julien lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

97
http://monharceleurestunillustreanimateur.blogspot.com https://twitter.com/Raymond25000 [email protected] Collecter en six mois 25.000 euros Par Martine RAYMOND- Mercredi 13 mars 2013 Bonjour, Ainsi que l’indique son titre sans ambiguïté, Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe est un récit autobiographique chargé de révéler au plus grand nombre la véritable personnalité du célèbre animateur de « Questions pour un champion ». Par son auto-publication, j’espère mettre fin au cauchemar que je vis depuis seize ans par la faute de ce présentateur encensé par ses pairs et admiré par des millions de téléspectateurs francophones qui ne savent pas qu’il est un monstre rusé, cruel et doté de pouvoirs paranormaux. Sur Twitter et Facebook, je communiquerai régulièrement sur le processus d’autoédition de mon livre et en diffuserai régulièrement des extraits dans mon blog, qui sera bientôt adapté aux écrans des mobiles. Mon ouvrage est en cours d’écriture et comporte actuellement 334 pages. Ne souhaitant pas en faire un « pavé » indigeste, et étant en arrêt de maladie, je pense le terminer dans les mois à venir. En attendant, invitez votre famille à promouvoir et financer mon projet. Et, comme moi, activez aussi vos différents cercles d’amis pour faire de mon histoire l’un des grands succès de librairie de demain ! Pour vous remercier de votre engagement, je vous propose les contreparties suivantes : - Pour un chèque de 10 euros, mon livre vous sera offert dès sa parution. Cette contrepartie est limitée à 20 exemplaires. - Pour un chèque de 25 euros, mon livre vous sera envoyé avec ma dédicace. Cette contrepartie est limitée à 10 exemplaires. - Pour un chèque de 50 euros, mon livre vous sera envoyé avec ma dédicace et votre nom figurera dans la page

Upload: martinemjraymond

Post on 13-Aug-2015

334 views

Category:

Documents


51 download

DESCRIPTION

Avec ses pouvoirs paranormaux et son carnet d'adresses, le célèbre Julien Lepers pourrait être une O.N.G. et une association caritative à lui tout seul. Plutôt que de contribuer à améliorer le sort de ses frères humains, il préfère suivre son bon plaisir et être un "Harceleur sans Frontières", grâce à la complicité de multiples stars internationales.

TRANSCRIPT

Page 1: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

http://monharceleurestunillustreanimateur.blogspot.comhttps://twitter.com/[email protected] Collecter en six mois 25.000 eurosPar Martine RAYMOND- Mercredi 13 mars 2013

Bonjour, Ainsi que l’indique son titre sans ambiguïté, Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe est un récit autobiographique chargé de révéler au plus grand nombre la véritable personnalité du célèbre animateur de « Questions pour un champion ». Par son auto-publication, j’espère mettre fin au cauchemar que je vis depuis seize ans par la faute de ce présentateur encensé par ses pairs et admiré par des millions de téléspectateurs francophones qui ne savent pas qu’il est un monstre rusé, cruel et doté de pouvoirs paranormaux. Sur Twitter et Facebook, je communiquerai régulièrement sur le processus d’autoédition de mon livre et en diffuserai régulièrement des extraits dans mon blog, qui sera bientôt adapté aux écrans des mobiles. Mon ouvrage est en cours d’écriture et comporte actuellement 334 pages. Ne souhaitant pas en faire un « pavé » indigeste, et étant en arrêt de maladie, je pense le terminer dans les mois à venir. En attendant, invitez votre famille à promouvoir et financer mon projet. Et, comme moi, activez aussi vos différents cercles d’amis pour faire de mon histoire l’un des grands succès de librairie de demain ! Pour vous remercier de votre engagement, je vous propose les contreparties suivantes : - Pour un chèque de 10 euros, mon livre vous sera offert dès sa parution. Cette contrepartie est limitée à 20 exemplaires. - Pour un chèque de 25 euros, mon livre vous sera envoyé avec ma dédicace. Cette contrepartie est limitée à 10 exemplaires. - Pour un chèque de 50 euros, mon livre vous sera envoyé avec ma dédicace et votre nom figurera dans la page « Remerciements ». - Pour un chèque de 100 euros, mon livre vous sera envoyé avec ma dédicace, votre nom figurera dans la page « Remerciements » et, par email ou par SMS, je vous informerai tous les jours sur le montant collecté. - . A partir d’un financement de 500 euros, vous serez intéressés aux revenus générés par l’exploitation commerciale de mon œuvre. Les vingt premiers investisseurs se partageront 20% des recettes nettes de la publication « physique » de mon livre au prorata de leur contribution. . Les autres investisseurs se partageront 20% des recettes nettes de la publication numérique de mon livre au prorata de leur contribution. - . A partir d’un financement de 1000 euros, vous serez intéressés aux revenus générés par l’exploitation commerciale de mon œuvre. Les dix premiers investisseurs se partageront 30% des recettes nettes de la publication « physique » de mon livre au prorata de leur contribution. . Les autres investisseurs se partageront 30% des recettes nettes de la publication numérique de mon livre au prorata de leur contribution. Les 25.000 euros à collecter dans un délai maximum de six mois serviront principalement à l’auto-publication de mon livre et à sa distribution nationale en librairies et sur les plateformes de vente en ligne. Si les fonds recueillis le permettent,

Page 2: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

mon ouvrage se retrouvera également dans les vitrines et les rayons des pays francophones. N.B. : Une partie de cette somme (cinq mille euros) sera utilisée pour les frais annexes (avocat, expert-comptable, avance sur recettes…).

Cinquième extrait Le succès inespéré de mes confidences à Yanis m‘ayant revigorée, j’envisageai, enfin, de mentionner l’existence de l’ignoble Désenchanteur à Fabrissou. Mon intention n’était pas d’inciter mon prince charmant à se méfier des philtres, sortilèges et autres formules magiques utilisés par les magiciens et les sorciers d’autrefois mais à se tenir sur ses gardes surtout s‘il avait l‘impression qu’un inconnu lui volait ses pensées et essayait de lui imposer les siennes. En effet, tel un Big Brother omnipotent et omniprésent, le psychopathe, qui jalonnait ma vie de télécrans humains, avait réussi à infiltrer son cercle de relations professionnelles puisque Isaac, un méchant sans nez recouvert de verrues, utilisait le diminutif affectueux, et caressant, par lequel mon cœur l’appelait. La première fois que j’avais entendu ce petit nom d’amour dans la bouche de l’hypocrite, j’avais tout d’abord manifesté à mon poupon blond ma surprise, m’étais ensuite rapidement mordue la lèvre supérieure et m‘en étais finalement tirée grâce à une pirouette. Sans lui révéler que le fourbe cherchait par ce moyen à gagner sa confiance ! Sans lui avouer qu’un désaxé de la télé ourdissait soir et matin, sans se lasser, la destruction de nos sentiments ! Seulement voilà, j’avais peur qu’il ne rende involontairement publics les pouvoirs de la crapule à l‘allure de brave bon-papa ! Ou pire, qu’il ne croie pas à une histoire aussi extraordinaire et invraisemblable que celle d’un présentateur voyant, télépathe et harceleur sexuel ! On a beau aimer une femme, comment ne pas douter de sa santé mentale lorsqu’elle se lance dans un récit apparemment sans queue ni tête. Celui d’un requin du show-business si stupide, ou déconnecté de la réalité, qu’il conte fleurette à sa proie, après avoir tenté de la dévorer. Aussi, avais-je toujours persévéré dans le mutisme. Après avoir donc longtemps hésité et attendu, l’envie de tout découvrir à Fabrice me démangeait, pour deux autres raisons : son entourage l’avait, de toute évidence, poussé à se défier de mon naturel moqueur et lui avait même dévoilé un pan de notre soi-disant avenir : le jeune homme avait réprimé, lundi dernier, un geste d’agacement tout en acceptant le chocolat chaud que je lui offrais, avec des taquineries ; et il m’avait prévenue, en le buvant, que nous risquions de ne plus nous parler avant la fin de l‘année scolaire. Au moment où j’allais le questionner, on vint, comme à l’accoutumée, nous déranger, puis, j’avais sottement oublié cet

Page 3: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

incident. Comment l’amener maintenant à expliciter ces propos alarmants ? Le manipulateur de F.R.3 ne chercherait-il pas, par cette révélation, à conditionner, dès maintenant, son comportement à venir ? Ne devrais-je pas contrer un projet aussi démoniaque en m’offrant les services d’un devin ? Et surtout, que faire pour ne pas être qu’un songe-creux, et former, avant cette Saint- Valentin qui se profilait à l’horizon, un couple moderne, un couple où c’est la femme qui est la plus âgée. Allongée sur ce canapé que j‘occupais si rarement, je réfléchissais à toutes ces questions se bousculant dans ma tête quand la silhouette de mon héros en baskets se découpa dans l’embrasure de la porte. Ma pose sensuelle, mais alanguie, l’inquiéta certainement puisqu’il se téléporta jusqu’à la banquette afin de s’enquérir de ma santé. Mes explications l’ayant rassuré, il s’installa non loin de moi et nous échangeâmes, comme la froide Camille et l’orgueilleux Perdican, deux ou trois mots d’un air contraint au lieu de nous avouer notre amour. Mais, voilà, tels ces personnages de Musset, nous étions tous deux des êtres fiers et attentistes ! En outre, nous n‘étions pas seuls ! Nous étions en face d’une ermite, une enseignante de français ne pointant que rarement le bout de son nez en salle des professeurs, et du remplaçant de Nicolas, un monsieur à la voix claire et ferme, qui s’était transformé lui aussi en courant d’air, après avoir pris le pouls de notre établissement. Peut-être était-ce un choix délibéré. Quand l’envie l’en prenait, il évoluait avec aisance d’un groupe à l’autre car il ménageait avec habileté la chèvre et le chou. Il nous salua, d’ailleurs, de manière tonitruante, avant de quitter la pièce en compagnie de la discrète anachorète. J’attirai alors, sans aucun préambule, l’attention de mon Bébé Cadum sur ma maturité. Il répéta les termes « jeune femme mûre », avec une infinie tendresse, et un doux sourire aux lèvres. Pour exploiter cet instant de grâce, je lui demandai s’il déjeunait à la cantine, attendis durant une seconde qu’il m’invite à l’y accompagner, enchaînai en m’extasiant sur la beauté de ses cheveux, regrettai qu’il ne les laisse jamais flotter librement sur ses épaules… Au cours de mon babillage intarissable, son visage se ferma peu à peu : je le traitais, à nouveau, en homme- objet et surtout je ne lui avais pas proposé d‘être mon convive ! Cela l‘a vexé. Et, à 10 heures 30, il se contenta de ressasser sa rancœur parce que son bras armé n’était pas là ! Pour punir la vilaine enfant que j’étais, il s’exhiba aussitôt qu‘il le put avec son habituel instrument de vengeance, le parachutiste en habits de deuil, qui ne chercha, sans doute pas une seule seconde, à connaître l’origine de ce brusque revirement. Ce n’était plus une candidate au suicide que j’avais devant moi, à 17 heures, mais « Psyché ranimée par le baiser de l’amour » ! Enjoué et transfiguré de bonheur, le phénix s’exprimait avec des gestes amples, des ornements vocaux à faire pâlir

Page 4: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

d’envie un rossignol ! La joie de ma rivale était si intense qu’elle se serait volontiers livrée à quelques entrechats, dignes d‘un opéra-ballet, si sa corpulence ne lui avait rendu la chose impossible. Assis à ses côtés, Fabrice paraissait estimer qu’elle avait le triomphe immodeste car, le visage sévère, il murmurait en contre-chant, baissait la tête, fuyait mes regards, lissait nerveusement son nimbe de cheveux blonds. Les gredins, encore présents au collège, s’étaient installés en face d’eux, et, à l’égal des statues de cire, ils n‘osaient ni parler ni bouger : ils avaient saisi que l’action se nouait sous leurs yeux attentifs. Tétanisée par cette atmosphère de pièce tragique, déçue par cet adulte aux réactions disproportionnées et puériles, je rangeai passivement mes affaires dans mon casier et m‘interrogeai sur cette déconcertante impression de déjà vu, qui m‘envahissait insidieusement. Le spectacle offert par la soprano colorature avait plu à Charles -Amédée, qui ne traînait dans notre établissement qu’afin de multiplier les occasions de me reconquérir. Sans barguigner, il interrompit avec goujaterie la conversation entamée avec Viviane, le taxi du collège secrètement amoureux de lui, et dont les thèses racistes lui étaient encore plus insupportables que ses traits atteints d’atavisme ( Dès qu’elle potinait en tête à tête avec quelqu’un, elle jetait sans finesse le discrédit sur tous ses élève issus des couches populaires ).Quand il traversa joyeusement la pièce, les amis de Xavière ne réagirent pas : sous leurs conseils, elle lui avait posé, quelques jours plus tôt, un lapin dans le hall d‘entrée de notre odéon. Comme je ne tenais pas à ce qu’il me suive, je le saluai sèchement et le plantai là. J’étais également beaucoup trop atterrée pour supporter le bavardage de qui que ce soit : ne venais-je pas de réaliser avoir vécu en rêve toute cette maudite scène de déconfiture ! J’avais, bêtement, refoulé dans mon inconscient cette prémonition décisive et enclenché ainsi un mécanisme irrévocable ! En courant pour attraper mon autocar, je faillis renverser ce superbe félidé noir qui se postait, depuis quelque temps, sur le parvis du collège, quand il ne miaulait pas sous les fenêtres des salles de classes. Des mains anonymes avaient écrit en gros caractères, sur les murs des immeubles jouxtant ma gare « 6e 2 », ainsi que le nom de famille de Colin, le bel Américain de Montparnasse. Je montai dans mon train, un sourire méphistophélique aux lèvres. « Il est bien plus vieux que moi, si tout se passe normalement, d’ici quinze ou vingt petites années, j’irai cracher sur sa tombe  », me forçai-je à penser moins pour me consoler que pour provoquer le quinquagénaire si intelligent, honnête et mature qu’il s’était acoquiné avec la canaille de ma banlieue. J‘avais toujours l’esprit à la bravade, lorsque je me rendis à la pharmacie de ma cité. Un couple et son robuste garçonnet aux cheveux

Page 5: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

châtains me devançaient dans la file d’attente. Parce que ce dernier se mit à toucher chaque objet, la jeune femme blonde glissa quelque chose à l’oreille de son compagnon, qui se retourna pour gronder tendrement la chair de sa chair. C’était Sékou ! Le teckel aux pattes potelées, au pelage dru et ras, était son enfant ! Je renonçai aussitôt à mes précieux achats et rentrai d’autant plus volontiers chez moi qu‘en rebroussant chemin j’échappais à une préparatrice en pharmacie désagréable et cancanière. J’étais si fatiguée, stressée et révoltée que je m’affalai devant la télévision, et ne trouvai à aucun moment de la soirée le courage de corriger l’un de ces paquets de devoirs qui dormaient maintenant, des semaines entières, dans les tiroirs de mon bureau ( Je remettais tout à plus tard. Y compris l’épilation de mes jambes et de mes sourcils. Ou la préparation de mes cours ). Parallèlement à ce laisser-aller général, des troubles fort gênants de la parole me contraignaient de plus en plus souvent à me taire en public. Certes, malgré toutes leurs machines de guerre, je restais imprenable, au point que mes ennemis restaient au pied de la citadelle de ma liberté. Malheureusement, ils me faisaient payer au prix fort ma valeureuse résistance ! « Ils forment peut-être un ménage heureux mais Junior n’est pas une réussite. Trop fade, trop large et trop court ! Les roquets font des scottish- terrier, des pékinois, des bichons… Rarement des mâtins. Je sais maintenant à quoi ressembleront tous les petits du basset de la télé, puisque la laideur est un gène difficilement récessif, et que la cruauté se transmet par l’exemple et l‘éducation. » me répétais-je infatigablement, ce soir-là, pour me venger du malade du monde du spectacle, et de ses meilleurs amis du moment, les fripouilles de Sarcelles. Ma nuit ne fut pas calme. Dans un rêve inspiré par ma défaite de la journée, je posai au jeune rancunier la question qui débutait apparemment, pour lui, toute relation amoureuse sérieuse. Pour ce faire, je mis un genou sur le sol recouvert de cailloux coupants, pris à témoin le ciel avec ma main gauche et plaçai celle de droite sur mon cœur. Les passants rirent tous de ma grandiloquence. Certains me lancèrent des matières excrémentielles. D’autres me compissèrent. Et, je me suis enfuie, toute honteuse, sous les tickets de cantine souillés de crachats glaireux et de crottes de nez que projetaient des locataires appuyés à la rambarde de leur loggia. Je m’étais abritée derrière mon paravent de pierre, en vue de noter séance tenante quelques copies, quand je fus, le lendemain matin, le témoin, très discret, d’une causerie édifiante : _ Et encore une année de perdue ! Et encore un beau garçon que n’aura pas la petite maigrichonne ! Cette année encore elle ne folâtrera avec aucun Apollon ! Il va lui falloir composer avec les échecs et la solitude car on a gagné ! on a gagné ! glapit Miss Cul-bas pour résumer,

Page 6: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

apparemment, leur conversation. Moi, à sa place, je renoncerais aux vanités de ce monde cruel et je courrais m’enfermer dans un couvent ! Hurla-t-elle encore et, tout en feuilletant un magazine de mode aux pages consacrées aux peignoirs en dentelles, elle avala un croissant aux amandes avec un sourire de triomphe, et un air ravi, qui signifiaient clairement qu’elle, elle n’était pas prête à renoncer à Satan, à ses pompes et à ses œuvres. _« Un jour, mon Prince viendra », bramèrent par moquerie Gonzague et Christelle à la manière des Mariachi ou de Luis Mariano. Je vis, en me penchant avec précaution, que les trois quarts d’entre eux s’étaient vautrés dans ce canapé que leur tribu de rois fainéants s’était appropriée de facto et que les deux chanteurs mexicains improvisés faisaient semblant de donner la sérénade sous un balcon de Vérone. Les autres battaient des mains en cadence, et déglutissaient avec un rythme tout aussi soutenu une montagne de viennoiseries. _Malheureusement, l’autre aveugle, lui, il aime toujours Miss Brushing. Vu qu‘elle n‘éprouve plus grand chose pour lui, il ferait mieux de la passer par pertes et profits. Craquer pour quelqu’un sans espoir de retour, c’est une pure connerie, persifla avec mauvaise foi la comptable de l‘amour dont la chicorée finement dentelée était affreusement lissée, celle-là même qui adoptait en vain, et sans se lasser, des manières chattes avec un bel indifférent, Charles-Amédée. Tout en finissant leurs chaussons aux pommes, Marie -Ingrid et Xavière s’approchèrent vivement d’Ouarda, qui venait de prendre sur la table basse l’une de ces publications illustrées, et fort onéreuses, proposant des horoscopes mais aussi ces questionnaires dont raffolent les femmes désireuses de connaître leur profil psychologique en amour. _ Grâce à nous, les sentiments du non-voyant vont être vite réduits en fines particules intergalactiques car on manipule vraiment très-très facilement Martine ainsi que tous ceux qui tombent bizarrement amoureux d’elle, décréta Muguette en se rengorgeant, et en essuyant d‘un revers de la main les miettes tombées du pain au lait qu‘elle trempait dans son gobelet de chocolat. Depuis la reprise des cours, ce fruit biscornu d’un improbable croisement entre Mère Térésa et Gandhi ne s’habillait plus en savante obstinée à percer le secret de la matière, non désormais, elle se vêtait, comme moi, avec des jupes fendues car elle prenait le « non-voyant » pour un fétichiste de la cuisse à demi dévoilée. Ce dernier était également convoité par le fadasse nuage de filaments soufrés, transmuté depuis peu en un flamboyant tourbillon de braise lumineuse ( Manuella avait troqué contre un rouge résolument ardent et tape-à-l’œil la coloration jaune paille la faisant plus ressembler à un tapis-brosse ambulant qu‘à Hélène de Troie ). Puisque Xavière avait rompu avec lui, le dandy aux élégants

Page 7: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

foulards s’était métamorphosé en Don Juan et s’affichait avec ce cheptel de roses d’automne, qui avaient une horloge biologique à la place du coeur. Viviane venait quelquefois gonfler leurs rangs, quoiqu’elle fut plus jeune que les pitoyables traqueuses de maris, affolées par la fuite du temps et l’ignominieuse saison des soldes. Son physique ingrat lui ayant fait prendre conscience que son unique salut résidait dans sa fraîcheur éphémère, elle lui proposait, sans se décourager, et après avoir agrémenté son allure de garçon manqué de diverses breloques tintinnabulantes, ces sorties à caractère plus ou moins culturel qu‘il annulait à la dernière minute. C‘est que le sultan en-prince-de-galles attendait mon retour au milieu de ce harem disparate et ridicule. Pour optimiser ses chances de reconquête, il s’était inscrit à notre club de musculation, s’entêtait à hanter tous mes lieux de passage et s’ingéniait même à me séparer de son rival autant que faire se pouvait. Pendant ce temps-là, le dogue danois, qui avait en principe la charge du C.D.I., surveillait d’un œil mauvais son manège, et la ronde de vieilles filles voltigeant aux abords de sa « Propriété privée. Attention ! Chienne méchante ! », telle une kyrielle de suçoirs vermeils autour de la dernière corbeille à pollen. Les liens qui unissaient Xavière à Manuella s’étaient distendus pour deux motifs, aisés à deviner. Elle soupçonnait la fausse rousse de l’avoir poussée à la rupture et redoutait qu’elle ne réussisse là où elle avait elle-même lamentablement échoué. _C’est vrai que cette planche à pain n‘est pas belle. Elle est sexy et mignonnette. C’est tout !…Jolie, à la rigueur… Ca en fait encore un qui lui échappe, en tout cas. C’était pas trop tôt, malgré votre soutien, je commençais à être découragée par le dur métier de vivre et ma toute dernière indigestion de couleuvres, murmura, d‘une voix de mourante, la cantatrice d’ Henri Wallon. Je me penchai de nouveau car j‘étais intriguée : Fabrice n’était pas en vue et, pourtant, la Castafiore n’avait pas augmenté le volume d’un organe capable non pas de faire trembler les vitres et de briser les verres mais de faire résonner les cavités de ma tête. Semblable à un nouveau-né qui vagit, elle avait modulé des sons aussi ténus que le bruissement des feuillages, ou le frémissement des ruisseaux. Or, quand le beau jeune homme était absent, son genre, c’était le haut-parleur d’aéroport, pas le doux friselis de la nature. Je supputai, en me basant sur ses cordes vocales émoussées, ses joues rubescentes, que le beau blond l’avait saillie -à la sauvette- sur la banquette arrière de sa voiture, ou dans les douches du gymnase, et qu’elle n’en était pas fière. Par crainte de défaillir de honte, ne se tenait-elle pas aussi droit qu’un brave et vaillant petit soldat ? _ Eblouissante, fraîche et intelligente, comme tu l’es, toi, tu n’as pas besoin de t’habiller en allumeuse pour décrocher ton Graal. Ensuite,

Page 8: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

rappelle-toi ce que nous t’avons déjà dit cent fois : nous-ne-t’a-vons-ja-mais-ai-dé-à-con-qué-rir-ta-Toi-son-d’Or ! As-tu-en-fin-com-pris ? Seuls ta jeunesse, tes charmes, ta vivacité d’esprit et ton aptitude pour le bonheur ont su gagner le cœur de Fabrice, ton grand amour ! Cette passion est réciproque, car tu es comme lui un merle blanc, un trésor des Templiers, aussi notre aide sera-t-elle toujours inutile ! Articula avec force Ouarda, en veillant à bien détacher certains mots et à répéter les idées-clefs de son argumentation. Et si Fabrice refuse à nouveau un rendez-vous, ou t’humilie d’une façon ou d’une autre, envoie-le paître ! Je ne plaisante pas, murmura-t-elle avec colère, de la manière de quelqu’un qui ne se contrôle plus ou qui ne se soucie plus de cacher sa vraie nature de mauvais génie. Marie-Ingrid et Ouarda s’étaient connues à l’Institut Universitaire de Formation des Maîtres. La peur du premier poste expliquait leurs demandes de mutations dans le même établissement. Je m’étais toujours imaginée que Marie- Ingrid était moins sujette au panurgisme que Ouarda et que c’était cette dernière qui l’avait suivie jusque dans notre collège difficile et situé, de surcroît, en zone sensible. Peut-être m’étais-je trompée… _ Vierge et nympho ! Pour sûr que ça la démange d’ faire sauter les doubles verrous d’ son string en soie ! Clama Térence, qui chercha des yeux l‘approbation de ceux assis en face de lui. Il reprenait des argument dont d’autres pédagogues de mauvaise foi s’étaient déjà servi à l’époque de Colin et emporta un vif succès auprès d’Ahmed et de Gonzague, qui l’approuvèrent d’un signe de tête et laissèrent échapper quelques rire gras. Par contre, Levon n’émit que des grognements sauvages et, à la manière d’un assassin qui se repaît par avance des gémissements et des pleurs d’une victime, il esquissa un sourire mauvais. Il avait beau avoir la taille des Négritos, il était craint de tous ses élèves qui le surveillaient autant qu’un volcan non éteint. Henri Wallon n‘avait pas été bâti au pied du Vésuve, et Térence n’avait plus l‘âge d’être enseveli sous une pluie de lignes à recopier et d’heures de retenue, pourtant, il l’observa avec inquiétude et s’aperçut tout à coup que le dangereux marmouset ne disposait que d‘une simple chaise. Tel un homme lige, il lui proposa sa place mais celui-ci refusa sèchement. Pendant une demi-seconde, la face cramoisie et décomposée de Térence nous transposa à Pompéi. _Alors ? Quoi de neuf, depuis hier soir ? Et où est passé Fabrice ? Avez-vous enfin réussi à le dégoûter de Martine et de ses convictions féministes ? ou partage-t-il toujours son combat ? Et, surtout, a-t-il enfin accepté de rencontrer Marie -Ingrid ailleurs qu’au bahut ? Chuchota tout à coup, par la porte entrebâillée, une grosse tête surmontant un tronc d‘un mètre quarante.

Page 9: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

C’était celle de Mallaury Dupuis, une secrétaire titulaire qui avait dû compter un ou deux nabots parmi ses ancêtres. Chez elle, même le cerveau était miniaturisé puisqu’il lui avait fallu la collaboration de sa collègue auxiliaire, et une journée entière, pour taper la lettre que la Principale avait envoyé à la mère de Karine. Une journée entière pour un courrier truffé de fautes de frappe et…de français ! _Oui, quoi de neuf ? Et où est Fabrice ? Répéta tout bas la C.P.E. qui l’accompagnait ( un épouvantail d’une trentaine d’années endoctriné au jeunisme à tous crins et piquant une colère capable de rallumer la guerre de Troie dès qu’un insolent s’entêtait à lui donner du « Madame »). Apparemment, depuis qu’ils avaient su que je les espionnais, ils arrivaient très tôt à leur quartier général, et y élaboraient leurs stratégies, ou faisaient le point tranquillement. J’hésitai à rester cachée. Je jugeai cela lâche et dégradant. Je craignais surtout d’être découverte et fouaillée d’injures méritées. L’envie d’en apprendre un peu plus fut plus fort que tout. _Oui, oui, ils sortent enfin ensemble, dans la rue, main dans la main…enfin…euh…pratiquement…En tout cas, pour Fabrice, son histoire avec Marie- Ingrid est de moins en moins une simple affaire de vengean…euh, je veux dire de cul…euh, c’est pas non plus ça que je voulais dire… Continuons à apprendre à la maigrichonne sans autorité ce que c’est que de passer, dans un bahut, tel un oiseau libre de toutes contraintes ! Bafouilla Fleur, un professeur d’Arts Plastiques exerçant également la fonction de syndicaliste, et qui jouait à l’artiste avec ses ongles verts et sa corolle de cheveux orange. Puis, cette « Fleur » vénéneuse fut prise d‘un fou rire inextinguible, qui rendit incompréhensible une émission de sons que je rapprocherai de ceux du bébé. Je saisis, tout de même, les mots « Princesse X » et « Brancusi ». Cela n’infirma ni ne confirma les thèses de mon imagination fertile et avide de scénarios dégradants. L‘énorme pouparde à la chevelure incandescente pouvait, en effet, s’être fait culbuter sur l‘une des tables de la salle des professeurs, contre le mur d’escalade des élèves, sur le sol froid et sale de notre parking, dans l’une des multiples rues borgnes proches du collège, derrière les broussailles du terrain vague utilisé comme raccourci. Mieux, dans le local à poubelles de notre établissement, elle pouvait avoir été humiliée à coups de boutoirs sauvages, douloureux, puis abandonnée nue, grelottante et docile. _ Elle ose passer chez nous en coup de vent et … sans protecteur ! Or, notre petite féministe sans entregent n’est pas taillée pour lutter seule dans la jungle, précisa en ricanant Térence Isaac, dont le visage était toujours déformé par l’effroi. Mme Durand a tenu à me rencontrer, moi aussi, lors de la remise des bulletins, poursuivit-il en s‘adressant à Fleur. Mon opinion est que cette fille-mère prend un peu trop systématiquement

Page 10: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

le parti de ses bâtards … Mais, tu as entièrement raison ! Avec elle, c’est comme avec Karine : il faut savoir faire preuve d’autorité, voilà tout ! _ Vierge et nympho, peut-être bien Térence, mais, une chose est sûre, ici, c’est pas le Meilleur des mondes et on pratique pas le communisme sexuel ! Donc, mon coco, Marty est pas pour toi ! C’est pas demain la veille que Fabrice consentira à c’ que tes pattes malgracieuses ouvrent la porte de sa p’tite culotte pour que tu y plonges jusqu’à la garde ton Excalibur de chair ! Et fais plus jamais devant moi un cours sur l’autorité, t’as rien d’un loup ou d’un lion ! Cache tes crocs de lait, Ganelon de mes deux ! Tonna soudain Levon le Terrible, qui ruminait en silence jusque-là et qui, pour exiger enfin son dû, se campa sur ses jambes courtes, et mal dessinées. Confus, maté, et définitivement vassalisé, Térence dit « Oui, oui, naturellement, excuse-moi », puis il se leva promptement du siège occupé et le lui tendit comme s‘il le couronnait roi de France. Khanchatoujian 1er avait fini par percer à jour ce judas chantant à son beau rival blond les mérites des pachydermes tandis qu’il lisait, avec affectation, d’indigestes romans-fleuves le mercredi, à notre heure de battement commune. Un matin, il avait surgi à l’improviste et avait ferraillé avec le félon, qui souhaitait, par ses lectures, attirer mon attention sur nos prétendues affinités et passer à mes yeux pour un brillant titulaire d‘E .P.S. Là, le justicier fit exprès de le bousculer devant tous, après avoir laissé choir le soi-disant sceptre. Défait, honteux, Térence hésita un quart de seconde, attendit qu’un Condé se révolte contre ce nouveau Mazarin, - et se trouva finalement dans l‘obligation de ramasser le faux bijou d‘apparat. Deux frondeurs, Ahmed et Gonzague, qui avaient eu, eux aussi, l’audace de poser les yeux sur moi, se firent tout petits pour fléchir le courroux du redresseur de torts. Ils avaient compris que, tel Gengis Khan, Khanchatoujian pouvait lui aussi assassiner père, mère et frère sous l’effet de la colère ou pour satisfaire ses appétits de gloire et de pouvoir. _ Moi, je suis un Jivaro réducteur de tête, et j ’ vous promets qu’elle se terrera, dès potron-minet, dans sa salle de classe, en faible femme née pour trembler et être vaporisée. A cause de moi, elle fera, bientôt, une dépression, prophétisa Zeus, l’autre roquet anormalement haineux qui enseignait à des enfants une discipline dont l’ambition est d’acquérir « un esprit sain dans un corps sain ». Je suis surpris qu’elle n’ait pas éclaté en sanglots lorsque la Principale lui a coupé la parole, lors de notre dernière réunion. Elle était dans son droit et la dirlo lui a coupé le sifflet ! Avec cette avanie, je pense qu’elle a enfin compris qu’ici nous adoptons tous l’ attitude des trois singes de la sagesse : on ferme les yeux sur les incivilités des copains, on n’entend pas les cris de leurs victimes et surtout on ne rapporte pas !

Page 11: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

_ Quel dommage que ton sac ne l’ait pas blessée ! Il ne l’a même pas effleurée ! Il a juste renversé une chaise innocente ! Tu avais projeté de prendre le visage du Destin et d’enfiler ses rêves de bonheur dans un cothurne. Or, pas besoin de placer des télécrans dans sa salle de classe, pour voir que ses rêves chaussent toujours le socque. C’est pas juste que la vie reste pour elle un spectacle joyeux, une comédie ! Pesta Manuella. Ce qu‘on grelotte, aujourd’hui ! Il n’y a plus de saison ! Fulmina-t-elle encore. Et elle se leva, en toussant comme une vieillarde cacochyme, pour fermer une fenêtre restée ouverte et récupérer le foulard laissé malencontreusement au porte-manteau de la pièce. _Dans les grandes écoles, ils font beaucoup mieux avec leurs poupées à bascule qui appellent de leurs vœux la Faucheuse et ne rêvent que du silence apaisant des cimetières, avança très timidement Isaac. Une scène se déroulant juste devant lui l’avait encouragé à prendre son courage à deux mains et à intervenir : Domenech et Madeleine avaient échangé leurs places contre celles de Xavière et de Muguette pour se rapprocher du pygmée d’Arménie et lui faire tout bas des remontrances. Envahi par une bouffée d’espoir, il avait, bien sûr, tendu l’oreille pendant de longues secondes. Mais rien n’avait filtré. Comme le myrmidon devenait de plus en plus livide, il en avait conclu, avec plaisir, que ce dernier avait droit à une mercuriale et non pas de banals reproches. « On n’hésite pas à rompre en visière, dans les prytanées militaires ! », glissa-t-il ensuite la face réjouie, le ton assuré. «  Le harcèlement est un art… » Une quinte de toux l’empêcha d’ajouter un troisième exemple et ce fut sur un ton déchirant qu‘il se lamenta sur ses voies respiratoires irritées. Sans se soucier de Manuella qui se plaignait à présent de ne pas avoir ramené une écharpe ou un pull, le bourreau enfila son tricot en cachemire car sa délicate constitution de rugbyman le forçait à se protéger des méchants courants d’air. _ Le papillon aux couleurs éclatantes va bientôt régresser à l’état de chrysalide. Transformée en souris grise rasant les murs, elle n’osera plus courir le guilledou avec nos deux gigolos maison et appréhendera d’affronter toussotements de désapprobation, regards et propos moqueurs. J’ai déjà commencé à m’y employer et je ne reculerai devant rien, promit le dieu de colère d’Henri Wallon. Nous allons sous peu bouffer du M.L.F. et faire de l’existence de la poupée une anecdote à se raconter, entre copains, en descendant cul-sec des canettes de bière ! _C’est une poupéééée qui fait non, non, non, non, non, non ! Toute la journéééée, elle fait non, non, non, non, non, non, Brailla Ahmed à la suite de ses mâles propos. Le fantoche voulait obtenir trois résultats grâce à un seul et unique

Page 12: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

procédé : complaire à Zeus et Térence par la reprise du terme « poupée », se moquer de moi qui le repoussais à coups de propos rudes et désobligeants. Et qui sait ? faire acte d’allégeance envers le puissant Fantômas du harcèlement. Le choix de la chanson de Michel Polnareff n‘était certainement pas dû au hasard : sur les stations de radio que j‘écoutais, elle figurait en bonne place au palmarès des succès destinés à me déstabiliser, par leurs textes à messages. _Tu veux ou tu veux pas ? Si tu veux, tant mieux, si tu veux pas, tant pis, j’en ferais pas une maladie, enchaîna-t-il avec brutalité, et le regard farouche, tant il désirait faire rugir le fauve qui était en lui. _ L’ami Caouette / Me fait la tête / Qu’a Caouette ? La petite Noé / Veut plus m’ parler / Qu’a Noé ? Hurlèrent Lubin et Gonzague, qui imitèrent pour l’un Serge Gainsbourg allumant un cigare et pour l’autre Charlie Chaplin se dandinant et jouant avec un parapluie. La curiosité avait supplanté ma peur d’être surprise. Leur numéro de music-hall plutôt drôle et réussi me récompensa de mes crampes au cou. _ Mam’zelle Binet / S’est débinée / ( Oh ) qu’a Binet ? Poursuivit le tigre de papier, qui s’essaya maladroitement à des mimiques facétieuses, car il avait compris qu’à Henri Wallon, comme partout ailleurs, il ne fallait jamais se distinguer. Tous trois savaient, de toute évidence, qu’un prédateur comptait sur ces deux morceaux humoristiques pour faire pardonner la distorsion entre son comportement de sociopathe et ses enfantillages. _J’aurais voulu être un ar-tiiiiiiste, entonnèrent-ils tous en chœur, afin de tourner en dérision mon ambition de devenir parolière et imiter la belle et brillante coordination des fantassins qui courent sus à l‘ennemi - ou celle de la meute qui se lance sur la bête. Muguette et Manuella se réconcilièrent sur mon dos, en massacrant côte à côte le célèbre tube québécois. Ces deux grands félins s’en prirent à la même proie pour ne plus s’entre-dévorer et rendre eux aussi un rapide hommage à celui qui leur fournissait renseignements et conseils précieux. Ce matin-là, dès que l’officine de conspirateurs se fut transformée en ruche, je slalomai discrètement entre les groupes, et allai sagement me délasser dans ma salle de classe. Seuls Rodolphe et Kouassi avaient remarqué mon petit manège, pour s‘être isolés dans un coin. Le premier m’avait jeté un regard de mourant. Il avait sans doute des vapeurs ou ses bouffées de chaleur. Le second, un noceur qui faisait cours à demi endormi, un petit nécessaire de nuit dissimulé sous son bureau, s’était, également, tu et avait, de surcroît, baissé la tête avec embarras. J’en ai conclu que des doutes l’effleuraient, et qu’il commençait à avoir des scrupules. Cela me faisait une belle jambe qu’un pleutre n’osant pas s’opposer à mon lynchage ait des états d’âme ! A 10 heures 15, la Castafiore était toujours aussi rouge, gênée et …

Page 13: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

muette. D’habitude, quand une personne montre des signes de faiblesse, ou de trop grande gentillesse, on la considère comme une proie facile et c’est la curée générale. Le célèbre repas des fauves ! Là, non. J‘assistais donc -tout ébaubie- au film « Il faut sauver le soldat Marie -Ingrid » : soigneusement alignées autour du divan, comme pour la revue du 11 novembre, des divisions entières d’amis l’entouraient silencieusement, et affichaient une mine grave et soucieuse. Elles en oubliaient de se méfier de moi ! Aussi, n’eus-je même pas à tendre l’oreille lorsque les troupes, qui ne faisaient pas partie de leur premier cercle d’intimes, les questionnèrent : sur un ton qui ne souffrait aucune contradiction, la garde rapprochée continuait à raconter que la statue au visage de reine des douleurs sortait officiellement avec celui qu‘ils attendaient tous, le Sauveur aux yeux verts, le Messie aux boucles blondes, Fabrice de Nazareth. Les complices de seconde zone tinrent leur rôle en colportant cette « information », tout en prenant bien soin de surveiller, eux aussi, l’objet de tous les regards, la porte désespérément fermée. A midi quarante-cinq, malgré les borborygmes de mon estomac affamé, je m’accordai encore quelques minutes de répit, avant de me jeter dans la gueule du loup. Je lisais tranquillement des affiches placardées sur les murs de cette pièce dévolue aux enseignants mais qui était, ce jour-là, anormalement calme et déserte, lorsque les deux personnes guettées toute la matinée firent une irruption bruyante. La première sifflotait, ébauchait des petits pas de danse, bref, fanfaronnait, et, entre deux gloussements, se moquait d’une exécution sommaire ou mimait, familièrement, des seins beaucoup trop volumineux. Bien qu‘elle fût visiblement très mécontente, la deuxième observait un silence inquiétant. Soudain, choqué par tant de machisme primaire, et peut-être fatigué par une demi-journée passée à se contrôler, Khanchatouchian fit, devant moi, des remontrances, très sèches, à l’indélicat, qui se dépensait toujours en gestes et bruits superflus. Abasourdi, celui-ci cessa aussitôt son imitation du crépitement d’une fusillade et dévisagea le curé qui se dressait sévèrement devant lui. Ce qu’il lut dans ses yeux de juge intransigeant le fit changer radicalement de comportement : pour être solidaire d’une tétonnière se pâmant d’amour pour lui, il déclara, d’un air contrit, que Marie -Ingrid possédait une poitrine peut-être un peu trop opulente mais assurément très belle ! A la récréation de 16 heures, ce coït à la lapine se transforma en un haut fait de gloire. Je suppose que le directeur de conscience du fusilier au casque d’or avait tout occulté fort à propos : injurieuse goujaterie, longue et difficile intercession. Je suppose, également, qu’ils avaient expliqué leur disparition simultanée d’une façon plausible, voire rassurante, pour l’ego de Miss Double Airbag. Toujours est-il que cette dernière fut, dès lors, perçue comme une personne fort avantagée par Dame Nature et un

Page 14: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

« bon coup ». L’avocat marron avait menti aux gradés et à la piétaille, si bien qu’Ouarda contempla, avec admiration, une naïve dondon, qui se pavana et caqueta licencieusement avec la lie d‘Henri Wallon, afin de soigner sa nouvelle image de beauté pneumatique. Au cours d’un laps de temps de trois jours beaucoup trop court à mon goût, Anidio cessa de m’épier, avec convoitise, pour saliver sur cette « bombe anatomique », qu’il croyait avoir bêtement mésestimée. Des collégiens libidineux, et à l’affût d’une initiatrice, téléphonèrent à la déesse du sexe, ainsi qu’elle le rapporta fièrement à un fan-club électrisé. Son vainqueur couronné s’appliqua, durant ces soixante-douze heures, à être aimable avec elle, pour ne pas lui faire de tort et la remercier de le chérir à ce point : plus immobile que les dieux Termes, il se tenait, dès 8 heures 30, à ses côtés, et lui décochait des sourires embarrassés, à chaque fois qu’elle lui roucoulait, en se léchant les lèvres, qu’elle était à sa disposition. Le dernier jour, sous les regards ravis de ceux qui les rencontraient, et qui ne cherchaient pas à savoir si elle méritait toute cette protection, ma rivale promena, triomphalement, poitrail avantageux et fesses molletonnées dans un survêtement gris en tous points semblables à celui de Fabrice, qui se rendait avec elle au gymnase. L’effet était saisissant ! Imaginez un diplodocus à côté d’un coq de bruyère ! le cuirassé Potemkine près d’un hors-bord ! ou Michaël Moore et Léonardo di Caprio paradant cérémonieusement dans le même costume puis dansant ensemble un menuet ! Je surpris ce poids-lourd du Jurassique en train de se renseigner sur le basket-ball, et compris alors qu’un tournoi professeurs-élèves de troisième avait lieu le lendemain et qu‘elle s‘y préparait activement. Parce que je n’avais pas ce niveau de classe, je n’en avais pas été avertie. De toute façon, ne me tenait-on pas à l’écart de tous les grands événements rythmant la vie d’Henri Wallon ? Toute cette scénographie grotesque me pantela de terreur pour plusieurs motifs : à l’inverse des amis de notre Lazare en jupons, je connaissais la vérité et les réactions spontanément grossières du blondin m’effrayaient, car, après s‘être soulagé sexuellement, j’avais peur qu’il ne soit naturellement, et avec toutes les représentantes de la gent féminine, un rustre doublé d’un cuistre ; je n’ignorais pas que le double centimètre en jogging n’interviendrait pas en ma faveur auprès de son collègue pour maquignonner les faits ( loin de me donner à moi aussi une seconde chance, il s‘emploierait plutôt à faire figurer mon prénom dans une chanson à boire ! ) ; de plus, l’attitude du phénix m’humiliait en tant que femme et me portait à rester digne pour deux en me tenant loin de l‘objet de son adoration. En effet, sitôt sa période de grâce achevée, elle s’était remise à harceler son Auguste Rodin. Aussi ravagée par l’amour et la folie que Camille Claudel, la gourgandine passait devant nous en

Page 15: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

respirant avec effort et en se lamentant bruyamment, sans chercher à mettre sa détresse morale sur le compte de son jean ( comme il était beaucoup trop juste pour ses fesses de Vénus hottentote, il lui eut été facile de prétendre qu’il entravait ses déplacements et coupait sa respiration ). C’était la première fois de ma vie que j’assistais à un spectacle aussi saisissant puisque… les rôles étaient inversés ! Là, sous mes yeux stupéfaits, c’était un mâle, un vrai, un magnifique spécimen d’un mètre quatre-vingts, qui fuyait une main baladeuse et s’effarouchait au seul son du mot « sexe » ! Je me promis de m’en souvenir pour enseigner, plus tard, à ma fille le respect de soi ! J’entendis, au bout d’une semaine, un groupe de marchands de chevaux et de tenanciers de bordel célébrer, en termes crus, les appas plantureux de la jument en chaleur. Aussitôt, je l’imaginais recroquevillée sur elle-même, dévorant des yeux son seigneur et maître. D’après la tournure prise par les négociations, je réalisai que celui-ci tentait maladroitement d’échapper à des formes un peu trop pulpeuses. Malmenée par un discours de plus en plus graveleux, et pressée de quitter le marché aux bestiaux, la poupée lubrique cavalcada à travers la pièce : cette gigue allegro furioso contrastait avec le lent et solennel pas de danse du XVIIe siècle adopté, quelques jours plus tôt. J‘éprouvai, en premier lieu, un sentiment de compassion, puis, me demandai si l’énorme polissonne serait capable de se sacrifier pour cet être qui avait généreusement sauvé sa réputation. Une laideronne, tout en bosses graisseuses, n’est-elle pas condamnée à un amour égoïste et possessif ? Cette loi générale ne poussera-t-elle pas la femelle nymphomane à exiger de Fabrice qu’il demeure -aux dépens de son propre bonheur !- « son » objet de plaisir ? Pour avoir réalisé que la situation pouvait basculer en ma faveur, des silhouettes d‘élèves s’employèrent à m’éloigner du garçon de mes rêves par tout un prêchi-prêcha moralisateur. Protégées par leur anonymat, elles me le serinèrent à la cantine, dans les couloirs du collège, dans la cour de récréation : _ Il a fait de toi une femme trompée, un objet de mépris et de railleries ! _Et il a peut-être attrapé le sida ou la syphilis ! _ Tu rêves de parfumer enfin tes draps en soie à l’odeur d’un beau mâle et on comprend que tu ne souhaites plus être une handicapée de la vie sexuelle. Mais, il suffit d’une fois, une unique petite fois, et paf ! on attrape une M.S.T. _Tu tiens vraiment à figurer sur la liste de ce chaud lapin qui pense qu’à te dévierger et qui risque de t‘engrosser ? _As-tu oublié l’importance de la première fois et du premier amant ? _Nous, les meufs, on doit être solidaires ! Ne le lui vole pas maintenant

Page 16: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

qu’elle est devenue sa maîtresse ! _ Tu sais bien que c’est difficile d’être une nana moderne, une nana qui assume ses pulsions ! _Tu veux avoir, toi aussi, une réputation de gigolette ? _Toi, t’es jolie, tu plais aux keums, et t’auras des tas d’autres belles occasions, pas elle ! _ Il est sa seule chance de faire tomber de son arbre généalogique un petit d’homme, et non un porcelet ou un têtard ! _Pourquoi ne serais-tu pas la récompense d’un type bien ? Si tu agissais ainsi, notre région entière t‘aimerait enfin et se rallierait à ton panache blanc ! _ Tu es programmée génétiquement pour les sacrifices ! Suis la pente de ta nature ! N’essaie pas de lutter contre ton destin ! J‘ai fait fi de ces apostrophes, n’étant pas un parangon de vertu. J’eus été une belle idiote si j’avais plaint plus longtemps une rivale puissamment aidée par une bonne partie du collège et …le ruffian de F.R.3 ! Celui-ci n’avait-il pas mis Aurique dans le lit de Kermit-la- grenouille uniquement pour que je lui oppose ensuite un mépris souverain ? Afin de ne pas être une nouvelle fois influencée par cet ignoble artifice, j’ai souri à l’étalon pour un oui et pour un non. De plus, savoir que la poulinière était une piètre amante me rassura sur les résultats d’une éventuelle comparaison. De son côté, son reproducteur attitré éprouva pour moi un retour de flamme inexplicable. Il saisissait, en salle des professeurs, chaque occasion de me parler, et délaissa bien plus souvent qu’autrefois sa voiture, ce qui nous permit de bavarder durant notre trajet en bus. Il m’apprit, un matin, qu’il appréciait la littérature africaine et sortit de son sac à dos Amkoullel, l’enfant Peul d’Amadou Hampâté Bâ. Je ne l‘avais pas lu. Aussi lui conseillai-je, sans m’attarder sur leur contenu, trois ouvrages que j’appréciais tout particulièrement : L’Egypte, Histoires, livre II d’Hérodote, Nations nègres et culture de Cheikh Anta Diop, Black Athena de Martin Bernal. A l’énoncé de ces trois titres, Elie, qui récupérait des documents dans son casier, se retourna vers nous avec un sourire de fin connaisseur. Contrairement à Colin, il paraissait admettre que mes aïeux avaient, à l’époque pharaonique (1) (2) (3) (4) (5) (6), civilisé la Grèce et l’Occident ( 7 ), que ce passé prestigieux, bien plus ancien qu’on ne se plaît à le dire généralement, avait été réécrit par leurs vainqueurs, les instigateurs du racisme à rebours ( 8 ) qui nous fige, nous, les descendants de ces grands vulgarisateurs, dans le rôle de mendiants de culture, de peuples aliénés et d’éternels fils d‘esclaves (9) 10) (11) (12) (13) (14) (15) (16) (17). Le scepticisme teinté de moquerie du bel Américain m’avait incitée à ne plus aborder ce sujet avec qui que ce soit car il m’avait rappelé la réaction

Page 17: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

de tous les individus croisés ici et là et influencés comme lui par les oeuvres ayant créé, puis subtilement entretenu, la légende de l‘infériorité héréditaire des Noirs. Ce fut en tout cas le comportement d’une Péruvienne réfractaire à toute idée de filiation entre les pyramides nubiennes et incas (18) (19) et l’attitude d’une étudiante d’obédience juive hostile aux implications découlant des écrits (20) (21) (22) (23) de Freud sur l’ascendance égyptienne de Moïse. Ce fut également la réaction de différents professeurs d‘histoire-géographie m’ayant tous enjoint de ne pas troubler l‘esprit de mes élèves avec mes « hérésies » sur les égyptologues, taxés par moi de révisionnistes. A la lumière des travaux de ces savants, il apparaît pourtant clairement que leur mission est d’être les chantres de la race blanche. Quitte à occulter toutes les preuves de l’origine négro-africaine des naturels de l‘Egypte, pays appelé autrefois « Terre des Noirs ». A l’inverse de ce que prétendent les manuels scolaires, « Kemet », le nom antique de l’Egypte, ne se réfère pas à la teinte du limon du Nil mais renvoie à la couleur charbonneuse, et non pas métisse, des Egyptiens de l‘Antiquité, et appartient à la même famille que « Cham », mot par lequel la Bible elle-même désigne l’ancêtre de Canaan, Koush, Misraïm, Nemrod, Séphora …et donc des Nègres.

1 « Bien des choses indiquent, pour un homme capable de raisonner sur de pareilles matières, qu‘il n‘est même pas vraisemblable que le Nil puisse provenir de neiges.(…) En troisième lieu, le teint des hommes que la chaleur rend noirs. » ( Hérodote, II, 29 ) 2 « Et quand ils disent que la colombe était noire, ils donnent à entendre que la femme était Egyptienne. » ( Hérodote, II, 77 ) 3 « Manifestement, en effet, les Colchidiens sont de race égyptienne. (…) Je l’avais conjecturé moi-même, d’après ces indices : d’abord, parce qu’ils ont la peau brune et les cheveux crépus … » ( Hérodote, II, 131) 4 « Diodore de Sicile écrit : «  les Ethiopiens disent que les Egyptiens sont une de leurs colonies qui fut menée en Egypte par Osiris. (…)Ils ajoutent que les Egyptiens tiennent d’eux, comme de leurs auteurs et de leurs ancêtres, la plus grande partie de leurs lois. (…) la sculpture et l‘écriture ont pris naissance chez les Ethiopiens. » ( cité par Cheikh Anta Diop, Nations nègres et culture, p 38 ) 5 « Strabon va plus loin et tente dans sa Géographie d’expliquer pourquoi les Egyptiens sont plus noirs que les Hindous ( la fameuse race rouge sombre des modernes ). On voit donc que les anciens distinguaient bien les nègres égyptiens et éthiopiens des sémites et des prétendues races rouge sombre ( ... ) Enfin, pour les Sémites eux-mêmes ( arabes et juifs ) les Egyptiens étaient des nègres. » (Nations nègres et culture, p 38 ) 6 Messod et Roger Sabbah citent Rabbi Chelomo Ben Itzhak dans Les secrets de l ‘ exode ( L’origine égyptienne des Hébreux ), Le Livre de

Page 18: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

Poche, p 301 : «  Que tu es belle. Mais nous arrivons maintenant chez un peuple d’hommes noirs, frères des Ethiopiens, et qui n’ont pas l’habitude de voir une femme belle ( à la peau claire ). » ( Rachi, Genèse XII, 11 ) 7 « …on a voulu figurer ici les habitants des quatre parties du monde, selon l’ancien système égyptien, savoir : 1°_ les habitants de l‘Egypte qui, à elle seule, formait une partie du monde, d‘après le très modeste usage des vieux peuples ; 2° _ les habitants propres de l‘Afrique, les Nègres ; 3° _ les Asiatiques ; 4°_ enfin ( et j’ai honte de le dire, puisque notre race est la dernière et la plus sauvage de la série ) les Européens qui, à ces époques reculées ne faisaient pas une trop belle figure dans ce monde. Il faut entendre ici tous les peuples de race blonde et à peau blanche habitant non seulement l’Europe, mais encore l’Asie, leur point de départ. (…) J’ai fait copier et colorier cette curieuse série ethnographique. Je ne m’attendais certainement pas, en arrivant à Biban -el- Molouk, à trouver des sculptures qui pourraient servir de vignettes à l’histoire des habitants primitifs de l’Europe, si on a jamais le courage de l‘entreprendre. Leur vue a toutefois quelque chose de flatteur et de consolant, puisqu’elle nous fait bien apprécier le chemin que nous avons parcouru depuis. » ( Suite de la lettre adressée par Champollion - le -Jeune à son frère et citée par Cheikh Anta Diop, pp 64-65 )8 « D’après ces bas-reliefs nombreux, nous voyons donc que, jusque sous la XVIIIe dynastie tous les spécimens de race blanche venaient après les Nègres : en particulier la « bête blonde » de Gobineau et des nazis, sauvage tatoué et vêtu de peau de bête, qui, loin d’être à l’origine de toute civilisation, était encore essentiellement réfractaire à celle-ci et occupait le dernier échelon de l’humanité. C’est ce que Champollion n’a pas manqué de constater dans la citation ci-dessus avec surprise et humiliation, ne trouvant d’autre consolation que la considération du chemin que cette race a parcouru depuis. » ( Nations nègres et culture, p 67 )9 « Moïse vivait à l‘époque de Tell -el- Amarna où Aménophis IV ( Ikhnaton, vers -1400) tenta de rénover le monothéisme égyptien primitif, qui s’estompait sous l’appareil sacerdotal et la corruption des prêtres. (…) Moïse aurait été touché par cette réforme religieuse. Il s’est fait, à partir de ce moment, le champion du monothéisme dans le milieu juif. Le monothéisme, dans toute son abstraction, existait déjà en Egypte qui, elle-même, l’avait emprunté au Soudan Méroïtique, Ethiopie des Anciens… » ( Nations nègres et culture, p 45 ) 10 «  Si la version biblique est tant soit peu exacte, comment le peuple juif peut-il être exempt de sang nègre ? Pendant 400 ans il serait passé de 70 individus à 600 000 environ au sein d‘une nation nègre qui l‘a dominé pendant cette période. Si les caractères négroïdes des Juifs sont moins accusés aujourd’hui, cela est dû, vraisemblablement, à leur mélange avec

Page 19: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

des éléments européens, depuis leur dispersion. On est presque certains actuellement que Moïse était Egyptien, donc Nègre. » ( Nations nègres et culture, p 46 ) 11 « (…) suivant les besoins de la cause, Cham est maudit, noirci, et devient l‘ancêtre des Nègres. C‘est le cas chaque fois que l‘on parle de relations sociales contemporaines. Mais il est blanchi chaque fois que l’on cherche l’origine de la civilisation (…) C‘est alors qu’on imagine la notion de Chamites orientaux et occidentaux qui n’est autre chose qu’une invention commode pour enlever aux Nègres le bénéfice moral de la civilisation égyptienne … » ( Nations nègres et culture, p 47 ) 12 «  L‘opinion selon laquelle l‘ancienne population de l‘Egypte appartenait à la race nègre africaine, est une erreur qui a longtemps été adoptée comme une vérité. (…) Tel fut l‘effet de ce que le célèbre Volney publia sur les diverses races d‘hommes qu‘il avait observées en Egypte. Il dit dans son Voyage qui est dans toutes les bibliothèques, que les Coptes sont les descendants des anciens Egyptiens ; que les Coptes ont le visage bouffi, l’œil gonflé, le nez écrasé, et la lèvre grosse, comme les mulâtres ; qu’ils ressemblent au Sphinx des Pyramides, lequel est une tête de nègre très caractérisée, et il en conclut que les anciens Egyptiens étaient de vrais Nègres de l’espèce de tous les naturels d’Afrique. A l’appui de son opinion, Volney invoque celle d’Hérodote qui, à propos des habitants de la Colchide, rappelle que les Egyptiens avaient la peau noire et les cheveux crépus. Mais ces deux caractéristiques physiques ne suffisent pas pour caractériser la race nègre… » ( Champollion-Figeac, Egypte ancienne, pp 26-27, cité dans Nations nègres et culture, p 69 ) 13 « Il était en effet absolument intolérable aux yeux des Romantiques et des idéologues racistes du XVIIIe et du XIXe siècles que la Grèce, en qui l’on voyait la quintessence de l’Europe, et qui incarnait la pureté de l’enfance européenne, ait pu être le résultat d’un mélange d’Européens autochtones et de colonisateurs africains et sémites. Il fallait donc évacuer l’Ancien Modèle et le remplacer par quelque chose qui soit supportable. » ( Black Athéna, P.U.F., pp 24-25 ) 14 « La civilisation égyptienne repose, de toute évidence, sur les cultures pré-dynastiques très riches de la Haute-Egypte et de la Nubie. Leur origine africaine est incontestable. » ( Black Athéna, p 37 ) 15 « Des Juifs comme Flavius Josèphe, des Pères de l’Eglise comme Clément d’Alexandrie ou Tatien, eux, marquaient des points contre les Grecs en faisant remarquer l’aspect tardif et le caractère superficiel de la civilisation grecque, comparé à celle des Egyptiens, Phéniciens, Chaldéens, Perses et bien entendu à celle des Israélites. Ils insistaient sur l‘ampleur des emprunts qu’avaient fait les Grecs aux cultures de peuples plus anciens. » ( Black Athéna, p 237 ) 16 « Il existe un peuple aux traditions millénaires, vivant au Kenya et en

Page 20: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

Tanzanie, ayant gravé en son passé une histoire analogue à celle de la Bible : les Massaïs. Comment les Massaïs ont-ils épousé un monothéisme biblique avec des noms divins analogues aux dieux égyptiens ? Sont-ils les Africains oubliés, monothéistes chassés d’Egypte par le Divin Père Aï ? Y a-t-il eu un exode massaï ? » ( Les secrets de l ‘ exode , p 526 ) 17 « Le peuple massaï s’est toujours déclaré « Elu de Dieu », préservant fièrement son héritage et résistant comme les Yahouds aux assauts des autres croyances. Ils portent le nom égyptien de Mess - Aï, «  Fils de Aï », qui se rapproche de Médzaï, nom de la police africaine d’Akhet- Aton. Celle-ci assurait le maintien de l’ordre dans la capitale, obéissant à son roi-dieu Akhénaton, et formant une armée monothéiste crainte jusqu’aux limites de l’empire. » 18 « Elliot Smith était raciste comme on l‘était à son époque. Il ne pouvait évidemment rien changer au fait que la majorité de la population égyptienne avait toujours ressemblé aux autres habitants de l‘Afrique de l‘Est, mais il était persuadé qu’à « l‘époque des Pyramides », à l’Ancien Empire, il y avait eu un afflux d’Asiatiques brachycéphales, c’est à dire non-sémites. (….) Il n’eut guère d’ennuis cependant jusqu’au jour où il se mit à prétendre que l‘Egypte était non seulement à l‘origine de la culture européenne mais aussi de toutes les cultures du monde. Il trouvait une origine égyptienne aux pyramides du Mexique, aux techniques de momification du Pérou et des îles du détroit de Torres près de la Nouvelle-Guinée. » ( Black Athéna, p 328 ) 19 « …dans la mesure où l’on est arrivé à montrer qu’il y eut effectivement une influence africaine sur l’Amérique pré-colombienne à peu près 1000 ans avant J.C., et où l’on a découvert que les pyramides méso-américaines ne servaient pas simplement de base aux temples mais pouvaient aussi contenir des tombeaux, la thèse d’une influence égyptienne indirecte sur ces civilisations beaucoup plus tardives s’est trouvée confortée. » ( Black Athéna, p 329 )   20 « Enlever à un peuple l‘homme qu’il honore comme le plus grand de ses fils n’est pas une chose qu’on entreprend volontiers ou d’un cœur léger, surtout quand on appartient soi-même à ce peuple. » ( L ‘ homme Moïse et le monothéisme, Sigmund Freud, Folio, p 63 ) 21 « On devrait donc attendre que l‘un quelconque des nombreux savants qui ont reconnu le nom de Moïse comme un nom égyptien arrive aussi à la conclusion, ou évoque au moins la possibilité, que le porteur du nom égyptien ait été lui-même un Egyptien. » ( L ‘ homme Moïse et le monothéisme, Sigmund Freud, p 65 ) 22 « Moïse fut un Egyptien, probablement de haut rang, dont la légende a fait un Juif. » ( L ’ homme Moïse et le monothéisme , Sigmund Freud, p 73 ) 23 « …l’homme Moïse, le libérateur et le législateur du peuple juif,

Page 21: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

n’était pas un Juif mais un Egyptien. » ( L ‘ homme Moïse et le monothéisme, Sigmund Freud, p 79 )

Un matin, je clamai, à notre arrivée dans notre temple des plaisirs, que nous étions entourés d’une tourbe d’individus ne s’aimant ni ne se respectant. Comme je l’avais prévu, le dieu de la fécondité puisa alors en lui le courage de s’isoler des déités de notre Olympe à dossiers et accotoirs ; Zeus feula dangereusement en m’entendant proférer cette vérité injurieuse, et pressa tant et si bien le farouche dissident que celui-ci retourna, dès le lendemain, réchauffer sa place habituelle sur le canapé. Le visage gras de Marie- Ingrid luisit d’un bonheur égal à celui de Bouddha devant l’arbre de l’Illumination, et sa voix ne joua qu’à l‘octave supérieure, pour attirer l’attention de ce faiseur de miracles, cet allumeur non pas de réverbères mais de figures. Les vacances nous séparèrent sans que nous ayons réussi à former ce couple moderne dont j’avais rêvé. Je ne m’en plaignis pas outre mesure. J’avais beau vivre au jour le jour, voler de victoire insignifiante en victoire insignifiante - j’étais relativement satisfaite de moi. Ma vie n’était qu’un semi-échec, un patchwork de petits bonheurs médiocres -je ne me lamentais pas trop. Mes cheveux blanchissaient, mes ridules se multipliaient et se creusaient à vitesse accélérée, je paraissais plus âgée que mes grandes sœurs -je supportais ces flétrissures imméritées car j’en redoutais une plus horrible. Je m’abîmais des heures entières dans le souvenir du jour fatidique où ma route rencontra celle du nain teigneux, je grossissais puis maigrissais d’une semaine sur l’autre, les mots sortaient de plus en plus souvent de ma bouche sous forme de bouillie -je n’en avais guère cure. Tout plutôt qu’échoir entre les cuisses tavelées du papet ratatiné qui s’acharnait à forcer le destin ! Tout plutôt qu’être labourée comme une terre inculte, et traumatisée par des coups de bélier vengeurs, ainsi que l‘ambitionnait le psychopathe enfermé dans sa folie ! Afin de dénicher un Valentin, je suis retournée, dès mon premier week-end de congé, dans mon habituel club de célibataires entreprenants. Cyril était de retour ( il n’était plus malade, en vacances ou ne souhaitait plus jouer les Amadis de Gaule ). Je m’étais toujours tenue à une distance respectable des piliers de boites de nuit, êtres frivoles passant tous leurs samedis à danser, boire et courir la gueuse. Je ne ressentis donc, en le voyant, nulle impérieuse et subite envie de changer de ligne de conduite. Il s’était, pourtant, assagi et évoluait seul et sans assurance au milieu de la foule des danseurs. Il ne s’autorisait aucun pas difficile et spectaculaire, alors qu’il était le Rudolph Noureïev du Club 1079. De plus, aucune créature évaporée ne se pendait langoureusement à son cou ! Pour me courtiser, il paraissait attendre un signe de ma part. Si son assiduité dans ces lieux ne m‘inclinait pas à l‘encourager par un sourire, je le guignais

Page 22: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

de temps à autre, pour le simple plaisir de me rassasier les yeux : son débardeur cuisse de nymphe émue, son pantalon en cuir, noir et moulant, étaient -comment dirais-je ? -très seyants ; sa réserve gauche et romantique m’émouvait bien plus que les déhanchements sensuels des machos qui virevoltaient sur la piste, à la manière de John Travolta. Un hanap de vin à la main, le Beau Ténébreux s’installa sur un tabouret, lors de la série de musiques lentes et douces. Et, de ce nid de pie improvisé, il me surveilla avec attention, comme un amant malheureux, découragé et sur le point de se retirer à nouveau du monde. J’allai de garçon en garçon puisque j’espérais tomber au cours de mon vol magique sur un papillon aux ailes lumineuses. Ce fut, d’abord, un Viking à demi albinos qui vint m’inviter à danser. Ou plus exactement à ondoyer au rythme de ses hanches ! J’eus un aperçu des supplices éternels sitôt qu’il me marcha sur les pieds sans jamais s‘excuser. Puis, ce fut le tour d’un shar pei, au visage couturé de vilaines rides, mais qui se prenait pour un perdreau de l‘année. En me serrant d’un peu trop près, le vieux vicieux me susurra à l’oreille des propos incohérents, censés me faire rire aux éclats. C’était, sans aucun doute, sa tactique. A part qu’il avait rendu sa liberté à sa femme, afin qu’elle ait encore, à cinquante ans, une petite chance de ne pas finir sa vie en tête-à-tête avec des canaris, je n’ai rien compris à son salmigondis. De toute façon, après les mots d’esprit d’un Vert galant, aucun rayon d’amour n’argente jamais ma prunelle ruisselante d’indifférence. Un post-adolescent - sourd, muet et grand amateur de paradis artificiels, à en juger par son haleine - me garda, ensuite, en otage contre sa poitrine durant deux chansons. A la vue de mon ex-amie Indira, mon geôlier recouvra, comme par magie, don de la parole et maîtrise des membres supérieurs. Ah ! l’amour, l’amour ! Enfin, un danseur de salon, qui confondait slow et valse, me fit tournoyer à une allure si étourdissante que je m’accrochai à lui comme une noyée à sa bouée. C’était sa stratégie pour un rapprochement lubrique des corps car il se mit à tourbillonner de plus belle. Complètement essoufflée, je prétextai n’importe quoi pour m’asseoir, me promis, en m’affalant sur un modeste coin de pouf, de me remettre au sport dès le lendemain matin. Je ne me reposai pas bien longtemps puisque, au bout de cinq à six secondes, il me fallut décliner la proposition de deux buveurs de camomille -exhibant dents jaunes, rides profondes, cheveux rares et poisseux -, ainsi que deux ou trois autres invitations de clients à risques, évalués « magnitude 9 sur l’échelle de Richter » du fait de leur délabrement. Ah ! ça a du bon parfois cette tolérance de la société à l’égard des secondes mains de sexe masculin ! Ces thés dansants n’ayant manifestement pas les moyens de sélectionner leurs partenaires, aller avec l’un d’eux reviendrait à prendre un billet pour un lazaret, me dis-je tout

Page 23: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

en optant avec ostentation pour le dur métier de dame de compagnie, car, ragaillardi par la magie de la dive bouteille, mon chevalier errant voyageait de table en table et opérait une manœuvre dont j‘étais l‘épicentre. Ma voisine, qui faisait tapisserie pendant que ses amies se faisaient lutiner sur la piste de danse, ou dans des coins obscurs, s’avéra être effectivement aussi bourdonnante qu‘une ruche. Harassée, les oreilles bourdonnantes, j’attendis, fermement vissée à ma place, que ma sœur veuille bien nous ramener chez nous. J’ai choisi de me scotcher devant ma télé, les deux samedis suivants. Ces deux soirs-là, j’ai zappé tous les quarts d’heure, pour ne pas m’endormir devant le programme ronronnant du petit écran ! Pendant quinze longues minutes, j’ai regardé d’un œil vide un spectacle de variété farci de chansons poussives, de truismes et de turlutaines par un dentier sur pattes verbeux, indéboulonnable depuis trente ans, néanmoins. Puis, le cerveau alourdi par le sommeil et l’ennui, j’ai suivi, durant neuf cents autres interminables secondes, une émission fourre-tout, conduite à un train de sénateur par une perruque vulgaire et poussant la chansonnette. Michel Drucker et Patrick Sébastien, ces deux meneurs de jeu ayant blanchi sous le harnois, m’ont envoyé, comme à l’accoutumée, des messages codés dans lesquels ils avaient l’aplomb de se moquer des jeunes femmes de trente-quatre ans menacées par une prétendue ménopause imminente. Eux, les papy-boomers pratiquement nés avec le daguerréotype, eux, dont les faciès ont failli en 1889 être exhibés derrière une grille, puis moulés par un naturaliste, ils avaient l‘audace de tenir un discours aussi insensé ! Et tout cela parce que ces anciens combattants de l’O.R.T.F venaient de Gérontoland, le milieu où les chanteuses et les actrices de plus de trente ans sont mises au rebut par des Arnolphe affamés de chair fraîche ! Combien je plaignais mesdames leurs épouses… En allant me coucher le deuxième soir, je projetai de faire appel à une cartomancienne. Elle, au moins, saurait me guider dans ma course au bonheur et m’aider à contrecarrer les desseins du détecteur d’activité psychique. Quoique exténuée, cette nuit-là, ni les ailes d’Hypnos ni celles de son jeune et très beau fils Morphée ne parvinrent à fermer mes paupières. La crainte de ne jamais avoir d’enfant me désespérait. Après avoir mangé des glaces au champagne, bu de la crème de banane, dévoré un gâteau au café, et m’être même rabattue sur des nèfles aussi flétries que des animateurs nécrosés par un excès de maturité, je songeai enfin, vers trois heures du matin, à une vieille astuce : comparer mes malheurs avec ceux de Maryse, cette ancienne amie violée par deux fois. D’après différentes sources, la demoiselle se serait livrée au vol à la tire, à la falsification de chéquiers et au commerce de ses charmes en compagnie de l‘une des cousines de Béatrice, un cadre d’Air Afrique, sans diplôme,

Page 24: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

sans réseau, mais si futée, déterminée et ambitieuse qu’elle avait obtenu son poste par la promotion- canapé et réussi à cacher à son mari son lourd passé de pickpocket et de femme galante. J’avais été présentée au naïf personnage, ingénieur polytechnicien sorti dans la botte. Il était infatué de lui-même et fort distant mais bien moins antipathique que son épouse avec qui je ne m’étais jamais entendue. Aussi ai-je été très tentée de lui révéler que sa chère et tendre n‘avait jamais eu son baccalauréat et avait bien appris l‘italien à Rome mais… pas sur les bancs d’une université ! Me remémorer les infortunes des uns et des autres s’avéra être bien plus efficace que les injures adressées mentalement à Julien ( Dracula ) Tepes, le vampire télépathe qui se nourrissait, non pas de mon sang, mais de mes larmes. Le premier cauchemar que je fis m’ébouillanta de terreur. Il avait d’une part une netteté traumatisante ; je m’y résignais d’autre part aux baisers d‘un Charles-Amédée entreprenant, résolu. Je les acceptais stoïquement pour une raison très simple : le visage d’un autre garçon se superposait au sien. Une fois qu’il eut saisi être passé à la position horizontale, le pantin inanimé et à demi-inconscient que j’étais devenue lutta pour se remettre prestement sur ses pieds. Cet effrayant songe prémonitoire s’achevait là. Les images du second cauchemar s’enchaînaient de façon aussi incohérente et hachée que dans n‘importe quel mauvais rêve sans importance. Tout d’abord, un immense cheval albinos tombait du ciel, planait longuement au-dessus du sol avant de s’écraser lourdement. Puis, Marie- Ingrid apparaissait en col roulé blanc ; auréolée, à la séquence suivante, de la lumière d’un halo d’une pureté liliale ; la troisième et dernière fois, plus rayonnante qu’une jeune mariée. Et, je m’effaçais sur son passage. Avec respect. Stupeur. Douleur. Un matin, il fallut emprunter à nouveau le chemin des écoliers. Fabrice et moi, nous reprîmes notre petit manège amoureux, malgré les murmures hostiles et les calomnies d’une néo-hippie plus parée qu’une chienne d’agrément ( pour le détourner de moi, Antonine lui avait reparlé de mon comportement méprisant envers les barbons. Cette rengaine ayant l’efficacité d’une flèche émoussée, elle avait tiré de son carquois deux sagettes neuves et affûtées : l’existence de Cyril, mon humiliante impatience à devenir parolière ) : _ C‘est fou, ce que tu peux être mûr pour ton âge, t’es un vrai sage oriental, un cousin du Bouddha à la mode de Bretagne, avait-elle conclu devant la réaction calme et responsable de son interlocuteur, tandis que son cœur hésitait entre la mortification et le ravissement. Postée en face d’eux, Zoubida avait acquiescé de la tête avec ironie, et croisé dans la position du lotus ses jambes rondelettes et mal proportionnées. Parce qu’elle désirait être à tout prix à la mode, elle caracolait, depuis la rentrée des classes, dans l’un de ces bermudas en

Page 25: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

velours si élégants sur les femmes sveltes. Et, elle n’était pas la seule ! La disgraciée Muguette l’imitait et osait même venir avec un …short en cuir ! Toutes ces fautes de goût seraient peut-être passée inaperçues si elles n’avaient pas emmailloté leurs cuissots dans d’épais collants à grosses côtes ! J’avais donné moi aussi raison à Antonine quand, avec le même sourire empli d‘indulgence et de maturité, Fabrice m’avait rejointe pour m’expliquer qu’il comprenait l’impérieuse nécessité m’amenant à me défouler, sur une piste de danse, au bras de créatures raphaéliques, et non pas de Papis Brossard. Contrairement à Charles -Amédée, ma hâte à vouloir fuir ce métier, exercé par des gens dont j’avais tant à me plaindre, ne le dérangeait absolument pas. Comme il avait saisi qu’il n’était pas sain de tout garder pour soi, il ne me reprit pas lorsque j’accusai l’Education nationale d’être un nid de frelons. Il nuança tout de même cette affirmation péremptoire, et injuste, par un jugement frappé de bon sens : tout le monde n’est pas fait pour l’enseignement et certaines matières sont devenues bien plus difficiles à enseigner qu’autrefois. Nous formions un couple si harmonieux et légitime que la volumineuse Marie- Ingrid s’était faite aussi petite qu’elle avait pu et n’avait plus osé croiser mon regard. On eut dit que mon Adonis à la chevelure d’or l’avait fermement chapitré et lui avait intimé l’ordre de ne paraître devant nous de dix millénaires car elle avait gîté très souvent dans un « trou de souris » adapté à ses plantureuses formes d’obèse : sa spacieuse salle de technologie. Avec le philosophe hindou, j’étais de plus en plus empruntée et mal à l‘aise, en dépit des semaines s’écoulant et de son regain d‘intérêt pour moi : le soleil de son cœur ne me réchauffait plus aussi intensément qu’en septembre et la rosée de son amour attiédi ne possédait plus la vertu de m‘épanouir. Lorsque je m’adressais à lui, il m’arrivait même de bafouiller lamentablement ou d‘articuler difficilement ! Ce garçon qui ne vibrait plus passionnément rien qu’en m’apercevant au loin ne fut plus, pour sa part, aussi désinvolte et confiant qu‘autrefois. Nos discours stériles ne débouchaient ni sur de tendres aveux, ni sur un rendez-vous. Nos relations étaient viciées par une grande méconnaissance de l’autre, les mauvais souvenirs de mon attitude outrageante, cette inhibition contre laquelle je luttais en secret depuis ma tendre enfance. Le scénario d’un film diffusé sur le petit écran concourut, de surcroît, à me paralyser. Dans celui-ci, une femme éprise, et faisant le premier pas, était cruellement éconduite. Je tombai, un soir, sur une scène édifiante : deux jeunes personnes se volaient dans les plumes pour un macho, stupide et égoïste. J’attribuai bien entendu tout ceci au travail de sape de la rinçure de « Questions pour un champion ». Ces images surent, néanmoins, stopper mes élans de tendresse en touchant mon amour-

Page 26: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

propre et mes idées féministes. Mon poupon blond et moi étions donc en pleine impasse et nous n‘étions, hélas, pas les seuls à nous en apercevoir ! Les sourires soulagés des raclures qui nous entouraient étaient très clairs. Elles ne se reprochaient plus de m’avoir enlevé un binoclard tonsuré pour m’offrir un Apollon à queue de cheval, puisque je n’avais plus aucun avenir avec ce dernier. Leur mine réjouie aurait dû m’inciter à réagir. Chose étrange, elle accentuait encore mon manque d’initiatives et ma raideur de sculpture hiératique. Sitôt qu’elle fut informée de notre mésintelligence, Fantômette redevint Vulve affamée et se remit, tel un derviche, à tourner autour de son centre de gravité. Elle bavarda, avec volubilité, de voyages en Nouvelle-Calédonie, de bains de minuit à Nouméa, de petits déjeuners pris au lit face au lever de soleil, mais aussi de passing-shots, de planche à voile et de reggae car ces trois derniers sujets étaient visiblement ce qui passionnait Fabrice. C’était aussi ce qui soudait la plupart des autres pédagogues en orbite dans le même champ magnétique, et refaisant le monde, à l’exemple de ces idéalistes des années 60, amateurs de musique, de cheveux longs et de substances exaltantes. Se remaquiller les lèvres avec sensualité, effleurer la cuisse aimantée de son astre de lumière, tripatouiller son plumier, tripoter sa gomme, s’amuser avec son tube de colle de façon équivoque ne l’avaient pas avancé à grand chose. Le satellite sur roulettes s’inscrivit donc aux séances de remise en forme et de musculature organisées par la troïka Zeus, Khanchatoujian et Fabrice pour traîner à Henri Wallon le mercredi après-midi, apaiser le feu de ses reins en déshabillant du regard celui qui jouait les rôles de pyromane et …de pompier ! Malheureusement pour elle, elle tomba de son tricycle, se cassa une jambe et dut accepter, à son (gros) corps défendant, un arrêt de maladie de trois semaines. Grâce à des béquilles, elle hanta pourtant très régulièrement couloirs et salle des professeurs ! Officiellement, la truie en chasse -tout de blanc vêtue, artistiquement fardée grâce à des cours accélérés- ne rendait pas visite qu’au bel utopiste blond mais à toute sa grande famille de surfeurs unis et solidaires. Art tout neuf pour masquer les défauts d’un visage et, surtout, goût subit pour la couleur annonciatrice de catastrophes me saisirent d’effroi, dans un premier temps ( comme le Christ, Eddie Barclay, Caspar le fantôme, les femelles de notre porcherie se prenaient pratiquement toutes pour la Voie lactée). Je me rassurai, ensuite puisque mon baigneur aux yeux verts n’était ni myope, ni presbyte et qu’aucun équidé dépigmenté ne s’était encore ouvert l’abdomen, puis jeté de mon immeuble ou de la Tour Eiffel, kimono ouvert et obi bien ajusté ! Cette vive affection pour les vêtements clairs n’était donc qu’une menue coïncidence et non pas une ruse ourdie par le cerveau malade de la vieille baderne m’infligeant une guerre d’usure.

Page 27: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

Très vite, j’oubliai prémonition et angoisses jusqu’à reconnaître, avec honnêteté, consternation, et désespoir, la qualité des efforts de mon infortunée rivale. J’ai jugé, la mort dans l’âme, que ma joliesse et ma minceur ne justifiaient pas un coup de foudre miraculeux, puis, deux retours de flamme inespérés. J’ai eu pitié, pour la énième fois de l’année, d’une nymphomane aux paupières tombantes, capable par une détermination granitique, ainsi qu’une énergie débordante, d’être digne de mon respect, mais pas de l’amour profond et spontané du garçon qu‘elle convoitait et qui m‘avait choisie, moi. Les voyants étaient tous au rouge. Gestes d’agacement, moues boudeuses et silences lourds de rancune me criaient que cette passion impétueuse ne pouvait plus se nourrir de peu. Je devinais à ces indices qu’elle était condamnée, par ma passivité, à connaître le même sort que ces feuilles qui se fanent sans se détacher de l’arbre. Je restais, pourtant, une chiffe molle. Tout se passait comme si coups d’œil dédaigneux, toussotements inamicaux, commentaires désobligeants, ou je ne sais quoi d’autre, me privaient de toute volonté et de tout ressort. Mon anniversaire arriva dans ce contexte de liquéfaction morale. Tout en me préparant des toasts au beurre demi sel, j’hésitai entre retourner me coucher et me rendre au travail : pour faire obstacle aux machinations du roquentin influent, malveillant, et porté à la vengeance, je m’étais repliée sur ma communauté d’origine et n’écoutais plus que des stations de radio antillaises et africaines ; or, sur l’une d’elles, vingt-quatre d’heures de déception venaient d’être annoncées aux natifs de mon signe à qui on avait conseillé de ne rien tenter de décisif. Bien qu’inquiète, je décidai d’affronter le danger. Après tout, cette attitude de guerrière m’avait déjà réussi ! A 8 heures 15, sous un pilier du vestibule faisant office d’arbre à palabres, la plus jeune des deux secrétaires discourait de chose et d’autre avec Fabrice, je les saluai aussitôt d’une petite voix humble, et les dépassai pour aller aux toilettes. Le jeune homme m’avait répondu avec la même petite voix humble et …un visage étonné. L’employée de bureau avait détourné la tête, d’un air embarrassé. A l’instar de la plupart des ronds-de-cuir de notre Administration, elle m’ignorait avec application pour ne pas avoir à prendre parti contre mes persécuteurs. Je me moquais bien, à cet instant-là, de sa résignation à l‘inacceptable. L‘essentiel était que mon humilité et ma spontanéité avaient plu à mon Ganymède. Je ne vis que lui, en entrant dans la salle des professeurs, et un sourire fleurit sur mes lèvres car, assis derrière mon muret en pierre, il m‘attendait, les yeux fixés au sol, dans une attitude pleine de gentillesse et de simplicité. Faisant fi des recommandations de mon horoscope, et des regards lourds de reproches de Charles-Amédée, je me préparais à le rejoindre quand trois 4x4 tout-terrain, Christelle, Antonine et Ouarda, se jetèrent sur moi

Page 28: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

sans s’excuser. Enervée, je critiquai sur un ton aigre leur manque d’éducation. Un échange d’aménités s’ensuivit. Interloquée et indécise, toute la pièce assistait à notre crêpage de chignon verbal. Aussi Térence n’eut-il aucun mal à convaincre ma petite frimousse de rêve de regagner promptement sa place sur le canapé. Sur mon île déserte, ou plus exactement dans mon camp retranché, j’échafaudai toutes sortes de plans d’attaque. Je voulais à tout prix confier à mon poupon blond que, 35 ans plus tôt, je poussai mes premiers cris. Il me semblait, en effet, que cet événement si heureux nous rapprocherait, constituerait pour son amour moribond un nouveau point de départ, serait, quoi qu‘il en soit, un excellent prétexte pour nous retrouver dans une salle de cinéma idéalement obscure. Mon attention fut soudain attirée par des piaillements joyeux et des embrassades : le coucou, qui jouait à l’intellectuel afin d’expulser son rival de mon coeur, avait informé sa bande du caractère particulier de cette journée où il fut …mis au monde ! Et chacun de désirer connaître la date de naissance de son voisin. Malheureusement, celle qui m’intéressait était passée depuis quatre mois. Quatre mois ! Adieu, deuxième occasion de mêler nos salives au cours d’un film romantique ! Adieu, caresses sensuelles et indiscrètes dans le noir ! Décidément, la malchance me poursuivait ! Le fourbe prêt à tout pour nous séparer avait-il vraiment été enfanté, comme moi, un 18 mars ? Toute cette comédie ne lui aurait-elle pas été dictée par l’extra-terrestre, au courant bien avant moi de mes pensées et de mon avenir ? J’avais bien sûr dans l’esprit, et vous l’avez compris, le petit homme vert en costume orange, l’androïde dont le bras se termine par une fiche, le phénomène de foire, n’ayant aucun mal à déjouer mes plans, même ceux qui sont totalement improvisés, grâce à ses pouvoirs hors du commun ! Les avais-je tous découverts ? Cette bizarrerie digne d’un montreur de monstres n’aurait -elle pas été piquée, dans son adolescence, par une mouche à merde mutante et, à la nuit tombée, ne volerait-elle pas depuis en collant à losanges ? Pour avoir des dons aussi extraordinaires, la Chose n’avait-elle pas vendu son âme au Malin, ne faisait-elle pas tourner les tables, ne plantait-elle pas des aiguilles dans des poupées, ne se couvrait-elle pas de poils à la pleine lune, ne craignait-elle pas l’ail et l’eau bénite, n’avait-elle pas le pied fourchu et ne serait-elle pas… Le Maudit en personne ? Parce que j’étais le siège de la déprime la plus complète, je ne savais plus raisonner : je n’étais plus que l’espace d’abandon des idées farfelues et totalement incontrôlées sourdant de mon cerveau épuisé. Une énième idée affleura à ma conscience, alors que mon bébé d’amour quittait la salle avec Antonine, habillée en santon de Provence : l‘homuncule, copinant à droite et à gauche, renseignant les uns et les autres, avait été mordu, dans une vie antérieure, par un raptor

Page 29: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

car il coursait ses proies avec cruauté. Après de tels coups du sort, je passai tout mon mercredi matin à me lamenter, me décourager et vilipender l’anomalie échappée d’un bocal de formol. La blonde plus enluminée que les crèches de Noël, ou les manuscrits du Moyen-Age, fit exprès de ne pas me remercier lorsqu’à midi et demi je commis l’erreur de lui tenir la porte. J‘aurais pu lui crier : « Peu me chaut ! » car, effectivement, je n’en avais cure. Je souhaitais juste quitter rapidement les lieux, faire une descente au magasin d’alimentation de mon quartier, rentrer chez moi avec mon butin et, blottie sous mes couvertures, me gorger de cidre doux, lait à la fraise, chips aux crevettes, tourteaux fromagés, biscuits écossais, sablés hollandais et glace à la plombières. Une déconvenue m’attendait : les rayonnages de mon centre de ravitaillement avaient été vidés de tous les produits que j’aimais et qui m‘évitaient d’avoir recours à des séances de psychologie. Je me rabattis sur mon allée de prédilection, celle des confiseries. Après leur traversée de l’espace ou leur remontée du temps, une colonie de fourmis rouges, une armada de piranhas d’Amazonie ou les hordes sans foi ni loi d’un Alaric, d’un Geiséric et d’un Théodoric de l’an 2000 avaient pillé mes linéaires préférés. Loin d‘être démoralisée, je pris la décision d’opérer une razzia à Paris et me dirigeai droit vers l’une de mes habituelles boutiques de sous-vêtements. Une butorde, habillée en corbeau, refusa sèchement que j’essaie ma prise de guerre. Furieuse, je lui rétorquai que je réalisais grâce à elle des économies conséquentes, puis tournai les talons, sous les regards goguenards de toutes les femmes qui entraient, sans problème, dans les cabines d’essayage. Si je n’avais pas été « Martine », la jobarde dont toute une région riait, celle qui faisait l’unanimité contre elle, j’aurais peut-être cherché à contacter ses supérieurs hiérarchiques, au lieu de remettre sagement, et avec une pointe de veulerie, le contenu de mon panier à sa place. Là, je n’y ai même pas pensé -et regrettais déjà mon mouvement d’humeur que j’ai assimilé à de la vulgarité. J’étais un esprit serf, quelqu’un de mou et d’indolent, qui confondait passivité et grandeur d’âme, capitulation et leçon de savoir-vivre. Je savais aussi par une expérience très instructive que j’étais une cliente de seconde catégorie. En effet, j’avais été, par le passé, en butte à l’insolence d’une petite vendeuse de Saint-Denis et je m’étais plainte auprès de sa responsable, qui m’avait téléphoné le lendemain matin afin de m’expliquer, avec hauteur, qu’elle avait confronté mes dires à ceux de son employée à qui elle renouvelait finalement toute sa confiance. Fêter une année de plus avait toujours été pour moi une source de bonheur grâce à ma mère qui me traitait en reine non pas seulement le jour de mon anniversaire mais durant tout le mois qui m‘avait vu naître. Ce souvenir, et l’amour que je me portais, m’ont poussée à être ingénieuse et à m’acheter de quoi faire bombance, malgré tout. A défaut

Page 30: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

d’être une femme forte et énergique, j’étais riche en équilibre et estime de soi. Toutefois, cela n’aurait peut-être pas suffi si j’avais été orpheline ou fille unique. Parce que le téléphone existe, contrairement à ce que croit un jeune homme resté à l’ère du tam-tam et des signaux de fumée, mon harmonie psychique fut également sauvée par les appels de ma famille et ses témoignages de tendresse. Souhaiter à mes ennemis de ne pas savoir donner à leur progéniture une éducation de valeur et de faire d’elle des êtres sans ressources intérieures me fit un bien immense. A preuve que cela m‘a été profitable, je me suis endormie tout de suite après ces vœux peu charitables. Le lundi qui suivit fut un vrai désastre : pour se désolidariser d’une furie, ardente à la dispute mais se comportant avec lui avec une mollesse injurieuse, Fabrice se mit à entretenir le moindre quidam de celle qui partageait sa vie depuis quatre ans. Les sourires ravis de Khanchatoujian, son confident préféré, m’abattirent encore un peu plus : n’avais-je jamais été qu’une toquade sans importance, une foucade de passage ? Dès la fin de l’arrêt de maladie du Bibendum, le dieu du sexe d’Henri Wallon lui accorda une séance de débauche. Leurs collègues et amis furent à deux doigts de sabrer le champagne et de sortir les petits fours. Notre collège bruissait de cris de victoire plus ou moins feutrés. Chacun portait mentalement des toasts à cette marraine enseignant si bien l‘art du camouflage, cette fée aussi zélée et efficace que cet illusionniste de la mode ayant déjà transformé une énorme courge non pas en carrosse mais en créature rougeoyante. Ecoeurée par sa partie de jambes en l’air, je me tins à l’écart de ce garçon qui se révélait aussi influençable que je l‘avais craint - et je le saluais avec réserve, quand nous nous rencontrions par hasard. Il s’empressait, le soir même, de récompenser les avances constantes de l’insatiable coquine, afin de trouver une compensation à ma froideur dédaigneuse, et me faire passer pour une idiote, une jeune femme délaissée au profit d‘une otarie ! A chaque fois qu’il avait prestement besogné la ribaude nymphomane, Ouarda ne cria plus « Montjoie Saint-Denis ! », en guise de plaisanterie ; ses marchands de gloire ne vantèrent plus, pour leur part, ses kilos en trop : ils n‘avaient plus guère le moyen de se voiler la face et étaient bel et bien contraints de reconnaître le rôle méprisable auquel était réduite la grosse femelle en chaleur. Observer la facilité avec laquelle Fabrice acceptait désormais de tromper sa compagne, et de jouer à Asmodée, le Super-Démon de la fornication, me fit comprendre que seul coûtait le premier pas vers le non-respect de soi. Une lumière chiche dans les yeux, Airelle Leprêtre, une nouvelle venue aux traits bovins, mais ceints d‘un diadème de cheveux dorés, se lança, au lendemain de chacun de leurs ébats, dans une longue et virulente diatribe contre « Titanic ». Cette blonde d’Aquitaine, grasse et sexy, qui avait

Page 31: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

choisi son camp après un bref moment de flottement, et qui empruntait à l’univers de Disney les couleurs pastel de ses tailleurs, ne vivait pas dans le stupre avec une harde de satyres en rut. C’était même tout le contraire ! Elle avait convolé en justes noces avec son fourniment de guerrière saine et vigoureuse - guêpière rouge et nuisette noire -, à la suite de très romantiques fiançailles à l’ancienne. Fleur et Viviane ne couraient pas non plus la prétentaine et rêvaient en secret de pièce montée, de fleurs d‘oranger, de robe blanche et d‘anneau sacré. Cela ne les empêcha pas de renchérir en critiquant à mon intention le « film de patronage» de James Cameron, ainsi que le pur amour au profit de la sexualité débridée. Pour finir, ainsi qu’« on » le lui avait prédit, le rancunier Fabrice ne m’adressa plus la parole, mais, se tint aussi à une distance respectable de sa maîtresse occasionnelle. Je présumai que celle-ci avait commis une erreur impardonnable tant il semblait décidé à ne plus se fier à son apparence d’esclave sexuelle éternellement docile et disponible. Entouré de Domenech et de Khanchatoujian, il se drapa, jusqu‘aux vacances de printemps, dans le surplis de sa dignité de prélat de la glisse : il n’avait toujours pas réalisé que ces deux ministres de sa congrégation de surfeurs, supposés chasser les vagues tout en cherchant des valeurs plus humaines, ne se souciaient pas réellement de son bonheur mais voulaient juste me nuire en faisant gagner le cheval sur lequel ils avaient tout misé ! J’essayai une ou deux nouvelles boîtes de nuit parce que j’avais envie de découvrir, durant ma période de congé, des visages inconnus, une musique et un univers moral différents. Ce fut peine perdue : les mêmes petits ricanements m‘accueillaient à mon arrivée dans ces temples de la joie de vivre et de la bonne humeur, les mêmes manœuvres étaient grossièrement mises à l’œuvre pour torpiller mes projets de conquête : on jetait une nymphette dans les bras de mes éventuels prétendants, après avoir exagéré mon féminisme, mes goûts d‘esthète ou prétendu que je portais une perruque voire un dentier ; dès que l’un d’eux résistait, des malotrus étaient chargés de provoquer une bagarre qui l’éloignait de moi et le décourageait de revenir. Je convainquis Ophélie de cesser de sortir le samedi soir et nous nous rendîmes le vendredi au club 1079. Je reconnaissais, hélas, les trois quarts des clients. Le jeune et séduisant Cyril était là ! Il était décidément incontournable ! Les dieux mineurs et avides d’existences fracassées aussi : _ …vaillant petit pigeon de combat supporte de …en moins … traquions. _…poularde aimerait bien pondre…redoute de jamais avoir le temps…au monde un bébé. _…pitié, j’aime les enfants ! …s’il vous plaît, j’en …au moins un comme tout l’ monde ! _…à cause d‘elle, aussi. Cette sale égoïste recherche la perle rare.… adoucirait le sort de sa mère … savoir enceinte même si c’est d‘un…

Page 32: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

violent, infidèle et sans …fibre paternelle._…et puis, pour les …stériles ou ménopausées, il reste l’adoption ! _…est déjà plusieurs fois tatie…il est hors de question qu’ cett’ mère Gigogne … aussi les joies de la maternité !_ …d’accord avec toi…pas question de lui délivrer… autorisation de grossesse ! _…paraît …fuir ailleurs pour avoir… comme tout le monde à une vie amoureuse … _…nos noms moisissent sur …liste d’attente et elle……dans une bonbonnière en rez-de-jardin… _…normal…mère tétraplégique…cas prioritaire… _…c’est quand même louche…devons enquêter…droit de tout savoir… Notre déménagement pour regroupement familial eut lieu, au cours de mes deux semaines de repos, avec le concours actif et précieux de la belle-famille de mon frère, laquelle appréciait vivement ma mère et le lui prouva de plusieurs manières. Premièrement, ils trouvèrent deux camions gracieusement prêtés par leur réseau de cousins. Deuxièmement, ils cuisinèrent le repas que nous prîmes le jour où nos meubles furent transportés de Sarcelles à Villiers-le-Bel, avec leur aide et celle de nombreux amis d’enfance d‘Axel. Enfin, ils profitèrent de son hospitalisation pour poser la moquette et le papier-peint de sa chambre. La malade bloquée sur son lit de souffrance me chargea d’une très curieuse mission : présenter ses adieux à certains habitants de notre tour. En fille aimante et docile, je ne lui demandai pas qui lui avait soufflé cette idée saugrenue et fis la promesse de m’acquitter de ma tâche. La chance ne fut pas avec moi au cours de ce pensum dû à l’amour filial. Ce fut d’abord un ouistiti de quatorze ans, flanqué de poils raides et gras, qui m’écouta l’œil hilare et qui referma sa porte sur moi, sans daigner ni me saluer ni appeler ses parents, des gens hypocrites mais courtois. Par elle, c’était les trois quarts des locataires de ma cité qui me disaient que j’étais une sotte aux mœurs désuètes. Par elle, les trois quarts des locataires de mon égout refusaient de me dire au revoir. Aussi eus-je envie de revenir sur mes pas. Je me suis cependant souvenue que la petite mal élevée ne m’avait jamais appréciée, contrairement à la dame chez qui j’avais également promis de me rendre. Celle-ci fut gourmée et glacée, à ma grande surprise. Les sbires de l’avorton expert en diableries et télépathie lui auraient-ils révélé que je la blâmais d’avoir livré ses deux aînées, tout juste nubiles, à des ogres friands de chair fraîche et que je me moquais de ses vues démodées sur la virginité ? J’étais déprimée, l’avant- dernier samedi du mois de mai. Nous avions pourtant emménagé auprès de voisins dont la plupart étaient, visiblement, résolus à se démarquer des Franciliens qui me menaient la vie dure. Seulement voilà, les téléfilms regorgeaient de « Marie- Ingrid », minces,

Page 33: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

jolies, chargées de me rappeler que l‘une d‘elles m‘avait réduite à tenir le second rôle dans ce qui aurait pu être ma plus belle histoire d’amour -et j’avais des semaines durant bataillé sur tous les fronts. Il m’avait, en effet, fallu ruser avec de faux sondeurs alarmés par des rumeurs circulant sur mon éventuel départ dans une autre région, contacter par le biais de l’hôpital de mon secteur « Service Santé », une association gratuite de soignants, téléphoner à la mairie de notre future ville afin de bénéficier de leur système de portage à domicile, découvrir les rares kinésithérapeutes exerçant chez leurs patients l’après-midi et acceptant de prendre un double de leurs clefs, continuer contre vents et marées à lutter contre mes collègues et le voyant télépathe. Et pour couronner le tout, la veille au soir, ma mère, qui venait de quitter son centre de soins, avait manqué être emportée par un surdosage de médicaments, selon le diagnostic des deux médecins du Samu s‘étant relayés pendant des heures à son chevet ! La « dépensite aiguë » est l’une des maladies les plus répandues dans le monde. C’est une maladie parasitaire des régions froides et industrialisées, due au stress et liée au sexe : transmise par une femelle, elle touche majoritairement les femmes. Son moustique, trapu comme une bourse pleine de carolus, non moins lumineux qu’une paillette d‘or, me piqua jusqu‘au sang, au lendemain de cette nuit éprouvante ; traiter avec efficacité cette baisse de moral nécessitait que je m’administre un remède de cheval ; je me rendis, pour cela, dans une boutique chic de Chaussée d’Antin, parfaite dans le rôle d’antidépresseur pour deux raisons très simples : elle était au-dessus de mes moyens, je n‘aurais jamais franchi le seuil de sa porte, en temps normal. Je me soignai par l’essayage de plusieurs articles coûteux et de qualité, dont une veste rouge et noire que j’aurais préférée monocolore, plus cintrée, moins onéreuse. Après m’être mirée dans une glace, je la déposai sur un portant, furetai dans le magasin quasi désert, à la recherche de la jupe ou du blue-jean qui la sublimerait. Lorsque je revins le récupérer, je ne trouvai pas mon antidote contre la souffrance de l‘âme. Il s’était envolé ! Les autres vestes, boléros et spencers de la même taille 36 avaient également disparu de leur rayon ! Je fouillai partout, les muscles du cou contractés, le pouls capricant. Je savais pertinemment que mes recherches étaient inutiles. Je retardais uniquement le moment où j’allais devoir l’admettre et traverser la pièce, les mains vides, le cœur lourd de rage. Je me résignai à partir, au bout de dix longues minutes. Ainsi que je l’appréhendais, des rires retentirent au même moment : les vendeuses et les clientes de cette célèbre enseigne se moquaient de moi. Le tour qu’elles venaient de me jouer embellissait leurs vies de perdantes et leur donnait leur part du ciel ! Le lundi qui suivit ce week-end démoralisant, Manuella se pavana, vers 8 heures, dans une jaquette pourpre. Pas la pourpre cardinalice tirant sur le violet ! Non, pensez-vous, elle n’est pas assez m‘as -tu-vu ! Sa pourpre

Page 34: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

était par conséquent celle qui rappelle le sang, les coquelicots, la toge des magistrats, le manteau des rois et des empereurs peints en majesté. Je souris d’un air narquois. L’infortunée fausse rousse nageait dans ce vêtement beaucoup trop ample, et qui grignait au niveau de son postérieur largement trop plat. En outre, avec son pantalon noir de coupe classique, elle ressemblait à une coccinelle prête à s’envoler, l’un de ces écureuils experts en vols planés ou…une hôtesse d‘accueil. Un peu plus tard, aux alentours de 8 heures 15, la porte de notre salle des professeurs fut brutalement ouverte : Marie- Ingrid faisait une entrée intempestive, et bruyante, dans une robe vermillon lui arrivant aux chevilles : elle tentait de refaire le coup de l‘apparition qui étincelle, le coup du musée du trompe-l’œil ! Malheureusement, pour elle, elle avait dû vouloir faire des économies, et avait donc dédaigné faire appel à l’un de ses parrains -le magicien qui transforme une jument aux poils rêches et débiles en une Betty Boop incandescente- car ses cheveux, coupés à la garçonne, n’étaient plus d’un rouge tape -à-l‘œil. En dépit de son type méditerranéen très prononcé, et des conseils véhéments de son miroir, elle les avait décolorés puis teints en…blond. Mais, me direz-vous, une femme aussi amoureuse et rusée a forcément opté pour le bouquet de nuances de Boucle d‘Or ! Eh bien non ! elle avait plutôt adopté un infâme compromis entre la couleur fadasse d’Antonine et le jaune sans complexe de Domenech. Ce désir de métamorphose s’expliquait facilement : primo, j’avais changé de coiffure, la semaine précédente ; secundo, sa première teinture avait brûlé sa fragile végétation capillaire ; tertio, sa coloration rouge ayant viré au rose, Térence la qualifiait avec régularité de « pétard mouillé ». Gagné par une subite alacrité, ce dernier éclata de rire et la surnomma « Moutarde », sitôt qu’il la vit « apparaître » ; s’il m’avait demandé mon avis, j’aurais choisi « Avatar raté » parce que je jugeai qu’elle avait plus que jamais les mêmes gros yeux endormis que les Charolaises, les Normandes -ou les vaches sacrées des Hindous ! Assis à une table, Fabrice resta de marbre et plus blême qu’un malade apprenant qu’il est condamné, il poursuivit la conversation entamée avec Rodolphe. Marie- Ingrid sortit une glace de son sac à main, escamota ses cernes à l’aide d’un effaceur cosmétique, fixa ensuite le giton du regard et attendit. Celui-ci ne s‘en soucia guère, il affichait lui aussi un visage pâle et défait. Comme il avait dû prendre cinq cents grammes et vivait cela comme le début d‘un long déclin, Feu aux fesses n’insista pas. Semblable à une énorme méduse molle et flasque, ou un animal domestique obéissant, elle se blottit prudemment contre un coin de banquette, où la dévouée et vigilante Ouarda la rejoignit rapidement. Le libidineux phoque bien dressé et le fidèle laquais au visage poudré avaient l’air de sortir de l’un de ces chromos dont Henri Wallon avait le secret. Toute cette scène ne m’étonna qu’à moitié. Le blondin avait déserté la

Page 35: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

salle des professeurs pendant une bonne semaine sans que Zeus n‘y ait rien trouvé à redire ! A chaque fois qu’il y était passé en coup de vent, ses faux amis ne s’étaient plus adressés à lui qu’avec précaution, et, lors d’une récréation, j’avais surpris le nain en train de discuter avec Anidio d’un événement qui aurait profondément choqué leur beau collègue. Ils ne s’étaient exprimés ni en étrusque ni en volapük ni en eskimo, mais ils avaient utilisé un ton si bas que je n’étais pas parvenue à savoir s‘il s‘agissait d‘une agression, d‘un cambriolage, de la lettre d’un corbeau… Ce devait être, quoi qu’il en soit, un événement aussi gravissime et traumatisant que la visite de Vulve affamée au domicile de son sur-homme du sexe. Autrement, le nabot n’aurait jamais admis d’être snobé ! Elie montra le bout de son nez à 8h40 et parut très surpris de nous voir tous confortablement assis à nos places : « Si j’avais su, j’aurais pas venu »  semblait dire son air étonné et déçu tout à la fois. Il prit sur lui pour ne pas détaler, entra de son pas gauche et hésitant, me salua de son habituel signe de tête, essuya après quoi la porte de son casier du revers de sa manche, épousseta son veston d’un autre geste nerveux, avant de sortir sa clef de… son porte-monnaie. Je souris à l’idée que toutes mes connaissances étaient, comme moi, des êtres décalés, et me levai dans l’intention de lui communiquer ma nouvelle adresse. Sur sa demande, je lui décrivis, sans me faire prier, ma chaumière perdue, non pas au fond d’un bois, mais au centre ville de Villiers-le-bel, à un emplacement idéal puisqu’elle faisait face au jardin municipal, véritable petit coin de paradis couvert de fleurs, de pommiers, de ginkgos, des végétaux chinois appelés arbres aux quarante écus car, en automne, leurs feuilles jaunies, et en éventail, miroitent autant que des pièces d‘or. _ Et au milieu coule une rivière ! Lança fort stupidement Lubin, ce qui fit tout de même sourire Big Ben, un professeur d‘anglais chauve, rougeaud et ventripotent. Ce dernier était aussi lourdement entreprenant que Lubin, le rustaud sans domicile fixe, et à peine moins antipathique. Ainsi m’avait-il proposé, en début d’année, de passer me prendre chez moi tous les matins. Il voulait soi-disant m’éviter les réveils aux premières lueurs de l‘aurore, les longues attentes aux arrêts d’autobus et me faire économiser le prix d‘une carte orange. En fait, l’offre de l’abbé Pierre était loin d’être désintéressée : dîner tous les soirs dans des couverts en plastique et partir en vacances en solo lui étaient de plus en plus difficiles à l’approche de la cinquantaine. J’avais en conséquence préféré rester un usager de la R.A.T.P. et le grand tondu avait arboré des semaines durant le visage digne et sévère des célèbres gardes du château de Buckingham. L’arrivée d’un autre bon Samaritain, le deuxième chauffeur de taxi du collège, l’avait encouragé à changer d‘attitude, et j’avais donc accepté qu’il me serve de phaéton de temps à autre. Ces jours-là, fort

Page 36: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

curieusement, sa charrette à foin s’était miraculeusement vidée de ses passagers habituels, je n’avais bénéficié d’aucun gain de temps puisqu’il avait rallongé notre trajet par de faux raccourcis, et, brochant sur le tout, j’avais dû subir sans sourciller sa rhétorique poussiéreuse. Comme ces individus qui continuent, devant des représentants de la race noire, à utiliser « nègre » pour « plume de l’ombre », « nos anciennes colonies » pour « les Caraïbes », « arts primitifs » pour « arts premiers », il s’était présenté, avec une insistance toute paternaliste, comme le pendant de la bourgeoise dont chacun blâmait la suffisance réjouie d’appartenir à la race blanche, sans lui en tenir réellement grief : si dame Viviane était toujours prête à mettre flamberge au vent et à en découdre par le verbe, elle n’était pas un foudre de la pensée ; chacun appréciait d‘être véhiculé sans bourse délier. Je me rendis, à neuf heures trente, au Centre de Documentation et d’Information car je devais remettre un ouvrage emprunté. La porte était close, une pancarte indiquait que l’endroit serait fermé en début de journée jusqu’à nouvel ordre. J’y retournai à la récréation de quinze heures. De la réserve, la collègue de Xavière me fit signe d’approcher et de déposer le manuel sur son bureau. Charles-Amédée, Elie, Yanis et deux ou trois ânes podagres se tenaient à ses côtés et riaient aux éclats à qui mieux mieux : ils trouvaient divertissantes les plaisanteries d’un surveillant doté de traits enfantins, et innocents. Je devins maussade, en pénétrant plus avant : le jeune homme détournait la tête sur mon passage, ou me présentait, à l’instar de la majorité de ses homologues, des yeux en boutons de bottine - et secondait avec zèle ces enseignants goutteux dont les plus âgés l’avaient peut-être connu en culottes courtes. De toute manière, je ne présentais plus, depuis mon rêve prémonitoire, qu’un visage fermé à l’ex-homme de ma vie. J’allai au secrétariat, en sortant de là. Fabrice s’y trouvait et remplissait un formulaire, les sourcils froncés. Etait-ce le même que le mien? Il me fallait une autorisation d’absence pour me rendre à une consultation. Le professeur de Sciences et Vie de la Terre me pria, à la fin des cours, de lui communiquer mon numéro de téléphone dont elle avait besoin pour une raison d’ordre professionnel. Je m’exécutai avec hésitation, cette femme à la morale à géométrie variable n’était sympathique que lorsque nous nous retrouvions, désormais, toutes les deux seules. J‘eus droit à son coup de fil, vers 19 heures 55 : _Bonsoir, Martine ! C’est Aïcha à l’appareil ! Je voulais t’appeler un peu plus tôt mais j’en ai été empêchée par des contractions. _J’allais regarder les informations télévisées. _Ah !…Je ne te dérangerai pas longtemps. Pourrais-tu juste me fournir la composition de la famille de Maximilien Ben Salam ? Il m’a rendu un excellent devoir et je désirerais savoir si un grand frère ou une

Page 37: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

grande sœur a pu l’aider. Si cela ne t’ennuie pas trop, cherche également dans ta fiche de renseignements la profession de ses parents. Elle orienta notre conversation vers des sujets plus personnels, une fois qu’elle eut obtenu les informations nécessaires. _Ton année se passe-t-elle bien? Il me semble que tu t’isoles. Bouderais-tu ? Si tel était le cas, ce serait enfantin et disproportionné. Des médisances et des coups bas, il y en a dans toutes les professions. Telle est la marche du monde. Seuls les idéalistes et les marginaux tentent de s‘y soustraire. N’étant ni l‘un ni l‘autre, je ne compte pas changer de collège après cette année de stage. Quand on a réussi à s’intégrer dans une équipe, il serait imprudent d’aller voir ailleurs. Tu ne trouves pas que j‘ai raison sur ces divers points ? Qu’elle banalise à ce point le cauchemar que je vivais me réduisit au silence durant de longues secondes ! Aussitôt après, je me lançai dans une tirade vibrante d’indignation : _N’ayant aucune vie de rechange, est-ce que ce n’est pas normal que je me protège de la bêtise humaine ? Je n’ suis pas maso, tout de même ! Contrairement à ce bruit que Manuella fait courir, je n’ suis pas non plus mytho, parano et boudeuse. Non, ne m’interromps pas pour prendre son parti…tu sais très bien que, sous des dehors policés, tes amis sont d’une sauvagerie incommensurable…Ainsi la rognure d’humain a bel et bien lancé vers moi un lourd sac à dos dans l‘intention de m‘atteindre, et a ensuite popularisé auprès de certains élèves l’idée que j’étais atteinte de quérulence. Peu de temps après cette réunion où personne ne m’a soutenue… où j’ai vainement tenté de porter plainte…et où je me suis sentie bien seule… j’ai entendu Manuella regretter que le sac ne m’ait pas touchée. _Tout ça, c’est du passé, il te faut tout oublier, ne plus faire des conserves de rancune, aller d’ l’avant et ne pas toujours ressasser tes… _Ce ne sont pas mes uniques griefs. Vendredi dernier, j’ai, en effet, été déstabilisée par la rumeur répandue, d’après mes latinistes, par le suppléant de Lettres Classiques. Il a fallu que je leur explique que mon cursus universitaire m’habilite à enseigner la langue de Cicéron même si je ne la maîtrise pas aussi bien qu’un évêque. Ces enfants sont, heureusement pour moi, bien plus adultes que ces âmes tortueuses qui les stigmatisent à l’envi durant les conseils de classe alors qu’elles ont fait de nombre d’entre eux leurs dignes émules. …Non, ne m’interromps pas …Non, je n’exagère pas …D’après moi, nos collégiens sont, en effet, bien plus matures que Khatchatourian ou Zeus, deux bouledogues qui n’ont en commun avec eux que la taille…Donc, je reprends…Euh…je disais donc qu’ils ont très bien compris que le caniche jappant en grec et en latin cherchait à m’ porter préjudice et s’attendaient, tout comme Elie, à ce que j’aille me plaindre auprès de la Principale ou demander des comptes au

Page 38: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

toutou polyglotte. _ Voilà, c‘est ce qu‘il fallait faire ! Tu mérites ton sort, toi aussi ! C’est pourtant facile de n’ pas être une victime, et de s’ faire respecter, il suffit juste d’aller jusqu’au clash verbal ou à la foire d’empoigne ! Dans la vie, si c‘est nécessaire, il faut savoir se mettre au niveau de ses ennemis et se comporter comme un vulgaire chiffonnier, ou un méprisable délateur en discorde avec les uns et les autres ! _ Primo, je n’ tenais pas à ce que Mirza me prenne pour une femme constamment grognon. Au cours de nos différentes disputes, il a déjà goûté à la mordacité de mes critiques, et j’estime que cela suffit. Secundo, je n’ pouvais tout de même pas révéler à mes élèves qu’ la Principale n’est qu’un foutriquet et notre établissement une pétaudière où les forces du mal règnent sans partage. C‘est bien à cause de ta bande si les trois quarts des enseignants ne vont pas chercher leurs élèves à 8 heures 30 mais à 8 heures 45 ! Est-ce que je mens en affirmant que Fleur et Domenech prouvent régulièrement qu’elles sont incontrôlables en mordant en public Corinne, la Principale -Adjointe, qui passe son temps à tenir en laisse leurs instincts primitifs par de basses caresses ? _Tu n’ peux pas jeter l’opprobre sur une communauté de gens urbains et fins lettrés pour quatre ou cinq brebis galeuses ! _ Que fais-tu de toutes ces gargouilles vivantes qui s’obstinent avec brutalité à ruiner mes amours ? J’ai peut-être tout inventé ? C’est ça, j’ai tout inventé et nul ne m’a jamais volé Charles-Amédée, puis Fabrice, cette petite gueule d’amour aux yeux verts ? _  Pour nommer Fabrice Venezia, le prof d’E.P.S., tu as bien dit : « Cette petite gueule d’amour aux yeux verts » ? _ Ne tente pas de faire une digression. M’avez-vous oui ou non privé de mon droit au bonheur d’abord en me volant Charles-Amédée, ensuite, une petite frimousse de rêve, Fabrice, mon beau poupon blond ? _ Non, j‘t‘assure que je n’ cherchais pas à …En fait, j’viens juste de réaliser quelque chose…Euh…Mais pour répondre à ta question …Euh ! tu as raison… effectivement…nous ne pouvons plus nier ces deux faits… et nombre d’entre nous soutiennent tes ennemis de manière active ou passive… Mais, t’es responsable de ton malheur ! T’aurais dû être prudente, et adopter des manières papelardes, dès le premier jour de classe ! C’est ce que nous pensons tous à Henri Wallon. _Ah oui ? La victime est la coupable, c’est très logique, en effet. Donc, si je comprends bien, j’aurais dû être hypocrite et paranoïaque quand tout le monde me souriait et m’accueillait à bras ouverts. Et maintenant qu’ vous avez jeté bas vos masques, vous m’ reprochez de me méfier de vous ! Vous n’êtes pas très cohérents ! _Heu… heu…Comment va ta maman ? Est-elle toujours gravement malade ?

Page 39: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

_La science ne pouvant plus rien pour elle, ça faisait déjà quelques semaines qu‘elle était rentrée chez nous quand une erreur de prescription l‘a renvoyée avant-hier à l‘hôpital. Tu pourras dire à tes amis que je les remercie de m’avoir fragilisée alors que je vivais une année notoirement riche en rebondissements tragiques. Remarque, suis-je sotte ! il suffit juste de ne pas succomber sous les coups et de se servir d’ l’adversité pour s’aguerrir. Finalement, je remercie Zeus et compagnie de m’avoir démontré qu’on pouvait faire subir à un humain un traitement qu’on ne réserverait pas à …à son animal domestique préféré… Au revoir ! Je raccrochai sans attendre sa réaction car ma voix tremblotait. En descendant de l’autocar de 8 h 15, Marie- Neige m’aborda aimablement, le lendemain matin. Surprise, je répondis poliment. Mais avec retenue. Je me souvenais encore des douloureuses trahisons de cette capitularde dont le bouclier moral n’avait pas longtemps résisté aux assauts répétés de mes puissants et intimidants persécuteurs. Charles-Amédée s’arrangea pour sortir le dernier du véhicule de transport en commun. Il s’était levé plus tôt qu’à l’accoutumée -et avait opté pour la solitude des hameaux éparpillés et semi-abandonnés. Je notai surtout qu’il s’était habillé beaucoup trop chaudement pour la saison, qu’un duvet bleu mangeait son visage et qu’un grand nombre d’individus - la horde de chiens haineux du collège, les professeurs de S .E.G.P.A., les collégiens empruntant l’autocar, des inconnus qui semblaient être très bien informés sur chacun d’entre nous- l’avaient fixé d’un air soucieux, durant tout le trajet. L‘oeil vitreux, il essuya d’un revers de la main machinal son pantalon en cuir marron, attacha la ceinture de son pardessus d’hiver, balbutia à mon intention deux ou trois mots incompréhensibles, et se précipita vers le collège, avec une heure d‘avance sur son temps de service. Nul ne lui emboîta le pas. Je rendais ma clef à la concierge lorsque je rencontrai Fabrice, vers midi trente-cinq. _Salut, beauté ! Me lança-t-il le regard lumineux. Et il laissa glisser à ses pieds la besace qui remplaçait depuis peu son sac à dos et fit semblant de curer son appendice nasal. Parce qu’elle était passée à l’ennemi, Maya l’Abeille nous dépassa sans nous saluer, se retourna au bout d’un mètre, observa, durant plusieurs secondes, le visage heureux de mon interlocuteur. Je balbutiai un laconique « Bonjour » et …m’esquivai car j’étais décontenancée par l’attitude incompréhensible du jeune homme. Dans ma tête des cloches carillonnaient, des séraphins, juchés sur des nuages, ou voletant dans un ciel azuré, chantaient à tue-tête le choral « Jésus, que ma joie demeure » de Jean-Sébastien Bach. D’immenses oiseaux dotés de trois paires d’ailes les dirigeaient. Submergée par ce trop plein de bonheur, je fuyais pour ne pas m’évanouir. J’allais, pourtant, devoir

Page 40: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

descendre dans l’arène, si j’avais réellement droit à un autre merveilleux retour de flamme ! Ces faits mystérieux perdirent, vingt-quatre heures plus tard, leur opacité grâce à des bribes de discours codé à mon intention : le visage pincé, le ton aigre, Manuella, Fleur, Zoubida, Ouarda, Viviane et Maya l’Abeille déplorèrent naïvement que je puisse reconquérir un garçon valant trois Tom Cruise, et autant de Hugh Grant, sans l’aide de cet « indispensable accessoire » subtilisé à mon insu. Mécontentes, atrabilaires, elles avalèrent, sans modération, un sachet de bonbons, deux paquets de biscuits, puis elles firent une courte pause, au cours de laquelle elles fixèrent en silence Aïcha. Leur colère apéritive les poussa à ingurgiter, durant une autre trentaine de secondes, une nouvelle montagne de sucreries, quelques gorgées de jus de fruit, des rasades d’une boisson gazeuse noire et stimulante. Pour oublier la faim, ou la fatigue, les Indiens du Pérou aiment à mâcher des feuilles de coca, cette drogue végétale sans vertu lénitive. Néanmoins, loin de se transformer en brutes, ils garrottent sans violence les tendances agressives de la société, et refoulent avec facilité leurs propres pulsions mauvaises. Les dévoreuses de douceurs n’étaient pas des descendantes de Fils du Soleil, leur gourou était l’héritière des traditions d’un pays dont les dignes représentants mirent à sac Cuzco, massacrèrent Atahualpa et trucidèrent son peuple avant de… s’entretuer ! Ce fut donc avec une grande intempérance de langage qu’elles reprochèrent ensuite sèchement à Aïcha d’avoir rapporté notre conversation à divers collègues puisqu’un nombre grandissant d’enseignants craignaient depuis pour mon équilibre mental. Pour se défendre, l’ignoble félonne argua des conseils de son époux. Les six enragées la mirent en quarantaine et essayèrent, entre elles, le ravissant haut de tailleur garance que la jolie blonde venait de s’acheter. L’exclusive n’entama pas la sérénité un peu niaise de Madame « Mon- mari-m’a-dit ». Qui n’était plus une coureuse. Qui était une femme amoureuse, mariée, enceinte. Et qui était, surtout, une Parisienne élégante et tenant à mettre au monde un enfant et demi, sans prendre un seul kilo superflu. Elle, elle fit donc ribote avec les bulles d’une bouteille d‘eau gazeuse. Deux membres d’honneurs de leur société de persécuteurs, Christelle et Térence, firent, à ce moment-là, une courte apparition au cours de laquelle ils s’étonnèrent de la présence exceptionnelle de Maya l’Abeille ( comme tous ceux qui avaient le malheur d’être à cheval sur deux collèges, elle était un courant d’air, une silhouette qui ne faisait qu’entrer et sortir ). Ils questionnèrent après quoi Fleur sur ses très récents ennuis avec… Karine et sa mère, ces deux personnes avec qui il suffisait juste de faire preuve d’un peu de fermeté et de doigté ! Je touchai, à la vue des traits défaits de la petite syndicaliste, aux portes

Page 41: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

d’une suprême félicité. Pourtant, je n’écoutai pas sa réponse. Tout devenait clair dans mon esprit : samedi dernier, les vendeuses avaient escamoté tous les articles de taille 36 pour s‘opposer à mes éventuels projets de reconquête et renforcer ma déprime passagère ; Manuella avait espéré ensorceler son dandy en prince-de-galles avec sa dérisoire livrée de la séduction ; elle avait aussi escompté me démoraliser en arborant un vêtement qui s’apparentait à celui dont on m‘avait mesquinement privée ; mon baigneur aux yeux verts était à nouveau chaleureux, et avait sciemment évité d’employer l’adjectif « jolie » officieusement recommandé, car mes propos sur son physique l’avaient flatté ; à cause de la malignité de son entourage, il suivait des conseils pernicieux et s’entêtait à être aussi malpropre que Charles -Amédée en explorant avec ostentation sa narine droite ; ce travail en synergie avait été organisé par le Grand Méchant Loup de « Questions pour un champion » qui rêvait de me croquer tel un nouveau Petit Chaperon Rouge. Je lui témoignai ma reconnaissance, pour le narguer. Ne m’avait-il pas bêtement évité de dépenser 750 francs pour une vilaine veste bicolore et trop grande ? Je lui sus aussi gré d’autre chose. Il avait prouvé à des mégères frustrées et jalouses que l’on s’intéressait à moi avec ou sans cette « indispensable » couleur qu’elles avaient adoptée comme une panacée ou un palladium censé éviter à certaines le célibat, à d’autres le spectre d’un mariage avec un « second choix », ne ressemblant ni de près, ni de loin au prince charmant de leur enfance. Marie-Neige, une autre personnalité éminente de leur confrérie de harceleurs, surgit tout à coup. Comme elle avait été distinguée pour son active passivité, elle ne jeta pas un regard dans ma direction, s’assit avec majesté à leurs côtés et picora, le petit doigt en l‘air, un monticule de calories vides. Sur elle, comme sur tout le monde, multiplier les collations de glucides à diffusion rapide, même avec lenteur, dignité et gravité, n’était pas sans conséquences désastreuses. Quoique mince, elle n’avait jamais été un plat pays mais plutôt une contrée alternant d’adorables dunes de chair ferme avec de charmantes vallées de muscles nerveux. Or, depuis qu‘elle les fréquentait, les paysages de sa géographie anatomique étaient de moins en moins variés et désirables : les reliefs autrefois isolés tendaient à former une chaîne de bourrelets. Sa conversion au grignotage compulsif n’était pas encore de très bon teint. Mais, elle acceptait avec stoïcisme la naissance de cette ceinture alpine de viande, tant elle était animée par son désir de leur plaire et de mériter la distinction lui ayant valu d‘arriver en toge de docteur honoris causa. Charles-Amédée traîna, comme une âme en peine, le vendredi après- midi de cette semaine-là -et ne remarqua même pas qu’un autre spectre consterné l’accompagnait fidèlement dans ses déambulations dans les couloirs ! C’est à peine s’il m’entendit le remercier lorsqu’il me rendit

Page 42: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

enfin ce classeur que je réclamais depuis si longtemps. Pourquoi ? A la fin de cette journée, je croisai, près de la loge de la concierge, Elie, le second fantôme lugubre, qui me révéla s’être aperçu, avec admiration et plaisir, que je tenais fièrement tête à divers enseignants ; l’étonnement qui perçait dans sa voix était non seulement vexant mais, de plus, il rendait plus difficile les confidences à venir. Comment lui expliquer que j’étais fatiguée d’être prise par Ahmed pour une femme acariâtre, et que je ne savais pas formuler des reproches à froid ? Je me jetai finalement à l’eau et lui confiai simplement n’avoir entrepris auprès du sournois huron de Lettres classiques aucune action visant à laver mon honneur. Je saisis dans les yeux de mon interlocuteur la lueur de mépris que je redoutais d’y voir briller. Le pleutre, exigeant d’autrui le courage dont il était incapable de faire preuve, se rafraîchit discrètement l’haleine, durant le silence qui succéda à cet aveu. Il fit ensuite craquer diverses articulations avant de s’enquérir de mes amours pour la première fois de l‘année. Sait-on épancher ses sentiments et exhaler sa colère, quand on reste à 35 ans un garçon manqué farouche, mutique et réglant seul ses comptes ? Peut-on annoncer à un ami fort accort, certes, mais au physique quelconque que l’on ne s’intéresse plus à l’un des siens, un grand chauve à besicles, mais à un condensé de finesse et de grâce, pour sa beauté intérieure et …sa plastique de rêve ? Je fis donc celle qui n’avait rien entendu, le saluai et me dirigeai vers mon arrêt d’autocar, sans prendre en considération sa mine interdite. Le maître auxiliaire d’anglais partit de son côté en marmottant quelque chose et en fourrageant vigoureusement dans son nez, tel un vieillard sale et ratiocineur. Il regagnait ses pénates à pied parce qu‘il habitait à proximité. Je jugeai normal, au cours du week-end, de m’excuser auprès de mon bébé blond de ce comportement cavalier adopté depuis le mois de septembre. Je m’efforçai de ne pas réfléchir à tout cela, pour ne pas fournir trop de renseignements au phénomène épluchant toutes mes idées : Julien Lepers, le détecteur vivant d‘activité psychique. Mais, comment cesser de penser ? A mon heure de battement du lundi, je n’aperçus, hélas, nulle part Fabrice. Pour me réconforter, j’ai repassé en boucle, au ralenti, avec arrêt sur image, le moment magique où il m’a déclaré que j’étais belle. A la pause du matin, il s’assit sur la table basse de la salle des professeurs, sourd aux conseils de deux chefs d‘escadre, Zeus et Anidio, qui ajoutaient involontairement à leurs propos des ornements parasites : des gestes brusques trahissant leur colère, et des sourires carnassiers qui contredisaient eux aussi la prétendue bienveillance de leurs intentions. Trois officiers de quart, Térence, Domenech et Khanchatoujian assurèrent, au bout d’une dizaine de secondes, leur relève, et lui recommandèrent, certainement, de se méfier de moi car je le vis secouer

Page 43: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

doucement la tête, hausser ensuite les épaules avec agacement, adopter pour finir la pose du Penseur de Rodin. Encouragée par cette résistance inhabituelle, j’ébauchai le geste de me lever de ma chaise afin de gagner, moi aussi, le bâtiment-amiral lorsqu’une pièce d’artillerie à longue portée, et de couleur jaune canari, miaula à mes oreilles, s’affaissa à ses côtés, et passa outre à son accueil glacial valant une rebuffade outrecuidante : il avait grimacé à la vue de Marie- Ingrid et placé à côté de lui, en guise de frontière symbolique, sa veste mexicaine aux couleurs délavées. Les deux étrangers, ayant fricoté ensemble, échangèrent deux ou trois mots polis, après avoir compté tous les anges de la première hiérarchie qui passaient, puis tous ceux des hiérarchies suivantes. Dès qu’il put le faire de manière décente, tels les X- Men des bandes-dessinées de mon enfance, mon sur-homme en baskets se propulsa hors du coin-salon, par la seule force de sa volonté ( et non pas grâce à des roquettes de science-fiction ou de secrets pouvoirs de mutant bionique ). Avec l’approbation bénisseuse d’un cercle d’amis décidément très complaisants, et bien peu préoccupés par sa dignité, la grosse Bertha pilota avec une désarmante dextérité sa lourde carcasse de cuirassé du Secondaire et le poursuivit telle une dératée, à travers les différents couloirs aériens qu‘il empruntait pour la semer. En parvenant à sa hauteur, la fusée humaine décéléra. Cette demoiselle excessivement désirante avait certainement l’intention de mendier une nouvelle partie de bête à deux dos, un autre tour de manège enchanté. La pièce se vida, à la deuxième sonnerie. Telle une sécrétion malodorante, une apostrophe fusa de la bouche de la bestiole dont le physique de bouffon à grelot et la cruauté démesurée de tigre-sabre enragé me rappelaient Lepers, le démon miniature qui frappait, inlassablement, à la porte de mon existence : _ Hé, la sorcière ! Tu n’as pas honte d’en être réduite à courir après un homme que tu n’intéresses plus ? Tu devrais consulter une voyante pour apprendre à ne plus gâcher des années précieuses ! Pour entonner L’ode à la joie de Schiller et enlacer l’univers d’un seul baiser, ne compte pas sur la Direction ou une miraculeuse intervention de la dernière minute ! Les deus ex machina n’existent que dans les pièces du 17 è siècle ! Pas dans la vie réelle ! Et le pot de chambre anthropomorphe de sauter lestement par-dessus la table basse, pour me barrer le passage, ou me bousculer en franchissant le seuil de la porte. Un mois d’entraînement l’avait rompu à cet exercice, lui, le certifié d‘Education physique si soucieux de ne pas transpirer pendant ses cours qu’il aurait pu enseigner sa matière en costume- trois-pièces. Ce petit jeu étant infantilisant, j’évitai, cette fois-là, de lui écraser les pieds de toute la force de mon poids -et le laissai se diriger le premier

Page 44: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

vers l’autre cour de récréation ! Des Troisièmes, dont les visages m’étaient totalement inconnus, me saluèrent avec sympathie dans l’escalier. Je me plongeai dans mes pensées, après leur avoir souri avec reconnaissance. Je renonçais définitivement à m’adresser à une extra-lucide. L‘invitation de mon ennemi m’inquiétait. C’était peut-être une ruse pour me dissuader de recourir à une diseuse de bonne aventure efficace et providentielle. Ou un subterfuge dicté par le Schroumpf grincheux, quinteux et hargneux de « Questions pour un champion » pour me faire tomber dans les filets de l’un de ses vaticineurs. Toutes les personnes possédant un don de seconde vue et officiant à la radio avaient sans doute été corrompues à cette fin ! Il restait bien les docteurs en maraboutage des cabinets anonymes : ceux-ci ne pullulaient-ils pas à bien des coins de rue depuis que le paranormal touchait toutes les couches de la société ? Je n’avais pas confiance en leurs compétences, en dépit de mon intense désir d’employer les mêmes armes que le fêlé du show-business. De surcroît, à cause des conseils fallacieux entendus le jour de mon anniversaire, j’avais cessé de compter sur ma communauté, au point de ne plus écouter nos stations. Tout en recommandant à mes élèves de 6 è de sortir en silence leurs affaires, je me remémorai avec satisfaction l’attitude responsable et courageuse de Fabrice. Je savais qu’il était capable de tenir tête à Isaac car j’avais surpris un jour une dispute. Par contre, je ne l’imaginais pas en mesure de lutter contre l’influence de Domenech et de Khanchatoujian ! C’était très rassurant ; cela signifiait sans doute qu’il avait enfin saisi leur vraie personnalité. Il fallait à tout prix que je pérennise un tel comportement par de tendres aveux. Malheureusement, il ne déjeuna pas à Sodome et Gomorrhe. Les coups d’œil circulaires d’Ouarda et de la championne de course à pied étaient éloquents : le prince charmant - sans fier dada blanc et en jogging élimé - tentait, en disparaissant, d’échapper, une fois de plus, à des joutes sexuelles vécues comme une corvée. Plus de voyage de Cythère, plus de luronne aux manières gourmandes, équivoques, plus de fille à soldats aux saillies pétillant de lubricité. Lorsque j’esquissai un mouvement vers la sortie, ce fut une obèse cyclothymique, car brusquement accablée par la misère de sa situation, qui me dévisagea d’un air infiniment méfiant et abattu. Le dévoué Lassie- Chien- Fidèle s’assura que je ne me rendais à aucun rendez-vous galant. A 15 heures, le héros des temps modernes prit possession du canapé. Ses amis n’étant pas encore là, je m’apprêtais à le rejoindre quand Charles-Amédée émergea de sa léthargie, dans l’intention de lui tenir compagnie jusqu’à l’arrivée de l’énorme gourgandine. Leur « conversation » n’était qu’un tissu de coquecigrues : je voyais bien, de ma place, qu’ils fournissaient tous deux d’immenses efforts pour se

Page 45: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

comporter en individus bien élevés. Lorsque Marie-Ingrid aperçut le blondin à l’éblouissante chevelure, ses gros yeux cessèrent d’être aussi endormis que ceux des portraits du Fayoum et son visage -qui ne brillait qu’en présence de son dieu du soleil- s‘illumina. Comme la jeune prêtresse brûlait d’un feu qui n’avait rien de sacré -elle désirait, pour la énième fois de l’année, le connaître bibliquement car elle recommençait à l’importuner par des mines goulues et des frôlements suggestifs -, Akhénaton s’enfuit en cachant mal son exaspération. Son départ eut le même effet qu’un seau d’eau sur des chiens en rut. Ouarda se désenclava immédiatement de sa meute, s’élança, tel un canadair, sur le brasier femelle éteint, attisa avec calme et patience escarbilles, tisons, flammèches et … cendres. Son acharnement thérapeutique, et sa sollicitude, étaient à la hauteur de ceux d’une unité de soins palliatifs, et imposait le respect sinon l’admiration. Je fus passablement surprise par le manège de Salomé, le tendron de trente ans qui reprenait vertement tout malappris osant lui donner du « Madame ». En effet, en entrant dans la pièce, elle se dirigea droit vers ma table, après avoir oublié de saluer ses amis, et même la tarte alsacienne cuite à la flamme de l’humiliation, flambée à l’alcool du chagrin, mais qui reprenait peu à peu espoir et forme humaine. Tout en s‘asseyant commodément à mes côtés, la C.P.E. me questionna sur ma 6 ème B sur un ton sucré, qui contrastait avec la froideur glacée de ses yeux de rongeur. A la fin de l’exercice d’amadouement, elle interpella suavement l’immense brun qui buvait pensivement une boisson chaude, après en avoir proposé à chacun, ainsi qu‘il le faisait à chaque fois qu‘il sollicitait aide et bienveillance, ou était embarrassé. Mon refus de boire le chocolat proposé et la réaction de notre collègue d’E. P. S. le désorientaient visiblement puisque, pour se donner une certaine contenance, ou distraire par un geste mécanique son génie familier ( l‘intraitable petite voix de sa conscience ), il croisait et décroisait ses longues jambes, passait et repassait, avec nervosité, et une précision de métronome, sa main dans ses cheveux clairsemés. Je notai, avec étonnement, qu’il les laissait pousser, depuis déjà pas mal de temps à en juger par leur longueur, et qu’il avait radicalement changé de style vestimentaire. D’un geste de la tête, qui se voulait chaleureux, encourageant, la C . P. E le convia, pour la deuxième fois, à se joindre à nous. Charles- Amédée marqua un nouveau temps d’hésitation. Ma voisine le gronda alors très gentiment de son indocilité et lui prédit, ensuite, avec une légère pointe de raillerie, un destin d’être insociable, très proche de ceux du stylite et de l’anachorète ; elle n’emporta pas la pièce puisque le pauvret ne bougea pas de sa place, au risque d’être traité d’ours et de vieux hibou ; la pythonisse se garda bien d’aller jusque-là et exalta, à la manière d’une

Page 46: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

dame patronnesse, la valeur morale, et intellectuelle, des conversations entre membres d’une même équipe éducative. Contrairement à cette idée fort répandue dans le club très peu fermé des prétendants violents, des harceleurs sexuels, et des potentats des pays du Tiers-monde, la douceur est bien plus efficace que l’ironie, ou la force. A ces mots donc, Charles- Amédée obtempéra les joues en combustion : mon air fermé signifiait que je ne lui pardonnais pas son sale tour. Les autres femmes du sérail corrigèrent avec frénésie des copies, ou s’abîmèrent dans la préparation de leurs cours, pour ne pas avoir l‘air de surveiller ma réaction, et seconder ainsi l‘hypocrite élaborant une chausse-trappe. Parce que nous restions tous deux aussi immobiles et silencieux que les Moaï de l’île de Pâque, cette dernière fit les frais d’un entretien qui se résuma à la mise en valeur de ce dieu vivant à qui le jean griffé et le maillot marin de grand couturier allaient si bien. Je me levai avec précipitation, une seconde avant la sonnerie, sans avoir arraché à mon luth vocal la moindre note susceptible de réconforter le masque de la désolation qui me faisait face. Les odalisques m‘imitèrent aussitôt, et s‘égaillèrent dans le couloir, telle une volée de gros dindons, ou un lâcher d’obèses, après m’avoir proposé, en chœur, et en canon, de me déposer à la gare, à la fin de la journée. C’était très tentant. Aussi acceptai-je. C‘était un guet-apens ! Elles raccompagnèrent également, à 17 heures, leur calife à la triste figure qui se mit, comme moi, sur la banquette arrière ! Je me réfugiai dans un quasi mutisme, durant le trajet, parce que j’étais horripilée, dépassée par les événements, nerveusement épuisée - et bien décidée à ne pas voir se concrétiser le songe dans lequel mon voisin s‘était montré si entreprenant. Elles firent assaut de grâces, et de compliments très intéressés, mardi à 10 heures 15, et, par ce concours de tartufferie, elles s’employèrent de nouveau à nous réunir à la même table. Je ne me laissai pas faire, cette fois-là, et partis chercher un peu de tranquillité dans ma salle de classe, sitôt que j‘eus constaté l’absence de Fabrice. Scandalisées par ma résistance, qu’elles interprétèrent comme un affront, ou un manque de conduite, elles ne tentèrent pas de me retenir. N’avaient-elles pas de toute façon capturé dans leurs rets un matou redevenu, comme au début de l’année scolaire, un chaton timide mais disposé à exhiber ses bras de culturiste débutant ? A midi trente-cinq, je rangeais avec diligence mes affaires dans mon casier, lorsque ces furies décrièrent ma coiffure, mes habits, mes goûts versatiles. Selon elles, c’était de ma faute si sa maigreur de crevette, sa tonsure de frère Jean et ses tenues d’élégant du boulevard de Gand complexaient depuis peu leur idole. Jarnicoton ! Charles- Amédée Chrétien Godefroy n‘essayait-il pas de s’encanailler par le port d’habits dignes d’un coupe-jarret mais pas d’un bourgeois de l‘avenue

Page 47: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

Montaigne ? Ne déambulerait-il pas bientôt avec une radio-cassette vissée à son oreille ? _Méfiez-vous car vous me donnez des idées d’autobiographie au vitriol, fulminai-je avec rage. _A Garges-lès-Gonesse, notre réputation est faite et les parents de nos élèves ont déjà fort à faire avec la lecture des offres d‘emplois, rétorqua Zoubida. Le ciel de ton avenir de grimaud se charge de gros nu... _Votre univers saisissant, vos personnalités ahurissantes captiveront peut-être le reste de la France, l’interrompis-je d’une voix dolente, car j’avais perdu de ma superbe. Elle n’avait pas tort ! N’étions-nous pas en pleine récession économique et dans le pays de Rabelais ? Nul travailleur précaire ne se passionnera pour de petits fonctionnaires couchaillant à tout-va comme partout ailleurs et se vengeant sur des collègues de passage de leur mutation dans un collège difficile. Le cerveau brouillé par l‘horizon embrumé de ma carrière littéraire, je me pressai de vider une partie de mon cartable dans mon compartiment afin de quitter rapidement cette cage aux lions. _Si la parolière pond une rédac de cent pages, celle-ci méritera au mieux 08 sur 20 et finira vite au pilon. Il faut écrire une œuvre buissonnière, chiadée dans un style simple, riche surtout en révélations dérangeantes et règlements de compte saignants, pour avoir une petite chance d’être placé en tête de gondole. Or, notre femme orchestre n’est pas une moucharde, elle ne sait ni dévider son chapelet ni dire du mal d’autrui, murmura Zeus, le Stentor nain habituellement brailleur. D’ailleurs, jus… _«Polygraphe» est plus approprié que «femme orchestre» et «sycophante» plus littéraire que «moucharde», coupa Gonzague, le magister pour qui la langue n’était pas un moyen de communication mais l’occasion de ressusciter les termes inusités, de mettre en bouquet les mots rares - et un temple dont il défendait l’accès au vulgaire. _ D’ailleurs, jusqu’à présent, notre future pisseuse de copie n’a jamais parlé à qui que ce soit du comportement des Blacks de notre banlieue et elle n’a même pas l’air de leur en vouloir. J’en déduis qu’elle n’osera jamais tout dévoiler, la pudeur et la solidarité ethnique retiendront sa plume, et je vous parie que, nous les Blancs, on peut compter nous aussi sur son excessive délicatesse, poursuivit sans sourciller le raccourci anatomique, toujours pourvu d’un surprenant basson vocal. _C’est pas comme sa belle-sœur, l‘amatrice de chants sacrés, qui l’a paraît-il dégoûtée des bigotes, de leur piété ostentatoire et même de la religion ! En voilà une qui a des couilles et qui flingue à tout-va ! Il paraît qu’elle recule devant rien et casse du sucre sur le dos de ses amis ou de sa propre famille dès que ça l’arrange ! Et jamais personne la juge, jamais on lui reproche son grand déballage ! Chacun la trouve charmante,

Page 48: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

sympathique, et tout le monde la protège et la défend ! Chapeau bas ! ça, c’est du grand art ! Glosa Anidio et il ignora, lui aussi, l‘intervention du passeur de savoir au discours amphigourique. _ Oui, on dit effectivement « polygraphe », affirma une veuve noire aux yeux brillants, aux lèvres humides. Rigoberta a eu à dix-huit ans un B.E.P de couture puis a passé à trente-trois ans un C.A.P de coiffure, et personne ne lui a fait remarquer qu’elle reculait au lieu d’avancer. Elle a travailloté au Mac Donald pendant une décennie, s’est fait licencier, a été dame pipi, comme madame sa mère, et elle a vécu ça comme une promotion. Vous verrez qu’elle passera, un jour, à plus de quarante ans, un sous-concours de catégorie Z - et sera félicitée en tant que génie brillant et précoce ! Après cela, Miss Cul-Bas sourit languissamment au distributeur de brillants discours et s‘assit de façon à mettre en valeur les deux témoins rabougris d’une féminité suspecte. Les rhéteurs lui plaisaient et elle ne s’en cachait pas ( à l’instar de nombre d’intellectuelles de plus d’un quart de siècle, elle affichait son goût prononcé pour tous les Jean-Paul Sartre de la création et dédaignait avec une ostentation suspecte les play-boys tels Nelson Algren ). Elle semblait déterminée à ne pas fêter ses trente automnes sans greluchon et ménageait l‘avenir par ce soutien appuyé. A défaut de s’ébattre dans les bras d’un gigolo à lavallière, elle comptait bien se noyer dans la lecture d’un glossaire ambulant. Aiguillonnée par le désir d’être mère avant l’âge de la ménopause, et talonnée par l’envie de se venger d’un affront pourtant rance et rassis, Muguette, qui était jusque-là plongée dans un coma cryonique, se réveilla et interpréta toutes les agaceries de son ex-meilleure amie. Ses yeux bioniques auscultèrent jusqu’à l’os l’adepte de l’euphuisme, du gongorisme, du conceptisme, de l’hermétisme et d’autres mots barbares et pompeux en -isme -et elle constata qu’il n’était ni castrat ni eunuque. Riche de l‘expérience de Fabrice et de Charles- Amédée, le Littré sur pattes ne semblait pas disposé à être le troisième dindon de la farce. La fausse rousse se targuait d‘apprécier la culture avant tout ? Le boudin en short en cuir était prêt à jeter son dévolu sur lui ? C’était leur affaire ! Lui, il avait beau avoir abusé du droit qu’ont les hommes d’être laids, il n’éprouvait, comme l’immense majorité de ses congénères masculins, aucune appétence pour les femmes uniquement intelligentes et cultivées. Les deux laiderons n’avaient nul besoin d’être télépathes pour comprendre le message extrasensoriel de sa réserve ombrageuse : « Ni en rêve ni par correspondance ! » _ Hé, les filles ! savez-vous ce que devient Xaxa ? Questionna à voix basse Toussine et elle s’assit à côté des chasseuses de reproducteurs. L‘écheveau d’énigmes se débrouilla instantanément, quand ce soutier de l’Education nationale chuchota le mot « juillet ». En fait, trois

Page 49: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

semaines nous séparaient des grandes vacances. Or, avant cette date butoir, ces harpies - tablant sur une possible vengeance qui déchiquetterait mon amour-propre ou une future mésentente dont l‘une d‘elles profiterait - me resservaient du Charles- Amédée, ainsi qu’on re-propose à son vieux mari les croquettes de morue ou le gratin de pommes de terre de la veille. Elles murmurèrent, ensuite, un ton plus bas les vocables « fin de remplacement » et « secrétariat ». Intriguée, je me retournai. Le « plat réchauffé » revenait liquéfié de l’Administration. Je battis tout de suite la campagne et échafaudai un scénario rocambolesque. Xavière avait cessé ses fonctions à Henri Wallon au profit de la titulaire du poste, dont de fâcheux contretemps retardaient l’arrivée : sa voiture avait été emportée par une crue de la Seine dont les eaux s’étaient changées en sang ; elle avait alors grimpé dans une cuve transformée en barque, ensuite sur une mobylette poussive, pour finir, sur un fier et rutilant coursier moderne ( communément appelé « camion » ) ; kidnappée par les conducteurs d’icelui, nonobstant ses hauts cris, elle avait été embarquée dans un aéroplane détourné par des trafiquants de graisse de phoque. Ayant vécu des histoires d’amour avec nombre de ravisseurs bien membrés et initié des foisons d’actions contre les forces de l‘ordre, elle avait été libérée avec force provisions de confiture de ronces, et moult crânes de gloutons évidés puis remplis de lait caillé. Vêtue de peaux de rennes et d‘ours brun, elle fuyait, étique et cachectique, le climat polaire de la Laponie, pour regagner, à coups de pagaie, la doulce France. Charles-Amédée Chrétien Godefroy n’avait pas été alarmé par la pancarte accrochée sur la porte du C.D. I : Xavière avait, selon lui, pris sa journée pour des raisons de santé. Aussi avait- il ri aux éclats aux plaisanteries d’un surveillant au lieu de commencer son enquête ; il avait tout de même songé, le soir venu, à appeler la malade parce qu’il était un garçon courtois et bien élevé. Laminé par un treizième message resté sans réponse, il était descendu chez l‘épicier du coin, à 19 heures trente précises, pour y acheter ces produits toxiques dont les pionniers, les gagneurs et les rebelles font, d’après les cinéastes et les publicitaires américains, une grande consommation ; malgré le secours de ces drogues à la puissance cordiale légendaire, il se demandait toujours, au bout de sa soixante-neuvième cigarette et de son seizième verre de whisky, s’il était possible de prévoir l’humiliante volatilisation de sa groupie ? Ce jeune homme de bonne famille avait retrouvé sa sérénité aux souvenirs de ses années de petit chanteur à la croix de bois et des excellents principes de ses chers parents, Enguerrand Brieuc François-Marie et Aliénor Blanche Marie-Hortense. Premières cigarettes censées chasser les idées noires, et premiers verres d’alcool supposées le faire pressentir le Créateur, furent payés au prix fort : une nuit d’insomnie passée à vomir et maudire les

Page 50: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

clichés. La gorge sèche, la bouche pâteuse, le débauché repenti avait, dès le lendemain matin, guetté dans le train la disparue d’Henri Wallon, puis, s’était résigné, l’estomac noué, à questionner dans le bus leurs amis, dont le silence confus, mais ferme, l‘avait poignardé en plein coeur, et poussé à s’isoler au fond du véhicule. Après m’avoir saluée de manière inintelligible, l’agneau sacrificiel s’était dirigé au pas de charge vers le collège, un secret espoir -vite déçu- lui donnait des ailes ; ce désappointement frisera le désarroi au bout d’une semaine et était le résultat logique d‘une prise de conscience consécutive à la disparition prolongée de Xavière. Charles -Amédée venait de se rabattre sur la nabote du secrétariat, bien résolu à s’enquérir du téléphone cellulaire de son ancienne adoratrice. Le gnome femelle s’acquitta, sans remords, de sa mission de Déesse de la Vengeance, au mépris d’un numéro de charme digne des Chippendales, et d’un rauquement velouté que bien des crooners auraient envié. Ce refus avait été vécu comme un énième coup de grâce. Tout en critiquant la mesquinerie de notre communauté éducative, je me promis de prendre toutes les coordonnées de Fabrice, dès notre premier baiser. N’aurait-il pas l’intention de s’évanouir, lui aussi, dans la nature ? Mercredi, à 12 heures 45, j’étais encore dans notre établissement. _A la graille ! Le maître queux a fait des frites ! Si on tarde trop, il n’y aura pas double ration pour tout le monde ! Alors, personne ne se laisse tenter par des french frieds ? Demanda le géant blond à la cantonade. C’est le bon plan, profitez-en ! Continua-t-il sur un ton engageant. Ce n’est ni l’ambroisie, ni le foie gras ou le caviar, mais c’est tout de même notre plat national ! Rajouta-t-il de sa voix jeune, fraîche et aussi douce que celle d’un adolescent qui n’a pas encore mué. A l‘insu de mon plein gré, mon bulbe rachidien est parfois moins gros et à peine plus véloce que les spermatozoïdes d‘un quinquagénaire. Aussi ne compris-je pas tout de suite que mon beau Casque d’or s’adressait à toutes les personnes présentes en général et à moi en particulier. Quand je m‘en aperçus enfin, je réalisai dans le même temps que notre conseil d’enseignement de professeurs de français n’était pas terminé : nous n’avions pas encore choisi les manuels à acheter pour la prochaine rentrée scolaire. Amèrement désappointé, le jeune homme m’observa un court instant, maugréa quelque chose, et cette fois-ci son timbre n’était plus celui d’un enfant de chœur. Puis, il tourna les talons en bougonnant, ses deux fidèles ombres pendues à ses basques. Curieusement, Domenech et Antonine avaient assisté à la scène sans broncher. Leur absence de réaction évoquait pour l’une un pitt-bull muselé et pour l’autre un cheval sauvage dompté mais non domestiqué. _Attendez-moi, je viens avec vous, si cela ne vous dérange pas, bien sûr, cria Elie, qui avait remarqué la profonde déception de Fabrice.

Page 51: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

Celui-ci se retourna aussitôt pour lui offrir un visage resplendissant de gratitude. Je pris la décision de déjeuner à la cantine, un quart d’heure plus tard : à un retour chez soi en larmes, mieux vaut l‘hostilité de fieffées ordures et la fausse indifférence d‘un amoureux si fâché qu’il a mis en jachère ses sentiments ! De toute façon, Lepers m’avait certainement préparé l’une de ces pantalonnades dans lesquelles il était passé maître. Les stations de radio ne diffusaient-elles pas, depuis quelque temps, des sucreries musicales, enrobées de paroles tendres, légères et naïves, chargées de déguiser sa guerre psychologique en une banale dispute d’amoureux. Je faisais la queue au réfectoire, lorsqu’une voix féminine m’exhorta à ne pas m‘excuser. Je pivotai sur mes talons. Des visages indifférents ou innocents s’offrirent à mes yeux méfiants. Je me rappelai aussitôt mes bonnes résolutions du week-end ainsi que mes tentatives vouées à l’échec de vider mon esprit de toute idée. Je m’installai près d’Elie et de mon bébé d‘amour, en faisant fi de ce conseil, et des toux courroucées qui m’accueillirent. J’étais déterminée à être câline afin que le jeune boudeur devienne enjôleur. Le garçon de mes rêves, l’homme de ma vie, l’élu de mon cœur, ne remarqua même pas ma présence ! Il pignochait dans son plat, racontait des blagues ou faisait le pitre avec sa cascade de longs cheveux mousseux, sans s‘apercevoir un seul instant que, moi, la mère de ses futurs enfants j’étais assise à ses côtés. Outre qu‘elle faisait semblant de rire à s’en décrocher la mâchoire, Marie-Ingrid le mitraillait de regards aussi concupiscents qu‘inutiles ( elle était décidément pourvue de la résistance des plantes des pays chauds car la sécheresse du bel indifférent l’ayant vue en habit d’Eve n‘avait aucun effet sur elle ). Tandis qu’elle s’humiliait en vain, la tablée entière se taisait avec roublardise. Y compris les amateurs de cliquetis de mots car tous souhaitaient l’aider à terminer la journée dans la moiteur des jeux sexuels. Sitôt qu’il eut fini repas et one-man-show, l‘apprenti humoriste prit ses loques, son plateau et …la poudre d’escampette en murmurant « Schnell ! Schnell ! ». Contrairement à ce que nous supposions tous, il ne se précipita pas vers l’aéroport le plus proche. Ce sang-mêlé nous jouait une version moderne de la série télévisée « Le fugitif », pourtant il ne se réfugia pas non plus au Quai d’Orsay, au consulat anglais ou à l‘ambassade italienne. Il ne pensa même pas à demander le droit d’asile à une église luthérienne, alors qu‘il avait vécu en Allemagne. Grâce à des bottes de sept lieues, Caroline et Anaïs, deux collègues à temps partiel, qui se sustentaient le plus souvent chez un gâte-sauce du coin, le suivirent à la trace jusqu‘au gymnase : elles souhaitaient sans doute lui poser des questions d’ordre professionnel, ou glisser un bracelet électronique dans sa poche et accomplir par là un exploit, une geste, qui marquerait leur sortie de leur long sommeil hibernal. Tout en auto -flagellant par la

Page 52: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

pensée ma passivité, je tendais l’oreille et percevais difficilement les chuchotements du timoré Elie, que je finis par taquiner en lui recommandant le cabinet de psychologue-sexologue de ma sœur Daphné. Comme il désirait m’informer de l’imminent retour de Nicolas, Henri vint interrompre mes rires étouffés. Je fis un récapitulatif de ces derniers mois dans mon car. Certes, une équipe de professionnels s’occupait dorénavant de ma mère qui était enfin rentrée chez nous. Certes, son traitement avait été modifié et adapté cette fois à son poids, ce qui avait confondu médecin hospitalier prescripteur et pharmaciens ayant délivré, sans le moindre étonnement, les médicaments en sur-dose. Cependant, pensai-je amèrement, cette association qui sert de médiateur entre les parents et les enseignants n’a-t-elle pas fait preuve de défaut de réactivité par l’expédition toute récente d’un courrier très laconique ? Les conflits avec des élèves soutenus par leurs géniteurs vont-ils désormais se multiplier à cause du butor du monde du spectacle ? Si oui, réussirai-je toujours à reprendre toute seule les choses en main ? Cette année difficile ne s’achève-t-elle pas sans que j’aie pu avouer une seule fois mes sentiments à celui qui les inspire ? J’ai prévu, avec une cruelle lucidité, que je connaîtrai une longue traversée du désert avant de rencontrer un autre garçon aussi attachant, sensible et beau que mon baigneur aux yeux verts. Des quarterons de fous furieux surgiront alors à la pelle et m’empêcheront de goûter à un bonheur légitime. Et il en ira ainsi jusqu’à la mort de Lepers, l’immonde bête qui me pourchasse ! Ou jusqu’à ce que je ressemble comme lui à un tableau vivant de Goya ! Comment pourra-t-il en être autrement ? Comment ne pas tomber de Charybde en Scylla tandis que je lutte seule contre un saccageur de vies bien entraîné, un collège de frustrés très déterminés, une région de détraqués endurcis contre toute forme de pitié et toute régénération de l‘âme ? Pour voler de victoire en victoire dans un contexte aussi désespérant, il me faudrait être une femme hors du commun, une héroïne étrangère aux intentions velléitaires et indifférente aux coups bas ! En attendant mon train, je découvris sur plusieurs bancs deux phrases griffonnées à la hâte : « Tu fais des rêves prémonitoires » et « On sait que t’es une sorcière ! ». Ainsi, ils étaient au courant ! Je comprenais maintenant le vocatif utilisé plusieurs jours plus tôt par Zeus. J’avais cru, sur le coup, que l’humanoïde d‘Henri Wallon voulait se démarquer de mes deux prétendants par le dénigrement de ma plastique. France 2 diffusa, ce soir-là, une émission dans laquelle une future nonne noire nous entretint longuement, sur le mode lyrique, et la mine béate, de son impatience à panser ses plaies à l’ombre d’un voile religieux ; elle céda l’antenne à un ménage d’homosexuelles américaines pour qui l’expression « devoir conjugal » était enfin obsolète. Leur chair avait été

Page 53: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

toujours triste avec leurs ex- maris ? Normal ! La Vénusienne et le Martien n’étaient pas faits pour vivre ensemble mais pour suivre des trajectoire opposées ! Je compris bien des années plus tard qu’elles avaient déniché cette idée saugrenue dans un livre de développement personnel écrit par John Gray, un essayiste déjà très célèbre de l‘autre côté de l‘Atlantique. Etait-ce bien ce soir-là, ou le lendemain, que France 3 ou M 6 passa un témoignage encore plus surréaliste ? Je ne sais plus, mais je crois bien que c’était ce soir-là qu’une dame, âgée de trente ans environ, raconta son drame. A cause d’un harceleur sachant rester dans la légalité, la pauvrette avait pratiquement sillonné tous les Etats- Unis et se re-préparait à déménager car ni son récent mariage, ni la naissance de son bébé n’avait dissuadé son bourreau de ne plus la persécuter. Une voix off décréta froidement, à la fin de ce reportage consternant, que la justice française était si tatillonne, et mal faite, qu’elle ne savait pas elle non plus protéger les victimes. Après avoir résisté à la tentation de me jeter sur des gâteaux secs, et d’accompagner le tout d’un litre de boisson chaude, je changeai de chaîne en invectivant le désenchanteur aux costumes bariolés qui me traitait en débile profonde. Par le spectacle de l’impunité d’un des siens, ne tentait-il pas d’intensifier cette déprime passagère que ses agissements en sous-main avaient soigneusement préparée ? Peut-être se faisait-il fort de me transformer en fille du Calvaire, ou en disciple du saphisme, afin de soulager son amour-propre malmené par ma résistance ? A cause d’Ally McBeal- un documentaire sur l’alimentation rythmé d’un fatras de gros plans fort suspects sur les gâteaux, les bonbons, les chocolats, les viennoiseries, les théières, les tasses de café ou les canettes «Virgin»- je fus de nouveau confrontée à mes problèmes de boulimie puisque John Cage, le sosie presque parfait de Lepers, était surnommé « Le Biscuit » et que son associé Richard Poisson ne donnait à Ling, sa petite amie, que des surnoms en rapport avec la nourriture. Quand cette brune magnifique embrassa la sèche et châtaine Ally, après un battage autour des femmes se découvrant fort tardivement lesbiennes, j’éteignis avec stupéfaction mon poste de télévision. Le voyant télépathe aurait-il révélé à la très fade et si commune Calista Lambda Flockart que je me moquerais dans un récit autobiographique du couple ridicule qu’elle formait avec Harrisson Mathusalem Ford, une légende vivante des années 70 ? Une starlette américaine, au faîte d’une gloire internationale, pouvait-elle faire appel aux services d’un petit Frenchie à la carrière sans éclat, circonscrite aux limites de la francophonie voire à celles plus bornées de l‘Hexagone, mais aux pouvoirs paranormaux exceptionnellement étendus, pour se venger de railleries à venir, nager dans les eaux troubles du show-business et garder

Page 54: Julien Lepers, un harceleur sexuel voyant et télépathe

dans ses rets le héros gesticulant de sa jeunesse tristounette ? Ou ne me faudrait-il pas plutôt incriminer David Ephaïstos Kelley, le puissant mais fort vilain mari de la belle Michelle Pfeiffer ? Ce scénariste et producteur à succès pourrait très bien avoir accepté de vendre son âme à l’obscur animateur français pour continuer à forger sur l’enclume de l’inventivité des séries télévisées cultes, repérer les scénarios boiteux afin de limiter les échecs cuisants, voire se dédommager de mes moqueries sur son physique bancal et son union mal assortie avec l’une des Aphrodite du 7e

art.