journal des nuits de fourvière

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À Fourvière cet été, le théâtre gagne encore du terrain : il affirme sa présence naturelle à l’Odéon et il investit d’autres lieux plus insolites. Avec Richard Peduzzi, peintre et scénographe, compagnon de toujours, Patrice Chéreau métamorphose la scène en une grève où vient mourir le flot d’un fjord. Et là, avec Tom Brooke et Jack Laskey, bouleversants d’art et d’humanité, il nous dévoile le théâtre de Jon Fosse. Deux hommes, L’Un et L’Autre, sur un bateau risquent la pleine mer. Ils sont sereins. Soudain l’un d’eux décide de pousser vers le grand large. I Am The Wind : vision poétique, est un voyage à l’intérieur de deux vies enlacées, une traversée mélancolique et périlleuse vers l’apaisement. L’imposant bâtiment du musée gallo-romain construit par Bernard Zehrfuss domine les théâtres du site antique. Il fait corps avec la colline et recèle une nef de béton souterraine de 60 mètres de long. C’est le lieu qu’a choisi Krystian Lupa pour installer La Salle d’attente. Sous sa conduite, quinze filles et garçons vont y jouer les journées et les nuits des humains misérables qui survivent dans la jungle des villes et dont Lars Norén a saisi les destins dans Catégorie 3.1. À Serge Valletti, auteur dramatique, nous avons confié une mission archéologique : plonger dans le passé, retrouver les secrets d’Aristophane et ressusciter son théâtre comique. Avec Georges Lavaudant pour maître d’œuvre, La Stratégie d’Alice et Reviennent les lucioles ! – ses adaptations lestes et libres de Lysistrata et des Grenouilles – prendront corps et voix dans l’espace des deux musées gallo-romains du Rhône : Fourvière et Saint-Romain-en-Gal. Enfin, c’est en Afrique à Cotonou qu’Emmanuel Daumas a travaillé à la mise en scène d’un texte désormais «classique» dans le répertoire contemporain, Les Nègres de Jean Genet. Et c’est au Théâtre du Point du Jour que la troupe de comédiens béninois nous livrera sa lecture de cette farce grotesque qui exalte les différences avec une sublime ambiguïté. En ce début d’été 2011, quatre explorateurs des voies contemporaines du récit théâtral, Chéreau, Lupa, Lavaudant et leur cadet Daumas ouvriront ainsi la saison théâtrale de Fourvière. En produisant leurs spectacles, en invitant les artistes et les artisans qui les entourent à jouer pour nous, en conviant le public à découvrir les histoires qu’écrivent Fosse, Norén, Genet ou Valletti, les Nuits veulent affirmer l’importance primordiale de la poésie dramatique dans ces lieux où se frôlent tous les arts de la scène. dominique delorme, directeur des nuits de Fourvière LES HISTOIRES QUE L'ON RACONTE Le Journal des Nuits #1 thÉÂtre

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Le premier numéro du journal des Nuits, dédié à la programmation théâtrale de la saison 2011.

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À Fourvière cet été, le théâtre gagne encore du terrain : il affirme sa présence naturelle à l’Odéon et il investit d’autres lieux plus insolites. Avec Richard Peduzzi, peintre et scénographe, compagnon de toujours, Patrice Chéreau métamorphose la scène en une grève où vient mourir le flot d’un fjord. Et là, avec Tom Brooke et Jack Laskey, bouleversants d’art et d’humanité, il nous dévoile le théâtre de Jon Fosse. Deux hommes, L’Un et L’Autre, sur un bateau risquent la pleine mer. Ils sont sereins. Soudain l’un d’eux décide de pousser vers le grand large. I Am The Wind : vision poétique, est un voyage à l’intérieur de deux vies enlacées, une traversée mélancolique et périlleuse vers l’apaisement.

L’imposant bâtiment du musée gallo-romain construit par Bernard Zehrfuss domine les théâtres du site antique. Il fait corps avec la colline et recèle une nef de béton souterraine de 60 mètres de long. C’est le lieu qu’a choisi Krystian Lupa pour installer La Salle d’attente. Sous sa conduite, quinze filles et garçons vont y jouer les journées et les nuits des humains misérables qui survivent dans la jungle des villes et dont Lars Norén a saisi les destins dans Catégorie 3.1.

À Serge Valletti, auteur dramatique, nous avons confié une mission archéologique : plonger dans le passé, retrouver les secrets d’Aristophane et ressusciter son théâtre comique. Avec Georges Lavaudant pour maître d’œuvre, La Stratégie d’Alice et Reviennent

les lucioles ! – ses adaptations lestes et libres de Lysistrata et des Grenouilles – prendront corps et voix dans l’espace des deux musées gallo-romains du Rhône : Fourvière et Saint-Romain-en-Gal.

Enfin, c’est en Afrique à Cotonou qu’Emmanuel Daumas a travaillé à la mise en scène d’un texte désormais «classique» dans le répertoire contemporain, Les Nègres de Jean Genet. Et c’est au Théâtre du Point du Jour que la troupe de comédiens béninois nous livrera sa lecture de cette farce grotesque qui exalte les différences avec une sublime ambiguïté.

En ce début d’été 2011, quatre explorateurs des voies contemporaines du récit théâtral, Chéreau, Lupa, Lavaudant et leur cadet Daumas ouvriront ainsi la saison théâtrale de Fourvière. En produisant leurs spectacles, en invitant les artistes et les artisans qui les entourent à jouer pour nous, en conviant le public à découvrir les histoires qu’écrivent Fosse, Norén, Genet ou Valletti, les Nuits veulent affirmer l’importance primordiale de la poésie dramatique dans ces lieux où se frôlent tous les arts de la scène.dominique delorme, directeur des nuits de Fourvière

LES HISTOIRES QUE L'ON RACONTE

Le Journal des Nuits #1 thÉÂtre

I Am the WIndJon Fosse, texte anglais Simon StephensPatrice Chéreau Thierry Thieû Niang Avec Tom Brooke et Jack Laskey15. 16. 17. 18 juin, 22h

toutArIstophAne par serge VallettiMise en espace : Georges LavaudantLa Stratégie d’Alice 17 juin, 20hReviennent les lucioles ! 18 juin, 20h

LA sALLe d’AttenteLibrement adapté de Catégorie 3.1 de Lars Norén Mise en scène : Krystian Lupa28. 29. 30 juin, 19h 1er. 2 juillet, 18h30

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Les nègresde Jean Genet Mise en scène : Emmanuel Daumas20. 22. 23 juin, 19h30 21. 24 juin, 20h30

www.nuitsdefourviere.com | billetterie 04 72 32 00 00

I Am the Wind de Jon Fosse, traduit par Simon Stephens et mis en scène par Patrice Chéreau, une des productions théâtrales les plus attendues des Nuits 2011 vient d’être créée au Young Vic, à Londres. Le spectacle sera présenté en plein air sur la scène de l’Odéon de Fourvière du 15 au 18 juin prochain. L’un, Tom Brook et L’autre, Jack Laskey entrent en scène. L’autre porte L’un dans ses bras tel une piéta. Il le porte comme un enfant. Sur un air d’harmonica.

En anglais surtitré en français

Création 2011

I Am the Wind Jon Fosse, texte anglais Simon StephensPatrice Chéreau, Thierry Thieû Niang

Avec Tom Brooke et Jack Laskey

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«Il y aurait un livre à écrire sur les entrées

dans le théâtre de Patrice Chéreau. Au

Young Vic, mardi soir, le surgissement

de Tom Brooke, The One, a fait tomber le

silence sur la salle comme le couperet

d’une guillotine ! » Armelle Héliot, LE FIGARO

« Une production à vous couper le souffle

{…} Un des plus grands moments de

théâtre que j’aie jamais vu.» Paul Taylor, THE INDEPENDANT

« À certains moments, la pièce fait

penser à un En attendant Godot

maritime mettant en scène deux

personnages interdépendants faisant

face à l’absurdité de la vie. {…} Quelle

que soit la manière dont on l’interprète,

la pièce fait mouche car elle aborde une

question fondamentale : elle montre

deux êtres humains piégés dans une

situation extrême et prouve le pouvoir de

l’amour. »Michael Billington, THE GUARDIAN

« Un bonheur à regarder…

Impeccablement mené du début à la fin »Aleks Sierz, THE STAGE

Les premières images et les premiers articles de presse nous arrivent d’AngleterreTo

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Création 2011

Les nègresJean Genet Emmanuel Daumas

pour jouer Les nègres« Cette pièce, je le répète, écrite par un Blanc, est destinée à un public de Blancs. Mais si, par improbable, elle était jouée un soir devant un public de Noirs, il faudrait qu’à chaque représentation un Blanc fût invité — mâle ou femelle. L’organisateur du Spectacle ira le recevoir solennellement, le fera habiller d’un costume de cérémonie et le conduira à sa place, de préférence au centre de la première rangée des fauteuils d’orchestre. On jouera pour lui. Sur ce Blanc symbolique un projecteur sera dirigé durant tout le spectacle.Et si aucun Blanc n’acceptait cette représentation ? Qu’on distribue au public noir à l’entrée de la salle des masques de Blancs. Et si les Noirs refusent les masques qu’on utilise un mannequin.»Jean GenetLes Nègres pour jouer Les Nègres, édition L’Arbalète, 1958

pour jouer Les nègres aujourd’hui« La pièce se resserre aujourd’hui, à mon avis, autour du rapport présent entre l’Afrique et la France. Ou, plus exactement, entre les Africains et les Français de maintenant. Autour de complexes qui se sont soit disant enfouis, mais qui transpirent, suintent partout.Pour ça, ce qui me paraît réjouissant, c’est de travailler avec des acteurs jeunes, concernés, responsables et modernes.Je ne veux pas aller en Afrique travailler sur la griotique ancestrale, ni sur une idée d’un théâtre initial, épuré, mythologique et « sauvage ».Je veux mettre en scène des jeunes garçons et des jeunes femmes qui puissent se raconter à nous à travers leurs histoires contemporaines, urbaines pour la plupart. Et faire apparaître comment ils sentent qu’on les voit et déconnent avec ça et nous tuent avec leur déconne… pour qu’ils vivent eux.Le tout avec le texte de Genet, finalement bien plus écrit comme un happening « agit’pop » qu’une grand-messe.Pour ça, concentrer son énergie sur une parole qui s’invente absolument au présent, libérée, dégagée de toutes les histoires du théâtre. Même s’ils font semblant de jouer comme « à la Comédie-Française » ou dans une pub de Banania, c’est pour faire les clowns et ça doit être clair. C’est quand même un grande « fausse » impro autour d’une petite farce granguignolesque (et vaudou !!! Ah ça oui !! On n’est pas au Bénin pour rien quand même !!).C’est pourquoi il est nécessaire de rendre limpide la structure si sophistiquée en apparence, mais somme toute assez claire et simple, et vivante, et joyeuse.Ainsi le trouble profond aura des chances d’apparaître… Et le poème aussi.»

Emmanuel Daumas

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Création à Cotonou, avril 2011©

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toutArIstophAnepar Serge Valletti Mise en espace Georges Lavaudant

Création 2011

Reviennent les lucioles ! Il y a plusieurs choses à dire pour parler du travail que je viens de terminer sur Les Grenouilles (littéralement Batraciens ! ). Tout d’abord, rien que le titre ! Il est très bizarre que ça s’appelle Les Grenouilles, car cette scène d’une part n’est pas la plus importante de la pièce et d’autre part réduit considérablement la diversité des thèmes abordés !Il y a tout d’abord le personnage de Dionysos qui est gigantesque, on pourrait dire « énaurme! ». C’est un mélange de Falstaff, d’Ubu Roi et de Gargantua ! C’est le Dieu des spectacles et de la fête, des orgies et des banquets ! Et on appellerait cette pièce Dionysos que ça irait déjà très bien.Il y a aussi le couple que Dionysos forme avec celui que j’ai appelé Le Goby et qui se nomme en fait Xanthias. Bêtement j’ai regardé dans le dictionnaire ce que voulait dire Xanthias, et je suis tombé sur Espèce de thon ! Une bonite quoi ! Oui, bien sûr le thème de l’eau, de la traversée du Styx pour atteindre les Enfers, le petit poisson pilote qui accompagne les grands squales ! C’est donc Le Goby !Le rapport de ces deux personnages c’est un Don Quichotte qui serait gros et un Sancho Pança qui serait petit et malingre, c’est aussi Don Juan et Sganarelle, et finalement très proche de Maître Puntila et son valet Matti de Brecht ou même de Laurel et Hardy. Ou bien encore plus proche de nous (si on peut dire!) un assortiment à la Astérix et Obélix inversé.Grâce à ces deux personnages on revisite la totalité des rapports maîtres et esclaves (ou patrons et employés), ils vont de l’amour à la haine, de la torture à l’humiliation, de la trahison à la vengeance et leur équipée hallucinante vers le pays des morts ressemble à un road movie déjanté et improbable.

serge Valletti, extrait de la préface, encore

La Stratégie d’AliceSon thème principal : la grève du sexe !Pour convaincre les hommes de faire la paix Lysistrata arrive à convaincre (non sans mal!) les femmes à se priver de faire l’amour et elle y réussit ! La fin, c’est la paix et tout le monde part en chantant !Seulement ce n’est pas si simple que ça, car cette paix tant désirée il faut la faire avec évidemment des ennemis ! Et c’est là que tout se complique, car ces ennemis sont des étrangers et par définition ces étrangers ne parlent pas comme nous ! Leurs mots n’ont pas la même signification que les nôtres !Toute la pièce d’Aristophane est articulée autour de cette idée. Et le comique naît des malentendus continuels entre les personnages. Les problèmes de traduction sont donc infinis puisque souvent des mots inconnus ou inventés sont utilisés et même parfois une sorte de verlan ! Si on ajoute à cela la distribution des répliques faite « au petit bonheur la chance », on imagine la somme des confusions possibles !On a l’impression de se trouver devant une pièce comique totalement démontée et tout le jeu consiste à la remonter dans le bon ordre, en tout cas dans celui que j’imagine être le bon !Pour employer une métaphore je dirai que mon travail consiste à réparer un réveil qui serait passé sous un rouleau compresseur pour qu’il réussisse à nous donner l’heure exacte ! Et pas seulement deux fois par jour.Eh bien l’heure exacte c’est le rire du spectateur !serge Valletti, extrait de la préface, or elle a pour mère le rire

150 spectateurs seront enfermés à l'intérieur des musées, la nuit, avec Serge Valletti, Georges Lavaudant et les comédiens, Aristophane, Lysistrata, Dionysos, Hercule, Pasolini, Fellini et Jean-Pierre Adam, archéologue... Chacun jouera son rôle et à la fin tout le monde dînera ensemble.

La Stratégie d’Alice d’après Lysistrata + visite guidée + représentation + dîner au musée

Vendredi 17 juin , 20hMusée gallo-romain Lyon-Fourvière

Reviennent les lucioles ! d’après Les Grenouilles+ visite guidée + représentation + dîner au musée

Samedi 18 juin , 20hMusée gallo-romain Saint-Romain-en-Gal – Vienne

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Texte, scénographie, lumières et mise en scène : Krystian LupaAssistant à la mise en scène : Łukasz TwarkowskiCollaborateur artistique : Jean-Yves RufCostumes : Piotr SkibaAvec : Anthony Boullonnois, Audrey Cavelius, Claire Deutsch, Thibaut Evrard, Pierre-François Garel, Adeline Guillot, David Houri, Aurore Jecker, Charlotte Krenz, Lucas Partensky, Guillaume Ravoire, Lola Riccaboni, Alexandre Ruby, Matthieu Sampeur, Mélodie Richar.

LA sALLe d’Attente Librement adapté de Catégorie 3.1 de Lars Norén

Ce qui m’a le plus fasciné dans le texte de Norén, c’est de constater à quel point beaucoup de ces personnages sont désintégrés. Leurs mécanismes sont en panne. Chacun est en panne d’une autre manière. D’ailleurs ce qui m’ennuie un peu, c’est que le fait d’être en panne se répète de façon un peu trop systématique. D’un autre côté, c’est bien sûr une vérité de cette réalité. Ici, aucune intrigue ne se développe. Si jamais une graine commence à germer, elle est aussitôt détruite. Ces personnages commencent souvent quelque chose, mais le perdent aussitôt. Ils ont d’énormes problèmes pour s’appuyer sur leur logique propre. Un peu comme si la réalité était un acide qui dépersonnalise chacun. Tout ce qui est logique arrive d’ailleurs. Des familles, par exemple. C’est comme si l’on venait dans ce lieu pour se dissoudre, pour s’oublier. La question est : cette action de dissoudre est-elle davantage un secours ou une catastrophe ?

Ce texte, j’aurais peur de l’aborder comme on aborde un texte classique. Pourquoi cette matière recueillie sur le terrain devrait-elle maintenant être traitée comme une bible ? Ce n’est pas du Shakespeare. C’est du témoignage brut, même si on a le sentiment d’un certain sacré. Il y a un rituel mystérieux qui apparaît dans cet endroit, un métalangage. Le lieu a presque un caractère de palimpseste, avec une superposition de couches, où on devine les traces des couches antérieures.

Les didascalies posent de vraies questions. Il y a par exemple un chien qui arrive. Il est perdu, il a peur. Il s’approche d’une personne, mais ne lui fait pas confiance. Et tout d’un coup, comme pris de frayeur, il s’enfuit ! C’est une réalité qui est décrite, mais qu’il n’est pas possible de répéter. Par conséquent, vouloir l’interpréter de façon classique nous mènerait à quelque chose de faux.Krystian Lupa

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