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Page 1: La Dynamique qualitative en psychanalyse
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La dynamique qualitative en psychanalyse

Page 3: La Dynamique qualitative en psychanalyse

PSYCHOPATHOLOGIE

Théorie/Clinique

Collection dirigée par Pierre Fédida

TITRES PARUS

Carroy J., Les personnalités doubles et multiples

Fédida P., Crise et contre-transfert

Porte M., La dynamique qualitative en psychanalyse

Rozenberg J.J., bio-cognition de l'individualité

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La dynamique qualitative

en psychanalyse M I C H È L E P O R T E

Préface de René Thom

Presses Universitaires de France

Page 5: La Dynamique qualitative en psychanalyse

Remerciements

Nous remercions les Editions Christian Bourgois, InterEditions et les éditeurs de la revue Psychanalyse Institution Systèmes Thérapies familiales Etho-anthropologie Sémiotique, de nous avoir autorisés à reproduire certains schémas dus à René Thom et déjà publiés dans les ouvrages suivants : René Thom, Stabilité structurelle et Morphogenèse, Paris, InterEditions, 1977 ; René Thom, Modèles mathématiques de la morphogenèse, Paris, Christian Bourgois, 1980 ; René Thom, René Thom expliqué par lui-même, in Psychanalyse Institution Systèmes Thérapies familiales Etho-anthropologie Sémiotique, n° 1, Paris, juin 1989 ; René Thom, Esquisse d'une Sémiophysique. Physique aristotélicienne et Théorie des Catastrophes, Paris, InterEditions, 1988.

Du même auteur

Mémoire de la science. I. Trois récits. Les événements — Les instruments — L'invention du temps, ouvrage hors collection des Cahiers de Fontenay, Paris, 1987.

Mémoire de la science. II. Deux récits. Mesurer : des particularismes au système — Le Vide et l'Un, ouvrage hors collection des Cahiers de Fontenay, Paris, 1988.

ISBN 2 13 045771 1 ISSN 1159-7216

Dépôt légal — 1 édition : 1994, février

© Presses Universitaires de France, 1994 108, boulevard Saint-Germain, 75006 Paris

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Préface

par René Thom

Quand Michèle Porte est venue me proposer de faire un travail sur une application éventuelle de la Théorie des Catastrophes à la psychanalyse, ce projet m'a tout de suite paru intéressant. Non que je m'en sois dissi- mulé les difficultés. Mais l'idée d'utiliser cette occasion pour me faire une idée plus précise de l'œuvre immense de Sigmund Freud était bien ten- tante, car, de cet auteur, je n'avais guère plus qu'une connaissance « laï- que », assez superficielle. J'avais essentiellement apprécié chez Freud, à la fin de mon adolescence, ce qu'il y avait de libératoire vis-à-vis des tabous usuels de la sexualité et j'étais curieux de soumettre ces lointains souve- nirs à l'expérience que m'avait apportée le devenir sociologique de la « Théorie des Catastrophes ». Mais je dois dire que, confronté à l'ampleur des Œuvres complètes du Maître, mon zèle a quelque peu faibli, et je me suis borné à lire — dans la langue originale — les quelques articles consi- dérés comme marquants dans l'évolution de la pensée freudienne. A cet égard, le texte proposé par Michèle Porte s'est révélé extrêmement pré- cieux. On en retire l'impression d'un Freud positiviste malgré soi, où les dogmes de la positivité scientifique sont périodiquement balayés par des intuitions issues soit d'une imagination puissamment créative, soit d'une élaboration à caractère mécanistique issue de « petits » phénomènes obser- vés dans les cures, mais, après ces quelques ouvertures vers les généralisa- tions issues d'une pensée libre, l'exigence d'une rationalité scientifique conçue quelque peu dogmatiquement ne tarde pas à réapparaître et à s imposer ; mais peut-être avons-nous trop tendance à exagérer le conflit entre ces tendances. Freud était sans doute trop conscient de la fécondité de ses grandes visions pour les borner immédiatement par l'exigence d'une

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vérifiabilité « expérimentale », là où le postulat de la répétabilité des résul- tats est visiblement en défaut. Le fait qu'aujourd'hui encore, les psycha- nalystes glosent — abondamment ! — sur les cas historiques singuliers traités il y a plus d'un demi-siècle par le Maître (comme l'Homme aux loups ou le président Schreber) démontre à l'envi qu'en ce domaine un déterminisme strict comme celui des lois physiques n'a pas cours.

Cette laxité du phénomène, en ce domaine particulier de l'observation des névroses et des psychoses, semblerait donc justifier l'emploi d'une méthode souple comme celle de la Théorie des Catastrophes. Je me per- mets de rappeler ici l'historique des événements qui ont marqué la récep- tion de cette théorie. Dans mon premier livre Stabilité structurelle et Morphogenèse, j'avais développé une notion mathématique : celle du déploiement d'une singularité d'une fonction potentiel, à savoir l'ensem- ble des paramètres qu'il faut rajouter pour stabiliser un équilibre instable de cette fonction potentiel. Cette théorie purement mathématique s'est éla- borée au cours des années 1968-1972, mais il a fallu beaucoup de temps pour s'apercevoir que, mathématiquement parlant, cette théorie n'était qu'une extension de la théorie du prolongement analytique classique. Au début, les « applications » considérées sortaient de phénomènes physiques comme ceux de l'optique ou de la mécanique (classique), leur seul mérite était d'attirer l'attention sur des phénomènes qu'une connaissance appro- fondie de la mathématique sous-jacente aurait pu permettre de prévoir (par exemple la forme générique des caustiques en optique géométrique). Mon livre comportait aussi quelques ouvertures sur la biologie et la lin- guistique, mais je restais fidèle à l'hypothèse d'un substrat ayant la nature d'un ouvert de l'espace-temps. L'apport spécifique de Christopher Zeeman, dans les années 1970-1972, fut de prendre pour substrat du processus non plus l'espace-temps quadri-dimensionnel, mais l'espace de contrôle d'une « boîte noire », ce qui a permis une extension grandiose de la théorie incor- porant ce qu'on appelle usuellement la « Théorie générale des Systèmes ». Son livre Catastrophe Theory contenait de nombreuses applications por- tant sur les disciplines les plus variées, en particulier dans les « sciences humaines » (économie, sociologie, psychologie...). De là le succès média- tique énorme, d'ampleur mondiale, connu par la théorie dans les années 1972-1975. Mais vers 1975-1976 apparurent les critiques venues d'outre- Atlantique. L'outil mathématique central de la théorie fonctionnait bien dans un cadre non analytique (par exemple, différentiel C pour des fonctions indéfiniment dérivables), mais dans ce cadre il ne permettait plus

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la prédiction, ni en conséquence l'action efficace. Il fournissait seulement un modèle « qualitatif » (défini à un « homéomorphisme près »). Dans la situation des « sciences humaines », un tel modèle permettait souvent une meilleure intelligibilité globale que celle fournie par la description lin- guistique simple, mais il ne permettait plus l'évaluation quantitative pré- cise du résultat. On conçoit que pour certaines situations (par exemple la prédiction d'un krach boursier), une telle lacune soit rédhibitoire ! Aussi la théorie vit son prestige social sombrer (presque) aussi vite qu'il était apparu.

Dans cette optique qualitative, la tâche essentielle est l'interprétation d'une morphologie — souvent définie statistiquement. La théorie devient une herméneutique reposant sur le coup d'œil de l'observateur. On est loin de l'automatisme fourni par le résultat d'un calcul informatique. Or, selon une formule paraphrasée de l'épistémologue espagnol Ortega y Gas- set : « Une théorie scientifique est bien développée si n'importe quel imbé- cile peut l'exploiter avec succès. » A ce compte, j'en ai peur, la Théorie des Catastrophes n'a jamais atteint ce stade. L'atteindra-t-elle jamais ?

D'ailleurs, l'intelligibilité n'est pas un souci majeur de la science contemporaine, comme le prouve le succès de la mécanique quantique — une théorie fondamentalement inintelligible... Or, dès les années 1968-1970, en rédigeant la version définitive de Stabilité structurelle et Morphogenèse, J avais été frappé par le fait que certains verbes, comme « capturer, émet- tre, donner », décrivaient entre un petit nombre d'actants (trois, quatre au plus) des morphologies d'interaction qu'on pouvait schématiser par un graphe simple se projetant sur l'axe des temps. Et que les arêtes de ces graphes caractérisaient les cas (au sens des grammaires classiques : nomi- natif, accusatif, datif) que devaient adopter les actants ainsi symbolisés. (On se souviendra du graphe de capture qui schématisait : « Le chat mange la souris. ») De même beaucoup d'analogies pouvaient aussi admettre une interprétation en terme d'isomorphismes de graphes (comme celle d 'Aristote : vieillesse/vie = soir/jour). Cela me permit d'assister sans trop de déconvenue à l'effondrement sociologique (et scientifique) de la Théo- rie des Catastrophes : Ne pouvait-on admettre que tout processus séman- tique décrit linguistiquement pouvait être symbolisé par un processus dynamique du type de ceux considérés par la TC, un actant étant associé à un bassin de potentiel dans le cadre élémentaire, ou plus généralement un « attracteur » dans un cadre dynamique plus général ? Et que, dans

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ce cadre, un prolongement analytique généralisé pouvait décrire entre deux objets de pensée leurs possibilités « sémantiques » de se métamorphoser l'un dans l'autre ? Pour couronner le tout, la lecture de B. Riemann (paraphrase citée par Michèle Porte au n° 144) acheva de me convaincre qu'un mariage heureux entre sémantique et dynamique devait être possible.

Evidemment, les théorèmes sur l'inexistence générique de la stabilité structurelle en grande dimension, puis la redécouverte (vers 1980) du « chaos » dû dans beaucoup de systèmes dynamiques à la dépendance sen- sible des conditions initiales ont rendu manifeste la grande difficulté de ce programme. Peut-être ont-elles montré la nécessité de faire sur les dyna- miques sous-jacentes des hypothèses très fortes : après tout, le Logos n'est pas (ordinairement du moins) un Chaos. Tout formalisme basé sur une représentation en graphes — comme ceux que suggère la Théorie générale des Systèmes — implique nécessairement la considération d'attracteurs locaux dépendant du temps : on retrouve ainsi les « chréodes » de Wad- dington. Il apparaît donc une évidente contradiction entre les contraintes pesant sur les dynamiques « proies du Logos » (immédiatement descrip- tibles par la langue) et celles définissant les dynamiques « génériques » de la dynamique qualitative. Et si l'on peut trouver un lien entre ces deux domaines, c'est uniquement par la contrainte de spatialisation qu'on y arri- vera, comme on le voit dans ma suggestion portant sur la valence des ver- bes (plus petite que quatre), une limitation qui résulterait de la dimension spatio-temporelle du milieu où nous vivons.

C'est cette différence essentielle entre dynamiques « linguistiques » et dynamiques physiques qui m'a amené aux concepts de la sémiophysique. Il semble que l'intelligibilité d'un processus soit toujours lié à une inter- prétation verbale qui explicite une signification.

Dans les fonctions linguistiques que la théorie des catastrophes m'avait permis de symboliser, deux exceptions (de taille) étaient apparues : le cas du génitif, qu'on ne peut pas toujours décrire comme l'excision d'une partie (« La queue du chien », vs « le chien de Pierre ») ; et le bon vieux verbe être, trouvé dans le syntagme attributif (« Le ciel est bleu »). Dans ce der- nier exemple, il faut construire au-dessus du substrat spatial S un espace fibré (E) de base (S), dont la fibre (F) est l'espace des impressions de cou- leur. D'où la nécessité de prêter à des qualités éminemment subjectives un statut ontologique comparable à l'être spatial ordinaire. C'est ce qu'Aristote n'allait pas tarder à m'apprendre, avec sa notion de genre

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type="BWD" ) . Le statut particulier des verbes de sensation (voir, enten- dre, etc.) introduit des agents de nature translocale comme la lumière, le son. Ce fut l 'origine de ce que j ' a i appelé les prégnances. Cette notion provient du rapprochement entre deux phénomènes : le premier, purement physique, est la diffusion de la lumière sur un corps opaque : un corps éclairé diffuse la lumière qu'il reçoit d 'une source lumineuse. Le second, du ressort de l 'éthologie, est le stimulus conditionné à la Pavlov. Dans ce second cas, on dira que la viande est, pour le chien-sujet, source d 'une Prégnance alimentaire qui, tel un fluide, émane de la viande pour conta- miner (selon les deux modes frasériens de la contiguïté ou de la similarité) tous les autres stimuli individués associés expérimentalement à la satisfac- tion de la faim chez le sujet. Une telle prégnance subjective peut être con- sidérée comme un cratère de potentiel ayant à son fond la (ou les) forme(s) source(s), et présentant sur les flancs du cratère, accrochés sur un « bal- con interne », les objets investis par la prégnance. De même le phénomène de l 'empreinte ( peut être représenté comme le remplissement Progressif d ' un t rou noir au fond du cratère de la prégnance par les pre- mières expériences sensitives du nouveau-né (ce sont, normalement, les for- mes du (ou des) parent(s) qui tiennent ce rôle).

Le caractère hybride des prégnances, mi-subjectives, mi-objectives, pose à coup sûr un délicat problème, mais après tout ce n 'est pas une innova- tion — le référentiel gonsethien présente aussi ce caractère mixte.

Michèle Porte espérait qu'avec ces notions, on pouvait jeter une lumière nouvelle sur la problématique psychanalytique. On peut certes reformu- ler dans ce cadre bien des théorisations freudiennes. Mais bien des élé-

ments spécifiques, comme les célèbres archifantaisies ( nous ont posé problème. En fait, avant cela, il faut prendre conscience d 'une difficulté principiale. Il est vrai que le formalisme catastrophique permet d' expliquer l 'appari t ion d 'un accident discontinu au sein d ' un milieu continu. Mais l'interprétation exige la construction d 'un fibré E sur l'espace substrat B, de fibre F, donc l ' introduction de variables - fibre, qui sont en principe cachées, et c'est dans ce fibré qu'il faut déformer une section s au point que, après passage à travers une singularité, elle cesse d 'être une section :

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Fig. 1 Fig. 2 Fig. 3

(cf. fig. 1, 2, 3 qui représentent trois sections classiques du cusp) : la défor- mation de la section crée (fig. 2) un nouveau point critique de la projec- tion p : E → B, ce qui manifeste que la torsion continue agissant sur le graphe - section doit s 'effectuer dans le sens « vertical » des variables- fibres, lesquelles sont phénoménologiquement cachées. Une telle interpré- tation est toujours possible, mais si l 'on n ' a pas des variables fibres intro- duites une définition constructive, il est difficile d 'avoir un contrôle quantitatif (ou même seulement qualitatif) sur la déformation qu 'on vou- drait y effectuer. Or dans la situation « psychique » qui nous intéresse, il est difficile d'avoir une interprétation de ces variables verticales. La fibre (F) est en principe un espace fonctionnel décrivant l 'état métabolique local de l 'être vivant. Quelle coordonnée pourrait-on y particulariser ? C'est ici qu'il faut faire appel à une formule de la sémiophysique citée par Michèle Porte (p. 201) : L'affectivité peut être vue comme un agent qui déforme la structure de régulation. En un tel cas, on ne peut guère éviter d'employer une métaphore mécanique. La structure de régulation doit être vue comme une forme géométrique, une sorte de section idéale σ du fibré E → B (cf. fig. 4), car en tout poin t de l 'organisme, il y a un métabolisme local optimal, et cette section est normalement attractive.

Fig. 4

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O n i m a g i n e r a ce t te s t r u c t u r e c o m m e u n e f o r m e c o n s t i t u é e d ' u n m a t é -

r i au é l a s t ique , à l a m a n i è r e d ' u n r e s so r t . L a p e r t u r b a t i o n p a t h o g è n e , le

« t r a u m a », ag i t a lo r s c o m m e u n e d é f o r m a t i o n g l o b a l e (D) d a n s le f i b r é

E , D : E → E (fig. 3). Sous l ' e f f e t de D , la sec t ion σ v a cesser d ' ê t r e t r ans -

verse a u x f ibres de p (fig. 2) ; l a p r o j e c t i o n p (σ) v a p a r su i t e c o n t r a c t e r

de n o u v e a u x p o i n t s c r i t iques C d o n t l a p r o j e c t i o n p ( C ) C B v a c o n s t i t u e r

le s y m p t ô m e « visible ». Ici l ' e s p a c e B est n o n s e u l e m e n t le c o r p s d u su je t ,

ma i s auss i l a t o t a l i t é d e s o n m é t a b o l i s m e , l ' i m a g e σ(B) en s i t u a t i o n n o r -

ma le . C ' e s t d i r e q u e l ' e f f e t s y m p t o m a t i q u e d u t r a u m a s e r a c o n s t i t u é p a r

la d é v i a t i o n σ(B) → p (Dσ (B)) , e s sen t i e l l emen t la t o t a l i t é des e f fe t s f o n c -

t ionnels locaux q u e le s y m p t ô m e mani fes t e . Il est à c o u p sûr difficile d ' i m a -

giner les f a c t e u r s q u i d é t e r m i n e n t les l oca l i s a t ions o r g a n i q u e s des

s y m p t ô m e s c o n c e n t r é e s su r p ( C ) ⊂ pD(σ (B)) , m a i s p e u t - ê t r e l ' a r t de

l' ana lys t e est-il j u s t e m e n t de r e m o n t e r d ' u n s y m p t ô m e loca l i sé a u t r a u m a initial .

Il est r e m a r q u a b l e q u e cette cons t ruc t i on imp l ique le ca rac tè re « local »

d u s y m p t ô m e (en ra i son d u t h é o r è m e de S a r d : c 'es t u n ensemble de va leurs

c r i t iques) — m a i s p e u t - ê t r e p o u r r a i t - o n p r é t e n d r e q u e les s y m p t ô m e s glo-

b a u x , c o m m e u n c o l l a p s u s g é n é r a l d e la p h y s i o l o g i e , n e s o n t p a s d u res-

sor t de la p s y c h a n a l y s e . . .

P o u r d é f i n i r des c o o r d o n n é e s s igni f ica t ives s u r la f i b r e F , o n p e u t

cons idé re r q u e le m é t a b o l i s m e o p t i m a l ( la s ec t i on σ(B)) c o m m e le zé ro

d u n e f o n c t i o n G : E → R , G d é c r i v a n t le c a r a c t è r e b é n é f i q u e (pos i t i f )

o u m a l é f i q u e (néga t i f ) d ' u n e d é v i a t i o n d u m é t a b o l i s m e . N o t e r q u e G n ' e s t

Pas u n e f o n c t i o n loca le su r E , m a i s u n e « i n t ég ra l e » g l o b a l e su r l a sec-

t ion s. Q u e l est e n g é n é r a l l ' e f f e t de la d é f o r m a t i o n D su r l a v a l e u r d e

G : b é n é f i q u e o u m a l é f i q u e ? ( m o d o G > 0 se ra i t le b i en -ê t r e ,

G < 0 la d o u l e u r ) . J e p e n s e q u ' i l est n a t u r e l d ' a d m e t t r e q u e la d é f o r m a -

t ion D c o n t r i b u e à u n r e n f o r c e m e n t des m é c a n i s m e s p h y s i o l o g i q u e s cor -

rec teurs d u t r a u m a , si d u m o i n s ce d e r n i e r n ' a p a s é té o f f e n s i f a u p o i n t

de d é t r u i r e p r é c i s é m e n t ces m é c a n i s m e s . D a n s l ' i m a g e d ' u n e f igu re é las t i -

q u e c o m m e u n r e s so r t , le t r a u m a p o u r r a c o m p r i m e r ( o u d i s t e n d r e ) le res-

sor t , sous l ' e f fe t de la c o m p r e s s i o n (ou de la d is tens ion) , le ressor t f o u r n i r a

des forces o p p o s é e s en s igne à l ' i m p a c t d u t r a u m a . Tel le est l ' ex igence

« n o r m a l e » d e la r é g u l a t i o n p h y s i o l o g i q u e . T o u t e f o i s , si le t r a u m a est

t r o p v io len t , il p o u r r a b r i s e r le r e s so r t , ce q u i e n t r a î n e r a , e n p r i n c i p e ,

l 'effondrement d e la r é g u l a t i o n . O n p e u t rêver à des p r o c e s s u s t r a u m a t i -

ques a y a n t u n e r é g u l a t i o n i n t e r n e d e m ê m e n a t u r e q u e celle d u s u j e t ( u n e

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âme, dirions-nous). En ce cas, on sombrerait dans la situation d'un psychisme possédé au sens traditionnel du terme. Si les cliniciens ont abouti à la distinction classique névrose vs psychose, c'est peut-être qu'ils ont eu l'intuition d'un dérèglement catastrophique de la régulation du moi en tant qu'instance psychique, laissant proliférer en dehors du moi normal des « je » parasites ou « pervers ». Dans notre métaphore mécanique, la psychose se manifesterait par une désagrégation (une scission « schi- zophrénique » — c'est le cas de le dire —) de la régulation conduisant à des fragments « pathogènes » dotés d ' luttant avec l'instance origi- nelle du corps propre (si tant est qu'il subsiste un tel fragment individué qui soit l'héritier canonique du moi biologique initialement programmé comme principe de l'individualisation). En transférant la métaphore sur le plan organique, au niveau cellulaire, on pourra considérer que le can- cer est assimilable à une « psychose », puisque les cellules des clones trans- formés jouissent de l'immortalité, une propriété dont ne disposent pas les cellules somatiques normales. On ne peut reprocher à Michèle Porte de n'avoir pas vu cette difficulté qu'elle rapporte, p. 168, à la difficulté d'indi- viduer une prégnance ou, ce qui revient au même, de savoir quand une prégnance est individuante. Son observation sur la synecdoque (prendre la partie pour le tout), qui ne serait pleinement valable que si la prégnance individuant le tout se comportait comme une transcendance 1 me paraît d'une grande profondeur, car elle introduit manifestement la problémati- que du sacré. Et je ne suis pas sûr de pouvoir répondre, mieux que Freud, à l ' de critères d'individuation différents du point de vue conceptuel. La notion de prégnance individuante soulève le problème déli- cat de l'individuation d'une prégnance. Si on définit une prégnance indi- viduante comme une prégnance qui n'investit qu'une seule forme (saillante), alors, pour cette forme, la prégnance s'identifie à la saillance, car alors ladite prégnance ne peut investir aucune autre forme, externe ou interne. Une telle prégnance individuante serait sans force propaga- tive, ce ne serait qu'une étiquette.... Le plus raisonnable est de définir une prégnance comme un cratère de potentiel, avec un graphe de type Morse constitué des lignes de pente descendante ; le graphe ainsi constitué défi- nirait le renvoi symbolique entre les formes investies par la prégnance, avec un seul élément extrémal (individué par la prégnance) localisé au fond

1. R. Thom, La transcendance démembrée, in B. Pinchard, La raison dédoublée, La fabricca della Mente, Aubier, 1992, p. 575-610.

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( a b s o l u ) d u c r a t è r e . A i n s i , e n c e q u i c o n c e r n e u n e p r é g n a n c e « o b j e c t i v e »

c o m m e l a l u m i è r e , il n ' e s t p a s a b s u r d e d e l a d é f i n i r p a r l ' e n s e m b l e d e s

c o r p s l u m i n e u x e t l e u r s r e l a t i o n s d ' é c l a i r e m e n t l ' u n p a r l ' a u t r e . M a i s a l o r s

le « c r a t è r e d e p o t e n t i e l » e s t h a u t e m e n t v a r i a b l e e t i n d é t e r m i n é . P o u r le

p h y s i c i e n , p a s d e p r o b l è m e s , l a l u m i è r e e s t d é f i n i e p a r s a l o i d e p r o p a g a -

t i o n s p a t i a l e . M a i s l e p r o b l è m e r e s u r g i t l o r s q u ' o n c o n s i d è r e l ' é l e c t r o n i n t e r -

a g i s s a n t a v e c u n p h o t o n . L à , i l s ' a g i t d u c é l è b r e p r o b l è m e d i t d e l a r e n o r -

m a l i s a t i o n : i l f a u t i d e n t i f i e r l ' é l e c t r o n r é e l a v e c l ' é l e c t r o n i d é e l — d i t n u

o ù l e c h a m p p r o d u i t p a r l ' é l e c t r o n n ' a g i t p a s s u r l u i - m ê m e , c e q u ' o n

r é u s s i r a p a r c e p r o c é d é s o p h i s t i q u é q u ' e s t l a « r e n o r m a l i s a t i o n » . E n n o t r e

c a s , il s ' a g i t d ' é c r i r e l a r e l a t i o n ( p . 5 4 ) e n t r e n a r c i s s i s m e p r i m a i r e a n o b -

j e c t a l ( é l e c t r o n s e u l ) , e t « a m o u r p r i m a i r e » ( i n v e s t i s s e m e n t p a r l e p h o -

t o n ) . O n v o i t s o u s c e t t e f o r m e q u e l ' é l e c t r i c i t é e s t u n e p r é g n a n c e q u i e s t

« o b j e c t a l e » p a r r a p p o r t à l a l u m i è r e — c e q u e j u s t i f i e l a c o n s i d é r a t i o n

d e s m a s s e s . L o r s q u ' o n s ' e n t i e n t à l a d é f i n i t i o n d e l a p r é g n a n c e c o m m e

c r a t è r e d e p o t e n t i e l , a l o r s u n e p r é g n a n c e i n d i v i d u a n t e p e u t c e s s e r d e l ' ê t r e

P a r d é f o r m a t i o n c o n t i n u e , e t l ' o n n ' a g u è r e d e c o n t r ô l e s u r l e s d é f o r m a -

t i o n s d e s p r é g n a n c e s . L ' e x e m p l e d e s r i t e s d e d é s e n v o û t e m e n t s e m b l e m o n -

t r e r q u e l a r é p é t i t i o n d e c e r t a i n s t h è m e s « p r é g n a n t s » p e r m e t d e d é p l a c e r

le p o i n t b a s e d u p s y c h i s m e d a n s u n e z o n e o ù l ' u n i c i t é d u m i n i m u m d e

P o t e n t i e l p e u t ê t r e a s s u r é e ( p a r l e m o i d i t « n o r m a l » ) ; i l f a u t t r a n q u i l l i -

s e r l e p a t i e n t p a r l e r a p p e l d e c e r t a i n e s s i t u a t i o n s p r é g n a n t e s a t t i r a n t d a n s

le b o n s e n s . M a i s l a s t a b i l i t é d e l a g u é r i s o n n e p e u t ê t r e a s s u r é e q u e d a n s

l a m e s u r e o ù c o n t i n u e à r é g n e r u n e p r é g n a n c e ( f a u t - i l d i r e s a c r é e ? ) a t t a -

c h é e à l ' e x o r c i s t e .

L e p r o b l è m e d e l a d é f i n i t i o n « a b s o l u e » d ' u n e p r é g n a n c e n ' e n r e s t e

P a s m o i n s p o s é ; l i n g u i s t i q u e m e n t , t o u t a d j e c t i f d é f i n i t u n e p r é g n a n c e , e t ,

e n g é n é r a l , l a s i g n i f i c a t i o n d ' u n a d j e c t i f e s t a s s e z p r é c i s e p o u r p e r m e t t r e

u n l a r g e c o n s e n s u s . I l n ' e m p ê c h e q u e l e s f r o n t i è r e s l i m i t a n t « l e c o r p s »

d ' u n s e n s a d j e c t i v a l p r é s e n t e n t u n c e r t a i n f l o u , c e q u i f a i t q u ' u n e n u a n c e

d e c o u l e u r n e p e u t ê t r e p r é c i s é e q u e p a r u n s u b s t a n t i f : b l e u c i e l , v e r t

w a g o n . I l f a u t f a i r e a p p e l a u s u b s t a n t i f p o u r l i m i t e r l ' a d j e c t i f . L à s e t r o u v e

P o s é l e p r o b l è m e d e l a c a t é g o r i s a t i o n d e s u n i v e r s s é m a n t i q u e s : l e s e s p a -

c e s a s s o c i é s y p r é s e n t e n t n é c e s s a i r e m e n t u n e c e r t a i n e i n t e r s u b j e c t i v i t é q u i

l e s r a p p r o c h e d e s c o n c e p t s p h y s i q u e s .

N o t r e c o n c e p t i o n d ' u n e p r é g n a n c e i n i t i a l e m e n t p r o g r a m m é e g é n é t i -

q u e m e n t c o m m e u n c r a t è r e d e p o t e n t i e l — d o n t l e f o n d n e s e r a i t q u ' u n

« t r o u n o i r » — s o u l è v e l a q u e s t i o n i m m e n s e d e l ' o n t o g e n è s e d e l ' ê t r e

Page 15: La Dynamique qualitative en psychanalyse

vivant. En dépit des discours triomphalistes des généticiens contemporains, il faut reconnaître que la correspondance génotype - phénotype est encore présentement une boîte noire. Le savoir génétique est essentiellement néga- tif : telle mutation donne telle perturbation organique ou fonctionnelle ; ces connaissances particulières ne sont que quelques brefs éclairs locaux associés à des propriétés locales de certains gènes, au sein d'une black box où les mécanismes généraux de l'ontogenèse nous sont fondamentalement inconnus. La formation du système nerveux central, en particulier, est un redoutable mystère, celle même de la boîte crânienne, ou de la tête (la « céphalisation »), pose un problème théorique pratiquement hors d'atteinte. Seule une approche métaphorique pourrait ici apporter quel- que lumière. Ici encore, la présence d'un homunculus figurativement cou- ché sur le cortex cérébral justifie la synecdoque classique : la tête, c'est l'homme, et ainsi le caractère « transcendant » de la prégnance individuant la personne humaine.

Pour cela, il faudrait décrire aussi explicitement que possible la figure de régulation de l'être vivant, de l'homme en particulier, et y spécifier la place particulière du psychisme, et ceci de manière « ontogénétique ». Il faudrait aussi être capable de définir l'embryologie (l'ontogenèse) des fonctions orga- niques, un problème qui pose des difficultés formelles, car une fonction physiologique, en principe, est un être abstrait, formel, susceptible d'une défi- nition ne varietur, donc incapable d'évoluer temporellement. Que les topi- ques freudiennes nous montrent le chemin, c'est, je crois, indéniable, mais il faudrait les meubler pour exprimer les contraintes spatiales et biochimiques de la reproduction, au moins les plus grossières que nous connaissons.

On peut penser que la psychanalyse, en se centrant sur l'Homme, n'a pas su prendre en compte tout ce que l'éthologie animale nous a enseigné, essentiellement les phénomènes d ' En particulier, elle a restreint les phénomènes d'empreinte au seul stade du miroir de Wallon et Lacan.

Il est clair que la reproduction sexuée est astreinte à propager l'image de l'espèce, et si on veut munir cette image d'autres indices que chimi- ques, visuels par exemple, alors la transmission de l'image ne peut se faire que par un mécanisme impliquant, à la naissance, une prégnance centrée sur un « trou noir » rempli par les premières expériences infantiles. Que les épisodes de la vie viennent à perturber ce processus en remplaçant les vrais parents par des pseudo-parents, alors on peut s'attendre à ce que la sexualité du sujet soit plus ou moins profondément pervertie. Même en développement normal, l'empreinte parentale doit disparaître pour être

Page 16: La Dynamique qualitative en psychanalyse

remplacée, à l'âge mature, par l'attraction du partenaire sexuel de même génération. On peut voir dans la « séduction » freudienne un effort fait Par le séducteur pour hâter prématurément cette évolution (afin, éventuel- lement, d'en être le bénéficiaire). Mais cela risque d'entraîner le sujet dans de redoutables conflits. Comme le sujet d'âge tendre est néanmoins en Position métastable par rapport à sa sexualité ultérieure, l'acte de séduc- tion peut précipiter une scission dans sa « figure de régulation » hors de Proportion avec l'intensité objective du stimulus. Chez les humains, l'aspect social de la chose, lié aux interdits sociaux, peut alors avoir une impor- tance déterminante. En l'absence de ces éléments ou sous l'effet d'une pul- sion trop forte, on pourra avoir les effets visibles du trauma. Chez les sujets qui n'auront pas été l'objet d'une séduction réelle, il pourra y avoir plus tard les effets d'une séduction imaginée.

Au fond, il est difficile pour la sexualité de prendre conscience d'elle- même. Par là s'explique l'ambivalence des organes sexuels, qui sont à la fois attractifs et répulsifs, et donc qui, selon la théorie exposée dans Thom- Labeyrie, participent du « sacré ». En tant qu'« objets de valeur », au sens greimasien du terme, ils pourront faire l'objet des fantasmes dont le célèbre complexe de castration est le paradigme. Du côté masculin, la virilité s'incarne (secondairement ?) dans les testicules, ces glandes devien- nent le symbole des vertus militaires, et on ne peut s'étonner que leur perte ne soit ressentie comme le plus grand des dangers dans une action venant du « père primitif ». Il est difficile d'apprécier la part de contingence historico-sociale dans ces constructions psychiques du moi.

La recherche des localisations organiques et fonctionnelles des symptô- mes me semble la voie la plus directe pour comprendre la structure des figures de régulation. Mais tant qu'on n'aura pas mis sur pied une caté- gorisation du métabolisme permettant une discrimination plus fine que le simple gradient : anabolisme-catabolisme, il sera difficile de définir des coordonnées valables sur l'espace des activités métaboliques. Sera-t-il pos- sible de donner une caractérisation à la fois chimique et comportementale de ces coordonnées ? Peut-être la vieille théorie des tempéraments, pré- sentement si négligée, pourrait nous apporter là quelque lumière : dans l' optique de la distinction cerveau-prédateur, cerveau-proie introduite dans la sémiophysique (p. 131-134), on aura entre tempéraments hippocrati- ques et comportements de ces cerveaux la correspondance suivante :

Page 17: La Dynamique qualitative en psychanalyse

Tempérament sanguin favorise l'identité ego-prédateur Tempérament nerveux défavorise l'identité ego-prédateur Tempérament bilieux favorise l'identité ego-proie Tempérament lymphatique défavorise l'identité ego-proie

Nous voyons par là toute l'ampleur du domaine que Michèle Porte a entrepris d'explorer. Nous devons lui être reconnaissant d'avoir entre- pris cette tâche. Elle a joué là un rôle de pionnière, et tout porte à croire que la voie qu'elle a ouverte connaîtra de nombreux successeurs. Ce savoir si particulier, mi-mathématique, mi-analytique, où les lecteurs d'un ave- nir qu'on peut supposer proche pourraient-ils le trouver ? La dynamique qualitative en psychanalyse demeurera sans doute comme un classique de cette nouvelle voie...

René Thom

Référence : Labeyrie Etienne, Groupes humains et Catastrophes, RSSI, vol. 7, n° 3, 1987, p. 305-314, Carlton University, Ottawa, Canada.

Page 18: La Dynamique qualitative en psychanalyse

Abréviations

AL R., 1990, Apologie du logos, Paris, Hachette (172) 1 ES Thom R., 1988, Esquisse d'une Sémiophysique. Physique aristotélicienne et Théorie

des Catastrophes, Paris, Interéditions (170). Esquisse... Freud S., 1895, Esquisse d'une psychologie scientifique, transcrit in (32) (33) (34). Essais.. Freud S., 1981, Essais de psychanalyse, nouvelle traduction, Paris, Payot. FF Freud S., 1986, Briefe an Wilhelm Fliess, 1887-1904, Ungekürzte Ausgabe, Herausge-

geben von J. M. Masson, Deutsche Fassung von M. Schrôter, Frankfurt am Main, S. Fischer Verlag (36). Freud S., 1952, Gesammelte Werke. Chronologisch geordnet, Unter Mitwirkung von M. Bonaparte, Prinzessin G. von Griechenland, herausgegeben von A. Freud, E. Bibring, W. Hoffer, E. Kris, O. Isakower, © 1952, Imago Publishing Co., Ltd., London. Frank- furt am Main, S. Fischer Verlag, erste Auflage 1952, vierte Auflage 1972, XVII vol. LTC 1982, Logos et Théorie des Catastrophes. A partir de l'œuvre de René Thom. Actes du colloque international de 1982 sous la direction de J. Petitot, colloque de Cerisy, Genève, Patino, 1988 (17).

MMM1 Thom R., 1974, Modèles Mathématiques de la Morphogenèse. Recueil de textes sur la théorie des catastrophes et ses applications, UGE, Paris (158).

MMM2 Thom R., 1980, Modèles Mathématiques de la Morphogenèse, Nouvelle édition revue et augmentée, C. Bourgois, Paris (161). NB S., 1987, Gesammelte Werke. Nachtragsband. Texte aus den Jahren 1885-1938. Herausgegeben von A. Richards unter Mitwirkung von I. Grubrich-Simitis, Frankfurt am Main, S. Fischer Verlag (34).

NPP Freud S., 1973, Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF. OC S., 1989 et suivantes, Œuvres complètes, Paris, PUF. PC R., 1980-1983, Paraboles et catastrophes. Entretiens sur les mathématiques, la science et la philosophie réalisés par G. Giorello et S. Morini, 1 éd. Milan, Il Saggia- tore, 1980 ; version française due à L. Berini entièrement revue et complétée par l'auteur, Paris, Flammarion, 1983 (162).

RIP I Freud S., 1984, Résultats, idées, problèmes I, Paris, PUF. RIP II Freud S., 1985, Résultats, idées, problèmes II, Paris, PUF.

Thom R., 1989, René Thom expliqué par lui-même, in Psychanalyse Institution Systè- mes Thérapies familiales Etho-anthropologie Sémiotique, n° 1, Paris, juin 1989 (171).

SSM Thom R., 1972-1977, Stabilité structurelle et morphogénèse. Essai d'une théorie géné- rale des modèles, New York, Benjamin, 1972 ; 2 éd. revue, corrigée et augmentée, Paris, Interéditions, 1977 (156). SE S., 1953-1966, The Standard Edition of the Complete Psychological Works of Sigmund Freud, éd. par James Strachey, 24 vol., Londres, Hogarth Press.

VS Freud S., 1969, La vie sexuelle, Paris, PUF.

1. Les articles et ouvrages sont désignés dans le texte, comme ici, par leur numéro d'ordre dans la bibliographie.

Page 19: La Dynamique qualitative en psychanalyse
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Introduction

1Mathématiques et psychanalyse : une rencontre et des conjectures

On traitera souvent, dans ce travail, de relations entre mathématiques et Psychanalyse. Une question de principe se pose. Pourquoi les « scien- ces humaines » et la psychanalyse en particulier auraient quelque chose à voir avec les mathématiques ou les sciences dites dures ? Pourquoi s 'adresser à elles ? Il y a certes un précédent, puisque Lacan a fait plu- sieurs tentatives pour introduire un peu d'algèbre et de topologie en psycha- nalyse et pour géométriser quelques notions. Mais voici une raison de

Principe : peut-on nier q u e l a en mathématiques pures soit une exploration et une explicitation partielle des processus psychiques ? Sinon, il paraît cohérent et évident, d'une façon intrinsèque, que les psychanalystes qui explorent ces mêmes processus par d'autres moyens en viennent à un dialogue avec les mathématiciens. En somme, que certaines créations mathématiques puissent aider à expliciter l'œuvre de Freud est naturel. Cela va de soi et ne mérite pas considération épistémologique particulière. Une thèse est formulée, affirmons-la clairement : les mathématiciens et les psychanalystes ont a priori des domaines de recherche et des moyens connexes : les seuls processus psychiques — mais pas le même but !

Pourtant ce qui résulte de leurs travaux, d'une part des théories mathé- matiques, d'autre part des récits de cas et la constitution d'une métapsy- chologie, diverge. Les mathématiques ont été considérées, au moins à partir du XVII siècle, comme le moyen par excellence de devenir « comme maî- tre et possesseur de la nature », disait Descartes. La psychanalyse en reste à la seule intelligibilité des événements psychiques humains, individuels et collectifs. Pour nombre de psychanalystes, son rôle s'arrête là. Pour

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d'autres, elle a une valeur thérapeutique, mais cette opinion est l'objet de discussions, y compris dans l'œuvre de Freud.

La divergence mériterait que l'on s'étonnât. Que les poètes aient décou- vert certains thèmes avant lui ne surprenait pas Freud. Que ces purs intro- spectifs que sont les mathématiciens — dotés cependant de la généricité des nombres et, à partir du XVII siècle, de celle d'une langue en partie formalisée —, fournissent in fine des instruments de pensée qui, jusqu'à présent, ont presque exclusivement servi à agir sur la seule nature exté- rieure — via la physique — est doublement étonnant. Il est étonnant que « ça marche » — c'est « la déraisonnable exactitude des lois physiques » selon E. Wigner —, mais il est non moins étonnant que là s'arrête, pour l'essentiel, l'usage de la pensée mathématique. La conjoncture historique qui a instauré un abîme entre les domaines de recherche paraît d'un bien mince secours pour répondre de cet étonnement ; elle peut d'ailleurs être mise en question.

René Thom remarque : « L'emploi du langage naturel en science sou- lève un problème épistémologique redoutable. Dans quelle mesure les concepts associés aux mots du langage naturel ont-ils portée universelle et sont-ils, de ce fait, susceptibles de scientificité ? [...] Ce problème de la scientificité du concept ne semble avoir reçu aucune solution satisfai- sante. »1 Pourtant si d'aventure un mathématicien prenait la peine de retisser systématiquement des liens entre ses modes d'expression usuels et la langue commune, et s'il réussissait effectivement à « épaissir l'interface entre science et philosophie » il paraît évident que les psychanalystes, entre autres, pourraient se précipiter sur ces travaux avec la certitude d'en apprendre un bout sur leur propre domaine. Car il y a quelque deux mille cinq cents ans que des mathématiciens travaillent... et un siècle n'est pas écoulé depuis que Freud a publié L'interprétation des rêves.

2. Retour aux points de vue économique et dynamique en métapsychologie

Ces deux pentes du logos [la pente du nombre, de l'arithmétique et la pente de la parole en général (le Verbe)] manifestent sans doute une distinction irré-

1. R. Thom, Apologie du logos, p. 510-511 (172) (ouvrage noté A L Les articles et ouvrages sont désignés dans le texte par leur numéro d'ordre dans la bibliographie ; quelques ouvrages de Thom et recueils de traductions françaises de textes de Freud sont désignés par une abréviation, comme ici ; la liste alphabétique des abréviations figure p. XVII.

2. Ibidem, p. 504.

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ductible entre deux modes d'appréhender l'existence. Le mode métaphysique, celui d'Aristote — l'être comme acte (« on agit comme on est », dit saint Tho- mas) —, et le mode géométrique : la forme visible dans l'étendue. Ces deux modes existent bel et bien l'un et l'autre, et à leur frontière subsiste un no man's land où se déploient les catastrophes. L'exploration de ces marches, où se heurtent vouloir et étendue, n'est pas chose aisée [ . . . ]

Annonce épistémologique que l 'on déploiera tout au long de l'ouvrage : si la création mathématique ressortit aux processus psychiques, néanmoins les énoncés mathématiques, en tant qu'ils sont soumis à une stratégie par- ticulière, se séparent en principe de la langue commune. Et il ne va pas de soi d 'en faire usage. « Au commencement était l 'acte », répète Freud, après Goethe, situant sans ambiguïté son œuvre du côté de « l'être comme acte ».

Les points de vue économique et dynamique en psychanalyse ouvrent cependant sur le no man' s land évoqué par Thom ; car comment ne pas songer ici à l 'oxymore des quantités non quantifiables du point de vue économique ? Mais il faut alors citer deux œuvres, celles de Fechner et de Thom. La première précède celle de Freud. Il est bien connu et souvent répété par Freud que l 'œuvre de Fechner fut pour lui d 'une grande impor- tance. La généralité d 'une telle proposition peut légitimement laisser un chercheur sur sa faim. Mais un premier indice vient à l'aide. En effet, Au- delà du principe de plaisir est un texte dont on ne peut réfuter qu' i l cons- titue un moment essentiel dans l 'élaboration de la métapsychologie. Freud y introduit l 'opposit ion des pulsions de vie et de mort qui ne cesseront de guider l 'économie et la dynamique psychiques pendant les dix-neuf années de travail qui suivront. Or ce texte débute par l 'une des plus lon- gues citations du corpus freudien : une citation de Fechner. De plus Freud y situe pour la première fois le principe de plaisir dont il use dès avant L 'interprétation des rêves comme un cas particulier du principe fechne- rien « de constance » — parfaitement obscur au demeurant dans cette cita- tion pour qui ne connaît pas l 'œuvre de Fechner. Enfin ce principe fechnerien est mis en relation avec « des états de stabilité et d'instabilité », mal explicités eux aussi.

L 'at tent ion pouvait néanmoins être attirée de novo sur les termes que la citation de Fechner réunissait, à partir de 1972, et surtout à partir de

1. Ibidem, p. 33.

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1 9 7 7 , d a t e s r e s p e c t i v e s d e s p r e m i è r e s é d i t i o n s d e l ' o u v r a g e d e R e n é T h o m ,

S t a b i l i t é s t r u c t u r e l l e e t M o r p h o g e n è s e , a u x E t a t s - U n i s p u i s e n F r a n c e .

C e t o u v r a g e vise à d o n n e r u n f o r m a l i s m e p e r m e t t a n t d ' a t t a q u e r t o u t p r o b l è m e

de m o r p h o g e n è s e en généra l . Issu d ' u n e ré f lex ion sur les m é c a n i s m e s à l ' œ u v r e

d a n s le d é v e l o p p e m e n t embryo log ique , ce f o r m a l i s m e d é b o u c h e sur u n e m é t h o d e

universel le p e r m e t t a n t d ' a s soc i e r à t o u t e a p p a r e n c e m o r p h o l o g i q u e u n e s i tua t ion

d y n a m i q u e loca le qu i l ' e n g e n d r e , e t ceci de m a n i è r e i n d é p e n d a n t e d u s u b s t r a t —

maté r i e l o u n o n , v ivan t o u n o n v ivan t — qui en est le s u p p o r t . O n i n t r o d u i t ainsi

la n o t i o n de « c a t a s t r o p h e », d o n t o n présente des app l i ca t ions a l lan t de la Physi -

que (Opt ique Géomét r ique , singularités des f ronts d ' o n d e ) à la Linguist ique (théorie

des structures syntaxiques), en passant pa r la Biologie. D e nouvelles no t ions ma thé -

ma t iques sont in t rodui tes ( théorie d u dép lo iement universel), de m a n i è r e très intui-

t ive tou te fo i s , les d é m o n s t r a t i o n s é t a n t laissées a u x spécialistes.

O n t r o u v e r a d a n s ce l ivre la p r e m i è r e t e n t a t i v e s y s t é m a t i q u e p o u r p e n s e r en

t e r m e s g é o m é t r i q u e s e t t o p o l o g i q u e s les p r o b l è m e s de la r é g u l a t i o n b i o l o g i -

q u e , c o m m e c e u x p o s é s p a r l a s t ab i l i t é s t r u c t u r e l l e de t o u t e f o r m e .

T e l l e e s t l a t e n e u r d u r é s u m é d e S t a b i l i t é s t r u c t u r e l l e e t M o r p h o g e n è s e ,

e n q u a t r i è m e d e c o u v e r t u r e d e l ' é d i t i o n d e 1 9 7 7 .

Q u e l ' o n v e u i l l e b i e n a c c o r d e r l ' é n o n c é s u i v a n t , à l ' é v i d e n c e s c h é m a -

t i q u e , m a i s g u è r e c o n t e s t a b l e . D a n s l ' œ u v r e d e F r e u d , il e s t l o i s i b l e d e

d i s c e r n e r u n g e s t e s t r a t é g i q u e t y p i q u e a i n s i c o n s t i t u é : F r e u d c o n s i d è r e d e s

f o r m e s p s y c h i q u e s ( r ê v e s , s y m p t ô m e s , l a p s u s , e t c . ) o u l e s d é t e r m i n e l u i -

m ê m e ( c o n v e r s i o n , n é v r o s e o b s e s s i o n n e l l e , f é t i c h i s m e , e t c . ) ; e n s u i t e il t e n t e

d e r e n d r e c o m p t e d e l e u r a p p a r i t i o n , d e l e u r s t a b i l i t é e t d e l e u r d i s p a r i t i o n

é v e n t u e l l e p a r u n e d y n a m i q u e d e c o n f l i t s o u s - j a c e n t e ; d a n s c e t t e d y n a -

m i q u e , le p r i n c i p e d e p l a i s i r j o u e u n r ô l e e s s e n t i e l . C e m o u v e m e n t t h é o r i -

q u e u n e f o i s c o n s t a t é , u n e d i r e c t i o n d e r e c h e r c h e a p p a r a î t .

C a r l a t h e r m o d y n a m i q u e n a î t s o u s l e s y e u x d e F e c h n e r ; il e n c o n n a î t

b i e n l e s r é s u l t a t s e t l e s a p o r i e s e t e n f a i t u n u s a g e c e n t r a l d a n s s o n œ u v r e

l a p l u s c o n n u e L e s é l é m e n t s d e p s y c h o p h y s i q u e ( 1 8 6 0 ) . F r e u d , b i e n a u f a i t

d e c e s q u e s t i o n s g r â c e à s a l o n g u e f o r m a t i o n d a n s l e l a b o r a t o i r e d e B r ü c k e ,

a m i d e H e l m h o l t z , e n f a i t u n u s a g e t o u t à f a i t p a r t i c u l i e r p o u r c o n s t r u i r e

l e s p r i n c i p e s d ' i n e r t i e e t d e c o n s t a n c e q u i v o n t e n s u i t e d o n n e r l e j o u r a u

p r i n c i p e d e p l a i s i r o p p o s é a u p r i n c i p e d e r é a l i t é p u i s f i n a l e m e n t à l ' o p p o -

s i t i o n d e s p u l s i o n s d e v i e e t d e m o r t . T h o m se p r o p o s e e n s u i t e d e « g é o -

m é t r i s e r l a t h e r m o d y n a m i q u e » I l e s t d o n c l é g i t i m e d ' e s c o m p t e r u n e

1. R. Thom, Exposé introductif, in Logos et Théorie des catastrophes. A partir de l'œuvre de René Thom, p. 32 (17) (ouvrage noté L T C

Page 24: La Dynamique qualitative en psychanalyse

c o m p r é h e n s i o n p l u s p r o f o n d e d e l a d y n a m i q u e e t d e l ' é c o n o m i q u e f r e u -

d i e n n e s s i l ' o n p r e n d e n c o n s i d é r a t i o n l a t h e r m o d y n a m i q u e a c t u e l l e .

F e c h n e r s ' a v è r e u n e x c e l l e n t é p i s t é m o l o g u e . I l p o s e d e s q u e s t i o n s f o n -

d a m e n t a l e s c o n c e r n a n t le s t a t u t m ê m e d e s r é s u l t a t s s c i e n t i f i q u e s e t l e n i v e a u

d ' o b j e c t i v i t é a u q u e l i ls p e u v e n t p r é t e n d r e , e n s ' a p p u y a n t s u r u n u s a g e d ' u n e

r a r e f i n e s s e d e l ' o p p o s i t i o n c o n t i n u v s d i s c o n t i n u e t d u c a l c u l d i f f é r e n t i e l

e t i n t é g r a l . M ê m e s i F r e u d n ' e s t p a s m a t h é m a t i c i e n , l a p r e m i è r e o p p o s i -

t i o n q u i f o n d e l a d y n a m i q u e p s y c h i q u e , c e l l e d e s p r i n c i p e s d ' i n e r t i e e t d e

c o n s t a n c e e s t , e l l e a u s s i , u n e o p p o s i t i o n c o n t i n u v s d i s c o n t i n u q u e l ' o n

r e t r o u v e c o m m e l ' u n d e s t h è m e s e s s e n t i e l s d a n s l ' o p p o s i t i o n d e s p u l s i o n s

d e v i e e t d e m o r t . Q u a n t à T h o m , t o u t e s o n œ u v r e s ' o r g a n i s e à p a r t i r d u

p r i m a t d u c o n t i n u . C o m m e n t n e p a s s o n g e r q u ' e n a c c e p t a n t d e r e v e n i r

s u r c e t t e q u e s t i o n l ' o n é c l a i r e l ' œ u v r e f r e u d i e n n e d ' u n j o u r n o u v e a u ?

T r a v a i l l a b o r i e u x ; q u i c o n d u i t o ù ? P o u r u t i l i s e r l e s t e r m e s d e l a t h é o r i e

l a p l u s p u i s s a n t e , l a p l u s e x p l i c i t e e t l a s e u l e q u i p e r m e t t e u n c e r t a i n c o n t r ô l e

m a t h é m a t i q u e d e s é n o n c é s c o r r e s p o n d a n t s , d i s o n s q u e F e c h n e r d é c o u v r e

l a n é c e s s i t é d ' u s e r d ' u n e n o t i o n c o m m e c e l l e q u e n o u s p o u v o n s a c t u e l l e -

m e n t n o m m e r l a s t a b i l i t é s t r u c t u r e l l e , l i é e à u n e d y n a m i q u e s o u s - j a c e n t e ,

d a n s le d o m a i n e q u ' i l n o m m e l a « P s y c h o p h y s i q u e » . F r e u d h é r i t e d e c e s

n o t i o n s e t l e s u t i l i s e à s o n t o u r d e f a ç o n h e u r i s t i q u e e t n o n s a n s d ' e x t r ê -

m e s d i f f i c u l t é s — p o u r l a r a i s o n q u ' e l l e s n e s o n t p a s c o m p a t i b l e s a v e c c e r -

t a i n e s c o n c e p t i o n s d e l a s c i e n c e c l a s s i q u e q u ' i l m e t e n œ u v r e s i m u l t a n é m e n t

( a n a l o g i e s a v e c l a m é c a n i q u e c l a s s i q u e , p r o b l é m a t i q u e d e l a m e s u r e ) . L e s

n o t i o n s d e d y n a m i q u e q u a l i t a t i v e , d e s t a b i l i t é s t r u c t u r e l l e , d e g é n é r i c i t é

e t l a t h é o r i e d e s c a t a s t r o p h e s q u i e n d é c o u l e é c l a i r e n t f i n a l e m e n t d ' u n j o u r

n o u v e a u l e s p o i n t s d e v u e é c o n o m i q u e e t d y n a m i q u e a i n s i q u e c e r t a i n e s

a p o r i e s d e l a m é t a p s y c h o l o g i e q u i y s o n t l i é e s . P o u r a l l e r j u s q u ' à u n e f o r -

m u l e a u s s i l a p i d a i r e q u e p r o v o c a n t e : si F r e u d a v a i t c o n n u l a d y n a m i q u e

q u a l i t a t i v e , il s ' e n s e r a i t s e r v i p o u r c o n s t r u i r e l a m é t a p s y c h o l o g i e , q u i e û t

a l o r s é t é t o u t a u t r e m e n t c o n f o r m é e .

M a i s l a d y n a m i q u e q u a l i t a t i v e a é t é i n v e n t é e p a r u n m a t h é m a t i c i e n

r u s s e c o n t e m p o r a i n d e F r e u d , L i a p o u n o v . L a n o t i o n d e s t a b i l i t é s t r u c t u -

r e l l e d ' u n s y s t è m e d y n a m i q u e a é t é c r é é e p a r l ' é c o l e s o v i é t i q u e d e m a t h é -

m a t i q u e s , p e n d a n t l e s a n n é e s t r e n t e , e t c ' e s t s e u l e m e n t a p r è s l a d e u x i è m e

g u e r r e m o n d i a l e q u e c e s t r a v a u x f u r e n t d i f f u s é s e n O c c i d e n t . N o u s p r é c i -

s e r o n s c e q u ' e l l e s s i g n i f i e n t d a n s le p r e m i e r c h a p i t r e . L ' o n p e u t c e p e n d a n t

s e f i e r a u x m o t s : l a d y n a m i q u e q u a l i t a t i v e e t l a s t a b i l i t é s t r u c t u r e l l e v i s e n t

à s t y l i s e r , g r â c e à u n e d y n a m i q u e s o u s - j a c e n t e , l ' a p p a r i t i o n , l a p e r s i s t a n c e

Page 25: La Dynamique qualitative en psychanalyse

e t l a d i s p a r i t i o n d e f o r m e s , e n t e n a n t c o m p t e d e l a s o u p l e s s e d e s p h é n o -

m è n e s r é e l s : s e l o n d e s t e c h n i q u e s q u a l i t a t i v e s q u i n ' o n t p l u s g r a n d - c h o s e

à v o i r a v e c l a d y n a m i q u e c l a s s i q u e .

3 . Q u e l q u e s o b s t a c l e s t h é o r i q u e s

S i c o n v a i n c u q u e l ' o n a i t p u ê t r e , d è s les a n n é e s 7 5 , d e l a p e r t i n e n c e

d u r a p p r o c h e m e n t e n t r e l ' œ u v r e d e F r e u d e t c e l l e d e T h o m , si p e r s u a d é

q u e l ' o n f û t d e l a n é c e s s i t é e t d e l a f é c o n d i t é d ' u n e r e l e c t u r e g l o b a l e d e s

p o i n t s d e v u e é c o n o m i q u e e t d y n a m i q u e e n p s y c h a n a l y s e , d e s o b s t a c l e s

t h é o r i q u e s v a r i é s o n t c e p e n d a n t l o n g t e m p s o b s t r u é l a v o i e .

A c o m m e n c e r p a r l ' é t a t d ' a v a n c e m e n t d e l a d y n a m i q u e q u a l i t a t i v e e t

d e l a t h é o r i e d e s c a t a s t r o p h e s . I l p a r a i s s a i t e n e f f e t l o i s i b l e d ' e n f a i r e u n

u s a g e l o c a l q u i p e r m e t t a i t d e m o d é l i s e r d ' u n e m a n i è r e p l u s i n t e l l i g i b l e c e r -

t a i n e s p r o p o s i t i o n s d e F r e u d . A i n s i a v i o n s - n o u s p r o c é d é , l e D r A . B o m -

p a r d e t m o i - m ê m e , à p r o p o s d e R é a l i t é p s y c h i q u e , r é a l i t é e x t é r i e u r e e t

s c i e n c e ( 1 2 ) , d è s 1 9 7 8 1 N é a n m o i n s l e c a r a c t è r e r i g o u r e u s e m e n t l o c a l d e

l a t h é o r i e d e s c a t a s t r o p h e s n e p e r m e t t a i t p a s d ' e n v i s a g e r d ' a u t r e t e c h n i -

q u e d e t r a v a i l . P o u r s u i v r e s i g n i f i a i t d o n c s o i t s e l a n c e r d a n s u n e m o n s -

t r u e u s e t â c h e d e t r a n s p o s i t i o n , t e r m e a p r è s t e r m e , d e t o u t e l a m é t a p s y -

c h o l o g i e , o u b i e n a p p l i q u e r e n q u e l q u e a u t r e p o i n t a p o r é t i q u e d e l a

m é t a p s y c h o l o g i e f r e u d i e n n e l a t h é o r i e d e s c a t a s t r o p h e s , s a n s a u t r e e s p o i r

d e g a i n q u e c e t t e m e i l l e u r e i n t e l l i g i b i l i t é l o c a l e . N i l ' u n e n i l ' a u t r e d e c e s

s t r a t é g i e s n e p a r a i s s a i e n t d ' u n t r è s g r a n d i n t é r ê t . D a n s l e p r e m i e r c a s , l ' o n

s e t r o u v a i t d e v a n t u n t r a v a i l q u a s i i n f i n i e t d o n t , e n o u t r e , l a c o m p l e x i t é

m ê m e d e s p r é s u p p o s é s p u i s d e s r é s u l t a t s r e n d r a i t l ' u s a g e r é d h i b i t o i r e , d a n s

le s e c o n d l ' o n r i s q u a i t d e r e t o m b e r d a n s u n e t a c t i q u e d o u t e u s e d e p l a c a g e

l o c a l d e n o u v e a u x « m a t h è m e s » s u r l a m é t a p s y c h o l o g i e .

U n a u t r e o b s t a c l e c o n c e r n a i t le s t a t u t m ê m e d e l a d y n a m i q u e q u a l i t a -

t i v e e t d e l a t h é o r i e d e s c a t a s t r o p h e s c a r , s e l o n T h o m , l a t h é o r i e d e s c a t a -

s t r o p h e s a v a i t « u n s t a t u t é p i s t é m o l o g i q u e r a d i c a l e m e n t n o u v e a u »

Ce statut, René Thom l'avait montré d'emblée en usant de la théorie comme d'un langage qui comportait deux voies. D'une part, selon une

1. De même, le chap. 2 reprend et prolonge un premier travail du Dr A. Bompard Métapsychologie du moi plaisir (13), publié dès 1980.

2. R. Thom, LTC, p. 347 (17).

Page 26: La Dynamique qualitative en psychanalyse

m o d a l i t é s t a n d a r d , l e s r é s u l t a t s m a t h é m a t i q u e s d e l a t h é o r i e i n t e r v e n a i e n t

e n m a t h é m a t i q u e s e t e n p h y s i q u e . M a i s d ' a u t r e p a r t , c e n o u v e a u l a n g a g e

p e r m e t t a i t d e s e s a i s i r d e n ' i m p o r t e q u e l l e f o r m e d e l a r é a l i t é , d é f e r l e m e n t

d ' u n e v a g u e , c a p t u r e d ' u n e s o u r i s p a r u n c h a t o u é m i s s i o n d ' u n e p h r a s e ,

e t d ' e n d o n n e r u n m o d è l e q u a l i t a t i f q u i e x p l i c i t a i t l e p r o c e s s u s c o n s i d é r é ,

p a r l a v o i e g é o m é t r i q u e . C e s e c o n d u s a g e d e l a t h é o r i e , a n a l o g i q u e , a v a i t

i m m é d i a t e m e n t s o u l e v é d e s o b j e c t i o n s e t d e v i v e s p o l é m i q u e s . S e l o n u n

r é s u m é d e J e a n P e t i t o t , l e s p r i n c i p a l e s o b j e c t i o n s o n t p o r t é s u r :

(i) le c a r a c t è r e l o c a l e t n o n p r é d i c t i f de s m o d è l e s ,

(ii) l e u r n a t u r e q u a l i t a t i v e ,

(iii) l e u r n o n - r é f u t a b i l i t é e x p é r i m e n t a l e ,

(iiii) le f a i t q u ' i l s r e d o u b l e n t s o u v e n t des d e s c r i p t i o n s p h é n o m é n o l o g i q u e s fa i tes

e n l a n g u e n a t u r e l l e .

L o c a u x , q u a l i t a t i f s , n o n p r é d i c t i f s , n o n r é f u t a b l e s , e t « l i n g u i s t i q u e s » , les

m o d è l e s « h e r m é n e u t i q u e s » de la s e c o n d e vo i e s e r o n t d o n c c o n s i d é r é s c o m m e

n o n f o n d é s , v o i r e c o m m e inu t i l e s , e t l ' o n p a r l e r a à l e u r p r o p o s d e « p l a c a g e »

a n a l o g i q u e d ' e n t i t é s m a t h é m a t i q u e s su r l a r é a l i t é

S e l o n J e a n P e t i t o t , c e s c r i t i q u e s p r o v e n a i e n t d e l ' e s p r i t d u t e m p s q u i ,

f o r t d e t r o i s s i è c l e s d e c l i v a g e a b s o l u e n t r e f o r m a l i s m e m a t h é m a t i q u e e t

m o n d e p h é n o m é n a l , n e p o u v a i t c o n c e v o i r d ' a u t r e u s a g e d e s m a t h é m a t i -

q u e s q u ' a p p l i q u é , c o m m e e n m é c a n i q u e c l a s s i q u e .

A i n s i q u e j ' a i t e n t é d e l ' é v o q u e r , d a n s l e c a s d e l a p s y c h a n a l y s e , l e

l a n g a g e d e l a t h é o r i e d e s c a t a s t r o p h e s d e m e u r a i t e f f e c t i v e m e n t s o i t u n e

l a n g u e d o n t o n n e s a v a i t p a s e n c o r e t r è s b i e n o ù e l l e s e p a r l a i t , s o i t u n

d i c t i o n n a i r e d e m o t s - m o d è l e s d o n t o n n e r é u s s i s s a i t p a s à d e v i n e r l a g r a m -

m a i r e . D e p l u s il é t a i t é v i d e n t q u e l ' u n d e s o b s t a c l e s à l ' u s a g e d e c e l a n -

g a g e r é s i d a i t d a n s l ' o b t u r a t i o n d e n o s m o d e s d e p e n s é e : e n t i è r e m e n t f o r m é

p a r l ' i d é a l d e l a s c i e n c e c l a s s i q u e , l ' e s p r i t r e n â c l a i t d e v a n t u n s t y l e n o u v e a u .

D è s o c t o b r e 1 9 8 0 c e p e n d a n t , T h o m a v a i t é n o n c é l ' a m b i t i o n q u i s o u s -

t e n d a i t s o n t r a v a i l :

L e s a v a n t r e f u s e l a p r o b l é m a t i q u e d e l ' E t r e , p a r c e q u e p o u r lu i il n ' y a q u e

des ê t res p a r t i e l s , c o n f i n é s d a n s les seuls d o m a i n e s access ib l e s à l ' i n v e s t i g a -

t i o n s c i e n t i f i q u e . A i n s i s ' e s t t r o u v é c o n s o m m é le d i v o r c e e n t r e S c i e n c e e t P h i -

l o s o p h i e : a u p h i l o s o p h e p r é o c c u p é d e l a n a t u r e de l ' E t r e , le s a v a n t r é p o n d

q u e s eu l e l a p r a t i q u e d ' u n c h a m p e x p é r i m e n t a l es t f é c o n d e . D e v a n t l ' o n t o l o -

g ie n a ï v e e t é c l a t é e des s a v a n t s , le m é t a p h y s i c i e n r e p r e n d r a l a c o n d a m n a t i o n

1. J. Petitot, LTC, p. 47 (17).

Page 27: La Dynamique qualitative en psychanalyse

proférée par Heidegger en 1927 — et non sans raison, croyons-nous —, « la Science ne pense pas » [...] Faut-il croire que ce divorce persistera éternel- lement 1 ?

Pour tant Thom n 'en avait pas moins constaté ceci, peu avant :

Le lecteur pourrait retirer de cet exposé l'impression que je défends, en matière de modélisation, une position d'« anarchisme épistémologique » à la Feyera- bend. S'il en est bien ainsi selon le point de vue positiviste standard, je n'en considère pas moins que ce qui fait l'intérêt d'un modèle, c'est sa portée onto- logique, c'est-à-dire la mesure dans laquelle le modèle exprime la « réalité » de l'être (X) modélisé. Bien entendu, préciser cette notion exige d'avoir une ontologie, et se payer une métaphysique — par les temps présents — risque d'apparaître comme une ambi- tion difficilement défendable... Alors on s'en tirera, selon d'ailleurs d'illustres précédents, par une métaphore — en fait un modèle (abstrait) de la réal i té .

En somme, dans les années 80, il semblait bien qu 'un abîme persistât entre d 'un côté le projet auquel la théorie des catastrophes paraissait pour- tant convier, occuper le no man' s land qui s'était constitué entre science et philosophie, et de l 'autre côté les moyens effectivement offerts pour l'atteindre. Le problème et sa solution étaient même désignés : « avoir une ontologie » et « se payer une métaphysique ».

Dans la préface qu'il a donnée à l 'ouvrage de René Thom, Apologie du Logos, J. Largeault précise (en juillet 1988, soit après la rédaction de Esquisse d 'une Sémiophysique comment l'exigence de Thom le porte à rechercher, au-delà du savoir (scientifique usuel), la signification : « Que les mathématiciens le lui pardonnent : les mathématiques pures ne lui suf- fisent pas ! » s'exclame-t-il avant de préciser que l 'objet exclusif de la recherche de Thom, à l'inverse de l'activité scientifique moderne, c'est de « penser et comprendre ». Et il décrit ainsi le style de pont que Thom a finalement lancé par-dessus l 'abîme :

Le premier texte du recueil définit implicitement un programme de philoso- phie de la nature. Entre les notions sensibles et les notions abstraites, que le conventionnalisme idéaliste sépare, elle restaure une continuité. En deux mots : nous tirons des choses ce qui nous sert à les comprendre. Pour les classiques, l'intelligibilité consiste dans la convenance entre les idées et les choses, et elle

1. R. Thom, LTC, p. 41 (17). 2. R. Thom, Modélisation et scientificité, p. 24-25 (160). 3. AL, Préface, p. 10 (172).

Page 28: La Dynamique qualitative en psychanalyse

va de soi : connaître, c'est comprendre. Nous parlons de science plus volon- tiers que de connaissance. Le savoir réside dans des propositions obtenues par voie soit expérimentale soit déductive, et il apparaît que savoir n'implique pas comprendre. Compléter le savoir par la compréhension conduit à renouveler la philosophie de la nature 1

Thom lui-même précise d'ailleurs deux points, dans une note de cette préface. Premièrement, quelle est la situation de la théorie des catastro- phes dans le no man ' s land, à la frontière des « [ ] deux modes d 'appré- hender l'existence. Le mode métaphysique, celui d'Aristote [...], et le mode géométrique : la forme visible dans l 'étendue ». Deuxièmement, quelle est l'opérativité spécifique de la théorie des catastrophes dans « l 'exploration de ces marches, où se heurtent vouloir et étendue » :

La question si une science est une grammaire est assez ambiguë. Si on entend grammaire au sens linguistique usuel (et non pas formaliste-chomskyste), la générativité de la compétence y est limitée par la performance, autrement dit le virtuel engendré par les mécanismes syntaxiques contiendra plus que le réel fourni par l'acceptabilité sémantique (la performance Seules la logique et les mathématiques ont une grammaire au sens strict (où la distinction compétence-performance n'apparaît pas, où acceptabilité sémantique = cons- titution formelle correcte des expressions), cela au moins théoriquement, il va sans dire... Ainsi le « sens », la signification, apparaît comme une limita- tion (inattendue) de la générativité ( formelle)

Il se trouve que la théorie des catastrophes explore, indépendamment du substrat, ce que sont les conditions dynamiques de la générativité, cel- les de ses limitations et les formes résultant de ces limitations. Pa r consé-

quent il est probable qu'elle constitue intrinsèquement la première interface effective, de ce type et d 'une telle portée, qui ait jamais été construite entre le savoir (formel et génératif) et la signification. Mais c'est une thèse que nous examinerons de très près dans le présent o u v r a g e compte tenu des nouvelles propositions de Thom.

1. Ibidem, p. 11. 2. Ibidem, p. 14. 3. Le chapitre 10, Elaborer une autre position épistémologique, lui est pour partie explicitement

consacré.

Page 29: La Dynamique qualitative en psychanalyse

4. 1988 : une date dans l'histoire de la pensée

On pourra me représenter à bon droit qu'il est vraiment prématuré de considérer la parution de l'ouvrage, Esquisse d'une Sémiophysique. Physique aristotélicienne et Théorie des Catastrophes comme un événe- ment important dans l'histoire de la pensée, moins de cinq ans après sa parution. Pire, de l'avoir considéré comme tel dès parution. D'autant plus que cet ouvrage est une esquisse ; et qu'il n'a pas provoqué de nombreu- ses études depuis sa parution.

Que répondre à cette objection ? Je m'en tiendrai à une image — mili- taire. Dans le travail de recherche, il y a des fantassins, des artilleurs assu- rément, des éclaireurs puis toute une hiérarchie, lorsqu'un paradigme règne, au sens de Thomas Kuhn. En l'absence de paradigme, chacun passe en première ligne et devient éclaireur — derrière les lignes éventuellement — ce qui comporte beaucoup d'indépendance mais peut s'avérer dangereux. Que les risques de se tromper soient très grands est l'évidence. Cependant la situation actuelle de la psychanalyse et l'absence de paradigme, dont les multiples recherches de « nouveaux fondements » sont la preuve ', ne laissent pas le choix. Soit on accepte les risques que comporte la recher- che en l'absence de paradigme, ou bien l'on se tait. Ici l'on ne prendra jamais qu'un risque, celui de rapprocher deux œuvres.

Revenons à la Sémiophysique. En se plaçant « dans la lignée d'une discipline défunte, à savoir la "Philosophie naturelle" », Thom crée le lieu où parler le langage de la théorie des catastrophes. Elle avait « un statut épistémologique radicalement nouveau » selon ses propres termes. Nous avions aussi noté l'objectif de Thom : renverser l'état de la science où il était exact de dire qu'elle ne pensait pas. Passer à une situation nou- velle où, grâce à des moyens inédits qui ouvriraient des voies de passage entre formalisme et langue ordinaire, d'une part la science serait mise en demeure de penser, parce que les moyens de le faire seraient à sa disposi- tion, d'autre part des instruments d'une autre nature seraient mis à la dis- position des « sciences humaines ». Bref, s'aventurer plus profond dans le no man 's land historiquement constitué à partir du XVII siècle entre « les deux pentes du logos ». Nous avons vu que la théorie des catastro- phes, seule, présentait de ce point de vue un inconvénient : il fallait ouvrir

1. Par exemple récemment avec J. Laplanche (125), et M. Edelson (25).

Page 30: La Dynamique qualitative en psychanalyse

u n c h e m i n o r i g i n a l d a n s l e n o m a n ' s l a n d p o u r c h a q u e s i t u a t i o n q u e l ' o n

s o u h a i t a i t s t y l i s e r e t r e n d r e i n t e l l i g i b l e s e l o n u n e v u e n o u v e l l e .

A v e c s a S é m i o p h y s i q u e , T h o m s ' e s t « p a y é » l ' o n t o l o g i e d e l ' i n t e l l i -

g i b i l i t é q u i l u i m a n q u a i t . E l l e e s t d ' a b o r d c o n s t i t u é e p a r t r o i s t e r m e s , l a

s a i l l a n c e , l a p r é g n a n c e ( a v e c l e u r s q u a t r e i n t e r a c t i o n s ) e t l ' e s p a c e - t e m p s

u s u e l q u i j o u e l e r ô l e d ' e s p a c e s u b s t r a t . D a n s c e t t e o n t o l o g i e , l a t h é o r i e

d e s c a t a s t r o p h e s i n t e r v i e n t d e f a i t c o m m e u n e i n t e r f a c e e x p l i c i t e e n t r e d e s

p h é n o m è n e s p a r l à m i s a u m ê m e n i v e a u : l e s é v é n e m e n t s q u i o n t l i e u d a n s

le m o n d e ( m a c r o s c o p i q u e u s u e l ) t e l s q u e n o u s l e s p e r c e v o n s e t l a f o r m e

d e s p r o c e s s u s n e u r o p h y s i o l o g i q u e s ( i n c o n n u e ) q u i e s t l a s i g n i f i c a t i o n d e

l a p e n s é e ( d e c e s é v é n e m e n t s ) . E t a n t d o n n é l ' e x i s t e n c e d e c e t o u v r a g e , e t

t o u t p a r t i c u l i è r e m e n t l e s l i e n s i n é d i t s e n t r e b i o l o g i e e t l i n g u i s t i q u e q u ' i l

P r o p o s a i t , d a n s u n e p e r s p e c t i v e d y n a m i q u e , il m ' e s t a p p a r u q u ' i l v a l a i t

l a p e i n e d e r e p r e n d r e l e t r a v a i l c r i t i q u e d e l a m é t a p s y c h o l o g i e d e F r e u d

e t q u e l a s é m i o p h y s i q u e o u v r i r a i t p e u t - ê t r e u n e p i s t e p o u r l a r e f o r m u l e r .

O n t r o u v e r a d o n c , d a n s L a d y n a m i q u e q u a l i t a t i v e . . . , u n e p r e m i è r e l e c -

t u r e m o r p h o g é n é t i q u e s y s t é m a t i q u e d e l ' œ u v r e d e F r e u d . E l l e u t i l i s e t r è s

e x p l i c i t e m e n t c e r t a i n e s n o t i o n s d e l a d y n a m i q u e q u a l i t a t i v e e t d e l a t h é o -

r i e d e s c a t a s t r o p h e s . U n e t e l l e l e c t u r e c o n c e r n e d e p r é f é r e n c e l e s m o m e n t s

o ù F r e u d e s t c o n t r a i n t d ' i n t r o d u i r e d e v é r i t a b l e s f o r m e s i r r é d u c t i b l e s :

a v a n t l a c o n s t r u c t i o n d e l a p r e m i è r e t o p i q u e , e n t r e a u t r e s d a n s l ' E s q u i s s e

d ' u n e p s y c h o l o g i e s c i e n t i f i q u e , e t à p a r t i r d e 1 9 1 4 , o ù l a n e u e F o r m q u e

le « J e » c o n s t i t u e e s t à c e t é g a r d e x e m p l a i r e . L e n o y a u d e c e t t e é t u d e e s t

d o n c l ' a n a l y s e d e s œ u v r e s r é d i g é e s e n t r e 1 9 1 4 e t 1 9 2 3 : d e l ' i n t r o d u c t i o n

d e s f o r m e s i r r é d u c t i b l e s a u x t r a n s f o r m a t i o n s d e s p o i n t s d e v u e é c o n o m i -

q u e e t d y n a m i q u e q u e c e s f o r m e s o n t e n t r a î n é e s , n o t a m m e n t e n i m p o s a n t

à F r e u d d ' i n t r o d u i r e l ' o p p o s i t i o n d e s p u l s i o n s d e v i e e t d e m o r t . I l s ' a g i t

a l o r s d e m o n t r e r l a c o h é r e n c e i n t e r n e d e l ' é v o l u t i o n d e F r e u d e n m a t i è r e

d e m é t a p s y c h o l o g i e e t d ' e x p l i c i t e r c o m m e n t l e h e u r t e n t r e d e s m o d è l e s m o r -

p h o g é n é t i q u e s e t l es m o d è l e s a n t é r i e u r s , p l u s m é c a n i s t e s , p r o v o q u e e t m a i n -

t i e n t l e s c o n t r a d i c t i o n s d e l a m é t a p s y c h o l o g i e s u r l e s q u e l l e s n o u s b u t o n s e n c o r e .

E n s u i t e l ' o n t e n t e d ' e x p l i c i t e r q u e l q u e p e u , d e m a n i è r e n o n t e c h n i q u e ,

e n q u o i l e s p r o c é d é s d ' é t u d e e t l e s r é s u l t a t s d e l a d y n a m i q u e q u a l i t a t i v e ,

t e l l e q u ' e l l e a é t é t r a v a i l l é e e t u t i l i s é e p a r R e n é T h o m , p r é s e n t e n t p l u s d ' i n t é -

r ê t q u e l a s i m p l e r e l e c t u r e d e l ' œ u v r e d e F r e u d , p o u r l a p s y c h a n a l y s e .

M a i s l ' o u v r a g e s ' o u v r e s u r u n e p r é s e n t a t i o n d e l ' œ u v r e d e R e n é T h o m

e t s u r l ' e x a m e n d e s p o s i t i o n s é p i s t é m o l o g i q u e s d é c i s i v e s , q u i p e r m e t t e n t

Page 31: La Dynamique qualitative en psychanalyse

d ' a f f i r m e r q u ' u n a c c o r d d e p r i n c i p e r è g n e e n t r e l ' œ u v r e d e F r e u d e t c e l l e

d e T h o m . E n s u i t e , p o u r f a m i l i a r i s e r l e l e c t e u r a v e c l e s m o d e s d e p e n s e r

d e l a d y n a m i q u e q u a l i t a t i v e e t p o u r a l l e r d ' e m b l é e a u p l u s p r o m e t t e u r ,

u n e s t y l i s a t i o n d u f o n c t i o n n e m e n t s e l o n l e J e - p l a i s i r d u d é b u t e s t p r é s e n -

t é e . C ' e s t s e u l e m e n t a p r è s c e s p r é l i m i n a i r e s q u e l a r e l e c t u r e d e l ' œ u v r e

d e F r e u d e s t e n t r e p r i s e .

5 . L a c o n j e c t u r e

E n f a i t il y a t r o i s c o n j e c t u r e s . P r e m i è r e m e n t , l a d y n a m i q u e q u a l i t a -

t i v e e t l e s n o u v e l l e s c o n c e p t i o n s m a t h é m a t i q u e s q u ' e l l e a p p o r t e p e u à p e u

a i n s i q u e l e s p r o l o n g e m e n t s s é m i o p h y s i q u e s c r é é s p a r R e n é T h o m p o u r -

r a i e n t p r é s e n t e r u n g r a n d i n t é r ê t p o u r l a p s y c h a n a l y s e .

D e u x i è m e m e n t , le d é v e l o p p e m e n t d e l a t h é o r i e d e s c a t a s t r o p h e s t e l q u e

R e n é T h o m l ' e n v i s a g e d a n s l ' o u v r a g e , E s q u i s s e d ' u n e S é m i o p h y s i q u e , q u i

v i s e à r e s s u s c i t e r u n e P h i l o s o p h i e n a t u r e l l e e t à « e x p l i c i t e r l ' a n a l y s e d e s

m é c a n i s m e s p s y c h i q u e s o r i g i n e l s à n o t r e e s p è c e » 1 p o u r r a i t n e p a s n é g l i -

g e r l a p s y c h a n a l y s e . A u r e s t e , R e n é T h o m s ' y r é f è r e e t il n ' e s t p a s e x c l u

q u e l a p s y c h a n a l y s e t r o u v e u n e p l a c e d a n s l e n o u v e a u d o m a i n e a i n s i o u v e r t .

T r o i s i è m e m e n t , l a n é c e s s i t é d e r e n o u v e l e r l e s « f o n d e m e n t s » d e l a

t h é o r i e p s y c h a n a l y t i q u e , o p é r a t i o n d é j à f o r m u l é e e t e f f e c t u é e p a r F r e u d ,

r e v i e n t s o u s l a p l u m e d e d i v e r s p s y c h a n a l y s t e s . L a t r o i s i è m e d e n o s

c o n j e c t u r e s e s t q u e l a d y n a m i q u e q u a l i t a t i v e p o u r r a i t c o n t r i b u e r à c e r e n o u -

v e l l e m e n t . E n o u t r e , d e p u i s l a p u b l i c a t i o n d e E s q u i s s e d ' u n e S é m i o p h y s i -

q u e , il e s t p o s s i b l e d ' a v a n c e r q u e l q u e p e u , q u a n t à l a f o r m e d e c e t t e

c o n t r i b u t i o n .

V o i c i m a i n t e n a n t l ' é n o n c é d e l a c o n d i t i o n p r é a l a b l e à t o u t e x a m e n d e

c e s t r o i s c o n j e c t u r e s : le m a r i a g e h y b r i d e d ' u n c h e v a l e t d ' u n e â n e s s e n ' a

j a m a i s p r o d u i t q u e d e s b a r d o t s , s o i t d e s a n i m a u x t o u j o u r s i n f é c o n d s .

A u t r e m e n t d i t , s ' i l d o i t y a v o i r r e n c o n t r e , e n c o r e f a u d r a i t - i l a u p a r a v a n t

t r a n c h e r u n p a c t e , c ' e s t - à - d i r e d é t e r m i n e r p r é c i s é m e n t l ' a l t é r i t é d e s d e u x

d o m a i n e s e t n e p a s s e l i v r e r p r é m a t u r é m e n t à d e s « a p p l i c a t i o n s » q u i ,

p o u r é v i d e n t e s q u ' e l l e s p u i s s e n t p a r a î t r e , n ' e n r i s q u e n t p a s m o i n s d ' ê t r e

s t é r i l e s .

1. Esquisse d'une Sémiophysique. Physique aristotélicienne et Théorie des Catastrophes, p. 16 (170) (ouvrage noté ES).

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E n c o n s é q u e n c e n o u s s o m m e s r e q u i s p a r u n t r a v a i l p r é a l a b l e . R e l i r e

l ' œ u v r e d e F r e u d , c o m m e n c e r à l i r e c e l l e d e T h o m ; t e n t e r d a n s l e s d e u x

c a s d ' e x h i b e r a u s s i c l a i r e m e n t q u e p o s s i b l e l e s t h è m e s e s s e n t i e l s , l a o u l e s

a p o r i e ( s ) f o n d a t r i c e ( s ) , e n f i n l e s é v e n t u e l l e s o b s t r u c t i o n s t h é o r i q u e s q u i

d e m a n d e n t r é - e x a m e n ; e t é v i d e m m e n t m o n t r e r a u c o u r s d e c e s l e c t u r e s

q u e l i n t é r ê t p r é s e n t e l e r a p p r o c h e m e n t d e c e s d e u x a u t e u r s .

L a s i t u a t i o n n ' e s t c e p e n d a n t p a s s y m é t r i q u e . L ' œ u v r e d e F r e u d e s t

a c h e v é e e t d é j à p r o f o n d é m e n t é t u d i é e . A l ' i n v e r s e , R e n é T h o m é c r i v a i t

r é c e m m e n t c e c i , à p r o p o s d e l a t h é o r i e d e s c a t a s t r o p h e s :

A u d é p a r t [ dans les a n n é e s 1968-70 d o n c ] , q u a n d C h r i s t o p h e r Z e e m a n et m o i

n o u s s o m m e s l a n c é s d a n s c e t t e a f f a i r e , n o u s n ' a v i o n s p a s u n e i d é e e x t r ê m e -

m e n t p r é c i s e des p o s s i b i l i t é s d e l ' o u t i l : o n r é c o l t e t o u t d ' u n c o u p u n ou t i l ,

o n s ' e n s e r t , m a i s o n n e sa i t p a s t r è s b i e n ce q u ' i l v a d o n n e r e t d a n s que l l e s

c o n d i t i o n s o n p e u t l ' a p p l i q u e r .

N o u s n e s o m m e s p l u s e n 1 9 7 0 ; l ' e x a m e n m i n u t i e u x d e s f o n d e m e n t s

d e l a t h é o r i e d e s c a t a s t r o p h e s e t d e s p r o l o n g e m e n t s q u e R e n é T h o m a p r o -

p o s é s e n e s t f a c i l i t é , m a i s il r e s t e à a c c o m p l i r . L a d y n a m i q u e q u a l i t a t i v e . . .

e s t d o n c p o u r l ' e s s e n t i e l u n t r a v a i l d ' a n a l y s e c r i t i q u e d e l ' œ u v r e d e F r e u d

e t d e p r é s e n t a t i o n c r i t i q u e d e c e l l e d e T h o m , r e s t r e i n t a u x t h è m e s f o n d a -

m e n t a u x s u r l e s q u e l s i l s e m b l e p e u r i s q u é d e s u p p o s e r q u ' u n d i a l o g u e

f é c o n d p u i s s e s ' e n g a g e r e n t r e l e s d e u x œ u v r e s . L e d i a l o g u e p r o p r e m e n t

d i t e s t p r é s e n t d ' e m b l é e , m a i s s e s c o n d i t i o n s d ' e x i s t e n c e d o i v e n t ê t r e e x a -

m i n é e s a u f u r e t à m e s u r e q u ' i l s ' a p p r o f o n d i t . C ' e s t a i n s i q u e l ' o n p e u t

c o n s i d é r e r c e t r a v a i l c o m m e l i m i n a i r e e t p r o g r a m m a t i q u e .

P r é c i s o n s m a i n t e n a n t l a s t r u c t u r e e t le c o n t e n u d e c e q u i s u i t . L a d y n a -

m i q u e q u a l i t a t i v e . . . e s t c o m p o s é d e d i x c h a p i t r e s , o u t r e c e t t e i n t r o d u c -

t i o n . N o u s c o m m e n ç o n s p a r l a p r é s e n t a t i o n d e q u e l q u e s t h è m e s d e l ' œ u v r e

d e R e n é T h o m . F r e u d a p p a r a î t a l o r s c o m m e e n f i l i g r a n e . E n s u i v a n t l e s

i n d i c a t i o n s q u e R e n é T h o m d o n n e d a n s l a r é c e n t e a u t o b i o g r a p h i e s c i e n t i -

fique qu'il a p u b l i é e nous essayons de suivre le mouvement de l'élabo- ration de son œuvre, tout en la présentant. La proximité avec Freud, dans le style de démarche et même dans les problématiques fondamentales, aide à voir René Thom au travail.

Dans un deuxième chapitre, nous élaborons une stylisation du je-plaisir du début, proposé par Freud à partir de 1911 dans les Formulations sur

1. LTC, p. 34 (17). 2. Ibidem, p. 23-39.

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les deux principes de l'événement psychique. C'est l'occasion de rencon- trer la figure peut-être la plus intéressante parmi les sept catastrophes élé- mentaires : la fronce ; et de montrer comment la théorie des catastrophes est pertinente pour conférer quelque intelligibilité à certaines apories en psychanalyse.

Nous proposons ensuite une relecture des travaux rédigés par Freud en 1914-1915, et tentons de montrer qu'ils constituent, outre le projet de « fonder un système psychanalytique autonome », un moment théorique décisif. Pour ce faire, nous procédons à l'examen exhaustif des travaux rédigés pendant ces années et à celui des modifications conceptuelles essen- tielles qui y ont lieu. Le terme qui subsume ce moment théorique est la Morphologie 1 ce que nous tentons de démontrer. Ce travail est effectué dans les chapitres 3 à 5.

Puis, dans le chapitre 6, nous mettons en évidence les obstructions théo- riques que Freud rencontre après avoir fait le choix d'accepter une pers- pective morphologique en psychanalyse. L'une d'elles porte sur le soubassement économique et dynamique des deux modèles d'appareil psychique déjà co-présents : le modèle d'avant 1914-1915 et le modèle, ou plutôt l'esquisse du modèle ultérieur. Par une intéressante coïncidence, cette obstruction est mise au jour lors des premiers développements théo- riques que Freud consacre au féminin ; la question de l'individuation appa- raît alors comme centrale. L'on découvre de plus que Freud est « trop à l'étroit » dans les modèles d'appareil psychique dont il dispose.

En suivant ainsi, pas à pas, pratiquement tous les travaux rédigés après le grand changement des années 1914-1915, l'on arrive à un deuxième moment théorique crucial : 1919-1920, rédaction et publication d ' du principe de plaisir. Ici l'expression qui subsume la transformation est empruntée à René Thom : « plonger le réel dans un imaginaire beaucoup plus vaste ». Plus précisément, l'on tente de démontrer comment Freud constitue avec Au-delà... une théorie élargie de la psychanalyse, théorie cette fois-ci morphodynamique, puisqu'elle comporte, avec l'hypothèse de l'opposition des pulsions de vie et de mort, un espace économique et dynamique autonome — une dynamique autonome au sens de la dynami- que qualitative. C'est l'objet du chapitre 7.

1. Terme dont on doit l'usage à Goethe (le terme, die Morphologie, fut introduit en 1800 par le naturaliste C.F. Burdach, mais il ne fut adopté dans les sciences naturelles qu'après avoir été défini en détail par Goethe).

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