la fin de vie en débat - diocèse...
TRANSCRIPT
Mise à jour : 16-12-12
La fin de vie en débat1
Sommaire
La loi Leonetti
Réflexions
Depuis 33, la question est posée et se réfléchit : quelques repères
Résultats de l’enquête Ifop (du 4 au 13 septembre) pour « Pèlerin » à propos de la fin de vie
(loi Leonetti)
Résultats de l’enquête sur la fin de vie réalisée par l’Observatoire national de la fin de vie
Regard de Jean Leonetti sur la loi du 22 avril 2005
Soins palliatifs et loi Leonetti
Les soins palliatifs en France : quelques repères
Législations sur la fin de vie dans le monde : quelques repères
Apport de la philosophie
Regard du Pr Jean-François Mattéi sur la fin de vie
Paroles de médecins travaillant en gériatrie
Quelles pistes pour demain ?
Académie de médecine - Contribution à la « réflexion publique des citoyens, sur
l’accompagnement des personnes en fin de vie » (Mission Sicard)
Bibliographie
___
Loi Leonetti :
http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000446240
Réflexions
« Dans les débats en cours sur les questions de société, je suis frappé par le fait que l’on enferme vite les opinions dans les clivages stupides, notamment entre progressistes et rétrogrades. Ce clivage est indigne de la pensée humaine. Cela ne convient pas à ceux qui veulent réfléchir. Si l’on interdit à l’intelligence de penser, je crains que cela n’aille très mal. Benoît XVI nous a appelés à faire attention à ce piège. Je l’avais expérimenté au cours du dialogue sur les questions de bioéthique : des personnes ont été blessées par un tel débat intellectuel enfermé dans une dialectique fausse. Un tel clivage stérilise l’avenir de la société. »
Mgr Pierre d’Ornellas Archevêque de Rennes
« Ni la mise en avant des cas dramatiques ni la seule référence au ‘libre choix individuel’ ne doivent suffire à orienter la décision politique. Il faut au contraire s’interroger sur la société que l’on veut bâtir, sur l’attention qui doit être portée aux plus fragiles, aux plus souffrants, non pour leur offrir comme seule perspective une mort accélérée, mais au contraire pour leur permettre de vivre, jusqu’au bout, leur vie. »
Dominique Quinio Directrice du Journal La croix
1 Source principale : le quotidien La Croix.
2
« La loi Leonetti s’en tient à une aide passive à mourir. L’agonie, même sans souffrance, peut-être longue. Je souhaite qu’on puisse apporter une aide active à mourir dans ces situations extrêmes. »
« Le suicide, qui reste une liberté individuelle, ne doit pas relever de la médecine. »
Roger-Gérard Schwartzenberg2
« L’ADMD promet un avenir libéré de souffrance. Un tel fantasme est dangereux car il imposerait la toute-puissance de l’homme sur la vie. Nous plaidons pour une culture de la vulnérabilité, sans dolorisme. »
Tugdual Derville Délégué général de l’association Alliance Vita
Jésus face à sa mort…
« Par ses souffrances et sa mort, Jésus nous apprend que la souffrance et la mort ne sont pas des punitions pour nos fautes, car lui n’avait pas péché. Souffrances et mort font partie de notre condition humaine, elles ne sont pas un facteur d’indignité. Les tenants de l’euthanasie disent qu’il faut abréger les souffrances de l’agonie pour permettre au malade de mourir dans la dignité. Mais les souffrances de Jésus nous disent qu’elles ne sont pas facteur d’indignité, elles sont dignes de Dieu. Il nous faut apprendre à les accepter comme Jésus les a acceptées librement, alors qu’il aurait pu demander à son Père d’envoyer douze légions d’anges pour l’en délivrer (Matthieu 26, 53). Accepter, ne pas se révolter, refuser ce que l’on dit trop souvent : « Qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu pour qu’il m’envoie ça ? » ce n’est pas toujours facile. Pas plus qu’il n’est facile de réciter le « Notre Père » : « Que ta volonté soit faite ». Il n’est pas certain que Dieu ait voulu les malheurs qui nous arrivent, ils sont peut-être le fait de notre condition humaine, pourtant digne de Dieu. Mais rappelons-nous la prière de Jésus : « Père, si c’est possible, que ce calice s’éloigne de moi. Mais non pas ce que je veux, mais ce que tu veux.» Et ajoutons : « Je te fais confiance, parce que je sais que tu nous aimes. »
Jacques Arsac
Ma présence près du mourant n’est pas d’abord affaire de bon cœur de la part d’un individu, mais affaire de justice de la part d’une société qui a reconnu cette personne, à sa naissance, comme un de ses membres. Il l’a servie au cours de sa vie ; en retour, elle lui a donné comme à tous une existence humaine ; elle qui s’est montrée soucieuse de soins à lui apporter, comment pourrait-elle s’en « débarrasser » même légalement quand il est devenu inutile ou gênant pour de bons vivants, et comment les laisser en parler aussi aisément que bruyamment ?
P. Louis Pontais (a passé trente ans en Pastorale de la santé)
2 Il veut s’en tenir à une exception d’euthanasie et en aucun cas instaurer un « droit » à mourir.
3
Depuis 33 ans, la question est posée et se
réfléchit : quelques repères
1979 : Michel Lee Manda, écrivain, publie dans le journal Le Monde un article sur « le droit de mourir ». Il participe ensuite à l’Association pour le droit de mourir dans la dignité
(ADMD).
1984 : Le P. Patrick Verspieren décrit dans un article publié dans la revue Études des pratiques euthanasiques dans les hôpitaux.
1986 : Publication de la « circulaire Laroque » relative à l’organisation dans les soins et à
l’accompagnement des malades en phase terminale. Ce texte – le premier – officialise les soins palliatifs en France.
1991 : Le droit d’accès aux soins palliatifs comme une mission de service public est inscrit
dans la loi hospitalière votée.
1994 : Premières lois de bioéthique. L’une d’elles réaffirme l’interdiction toute atteinte à la
dignité de l’homme.
1998 : Les soins palliatifs connaissent leur premier plan de développement sur trois ans.
1999 : Première loi spécifique sur les soins palliatifs. La « loi Kouchner » pose le principe
d’un droit d’accès à l’accompagnement terminal ainsi qu’une limite à l’acharnement
thérapeutique.
2001 : Les Pays-Bas votent une loi sur l’euthanasie. 2002 : Une première loi est consacrée aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Le texte assure aux patients un droit d’accès aux informations le concernant, ainsi
que le respect de sa volonté et la possibilité de désigner une personne de confiance.
2003 : Après l’affaire Vincent Humbert, une mission est confiée aux députés. Elle est
présidée par le député socialiste Gaëtan Gorce. Son rapporteur est le député UMP Jean
Leonetti.
2005 : La « loi Leonetti » est votée à l’unanimité par les députés, sauf trois abstentions puis
par les sénateurs. Le texte autorise sous certaines conditions un traitement qui peut avoir pour
« effet secondaire » d’abréger la vie du patient.
Résultats de l’enquête Ifop (du 4 au 13
septembre) pour « Pèlerin » à propos de la fin
de vie (loi Leonetti)
1- Estimez-vous que la loi actuelle sur la fin de vie permet suffisamment :
a) d’atténuer les souffrances physiques ou morales
Non : 48% Oui : 37% Ne sait pas : 15%
b) d’éviter toute forme d’acharnement thérapeutique
Non : 59% Oui : 25% Ne sait pas : 16%
c) de respecter la volonté du malade concernant sa fin de vie
Non : 68% Oui : 19% Ne sait pas : 13%
4
2- L’euthanasie est une pratique visant à provoquer, sous le contrôle d’un médecin, le décès d’un individu
atteint d’une maladie incurable. Personnellement, êtes-vous favorable ou opposé à la légalisation de
l’euthanasie ?
Ensemble
Très favorable : 35% Plutôt favorable : 51% Plutôt opposé : 10% Très opposé : 4%
86% 14%
Catholiques pratiquants
Très favorable : 14% Plutôt favorable : 45% Plutôt opposé : 22% Très opposé : 19%
59% 41%
Catholiques non pratiquants
Très favorable : 35% Plutôt favorable : 56% Plutôt opposé : 8% Très opposé : 1%
91% 9%
Sans religion
Très favorable : 46% Plutôt favorable : 48% Plutôt opposé : 5% Très opposé : 1%
94% 6%
Aux 86% de Français favorables : Pour quelle raison principale êtes-vous favorable à la légalisation de l’euthanasie ?
a) en voulant maintenir en vie certaines personnes très gravement malades, on leur inflige
parfois des souffrances inutiles. 40%
b) l’euthanasie peut permettre de soulager la douleur des proches face aux souffrances des
malades. 6%
c) une vie trop dégradée par la maladie, le handicap ou le grand âge n’est plus une vie
digne. 18%
d) chacun a le droit de disposer de sa vie et de décider quand il a le droit de partir. 36%
Aux 14% de Français opposés : Pour quelle raison principale êtes-vous opposé à la légalisation de l’euthanasie ?
a) le risque de dérives est réel pression des proches, tentation de faire des économies pour
la Sécurité sociale, etc. 41%
b) c’est une lourde responsabilité pour les soignants. 11%
c) toute vie mérite d’être vécue jusqu’au bout. 19%
d) personne n’a le droit de décider d’ôter la vie ou de demander d’abréger la sienne. 29%
3- Avez-vous déjà accompagné un proche qui était en fin de vie jusqu’à sa mort ?
Oui : 61% Non : 39%
Diriez-vous ?
a) qu’il est mort paisiblement et sans souffrance. 44%
b) que ses souffrances n’ont pas été suffisamment soulagées. 40%
c) qu’il a subi des traitements qui l’ont fait souffrir inutilement. 16%
4- Personnellement, que redoutez-vous le plus vous concernant ?
a) ne plus être autonome physiquement 43%
b) être une charge pour vos proches 32%
c) la souffrance physique 29%
d) « perdre la tête » 25%
e) la solitude, ne pas être entouré par vos proches 12%
f) la pauvreté, le manque de moyens 10%
Total supérieur à 100, les interviewés ayant pu donner deux réponses.
5
5- Quand vous pensez à votre fon de vie, quelle place accordez-vous à la religion ?
a) aucune 47%
b) vous n’y avez pas vraiment réfléchi, vous verrez le moment venu. 33%
c) vous souhaiteriez être soutenu(e) et accompagné(e) spirituellement. 20%
Résultat de l’étude sur la fin de vie réalisée
par l’Observatoire national de la fin de vie
http://www.ined.fr/fr/ressources_documentation/publications/pop_soc/bdd/publication/1618/
L’étude porte sur l’analyse de 5.000 décès.
Elle rapporte que les décisions d’euthanasie (à la demande des malades) représentent 0,6%
des décès, dont 0,2 % sont pratiqués sous forme d’injection d’une substance létale.
Ce chiffre est qualifié d’« intéressant » par le Pr Aubry, président de l’Observatoire, car il
permet de prendre comprendre de l’« effet-loupe » lié à la forte mobilisation de quelques
situations particulièrement douloureuse. « Ce n’est pas parce que ces situations sont rares
qu’elles ne sont pas importantes, mais on sait désormais qu’elles sont exceptionnelles ».
Il ressort de cette étude :
- que si l’euthanasie alimente beaucoup de polémiques, dans les faits, elle est rarement
demandée par les malades.
16% émettent le souhait d’accélérer leur mort mais 1,8% font explicitement une demande
d’euthanasie à leur médecin.
Quant à la situation du médecin mettant fin par des médicaments aux jours d’un patient à la
demande de celui-ci, elle représente moins d’un cas sur 100, sachant qu’à l’heure actuelle la
loi française interdit cette pratique.
Au total, les actes d’euthanasie (c’est-à-dire à la demande du patient) représentent 0,6 % du
total des décès, dont 0,2 % sont pratiqués en administrant délibérément une substance pour
mettre fin à la vie (11 cas).
- que la mise en œuvre de la loi Leonetti reste très inégale. Quand les personnes étaient
considérées comme capables de participer à la décision, celle-ci n’a fait l’objet d’aucune
discussion avec le malade dans plus d’un cas sur cinq. Et lorsque la personne malade était
inconsciente, la décision d’arrêt de traitement a été prise par un médecin seul (sans
concertation avec d’autres professionnels) dans la moitié des cas. Or la loi Leonetti impose
une « collégialité » pour cette prise de décision.
- que les patients et leurs proches sont également ignorants de leurs droits. 2,5% de patients
pour lesquels une décision de fin de vie avait été prise avaient rédigés des directives
anticipées et à peine 38% avaient désignés une personne de confiance.
Pour le Pr Aubry, ces résultats sont juste une photographie de la réalité des décisions prises
par les médecins qui font face à la fin de vie de leurs patients. Photographie qui appelle à
réfléchir sérieusement à la façon de faire évoluer ces pratiques, non seulement avec les
professionnels, mais aussi avec les usagers du système de santé.
Observatoire National de la Fin de Vie : Rapport 2011 : « Fin de vie : un premier état des lieux
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/124000093/0000.pdf
6
Regard de Jean Leonetti sur la loi du 22
avril 2005
Jean Leonetti estime que cette loi, qui a été améliorée en 2008 après évaluation, peut l’être
encore, en se méfiant toutefois de vouloir une loi parfaite.
Deux voies peuvent être réfléchies :
1- Les « directives anticipées ». La loi prévoit qu’elle s’applique pour une durée de trois ans,
qu’elles sont réversibles à tout moment et qu’elles doivent être consultées par le médecin.
Un système plus contraignant pourrait exister. Jean Leonetti donne deux exemples :
- un malade ayant fait part de sa volonté de ne pas être réanimé après telle ou telle
complication grave pourrait bénéficier de directives opposables « sauf si » ; autrement dit, le
médecin serait tenu de les respecter, à moins de justifier de conditions tout à fait particulières
(la vulnérabilité, etc.).
- une personne apprenant qu’elle est atteinte d’Alzhzeimer pourrait fixer certaines limites et
donner des directives pour l’avenir, afin que les traitements qu’elle jugerait disproportionnés
ne soient pas entrepris.
2- Certaines situations particulièrement douloureuses après une réanimation. Jean Leonetti
donne deux exemples :
- un nourrisson très grand prématuré promis à une vie végétative
- un jeune cérébrolésé après un accident et sans espoir de retour à la conscience
Il précise : « En France, la démarche de réanimation est au bénéfice du doute, pour être sûr de
ne pas baisser les bras vis-à-vis de ceux qui pourraient s’en sortir. Le revers de cette approche
est de pousser parfois trop loin la réanimation dans les cas désespérés. »
Il ajoute : « Je ne crois pas qu’il soit responsable et éthique de rendre à sa mère un bébé dont
le cerveau comporte des lésions si graves qu’il ne pourra ni voir, ni marcher, ni penser, et
qu’il ne pourra jamais établir aucune relation. Dans ces cas dramatiques, il faut prévoir une
sédation terminale, qui, c’est vrai, est à la limite de l’euthanasie, mais se justifie car il n’est
pas question de laisser la personne mourir à petit feu durant une ou deux semaines après
l’arrêt des traitements. »
Il poursuit : « Toute vie mérite d’être vécue mais il y a des cas extrêmes. On peut
légitimement se demander si une vie sans relation, sans conscience et sans espoir
d’amélioration quelconque, sur un lit d’hôpital, avec un corps qui se délite est effectivement
une vie, sans même parler des conséquences que cela comporte pour l’entourage. »
Par rapport au modèle belge ou suisse
Jean Leonetti estime que l’on est « là dans un conflit de valeurs, entre une éthique de la vulnérabilité – veiller à protéger les plus faibles de la société, parfois contre eux-mêmes – et
une éthique de l’autonomie – fondée sur la liberté de décider pour soi-même, jusque dans la
décision ultime de vivre ou de mourir. »
Il pose cette question : « Sur quels critères fond-t-on « le droit à mourir ? »
- « si ce sont des critères médicaux, alors on se trouve en phase terminale d’une maladie
incurable et la loi de 2005 s’applique, éventuellement à travers le double effet (le soulagement
des souffrances du patient qui peut avoir pour effet secondaire d’abréger la vie).
- si le critère est la seule volonté libre, éclairée et réitérée, alors il s’agit d’un suicide assisté.
On se retrouve dans un système à la Suisse, où 30% des personnes mortes après ce type
d’assistance ne souffraient pas d’une maladie mortelle. On institutionnalise un ‘droit
7
opposable’ à la mort, avec toutes les conséquences que cela comporte vis-à-vis des plus
vulnérables d’entre nous. »
Soins palliatifs et loi Leonetti
Lors d’une récente conférence de presse à Paris, le nouveau président de la Société française
de soins palliatifs (Sfap), Vincent Morel, médecin responsable d’une équipe mobile au CHU
de Rennes, a déclaré que « la question de la fin de vie est d’abord une question de qualité de
soins. Il serait paradoxal qu’on en vienne à dépénaliser l’euthanasie parce que les patients
n’ont pas accès aux soins palliatifs auxquels ils ont droit ! » Selon lui, il est aujourd’hui
possible de « soulager toutes les douleurs » et « lorsqu’un patient exprime une demande
d’euthanasie, une bonne prise en charge permet de la faire disparaître, dans la grande majorité
des cas. » Il a constaté que lorsque la demande persistait, l’on sortait du champ de la
médecine : « Ces patients veulent anticiper des symptômes qu’ils n’ont pas encore. Leur
requête ne relève pas du soin mais du suicide assisté ».
Il propose trois pistes pour améliorer la moi Leonetti de 2005 :
renforcer le système des directives anticipées par une campagne d’information grand public
et l’enregistrement sur la carte Vitale ;
permettre aux infirmières de déclencher la procédure collégiale (la réunion de toute l’équipe
pour débattre d’une décision délicate concernant un patient en fin de vie) :
garantir un « droit à l’antalgie afin que les malades puisent exiger d’être soulagés d’un
symptôme qu’ils jugent insupportable.
Pendant cette conférence de presse, Vincent Morel dresse également un bilan du Plan de
développement des soins palliatifs 2008-2012 qui se termine :
- La création de 27 unités supplémentaires de soins palliatifs (USP) durant ces cinq ans (mais
cela reste insuffisant).
- Un dispositif marqué par :
une inégalité de répartition des structures (70 lits d’USP concentrés en 5 régions) ;
une diminution des budgets des réseaux de soins palliatifs (essentiels au maintien des
personnes à domicile) ;
une prise en charge souvent beaucoup trop tardive ;
etc.
Il souhaiterait voir le gouvernement développer les soins palliatifs dans trois directions :
en priorité, cibler le champ médico-social ;
permettre le maintien à domicile (70% des personnes souhaitent mourir chez elles
aujourd’hui) ;
apporter une attention particulière aux personnes âgées (par exemple : de meilleurs liens
entre les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes [Ehpad] et les
structures de soins palliatifs).
Les soins palliatifs en France : quelques
repères
Lieux de décès en France en 2008 : 543.149 décès en France, survenus principalement :
à l’hôpital (57%),
dans une maison de retraite (10,9%),
au domicile (26,7 %)
8
ou dans un autre lieu (5 %).
L’Observatoire de la fin de vie a constaté que la part des décès à l’hôpital a très légèrement
décru (– 0,4%).
1- Les unités de soins palliatifs (USP)
- Elles sont passées de 30 en 2001 à 108 en 2010.
- Il s’agit généralement de structures d’une dizaine de lits, destinées à prendre en charge les
situations les plus complexes.
- L’ensemble des régions françaises dispose d’au moins une USP mais leur répartition reste
inégale sur le territoire. Les deux tiers d’entre elles sont concentrées dans cinq régions : Paca,
Rhône-Alpes, Bretagne, Nord-Pas-de-Calais et Île-de-France.
2- Les lits identifiés
- Ils sont au nombre de 4.826 lits identifiés de soins palliatifs contre 232 en 2001.
- Ces lits se trouvent dans les services de soins et permettent d’y maintenir les patients en fin
de vie.
- On note également de fortes disparités régionales au niveau de leur implantation : 4,6 lits
identifiés pour 100.000 habitants en Franche-Comté contre 17,6 dans le Limousin.
3- Les équipes mobiles
- Elles sont passées de 265 en 2001 à 353 en 2010.
- Elles ont pour mission d’apporter une aide, un soutien et une écoute aux soignants qui
prennent en charge des patients en fin de vie dans les autres services.
- « La répartition interrégionale et le maillage territorial de proximité apparaissent
globalement satisfaisants, malgré des disparités évidentes », selon le rapport du Comité
national de suivi du développement des soins palliatifs (avril 2011).
4- À domicile
Il existe actuellement 124 réseaux de soins palliatifs à domicile en France, dont 17 en Île-de
France. Ils interviennent en soutien des familles et des professionnels.
Françoise Ellien, (présidente de Respalif – Fédération des réseaux de soins palliatifs à
domicile en Île-de-France) – et psychologue), estime qu’« Il y urgence à développer les soins
palliatifs à domicile. Dans un contexte où 70% des Français désirent finir leurs jours chez eux
alors que le même pourcentage d’entre eux décède à l’hôpital, il nous faut d’urgence renforcer
l’offre de soins palliatifs au domicile, avec l’aide des services infirmiers au domicile
(SSIAD), de l’hospitalisation à domicile (HAD) et des réseaux de soins palliatifs qui offrent
un appui et une expertise aux professionnels de santé et du social. »
Selon le Dr Édouard Ferrand, responsable de l’unité de soins palliatifs à l’hôpital Foch à
Suresnes, 42% des personnes hospitalisées3 ne nécessitent pas de traitements curatifs mais des
soins palliatifs
Jean Leonetti estime que le développement des soins palliatifs à domicile est une piste à
creuser.
3 Il cite les patients atteints d’une maladie incurable, ceux en perte d’autonomie grave, ceux avec un pronostic de
survie inférieur à un an, et ceux enfin qui expriment un refus de soins ou une demande de mourir.
9
Législations sur la fin de vie dans le monde :
quelques repères
1) Les pays qui ont légalisé
Pays-Bas (2001)
Le texte néerlandais pose comme condition que le geste soit pratiqué uniquement par un
médecin, après avis d’un confrère indépendant, sur un patient de plus de 16 ans, conscient et
victime de « douleurs insupportables et sans perspectives d’amélioration », ou sur un patient
inconscient mais qui a déposé une demande anticipée. L’euthanasie est aussi possible pour les
jeunes à partir de 12 ans, à condition qu’ils soient conscients au moment de l’acte et sous
réserve de l’accord des parents. 45% des demandes sont accordées, en raison de la réticence
des médecins.
Le dernier rapport de la commission de contrôle recensait 4.050 actes pour l’année 2010, soit
2,8% des décès annuels.
Devant la réticence des médecins, l’association « Pour une fin de vie libre » (NVVE) a mis en
place un système de « clinique mobile de fin de vie ». Depuis le 1er
mars 2012, six équipes
mobiles constituées d’un médecin et d’une infirmière prennent en charge, dans les différentes
régions du pays, les malades incurables qui souhaitent mourir, mais qui n’ont pas pu y être
aidés. Les partisans de l’euthanasie militent aujourd’hui pour l’instauration d’un véritable
« droit à choisir sa mort », y compris dans le cas de personnes âgées qui, sans être malades,
sont « lasses de la vie ». Ils ont déposé en 2011 au Parlement une proposition de loi dans ce
sens, qui encadrerait « l’aide à mourir aux personnes âgées » et donnerait un statut au métier
de « personne qui aide à mourir », afin « d’élargir » une responsabilité réservée une
responsabilité réservée jusque-là aux seuls médecins.
Belgique (2002)
1.133 cas ont été enregistrés en 2011, soit 1% des décès.
Luxembourg (2009).
Suisse. Le suicide assisté est toléré depuis 1941, en vertu de l’article 115 du code pénal :
l’assistance n’est répréhensible que si elle est motivée par un « mobile égoïste ». Trois
associations pratiquent l’assistance au suicide.
La Confédération helvétique estime que ce système fonctionne. Au vu des sondages et votes
locaux, cette pratique semble intégrée dans les mœurs helvétiques.
Plus controversée, la question des étrangers qui viennent mettre fin à leurs jours en Suisse.
De 1998 à 2011, Dignitas, unique organisation à accepter ces candidats, a organisé 1.169
décès, dont une majorité d’Allemands, suivis de Britanniques et de Français. Cette situation
embarrasse d’autant plus les autorités que les suicides se déroulent dans des conditions parfois
épouvantables. Face à certaines dérives, le débat sur la nécessité de mieux réglementer et
surveiller les organisations d’aide au suicide revient régulièrement. Après le gouvernement en
juin 2011, c’est le Parlement qui a refusé le 26 septembre de renforcer les contrôles, estimant
que le système actuel suffisait4. La ministre de la justice a toutefois rappelé la volonté de la
Confédération d’améliorer la prévention du suicide pour les jeunes et les personnes
dépressives, ainsi que de développer les soins palliatifs.
2) Les pays qui autorisent ou tolèrent des formes d’aide à la mort
Suède. Depuis 2010, un patient peut demander l’arrêt d’un traitement qui le maintient en
vie.
4 Le canton de Vaud a adopté une loi, en juin dernier, visant à encadrer davantage le suicide assisté dans les
maisons de retraite et les hôpitaux. Zurich pourrait suivre.
10
Allemagne. Le code de déontologie médicale interdit aux médecins de pratiquer le suicide
assisté. Les principes fondamentaux de l’accompagnement médical sont proches de ceux de la
France, et les arrêts de traitement sont encadrés par la loi.
Royaume-Uni. L’interruption des soins dans certains cas est autorisée depuis 2002. Un
jugement rendu en 2010 rend moins probable les poursuites contre les personnes ayant aidé
un proche à se suicider, si la justice peut établir que son motif était la compassion, et si le
malade en a exprimé son intention, par écrit.
Danemark, Espagne, Portugal, Hongrie, République tchèque. Un malade a le droit de
refuser les soins.
États-Unis. La législation sur la fin de vie est du ressort de chaque État. L’Oregon, l’État de Washington et le Montana ont adopté des lois sur la fin de vie.
Argentine (mai 2012) et le Mexique (2008). Ils ont légalisé le refus de l’acharnement
thérapeutique.
3) Les pays qui interdisent toute aide à la mort
Italie, Grèce, Roumanie. L’euthanasie est considérée comme un homicide, même à la
demande du malade, et passible de peines de prison. Le suicide assisté est un délit.
Irlande. Toute forme d’assistance à la mort ou de suicide est illégale.
Pologne. L’euthanasie est passible de peine de prison. Une jurisprudence récente fait état de
cas pour lesquels le tribunal a renoncé à requérir une peine, ou l’a atténuée.
Canada. L’assistance au suicide est interdite.
Australie. L’aide au suicide est considéré comme un crime, mais des poursuites ne sont
généralement pas engagées.
Apport de la philosophie
1- À partir du mot « dignité »
Il est aujourd’hui compris de bien des manières.
a) Une première conception : la vie biologique est, en elle-même, porteuse de dignité (c’est
le courant du vitalisme, pour lequel la vie elle-même nous imposerait de respecter jusqu’au
bout sa logique de résistance aux forces qui s’opposent à elle). Le geste euthanasique n’est
donc jamais légitime puisqu’il consiste à interrompre volontairement la vie biologique.
b) Une seconde conception : la dignité est attachée au fait d’être humain. « Il y a une
dignité intrinsèque, inhérente, à l’être humain » (Jacques Ricot). « L’humain ne peut pas être
autre chose qu’être digne, et ce quel que soit son état, l’idée qu’il se fait de lui-même, sa
déchéance ou même ses manquements à l’éthique. » Cette position se retrouve dans la
Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, qui reconnaît « la dignité inhérente à
tous les membres de la famille humaine ». Le geste d’euthanasie est ici refusé, parce que si
l’homme peut perdre sa décence, il ne « peut pas perdre sa dignité » (Jacques Ricot).
Damien Le Guay (Philosophe, vice-président du Comité national d’éthique du funéraire)
La « dignité n’appartient à personne en particulier. Elle est une qualité, non une modalité. Une
exigence de tous, non une revendication particulière. Un horizon éthique, non une interruption
volontaire (…)
11
Quand l’horizon semble bouché, à jamais obscurci, le devoir d’humanité consiste à le
déboucher ensemble, à l’ouvrir sur des possibles. L’avenir appartient-il à ceux qui ne s’en
soucient guère ou, aussi, à ceux qui sont condamnés à ne plus en avoir beaucoup ?
Quand le malade se replie sur lui-même dans une détresse sans fond, faut-il le laisser glisser
de plus en plus vite ou, au contraire, nouer avec lui un dialogue, laisser apparaître une
empathie, une patience partagée, un désir – celui qui donne envie d’avoir d’autres désirs,
d’autres envies, d’autres plaisirs ? Ne pas laisser seul celui qui souffre. Être là. Répondre :
‘Me voici’. Là est, nous dit Emmanuel Levinas, le propre de la ‘vocation humaine’ quand ‘le
visage me regarde et m’appelle’. (…)
Le risque n’est pas mince de ‘sacraliser’ le ‘désir de mort’ des malades, sans trop pouvoir
entrer en dialogue avec eux pour mieux le mettre en perspective. Second risque : favoriser la
toute-puissance meurtrière de certains (…)
En ces sujets, il n’est pas de solutions parfaites. Gagner et perdre vont ensemble. Encore ne
faut-il pas, par trop de raideur, perdre cette confiance vigoureuse, valorisante, combative,
cordiale et collégiale qui permet un vrai accompagnement. Perdre cela en faveur d’une
indifférence respectueuse ou d’un abandon légal.
Le débat est entre un surcroît de liberté et un aménagement de la fraternité. »
2- À partir du mot « personne »
a) Kant définit la personne à partir de qualités – « être doué » de conscience, de volonté, de
raison –, et de capacités – « être capable » de délibérer, de décider, de communiquer.
Aussi, quand je ne sois plus « doué de » conscience ni « capable de » décider, est-ce que je
cesse d’être une personne ?
b) Un autre courant, qui s’est forgée tout au long de l’Antiquité et du Moyen Âge chrétien, considère que la personne « n’est pas avant tout constituée de qualités, mais de relations ».
« La reconnaissance réciproque est première. » « Chaque personne est ‘instituée’ comme telle
par une relation ».
Dans le cas d’un coma profond par exemple, « La question pertinente n’est plus de se
demander si cet être humain est bien une personne, mais s’il doit ou non être traité comme
une personne » (Jean-Marc Ferry).
D’autres philosophes envisagent qu’un être humain puisse perdre sa dignité, mais ils le font
avec prudence.
Pour Alain Renaut, « La dignité de l’homme ne se situe ni dans une nature ni dans des
capacités, mais « dans une manière d’être au monde ». L’homme est irréductible à tout trait
naturel ou culturel et se caractérise par sa capacité d’arrachement à toute identité. Cette
conception ouvre, en l’entourant de strictes conditions, la possibilité de l’euthanasie, « si je ne
peux plus me représenter moi-même comme possédant une part, si faible soit-elle, de cette
dignité qui consiste dans la liberté comme irréductibilité à son être. » Dans un tel cas, Alain
Renaut pense qu’il puisse être « mis fin à une vie biologique qui est déjà devenue une mort de
l’homme ».
12
3- À partir du mot « liberté »
Un courant revendique l’idée d’une « souveraineté absolue de l’individu sur lui-même »,
souveraineté qui ne peut être limitée « que par ses propres décisions ». « Il faut laisser chacun
être acteur de sa maladie et de sa mort. » (Jean-Yves Goffi). « On ne peut pas déposséder les
gens de leur décision de mourir. C’est une façon d’exercer son dernier pouvoir. »
Olivier Abel est dubitatif sur le fait que l’homme puisse suffire à faire de sa mort un libre
choix. Pour lui, « La mort n’est pas un acte, mais le consentement à autre chose et j’y suis
passif. »
« ‘Je ne peux pas mourir’ : ce n’est pas une possibilité pour le sujet, mais une altérité qu’il
rencontre. » (Emmanuel Levinas).
4 À partir de plusieurs points de vue sur le mot « dignité »
Mark Hunyadi : « Il ne faut pas se contenter de la façon dont la dignité est définie et attribuée
par des tiers, même si elle est absolument nécessaire, mais il faut aussi tenir compte de la
façon dont la dignité se vit, s’éprouve, par chacun, du point de vue du “je”. »
À ses yeux, la combinaison de ces deux points de vue éviterait de butter contre un
individualisme forcené, qui estime que chacun n’a de compte à rendre qu’à lui-même, et une
dignité plaquée de l’extérieur que les mourants ne parviennent parfois plus à faire leur.
Regard du Pr Jean-François Mattéi sur la
fin de vie5
1- À propos du mot « humanité »
« Il est clair qu’aujourd’hui, nous vivons dans une société qui a érigé en valeurs suprêmes
l’individualisme et le culte de la performance. Ce qui conduit certains à poser plus ou moins
ouvertement la question : garde-t-on le statut de personne humaine au fur à mesure qu’on perd
un certain nombre de ses qualités physiques ou intellectuelles ? S’interroger ainsi, c’est déjà
fixer une limite à ce qui fait l’humanité de chacun d’entre nous. Comme si cette humanité
pouvait être une question de performances ou de vulnérabilités.
Je crois que notre société occidentale serait bien inspirée d’aller regarder ce qui se passe
ailleurs, en Chine ou en Afrique par exemple. Là-bas, la prise en charge du vieillissement et
de la perte d’autonomie par le groupe est érigée comme une valeur indiscutable. Dans ces
cultures, vieillir n’est pas vécu comme un chemin vers la déchéance mais comme une source
de richesse et de sagesse. Et une obligation de solidarité qui s’impose à tous, comme une
évidence. »
« Nos hôpitaux actuels n’ont plus rien à voir avec les hôtels-dieu qui, au Moyen Âge, avaient
pour mission première d’accueillir les plus malades mais aussi les plus vulnérables.
Aujourd’hui, l’hôpital est devenu un lieu de soins spécialisés et hautement techniques. On ne
5 Interview dans La Croix, 17-10-12.
Le Pr Jean-François Mattéi, pédiatre, est président de la Croix-Rouge française, membre fondateur de l’Espace
éthique méditerranéen qu’il a créé en 2004. Il a été ministre de la santé (2002-2004), député des Bouches-du-
Rhône (1989-2002), et a dirigé le département de génétique médicale au CHU de Marseille.
13
peut pas regretter cette évolution car elle a été à la source de progrès médicaux formidables.
Le problème est que, dans le même temps, nous n’avons pas mis en place suffisamment de
structures médico-sociales de relais pour prendre en charge tous ceux qui, sans avoir besoin
d’une médecine sophistiquée, nécessitent du temps, de l’écoute et de la bienveillance. »
2- À propos du mot « dignité »
« Je fais partie de ceux qui estiment que la dignité est consubstantielle de la vie humaine :
qu’elle existe dès que la vie apparaît et ne disparaît qu’avec la mort. Même la personne la plus
affaiblie, amoindrie, la plus « humiliée » reste digne jusqu’au bout. Ceux qui veulent légaliser
l’euthanasie placent la liberté comme la valeur suprême, celle de dire : « À tel moment de ma
vie, je suis digne et à tel autre, je le suis moins ou je ne lui suis plus du tout…» Mais la dignité
n’est pas une question d’appréciation personnelle ; ce n’est pas une valeur à géométrie
variable ou biodégradable. La dignité ne s’efface pas avec la perte d’autonomie ou avec la
perte de son libre jugement. Car c’est le fait même d’être humains qui nous rend dignes. Cette
position ne doit bien sûr pas nous faire oublier le devoir de tout médecin de soulager les
souffrances de son patient et d’éviter l’acharnement thérapeutique. Mais de façon plus large et
au-delà de la fin de vie, je pense que cette manière de brandir la liberté comme valeur
suprême est assez révélatrice de l’esprit d’individualisme qui anime notre société
aujourd’hui. »
« Cette revendication permanente de ses droits finit par construire une société nourrie par
l’égoïsme et l’individualisme. Cette valeur de liberté, censée prévaloir sur toutes les autres,
sépare en fait les individus : chacun a sa propre liberté, ses propres choix, sa propre
autonomie. Cela ne peut qu’encourager selon moi le délitement du lien social dans notre
société et nous faire oublier que ce qui nous rend humain, c’est ce lien avec les autres.
3- La vocation du médecin
« Ce débat intéresse toute notre société mais aussi et avant tout les médecins. Si un jour, on
devait légaliser une « aide active à mourir », ce que je ne souhaite pas, c’est à eux qu’on
demanderait de jouer ce rôle d’exécuteurs ». Et, pour moi, un médecin n’a pas vocation à
jouer ce rôle d’exécuteur. »
Paroles de médecins travaillant en
gériatrie
Deux logiques s’entrechoquent à un moment donné :
- celle du médecin qui parle de soins, de traitements, parfois même d’avenir
- celle de la personne âgée, fatiguée de vivre. « Ce n’est pas la peine de vous fatiguer,
docteur. Je n’ai plus envie de vivre. Ce que je veux, c’est juste qu’on me laisse tranquille. »
Dr Philippe Taurand : « Il peut arriver que, ponctuellement, certains patients demandent qu’on
les aide à mourir. Mais il faut toujours rester prudent face à ces sollicitations qui sont souvent
fluctuantes. Nous avons tous connu des personnes qui, un jour, veulent mourir et qui,
quelques jours plus tard, ne le souhaitent plus du tout. »
Dr Élisabeth Quignard : « Les vieillards qui disent ne plus avoir envie de vivre n’utilisent
jamais ce mot d’euthanasie. Ils demandent à ‘en finir’… Et tout notre travail est de
comprendre ce qui, pour eux, doit finir. Souvent, alors, on se rend compte que ce qui les
habite, c’est ce sentiment que cette période de la fin de la vie dure longtemps. Trop
14
longtemps, peut- être, pour que ces personnes mais aussi leurs proches et même les soignants
arrivent à y trouver du sens. C’est durant cette période, qu’en gériatrie nous appelons le ‘long-
mourir’, que ces gens très âgés expriment cette lassitude d’une existence devenue, à leurs
yeux, inutile et vide de sens. »
Dr Christophe Trivalle : « Ce qui revient souvent, aussi, c’est ce sentiment d’être devenu une
charge, de coûter cher à la ‘Sécu’ ou à la collectivité. Comme si ces patients avaient intégré ce
discours si prégnant d’une société qui passe son temps à se demander ce que vont lui coûter
ses ‘vieux’ ».
Dr Élisabeth Quignard : « C’est une question essentielle6 pour beaucoup de nos patients. Et
notre rôle de médecins est de leur dire que même une personne vulnérable, fragile, abîmée
reste digne jusqu’au bout. Parce que la dignité fait partie de son humanité. »
« La dépression du sujet âgé est souvent trop méconnue. Il faut donc y être très attentif et ne
pas hésiter à prescrire des antidépresseurs. Parfois, on a vraiment de bonnes surprises avec des
patients qui se remettent à aller nettement mieux. »
« Chez une personne âgée, ce n’est jamais une parole anodine7 ou un simple appel au secours.
Le passage à l’acte est toujours très déterminé. »
Dr Philippe Taurand : Notre rôle est d’essayer de restaurer un climat de confiance, une
relation à l’autre, de redonner du sens. Et, sans qu’on sache toujours pourquoi, on voit parfois
des patients se remettre à espérer et se dire que la route va continuer encore un peu. ».
Mais d’autres refusent…
Dr Élisabeth Quignard : « Ces refus de soins laissent souvent mal à l’aise les soignants qui le
vivent comme une remise en cause de la toute-puissance de la médecine. Alors que notre
première démarche est d’informer le patient des conséquences de ce choix et de s’assurer
qu’il a bien compris les risques auxquels il s’expose. »
« Trop souvent, les soignants ne leur8 demandent pas leur avis, ils se tournent directement
vers les proches. Ces soignants sont persuadés d’agir pour le bien du patient alors qu’ils lui
imposent une sorte de mort sociale avant même qu’il ait cessé de vivre. La réalité est que
même une personne atteinte d’une maladie d’Alzheimer à un stade avancé peut être capable
d’exprimer un avis. Cela ne passera pas forcément par la parole mais parfois par un geste ou
un regard. »
« C’est important qu’il sache que, même si on cesse les traitements curatifs, on continuera à
prendre soin de lui. »9
6 La peur de vivre une vieillesse dénuée de toute dignité.
7 Celle d’exprimer son désir de se suicider.
8 Les patients de maladies neurodégénératives.
9 Pour le Dr Quignard, s’il est du devoir du médecin est de respecter la volonté du patient, y compris celle de ne
plus être alimenté, il est également important que le patient « sache que, même si on cesse les traitements
curatifs, on continuera à prendre soin de lui ».
15
Quelles pistes pour demain en fonction des moyens disponibles aujourd’hui et des deux positions débattues : le respect de l’esprit de la législation française actuelle qui vise à éviter « l’obstination déraisonnable » et les situations inextricables dans le cadre médical d’une part, et l’ouverture d’un droit à la mort assistée, fondée sur la volonté libre et éclairée de chacun d’autre part ?
1- Le respect de la loi Leonetti
- Clarifier les pratiques de la sédation terminale (Jean Leonetti).
- Réfléchir à la notion d’obstination de soins de manière de donner sa pleine mesure au refus
de l’obstination (Denys Pellerin, président honoraire de l’Académie nationale de médecine).
- Renforcer le respect des « directives » des patients, avec des « directives opposables »
(Jean Leonetti). Actuellement le médecin est seulement tenu de les consulter, pas de s’y
conformer). D’autres suggèrent que les directives figurent sur la carte Vitale, afin d’être
accessibles à tout moment.
2- La question de l’aide active à mourir
Cette expression désigne l’ouverture d’un nouveau droit, remettant en cause l’interdit de
mettre fin à la vie d’autrui.
La proposition de loi déposée en janvier dernier par le sénateur Jean-Pierre Godefroy (PS)
l’illustre. Son article 1er
prévoit que, dans certaines conditions, une personne « capable
majeure » puisse bénéficier « d’une assistance médicalisée permettant par un acte délibéré,
une mort rapide et sans douleur. »
L’ancien doyen de la faculté de droit de Toulouse fait observer que « la liberté suppose
d’arriver à un carrefour, pas à une impasse. »
La réponse de la société à la souffrance doit-elle être la mort ?
Qui effectuera le geste ? Certains suggèrent que ce soit la personne elle-même comme c’est le
cas en Oregon (États-Unis) ou en Suisse. Toutefois, l’intervention du médecin reste alors
nécessaire, pour prescrire le produit létal et poser le diagnostic (voire le pronostic : dans
l’Oregon, le suicide assisté concerne les personnes ayant une espérance de vie inférieure à six
mois).
Denys Pellerin, redoute « une perte de confiance du patient dans le personnel soignant »,
allant jusqu’à estimer qu’« un médecin qui donne la mort n’est pas un médecin. »
3- Les tentatives d’un entre deux sont-elles possibles ?
Autrement dit, peut-on dépasser la césure entre « laisser mourir » et « faire mourir » ?
Le sénateur Gaëtan Gorce (PS) le croit. Dans sa proposition de loi, il entend « dépasser » ces
deux points de vue « irréconciliables prônant « une véritable liberté de choix du malade » sans
« remettre » en cause l’interdit pénal. » Son texte prévoit la possibilité de saisir à priori une
commission composée de médecins, de juristes et d’éthiciens afin de trouver une issue à
certaines « situations exceptionnelles »
Mais pour Bernard Beignier, « La loi a vocation à définir non les exceptions mais les
principes. Les exceptions apparaissent d’elles-mêmes dans la vie et ce sont les juridictions qui
16
doivent en tenir cas. (…) Un juge est précisément établi pour discerner les nuances, les
variantes et les exceptions. »
Académie de médecine - Contribution à la « réflexion
publique des citoyens, sur l’accompagnement des personnes en fin de vie »
(Mission Sicard)
L’Académie nationale de médecine (ANM) estime que « donner la mort est incompatible avec
le serment que le médecin a prêté le jour de sa thèse où la société lui a reconnu la qualité de
‘médecin’ ».
Elle propose d’opposer les notions de fin de vie et d’arrêt de vie. Selon elle,
- la fin de vie doit être perçue comme une évolution terminale d’une maladie devenue
incurable en dépit de traitements entrepris pour guérir une personne quel que soit son âge,
- alors que l’arrêt de vie en tant que réponse à une demande volontaire à mourir, « ne peut
être assimilée à un acte médical », la vie n’étant pas menacée.
Elle souhaite qu’une formation « particulière » des personnels de soins des EHPAD soit
instaurée.
Elle souligne également la nécessité de faire progresser dans la société pour chaque personne
les notions de directives anticipées et de donner une information transparente et sincère sur les
traitements entrepris, leurs succès escomptés comme sur les échecs possibles et leurs
conséquences.
Elle termine sa contribution :
- en réitérant « sa conviction qu’il faut absolument se garder de revenir sur la Loi Leonetti
votée en avril 2005 à l’unanimité par le Parlement. Les nombreux textes d’application de la
loi, certes complexes, doivent être compris et interprétés en respectant l’esprit de la loi. La loi
permet aux médecins, en toutes circonstances de répondre aux situations difficiles de fins de
vie, que dénoncent les partisans d’une ‘euthanasie active’. Donner la mort est incompatible
avec le serment que le médecin a prêté le jour de sa thèse où la Société lui a reconnu la qualité
de ‘Médecin’. Aucun médecin ne saurait consentir à donner la mort. »
- en citant le Code déontologie médicale : Soins aux mourants – euthanasie Article 38 (article
R.4127-38 du code de la santé publique : « Le médecin doit accompagner le mourant jusqu'à
ses derniers moments, assurer par des soins et mesures appropriés la qualité d'une vie qui
prend fin, sauvegarder la dignité du malade et réconforter son entourage. Il n'a pas le droit
de provoquer délibérément la mort. »
http://www.academie-
medecine.fr/userfiles/file/Contribution%20ANM%20Fin%20de%20vie%20%20long%2011%
2012%2012.pdf
Bibliographie
AUMÔNIER Nicolas et LETELLIER Philippe, L’Euthanasie, Éd. Que sais-je, PUF, coll. :
nouvelle édition. Disponible en novembre 2012. [9€].
DERVILLE Tugdual, La bataille de l’euthanasie, Éd. Salavator. L’auteur décrypte les ressorts de sept affaires médiatiques qui ont permis à l’ADMD, selon lui, de « manipuler » l’opinion publique.
17
FERRY Jean-Marc (et coll.), Fin(s) de vie, le débat, Éd. PUF, [29€]. Cet ouvrage rassemble les contributions de philosophes, d’historiens, d’anthropologues et de juristes.
GOFFI Jean-Yves, Penser l’euthanasie, Éd. PUF, [22,50€].
Larchet Jean-Claude, Une fin de vie paisible, sans douleur et sans honte, Éd. Cerf.
PELLUCHON Corinne, Éléments pour une éthique de la vulnérabilité, Éd. Cerf, [24€].
RICOT Jacques, L’Éthique du soin ultime, Éd. Presses de l’EHESP, [24€].
RICOT Jacques, Philosophie et fin de vie, Éd. Presses de l’EHESP, [18€].
SPAEMANN ROBERT, Les Personnes. Essai sur la différence entre quelque chose et
quelqu’un, Éd. Cerf, [39€].