la « douleur » en dermatologie : questions posées au docteur martine grégoire-bardel
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ouleurs Évaluation - Diagnostic - Traitement (2013) 14, 42—44
Disponible en ligne sur
www.sciencedirect.com
NTRETIEN
a « douleur » en dermatologie : questions posées auocteur Martine Grégoire-Bardel�
ain and dermatology questions put to Martine Grégoire-Bardel
Patrick Sichère
Hôpital Delafontaine, 2, rue Pierre-Delafontaine, 93200 Saint-Denis, France
Disponible sur Internet le 1er janvier 2013
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atrick Sichère : Quels symptômes fonctionnels emploiea peau pour exprimer sa souffrance ?
Martine Grégoire-Bardel : La peau peut être le siège deouleurs, c’est le cas lorsqu’elle est traumatisée, brûlée oue siège de certaines maladies caractérisées par leur douleuromme le zona. Mais la douleur n’est pas le symptôme le plusréquent. C’est le prurit qui est la manifestation largementrévalente sur la peau. Il s’agit d’une sensation déplaisanteui provoque le désir de se gratter. Le prurit peut être à’origine d’une souffrance importante au même titre que laouleur mais il est très différent de la douleur. Enfin, il existees sensations intermédiaires entre le prurit et la douleur ;e sont les dysesthésies, les paresthésies.
PS : Quelle est la physiopathologie du prurit ?MGB : Nous allons rester simples et schématiques : il y
dans la peau, des récepteurs spécifiques du prurit, lesbres C non myélinisées, à conduction lente. Leur terri-oire est vaste, en moyenne 8,5 cm2 mais leur siège n’estas complètement défini, autour de la jonction dermo-pidermique.
Ces récepteurs sont activés par des neuromédiateursont le principal est l’histamine. Mais, l’histamine n’est pas
e seul médiateur impliqué dans le prurit, ce qui expliqueourquoi les antihistaminiques ne sont pas toujours effi-aces. La substance P, la sérotonine, les prostaglandines� Dermatologue, 1, rue de la Poterne, 71600 Paray Le Monial.Adresse e-mail : [email protected]
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624-5687/$ — see front matterttp://dx.doi.org/10.1016/j.douler.2012.09.010
ont aussi des médiateurs importants du prurit. Il existene deuxième voie d’activation du prurit représentée pares récepteurs des sérine-protéases (PAR-2) et les neuronesmpliqués dans la moelle épinière seraient différents deseurones histaminergiques.
Lors de stimuli extérieurs de toute nature, mécanique,hermique, chimique, il y a activation des cellules neu-onales qui produisent des neuromédiateurs, l’informationst recue au niveau d’un récepteur, puis elle est transmiseux ganglions rachidiens sensitifs puis à la moelle épinièrepremier neurone) puis elle remonte jusqu’au thalamusdeuxième neurone) et jusqu’au cortex temporal (troisièmeeurone).
Au niveau cérébral, il n’y a pas de centre unique du pru-it mais l’imagerie cérébrale a pu montrer qu’il y avait desocalisations au niveau des aires sensitives mais aussi affec-ives et motrices. Ainsi, le prurit est quasi obligatoirementuivi de grattage.
L’histamine n’est pas le seul médiateur impliqué dans lerurit et les antihistaminiques ne sont pas toujours efficacesans le prurit ; les neuromédiateurs de l’histamine sont nom-reux et la liste s’allonge avec les recherches (substance P,érotonine, prostaglandines, morphiniques naturels, inter-eukine 2, interféron alpha, protéases, kinines).
À côté des récepteurs de l’histamine, les PAR-
représentent la deuxième voie d’activation du prurit,otalement indépendante de la voie histaminique, emprun-ant des neurones différents des neurones histaminergiquesans la moelle épinière puis le cerveau.La « douleur » en dermatologie : questions posées au Docteur Martine Grégoire-Bardel 43
Prurit r écent ou ancien
Interrog atoi re exa men dermatologi que
Pas de pathol ogie dermatologi que
Lésions c utan ées spécifi ques
Pathologie dermatologi que
simp le
Lésions absen tes ou non spé cifi ques
Pathologie dermatologi que
complexe
Exa men clin iqu e comp let Bilan bio logiqu e comp let
RP, échogra phie obdom inale
Biops ie cuta née + I FD + exa mens
complémen tai res orientés
Pas d’exa mens
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Figure 1. Arbre décisionnel : démarche de diagnostic étiologiqueAdapté de Misery L. Prurit idiopathique. Paris: Masson, AKOS traité
PS : De quels moyens dispose la recherche derma-tologique pour explorer les mécanismes du prurit ; parexemple l’IRM fonctionnelle est-elle pratiquée commecela se fait pour la douleur ?
MGB : Les mécanismes du prurit sont moins bien connusque ceux de la douleur. L’exploration fonctionnelle du pruritest difficile mais indispensable dans l’évaluation clinique etthérapeutique. Elle fait appel à différentes techniques, dontl’IRM fonctionnelle.
Il n’existe pas de modèle in vitro du prurit et l’explorationpasse donc par des modèles in vivo, humains ou ani-maux. En pratique, l’induction d’un prurit est le plussouvent réalisée avec l’histamine, par injection intrader-mique ou ionophorése. L’appréciation des aspects qualitatifsdu prurit est basée sur l’examen clinique et interroga-toire.
L’examen clinique montre des lésions de grattaged’importance variable, des papules et des nodules de pru-rigo, des lésions de dermographisme et des lichénifications :le grattage est, en effet, bien différent selon la patholo-gie. Des signes cutanés ou généraux associés vont orienterle diagnostic étiologique. Des ongles vernissés sont en faveurd’un prurit intense et ancien.
L’interrogatoire permet de préciser les caractères duprurit : aigu ou chronique, les facteurs déclenchants, les fac-teurs aggravants, le contexte associé, la notion d’un pruritcollectif, effets des traitements. Il n’y a pas de question-naire standardisé sur le prurit comme pour la douleur, pour
l’instant.La mesure de l’intensité du prurit est difficile car sub-jective ; plusieurs méthodes d’évaluation de l’intensitédu prurit ont été proposées, s’inspirant des échelles
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prurit.édecine: [6-0550]. Doi: 10.1016/S1634-6939(09)51385-3.
’évaluation de la douleur, l’échelle visuelle analogiquellant de 0 à 10 étant la plus utilisée. L’évaluation de’insomnie et de l’altération de la qualité de vie, au besoinar des échelles, permet de mesurer des reflets indirectsais très pertinents de l’intensité du prurit. La mesure de
’intensité du grattage est beaucoup utilisée pour appréciere prurit mais elle a ses limites. Un prurit faible n’entraîneas de grattage en dessous d’un seuil variable d’un sujet à’autre. Des paresthésies, des dyesthésies et même la dou-eur peuvent induire le grattage. Le plus souvent, l’intensitéu grattage est évaluée par l’observation de l’acte de seratter de préférence sur un enregistrement vidéo, mais il’agit d’une activité irrégulière.
PS : Quel est l’algorithme à utiliser pour la recherchetiologique ?
MGB : Le prurit est un symptôme fréquent dont lesauses sont multiples, soit purement dermatologiques, soitystémiques et de gravité variable. En premier lieu, onistingue les prurits localisés le plus souvent de causesermatologiques simples et les prurits généralisés relevante causes plus variées, dermatologiques et systémiques.n cas de lésion cutanée, il faut diagnostiquer la lésionlémentaire signant la dermatose, au besoin en s’aidant’une biopsie cutanée. En l’absence d’éruption cutanée, lesauses systémiques nombreuses doivent être recherchées.n interrogatoire précis, un examen clinique complet et desxamens complémentaires doivent être demandés (Fig. 1).es lésions de grattage ne sont pas synonymes de cause
nterne car elles peuvent accompagner certaines derma-oses en début d’évolution ; c’est le cas de la Gale des gensropres, de la Pemphigoïde Bulleuse débutante, de certainesoxidermies.4
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PS : Quelle est la définition du prurit psychogène, sesroblèmes de diagnostics ?
MGB : Le diagnostic de prurit psychogène (PS) encoreppelé trouble fonctionnel prurigineux (TFP) doit êtreetenu après élimination de toute cause organique et enonction de critères diagnostiques.
Tout d’abord, en l’absence de cause dermatologique eton dermatologique, on retient le diagnostic de prurit idio-athique qui est un diagnostic d’attente : il faut savoirépéter les bilans car une étiologie organique peut se révélerlus tardivement après l’apparition du prurit : c’est particu-ièrement vrai pour les lymphomes du sujet jeune.
Ensuite, le diagnostic de PS ou TFP nécessite des critèrese diagnostic positifs et parmi ceux-ci, trois sont obliga-oires :
prurit sine materia localisé ou généralisé ;durée supérieure à six semaines ;pas de cause somatique.
Sept sont facultatifs :relation chronologique avec des évènements stressants ;une variation d’intensité avec le stress ;une variation nycthémérale avec renforcement le soir, lanuit ;une prédominance dans les périodes de repos oud’inactivité ;la présence d’un trouble psychique associé (dépression ouanxiété) ;une amélioration par les psychotropes ;une amélioration par une psychothérapie.
Le diagnostic de PS ou TFP doit être annoncé avec pru-ence et avec des arguments solides car il peut être trèserturbant voire culpabilisant pour le patient qui peut alorsbandonner toute prise en charge médicale.
PS : Quels sont les traitements ? Les thérapies compor-ementales ont-elles leur place ?
MGB : Sur le plan thérapeutique, il n’existe pas de trai-ement codifié. La prise en charge doit être envisagée àrois niveaux : lésionnel, émotionnel, et cognitif. Le trai-ement des lésions de grattage ne doit pas être négligé ; ilait appel à des pansements occlusifs, à des applications deermocorticoïdes, à des émollients contenant ou non desntiprurigineux. La puvathérapie ou les ultraviolets B sont
arfois utiles. L’approche émotionnelle est centrée sur laelation médecin—malade et le soutien psychologique duédecin qui peut remplacer le médicament. Si le patientst prêt, diverses psychothérapies peuvent être proposées
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’inspiration analytique, hypnose ou comportementale. Dessychotropes peuvent également être proposés car souventfficaces : hydroxyzine, doxépine et inhibiteurs de la recap-ure de la sérotonine.
Enfin, l’approche cognitive consiste en l’éducation duatient pour qu’il se déculpabilise et apprenne à se prendren charge.
PS : Douleurs et prurit ont-ils finalement des pointsommuns ?
MGB : Le prurit n’est pas une douleur a minima et il’oppose à la douleur sur plusieurs points :
en cas de prurit, on aura une réaction de grattage alorsque la douleur entraîne une réaction de retrait ;le prurit siège sur la peau et les semi-muqueuses, la dou-leur peut être présente sur les muqueuses ;le chaud va aggraver le prurit et calmer la douleur etinversement pour le froid ;les endorphines vont aggraver voire être responsablesd’un prurit alors qu’elles vont calmer la douleur ;les antihistaminiques, souvent favorable dans le prurit,n’ont aucun effet sur la douleur ;le seuil minimal de déclenchement est plus faible pour leprurit que pour la douleur.
Il existe des interactions entre prurit et douleur : laouleur peut inhiber le prurit ou bien douleur et cha-eur peuvent être ressenties au cours d’un prurit. Cesnteractions paraissent inattendues dans la mesure où lesoies neurologiques de ces deux sensations sont considéréesomme antagonistes. Des études sont en cours pour éva-uer prurit et douleur dans différentes circonstances. Il neemble pas exister de lien entre douleur d’origine psycho-ène et prurit.
Il faut ajouter que le prurit est percu comme déplai-ant, ennuyeux, alors que le grattage déclenché par le pruritst percu comme agréable, véritable source de plaisir carl soulage une sensation inconfortable. Le niveau de plai-ir éprouvé par le grattage apparaît corrélé avec l’intensitéu prurit. À l’inverse, la douleur ne semble pas avoir étéécrite comme source de plaisir.
our en savoir plus
isery L. Prurit. Paris: Elsevier Masson, Dermatologie: [98-140-A-0]. Doi: 10.1016/S0246-0319(06)44789-0.
Misery L. Prurit idiopathique. Paris: Elsevier Masson, AKOS traitée médecine: [6-0550]. Doi: 10.1016/S1634-6939(09)51385-3.