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La conception de L’homme dans La théorie de L’echange composite de François perroux : entre homo economicus et homo reLigiosusDocuments de travail GREDEG GREDEG Working Papers Series
Claire BaldinLudovic Ragni
GREDEG WP No. 2019-03https://ideas.repec.org/s/gre/wpaper.html
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La conception de l’homme dans la théorie de l’Echange Composite de François Perroux :
entre homo economicus et homo religiosus
Claire BALDIN et Ludovic RAGNI Université Côte d’Azur, CNRS, GREDEG, France
GREDEG Working Paper No. 2019-03
Cet article réexamine les fondements, analytiques, conceptuels et philosophiques sur lesquels repose la conception de l’homme que Perroux promeut pour définir l’Echange Composite par rapport à l’homo œconomicus propre à l’Echange Pur. Une première partie montre que l’Echange Composite constitue -i- une critique du rationalisme des modèles d’Echange pur marginalistes et d’équilibre général -ii- que cette critique repose sur une série de concepts qui ont contribués à définir le système que Perroux a toujours défendu (effets de domination, luttes-concours, conflits-coopérations, coûts de l’homme, dons et transferts contraints). Une seconde partie met en évidence que ces concepts trouvent leur origine dans une philosophie spécifique à la fois spiritualiste et communautariste qui s’inscrit dans l’œcuménisme chrétien de Perroux et qui fonde sa conception de l’homme. Mots clés : Perroux, Marginalisme, Echange pur, Echange composite, conception de l’homme, Doctrine sociale de l’Eglise. Human Conception, Pur Exchange and Composite Exchange in François Perroux This article reviews the analytical, conceptual and philosophical foundations upon which is based human conception and that Perroux promotes to define the Composite Exchange compared to the homo œconomicus of the Pur Exchange. A first part shows that Composite Exchange is: -i- a criticism of the rationalism of marginalists Pur Exchange and General Equilibrium models, -ii- that this criticism is based on a serie of concepts which define the system that Perroux has always defended (domination effect, luttes-concours, conflicts-cooperations, human costs, gifts, transfer forced). A second part highlights that these concepts have their origin in specific philosophy both spiritualist and communal which is part of Perroux’s Christian ecumenism and which forms the basis of his conception of man. Keywords : François Perroux, Marginalism, Pur Exchange, Composite Exchange, Human conception, Church’s Social Doctrin Codes JEL : B13 B16 B21 B40 B55 D51 D63
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De nombreux travaux ont cherché à montrer pourquoi l’œuvre de François Perroux fut
considérée comme une contribution majeure à des domaines aussi variés que la microéconomie,
la théorie de la croissance, l’économie géographique, la théorie du commerce international mais
aussi l’économie du développement ou la théorie de la justice1. Les travaux de Perroux reposent
souvent sur une série de critiques adressées au paradigme marginaliste et à celui de l’équilibre
général et, dans d’autres cas, aux thèses marxistes ou keynésiennes. En témoigne les
monographies que Perroux consacre à Keynes, Marx, Schumpeter ou encore Walras et Pareto
ainsi que les critiques qu’il adressent aux diverses écoles marginalistes autrichiennes, néo-
autrichiennes ou encore walraso-parétiennes dès 1941 dans le Cours qu’il dispense à l’Ecole
Pratique des Hautes Etudes de la Sorbonne (Perroux, 1941a.b) et qu’il approfondit dans d’autres
travaux (Perroux, 1967a.b, 1975a.b, 1979).
Ces critiques renvoient à un triple objectif. Celui de rappeler les résultats fondamentaux
des théories marginalistes ou de l’équilibre général, celui d’en évaluer les fondements et les
limites analytiques et celui de reconsidérer la manière dont ces théories traitent des
comportements économiques. Pour Perroux, les modèles précédents souffrent en effet de
l’impossibilité conceptuelle de traiter de l’homme et des rapports humains dans leur globalité.
Ils omettent notamment de prendre en compte l’ensemble des relations de pouvoir, de conflit
mais aussi de coopération et d’altruisme qui caractérisent la nature humaine et les rapports entre
les hommes. A cet égard, et en référence à Emmanuel Mounier (1936, 1946) ou à René Le
Senne (1930, 1945, 1950), Perroux considère que la nature humaine est tout à la fois
allocentrique et égocentrique et qu’un tel dualisme implique la permanence de relations où
alternent générosité et avarice. Ces relations doivent être comprises comme une composante
essentielle et « naturelle » du psychisme humain (Perroux, [1952a] 1969a). Aussi, il est
irréaliste pour notre auteur de considérer l’homme du seul point de vue de ses comportements
égoïstes et froids comme le suppose les calculs d’optimisation rationnels retenus par la théorie
« dominante »2. Les hommes, pour Perroux, sont en effet amenés à nouer, individuellement et
collectivement, au sein des entreprises ou des institutions des relations de pouvoir et/ou de
coopération qui ne sont en aucun cas réductibles à de purs calculs de maximisation sous
contrainte. Selon Perroux, la prise en compte des relations de pouvoir passe par l’appréciation
1 Cf. François Perroux (1990), ouvrage coordonné par F. Denoël, notamment les articles de Pierre Uri, Jean Denizet et Gérard Destanne de Bernis. On peut également se référer sur ce point aux contributions de Pierre Uri (1987), Michel Beaud (2003) et de Jean-Benoît Zimmerman (2008). 2 La terminologie de « théorie dominante » est utilisée par Perroux dès 1947 (Perroux, 1947a). Cf. également « Une théorie de l’économie dominante » (Perroux, 1948b) et « Esquisse d’une théorie de l’économie dominante » (Perroux, [1948c] 1969a).
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des formes de luttes-concours et de conflits-coopérations, selon les expressions qu’il forge pour
la circonstance dans son Introduction à l’étude de l’économie politique (Perroux, 1940a). La
théorie dominante souffre ainsi de l’inconvénient de traiter des mécanismes de concurrence
comme des formes neutres d’échange et de production (Donnadieu 2005, Dufourt 2009). Ces
critiques sous-tendent la quasi-totalité des travaux de notre auteur qui s’en sert pour formuler
son propre système (Uri 1987, Weiller 1989, Denizet 1990, Destanne de Bernis 1990,
Duvignaud 1990, Donnadieu 2005, 1990, Couzon 2003, Gerardin et Poirot 2005, Dufourt
2009). L’œuvre de Perroux est certainement ici fondatrice d’un acte de contestation porté aux
théories marginalistes et de l’équilibre général mais aussi aux théories marxistes et
keynésiennes.
François Perroux est en effet également connu pour ses engagements en faveur du
corporatisme (Perroux 1933, 1938b) qu’il considère comme une troisième voie alternative au
marxisme et au libéralisme de marché. Il est aussi reconnu pour ses opinions favorables aux
principes qui caractérisent les politiques de participation3 (Cohen 2004a, 2004b, 2006, Feix
2007, Gabellieri 2011, Aubert 2016, Kaplan 2001). Le corporatisme, puis les politiques de
participation, seraient en ce sens des moyens permettant une meilleure prise en compte de la
contribution à la production résultant des interactions entre les hommes et des effets induits par
leurs relations de pouvoir et de coopération4 alors même que la théorie dominante se révèle
incapable d’apprécier de tels effets pour déterminer les prix et des salaires justes.
La conception de l’homme à laquelle Perroux se réfère, et les critiques qu’il adresse à
l’Homo Œconomicus, sont aussi celles d’un économiste chrétien selon Panassier (2010) ou celle
3 Cf. Perroux 1970. 4 Pour Perroux, les institutions corporatistes constituent à la fois une réponse au capitalisme libéral et de marché mais aussi au marxisme (Perroux, 1938a, 1965a, 1972). Elles sont également une réponse aux formes de corporatismes auxquelles se réfèrent les régimes totalitaires nazi allemand ou fasciste italien (Perroux, 1935a, 1940b, 1972). A la suite de ses séjours en Allemagne et en Autriche Perroux proposera deux ouvrages importants permettant de mieux comprendre la genèse de sa théorie des communautés. Le premier intitulé Les mythes hitlériens publié en 1935 sera interdit en France et à ce titre référé sur la liste Otto durant la deuxième guerre mondiale. Perroux en propose une refonte sous l’intitulé Des mythes hitlériens à l’Europe allemande en 1940. Cet ouvrage subit le même sort que le précédent. Selon Arnaud Manas « les idées corporatistes de Perroux furent effectivement « inspirées par son le séjour à Berlin à l’Institut Français au milieu des années 30 ». Cohen (2006) souligne que ce séjour dans l’Allemagne hitlérienne a véritablement façonné sa pensée : « Suivant le principe qu’il ne faut pas « jeter le bébé avec l’eau du bain » (« Man soll das Kind nicht mit dem Bade ausschütten » François Perroux entend garder de la révolution nationale-socialiste le « mythe » positif de la Gemeinschaft popularisé par les « doctrinaires » du nazisme sous l’invocation répétée d’une Volksgemeinschaft, en la dissociant malgré tout de la « brutalité » avec laquelle ce mythe est alors mis en pratique ». L’ouvrage de Perroux « Capitalisme et communauté de travail » s’inspire également de ses expériences autrichiennes et allemandes et des théories personnalistes d’Emmanuel Mounier. Toujours selon Manas, Perroux, en marge du monde académique, défend l’idée autoritaire de « révolution nationale » comme en témoigne son engament auprès du mouvement Esprit à
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d’un missionnaire utopiste selon Perrault (2014). Elles sont de nature à promouvoir un
« message commun poussant à la collaboration de tous pour la construction des sociétés de
l’avenir » et que Raymond Barre désignait sous l’expression d’Economie du genre humain
(Barre, 1990). Cette collaboration s’exprime à partir de deux principes. D’une part, celui du
don que Perroux envisage pour rétablir l’optimalité et réduire les inégalités en tenant compte
des relations de coopération et des luttes pour le pouvoir. D’autre part, celui des formes de
contraintes que les institutions publiques doivent promouvoir afin, là aussi, de réduire les
inégalités. Pour Perroux en effet, l’économie doit être « l’économie de tout l'homme et de tous
les hommes » et, à ce titre, prendre en considération l’ensemble des « coûts de l’homme » afin
de promouvoir une société plus juste. En d’autres termes, face aux distorsions de pouvoir et à
l’impossibilité inhérente à l’irréalisme de la théorie l’Echange pur à concevoir la production
comme résultant, peu ou prou, des relations de conflits-coopérations et de luttes-concours
inhérentes à la nature humaine, Perroux propose de recourir au don et à certaines formes de
transferts contraints non sans référence à une conception de l’homme dont maintes
caractéristiques relèvent de la doctrine sociale de l’Eglise (Perroux, 1964, 1969b).
C’est certainement pour l’ensemble de ces raisons que Perroux, contre l’Echange Pur,
promeut l’Echange Composite comme système reposant sur une conception économique et
philosophique spécifique de la nature humaine.
L’Echange composite se doit d’appréhender le fonctionnement de l’économie comme un mixte de transferts libres et réciproques d’utilités et de relations de pouvoir ; il exprime logiquement la relation économique qui est, essentiellement, un conflit-coopération, une lutte-concours (Perroux, 1973, 185). Dans ce cadre, cet article a pour objet d’apprécier les critiques que Perroux adresse à la
théorie de l’Echange pur et notamment aux différents courants de la théorie marginaliste et de
l’équilibre général qui l’amènent à développer son système d’Echange Composite. Nous nous
attacherons à apprécier dans quelles mesures ce modèle renvoie à une conception spécifique de
l’homme que Perroux emprunte à de nombreux auteurs ou de nombreux philosophes. On
montre également que la manière dont Perroux envisage l’homme n’est pas sans rapport avec
certains engagements essentiels à la doctrine sociale de l’Eglise.
Nous articulerons notre exposé autour de deux parties. Dans un premier temps, nous
mettons en évidence pourquoi l’Echange Composite constitue une critique adressée à l’irréaliste
partir de 1934 et les positions qu’il adopte en matière d’organisation de l’économie et de refonte des institutions politiques (Manas, 2013, 312-313).
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des hypothèses qui définissent l’Echange Pur (1). Nous montrons que cette critique repose sur
une analyse fine des limites résultant des formes de rationalisme qui fondent l’homo calculus
(1.2). Nous indiquons ensuite que cette critique s’articule à une analyse des modèles
marginalistes et d’équilibre général que Perroux considère incapables de prendre en compte les
formes de pouvoir, de luttes-concours et de conflits-coopérations que les hommes entretiennent
dans l’ensemble de leurs relations (1.2). Troisièmement, nous mettons en évidence pourquoi
l’Echange Composite constitue une critique des concepts d’optimalité parétienne et d’équilibre
général, inaptes selon Perroux, à rendre compte des caractères allocentriques de la nature
humaine. Dans une deuxième partie, nous nous attachons à circonscrire la conception de
l’homme à laquelle Perroux se réfère pour fonder l’Echange Composite (2). Nous étudions les
principales caractéristiques, philosophiques, morales, biologiques, psychologiques - de nature
allocentrique ou égocentrique - que Perroux prête à l’homme pour fonder l’Echange Composite.
(2.1). Enfin, nous mettons en évidence à partir des formes de « contraintes de redistribution »
et de « don » que Perroux préconise pour pallier les luttes-concours et les conflits-coopérations
en quoi la conception de l’homme à laquelle il se réfère emprunte à la doctrine sociale de
l’Eglise.
1. L’Echange Composite : une réponse réaliste au rationalisme de l’Echange Pur
Le second volume du Cours que Perroux dispense durant la seconde guerre mondiale à la
Sorbonne, témoigne de sa volonté de mettre en perspective les résultats d’auteurs marginalistes
comme Walras, Pareto ou J-B Clark5, d’économistes néo-marginalistes de seconde génération,
autrichiens notamment, mais aussi d’auteurs appartenant à l’Ecoles Suédoise ou à celle de
Cambridge à l’instar de Strigl, Haberler ou Machlup (Perroux 1941, 5-6). Le Cours complète
une série de travaux consacrés à l’analyse du profit (1926), à La théorie de la valeur (Perroux,
1941) - sur la base des travaux de Hans Mayer, Rosenstein Roda et Léo Schonfeld - et à la
Pensée Economique de Joseph Schumpeter6 (Perroux, 1935b).
Si Perroux souligne l’intérêt novateur des théories marginalistes et de l’équilibre walraso-
parétien il en propose aussi une critique acerbe en raison des présupposés rationalistes sur
lesquels ces théories s’appuient. Ces présupposés, que Perroux ne cessera de dénoncer tout au
long de son œuvre, présentent l’inconvénient de réduire l’hommes à un economicus calculus
5 Sur ce thème Perroux renvoie aux travaux de G. Pirou : L’utilité marginale de C. Menger à J-B Clark (1938a) ; Les Théories de l’équilibre économique : L. Walras et V. Pareto. (1938b). Cf également Perroux (1947b.) 6 Perroux ([1935b] 1993) La pensée économique de Joseph Schumpeter, Introduction à J. Schumpeter, Theorie der wirtschaftlichen Entwicklung.
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tel que l’envisage la Wirtschaftsrechnung devenue elle-même « tarte à la crème de l’économie
mathématique » (Perroux 1960, 99). Perroux fait en ce sens œuvre de savant, au sens de
Dupuigrenet-Desroussilles (1962), parce qu’il s’oppose à un triple dogmatisme. Celui imposé
par le milieu social qui se couvre de l'autorité des « techniciens » (celle des mathématiciens
pour Perroux). Celui issus des écoles soi-disant sacrées par les scholastiques, au nom de la soi-
disant « évidence rationnelle » (celle des théories marginalistes). Enfin, celui qui résulte de la
« nécessité logique » sur laquelle repose les théories de l’équilibre général (celle des modèles
d’Arrow-Debreu). C’est certainement cette position critique que Brisset et Fèvre (2018)
qualifient d’antirationalisme perrouxien et qui repose sur le manque de réalisme des hypothèses
retenues par l’économie dominante ou de l’Echange pur. Cette critique apparait comme un
leitmotiv adressé à l’ensemble des modèles d’équilibre et, par-delà, à la manière dont la théorie
dominante traite de l’échange ou de la production (Perroux 1938a, 1948b, 1960, 1967a.b,
1969a, 1975a). Il s’agit aussi d’une critique préalable à la construction du modèle d’Echange
Composite que Perroux propose de substituer au dogme néoclassique. A contrario de l’Echange
Pur, l’Echange Composite, en tant que système, se doit de tenir compte des diverses formes de
pouvoir ou de coopération qui régissent les interactions entre agents économiques - ou plus
largement entre les hommes - et que les hypothèses qui définissent l’Echange Pur escamotent.
Perroux poursuit ici quatre objectifs.
- Premièrement celui de remettre en cause l’irréalisme des formes d’Echange Pur qui sont
incapables de proposer une juste rémunération des « unités actives » qui participent à la
production.
- Deuxièmement, celui de tenir compte des relations de pouvoir économique que certains
agents, ou certaines « unités actives », subissent ou exercent. L’Echange Pur est pour Perroux
inapte à prendre en considération les luttes de pouvoir et les relations de conflits-coopération
ou de luttes-concours qui sont intrinsèques aux relations économiques et, surtout, inhérentes à
la nature humaine.
Le pouvoir est présent dans toutes les activités humaines et il a fallu aux théoriciens de l’équilibre standard, ou du néo-classicisme une grande ingéniosité pour éliminer le pouvoir du marché comme lieu d’un déplacement des choses. Ingéniosité vaine : l’histoire et l’analyse ont intégré le pouvoir dans toute pensée économiste réaliste et opérationnelle. (Perroux, 1981, 155-56).
- Troisièmement, celui de mieux apprécier les modalités de coopération et de don, que
ces mêmes agents promeuvent lorsqu’ils contribuent à la production et à l’échange. Envisager
le don comme mode redistribution est également pour Perroux une caractéristique naturelle de
l’homme. Cette caractéristique participe pleinement à la dimension sociale propre à l’échange
composite (Perroux, [1954] 1969a).
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- Quatrièmement celui de faire en sorte que les institutions publiques puissent établir une
répartition plus juste des richesses en exerçant des contraintes qui permettraient de couvrir ce
que notre auteur désigne comme les « coûts de l’homme » (Perroux, [1952b] 1969a, 1971).
Ces divers objectifs trouvent également un champ d’application, politique, juridique et
institutionnel dans les formes de corporatismes que Perroux participe à définir et qui, peu ou
prou, renvoient aux études qu’il consacre au rôle des communautés en l’économie (Perroux,
1938a, 1942, 1948a).
L’objectif de Perroux est aussi d’imposer un « changement d’axiomatisation » à
l’économie dominante (Perroux, 1973, 35) qui passe par la prise en compte d’une double
relation duale. D’une part, celle qui existe entre conflits-coopérations et luttes-concours pour
le pouvoir. D’autre part, celle qui relève de l’intégration aux modèles standards des transferts
libres et réciproques par le don ou des transferts contraints résultant des politiques de la
puissance publique comme autant de moyens favorisant une meilleure répartition des fruits du
travail de « tout l’homme et de tous les hommes ».
Perroux propose ainsi une série d’études que l’on peut comprendre comme autant de
critiques portées à l’irréalisme des comportements de consommation, de production et de
concurrence des modèles d’échange pur. Perroux reproche à ces modèles de ne pas être en
mesure de traiter des comportements de lutte pour le pouvoir entre unités actives, de conflits et
de coopération qui caractérisent les acteurs économiques réels parce que ceux-ci sont réduits à
des entités abstraites interchangeables, homogènes et sans consistance humaine et sociale.
Dans une acceptation étroite et discutable malgré son apparente évidence, l’économie (marginaliste) se réduit aux prix et aux quantités liées entre eux par le marché /…/ l’économie marchande, purifiée, idéal-typisée, dans la forme glorieuse de ce qu’il serait dans l’univers de la liberté et de l’égalité, exclue par construction même tout pouvoir. (Perroux, 1975a, 32-33).
1.1 Perroux critique de l’homo calculus de la théorie dominante Perroux aborde également la critique de l’économie dominante à partir d’une analyse
détaillée de ses fondements théoriques et de ses principaux résultats dont il cherche à conserver
ce qui lui semble pertinent et novateur. Il en souligne les limites à partir desquelles il développe
ses propres thèses pour définir l’Echange Composite. Perroux traite notamment des textes
fondateurs du marginalisme et ou de ceux d’auteurs comme Von Mises, Schumpeter, Carl
Menger, Eugen Böhm-Bawerk ou de théoriciens du néo-marginalisme comme Friedrich von
Wieser ou John Hicks. Il en est de même pour les modèles de concurrence monopolistique ou
de concurrence imparfaite et au premier chef desquels on trouve les analyses qu’il consacre aux
travaux de Chamberlin, Triffin, Stigler et Brems (Perroux, [1953] 1969a, 144-155). Perroux
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étudie plus particulièrement les « monographies minutieuses » proposées par Richard von Strigl
(1923, 1926) et Guglielmo Masci (1932) (Perroux, 1941, 1945, 1948b, 1975a). Les références
à Masci concernent notamment Pareto pour la prise en compte des aspects institutionnels et de
lutte pour le pouvoir entre agents économiques mais sans que Perroux ne cite le Traité de
sociologie générale où Pareto traite précisément des luttes de pouvoir et de leur impact sur
l’évolution de l’histoire, des institutions et de l’activité économique7. Masci est également cité
pour ses études des travaux de Menger, Jevons et Walras. Pour Perroux, la théorie de l’utilité
marginale constituerait un progrès alors que celle de l’équilibre marginaliste ne le serait pas.
Cette dernière est en effet pour lui incapable de développer une analyse pertinente et juste de la
réparation de la production en raison des hypothèses mathématiques qui caractérisent les
fonctions de production. Ces fonctions sont incapables de tenir compte des luttes ou des
coopérations entre agents. Il en est de même des effets externes qui caractérisent toute relation
de production ou toute forme organisationnelle de l’entreprise (Perroux, 1941, 57-59). On
trouve chez Perroux, dès 1941, nombre d’analyses qu’il continuera à développer dans les années
soixante-dix et quatre-vingt à propos de la théorie de la firme et que l’on peut aujourd’hui
rattacher à la théorie transactionnelle de l’entreprise, en référence à Coase ou Williamson
(Chassagnon, 2014), à celle de l’économie de la ressource humaine qui ne sont pas sans
annoncer les travaux d’Akerlof au sens où notre auteur attache une importance notoire aux
asymétries d’information (Perroux, 1979) qui caractérisent les relations entre unité
économiques actives.
Analytiquement tout se ramène à des asymétries entre entités physiques, entre agents et entre groupes d’agents (…), et l’asymétrie de l’action d’une unité sur une autre est compensée, sur compensée ou sous compensée. Dans ce dernier cas, il y a : a) influence ou b) dominance (imposition) ou c) subordination institutionnalisée ou non. (Perroux, 1983, 155).
En fait, cette interdépendance des comportements, des contraintes, des coopérations et
des conflits conduira Perroux à défendre les principes de la Participation (Perroux, 1970)
comme elle l’a certainement conduit à voir dans le corporatisme ou l’analyse des communautés
une manière d’apprécier la contribution de chacun à la production (Perroux, 1942).
Perroux développe également - plus de trois décennies après les reproches qu’il porta aux
économistes marginalismes de première et de seconde génération - une série de critiques
acerbes à l’encontre des modèles d’équilibre général néo-walrassiens et néo-parétiens qui
recourent, soit à l’analyse différentielle (Perroux, 1975a, 25-43), soit à l’analyse topologique à
7 Pour Nicolas Brisset et Raphaël Fèvre (2018), citant Perroux, la représentation politique « n’est rien de plus que la sélection correcte de chefs capables de prendre des décisions politiques conformes aux buts généraux ou aux vocations d’un groupe social » (Perroux, 1939, 804). Cette définition du chef n’est en rien opposée à celle que Pareto envisage pour traiter des luttes de pouvoir entre élites (Baldin et Ragni, 2016).
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l’instar des formulations qu’en proposent Debreu et Arrow, de Kuenne, Hahn ou Nakaido …
(Perroux, 1975a, 147-185). Bien que moins négatif en vers les modèles qui usent de la
« métaphore énergétique » ou des principes de la commande optimale (Perroux 1975a, 103 ;
1983, 243-45) Perroux regrette avec insistance que les modèles d’équilibre général rendent
impossible une représentation pertinente des relations entre unités économiques en raison de
l’usage intempestif qu’ils font de la mécanique de Lagrange (Ibid., 100). Dans cette acception,
notre auteur fait certainement acte d’historien de l’analyse économique, au sens où il conçoit la
critique rétrospective comme participant d’une démarche fondatrice et dès lors qu’il s’attachera
à compléter ces modèles afin de tenir compte des effets de pourvoir, de luttes-concours et de
conflits-coopérations résultant de comportements inhérents à la nature humaine.
Les thèses perrouxiennes conduisent également à reprocher aux modèles marginalistes et
d’équilibre général de réduire les comportements économiques de l’homme à « une psychologie
trop pure et trop simple » lorsqu’il s’agit d’apprécier la valeur, de construire des fonctions
d’offre ou de demande, de déterminer les prix et les salaires (Perroux, 1941, 47). L’intention de
Perroux est de prendre en considération l’évaluation les effets externes qui résultent des conflits
et des coopérations lors de la production et que la théorie dominante écarte de son champ
d’analyse. Son intention est aussi de prendre en considération les dimensions essentielles qui
caractérisent la psychologie humaine et qui sous-tendent ces mêmes relations et pas seulement
d’envisager l’agent économique comme une entité abstraite rationnelle (Weiller, 1989). Ces
critiques impliquent de ne pas accepter comme réaliste les calculs de l’homo œconomicus
marginaliste (Perroux, 1949, 78). La théorie économique dominante, tout comme l’économie
marxiste d’ailleurs, présentent l’inconvénient de ne pas séparer, et de ne pas être en mesure
d’évaluer, à leur juste valeur, les revenus du travail et du capital de sorte que leurs résultats sont
non seulement réducteurs mais aussi non-pertinents. Il y là un argument pour comprendre les
critiques que Perroux adresse à Marx, en plus de celles de ne pas admettre que les luttes pour
le pouvoir et les conflits ne sont pas réductibles à la seule lutte des classes marxiste (Perroux,
1965a., 1965b). C’est certainement aussi pour les mêmes raisons que l’on peut comprendre les
critiques que Perroux adresse aux formes de rapport salarial que les économistes keynésiens
envisagent (Perroux, 1981). Cette double critique permet à notre auteur de justifier la recherche
d’une « troisième voie » à l’organisation économique et sociale qu’il a un temps entrevu dans
le corporatisme (Perroux 1943, 1947a, 1948a) et plus tard dans les politiques de Participation à
partir du rôle qu’il cherche à conférer au don (Perroux, 1960, 1970)8. Pour autant, Perroux ne
8 Cf. N. Aubert « La participation des salariés : une expression du don dans les organisations », Revue Interdisciplinaire Management, Homme & Entreprises n° 21, 2016. A ce titre le texte qu’Alfred Marshall (1907)
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considère pas qu’il faille abandonner les résultats de la théorie dominante mais qu’il est
davantage nécessaire de les compléter du point de vue théorique en intégrants les relations de
pouvoir, de luttes-concours et de conflits-coopérations qui caractérisent l’Echange composite.
1.2 Perroux critique du réalisme des modèles marginalistes ou d’équilibre général
Deux types de modèles d’Echange pur sont particulièrement critiqués par Perroux pour
justifier de traiter de l’Echange composite : ceux issus des théories marginalistes de la firme ou
de la concurrence imparfaite et ceux relevant de la théorie de l’équilibre général9. Ces critiques
ne concernent pas seulement l’échange en tant que tel mais davantage la production résultant
des interactions entre unités économiques, entre firmes et entre agents-salariés à l’intérieur de
l’entreprise. Au fond, ce que Perroux reproche à la théorie de la production des modèles
concernés est de traiter de celle-ci comme ils le font de l’échange. Perroux propose une analyse
fine des modèles concernés.
Il en critique l’absence de toute prise en considération des relations de pouvoir et de
contrainte, de luttes-concours et de conflits-coopérations qui caractérisent toute relation
économique interne ou externes à l’entrepris. Il fait grief à ces modèles d’être incapables de
tenir compte des tendances naturelles de l’homme à la coopération et au don et donc de traiter
de la nature humaine de manière trop réductrice. Même s’il reconnait que les modèles
marginalistes ont permis nombre de progrès théoriques, il déplore qu’ils limitent leurs objets
d’étude à ceux des seuls « transferts libres portant sur des biens divisibles et homogènes (de
sorte que) l’équilibre sur le marché de concurrence parfaite s’obtient au point d’égalisation des
utilités marginales (et des productivités marginales) » (Perroux, 1941a, 57). Ce résultat souffre
d’un manque de réalisme patent parce qu’il repose sur des agents interchangeables et qu’il
écarte toute prise en considération des formes de causalité économique qui existent entre les
acteurs réels et interdépendants de l’économie (Perroux 1941a, 63) ; ils écartent également
toutes relations de causalité entre les variables (prix et quantités) sur lesquelles portent les
relations de pouvoir, de luttes-concours et de conflits-coopération. Plus encore, Perroux ira
jusqu’à considérer, dans sa prise en considération de la diversité des formes communautaires,
consacre à La chevalerie dans l’exercice de la vie économique a certainement inspiré Perroux (Caldari. 2018). L’attrait de Perroux pour la Participation apparait notamment dans « Pour lier Promotion et Participation » Economie et société, Vol. 6, 1561-1563. 9 On peut ici adjoindre les critiques que Perroux adresse aux modèles de croissance équilibrée.
11
que les relations d’échange et de production entre les hommes relèvent non seulement de la
contrainte et de la coopération mais aussi « de l’interaction psychique » entre les hommes
(Perroux, 1942, 39). Il adopte cette posture critique dès 1942 mais aussi lorsqu’il traite de La
Participation des salariés aux responsabilités de l’entreprise (Perroux, 1947a,) ainsi qu’en
1970, 1960 ou 1981.
Dépendants comme nous le sommes des structures marchandes, la Participation économique nous paraît tenir toute entière et s’épuiser dans la rationalité économique telle que nous l’offrent, simplette, appauvrie, anémique, les analyses reçues. Les agents et leur groupe participent à l’effort ; le chef d’entreprise fait son métier et le travailleur tente de participer à la gestion de l’entreprise. Lui et eux participent aux fruits : au bénéfice et au capital. Qui fait les parts et comment ? L’indiscrète question est éloignée, par convention, des discussions économiques. En paraissent exclues aussi les participations aux communautés de vie et de destin, et aux communautés des plus hautes valeurs, immanentes ou transcendantes. (Perroux, 1960, 123).
Ainsi, notre auteur écarte à plusieurs reprises (Perroux, [1965c] 1993, 6 ; 1975, 151) les
résultats de Wicksteed (1894) et de Walras concernant, d’une part, les théorèmes
des satisfactions maximales10 et, d’autre part, le théorème des productivités marginales. Selon
ces théorèmes, à l’équilibre, les rapports des prix, des biens et ceux des facteurs, pris deux à
deux et pour tous les agents, sont égaux aux rapports de leur utilité marginale et de leur
productivité marginale. Pour Perroux, ces résultats sont obtenus pour deux raisons réductrices
de la nature humaine. Premièrement parce que les entités élémentaires que sont les
consommateurs, les producteurs et les détenteurs de facteurs sont assimilés à des « molécules ».
Deuxièmement parce que le principe de fonctionnement des marchés est celui d’un équilibre
mécanique sans opérateurs qui est très éloigné de celui qui prévaut dans la réalité et où
s’affrontent, se coordonnent, coopèrent des « unités économiques véritablement actives » selon
l’expression à laquelle Perroux se réfère pour la circonstance (Perroux, 1975a, 25-43 ; 1979,
370). Celui-ci accuse les modèles marginalistes et néo-marginalistes de traiter les individus
comme des entités homogènes désincarnées ou comme « une foule de sosies » (Perroux, 1975a,
32). Il leur reproche de concevoir le marché comme un mécanisme automatique d’ajustements
incapable de prendre en compte les relations de pouvoir entre agents (Perroux, 1941a, 37).
Perroux récuse également ces modèles parce qu’ils posent que les prix sont suffisants pour
permettre une représentation des coordinations sociales, neutre du point de vue de l’éthique et
de la justice et qui exclut toute forme de contraintes qu’un individu, un groupe ou une institution
peut exercer.
Force, pouvoir et contraintes sont exclues tendanciellement du marché libre où les seules pressions sont celles du prix qui répartit, entre les emplois et les sujets, les ressources économiques » (Perroux, 1969a, 61).
10 Cf. Walras ([1874-77] 1988,142-144 et 99-214) pour le théorème des satisfactions maximales et Walras ([1874-1901-1926] 1988, 588-589) pour celui des productivités marginales.
12
En d’autre termes, même si Perroux reconnait l’intérêt de nombreux résultats démontrés
par les modèles marginaliste : a) l’égalité des « ophélimité élémentaires » pondérées par les
prix grâce à l’échange, b) l’égalité des ressources et des dépenses pour tous les agents et l’égalité
entre fonctions d’offre et demande, c) l’égalité des prix aux coûts de production (loi du prix
unique), d) l’égalité entre les demandes de services et les quantités produites (Perroux, 1941a,
63-64) ; il reproche à ces résultats de reposer sur des hypothèses réductrices selon lesquelles les
agents sont assimilés à des entités parfaitement indépendantes et homogènes en termes de
pouvoir. Perroux n’admet pas ce que Robertson désigne comme « le principe de variation des
facteurs en fonction de tous » (Ibid., 32) propre aux modélisations mécaniques classiques et
néo-classiques (Ibid., 58). Ce qui est encore une fois regretté ici est le manque de réalisme de
la représentation des comportements des agents qui sont réduits à des réponses neutres aux
variations de prix. Réponses qui excluent toute forme de coopération, de lutte d’influences, de
pouvoir et de causalité. Perroux reproche par exemple aux modèles walrassiens ou parétiens
que les conditions précédentes impliquent de se placer sur des courbes d’iso-production
optimales, sans expliquer comment les producteurs sont parvenus à dépasser les obstacles pour
atteindre ces courbes d’iso-production. Pour Perroux, les économistes marginalistes, et ceux
qui les critiquent, acceptent l’égalité entre prix des biens et leurs coûts de production, ils
acceptent aussi l’égalité entre facteurs de production demandés et quantités offertes « sans se
rendre compte que ces conditions sont loin du réel » (Perroux, 1941a, 63) et qu’elles évacuent
toute représentation réaliste de la manière dont les prix s’établissent. Ainsi, s’il est pertinent
d’expliquer la valeur des biens à partir de la théorie de l’utilité marginale, il n’est pas pertinent
d’admettre que les conditions qui caractérisent l’équilibre sont suffisantes pour expliquer
comment chacun parvient à optimiser ses goûts et comment chaque producteur parvient à
réduire les obstacles11 auxquels il est confronté pour opérer sur une courbe d’iso-profit
optimale.
1.3. L’échange composite perrouxien comme critique des modèles d’équilibre général et du principe d’optimalité parétienne Trois exemples peuvent aider à illustrer la manière dont Perroux traite des difficultés
précédentes afin de mieux circonscrire la notion d’Echange composite.
11 Perroux emprunte à Pareto les expressions de lignes de transformations complètes, de lignes d’indifférence des goûts ainsi que les termes d’obstacles et de goûts pour désigner les contraintes et les objectifs des agents ainsi que les courbes d’iso-profit ou d’iso-utilité (Pareto, [1906] 1981, 178-342).
13
- Le premier à tait à la manière selon laquelle Perroux propose d’élargir la problématique
de l’équilibre général et de l’Echange pur en incorporant aux systèmes d’optimisation sous
contrainte des fonctions objectifs d’offre, de production et de demande autant de variables
représentatives des contraintes de pouvoir que des agents non homogènes pourraient subir ou
exercer les uns envers les autres. Cette démarche apparait à la fois dans Unités actives et
mathématiques nouvelles (Perroux 1975a), dans Théorie de l’équilibre général. Essais de
généralisation (Perroux, 1967b) et dans Economie et Société : contraintes échange et don
(Perroux, 1960, 16-21 et 73-81). Dans Unités actives Perroux précise que les modèles
d’équilibre général peuvent permettre la prise en compte des luttes d’influence entre agents
économiques notamment à partir des concepts parétiens « d’obstacles » et « de gouts » que l’on
trouve chez Pareto mais en soulignant avec regrets que les économistes qui ont développé ces
modèles ne se sont pas engagés sur ce terrain.
L’analyse du modèle d’équilibre général parétien, que Perroux emprunte à Luigi
Amoroso, lui permet de rappeler la signification de l’ensemble des conditions d’équilibre
(Perroux, 1960, 16-21). Il insiste sur le fait que ce modèle, comme ceux de monopoles et
d’oligopoles, se prête à incorporer l’échange entre des agents disposant de pouvoir inégaux et
dissymétriques (Perroux, 1975a ; 1982). Ce sont ces relations de pouvoir dissymétriques que le
concept d’Echange composite cherche à représenter et qui en même temps le fonde. Les
dissymétries de pouvoir, de contraintes, d’information et de capacité d’influence sont en fait
traitées comme autant de variables supplémentaires représentables par autant de fonction de
comportement que Perroux incorpore au modèle d’équilibre général ou à ceux de concurrence
imparfaite.
Mais ce qui importe (à propos de l’équilibre général) c’est d’observer que l’échange entre inégaux, l’échange composite, peut être lui-même, inclus formellement dans le système (souligné par nous). Les coordonnées xr1, xr2, …, xrm, indéterminées quant à leur signification, peuvent désigner des moyens de contrainte d’un sujet à l’égard des autres. Quant aux équations des obstacles du second genre elles peuvent désigner, formellement, des modifications des quantités par un pouvoir extérieur au système ou par l’inégalité des pouvoir au système. Il semble donc qu’on puisse utiliser les équations de l’équilibre marginaliste pour traduire la balance de pouvoirs entre sujets inégaux. Mais alors, dans une même forme mathématique, on introduit une signification substantiellement différente de l’interprétation courante et inconsciemment apologétique de l’échange marchand. (Perroux, 1975a, 239).
- Un second exemple, qui s’inscrit dans la logique précédente, porte sur la manière dont
Perroux traite, d’une part, du pouvoir que détiennent certains agents et, d’autre part, de la
manière selon laquelle le « don » et certaines formes de redistribution, contraintes par les
pouvoirs publics, peuvent ramener à une situation plus souhaitable du point de vue de
l’optimalité et de la justice. Perroux illustre ses raisonnements à partir d’une boîte d’Edgeworth
14
dans Pouvoir et économie (Perroux, 1973, 53-62) et à partir d’un schéma d’optimisation sous
contraintes dans Unités actives (Perroux, 1975a, 94-97). En se référant à l’analyse des « goûts »
et des « obstacles » que Pareto propose dans Manuel, il envisage la situation où deux
échangistes, I et II, maximisent leur utilité, quand les conditions de concurrence pure ne sont
pas respectées et qu’un optimum parétien ne peut pas être atteint en raisons « d’obstacles ».
Cette configuration correspond dans le Manuel de Pareto à l’étude des phénomènes de type II12
pour lesquels certains agents disposent d’un pouvoir de marché ou qu’ils sont capables
d’imposer leurs intérêts à d’auteurs agents. La notion « d’obstacles » pour Pareto recouvre
conjointement ces deux éventualités. Perroux précise pour autant que les « obstacles » parétiens
de type I correspondent à ceux pour lesquels certains agents doivent verser une compensation
à d’autres pour que l’économie atteigne l’optimalité alors que les obstacles de type II englobent
toutes les contraintes qui s’opposent au choix libre de certains agents et qui bénéficient à
d’autres capables d’imposer leur pouvoir. Perroux développe sur cette base deux
raisonnements. Le premier consiste à montrer qu’un agent peut être amené à une situation qui
n’est ni un optimum parétien, ni la plus souhaitable pour lui dès lors qu’un autre agent est en
mesure d’imposer son pouvoir à son encontre. Le second correspond à la description d’une
situation où un agent serait disposé, sur la base d’un comportement altruiste, à compenser
l’utilité perdue d’un autre agent par le don de manière à rétablir l’optimalité. Perroux envisage
que cette compensation puisse également être à l’initiative des pouvoirs publics qui
imposeraient par la contrainte cette même compensation.
- Enfin, un troisième exemple peut être évoqué. Pour Perroux toutes productions
présentent un caractère collectif, tant au niveau de l’entreprise que des relations inter-
entreprises en raison de la présence d’économies externes ou d’effets d’entrainement. Il est
alors impossible « d’isoler un produit et un profit de la firme qui serait rigoureusement et
exclusivement le sien et, à plus forte raison, d’imputer ce produit aux activités des seuls
collaborateurs de la firme » (Perroux, 1973, 426).
Le produit de l’entreprise dépend du produit de l’industrie, qui dépend du produit de la nation, qui dépend du produit de la région du monde (…). Chaque produit particulier est le fruit de décisions par une unité particulière, mais aussi de décisions étrangères aux comportements de cette unité. (Perroux 1973, 405).
Confortant ce point de vue, la critique que Perroux adresse, à plusieurs reprises (Perroux
1960, 1967a, 1967b), à la théorie wicksteedienne ou walrassienne de la répartition est justifiée
dès lors que, pour Walras mais aussi Pareto, et toute analyse de la production et de la répartition
12 Selon Pareto ([1906] 1981,172-175), les phénomènes de type I concernent la concurrence parfaite, ceux de type II la concurrence imparfaite et ceux de type III les situations où l’Etat organise la production et sa distribution.
15
qui reposerait sur une fonction de production homogène de degré un est particulièrement
justifiée. Recourir à une telle fonction implique en effet, et présente l’inconvenant pour Perroux,
que chaque individu est rémunéré à sa productivité marginale laquelle correspond à l’exacte
contrepartie de ce qu’il désir dans l’échange et que la somme des rémunérations des facteurs
épuise la production à l’équilibre. Il n’y plus place ici pour une quelconque prise en
considération des luttes et des conflits qui caractérisent les entreprises et les relations entre les
hommes (Perroux 1960, 1967a, 1973, 1975a, 1979). Les unités économiques ne sont donc ni
indépendantes, ni égales en pouvoir pour Perroux (Chassagnon, 2014). En revanche, toutes
contribuent conjointement à la production de sorte qu’il n’est pas réaliste d’appliquer la théorie
de la productivité marginale. Il n’est pas non plus réaliste de l’appliquer en raison de
l’interdépendance des luttes-concours et des conflits-coopérations entre agents économiques
qui participent l’Echange Composite. Prendre en compte ces diverses dimensions suppose une
autre conception de l’agent économique que celle de l’homo-economicus qui implique chez
Perroux une autre conception de la distribution des revenus et de la justice pour l’homme.
2. Conception de l’homme comme fondement de l’Echange Composite chez François Perroux La manière dont Perroux traite des agents économiques en réponse aux thèses de
l’économie dominante repose sur une série de concepts qui traversent et structurent l’ensemble
de son œuvre13. Au centre de cette conception se trouve les concepts de Luttes-concours, de
conflits-coopérations et de don comme nous l’avons rappelé. Toutefois, ces concepts reposent
eux-mêmes sur une conception de l’homme que Perroux emprunte à des philosophes comme
Bertrand Russel, des philosophes personnalistes comme Emmanuel Mounier, des psycho-
sociologues spécialistes de caractériologie comme Gaston Berger, certains psychologues
comportementalistes comme Georges Katona, des psycho-physiologistes spécialistes de
sensations ou de l’étude des personnalités comme Henry Piéron et René Le Senne, des
sociologues comme Mauss pour prendre en compte « l’interpénétrations des consciences », ou
encore des psycho-sociologues à l’instar d’Elton Mayo ou à des philosophes chrétiens comme
le père Lebret. Perroux se réfère également à des biologistes comme Julian Huxley ou
également dramaturge comme Jean Rostand14.
13 Cf. P. Urri (1987), F. Denoël (2011), E. Gabellieri (2011), E. d’Hombres (2011), N. Aubert (2016). 14 Sur les références de Perroux concernant la nature humaine on peut notamment consulter Perroux 1942, le chapitre sur « La réalité humaine », 1960, 104-111.
16
2.1 La conception perrouxienne de l’homme : allocentrisme et égocentrisme versus homo-economicus
Une part importante du projet de Perroux est de réintroduire en économie ce qu’il
désigne comme « l’homme total et vivant » afin de prendre en considération « une économie de
tout l’homme et de tous les hommes » que la théorie dominante (Perroux, 1943) et la théorie
marxiste (Perroux, 1965a. ; 1972) ont retiré du champ analytique de l’économie. Tenir compte
de l’homme dans sa globalité implique, au sens de l’Echange Composite, de comprendre quels
sont les fondements psychologiques et sociologiques de la nature humaine qui déterminent les
relations entre les concepts précédents qui caractérisent naturellement toute relations
économiques mais aussi toute relation sociétale et, plus largement, tout rapport humain
(Perroux, 1960, 248). Ainsi, à propos des formes de conflits, d’antagonismes et de lutte
envisagées par l’économiste ou le sociologue, Perroux rejette les formes de rapports salariaux
et de production propres au libéralisme économique de marché allant jusqu’à souligner les
limites de la conception restrictive qu’en propose le keynésianisme et dont il cherchera une
« (re-)traduction dans le corporatisme » selon l’expression retenue par Antonin Cohen (Cohen,
2006, 577). Il en est de même, mais d’un point de vue rétrospectif, des règles de répartition en
trois classes que retiennent Ricardo et les économistes classiques. Une des raisons de ces
positionnements est à rechercher dans le fait que Perroux n’admet pas, à l’encontre de ces types
d’organisations sociales de la production et de la répartition des richesses, de traiter de
l’individu comme appartenant à une masse. Il lui préfère celles d’Unités actives, notamment de
production, en interactions de conflits et de coopération qui peuvent prendre la forme
d’institutions spécifiques suffisamment restreintes. Perroux reproche ainsi aux principes de la
lutte des classes, telle qu’elle est théorisée par l’analyse marxiste, la bipartition industrielle,
qu’il juge infirmée par les faits, entre d’un côté le prolétariat - qu’il qualifie de servant des
machines - et, de l’autre, les capitalistes qu’il qualifie de maîtres de ces mêmes machines
(Perroux, 1972, 38). Cette bipartition, des régimes capitaliste et communiste, souffre de passer
sous silence les véritables formes de pouvoirs qui s’exercent à l’intérieur et à l’extérieur des
firmes et la multitude des luttes qui existent entre des masses différentes qui ne peuvent être
réduites à celles des seuls prolétaires. Pour Perroux en effet, à l’ouest et pour les régimes
capitalistes, le pouvoir appartient aux entrepreneurs, aux directeurs des grands groupes et aux
financiers. A l’est, et pour les régimes communistes, le pouvoir appartient aux directeurs des
combinats et des grandes macro-unités (Ibid., 39).
Le marxisme est un humanisme et un universalisme, mais lié, quant à sa définition et sa stratégie historique, à un groupe spécifique et à une lutte à mort entre deux adversaires. La masse n’intervient
17
positivement sous cet angle que si la classe et la paupérisation se généralisent. Or, la masse et les masses interviennent tout autrement dans le drame actuel, quel que soit la scène nationale et le régime social. (…) Le sens marxien de la lutte des classes est la libération de l’humanité par les travailleurs salariés et indépendants (…) Cette lutte aujourd’hui est, plus un aspect « développée par », et « englobée dans » la montée des masses et dans des refus globaux lancés par des multitudes humaines. (Ibid., 40-43).
Une autre raison à trait au fait que Perroux proposera toujours, peu ou prou, soit de
défendre une forme spécifique de corporatisme, soit de rapprocher sa conception de l’homme
des principes qui caractérisent les politiques de Participation. Il voit certainement dans ces deux
formes d’institutions sociétales la possibilité de « canaliser » les Luttes-concours et les Conflits
de pouvoir et de prendre la pleine possibilité des Coopérations possibles entre les hommes tout
autant que des cadres permettant de mieux considérer le coût de l’homme. C’est en fais le rejet
global du concept de masse qui caractérise la pensée de Perroux.
Les masses et la mase n’ont jamais pénétré que fort timidement dans le domaine de l’histoire, de la littérature et même de la sociologie. Ne souffrent-elles pas du regard et à l’esprit comme de vagues conglomérats d’entités amorphes et inertes, semblables à des choses ? (Perroux, 1972, 7).
En réponse aux thèses précédentes Perroux, retient que les relations entre les hommes
doivent être envisagées de manière quasi-anthropologique et non pas seulement du seul point
de vue sociologique (Puel, 2014). Les relations entre les hommes sont en effet pour lui sous
tendues par une conception de l’homme et de ses fonctionnements psychologiques empruntés
pour partie à Emmanuel Mounier mais aussi au père Lebret et à René Le Senne (1950), à Louis
Reynaud (1954) ou à Gaston Berger (1950)15. Il développe cette analyse anthropologique de
l’homme dans Communauté en 1942, mais aussi et surtout dans Le dynamisme du psychisme
humain en 1952. Ces thèses sont complétées dans les travaux proposés à la revue Economie et
humanisme en 1960 puis dans Economie et société contrainte, échange et don ou encore dans
Pouvoir et économie en 1973.
Il s’agit de concevoir l’analyse des relations économiques et sociales comme
résultant de deux éléments principaux. Premièrement un « ensemble de rapports patents ou
dissimulés entre dominants et dominés » auquel correspond, en économie, le concept de luttes-
concours et, deuxièmement, comme « un ensemble de rapports entre égaux » auquel
correspond le concept de conflits-coopérations (Perroux, 1948b, 245). Sur ce point Perroux se
réfère à Russel dont il considère que le concept de pouvoir est fondamental en sciences sociales,
parce qu’il permet de formuler les lois de la dynamique des sociétés en tenant compte des désirs
infinis de l’homme, de ses rêves de gloire ignorés par les économistes marxistes et les classiques
tout autant que l’incapacité de l’homme à atteindre une satisfaction complète (Perroux 1960,
15 René Le Senne est un philosophe et psychologue, professeur à la Sorbonne, appartenant au courant spiritualiste connu notamment pour ses analyses taxinomiques de caractériologie (Cf. Le Senne, 1930, 1945).
18
104). L’articulation, quasi-dialectique, entre ces deux rapports contribue à cerner l’Echange
Composite. C’est certainement cette manière de concevoir les hommes comme inégaux quant
à leurs capacités à exercer le pouvoir ou à dominer l’autre qui conduit Perroux à défendre le
sort des plus démunis et à prendre en compte les coûts de l’homme (Perroux, 1960) (cf. infra).
Les luttes pour le pouvoir sont fondées anthropologiquement sur la dimension égocentrique et
égoïste de l’homme, tandis que les comportements coopératifs16 et altruistes le sont sur sa
dimension allocentrique (Le Senne, 1945, 92-93) ; ces concepts n’étant pas sans rapports avec
les caractères « marsiens » et « vénusiens » dont parle Gaston Berger (Perroux, 1973, 47). Ces
deux dimensions, égocentrique et allocentrique, sont inhérentes à la psychologie de l’homme
pour Perroux qui en précise le contenu notamment dans Le dynamisme du psychisme humain.
Elles sont de nature innée et « congénitale » si l’on se réfère à la caractériologie de Le
Senne pour qui : « le caractère signifie l’ensemble des dispositions congénitales qui forment le
squelette mental de l’homme » (Le Senne, 1954, 13). Elles renvoient aussi au binôme
générosité-avarice que Mounier considère comme une composante naturelle du psychisme
(Mounier, 1936 ; 1946). A ce titre elles jouent un rôle essentiel dans la détermination des prix
et dans les rapports de force, de lutte-concours et de conflit-coopération qui caractérisent les
relations économiques. Par exemple, concernant le versant allocentrique de l’homme ou son
caractère « marsien », Perroux n’hésite pas à se référer à l’école des relations humaines et à
l’enquête menée par Elton Mayo sur « l’Effet Hawthorne » montrant que la productivité des
salariés est proportionnelle à l’empathie qu’on leur témoigne (et qu’ils ressentent) et
inversement proportionnelle aux contraintes et aux frustrations que le chronomètre taylorien
leur impose17. Cette problématique est particulièrement illustrée dans les pages que Perroux
consacre à la « fusion des activités de conscience » humaines et « d’interpénétration des
consciences » (Perroux, 1942, 53-69) où l’empathie tient un rôle essentiel dans les activités de
travail humain. Ces activités, naturelles du point de vue physiologique, fondent la solidarité
entre les hommes en caractérisant une même communauté au sens où, pour Perroux,
« l’existence de chacun est conditionnée par l’existence de tous » et doit conduire à la fusion
des « Moi » et des « Toi » pour former un « Nous » solidaire (Ibid., 55).
Le binôme allocentrisme-égocentrisme emprunté au philosophe sensualiste René Le
Senne est opposé à « l’homo œconomicus exsangue et invertébré fonctionnant comme un robot
16 Perroux accueillera favorablement l’ouvrage de Von Neumann et Morgenstern ([1947] 1954) Theory of Games and Economic Behaviour (Perroux, 1973, 97 ;1971). 17 En ce sens Perroux fait certainement justice à l’irrationnalité des comportements tel que Georges Canguilhem a pu l’envisager (Perroux, 1973, 47).
19
mu par le prix et les forces anonymes du marché » (Perroux, [1952b] 1969a, 505). Cette
conception atrophiée des mobiles qui caractérise artificiellement l’homo-œconomicus se situe,
pour Perroux, aux antipodes de celles promue par Le Senne et Mounier. Elle est héritée en
droite ligne de la philosophie utilitariste qui présente l’inconvénient majeur de priver, en
économie, l’homme de ses dimensions organique, écologique et historique.
Il est d’observation qu’en chaque être humain, existent des tendances égoïstes et des tendances altruistes. (On dit parfois égocentristes et allocentristes.) Elles s’exprimes par un désir de gagner mais aussi par un désir de donner. Le premier ordre de mobiles a été le seul retenu par la politique capitaliste et par l’analyse qu’elle suscite. « Rien pour rien ». C’est la règle de l’échange onéreux qui seule a été mise en forme par le marginalisme. Fait d’autant plus singulier que si l’on admet, chez les agents la présence d’un désir de donner, le marginalisme que la maximisation n’est pas possible sans qu’il soit satisfait. (Ibid., 113-114).
Pour Perroux, l’évaluation des prix et des salaires, par le marché est appréciation
désincarnée où chacun agit pour son seul compte indépendamment des autres et qui n’influent
pas les fonctions d’offre et de demande. Pour autant, et d’un point de vue réaliste, c’est à
contrario une combinaison de choix interactifs et intéressés de la part des individus et du Prince,
comme unités actives, qui agissent et modifient la forme de ces mêmes fonctions. Ainsi, par
exemple, « le prix du travail n’est pas calculé par un ouvrier bon comptable qui ne travaille que
pour gagner et qui arrête son effort au point où sa rémunération marginale égalise sa peine
marginale » (Ibid., 510). L’évaluation du travail est pour Perroux : -i- le résultat conditionné de
la chaine de travail et des techniques qui transforment le salarié en machine ; -ii- le résultat du
travailleur qui désire porter témoignage à la justice telle qu’il la conçoit pour lui-même et pour
le groupe auquel il appartient. Le capitalisme libéral et les théories marginalistes négligent ces
deux aspects de l’évaluation du travail que Perroux considère comme appartenant à la nature
humaine. Elles sont à la base des conflits-coopérations et des luttes-concours que se livrent les
hommes et qui ne permettent pas une juste évaluation des salaires. Il en est de même de
l’évaluation de l’ensemble des prix dès lors que les dimensions précédentes ne sont pas évaluées
pour ceux qui sont dominés. C’est pour cette raison, et en référence à l’avarice et à
l’égocentrisme des hommes, que Perroux propose que les institutions publiques puissent
influer, par la contrainte, afin qu’une plus juste évaluation des prix et des salaires advienne.
C’est aussi pour cette raison, mais en référence cette fois à la générosité et à l’allocentrisme de
la nature humaine, que des institutions capables de favoriser l’économie du don puissent être
promues (Ibid., 511). S’il est dans la nature humaine d’exercer des contraintes ou de s’exercer
au don, Perroux considère que ces facteurs ne sont pas pris en compte dans l’évaluation des
revenus et des prix par les théories marginalistes ou walraso-parétienne.
20
Dans la réalité, l’Etat use intentionnellement de la contrainte publique ; de nombreux agents, chefs d’entreprise, par exemple, usent intentionnellement de la contrainte privée. Ce bien économique qu’est la contrainte est « oublié » par la théorie courante. (Ibid., 511).
Pour Perroux, l’exercice du pouvoir est la négation tendancielle de la liberté d’autrui qui
trouve son origine dans le psychisme de l’homme au sens où elle s’alimente de sa libido
dominandi qui elle-même renvoie certainement au pêché de concupiscence chrétien tel que
l’envisage Saint Augustin. Au contraire, la contrainte, exercée à bon escient par les pouvoirs
publics, est aussi pour Perroux un moyen de rétablir des prix et des rémunérations plus justes
au même titre que le don. Faire en sorte que la contrainte et le don puissent s’exercer pour plus
de justice renvoie alors au caractère allocentriste de l’homme.
A propos du don d’amour, que Perroux considère fondé sur le caractère naturellement
altruiste de l’homme (Perroux, 1960, 107), celui-ci se tourne vers un autre philosophe
spiritualiste chrétien, Pierre Lachièze-Rey en l’occurrence18, afin d’en mieux souligner la
dimension économique comme moyen volontaire de redistribuer les richesses. Citant Lachièze-
Rey, Perroux indique dans Economie et Société que : « Le véritable don ne consiste pas à
donner, mais à se donner, et le don de soi implique toujours un risque : celui de l’absence de
réponse, celui de l’absence d’accueil, celui du refus de la négation » (Lachièze-Rey 1938, in
Perroux, 1960, 159).
Cette conception de l’homme à la fois allocentrique et égocentrique se double donc d’une
conception spiritualiste qui renvoie à l’« œcuménisme chrétien » ou au catholicisme social de
Perroux. Pour Gabellieri (2011), Perroux est l’exemple type du « penseur chrétien convaincu
que les vérités de la raison et de la science peuvent converger avec celles de l’évangile ». Ce
spiritualisme de raison s’exprime dans les critiques que Perroux adresse au rationalisme de la
théorie dominante ; il se manifeste notamment dans Le pain et la parole (1969b) ouvrage que
Perroux rattache certainement aux débats qui ont marqués le concile de Vatican II. Cette
conception de l’homme revêt un caractère communautaire et personnaliste dans la mesure où
elle s’oppose à l’individualisme de la théorie dominante et au collectivisme marxiste. Contre
l’individualisme et le collectivisme la position que Perroux met en évidence en 1964 dans « La
création collective et le christianisme » (dernier chapitre de Le pain et la parole), consiste
comme le souligne Gabellieri à considérer : -i- que « le Verbe incarné n’a pas seulement visité
la Terre, il l’habite ; il est la lumière en ce monde pour y demeurer à jamais » ; -ii- qu’il faut
croire que « actif dans l’Espèce par la raison naturelle et par l’Eglise, le Verbe est principe de
toutes cultures d’où émerge la civilisation » (Perroux, 1969, 352). On comprend alors mieux
18 Cf. E. d’Hombres 2011, 72.
21
pour quelles raisons de croyance - hormis celles propres aux limites intrinsèques du principe
d’optimalité parétien ou du rationalisme de la théorie dominante - Perroux défend une
philosophie du don et le principe de contrainte (par les pouvoirs publics) pour établir une société
plus juste. Cette position de nature imminemment non conformiste, et qui s’inscrit dans une
perspective de philosophie personnaliste, se retrouve largement dans nombre des écrits de
Perroux qui cherchera à justifier l’engagement des politiques vers une troisième voie : « à égale
distance du libéralisme et de l'étatisme », une tierce solution favorisant de véritables
communautés de travail et de nature corporatiste puis de Participation.
2.2 Echange Composite, contrainte et don comme réponses aux coûts de l’homme : le point de vue d’un économiste chrétien en référence à la doctrine sociale de l’Eglise Pour Perroux, l’Echange Composite, compris comme l’interaction des forces de
coopération et de conflit qui caractérisent les relations économiques et la nature humaine,
implique de corriger les inégalités qui résultent des excès de pouvoir de certains agents ou de
violences institutionnelles (Perroux, [1980] 1987, 204 ; 1973, 21-39) et que la théorie
économique dominante est incapable d’apprécier conceptuellement (Poirot, 2007 ;
Chassagon, 2014).
Ainsi, c’est parce que les interactions entre luttes-concours et conflits-coopérations sont
à l’origine de multiples effets externes appropriés par certains agents au détriment d’autres que
les pouvoirs publics se doivent d’intervenir. Pour Perroux, les pouvoirs publics ont pour
obligation d’assumer « une préférence de structure », souhaitée par les citoyens. Celle-ci doit
permette d’une part, de favoriser une redistribution des richesses (au sein des entreprises, d’une
même nation, ou entre nations) dont nous avons donné illustrations et, d’autre part, de couvrir
les coûts de l’homme. Cette préférence de structure s’oppose aux institutions qui, au nom de
l’efficacité économique, résultent des formes de concurrence exacerbées et violentes que
Perroux déplore. Pour lui, l’efficacité économique telle qu’elle est envisagée par l’Echange pur
présente l’inconvénient d’être déterminée « rationnellement par rapports à tous les hommes
considérés ensemble dans des luttes où les adversaires n’usent pas de violence seulement, mais
affrontent les uns les autres leurs propres calculs, c’est-à-dire leur doit et leur avoir dans
l’accomplissement de fonction sociales. » (Perroux, [1959] 1969a, 362). Cette violence entre
les hommes, entre les groupes et entre les unités actives est passée sous silence par la théorie
dominante qui prône une « rationalité attribuée à tort aux automatismes supposées du marché
et aux prétendues harmonies « naturelles » des sociétés d’hommes » (Ibid., 366). Dès lors, la
22
préférence de structure doit être capable de répondre aux besoins fondamentaux que recouvrent
les coûts de l’homme (Perroux, [1952b] 1969a.) Il s’agit en l’occurrence :
1) (des coûts de l’hommes sont ceux) qui empêchent les êtres humains de mourir ; 2) (de) ceux qui permettent à tous les êtres humains une vie physique et mentale minima ; 3) (de) ceux qui permettent à tous les êtres humains une vie spécifiquement humaine, c’est à dire caractérisée par un minimum de connaissances et de loisirs (coût d’instruction élémentaire, coûts de loisir minimum). (Perroux, 1969a, 367-368).
Deux formes de redistribution sont envisagées pour y parvenir. L’une renvoie au concept
de transferts libres et réciproques et donc au don volontaire. L’autre à celui de « transferts
forcés ». Toutes deux ont pour but de faire bénéficier à tous de conditions de vie fondamentales
(Perroux, 1955, 6) parce que : « le réseau des échanges ne se conçoit pas, dans l’économie
moderne, indépendamment d’un réseau de forces. L’échange pur apparaissant comme une
limite, tout échange réel impliquant une lutte de pouvoirs privés, le pouvoir public, c’est-à-dire
l’Etat, se trouve devant une nécessité de principe et de droit : il doit arbitrer, c’est-à-dire se
prononcer, au nom de l’intérêt général, pour limiter et orienter les conflits et tirer le meilleur
parti de leurs résultantes » (Ibid., 15).
Notre auteur est donc conscient que les rapports de forces entre dominés et dominants
peuvent aller à l’encontre de « l’intérêt général » de sorte que l’Etat doit endosser le rôle de
régulateur et poursuive deux objectifs de justice redistributive : 1) faire en sorte que les unités
dominantes reversent une part de leur revenu, 2) de mettre en œuvre un système de prestations
sociales pour répondre aux besoins fondamentaux de l’homme. Perroux indique à ce sujet :
1) Pour exercer leurs propres pouvoirs, des ensembles de firmes versent à l’Etat, aux « élites sociales », éventuellement aux éléments les plus défavorisés ou les plus remuant, une part du butin, une fraction de leurs profits supranormaux de monopoles. 2) Les pouvoirs publics sont amenés à corriger les excès de pouvoir des monopoles et plus généralement des grands et des puissants, par les flux de prestations sociales destinées à satisfaire des besoins et non pas à rémunérer des services productifs. (Perroux, 1960, 95).
Cette idée était déjà présente en 1949 dans L’effet de domination et les
relations économiques, article dans lequel Perroux précise, en lien étroit avec la conception du
corporatisme à laquelle il se réfère qu’« Une économie nationale est essentiellement un groupe
de groupes, arbitré par l’Etat monopoleur de la contrainte publique » (Perroux, 1949, 283).
L’Echange composite laisse donc une place au don volontaire et au transfert forcé comme
principes de redistribution permettant de couvrir les coûts de l’homme. Il s’agit de rétablir, à
l’avantage des plus défavorisés, les injustices inhérentes à l’Echange composite et que
l’Echange pur « entre hommes équivalents » passe sous silence (Perroux, [1952b] 1969a, 410-
446).
L’homme est donc, pour Perroux, tout à la fois naturellement violent et capable, en raison
23
de ses tendances naturelles à l’allocentrisme, d’instaurer des institutions sociales favorisant le
transfert forcé de richesses. Il est également capable de recourir au don comme moyen de
redistribution de ces mêmes richesses. Les dimensions perrouxiennes du don sont de quatre
ordres et renvoient à des formes de justices qui reposent sur une conception de l’homme qui
n’est pas sans rapport avec la doctrine sociale de l’Eglise.
1) La première (Perroux, 1960, 156-158) a trait au don de la justice infinie propre à
Levinas (1961) ou du don comme obligation de donner et de rendre qui permet, selon Mauss,
de « substituer l’alliance et le don et le commerce à la guerre et à l’isolement » (Mauss, 1989,
278).
2) La deuxièmement est celle du don à la clientèle qui procure des avantages à ceux qui
donnent (Perroux, 1960, 159).
3) La troisièmement est celle du « don d’amour » au sens chrétien du terme, situé au-delà
du dévouement, qui s’accomplit dans la totale dépossession en fidélité à la patrie ou à une cause,
et qui atteste de la solidarité dont Perroux résume les objectifs dans « Richesse et pauvreté au
XXe siècle : Questions posées aux chrétiens » (Perroux, 1964, 93-105).
4) Enfin, celle du transfert forcé que Perroux assimile à un « don » dans la mesure où il
s’agit de « calculer une juste compensation (et) introduire un arbitre pour ajuster l’équilibre ».
Toujours en appliquant le même principe d’analyse (rétablir l’optimalité), on introduit le transfert forcé qui peut, pour ainsi dire convertir l’indifférent en un altruiste peureux. (Perroux, 1973, 86).
Le don, comme don d’amour et comme transfert forcé, résulte d’une raison logique, celle
de tenir compte des relations de luttes-concours à l’origine d’externalités qu’il faut corriger. Le
don d’amour doit aussi répondre à la pauvreté la plus profonde selon les préceptes de l’Evangile
(Perroux 1969b, 97-99). Le don est assimilé à un instinct naturel rattaché à celui « d’instinct
maternel » naturel et que notre auteur emprunte au psychologue pavlovien Tchakholine
(Perroux, [1954] 1969a, 421 ; 1960, 105). Le don répond également à la « permanence du
dévouement et du sacrifice » et à la « propension à l’amour et au don de soi » que Jean Rostand
considère comme un instinct invariant biologiquement (Ibid., 421)19.
C’est certainement cette approche qui conduit également Perroux à adhérer aux
principes politiques de la Participation20 qui s’inscrivent dans la continuité des dispositifs
d’implication des salariés aux bénéfices des entreprises voulus par le Général de Gaulle et le
Conseil National de la Résistance en créant en 1945 des comités d’entreprises. Ces principes
19 Cf. Emmanuel d’Hombres (2011, 66). 20 Perroux (1960 : 160) se réfère notamment, à propose de la Participation, à Lévy-Bruhl (1949) Les carnets de la participation, et Jean Przyluski, La participation (1940).
24
permettent aux salariés l’accès à la gestion et à la direction des firmes, l’accès aux bénéfices
grâce à l’intéressement et l’actionnariat. Comme troisième voie entre libéralisme et marxisme
la Participation repose pour Perroux sur le don et le don d’amour et non sur l’échange marchand.
D’une part l’échange, la contrainte et le don ont chacun sa logique propre. L’échange est à base d’équivalence et de réciprocité. La contrainte a pour fondement un ordre total des préférences de tous les agents qui composent la société globale. Le don – pseudo-don ou don véritable – repose sur la participation ; cette dernière se présente sous des formes extérieures et limitées dans les transferts de solidarité, ou sous des modes profonds et intimes dans les dons d’amour. » (Perroux, 1960, 94).
Les politiques de participation peuvent aussi se comprendre comme renvoyant à la
doctrine sociale de l’Eglise ainsi qu’en témoignent les relations que notre auteur entretint avec
le père Louis-Joseph Lebret et le dominicain Jacques Loew qui participèrent à Économie et
Humanisme. Lebret fut de son côté fortement impliqué dans les débats du concile de Vatican
II. De son côté, Perroux contribua également à la revue Esprit et dans ce cadre échangea avec
le philosophe chrétien Jean Lacroix qui dirigea la collection où fut publié Economie et Société
Contrainte Echange et Don. Citant le père Lebret Perroux indique dans un article co-rédigé
avec Mgr Elchinger archevêque de Strasbourg : « Le plus grand mal du monde n’est pas la
pauvreté des démunis mais l’inconscience de nantis » (R.P Lebret cité par Perroux & Elchinger,
1964, 104)
Perroux adopta également une position favorable envers le corporatisme notamment
sous le régime de Vichy, et dont on trouve des éléments communs au sein du catholicisme social
au XIXème siècle. Bien qu’ayant pris des formes diverses, le corporatisme peut être envisagé
comme une organisation institutionnelle qui rassemble patrons et ouvriers en réduisant leurs
intérêts à ceux de l’entreprise. Cette « logique » renvoie, pour nombre d’auteurs, à la disparition
des syndicats, des partis politiques et souvent à l’instauration d’un régime politique autoritaire.
Perroux propose quant à lui de définir un néocorporatisme qu’il circonscrit par le terme de
Communauté (Perroux, 1942) et qui se démarque des corporatismes fascismes ou nazis21. Selon
Brisset et Fèvre Perroux distingue ici un corporatisme lato sensu d’un corporatisme stricto
sensu (Brisset et Fèvre, 2018, 21). Ce dernier correspondant à un « groupement de caractère
public ou semi-public où sont représentés paritairement patrons et ouvriers départagés en cas
de conflit par l’État, et qui fixe par voie de décision autoritaire les prix des produits et des
21 Antonin Cohen précise, à propos du Corporatisme que la contribution de Perroux s’inscrit comme un exemple « des continuités de pratique et idéologiques qui relient l’avant et l’après « Vichy » et qui nécessitent de comprendre le travail de reformulation et de neutralisation tout autant que le travail de reclassement et de conversion qui ont rendu méconnaissables, après 1954, certaines des thématiques idéologiques issues de l’intense activité des différents groupes qui se réclament de la troisième voie, avant 1945. » (Cohen, 2006 : 556). Cf. également Kaplan (2001) : « Un laboratoire de la doctrine corporatiste sous le régime de Vichy : l’Institut d’études corporatives et sociale ».
25
services (revenus) au lieu de les laisser s’établir par le jeu du marché libre » (Perroux, 1938a,
18, cité par Brisset et Fèvre, 2018)22. Cette conception anticapitaliste du corporatisme
correspond à celle des régimes fascistes ou nazi. En revanche, le corporatiste lato sensu, comme
troisième voie à l’intérieur du capitalisme et « intégrant » le prolétariat (Capitalisme et
communauté de travail [Perroux, 1938a] est à cet égard un titre évocateur), repose sur la
collaboration de tous les éléments de la société. Il propose de réduire toutes les formes de
pouvoir que certaines unités pourraient exercer sur d’autres afin que chacun puisse bénéficier
des richesses et que l’économique puisse prendre en considération « tout l’homme et tous les
hommes »23.
Prendre en considération « tout l’homme et tous les hommes » s’inscrit au demeurant
dans la logique de la doctrine sociale de l’Eglise24 telle que Jean XXIII s’y réfère dans Mater
et magistra en 1961 et pour qui « l’accroissement de la richesse nationale doit profiter
également à toutes les catégories sans exception ». De même certaines positions de Pie XI
étaient déjà très favorables au corporatisme telles qu’elles apparaissent dans Quadragesimo
anno en 1931. La doctrine sociale de l’Eglise converge sur deux concepts essentiels de la pensée
de Perroux : celui du don ou don d’amour et celui de la dignité de la personne humaine qui
peuvent être mis côte à côte à partir des grands textes qui spécifient cette doctrine. François
Perroux avait d’ailleurs salué l’encyclique Populorum progressio (1967), dite encyclique de la
Résurrection de Paul VI, qui parle de « promouvoir tout homme et tout l’hommes » (Paul VI,
Populorum progressio, 1967 : § 14) formule qui n’est pas sans rappeler celle de Perroux et alors
même que le Pontife site Lebret « nous n’acceptons pas de séparer l’économique de l’humain
(…) ce qui compte pour nous c’est l’homme, chaque groupement d’hommes, jusqu’à
l’humanité toute entière » (Lebret, 1961, 28, cité par Paul VI). Pour Perroux, l’encyclique de
Paul VI est « l’un des plus grands textes de l’humanité » parce qu’elle « dénonce sans
ménagement l’échec actuel des économies, des sociétés et des civilisations considérées à
22 Cf. à propos de cette distinction entre corporatisme stricto sensu et lato sensu Delsol (2015) et Aubert (2016). 23 Perroux n’est pas partisan, jusqu’après la libération, d’une approche du social qui reposerait sur la protection des droits individuels (droit de l’homme, droit du travail), il préfère que la protection sociale repose sur l’organisation et le droit des groupes professionnels au sein desquels les sous-groupes ou les corporations sont les éléments de coordination et d’intégration de tous ceux qui participent à la production, par-delà toute référence à une classe, pour rendre l’organisation de la production plus efficace et plus juste (Perroux, 1943, 32). Cette intégration repose toutefois sur l’exercice d’un pouvoir hiérarchique fort, et sur des chefs capables de saisir l’esprit communautaire. 24 L'expression doctrine sociale remonte à Pie XI et s'est développé dans l'Église à travers les Magistères papaux et des évêques (Pie XI, Encycl. Quadragesimo anno: AAS 23 (1931) 179 ; Pie XII, parle de « doctrine sociale catholique » dans Radio-message pour le 50ème anniversaire de « Rerum novarum »: AAS 33 (1941) ; Jean XXIII conserve les expressions (Encycl. Mater et magistra, AAS 53 [1961]). Cf notamment Baudoin Roger « Doctrine Sociale de l’Eglise. Une histoire contemporaine. » (2012).
26
l’échelle de la planète. Elle désigne le choix redoutable et nécessaire : les Occidentaux doivent
inventer des institutions et des conduites qui ne soient plus en contradiction directe avec les
principes qu’ils évoquent. » (Perroux, 1964, 282-283).
A propos de la personne humaine on peut rappeler quelques étapes ayant contribuées à
l’élaboration de la doctrine sociale de l’Église25.
- La première concerne les années 1930 durant lesquelles Pie XI publie l'encyclique
Quadragesimo Anno. Le Pape relit le passé à la lumière de la crise de 1929, de l'expansion des
pouvoirs de la finance et des drames que représentent l’avènement des régimes totalitaires et de
l’exacerbation de la lutte des classes. Selon Quadragesimo anno, les rapports entre capital et
travail doivent être caractérisés par plus de coopération ce qui implique de faire en sorte que les
salaires soient proportionnels aux besoins des travailleurs mais aussi à ceux de leur famille.
L'Encyclique, respectant le principe de la propriété privée, s’inscrit en faux par rapport à la
concurrence sans limite ou, en termes perrouxiens, à une forme de concurrence qui ne serait pas
en mesure de limiter les conflits de pouvoir et les effets de domination. Pour Pie XI l’Eglise se
doit alors de promouvoir la régulation des rapports humains pour surmonter les conflits entre
classes en favorisant la justice par la charité et le don.
- La seconde concerne l'encyclique « Mater et Magistra » dans laquelle Jean XXIII
appelle l'Église a plus de justice et à plus de collaboration entre tous les hommes pour construire
une communion authentique en réponse aux régimes fasciste et nazi mais aussi de la crise de
1929. Pour cela, l’économique ne doit pas seulement satisfaire les besoins des hommes, elle
doit aussi promouvoir leur dignité ce qui cadre bien avec ce que recouvre le concept de coûts
de l’homme tels que Perroux l’envisage et qui suppose de prendre en compte, à l’avantage des
hommes, les luttes-concours et les conflits-coopérations pour éviter d’accentuer la pauvreté de
ceux qui sont déjà démunis.
- A propos de la répartition des revenus Jean Paul II préconise que « La rémunération
est l'instrument le plus important pour réaliser la justice dans les rapports de travail » (Exhort.
apost. Familiaris consortio, 43 : AAS 74, 1982, 134-135). Le « juste salaire est le fruit légitime
du travail » (…) « celui qui le refuse ou qui ne le donne pas en temps voulu et en une juste
proportion par rapport au travail accompli commet une grave injustice » (Jean-Paul II, Encycl.
Centesimus annus, 15, AAS 83 [1991] 812).
- L’encyclique précédente faisait écho à celle du concile de Vatican II qui considérait
déjà en 1966 que « compte tenu des fonctions et de la productivité de chacun, de la situation de
25 Cf Conseil Pontifical « Justice et Paix » (2005).
27
l'entreprise et du bien commun, la rémunération du travail doit assurer à l'homme des ressources
qui lui permettent, à lui et à sa famille, une vie digne sur le plan matériel, social, culturel et
spirituel » (Concile Œcuménique Vatican II, Const. past. Gaudium et spes, 67 : AAS 58 (1966),
1088-1089). Le simple accord entre travailleurs et employeurs sur le montant de la
rémunération ne suffit donc pas à qualifier de « juste » le salaire, car celui-ci « ne doit pas être
insuffisant à faire subsister l'ouvrier » (Léon XIII, Encycl. Rerum novarum: Acta Leonis XIII,
11 (1892) : 131). La justice naturelle est donc ici antérieure et supérieure à la liberté du contrat.
Aussi, une répartition équitable du revenu doit être poursuivie sur la base de critères non
seulement de justice commutative, mais aussi de justice sociale. Il s’agit de prendre en compte
l’évaluation de la dignité humaine, pour les plus démunis et pour les salariés trop faiblement
rémunérés, et non la seule valeur objective du travail, ou sa valeur d’échange, de sorte que le
bien-être économique doit aussi être poursuivi à l’aide de politiques sociales de redistribution
tenant compte des conditions générales et des besoins humains de chaque citoyen. En ce sens,
la justice sociale prend le pas sur la justice commutative et certainement aussi sur la justice
distributive telle qu’un économiste marginaliste comme Walras les envisage. On ne peut ici en
effet éviter de rapprocher les recommandations des encycliques précédentes des critiques que
Perroux adresse à la fonction de production de Walras-Pareto et à l’application du théorème
d’Euler-Wicksteed pour expliquer la répartition de la production.
A ce titre, Perroux remet en cause, analytiquement, les principes d’échange entre
équivalents tels qu’ils résultent de la concurrence pure walrassienne (Perroux & Urvoy 1944,
91). Il remet également en cause les principes de distribution tels qu’ils sont établis par Walras
et nombre d’économistes marginalistes à partir du théorème d’Euler (Perroux, 1967a). La
rémunération des salariés ne peut répondre aux seuls principes des productivités marginales
walrassien selon lesquels : (i) la rémunération des facteurs de production s’effectue au prorata
de leur productivité marginale, (ii) la somme des rémunérations des facteurs de production
épuise, à l’équilibre, la totalité de la production par application du théorème d’Euler à une
fonction de production homogène de degré un (Walras, [1874-1926] 1988, 588 et 722). Une
telle fonction et les résultats qui en découlent ne tiennent aucunement compte des luttes-
concours, des conflits-coopérations et des luttes de pouvoir.
Pour l’avoir reçu (l’enseignement de Schumpeter) on se sent guéri pour toujours de quelque maladies insidieuses et récurrentes : l’empirisme quantitatif sans hypothèses rigoureuses, la reconstruction « mathématique » du monde par la vertu du théorème d’Euler-Wicksteed, la découverte euphorique des sociologies sans larmes… (Perroux, [1965c] 1993, 6).
Or, le théorème des productivités marginales garantit les principes de justice distributive
et de justice commutative si les résultats (i) et (ii) sont vérifiés et que Walras défend en référence
28
au « bon vieux droits naturel ». En effet, pour Walras, la production correspond à un échange
entre équivalents parce que la rémunération des services des facteurs, notamment les services
du travail, permet à leurs détenteurs d’obtenir l’exacte contrepartie de leur productivité. Selon
le point (i), le rapport des productivités marginales des facteurs est égal au rapport de leur prix
et au rapport des prix des biens de consommation finale prix deux à deux à l’équilibre. D’autre
part, le théorème d’Euler, appliqué à une fonction de production homogène de degrés un,
implique que la somme des rémunérations octroyées épuisement du surproduit (point (ii)). En
ce sens, les principes de justice commutative et distributive sont respectés puisque chacun
perçoit « tout et rien que son dû, rien de plus, rien de moins » selon l’expression de Walras. Là
n’est pas la position de Perroux qui considère : « que le principe de la rigoureuse (et apparente)
équivalence, chacun a droit à son produit, est remis totalement en question » (Perroux, 1969a :
426) puisque l’échange pur ne tient aucunement compte des luttes-concours et des conflits-
coopérations. Pour cette raison, Perroux propose de réallouer les revenus de manière plus juste
par le don ou par transferts forcés (Perroux, 1973, 85).
Rétablir l’optimalité et la justice sociale par le don ou le transfert forcé renvoie donc à
des principes de justice qui traversent l’ensemble de l’œuvre de Perroux et que notre auteur
emprunte largement à la doctrine sociale de l’Eglise. Il s’agit de concevoir une économie du
genre humain dont l’échange composite révèle les fondements (Perroux, 1973, 425). A ce titre,
l’économie du genre humain a pour obligation de couvrir les coûts de l’homme ce qui suppose
« d’énormes redistributions du produit » (Ibid., 404) qui peuvent être réalisées en faisant appel
aux motifs désintéressés allocentriques qui caractérisent la nature de l’homme. En somme, pour
dépasser l’irréalisme des modèles d’économie pure et réaliser les conditions de donner à chaque
homme ce que recouvre ses coûts primaires, Perroux propose, non pas de réaliser « une
économie des institutions de bienfaisance », mais de construire les conditions juridiques et
institutionnelles permettant au don et au transfert contraint « d’imposer l’utilisation, chez tous,
des mobiles désintéressés » (Ibid., 427). Cet objectif s’inscrit pour lui également dans la
manière dont les Papes et les Encycliques on put lire les Evangiles. Perroux site à cet égard
l’Encyclique Decem Dei de Benois XI selon laquelle : « L’Evangile ne contient pas une loi de
charité pour les individus et une autre loi, différente de la première, pour les cités et les
Nations ». Il cite aussi l’encyclique Pacem in terris de Jean XXIII pour qui : « La même loi
morale qui régit la vie des hommes doit régler aussi les rapports entre les Etats ». Enfin, à propos
de Mater et Magistra (encyclique de Jean XXIII). Perroux indique, en défenseur de la justice
sociale et non de la seule justice commutative propre à l’échange entre équivalents que : « La
solidarité qui unit tous les hommes en une seule famille impose aux Nations qui surabondent
29
en moyens de subsistance le devoir de ne pas être indifférentes à l’égard des pays dont les
membres se débattent dans les difficultés de l’indigence, de la misère et de la faim » (Perroux,
1964, 100).
Conclusion
Les critiques que Perroux engage à l’encontre des thèses marginalistes et de l’équilibre
général et, par-delà, à celles de la théorie dominante, renvoient à une série d’études portant sur
l’irréalisme des hypothèses sur lesquelles ces théories reposent, et plus particulièrement celles
qui recouvrent eur manière de concevoir la nature humaine. Selon Perroux, qui développa les
critiques précédentes tout au long de sa carrière, les mécanicismes qui définissent l’Echange
Pur, présentent l’inconvénient majeur d’évacuer, de la sphère de la théorie économique, toute
prise en compte des relations de pouvoir, de luttes-concours et de conflits-coopérations qui
caractérisent toute forme de concurrence et de production entre unités actives ou à l’intérieur
de celles-ci. Cette logique conduit également à réduire les comportements des agents
économiques à ceux de simples sosies calculateurs, parfaitement égaux entre eux et
interchangeables réduisant les relations de production à des échanges entre équivalents alors
que, pour Perroux, ces mêmes relations sont tout aussi déterminées par la contrainte et le don
que par d’échange pur. Cet automatisme mécaniciste, entre unités équivalentes, présente un
autre inconvénient. En l’occurrence, celui d’évacuer toute prise en considération de la nature
humaine du point de vue de ses fondements anthropologiques, psychologiques, sociologiques,
biologiques, comportementalistes ou encore moraux et religieux que Perroux propose d’intégrer
afin d’expliciter les luttes-concours et les conflits-coopérations qui caractérisent les interactions
entre unités économiques et afin de fonder une théorie de l’Echange Composite. La prise en
considération des relations de luttes-concours et de conflits-coopérations renvoie, dans l’œuvre
de Perroux, à une conception de l’homme à la fois égocentrique qui n’exclut pas l’homo
calculus et allocentrique qu’il emprunte largement à des philosophes comme Emmanuel
Mounier ou à des psychologues comme René Le Senne notamment et qui trouvent écho dans
sa manière d’argumenter en faveur du corporatisme et des principes qui prévalent aux politiques
de participation. Cette conception de la nature humaine empruntée également à des philosophes
chrétiens comme le père Louis-Joseph Lebret, Jean Lacroix et Pierre Lachièze-Rey ou, plus
largement à la doctrine sociale de l’Eglise, conduit Perroux à défendre une économie de la
30
contrainte forcée par les pouvoirs publics afin de rétablir une optimalité plus juste. Il défend
également, sur la même base, une économie du Don. Il s’agit pour Perroux d’établir une analyse
de l’Economique qui se révèle capable de répondre pleinement à la fois à ce qui fonde l’Homme
et qui répondre à ses coûts comme éléments de « tout l’homme et tous les hommes ».
References
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Documents De travail GreDeG parus en 2019GREDEG Working Papers Released in 2019
2019-01 Muriel Dal Pont Legrand & Harald Hagemann Impulses and Propagation Mechanisms in Equilibrium Business Cycles Theories: From Interwar Debates to DSGE “Consensus”2019-02 Claire Baldin & Ludovic Ragni Note sur quelques limites de la méthodologie de Pareto et ses interprétations2019-03 Claire Baldin & Ludovic Ragni La conception de l’homme dans la théorie de l’Echange Composite de François Perroux : entre homo economicus et homo religiosus