ne sont plus là,maintenant. »
Probablement. Tous deuxavaient réussi à manger à leurfaim, mais y aurait-il eu assez degibier pour nourrir tout unClan ?
Ils remontaient vers la grottedes guerriers quand Tempête deSable s’arrêta.
« Il y a un autre passage, ici.On voit même une trace de pas
dans le sable. Tu crois qu’ondevrait la suivre ?
— On peut toujours essayer. »L’étroit passage déboucha sur
une fissure dans le rocher,abritée sous une grande pierreplate qui surplombait la gorge.
« C’est sans issue, miaulaTempête de Sable, déconcertée.Pourquoi sont-ils venus par icisi cela ne mène nulle part ? »
Étoile de Feu inspecta lesrochers, les touffes d’herbes, envain. Si un chat perdaitl’équilibre ici, il tombaitdirectement au fond de la gorge.
« Je ne sais pas. Peut-être… »Puis il s’élança pour atterrir
sur la pierre plate.« Étoile de Feu ! hurla la
rouquine. Tu as perdu la tête ? »Il ne répondit pas mais resta
assis, majestueux. Le vent quilui ébouriffait les poils apportaitun mélange d’odeurs de pierre,d’eau, d’arbustes et de gibier.
Sous ses yeux s’étendait unpaysage aride et, au fond de lagorge, il pouvait voir lanaissance de la rivière et suivreson cours jusqu’à ce qu’elle seperde au loin dans la brume. La
roche sous ses pattes était douceet chaude ; il aurait aimé s’yétendre pour profiter du soleil,comme le faisait son Clan surles Rochers du Soleil.
« Viens là ! C’estmerveilleux ! »
Elle agita nerveusement laqueue, comme si elle hésitait.Puis elle fit un bond pour arriverà son côté.
« Tu veux qu’on se casse lecou ? demanda-t-elle, irritée.
— Regarde ! miaula Étoile deFeu. Un chat qui monte la gardeici peut voir le danger venir de
partout ! »Elle sembla se rasséréner et
son poil se lissa de nouveau surson dos.
« Tu as raison, dit-elle ens’allongeant à côté de lui pour letaquiner d’une patte, demeilleure humeur. C’est génial,ici ! Si nous restions unmoment ? »
Ils échangèrent quelquescoups de langue affectueux et,délicieusement installé sous lesoleil, Étoile de Feu laissa sonesprit vagabonder vers lesRochers du Soleil et la forêt. Il y
aura bientôt une Assemblée etles autres Clam découvrirontque je suis parti Que feront-ils ?
Quand la nuit tomba, ilsallèrent chasser et dévorèrentleurs proies avant de retournerdans la grotte des guerriers.
« Où sont tous les chats quenous avons sentis ? se demandaÉtoile de Feu. On n’en a pas vuun seul, depuis ces petitseffrontés de ce matin. »
Tempête de Sable boitilla enrond dans la grotte et finit pars’asseoir pour se lécher unepatte.
« Cela ne m’étonne pas qu’ilsne viennent pas souvent ici.C’est épuisant de grimper cettepente, j’ai les coussinets en feu àcause de ces rochers. Et mespauvres griffes… elles sont toutabîmées, à force ! Les chats duClan du Ciel devaient avoir despattes en pierre, ajouta-t-elle enreprenant sa toilette.
— À nous, cet endroit ne nousaurait pas convenu. Mais je suispersuadé qu’eux, en revanche,savaient sauter très haut. C’étaitvraiment leur camp. Mais oùsont-ils maintenant ? »
Ils se réveillèrent tôt lelendemain matin et sortirentdans la brume pour chasser.Cette fois, pas de jeuneschenapans pour les insulter.Rien que le silence. Étoile deFeu alla inspecter les épineux etrevint bredouille et frustré.
« Même pas une queue desouris ! » maugréa-t-il.
Il se tourna vers les nids desBipèdes, se demandant quellesseraient ses chances de mettreles crocs sur un lapin. Puis ilentendit des battements d’aileset se retourna. Un moineau
picorait sous un buisson.Il s’approcha doucement de la
proie et s’apprêtait à bondirlorsqu’un autre chat surgit dederrière un rocher, les pattestendues vers le volatile.
L’oiseau poussa quelques crisd’alarme en s’envolant et réussità se percher sur une brancheloin au-dessus du sol. Quelquesplumes tombèrent doucementen tourbillonnant.
Le matou, un chat errantmarron foncé, regarda lemoineau et agita la queue.
Furieux, Étoile de Feu se
planta devant lui, nez à nez.« C’était ma proie ! feula-t-il.— Ah, non ! La mienne !— Je l’aurais attrapée si tu
n’étais pas arrivé en faisant toutce boucan. On ne t’a jamaisappris à chasser ? »
Les deux matous se faisaientface, le poil hérissé, les babinesretroussées, prêts à se jeter l’unsur l’autre. Tout à coup, l’intrusrecula de quelques pas, lesoreilles basses, puis fit demi-tour pour s’enfuir sansdemander son reste.
« Bravo ! lança Tempête de
Sable en arrivant derrière Étoilede Feu. Nous devions entrer encontact avec les chats du coin,pas les effrayer !
— Désolé, j’ai peut-être été unpeu agressif. Mais c’était évidentque cette proie me revenait ! »
Il se donna quelques coups delangue pour retrouver son calmeet sauver la face.
« Je n’ai pas l’habitude departager le territoire avec deschats qui n’ont jamais entenduparler du code du guerrier !
— Il va falloir t’y faire. Tu nepeux pas exiger que les chats
d’ici respectent les règles quenous suivons chez nous. Et net’imagine pas qu’ils connaissentle Clan des Étoiles ! »
Ces paroles le glacèrentjusqu’au sang. Elle avait raison.Pourquoi le Clan des Étoiles lesaurait-il suivis aussi loin ?Comment pouvait-il réussir samission si ses ancêtres ne leprotégeaient pas sous cescieux ? Il leva la tête pour voir sile chef blanc et gris le regardait.Mais ils étaient seuls.
Ils finirent par attraperquelques souris et retournèrent
dans leur grotte. Juste avantd’entrer, Étoile de Feu entenditdes bruissements et fit signe àsa compagne de ne plus bouger.Ils virent arriver deux jeuneschats, sans doute les mêmespetits polissons de la veille.
Étoile de Feu aurait aimé lespoursuivre, les effrayer pourleur donner une leçon, mais àquoi bon ?
« Que se passe-t-il ? demandaTempête de Sable.
— Ce sont les deux chatonsqui m’ont jeté des cailloux, hier.Il faut que je leur parle mais je
dois d’abord réfléchir à ce que jeveux leur demander. »
Quand ils descendirent lapente glissante jusqu’à la grotte,une odeur nauséabonde lesaccueillit à l’entrée.
« Qu’est-ce que c’est que cettehorreur ? »
Elle poussa Étoile de Feu surle côté et bondit à l’intérieur.Lorsqu’il vint la rejoindre, elleétait penchée sur le cadavred’une souris, sans doute mortedepuis plusieurs jours car desasticots blancs grouillaient sousce qui restait de sa fourrure. La
puanteur emplissait toute lagrotte.
« Sûrement un tour deschatons ! Ça les amuse delaisser cette cochonnerie dansune grotte où vivent des chats !grommela Étoile de Feu.
— Quand je les aurai rattrapésje leur montrerai que, moi, ça nem’amuse pas du tout !
— On ferait mieux de sortircette chose infecte. »
En la poussant à deux avecleurs pattes, ils réussirent à jeterla dépouille hors de la grotte et àla faire tomber dans la gorge.
Puis ils grattèrent un peu desable pour recouvrir la tache.
« Cette puanteur va mettreune éternité à disparaître, seplaignit la chatte. Et j’en ai pleinles pattes ! Il va falloir que jedescende à la rivière pour leslaver. »
Étoile de Feu était surprisd’un tel accueil.
« Les chats errants ne sontpas comme ça, chez nous, dansla forêt, miaula-t-il. Ils restentgénéralement entre eux etévitent les territoires des Clans.
— Mais il n’y a pas de Clans,
ici ! Et ils ignorent le code duguerrier. Chez nous, ils leconnaissent et, s’ils ne veulentpas le respecter, ils savent nouséviter.
— Tu as raison. Il va falloir leleur apprendre, et je saismaintenant par où commencer.Demain on va parler à ces deuxlascars ! »
CHAPITRE 17
CHAPITRE 17
« AÏE ! »Tempête de Sable s’arrêta
sous un roncier et laissaéchapper un gémissement dedouleur en secouant une patte
avant.« Chuuut ! Tu vas rameuter
tous les chats domestiques desenvirons !
— Je croyais que c’était notrebut ? Désolée. J’ai marché surune épine, c’est tout ! miaula-t-elle en se léchant les coussinets.
— Bon, je ne pense pas qu’ont’ait entendue. Continue. Dèsqu’ils t’auront aperçue, tucourras vers la grotte. Rappelle-toi, il vaut mieux qu’ils n’aientpas le temps de bien te voir.
— Je sais, on a déjà parlé detout ça hier soir, s’impatienta la
rouquine.— Bon. Parfait. »Sur ce, il se dirigea vers
l’arbre le plus proche et se hissale long du tronc jusqu’à lapremière branche où ils’installa, caché par les feuilles.
Sous l’arbre, Tempête deSable continua à chasser. Étoilede Feu avait l’eau à la bouche.Ni l’un ni l’autre n’avaientmangé depuis la veille au soir. Iln’était pas certain que leurstratégie réussisse, mais c’étaitla seule, solution qu’ils aientimaginée pour parler à des chats
habitant près du campabandonné.
Étoile de Feu entendit desbruits un peu plus loin, sous lesbuissons, et aurait aiméprévenir sa compagne, mais ellevenait d’attraper une souris etdisparut dans les fourrés aubord de la gorge.
« Hé ! Il est là ! miaula lepetit tigré en arrivantpratiquement sous la brancheoù se dissimulait Étoile de Feu.J’ai vu les buissons remuer àl’endroit où il est passé pourrentrer dans la grotte. »
Ils prirent la direction de lacaverne, mais Étoile de Feupouvait toujours les entendres’égosiller.
« Hé ! Haleine de chien ! Tuas aimé le cadeau qu’on t’alaissé ?
— Je parie que c’est lameilleure souris que tu aiesmangée depuis une lune !
— Sales garnements ! »grommela Étoile de Feu.
Bon. Il est temps d’y aller.Il se laissa glisser de l’arbre et
suivit les chatons jusqu’au bordde la falaise. Là, il se planta
entre la paroi et un roncier auxépines acérées afin qu’ils nepuissent pas lui échapper.
« Boule de poils débile !Espèce de vieillard miteux !
— Qui est-ce que vousinsultez comme ça ? » intervintÉtoile de Feu d’une voix rude.
Les deux chatonssursautèrent en même temps etse retournèrent vers lui, bouchebée. Étoile de Feu les toisa, puisse mit à lécher une patte d’unair pensif, prenant soin de biensortir ses griffes de leursfourreau. Ils écarquillèrent les
yeux, terrifiés.« Euh… hum… ce n’est pas à
un chat qu’on parlait… balbutiale petit tigré.
— Vous vous installez au bordde la falaise pour ne parler àpersonne ? Vous êtes un peuidiots, non ?
— On n’est pas idiots !rétorqua la chatte écaille.
— Alors dites-moi… Qui est-cequi se trouve là, en bas ?
— On ne sait pas. On n’a rienfait. Laisse-nous partir », dit letigré en avançant d’un pas.
L’autre le rejoignit aussitôt.
C’est le moment que choisitTempête de Sable pour sedresser devant eux.
Ils la regardèrent, épouvantés.« Tu… tu n’es pas… bégaya la
chatte écaille.— Pas qui ? » insista Étoile de
Feu.Tempête de Sable vint
s’asseoir face aux chatons, quireculèrent. Elle jeta un regardvers son compagnon.
« Je t’en prie, Étoile de Feu,ne te montre pas aussi féroce.Ils n’ont rien fait de mal… enfin,rien de très grave.
— On ne l’a pas fait exprès,renchérit le tigré.
— J’en suis sûre, miauladoucement Tempête de Sablepour les apaiser. Et si vouscommenciez par nous dire vosnoms ?
— Je suis Merle, et elle, c’estma sœur, Cerise. Qu’est-ce quevous allez faire de nous ?demanda-t-il, très inquiet.
— On ne vous fera pas de mal,promit la rouquine en jetant unautre regard dur à Étoile de Feu.On cherche seulement des chatsqui ont peut-être habité ici, il y a
longtemps.— Quels chats ? demanda
Merle, intrigué.— Il s’agit d’un Clan de chats,
précisa Étoile de Feu. Ilshabitaient dans ces grottes… lescombattants dans l’une, lesanciens dans une autre, lesreines et leurs petits dans uneautre encore. Ils avaient un chefet enseignaient à leurs jeunes lecode du guerrier. Ilsprotégeaient leurs frontières…
— Ah, oui ! Eux ! miaulaCerise avec impatience. On aentendu des histoires là-dessus.
On dit qu’il y avait beaucoup dechats féroces qui vivaient dansces grottes. Ils mangeaientmême les chats domestiques !
— Tout ça, c’est de la crotte desouris ! protesta Merle. Je peuxme battre contre n’importe quelchat ! Moi, ils ne memangeraient pas !
— Tu n’avais pas l’air presséde te battre contre lui, fitremarquer sa sœur en désignantÉtoile de Feu du bout de laqueue. De toute façon, ces chatssont partis, maintenant. Tous,sauf Lunatique, le vieux cinglé.
— Qui est Lunatique ?demanda Étoile de Feu. Le chatqui était censé se trouver dans lagrotte et manger la souris pleined’asticots ? »
Les deux chatons échangèrentde nouveau un regard gêné.
« C’est juste un vieux fou,marmonna Cerise. Il ne vit pasdans le coin, mais il vient ici àchaque pleine lune et s’assoitsur cette pierre au-dessus de lagorge. Il passe son temps à fixerla lune… c’est pour ça qu’onl’appelle Lunatique.
— Puis il dort une nuit dans
cette grotte avant de repartir,ajouta Merle.
— Tout le monde sait qu’il estfou. Quand on essaie de luiparler, il se met à raconter deshistoires bizarres de chats dansles étoiles. »
Étoile de Feu sentit ses poilsse dresser sur son échine. C’étaitle premier indice indiquant qu’ilrestait une trace de la vie duClan, qu’il restait un chatconnaissant la signification ducode du guerrier.
« Des chats dans les étoiles ?Tu es certaine ? insista Étoile de
Feu.— Oui ! protesta Cerise. Je l’ai
assez entendu raconter sesbêtises.
— Et si ces chats des étoilesétaient comme lui, intervintMerle, ils ne devaient pas êtretrès féroces. Lunatique ne sedéfend jamais, même quandon… »
Sa sœur lui donna un coup depatte.
« Tais-toi, cervelle desouris ! »
Étoile de Feu aurait aimé leurtirer les oreilles à tous les deux,
mais quand il croisa le regard deTempête de Sable, elle secoua latête. À regret, il dut admettrequ’elle avait raison. Ilsobtiendraient plus derenseignements de ceschenapans s’il ne les effrayaitpas.
« Lunatique n’a rien fait demal, n’est-ce pas ? demandaÉtoile de Feu en faisant uneffort pour adoucir sa voix. Il nevous a pas blessés ou volé votrenourriture ? »
Les deux chatons secouèrentla tête en le regardant par en
dessous.« Alors vous devriez le laisser
tranquille. »Ils échangèrent un regard
coupable.« Je t’avais bien dit que ce
n’était pas Lunatique ! rouspétaCerise. Ce n’est pas encore lapleine lune.
— Comment voulais-tu que jele sache ? Aucun autre chat n’estjamais venu ici… »
Étoile de Feu interrompit leurdispute avant que les choses nese dégradent.
« Ça n’a pas d’importance.
Qu’est-ce que vous pouvez medire au sujet de Lunatique ? Oùest-ce qu’il vit quand il ne vientpas ici ? »
Cerise se donna un coup delangue sur une patte.
« J’sais pas.— Il doit venir d’un peu plus
haut. On l’aurait remarqué, s’ilremontait la rivière. »
Tempête de Sable se penchasur eux et les fixa de ses yeuxverts pénétrants.
« Et c’est tout ce que vouspouvez nous dire ?
— C’est vraiment tout, assura
Merle. On peut partir,maintenant ?
— Je pense qu’ils peuventpartir. Pas vrai, Étoile de Feu ? »
Il attendit quelques secondes,assez longtemps pour que leschatons comprennent qu’ils nes’en tireraient pas à si boncompte.
« Je suppose que oui,répondit-il finalement. Maisvous ne tourmenterez plusjamais de chat sans défense,entendu ?
— On ne le fera plus ! promitMerle. Pas vrai ? ajouta-t-il en
poussant sa sœur, qui feula.— Non, non, plus jamais ! On
n’avait pas réfléchi…— La prochaine fois, essayez
de ne pas vous comportercomme des cervelles de souris !Allez, filez ! » miaula Étoile deFeu en s’effaçant pour les laisserpasser.
À pattes de velours, ilslongèrent la paroi, à peinerassurés. Et si ce gros matousortait tout de même sesénormes griffes ? Puis ilsfilèrent. En passant sous l’arbreoù Étoile de Feu s’était caché,
Cerise sauta pour toucher unebranche basse. Des feuillestombèrent sur son frère qui selança à sa poursuite.
« Ils ne sont pas si mal, pourdes chats domestiques ! fitremarquer Tempête de Sable.Cerise est vive, en tout cas.
— Ils sont vifs tous les deux.Dommage qu’ils ne puissent pasêtre entraînés dans un Clan.
— C’est impossible, à moinsqu’on retrouve le Clan du Ciel.Apparemment, ils sont partisdepuis longtemps.
— Sauf Lunatique. Un matou
qui fixe la lune et parle des chatsdans les étoiles… Il appartientau Clan du Ciel, Tempête deSable ! C’est sûr !
— Il faut donc qu’on leretrouve. »
Ils redescendirent au fond dela gorge et avancèrent dans ladirection indiquée par Merle.Une averse les obligea à trouverun abri mais, quelques minutesplus lard, le soleil brillait denouveau, faisant scintiller unemyriade de gouttelettes toutautour d’eux.
En arrivant devant une
flaque, Tempête de Sable setourna vers Étoile de Feu.
« J’ai une de ces soifs !Attends-moi, s’il te plaît. »
Après avoir lapé quelquesgorgées, elle écarquilla les yeux.
« Regarde, ici ! Des traces depas toutes fraîches ! »
Elles étaient plus grandes queles siennes, et même plus largesque celles d’Étoile de Feu.
« Et si c’étaient celles deLunatique ? Ou d’un chat quisaurait où il se trouve ?
— Il ne doit pas être loin.Regarde de ce côté et moi je vais
vérifier par là ! »Il partit à la recherche
d’odeurs ou d’autres traces.« Par ici ! » miaula Tempête
de Sable.Il la rejoignit en quelques
bonds.« Je suis sûr que c’est la
même odeur que celle de lagrotte où nous avons dormi,souffla-t-il.
— Un peu plus forte, maisc’est la même. Sans doute cellede Lunatique. »
Remontant la piste, ilsatteignirent un arbuste accroché
au flanc de la falaise.L’enchevêtrement de ses racinesformait une espèce de tanièredont l’entrée était recouverted’ossements desséchés, detouffes de poils et de moussesouillée. L’odeur de chat restaitcependant la plus forte.
« C’est là ! C’est là que vitLunatique ! » miaula Étoile deFeu.
Tandis qu’il avançait encorede quelques pas, une forme grisfoncé surgit de sous les racines.
« Allez-vous-en d’ici ! feula-t-il. Laissez-moi tranquille ! Vous
n’en avez pas assez de metourmenter ? »
CHAPITRE 18
CHAPITRE 18
« NE T’INQUIÈTE PAS, nous nesommes pas venus te faire demal. On voudrait juste teparler. »
Lunatique le regarda de ses
immenses yeux bleu délavé, oùse mêlaient la peur et la colère.Ils avaient la même couleur queceux du chef qui hantait Étoilede Feu dans ses rêves. Jadis, ilavait dû être un grand matoupuissant, mais à présent il étaitchétif et décharné. Son pelagegris ébouriffé se faisait rare etson museau était devenu blancavec l’âge.
« Eh bien, moi, je n’ai aucuneenvie de vous parler ! »grommela-t-il.
Il fit demi-tour et claudiquavers sa tanière.
Étoile de Feu s’avança à paslents.
« Je t’en prie, il y a tant dechoses que nous voudrions tedemander.
— Fichez-moi la paix ! feulaLunatique.
— Est-ce vraiment ce que tuveux ? N’as-tu pas été seuldepuis assez longtemps ? Nousvoulons seulement t’aider.
— Partez ! Je n’ai pas besoinde votre aide. Je n’ai pas besoindes autres. Ceci est ma vie,maintenant. »
Étoile de Feu savait qu’il
aurait pu forcer le vieux guerrierà répondre à ses questions, maiscelui-ci avait déjà assez souffertdu harcèlement des deuxchatons ou des agressions dechats errants qu’il avait dûcroiser. Il voulait gagner sonrespect et non le provoquer.
« Laissons-le tranquille,chuchota-t-il à sa compagne.
— Mais on vient à peine de letrouver ! protesta-t-elle.
— Oui, mais nousn’arriverons à rien comme ça. Ilprotège sa tanière.
— Qu’est-ce qu’on fait, alors ?
— La lune sera pleine dansquatre nuits. Retournons à lagrotte en attendant sa venue. Ilsera peut-être moins sur ladéfensive et, comme c’est lapériode de l’Assemblée, il seraplus enclin à parler de sesancêtres.
— Tu as raison. Il ne romprapas la trêve de l’Assemblée.
— À la pleine lune, onapprendra peut-être ce qu’ondoit savoir », conclut-il enrebroussant chemin.
Étoile de Feu se hissa dans la
caverne, la bouche remplie deplumes pour les apporter àTempête de Sable qui garnissaitleur nid avec des fougères.
« Je les ai trouvées en haut dela falaise, dit-il. J’ai perçu uneodeur de renard. Il a dû attraperun oiseau.
— Un renard ? s’inquiéta-t-elle. Je croyais qu’il n’y en avaitpas, par ici.
— Il y en a partout. En toutcas, cela devrait rendre notre nidun peu plus douillet.
— Il nous faudrait surtout dela mousse, mais je ne pense pas
qu’il y en ait.— Si on descendait en
chercher près de la rivière ?— On peut toujours essayer. »Les deux chats rejoignirent
bientôt la berge. Les grossespluies de la veille s’étaientcalmées et le ciel était denouveau bleu, moucheté dequelques nuages cotonneux.Près de la rivière, des flaquesbrillaient dans les creux desrochers.
« Crotte de souris ! grommelaÉtoile de Feu quand il s’enfonçadans la boue. Les chats du Clan
du Ciel devaient-ils se salir lespattes chaque fois qu’ilsvoulaient boire ?
— Et on n’a toujours pastrouvé de mousse, rouspétaTempête de Sable.
— Ils auraient eu du mal àvivre ici, sans mousse. On nes’en sert pas seulement pourgarnir les tanières, mais aussipour apporter de l’eau auxnouveau-nés et aux anciens.
— Et les guérisseurs en ontbesoin pour nettoyer les plaies.Et puis, j’en ai plus qu’assez dem’abîmer les coussinets sur ces
cailloux !— Je pense qu’on trouvera
davantage de gibier là-haut. Jene vois pas comment ils senourrissaient sans… »
La rouquine lui donna uncoup de queue.
« Chut ! Baisse-toi ! »Étoile de Feu s’aplatit contre
la pierre.« Que se passe-t-il ? »Ils virent une branche s’agiter
et un gros matou roux passa entrombe, une proie dans lagueule.
« Désolée, j’ai cru que c’était
un renard. »Étoile de Feu se releva.« Non, juste un chat errant.
On devrait aller lui parler.— On ne le rattrapera jamais.
Et il risque de penser qu’on veutlui prendre son festin ! Les chatsdu coin n’ont pas l’air pressés dese faire des amis. »
C’est vrai, pensa Étoile de Feuen le suivant des yeux. Puis il selaissa glisser au bas du rocherpour humer l’air. Ici, le gibiersemblait plus abondant : dessouris, des campagnols, desécureuils… mais surtout des
oiseaux. Il en repéra un en trainde picorer dans les gravillons,mais à peine avait-il levé unepatte que déjà le volatiles’envolait en poussant despiaillements de détresse.
Quand il se retourna, il vitTempête de Sable se diriger verslui, un moineau entre les dents.
« Tiens, j’ai eu plus de chanceque toi. On peut partager celui-ci. Il y a beaucoup de gibier, parici.
— Mais toujours pas demousse, miaula Étoile de Feu enregardant autour de lui.
— C’est qu’ils devaient sansdoute se débrouillerautrement », fit judicieusementremarquer Tempête de Sable.
Il imagina les berges peupléesde chats partant en patrouille,chassant, entraînant desapprentis, vivant selon le codedu guerrier comme le faisaientles chats de la forêt depuisd’innombrables saisons. SiLunatique était réellement ledernier guerrier du Clan du Ciel,avec qui allait-il pouvoirreformer le Clan perdu ?
***
« Pleine lune, ce soir ! »annonça Étoile de Feu ensortant de la grotte desguerriers.
La fraîcheur du crépuscule luirappela que la saison desfeuilles vertes tirait à sa fin. Ilrestait juste assez de lumièrepour deviner la falaise surl’autre rive.
« Il faut qu’on se préparepour la rencontre avecLunatique », ajouta-t-il.
Lovée dans sa litière. Tempête
de Sable bâilla.« Il ne sera pas là avant la
lune. Reviens donc t’allonger. »La proposition était tentante,
mais il piétinait d’impatience,prêt à agir.
« Non, je vais plutôt noustrouver quelques proies. »
Elle remua les oreilles pourmontrer qu’elle avait compris.
Étoile de Feu eut de lachance. En arrivant au sommetde la falaise, il se retrouva nez ànez avec une souris qu’il tuaavant qu’elle ait eu le temps defuir. Il l’enterra pour en
chercher une autre dans lesbuissons. Sans succès. Au loin,le soleil commençait à plongerderrière les toits des nids deBipèdes, inondant la campagned’une douce lumière orangée.
Étoile de Feu ne s’était encorejamais aventuré aussi loin danscette direction. Il abandonna lachasse et se contenta d’explorerce territoire inconnu.
Pour éviter de se faireremarquer par les Bipèdes, ilfonça sous un buisson deronces. Il y fut accueilli par unfeulement et un coup de griffe
qui passa à une longueur desouris de son nez. Surpris, ilrecula et vit une chatte tigréeaccroupie devant lui, les poilsbeiges de sa nuque hérissés, etqui le foudroyait de ses yeuxambrés. À son odeur, Étoile deFeu sut que c’était une chatteerrante.
« Bas les pattes ! feula-t-elle.— Désolé. Je ne t’avais pas
vue. »Elle se détendit un peu mais
son regard restait hostile.« Stupide boule de poils ! Fais
attention, la prochaine fois. »
Elle fit demi-tour, la queuedressée, s’apprêtant à s’en aller.
Étoile de Feu bondit pour larattraper.
« Attends ! Il faut que je teparle. J’aimerais savoir…
— Moi, je n’ai aucune enviede te parler ! Va-t’en et fiche-moi la paix. »
Sur ce, elle détala vers lesnids des Bipèdes.
Étoile de Feu la suivit desyeux en battant de la queue,frustré. Pourquoi tous les chatsqu’il rencontrait se montraient-ils aussi agressifs ? Il ne restait
aucune trace du code duguerrier. De vrais sauvages ! Etdire qu’il avait rêvé de trouverquelques rescapés, vivanttoujours ensemble, attachés auxvaleurs du Clan. Tout cela avaitdepuis longtemps disparu.
Pourquoi m’ont-ils envoyéici ? Lunatique restait sadernière chance d’obtenir undébut de réponse. Tempête deSable et lui feraient de leurmieux pour le persuader deparler. Ensuite, ils pourraientrentrer chez eux, dans la forêt.Que faire d’autre ? Le Clan était
perdu à jamais.
Étoile de Feu sauta par-dessus la crevasse et atterrit surla pierre plate. Durant lajournée, les derniers nuagesavaient disparu. La lune, encorebasse dans le ciel, baignait lesalentours d’une lueur argentée,projetant l’ombre immense dufélin sur les rochers.
« Si Lunatique nous voit ici, ilrisque de ne pas venir, miaulaTempête de Sable en venants’asseoir à côté de soncompagnon. Crois-tu que nous
devrions nous cacher ?— Bonne idée. Entrons dans
cette crevasse. »Il ne restait plus qu’à
attendre.La lune grimpa plus haut
dans le ciel et les ombresprojetées se firent plus courtes.Étoile de Feu commençait às’impatienter.
Enfin, ils perçurent des bruitsde pas et le vieux matou griss’avança au pied de la pierreplate d’un pas lourd et raide.
« Il ne réussira jamais àsauter ! » chuchota Étoile de
Feu à l’oreille de Tempête deSable.
Lunatique marqua une pause,regarda les étoiles, prit son élanet s’accrocha au rebord de lapierre, resta suspendu quelquesinstants au-dessus du ravin puisfinit par l’escalader en s’aidantde ses pattes arrière. Là, il restaassis un moment pourreprendre son souffle avant devenir s’installer au milieu duroc. Il leva la tête et fixa la lune,immobile.
Le vieux matou commença àparler tout doucement et les
deux chats durent s’avancerpour entendre ce qu’il disait.
« Esprits des chats qui êtespartis les premiers courir lescieux, je suis désolé d’être ledernier chat d’un Clan qui futjadis si noble. J’essaierai depréserver les coutumes desguerriers jusqu’à mon derniersouffle. Mais je crains qu’à mamort elles disparaissent avecmoi, et que le souvenir du Clandu Ciel soit perdu à jamais. » Ilcontempla le ciel comme s’ilattendait une réponse, qui nevint pas. Finalement, il laissa
échapper un long soupir enbaissant la tête et resta ainsi,figé, jusqu’à ce que la lunecommence à glisser versl’horizon, derrière les toits desnids de Bipèdes.
Étoile de Feu s’apprêtait àavancer quand le vieux matoutourna la tête. Ses yeuxbrillaient comme des lunes.
« Je sais que vous êtes là. Jene suis pas croulant au point dene pas détecter les odeurs. »
Étoile de Feu se sentit commeun novice, surpris en flagrantdélit d’indiscrétion.
« Salut, Lunatique. Nous…— Ceci n’est pas mon vrai
nom. Je m’appelle Ciel. »
CHAPITRE 19
CHAPITRE 19
LE CŒUR D’ÉTOILE DE FEU
battait si fort qu’il crut que sapoitrine allait exploser. Ilpouvait à peine respirer.
« Étais-tu un guerrier du Clan
du Ciel ? bredouilla-t-il.— Non. La mère de ma mère
avait vu le jour dans le Clan. Àma naissance, le Clan du Cieln’existait plus, mais ma mèrem’a élevé comme l’aurait été unguerrier du Clan. »
Étoile de Feu échangea unregard enthousiaste avec sacompagne.
« Nous avions raison ! LeClan du Ciel avait bien installéson camp ici, miaula-t-elle.
— Pourquoi voulez-vous lesavoir ? maugréa le vieux matouavec un mouvement de recul.
Qu’est-ce que cela peut vousfaire ?
— Nous voulons t’aider. Nousvenons de la forêt où vivait jadisle Clan du Ciel.
— Nous sommes des chats duClan du Tonnerre, précisa lachatte. Je m’appelle Tempête deSable et lui, c’est Étoile de Feu.Le chef du Clan. »
Les oreilles du vieux chats’aplatirent, comme si saméfiance instinctive le disputaitau respect qu’un véritableguerrier devait à un chef deClan. Il n’en avait sans doute
jamais rencontré, auparavant.Étoile de Feu s’assit dans la
position la moins menaçantepossible, la queue enrouléeautour des pattes. Après uninstant d’hésitation, Ciels’installa à ton tour et écoutaÉtoile de Feu lui raconter toutce qui s’était passé depuis latoute première apparition duchat gris et blanc dans ses rêves.
« Je suis certain que c’était lechef du Clan du Ciel lorsqu’il aété chassé de la forêt, conclut-il.Il m’a supplié de retrouver sonClan disparu.
— Et tu as fait tout ce cheminà cause d’un rêve ?
— Je suis venu parce qu’il lefallait. »
Ciel se leva, la fourrurehérissée.
« Et tu penses que c’est aussisimple que cela ? feula-t-il.Crois-tu que les maux du passépeuvent être pardonnés aussifacilement ?
— Que veux-tu dire ? miaulaÉtoile de Feu, perplexe.
— C’est à cause des quatreClans de la forêt que mesancêtres ont été chassés de leur
foyer. Quand ils sont venus seréfugier ici, ils se sont crus ensécurité. Hélas, ils ont très vitedécouvert que cet endroit étaitaussi dangereux que le territoirequ’ils avaient dû abandonner. Cesont tes ancêtres qui ont détruitmon Clan. »
Un instant, Étoile de Feu crutque le vieux chat allait sautersur lui, toutes griffes dehors. Ilne bougea pas, déterminé à nejamais lever une patte contre cenoble guerrier.
Puis Ciel se rassit.« C’est la trêve de la pleine
lune. Je ne vais pas chercher àme venger des torts commisenvers mes ancêtres. »
Étoile de Feu commençait às’inquiéter. Pourquoi le Clan duCiel avait-il dû quitter ceterritoire pourtant si hospitalier,avec assez de gibier pour lenourrir, de l’eau en abondanceet situé à une distanceraisonnable des Bipèdes ?
« Que s’est-il passé ?Pourquoi sont-ils tous partis ? »
Ciel détourna la tête. Un longgémissement s’échappa de sagorge, comme s’il pleurait tous
les chats du Clan du Ciel,chassés, perdus ou morts.
Tempête de Sable s’avança ettoucha doucement les épaulesdu vieux matou du bout de saqueue.
« Dis-nous pourquoi tut’appelles Ciel, miaula-t-elle.
— C’est ma mère qui m’adonné ce nom, répondit-il d’unevoix émue. Afin que je n’oubliejamais mes ancêtres. Et je ne lesai jamais oubliés. C’est pourquoije viens ici à chaque pleine lune.
— Tu dois te sentir très seul,parfois, murmura-t-elle.
— Je ne sais pas si mesancêtres m’écoutent, maisj’entretiendrai la mémoire demon Clan jusqu’à mon derniersouffle.
— Nous savons que tu dorsdans l’une des grottes, les nuitsde pleine lune. Tempête deSable et moi y avons dormi,aussi. J’espère que cela ne tedérange pas.
— Alors, vous avez dû croiserces deux petits vauriens !maugréa Ciel avec une grimacede dégoût. C’est comme ça quevous connaissez le nom stupide
dont ils m’ont affublé.— Oui, nous les avons vus,
admit la chatte.— Ils vivent dans un nid de
Bipèdes et mangent de la pâtée !s’exclama le vieux matou,dépité. Et ils prétendent quec’est moi le fou ! »
Étoile de Feu songea à sespropres origines…
« Nous leur avons fait peur.Ils ne devraient plus teharceler. »
Ciel remua les oreilles etÉtoile de Feu eut presquel’impression qu’il était déçu.
« N’as-tu pas remarquéquelque chose de particulier,chez eux ? » demanda-t-il.
À part leur impertinence ?Étoile de Feu tenta de serappeler la scène de leurrencontre.
« Cerise saute haut avec unegrande facilité. C’est de cela quetu veux parler ?
— Ces deux polissonsdescendent certainement deguerriers du Clan du Ciel.
— Ces cervelles de souris ?s’étonna Tempête de Sable.
— Quand le Clan a dû quitter
la gorge, la plupart de sesmembres, y compris la mère dema mère, sont devenus deschats errants. Mais certains,surtout ceux qui étaient tropvieux ou trop jeunes pourchasser, sont allés vivre avec lesBipèdes. C’est étrange… tous ceschats, mes frères de sang,ignorent qui je suis vraiment.
— Que s’est-il passé ?demanda Étoile de Feu.Pourquoi le Clan du Ciel a-t-ildû quitter la gorge ? »
Le vieux matou ne réponditpas. Peut-être n’avait-il même
pas entendu la question.« Tu as l’air fatigué. Veux-tu
que je chasse pour toi ? »miaula la rouquine.
Ciel se crispa. Cette offrel’avait-elle offensé ? Mais il levales yeux et répondit, plein dereconnaissance : « Volontiers.La nuit a été très longue. »
Tempête de Sable disparutaussitôt dans les buissons.Étoile de Feu resta près du vieuxchat, puis tous deux rejoignirentla grotte.
En marchant derrière lui, illui trouva une grande
ressemblance avec Croc Jaune.La même réserve digne del’ancienne guérisseuse, la mêmeforce et le même dévouement àson Clan. Ciel possédait toutesles qualités d’un guerrier : lecourage, la loyauté. Et pourtant,tout cela n’était fondé que surdes histoires que lui avaitracontées sa mère…
Ciel grimpa jusqu’à l’entréede la caverne et s’arrêta enagitant les moustaches. Étoilede Feu s’inquiéta. Le vieux félinse formalisait-il parce qu’ilsavaient arrangé des litières ?
Bien au contraire, il se dirigeavers l’un des petits nids garnisde bruyère et de plumes, où ils’allongea sans un commentaire.
Il était à peine installé queTempête de Sable arriva, uneproie dans la gueule, qu’elledéposa devant lui.
« Un peu maigrichonne, cettesouris ! »
Avant que la chatte ait puréagir, il tendit la patte et attirala proie vers lui pour la dévoreren quelques bouchées.
Tempête de Sable jeta uncoup d’œil malicieux à Étoile de
Feu et chuchota :— On dirait Croc Jaune !Ciel se lécha les babines, lissa
ses moustaches et laissaéchapper un long soupir d’aise.Puis il se roula en boule ets’endormit aussitôt, emplissantla grotte de ses ronflements.
Étoile de Feu et sa compagnese serrèrent l’un contre l’autre,mais le rouquin ne trouva pas lesommeil. Son esprit s’emballait.Le Clan des Étoiles l’observait-il ? Et Étoile Bleue ? Ni l’un nil’autre ne lui avaient envoyé designe depuis leur arrivée dans la
gorge. Il finit par sombrer dansun sommeil agité et ce furent lesrayons du soleil infiltrés dans lagrotte qui le réveillèrent lelendemain matin. Tempête deSable était déjà assise devant lui,en train de faire sa toilette,tandis que Ciel continuait àronfler.
« Tu es prêt pour une petitechasse ? » lui demanda-t-elle.
Il se leva, étira ses membresraides et bâilla à s’en décrocherla mâchoire.
« Vas-y, je te suis ! »Une fois à la rivière, il fut
content de tremper dans l’eaufraîche ses pattes encoredouloureuses d’avoir tantescaladé les falaises. Puis tousdeux se dirigèrent vers unbouquet d’arbres où le gibierdevait pulluler.
Comme c’était agréable dechasser ainsi, ensemble, sansavoir à organiser les patrouilleset surveiller les frontières duterritoire ! La forêt lui parutsoudain bien loin. Pourrais-jerester ici pour toujours ?Pourrais-je vivre sans un Clan ?se demanda-t-il. L’idée lui parut
soudain saugrenue. Il était chefde Clan, la forêt était sondomaine. Le Clan du Cieln’existait plus. Il n’y pouvaitrien. Une fois qu’il auraitentendu la fin de leur histoire, ilserait temps de rentrer.
Dès qu’ils eurent attrapéquelques proies, Étoile de Feu etsa compagne remontèrent versla grotte. En arrivant devantl’entrée, le matou se figea,perplexe. La caverne était vide.Ciel était parti.
CHAPITRE 20
CHAPITRE 20
IL EN FUT TRÈS DÉÇU.« Je pensais qu’il resterait au
moins jusqu’à notre retour,miaula-t-il. J’avais encore tantde choses à lui demander !
— Il a l’habitude d’être seul,fit remarquer Tempête de Sableen posant sa proie. Peut-être nese sentait-il pas à l’aise en notrecompagnie.
— Il ne nous reste plus qu’àretourner jusqu’à sa tanière. Jen’ai pas envie de partir sans luiavoir parlé. J’aurai l’impressionde les trahir et d’avoir perdumon temps si je ne réussis pas àconnaître le fin mot del’histoire. Ils n’ont passimplement quitté la forêt, ilsont atteint cet endroit etauraient pu y vivre jusqu’à la fin
de leurs jours. Que s’est-ilpassé ? Pourquoi sont-ilspartis ? Il faut que je le sache ! »
Elle pressa son museaucontre lui.
« D’accord, je comprends. Etsi… »
Elle fut interrompue par desgrattements et des halètementsprovenant de l’extérieur. Ciel sehissa dans la grotte, une grosseboule de mousse pendant de sagueule.
Un grand soulagementsubmergea Étoile de Feu.
« Ah… Tu es toujours là !
— Et tu as trouvé de lamousse ! » ajouta Tempête deSable.
Ciel posa son fardeau et laregarda comme si elle avait ditune énormité.
« Vous utilisez bien de lamousse pour garnir vos nids,n’est-ce pas ? Je n’ai pas traînéce truc tout ce chemin pour rien,tout de même ! »
Il jeta un regard froid vers sonnid de fougères et ajouta :
« Vous préférez peut-êtredormir sur des trucs qui vousgratouillent et vous picotent
toute la nuit !— Non, non, on se sert de
mousse, répondit Étoile de Feu.Mais on n’en a pas trouvé.
— Je vous montrerai plustard, grommela Ciel en poussantla boule de mousse vers eux.Tenez, mettez-en dans vos nids.Moi, je n’en ai pas besoin, je neresterai pas une nuit de plus. »
Tempête de Sable pressa sonmuseau contre l’épaule du vieuxmatou qui se raidit un peu maisne protesta pas.
« C’est dommage. Il y a tantde choses que tu aurais pu nous
dire. »Le félin hésita, puis agita les
oreilles, agacé.« Je ne suis pas le bienvenu,
ici. Ces petits vauriens… On mechasse, comme on a chassé mesancêtres…
— Je suis désolé… commençaÉtoile de Feu.
— Ne sois pas désolé pourmoi ! protesta Ciel en le dardantde ses yeux bleus. J’ai une trèsbonne tanière. Je n’ai besoin derien. »
Sa voix tremblait de solitude,contredisant ses paroles.
Tempête de Sable s’approchades proies qu’ils avaientrapportées et posa uncampagnol devant lui.
« Je t’en prie, mange ! »Les yeux du vieux chat
clignèrent de surprise, mais ils’accroupit pour dévorer le petitrongeur. La rouquine se choisitun sansonnet pendant qu’Étoilede Feu garnissait leurs nids demousse, bien plus pâle que cellede la forêt. Où avait-il pu latrouver en si peu de temps ?
« Merci, grommela le vieuxmatou quand il eut terminé. J’ai
déjà mangé pire que ça !— Est-ce que tu pourrais nous
montrer l’endroit où tu astrouvé la mousse ? Et d’autreslieux dont tu te souviens, del’époque de ta jeunesse ? »
Étoile de Feu remercia sacompagne d’un regardchaleureux. C’était uneexcellente idée de faire vibrer lacorde du souvenir chez le vieuxmatou.
Celui-ci se dirigea vers lasortie, non sans marquer unebrève pause devant les griffuressur la pierre.
« Je vais vous montrer lamousse et les endroits oùm’emmenait ma mère. Mais ilfaut y aller tout de suite, avantqu’il fasse trop chaud. »
Étoile de Feu avala le reste deson moineau et se leva.
« Je suis prêt. À toi de passerdevant. »
Le vieux matou s’engageadans le chemin caillouteux quimenait au fond de la gorge, puissauta sur le tas de rochers d’oùjaillissait la rivière. Sesmouvements étaient assezraides, mais Étoile de Feu fut
impressionné par son agilité. Endépit de son âge, il s’essoufflaità peine.
« On appelait ça le Grand Roc,expliqua-t-il en considérant sescompagnons hors d’haleine d’unair narquois. Le chef du Clan duCiel montait là-dessus quand ilvoulait réunir son Clan. Lesautres se mettaient autour dubassin. Vous connaissez déjà leRoc Céleste, c’est là que le Clanse retrouvait lors de la pleinelune.
— Pourquoi le Clan du Cieltenait-il des Assemblées alors
qu’il n’y avait pas d’autresClans ? l’interrogea Étoile deFeu.
— Parce que c’est unecoutume de guerrier. C’étaitpour se rapprocher des étoiles. »
Puis, désignant les grottes, ilajouta :
« Et là, se trouvaient lestanières. Les guerriers setenaient là où nous avonsdormi. En dessous, la tanièredes anciens et…
— Oh, on pensait que lesanciens vivaient dans la grotte laplus basse, l’interrompit
Tempête de Sable. Parce que… »Elle se donna quelques coups
de langue sur la poitrine pourcacher son embarras.
« … parce que les vieux chatssont trop raides pour grimper ?grommela Ciel. Non, les chatsdu Clan du Ciel n’ont jamaisperdu leur agilité. Cette grotteétait celle du guérisseur, près del’eau et des herbes. »
Il continua, indiquant lapouponnière, la grotte où ilsavaient remarqué les petitesgriffures latérales, celle desapprentis et enfin celle du chef,
un peu éloignée des autres, prèsdu chemin qui menait au RocCéleste.
« Y a-t-il déjà eu desinondations ? demanda lachatte.
— Oui, mais jamais plus hautque la tanière des guerriers. Mamère me racontait que c’est làque tout le Clan se réfugiaitdurant les orages les plusviolents. »
Il leva les yeux vers lessentiers qui menaient auxgrottes, grouillant jadis de vie etd’agitation.
« Venez, je vais vous montreroù trouver la mousse. »
Le vieux chat accéléra l’allureet les entraîna vers le petitbassin à l’eau sombre qu’ilsavaient déjà remarqué, puiss’engagea dans une espèce deboyau où ils le perdirent de vue.
Où les emmenait-il ? Allait-illes obliger à nager ?
Sa voix retentit dansl’obscurité :
« Alors, vous venez ou pas ? »Les deux chats échangèrent
un regard dubitatif.« On peut difficilement faire
autrement », souffla larouquine.
Ils obtempérèrent. Étoile deFeu posa une patte devantl’autre avec précaution, essayantde rester en équilibre sur laroche glissante, à une demi-queue à peine de l’eau bleu-vert.
« À quoi joue-t-il ? » maugréaÉtoile de Feu.
Ils débouchèrent dans unegrotte traversée par une rivièresouterraine. Ciel les attendaitdans l’obscurité. Une pâlelumière faisait briller sonpelage.
« Voilà toute la mousse dontvous pouvez rêver ! » annonça-t-il fièrement en désignant lemur.
Les parois de la grotte étaienttapissées d’une mousse quipendait de-ci, de-là. Le plusétrange, c’était cette lumièrepresque irréelle qu’elle diffusait.
« De la mousse lumineuse !s’exclama Tempête de Sable.
— C’est sans danger, assura-t-il. On peut aussi bien s’en servirpour les nids que pour porter del’eau. Personne ne sait pourquoielle brille comme cela. On
appelait cet endroit la GrotteLumineuse. Personne ne vivaitici, mais les guérisseurs avaientl’habitude d’y venir partager lesrêves de leurs ancêtres. »
Étoile de Feu fut touché queCiel les ait menés dans un lieuaussi important. Et il étaitcontent de ne pas l’avoirdécouvert sans lui. Ils auraientpris la mousse sans comprendrela valeur symbolique de lagrotte.
« Merci de nous l’avoirmontrée », murmura Étoile deFeu.
Les paroles chuchotées firentécho dans la grotte comme sitoutes les voix du Clan luirépondaient ; il fut soulagéquand leur guide les entraîna denouveau vers la lumière.
Une fois sur la rive opposée,Étoile de Feu remarqua que laraideur du vieux matous’atténuait au fur et à mesureque se déroulait la visite duterritoire de ses ancêtres,comme si celle-ci lui insufflaitune nouvelle vie. La queue bienhaute, il suivit un cheminserpentant dans les broussailles
jusqu’à un arbre tombé entravers du ruisseau. Étoile deFeu et Tempête de Sable nes’étaient jamais aventurés siloin. La plupart des branches decet arbre étaient arrachées etson tronc joliment décapé en ungris argenté. Ciel sauta dessus ettrotta avec assurance jusqu’àl’autre rive. Étoile de Feu etTempête de Sable le suivirent ens’agrippant de toutes leursgriffes pour ne pas tomber dansles flots qui bouillonnaient souseux.
« C’était la limite du territoire
du Clan du Ciel, annonça Cielquand ils le rejoignirent. Et c’estlà que je suis né. »
D’un mouvement de la queue,il désigna au pied de la falaiseune petite grotte dont l’entréeétait protégée par un arbrechétif. Le sable sur le sol étaitparsemé de petits gravillonspointus, mais Étoile de Feu sel’imagina recouvert d’un épaistapis de mousse, où une chattes’occupait tendrement de sespetits.
« Quel était le nom de tamère ? demanda Tempête de
Sable.— Plume d’Aurore. Je n’ai
jamais connu mon père. Unautre chat errant, je suppose.J’avais un frère nomméCrépuscule.
— Il vit toujours ici, luiaussi ? »
Ciel se crispa, mais au lieu derépondre, il fit demi-tour pourse diriger vers l’amont de larivière en grommelant :
« Par ici !— Désolée, murmura la chatte
à Étoile de Feu. Il est évidentque je l’ai contrarié. Je ne
voulais pas me montrerindiscrète.
— Je sais. Je suppose queCrépuscule est mort. »
Au lieu de retourner vers lesgrottes, Ciel entreprit degrimper sur la falaise. Cette fois,il n’y avait pas de chemin tracéet les deux chats arrivèrentépuisés, les pattes en piteuxétat.
Ciel les attendait, impatient,la queue battant en rythme.Sans piper mot, il s’enfonçadans les broussailles.
« Est-ce qu’on est encore sur
le territoire du Clan du Ciel ?demanda Étoile de Feu.
— Il s’étend jusqu’au tronccoupé, là-bas. Et c’est sous cebuisson que j’ai attrapé mapremière souris. Taches deRousseur était trèsimpressionnée, ajouta-t-il. Je nelui ai jamais dit qu’une épineavait ralenti l’allure de la pauvrebête. C’était une prise facile.
— Taches de Rousseur ?Qui… »
Puis, ne voulant pas poserune autre question douloureuse,la rouquine demanda :
« Ta mère ne t’avait-elle pasappris à chasser ?
— Taches de Rousseur étaitl’amie de ma mère. La traditionvoulait qu’une reine confie sespetits à une autre reine pourl’éducation. Taches de Rousseurs’est occupée de notreformation, à Crépuscule et àmoi, et notre mère s’est occupéedes petits de son amie.
— Pourquoi avaient-ils cegenre d’arrangement ? s’étonnaÉtoile de Feu.
— Je l’ignore. C’était lacoutume. Peut-être craignaient-
ils qu’une mère se montre troptendre avec ses propres petits ouqu’elle soit tentée de chasser àleur place au lieu de leurapprendre à le faire eux-mêmes. »
Étoile de Feu échangea unregard avec sa compagne etmurmura :
« Ils s’inspiraient peut-être dela tradition des apprentis, suivieà l’époque où le Clan vivaitencore dans la forêt.
— Leurs noms ressemblentaussi à des noms de Clan, fitremarquer Tempête de Sable.
Certains, en tout cas.— Est-ce que les reines
continuent à entraîner les petitsdes autres dans la région ?demanda Étoile de Feu ens’adressant au vieux matou.
— Aucune idée. Je n’ai rien àvoir avec les chats du coin »,grommela-t-il en continuant saroute.
Étoile de Feu se sentaitfrustré.
« On perd notre temps,souffla-t-il à Tempête de Sable.C’est intéressant, mais cela nenous mène nulle part. Autant
rentrer chez nous.— Sois patient. Il peut encore
arriver tant de choses… »Ciel l’interrompit pour
désigner un gros trou noir dansla falaise.
« Là, c’était la tanière durenard, miaula-t-il, le regardsombre. Ma mère m’a dit qu’ilavait tué deux chatons.
— C’est tout près des nids desBipèdes, nota la chatte.
— Au début, ils étaient pluséloignés, mais ensuite ils en ontconstruit d’autres. Je m’ensouviens. De gros monstres ont
tout arraché. Ils ont effrayé legibier avec ce raffut. »
Étoile de Feu frissonna. Ilavait l’habitude des monstresqui couraient sur le Chemin duTonnerre, mais n’osait imaginerce que ce serait s’ils venaientdéraciner les arbres et détruireleur camp…
« C’est à cause d’eux que leClan du Ciel a quitté la gorge ?
— Mais non, voyons ! Vousn’avez donc rien écouté ? LeClan était déjà dispersé quandles monstres ont attaqué.
— Alors pourquoi… »
Sans attendre la questiond’Étoile de Feu, Ciel les entraînavers les jardins des Bipèdes. Defortes odeurs de chats s’endégageaient, mettant lesvisiteurs mal à l’aise.
« C’est plein de chats ! Desbons à rien. Ils ne savent mêmepas chasser », rouspéta Ciel.
Étoile de Feu put distinguerles odeurs de Cerise et de Merle,mais il ne les vit pas. Il leregretta, car il aurait aimé qu’ilsrencontrent le vieux matou et letraitent avec respect,dorénavant. Surtout s’il avait
raison et que ces chatonsappartenaient à sa familleéloignée.
« Un chien vivait dans ce nid,miaula Ciel. Tous les chatsétaient terrorisés tant sesaboiements étaient effrayants !Un jour, Crépuscule m’a défié degrimper sur la clôture pour leregarder. Et vous savez quoi ? Lechien n’était pas plus grand quemoi ! J’ai feulé et il est retournédans sa niche en gémissant.
— J’aurais bien aimé voir ça !dit Tempête de Sable en riant.
— Dans ce nid, un peu plus
loin, les Bipèdes étaient gentils.Ils laissaient de la nourrituredehors. »
Puis Ciel eut soudain l’airterriblement triste.
« Que s’est-il passé ?demanda doucement Tempêtede Sable.
— Après avoir goûté cettenourriture, Crépuscule a décidéqu’il ne voulait plus chasser. Ilest allé vivre avec les Bipèdes. Jene l’ai jamais revu. »
Sa famille avait donc étédispersée, tout comme sesancêtres. Ils atteignirent le bout
de la barrière et longèrent laclôture en forme de toiled’araignée argentée qu’Étoile deFeu avait déjà vue près desterritoires des Bipèdes.
« Bon, on peut rentrer,maintenant ! annonça Ciel ens’arrêtant brusquement.
— S’est-on beaucoup éloignésdu territoire du Clan du Ciel ? »
Le poil hérissé, Ciel regardaitautour de lui avec inquiétude.
« Bien assez. »Au-delà de la toile d’argent se
dressait un bâtiment délabré enpierre blanche, envahi de
mauvaises herbes, qui rappela àÉtoile de Feu la grange oùvivaient Gerboise et Nuage deJais. Mais celle-ci était bien plusvaste, avec de grandesouvertures sur les côtés etrecouverte d’un toit brillant.Apparemment, il n’y habitaitaucun Bipède à l’intérieur.Étoile de Feu ne percevait quedes odeurs de détritus, de chairà corbeau et de rats. Un chat duClan de l’Ombre aurait étéheureux de chasser ici, maisÉtoile de Feu n’eut aucune enviede risquer une patte à l’intérieur
de cette bâtisse.« D’accord, rentrons. »Le soulagement de Ciel était
évident : sa fourrure reprit sonvolume habituel. Il s’engageadans le chemin qui menait à lagorge. Tempête de Sable ralentitson allure pour parler à soncompagnon.
« Il est si triste et seul.J’aimerais tant pouvoir l’aider.
— Moi aussi, admit Étoile deFeu. Mais que faire ? Il passeson temps englué dans le passéde ses ancêtres, comme unemouche dans une toile
d’araignée, mais cette époqueest révolue. »
La rouquine s’arrêta, les yeuxpétillants.
« Et pourquoi pas ? Nousavons prouvé que des chatspouvaient vivre en ces lieux. Etil y en a déjà beaucoup dans lesenvirons, ceux des Bipèdes et leserrants, qui pourraientrecomposer ce Clan. Certainsont même en eux du sang duClan du Ciel.
— Et qui va annoncer à tousces chats qu’ils doivent venir iciet vivre dans des grottes ? Un
Clan doit être uni et secomporter selon les préceptesdu code du guerrier.
— Alors, tu abandonnes ?— Que puis-je faire d’autre ?
Les membres du Clan du Cielont vécu ici autrefois et quelquechose les a disséminés. Quelquechose de si terrible que Ciel n’amême pas pu en parler. Si j’étaissûr de pouvoir les aider, jeresterais. Mais c’estimpossible. »
Le soleil à présent dardait sesrayons implacables. Ils
retrouvèrent Ciel installé devantl’entrée de la grotte desguerriers, les yeux rivés sur lafalaise d’en face.
« Merci de nous avoir permisde visiter le territoire, miaulaÉtoile de Feu. Nous allons nousreposer jusqu’à ce qu’il fassemoins chaud, puis nous devronspartir. »
Ciel se leva et considéra tourà tour les deux chats d’un airperplexe. Il semblait un peu plusgrand, plus sûr de lui et sedressait devant eux comme unvéritable guerrier de Clan.
« Partir ? Que voulez-vousdire ? Moi, ce que je veux savoir,c’est si, oui ou non, vous allez lefaire.
— Faire quoi ? Notre voyageest terminé. Nous avons trouvél’endroit où avait vécu le Clandu Ciel, mais le Clan a disparu.
— Ce n’est pas pour ça que tuas été envoyé ici ! feula Ciel endéfiant Étoile de Feu. Tuprétends qu’un de leurs ancêtresest apparu dans tes rêves. Ilsavait pertinemment que sonClan avait disparu depuislongtemps, chassé de la forêt par
vos Clans, puis d’ici par un malbien plus terrible ! Il t’apourtant demandé d’intervenir.
— Tu ne peux pas medemander de…
— Tu dois réparer le mal qui aété fait par tes ancêtres, insistaCiel, farouche. Tu doisreconstituer le Clan du Ciel.
CHAPITRE 21
CHAPITRE 21
« JE SAIS QUE CELA SEMBLE
IMPOSSIBLE, concéda Ciel. Maisje sais aussi que tu auras laforce d’y parvenir. Aie confianceen toi., Étoile de Feu ! »
Sur ce, il le salua avec unegrande dignité et s’engagea surle chemin pierreux.
« Alors ? demanda Tempêtede Sable. Vas-tu le suivre pourlui annoncer que tu renonces ?Ou te contenter de partir en lelaissant découvrir que tous sesespoirs sont vains ? »
Étoile de Feu secoua la tête,désarmé.
« Je vais commencer par allerchasser, annonça-t-il. Excuse-moi, j’ai besoin d’être seul, unmoment.
— Je comprends, ne t’en fais
pas. »Afin de ne pas croiser Ciel, il
partit dans la direction opposée,vers les bois. Son esprit tournaità plein régime. Prendre laresponsabilité d’un autre Clan ?Avec des territoires séparés parun voyage de près d’une lune ?Ce n’était pas raisonnable !
Il se rappela Étoile du Tigre,qui s’était proclamé chef dedeux Clans, celui de l’Ombre etcelui de la Rivière. Sesambitions sanguinairesresteraient gravées dans lamémoire des chats de la forêt
pendant de nombreuses saisons.« Je ne serai pas un autre
Étoile du Tigre ! » affirma-t-il àvoix haute.
À qui valait-il mieux êtrefidèle ? À son Clan ou au codedu guerrier ?
Il descendit la pente quimenait à la rivière. L’ombre étaitrare et le sable encore trèschaud lui brûlait les pattes. Lafraîcheur de la forêt luimanquait, tout comme lebruissement des proies dans lesfutaies.
Puis un mouvement attira
son attention. C’était le matouroux qu’il avait rencontréquelques jours auparavant.
« Hé ! Attends ! »Le chat jeta un coup d’œil
derrière lui mais ne s’arrêta paspour autant. Au contraire, ils’enfonça dans les broussailles.Étoile de Feu le perdit de vue.
Alors il se dirigea vers lesbuissons les plus proches, lesoreilles aux aguets et la gueuleouverte pour détecter lamoindre odeur alléchante.Soudain, il s’arrêta, déconcerté.Il sentait le fumet d’une proie,
mais tellement masqué par leparfum des feuilles écraséesqu’il ne put l’identifier. Il eut ladésagréable sensation d’êtreobservé et son poil se hérissatout le long de son échine.
Voulant échapper à cetteimpression, il pressa le pasjusqu’aux buissons. En vain. Ens’imaginant le regard hostile fixésur lui, il sentit comme desgriffes glacées lui labourer ledos. Quelque chose rôdait dansle taillis, menaçant.
« Qui est là ? » feula Étoile deFeu.
Il se retourna vivement,effrayant une grive qui s’envolade l’arbre le plus proche. Sonpiaillement de panique avait dûalerter tout le gibier alentour.
Furieux contre lui-même, ils’accroupit sous l’épais buissonet attendit, mais rien ne bougea.Rien qui puisse expliquer laforce maléfique dont il sentait siintensément la présence.
Puis, peu à peu, la sensations’évanouit. Son cœur se calmaet, un peu penaud, il sortir de sacachette.
Tu te comportes comme un
chaton ! pensa-t-il. N’as-tu pasassez de problèmes pour allert’en inventer d’autres !
Il s’efforça de se concentrersur la chasse. Très vite, il décelaune souris en train de fureterdans les gravillons sous unbuisson de houx. Plaqué au sol,il commença à ramper vers lepetit rongeur. Il s’apprêtait àbondir quand un bruitprovenant des fourrés alerta saproie qui disparut aussitôt sousle feuillage.
Étoile de Feu laissa échapperun grognement de frustration. Il
percevait de nouveau un regardfixé sur lui, mais sans hostilité,cette fois. En tournant la tête, ildistingua une fourrure écaille.
« Ne fais pas de bruit ! Il vanous entendre ! chuchota unevoix agacée.
— Alors laisse-moitranquille ! Espèce de stupideboule de poils ! » rétorqua uneautre voix.
Cerise et Merle ! J’aurais dûm’en douter !
Il contourna les fourrés, biendécidé à les surprendre parl’arrière pour leur donner la
frousse de leur vie. Puis il seravisa.
Ainsi, ils voulaientm’espionner ? Je vais leurdonner un spectacle dont ilsvont se souvenir.
Il huma l’air et détectapresque aussitôt une autresouris, grignotant des grainessous un hêtre. Aplati contre lesol, il avança à pattes de velours.La souris s’élança, mais cettefois Étoile de Feu fut le plusrapide et il la plaqua au sol d’unsimple coup de patte.
Derrière lui, il entendit un
petit cri d’admiration et sesmoustaches frétillèrent desatisfaction quand il se mit endevoir de gratter la terre pourenterrer sa prise. Il voulaitmontrer à ces petits chenapansce qu’un chat de Clan pouvaitaccomplir grâce aux aptitudesdéveloppées par unentraînement de guerrier.
À quelques longueurs dequeue de là, un merle picoraitdans l’herbe.
Clan des Étoiles, je t’enconjure, ne le laisse surtout pass’envoler !
Prenant appui sur ses pattesarrière, il sauta sur le volatile aumoment où celui-ci prenait sonenvol.
« Merci, Clan des Étoiles ! »s’exclama-t-il à voix haute avantd’aller l’enterrer avec la souris.
Il avait à peine terminéqu’une odeur d’écureuil vint luichatouiller les narines. Lacréature sautillait dans a l’herbevers un arbre non loin. Étoile deFeu bondit pour intercepter saproie et la tua d’un coup dedents dans la nuque.
Puis il se tourna carrément
vers le taillis dont les branchess’agitaient avec frénésie.
« Je sais que vous êtes là !miaula-t-il. Voulez-vous sortir etessayer d’en faire autant ? »
Silence. Puis Cerise apparut,Merle sur les talons.
« Je t’avais bien dit qu’il allaitt’entendre ! rouspéta-t-elle àl’adresse de son frère.
— Je vous ai entendus tousles deux. Vous faisiez autant debruit que deux renards engoguette. Je suis étonné qu’ilreste encore du gibier dans larégion avec tout ce raffut !
Venez, ajouta-t-il d’une voixplus amicale, je vais vousmontrer comment faire. »
Les deux chatons échangèrentun regard, puis Cerise accourutvers Étoile de Feu, la queue enpoint d’exclamation.
« Tu peux vraiment nousapprendre à chasser commeça ? »
Merle suivait, mais d’un pasplus prudent.
« Pourquoi as-tu enterré lasouris et le merle ? Tu ne veuxpas les manger ? »
Étoile de Feu posa l’écureuil.
« Si, mais pas tout de suite.Nous enterrons nos proiesfraîchement attrapées pourcacher leur odeur. Ainsi, lesautres prédateurs ne lestrouvent pas avant qu’on soitprêts à les emporter jusqu’aucamp.
— Mais quel est l’intérêt deles ramener ? insista Cerise.Pourquoi est-ce que tu ne lesmanges pas ici pour t’évitercette peine ? »
Étoile de Feu se souvint alorsde sa première leçon en tantqu’apprenti : le Clan doit être
nourri en priorité. Il venait justede quitter sa vie de chatdomestique, alors, et devaitressembler à ces deux chatonsnaïfs.
« Les chats des Clans nechassent pas seulement pour senourrir eux-mêmes, expliqua-t-il. Ils rapportent leurs proies aucamp pour les anciens, lesreines ayant des petits oun’importe quel chat incapable dechasser. C’est une règle trèsimportante du code duguerrier. »
Cerise et Merle se regardèrent
avec des yeux ébahis et Étoile deFeu se demanda s’ils avaientcompris.
« Bon, commençons ! miaula-t-il. Qu’est-ce que tu sens ?demanda-t-il à Cerise.
— Eh bien, Merle et toi, biensûr !
— À part nous, soupira Étoilede Feu. Quel genre de proies ? »
Les deux jeunes chats nebougèrent plus, aspirantprofondément l’air, les sens enalerte. Pendant qu’ils seconcentraient, Étoile de Feuramassa l’écureuil et le ramena
vers ses autres proies afin queles chatons ne confondent passon odeur avec du gibierpotentiel.
Quand il revint, Merle bonditvers lui, une lueur de triomphedans les yeux.
« De la souris ! Je sens de lasouris !
— Très bien. Mais tu ne lasentiras pas longtemps si tutambourines comme ça sur lesol ! Une souris peut détectertes pas avant de te voir ou teflairer. Tu te rappelles commentj’ai rampé vers la souris que j’ai
attrapée ?— Moi, je me rappelle ! » se
vanta Cerise.Elle se mit en position de
chasse et commença à ramper.Très vite, elle dut s’arrêter pouréternuer quand un brin d’herbelui chatouilla le nez.
« Crotte de souris ! cracha-t-elle, contrariée.
— Ce n’était pas trop mal,l’encouragea Étoile de Feu. Àtoi, Merle ! »
Le jeune chat tigré n’était pasaussi enthousiaste que sa sœuret son poids le rendait un peu
plus pataud.« Comme ça », montra Étoile
de Feu. Il leur fit unedémonstration, qu’ils imitèrentsoigneusement.
Puis il remarqua une sourisderrière une touffe de bruyèredesséchée et la montra du boutde la queue.
D’un mouvement d’oreille, ilinvita Cerise à essayer del’attraper.
Les yeux de la chattebrillaient d’excitation. Retenantsa respiration pour seconcentrer sur son approche, les
yeux rivés sur la souris, elle neremarqua pas les tiges desfougères et les heurta, projetantleur ombre sur la souris quidétala aussitôt.
Cerise s’assit en agitant laqueue de dépit.
« Je n’y arriverai jamais,geignit-elle.
— Bien sûr que si ! assuraÉtoile de Feu. Tu n’as pas eu dechance avec les fougères, c’esttout ! »
Il huma de nouveau l’air,voulant qu’au moins l’un deschatons attrape une proie avant
la fin de la leçon. La seule qu’ilvit fut un écureuil sur labranche la plus basse d’un arbretout proche.
« Que pensez-vous de ça ?suggéra Étoile de Feu, sedemandant si Cerise ferait unautre de ses sautsspectaculaires. Crois-tu pouvoirl’attraper ?
— Oui, facile ! »Elle chargea, Merle à une
queue de souris derrière elle. Enarrivant à l’arbre, Cerise bondit,pattes avant tendues, et enfonçaune griffe dans la queue de
l’écureuil. Il tomba à terre, oùMerle sauta sur lui et le tua enenfonçant ses petits crocspointus dans sa gorge. La chatteresta perplexe, étonnée d’avoirréellement attrapé une proie.
« Belle prise ! s’exclamaÉtoile de Feu. Vous avez étéparfaits ! Savez-vous sautercomme cela tous les deux ?
— Bien sûr ! Les autres chatsdisent qu’on frime, mais c’estjuste un truc qu’on a toujours sufaire.
— C’est une aptitudeformidable. Et si vous la
possédez tous les deux, celasignifie probablement que vosancêtres pouvaient sautercomme cela aussi. Je suiscertain qu’ils sont très fiers devous. »
Merle eut l’air déconcerté.« Mais ils ne peuvent pas
nous voir, n’est-ce pas ? »Étoile de Feu se demanda s’il
était temps de parler du Clan duCiel aux deux chatons, avant deconclure que c’était encore troptôt. Il préféra changer de sujet.
« Mangez l’écureuil, si çavous tente. Vous n’avez pas un
Clan affamé à nourrir.— Ça sent bigrement bon,
miaula Merle en se pourléchant.Tu en veux un peu ?
— Non, merci. Partagez-le,Cerise et toi. J’ai mes propresproies à emporter.
— Le… le problème,bredouilla Cerise, c’est que nosBipèdes s’inquiètent quand onne mange pas leur nourriture. Etsi on s’est déjà rempli la panseavec l’écureuil, eh bien…
— Ils risquent de nous endonner moins la prochaine fois,en voyant notre écuelle encore
pleine ! » s’inquiéta Merle.Étoile de Feu avait vu des
chats affamés à en mourir ; ilput difficilement compatir. Maisquelqu’un devait bien mangercet écureuil, qui risquaitd’attirer des renards s’il restaitlà.
« Et puis zut ! lança Cerise.Ça sent tellement bon que jem’en fiche ! On peut toujours enattraper un autre si nos Bipèdesne nous nourrissent pas assez. »
Elle s’accroupit à côté de laproie et commença à la déchireravec un appétit féroce. Merle ne
tarda pas à se joindre à elle.Amusé par leur voracité, ÉtoileFeu s’éloigna pour rejoindre sespropres prises, qu’il déterra.
Quand il parvint au camp duClan du Ciel, le soleil était assezbas, et les grottes plongées dansl’ombre. Assise devant l’entréedu repaire des guerriers,Tempête de Sable observaitl’autre berge de la gorge.
— Belles prises ! miaula-t-ellequand son compagnon posa sesproies devant elle.
— Oui, et j’ai de nouveau
croisé ces deux chatons.Il lui raconta sa leçon de
chasse mais ne dit rien desregards hostiles qu’il avait crupercevoir. Peut-être les avait-ilsimplement imaginés. Inutiled’inquiéter sa compagne.
— Ils ont la trempe de bonsguerriers, fit remarquer larouquine. Leur as-tu demandés’ils voulaient se joindre au Clandu Ciel ?
— Non…— Pourquoi pas ? Il faut bien
que tu commences parquelqu’un ! le houspilla-t-elle,
en agitant le bout de la queue.— Je n’ai pas encore décidé si
je veux reconstituer le Clan ounon.
— Tu vas donc laisser tomberCiel ?
Étoile de Feu ne sut querépondre. Il se sentait écartelé :d’un côté, l’ampleur de la tâcheà accomplir le décourageait ; del’autre, il se sentait coupable àl’idée de décevoir Ciel enrefusant d’essayer.
— On a des chances d’yarriver, continua la chatte. Maison ne peut pas rester ici
éternellement. Nous devonsnous occuper de notre propreClan. Alors autant s’y mettretout de suite !
— Cerise et Merle sont deuxchatons très volontaires. S’ilsenvisagent de vivre selon le codedu guerrier, il faut qu’ils ledécident de leur plein gré. Pourl’instant, ils semblent trèsheureux de leur sort. »
Tempête de Sable lui jeta unregard dubitatif, se demandants’il ne cherchait pas une excuse.Étoile de Feu ne devait passavoir lui-même ce qu’il
désirait…Il poussa l’écureuil devant
elle.« Tiens, mange ! Quant à moi,
je vais réfléchir aux paroles deCiel. J’y verrai peut-être plusclair demain matin. »
Clan des Étoiles, montrez-moi la voie ! Montrez-moi enquoi je peux aider ce Clan !
CHAPITRE 22
CHAPITRE 22
« ÉTOILE DE FEU ! Étoile deFeu ! »
En ouvrant les yeux, ildécouvrit les silhouettes de deuxchats se dessinant dans l’entrée
de la grotte.« Bon sang ! Que se passe-t-
il ? » grommela le rouquin en selevant.
Quand les deux félinssautèrent dans la grotte, ilreconnut Merle et Cerise, lesyeux brillant d’excitation.
« On veut une autre leçon dechasse ! annonça Cerise.
— S’il te plaît ! ajouta Merleen lançant un regard noir à sasœur.
— Je croyais que les chats deBipèdes dormaient jusqu’àmidi ! intervint Tempête de
Sable en bâillant à s’endécrocher la mâchoire.
— Parfois on le fait, réponditMerle. Mais c’était passionnant,hier…
— On s’est trop bien amusés !intervint Cerise. Tu vas nousemmener avec toi, n’est-cepas ? »
Leur enthousiasme surpritÉtoile de Feu mais le combla deplaisir. Il fut aussi aiguillonnépar la nostalgie : ces deuxchatons auraient très bien puêtre des apprentis du Clan duTonnerre, suppliant pour qu’on
les emmène en patrouille dechasse.
« On peut en prendre unchacun, proposa Tempête deSable en bâillant encore. Il vautmieux nous séparer. Tousensemble, nous risquerionsd’effrayer les proies.
— Très juste ! admit Étoile deFeu. Surtout ici, où il y a si peud’abris pour se cacher. PrendsMerle et moi Cerise. »
La petite chatte écaillesautilla de joie.
« Je parie qu’on attraperaplus de proies qu’eux ! »
Tempête de Sable quitta lagrotte, suivie der Merle, ets’engagea dans le chemin quimenait aux taillis du haut de lafalaise. Étoile de Feu entraînaCerise dans la direction opposée,vers la rivière. De petits nuagesblancs s’égayaient dans un cielbleu parfait et la lumièrescintillait à la surface de l’eau.Mais la journée restait fraîche etune brise légère ébouriffait lepelage du chef de Clan.
« On retourne à l’endroit oùon a chassé hier ? » demandaCerise, enthousiaste.
Il s’arrêta à mi-chemin. Prèsde la rivière, ils trouveraient eneffet beaucoup de gibier, maiscomment oublier le malaiseressenti la veille ? Même s’ilétait dommage d’abandonner unbon terrain de chasse, il n’étaitguère pressé de découvrir qui secachait derrière ces regardsmalveillants.
« Non, nous irons en amont,cette fois. »
Cerise faillit protester, maisse ravisa. Ils descendirent lechemin caillouteux versl’endroit où la rivière jaillissait
du talus pierreux. En sautant, ilse blessa sur un silex acéré et ladouleur le transperça comme uncoup de griffe. Laissantéchapper un feulement decolère, il s’arrêta pour lécher soncoussinet meurtri.
Cerise avait pris de l’avance,mais elle se rendit comptequ’Étoile de Feu ne suivait paset elle revint sur ses pas.
« Qu’est-ce qu’il y a ?— Tu n’as pas mal aux
coussinets, toi ? » demanda-t-il.Elle secoua la tête et lui
montra une patte. Revêtus d’une
peau grise bien épaisse faitepour marcher sur les cailloux,ses coussinets semblaient plusrésistants que ceux du matou. Illui présenta les siens, à la peaunoire et douce, éraflée à causedu sol rugueux.
« Je n’aurais jamais cru quedes pattes pouvaient être danscet état !
— Rappelle-toi que je ne vienspas d’ici, expliqua Étoile de Feu.J’ai l’habitude de marcher sur lesol tendre de la forêt. »
Devait-il saisir cette occasionpour parler à la jeune chatte de
ses ancêtres ? Il fallait qu’ellesache, si un jour elle voulaitdevenir une guerrière du Clandu Ciel.
« L’autre jour, je t’ai dit queton don pour le saut venait detes ancêtres, n’est-ce pas ? Ehbien, tu as également héritéd’eux tes coussinets résistants.Tes ancêtres ont pu s’installerdans cette région parce qu’ilsavaient la faculté de s’yadapter. »
La chatte le considérait avecdes yeux ronds.
« C’est vrai ?
— Puisque je te le dis.— Comment sais-tu autant de
choses sur mes ancêtres ? »D’un signe de la queue, il
l’invita à venir s’asseoir àl’ombre d’un buisson de ronces,au pied de la falaise.
Là, il lui parla de la forêt dontil venait et des quatre Clans quiy vivaient.
« Jadis, il existait cinq Clans,mais le cinquième, le Clan duCiel, en a été chassé, il y a très,très longtemps. Ces chats sontvenus s’installer ici, dans lesgrottes. Ensuite, ils se sont
séparés et dispersés. Le Clan duCiel n’existe plus. Néanmoins,certains chats, comme Merle ettoi, sont des descendants de ceClan. »
Les moustaches de Cerisefrétillaient d’excitation.
« Incroyable !— Regarde la falaise,
continua-t-il. Le camp du Clandu Ciel se trouvait là, dans cesgrottes reliées par des chemins.Les guerriers vivaient là oùTempête de Sable et moi avonsdormi. La grotte, là-bas, avec letas de rochers devant, c’était la
pouponnière…— Oui, je vois qu’il y a de la
place pour beaucoup de chats,mais pourquoi est-ce que tu meracontes tout ça ?
— Parce que Ciel pense que…— Ciel ? Qui est Ciel ?— Le chat que vous appelez
Lunatique. Oui, celui que vousimportunez sans cesse ! Son vrainom est Ciel. Il est le dernierguerrier de ce Clan. Et unmembre de votre famille !
— C’est impossible, puisqu’onhabite chez les Bipèdes !
— Ciel, Merle, toi… vous êtes
tous des descendants du Clan duCiel. Et si je suis venu ici, c’estpour rassembler les chatsdispersés et reconstituer le Clan.
— En commençant par Merleet moi ?
— Ce sera à vous de voir. Jevous expliquerai le maximum dechoses sur la vie d’un Clan et lecode du guerrier. Ensuite, vouschoisirez. »
Pour une fois, Cerise restasans voix. Son regard dériva versla falaise et les grottes. Elle sedemandait probablement ce queserait sa vie, en compagnie de
tout un Clan de chats.Étoile de Feu comprit alors
qu’il avait implicitement acceptél’idée de rester.
Quand le soleil fut à sonzénith, ils retournèrent à latanière des guerriers, chargés deleurs prises. Tempête de Sable etMerle étaient assis à côté de laréserve de proies et le jeunechasseur avait déjà attaqué unmoineau.
« Tu sais quoi, Merle ?demanda joyeusement Cerise endéposant son butin. On n’est pas
du tout des chats domestiques !On descend du Clan du Ciel ! Ilssont venus de la forêt où viventÉtoile de Feu et Tempête deSable, loin, loin vers le bas de larivière. Et ils ont installé leurcamp ici et…
— Tempête de Sable m’araconté tout ça ! l’interrompitMerle, tout excité, lui aussi. Elledit qu’on pourrait devenir desguerriers du Clan du Ciel, si onvoulait.
— Vous feriez d’excellentsguerriers, renchérit la rouquineavec un regard d’approbation.
Merle a très bien chassé,aujourd’hui.
— Sa sœur aussi, ajouta soncompagnon. Cerise, sers-toi. Tul’as bien mérité. »
La jeune chatte choisit unesouris et la dévora avidement.Les deux novices semblaientavoir oublié leur inquiétudeconcernant la nourriture serviepar les Bipèdes.
« C’était délicieux ! s’exclamaMerle en terminant sonmoineau avant de se nettoyerles moustaches. On peut revenirdemain ?
— Bien sûr ! miaula larouquine. Il le faut, si vousvoulez apprendre le code duguerrier.
— Oh, oui ! Oh, oui !s’enthousiasma Cerise.
— Un instant ! » intervintÉtoile de Feu.
Il vint s’asseoir face auxchatons.
« Êtes-vous bien conscientsque le code du guerrier n’est pasun jeu ? C’est un mode de vie.Vous ne pouvez pas habiter avecvos Bipèdes et débarquer dans lagorge quand cela vous chante !
Si vous voulez être desguerriers, votre maison est ici etnulle part ailleurs !
— Quitter nos Bipèdes ?paniqua Merle. Euh… je ne saispas… Ils sont gentils, ils nousdonnent à manger et ils seferaient du souci si on partait…
— Mais si nous sommesvraiment des chats du Clan duCiel, alors c’est ici que nousdevons vivre ! affirma Cerise.Allez, Merle ! Tu n’as pas enviede rester dehors tard, mêmequand il fait nuit ? Et tu nepréférerais pas manger des
souris et des écureuils plutôtque ces stupides croquettes ? »
De toute évidence, elle ne serendait pas compte des duresréalités de la vie des guerriers,en particulier à la mauvaisesaison, quand le gibier se faisaitrare et que le sol était recouvertde neige.
« Vous n’avez pas à prendrede décision tout de suite. Vivreselon le code du guerrier peutêtre très difficile.
— Mais tu as dit qu’on a uncorps adapté à ce genre de vie.Merle, toi aussi tu as envie
d’être un guerrier, n’est-ce pas ?— Euh… oui, sans doute. Bon,
je vais essayer ! lança-t-il, enfin,avec un regard déterminé.
— Moi aussi ! renchéritCerise. Allez, viens Merle ! Onpeut s’entraîner à la chasse dansle jardin ! »
Les deux chatons bondirenthors de la grotte.
« Merci ! À plus tard ! miaulaencore la petite chatte écailleavant de disparaître entrottinant.
— On dirait que nous avonstrouvé nos deux premiers
apprentis ! » commenta larouquine, amusée.
Étoile de Feu et Tempête deSable dormirent jusqu’auxpremières fraîcheurs de lasoirée. Lorsque les ombrescommencèrent à s’étendre sur lafalaise, ils partirent alorsexplorer la gorge.
« Ciel nous a montré leslimites en amont du territoire,fit remarquer Étoile de Feu.Mais il ne nous a jamais ditjusqu’où il s’étendait dans cettedirection.
— On pourrait lui poser laquestion.
— Cela va prendre du temps.Voyons ce que nous pouvonsdécouvrir par nous-mêmes. »
La gorge se fit de plus en plusétroite, au point qu’un chataurait pu sauter d’une falaise àl’autre. Le jour était encore trèslumineux, mais le fond de lagorge restait plongé dansl’obscurité. Le sol, sous leurspattes, était sec et sablonneux,et l’air presque immobile.
« Un renard ! » s’exclamasoudain la rouquine.
Au même instant, la puanteurparvint aux narines d’Étoile deFeu et il entendit ungrognement, suivi d’unhurlement de chat.
— Viens ! cria-t-il ens’élançant.
Tous deux coururent jusqu’autournant suivant, où ilsaperçurent enfin le renard. Enposition d’attaque, il avaitretroussé ses babines sur descrocs acérés. Sans doute n’avait-il pas mangé depuis longtemps,car ses côtes se dessinaient sousson pelage miteux.
Devant le renard, une chattebrun pâle était recroquevillée, lepoil hérissé avec défi, mais lesprunelles dilatées parl’épouvante. Derrière elle sedressait un tas de caillouxentouré de ronces. Étoile de Feuy remarqua une ouverture d’oùs’échappaient les miaulementsde chatons terrifiés.
Étoile de Feu poussa ungrognement et se jeta sur lerenard qui se retourna pourplanter ses crocs dans la nuquede son assaillant. La rouquine selança dans la mêlée et lui lacéra
les flancs. Furieux, le renard fitvolte-face et lui assena un coupde patte. Feulant de rage, Étoilede Feu sauta sur ses épaules,toutes griffes dehors.
Bien qu’il fût affamé, lerenard se battait farouchement.Il secouait la tête en tous sens etse plaqua au sol, essayantd’écraser Étoile de Feu sous soncorps. Le nez enfoui dans le poilà l’odeur écœurante, le matoufaillit étouffer. Il sentit lesgriffes du renard lui labourer leventre et, avec un mouvementbrusque, il réussit à se libérer.
Coulant d’une blessure sur sonflanc, le sang tachait déjà lesable. Affaibli, le rouquin tenaità peine sur ses pattes.
Tempête de Sable joua surl’effet de surprise et réattaquaaussitôt, afin d’éloigner le goupilde la chatte et de ses petits. Ilpoussa un grognement de colèreet l’attrapa par une patte arrière.La chatte laissa échapper un cride douleur. Aussitôt, Étoile deFeu tituba vers elle, mais sonextrême faiblesse brouillait savue. Il avait beau s’accrocheraux hanches du renard, il n’avait
pas assez de force pour leretenir.
Clan des Étoiles, aidez-nous !Un miaulement puissant
retentit et un chat déboula pourse mêler à la bataille. C’était lematou roux pâle qui chassaitdans les buissons, en aval de larivière.
Avec un cri de rage, le chaterrant sauta sur les rochersdominant l’entrée du repaire etse laissa tomber sur la tête durenard.
Celui-ci glapit de douleur etrelâcha Tempête de Sable.
Claudiquant sur trois pattes, lachatte se relança dans la batailleet lacéra profondément le flancdu prédateur. Étoile de Feuretrouva enfin ses esprits etmordit sauvagement la queue deleur assaillant qui jappa, furieuxde s’être laissé surprendre.
Le chat errant avait planté sesgriffes dans le crâne de leurennemi. Du sang perla très viteet coula dans les yeux de la bêteblessée. Soudain, il s’avouavaincu et s’éloigna en boitillantà travers les taillis.
Reprenant leur souffle, les
trois chats s’observèrent.« Merci, haleta Étoile de Feu.
Cela aurait pu mal finir si tun’étais pas intervenu.
— Ne me remerciez pas, jen’aime pas plus les renards quevous. Vous m’avez l’air biensecoués ! »
La rouquine plia sa patteblessée et la posa au sol avec unrictus de douleur.
« Ça devrait aller », miaula-t-elle, vaillante.
Étoile de Feu examina sonventre et se passa plusieurs foisla langue sur le pelage trempé
de sang. À son grandsoulagement, la plaie n’était pastrop profonde et le sang avaitdéjà cessé de couler.
« Rien de très grave, conclut-il. On avait besoin d’une bonnebagarre pour nous réveiller ! »
Cela faisait en effet plusieursjours que sa compagne et luis’étaient contentés de dormir, sepromener et chasser àl’occasion. À présent, ils sesentaient enfin comme de vraisguerriers de Clan.
« Vous êtes tous tellementcourageux ! Je ne sais comment
vous remercier ! Vous avezsauvé mes petits. »
Étoile de Feu se retourna etvit la chatte pousser sa portéevers eux, trois frêles chatons :un matou noir, un autre roux etenfin une minuscule chatteblanche.
« Je suis Girofle, annonça-t-elle. Et voici Roc, Puce et Perle.
— Moi, je suis Tempête deSable, et lui, c’est Étoile deFeu. »
Le rouquin se tourna versl’autre matou, attendant quecelui-ci se présente. Au lieu de
cela, il croisa son regard vert,pétillant d’intelligence, qui ledéfiait.
« Peu importent les noms !miaula le chat errant. Qui êtesvous ? Que faites-vous ici etcombien de temps comptez-vousrester ? »
Étoile de Feu resta perplexe.Les questions et le tonautoritaire du chat luirappelèrent la manière dont lui-même aurait répondu s’il avaitcroisé des chats errants sur leterritoire du Clan du Tonnerre.
« Je t’ai aperçu un peu plus
loin, dans la gorge, commença-t-il.
— Moi aussi, je t’ai vu,rétorqua le chat, les oreillesrabattues. Tu chassais avec cesdeux petits filous. Pourquoi est-ce que tu t’intéresses à eux ?
— Cerise et Merle sont debraves petits, miaula Tempêtede Sable, prenant leur défense.
— La raison de leur présencen’a aucune importance, intervintGirofle. Sans leur intervention,le renard aurait dévoré mespetits !
— J’étais là, non ? grommela
le matou, qui planta ses griffesdans le sol. Je peux medébarrasser de n’importe quelrenard ! Bon, et toi, l’étranger,qu’est-ce que tu as à dire ?
— Vous n’allez pas partir toutde suite, supplia Girofle enjetant un regard inquiet vers lestaillis.
— Nous allons rester unmoment », promit Tempête deSable.
La reine s’allongea sur le seuilde sa tanière, afin que ses petitspuissent se blottir contre elle ettéter. Étoile de Feu et sa
compagne s’installèrent à côtéd’elle et, tout en léchant leursplaies, ils racontèrent au matouroux ce qu’ils savaient du Clandu Ciel.
« J’ai vu ce vieux chat àplusieurs reprises, miaula-t-ilquand Étoile de Feu lui parla desa rencontre avec Ciel. Mais jene lui ai jamais adressé laparole. Il a l’air furieux contremoi.
— Il n’est pas furieux. Il ensait plus que n’importe qui surle Clan du Ciel. Ce chat estpersuadé que je peux l’aider à
retrouver leurs descendants etreformer le Clan. »
Il hésita avant de poursuivresur sa lancée :
« Je sais que c’est unedécision difficile à prendre…
— Pas pour moi, intervintGirofle. Je viens vivre dans tonClan tout de suite. Le père demes petits s’en est allé avantleur naissance et c’est difficilede les élever toute seule.Imagine que ce renard reviennedès que vous serez tousrepartis ?
— Je pourrais m’occuper de
toi, fit remarquer le matou.Aujourd’hui, je suis arrivé àtemps, pas vrai ?
— Mais tu t’aventuresrarement jusqu’ici. Combien defois nous sommes-nous déjàparlé ? Sérieusement, c’estdécidé. Mes petits et moi allonsnous joindre au nouveau Clan.On vous suit jusqu’auxgrottes ? »
Étoile de Feu sentitl’enthousiasme le gagner. Unereine avec ses trois petits, voilàqui était un bon début pour leClan.
« Ce serait parfait. On peutpartir maintenant. Et toi ?demanda-t-il au matou. Tu tejoins à nous ?
— Je me débrouille très bientout seul, merci. »
Étoile de Feu fut déçu. Cechat fier et valeureux aurait faitun excellent guerrier.
« Cela dit, continua le matou,je trouve l’idée très intéressanted’entraîner les chats à mieux sedéfendre. Et j’ai étéimpressionné par tes tactiquesde combat dans la bataillecontre le renard.
— Viens avec nous et on te lesapprendra, offrit Étoile de Feu.
— Tu m’enseigneraisvraiment tout ce que tu sais ?demanda le matou, suspicieux.
— Bien sûr, miaula Étoile deFeu. Les membres d’un mêmeClan ne se battent pas entre eux.Sauf pour s’entraîner,évidemment !
— Ce serait une agréablefaçon de vivre…
— Alors, tu te décides ? »demanda Tempête de Sable.
Il hésita, puis finit pardéclarer :
« D’accord, je vais essayer.Mais je ne promets pas derester.
— Nous n’exigeons rien de teldans l’immédiat, miaula Étoilede Feu. Viens vivre avec nousquelque temps, tu verras si ça teconvient.
— Et dis-nous ton nom. S’il teplaît », ajouta Tempête de Sable.
Il demeura silencieux, lesyeux fixés au loin.
« Quand il vit seul, un chatn’a pas besoin de nom. Je croisque ma mère m’appelait Griffe,il y a très longtemps de cela. »
La lune décroissante flottaitau-dessus de la gorge, jetant unepâle lueur sur le Roc Céleste.Étoile de Feu sauta sur la falaiseet attendit sa compagne.
« Alors, qu’en penses-tu ?demanda-t-il. Avons-nous lesbases d’un nouveau Clan ?
— C’est un début. Il resteencore beaucoup à faire.
— Je sais. Je crains que Griffedécide de ne pas rester. Il n’apas voulu dormir dans la grottedes guerriers avec nous, ce soir.Il réagit encore comme un chaterrant.
— Laisse-lui du temps. Ce quim’inquiète, c’est la façon dontGirofle veut qu’on s’occuped’elle tout le temps. Je lui ai ditque sa place et celle de ses petitsétait dans la pouponnière, je luiai même proposé d’aller luichercher de la mousse et de labruyère, mais impossible de luifaire entendre raison. Elleinsiste pour dormir dans lagrotte des guerriers, au cas où lerenard réapparaîtrait.
— Girofle aussi a besoin detemps. Elle a subi une agressionterrible, aujourd’hui. Après un
bon entraînement, elle pourradéfendre ses petits elle-même.
— J’espère que tu as raison »,miaula Tempête de Sable àÉtoile de Feu entendit des pasapprocher. Il s’attendait à voirapparaître Griffe mais, à sagrande surprise, c’était Ciel.
« Que fait-il ici ? demanda-t-ilà sa compagne. Ce n’est pas lapleine lune. »
Le pelage gris du vieux chatprenait des reflets argentés. Ilmarchait la tête haute, fiercomme un vrai guerrier du Clandu Ciel. En s’approchant du Roc
Céleste, il accéléra l’allure etsauta sans hésiter jusqu’à eux.
« Salut, Ciel ! » miaulèrentÉtoile de Feu et Tempête deSable.
Il leur répondit par un brefhochement de tête.
« J’ai vu d’autres chats arriveraujourd’hui », dit-il.
Ciel ne semblait guèreenthousiaste, ce qui surprit lerouquin.
« Je crois que nous sommesen voie de ressusciter le Clan duCiel. »
Un long grognement se fit
entendre dans la gorge du vieuxmatou.
« Méfie-toi ! Ce chat roux estprêt à te sauter à la gorge dès lapremière occasion. Et ces deuxchats domestiques ! Je necomprends pas pourquoi vousperdez votre temps avec eux !
— Ces deux-là s’en sortironttrès bien, miaula Tempête deSable. Ils sont jeunes. Ils ont letemps d’apprendre. »
Ciel se contenta de renifler.« Quant à Griffe, il est fort et
très efficace quand il s’agit de sebattre, renchérit Étoile de Feu.
Une fois qu’il aura appris le codedu guerrier, il sera exactementle genre de chat dont a besoinun Clan.
— Tu as peut-être raison,grommela Ciel. Au moins, tutiens ta promesse. »
Tous deux levèrent les yeuxvers la Toison Argentée. Étoilede Feu se demanda si lesancêtres du Clan du Ciel lesobservaient.
Êtes-vous contents, vousaussi ? Est-ce ce que vousattendiez de moi ?
Il n’y eut pas de réponse, rien
que l’éclat lointain des étoiles.
CHAPITRE 23
CHAPITRE 23
« LES CHATS QUI VIVENT DANS
UN CLAN organisent plusieurspatrouilles de chasse chaquejour, expliquait Étoile de Feu,arrêté près d’une clôture de
Bipèdes. Et on surveille lesfrontières à l’aube et au coucherdu soleil.
— On est donc la patrouille del’aube ? » demanda Merle.
Sa sœur Cerise lui donna uncoup de patte.
« Espèce de cervelle desouris ! Le Clan du Ciel n’a pasencore de frontières. On est deschasseurs, pas vrai ?
— C’est exact. Mais nousallons bientôt avoir desfrontières, quand je connaîtraimieux le territoire et sauraicombien de chats vivront ici. En
attendant, voici la premièrepatrouille de chasse officielle duClan du Ciel !
— Génial ! lança Cerise ensautant de joie. Mais on n’a pasencore attrapé grand-chose. Etje ne sens rien du tout.
— C’est parce que c’estmouillé, la rassura Étoile deFeu. Même les chasseurspeinent par temps humide. »
***Le brouillard avait envahi la
gorge et s’étendait au-delà dumaquis, jusqu’au territoire des
Bipèdes. Chaque brin d’herbepliait sous le poids des gouttesd’eau et la rosée perlait sur lepelage des chats.
« Mais ce n’est pas une raisonpour prendre des risques,intervint Griffe, occupé àdéterrer des proies prises un peuplus tôt. Vous êtescomplètement dingues, vousdeux ! Je vous ai vus sauter dansles jardins sans même regarderautour de vous !
— On est désolés, balbutiaCerise, tandis que Merle secontentait de gratter la terre
d’un air penaud.— Désolés, désolés… C’est
bien gentil ! maugréa Griffe.Vous avez failli atterrir en pleinsur ce chien. Si Étoile de Feun’avait pas détourné sonattention, vous seriez de la chairà cabot, à l’heure qu’il est ! Et enprime, vous avez perdul’écureuil que vouspourchassiez !
— Il était bien grassouillet ! »soupira Merle.
Griffe leva les yeux au ciel,agacé, et retourna à sa besogne.
Étoile de Feu lui lança un
rapide coup d’œil. Cela faisaitquatre jours que Girofle et luiétaient venus s’installer dans lesgrottes, et les talents dechasseur du matou l’avaientimpressionné. Mais Griffen’avait aucune patience avec lesdeux chatons !
« Ils vont apprendre », miaulaÉtoile de Feu.
Puis, s’adressant aux jeunesrecrues, il ajouta :
« Vous vous débrouillez trèsbien. Continuez comme ça !
— On peut venir vivre aucamp à plein temps ? » réclama
Cerise.Étoile de Feu était soulagé
que la jeune chatte se montreaussi impatiente de se joindre àeux, mais c’était une décisionimportante qui méritait plusample réflexion.
« Pas encore. Cela vousobligerait à quitter vosBipèdes… »
La queue de Cerise s’abaissad’un cran et elle eut soudainl’air pensive.
« J’adore m’asseoir sur leursgenoux et me laisser dorloter, etj’aime bien jouer avec eux et les
faire rire… Mais j’aime aussichasser. Si seulement je pouvaisavoir les deux !
— Eh bien, ce n’est paspossible ! intervint Merle. J’aiaussi peur qu’on manque à nosBipèdes. Mais si nous sommesréellement des descendants duClan du Ciel, nous devons vivredans la gorge.
— Vous devez bien réfléchiravant de faire choix », conseillaÉtoile de Feu.
Griffe avait eu raison de leurfaire des remontrances, mêmes’il aurait pu montrer plus de
tact. Les chatons étaient encorebien trop impulsifs.
« Combien de temps ?demanda Cerise. On peutbientôt être apprentis ? »
Avant qu’Étoile de Feu ait purépondre, Griffe miaula :
« On va traîner ici encorelongtemps ? Je veux être deretour dans la gorge avant que lebrouillard se dissipe. Je n’aijamais eu affaire aux Bipèdes etn’ai pas l’intention decommencer maintenant. »
Les nids des Bipèdes sedessinaient déjà dans la lumière
de l’aube et Étoile de Feuentendit un monstre se réveillerau loin.
« Tu as raison ! Ramassez vosproies et allons-y ! »
En marche vers les grottes,les oreilles aux aguets, il selaissa gagner par l’espoir. Ildirigeait une patrouille,ramenait du gibier au camp…Pour la première fois depuis sondépart de la forêt, il avaitvraiment l’impression de vivreau sein d’un Clan.
Le temps qu’ils parviennent
au gîte des guerriers, le soleilavait déjà dissipé la brume.Même si les feuillescommençaient à se teindre dejaune, la gorge restait baignéedans la chaleur de la saison desfeuilles vertes.
En remontant le chemin de lafalaise, Tempête de Sable avaitl’air profondément agacée.
« Que se passe-t-il ? demandaÉtoile de Feu en posant sesproies devant l’entrée de lagrotte.
— C’est Girofle, murmura-t-elle. J’ai essayé de lui enseigner
quelques tactiques de combat.C’est une chatte solide qui nedevrait rencontrer aucunproblème, mais elle n’arrive pasà comprendre pourquoi elledevrait les apprendre. “Oh,Étoile de Feu et toi êtes de bonscombattants, je sais que vousnous protégerez.” Voilà saréponse ! Elle est trèsenthousiaste à l’idée de sejoindre au Clan du Ciel, maisc’est uniquement pour enobtenir sa protection. Connaîtrele code du guerrier ou savoir cequ’elle pourrait apporter aux
autres chats ne l’intéresseabsolument pas !
— Ce n’est peut-être pas trèsfacile pour elle, en ce moment.Il est normal qu’une reinedonne la priorité à la sécurité deses petits. Et elle doit êtreépuisée d’élever seule ces troispetites boules d’énergie ! »
Tempête de Sable regardavers le fond de la gorge où lachatte se lovait au soleil, près dubassin, surveillant les jeux deses chatons.
« Elle pourrait essayer, aumoins ! Franchement, je suis
sûre que ses petits en ont déjàappris plus qu’elle ! »
Étoile de Feu pressa son nezcontre sa compagne.
« Ne t’inquiète pas. Cela vamarcher. Elle ne pourrait avoirde meilleure instructrice !
— Bon, descendons vers larivière, soupira la chatte. Mespattes auraient besoin d’un peude fraîcheur. »
Celles d’Étoile de Feu étaientdouloureuses, elles aussi, et lesdeux chats furent ravis de lesposer sur le sol frais de la berge.Ils pouvaient entendre les
joyeux miaulements des chatonsde Girofle.
« Tu sais, ils vont bientôtpouvoir devenir des apprentis,eux aussi, fit remarquer Étoilede Feu.
— Nous devons d’abord leurtrouver des mentors.
— Je vais demander à Griffeet à Girofle s’ils connaissentd’autres chats à recruter.
— Étoile de Feu ! Étoile deFeu ! miaula une petite voix. Ona une idée ! »
Cerise et Merle déboulaientde la falaise avec une agilité
étonnante.« C’est mon idée ! » rectifia
Merle en bousculant sa sœurpour la dépasser.
Celle-ci essaya de le pousserdans l’eau d’un coup d’épaule,déclenchant une belle bagarreentre eux.
« Quand vous aurez fini devous battre, peut-être pourrez-vous nous dire de quoi ils’agit ! » gronda Tempête deSable.
Les deux chatonsinterrompirent leur jeu, un peugênés.
« Je suppose que desapprentis ne font pas ça »,s’excusa Cerise.
Ils le font tout le temps !songea Étoile de Feu.
« Bon, on vous écoute !— Je me suis dit que tu
pourrais organiser une réunion,commença Merle, toutémoustillé. On inviterait tousles chats qui habitent le coin àvenir t’écouter leur parler dunouveau Clan.
— Mais nous ne connaissonspersonne, ici, fit remarquerÉtoile de Feu.
— Je trouve que c’est uneexcellente idée, intervintTempête de Sable. Après tout,nous cherchons des chats quipuissent vivre ensemble ets’entraider. S’ils acceptentd’assister à une réunion, on auradéjà franchi une premièreétape. »
Étoile de Feu secoua sespattes trempées et vint s’asseoirsur la roche baignée de soleil.
« Je n’avais pas pensé à ça.Où vivent ces félins ?
— C’est nous qui allons lestrouver ! offrit Cerise, les yeux
brillant d’excitation. Déjà, onpeut passer le message à tousles autres chats domestiques.On y va tout de suite, si tu veux.
— Ils seront tous dehors, parce temps », ajouta Merle.
Étoile de Feu échangea unregard avec Tempête de Sable.
« D’accord, on va essayer.Mais si on leur demande devenir, ils ont le droit de savoirqui va leur parler. Je vousaccompagne. »
À travers le feuillage, Étoilede Feu glissa un regard vers le
jardin des Bipèdes. Il ne voyaitpas grand-chose, si ce n’est unpeu d’herbe et quelques massifsde fleurs. Aucune odeur de chatne flottait dans l’air, cependant.
Cerise et Merle étaientperchés sur une branche au-dessous.
« Hé ! Oscar ! miaula Cerise.Viens là ! On veut te dire deuxmots ! »
Un instant plus tard, Étoile deFeu aperçut un matou noirrobuste qui traversait la pelouse.Avec une détente magnifique, ilsauta dans l’arbre. Du sang du
Clan du Ciel coule dans sesveines, pensa Étoile de Feupendant que le nouveau venurétablissait son équilibre sur labranche, à côté de Cerise et deMerle.
« Qu’est-ce qu’il y a ?demanda-t-il en agitant sesmoustaches. Et lui ? Qui est-ce ?
— As-tu entendu parler duClan du Ciel ? l’interrogea Étoilede Feu. Ces chats qui vivaientdans la gorge, près de la rivière ?
— Non, jamais.— Mais eux ont entendu
parler de toi. Et il y a des choses
qu’il faut que tu saches, à leursujet. On organise une réuniondemain soir dans la gorge, prèsdes rochers où la rivière prendsa source. Viendras-tu ? »
Les yeux d’Oscar s’étrécirenten deux fentes brillantes. Il levaune patte, sortit ses griffes et lescontempla d’un air désabusé.
« Peut-être bien que oui,peut-être bien que non… »
Étoile de Feu le trouva un peuposeur, mais c’était un chatcostaud qui serait bien utile auClan.
« Tu vois, j’essaie de
reconstruire le Clan du Ciel et jecherche des chats quiaimeraient se joindre à cegroupe. »
Oscar bâilla à s’en décrocherla mâchoire.
« Et pourquoi aurais-je enviede faire ça ? »
Sans attendre la réponse, ilsauta de l’arbre et disparut.
« Viens quand même pour tefaire une idée ! » cria Étoile deFeu.
Cerise était si furieuse que safourrure avait doublé devolume.
« On n’aurait jamais dû lui enparler. C’est un vrai casse-pattes !
— Aucune importance. Il fautqu’on invite un maximum dechats à cette réunion, la consolaÉtoile de Feu.
— Alors allons-y !s’impatienta Merle. Je pensequ’on devrait voir Timide.
— Bonne idée ! Vous vousrendez compte ? Ses Bipèdes luidonnent de la crème ! » miaulasa sœur en se pourléchant avecgourmandise.
Ils longèrent la clôture du
jardin d’Oscar et en atteignirentbientôt un autre. Ils croisèrentun nouveau chat qui se hérissaaussitôt, mais se détendit enreconnaissant Merle et Cerise.
« Salut, Belladone, la saluaCerise. Viens faire laconnaissance de notre nouvelami. »
Étoile de Feu s’approcha de lajolie chatte tigrée et blanche,aux yeux ambrés. Elle luirappelait sa sœur, Princesse, quihabitait chez les Bipèdes à l’oréede la forêt. Elle ne semblait pasavoir d’ancêtres du Clan du Ciel.
Ses hanches étaient moinspuissantes que celles des deuxjeunes félins et quand elle segratta le museau du bout de lapatte, on pouvait voir sescoussinets roses et tendres.
« Salut ! Tu es nouveau, ici.Où habitent tes Bipèdes ?
— Étoile de Feu n’a pas deBipèdes, expliqua Merle. C’estun chat de Clan. »
Belladone alla de surprise ensurprise tandis que le rouquinlui racontait brièvement sonhistoire.
« Tu viendras à la réunion,
n’est-ce pas ? demanda Cerisequand il eut terminé. Ce serasuper de vivre dans un Clan ! Jete montrerai comment attraperdes souris.
— Je ne pourrais jamais faireça. Mes Bipèdes memanqueraient bien trop et jeleur manquerais aussi.
— Mais… commença Merle.— Non, non. L’autre nuit je
me suis fait enfermer dans lacabane d’un voisin et quand jesuis rentrée, les petitspleuraient. Je ne supporterai pasde les voir aussi malheureux.
Mais j’espère que tu aimeras tanouvelle vie dans le Clan, si c’estce que tu désires ! conclut-elleen frottant affectueusement sonmuseau contre celui de Cerise.
— Merci, Belladone. Onviendra te voir, je te lepromets. »
Et quand la chatte s’éloignaen trottinant, elle ajouta :
« Elle va me manquer. C’estune bonne amie. »
Merle lui donna un rapidecoup de langue sur l’oreille.
« Viens, maintenant. Allonstrouver Timide. »
À l’autre bout de l’allée, ilss’arrêtèrent devant une clôturedont l’une des lattes était cassée,laissant juste assez d’espacepour qu’un chat puisse s’yglisser.
« Il faut qu’on soit prudents,prévint Merle. Les Bipèdes deTimide ont aussi un chien. Ildevrait être enfermé, mais ilvaut mieux rester vigilant ! Hé !Timide ? Tu es là ? » cria-t-il,une fois passé dans le jardin.
Étoile de Feu se figea enentendant un aboiement furieuxfuser du nid, mais aucun chien
n’apparut. Au lieu de cela, unchat tigré passa la tête par unpetit portillon, puis s’élança verseux sans hésiter. Il était moinsvigoureux qu’Oscar, mais sasouplesse laissait deviner sesorigines.
« Salut ! lança-t-ilamicalement à Étoile de Feu. Jem’appelle Timide. Et toi, qui es-tu »
Une fois de plus, le matou seprésenta et raconta l’histoire duClan du Ciel.
« Ces chats pouvaient vivredans la gorge parce qu’ils
avaient des pattes arrièrepuissantes pour sauter et descoussinets épais pour marchersur les cailloux. Tout commeMerle et Cerise. On organiseune réunion pour en parler. »
Timide leva une de ses patteset contempla ses coussinets. Ilsemblait intrigué.
« J’ai entendu parler de ceschats sauvages qui vivaient dansla gorge. Ma mère me racontaitleur histoire, parfois, mais jecroyais que c’étaient des contespour chatons.
— Non, tout est vrai, miaula
Merle.— Tu te rends compte ? On va
devenir des apprentis !s’enflammait Cerise.
— Tu viendras à la réunion ?demanda Étoile de Feu. Demainsoir, dans la gorge, à l’endroit oùjaillit la rivière.
— Entendu.— Alors, à demain. »Timide commença à
s’éloigner puis se retourna.« Vous avez faim ?— De la crème ? se réjouit
Cerise en se léchant lesmoustaches.
— Un plein bol.— Un instant ! miaula Étoile
de Feu avant que les chatspuissent bouger. Soit vous êtesdes apprentis du Clan du Ciel,soit vous allez dans un nid deBipèdes pour vous régaler decrème. Pas les deux !
— Mais on n’est pas encoredes apprentis ! » rétorquavivement Cerise.
Sa protestation amusa Étoilede Feu. Pourtant, s’il accordaitcette autorisation maintenant,les deux chatons necomprendraient jamais ce que
signifiait l’adhésion totale à unClan. S’ils n’étaient pas prêts àrenoncer au confort des Bipèdes,ils n’étaient pas prêts à menerl’existence d’un guerrier.
« Le Clan du Ciel ou la crème,miaula-t-il. À vous de choisir. »
Les chatons échangèrent unregard et Cerise laissa échapperun soupir de déception.
« Alors, ce sera le Clan duCiel, répondit-elle.
— Les proies fraîches sontbien meilleures, de toute façon !renchérit Merle. Allez, venez !On a encore d’autres chats à
voir ! »Ils replongèrent dans les
buissons, vers la clôture. Étoilede Feu attendit pour prendrecongé de Timide. Quand il vitson regard amusé, il repritcourage. C’était un chat aveclequel il serait facile des’entendre.
Cerise et Merle l’entraînèrentau bord d’un petit Chemin duTonnerre. Étoile de Feu courbale dos en reniflant la puanteurdes monstres. L’un d’eux étaittapi à quelques longueurs dequeue mais semblait endormi.
« Rien à craindre, miaulaMerle en avançant d’un pasnonchalant. C’est plutôt calme, àcette heure de la journée. »
Cerise le rejoignit enquelques bonds. Étoile de Feudut admettre que ces petitsl’impressionnaient. Ils avaientbeaucoup de choses à apprendresur la vie du Clan et le code duguerrier, mais ils secomportaient de manièreresponsable, très à l’aise sur leterritoire des Bipèdes.
S’efforçant de dissimuler sescraintes, il les rejoignit en
regardant bien de chaque côté.Aucun monstre en vue. La voieétait libre.
« Allez, viens ! » le pressaCerise.
Ils traversèrent à toute vitesseet Merle alla se percher sur unebarrière.
« Ici, on peut passer le longde deux ou trois jardins oùvivent des chats. Mais méfie-toide celui-ci, car les Bipèdes ontun chien.
— Une brute qui passe sa vie àaboyer ! » lança Cerise avecmépris.
Elle avait raison. Une petiteboule de poils blancs seprécipita aussitôt vers eux etpoussa des jappements furieux,se lançant contre la barrièrepour essayer d’attraper les chats.Étoile de Feu s’y agrippa detoutes ses griffes pour résisteraux secousses.
« Fiche le camp, sac à puces !feula Cerise. Va baver sur tesBipèdes ! Ne t’en fais pas,ajouta-t-elle en s’adressant àÉtoile de Feu. Cet idiot ne peutpas grimper ! »
Il avait l’impression d’être
l’apprenti et eux les mentors.« Ça va, je n’ai pas peur des
chiens ! » assura-t-il.Ce qui ne l’empêcha pas de
soupirer de soulagement quandles aboiements s’éloignèrent.
Puis Merle s’arrêta au niveaud’un jardin bien plus vaste queles autres, avec une belle herbetrès verte bordée de fleurs.
Étoile de Feu détecta uneforte odeur de chat.
« Par là ! » indiqua Cerise endésignant de la queue unegrosse boule de poils installéesur une espèce de promontoire
en bois.Quand elle s’approcha, deux
têtes identiques se levèrent.Étoile de Feu fut intrigué. Iln’avait jamais vu ce genre dechats : deux corps mincescouleur crème avec du brun auxextrémités des pattes, de laqueue et du museau. Leurs yeuxbleus étaient fascinants.
« Salut, Cerise. Salut, Merle !lança la première d’unmiaulement aigu.
— Qu’est-ce que vous voulez ?demanda l’autre d’une voix toutaussi étrange.
— On voulait vous présenterÉtoile de Feu, annonça Merle. Etvoilà Rose et Liseron », précisa-t-il à l’intention du matou.
Celui-ci hésita. Impossibleque ces chattes soient desdescendantes du Clan du Ciel.
« Je suis venu vous parler deschats qui vivaient dans lagorge… »
Toutes deux l’écoutèrent ensilence, leurs yeux étranges fixéssur lui. Quand il eut terminé,elles se consultèrent du regard.
« Qu’est-ce que tu penses deça ? demanda Rose.
— Étonnant ! réponditLiseron.
— Vous viendrez à la réunion,n’est-ce pas ? insista Cerise. Cesera super !
— Qui ? Nous ? s’étonnaRose, les yeux écarquillés. Tuplaisantes, bien sûr !
— Nous ? Vivre dans unegrotte ? Sans une couverturebien chaude ? ajouta Liseron.Sans pâtée au poulet ou ausaumon ?
— Pour chasser des souris etles dévorer comme dessauvages ? miaula Rose en
passant délicatement sa languerêche sur une patte. C’est d’unvulgaire ! »
Puis les deux chattesreposèrent leur tête sur leurspattes et fermèrent les yeux.
« Désolé, dit Merle à Étoile deFeu. Mais ça valait le coupd’essayer.
— Ne t’en fais pas. »Il ne pouvait pas imaginer ces
chattes s’adapter à la vie d’unClan, mais il ne fit aucuncommentaire. Le soleilcommençait déjà à descendre etils avaient passé la majeure
partie de la journée dans lesjardins des Bipèdes. Il se sentaitaffamé.
Non loin de là, il entendit descris de Bipèdes.
« C’est l’un des nôtres, luiexpliqua Merle. On ferait mieuxd’y aller. Ils vont nous manquer,tu sais ! ajouta-t-il, tristement.
— Ce n’est pas un problème,n’est-ce pas ? s’inquiéta Cerise.
— Non, répondit Étoile de Feuen se rappelant ses propresmoments de cafard. Ce n’est pasun problème. Mais vous devezchoisir.
— Nous avons choisi, miaulaMerle avec détermination.
— Viens, Étoile de Feu ! On vate montrer comment sortird’ici. »
Dans le maquis, Étoile de Feusurprit le matou brun qui avaiteffrayé le moineau alors qu’ilvenait d’arriver dans la gorge. Ilétait accroupi devant une proiequ’il dévoraitconsciencieusement et leva latête d’un air méfiant.
« Salut ! lança Étoile de Feud’un ton amical. As-tu entendu
parler du Clan de chats quihabitait dans la gorge ? »
Le matou émit ungrognement évasif et poursuivitson repas. Sans savoir s’ill’écoutait, Étoile de Feu lui parladu Clan du Ciel et de la réunion.
« Qu’en penses-tu ? Tuviendras ?
— Je me débrouille très bientout seul, répondit-il en senettoyant le museau avec lapatte. Et je ne veux surtout pasobéir à tes ordres !
— Ce n’est pas ainsi que… »Mais le matou s’éloigna et
Étoile de Feu se sentit coupable.S’il l’avait abordé moinsbrutalement lors de leurpremière rencontre, peut-êtreaurait-il envisagé de rejoindre leClan du Ciel ?
Il trouva le chemin quimenait à la grotte des guerrierset s’y engagea. Du fond de lagorge lui parvenaient de petitscris. Il repéra Tempête de Sableet Girofle qui jouaient près del’eau avec les trois chatons. Ilfut gagné par une délicieusechaleur en voyant sa compagnes’amuser avec ces petits, plus
détendue qu’elle ne l’avaitjamais été depuis leur départ dela forêt.
Une voix venue de la grotteattira son attention. C’étaitGriffe.
« Tempête de Sable m’a ditque tu organisais une réunionpour parler du nouveau Clan. Jepourrais t’emmener auprèsd’autres chats, si tu veux. Ilsviendront probablement si je leleur demande. »
Quel présomptueux ! Mais s’ildisait vrai, cela rendrait lescontacts plus faciles. Pourquoi
pas…« Très bien, je te remercie.— Alors, allons-y tout de
suite. »Griffe sortit de la grotte et
s’engagea dans le chemin.Quoi ? Maintenant ? Mais je
n’ai rien mangé de la journée !se lamenta le rouquin.
Résigné, il suivit le matou aubas de la falaise et le rattrapaquand celui-ci s’arrêta pours’adresser à Tempête de Sable :
« Je vais présenter Étoile deFeu à quelques chats errants.
— Parfait. »
Elle se fit aussitôt assaillir partrois petites boules de poils et seroula sur le sol avec elles enmiaulant de joie.
« Je vois que tu es trèsoccupée, murmura Étoile deFeu, amusé. À plus tard. »
Griffe et Étoile de Feumarchèrent côte à côte vers lestaillis, puis les arbres en aval dela rivière. Depuis sa rencontreavec Merle et Cerise, Étoile deFeu n’était pas revenu à cetendroit et sa fourrure se hérissaau souvenir de la désagréablesensation qu’il y avait éprouvée.
Puis il s’arrêta et son cœur semit à s’emballer. Ce n’était pasqu’un souvenir ! La mêmeimpression le submergea et uneterreur glaciale le transperça depart en part.
« Que se passe-t-il ? demandaGriffe.
— Rien, dit-il d’une voixtremblante qu’il s’efforça demaîtriser. Je pensais qu’onpourrait s’arrêter pour chasser.Je n’ai rien avalé de la journée.
— D’accord. »Griffe revint sur ses pas et
renifla l’air.
« Tu sens quelque chose… debizarre ? »
Étoile de Feu avait reconnu lamême odeur que la fois passée,masquée par l’arôme puissantde feuilles écrasées.
Griffe s’arrêta et humadavantage, plus attentif, cettefois.
« Je sens du gibier, de l’herbeet des feuilles. Pourquoi ? »
Le rouquin ne voulait paspasser pour un froussard.
« Rien. Allons chasser ! »Ils se séparèrent. Étoile de
Feu resta sur le qui-vive au cas
où il rencontrerait la créaturehostile qui l’épiait.
Ciel s’était montré réticentquand Étoile de Feu lui avaitposé des questions sur la raisonde la fuite des chats, et il étaitcertain que le vieux matou ensavait plus qu’il ne voulait led i r e . Il va falloir que jel’interroge encore une fois,résolut-il. L’avenir du nouveauClan pouvait être compromis siCiel refusait de leur parlerd’éventuels dangers.
Rien ne bougeait.« Qui es-tu ? chuchota-t-il.
Que veux-tu ? »Aucune réponse. Seule une
hostilité malveillante semblaitl’envelopper, oppressante. Dansl’obscurité, il eut l’impression depouvoir distinguer des petitsyeux noirs étincelants.
Ses poils se dressèrent le longde son échine.
Un bruissement dans le taillisvoisin le fit sursauter, mais cen’était qu’un campagnol. Étoilede Feu bondit sur le rongeur etlui brisa le cou. Prudent, ildécida d’emporter sa proie unpeu plus loin pour la dévorer.
Il rejoignit ensuite Griffe,occupé à se nettoyer le museauet les moustaches.
« Tu es prêt ? demanda-t-il ense passant une patte surl’oreille.
— Oui. Allons-y. »Ils longèrent la rivière jusqu’à
l’arbre tombé en travers de l’eaupuis grimpèrent la pente de larive a opposée. Étoile de Feu,qui avait du mal à suivre ets’essoufflait, enviait lespuissantes pattes arrière deGriffe, véritable descendant duClan du Ciel.
Il n’avait jamais exploré cetteberge, recouverte d’une herbeépaisse qui faisait place, un peuplus loin, à des taillis et desarbres. En passant sous lesbranches, il se sentit plus léger.Là, il retrouvait son élément, laforêt.
« Quand on décidera desfrontières, il faudra inclure cettepartie, miaula-t-il. Il y abeaucoup de gibier et de lamousse à profusion », ajouta-t-ilen repérant de gros coussinsverts et moelleux entre lesracines d’un chêne.
Griffe lui jeta un regard encoin.
« Alors tu ferais mieux deconvaincre les chats errants quihabitent déjà ici. »
Étoile de Feu dut admettreque son compagnon avaitraison. Il ne pouvait pas créerun nouveau Clan en chassantdes chats installés là depuis deslunes !
Griffe se dirigea vers un tronccreux couché au beau milieu del’herbe grasse. À l’entrée, Étoilede Feu put distinguer lafrimousse d’une chatte crème et
brun qu’il avait déjà croisée prèsdes Bipèdes.
« Griffe ? Qui est-ce, avectoi ?
— Salut ! miaula Étoile de Feuune fois que le matou l’eutprésenté. On s’est vus, l’autrejour… »
La chatte sortit de son abri.« Je me souviens. Je suis
désolée, je ne voulais pas memontrer aussi agressive avec toi,mais tu m’as fait une de cespeurs en me sautantpratiquement dessus !
— Je regrette…
— Je m’appelle Feuille, dit-elle en lui faisant signe de venirs’asseoir à côté d’elle. Que puis-je pour toi ? »
Griffe s’éloigna et alla sepercher sur le tronc. Faisait-il leguet ? Tout semblait pourtantpaisible autour d’eux.
« Tu connais l’endroit dans lagorge où la rivière jaillit desroches ? »
Feuille écouta l’histoire sanspiper mot « Pourquoi meracontes-tu tout cela ?demanda-t-elle enfin quand ileut terminé.
— Le vieux chef du Clan duCiel m’est apparu en rêve. Il m’aenvoyé reconstituer le Clan et jecherche des volontaires. »
Elle prit le temps de réfléchir.« Je ne sais pas… Je suis bien
ici et la solitude me convient. Ettoi, Griffe ? Vas-tu te joindre àeux ?
— J’y songe, répondit lematou en se penchant vers elle.Les chats qui vivent ensemblepeuvent se protéger les uns lesautres.
— C’est vrai. Vivre seul estparticulièrement difficile pour
les anciens et les petits. Tu terappelles Rocaille ?
— Le vieux solitaire qui vivaitprès du saule pleureur mort ? »
Le chagrin embua le regard deFeuille.
« Oui. Je l’avais trouvé entrain de se battre contre unrenard. Mon arrivée a fait fuircette brute, mais Rocaille étaitgravement blessé. J’ai passé lanuit à le veiller, et il est mortavant le lever du jour. Celan’arriverait pas dans un Clan,n’est-ce pas ? demanda-t-elle enposant un regard intense sur
Étoile de Feu.— Cela pourrait se produire,
répondit-il en toute sincérité.Mais en général, les chats d’unClan n’ont pas besoin de sebattre seuls et s’il y a un blessé,le guérisseur le soigne. »
Feuille se donna quelquescoups de langue en silence.
« Nous organisons uneréunion demain soir. Pourquoine viendrais-tu pas pour ensavoir plus ? proposa Étoile deFeu.
— Très bien. Je viendrait’écouter, mais je ne promets
rien.— Cela me convient ! »Griffe et lui poursuivirent
leur chemin, empruntant unétroit sentier qui zigzaguait dansla pénombre entre des bouquetsde fougères. Étoile de Feudétecta une forte odeur de chatet un feulement agressif se fitaussitôt entendre.
« Salut, Grognon ! miaulaGriffe.
— C’est chez moi, ici ! lançaun gros matou tigré installéentre deux racines, le poilhérissé, prêt à bondir. Fichez-
moi le camp ! »Passant devant son guide,
Étoile de Feu se planta devantlui pour se présenter.
« Je m’appelle Étoile de Feu.J’organise une réunion pourtous les chats qui…
— Je n’aime pas les réunions.Les autres chats non plus,d’ailleurs ! Maintenant, dégagez,à moins que vous souhaitieztâter de mes crocs ! »
Griffe toucha Étoile de Feu àl’épaule.
« Il vaut mieux l’écouter. Ilest sérieux ! Allons-y !
— Demain soir dans la gorge,si jamais tu changeais d’avis »,miaula Étoile de Feu.
Grognon plissa les yeux etcracha.
« Allez, bouge ! » rouspétaGriffe en bousculant Étoile deFeu qui s’attardaitimprudemment.
Puis, se tournant vers lematou ronchon, il ajouta :
« À un de ces jours, peut-être !
— À jamais ! »Les deux compagnons
disparurent dans les fougères.
« Pas très aimable, ceGrognon ! miaula Étoile de Feu,une fois qu’ils furent assezéloignés.
— Il ne l’a jamais été. J’aipensé qu’il valait mieux luiposer la question mais je ne mefaisais pas d’illusions. »
Ils s’approchèrent d’un étroitruisseau où se reflétait le ciel etcontournèrent des massifs degraminées et de menthe sauvagepour arriver sur un rocher quisurplombait un lit de gravier. Là,Étoile de Feu détecta denouveau une forte odeur de
chat.« Patte ? Tu es là ? » miaula
Griffe.Une tête noir et blanc sortit
de sous le rocher.« C’est toi, Griffe ? »Sa voix semblait prudente
mais pas aussi hostile que cellede Grognon.
« J’ai amené un ami. Ilaimerait te parler des chats quivivaient dans la gorge.
— Ah, eux ! répondit le matouen sortant de son abri. J’en aientendu parler. J’espère que tune m’as pas amené ce dingue de
vieux matou qui radote tout letemps à leur sujet !
— Non, annonça Étoile de Feuen s’avançant. Et Ciel n’est pasfou, loin de là ! Il a gardé vivantela mémoire du Clan pendant denombreuses saisons. »
Une fois de plus, il expliqua laraison de sa venue.
« Le Clan du Ciel pourraitretrouver son importance,conclut-il. Nous cherchons àrecruter des chats forts etsolides, et Griffe pensait que tuserais peut-être intéressé.
— C’est vrai qu’on se sent
parfois un peu seul, ici, admitPatte. Je viendrai peut-être àcette réunion pour voir lesautres chats qui se joindrontéventuellement à vous.
— Merci, miaula Étoile deFeu. Tu seras le bienvenu. »
Quand ils le quittèrent, la nuitétait pratiquement tombée etquelques étoiles brillaient àtravers l’épaisse voûte defeuilles. Griffe jeta un coupd’œil dans un chêne creux, maissans succès. D’ailleurs, l’odeurde chat y était très faible.
« C’est la tanière de Pelage de
Pluie, dit-il. On dirait qu’il n’apas mis les pattes ici depuisplusieurs jours. »
Lorsqu’ils revinrent à lagorge, Étoile de Feu était épuisé.Si quelques-uns des chats qu’ilsavaient invités se joignaient auClan, ce serait un beau début.Mais il restait tant à faire avantque le Clan du Ciel revivevraiment !
Ils avaient presque atteint lepied de la falaise quand Griffepoussa un cri avant de s’élancervers l’avant.
Lorsque Étoile de Feu le
rattrapa, il le trouva enconversation avec un autrematou. Son pelage gris perleétait moucheté de noir.
« Voilà Pelage de Pluie, ditGriffe au rouquin. Nous techerchions dans ta tanière,ajouta-t-il à l’intention du félingris.
— J’étais en amont de larivière. Y a-t-il un problème ?
— Non, juste quelquesnouvelles. Parle-lui de tonprojet, Étoile de Feu. »
En entendant l’histoire duClan disparu, Pelage de Pluie eut
l’air assez sceptique. Il semblaitêtre un chat fort et fier qui avaitbesoin d’une bonne raison avantde renoncer à son indépendance.Quand Étoile de Feu l’invita à laréunion, il s’attendit même à unrefus.
Mais la réponse du matou lesurprit.
« Je vais venir, mais je ne suispas sûr d’aimer cette idée. Queva-t-il advenir des chats quivivent ici et ne veulent pas vousrejoindre ?
— Rien, affirma Étoile de Feuavec conviction. Nous ne
voulons de conflit avecpersonne.
— C’est un endroit calme. Jene voudrais pas que notre paixsoit menacée, lança Pelage dePluie avant de les quitter sansautre commentaire.
— À demain », miaula Griffe.Mais il avait déjà disparu dans
les fourrés.Étoile de Feu réfléchit aux
propos de Pelage de Pluie. Ilaurait aimé inclure une partie dela forêt dans leur futurterritoire, mais pas au détrimentdes chats qui y vivaient déjà.
Quand Griffe arriva à lahauteur de l’Arbre Tombé,Étoile de Feu lui fit signe des’arrêter. Il préférait traverser larivière au niveau du Grand Rocpour éviter de se replonger danscette ambiance hostile dont lesouvenir lui nouait déjàl’estomac.
La lueur de la lune baignait lagorge quand les deux matousparvinrent enfin à destination.Une silhouette claire bondit àleur rencontre.
« Tempête de Sable !s’exclama Étoile de Feu. Je
pensais que tu serais déjàcouchée. Il se fait tard. »
Elle s’approcha pour le saluerdu bout de son museau.
« Je voulais savoir commentcela s’était passé.
— Bon, moi j’y vais ! »annonça Griffe en s’éloignant.
Se souvenant que Girofle etses petits devaient dormir dansla grotte des guerriers, Étoile deFeu s’installa sur une pierreprès de la rivière. Tempête deSable s’accroupit à côté de lui,pressant son flanc chaud toutcontre lui, tandis qu’il lui
racontait ses rencontres avec leschats solitaires.
« On dirait que le Clan va belet bien se reformer, fît-elleremarquer.
— Oui, je le crois. »Mais, en dépit de ces paroles
optimistes, il pensait avecinquiétude à la réunion dulendemain. Il avait l’habitude des’adresser à son Clan, mais iln’était pas le chef des chatserrants. Pourquoi l’écouteraient-ils ?
CHAPITRE 24
CHAPITRE 24
LA DEMI-LUNE BRILLAIT hautdans le ciel quand Étoile de Feudescendit doucement la pentequi menait au Grand Roc. Aucunchat ne l’y attendait et il
n’aperçut personne près du lieude rendez-vous. Seule Tempêtede Sable l’accompagnait. Ellemarqua une pause et leconsidéra de ses beaux yeuxverts.
Il était préoccupé. Chaquedemi-lune, les guérisseurs serencontraient pour partager lesrêves du Clan des Étoiles. Était-ce une erreur, de vouloirrassembler des chats en dehorsde la pleine lune ? Un mauvaisprésage ?
Repoussant ces impressions,Étoile de Feu suivit des yeux le
cours sinueux de la rivière,ruban argenté sous la lumièredes étoiles. Il avait envie desauter sur un rocher et de lancerl’appel qui rassemblait sonpropre Clan. Mais cela n’auraitaucun sens ici. Et puis, quil’entendrait ?
« Que dois-je faire sipersonne ne se présente à laréunion ?
— Ne t’inquiète pas, le rassuraTempête de Sable. Ce n’est pasune tâche facile de rassemblerdes chats errants.
— Seulement quelques-uns
d’entre eux », précisa-t-il.Même en se montrant
optimiste, il savait qu’ils neseraient pas nombreux àaccepter de vivre en groupeselon le code du guerrier.
« Vas-y, maintenant,l’encouragea sa compagne. C’estl’heure. »
Étoile de Feu plongealonguement son regard danscelui de la chatte et huma sonodeur réconfortante. La forcesembla lui revenir et il atteignitle haut du Rocher en quelquesbonds. De là, il pouvait voir au
loin, mais il n’y avait aucunsigne des autres.
Où êtes-vous ?Puis il remarqua un
mouvement dans les buissons,quelques glissements de griffessur la roche. Ciel se hissa à côtéde lui.
« Salut. On dirait que j’arrivejuste à l’heure pour la réunion !dit-il, légèrement essoufflé.
— Tu étais au courant ? »Ciel ne répondit pas et se
contenta de se redresser,silhouette argentée sous lalumière de la lune. Il semblait
initié à certains mystèresoubliés des autres chats.
« Veux-tu leur parler lepremier ? Après tout, tu es undescendant du Clan du Ciel. Ilsvont t’écouter.
— M’écouter ? Le vieux cingléqui regarde la lune en radotant ?Non, c’est toi qui dois leurparler. Plus que tout, ils ontbesoin d’un chef à suivre et c’esttoi qui es le mieux placé pourcela.
— Mais je ne suis pas leurchef… »
Ciel le fixa droit dans les
yeux.« Tu vas bientôt pouvoir
retourner dans ton Clan. Mais lemien a besoin de toimaintenant !
— Je vais essayer », murmuraÉtoile de Feu en baissant la tête.
En se redressant, il constataque les chats commençaient à serassembler. Il repéra Griffe,assis dans l’ombre, et Girofle,qui menait ses trois petitsjusqu’au pied du Grand Roc, oùelle les poussa dans un creuxafin qu’ils se tiennenttranquilles.
« Chut ! On doit écouterÉtoile de Feu. Il va nous direquelque chose de trèsimportant. »
Un miaulement excité étouffala réponse des chatons. Étoile deFeu leva les yeux : Cerise etMerle dévalaient la pente.
« Où sont-ils tous ? demandaMerle en regardant autour de luiavec indignation. Je pensaisqu’ils seraient arrivés,maintenant.
— Je t’avais bien dit qu’onaurait dû passer prendre Timide,miaula Cerise. Il est sans doute
confortablement installé chezses Bipèdes. Ce gros fainéant depatapouf…
— Du calme… l’interrompitÉtoile de Feu. Quelqu’unvient. »
À sa silhouette mince, ilreconnut Lichen, une chatted’un joli brun moucheté queGriffe et lui avaient rencontréela veille dans les bois. Elles’arrêta, de toute évidenceeffrayée de voir autant de chatsréunis, et s’assit sur une pierre,tout près de la rivière.
Feuille et Pelage de Pluie
arrivèrent peu après, côte à côte,comme s’ils se connaissaientdéjà. Dès qu’ils aperçurentGriffe, ils le rejoignirent au piedde la falaise. Un peu plus loin,Timide se dirigeait déjà versMerle et Cerise et, à la grandesurprise d’Étoile de Feu, Oscarsuivit peu après. Enfin arrivaPatte, qui bondissait comme s’ilcraignait d’être en retard. Iladressa un petit signe de tête àLichen et vint s’asseoir à côtéd’elle, un peu à l’écart.
Sous le regard de tous ceschats fixé sur lui, Étoile de Feu
sentit son poil se hérisser. Iléchangea un coup d’œil avecCiel, qui recula de quelques paspour le laisser seul au premierplan. Il se redressa, la tête bienhaute, dans l’espoir de montrerpar son allure toute la fiertéqu’il éprouvait d’être unguerrier.
« Salutations à vous tous etmerci d’être venus ! Hier, jevous ai parlé du Clan du Ciel quivivait ici, dans la gorge. Je vousai dit avoir été envoyé pourreconstituer ce Clan.
— Alors, continue ! » maugréa
une voix agacée provenant ducoin où était assis Oscar.
Le matou noir était-iluniquement venu pourperturber la réunion ? Étoile deFeu préféra l’ignorer.
« Au sein d’un Clan, les chatspeuvent profiter du soutien deleurs pairs, de la naissancejusqu’à la mort. Les reiness’occupent de leurs petits tandisque les guerriers protègent etnourrissent les anciens et lesreines qui allaitent. Quand leschatons atteignent l’âge de sixlunes, ils deviennent apprentis
auprès de mentors qui leurenseignent l’art du combat et dela chasse. »
Des cris d’excitations’élevèrent vers lui.
« Je veux être apprenti !— Moi aussi !— Chut ! intervint Girofle. Si
vous ne vous taisez pasimmédiatement, vous allezretourner à la grotte !
— Quand les apprentis sontformés, continua Étoile de Feu,ils deviennent des guerriers. Lesguerriers constituent la forced’un Clan. Ils doivent être prêts
à le défendre contre desennemis comme les renards, lesblaireaux ou d’autres chatsmalveillants. Ils doivent chasserpour le Clan et s’assurer quechacun mange à sa faim.
— Et quel avantage en tirentles guerriers ? demanda Pelagede Pluie en se dressant sur sespattes.
— L’honneur et le respect,répondit Étoile de Feu. Laloyauté des amis. La satisfactionde savoir qu’ils ont servi leurscamarades de Clan.
Pelage de Pluie hocha la tête
et se rassit, l’air peu convaincupar cette réponse.
— Quand les guerriersdeviennent trop vieux,poursuivit Étoile de Feu, ils vontrejoindre les anciens du Clan.Une part des tâches desapprentis est de s’occuper d’eux,d’entretenir leurs litières et deleur apporter des proies. Ils sonthonorés parce qu’ils ontconsacré leur vie à servir leurClan. »
Étoile de Feu remarquaquelques hochements de têted’approbation et reprit courage.
« Chaque Clan est mené parun chef, aidé de son lieutenant.Ils supervisent lesentraînements, organisent lespatrouilles et prennent lesdécisions quand un dangermenace. Le Clan des Étoilesaccorde neuf vies aux chefs afinqu’ils puissent être les premiersdans chaque bataille et lesderniers à se nourrir en cas dedisette. »
Il remarqua à ce moment unelueur d’intérêt animer les yeuxde Griffe, et il en ressentit uncertain malaise.
« En outre, chaque Clanpossède un guérisseur quis’occupe des chats malades oublessés. Les guérisseursconnaissent les herbesmédicinales et peuvent aider leClan à interpréter les rêvesenvoyés par le Clan des Étoiles.
— Cela fait deux fois que tumentionnes le Clan des Étoiles,miaula Feuille, qui écoutaitattentivement. Qu’est-ce quec’est ? »
Il ne fut pas surpris par cettequestion, mais il marqua unmoment d’hésitation. Avait-il
raison de révéler à ces chats queleurs ancêtres les protégeaient ?Il n’était pas sûr que le Clan desÉtoiles habite ces cieux et iln’avait croisé qu’un seulguerrier du Clan du Ciel.
Il pointa la queue vers laToison Argentée.
« Vous pouvez voir le Clandes Étoiles au-dessus de vostêtes. Les chats des Clans quimeurent partent chasser aveceux. J’ignore ce que deviennentles solitaires et les chatsdomestiques. »
Un murmure de scepticisme
s’éleva de l’auditoire et il encomprit la raison. Tout ce qu’ilvenait de leur raconter relevaitdu domaine pratique, qu’ilsl’approuvent ou pas. Enrevanche, il abordait là la sphèrede l’irrationnel…
Girofle se leva.« Eh bien, moi, je veux me
joindre à ce nouveau Clan !Étoile de Feu, Tempête de Sableet Griffe ont sauvé mes petitsd’un renard. Si nousappartenons à un Clan, ilsseront enfin en sécurité. »
Étoile de Feu échangea un
regard avec Tempête de Sable.Le malentendu restait complet.Girofle était certaine de pouvoircompter sur l’aide du Clan sansse demander en quoi ellepourrait contribuer à la viecommune.
Ciel sauta sur le Grand Roc etse posta à côté d’Étoile de Feu.De là, il pouvait voir tous leschats. Lorsqu’il prit la parole desa voix rauque, ils semblèrenttous surpris.
« Durant toute ma vie, j’aientretenu la mémoire du Clandu Ciel. Je sais que mes ancêtres
ont rêvé de voir leur Clan sereconstruire, mais parfois jedésespérais. »
Au lieu des gloussementsméprisants auxquels on auraitpu s’attendre, à cause de saréputation de vieux fou, leschats écoutèrent Ciel avecl’attention et le respect dû à unsage.
« Et maintenant, un chef estvenu de loin pour reconstruirele Clan du Ciel. Écoutez-le bienavant de prendre une décision. Ilva vous enseigner un style de viequi apportera honneur, gloire et
protection à chacun d’entrevous. »
D’accord, je suis un chef,pensa Étoile de Feu, soudainpaniqué. Mais je ne suis pas leurchef !
Il n’était qu’un étranger danscette gorge et les chats n’allaientpas lui montrer le même respectqu’ils paraissaient prêts àaccorder à ce vieux Ciel. Unefois de plus, ils murmuraiententre eux et, pour l’instant,aucun ne semblait vouloirs’impliquer dans ce nouveauClan. La réunion risquait de se
terminer sur un échec.Cerise sauta sur ses pattes,
tout excitée.« Nous, en tout cas, nous
allons nous joindre au Clan !Allez, venez ! Ce sera super !
— Compte sur moi aussi,ajouta Griffe en se tournant versÉtoile de Feu. Il est évidentqu’on sera plus forts tousensemble ! »
Étoile de Feu reprit aussitôtconfiance. Il avait espérél’adhésion de Griffe. C’était unchat puissant, excellentchasseur et combattant, même
s’il devait encore apprendre àvivre selon le code du guerrier.Mais prenait-il cette décisionuniquement dans le but dedevenir chef et de détenir unjour neuf vies ?
« Merci, miaula Étoile de Feu,étouffant ses craintes. Le Clandu Ciel te souhaite la bienvenue.
— Eh bien, moi, je ne vais pasme joindre à vous, déclaraLichen avec politesse maisfermeté. Je suis désolée, mais jene me sens pas à l’aise au milieude tant de chats. J’aime tropmon indépendance. »
Étoile de Feu fut déçu. Il avaitapprécié cette chatte.
« C’est à toi de voir, maissache que si tu changes d’avis,nous serons toujours là pourt’accueillir.
— Merci, mais ce ne sera pasle cas. Je vous souhaitecependant bonne chance. »
Sur ces mots, elle s’éloignalentement de la rivière.
Pelage de Pluie la suivit duregard, puis se leva à son tour.
« Je n’ai rien entendu quipuisse me convaincre,grommela-t-il. Tout ce que j’ai
compris, c’est que d’autres chatsvont vouloir régenter ma vie !
— Tu te trompes. Ce n’est pasce que tu imagines, protestaÉtoile de Feu.
— J’aime autant chasser pourmoi-même. Je n’ai pas besoindu Clan.
— C’est dommage, car le Clanpourrait bien avoir besoin de toi.
— Je n’ai aucune envie dedépendre de qui que ce soit ! »lâcha-t-il, avant de bondir surles traces de Lichen.
Étoile de Feu s’en voulut des’être exprimé de façon aussi
maladroite.« Ne t’en fais pas pour Pelage
de Pluie, miaula Feuille enlevant vers lui des yeuxcompatissants. Il est toujoursun peu susceptible. Nousréussirons peut-être à leconvaincre plus tard.
— Nous ? s’étonna Étoile deFeu.
— Oui, affirma-t-elle. Si leClan fonctionne comme tu ledis, alors chacun aura uneutilité. Nous ne serons plus desimples chats errants seulementpréoccupés par notre survie. »
Étoile de Feu futimpressionné. Ces parolesauraient pu venir d’un vraiguerrier de Clan. Unronronnement de bonheur jaillitde sa poitrine.
Il considéra les chats quin’avaient pas encore réagi.
« Merci, Feuille, miaula-t-il.Tout ce que je peux dire, c’estque le Clan du Ciel a jadis vécuici et pourrait de nouveau yvivre, selon le code du guerrier.L’existence de chacun s’entrouverait grandementaméliorée. Voulez-vous nous
rejoindre ? »Patte se passa la langue sur la
poitrine.« Je veux bien essayer. »Cerise donna un coup de
museau dans le flanc de Timide.« Allez, Timide ! Et toi ?— J’aimerais bien, mais je
crains de ne pas être très douépour la chasse ou les combats.J’ai toujours été un chat deBipèdes.
— Nous aussi, on l’est, fitremarquer Merle. Étoile de Feupeut t’enseigner tout ça !
— Si tu acceptes, tu seras le
bienvenu », affirma Étoile deFeu.
Le matou tigré hocha la tête.« Alors, c’est d’accord. Cerise
et Merle me manqueraient trops’ils partaient sans moi. »
Étoile de Feu se tourna vers leseul chat qui ne s’était pasencore prononcé.
« Et toi, Oscar ? »Le chat noir se leva
lentement.« Tu ne crois tout de même
pas que je suis venu ici pourentrer dans le Clan ! Pourquoiquitterais-je des Bipèdes
adorables qui me donnent toutce que je désire ? Je n’ai paspassé toutes ces lunes à lesdresser pour rien !
— Alors pourquoi es-tuvenu ? » demanda Merle.
Les mâchoires d’Oscars’ouvrirent sur un énormebâillement.
« Je voulais seulemententendre quelles idées stupidestu allais leur mettre dans la tête.Et je n’ai pas été déçu ! Vousn’êtes tous que des cervelles desouris ! »
Sur ce, il tourna le dos et
s’éloigna.« Cervelle de souris toi-
même ! » cria Cerise.Ciel s’avança sur le rebord du
Grand Roc et baissa la tête versla petite assemblée.
« Voici que renaît le Clan duCiel ! » annonça-t-il.
Puis, levant les yeux vers laToison Argentée, il miaula :
« Clan du Ciel ! Clan du Ciel !— Clan du Ciel ! Clan du
Ciel ! » scandèrent les chats.Étoile de Feu frissonna du
museau à la queue. Ce qui il y apeu semblait impossible
devenait aujourd’hui réalité. Leschats regroupés autour duGrand Roc formaient unnouveau Clan.
Puis des griffes glacées luienserrèrent le cœur. Il serappela la créature malveillantequi hantait la forêt. De loin, ilinspecta les buissons en haut dela falaise et eut la certitude dedétecter des yeux scintillantsdans l’ombre.
CHAPITRE 25
CHAPITRE 25
L’AUBE DU LENDEMAIN
s’annonça claire et fraîche. Postédevant la grotte des guerriers,Étoile de Feu vit Patte et Feuilleescalader les rochers pour venir
à sa rencontre. Après lerassemblement, tous les chatsdu nouveau Clan étaientretournés chez eux. Une de leurspremières tâches serait derécupérer assez de mousse pouraménager les nids et de serépartir les tanières afin que lescavernes redeviennent unvéritable camp.
Tempête de Sable rejoignitÉtoile de Feu et laissa échapperun long bâillement.
« Il va falloir emmenerGirofle à la pouponnière,miaula-t-elle. Il n’y aura plus
assez de place ici, une fois queles guerriers seront installés.
— Nous allons aussi avoirbesoin d’une tanière pour lesapprentis, fit remarquer soncompagnon. Et pour les anciens,le chef et le guérisseur…
— Ciel sera notre seul ancienet, en dehors de toi, il n’y a pasencore de chef.
— Non, je ne suis pas le chefdu Clan du Ciel ! Le Clan desÉtoiles va devoir nous enindiquer un !
— Et un guérisseur ? ajouta lachatte rousse. Pas de Clan sans
guérisseur. »Ce serait peut-être même plus
difficile que de trouver un chef.Il n’avait pas eu le temps depenser à tout cela. La veilleencore, le Clan du Ciel n’existaitpas !
Repoussant ces inquiétudes,il se prépara à accueillir Patte,un peu nerveux, et Feuille,piquée de curiosité. Peu aprèsarrivèrent Cerise, Merle etTimide.
« On est prêts pour notreleçon de chasse ! cria Merle duhaut de la falaise, les yeux
brillant d’impatience.— Parfait, approuva Tempête
de Sable. On va pouvoirorganiser deux patrouillescomplètes.
— On peut passer devant ?supplia Cerise. On connaît tousles endroits où il y a du gibier.
— Non, rétorqua Étoile de Feuavec fermeté. Vous n’êtes pasencore des guerriers. »
Les jeunes chats devaients’habituer à suivre les coutumesdu Clan. En voyant les oreillesde Cerise s’aplatir de déception,il ajouta cependant :
« N’ayez crainte ! Vous allezdiriger des patrouilles de chassebien plus vite que vous ne lepensez !
— Merle et Feuille, venez avecmoi, miaula Tempête de Sable.Nous allons prendre Griffe enpassant et voir ce qu’on peuttrouver dans les buissons enaval. Cela te convient, Étoile deFeu ?
— Parfait. Et nous, nous ironschasser au sommet desfalaises. »
Quand Tempête de Sable futpartie avec sa patrouille, Étoile
de Feu emmena Cerise, Timideet Patte à travers les taillisjusqu’en haut de la falaise. Ildésigna la grange des Bipèdes.
« Allons par là ! proposaÉtoile de Feu. Je n’ai pas encoreessayé d’y chasser. »
Peu après, il regretta sadécision. Les odeurs de rats etde chair à corbeau masquaientcelles du gibier.
« L’autre patrouille varamener beaucoup plus deproies que nous, maugréaCerise. Et Merle va se moquerde moi ! »
Prêt à renoncer, Étoile de Feucessa de pister le gibier pourdonner une leçon de chasse.Timide s’évertuait à suivre lesindications mais positionnaitmal son arrière-train, tandis quePatte fut presque parfait dès sapremière tentative. Il ne restaitplus qu’à leur apprendre àchasser en groupe.
« Bon. Je veux que vousimaginiez qu’il y a une proiesous cette ronce, là-bas.J’aimerais voir comment vousvous positionnez pour lasurprendre. »
Les trois chats s’éloignèrentsous le regard attentif d’Étoilede Feu. Ils se débrouillaient trèsbien.
Patte bondit soudain enpoussant un cri. D’un coup degriffe, il lança en l’air une petiteboule brune qu’il rattrapa entreses mâchoires avant de setourner fièrement vers Étoile deFeu.
« Bravo ! Ta premièreprise ! » lança celui-ci.
Patte laissa tomber la souris.« Je crois qu’elle dormait à
moitié, sinon je ne l’aurais
jamais attrapée !— Peu importe, l’essentiel,
c’est de l’avoir eue ! Nous allonsl’enterrer et nous larécupérerons au retour »,annonça Étoile de Feu encommençant à gratter la terre.
Ce qui ne devrait pas tarder,pensa-t-il.
Il n’aimait pas cette partie duterritoire. Trop calme, troppauvre en gibier, avec uneprésence indéfinissable danscette grange immense qui lemettait mal à l’aise…
Timide parvint à débusquer
un écureuil mais ne réagit pasassez vite quand l’animal détalapour aller se réfugier dans unarbre.
Cerise s’élança aussitôtderrière lui.
« Tu ne m’échapperas pas,l’écureuil ! cria-t-elle en sautantdans l’arbre, patte avant tendue.
Mais elle n’attrapa qu’unebranche et y resta accrochée,battant l’air des pattes arrière.
« Crotte de souris ! J’auraisdû l’avoir !
— C’était ma faute,marmonna le pauvre Timide. Je
manque de rapidité.— Ne t’en fais pas, ce n’est
que ta première leçon. Tu tedébrouilles très bien. »
Timide n’eut pas l’airconvaincu.
« J’ai tout de mêmel’impression qu’aucun chat nevoudra chasser pour moi si je nesais même pas le faire moi-même !
— Ce n’est pas ainsi quefonctionne un Clan, expliquaÉtoile de Feu en lui passant laqueue autour des épaules. Turecevras toujours ta part,
comme tous les autres guerriers.D’ailleurs, je suis sûr que tu enattraperas plus loin. »
Tout comme Étoile de Feul’avait espéré, ils trouvèrent bienplus de gibier dans les buissonslongeant la falaise et ilsrevinrent au camp chargés deproies. Timide se pavanaitfièrement avec un moineau qu’ilavait attrapé à la volée, prouvantainsi que le sang du Clan du Cielcoulait dans ses veines.
Apparemment, la patrouillede Tempête de Sable était deretour, elle aussi. Près du Grand
Roc, la rouquine et Griffe sefaisaient face, les poils de lanuque hérissés, comme s’ils sequerellaient. Feuille et Merle lesregardaient d’un air inquiet etGirofle, au bord de l’eau,rassemblait ses petits auprèsd’elle.
Étoile de Feu bondit à leurrencontre, posa sa proie à côtéde celle de la chatte ets’approcha d’eux.
« Et moi, je te dis que cela nese fait pas ! grogna Tempête deSable, furieuse. Par principe,dans un Clan, les anciens et les
reines qui allaitent mangenttoujours les premiers. »
Griffe agitait frénétiquementla queue.
« Des principes de cervellesde souris ! Ce sont les guerriersqui attrapent les proies !
— Inutile de vous disputer,intervint doucement Girofle. Tupeux manger en premier, Griffe.Cela ne me dérange pas. Il y alargement de quoi nourrir tousles chats.
— Ce n’est pas la question »,intervint Étoile de Feu.
Tempête de Sable était si
absorbée par le conflit qu’ellen’avait pas entendu Étoile deFeu arriver. Quand ellel’aperçut, elle se détendit.
« Ouf, te voilà ! Explique doncà cette stupide boule de poils… »
Étoile de Feu la fit taire d’unmouvement de la queue. Desinsultes n’allaient pas arrangerla situation.
« Tempête de Sable a raison.Ce n’est pas parce que lesguerriers sont assez forts pourchasser qu’ils ont le droit demanger les premiers.
— Ce n’est pas ce que je veux
dire ! protesta Griffe, indigné. Lasécurité du Clan dépend desguerriers. Ils devraient donc êtrenourris en priorité. C’estpourtant simple ! Mais certainschats ne veulent pascomprendre ! »
Au grand soulagementd’Étoile de Feu, sa compagne nerépondit pas. Effleurant sonflanc pour la rassurer, ils’approcha du matou belliqueux.
« Tu as raison, un Clan doitpouvoir compter sur des chatsbien nourris. Mais le code duguerrier n’est pas seulement
fondé sur le sens pratique.L’honneur est tout aussiimportant. On doit montrer durespect aux anciens et auxreines qui allaitent, car sans euxle Clan ne pourrait pas survivre.
— Justement ! Le Clan du Cieln’a pas survécu ! grommelasombrement Griffe.
— Exact, mais ce n’est pas uneraison pour jeter le code duguerrier aux orties ! Quoi qu’ilsoit arrivé à ses membres, cen’était pas la faute des anciensni des reines. Nous devonscontinuer à les honorer. »
Griffe hésita, puis baissa latête et se tourna vers Girofle.
« Vas-y, mange ! » grommela-t-il.
Très gênée, la chatte passadevant lui pour s’approcher de laréserve de gibier où elle saisitun merle qu’elle traîna jusqu’àses petits, accroupis près del’eau.
Tempête de Sable laissaéchapper un soupir et se dirigeavers Feuille, à qui elle miaulaquelque chose à l’oreille. Étoilede Feu fit signe aux autres devenir chercher leur repas. Lui-
même n’avait pas très faim.Combien de disputes faudrait-ilavant que tous les chatscomprennent le code duguerrier ?
Le soleil baissait déjà quandles chats, réchauffés par sesrayons et repus, entamèrent unesieste à l’ombre d’une grotte.Tous les membres du nouveauClan étaient présents. Étoile deFeu avait même remarqué Ciel,tranquillement roulé en boulesous un roncier.
Le rouquin était allongé àcôté de sa compagne et léchait la
fourrure de ses épaules d’unmouvement long et régulier. Lesyeux plissés, elle laissaitéchapper un douxronronnement.
« Je suis désolée de m’êtreemportée, avec Griffe. Tu l’asbien mieux convaincu quemoi. »
Étoile de Feu lui donna unnouveau coup de langue avantde répondre :
« Griffe sera une excellenterecrue, mais il faudra qu’ilcomprenne que le code duguerrier est plus qu’un simple
rapport de force. Il apprendra,avec le temps.
— Tout comme Girofle devraadmettre que le Clan ne sert pasqu’à la protéger. À toi de le leurmontrer ! ajouta-t-elle en luidonnant un petit coup de têteaffectueux.
— Exact. Et je sais mêmecomment m’y prendre. » Il seleva, s’étira longuement, puissauta sur le Grand Roc d’où illança les paroles familières :
« Que tous ceux qui sont enâge de chasser s’approchent duGrand Roc, pour une assemblée
du Clan ! » Ciel arriva et regardaautour de lui, comme s’ilignorait d’où venait l’appel.Feuille et Patte, qui somnolaientcôte à côte au bord de l’eau,levèrent la tête puis s’assirentpour écouter. Griffe sortit la têtede sa grotte. Cerise et Merledégringolèrent du haut de lafalaise tandis que les petits deGirofle déboulèrent du repairedes guerriers suivis, bien pluslentement, par leur mère. Enquelques instants, tout le Clans’était rassemblé autour duGrand Roc et concentrait son
attention sur Étoile de Feu.« Chats du Clan du Ciel,
commença-t-il, frissonnant defierté à l’idée de s’adresser pourla première fois à ces chatscomme à un Clan. La nuitdernière, vous vous êtes engagésenvers ce Clan et envers le codedu guerrier. Aujourd’hui, le Clanva vous honorer de vos noms deClan. Griffe, Feuille, Timide,Girofle et Patte, venez ici, s’ilvous plaît, au pied du GrandRoc. » Échangeant des regardsintrigués, les cinq chatss’approchèrent. Les petits de
Girofle tentèrent de suivre leurmère, mais Tempête de Sable lesarrêta d’un geste affectueux.
Étoile de Feu descendit deson piédestal et se campa devantla petite troupe. Il n’y avaitjamais eu de cérémonie deguerrier de ce genre et il nefallait pas qu’il commetted’erreur, afin que leurs ancêtresla valident si jamais ilsobservaient la scène depuis lesétoiles.
« Moi, Étoile de Feu, chef duClan du Tonnerre et mentor duClan du Ciel, j’en appelle à nos
ancêtres pour qu’ils se penchentsur ces chats. Ils ont le désirsincère d’apprendre les lois devotre noble code et je lesrecommande en tant quevaleureux guerriers. »
Se dirigeant vers Griffe, ilcontinua :
« Griffe, promets-tu derespecter le code du guerrier, deprotéger et de défendre tonClan, même au péril de ta vie ? »
Griffe hésita. Tempête deSable se glissa derrière lui et luisouffla :
« Réponds : “Oui, je le
promets.”— Oui, je le promets ! souffla
timidement Griffe, les yeuxrivés sur Étoile de Feu.
— Alors, au nom des pouvoirsqui me sont conférés par le Clandes Étoiles, je te donne ton nomde guerrier. Griffe, à partird’aujourd’hui, tu seras connusous le nom de Griffe Féroce. LeClan des Étoiles compte sur toipour mettre tout ton courage etta force au service du nouveauClan. »
Griffe Féroce cligna des yeuxet baissa la tête. Étoile de Feu
s’inclina pour poser son museauentre ses deux oreilles.
« Lèche son épaule »,ordonna Tempête de Sable.
Griffe Féroce obtempéra, puisrecula.
« Maintenant, nous allonsl’accueillir dans le Clan enacclamant son nom, miaulaTempête de Sable. GriffeFéroce ! Griffe Féroce ! »
L’assemblée répéta après elle,tandis que Cerise hurlait à tue-tête en bondissant.
Étoile de Feu donna à Patte lenom de Patte Frêle et Girofle
devint Cœur de Girofle. Quand ilse tourna vers Timide, il lut ledoute et la peur dans le regarddu chat domestique et crut qu’ilallait renoncer au moment deprêter serment.
« Timide, promets-tu derespecter le code du guerrier, deprotéger et de défendre tonClan, même au péril de ta vie ?
— Oui, je le promets, balbutiaTimide d’une voix tremblante.
— Alors, au nom des pouvoirsqui me sont conférés par le Clandes Étoiles, je te donne ton nomde guerrier. Timide, à partir
d’aujourd’hui, tu seras connusous le nom de Brin deMoustache. Le Clan des Étoilescompte sur toi pour mettretoute ta force et ta sagesse auservice de ton nouveau Clan. »
Lentement, le doute s’effaçapour laisser place à ladétermination. Étoile de Feusavait qu’il serait un excellentguerrier une fois qu’il aurait prisconfiance en lui.
Enfin, il se tourna vers Feuillequi l’écouta avec une attentiontoute particulière. Il n’y eutaucune hésitation lorsqu’elle
miaula :« Oui, je le promets.— Alors, au nom des pouvoirs
qui me sont conférés par le Clandes Étoiles, je te donne ton nomde guerrière. Feuille, à partird’aujourd’hui, tu seras connuesous le nom de FeuilleMouchetée. Le Clan des Étoilescompte sur toi pour mettre tonintelligence et ta loyauté auservice de ce nouveau Clan. »
Puis ce fut le tour de Cerise,qui bondissait toujours,survoltée, et de Merle, bien plusréservé que sa sœur et sans
doute conscient de la gravité decet engagement.
« Il est temps d’accueillirdeux nouveaux apprentis ausein du Clan », miaula Étoile deFeu.
Il toucha l’épaule de Cerise dubout de sa queue, et ajouta :
« À partir de ce jour, cetteapprentie sera connue sous lenom de Nuage de Cerise. GriffeFéroce, tu as beaucoup àenseigner à un apprenti, tu serasdonc son mentor.
— Est-ce que ça veut dire queje dois faire tout ce qu’il dit ?
s’offusqua presque la jeunechatte.
— Oui, répondit Tempête deSable. Touche sa truffe avec latienne. »
Griffe Féroce s’avança etNuage de Cerise s’exécutarapidement.
« Et si elle ne fait pas ce queje lui demande ? s’inquiéta lenouveau mentor.
— Tu feras ce qu’il faudrapour te faire obéir ! rétorquaTempête de Sable, les yeuxpétillant de malice.
— Dans la limite du
raisonnable, précisa tout demême Étoile de Feu. Au début,tu devras nous consulter,Tempête de Sable ou moi, si tuas besoin de la punir. Nous tedirons ce qui se passehabituellement dans notrepropre Clan. »
Se tournant vers Merle, quiécoutait avec appréhension, illui posa le bout de la queue surl’épaule.
« À partir de ce jour, cetapprenti sera connu sous le nomde Nuage de Merle. FeuilleMouchetée, tu seras son mentor
et tu partageras ton expérienceavec lui. »
Nuage de Merle avança pourtoucher le nez de son mentor,mais la chatte hésita.
« Je regrette, Étoile de Feu,mais je ne pense pas en êtrecapable. Ma vie au sein du Clanest tellement récente, commentpourrais-je entraînercorrectement un apprenti ?
— Ne t’inquiète pas. Tempêtede Sable et moi, nous t’aiderons.Pour l’instant, tous les chatsapprendront ensemble. »
Rassurée, elle avança et frotta
son museau contre celui deNuage de Merle.
« Je ferai de mon mieux », luipromit-elle.
Le reste du Clan accueillit lesapprentis en scandant leursnoms.
Puce bondit vers eux.« Et nous ? demanda-t-il.
Pourquoi est-ce qu’on ne peutpas être apprentis, nous aussi ?
— On veut des noms de Clan !renchérit sa sœur Perle.
— Vous ne pouvez pas êtreapprentis avant l’âge de sixlunes, expliqua Étoile de Feu.
— Mais c’est dans uneéternité ! protesta Roc enagitant la queue.
— Bon, d’accord, miaulaÉtoile de Feu après avoiréchangé un regard amusé avecsa compagne. Vous ne pouvezpas encore être apprentis, maisvous pouvez avoir des noms deClan. »
Les trois chatons seprécipitèrent vers lui, culbutantles uns les autres dans leurprécipitation. Quand ils setinrent devant lui, touttremblants d’excitation, il leur
toucha la tête du bout de laqueue.
« À partir de ce jour, ces troischatons seront connus sous lesnoms de Petit Roc, Petite Puceet Petite Perle.
— Petit Roc ! Petite Puce !Petite Perle ! » cria FeuilleMouchetée, accompagnée parles ronronnements affectueuxdes autres chats du Clan.
Les trois chatonsretournèrent vers leur mère, laqueue dressée avec fierté.
« Et qu’en est-il du chef ?demanda Griffe Féroce. Tu ne
vas pas toujours rester ici, n’est-ce pas ? »
Nourrissait-il l’espoir dedevenir chef ? Il était fort,connaissait bien le territoire etn’avait pas peur de faire preuved’autorité. Mais il est trop tôt,songea Étoile de Feu. Et puis…
« Ce n’est pas à moi de ledésigner, le Clan des Étoilesdécidera, déclara-t-il.
— Comment ça ? demanda lematou, incrédule.
— Il nous enverra un signe. »Griffe Féroce laissa échapper
un grognement de dépit, mais
ne pipa mot.« Maintenant, j’ai encore un
nom à ajouter, annonça Étoilede Feu, soulagé que cettequestion soit écartée pourl’instant. Ciel, peux-tu venir ici,s’il te plaît ? »
Le vieux matou se leva etavança de quelques pas. Quandil se tint devant Étoile de Feu,celui-ci baissa la tête par respectpour ce descendant du Clan duCiel.
« Moi, Étoile de Feu, chef duClan du Tonnerre et mentor duClan du Ciel, j’en appelle à nos
ancêtres guerriers pour qu’ils sepenchent sur notre ami Ciel,sans qui ce Clan n’aurait purenaître. Je ne lui demanderaipas de prêter serment puisqu’il atoujours été un véritableguerrier, fidèle à notre code.Ciel, à partir de ce jour, tut’appelleras Œil du Ciel, ensouvenir de ta foi et de tondévouement. »
Une lueur de pure satisfactionbrilla dans les prunelles pâles duvieux matou.
« Œil du Ciel ! Œil du Ciel ! »Il plongea ses yeux dans ceux
d’Étoile de Feu.« Merci. Je n’aurais jamais
osé rêver que cela puissearriver… J’espère que mesancêtres peuvent me voir, en cemoment.
— J’en suis certain », affirmaÉtoile de Feu.
Œil du Ciel se pencha à sonoreille et chuchota :
« Passe à ma tanière, ce soir.J’ai quelque chose à te dire. »
Le clair de lune baignait lesrochers quand Étoile de Feuremonta la gorge. Il ne pouvaitse débarrasser d’un sentiment
de malaise, mais cette fois,celui-ci n’avait aucun rapportavec les yeux brillants ethostiles des taillis. De quoivoulait lui parler le vieuxmatou ? Pourquoi avait-il insistépour retourner aussitôt dansson repaire sans attendre lesfélicitations du reste du Clan ? Ilfrissonna.
Lorsqu’il arriva devant latanière, Œil du Ciel l’attendaitsous le buisson de ronces qui enmasquait l’entrée.
« Tu m’as demandé de venir…— Je voulais te remercier. Tu
as ressuscité le Clan disparu.— Je n’ai fait que remplir ma
mission.— Penses-tu avoir été un bon
chef pour le Clan duTonnerre ? »
D’abord décontenancé, Étoilede Feu tarda à répondre.
« Je ne sais pas. Cela n’a pastoujours été facile, mais j’aiessayé de faire ce qu’il y avait demieux pour mon Clan.
— Personne ne douterait de taloyauté. Mais jusqu’où irait-elle ? »
Intrigué, Étoile de Feu ne sut
que répondre. Pourquoi Œil duCiel lui parlait-il du Clan duTonnerre ?
« Les temps à venir serontdifficiles, continua le vieuxmatou. Et ta loyauté sera mise àrude épreuve. Parfois, le destind’un seul chat n’est pas le destinde tout un Clan. »
C’était incompréhensible. LeClan du Tonnerre courait-il undanger ? Il l’avait quitté en paix,mais il y avait de cela plusieurslunes. Que pouvait-il arriver àun Clan sans chef en face derivaux comme le Clan de
l’Ombre ?Œil du Ciel se leva et Étoile
de Feu aurait juré voir sonpelage scintiller dans la nuit. Lavoix du vieux chat était doucemais empreinte d’une forcenouvelle.
« Ton Clan est en sécurité,pour l’instant. Mais ils seronttrois, parents de tes parents, àdétenir le pouvoir des étoilesentre leurs pattes.
— Je ne comprends pas.Pourquoi me dis-tu cela ? Il fautque tu m’en révèles plus !protesta Étoile de Feu.
Comment savoir ce que je doisfaire si tu ne t’expliques pas ?
— Adieu, Étoile de Feu, secontenta de répondre Œil duCiel après un long soupir. Aucours des saisons à venir,souviens-toi de moi. »
Il remua la queue, luisignifiant que l’entretien étaitterminé. Étoile de Feu leconsidéra un instant, interdit,puis il fit demi-tour et s’éloigna.
Tout son corps était glacé. Lesparoles de l’ancienressemblaient à une prophétiedu Clan des Étoiles, mais Étoile
de Feu n’avait pas la moindreidée de leur signification.
Ils seront trois, parents de tesparents, à détenir le pouvoir desétoiles entre leurs pattes.
En dehors de Flocon de Neige,Étoile de Feu ne comptait aucunparent dans le Clan duTonnerre. Alors qui pouvaientêtre les deux autres ?
Bercé par le doux murmurede la rivière, il s’approcha duGrand Roc et leva les yeux versle ciel.
« Pouvez-vous m’entendre ?murmura-t-il. Étoile Bleue ?
Petite Feuille ? Croc Jaune ? Sivous m’entendez, aidez-moi àprotéger le Clan du Tonnerre.
CHAPITRE 26
CHAPITRE 26
CETTE NUIT-LÀ, Étoile de Feudormit par intermittences et seréveilla à l’aube sous un cielcouvert. Un petit vent froidfaisait virevolter les feuilles qui
tombaient déjà. Il commença satoilette, s’efforçant d’oublier sespréoccupations. La prophétied’Œil du Ciel ne se réaliseraitpas avant plusieurs lunes. Dansl’immédiat, il ne pouvait rienfaire.
Cœur de Girofle et ses petitss’étaient finalement installésdans la pouponnière, afin queles guerriers du nouveau Clandu Ciel puissent partager lagrotte avec Tempête de Sable etson compagnon. Impatient depasser à l’action, Étoile de Feuse dirigea vers Griffe Féroce,
qu’il secoua d’une patte ferme.« Mais que… ? demanda
celui-ci en clignant des yeux.— Il est temps de partir en
patrouille », annonça Étoile deFeu.
Griffe Féroce grommela, puisse leva et s’ébroua pendantqu’Étoile de Feu réveillaitFeuille Mouchetée.
« On prendra Nuage de Ceriseet Nuage de Merle pourpatrouiller le long desfrontières », expliqua-t-il.
Feuille Mouchetée eut l’airintriguée.
« Mais on n’a pas defrontières !
— On va les définir. »Tandis qu’ils descendaient
vers la grotte des apprentis,Étoile de Feu se demandacomment Nuage de Cerise etNuage de Merle avaient passécette première nuit loin de leursBipèdes. La veille, il les avaitaidés à se préparer un nid avecde la mousse ramassée près dela rivière.
« Je me demande commentvont nos Bipèdes », avaitmurmuré Nuage de Merle, un
peu effrayé par la nuit quitombait dans la gorge.
Sa sœur lui avait donné uncoup de langue pour leréconforter.
« Je suis sûre qu’ils vont trèsbien dormir, et nous aussi. Noussommes des chats de Clan,maintenant ! »
Mais, à juger par lesbattements nerveux de saqueue, elle n’en menait paslarge non plus.
Quand Étoile de Feu et lesautres guerriers arrivèrentdevant la grotte, elle déboula, la
fourrure ébouriffée.« On va chasser ? demanda-t-
elle. Je meurs de faim !— Les anciens et les reines
qui allaitent se nourrissent enpremier, lui rappela Nuage deMerle.
— Très juste ! Mais Tempêtede Sable va organiser unepatrouille de chasse un peu plustard pour le reste du Clan,miaula Étoile de Feu. Puisquenous assurons la patrouille del’aube, nous attraperons un peude gibier en chemin.
— On a le droit ? demanda
Nuage de Cerise.— Bien sûr ! Ce sont
seulement les patrouilles dechasse qui doivent rapportertoutes leurs prises au camp.
— Alors, filons ! » s’exclamaNuage de Merle.
Ils s’engagèrent dans lechemin qui menait à l’endroitoù ils avaient défendu Cœur deGirofle et ses petits contre lerenard. Les guerriers de l’ancienClan du Ciel avaient-ils délimitéleur territoire près d’ici ?
« Nous allons poser nospremières marques dans les
parages. Ainsi, tous les chats quipasseront sauront où commencenotre territoire. Si vousrenouvelez ces marquesrégulièrement, une odeur trèspuissante s’installera aprèsquelques lunes.
— Est-ce que les autres chatsrespectent les frontières ? »demanda Feuille Mouchetée.
La question était pertinente.En effet, les chats d’un autreClan y réfléchiraient à deux foisavant de franchir ce genre demarquage, mais il n’y avait pasd’autre Clan dans cet endroit
reculé.« Les chats errants risquent
de poser un problème…— On va vite leur apprendre à
respecter notre territoire !menaça Griffe Féroce.
— Ou leur proposer de rallierle Clan, suggéra doucementFeuille Mouchetée. Il y aquelques jours encore, nousétions aussi des chats errants. »
Quand les premières marquesfurent posées, Étoile de Feutrouva un chemin qui menait ausommet de la falaise, de l’autrecôté du camp. Ils longèrent la
gorge et il marqua un arrêt auniveau d’un tas de pierres.
« On va également laisser nostraces ici. Il est souventjudicieux de choisir un endroitque l’on peut à la fois bien voiret bien sentir. Ainsi, on sesouvient mieux de sonemplacement.
— Je peux le faire ? demandaNuage de Cerise en sautant surle roc. S’il te plaît ?
— D’accord. Tu as vucomment j’ai procédé, tout àl’heure ? Tu nous rattraperasdès que tu auras fini. »
C’est ce qu’elle fit quand ilss’arrêtèrent pour laisser letemps à Nuage de Merle deposer sa propre marque au bordd’un petit bosquet.
« J’aimerais inclure unepartie de la forêt dans votreterritoire, expliqua Étoile deFeu. C’est l’endroit idéal pour legibier. Mais il faut éviterd’empiéter sur le domaine deschats errants qui n’ont pasintégré le Clan. On ne veut pasde bagarre.
— Si nous restons en bonstermes avec eux, ils changeront
peut-être d’avis », ajouta FeuilleMouchetée.
Lorsqu’ils atteignirent lesbois, Étoile de Feu laissa GriffeFéroce passer en tête. Les deuxapprentis n’avaient jamais misles pattes dans une forêt aussitouffue et ils ouvraient grand lesyeux. Nuage de Cerise laissamême échapper un petitmiaulement d’excitation avantde se plaquer la queue sur lemuseau en jetant un regardcoupable vers son mentor.
« C’est ça ! Bonne idée !Effraie tout le gibier de la
forêt ! » grommela GriffeFéroce.
Pourvu qu’il ne se montre pastrop sévère avec les jeunesrecrues… se dit Étoile de Feu.Mais Nuage de Cerise nesemblait pas froissée. Elle avaitdéjà repéré un merle qui picoraitsous un arbre et elle rampaitvers lui.
« Toi aussi, tu peux chasser !souffla Feuille Mouchetée àl’intention de Nuage de Merle,qui disparut aussitôt dans lesfourrés.
— Je propose qu’on se dirige
vers la rivière, miaula GriffeFéroce en gardant un œil surson apprentie. Si on la considèrecomme une frontière, lestanières de Pelage de Pluie et deLichen seront en dehors denotre territoire.
— Et Grognon ? demandaÉtoile de Feu en pensant auvieux matou ronchon.
— Il déménage toutes leslunes. S’il n’aime pas se trouversur notre territoire, il peuts’installer ailleurs ! »
C’était une bonne idée, mais ilne fallait pas oublier de dire aux
guerriers de ne pas attaquer leschats errants s’ils lesrencontraient. Du moins, pasavant de leur avoir donné letemps de s’habituer à laprésence du Clan dans les bois.
« D’accord pour la rivière »,miaula-t-il.
C’est alors qu’arriva Nuage deCerise. Elle déposa le merledevant son mentor.
« Pour toi, dit-elle avecrespect. Je peux très vite enattraper un autre. »
Griffe Féroce considéra laproie, puis son apprentie.
« Merci, finit-il par dire. Belleprise ! »
Les yeux brillants, Nuage deCerise s’en retourna, la queuedressée.
Pour ne pas être en reste,Nuage de Merle déposa unmoineau devant FeuilleMouchetée, avant de repartir sechercher une proie. Étoile deFeu était ravi de leurcomportement et décida de nepas leur dire tout de suite queles apprentis ne chassaientgénéralement pas pour leurmentor. À son tour, il attrapa un
écureuil en faisant un bondpresque digne d’un chat du Clandu Ciel.
Quand ils atteignirent larivière, Nuage de Cerise désignaun tronc d’arbre mort qui sedressait tout seul dans uneclairière.
« C’est un bon endroit pourlaisser une marque ! lança-t-elle, toute fière.
— Oui, mais je pense quecelui-ci serait plus adapté,répondit Étoile de Feu enindiquant un chêne recouvert delierre, en lisière de la forêt.
— Et pourquoi ça ? demandaNuage de Merle. On aura plus deterritoire si on choisit l’arbremort.
— La clairière n’offre nihabitat pour le gibier ni abripour vous au cas où il y auraitdes renards ou des blaireauxdans le coin.
— Cela me semblejudicieux », admit Griffe Féroceen s’approchant du chêne pour ydéposer une marque.
Puis, longeant la rivière, ilsarrivèrent à l’endroit où l’arbremort formait une passerelle au-
dessus de l’eau. De là, ilscontournèrent les nids desBipèdes et la grangeabandonnée. Étoile de Feu sehâta de marquer la clôture pours’assurer que ce bâtimentresterait en dehors du territoiredu Clan du Ciel.
Ils revinrent au camp vers lemilieu du jour, mais le ciel étaitcouvert et la pluie menaçait.Tempête de Sable émergea desbuissons, une souris entre lesmâchoires.
« Salut ! Je me doutais quevous étiez partis en patrouille,
miaula-t-elle en déposant saproie.
— On a marqué les limites duterritoire, annonça fièrementNuage de Cerise.
— Formidable ! Il faudra nousdire à tous où elles se trouvent.
— Pendant les jours à venir,tout le monde aura l’occasion departiciper à une patrouille,miaula Étoile de Feu. Je voisque la chasse a été bonne.
— Oui, l’endroit ne manquepas de gibier. Patte Frêle est déjàun très bon chasseur et Brin deMoustache se débrouille plutôt
bien. »C’était une bonne nouvelle.
Quelques succès lui donneraientl’assurance qui lui manquaitencore.
« Il y a juste une chose quime chiffonne, continua Tempêtede Sable, en baissant la voix afinque seul Étoile de Feu puissel’entendre. On n’a pas vu Œil duCiel de toute la matinée. »
L’appréhension noua leventre d’Étoile de Feu. Lecomportement étrange et lesparoles mystérieuses de laprophétie lui revinrent aussitôt
à l’esprit.« Tu devrais aller jeter un
coup d’œil.— J’y vais tout de suite »,
lança Étoile de Feu, de plus enplus inquiet.
Les sens aux aguets au cas oùun renard rôderait dans lesenvirons, il se précipita vers latanière du vieux matou. Ellesemblait vide. Peut-être était-ilparti chasser ? Puis il entra et,plaqué contre la paroi du fond, ilaperçut une boule de fourruregrise blottie sous un nœud deracines.
« Œil du Ciel ! »Pas de réponse.« Œil du Ciel ! Tu dors ? »Le vieux chat restait
immobile. Quand Étoile de Feuposa une patte sur son épaule, ilconstata que le corps était froid.
Le chagrin lui serra le cœur.Peut-être le vieux chat s’était-ilaccroché à la vie uniquementpour voir ressusciter le Clan duCiel ? Son rêve s’étant réalisé, ilavait dû se laisser mourir,heureux.
Étoile de Feu caressa son dosde la queue, la gorge nouée.
« Adieu, mon ami. Que leClan des Étoiles éclaire tonchemin. »
Étoile de Feu sauta sur leGrand Roc et considéra les chatsassis plus bas, dans la clairière.Cœur de Girofle était allongéeprès de l’eau, surveillant sespetits qui jouaient dans l’herbe,tandis que Nuage de Cerise etNuage de Merle mangeaientdevant la réserve de proies.Griffe Féroce et Patte Frêle sebattaient au pied de la falaisesous l’œil aguerri de Tempête de
Sable qui leur prodiguait desconseils sur les techniques decombat. Le cœur d’Étoile de Feuétait lourd à l’idée de la nouvellequ’il allait devoir leur annoncer.
« Que tous les chats en âge dechasser viennent se rassemblerici pour une assemblée duClan ! » cria-t-il.
Quand tous furent au pied duRocher, il commença :
« J’ai une mauvaise nouvelleà vous annoncer. Œil du Ciel estmort. »
Il y eut un long silence,émaillé des couinements des
petits de Cœur de Girofle quicontinuaient à jouer. Enquelques chuchotements, elleles fit taire.
« C’est en effet une terriblenouvelle, admit Griffe Féroce.Le Clan sera plus faible sans sonexpérience pour nous guider. »
Les autres ne réagirent pas etÉtoile de Feu en fut attristé.Quand il redescendit du GrandRoc, sa compagne vint à sarencontre et toucha son museaudu sien.
« Tu ne peux pas leur envouloir, ils le connaissaient à
peine et venaient seulement dese rendre compte qu’il n’étaitpas un vieux matou radoteur.
— Je sais. Mais il faut qu’ilscomprennent qu’il a faitbeaucoup pour ce Clan. »
Il demanda à Patte Frêle et àTempête de Sable de l’aider àrapporter la dépouille d’Œil duCiel au pied du Grand Roc.Quand ce fut chose faite, lesautres chats se rassemblèrentautour d’eux.
« Souvenez-vous que vousdevez rester bien éveillés toutela nuit, dit Cœur de Girofle à ses
petits. Quoi qu’il arrive, il nefaut pas vous endormir. »
Étoile de Feu fut étonné quecette chatte ait entendu parlerde la coutume de la veillée desmorts.
« Non, ce ne sera pasnécessaire, les petits n’ont pasbesoin d’y participer. »
Cœur de Girofle se tournaaussitôt vers lui, horrifiée, lespoils hérissés.
« Quoi ? Tu veux que mespetits meurent ?
— Comment cela ? Ils nerisquent absolument rien. »
Brin de Moustache frissonna.« Si, Cœur de Girofle a
raison ! Il faut rester éveillé lanuit où un chat meurt, sinon onmeurt aussi. C’est ma mère quim’a dit ça !
— C’est vrai, intervint GriffeFéroce. Vous vous rappelezRouquin ? Il est allé se coucherla nuit où son frère est mort et,quelques jours plus tard, unmonstre l’a eu.
— Oui, je m’en souviens,commenta Feuille Mouchetée.
— Ce n’est qu’une légende,protesta fermement Étoile de
Feu quand il vit les petitséchanger des regards paniqués.Oui, nous allons veiller notremort toute la nuit et lui rendrehommage pendant son voyagevers le Clan des Étoiles, mais cen’est pas parce que nousrisquons de mourir.
— Normalement, on le fait àtour de rôle, expliqua Tempêtede Sable. Mais, comme nous nesommes pas très nombreux,ceux qui se sentent le plusproches de lui resteront éveilléstoute la nuit.
— Nous sommes de sa
famille, pas vrai ? demandaNuage de Merle. Nous avons dusang du Clan du Ciel dans nosveines.
— C’est exact. Et demain,Tempête de Sable et moi ironsl’enterrer.
— J’aimerais vous aider,intervint Nuage de Cerise. On nelui a jamais dit qu’on étaitdésolés de l’avoir tourmenté !
— On aurait dû ! ajoutatristement Nuage de Merle.
— Je pense qu’il ne vous envoulait pas, intervint Tempêtede Sable. Il vous a vus devenir
des apprentis du Clan et c’est cequ’il voulait par-dessus tout.Voir son Clan redevenirpuissant. »
Malgré tous leurs efforts, lesdeux jeunes apprentis finirentpar s’endormir et, au fil de lanuit, certains autres seretirèrent dans leur tanière,épuisés par les patrouilles et lesentraînements de la journée.
À l’aube, Étoile de Feuregarda vers le ciel en étirant sesmembres ankylosés, sedemandant laquelle de cesétoiles était celle d’Œil du Ciel.
« As-tu trouvé ton cheminjusqu’à tes ancêtres du Clan duCiel ? murmura-t-il. S’il y en aun qui le mérite, c’est bientoi ! »
Un rayon de lune réveillaÉtoile de Feu. En regardantautour de lui, il se rendit compteque Brin de Moustache n’étaitpas là. Il se dirigea vers le seuilde la grotte et le repéra, assisprès de la rivière.
« Tu as besoin de moi ?demanda le chat, sur ladéfensive, quand Étoile de Feu
s’approcha de lui.— Non, mais j’ai l’impression
que tu n’es pas heureux.— Tout va bien. J’apprends
des choses que je n’auraisjamais imaginées avant. C’estjuste que… Il y a trop de chats…Surtout quand ils dorment tousdans la grotte. J’avais l’habitudede vivre seul avec mes Bipèdes.
— J’ai moi aussi été un chatde Bipèdes et j’ai ressenti lamême impression quand je suisentré dans mon Clan. Mais tuvas vite t’y habituer et bientôt,tu te demanderas comment tu
as pu vivre sans tes amis autourde toi.
— Peut-être », miaula Brin deMoustache, peu convaincu.
Le matou tigré tourna lesyeux vers la rivière. Étoile deFeu en conclut qu’il avait envied’être seul et s’éloigna. En luidonnant l’occasion de tirer unpeu de fierté de ses prouesses àla chasse, il arriverait peut-être àmieux intégrer ce solitaire dansle Clan. C’était à tenter.
Quelques jours après cetteconversation, Étoile de Feurevenait d’une patrouille de
chasse avec Nuage de Merle etFeuille Mouchetée lorsqu’iltrouva le camp presque désert.La grotte des guerriers était videet quand ils descendirent aubord de l’eau, seule Cœur deGirofle s’y trouvait, surveillantses petits, plus turbulents quejamais.
« Ils sont insupportables ! dit-elle quand Étoile de Feu arriva àsa hauteur. Et Petite Puce n’enrate pas une !
— Ne t’en fais pas, les chatonssont toujours turbulents. Ilsseront bientôt prêts à entrer en
apprentissage. Mais commenous n’avons pas beaucoup deguerriers, il faudra que tut’occupes de l’un d’eux.
— Je n’ai jamais eud’apprenti ! paniqua Cœur deGirofle.
— Il est peut-être temps quetu participes aux patrouilles. Tuapprendrais vite, ainsi !
— C’est impossible ! Mespetits ont encore besoin de moi.Qui les surveillera pendant monabsence ? Petit Roc ! Veux-tudescendre de là ! Tu vas tomberdans l’eau ! » cria-t-elle à
l’intention du chaton noir quiescaladait un rocher.
Sans doute avait-elle raison…« Où sont les autres chats ?
demanda Étoile de Feu. La gorgesemble déserte.
— Ils sont partis avecTempête de Sable. Elle leur aproposé une séanced’entraînement. »
Étoile de Feu la laissa avecNuage de Merle et FeuilleMouchetée et remonta la gorge.Il atteignit une surface planerecouverte de sable juste àtemps pour voir Nuage de Cerise
sauter sur Tempête de Sable.Les deux chattes roulèrent sur lesol, pattes et queues mêlées.Griffe Féroce, Brin deMoustache et Patte Frêleassistaient au combat.
Tempête de Sable finit par sedégager et secoua la poussièrede son pelage.
« Très bien. Ton saut et taprise avec les griffes sontparfaits. Si j’étais un renard, jen’aurais aucune envie de tombersur toi ! »
Les yeux de la petite chattebrillaient de fierté.
« À toi, maintenant, Brin deMoustache ! Imagine que je suisun renard qui essaie d’entrerdans la pouponnière du Clan. »
Brin de Moustache hésita,regarda les autres chats autourde lui. Tempête de Sableattendait, remuant la queued’impatience.
« Allez, vas-y ! J’ai déjà eu letemps de dévorer deux petits ! »
Il s’élança vers elle mais,ayant mal calculé son élan, iltomba juste devant le nez dusoi-disant renard. Il grommelade frustration.
« C’était un peu court,convint la chatte. Essaie encoreune fois.
— Non, j’en ai assez pour lemoment, dit-il en reculant. Jem’exercerai tout seul.
— D’accord, on aura une autreséance demain. »
Il s’éloigna, accablé, et Étoilede Feu le suivit.
« Je suis désolé, commença lejeune chat qui s’était renducompte de sa présence. Je sais,je suis mauvais ! Je n’y arriveraijamais, dit-il tristement. Je mesens si maladroit… Et tous ces
chats qui me regardent ! »Décidément, Brin de
Moustache avait des difficultés àvivre en communauté.
« Il en va de même pour lesautres, tu sais. Mais tu aurais dûen parler à Tempête de Sable,elle t’aurait donné une leçonparticulière.
— Je ne voulais pas luicompliquer la vie. Elle travailledéjà tellement !
— Je sais, mais je t’assure quecela ne pose pas de problème.Aimerais-tu t’entraîner avecmoi, là, maintenant ? Personne
ne nous regarde. »Ses yeux pétillèrent.« Alors ? On essaie ? Qu’est-
ce qu’elle voulait vousenseigner ?
— L’attaque. Si on bondit surun ennemi, on le prend parsurprise.
— Exact. Alors vas-y, saute-moi dessus ! »
Il avait à peine fini de parlerque Brin de Moustache se jetaitsur lui. Mais Étoile de Feu fit unbond de côté et son élève réussitseulement à lui griffer le flanc.
— Très bien !
— Je t’ai pourtant raté,protesta Brin de Moustache,penaud. »
Ne voyait-il donc que l’aspectnégatif des choses ?
« Mais tu as tout de mêmeréussi à me toucher ! Essaieencore et cette fois, bats-toijusqu’à ce que je te dised’arrêter ! »
Il s’accroupit et attendit queson élève s’élance sur lui. Mais,comme le jeune chat suivait unpapillon des yeux, il se détendit.Brin de Moustache en profitapour l’attaquer par surprise.
« Espèce de sournois ! » lâchason mentor, sous le choc.
Tous deux se roulèrent parterre en se labourant le ventreavec les pattes arrière.
« Bon, bon, ça suffit ! » haletaÉtoile de Feu.
Brin de Moustache se remitdebout.
« Je ne t’ai pas blessé,j’espère ? s’inquiéta-t-il.
— Non, c’était formidable ! Tupossèdes toutes les qualitéspour devenir un redoutablecombattant !
— Vraiment ? »
Ses yeux brillaient debonheur.
« Vraiment ! Tu n’as aucuneraison d’avoir honte devant lesautres chats.
— Je suppose que je vais finirpar m’y habituer, tôt ou tard. Jecontinuerai à m’exercer toutseul, si c’est possible.
— Bien sûr ! »Étoile de Feu retourna vers le
terrain d’entraînement. Lesélèves étaient déjà repartis etTempête de Sable était occupéeà sa toilette.
« J’ai eu une petite discussion
avec Brin de Moustache », luidit-il.
Puis il lui raconta leur séance.« Je tâcherai de lui laisser le
temps de s’entraîner tout seul,promit-elle. Mais je suis moinsinquiète pour lui que pour Cœurde Girofle. Elle n’a encoreparticipé à aucune leçon.
— Elle s’occupe de ses petits.— Ils sont assez grands pour
rester seuls un moment. Et ilspourraient l’accompagner etassister à l’entraînement, non ?
— Ne t’en fais pas. Ils serontbientôt apprentis et elle se
joindra à vous.— Quand elle a été intronisée
guerrière, elle a promis deprotéger et défendre le Clan.Comment peut-elle y arriver sielle n’apprend pas à se battre ?Il est temps qu’elle s’y mette ! »
Ils grimpèrent lentement ausommet du Grand Roc ets’allongèrent au soleil tout enregardant les autres chatss’activer près de la rivière.
« Cela me rappelle lesRochers du Soleil, murmura lachatte. La pierre chaude, lesbruits de la rivière… je me
demande ce que font les autres,chez nous…
— Plume Grise estresponsable de notre Clan, je luifais une confiance totale. »
Tous deux se laissaient aller àrêvasser quand un cri stridents’éleva de la berge. Ils bondirentet virent Cœur de Girofle sepencher vers la rivière, le pelagesi hérissé qu’elle semblait avoirdoublé de volume.
Ils mirent un moment avantde localiser les petits, puis virentPetite Puce en train de sedébattre dans le courant qui
l’entraînait. Il pataugeait de sespattes avant en laissantéchapper un miaulement deterreur, interrompu quand satête disparut sous l’eau.
Étoile de Feu et Tempête deSable se précipitèrent vers luimais Cœur de Girofle fut plusrapide. Elle avait déjà sauté dansla rivière et nageaitvigoureusement vers l’endroitoù son petit avait disparu. Elleplongea.
Étoile de Feu fut pris depanique. Allait-il devoir sauverla mère et le petit ? Puis Cœur
de Girofle réapparut, tenantPetite Puce par la peau du cou.Elle nagea jusqu’à la berge oùÉtoile de Feu et sa compagne lesaidèrent à se hisser hors del’eau.
« Petite Puce ! Petite Puce !cria-t-elle. Tu vas bien ? »
Tout tremblant, le chatonlaissa échapper un gémissementpitoyable avant de recracher del’eau. Sa mère le tira vers uneflaque de soleil où elle le posacomme une feuille trempée.Puis elle s’accroupit à côté de luiet se mit à le lécher avec
vigueur, ébouriffant son poilafin qu’il puisse sécher plus viteet se réchauffer.
Étoile de Feu chercha desyeux les deux autres petits et lesvit remonter à toute allure lesentier qui menait à la grottecouverte de mousse scintillante,puis longer la berge pour venirse poster devant leur mère, lespupilles dilatées de terreur.
« Petite Puce va bien ? »demanda Petite Perle d’une voixfluette.
Cœur de Girofle leva les yeux.Le pelage presque sec, le chaton
essayait péniblement de selever.
« Je ne sais pas ce qui vous apris, tous les trois ! feula-t-elle.Vous savez très bien que vousn’auriez pas dû aller dans cettegrotte sans moi !
— Mais on savait que tu nenous laisserais pas… commençaPetit Roc.
— Bien sûr que je vousl’aurais interdit ! Et maintenant,vous comprenez pourquoi !C’est dangereux, là-dessous etvous êtes tous trop jeunes pournager correctement. Et si je
n’avais pas été là ?— C’est ma faute, balbutia
Petite Puce, qui réussit enfin àse remettre sur ses pattes. C’estmoi qui ai eu l’idée. »
Il se leva et secoua safourrure trempée.
« Je me fiche de savoir qui estle fautif ! Vous filez directementdans la pouponnière. C’est fini,les jeux pour vous trois,aujourd’hui ! »
Petit Roc faillit protester,mais un regard de sa mère luicloua le museau.
« Allez, ouste ! Et tout de
suite ! » ordonna-t-elle.L’air abattu, les chatons se
mirent en marche, puis PetitePerle se retourna :
« Il y a une grotte là-bas,pleine de mousse qui scintille !Et il y avait aussi des voix quinous parlaient ! »
Déconcerté, Étoile de Feus’avança vers elle.
« Que disaient-elles ?— Elles parlaient tellement
doucement qu’on ne pouvait pasles comprendre, répondit PetitePuce.
— Des voix ! Tiens donc !
Vous n’avez pas fait assez debêtises pour inventer dessornettes en prime ?
— Mais on n’invente pas !protesta Petite Perle. On avraiment entendu des voix !Beaucoup de voix !
— Je ne veux plus rien savoir,miaula sa mère. Vous neretournerez plus jamais danscette grotte, un point c’esttout ! »
Sur ce, elle les poussa vers lapouponnière. Quand ils sefurent éloignés, Étoile de Feuretint Cœur de Girofle et lui
demanda :« Où as-tu appris à nager
ainsi ?— Je n’ai pas toujours vécu
dans la gorge. Je suis née plusloin, près d’un nid de Bipèdesabandonné. Ma mère m’a apprisà nager pour pêcher.
— L’un des Clans dans la forêtoù nous vivons s’appelle le Clande la Rivière. Ses membresnagent et attrapent des poissonstout le temps. Tu as peut-êtredes ancêtres parmi eux.
— Tu veux dire que je neferais pas partie du Clan du
Ciel ? »Sa déception réchauffa le
cœur d’Étoile de Feu.« Bien sûr que si, puisque tu
vis avec nous. Appartenir à unClan n’est pas qu’une histoire desang, c’est aussi un engagement.Il faut apprendre à vivre selon lecode du guerrier, savoir se battreet se dévouer à son Clan. Tu asmontré ta bravoure,aujourd’hui, en sauvant PetitePuce. Tes ancêtres seraient fiersde toi.
— Je ne l’avais jamais vu souscet angle. À partir de
maintenant, je vais participeraux entraînements.
— Bien. Tu auras l’impressiond’appartenir au Clan quand tului apporteras quelque chose.Pense à tes petits. Ilsdeviendront un jour desguerriers et tu pourrais être unexcellent exemple, pour eux !
— Nous comprenons que cen’est pas facile, intervintTempête de Sable enl’encourageant d’un coup delangue affectueux. Mais tuverras, cela en vaut la peine !
— Et ne t’en fais pas pour les
petits, assura Étoile de Feu. Ilsdeviendront bientôt apprentis etje te promets que quelqu’un lessurveillera pendant tesentraînements. Plusd’expédition dans les grottes ! »
Le lendemain matin, Étoile deFeu emmena Griffe Féroce,Nuage de Cerise et Patte Frêleen patrouille. À leur retour, il vitNuage de Merle, Brin deMoustache et FeuilleMouchetée assis ensemble aupied des rochers, en pleinediscussion. Tempête de Sable les
observait de loin, contrariée.« Que se passe-t-il ? demanda
Étoile de Feu à Griffe Féroce.— Aucune idée ! »Il s’approcha du groupe.« Tout va bien ? »Ils le regardèrent tous d’un
air inquiet.« Nous parlions de la Grotte
qui Murmure, lui dit Brin deMoustache.
— La quoi ?— La grotte sous les rochers,
intervint Tempête de Sable ens’approchant à son tour. C’estainsi qu’ils l’ont baptisée,
maintenant. Ces petits idiots ontfait courir des rumeurs au sujetdes voix et…
— Il doit y avoir quelquechose, là en bas, l’interrompitNuage de Merle. Petit Roc ditqu’il a vu de grands chats quiscintillaient, avec des griffesénormes. Leurs yeux brillaientcomme la lune et leurs crocsétaient plus longs que ceux d’unrenard. »
Patte Frêle semblait horrifié.« Vraiment ?— Les petits ont toujours
tendance à imaginer des choses,
concéda Feuille Mouchetée enagitant nerveusement la queue.Mais ils avaient l’air terrifiés.Pourquoi inventeraient-ils toutça ?
— Aucune idée… »Ils avaient certainement
enjolivé l’histoire depuis leurexploration de la veille !
« Et si ces gros chatssortaient ! miaula Brin deMoustache.
— Et si les merles avaient desdents ! se moqua Tempête deSable.
— S’il y a réellement des chats
là-dedans, on ferait mieux des’en occuper, commenta GriffeFéroce. On devrait entrer et lesdécimer une fois pour toutes ! »
Étoile de Feu leva une pattepour le calmer.
« On ira, mais plus tard. Et jene pense pas qu’il y ait quelquechose à craindre. Il est temps departir en patrouille de chasse.Griffe Féroce, tu peux dirigerl’une et Feuille Mouchetéel’autre. »
En s’éloignant, ils luilancèrent un regard dubitatif.Tempête de Sable s’approcha
d’Étoile de Feu.« Qu’est-ce que cela cache ?
murmura-t-elle. Œil du Cieldisait que les guérisseurs duClan du Ciel partageaient lesrêves de leurs ancêtres danscette grotte.
— C’est ce que j’espère.Chaque Clan a besoin d’unendroit un peu spécial, commenotre Pierre de Lune, et celapourrait bien être celui du Clandu Ciel. Ce qui m’inquiète, c’estque ce Clan n’a pas encore deguérisseur. Si nous allons dansla grotte cette nuit, les ancêtres
du Clan du Ciel nousindiqueront peut-être le chatqu’il faut choisir…
— Bonne idée. On ne peut pasrester ici éternellement àattendre qu’un guérisseurmontre ses moustaches ! »
Quand la nuit fut tombée,Étoile de Feu emmena son Clandans la grotte, sous les rochers.La lune n’était qu’un fincroissant dans le ciel et la lueurdes étoiles miroitait dans larivière. Tous les chats étaientvenus, sauf Cœur de Girofle et
ses petits, qu’elle avait grondésune fois de plus à cause de leursbalivernes qui effrayaient leClan.
« Fais attention de ne pasglisser, Nuage de Cerise ! lançaÉtoile de Feu. Cœur de Giroflen’est pas là pour te sortir del’eau !
— Il y a quelque chose quibrille, là-devant ! » balbutia Brinde Moustache d’une voix malassurée.
Il avait raison. On pouvaitapercevoir une faible lueurs’échapper de la grotte et se
refléter dans l’eau.« Tout va bien. Je te promets
que ce n’est pas un gros chatméchant ! affirma Étoile de Feu.
— Vous voyez ? les rassuraTempête de Sable quand ilsapprochèrent. C’est juste de lamousse.
— Et c’est superbe ! ajoutaÉtoile de Feu. Regardez commela lumière vient ricocher sur leplafond. »
Les chats restaient ébahisdevant le mur de moussephosphorescente.
« Finalement, c’est nous, les
terribles chats aux yeuxétincelants ! » plaisanta GriffeFéroce.
Tous pouffèrent, un peuconfus de s’être laisséimpressionner par l’histoire deschatons.
« Œil du Ciel nous a racontéque les ancêtres l’appelaient laGrotte Lumineuse, leur ditÉtoile de Feu. Et ils laconsidéraient comme un endroittrès spécial. »
Mais ce serait pourtant biende pouvoir la baptiser la Grottequi Murmure, pensa Étoile de
Feu. Il tendit l’oreille, en vain.À sa grande déception, les
autres chats ne semblaient riendéceler non plus.
« Qu’est-ce qu’elle a de sispécial ? demanda Griffe Féroce.
— On lui trouvera un usage lemoment venu », dit simplementÉtoile de Feu avant de lesentraîner vers la sortie.
Passant le dernier pourfermer la marche, il s’attarda uninstant, les oreilles aux aguets.Toujours rien.
— Êtes-vous là ? cria-t-il enespérant que les ancêtres du
Clan du Ciel l’entendraient. Sioui, montrez-vous et surtout,envoyez-nous un guérisseur !
CHAPITRE 27
CHAPITRE 27
ASSIS AU BORD DE L’ESPACE
S ABLO NNEUX qui servait deterrain d’entraînement. Étoilede Feu regardait Tempête deSable travailler avec Cœur de
Girofle. Plusieurs jours avaientpassé depuis qu’elle avaitaccepté de participer auxséances, mais elle semblaitencore incertaine de son rôle ausein du Clan. Cependant, elle neménageait pas ses efforts.
Elle attendait, accroupie,agitant la queue, les yeux rivéssur Tempête de Sable. Quand larouquine sauta en l’air, Cœur deGirofle l’attrapa et la fit culbuteravant de la plaquer au sol.
Ses petits, qui observaient lascène à côté d’Étoile de Feu,sautèrent de joie.
« Bravo ! Vas-y, maman ! criaPetit Roc.
— Mords-lui la gorge ! »s’excita Petite Puce.
Tempête de Sable repoussaleur mère de côté et cracha lesable qu’elle avait dans labouche.
« Dites-donc, vous ! Attendezun peu d’être mes apprentis ! Jevais vous montrer, moi,comment on mord la gorge ! »
Tous trois se tordirent de rireen remuant la queue.
« Tu ne les impressionnespas ! Ils savent que tu n’es pas
aussi méchante que tu leprétends !
— Félicitations, Cœur deGirofle, tu te débrouilles trèsbien ! la loua la rouquine. Tupourrais peut-être… »
Un miaulement de paniques’éleva de la berge. Étoile de Feufit signe à sa compagne de lesuivre.
« Cœur de Girofle, reste iciavec tes petits ! » lança-t-il.
Mais quand ils atteignirent leGrand Roc, le miaulement cessa.Le silence était presque aussiinquiétant que l’avait été le cri.
Pelage de Pluie, le chat errantgris qui avait refusé de sejoindre au Clan, se tenait devanteux, essoufflé.
Patte Frêle lui faisait face, lescrocs à nu, le poil hérissé.Feuille Mouchetée et GriffeFéroce assistaient à la scèneavec leurs apprentis, prêts à sebattre contre l’intrus s’il lefallait.
« Va-t-en ! grommela PatteFrêle. Tu as eu l’occasion devenir vivre ici et tu as refusé.Alors fiche le camp si tu ne veuxpas qu’on te fasse la peau ! »
Étoile de Feu vint s’interposerentre eux.
« Un instant ! Quel est leproblème ?
— Pelage de Pluie sait qu’iln’est pas censé venir ici…
— Laisse-le parler, s’il te plaît.— J’ai besoin de votre aide,
haleta Pelage de Pluie. Je t’enprie, Étoile de Feu. Ce n’est paspour moi. C’est pour macompagne et ses petits. »
Jusque-là, Étoile de Feuignorait que Pelage de Pluieavait une compagne.
« Et que leur arrive-t-il ?
— Pétale est une chattedomestique. Elle vit avec unpetit vieux grincheux qui lanourrit à peine. Elle parvenait àse faufiler pour venir merejoindre et je chassais pour luidonner à manger. J’ai essayé dela persuader de venir vivre avecmoi, mais quand elle a su qu’elleattendait des petits, elle apréféré rester, pensant que leBipède allait s’occuper d’eux.
— Alors qu’il ne s’occupaitmême pas d’elle ? s’indignaTempête de Sable.
— Je n’ai pas pu la
convaincre. Mais maintenantque les petits sont nés, le vieuxBipède est encore pire. Pétaledevient de plus en plus faible etn’a pas assez de lait pourmaintenir ses chatons en vie. Ilfaut que vous nous aidiez !
— Je pense qu’on devrait yaller, conclut FeuilleMouchetée.
— Un instant ! protesta GriffeFéroce en jetant un regardméfiant à Pelage de Pluie. Si tacompagne pouvait sortir pourvenir te voir, pourquoi ne sesauve-t-elle pas avec ses petits ?
Tu nous tends peut-être unpiège…
— Pourquoi ferais-je cela ? LeBipède a bouché la fente parlaquelle elle sortait. Ils vonttous mourir et je ne sais plusquoi faire !
— Nous allons venir, ditÉtoile de Feu. Combien depetits ?
— Deux.— D’accord. Griffe Féroce,
Feuille Mouchetée, Patte Frêle,vous viendrez avec moi. Celadevrait suffire pour distraire leBipède et rapporter les petits.
Tempête de Sable, tu prends ladirection du Clan pendant monabsence.
— Entendu. Bonne chance ! »Pelage de Pluie les guida
jusqu’à la rivière, qu’ilstraversèrent sur le tronc couché,puis ils dépassèrent les limitesdu territoire du Clan du Ciel.Étoile de Feu garda tous les sensen alerte, mais rien ne vinttroubler le calme de la forêt.
« Voilà le nid du Bipède,indiqua Pelage de Pluie. Méfiez-vous, parce qu’il a l’habitude delancer des objets sur moi ! »
Ils contournèrent la clôture ets’engagèrent dans le jardin malentretenu, envahi de ronces, ense glissant entre deux planchesde bois pourries. Étoile de Feudétecta de fortes odeurs deBipède et de chat, mais il neremarqua aucun mouvementdans le nid.
« Suivez-moi sans faire debruit », chuchota-t-il.
Quand ils arrivèrent devantun mur recouvert de lierre,Pelage de Pluie indiqua unefente recouverte d’une espèce deparoi translucide mais sale dont
s’échappait un faiblemiaulement.
« Comment la faire sortir ?demanda Étoile de Feu. Vousavez une solution ? »
Bien qu’il ait sa petite idée, ilpréfère se taire. Il voulait queles autres se débrouillent, sinonils ne deviendraient jamaisindépendants.
« Si elle est aussi faible que ledit Pelage de Pluie, il faudraitque l’un d’entre nous puisseentrer pour l’aider à porter sespetits, suggéra FeuilleMouchetée.
— Qu’est-ce qui attirerait leBipède dehors ? demanda Étoilede Feu.
— Des chats qui se battent !lança Griffe Féroce. Tu disaisque le Bipède jetait des chosessur toi ? Pour ça, il faut d’abordqu’il ouvre la porte, non ?
— Génial ! s’exclama Pelagede Pluie, les yeux brillantd’espoir. Les autres pourrontentrer et récupérer Pétale et sespetits ! »
Étoile de Feu acquiesça.« Excellente idée ! Griffe
Féroce et Patte Frêle, vous vous
occupez de la bagarre. Faitesautant de bruit que vousvoudrez, mais attendez monsignal. Feuille Mouchetée etPelage de Pluie, venez avecmoi. »
Ils se glissèrent dans lesherbes hautes jusqu’à l’endroitoù se tenait Pétale, derrière laparoi vitrée. Étoile de Feu futpris de pitié en découvrant l’étatde la chatte. Son pelage étaitd’un gris pâle presque blanc etelle était si décharnée qu’onpouvait voir ses côtes.
« Pelage de Pluie m’a dit que
vous alliez aider mes petits »,miaula-t-elle à travers une fentedans le bois.
Étoile de Feu lui expliquabrièvement leur plan d’attaque :
« Une fois que la porte seraouverte, nous trois allons entrer.Nous te ferons sortir avec tespetits. Sois prête à courir quandje te le dirai.
— Je suis prête.— D’accord, alors allons-y ! »Il fit signe à Griffe Féroce,
blotti dans l’herbe. Celui-cipoussa un hurlement sauvageaussitôt suivi d’un miaulement
féroce de Patte Frêle. Les deuxmatous se jetèrent l’un surl’autre pour se rouler dansl’herbe en feulant et criant deplus belle.
Un instant plus tard, Étoile deFeu entendit une voix furieusede Bipède provenant du nid.
« Ça marche ! » chuchotaFeuille Mouchetée.
La porte du nid s’ouvrit. UnBipède émergea, le pelage fripéet les yeux étincelant de rage. Iltenait deux objets qu’il envoyasur les chats en grommelant.Heureusement, il les manqua.
« Maintenant ! » miaulaÉtoile de Feu.
Ils longèrent le mur jusqu’à laporte et se glissèrent dans le nid.Étoile de Feu reconnut unecuisine et fit une grimace quandune odeur de pourriture vint luiagresser les narines.
« Par là », indiqua Pelage dePluie en les entraînant dans unepièce très sombre.
Pétale était accroupie devantune petite caisse en boisrecouverte d’une fourrure deBipède répugnante de crasse,sur lequel remuaient deux
minuscules boules de poils quimiaulaient désespérément.Juste à côté, traînait un bol videet sale, entouré de mouchesvertes.
« Pauvres petits bouts !s’exclama Feuille Mouchetée entouchant doucement les chatonsde la truffe.
— Tu es sûr qu’il n’y a pas dedanger ? s’inquiéta Pétale. NotreBipède va nous voir !
— Il a d’autrespréoccupations, dansl’immédiat ! Allons-y ! »
Pétale saisit l’un des petits
par la peau du cou et se dirigeavers la porte en titubant.
« Donne-moi le petit,ordonna Étoile de Feu. FeuilleMouchetée, tu prends l’autre ettoi, Pelage de Pluie, aidePétale. »
Sur ce, ils gagnèrent la sortie.Là, le passage était bloqué par leBipède qui vociférait en agitantses pattes avant.
Étoile de Feu et FeuilleMouchetée se séparèrent pourse glisser dehors. Une grossepatte rose s’abattit sur Étoile deFeu mais, avant qu’elle ait pu
l’atteindre, Pelage de Pluie sejeta sur elle pour la lacérer. LeBipède laissa échapper unhurlement de douleur et Pétaleen profita pour le griffer à sontour.
Les quatre chats s’élancèrentdans le jardin avec les deuxpetits et le Bipède se précipita àleur suite en beuglant. Ils necessèrent de courir qu’une foisfranchies les limites duterritoire, en haut de la falaise.Là, ils prirent le temps des’arrêter quelques secondes afinde reprendre leur souffle.
Épuisée, Pétale s’appuyaitcontre l’épaule de Pelage dePluie mais, dès qu’Étoile de Feuet Feuille Mouchetée posèrentles petits au sol, elle se dirigeavers eux en chancelant.
« Et si notre Bipède nouspoursuit ? demanda-t-elle,anxieuse. Et s’il essaie de mevoler les petits ?
— On l’en empêchera,promis ! » lança soncompagnon.
On ? pensa Étoile de Feu,mais il ne dit rien. Pelage dePluie commençait-il à apprécier
l’aide qu’il pouvait obtenir d’unClan ?
Pétale se laissa tomber à côtédes chatons qu’elle réconfortade quelques coups de langue. Ilsenfouirent leur museau dans safourrure gris pâle en couinantde détresse, en quête de lait.
« Ils vont mourir, gémit lachatte. Je n’ai pas assez de lait.
— Non, la rassura Étoile deFeu. On va les ramener au campet s’en occuper. Ne t’inquièteplus pour eux. »
Cœur de Girofle avait encoredu lait et n’allait certainement
pas laisser dépérir ces pauvrescréatures.
Quand ils arrivèrent au camp,Tempête de Sable et les autresrevenaient de leur séanced’entraînement.
Nuage de Cerise et Nuage deMerle sautillaient, tout excitésde voir les petits.
« Vous avez réussi ! J’auraistellement aimé être là pour vousaider ! » s’exclama la novice.
Griffe Féroce frétilla desmoustaches avec satisfaction.
« Ça n’a pas été difficile !Vous auriez dû voir le Bipède
quand il s’énervait ! Trop drôle !— Je me demande pourquoi
ce fou avait des chats s’il lestraitait aussi mal ! rouspétaTempête de Sable.
— C’était supportable jusqu’àl’arrivée des petits, miaulaPétale. Je pouvais sortir du nidpour attraper des souris. Aprèsleur naissance, il a bouché lafenêtre et… »
Cœur de Girofle se dirigeavers Pétale et la salua d’un coupde museau.
« Ne t’en fais pas. Amène-lesà la pouponnière et je les
nourrirai. »Puis, se tournant vers ses
trois chatons, elle prit un airsévère et ajouta :
« Et vous, vous allez rester làet laisser ces petits dormir enpaix ! Pas de bêtises, compris ?
— Qui ? Nous ? fit Petit Roc,d’un air faussement innocent.
— Ne t’inquiète pas, intervintNuage de Cerise. Nuage deMerle et moi allons lessurveiller ! Allez, venez, bandede garnements ! On va vousapprendre des approches dechasse ! »
Les yeux brillant de fierté, leschatons de Cœur de Giroflesuivirent les apprentis vers lazone d’entraînement, près de larivière.
« Nous ne sommes plus lesplus petits ! » s’exclama PetitePerle, toute contente.
Quand ils furent partis, Cœurde Girofle se dirigea vers lapouponnière. Étoile de Feu etFeuille Mouchetée déposèrentles chatons contre le poil douxdu ventre de la chatte et ils semirent aussitôt à téter.
Pétale les regardait comme si
elle n’en croyait pas ses yeux.« Je ne te remercierai jamais
assez. »Elle vacilla sur ses pattes et
Feuille Mouchetée l’aida às’allonger sur un nid de mousse,juste à côté de Cœur de Girofleet de ses petits.
« Ils sont adorables,murmura Cœur de Girofle. Quelest leur nom ?
— Voici Menthe, en gris clair.Et le petit tigré s’appelle Sauge.Par la fenêtre, j’avais l’habitudede regarder les herbes dans lejardin du Bipède. »
Petite Menthe et Petite Sauge,songea Étoile de Feu en sedemandant si Pétale voudraitélever ses chatons au sein duClan.
« Je vais te chercher du gibiertout frais », promit FeuilleMouchetée en quittant la grotte.
Étoile de Feu prit, lui aussi,congé des deux chattes. Tempêtede Sable vint à sa rencontre aubas du chemin.
« Pétale va avoir besoin d’unfortifiant, miaula-t-elle. Ellesemble faible et malade.
— Sais-tu ce qu’il lui
faudrait ?— D’après Museau Cendré,
les baies de genièvre sont unexcellent remontant. Mais je nesais pas où les trouver. Ils vontvraiment avoir besoin d’unguérisseur !
— Ce n’est pas à nous dedécider. C’est le Clan des Étoilesqui doit choisir et je n’ai reçuaucun signe.
— Il serait temps qu’ilréagisse ! En attendant, je vaisfaire de mon mieux pour lasoigner. Griffe Féroce saurapeut-être où en trouver. »
Étoile de Feu se dirigea versPelage de Pluie, qui attendaitdevant la grotte des guerriers.
« Ils vont mieux ? demanda lematou, inquiet.
— Ils devraient s’en sortir. Tupeux aller les voir, si tu veux !
— Je veux bien, si celan’ennuie pas les autres,répondit-il, quelque peu gêné depénétrer ainsi dans le repaire duClan du Ciel alors qu’il avaitrefusé d’intégrer le groupe.
— Tu peux rester ici aussilongtemps que tu le désires, lerassura Étoile de Feu.
— Merci. Je…— On aurait fait la même
chose pour n’importe quel chat.— Je voulais… Je suis désolé
de ce que j’ai dit lors de laréunion. Et j’aimerais resteravec vous. Pendant quelquetemps, en tout cas. Pétale n’estpas encore assez forte pour sedéplacer et les petits ont besoinde Cœur de Girofle. Maisseulement si vous êtes d’accord.
— Bien sûr. Nous sommesheureux de vous accueillir ici. »
Étoile de Feu se sentait mal àl’aise. Le matou le considérait
comme le chef du Clan, ce quin’était pas le cas. Il refusait cerôle ! Griffe Féroce aurait été uncandidat idéal : fort, courageux,bon combattant…
Ce n’est pas à toi de décider,pensa-t-il. C’est au Clan desÉtoiles de désigner le chef.
Il leva les yeux vers le cielempourpré par le soleilcouchant et murmura :
« Membres du Clan du Ciel !Si vous voyagez en ces cieux,montrez-moi quel chat ferait unbon chef pour ce Clan ! »
CHAPITRE 28
CHAPITRE 28
NUAGE DE CERISE ÉTAIT
ACCROUPIE au bord du terraind’entraînement, la queuebattante, les yeux brillantd’excitation. Puis elle bondit sur
Griffe Féroce et tous deux nefirent plus qu’une boule de poilset de pattes dans le sable.
« Bravo ! miaula Étoile deFeu. Tu as très bien appris cetteattaque ! »
Les deux combattantss’assirent pour reprendrehaleine. La jeune chatte jeta unregard triomphant à son mentor.
« Un jour je te battrai !— Je l’espère, répondit
calmement Griffe Féroce. Cejour-là, mon travail seraterminé.
— Griffe Féroce, je pense que
l’entraînement a assez durépour aujourd’hui, intervintÉtoile de Feu. Quand Nuage deMerle reviendra de la patrouillede chasse, vous pourriez faireune évaluation des deuxapprentis, Feuille Mouchetée ettoi.
— Qu’est-ce que c’est ?demanda Nuage de Cerise.
— Votre mentor vous confieune tâche, expliqua Étoile deFeu. Il s’agit généralementd’aller chasser à un endroit bienprécis. Puis il vous suit encachette pour voir comment
vous vous débrouillez. Au Clandu Tonnerre chaqueapprenti… »
Il s’interrompit en entendantune voix l’appeler : Nuage deMerle déboula, les poilshérissés, les pupilles dilatées.
« On a été attaqués ! PatteFrêle est blessé !
— Viens, montre-moi ! »En arrivant à la hauteur du
Grand Roc, Étoile de Feu vitBrin de Moustache et Tempêtede Sable tirer Patte Frêle au basdu chemin pour l’allonger dansl’ombre de la falaise. Sa tête
pendait mollement et sa queuetraînait dans le sable. Du sanggouttait d’une blessure ouverteà son épaule. L’estomac d’Étoilede Feu se noua.
En approchant, il remarqua sarespiration haletante. Ses yeuxétaient ouverts, pleins de peur etde douleur.
« Que s’est-il passé ? »demanda Étoile de Feu en setournant vers Tempête de Sable.
La chatte passait sa queue surl’épaule indemne du blessé.
« Ne t’inquiète pas, miaula-t-elle doucement. On va te
soigner. Tu seras bientôt surpattes ! »
Puis, portant son attentionsur Étoile de Feu, elle ajouta :
« Nous avons été agressés pardes rats devant la grangeabandonnée des Bipèdes.
— Bien plus de rats que tun’en as jamais vu de ta vie ! »renchérit Brin de Moustache, lepelage encore tout hérissé defrayeur.
Des griffes glacéeslabourèrent le dos d’Étoile deFeu.
« Je savais bien qu’il y avait
quelque chose de bizarre, à cetendroit !
— On a réussi à les faire fuir,continua Tempête de Sable.Mais deux d’entre eux s’en sontpris à Patte Frêle.
— Toi aussi, tu es blessée !— Ce n’est rien. Je m’en
occuperai quand j’aurai trouvéde quoi soigner notre ami. »
Entre-temps, d’autres chatsétaient arrivés.
« Il va mourir ? demandaPétale, alarmée.
— Non, on va faire tout notrepossible pour le sauver, répondit
Tempête de Sable. Nuage deCerise, va à la Grotte quiMurmure chercher de lamousse. Et toi, Nuage de Merle,rends-toi dans une des grottesinutilisées et apporte-moiautant de toiles d’araignées quetu peux.
— Des toiles d’araignées ?— Pour arrêter le saignement.
Allez, vite ! »Une fois les apprentis partis,
ils transportèrent Patte Frêledans la grotte la plus basse. Làoù, selon les dires d’Œil du Ciel,vivait jadis le guérisseur du
Clan. Il y avait une premièregrotte à l’entrée, assez grande,avec des griffures sur le sol, etune autre, plus petite, un peuplus bas. Sans doute la tanièredu guérisseur. Dans une niche,Tempête de Sable avaitdécouvert quelques vieillesfeuilles fripées, et une odeurdoucereuse d’herbes sèchesflottait dans l’air.
Quand ils posèrent PatteFrêle sur le sol, il perditconscience.
« Tu penses pouvoir l’aider ?demanda Étoile de Feu.
— Je l’ignore. Je peux arrêterle saignement avec des toilesd’araignées, mais j’ai peur queles plaies s’infectent. MuseauCendré se servirait de pétales desouci et de prêle, mais je ne saispas où ils poussent, dans cecoin.
— Moi je sais ! Il y en a dansle jardin de mon Bipède. »
C’était la voix de Pétale, quiles avait suivis.
« Tu pourrais aller enchercher ? » demanda Tempêtede Sable.
Elle aplatit ses oreilles. De
toute évidence, elle étaitterrorisée.
« C’est… c’est vraiment trèsimportant ?
— Très. »La chatte redressa les épaules.« Alors j’y vais.— Oh, non ! intervint Pelage
de Pluie qui arrivait à sahauteur. C’est moi qui irai. Jesais où en trouver. Va plutôtt’occuper des petits. Je ne seraipas long, ajouta-t-il en luidonnant un coup de langueaffectueux.
— Ce serait formidable ! »
déclara Étoile de Feu.Puis, se dirigeant vers Pétale,
il ajouta :« Merci d’avoir proposé ton
aide. Mais tu ne devrais pas tesentir obligée de retourner aunid de ce Bipède.
— Parfois, je me dis quej’aurais dû rester là-bas, maisrien qu’en pensant à lui, je suismorte de peur.
— Alors n’y pense pas. Tu esen sécurité ici. »
Pétale baissa la tête et sortitpour appeler ses petits.
Tempête de Sable s’installa à
côté de Patte Frêle et se mit endevoir de nettoyer sa plaie avecde longs coups de languerâpeuse. Étoile de Feu l’observaun instant puis sortit de lagrotte. Il croisa Nuage de Cerisequi revenait avec une grosseboule de mousse.
Le reste du Clan étaitrassemblé autour de Brin deMoustache, à l’écoute de sonrapport sur l’attaque des rats.
« Et alors ils ont carrémentjailli de la grange comme untorrent, miaula-t-il. Il y en avaittellement qu’on ne voyait plus le
sol.— Ça suffit ! » intervint Étoile
de Feu.Les membres du Clan étaient
déjà bien assez choqués par lablessure de Patte Frêle. Inutilequ’ils entendent en plus lerapport certainement exagéré dumatou !
« J’ai déjà eu affaire à desrats, ajouta Étoile de Feu. Cesont de méchantes créatures,mais une patrouille de chatspeut facilement en venir à bout.Griffe Féroce, tu peux venir avecmoi ? Et Nuage de Cerise, aussi,
puisque tu es revenue ! On vaévaluer la situation.
— Tu dois être contented’avoir appris les techniquesd’attaque, non ? » grommelaGriffe Féroce à l’intention de lapetite chatte.
Elle ne lui répondit pas, secontentant d’agiter la queued’excitation.
« Feuille Mouchetée, tuprendras en charge le camppendant notre absence. À taplace, je rassemblerais les petitsdans la pouponnière avec Cœurde Girofle et en ferais garder
l’entrée. Au cas où.— Ne t’en fais pas, on va se
débrouiller. »Étoile de Feu jeta un dernier
coup d’œil au camp puisentraîna la petite troupe dans leraidillon jusqu’au sommet de lafalaise. Il ne décela aucuneodeur de rat, juste le fumetpersistant du sang de PatteFrêle. Par prudence, il ordonna àla patrouille de ne pas faire debruit jusqu’à ce que la grangesoit en vue.
Bien avant d’arriver, ilssentaient déjà la puanteur
puissante des rats et, toutcomme la fois passée, le poidsdes regards malveillantsprovenant des buissons.
Il frissonna de la tête auxcoussinets.
Les rats !La haine innée des rats envers
les chats, puissante s’écoulaitdes sous-bois comme unerivière de poison. L’intensité decette animosité le troubla. Lesrats qu’il avait rencontrésauparavant étaient mauvais,rusés et vicieux. Mais pas à cepoint !
Tout était silencieux quand ilsarrivèrent au niveau de laclôture brillante qui entourait lagrange. Les trouées dans le mursemblaient les narguer, mais àpart leur odeur tenace il n’yavait aucune trace des rongeurs.
« Par ici, Étoile de Feu ! »appela Griffe Féroce en reniflantle sol un peu plus loin.
Lorsqu’il l’eut rejoint, ilremarqua la terre fraîchementremuée et des taches derongeur.
« C’est là que l’attaque a dûavoir lieu », commenta Griffe
Féroce.Un frisson les parcourut.
Étoile de Feu essaya de seraisonner. Après tout, ce n’étaitqu’une bande de rats…
« Bon, on y va, murmuraÉtoile de Feu. Suis-moi, Nuagede Cerise. Et toi, Griffe Féroce,surveille nos arrières. »
Les oreilles dressées, lesmoustaches à l’affût, il sedirigea le long du chemin pavéqui menait à la grange.
Toujours aucun mouvement.Il aurait aimé croire que lapatrouille de Tempête de Sable
avait fait fuir ces créaturesdétestables, mais il sentaitencore leur regard fixé sur lemoindre de ses gestes.
« On entre ? demanda Nuagede Cerise.
— Non. Pas si on peut l’éviter.Ils peuvent faire ce qu’ilsveulent sur leur propreterritoire. On va se contenter dejeter un coup d’œil de l’extérieuret ensuite… »
Il s’interrompit, le poilhérissé par l’horreur duspectacle. Avec un crépitementde petites pattes, des rats
commencèrent à s’écouler parune brèche dans le mur de lagrange. Des rats en pagaille ! Ilse retourna et en vit déboulerd’autres encore, d’un autre trou.Les deux fleuves de ratsarrivèrent jusqu’aux trois chatset les encerclèrent, une maréede corps bruns à longuesqueues. On n’entendait aucund’entre eux crier, juste unerumeur de petits pas régulierstandis qu’ils se mettaientinexorablement en position,formant un cercle d’unelongueur de queue autour des
trois prisonniers, leur coupant laroute vers la clôture. Leurspetits yeux noirs pétillaient demalice.
Brin de Moustache n’avaitpas exagéré ! pensa Étoile deFeu avec dégoût. On ne peut pasvoir le sol, tant ils sontnombreux !
Griffe Féroce attendait, prêt àbondir, les crocs bien en vue.Nuage de Cerise, quant à elle,leur faisait bravement face, maisses pattes tremblaient de peur.
« Bon, murmura Étoile deFeu. À mon signal, on fonce vers
la clôture. »Mais avant qu’il ait pu faire
un mouvement, les ratss’écartèrent un peu pour laisserpasser un de leurs congénères.Plus gros qu’eux tous, il avait uncorps trapu et musclé et desdents jaunes recourbées.
« À ton aise, grommela GriffeFéroce. Tu veux mourir lepremier, c’est ça ? »
Ses yeux malveillantsobservèrent les trois chats, un àun, puis il commença à parler.Au grand étonnement d’Étoilede Feu, les chats purent
comprendre ce qu’il disait, endépit des mots si déformés qu’ilfallait en partie les deviner.
« Rats pas mourir, chatsmourir ! »
Sa voix crissait comme desgriffes sur la pierre.
« Tu es sûr de ça, pas vrai ?railla Griffe Féroce en montrantses griffes impressionnantes.
— Partir ! Tous chats partir.Nous déjà tuer vous avant !Maintenant nous tuer vous denouveau !
— Vous nous avez tuésavant ? » s’étonna Étoile de Feu.
Les yeux du rat luisaient dehaine.
« Cette fois, nous justeblesser chat noir et blanc. Maisprochaine fois, tuer. Vous resterprès de rivière, vous mourir ! »
Il agita sa queue au-dessus deson dos comme un lasso et,comme si tous les ratsattendaient son signal, ils seséparèrent de nouveau pour lelaisser réintégrer le groupe. Puisils reformèrent deux torrentspour repartir vers la grange.Dans la masse, il étaitimpossible de reconnaître celui
qui avait parlé.« On file ! » lança Étoile de
Feu en indiquant de la queue labrèche dans la clôture.
Une fois que Nuage de Ceriseet Griffe Féroce eurent regagnél’autre côté, Étoile de Feu seretourna vers la grange, le cœurbattant à tout rompre.
« La gorge est notreterritoire ! cria-t-il à la marée derats qui se retirait. Nous nepartirons pas ! »
Puis il fila rejoindre sescompagnons et ils n’arrêtèrentleur course qu’une fois arrivés à
l’abri des buissons, au sommetde la falaise.
« Je n’ai jamais vu autant derats ! s’exclama Nuage de Ceriseen haletant, les yeux écarquillés.
— Moi non plus ! admit Étoilede Feu. Et je n’avais encorejamais rencontré de rat quipuisse parler aux chats.
— J’avais entendu deshistoires sur ce genre de rats,qui pouvaient penser, faire desplans et haïr. Ma mère me lesracontait et je croyais que cen’étaient… que des histoires.
— Si seulement ! il a dit :
“Nous déjà tuer vous avant.” J’aibien peur de comprendre ce quecela signifie.
— Quoi ? » demanda Nuagede Cerise.
Il ne se sentait pas prêt àrépondre. D’abord, il devaitvérifier quelque chose. D’ungeste, il leur fit signe de lesuivre jusqu’à la grotte desguerriers.
« Regardez ça, dit-il en leurindiquant les griffures sur laroche, près de l’entrée.
— Oui, ce sont les marques degriffes de nos ancêtres, déclara
Griffe Féroce.— Regarde celles qui sont
plus petites, plus bas. Elles sonttransversales et ne vont pas dehaut en bas. J’ai toujours cruqu’elles avaient été faites par leschatons, mais maintenant jepense qu’elles ont été creuséespar les rats. »
En les regardant de plus près,il les compara mentalement auxpetites griffes des rongeurs.Aucun chaton ne pourrait avoirdes griffes aussi acérées.
« Des rats sont venus ici ?s’affola Nuage de Cerise.
— Nous avons toujours suque quelque chose avait fait fuirle Clan du Ciel et l’avait anéanti.Maintenant, je crois que noussavons ce qu’était ce quelquechose.
— Des rats ! grommela GriffeFéroce.
— Oui, des rats. »Ils avaient laissé leurs
marques dans la grotte afin deproclamer leur victoire. C’étaitle symbole de la défaite dupremier Clan du Ciel.
Voilà le secret que le vieuxmatou avait refusé de leur
révéler, le secret de la fuite duClan du Ciel. Les rats s’étaienttransmis leur haine des chats degénération en génération. Lechef qu’ils venaient derencontrer avait dû apprendre lalangue des félins pour leurannoncer exactement ce qu’ilallait leur faire subir ! Rien nel’arrêterait. Il débarrasserait sonterritoire des chats, tout commel’avaient fait ses ancêtres, il y afort longtemps.
Le nouveau Clan du Ciel était-il condamné à connaître lemême sort ?
Il sortit de la grotte. Un pâlerayon parvenait à percer lesnuages. Lentement, ceux-ciformèrent une tête de chat :l’ancêtre du Clan du Ciel lefixait, le regard pétri de sagesse.Les pattes d’Étoile de Feu sefigèrent et sa fourrure sehérissa. Pourquoi luiapparaissait-il maintenant, alorsqu’il ne l’avait pas vu depuislongtemps ? Sans doute pour luifaire comprendre qu’il existaitun moyen de vaincre les rats etsauver le Clan…
Les nuages s’effilochèrent,
effaçant le visage. Mais lesencouragements de l’ancêtrel’avaient ranimé.
« Venez ! On va organiser uneassemblée du Clan ! »
Étoile de Feu se dressa sur leGrand Roc. Son pelage couleurde flamme brillait sous le soleil.
« Chats du Clan du Ciel !Vous avez entendu ce qui estarrivé aujourd’hui. D’abord, auxpatrouilleurs de Tempête deSable, puis quand j’y suisretourné avec Nuage de Ceriseet Griffe Féroce. À présent, nous
devons décider d’unestratégie ! »
Il laissa errer son regard surla tribu assise au pied du rocher.Les chats se tenaient serrés lesuns contre les autres, commepour se réconforter. Pétale étaitrestée dans la pouponnière avecses petits, mais Pelage de Pluieassistait à la réunion, bien qu’iln’appartienne pas au Clan.Tempête de Sable, assise devantl’entrée de la grotte duguérisseur, surveillait le blessétout en écoutant avec attention.
« Qu’allons-nous faire ?
demanda Feuille Mouchetée. S’ily a autant de rats que tu le dis,comment pouvons-nous lescombattre ? »
Elle ne paraissait pas avoirpeur, mais elle ne s’engageraitsans doute dans une bataillequ’avec la certitude de pouvoirvaincre. Étoile de Feu devait semontrer sincère.
« Cela va être difficile. Je n’aijamais rencontré de rats commeceux-là, auparavant. Mais nousn’avons pas besoin de les tuertous. Juste assez pour lesobliger à se contenter de leur
territoire.— Ils ont réussi à faire fuir le
premier Clan du Ciel, miaulanerveusement Nuage de Merle.Pourquoi la situation serait-elledifférente aujourd’hui ? »
Fébrile, Brin de Moustachemurmura son acquiescement.
« Au moins, nous savons cequi nous attend. Vos ancêtresvous regardent. Vous devriezvous battre pour eux et non passeulement pour vous. C’estl’occasion de prendre votrerevanche.
— Pourquoi ? demanda Nuage
de Cerise. Nous n’avons jamaisrencontré nos ancêtres.D’accord, nous vivons dans leurcamp, mais cela ne veut pas direque nous devons nous engagerdans leurs vieilles querelles ! »
Cœur de Girofle s’avança àcôté de la petite chatte.
« Elle a raison. Nous devonsdécider de ce qui est bien pournous, pas pour des chats mortsqui ont déjà perdu leurbataille. »
Étoile de Feu grimaça. Lesparoles de Cœur de Girofleétaient dures, mais justes.
« Et les petits ? s’inquiétaBrin de Moustache. Ils sontincapables de se battre.Pourtant, les rats n’hésiterontpas à les tuer s’ils viennentjusqu’ici !
— Pas tant que je seraivivant ! » gronda Pelage de Pluieen montrant les crocs.
Griffe Féroce s’avança à sontour.
« Êtes-vous des guerriers oudes souris ? Va-t-on se laisserdévorer par des proies ? Je mebattrai jusqu’à la mort, s’il lefaut, et aussi souvent qu’il le
faudra », ajouta-t-il en lançantun regard noir vers Étoile deFeu, qui se tendit.
En effet, Griffe Féroce nepouvait donner signal plus clair :il avait la ferme intention dedevenir le chef du Clan. Aumoins son intervention avait-elle galvanisé l’auditoire…
« Inutile que tous les chats sesacrifient, intervint Étoile deFeu. Il ne resterait plus rien duClan ! Si vous ne voulez pasvous battre pour vos ancêtres,faites-le pour vous-mêmes !Vous avez déjà fait un grand pas
en vous installant ici, en sauvantPétale et ses petits. N’est-ce pasune bonne raison de sedéfendre ? Ici, c’est votre foyer,vous avez travaillé dur pourl’acquérir et vous méritez d’yrester. Allez-vous laisser les ratsvous en chasser ?
— Non, nous allons nousbattre ! siffla Griffe Féroce. Etnous trancherons la gorge dechaque rat qui essaiera de nousarrêter.
— Oui ! hurla Nuage de Ceriseen faisant un bond en avant.
— Nous lutterons ! renchérit
Nuage de Merle.— Oui, nous allons tous
combattre ! » hurlèrent lesautres chats à l’unisson.
Étoile de Feu croisa le regardde Tempête de Sable, toujoursaccroupie devant l’entrée de lagrotte du guérisseur.
Oh, Clan des Étoiles, pensa-t-i l . J’espère que je ne les mènepas à la mort…
CHAPITRE 29
CHAPITRE 29
« COMMENT VA PATTE FRÊLE ?
demanda Étoile de Feu enentrant dans la grotte duguérisseur.
La nuit était tombée et la
demi-lune déversait sa lumièredans la gorge. Chez eux, dans laforêt, les guérisseurs serendraient aux Hautes Pierrespour leur rendez-vous bilunaire.Si seulement il pouvaitbénéficier des connaissances deMuseau Cendré !
Tempête de Sable leva desyeux pleins de tristesse vers lui.
« Il décline. Comme je m’yattendais, sa plaie s’est infectée.
— Tu as essayé les pétales desouci ? »
Le guerrier noir et blancs’agitait dans son sommeil en
gémissant.« Oui, Pétale et Pelage de
Pluie m’en ont apporté, maiscela ne fait aucun effet. Siseulement il existait quelquechose de plus fort contre lesmorsures de rat…Malheureusement MuseauCendré ne m’a rien dit à ce sujet.
— Tu ne pouvais pas toutapprendre en si peu de temps, laconsola Étoile de Feu. Je saisque tu fais de ton mieux. »
— Un mieux qui semble bieninsuffisant. »
Il aurait aimé la rassurer,
mais il savait que les mots n’ychangeraient rien. Le blesséfrissonnait de fièvre et se tordaitde douleur, les yeux entrouverts.
« Il ne peut pas continuerainsi. Aucun chat n’en aurait laforce. »
Étoile de Feu donna un coupde langue sur l’oreille de sacompagne pour la réconforter. Ilentendit un pas léger derrièrelui. Une douce odeurl’enveloppa et son corpsfourmilla de plaisir. PetiteFeuille.
Il se retourna et vit la
silhouette pâle de la chatteentourée de l’aura scintillantedu Clan des Étoiles. Elle posa unballot d’herbes qu’elle tenaitdans la gueule et vint se placerprès de Patte Frêle, entre Étoilede Feu et Tempête de Sable.
Est-ce que je rêve ? Quandest-ce que je me suis endormi ?se demanda le rouquin.
Puis Tempête de Sable seretourna, les yeux écarquillés.
« Petite Feuille ! »Comment pouvait-elle voir
Petite Feuille si celle-ci setrouvait dans son rêve ?
D’un geste, la guérisseusepoussa les herbes vers le blessé.
« Du glouteron. C’est ce qu’ily a de mieux pour les morsuresde rat. »
Tempête de Sable resta ébahieun moment. Puis elle renifla lesracines et les feuilles brillantes.
« Cela va aider Patte Frêle ?— Oui. Je vais mâcher les
racines et pendant ce temps, tupourrais ôter les pétales de soucide la plaie. »
Sans poser de questions,Tempête de Sable se mit à lécherla plaie pour la nettoyer, tandis
que Petite Feuille mastiquait laracine jusqu’à en faire une pâtebien souple. Puis elle montra àla chatte comment l’appliquersur la blessure.
Quand Patte Frêle remua,Petite Feuille se pencha sur luiet murmura :
« Dors, maintenant. Tu irasmieux, je te le promets. »
Comme s’il pouvaitl’entendre, le blessé se calma etse rendormit.
« Va-t-il vraiment guérir ?— Oui. Il faut continuer à
appliquer la bouillie de racine
sur son épaule. Vous trouverezcette plante dans la forêt quiborde la rivière. Montre lesfeuilles aux guerriers et ilssauront quoi chercher.
— Merci, Petite Feuille,miaula Étoile de Feu eneffleurant son pelage. Je nesavais pas que tu pouvais venird’aussi loin pour nous aider. Jene t’ai pas revue depuis mondépart de la forêt. »
Trop tard, il se rendit compteque Tempête de Sable hérissaitles poils.
« Tu veux dire que tu as vu
Petite Feuille avant de venir ? »Il se tourna vers elle et décela
de la colère et du chagrin dansses yeux verts.
« Petite Feuille vient merendre visite dans mes rêves.Elle m’aide…
— Tu ne me l’as jamais dit ! »Étoile de Feu fut envahi par le
remords. Il savait combien sacompagne était susceptible,surtout quand il s’agissait del’ancienne guérisseuse du Clandu Tonnerre. Pourtant,rencontrer Petite Feuille en rêvene lui semblait pas une
trahison…Soudain, celle-ci se glissa
entre eux et posa le bout de saqueue sur l’épaule de Tempêtede Sable.
« Ne te fâche pas, jolie chatte.Étoile de Feu t’aimeprofondément.
— Il t’aime plus qu’il nem’aime, protesta la rouquined’une voix rauque.
— Ce n’est pas vrai. Lui et moin’avons jamais appris àvraiment nous connaître. Je n’aipas vécu longtemps après sonarrivée dans la forêt… nous
n’aurions jamais pu former uncouple. J’étais et serai toujoursune guérisseuse. Mon sacerdocepassera toujours en premier,même avant Étoile de Feu.
— C’est la vérité ?— Bien sûr. Même
maintenant, je suis avant toutune guérisseuse, pas seulementpour le Clan des Étoiles, maispour tous les chats.
— Je t’aime, Tempête deSable, affirma Étoile de Feu avecfougue. Tu auras toujours lapremière place dans mon cœur.Mon amour pour toi est ici et
maintenant, et dans la vie quenous partageons. Et il dureratoutes les lunes à venir. Je te lepromets. »
Tempête de Sable prit uneprofonde inspiration.
« Merci, Petite Feuille. Je n’aijamais cessé de penser à votrecomplicité d’antan. Mais jecomprends mieux, maintenant.
— Je pensais que tu savaisdepuis le début ce que jeressentais pour toi, miaulaÉtoile de Feu, déconcerté.
— Oh, Étoile de Feu ! Tu peuxêtre tellement stupide, parfois !
rétorqua Tempête de Sable, touten le couvant des yeux avecamour.
— Il faut que je parte, maisnous nous reverrons, c’estpromis. En attendant, que leClan des Étoiles éclaire votrechemin !
— Au revoir et merci. Et passeulement pour la racine deglouteron », miaula Étoile deFeu.
La chatte s’approcha del’entrée et frôla Étoile de Feud’un peu trop près au goût deTempête de Sable.
« Parfois, je donneraisn’importe quoi pour que leschoses soient différentes. »
Elle n’attendit pas de réponseet s’éloigna pour disparaîtredans la nuit.
« Je rêve ou tout ceci est bienarrivé ? demanda Tempête deSable.
— C’est vraiment arrivé,murmura-t-il en pressant sonmuseau contre celui de lachatte.
— Je n’en reviens pas qu’ellesoit venue nous aider.
— Il n’y aura jamais d’autre
chat comme elle dans la forêt.Mais elle n’est pas toi, Tempêtede Sable.
— Plus de secrets, Étoile deFeu ? Je promets de ne plus tefaire de scène à cause de PetiteFeuille, mais il faut que jepuisse te faire confiance.
— Tu le peux. »Patte Frêle laissa échapper un
soupir, et les deux chatsl’observèrent. Le guerrier blesséétait plus calme, à présent. Sarespiration plus facile, sonsommeil plus profond.
— Il va se remettre, miaula
Étoile de Feu. Et je crois que lereste du Clan aussi, d’ailleurs !
« On va multiplier lesentraînements dès maintenant.Il faut qu’on soit les plus fortspossible pour affronter lesrats ! »
Étoile de Feu se tenait au pieddu Grand Roc, entouré de latribu. Le soleil s’était levé au-dessus des falaises et projetaitdes ombres qui s’étiraientjusque dans la gorge.
Tempête de Sable attendait àcôté de lui. Depuis le passage dePetite Feuille le matin même,
l’état de Patte Frêle s’étaitamélioré à tel point qu’ellepouvait le laisser seul unmoment pour assister à laréunion.
« N’attendez pas troplongtemps, sinon les rats vontarriver et nous ne serons pasprêts à les accueillir », dit-elle.
Étoile de Feu savait qu’elleavait raison.
« Je veux un garde permanentsur le Roc Céleste.
— On devrait égalementenvoyer des patrouillessupplémentaires vers la grange
des Bipèdes, suggéra FeuilleMouchetée.
— Oui, mais nous devonsgarder nos distances. Je ne veuxpas de bagarre avant que noussoyons prêts.
— Je vais organiser lespatrouilles, proposa Tempête deSable. Et préparer le calendrierdes entraînements.
— Quoi ? Des gardes, despatrouilles et davantaged’entraînements ! s’affola Nuagede Cerise. Ça fait beaucoup !
— Tu préfères te faire lacérerla gorge par des rats ? rouspéta
Griffe Féroce. Mon apprentiefera ce qu’on lui demande etsans se plaindre, non mais !
— On peut commencer, ditÉtoile de Feu. À moins que vousayez d’autres suggestions. »
Pelage de Pluie remua lesoreilles.
« Pétale et moi aimerionségalement suivre lesentraînements.
— C’est exact, renchéritPétale, un peu impressionnée deparler devant un groupe. Leschatons sont encore trop petitspour qu’on parte et nous
aimerions être capables de nousdéfendre nous-mêmes.
— Merci. Nous serons ravis devous compter parmi nous,miaula Étoile de Feu. Tempêtede Sable va vous inclure dans lesentraînements.
— Quelqu’un, que ce soitCœur de Girofle ou moi, devrarester avec les petits, fitremarquer Pétale.
— Ne t’en fais pas, réponditTempête de Sable. J’en tiendraicompte. Y a-t-il d’autresquestions ?… Parfait. FeuilleMouchetée et Griffe Féroce,
vous formerez la premièrepatrouille. Nuage de Cerise,peux-tu monter la garde sur leRoc Céleste ? Donnez-moi justele temps d’aller voir Patte Frêle,ensuite je viendrai diriger uneséance d’entraînement avecNuage de Merle et Pelage dePluie. Et toi aussi, Pétale,puisque Cœur de Girofle setrouve avec les petits, pour lemoment.
— Et moi ? demanda Brin deMoustache.
— Tu peux m’accompagnerpour une patrouille de chasse ?
proposa Étoile de Feu. Il nousfaut le plus de gibier possiblepour maintenir nos forces. Autrechose, encore ! À partir demaintenant, personne nequittera le camp tout seul. Etchacun doit rester sur sesgardes. Si les rats arrivent, ilsnous trouveront prêts à lesaccueillir ! »
Il leva la séance d’unmouvement de la queue. GriffeFéroce et Feuille Mouchetéemontèrent vers le sommet de lafalaise, Nuage de Cerise sedirigea vers le Roc Céleste,
tandis que Pétale, Pelage dePluie et Nuage de Merlepartaient s’entraîner près de larivière.
« Nuage de Cerise avaitraison. Cela représentebeaucoup de travail en plus destâches quotidiennes, confiaÉtoile de Feu à Tempête deSable. Je donnerais mon pelagepour qu’une patrouille deguerriers de notre Clan duTonnerre combatte à nos côtés !
— C’est impossible. Mais net’inquiète pas, tu trouveras unesolution. Tu as vaincu Fléau, tu
vaincras ces rats ! »La chatte lui passa quelques
coups de langue sur l’oreillepour le réconforter.
« On a eu de la chance quePetite Feuille nous vienne enaide pour soigner Patte Frêle.
— C’est vrai, acquiesçaTempête de Sable. Mais celanous rappelle cruellement quenous avons besoin d’unguérisseur !
— Ce sont des dons innés quine s’apprennent pas. Et pourl’instant, je n’ai encore vu aucunchat communiquer avec ses
ancêtres. Aucun d’entre eux n’aentendu quoi que ce soit dans laGrotte qui Murmure.
— Il nous faudrait quelqu’unqui connaisse les herbes etsache s’occuper des blessures.Je pourrais enseigner à l’und’entre eux le peu que je sais, ceserait un début. »
Ils arrivèrent tous deuxdevant l’entrée de la grotte duguérisseur.
« Griffe Féroce ne ferait pasl’affaire, c’est un trop bonguerrier. Cœur de Girofle a despetits… Que penses-tu de Brin
de Moustache ?— Oh, non ! La vue du sang de
Patte Frêle l’a carrémentparalysé !
— Et Feuille Mouchetée ?— Peut-être, répondit
Tempête de Sable. Elle sepréoccupe des chats plus faibles.
— Je sais, décida Étoile deFeu. Si Petite Feuille me rendencore visite, je lui poserai laquestion. »
La chatte détourna un instantle regard, puis revint vers lui.
« Oui, c’est une bonne idée »,murmura-t-elle.
Étoile de Feu se coucha enboule dans la caverne desguerriers, éreinté et les yeuxbrûlants. Trois jours avaientpassé depuis la réunion ; lasuccession des patrouilles desurveillance et de chasse, lesentraînements avaient dévoréses journées, lui laissantrarement l’occasion de souffler.D’ailleurs, il n’aurait sans douteguère le temps de dormir avantde devoir prendre son tour degarde.
Pourtant, dès qu’il ferma lesyeux, il se retrouva perché sur le
Roc Céleste, sous une voûted’étoiles.
À part le doux ruissellementde la rivière, la nuit étaitplongée dans le silence.
Ce n’est pourtant pas encoremon tour de garde ! pensa-t-il.
« Salut ! »Tout au bord du rocher se
tenait un chat dont le pelageargenté scintillait sous le clairde lune. Était-ce le matou duClan du Ciel qui hantaithabituellement ses rêves ?
« Œil du Ciel ! s’écria-t-il enreconnaissant l’odeur familière.
— C’est un plaisir de te revoir,Étoile de Feu ! Bon, ne reste paslà à bayer aux corneilles, on n’apas toute la nuit ! »
Aucun doute ! C’était bien levieux matou avec sa brusqueriehabituelle.
Étoile de Feu se redressa.« Pourquoi es-tu venu ? lui
demanda-t-il.— Le Clan du Ciel est à la
croisée des chemins. Le dangerest imminent.
— Tu veux parler des rats ? Cesont eux qui ont détruit le Clandu Ciel, n’est-ce pas ? Pourquoi
ne m’as-tu pas parlé d’eux ?— Quel intérêt ? Cela t’aurait
poussé à renoncer. Et à quoi celat’aurait-il servi de connaître lesvieux ennemis du Clan avantqu’ils ne vous attaquent ?Maintenant, tu as formé de bonsguerriers pour t’opposer à eux !
— Mais seront-ils assez forts ?— Ils doivent être prêts à se
défendre. Peut-être devrais-tuconsidérer ces rats comme unpremier défi à relever par leClan. Ils n’en seront que plusunis. »
Pas s’ils meurent ! songea
Étoile de Feu.En pensant à la mort, il se
rappela que le Clan n’avaittoujours aucun moyen d’entreren contact avec les guerriers dejadis.
« Pourrais-tu me dire si leClan du Ciel aura unguérisseur ? Impossible pour unClan de s’en passer. Que penses-tu de Feuille Mouchetée ?
— Non, là n’est pas sondestin.
— Mais il nous fautabsolument un guérisseur !
— En cet instant même, les
pattes de votre guérisseusefoulent le chemin qui la mèneraà vous. Mais il faut que turegardes plus loin que le Clan duCiel. Il y a une chatte qui rêve deses ancêtres, mais n’a pasencore entendu parler dunouveau Clan.
— Il faut que je la trouve ? Oùest-elle ? »
Pour toute réponse, Œil duCiel s’élança dans le vide.N’importe quel chat se seraitfracassé sur les rochers. Mais lecorps du matou se fondit dans lanuit, laissant derrière lui une
traînée d’étoiles scintillantes.Un instant plus tard, Étoile de
Feu était de retour dans lagrotte ; Brin de Moustache lesecouait avec énergie.
« C’est à notre tour de monterla garde ! »
« Nuage de Merle, tu n’iraspas à ton entraînement, cematin ! annonça Étoile de Feu.Je vais te confier une missionspéciale. »
Les yeux du chaton brillèrentd’excitation.
« Laquelle ?
— Il faut que je me rende surle territoire des Bipèdes et j’aibesoin d’un chat qui connaissebien l’endroit. »
Il lui raconta brièvement cequ’Œil du Ciel lui avait révélédans son rêve.
Avant leur rencontre avec lesrats, les deux chats auraientcouru sans méfiance à traversles taillis. Maintenant ilsavançaient avec précaution, tousles sens en alerte, passant d’unabri au suivant. Un vent fraisfaisait galoper les nuages dans leciel. Bientôt, la mauvaise saison
serait là. Comment le Clanallait-il survivre s’il devaitcontinuer à se défendre contreles rats ?
« J’ai horreur de ça !grommela Nuage de Merle.Cette attente m’use les nerfs !Pourquoi est-ce que les rats nenous attaquent pas une bonnefois pour toutes, qu’on n’enparle plus ? ! Qu’est-ce qu’ilsattendent ?
— Je l’ignore, mais je supposequ’ils savent que cetteincertitude nous rend plusvulnérables. Ils doivent se dire
qu’ils gagneront quoi qu’il arriveet que ce serait dommage de nepas nous faire souffrir un peuavant ! »
Il n’ajouta pas que ce sursisépuisait aussi le Clan. Les rats,dont l’intelligence forçait sonrespect, le savaient. Il ne les enhaïssait que plus ! Il aurait aiméformer une bonne patrouille etfoncer à l’assaut de la grangepour garder l’avantage de lasurprise. Mais sans guérisseurpour soigner les blessés etcommuniquer avec leursancêtres, cela aurait été pure
folie !« Continuons », grommela-t-
il.Quand ils passèrent le long
d’une barrière, Nuage de Merles’arrêta un instant, une lueur detristesse dans les yeux.
« C’est là que je vivais, avant.Ce n’est pas que j’ai envie derevenir, mais…
— Je sais, les Bipèdes ne sontpas nos ennemis, même s’ils necomprennent pas le style de viedes guerriers. De temps entemps, mes Bipèdes memanquent aussi.
— Ah bon ? s’étonna lechaton, les yeux écarquillés.
— Ils étaient gentils avec moi.Mais j’étais né pour mener unevie de guerrier. »
Nuage de Merle se redressa,tout fier :
« Moi aussi !— Mes Bipèdes ont un
nouveau chat, maintenant. Elles’appelle Grisette. Elle a l’airgentille et semble mieuxadaptée que moi à la vie de chatdomestique. »
Le jeune félin parut troublé àl’idée qu’on puisse le remplacer.
Il se donna quelques coups delangue pour se réconforter.
« J’espère que les miens aussiauront un autre chat, miaula-t-ilbravement. Ainsi, ils ne serontplus tristes de nous avoirperdus, ma sœur et moi.
— Viens, nous avons unguérisseur à trouver. »
En passant entre les nids,Étoile de Feu se détenditquelque peu. Il avait l’habitudedes Bipèdes et des chiens. Ici, ilsrisquaient moins de rencontrerces rats cruels. Nuage de Merle,en revanche, sursautait au
moindre bruit.« Je crois que j’ai dû perdre
l’habitude », soupira le chaton.Au détour d’une allée, une
forte odeur de chat s’imposa.« Tiens, tiens, voyez donc qui
va là ! »Oscar, le matou noir, les
regarda arriver du haut d’unmur de pierre.
« N’est-ce pas le matouétranger et le petit Merle ?ajouta-t-il en bâillant. En fait, jevous attendais. Mais je pensaisque vous viendriez bienavant ! »
Étoile de Feu se figea,perplexe.
Le chat noir bondit vers eux.« Alors, tu reviens vivre chez
tes Bipèdes, maintenant qu’ilcommence à faire froid ?
— Non ! Je vais être unguerrier ! Et ne m’appelle pasMerle ! Je me nomme Nuage deMerle, maintenant !
— Mille crottes de souris !Quel drôle de nom ! s’amusaOscar.
— C’est mon nom ! Tu veux tebattre ? » lança le chaton, prêt àdéfendre son honneur.
Étoile de Feu s’interposaaussitôt.
« Nous ne sommes pas làpour ça », dit-il.
Il aurait pourtant aimé que lejeune apprenti montre à Oscarses nouveaux talents. Mais ilreprit :
« Nous cherchons un chat unpeu particulier. Un chat qui faitdes rêves étranges. En as-tuentendu parler ? »
Je t’en prie, Œil du Ciel,ajouta-t-il en silence. Pourvuqu’Oscar ne me dise pas qu’ilrêve de toi !
« Ah, non ! Et je n’ai pas nonplus entendu parler de chats quivolent !
— Si tu crois tout savoir…s’indigna Nuage de Merle, prêt àen découdre.
— Je pense que c’est moi quevous cherchez ! l’interrompitune voix jeune et claire. Jem’appelle Écho. Je rêve de chatsau pelage étoilé. »
CHAPITRE 30
CHAPITRE 30
UN FRISSON PARCOURT ÉTOILE
DE FEU du museau à la queue. Ilse retourna enfin pour voir unepetite chatte tigrée grise avecdes yeux d’un vert profond, à la
silhouette fine et gracieuse. Ellelui sembla presque fragile et ilse demanda si elle était faitepour la dure vie d’un Clan.
« Salut ! As-tu rêvé de… d’unchat gris et blanc ?
— Oui, de nombreuses fois. Etd’autres chats, aussi. Unnouveau vient juste de sejoindre à eux. Un grand, avec lepoil gris, givré. Peux-tu me direqui sont ces chats étincelantscomme des étoiles ?
— Oui, répondit Étoile de Feu.Ce sont les esprits de tesancêtres.
— Des esprits ! se moquaOscar. J’espère que tu n’écoutespas ces balivernes ! »
Au grand soulagementd’Étoile de Feu, Écho l’ignora.
« Sais-tu pourquoi ilsviennent me voir ? lui demanda-t-elle.
— As-tu entendu parler duClan de chats qui s’est installédans la gorge ? »
Elle secoua la tête. Étoile deFeu continua :
« Le chat gris et blanc estvenu me demander de l’aide. Il ya de nombreuses saisons de
cela, il était le chef du Clan duCiel, mais ses chats ont depuislongtemps disparu. Œil du Ciel,le nouveau chat gris que tu asvu, m’a mis au défi dereconstituer ce Clan. Mais il nepourra pas vraiment exister sansun guérisseur. Et toi…
— La nuit dernière, le chatgris m’a parlé dans un rêve : ilm’a dit que je devais venir iciaujourd’hui, pour rencontrerdeux chats étranges. Je vaisdonc me joindre à vous.
— Quoi ? intervint Oscar. Tuveux partir avec ces deux boules
de poils cinglées ? Tu dois êtreaussi folle qu’eux !
— C’est possible, mais aucunautre chat n’a pu m’expliquermes rêves. J’y vais.
— Et tes Bipèdes ? » demandaNuage de Merle.
Une légère tristesse voila sesyeux.
« Ces dernières lunes, je mesentais si impatiente que je mepromenais de plus en plus loinde notre nid. Je me disais que sije cherchais, les étoiles medonneraient la réponse.Maintenant que je pars pour de
bon, mes Bipèdes se dirontsimplement que j’ai trouvé unnouveau nid. Je leur manquerai,mais ils ne s’inquiéteront paspour moi.
— Alors allons-y ! » miaulaÉtoile de Feu.
Oscar le bouscula pour seplanter devant Écho.
« Un instant ! Tu ne pars pasvraiment, n’est-ce pas ? Juste àcause de quelques rêves ?
— N’essaie pas decomprendre », murmura-t-elledoucement.
Elle se tourna vers Étoile de
Feu qui nota une lueur denervosité dans ses yeux.
« Tu es en train de prendreune grande décision, lui fit-ilremarquer, conscient qu’ildevait lui laisser une chance dechanger d’avis.
— Je sais. Mais je suis sûreque c’est ce qu’on attend de moi.
— Alors, en route ! »Consterné, Oscar les suivit
des yeux tandis qu’ilss’éloignaient du territoire desBipèdes.
« Comment se déroule la vie
dans un Clan ? demanda Échopendant qu’ils revenaient vers lagorge.
— Il faut d’abord être unapprenti, expliqua Nuage deMerle. On apprend à chasser, àse battre, toutes sortes dechoses et…
— Un instant ! intervint Étoilede Feu. Il se peut qu’Écho joueun rôle différent, qui consiste àguérir avec des herbes etpartager les rêves des ancêtres.
— Mais comment vais-jeapprendre tout cela ?
— Je n’en sais rien, avoua
Étoile de Feu. Ma compagne,Tempête de Sable, pourrat’enseigner quelques rudimentssur les herbes. Quant au reste, siles ancêtres des guerriers duClan du Ciel veulent vraimentque tu deviennes leurguérisseuse, ils te montreront cequ’il faut faire. »
La réponse sembla satisfaireÉcho.
« J’attendrai leursinstructions. »
Quand les trois chatsatteignirent la gorge, GriffeFéroce montait la garde sur le
Roc Céleste. Il bondit pour venirles rejoindre en haut de lafalaise.
« Toujours pas de signe desrats, déclara-t-il. Qui est-ce ?demanda-t-il en reniflant lanouvelle venue.
— Voici Écho. Je… je pensequ’elle sera votre guérisseuse. »
Sa fourrure se hérissa.« Une étrangère ? Je pensais
que tu désignerais l’un d’entrenous comme guérisseur.
— Ce n’est pas à moi d’endécider, rétorqua Étoile de Feu,essayant de garder son calme. Le
guérisseur doit posséder un lienprivilégié avec vos ancêtres. Etje pense que c’est le cas d’Écho.Vous êtes tous d’excellentsguerriers, mais pour défendre leClan le mieux possible, il faut lesoutien d’un chat qui puissecommunier avec vos ancêtres. »
Le matou demeurait méfiant.« D’où vient-elle ? Pouvons-
nous vraiment lui faireconfiance ? Nous donnera-t-elleles herbes et les remèdesadéquats ?
— Je vivais avec des Bipèdeset je vous promets que vous
pouvez me faire confiance. Unefois que j’aurai tout appris surles plantes médicinales, je feraide mon mieux pour chacun devous. »
Griffe Féroce hochasèchement la tête.
« Soit. On verra biencomment tu te débrouilleras.Bonne chance, en tout cas ! »
Étoile de Feu entraîna lachatte vers les grottes.
« Viens, on va te présenteraux autres chats. Nuage deMerle, préviens nos amis quenous avons un nouveau membre
dans le Clan. »L’apprenti détala aussitôt.
Puis, comme la grotte desguerriers était vide à cette heurede la journée, ils continuèrentjusqu’à la pouponnière, où Cœurde Girofle surveillait les petits.Les siens jouaient à se bagarrerprès de l’entrée pendant queMenthe et Sauge dormaient,roulés en boule sur un lit demousse.
« Entre, Étoile de Feu !miaula Cœur de Girofle en selevant. Que puis-je faire pourtoi ?
— Je voudrais te présenter unnouveau membre du Clan duCiel. Voici Écho. Écho, je teprésente Cœur de Girofle.
— Et moi, je suis Petit Roc ! »annonça le chaton noir enbondissant vers elle pour larenifler.
Son frère et sa sœur lerejoignirent et restèrent bouchebée devant la nouvelle venue.
« Je crois qu’Écho va devenirla guérisseuse du Clan du Ciel,miaula Étoile de Feu.
— Ce sont les tiens ? demandaÉcho. Quels adorables chatons !
Tu dois être très fière d’eux.— Je le suis. Mais ils peuvent
se montrer très turbulents,parfois !
— Et ceux-ci ne peuvent pasêtre à toi aussi, fit remarquerÉcho en s’approchantdoucement des deux petitesboules de poils endormies.
— Non, che chont les miens !marmonna Pétale en arrivant,un campagnol dans la gueule.Nuage de Merle m’a annoncéque nous aurons peut-être unenouvelle guérisseuse, ajouta-t-elle plus distinctement après
avoir posé sa proie devant Cœurde Girofle. Tu es la bienvenue.
— Merci. Ils sont trèsmignons, et tellementminuscules ! dit Écho encouvant les chatons d’un regardattendri.
— Tu aurais dû les voir quandon est arrivés ici ! réponditPétale. Ils sont beaucoup plusforts maintenant qu’Étoile deFeu nous a sauvés de notreBipède. Je pense que mes petitsseraient morts sans Cœur deGirofle. Elle les a nourris et s’estoccupée d’eux en attendant que
je reprenne des forces.— C’est formidable !— Je vais te montrer la grotte
de l’ancien guérisseur »,intervint Étoile de Feu enentraînant Écho vers la sortie.
Tempête de Sable s’occupaittoujours de Patte Frêle qui sesentait beaucoup mieux. Sablessure guérissait bien. QuandÉtoile de Feu et Écho entrèrentdans la caverne, il était accroupidevant une proie qu’il dévoraitavec appétit.
Tempête de Sable, assise àcôté de lui, se leva et vint à la
rencontre d’Écho pour frotterson museau contre le sien.
« Bienvenue dans le Clan »,miaula-t-elle.
Écho jeta un regard effaré à lavilaine blessure de Patte Frêle.
« Comment est-ce arrivé ?— Une morsure de rat,
répondit-il. Mais Tempête deSable m’a pratiquement guéri.
— Je n’ai pas autant deconnaissances qu’un vraiguérisseur, s’excusa la chatte.J’utilise juste quelques remèdesutiles… »
Écho s’approcha du blessé et
renifla sa plaie.« Quelle est cette odeur ?— De la racine de glouteron.
C’est ce qu’il y a de mieux contreles morsures de rat, surtout sielles s’infectent. Pour desblessures plus communes, onutilise des feuilles de souci. Etsurtout des toiles d’araignéespour arrêter les saignements.
— Tu en sais, des choses !s’exclama Écho, admirative.
— J’ai eu d’excellentsprofesseurs. »
En disant ces mots, elle avaitfixé Étoile de Feu dans les yeux
et il sut qu’elle parlait aussi biende Museau Cendré que de PetiteFeuille, il en fut ému. Elle avaitfinalement admis sa relationavec Petite Feuille, sans sesentir menacée pour autant.
Un par un, les chatsgrimpèrent sur la falaise poursauter sur le Roc Céleste. Unelune bien pleine flottait au-dessus de leur tête et aucunnuage ne dissimulait lescintillement des étoiles. Étoilede Feu vit arriver Patte Frêle, encompagnie de Tempête de Sable
et d’Écho. Le guerrier blesséclaudiquait, mais il réussit tantbien que mal à bondir sur lerocher.
Étoile de Feu vint à leurrencontre.
« Espèce de cervelle desouris ! Et si tu t’étais brisél’échine ?
— Je suis un membre de ceClan, rétorqua Patte Frêle. Jeveux participer à cette premièreAssemblée du Clan.
— Bon, reste, puisque tu eslà ! Mais fais attention pour leretour. Je ne voudrais pas qu’on
perde un aussi boncombattant ! »
En les voyant tous là, attentifset déterminés, prêts à endécoudre pour défendre leurdroit de vivre dans la gorge, il sedit que rien ne pourrait lesarrêter, pas même les rats.
« Chats du Clan du Ciel !Quand plusieurs Clans serassemblent, ils échangent desnouvelles. Nous ne pouvons pasen faire autant. Mais nouspouvons échanger desinformations entre nous. Est-ceque quelqu’un a une annonce à
faire ? »Feuille Mouchetée pencha la
tête de côté.« Je voulais vous annoncer
que Nuage de Merle possède deréels talents de chasseur et queses progrès sont spectaculaires.C’est lui qui a rapporté le plusde proies, hier.
— Bravo ! lança Étoile de Feu.— Mon apprentie se
débrouille très bien aussi,intervint Griffe Féroce, qui nevoulait pas être en reste. Je vousassure que Nuage de Cerisem’aurait arraché l’oreille si
Tempête de Sable ne l’en avaitpas empêchée !
— Attends de voir ! grommelala jeune chatte, ne plaisantantqu’à moitié. Un jour, quandTempête de Sable ne sera paslà… »
Griffe Féroce lui donna unetape affectueuse de la patte.
« Bien joué ! la félicita Étoilede Feu. Mais essaie de ne pasmassacrer ton mentor. On abesoin de lui. »
Tempête de Sable s’avança.« J’aimerais dire quelque
chose au sujet de Pétale, même
si elle n’est pas membre duClan. Elle s’est portée volontairece soir pour garder les petits afinque Cœur de Girofle puissevenir ici. Et elle s’est montréetrès efficace pour ramasser desherbes dans la forêt. Je ne saispas ce que nous aurions faitsans son aide.
— Je le lui dirai, approuvaÉtoile de Feu.
— Il y a autre chose dont jevoudrais parler, intervint GriffeFéroce. On n’a pas vu un poil derat depuis que leur chef nous adéfiés devant la grange des
Bipèdes. Qu’est-ce qu’on va faireà leur sujet ?
— Pour l’instant, despatrouilles, des entraînements…répondit Étoile de Feu.
— Mais rien de tout cela nenous débarrasse des rats !Pourquoi est-ce que nous n’yallons pas pour les exterminerune fois pour toutes ?
— Ce n’est pas encore le bonmoment.
— À ce rythme, ça ne le serajamais ! Combien de tempsveux-tu qu’on vive sous cettemenace ?
— Pas trop longtemps,j’espère. Comme toi, j’ai horreurd’attendre. Si vous êtes d’accord,je propose qu’on les attaque dèsque Patte Frêle sera en état dese battre.
— Cela ne devrait pas tarder,miaula le blessé. Je pourrais mebattre maintenant, s’il le fallait.
— Tu pourras le faire quandTempête de Sable t’y autorisera.Est-ce que cela répond à taquestion, Griffe Féroce ? »
Après une hésitation, lematou se contenta de hocher latête. La décision ne semblait pas
le satisfaire. Mais, même s’ilétait important de savoir quandattaquer, il était tout aussicrucial de savoir attendre.
Comme plus personne nedemandait la parole, il déclara :
« Chats du Clan du Ciel. Cesoir, sous cette lune, nousaccueillons un nouveaumembre, et cela devant lesesprits de nos ancêtres. Moi,Étoile de Feu, chef du Clan duTonnerre et mentor du Clan duCiel, je vous demande d’acceptercette chatte dans vos rangs. »
Puis, sautant du rocher pour
se tourner vers Écho, il ajouta :« Écho, promets-tu de
respecter le code du guerrier, deprotéger et servir ton Clan,même au péril de ta vie ? »
Elle leva la tête.« Oui, je le promets.— Alors, devant les esprits de
tes ancêtres, je te donne tonnouveau nom. À partir de cejour, tu t’appelleras Échod’Argent. Le Clan des Étoilesrend honneur à ta sagesse et tafoi et nous t’accueillons au seindu Clan du Ciel. »
Il posa son museau sur la tête
de la chatte qui lui lécha l’épauleen retour.
« Écho d’Argent ! Échod’Argent !… »
Son nom retentit sous lavoûte étoilée.
Merci, Œil du Ciel, pensaÉtoile de Feu.
Quelques jours aprèsl’Assemblée, Étoile de Feudescendait à la rivière pourretrouver Tempête de Sable quiorganisait le programme de lajournée. L’air fraîchissait et lasaison des feuilles mortes
approchait. Les jours seraientbientôt plus courts et les proiesplus rares.
« Mais j’en ai assez despatrouilles frontalières !protestait Nuage de Cerise.Pourquoi est-ce que je ne peuxpas chasser, moi aussi ?
— Parce que Tempête deSable t’a prévue dans lapatrouille chargée de surveillerles rats ! lança Griffe Féroce enlui donnant une petite tape dubout de la queue. Et ne rouspètepas ! »
La petite chatte lui lança un
regard mauvais.« Ces rats stupides ne
viendront jamais, de toutefaçon ! » grommela-t-elle, assezfort pour être entendue.
Si tel était l’état d’esprit detout le Clan, il allait falloirattaquer au plus vite…
« Feuille Mouchetée, c’est tontour d’assurer la garde, continuaTempête de Sable. Nuage deMerle s’y trouve en ce moment.Tu peux donc lui dire dedescendre pourl’entraînement. »
Feuille Mouchetée s’engagea
dans le chemin, aussitôt suiviede Griffe Féroce, Nuage deCerise et Brin de Moustache quipartaient en patrouille le long dela frontière.
Quand ils furent seuls, Étoilede Feu s’approcha de sacompagne.
« Comment va Patte Frêle ?— Beaucoup mieux ! Il va
participer à la patrouille dechasse, ce matin, avec Pelage dePluie et Cœur de Girofle. Ainsi,nous verrons comment secomporte son épaule.
— Bien. Il faut que je lui parle
dès son retour.— Écho d’Argent a fait un
travail formidable, repritTempête de Sable. Elle semblesavoir exactement ce qui estbien pour notre blessé. Et elleapprend tellement vite ! Jen’aurai bientôt plus rien à luienseigner. »
Mais ces paroles donnèrent àÉtoile de Feu une nouvelleraison d’inquiétude. Sans unautre guérisseur, comment Échod’Argent allait-elle se formercomplètement ?
Une fois la patrouille de
chasse partie, Écho d’Argent vintles rejoindre.
« Je suis prête pour maséance d’entraînement, dit-elle àTempête de Sable. Tu as raison,il faut que je sache me défendreet défendre le Clan !
— En effet, tu risques d’enavoir bientôt besoin ! » miaulaÉtoile de Feu.
Patte Frêle se portait demieux en mieux : Tempête deSable accepta qu’il reprennel’entraînement.
« Il se donne du mal, mais il
est encore lent, dit-elle à Étoilede Feu. Et il se fatigue très vite.
— Il n’est pas prêt à affronterles rats ?
— Pas encore. »Peut-être devraient-ils
attaquer sans Patte Frêle… Ilpourrait rester en arrière avecÉcho d’Argent et une des reinespour défendre le camp. Latension entre les autres chatsdevenait palpable. Griffe Féroceet Pelage de Pluie, généralementen excellents termes, faillirentse battre pour une proie, tandisque Brin de Moustache semblait
en permanence aux aguets,s’attendant à ce que les rats sejettent sur lui d’un instant àl’autre. Même les petits, quijouaient au chat et au rat, seprécipitaient dans la grotte aumoindre bruit.
Mais où sont-ils ?Même s’il essayait de se
comporter normalement devantles autres chats, la peur letenaillait jour et nuit. Ils ontmenacé de nous tuer. Pourquoine sont-ils pas encore venus ?
Il connaissait pourtant laréponse. Celle qu’il avait donnée
à Nuage de Merle : les ratsespéraient affaiblir les chats enles obligeant à attendre. Aumoment où ces derniersseraient le plus vulnérables, ilsattaqueraient.
Quand Étoile de Feu rentra dela dernière patrouille de chassede la journée, le soleilcommençait à disparaître àl’horizon dans un ciel écarlate.
Écho d’Argent vint à sarencontre.
« Il faut que je te parle. Tu tesouviens, quand nous nous
sommes rencontrés chez lesBipèdes, je t’ai dit que je rêvaisde chats couverts d’étoiles.
— J’ai su ainsi que les anciensdu Clan du Ciel t’avaient choisiecomme guérisseuse.
— Et si tu t’étais trompé ? Jen’ai pas rêvé de ces chats depuisque je suis ici. Pas une seulefois.
— Tu as rêvé d’eux avant, larassura-t-il, en s’efforçant de nepas laisser paraître sa propreinquiétude. Tu vas de nouveaurêver d’eux. Ils savent où tetrouver.
— Alors pourquoi mes rêvesont-ils cessé ?
— Je l’ignore. Cela faciliteraitpeut-être les choses si tumontais sur le Roc Céleste pourdormir. C’est là que les chats duClan du Ciel étaient le plus prèsde leurs ancêtres. »
Les yeux d’Écho d’Argents’illuminèrent.
« Alors, j’irai y dormir cettenuit !
— Je t’y accompagnerai. »La nuit était tombée quand
les deux chats grimpèrent sur lapierre plate.
« Où est le chat de garde ?s’étonna Étoile de Feu enregardant autour de lui.
— Tu peux sentir les rats ?s’inquiéta la chatte.
— Non… »Il alla explorer un coin
d’ombre tout proche etdécouvrit un chat tigré roulé enboule. Brin de Moustache !
Étouffant un grognement decolère, il le secoua.
« Réveille-toi !— Euh… Quoi ? bredouilla le
matou en agitant les oreilles.— Debout ! »
Cette fois, le jeune guerriersauta sur ses pattes.
« Quoi ? Quoi ? Les rats sontarrivés ?
— Non, tu as de la chance !Comment peux-tu dormir ainsialors que tu devrais assurer lagarde ? » gronda Étoile de Feu.
Brin de Moustache regardaautour de lui en clignant desyeux. De toute évidence, il nesavait plus trop où il se trouvait.Puis il sembla comprendre.
« Oh, je suis désolé,bredouilla-t-il, l’air penaud.
— Tu te rends compte que si
les rats avaient attaqué, onserait déjà tous morts ?
— Je suis vraiment désolé.Mais je suis tellement fatigué…
— On est tous fatigués !Comme il faut de toute façonque je reste ici, tu peuxdescendre te reposer dans lagrotte des guerriers. Qui doitassurer la prochaine garde ?
— Pelage de Pluie.— Entendu. Je le réveillerai le
moment venu.— Je regrette. Cela ne se
reproduira plus », dit encore lematou avant de s’en aller, les
oreilles rabattues et la queuebasse.
Étoile de Feu se contenta dehocher la tête. Est-ce qu’ilexigeait trop de sescompagnons ?
Écho d’Argent s’approcha delui.
« Existe-t-il des herbesfortifiantes ? demanda-t-elle. Ouqui permettent de resteréveillé ?
— Les baies de genièvre,éventuellement. Tempête deSable le saurait peut-être. Maisje n’ai jamais entendu parler
d’herbes pour rester éveillé.— Un vrai guérisseur le
saurait, fit remarquer Échod’Argent, une note d’amertumedans la voix.
— Ne t’en fais pas. Essaie dedormir, suggéra-t-il. Voyons si leClan des Étoiles vient teparler. »
Obéissante, la chatte se roulaen boule dans l’ombre de l’undes rocs. Très vite, sa respirationdevint régulière et Étoile de Feus’assit à côté d’elle, sur le qui-vive.
La lune poursuivit sa course
dans le ciel et, en dehors dudiscret gargouillement de larivière et du doux sifflement duvent, la nuit n’était que silence.Quand elle se réveilla, il n’eutpas besoin de lui poser dequestion. Le désespoir se lisaitdans son regard.
« Je crois que les chats étoilésm’ont abandonnée à jamais,miaula-t-elle tristement.
— Tu n’as pas rêvé du tout ?— Si, je me tenais dans la
lande et ne pouvais rien voir àcause du brouillard quim’entourait. L’odeur de chat
était très présente et je savaisqu’ils avaient terriblement peur.L’un d’eux m’appelait, mais jen’arrivais pas à comprendre cequ’il voulait. Il restaitinaccessible. »
Étoile de Feu sentit ses poilsse dresser le long de son échine.
« Je crois que tu as rêvé dupremier Clan qui a fui la forêt.Moi aussi, j’ai fait ces rêves. Il sepeut que ce soit leur chef quit’appelait.
— Ce n’était pas un vrai rêvede guérisseur, alors ? conclut-elle, très déçue. D’ailleurs, je
n’étais peut-être même pasdestinée à être leur guérisseuse.N’oublie pas que j’ai été un chatdomestique !
— Moi aussi, j’en étais un.Mais le Clan des Étoiles m’atout de même choisi poursauver mon Clan et devenir leurchef. De plus, tous les chats ontété sauvages, même nosancêtres.
— Vraiment ?— Autrefois, il y avait trois
Clans de chats géants : le Clandu Lion, le Clan du Tigre et leClan du Léopard. Ils vivaient
librement dans la forêt sansavoir jamais appartenu à desBipèdes. Un peu de leur sangsauvage continue à couler dansles veines de chaque chat. Mêmeceux qui vivent avec les Bipèdes.Ne t’en fais pas, Écho d’Argent.Les guerriers de jadis teparleront quand ils aurontquelque chose à te dire. »
Il lui donna un coup delangue sur l’épaule pour laréconforter. Mais la chattesemblait désabusée.
La nuit suivante, malgré sa
fatigue, Étoile de Feu eut de lapeine à s’endormir. Il finit parsortir de la grotte pours’installer devant l’entrée etassister à la naissance de l’aube.
Après un moment, il sentitTempête de Sable approcher.Elle lui passa la langue surl’oreille.
« Moi non plus, je ne parvienspas à dormir, murmura-t-elle.
— Si on attaque les rats, il vafalloir se dépêcher, miaula lerouquin. Mais est-ce vraimentune bonne idée ? Ai-je eu raisonde dire aux membres du Clan du
Ciel que leur foyer était ici etqu’ils devaient se battre pour ledéfendre ?
— Que veux-tu qu’ils fassentd’autre ? Retourner vivre chezles Bipèdes ou n’importe où,chacun dans son coin ?
— Il y aurait une autresolution : les ramener cheznous, dans la forêt.
— Quoi ? Après s’être donnétout ce mal pour les installerici ?
— Pourquoi pas ? Lesancêtres des Clans de la forêt lesont chassés et nous savons que
c’était une erreur. Nous sommespeut-être censés les ramener…
— C’est envisageable,répondit-elle. Mais il faudrait lesrépartir entre les Clans.Maintenant que les Bipèdes sesont installés, il n’y a plus assezde place pour un cinquièmeClan. C’est ce qui a été àl’origine de ce chaos.
— Ils ne voudront plus seséparer, maintenant. Onpourrait éventuellement diviserle territoire avec de nouvellesfrontières.
— C’est impossible, tu t’en es
déjà rendu compte quand Fléaua essayé de s’installer avec leClan du Sang. Le territoire duClan du Ciel a disparu quand lesBipèdes l’ont envahi. La forêt nepourra abriter un Clan deplus ! »
Étoile de Feu savait qu’elleavait raison. Mais il ressentaitun soupçon de culpabilité.Allait-il abandonneruniquement parce qu’il nevoulait pas partager sonterritoire ? Avait-il le cœur aussinoir que celui de ses ancêtres,qui avaient poussé le Clan à
l’exil ?Soudain, un léger bruit s’éleva
des buissons et ils virent Échod’Argent longer la rivière, endirection de la Grotte quiMurmure. Il la suivit aussitôt etse glissa discrètement dans lacaverne, derrière elle.
Elle s’était déjà assise devantla mousse scintillante, quinimbait sa silhouette d’un halode lumière presque féerique.
« Écho d’Argent ?— Petite Perle vient juste de
me dire qu’ils avaient entendudes voix, expliqua-t-elle, les
yeux brillant de joie. Et c’estvrai ! Je peux les entendre. Ellessont trop ténues pour que jepuisse tout comprendre, maiselles m’accueillent, mesouhaitent la bienvenue. Nosancêtres guerriers se trouventici, même s’ils sont horsd’atteinte. Quand ils serontprêts, ils viendront à moi.
CHAPITRE 31
CHAPITRE 31
« LES RATS ! LES RATS ! »C’est ce cri terrifiant qui
réveilla Étoile de Feu.L’obscurité la plus complèteemplissait la grotte des guerriers
et il eut de la peine à localiser lasortie. Grâce au mouvement del’air sur ses moustaches, ilréussit enfin à s’orienter maistrébucha sur un guerrier.
Il reconnut l’odeur de GriffeFéroce.
« Crotte de renard ! lâchacelui-ci. Pousse-toi de là ! »
Le matou bouscula Étoile deFeu et se précipita au-dehors. Lerouquin le suivit. En passant, ilreconnut l’odeur d’un autre chatet le parfum familier deTempête de Sable lui caressa lesnarines. Les cris approchaient et
il put identifier la voix de Nuagede Cerise.
La nuit passée, Écho d’Argentétait restée dans la Grotte quiMurmure. Il avait plu longtempset les nuages couvraient encorele ciel, masquant les étoiles et lefin croissant de lune. Les pattesd’Étoile de Feu glissèrent sur laroche mouillée : il se vit plongerau fond de la gorge.
« Ce sont les rats ! haletaNuage de Cerise. Il y en a pleinpartout ! Ils sont arrivés par lehaut de la falaise…
Étoile de Feu leva les yeux.
Un fleuve noir serpentait verslui, si dense qu’il étaitimpossible de distinguer lesrongeurs. Mais les cris stridentsne laissaient aucun doute.Nuage de Cerise avait raison.Les rats s’étaient décidés àattaquer…
L’estomac noué, Étoile de Feuréussit à garder son sang-froid.Il lança :
« Tempête de Sable ! Vaprévenir les reines dans lapouponnière. Puis avertis Échod’Argent et Patte Frêle. L’idéalserait que tu restes en bas pour
les aider.— J’y vais ! dit-elle en lui
caressant l’oreille du bout de laqueue.
— Ton frère doit être dansvotre grotte, dit-il ensuite à lapetite chatte encore toutessoufflée. Trouve-le ! Puisbattez-vous là où ce sera le plusutile.
— Parfait ! »Et elle disparut dans
l’obscurité.« Griffe Féroce ? Tu es
toujours là ? »Un grognement lui parvint de
la direction opposée. « Non, ici !Qu’est-ce qu’on attend ? »
Les autres guerriersémergeaient maintenant de leura tanière. Étoile de Feu repéral’odeur de Pelage de Pluie et deFeuille Mouchetée ; Brin deMoustache, lui, exhalait la peur.
« Allons-y ! ordonna-t-ilenfin. Restez à découvert, sipossible. Ne vous laissez paspiéger dans une grotte.Souvenez-vous que vous êtes lesmeilleurs au saut et à lacourse ! »
Il fila sur le chemin, à la
rencontre de la masse de ratsqui fonçait sur eux. GriffeFéroce bondissait à côté de lui,suivi de près par les autres chatsdu Clan.
Ah, c’est cela qu’ilsattendaient. Une nuit sanslune ! eut-il à peine le temps depenser.
Puis les rats le submergèrent.Des griffes acérées
s’accrochaient à son pelage ets’enfonçaient dans ses épaules.Leur puanteur chargéed’excitation le prenait à la gorge,l’étouffait. Il sentit des dents
s’incruster dans son cou etbalaya le rongeur d’un coup depatte avant. Celui-ci disparutavec un cri strident. Aussitôt,deux autres se précipitèrent surlui et il dut faire un effortprodigieux pour garder sonéquilibre. S’il tombait, d’autresrats s’abattraient sur lui et ceserait sa fin.
Il entendit un longmiaulement provenant du fonddu ravin, mais n’en reconnut pasl’auteur.
Pourvu que ce ne soit pas lapouponnière !
À présent, il pouvaitdistinguer les yeux étincelantsde ses ennemis et leurs dentsblanches acérées. Il cherchacelui qui leur avait adressé laparole, en vain. Peut-être était-ilresté en arrière après avoir lancéses troupes au combat…
Il vit Griffe Féroce qui sedébattait comme une furie,repoussant les rongeurs quibasculaient dans le vide avec descris de terreur. FeuilleMouchetée se roulait sur le sol,deux rats cramponnés à sonpelage. Étoile de Feu essaya de
se frayer un chemin pour luivenir en aide mais, au mêmeinstant, elle en mordit un à lagorge et il retomba au sol,inerte. L’autre laissa échapperun cri d’épouvante et s’enfuit.
Étoile de Feu chancela quandun rat bondit sur son dos. Ils’appuya contre un rocher pourlui faire lâcher prise, mais sanssuccès. Il sentit des dentss’enfoncer dans son épaule. Lesang gicla. Assailli par d’autresrats, il faillit perdre l’équilibre.
Puis le rongeur laissaéchapper un hurlement de
douleur avant de tomber au sol.Étoile de Feu sentit qu’on letirait en arrière, loin duprécipice.
« Ça va ? murmura Pelage dePluie.
— Oui, merci ! »La vermine continuait à
affluer, de plus en plusnombreuse, le flot s’écoulait lelong de la falaise. Les guerriersavaient beau les tuer l’un aprèsl’autre, il en arrivait toujoursplus. Ils approchaientmaintenant de la pouponnière.
Soudain, des hurlements
stridents s’élevèrent des bergesde la rivière.
Et si une seconde troupe nousattaquait par le bas ?
Jetant de côté un des ratsqu’il venait de tuer, Étoile deFeu se fraya un passage dansl’essaim bouillonnant derongeurs. Mort d’inquiétudepour les apprentis, pour Échod’Argent et les petits, ildistribuait de violents coups depatte, faisant fuir les ennemis.
Cessant soudain le combat,les rats firent demi-tour etrepartirent vers le sommet de la
falaise. Griffe Féroce courutderrière eux en poussant descris de triomphe.
« Non ! cria Étoile de Feu.Attends ! »
Le matou se retourna et luijeta un regard noir.
« Ils s’enfuient ! On devraitles pourchasser !
— Non ! C’est peut-être unpiège !
— Mais on les achèverait unefois pour toutes ! »
Étoile de Feu vint se posterdevant le matou pour lui couperla route.
« Ils pourraient nous attendrelà-haut pour nous prendre enembuscade. Réfléchis, GriffeFéroce ! Pourquoi se battraient-ils jusqu’à la mort s’il leur suffitde nous effrayer pour qu’on s’enaille ! Ils pensent peut-être avoirdéjà réussi !
— Jamais ! »Le matou laissa échapper un
grognement, mais il ne bougeapas, scrutant l’obscurité danslaquelle avaient disparu les rats.Les bruits de bataille dans lagorge s’étaient tus, eux aussi.
Étoile de Feu regarda autour
de lui et put distinguer FeuilleMouchetée et Pelage de Pluie.Mais aucune trace de Brin deMoustache. Son cœur se serra àl’idée que le matou ait putomber dans le précipice et sebriser les os. À moins qu’il negise sous un buisson, en train dese vider de son sang…
« Vite, miaula-t-il. Allonsd’abord voir la pouponnière,puis Écho d’Argent. »
Il descendit le chemin enboitant, suivi des autres chats.En approchant de la grotte, ilentendit un feulement sauvage.
Accroupie devant l’entrée, ilreconnut la chatte qui s’étaitjointe au Clan pour y trouverprotection. Les yeux emplis derage, elle montrait ses crocsacérés.
« Ah, c’est toi, Étoile de Feu !lâcha-t-elle en se détendant. Jecroyais que c’étaient encore cesfichus rats !
— Comment vont les petits ?s’inquiéta Étoile de Feu.
— Ils vont bien. »Pétale venait de répondre,
debout sur le seuil.Pelage de Pluie s’approcha
d’elle et ils se touchèrent dumuseau.
« Cœur de Girofle a bloquél’entrée pour les empêcher depasser, ajouta Pétale.
— Bravo ! Bon travail ! »miaula Étoile de Feu.
La chatte se dressapéniblement sur ses pattes,révélant des traces de morsuresde rats sur la poitrine et lesépaules.
« Tu devrais aller voir Échod’Argent, lui dit Pétale. Je peuxsurveiller les petits. »
Cœur de Girofle balbutia un
remerciement et rejoignit Étoilede Feu et les autres en titubant.Il l’aida à s’appuyer contre luipour descendre le chemin versla grotte de la guérisseuse.
À son grand soulagement,Tempête de Sable se trouvaitavec Écho d’Argent, qui sortaitdéjà son stock d’herbes.
« Nous allons avoir besoin debeaucoup de racines deglouteron, miaula-t-elle. Unechance que Pétale et moi enayons trouvé en quantité l’autrejour !
— Et des toiles d’araignées »,
ajouta Tempête de Sable.Puis elle examina les chats
qui venaient d’entrer.« Quels sont les plus
grièvement blessés d’entrevous ? »
Étoile de Feu poussa Cœur deGirofle en avant.
« Où est Patte Frêle ?— Il est sorti se battre avec
nous, répondit Tempête deSable. On s’est rendu comptetrop tard que des rats arrivaientaussi par la rivière, quand ils ontessayé d’entrer ici. Patte Frêle etmoi les avons attaqués, mais on
a été séparés et je ne l’ai pasrevu depuis. »
Étoile de Feu ne voulut pasmontrer son inquiétude. Leguerrier blessé était encorefaible. Et qu’étaient devenus lesdeux jeunes apprentis ?
Il se précipita vers leur grotteet remarqua du mouvementdans les rochers. Puis trois chatssortirent de l’obscurité, PatteFrêle et Nuage de Merlesoutenant Nuage de Cerise. Dusang s’écoulait d’une blessuresur sa nuque.
« Que s’est-il passé ?
demanda Étoile de Feu.— Les rats nous ont piégés
dans notre grotte, expliquaNuage de Merle. Nous n’avionspas assez de place pour utilisercorrectement nos techniques decombat. Je crois qu’on aurait étéfichus sans l’intervention dePatte Frêle.
— Mais on en a quand mêmetué beaucoup ! » intervintNuage de Cerise en levantfièrement la tête.
Ses compagnons l’aidèrent àmarcher jusqu’à la grotte d’Échod’Argent. Là, elle s’allongea en
fermant les yeux, exténuée.Tempête de Sable lécha aussitôtsa plaie pour la nettoyer.
« Je pense que ce n’est pastrop grave. Elle vivra.
— Bien sûr que je vais vivre !grommela la petite chatte sansouvrir les yeux. Je vais encoretuer plein de rats !
— Il manque Brin deMoustache, miaula Étoile deFeu. Est-ce que d’autres chatsl’ont vu ?
— Pas depuis le début de labataille ! répondit Griffe Féroce.
— Je peux aller à sa
recherche, proposa FeuilleMouchetée. Mais il vaudraitpeut-être mieux attendre lalevée du jour. L’aube ne va plustarder. »
Étoile de Feu préférait cettesolution. Comment savoir si ledanger était complètementécarté ?
« Tu as raison. On iraensemble, quand… »
Il fut interrompu par un criplaintif.
« Hé ! Il y a encore des chats,dans le coin ?
— Brin de Moustache ! »
Soulagé, Étoile de Feu seprécipita à sa rencontre. Lespremières lueurs de l’aurore luipermirent de repérer le matouqui se traînait péniblement prèsde la rivière.
« Par ici ! » cria Étoile de Feu.Le félin leva la tête et tenta de
presser le pas. Des lambeaux defourrure pendaient de sesépaules et ses flancs étaientlacérés.
« Quel soulagement de terevoir ! dit Étoile de Feu enl’accueillant. On est donc augrand complet. Et, grâce au Clan
des Étoiles, aucun d’entre nousn’est trop grièvement blessé.
— J’étais sûr de finir en chairà corbeau ! expliqua Brin deMoustache, les pupilles dilatéesde frayeur. Trois d’entre euxm’ont entraîné dans une petitegrotte. Tout ce que je pouvaisfaire, c’était les empêcher de medévorer sur place. Puis tout àcoup, ils ont fait demi-tour etont déguerpi. »
Bloquer les chats en lieu clossemblait faire partie de leurstratégie. Même si leur chefn’était pas présent, il dirigeait
les opérations avec uneintelligence impressionnante.
Le blessé alla rejoindre lesautres guerriers dans la grotted’Écho d’Argent, qui les soignales uns après les autres pendantqu’ils se reposaient, à bout deforce.
Nuage de Merle leva la tête.« On n’a pas gagné, n’est-ce
pas ? Les rats ont choisi departir.
— C’est exact. Mais on n’a pasperdu non plus. Et la bataillen’est pas encore terminée. Onne va plus les attendre. Il faut
qu’on les attaque sur leur propreterrain.
— Est-ce bien prudent ?demanda Griffe Féroce, que lecombat avait visiblement assagi.
— Nous ne devons pas leurdonner l’avantage de planifier leprochain assaut. À l’extérieur dela grange, ils ne disposerontd’aucun endroit pour nouspiéger. Le moment me sembleidéal. »
Ces paroles furent accueilliespar une vague d’assentiment.
« Je vais venir avec vous,annonça Patte Frêle. J’ai
combattu ce soir. Personne nepourra prétendre que je ne suispas en forme.
— Moi aussi, annonça Cœurde Girofle. Pétale s’occupera despetits. »
Leur courage impressionnaÉtoile de Feu. Tous étaient prêtsà se surpasser pour se battre etdéfendre leur Clan. Le code duguerrier était respecté.
— Alors, on attaquera demainsoir, une fois que les Bipèdesseront rentrés dans leurs nids,déclara Griffe Féroce. Etespérons que la lune brillera.
J’aime regarder mes ennemis enface. »
Griffe Féroce ferait unexcellent chef, pensa Étoile deFeu quand tous approuvèrentses paroles. Le matou, d’ailleurs,devait songer à la même chose,car il jeta à Étoile de Feu unregard de défi.
Le Clan passa la matinée à sereposer puis chacun s’entraînaune dernière fois. Étoile de Feuse sentait revivre, pleind’énergie. L’expressiondéterminée des guerriers, prêts
à se défendre griffes et crocsjusqu’à leur dernier souffle, luiredonnait du courage.
Tempête de Sable mettait finà sa séance d’entraînementquand Écho d’Argent et Pétalese présentèrent, l’air satisfaites.
« On a ramassé une belleréserve de racines de glouteron,annonça fièrement Pétale.
— Et des graines de pavot,ajouta Écho d’Argent. Tu disaisque c’était très efficace contre ladouleur, mais j’ignorais où onpouvait en trouver.
— Mon vieux Bipède en avait
dans son jardin, expliqua Pétale.— Il ne vous a pas
pourchassées ? intervint Étoilede Feu.
— Il est sorti du nid et arouspété un peu, mais il n’a pasréussi à nous attraper. »
Il aurait aimé lui demanderde ne pas prendre de risquemais, vu la bataille sanglante quiles attendait, les blessésauraient bien besoin des grainesde pavot pour soulager leursdouleurs.
« Cœur de Girofle a envoyéses petits chercher des toiles
d’araignées, raconta Échod’Argent, amusée. Je n’en aijamais vu autant… sur deschatons ! Ils ont vraiment bientravaillé.
— Il est temps qu’ilsdeviennent apprentis, miaulaTempête de Sable.
— Bientôt », promit Étoile deFeu.
Pétale rejoignit Pelage dePluie, à qui elle murmuraquelques mots à l’oreille. Ilacquiesça et tous deuxs’approchèrent d’Étoile de Feu.
« Nous avons discuté, ce
matin, commença Pelage dePluie, hésitant. Et nous avonsdécidé de nous joindre au Clandu Ciel… si cela te convient, biensûr !
— C’est une excellentenouvelle !
— Nous avons vu commentfonctionne le code du guerrier,expliqua Pelage de Pluie.
— Et c’est le genre de vie quenous aimerions adopter, pournous et nos petits », ajoutaPétale.
Griffe Féroce vint au côtéd’Étoile de Feu.
« Vous êtes les bienvenus,miaula-t-il, aussitôt suivi par lesautres chats. Vous savezcombien nous avons besoin deguerriers efficaces. Nous vousremercions, avec joie etreconnaissance. »
Quand le soleil baissa àl’horizon, Étoile de Feu appelaPelage de Pluie et Pétale au pieddu Grand Roc pour la cérémoniedu baptême du guerrier. Le restedu Clan se tenait en cercle. Lesyeux brillants et le poil déjàhérissé, ils étaient tous
impatients de se lancer dans labataille.
Après avoir recommandé lesnouveaux arrivants au Clan desÉtoiles et leur avoir fait prêterserment, il attribua un nom deguerrier à Pétale qui devintMuseau de Pétale. Pelage dePluie, quant à lui, put conserverson nom. Étoile de Feu lesconsidéra avec fierté. Grâce àeux, le Clan du Ciel comptaitdeux nouveaux guerriers et deuxchatons en pleine santé. Un belavenir les attendait.
Le soleil disparut derrière la
falaise et la nuit envahit lagorge, sous une lune au haloblafard. Une brise fraîchechassait les quelques nuages quis’attardaient encore dans le ciel.
Étoile de Feu envoya sesguerriers au sommet de lafalaise et voulut s’assurer quetout allait bien à la pouponnièreavant d’aller les rejoindre.
Quand il entra, les cinqchatons recroquevillés sur leurlit de mousse et de bruyère leconsidérèrent d’un regard où semêlaient crainte et excitation.
« Ils seront bien, ici, dit-il.
L’entrée est étroite.— Ne t’inquiète pas pour
nous, le rassura Museau dePétale. Nous surveillerons lespetits au péril de notre vie !
— Si cela devait mal tourner,promit Étoile de Feu, chaqueguerrier qui survit reviendra icipour vous aider à les défendre.
— Tout ira bien ! affirma Échod’Argent. On se reverra à la finde la bataille. Va, maintenant ! »
Il pensa à la confrontationviolente qui les attendait. Mêmes’il détenait encore six vies, ilpouvait les perdre toutes en une
seule fois si la blessure étaitassez grave. En pensant à lamanière dont était mort Étoiledu Tigre, éventré par Fléau, ilfrissonna.
Il ne dit rien, mais Échod’Argent semblait percevoir sonangoisse.
« Je te reverrai », miaula-t-elle.
Et ces mots résonnaientcomme une prophétie.
CHAPITRE 32
CHAPITRE 32
ÉTOILE DE FEU SE HISSA aufaîte de la falaise et s’engageadans les taillis. Dans l’obscurité,il ne voyait personne. Maisl’odeur très présente de ses
camarades le rassura.« Par ici », souffla Nuage de
Cerise.Elle l’entraîna vers la lisière
de la prairie, où le reste du Clans’était caché dans les fourréspour observer la grange desBipèdes. Là, il s’arrêta uninstant et resta pensif.
« Tu t’inquiètes pour nous ? »demanda Feuille Mouchetée.
Il hocha la tête, la gorgenouée.
« Nous aussi, nous avonspeur, continua-t-elle avec calme.Mais ceci est notre bataille, pas
la tienne. Nous devons aux chatsdu Clan du Ciel qui ont vécu icide vaincre ces rats. Tu n’as pasbesoin de venir. Le Clan duTonnerre devrait-il risquer deperdre son chef dans l’intérêtd’un autre Clan ? »
Étoile de Feu la considéraavec un mélange d’admiration etd’étonnement. D’où lui venait cecourage ? Et ce dévouement aucode du guerrier ?
« Je vous ai amenés jusqu’ici,murmura-t-il. Je vousaccompagnerai jusqu’au bout.Maintenant, il est temps d’y
aller ! »
Étoile de Feu se plaqua au sol,derrière un maigre buisson deronces, tout près de la clôturequi entourait la grange desBipèdes. Tout était calme.L’endroit semblait désert, lesouvertures dans les mursbéaient telles d’immensesgueules noires. Seuls lapuanteur des rats et les déchetsdes Bipèdes attestaient que labâtisse était occupée.
« Si seulement je savais où setrouve leur nid, grommela Étoile
de Feu.— À l’intérieur, sûrement,
chuchota Griffe Féroce. Ils secachent toujours dans lajournée. Nos patrouilles ne lesont jamais repérés.
— J’espérais qu’on n’auraitpas à se battre là-dedans.
— Ce n’est pas comme unegrotte, fit remarquer Nuage deMerle. C’est immense. Il y a laplace et de combattre et defuir. »
Étoile de Feu savait qu’il avaitraison, mais l’idée de bataillerentre des murs et sous un toit
lui donnait l’impression d’êtrevulnérable, piégé.
« Je vais emmener la moitiéde la patrouille à l’intérieur,suggéra Griffe Féroce. Le restepeut attendre dehors. Avec unpeu de chance, nous réussironsà les chasser dans le champ etainsi on pourra lutter àl’extérieur.
— Excellente idée ! approuvaÉtoile de Feu. Je vousaccompagne.
— Nous aussi, on veut venir,murmura Nuage de Cerise.
— D’accord, et Brin de
Moustache aussi, ajouta Étoilede Feu. Les autres vont rester là,sous le commandement deTempête de Sable. »
La patrouille rampa vers lagrange : immense, menaçante,elle semblait prête à lesengloutir tous. Les rats savaient-ils que leurs ennemis n’étaientplus qu’à quelques pas ? Lerouquin ne percevait plus cetteprésence malveillante quil’observait auparavant ;pourtant, des yeux cruels étaientforcément fixés sur eux, en cemoment même !
« Qu’est-ce qu’on attend ? »s’impatienta Griffe Féroce.
La petite troupe avançait ensilence. La puanteur devenaitsuffocante. Des griffescrissèrent sur le sol de pierreblanche, et le son se répercutadans le grand espace vide. Étoilede Feu se rappela la grange oùhabitaient Nuage de Jais etGerboise, rendue confortablepar des bottes de foin oùpullulaient des souris. Encomparaison, ce lieu abandonné,glacial, le faisait frissonner.
Un faible rayon de lune, qui
filtrait par le toit percé, luipermit de noter que les côtés dela grange étaient plongés dansl’obscurité ; une immense pilede déchets de Bipèdess’entassait contre le mur dufond, à l’autre extrémité.
« Le nid des rats est sansdoute là-dessous, murmuraÉtoile de Feu.
— Oui. Espérons que cettepuanteur cachera notre propreodeur », souffla Griffe Féroce.
Étoile de Feu fit signe à satroupe de le suivre. Nuage deCerise et Nuage de Merle
regardaient autour d’eux avecplus de curiosité que de peur.Brin de Moustache avait l’airterrifié : le pelage hérissé, ilavait pratiquement doublé devolume. Il avançait cependantd’un pas déterminé.
« On va se diriger vers le nid,annonça Étoile de Feu. Quandles rats apparaîtront, foncez versles sorties. Avec un peu dechance, ils nous suivront. »
Ils avancèrent en ligne. Lecœur d’Étoile de Feu battait àtout rompre, il pouvait à peinerespirer. Aucun mouvement
parmi les déchets pourrissants.Soudain, Brin de Moustache
poussa un cri strident et seretourna. Derrière eux enflaitune mer noire de rats : ilsbloquaient toute issue.Lentement, sans un bruit, leursennemis avaient quitté l’ombrepour les piéger.
Étoile de Feu n’en avantjamais vu autant. Il scruta lamasse ondulante, à la recherchede leur chef. En vain. Ils seressemblaient tous.
« Nous déjà tuer vous avant !retentit une voix qui ricochait
dans le vaste espace. Nous tuervous encore ! Vous être peu.Nous nombreux ! »
Griffe Féroce poussa ungrognement et se jeta sur lapremière rangée de rats.
« Arrête ! miaula Étoile deFeu.
— Quoi ! protesta le matou,furieux.
— Il faut qu’on reste groupés.S’ils réussissent à nous séparer,on est fichus ! Nous devonssortir à tout prix, là où nous neserons pas acculés. »
C’est alors que la première
vague de rongeurs fonça sureux. Avec leurs pattes, leursgriffes et leurs dents, les chatsse frayèrent un passage endirection du trou par lequel ilsétaient entrés. Étoile de Feu serappela qu’il avait six vies, alorsque les autres n’en avaientqu’une. À lui donc de se battreencore plus sauvagement.
Les rats les encerclaient telun essaim, grimpant les uns surles autres pour mieux lesassaillir, mais les chats, toujoursgroupés, se défendaient commedes lions ! Ils gagnaient du
terrain et Étoile de Feu eutmême l’espoir qu’ilsréussiraient enfin à atteindrel’air libre.
Puis il entendit un hurlementprovenant de l’extérieur. Pelagede Pluie surgit, suivi du reste dela patrouille. Ils attaquèrent lesrats par l’arrière.
Alors qu’ils croyaient sansdoute venir en aide à leurscompagnons, ils lesempêchaient de fuir.
Très vite, ce ne fut plusqu’une mêlée de chats et de rats,un échange sauvage et violent
de coups de dents et de griffe,des cris perçants, desgémissements désespérés. Lagrange entière n’était plus quesang et rage.
« Dehors ! hurla Étoile deFeu. Tout le monde dehors ! »
Tempête de Sable réussit à lerejoindre, faisant fi des rongeursqui se précipitaient sur elle.
« Je suis désolée, je n’ai paspu les empêcher de venir à votresecours ! »
La présence de sa compagne àson côté le rassura et luiredonna du courage. Dans la
mêlée, il reconnut Nuage deCerise et Nuage de Merle qui sebattaient côte à côte, cernés derats morts ou à l’agonie.
« Dehors ! » hurla-t-il ànouveau.
Griffe Féroce donna un ordreà Nuage de Cerise, qui voulutprotester : plusieurs rats enprofitèrent pour se jeter sur elle.Sous le choc, elle tituba puistomba dans la flaque de sang quis’étendait sous ses pattes. Sonmentor vint aussitôt à sonsecours et tenta d’arracher lesrongeurs qui s’agrippaient à son
pelage. Puis, il releva sonapprentie et l’entraîna à traversles hordes de rats qu’ilrepoussait rageusement de côté.Étoile de Feu fut soulagé en lesvoyant enfin atteindre la sortie.
Un instant, il crut qu’il nerestait plus que Tempête deSable et lui-même, mais sonregard fut attiré par unattroupement de rats, un peuplus loin : ils tentaient deretenir Pelage de Pluie,cramponnés à lui telles dessangsues. Le pauvre chat avaitbeau résister vaillamment, les
rongeurs étaient trop nombreux.Puis un rat, beaucoup plus grosque les autres, lui sauta à lagorge.
« Sors ! cria Étoile de Feu àl’intention de sa compagne. Jevais aider Pelage de Pluie !
— Je ne partirai pas sanstoi ! »
Pas le temps de discuter. Tousdeux foncèrent dans la mêlée,distribuant coup sur coup pourdégager le pauvre matou, déjàen piteux état, de cette massegrouillante. Quand il réussitenfin à se relever, un rat lui
planta les crocs dans la gorge, lesang gicla. Étoile de Feu tenta derepousser l’énorme rongeur,sans doute le chef, mais celui-cirésista, fermement agrippé à savictime. Puis Pelage de Pluiepoussa un atroce cri de douleuret tomba sur le sol, inerte.
Étoile de Feu voulut abattrecette immonde créature, maistoute force semblait l’avoirabandonné, lui aussi. La faiblelumière de la lune s’estompa etseuls les yeux perçants du ratrestaient fixés sur lui, emplis dehaine.
Puis Étoile de Feu plongeadans le noir et l’oubli.
CHAPITRE 33
CHAPITRE 33
ÉTOILE DE FEU OUVRIT LES
YEUX ; il baignait dans une pâlelueur. D’abord, il se crut encoredans la grange, mais le silencerégnait, et il n’y avait pas trace
de la puanteur des rats.Il réussit à se redresser et
reconnut la moussephosphorescente de la Grottequi Murmure. Le doux clapotisde la rivière parvint à sesoreilles.
Comment suis-je arrivéjusqu’ici ?
Puis il se rendit compte qu’iln’était pas seul. L’ancien chef duClan du Ciel se tenait assis unpeu plus loin.
« Salutations, Étoile de Feu. »Il commençait à comprendre.« Est-ce que j’ai encore perdu
une vie ? »Le vieux chef pencha la tête et
Étoile de Feu put distinguer lasilhouette rousse d’un autrechat juste derrière lui, dansl’ombre. Son pelage et ses yeuxverts scintillaient.
Étoile de Feu se reconnut lui-même et, profondément troublé,il vacilla sur ses pattes.
« Laisse-moi y retourner,supplia-t-il. Je dois absolumentaider Pelage de Pluie. Je doissauver le Clan du Ciel ! N’est-cepas ce que tu voulais ? »L’ancêtre avança vers lui. Son
odeur était un mélange de givre,de vent et de ciel nocturne.Étoile de Feu inspira, et sentitl’énergie revenir dans sesmembres épuisés et douloureux.
« Va, maintenant, murmurale vieil esprit Que ma forcet’accompagne. »
La lumière pâle s’évanouit etle rouquin resta suspendu uninstant dans le vide desténèbres. Puis il sentit une pattelui secouer l’épaule et il entenditla voix de sa compagne.
« Étoile de Feu ! Étoile deFeu ! Allons, lève-toi, les rats
arrivent ! »Il tourna la tête et comprit
qu’il était allongé dans l’herbe, àl’extérieur de la grange. Sonpelage était poisseux du sangécoulé de sa gorge ouverte.
Les rats accouraient déjà etTempête de Sable, aidée deFeuille Mouchetée, l’aida à serelever pour fuir vers l’arbre quise dressait au bord de la clôture.Les autres chats y étaient déjàperchés, seuls Nuage de Ceriseet Nuage de Merle l’attendaienten bas.
« Allez, grimpez ! insista la
jeune chatte. Nous, on sedébrouillera seuls.
— Non, on sera piégés !protesta-t-il en se débattant. Ilfaut passer de l’autre côté de labarrière.
— Impossible ! miaula Nuagede Merle. Tu as vu ? » Étoile deFeu se sentit de nouveaudéfaillir. Des hordes de ratsétaient agglutinées tout le longde la clôture et de la brèche parlaquelle ils étaient venus. Leursyeux brillaient de triomphe. Ilsavaient enfin piégé les chats etdisposaient de tout le temps du
monde pour les achever. Le seulendroit temporairement sûrétait cet arbre.
Il se hissa donc le long dutronc et s’installa sur unebranche. Regardant autour delui, il repéra Brin de Moustache,Griffe Féroce, Cœur de Girofle…
« Pelage de Pluie ? Où estPelage de Pluie ?
— Je suis désolée, murmuratristement Tempête de Sable.Pelage de Pluie n’a pas pu s’ensortir. »
Il voulut bondir à sonsecours. Sa compagne l’en
empêcha.« C’est inutile. Il est mort. Je
ne pouvais en sauver qu’un seul.Et il fallait que ce soit toi. »
Étoile de Feu se rappelacomment Pelage de Pluie et luiavaient sauvé Museau de Pétaleet comment ce brave matoul’avait empêché de tomber dansle ravin quand les rats avaientattaqué le camp, la veille. Il serappela le grand avenir qu’ilavait entrevu pour le guerriergris. Et voilà qu’il était mort. Lesrescapés du Clan du Ciel étaientpitoyablement perchés dans cet
arbre, pendant que descentaines de rats grouillaientjuste en dessous, attendant leurheure. C’était un échec sur toutela ligne. Il avait trahi son Clan,le Clan du Ciel, les ancêtres quil’avaient envoyé ici. Lecinquième Clan de la forêt seraitdétruit une fois de plus.
Découragé, il appuya sa têtecontre le flanc de sa compagne.
« Nous ne pouvons pasrenoncer ! » s’exclama FeuilleMouchetée.
Juchée sur une branche, unpeu plus haut, elle se penchait
vers eux, frémissante.« Allons-nous laisser Pelage
de Pluie mourir pour rien ?continua-t-elle. Les rats n’ontpas plus de droits que nous devivre ici. N’allons-nous pas nousbattre pour ce qui nousappartient ? »
Il leva la tête et vit son regarddéterminé, animé d’un feu etd’une énergie capables deredynamiser les troupes.
Des voix s’élevèrent,promettant de se battre jusqu’aubout, quel qu’en soit le prix.Même Brin de Moustache
approuva alors que ses yeuxreflétaient sa terreur.
« Nous formons un Clan,maintenant, déclara Cœur deGirofle. Et nous devons nousbattre pour lui !
— J’admire votre courage et jevais lutter à vos côtés. Vouspouvez disposer de toutes mesvies et de toute ma force si celapeut vous permettre de vaincreces rats ! » déclara Étoile deFeu, galvanisé.
Il surprit le regard interrogatifde Tempête de Sable et hocha latête. Ce soir, il n’était pas le chef
du Clan du Tonnerre mais unmembre du Clan du Ciel !
« Comment allons-nousfaire ? » demanda Patte Frêle.
Les rats attendaient toujoursà quelques pas de l’arbre, prêts àattaquer. Sans douteimaginaient-ils que la batailleétait terminée ? Ils achèveraientles derniers chats quand bonleur semblerait…
« Les rats fonctionnent engroupe, comme les abeilles ouune meute de chiens. La nuitdernière, ils ont cessé de sebattre et ont fait demi-tour tous
ensemble. Quelque chose lescontrôle. Leur chef, sans doute.
— Alors il suffit de le tuer,grommela Griffe Féroce enmontrant les crocs. Ensuite,tous les rats fuiront !
— Espérons-le, dit Étoile deFeu.
— C’est bien joli, tout ça !intervint Patte Frêle, maiscomment repérer le chef ? Ils seressemblent tous !
— Seul le chef connaît lalangue des chats, miaula lerouquin. Il suffit de le forcer àparler ! Il faut partir d’ici, sinon
on risque de rester coincés pourl’éternité. »
Il descendit le premier, suivides jeunes apprentis. Puisarrivèrent les autres, en silence.Il remarqua que les descendantsdu Clan du Ciel, Nuage deCerise, Nuage de Merle, Brin deMoustache et Griffe Féroce sepositionnaient autour de leursfrères de Clan, pour les protégers’il fallait rapidement retournerdans les branches.
Des mouvements se firentdans la masse des rats, qui seresserra autour d’eux. Étoile de
Feu leva la tête et lança :« Vous êtes courageux quand
vous êtes tous ensemble, maisseuls, vous seriez morts detrouille ! Je parie même quevotre chef si futé ne sehasarderait pas à se battre face àface ! »
Aucun rat ne bougea.« Lâches ! grogna Griffe
Féroce. Chair à corbeau ! Salevermine !
— Venez vous battre ! » lesdéfia Étoile de Feu.
Silence. La panique l’envahit.Le chef des rats semblait assez
intelligent pour ne pas semontrer.
Les chats se pressèrent contrel’arbre et les rats avancèrent. Ilsn’allaient pas tarder à attaquer !Les chats se battraient unmoment mais, tôt ou tard, ilsseraient dépassés par les forcesennemies. Une fois de plus, leClan du Ciel ne serait plus qu’unsouvenir.
Que puis-je faire ?Soudain une odeur familière
attira son attention. PetiteFeuille ? Il regarda autour delui, en vain. Une voix lointaine
lui souffla :« Pas beaucoup, juste un ! »Puis son odeur s’évanouit.Attends ! Je ne comprends
pas ! Comment Petite Feuillepouvait-elle prétendre qu’il n’yavait « pas beaucoup » de ratsici ?
Il observa la mer de rongeursqui s’étalait devant lui, ondulantcomme des vaguelettes sous lalumière de la lune. En fait, cescréatures ne formaient qu’ununique ennemi. Les ratsobéissaient aux ordres d’un seul,se transmettaient des signaux
invisibles, de petitsmouvements imperceptibles. Illui suffirait de chercher l’originede ces vaguelettes pour repérerleur chef.
Conscient de la présence deTempête de Sable à ses côtés,prête à bondir, il observal’immense tapis de fourrurenoirâtre qui s’étendait devanteux. Les rats semblaient prêts àcharger à tout instant. Ils’efforça de ne pas se focalisersur une paire d’yeux par-ci, unequeue nue par-là et les étudiacomme la surface uniforme d’un
lac.Un frisson lui parcourut
l’échine. C’était bien cela ! Lesondes concentriques partaienttoutes d’un seul point, le chef.Ses petits yeux méchants fixéssur les chats piégés au pied del’arbre, le rat donnait ses ordresen silence.
Étoile de Feu n’avait pas letemps d’expliquer au reste de lapatrouille ce qu’il s’apprêtait àfaire. Il avait une chance, uneseule, de ne pas avoir entreprisce voyage inutilement. Toutesses griffes dehors, il bondit dans
la masse de rats, posant sespattes sur leurs dos, leurs têtes,filant droit sur leur chef.
Des hurlements horrifiéss’élevaient derrière lui.
« Étoile de Feu ! » hurlaTempête de Sable.
Mais leurs voix furentétouffées par les cris stridentsdes rats qui se coulèrent sur luicomme une vague brune, pourle griffer et le mordre jusqu’ausang. Ignorant la douleur, Étoilede Feu se jeta à la gorge du chefet lui brisa la nuque. Dans sesyeux, il lut toute la haine du
monde, puis la terreur et enfinle vide.
Le rongeur tomba sur le sol.Inerte.
Étoile de Feu se figea surplace, les pattes gluantes desang. Les rats grouillaientautour de lui en poussant desgémissements de désarroi.
Leur chef mort, ils nesavaient plus que faire.
« Suivez-moi ! À l’attaque ! »hurla Griffe Féroce. Et soudain,tous les chats du Clanentourèrent Étoile de Feu,frappant les rats à coups de
griffe et de crocs. Piaillantd’horreur, les rongeurs battirenten retraite vers la grange,poursuivis par les félins quimassacraient sans pitié ceux quine couraient pas assez vite.
« Ne vous mettez pas entravers de notre route ! leur criaGriffe Féroce. La gorge est notreterritoire ! Nous tuerons tousles rats qui se risqueront à ymettre une patte ! »
Feuille Mouchetée fit signeaux autres de ne pas les suivredans la grange.
« Inutile, laissez-les partir !
miaula-t-elle. Ils ne sont plusdangereux. Plus pour l’instant. »
Elle retourna vers Étoile deFeu qui se tenait encore devantla dépouille de son ennemi.
« La bataille est gagnée,miaula-t-elle. Grâce à toi, leClan du Ciel est sauvé ! »
Quand les rats eurent fui,Étoile de Feu entra dans lagrange, accompagné de GriffeFéroce et de Feuille Mouchetée.Deux ou trois rongeursreniflaient encore le corps deleurs compagnons morts. Mais
quand ils remarquèrent laprésence des chats, ils sesauvèrent en couinant pour secacher dans le tas de déchets, àl’autre extrémité de la bâtisse.
Pelage de Pluie gisait sur lesol, entouré des cadavres dequelques rats, les griffes encoreenfoncées dans la gorge de l’und’entre eux. Son pelage gris étaitmaculé de sang et déchiré deplaies.
« Il est mort comme unguerrier, murmura FeuilleMouchetée.
— Nous allons le ramener à la
gorge et le veiller », miaulaÉtoile de Feu.
De retour au camp, ilspassèrent devant la pouponnièreet Écho d’Argent vint à leurrencontre.
« Enfin, vous êtes là ! »Puis, quand elle vit la
dépouille de Pelage de Pluie, lechagrin voila son regard.
« Je vais prévenir Museau dePétale, murmura-t-elle.
Lorsqu’il entendit desgémissements de désespoir,Étoile de Feu dit à Griffe Féroce
et à Feuille Mouchetée :« Allez-y, déposez-le au pied
du Grand Roc. Je vous rejoinsdans quelques instants. »
Il entra dans la pouponnièreet vit Museau de Pétale penchéeau-dessus de ses petits, les yeuxdans le vague. Écho d’Argent setenait à son côté.
« Je regrette, souffla Étoile deFeu. Il est mort comme unguerrier. »
Elle frissonna et tourna sonregard vers lui.
« Il est mort en protégeant cequ’il aimait le plus. Moi, ses
petits et son nouveau Clan. ȃtoile de Feu chercha des
paroles de réconfort.« Il chasse avec ses ancêtres,
maintenant. C’était un chat trèscourageux. C’est un honneurpour moi. »
Le soir, le Clan se rassemblaautour de la dépouille de Pelagede Pluie pour le veiller. Échod’Argent accompagna Museaude Pétale et ses deux petitsjusqu’à lui et tous les quatres’accroupirent en silence à côtédu mort.
Étoile de Feu se rappela laveillée d’Œil du Ciel, baignée desuperstitions. Il songea que,depuis, le Clan avait parcouruun bon bout de chemin. Leschats ressentaient un profondrespect et une douleur sincèredevant leur compagnon. Avecdésespoir, le rouquin se dit quesi Pelage de Pluie était resté endehors du Clan, il serait encorevivant.
Abattu, il grimpa sur le GrandRoc et s’assit, les yeux fixés surla gorge.
Une douce odeur l’enveloppa
– la seule qui puisse leréconforter, pour l’instant.
« Ne sois pas malheureux. Tuas sauvé le Clan du Ciel,murmura-t-elle.
— Et Pélage de Pluie est mort.— Je sais. Mais les chats du
Clan du Ciel ont pris leurspropres décisions et leursresponsabilités. Cette batailleles a unis comme rien d’autren’aurait pu le faire. La vie nepeut continuer sans la mort.Pelage de Pluie est mort commele plus grand des guerriers, endéfendant son Clan. Ses
ancêtres l’attendent sûrement. »Étoile de Feu ne répondit
rien. Des lunes passeraientavant qu’il oublie la vision dePelage de Pluie mort, entourédes cadavres de ses ennemis. Etc’était lui qui avait conduit lematou gris à sa perte.
CHAPITRE 34
CHAPITRE 34
LE SOLEIL PERÇAIT juste au-dessus de la falaise quand Étoilede Feu et Tempête de Sableredescendirent dans la gorge. Lecorps de Pelage de Pluie reposait
encore au pied du Grand Roc,mais les chats ne veillaient plus.Seule Museau de Pétale restaitprès de lui, ses petits endormiscontre son flanc. Écho d’Argentétait assise devant sa grotte,entourée de tas d’herbes, etexaminait les nouvellesblessures de Patte Frêle.
Étoile de Feu avait besoin desoins, lui aussi, mais l’arrivée deFeuille Mouchetée, avec son airinquiet, l’alarma.
« Que se passe-t-il ?— C’est Brin de Moustache. Il
veut quitter le Clan, retourner
chez ses Bipèdes. »Il passa devant elle pour
rejoindre aussitôt le petit groupede chats en pleine discussion.Griffe Féroce semblait furieux.
« Quoi ? Quelle idée decervelle de souris ! Tu es restéavec nous aux moments les plusdangereux et maintenant qu’ona montré à ces sales rats qu’onétait chez nous ici, tu veuxpartir ? Des abeilles tebourdonnent dans la tête, maparole !
— Je suis désolé, mais cetteattaque de rats m’a fait
comprendre que je n’étais pasfait pour la vie de Clan.
— Tu t’es pourtant comportécomme un vrai guerrier !protesta Étoile de Feu.
— Mais j’avais peur !Jusqu’aux racines de mes poils !
— Et tu t’imagines que nous,on n’avait pas peur ? »grommela Griffe Féroce.
Feuille Mouchetée s’approchadu matou et lui donna un petitcoup de museau.
« Ne sois pas fâché. On nepeut pas le forcer. »
Puis, se tournant vers Brin de
Moustache, elle ajouta :« Nous respectons ta
décision, mais nous aurionsaimé que tu restes.
— Tu vas nous manquer,miaula Nuage de Cerise.
— J’avais peur et jamais jen’aurais risqué ma vie poursauver le Clan, expliqua encoreBrin de Moustache, tête basse.Je suis un trouillard et unégoïste. Mais je ne peux rien ychanger.
— Non, tu n’es ni trouillard niégoïste, mais la vie de Clan neconvient pas à tout le monde. Il
faut que tu suives ta voie.— Alors je vivrai avec les
Bipèdes, miaula le matou enregardant tristement sescompagnons.
— On sera toujours tes amis,Brin de Moustache, commençaNuage de Merle.
— Ce n’est plus mon nom.Appelez-moi de nouveauTimide. Adieu, vous tous ! Jesuis vraiment fier d’avoir été unchat du Clan du Ciel.Sincèrement.
— Salut, dit Nuage de Ceriseen lui donnant une petite tape
sur l’épaule. Et débrouille-toipour que Oscar reste à sa place !
— Parle aux autres chats duClan des Étoiles », ajouta Nuagede Merle.
Feuille Mouchetée s’approchade lui.
« Bonne chance, Timide.N’oublie pas de venir nousrendre visite. Tu nous as aidés àsauver le Clan et tu serastoujours le bienvenu, ici. »
Le regard de Timide s’éclairaun peu.
« Je n’oublierai aucun d’entrevous, surtout toi, Étoile de Feu.
Tu m’as appris tant de choses !— Toi aussi, tu m’as beaucoup
appris. Que le Clan des Étoileséclaire ton chemin ! »
Les deux matous setouchèrent le museau et Timides’éloigna vers le territoire desBipèdes, la tête et la queuehautes, sans un regard enarrière.
« Et voilà ! soupira GriffeFéroce en le suivant des yeux.Le dernier épisode de notrebataille contre les rats.
— Non, miaula FeuilleMouchetée. Il reste encore une
chose à faire ! »Elle les entraîna dans la
grotte et se planta devant lesgriffures verticales des chats,rayées par les éraflures des rats.Dressée sur ses pattes arrière,elle se mit en devoir de grattertoutes ces traces pour effacerl’ancienne victoire des rats.
« Maintenant, la gorgeappartient de nouveau au Clandu Ciel », annonça-t-elle.
Les jours suivants, le ciel secouvrit de nuages gris. Une bisefraîche annonçait la pluie.
« Nous devrions partir
bientôt, murmura Tempête deSable en gonflant son pelagepour se protéger des morsuresdu froid. Ensuite, ce sera troptard pour dormir dehors ettrouver du gibier.
— On peut attendre encore unpeu, protesta Étoile de Feu.
— Crains-tu que le Clan duCiel ne puisse pas survivre sanstoi ?
— Non, ce n’est pas ça.— Les rats ne sont plus une
menace.— Je sais, mais ils ne sont pas
le seul problème. Les guerriers
vont-ils assez bien s’entendrepour organiser leurs patrouilleset se répartir les tâches ? Et leschats qui vivent avec lesBipèdes… Sans parler des proiesqui vont se faire rares avec lamauvaise saison.
— Tu devrais t’écouter, Étoilede Feu ! Tous les Clansrencontrent ce genre deproblèmes. Tous les chatsdoivent s’entendre pour suivrele code du guerrier et, s’ilsréussissent, ils seront ensécurité et bien nourris. Leschats du Clan du Ciel le savent,
désormais. Tu as fait ta part, tuleur as trouvé un guérisseur,dorénavant ce sera à eux de sedébrouiller ! »
Elle avait raison, une fois deplus. S’il attendait la certituded’une paix éternelle et d’une viefacile, il risquait de ne jamaisquitter la gorge. Il lui restaitpourtant encore une tâche àaccomplir.
« Nous ne pouvons pas partirmaintenant, miaula-t-il. Il fautd’abord s’assurer que le Clanpeut entrer en contact avec sesancêtres guerriers. Et le Clan
des Étoiles doit les aider àchoisir un chef. »
La chatte laissa échapper unlong soupir en agitant lesmoustaches.
« C’est vrai, après tout… Maisj’espère que cela se fera vite ! »
Tempête de Sable réveillaFeuille Mouchetée et Nuage deMerle pour partir en patrouille àl’aube. Après leur départ, Étoilede Feu regagna la grotte desguerriers.
« Patrouille de chasse ?suggéra-t-il.
— Je suis partant ! s’écriaPatte Frêle, enthousiaste.
— Moi aussi, si vous êtesd’accord ! ajouta Griffe Féroce,émergeant d’un coussin demousse.
— Je préférerais que tudiriges un autre groupe.J’aimerais emmener Nuage deCerise pour voir comment ellese débrouille sans son mentor. Ilest temps qu’elle et son frèresoient promus guerriers.
— Parfait ! Je pense aussiqu’ils sont prêts. Je vais prendreCœur de Girofle. »
Étoile de Feu emmena sapatrouille vers la rivière. Unvent glacé arrachait les feuillesdes arbres. Bientôt, la chasseserait plus pénible, mais commeles membres du Clan n’étaientpas encore très nombreux, lepeu de gibier suffirait. Il regardaNuage de Cerise sauter dans unarbre pour attraper un écureuilet fut impressionné par satechnique. Elle était largementprête à recevoir son nom deguerrière, mais il n’en dit rien. Ilvoulait que ce soit le nouveauchef du Clan qui s’en occupe.
Pourvu que le Clan des Étoilesse manifeste !
Quand ils revinrent au campavec leurs nombreuses prises,Écho d’Argent s’approchad’Étoile de Feu, intriguée.
« J’aimerais te parler. Peux-tuvenir dans ma grotte, uninstant ? »
La caverne fleurait bon lesherbes qui séchaient.
« J’étais en train de trier toutcela quand j’ai eu une espècede… de vision, commença-t-elle,presque gênée.
— C’était comment ?
demanda Étoile de Feu ens’efforçant de rester calme.
— Je cueillais des herbes et,soudain, j’ai ressenti uneimpression de sécurité, commesi des présences m’entouraientet veillaient sur moi.
— Continue.— Le soleil brillait et les
arbres étaient couverts defeuilles vertes. Le sol étaitpourtant parsemé de feuillesdont les contours se détachaientavec une précision inhabituelle.Je t’assure que ce n’était pas unrêve. J’étais éveillée tout le
temps. Est-ce que cela signifiequelque chose ou est-ce que jeme fais des idées ?
— Le Clan des Étoiles envoiedes signes pour une raisonprécise. À nous de les décrypter.Un soleil chaud, et pourtant untapis de feuilles…
— Feuille Mouchetée ! s’écriaÉcho d’Argent. Mes ancêtresguerriers voulaient me parler deFeuille Mouchetée ! »
Étoile de Feu frémit. Le Clandes Étoiles s’adressait à laguérisseuse : il approuvait doncson existence et la guiderait
durant les lunes à venir.« Ce Clan a besoin d’un chef
avant tout ! Tu penses qu’il mele désignait ? »
Il s’approcha d’elle enronronnant de satisfaction.
« Oui, en effet, murmura-t-il.Feuille Mouchetée sera le chefdu Clan du Ciel. »
Feuille Mouchetée posa laproie qu’elle tenait entre sescrocs, les yeux écarquillés desurprise.
« Moi ? Chef du Clan duCiel ? Écho d’Argent, des
abeilles te bourdonnent dans latête ! »
Dès que la patrouille futrentrée pour se reposer et senourrir, Étoile de Feu avait prisà part Tempête de Sable pour luiparler des signes. Puis Échod’Argent et lui étaient alléstrouver Feuille Mouchetée pourlui annoncer la nouvelle.
« Cela n’a rien à voir avecÉcho d’Argent, lui assura-t-il. Cesont vos ancêtres qui t’ontchoisie.
— Mais… mais je pensais quece serait Griffe Féroce ! »
Moi aussi, songea-t-il.« Oh, non ! Je ne peux pas
faire ça ! Non, vraiment, c’estimpossible !
— Moi non plus, je ne mesentais pas de taille à être chefde Clan, avoua Étoile de Feu.J’étais lieutenant et savais qu’unjour ce serait mon tour. QuandÉtoile Bleue est morte et que j’aidû la remplacer, je ne mesentais pas prêt du tout ! Mais leClan avait besoin de moi. Etaujourd’hui, le Clan du Ciel abesoin de toi.
Feuille Mouchetée réfléchit à
ces paroles, puis se tourna versÉcho d’Argent.
« Qu’en penses-tu ?— Nos ancêtres nous ont
envoyé cette vision. Je sais quec’est ton destin, FeuilleMouchetée.
— Mais je ne comprends rienà ces histoires d’ancêtres. Je nesais même pas s’ils existent ! Etd’ailleurs, pourquoi m’ont-ilschoisie, moi ? Je n’ai rien despécial !
— Oh, que si ! Crois-moi,Feuille Mouchetée, tu en escapable ! assura Étoile de Feu.
— Comment cela se passe-t-il,alors ? Je vais m’appeler Étoilede quelque chose et je vais avoirneuf vies ?
— Tu n’es pas encore chef, laprévint Étoile de Feu. C’est leClan des Étoiles qui va tedonner ton nom et tes neuf vies.
— Quand ? Comment ?— Ce soir. Les guerriers de
jadis veillent sur toi et nousallons les rencontrer ce soir. »
Sous la lumière pâle de lademi-lune, Étoile de Feuemmena Feuille Mouchetée et
Écho d’Argent sur le RocCéleste. Il s’interrogeait – nonsur le fait que FeuilleMouchetée avait été choisie, iln’y avait aucun doute à cela.Mais peut-être aurait-il dûemmener la chatte à la Grottequi Murmure pour sonintronisation. Comment savoir ?
« Que fait-on, maintenant ?demanda Feuille Mouchetéequand ils arrivèrent au sommet.
— Attendons. Les ancêtresviendront à nous.
— Tu es sûr qu’ils viendront ?Ne devrions-nous pas les
prévenir, d’une manière oud’une autre ? a s’impatientaÉcho d’Argent.
— Ils le sauront. Installez-vous à côté de moi », dit Étoilede Feu.
Feuille Mouchetée s’assit prèsde lui et Écho d’Argent prit placetout contre elle.
« N’aie pas peur, la rassura-t-elle. Je sais que nos ancêtres nete veulent que du bien.
— Il faut leur faire confiance,ajouta Étoile de Feu.
— Non. C’est en toi que j’aiconfiance », répondit la chatte.
Elle le fixa longuement de sesyeux argentés.
CHAPITRE 35
CHAPITRE 35
LES TROIS CHATS ATTENDIRENT
sur le Roc Céleste, balayé par levent glacé.
« Fermez les yeux »,murmura Étoile de Feu.
D’abord, ce ne fut qu’obscuritéet Feuille Mouchetée s’agita àcôté du rouquin. Peu à peu, ellese tranquillisa. Puis il la sentitdevenir froide, presque glacée.
Le sifflement du vents’évanouit.
Étoile de Feu ouvrit les yeux.Le Roc Céleste avait disparu,remplacé par une lande dont leslimites se fondaient dans unbrouillard épais. La lune,invisible par-delà les nuages,baignait la scène d’une lueurblafarde.
Non loin de lui, Écho d’Argent
cligna des yeux et redressa latête. Puis elle se leva et s’étira.
« Où sommes-nous ?demanda-t-elle. C’est commel’endroit dont j’ai rêvé la nuit oùj’ai dormi sur le Roc Céleste…
— C’est la lande où j’ai vu fuirle Clan du Ciel », expliqua Étoilede Feu en se levant à son tour.
Écho d’Argent regarda FeuilleMouchetée et posa doucementune patte sur son épaule. Elle nebougea pas.
« Elle est si froide… Elle n’estpas morte, n’est-ce pas ?
— Non. La même chose m’est
arrivée. Je crois qu’ilsremplacent son ancienne vie parles neuf autres qu’ils luiaccordent. »
Quelques instants plus tard,Feuille Mouchetée éternua,ouvrit les yeux et bâilla à s’endécrocher la mâchoire. Puis ellesembla prendre conscience deson environnement et se leva,encore un peu vacillante.
« Étoile de Feu, que se passe-t-il ?
— Tout va bien. C’est ici quetu vas rencontrer le Clan desÉtoiles. »
Au même instant, untourbillon de brume apparutdevant eux, révélant le vieilancêtre du Clan du Ciel. Sonpelage gris-blanc était commeperlé de diamants.
« Salutations ! dit-il. Je saispourquoi vous êtes venus.
— Salutations, miaula Échod’Argent, émerveillée.
— Je suis content de te revoir,dit Étoile de Feu ens’approchant à son tour. VoiciFeuille Mouchetée. C’est lachatte que tu attendais, n’est-cepas ?
— Oui. Je te remercie. Tu asfait de ton mieux pour reformeret protéger le Clan du Ciel.Maintenant, ses membresdoivent prendre leur destinentre leurs pattes.
— Comment FeuilleMouchetée peut-elle recevoirneuf vies, si tu es le seul chatprésent. Ne faut-il pas neufchats ? »
L’ancêtre s’approcha deFeuille Mouchetée.
« Crois-tu en ce qui va sepasser ?
— Euh… je suppose que oui,
balbutia-t-elle, incertaine. Entout cas, Étoile de Feu m’a ditque tu me donnerais neuf vies etje le crois. »
Une lueur de tristesse passadans le regard de l’ancêtre.
« Il faudra nous en contenter.Viens, je vais te donner tapremière vie. »
Feuille Mouchetée s’avançapour se placer face à l’ancêtre duClan du Ciel. Il baissa la tête etlui toucha le museau.
« Je te donne une vie pourl’endurance. Utilise-la à bonescient pour préserver ton
Clan. ȃtoile de Feu vit les membres
de Feuille Mouchetée secontracter et sa mâchoires’ouvrir sur un cri silencieux. Ilse rappela la souffrance terriblequ’il avait lui-même ressentieen recevant ses vies.
« Ça fait mal ? demanda Échod’Argent, compatissante. Onpeut l’aider ?
— Non, c’est à elle del’endurer seule. »
Feuille Mouchetée tremblaittandis que la douleur se retirait,mais elle resta debout sur ses
pattes.« Étoile de Feu ? Faut-il que
je subisse cela encore huit fois ?— Ne t’inquiète pas. Toutes
les vies ne font pas cet effet. »Elle lui jeta un regard de
reproche.« Tu aurais pu me prévenir !
J’aimerais qu’on en termine leplus vite possible.
— Ce ne sera pas long,promit-il.
— Oh, regarde ! Tu les vois,Feuille Mouchetée ? » demandaÉcho d’Argent en se retournant.
Un groupe de félins apparut
dans la brume. Ils entouraientles trois chats vivants etl’ancêtre du Clan du Ciel. Puisl’un d’entre eux s’avança. C’étaitŒil du Ciel. Pas le vieillardfragile qu’ils avaient connu dansla gorge, mais le guerrier fier etpuissant qu’avait vu Étoile deFeu dans son rêve.
« C’est toi, Œil du Ciel ?demanda Feuille Mouchetée.
— Sois la bienvenue ! Aveccette vie, je te donne l’espoir.Utilise-la à bon escient pourguider ton Clan. »
Une fois de plus, la chatte se
crispa tandis que la vie entraiten elle. Ce fut plus rapide etsans doute moins douloureux,car elle reprit rapidement sesesprits.
« Merci, murmura-t-elle.Merci pour tout ce que tu as faitpour mon Clan. »
Il recula vers les autres chatsnoyés dans la brume.
La chatte qui avançaressemblait étrangement àFeuille Mouchetée. Elle posaaffectueusement son museausur celle qui attendait, intriguée.
« Ma mère ! Mais tu es
morte… Je pensais ne plusjamais te revoir !
— Rien n’est perdu à jamais,ma chérie. Avec cette vie, je tedonne l’amour. Utilise-la à bonescient pour servir tous les chatsqui demandent ta protection. »
Cette fois, Feuille Mouchetéetendit le museau pour accueillircette vie avec joie. La souffrancequ’elle ressentit n’en fut queplus violente, car elle ne s’y étaitpas préparée. Quand ellecommença à s’estomper, samère lui lécha affectueusementle museau.
« Ne pars pas, murmuraFeuille Mouchetée.
— N’aie crainte, ma chérie. Jeviendrai te voir souvent dans tesrêves, c’est promis. »
Puis vint le quatrième chat.Une odeur familière, qu’il nes’attendait pas à trouver ici,troubla Étoile de Feu.
« Petite Feuille ?— Merci, Étoile de Feu. Je
suis si fière de toi ! Le Clan duCiel te doit tout et cela me vadroit au cœur.
— Sans toi, je n’aurais jamaisréussi », avoua-t-il.
Petite Feuille s’approcha deFeuille Mouchetée.
« J’ai été autorisée à venirjusqu’à toi. Avec cette vie, je tedonne le pouvoir de guérir lesblessures causées par les motset les rivalités. Utilise-la à bonescient pour les chats dontl’esprit est troublé.
Cette fois, Feuille Mouchetéene ressentit aucune douleur, etelle ronronna même de plaisir,comme un chaton repu.
« Merci, Petite Feuille. Étoilede Feu m’a tant parlé de toi. Jesuis très honorée de te
rencontrer enfin. »Quand elle se retira, le
brouillard s’estompa et ilspurent distinguer denombreuses silhouettes de chatsdisséminés dans la lande. Étoilede Feu frissonna de froid,comme si ses pattes trempaientdans l’eau glacée.
Écho d’Argent se pressacontre lui.
« Ils reviennent chez eux,souffla-t-elle. Tous les ancêtresdu Clan du Ciel. Je peux lesentendre. »
Le premier rang s’écarta pour
laisser passer quatre chats. Ilslui semblèrent familiers ;étrangement, ils neressemblaient pas aux autres. Ilss’avancèrent fièrement jusqu’àl’ancêtre, qui les regardait d’unair surpris.
« Étoile Rouge ! s’écria-t-ilquand le premier se présenta àlui, tête baissée.
— Je me suis trompé, il y a silongtemps de cela. Tout le Clandu Tonnerre se joint à moi pourte dire que nous regrettons ceque nous avons fait. »
Puis une chatte s’avança à son
tour.« Étoile de Bouleau ?— Le Clan de la Rivière te
présente ses excuses. Nousn’aurions jamais dû vouschasser. J’éprouvais de lacompassion pour vous, mais jen’ai rien fait pour vous défendre.C’est pire que tout ! Je suisdésolée.
— Je suis Étoile du Martinet,du Clan du Vent, déclara unmatou plus âgé. Je n’ai jamaisavoué à aucun chat que j’étaisdésolé. Mais je te le dis, à toi,maintenant : ce que nous avons
fait était une erreur.— Le Clan de l’Ombre
regrette, lui aussi. Nous avionsde bonnes raisons d’agir ainsi,mais je déplore d’avoir causéautant de souffrance.
— Merci, Étoile du Matin,répondit le chat du Clan du Ciel.Merci à vous tous.
— Rien ne réparera ce quenous avons fait, reprit ÉtoileRouge. Mais nous aimerionschacun offrir une vie aunouveau chef, si tu esd’accord. »
Le chat gris et blanc hocha la
tête.Étoile Rouge avança et toucha
le museau de FeuilleMouchetée.
« Avec cette vie, je te donne lasagesse. Utilise-la au momentdes décisions difficiles. »
Puis ce fut le tour du chef duClan de la Rivière :
« Avec cette vie, je te donne lacompassion et lacompréhension. Utilise-la pourles plus faibles de ton Clan. Etpour tous ceux qui ont besoin deton aide et de ta protection. »
À peine cette vie transmise,
Étoile du Martinet s’approcha.« Avec cette vie, je te donne
l’altruisme, déclara le meneurdu Clan du Vent. Utilise-la pourservir ton Clan. »
Puis ce fut le tour d’Étoile duMatin. Étoile de Feu fut étonnépar la beauté et la grâce de cettechatte, pourtant chef du Clan del’Ombre dont le comportementétait si discutable aujourd’hui.S’il en allait autrement jadis,peut-être ce Clan changerait-ilde nouveau…
« Avec cette vie, je te donne ladétermination. Utilise-la à bon
escient pour suivre ce que tuestimeras être le droit chemin. »
Le transfert de la huitième viese fit une fois de plus dans ladouleur, et l’effort exténuaFeuille Mouchetée au pointqu’elle tenait à peine sur sespattes.
« Le nouveau Clan du Cielvous honorera. Le cinquièmeClan est de retour. »
Les chefs hochèrent la tête ensilence puis se tournèrent versÉtoile de Feu.
« Tu as redressé le tort quenous avions fait, miaula Étoile
Rouge. Pour cela, nous teremercions.
— Nous pensions qu’il fallaitchasser le Clan du Ciel poursauver notre propre Clan, ajoutaÉtoile du Matin. Mais c’était uneerreur.
— Nous l’avons expiée par leremords, précisa Étoile duMartinet.
— Il aurait toujours dû y avoirun cinquième Clan dans laforêt », miaula Étoile deBouleau.
Que leur répondre ? Lorsqu’ilavait appris ce qui s’était passé,
il en avait voulu à ses ancêtresd’avoir si mal agi. Mais aprèstout, ils n’étaient que des chefscomme lui, prenant lesdécisions qu’ils pensaient lesmeilleures pour leur Clan.
« Je ne vous oublieraijamais », murmura-t-il.
Tous les meneurs seretirèrent, sauf Étoile Rouge.
« Les membres de ton Clanvont bien et t’attendent. Tamission ici est terminée. Tupeux rentrer chez toi,maintenant. »
Puis les huit chats du Clan
des Étoiles s’alignèrent, noyésdans la brume, et attendirent.
Étoile de Feu s’inquiéta. Quiallait accorder sa neuvième vie àFeuille Mouchetée ?
C’est alors que les chefss’écartèrent. Au loin accouraitun chat, ventre à terre, entouréd’étoiles qui virevoltaient autourde lui.
L’ancêtre du Clan du Ciels’avança, les yeux écarquillés desurprise. La chatte – puisqu’ils’agissait d’une magnifiquechatte au poil long et aux yeuxverts – s’approcha de lui et
pressa son nez contre le sien.« Aile de Colombe ! chuchota
le chef du Clan du Ciel.— Étoile de Givre ! ronronna-
t-elle. Je t’avais bien dit que je teretrouverais un jour !
— Et je t’ai promis det’attendre. Je n’en reviens pasque tu sois là, murmura Étoilede Givre en fermant les yeux debonheur.
— Je serai toujours là. Nousparcourrons les cieux ensemblepour l’éternité. »
Puis elle recula et présenta lesdeux autres chats qui étaient
discrètement arrivés.« Ce sont tes enfants,
expliqua-t-elle. Ils étaient troppetits pour voyager avec le Clandu Ciel et ont grandi dans leClan du Tonnerre. Pelage Zébréet Griffe d’Ajoncs ont choisi deparcourir ces cieux avec moi enl’honneur de leurs ancêtres duClan du Ciel. »
Étoile de Feu les considéraavec étonnement. Pelage Zébréressemblait étrangement àPetite Feuille. Griffe d’Ajoncs,quant à lui, avait la même allureet la même carrure qu’Étoile du
Tigre, son vieil ennemi. Sepouvait-il que le Clan du Cielsurvive au sein du Clan duTonnerre ? Petite Feuille etÉtoile du Tigre descendaient-ilstous deux d’Étoile de Givre ?
Il croisa le regard de PetiteFeuille. Elle semblait ravie.C’était sans doute vrai ! Pasétonnant qu’elle se soit autantimpliquée dans la destinée dunouveau Clan du Ciel !
Profondément troublé, Étoilede Givre s’approcha de sesenfants.
« Quand j’ai quitté la forêt,
j’ai juré que mon Clan neregarderait plus jamais vers lesétoiles. Désormais, nos ancêtrespourront de nouveau parcourirces cieux. »
Aile de Colombe s’approchade Feuille Mouchetée et luitoucha le museau.
« Avec cette vie, je te donne lafidélité. Utilise-la à bon escientpour servir ton Clan et tafamille. »
Alors apparut une petitechatte tigrée, qui s’avança versÉcho d’Argent.
« Je suis Patte de Biche,
annonça-t-elle. J’étais laguérisseuse du Clan du Cielquand ils ont quitté la forêt. Tuhabiteras ma grotte dans lafalaise et tu trouveras les herbesaux mêmes endroits que moi.Tes ancêtres t’ont choisie pourêtre la guérisseuse du Clan duCiel à partir de maintenant.
— Merci, murmura Échod’Argent. Je…
— Ne t’inquiète pas. Jeviendrai te voir dans tes rêves ett’apporterai mon aide jusqu’à ceque tu aies appris tout ce qu’il ya à savoir. Nous voyagerons loin,
ensemble, toi et moi.— Je serai prête pour notre
prochain rendez-vous. »Feuille Mouchetée regarda
autour d’elle, troublée.« Que se passe-t-il,
maintenant ? » demanda-t-elle àÉtoile de Feu.
C’est alors que les dernièrestraces de brume se dissipèrent,révélant un magnifique cielétoilé où trônait la lune. Leschats du Clan des Étoiles sedressèrent sur leurs pattes ets’élancèrent dans le ciel ens’écriant :
« Vive Étoile de Feuille ! ViveÉtoile de Feuille ! »
Étoile de Feu et Échod’Argent se joignirent à eux pouraccueillir le nouveau chef duClan du Ciel :
« Étoile de Feuille ! Étoile deFeuille ! »
La lumière autour d’euxdevint éblouissante, les a voixs’éteignirent. Lorsque Étoile deFeu rouvrit les yeux, il setrouvait accroupi sur le RocCéleste, près d’Écho d’Argent etd’Étoile de Feuille. La demi-lunebrillait toujours au-dessus
d’eux.Étoile de Feuille se leva,
vacillante, puis laissa échapperun long soupir.
« Merci, Étoile de Feu. Jen’aurais jamais imaginé…
— Tu sais que tu ne doisparler de cela à personne ? laprévint Étoile de Feu.
— Comment le pourrais-je ? Iln’existe pas de mots… Jecomprends, maintenant.
— Nous devrions descendre,proposa Étoile de Feu. Ton Clant’attend. »
CHAPITRE 36
CHAPITRE 36
« QUE TOUS LES CHATS EN ÂGE
DE CHASSER s’approchent duGrand Roc pour une assembléedu Clan ! » La voix d’Étoile deFeuille s’élevait au-dessus du
camp. Sa silhouette se découpaitsur le ciel d’azur. Le soleilchauffait les rochers etscintillait à la surface de larivière. C’était une journéemagnifique pour un premierrassemblement.
Étoile de Feu avait discutéavec elle des détails de lacérémonie, mais il ignoraitquelles seraient ses décisions.Pourvu que le Clan y adhère !
Maintenant, ils savaientqu’Étoile de Feuille étaitdevenue leur chef et leurenthousiasme faisait plaisir à
voir. Les petits de Cœur deGirofle couraient en tous sens,faisant trébucher tout le mondejusqu’à ce que Petite Puce glissesur une pierre mouillée,manquant tomber dans larivière. Griffe Féroce le rattrapajuste à temps.
« Reste avec ta mère,maintenant ! C’est une façon dese comporter, pour unapprenti ? »
Les petits retournèrentaussitôt auprès de Cœur deGirofle et ne bougèrent plus unemoustache. Museau de Pétale et
ses chatons vinrent se joindre àeux. Petite Sauge et PetiteMenthe regardèrent les plusgrands avec envie.
« On veut être apprentis,miaula Petite Menthe.
— Oui ! Pourquoi on ne peutpas être apprentis, nous ? gémitPetite Sauge.
— Vous n’êtes pas encoreassez grands, rétorqua Petit Rocavec un air supérieur qui fitsourire Étoile de Feu et Tempêtede Sable. Il va falloir que vousattendiez encore des lunes avantque cela vous arrive ! »
Nuage de Cerise et Nuage deMerle surgirent de leur grotte etvinrent s’asseoir à côté de laréserve de gibier. Patte Frêlevint les rejoindre et Échod’Argent finit par sortir de laGrotte qui Murmure pour venirs’asseoir à côté d’Étoile de Feu.
« Chats du Clan du Ciel,commença Étoile de Feuille, unefois tout le monde installé etattentif. Ma première tâche entant que chef est de désigner unlieutenant. J’annonce madécision devant le Clan desÉtoiles afin que l’esprit de nos
ancêtres l’entende et l’approuve.Je nomme donc Griffe Férocelieutenant de notre Clan. »
Le regard du matou exprimaità la fois la fierté et une étrangeincertitude. Il se leva et vintsaluer Étoile de Feuille.
« Je te remercie. Je seraihonoré de vous servir, toi etnotre Clan. »
Étoile de Feu se sentitsoulagé. La meneuse était poséeet sage, Griffe Féroce rusé etpuissant. Ensemble, ils feraientun excellent travail.
« Écho d’Argent ! continua
Étoile de Feuille. Nos ancêtrest’ont désignée commeguérisseuse du Clan. Nous tefaisons confiance et comptonssur toi pour nous soigner etinterpréter les signes que lesesprits de nos ancêtres nousenverront.
— Je promets de faire de monmieux, Étoile de Feuille.
— Et maintenant, ma tâche laplus importante ! annonça lechef. Faire de nos apprentis desguerriers. Griffe Féroce, notreapprentie Nuage de Cerise a-t-elle acquis les compétences
d’une guerrière et comprend-elle ce que signifie pour chaquechat le code du guerrier ?
— Oui, Étoile de Feuille !répondit solennellement GriffeFéroce. Et elle s’est battuecontre les rats comme unevaleureuse guerrière.
— Je peux en dire autant demon apprenti Nuage de Merle,ajouta Étoile de Feuille. Moi,Étoile de Feuille, chef du Clandu Ciel, j’en appelle à nosancêtres pour qu’ils se penchentsur ces apprentis. Tous deux sesont entraînés dur pour
comprendre les lois de notrenoble code. Ils sont maintenantdignes de devenir des guerriers àleur tour. Nuage de Cerise etNuage de Merle, promettez-vousde respecter le code du guerrieret de protéger et défendre ceClan, au péril de votre vie ?
— Oui ! s’écria la jeune chatteavec son enthousiasme habituel.
— Oui ! répondit son frère,d’un ton plus posé.
— Alors, au nom des pouvoirsqui me sont conférés par le Clandes Étoiles, je vous donne vosnoms de chasseurs. Nuage de
Cerise, à partir de ce jour, tut’appelleras Aile de Cerise. Nosancêtres rendent hommage àton courage et à ton entrain.Nuage de Merle, à partir de cejour, tu t’appelleras Plume deMerle. Nos ancêtres rendenthommage à ta bravoure et à taforce. Nous vous accueillonsdans nos rangs en tant queguerriers à part entière. »
Tous les chats les acclamèrentchaleureusement.
« Aile de Cerise ! Plume deMerle ! »
Puis, d’un geste de la queue,
Étoile de Feuille invita les troispetits de Cœur de Girofle às’approcher d’elle. S’efforçant decontenir leur surexcitation, ilsfirent quelques pas vers leurchef de Clan.
« Patte Frêle, tu as montrécourage et endurance, miaulaÉtoile de Feuille. Tu seras lementor de Nuage de Puce. »
Le chaton se précipitaaussitôt vers le matou qui leconsidéra avec fierté, très émud’avoir été choisi.
« Et toi, Aile de Cerise,continua Étoile de Feuille, tu es
une nouvelle guerrière, maistout le Clan a pu voir tondévouement. Tu seras le mentorde Nuage de Roc. »
Le petit apprenti sautillait dejoie en s’approchant de sonmentor et leva vers elle des yeuxpleins d’admiration.
Étoile de Feuille considéraenfin le dernier des chatons, quine tenait plus en place.
— Plume de Merle, toi aussitu es encore jeune. Mais tupossèdes d’excellentes aptitudespour la chasse et le combat. Jete fais confiance pour les
transmettre à Nuage de Perle. »La petite chatte blanche vint
dignement se ranger à côté dePlume de Merle, qui l’accueillitavec une incroyable dignité.
« Pour l’instant, continuaÉtoile de Feuille, tous lesguerriers entraîneront ensembleles apprentis. Nous sommes unnouveau Clan et nous devonsapprendre à compter les uns surles autres. Maintenant, il mereste une dernière chose à faire :avant qu’Étoile de Feu etTempête de Sable arrivent dansla gorge, nous menions des vies
séparées, en solitaires ou chezles Bipèdes. Nous ne savionsrien sur la vie en Clan ou sur lecode du guerrier. À présent,nous vivons ensemble et nousnous soutenons les uns lesautres. Étoile de Feu et Tempêtede Sable, nous vous remercionspour tout ce que vous avez faitpour nous. Vos noms seronthonorés à jamais par lesmembres du Clan du Ciel. »
Étoile de Feu se sentit pleinde fierté. Il se souvint de sesinquiétudes à l’idée de quitterson Clan, d’entreprendre ce
périlleux voyage. En voyant ceschats forts et enthousiastes,prêts à partager cettemerveilleuse aventure, il neregretta pas un instant sessoucis et ses souffrances.
Sa compagne vint frotter sonmuseau contre le sien.
« Il est temps pour nous derepartir, murmura-t-elle.Comme promis, nous avonsreformé le Clan du Ciel. Notrepropre avenir nous attend dansla forêt.
À l’idée de quitter ces chats,devenus ses amis, Étoile de Feu
ressentit un pincement au cœur.Ils avaient peu de chances de serevoir avant de se retrouver tousréunis dans le Clan des Étoiles.À condition de partager lesmêmes cieux…
Étoile de Feuille s’approchade lui.
« Alors ? Comment me suis-jedébrouillée ?
— C’était parfait. Le Clan duCiel est à toi, maintenant. Tun’as plus besoin de nous. »
Une lueur de tristesse embuales yeux d’Étoile de Feuille, maiselle ne tenta pas de les retenir.
« Ton propre Clan a besoin detoi, mais le Clan du Ciel ne vousoubliera jamais. »
Quand le reste du Clancomprit qu’Étoile de Feu etTempête de Sable allaient partir,ils se rassemblèrent autourd’eux pour prendre congé et leursouhaiter un bon voyage.
« Tu te souviens de notrepremière rencontre ? demandaAile de Cerise d’un airmalicieux. Tu nous as grondésparce qu’on se moquait d’Œil duCiel. Je pensais que je n’avaisjamais vu un chat aussi
dangereux ! Maintenant, moiaussi, je suis dangereuse !
— Pour rien au monde, je nevoudrais être un rat dans lesparages ! plaisanta Tempête deSable.
— Oui, il faudra vous méfierdes rats, conseilla Étoile de Feuau nouveau chef. Et des chatsdomestiques, aussi ! Oscarpourrait avoir envie de vouschercher des puces ! Et…
— Étoile de Feuille sait déjàtout ça ! l’interrompit sacompagne. Ils vont très bien sedébrouiller. Allons-y ! »
Sur ce, ils s’engagèrent sur lechemin de la falaise. Échod’Argent les accompagna jusqu’àsa grotte. Là, elle toucha leurmuseau, les yeux pleins deregrets.
« Peut-être nous reverrons-nous dans nos rêves, mais moncœur me dit que c’est là unadieu. Merci, Étoile de Feu. Tum’as aidée à trouver mon destin.
— Le Clan du Ciel a de lachance de t’avoir commeguérisseuse. »
Lentement, ils reprirent leurroute, non sans jeter un coup
d’œil en arrière, de temps entemps. Mille choses trottaientdans la tête du rouquin. Échod’Argent était-elle vraimentprête à assurer son rôle deguérisseuse ? Griffe Féroceaccepterait-il de limiter sonpouvoir à celui de lieutenant ?Les mentors inexpérimentéssauraient-ils s’occuper desjeunes apprentis ?
« Ne t’en fais pas, ronronnaTempête de Sable en lui léchantl’oreille. Il n’y a aucune raisonde s’inquiéter. Rentrons. »
Étoile de Feu laissa échapper
un long soupir. Sa quête étaitterminée. Il avait accompagnéles premiers pas du Clan du Ciel,il pouvait dès lors se rendre làoù était vraiment son cœur. Ilposa son museau contre l’épaulede sa compagne et ensemble ilsprirent la direction de la forêt.
ÉPILOGUE
ÉPILOGUE
LE GEL SCINTILLAIT SUR LES
B R A N C H E S dénudées quandÉtoile de Feu dévala le ravin, ilse sentait plein d’énergie,complètement remis du long
voyage qui avait pris fin troislunes plus tôt. Griffe de Ronceet Poil de Souris le suivaient : lapatrouille de l’aube revenait aucamp du Clan du Tonnerre. Tousavaient froid et faim, mais leurpelage les protégeait. Lesfrontières du territoire étaientpaisibles et la saison des feuillesnouvelles s’annonçait déjà.
— Allez vous chercherquelque chose à manger etreposez-vous, miaula Étoile deFeu en s’engageant dans letunnel d’ajoncs. Je veux quevous m’accompagniez tous les
deux à l’Assemblée ce soir. »Puis il traversa la clairière en
direction de la pouponnière, oùil repéra Nuage de Châtaigne,Nuage de Suie et Nuage de Pluieen train de se bagarrer dans lesfougères à côté de la tanière desapprentis. Cœur d’Épinesémergea du gîte des guerriers etappela Nuage de Suie. Lementor et son apprentidisparurent dans le tunnel.
À quelques pas de lapouponnière, Museau Cendrés’approcha de lui.
« Tout va bien ? demanda-t-il.
— Parfaitement bien, Étoilede Feu. Je viens juste de luiapporter un peu de bourrachepour l’aider à avoir du lait. »
Il laissa échapper un longsoupir de soulagement.
« Je n’arrive pas à y croire !Elles sont tellement belles !s’extasia-t-il.
— Alors, retourne donc lescontempler ! » le taquina-t-elle.
Lorsqu’il entra dans lapouponnière, il trouva Tempêtede Sable allongée sur un épaistapis de mousse et de bruyère.Deux minuscules chattes, les
yeux encore fermés, étaientblotties contre son ventre. L’uneétait tigrée avec la poitrine et lespattes blanches, l’autre d’unroux foncé comme Étoile de Feului-même.
Tempête de Sable leva la tête,un peu endormie.
« J’ai réfléchi à des noms,murmura-t-elle. Que penses-tude Petite Feuille et PetitÉcureuil ?
— Je trouve qu’ils leur vont àmerveille. »
En regardant les deux boulesde poils, il éprouva soudain une
bouffée de fierté. Il avait tantd’espoirs pour elles : de bonneschasses, du bonheur et peut-êtreun jour la direction de leur Clan.Quand bien même il avait été unchat domestique, ses fillesétaient de véritables chattes deClan. Sa descendance étaitassurée au sein du Clan duTonnerre.
Il se rappela soudain laprophétie d’Œil du Ciel. Ilsseront trois, parents de tesparents, à détenir le pouvoir desétoiles entre leurs pattes.
Ces chats puissants seraient-
ils les descendants des deuxadorables filles d’Étoile de Feu ?Cette prophétie était-elle unemise en garde annonçant ungrand bien ou un grand mal ? Ilfrissonna, puis secoua la têtepour chasser ces mauvaisespensées.
Cet ouvrage a été imprimé en janvier 2012
par
27650 Mesnil-sur-l’EstréeN°d’impression : 108784
Dépôt légal : décembre 2010Suite du premier tirage : février 2012
Imprimé en France