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ÉGLISE ÉVANGÉLIQUE LUTHÉRIENNE AU CAMEROUN ----------------------- INSTITUT LUTHÉRIEN DE THÉOLOGIE DE MEIGANGA INTRODUCTION À L’EXÉGÈSE DE L’ANCIEN TESTAMENT Cours dispensé au étudiants de la 21 e promotion – Licence niveau 2 Par Jean KOULAGNA ILT – Meiganga, 2010-2011

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ÉGLISE ÉVANGÉLIQUE LUTHÉRIENNE AU CAMEROUN

-----------------------

INSTITUT LUTHÉRIEN DE THÉOLOGIE DE MEIGANGA

INTRODUCTION À L’EXÉGÈSE DE

L’ANCIEN TESTAMENT

Cours dispensé au étudiants de la 21e promotion – Licence niveau 2

Par

Jean KOULAGNA

ILT – Meiganga, 2010-2011

2 J. Koulagna

Plan du cours

1. Quelques définitions utiles

2. Histoire de l’exégèse et de l’herméneutique

3. Le texte de l’AT : la Bible en tant qu’écriture (révélation orale, composition et

rédactions)

4. Le texte de l’AT : les témoins hébreux (+ Pentateuque samaritain), les anciennes

versions (grecques, syriaques, latines, les targums), les versions modernes

5. La critique textuelle (pourquoi, comment et pour quoi)

6. Divers angles d’approche : diachronie (accent sur le contexte du texte : historico-

critique, sociologique), synchronie (accent sur le texte dans sa forme actuelle :

structurale – narrativité, psychanalytique) et lecture contextuelle (accent sur le lecteur

et son contexte : culture, situation sociopolitique)

7. Remarques et questions conclusives : méthodes en conflit ? Une via africana ? (apport

de la sensibilité africaine à l’étude de la Bible)

8. Ouverture : exégèse, herméneutique et prédication (colloque interne)

Introduction à l’exégèse de l’Ancien Testament 3

QUELQUES DÉFINITIONS UTILES

Exégèse et eiségèse

Du grec « ek » (ou « ex » selon le mot qui suit), et de la racine verbale « agô », le mot «

exégèse » exprime étymologiquement l’idée de « conduire hors de ». Il s’agit de tirer le sens

d’un discours ou d’un texte. Pour le dire en termes communs, l’exégèse est l’explication d’un

texte pour en faire sortir le sens ou la signification qu’il est censé contenir.

À l’inverse, l’eiségèse (c’est un néologisme fabriqué à partir du mot précédent) consiste à

prêter au texte un sens qu’il n’a pas forcément. De nombreuses approches contextuelles

aujourd’hui s’orientent de plus en plus vers cette direction. Mais dans l’exégèse académique

classique, le mot a plutôt une connotation péjorative.

Herméneutique

Du grec hermêneutê (tekhnê), « art d’expliquer »

Le mot vient du nom d’un personnage de la mythologie grecque, Hermès, réputé pour sa

force, mais considéré aussi comme la divinité des voyageurs, des commerçants et des

voleurs, identifié à Mercure par les Romains. Mais il est aussi le messager des dieux, c.-à-d.

celui qui interprète le message des dieux pour les humains.

De cette mythologie on a tiré le mot herméneutique, qui est la science de l’interprétation.

L’herméneutique est une discipline à la lisière de la théologie et de la philosophie. Dans

notre contexte, elle est la science qui consiste à trouver une signification actuelle à partir des

textes bibliques qui, initialement, étaient adressés à d’autres personnes que nous.

La question théologique est : « en quoi ces textes d’un autre temps sont-ils parole de Dieu pour le

lecteur d’aujourd’hui ? »

Il arrive souvent que l’on emploie les mots « exégèse » et « herméneutique » comme des

synonymes. Ce n’est pas totalement faux, mais il vaut mieux les distinguer. On y reviendra

lors du colloque qui clôture ce cours.

Critique – critique textuelle

Le mot critique vient du grec « krisis » qui signifie « jugement », « appréciation ».

La critique est l’examen et l’appréciation de l’authenticité d’une chose, de la valeur d’un

texte, l’art d’analyser et de juger une œuvre littéraire ou artistique.

Dans les sciences bibliques, on distingue la critique textuelle, la critique des formes, la

critique rédactionnelle, la critique de l’histoire des religions, etc.

La critique textuelle tente d’établir la version originale d’un texte ou, à défaut de remonter

l’histoire du texte jusqu’à son niveau le plus ancien.

Elle part du fait qu’au cours de leur transmission (par recopiage manuel), les textes

connaissent des altérations (corruptions) diverses, volontaires ou involontaires.

4 J. Koulagna

Le mot « texte » ici désigne l’ensemble des graphismes inscrits sur un support, et qui

expriment le langage humain en forme de signes. Il s’agit ici du texte biblique dans les

langues originelles (hébreu pour l’AT) et dans les versions anciennes.

Rédaction – critique rédactionnelle et critique formelle

Les textes de la Bible n’ont pas souvent été écrits d’un seul jet. Ils sont passés par des

ébauches, des mises en forme, des élaborations et retouches successives motivées en général

par des raisons théologiques, par exemple l’évolution d’une théologie dans le temps. Ce sont

les phases de cette évolution que l’on appelle « rédactions ». Celles-ci sont souvent faites pour

adapter une théologie à l’époque ou au courant théologique auxquels appartient l’auteur

d’une retouche.

La critique rédactionnelle est l’activité qui, dans l’exégèse, consiste à retracer la trajectoire

des retouches successives d’un texte. Parfois, elle s’imbrique ou se confond avec la critique

formelle qui, à partir de l’étude des formes littéraires, retrace finalement plus ou moins la même

trajectoire.

Les témoins

On appelle « témoins » les manuscrits d’un texte : manuscrits originaux, anciennes versions

et citations d’auteurs anciens (les pères de l’Église notamment) qui l’attestent.

Les témoins du texte de l’Ancien Testament sont, parmi les plus anciens, les différents

manuscrits en hébreu, le Pentateuque samaritain pour les cinq premiers livres, les versions et

recensions grecques de la Septante, les versions syriaques, latines…, les targums.

Chaque témoin ancien a à son tour des témoins : par ex., la Vulgate (version latine officielle)

est le témoin de la vieille latine, elle-même témoin du Vieux grec de la Septante, etc.

Les versions

Pour faire simple, version = traduction.

Les versions sont les différentes traductions du texte de la Bible dans d’autres langues,

anciennes ou modernes.

Souvent, les traducteurs font plus que traduire. Ils interprètent le texte, parfois en

l’actualisant linguistiquement, culturellement ou théologiquement.

Comme interprétations, les versions font donc partie de l’histoire de la réception du texte et

constituent un outil indispensable pour l’exégèse.

Introduction à l’exégèse de l’Ancien Testament 5

UNE HISTOIRE DE L’EXÉGÈSE ET DE L’HERMÉNEUTIQUE BIBLIQUES : DU JUDAÏSME

ANCIEN À NOS JOURS

1. L’activité des scribes : du retour de l’exil à la fin du second Temple (5e s. av.-1er s. ap. JC)

• Esdras décide d’enseigner la loi de Moïse aux Israélites (5e s.) : à Babylone, on a

pensé que l’exil était la conséquence de la désobéissance à la loi de Dieu transmise à

Moïse

• Pendant que d’autres livres de l’AT sont encore en train d’être écrits, les scribes

s’activent à sauvegarder ce qui l’est déjà, mais aussi à le réadapter (de façon discrète,

certes). Les nouveaux livres fonctionnent un peu comme une réception des

précédents, en particulier de la Torah

• Entre le milieu du 3e s. et la fin du 1er, des livres de la bible hébraïque sont traduits en

grec, d’autres composés directement en grec (ex. les Maccabées), essentiellement à

Alexandrie. C’est la Septante

• Vers la fin du 1er s. av. et le début du 1er s. ap. JC, apparaissent les targums (versions

araméennes de la Bible) et les midrashs (commentaires déductifs d’orientation

juridique ou halakhah d’une part, et homilétique ou hagadah d’autre part. Mais leur

développement interviendra surtout vers le milieu du Moyen-âge

• Dans le judaïsme hétérodoxe de Qumran (avec les esséniens) se développe un genre

exégétique particulier : le pesher (le mot veut peut être rendu par « ceci signifie »)

• Vers l’époque de Jésus, deux écoles rivales célèbres : Shammaï, conservateur, et

Hillel, plus libéral.

2. Après la destruction du Second Temple

• La communauté de Jamnia avec Johannan ben Zakkaï (87-100) – vers la constitution

d’un canon de l’AT

• Avec l’émergence du judaïsme rabbinique, on voit l’apparition de la mishna (une

compilation des sentences des rabbins célèbres), puis de la gemara (commentaire de

ces sentences). Le tout donne naissance au Talmud (une variante jérusalémite et une

babylonienne, plus élaborée)

• La Septante est rejetée, aussi bien par le judaïsme que par l’Église romaine, vers la fin

de l’époque romaine – des hommes tentent de la récupérer en la conformant au texte

hébreu devenu normatif ; le résultat de cette récupération : les recensions (Aquila,

Symmaque, Théodotion et le groupe kaigé, Lucien d’Antioche)

• Vers le milieu du Moyen-âge, le texte hébreu se stabilise, des massorètes inventent les

points voyelles et prêtent leur nom au texte hébreu

3. L’ère chrétienne primitive (1er-2e s.)

6 J. Koulagna

• De nouvelles Écritures apparaissent pour comprendre l’ « ancien » testament : Paul,

les évangiles et les autres – la Bible est lue à partir de l’expérience de Jésus et du

kérygme primitif

• Les chrétiens s’approprient la Bible : le temps de la controverse judéo-chrétienne (cf. 2

Co 3,14-18 ; Justin, Dialogue avec Tryphon)

• Prédication et catéchèse baptismale : la Didachê

4. Exégèse et herméneutique patristiques primitives

• Deux écoles rivales s’affrontent, à l’est : Alexandrie et Antioche. La première fait de

l’exégèse allégorique (le sens derrière les mots), la seconde privilégie le sens littéral et

les éléments philologiques et est représentée par Théodore de Mopsueste

• Origène est le représentant de l’école alexandrine. Sa plus grande œuvre dans le

domaine de l’exégèse est son édition parallèle de la bible, connue sous le nom des

Hexaples

• Une autre approche : Augustin. Chez lui l’Écriture est déjà claire, et une méditation

herméneutique expresse ne devient nécessaire que pour l’éclaircissement de quelques

passages qui peuvent poser des difficultés de compréhension

• Dans tous les cas, la préoccupation de l’exégèse est la recherche du sens profond,

pour nourrir la foi des croyants.

5. Le Moyen-âge

• Un recul : l’exégèse est en perte de vitesse au profit des sentences des pères

• Mais apparaissent des théories herméneutiques dominées par l’idée des quatre sens

de l’Écriture : historique, allégorique (spéculable), tropologique (opérable dans

l’amour) et anagogique (désirable dans l’espérance) cf. Bonaventure. Ces quatre sens

sont exprimés tantôt dans les images des quatre parties ou des quatre vents du ciel,

tantôt dans le symbole des quator intellectus ou quator exponendi. Les théories sont

inspirées de la philosophie grecque antique (Aristote pour Thomas d’Aquin et les

philosophes arabes)

• Une méthode domine cette époque : la scolastique, avec une figure dominante :

Thomas d’Aquin.

6. À la Renaissance et la Réforme protestante

• La scolastique décline

• Un mouvement intellectuel, l’humanisme, développe, dans sa branche mystique, un

type exégèse aussi mystique, inspirée de la tradition apocalyptique et des sciences

occultes

Introduction à l’exégèse de l’Ancien Testament 7

• Dans sa branche scientifique, l’humanisme célèbre le retour aux sources de la

connaissance et des Écritures. Érasme de Rotterdam sera le champion de ce

mouvement. En publiant son édition critique du Nouveau Testament, il pose les

jalons de l’exégèse historico-critique

• Les réformateurs protestants y puisèrent leur inspiration et lancèrent le slogan du

Sola Scriptura (l’Écriture seule)

• Chez Luther, l’Écriture est son propre interprète (sui ipsius interpres – cf. Augustin)

7. L’exégèse moderne : des pré-lumières à la première moitié du 20e s.

• La rencontre de la Bible avec la science (cf. Copernic) déclenche les débuts de la

critique

• Au siècle des Lumières, le rationalisme se dresse contre la foi : une exégèse tendant à

montrer que la Bible est fausse

• Mais cela est aussi une chance : côté allemand, le rationalisme intègre l’exégèse dans

le contexte universitaire – éclosion des différentes écoles critiques pour une exégèse «

scientifique »

• Puis vient l’exégèse libérale protestante avec Schleiermacher : il faut « échapper à sa

propre opinion pour saisir celle de l’auteur ». « Interpréter est un art […] dont les

règles ne peuvent être élaborées qu’à partir d’une formule positive [c.-à-d.

scientifique] »

• L’exégèse existentiale : Heidegger, Gadamer, Dilthey, Bultmann – en dialogue avec

l’existentialisme

8. Après la Seconde Guerre Mondiale

• C’est l’ère de la déconstruction : Ricœur

• L’historico-critique décline au profit des approches narratives

• L’exégèse est à l’heure du lecteur : les approches en contexte (herméneutiques de

revendication : TL, TF, question homosexuelle…) se multiplient

• L’exégèse à l’heure du lecteur : les approches en contexte (inculturation et

herméneutiques locales – Afrique, Asie, Amérique latine…) font leur apparition dans

les nouvelles terres du christianisme.

8 J. Koulagna

LE TEXTE DE L’ANCIEN TESTAMENT

1. Au commencement était la Parole (Jn 1,1)

• Aux sources de l’Écriture, se trouve la parole orale

• Israël a raconté ses histoires au sein de la famille, du clan et de la tribu… par la

tradition orale, le bouche-à-oreille

• En racontant, il a fait recours à des mythes et à des légendes tirés de son Moyen-

Orient culturel

• Israël a aussi chanté, pour les fêtes familiales ou tribales, mais aussi pour des

cérémonies cultuelles

• Il a exprimé des réflexions sur les réalités et les expériences de la vie courante

• Tout est donc oral, au commencement, comme chez tous les peuples sans écriture,

comme en Afrique sub-saharienne !

• Mais cette parole, c’est aussi la parole reçue, l’expérience de Dieu : elle a appelé

Abraham, a parlé à Jacob, puis à Moïse avant d’être écrite sur des tablettes… d’après

le témoignage biblique ; plus tard, elle a aussi parlé aux prophètes

2. Et la parole est devenue écriture

• Au Moyen-Orient, l’écriture est née env. 3000 ans av. notre ère (en Égypte et en

Mésopotamie). C’est des pictogrammes (hiéroglyphes d’Égypte) ou les idéogrammes

(écritures cunéiformes mésopotamiennes), avec un système très complexe de signes

• Vers le 13e s. av. notre ère, apparaît l’écriture alphabétique : les signes sont réduits

entre une vingtaine et une trentaine, avec un système économique d’associations.

C’est peut-être du côté des voisins araméens

• Israël adopte cette écriture, probablement au début de la royauté (vers 11e-10e s.),

mais c’est sous Salomon (10e s.) qu’on voit des fonctions liées à l’écriture : les sofrim

(scribes-comptables) et les mazkirim (archivistes-hérauts)

• À partir de ce moment les histoires racontées commencent à être ébauchées à l’écrit,

les réflexions de sagesse à être collectionnées, les chants à être recueillis

• Inconsciemment, Israël vient de commencer à écrire la Bible !

• La Bible n’est donc pas tombée du ciel

3. Et la parole écrite a été reçue, complétée, élaborée, actualisée et retransmise

• Toute la Bible n’a pas été écrite d’un seul jet. L’élaboration de l’Ancien Testament a

duré un millénaire ! Il est donc une parole dynamique

Introduction à l’exégèse de l’Ancien Testament 9

• Les écrits primitifs proviennent de divers endroits, de divers milieux de pensée

(milieux prophétiques, deutéronomistes, sacerdotaux par ex.) et de diverses époques.

Ils constituent ainsi une parole plurielle

• Certains éléments proviennent des archives officielles royales ou du temple

• Ils ont été complétés ou réédités dans des circonstances particulières, pour être

adaptés à un lectorat ou à un mode de pensée théologique spécifique. C’est ce que

nous avons appelé « rédaction »

• Ils ont été recopiés, traduits et conservés au cours des siècles pour être transmis à la

postérité, pour illustrer qu’ils sont parole éternelle. C’est le processus de la

transmission

• Dans ce processus, il arrive que les textes soient corrompus, accidentellement, à cause

de l’interprétation ou pendant d’édition

• Nous voilà avec une variété de textes

4. Les témoins hébreux

• La plupart des textes de l’Ancien Testament sont rédigés en hébreu ou en araméen.

Ceux rédigés en grec n’appartiennent pas au canon juif, mais à la version grecque, la

Septante

• Le principal témoin de la bible hébraïque est le Texte massorétique (TM), représenté

aujourd’hui par les codex d’Alep et de Leningrad pour les plus complets

• Un autre témoin important est le Pentateuque samaritain (SM) qui conserve l’ancien

alphabet

• Il y a enfin les manuscrits trouvés près de la Mer Morte à partir de 1947, qui remontent

aux 2e et 1er s. av. J.C., et qui contiennent la totalité ou les fragments plus ou moins

importants de livres bibliques à côté d’autres textes. Mais d’autres livres sont peu ou

pas représentés

5. Les anciennes versions

• La plus ancienne version de la bible est celle qui a été réalisée en Égypte, à partir du

3e s. av. notre ère, la Septante (LXX). Au début de l’ère chrétienne, elle a connu des

recensions visant à la conformer au TM devenu normatif pour les juifs (Aquila,

Symmaque, Théodotion, le groupe kaigé lié à Théodotion, le texte antiochien ou

recension de Lucien)

• Une autre version ancienne importante est la version syriaque connue sous le nom de

la Peschitta, réalisée vers le 2e s. ap. J.C.

10 J. Koulagna

• La version latine dite de la Vulgate, réalisée au 4e s. ap. J.C. par Jérôme et adoptée

comme la bible officielle de l’Église romaine. Elle est en réalité une révision sur

l’hébreu de la Vieille latine

• Les Targums, qui sont des traductions libres de la bible hébraïque en araméen. Parfois

on assiste à de nouvelles compositions littéraires éloignées du texte hébreu (comme

dans Qohélet)

• Les traductions anciennes de la Septante : la Vieille latine (VL) qui ne subsiste qu’en

fragments, les versions coptes, arméniennes, éthiopiennes ou encore syriaques (la

syro-hexaplaire par ex.).

6. Les versions modernes

• La Bible n’a pas fini d’être traduite

• Des milliers de langues ont la Bible traduite, en tout ou en partie, et chaque locuteur

peut ainsi avoir accès à la Parole de Dieu dans la langue qu’elle connaît le mieux

• Avec les traductions modernes, le processus d’interprétation reste vivant et actualise

la Bible pour chaque culture et chaque époque

• Exégèse, herméneutique et traduction sont donc, dans un certain sens, plus que

complémentaires. Elles deviennent synonymes.

• Ceci est plus vrai encore pour les langues qui ne connaissent pas les réalités désignées

par certains mots ou qui n’ont pas les mots ni les concepts équivalents (ex. la neige,

l’hiver, le printemps… n’ont aucune signification ni matérielle ni conceptuelle en Ya¡g

dii)

• Certains des problèmes que rencontrent les traducteurs modernes étaient les mêmes

pour les traducteurs des versions anciennes, qui ont dû recourir à des gymnastiques

exégétiques pour trouver une issue

• Et pourtant, la traduction doit rester fidèle tout en poursuivant le but de la

communication

• En matière d’exégèse historico-critique, les versions modernes n’ont pas beaucoup

d’importance. Mais pour les approches structurales (narratives par exemple), chaque

version peut en soi être objet d’étude.

7. Pourquoi la critique textuelle ?

• Parce que les textes sont souvent corrompus dans le processus de transmission par

recopiage

• Les erreurs de copie les plus fréquentes sont les suivantes :

– La confusion des lettres (� et �, � et �, � et �, � et �, etc.)

– La répétition accidentelle de deux lettres ou de deux mots (dittographie)

Introduction à l’exégèse de l’Ancien Testament 11

– L’écriture d’une lettre ou d’un mot là où il en fallait deux (haplographie – contraire de dittographie)

– Le saut du même au même, qui provoque la suppression accidentelle de plusieurs mots entre les deux mots semblables (homoiarkon ou homoioteleuton)

• Les écarts intentionnels

– Des corrections linguistiques

– Des corrections d’ordre théologique

• L’influence d’un texte venant d’une autre péricope, voisine ou lointaine (due au fait

que les copistes connaissaient la Bible presque par cœur)

8. Comment procéder ?

Données externes

• Pour établir la variante la plus ancienne (présumée originale ou proche de l’original),

on compare les différents témoins

• La variante qui est plus attestée est a priori préférable

• La variante attestée par les témoins plus anciens est a priori préférable

• Mais cela n’est pas toujours le cas ; il faut donc employer cette règle avec réserve, en

utilisant la critique interne

Données internes

• Pour établir la variante la plus ancienne, d’autres règles sont conseillées aux novices

• La variante la plus courte est a priori préférable (le copiste aura en général plus

tendance à rajouter qu’à retrancher)

• La variante la plus difficile est a priori préférable (le copiste aura tendance à expliciter

qu’à compliquer)

• Mais ce n’est pas toujours le cas : les homoioarka et les homoioteleuta créeront un texte

court, mais secondaire, et l’importation accidentelle d’un autre texte créera un texte

obscur et pourtant secondaire)

10. La critique textuelle pour quelle finalité ?

• Tenter de retrouver le texte original ou, au moins, le plus ancien

• Mais dans bien des cas, cette cause est perdue

• Parce qu’il y a des cas où on n’arrive pas à décider, lorsque par exemple la critique

externe et la critique interne arrivent à des résultats opposés

• À ce moment, la critique textuelle rejoint la critique rédactionnelle et permet de

donner un état du texte à une époque

• Pas de critique textuelle pour la critique textuelle

12 J. Koulagna

• En ce qui concerne les versions, toutes les divergences ne sont pas des variantes (ex.

la suppression ou l’ajout de la conjonction « et » ou d’un sujet de verbe)

• Toutes les variantes n’influencent pas l’interprétation – ne soyons pas forcenés !

Introduction à l’exégèse de l’Ancien Testament 13

LES DIFFÉRENTS ANGLES D’APPROCHE DANS L’EXÉGÈSE BIBLIQUE

1. Les approches diachroniques

• On les appelle aussi méthodes historico-critiques

• L’auteur et son contexte sont au cœur de l’analyse

• Leur objet : comprendre le texte biblique en le resituant dans le contexte historique

dans lequel il a vu le jour, gage de la scientificité de la méthode

• Elles comprennent différentes écoles qui s’impliquent souvent côte-à-côte dans

l’analyse d’un même texte

– Critique textuelle

– Critique formelle – Critique des sources – Critique rédactionnelle – Critique de l’histoire des religions

• Mais les différentes écoles ci-dessus restent plus ou moins autonomes et évoluent

comme des disciplines spécialisées

• Elles impliquent que le lecteur connaisse le texte biblique dans les langues originelles

(hébreu pour la bible hébraïque, grec pour la Septante et le NT)

• Elles vont à la recherche du texte originel et du message originel de son auteur (ou au

moins, comment les premiers lecteurs ont pu l’entendre)

• Mais le rêve d’accéder au vouloir-dire de l’auteur s’est peu à peu évanoui ; les

différentes écoles peuvent néanmoins donner un état de l’évolution du texte

2. Démarche pour une exégèse historico-critique classique

• Lecture du texte (dans l’original)

• Critique textuelle (étude des variantes en vue d’établir le texte original ou le plus

proche possible de l’original – on se sert pour cela de l’apparat critique)

• Étude du contexte historique

• Analyse littéraire (étude des contextes large, proche, immédiat ; analyse des

structures littéraires : formes, enchaînements…)

• Commentaire linéaire dans lequel les éléments ci-dessus apportent un éclairage ou

des éléments supplémentaires

• Conclusions théologiques

3. Les approches synchroniques

• Le texte est considéré tel quel, dans la forme sous laquelle il nous est parvenu

14 J. Koulagna

• Le texte est au cœur de l’analyse

• Son histoire importe peu, et tel qu’il se présente, cela suffit – pas besoin d’un soi-

disant texte original ; chaque tradition textuelle peut être en soi un objet d’étude

• L’intérêt principal est porté sur les éléments littéraires, la mise en forme du texte :

structures, figures, éléments de persuasion, etc.

• Mais il peut aussi être porté sur les structures inconscientes de son auteur (analyse

psychanalytique)

• Les approches synchroniques s’intéressent à l’analyse narrative (pour les récits), à la

théorie des jeux, à la critique poétique, à tout ce qui touche au style et à la forme

littéraire – le texte est pris comme une œuvre littéraire

• Selon Roland Barthes : le texte est « un objet exceptionnel, dont la linguistique a bien

souligné le paradoxe : immuablement structuré et cependant infiniment

renouvelable : quelque chose comme le jeu d’échecs »1

• Ces approches sont souvent vues comme une réaction (ou par opposition) aux

méthodes historico-critiques

• Il faudrait cependant se garder de trop les opposer. Cela dépend de la perspective par

laquelle on les prend

• Parmi les approches structurales ou synchroniques, l’intérêt pour le récit et les

méthodes d’analyse narratives a été plus prononcé.

• L’analyse narrative s’interroge avant tout sur l’intrigue et le cadre du récit. La

réponse aux questions : Qui fait quoi, où, quand, comment et pourquoi ? suffit souvent à

cerner le contenu du récit à partir de l’intrigue et du cadre

• Il est donc question de repérer dans le récit les personnages et leurs caractéristiques

ainsi que leurs actions, les forces agissantes (institutions, protagonistes et leurs buts,

gagnants et perdants, forces et obstacles), la technique narrative (narrateur, point de

vue, ordre, style et langue...)

• Mais les analyses narratives sont aussi plurielles. On compte entre autres la

sémiotique structurale selon le modèle d’Algirdas Julien Greimas.

4. Concepts-clés d’une analyse narrative

• Le narrateur : c’est la personne qui raconte l’histoire. Ce n’est pas forcément l’auteur,

c’est avant tout un personnage

• Les personnages : ce sont eux qui sont décrits dans le récit (dans leurs actes, leurs

paroles, leurs états psychologiques) ; ils font l’événement

1 R. Barthes (1973), Le plaisir du texte, p. 82.

Introduction à l’exégèse de l’Ancien Testament 15

• L’intrigue : c’est la mise en place et la construction du problème qui déclenche le récit.

Elle correspond habituellement au modèle : situation initiale – complication de la

situation – tentative de solution mettant en œuvre les qualités (ou les faiblesses) du

personnage central – retour éventuel à la situation initiale en cas de résolution

efficace de la complication

• Les moyens stylistiques souvent mis en œuvre : la répétition, l’ironie, la

contradiction, etc.

• L’auteur implicite : c’est l’auteur théorique, discernable derrière le récit et la manière

dont il met en route ce récit. Il ne correspond pas toujours à l’auteur réel

• Le lecteur implicite : c’est le lecteur théorique, virtuel, supposé par le récit. Il ne

correspond pas non plus forcément au lecteur réel

• L’espace et le temps : ils peuvent éventuellement fonctionner comme de véritables

personnages

5. Les approches contextuelles (herméneutiques de libération, théologies locales…)

• Le lecteur actuel et son contexte sont mis au centre

• En fait, on sort du domaine de l’exégèse proprement dite pour entrer dans celui de

l’herméneutique

• L’approche est sélective. Tous les textes n’ont pas la même importance : il y a des

textes de prédilection, en particulier ceux qui évoquent l’oppression et la libération

(par exemple les récits de l’exode et de la captivité babylonienne, les textes qui

parlent des situations sociales d’oppression, comme les prédications d’Ézéchiel contre

les bergers qui exploitent le troupeau, les prophéties d’Amos et parallèles, les textes

évoquant le patriarcat et l’oppression – réelle ou supposée – des femmes, la lutte des

classes, etc.)

• On en arrive parfois à des situations où des textes bibliques sont déclarés non

inspirés, notamment ceux qui parlent de la position des femmes dans l’église chez

Paul ou ceux qui condamnent clairement les pratiques déviantes que la société

postmoderne tend à légaliser, bref tous les textes qui ne servent pas les intérêts de

l’interprète

• Dans ces modèles on trouve les lectures culturalistes et/ou inculturelles, plutôt

orientées vers la théologie biblique (c’est ici qu’il faut classer les études comparatives

des biblistes africains)

• On trouve aussi des approches d’orientation sociale (ou approches matérialistes), qui

empruntent les méthodes marxistes d’analyse du social et développent une

herméneutique de revendication ou de contestation : c’est ici qu’il faudrait classer

l’herméneutique de libération et ses variantes, l’herméneutique féministe, etc.

16 J. Koulagna

• Dans les approches contextuelles, c’est une interaction entre le texte et le contexte du

lecteur qui est mise en avant : le texte éclaire (éventuellement) le contexte du lecteur,

mais c’est surtout ce contexte qui informe et oriente la lecture du texte

Introduction à l’exégèse de l’Ancien Testament 17

EXEMPLE PRATIQUE 1 : 1 ROIS 1,1-4 – APPROCHES DIACHRONIQUES

EXÉGÈSE HISTORICO-CRITIQUE2

Le texte

Lire le texte dans l’original hébreu (BHS, HUB, OHB – les deux derniers sont encore en cours

d’élaboration et le premier en cours de révision sous le nom de BHQ) ou, à défaut, dans une

version moderne littérale (Darby, Louis Segond, Chouraqui…)

BHS

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DRB

1 Et le roi David était vieux, avancé en âge. Et on le couvrit de vêtements, mais il ne fut pas réchauffé.

2 Et ses serviteurs lui dirent : Qu’on cherche pour le roi, mon seigneur, une jeune fille vierge, et qu’elle se tienne devant le roi, et qu’elle le soigne, et qu’elle couche dans ton sein, et que le roi, mon seigneur, se réchauffe.

3 Et on chercha une belle jeune fille dans tous les confins d’Israël ; et on trouva Abishag, la Sunamite, et on l’amena au roi.

4 Et la jeune fille était extrêmement belle ; et elle soignait le roi et le servait ; mais le roi ne la connut pas.

Une question à se poser : le texte est-il fiable, c.-à-d. non corrompu ? La question de la

fiabilité est un peu ambiguë. Elle renvoie habituellement à l’idée d’avoir le texte

originel/original. Mais le texte de l’AT ayant connu une longue histoire de transmission, avec

à une certaine époque une pluralité de textes, retrouver le texte originel devient impossible.

La fiabilité, dans ces conditions, doit renvoyer à autre chose : soit l’ancienneté du texte par

rapport aux traditions concurrentes, soit le sens le plus probable dans le contexte. Pour cela,

on compare le texte hébreu avec les anciennes versions disponibles. L’apparat critique du

texte hébreu (et de la Septante) permet de repérer les principales divergences de l’hébreu par

rapport à ces versions ou à l’intérieur de chaque version.

Pour le texte ci-dessus, l’édition et l’apparat critique de la BHS signalent des divergences ci-

après (non reproduites ici – se référer au texte dans sa version papier) :

Au v. 2, le mot �ù� (« à lui ») est surmonté d’un a, qui signale un problème. En se reportant à

l’apparat critique, on voit « Cp 1,2 a > í* ». Cela signifie qu’au v. 2 du chapitre 1, le mot

indiqué manque dans le plus vieux manuscrit de la Septante, version grecque de l’AT.

Devant ce cas, il faut se demander : « cette divergence change-t-elle quelque chose dans le

2 Nous n’aborderons pas ici l’exégèse dont les outils sont empruntés aux sciences sociales, à savoir la sociologie et l’anthropologie par exemple.

18 J. Koulagna

sens du texte ? » Sinon, on passe. Il ne sert à rien de s’y attarder. Si oui, en quoi le sens

change-t-il ? Laquelle des leçons en présence semble la plus ancienne ou expliquer l’autre ?

Pour que cela fasse sens, il vaut mieux traiter cette question lorsqu’on arrivera au

commentaire de ce verset. Il suffit, pour l’instant, de le signaler.

Dans le même verset, le mot �ù �/���ù �� (« à mon seigneur » ou « à monsieur ») est surmonté d’un b. Dans l’apparat critique, on trouve « b í-B suff 1 pl », ce qui signifie que le mot indiqué, dans

les versions grecques excepté le Vaticanus, qui lisent tw/| kuri,w| hm̀w/n (« à notre seigneur »)

suppose avoir un suffixe 1ère personne pluriel ; c.-à-d. �/�/���. Cette divergence est-elle

importante, c.-à-d. change-t-elle quelque chose ? Sinon, on passe. Si oui, en quoi ça change ?

La question d’originalité ou d’ancienneté joue-t-elle un rôle ici ? À mon avis, ce problème est

lié au précédent et pourra donc être traité en même temps lorsqu’on arrivera à cet endroit.

Toujours dans le même verset, le mot ;ù *&� %�ù �� (« dans ton sein » est surmonté d’un c. Dans

l’apparat, on signale que les plus anciens manuscrits de la Septante lisent metV auvtou/ (« avec

lui »), suivis en cela par quelques manuscrits de la Vulgate qui lisent in sinu suo (« dans son

sein »). Les questions sont les mêmes que ci-dessus. Là aussi, le problème est lié aux deux

précédents. Il sera donc traité en même temps qu’eux.

Finalement, tous les problèmes signalés dans ce verset sont les ramifications d’un même

problème. Il y a, par contre, un autre problème, plus significatif, mais qui n’a pas été signalé

par la BHS. Il s’agit des mots 7 */ *��= ˚ù�?� �� �7ùÍ (« et elle le soignera » ou « et qu’elle le soigne »).

L’OHB, à la suite du texte grec antiochien, dit lucianique (4e s. de notre ère), n’a pas édité ces

mots, parce qu’il estime qu’ils sont secondaires (voir pour cela la conférence de J. Koulagna

au Colloque de l’IOSCS, « Les mots 7 */ *��= ˚ù�?� �� �7ùÍ dans 1 Rois 1,2 », Helsinki, 2010)

Les problèmes sont signalés, à l’intérieur de chaque verset, par les lettres de l’alphabet latin,

par ordre : a, b, c, etc.

Au v. 3, c’est le mot �Í� �Á (« région ») qui est surmonté d’un a. L’apparat critique indique que

ce mot manque dans un manuscrit grec du texte antiochien. « Dans tout Israël » ou « dans

tout le territoire d’Israël », c’est une indication géographique qui ne change rien au sens.

Donc, c’est un problème sur lequel on peut passer.

Dans le même v. 3, la BHS signale des transcriptions différentes du nom de la jeune femme

dans les anciens manuscrits grecs et dans la version syriaque dite de la Peschitta (ou

Peschitto), avec renvoi au texte de Ct 7,1. Sans importance exégétique.

Des mots et des expressions importants

Les mots et expressions-clés doivent faire l’objet d’une étude minutieuse dans les

dictionnaires et encyclopédies, pour enrichir votre commentaire exégétique. Cette phase est

donc de brouillon, et n’a pas besoin d’être mise comme une partie à part. Ses résultats seront

intégrés dans votre commentaire au fur et à mesure que vous évoluez dans la rédaction.

Introduction à l’exégèse de l’Ancien Testament 19

�ù � � �� �� � �� �ù �� (« mais il ne fut pas réchauffé ») – verbe ��� – se réchauffer, se sentir chaud. Ce

mot est au centre des vv 1-4 et comporte un enjeu interprétatif important pour cette section et

éventuellement pour la suite du récit de la transition • 7 */ *��= (« soignante »), de la racine $�=

• �� ;ù *&� %�ù (« dans ton sein »), en lien avec le verbe � �� �� �› �� (« et elle [se] couchera »), de la

racine ��R. Son importance est liée au verbe ��� ci-dessus • � ��Í7 �� � �� 34 �/ « une jeune fille

vierge » – voir les deux mots et leur sens particulier, s’il y en a • Í�ù %7 �� �› �̇ ù �� (« et elle le servit »),

de la racine 7�R – voir le lien éventuel avec la racine $�= • Èù B4 �� �� � �� � (« il ne la connut pas ») –

verbe 4��.

La place du texte dans son environnement (contextes)

Habituellement, le texte que vous étudiez fait partie d’une unité ou d’un ensemble littéraire

large, proche ou immédiat. Cet ensemble peut être thématique ou littéraire, et votre texte y

tient une place particulière. On parle de contexte large (ou lointain), proche et immédiat.

Pour le texte de 1 Rois 1,1-4, le contexte large (lointain) peut être défini de plusieurs

manières. Soit on tient compte des livres de Samuel-Rois comme unité littéraire, et le récit dit

de la transition (2 S 9-1 R 2) devient le contexte large ; soit 1 Rois est considéré comme

autonome, et les onze premiers chapitres, qui traitent de l’histoire de Salomon, sont le

contexte large.

Dans un cas comme dans l’autre, les chapitres 1-2 sont le contexte proche. Ils traitent en effet,

à l’intérieur de la grande histoire de la transition ou de celle de Salomon, de l’accession de

celui-ci au trône.

Quant au contexte immédiat, il est moins évident. Il ne s’agit plus d’un simple découpage de

texte, mais de lien organique que votre texte entretient avec son environnement. Ce lien

organique est indiqué par le biais d’une étude littéraire et structurelle serrée. Le texte, qui

fonctionne comme un prologue, n’a pas de lien immédiat apparent avec ce qui précède,

même si le � du début du texte semble établir un lien avec le récit précédent. Mais on voit

bien que le lien est artificiel. Par rapport à la suite, par contre, l’affirmation de la vieillesse et

de l’impotence physique de David permet au narrateur d’introduire et d’expliquer le

déclenchement de la lutte pour sa succession. De plus, la figure de la Sunammite annonce

l’influence des femmes dans la course au pouvoir. Au chapitre 2, elle sera la cause immédiate

de l’élimination par Salomon de son concurrent et demi-frère Adoniyah.

Le contexte socio-historique

Le texte de votre étude est le produit d’un milieu et appartient certainement à une tradition

historique et/ou culturelle. L’étude du contexte historique permet de comprendre les

pratiques et traditions de l’époque et jette une lumière sur la compréhension du texte ; elle

permet aussi de voir la nature du lectorat visé initialement et la manière dont ce lectorat a pu

lire et comprendre le texte.

20 J. Koulagna

Pour le texte de 1 R 1,1-4, il faut s’interroger sur la date de composition du récit (récit de

transition ou récit de Salomon), en tenant compte de l’évolution du texte dans le temps,

notamment le mouvement deutéronomiste avant, pendant et après l’exil, sur les réalités

socioreligieuses de ces différentes époques. Cette section a-t-elle quelque chose de spécifique

relatif à ces époques ? On peut aussi s’interroger sur les pratiques socioculturelles de

l’époque, par exemple le lien entre la royauté et la sexualité (pour comprendre l’importance

d’une jeune femme auprès d’un vieux roi malade), le concubinage royal, les pratiques

médicales (par ex. réchauffer un vieillard par le corps d’une personne jeune…).

Des éléments littéraires et stylistiques

Par exemple :

‒ Le jeu des extrêmes : le roi très vieux (en héb. « vieux et allé dans les jours », rendu

dans certaines versions grecques par πρεσβυτερος σφοδρα (« très vieux » LXXL)

d’une part, la jeune fille « extrêmement belle » (��� �4 �A�) d’autre part.

‒ Le jeu des opposés : l’extrême vieillesse du roi contre l’extrême jeunesse de la fille (���7� ��4/ – « jeune fille vierge »).

‒ La succession inhabituelle des inaccomplis à sens jussif : �R&�� ...���4� ...��7� ...���R� (« qu’on cherche… qu’elle se tienne… qu’elle soit… qu’elle se couche ») (v. 2) – cf. J. Koulagna, conférence citée ci-dessus.

‒ Etc.

Ces éléments et bien d’autres n’ont pas besoin de faire l’objet d’une section à part. Ils

s’intègrent dans le corps de votre commentaire au fur et à mesure que vous le rédigez. Ils

montrent comment la construction matérielle et littéraire du texte véhicule ou crée le sens,

comment l’auteur essaie de faire passer son « message », de le rendre attrayant, de susciter

une réaction ou une adhésion de son lecteur, etc. Si ces éléments n’ont pas d’incidence sur la

compréhension ou le sens du texte, il n’est pas important de les relever.

Le commentaire exégétique proprement dit

C’est l’explication du texte, verset par verset, à partir des mots importants dont vous donnez

des explications et relevez le contenu théologique, comment ce contenu rentre (ou ne rentre

pas) dans la signification de votre texte. Pour un texte qui est long, ce commentaire suit ses

grandes articulations que vous aurez préalablement définies en introduction. Mais pour le

texte de 1 R 1,1-4, il suffit de suivre son évolution verset après verset. Votre commentaire

peut s’enrichir des travaux existants (études sur le texte, commentaires…). Il fera intervenir

les éléments importants de la critique textuelle indiqués au début du travail et étudiés en

profondeur au brouillon, de manière à voir comment les divergences induisent

éventuellement des significations variantes. Il fera aussi intervenir, là où cela apparaît

important, les éléments de forme et de style permettant une meilleure compréhension d’un

détail ou de voir les moyens utilisés par l’auteur pour se faire entendre et/ou accepter.

Introduction à l’exégèse de l’Ancien Testament 21

À la fin de chaque verset ou section de votre commentaire, il convient de dresser un bilan

théologique provisoire ou partiel, s’il y a lieu. Ces résumés théologiques facilitent la

construction d’une conclusion (ou résumé) théologique d’ensemble.

Attention : il ne s’agit pas d’un sermon ni d’un exposé dogmatique. L’objectif d’une exégèse

dans la perspective historico-critique est de saisir ce que l’auteur a voulu dire, comment il le

dit, et comment ses premiers destinataires ont pu le lire et le comprendre, indépendamment

des convictions dogmatiques de l’exégète. Ce que le texte a à nous dire relève d’un autre

domaine, l’herméneutique.

Il n’est pas souhaitable de faire du remplissage. Allez droit au but et dites l’essentiel. Ne

consultez les commentaires qu’après avoir fait votre propre analyse, afin de vérifier la

validité de vos affirmations et voir d’autres points de vue. Si vous commencez par voir les

commentaires, c’en est fait de votre liberté et de votre originalité. Vous risquez soit de

plagier, soit de dire ce que tout le monde sait déjà, soit encore de reproduire les erreurs des

autres, puisque vous n’aurez plus la distance critique nécessaire.

L’enchaînement de votre exégèse

Une introduction comprenant des indications textuelles, les éléments d’étude des contextes

et de structure, l’annonce des articulations de votre commentaire ;

Le corps du commentaire proprement dit, qui intègre tout ce qui est susceptible de donner

ou de révéler un sens du texte (éléments textuels et de style, excursus lexicographiques ou

théologiques…). Pour 1 R 1,1-4, les quatre versets peuvent constituer les parties du

développement de votre commentaire.

Une conclusion dans laquelle vous faites la synthèse théologique du texte. N’ajoutez pas ici

de nouveaux éléments. Ne posez pas de nouveaux problèmes que vous n’aurez ni le temps

ni les moyens d’aborder dans votre travail.

22 J. Koulagna

EXEMPLE PRATIQUE 2 : 2 SAMUEL 12,1-15A – APPROCHES SYNCHRONIQUES

Lecture du texte

Lire le texte, si on le peut, dans l’original hébreu ou dans une version ancienne. À défaut, le

lire dans une version suffisamment littérale pour avoir la chance de conserver des éléments

propres au génie de la langue et de la phraséologie hébraïque ou de la langue de la version.

Souvenez-vous que chaque version, en approche synchronique, peut être objet d’étude,

indépendamment du fait que le texte soit original ou pas. Ce qui importe, c’est le texte tel

qu’il apparaît dans sa forme actuelle. De ce point de vue, même les versions modernes

peuvent faire l’objet de l’intérêt d’un exégète synchroniste. Tout dépend de ce que vous

voulez.

Situer le texte dans son contexte narratif

Ce récit s’intègre dans un récit de guerre contre les Ammonites (chapitres 11-12) et est

destiné, dans ce contexte, à montrer que le péché individuel de David a des effets qui

s’étendent sur l’ensemble de la communauté, d’autant plus que David est le roi et incarne à

lui seul tout le peuple : Israël est battu (11,17), jusqu’à ce que David reconnaisse sa faute et

s’humilie ; ensuite seulement vient la victoire (12,26). Mais ce récit de guerre lui-même fait

partie de la grande histoire dite de transition (2 S 9-1 R 2) qui, tout en montrant les effets de

cette faute sur la suite de l’histoire de la famille royale (12,10-11), entame le processus de

sélection par éliminations successives des prétendants potentiels ou affichés au trône.

Une structure globale en cercles concentriques : le micro-récit se trouve au cœur d’un vaste projet

Macro-récit de la transition (2 S 9-1 R 2)

Guerre contre les Ammonites et faute de David (2 S 11-12)

Rencontre de David avec Nathan (12,1-15)

Parabole et réaction de David (12,2-6)

Se poser des questions simples

En général, ce seront les mêmes que dans une explication de texte ou un commentaire

composé, comme vous l’avez appris au secondaire, entre la classe de 4e et la classe de 2nde.

Introduction à l’exégèse de l’Ancien Testament 23

Qui parle ? (Nathan) De quoi parle-t-il ? (du riche et de la brebis du pauvre) À qui ? (à

David) Quel canal utilise-t-il ? (une parabole)

Schéma de la communication

Quel est le genre du texte : poésie ? Récit (histoire, conte, compte-rendu…) ? Discours ? Ici,

un récit de reproche incrusté d’une parabole. Y a-t-il des personnages ? Quels sont-ils (au

niveau du récit, Nathan et David, et dans la parabole, le riche, le pauvre, la brebis, les

étrangers du riche) et que font-ils ? Comment interagissent-ils entre eux ? (des rapports de

force inégale : entre David et Nathan d’une part, et entre le riche et le pauvre d’autre part). Y

en a-t-il qui sont plus importants que d’autres (principaux et secondaires : le riche et le

pauvre sont les principaux protagonistes dans la parabole, les étrangers des personnages

secondaires et la brebis un personnage passif) ? (ici, pas de schéma actantiel de Greimas ; il

se dessine plutôt dans le macro-récit – 2 S 11-12)

Pour l’ensemble de la péricope, il s’agit plutôt d’un dialogue incrusté dans une section

narrative qui commence par la venue de Nathan (v. 1) et s’achève par son départ (v. 15a). il

n’y a donc que deux personnages, égaux en importance. Le narrateur, qui distribue la parole

à tour de rôle aux deux protagonistes, fonctionne comme un troisième personnage (en tout

cas du point de vue du lecteur).

Comment le texte est-il construit, structuré ? (sections, enchaînements, progression,

textes/récits encastrés dans d’autres…)

v. 1 – ouverture : Nathan envoyé vers David (mise en place)

v. 2-4 – la parabole de Nathan

v. 5-6 – réaction et jugement de David

v. 7-14 – discours interprétatif de Nathan : « c’est toi »

v. 15a – clôture : Nathan s’en retourne chez lui

� Une structure concentrique, caractéristique de la littérature biblique, tant en poésie

(parallélisme chiastique) qu’en prose narrative. L’accent porte ici sur la réaction de David

contre l’homme inique de la parabole. En jugeant cet homme, David se juge lui-même. En

pointant l’index sur l’homme fictif de la parabole, il ne voit pas que son pouce est pointé sur

lui, homme réel. → L’ironie (elle aussi caractéristique du récit biblique) est mise au service

d’une leçon à apprendre : le justicier découvre sa propre injustice et se retrouve dans la

position de l’accusé.

Nathan Le riche et la brebis du

pauvre

David

Parabole

vint… et dit à

24 J. Koulagna

La fonction de la parabole : amener David à prononcer un jugement qui sera retourné contre

lui (« cet homme mérite la mort ! – v. 5… Il n’a pas de cœur ! » – v. 6), mais pour lequel il ne

peut ensuite accuser le prophète → fonction psychologique de persuasion, mais aussi

d’esquive de la part de Nathan. David est ainsi pris dans son propre piège (« cet homme,

c’est toi ! » – v. 7) et devient passagèrement un insensé. Nathan n’a plus besoin d’ajouter :

« c’est toi qui n’as pas de cœur ! » ; David doit être en mesure de tirer lui-même cette

conclusion.

→ Non-dit théologique du narrateur : « la crainte du Seigneur est le commencement de la

sagesse », et le mépris de la parole du Seigneur est signe et synonyme de folie. Un contraste,

qui exprime une autre ironie : tandis que le rapport des forces reste inégal dans la parabole, il

s’équilibre dans le récit extérieur : le pouvoir royal de David est contrebalancé par l’autorité

divine dont se revêt le prophète. À la fin, c’est le plus fort (David) qui va s’humilier devant le

plus faible (Nathan).

→ Un reflet de la théologie et de l’idéologie deutéronomiste selon laquelle le pouvoir

véritable vient de Dieu par ses envoyés (les prophètes) et la Torah (ici « la parole du

Seigneur »), et que le roi est jugé en fonction de sa soumission à la parole des prophètes et la

loi de la Torah (cf. les formules d’appréciation des rois en fin de règne dans les livres des

Rois : « Il fit ce qui est bien (ou ce qui est mal) aux yeux du Seigneur ».

→ Mais aussi le reflet d’une lutte pouvoir sur fond religieux : le pouvoir religieux (représenté

ici par le prophète) essaie de s’affirmer face au pouvoir monarchique (cf. les rapports

tumultueux de Samuel avec Saül dans 1 S 15-16 qui se soldent par un coup d’état et les

manœuvres futures de Nathan dans le récit de l’ascension de Salomon en 1 R 1-2).

Au-delà de l’immédiateté du texte…

Le récit amorce la légitimation du choix de Salomon (dont la naissance sera saluée comme

une consolation, après l’humiliation de David – sur fond de repentance, autre thème majeur

de la théologie deutéronomiste), qui sera visible en 1 R 1-2.

→ Manipulation politico-idéologique (discréditer le héros sur un fait divers pour mieux

l’élever et le légitimer au plan religieux et politique) ou collusion de traditions textuelles

différentes et antagonistes (problèmes rédactionnels) ?

→ David présenté comme l’homme idéal selon le modèle deutéronomiste : il a péché, mais a

ensuite reconnu son péché et s’est humilié

→ Autre trait de la théologie deutéronomiste : Dieu qui punit le péché et Dieu qui pardonne

(cf. la prière de Salomon lors de la dédicace du temple : pétitions 2, 3, 4 et 7 en 1 R 8,33-40.46-

53)

On a affaire à une structure d’ensemble basée sur le jeu des opposés, qui mêle critique de

l’institution royale et respect de la dynastie davidique, ironie et parole d’espérance, mais qui

Introduction à l’exégèse de l’Ancien Testament 25

exprime également les rapports d’autorité entre l’institution royale et l’institution

prophétique.

L’articulation de votre exégèse

Il n’y a pas un enchaînement modèle. Mais simplement deux choses, contradictoires à

l’apparence, dont il faut se souvenir.

Premièrement, le texte biblique est un texte ancien, comme n’importe quel autre, sur le plan

littéraire. Il doit donc être traité comme tel, avec un recours aux éléments de critique textuelle

ou historique là où cela est nécessaire (il ne faut pour cela pas retourner à l’historico-

critique) : reprenez vos cahiers d’initiation au commentaire composé et à l’explication de

texte, de la classe de seconde, et suivez-en la démarche.

Deuxièmement, le texte biblique est un texte religieux, sacré. Sur ce plan, il n’est donc pas un

texte comme n’importe quel autre. Il a donc forcément une portée théologique, apparente ou

non. L’analyse structurale (narrative pour ce qui nous concerne maintenant) a pour but de

montrer comment le narrateur ou l’auteur met en œuvre sa théologie ou son message, de

décrypter le theology making littéraire du texte.

Dans ce processus, les quatre temps ci-dessous me semblent résumer l’ensemble de la

démarche. Ils ne sont pas exhaustifs comme recette, mais facilite la compréhension de l’esprit

de cette démarche :

1. Commencez par situer le texte dans le temps et dans son environnement narratif

(c’est en quelque sorte l’étude des contextes, comme dans l’exégèse historico-critique)

en veillant à faire apparaître les liens, les enchaînements, les mots-crochets éventuels,

etc.

2. À la manière d’un anatomiste, disséquez votre texte en montrant les éléments

littéraires ou thématiques qui le structurent. La structure littéraire formelle

(découpage) ou thématique et théologique (obtenue par regroupements ou

recoupements de thèmes) peut éventuellement servir de canevas à votre rédaction.

3. Le travail de labo ainsi terminé, organisez votre rédaction (la synthèse commentée

des résultats de votre étude) comme une dissertation, en faisant ressortir les moments

théologiques du texte ainsi que les éléments littéraires et stylistiques qui les mettent

en valeur.

4. À la fin, en guise de conclusion, faites un résumé succinct des principaux points

théologiques de votre commentaire, et montrez comment votre texte prend place (ou

ne prend pas place) dans un ensemble narratif ou historico-temporel global.

26 J. Koulagna

EXEMPLE PRATIQUE 3 : ÉSAÏE 40,1-11 – APPROCHES CONTEXTUELLES

HERMÉNEUTIQUE DE LIBÉRATION

Lecture du texte

Lire le texte, dans n’importe quelle version, et observer les éléments qui reflètent la situation

actuelle du lecteur : les thèmes, les mots et expressions, les images, les indications sociales

et/ou politiques, etc.

Les thèmes de ce texte sont, entre autres : la consolation d’Israël, la puissance de Dieu et de

sa parole, la venue du règne de Dieu, le caractère éphémère de toute créature…

Les substantifs

Servitude (ab'c' – litt. « armée » v. 2) : le mot désigne ici un travail collectif, dans le sens de

corvée (équivalent de =�), mais aussi dans celui de service militaire (cf. Nb 1,3 ; 8,24 – le

verbe de même racine signifie à la fois « aller en guerre » et « servir » (dans un culte par

exemple). Dans tous les cas, il s’agit d’un service réquisitionné, d’un travail forcé. D’où l’idée

de corvée. ab'c' est utilisé en relation avec iniquité et péché ($�4 et ��T� v. 2) : s’agit-il d’une

punition ou d’une oppression ? • Désert et lieux arides (hB'rU[] et hL'Þsim. v. 3) – le mot hB'rU[]

(presque synonyme de rB'd>mi, mais traduit souvent par « steppe » dans les versions

modernes) fait penser à l’Arabie • Vallée (ay>G :), montagne (rh;), colline (h['b.GI), coteau (bqo[') et

plaine (rAvymi), défilés étroits (ou lieux raboteux – sk,r, v. 4) • Toute chair (v. 5-6), herbe et

fleur (v. 6-7)

Les verbes à l’impératif et au jussif

Consolez (v. 1) : le verbe ���/ est au piel (~x;nI), ce qui met un accent sur l’action de consoler (le

verbe est inusité au qal et utilisé souvent au niphal (~x'nI) ou au hitpael (formes réflexives

parfois à sens passif). Il s’entend comme « consoler », mais aussi comme « regretter » •

Parlez au cœur – ���� ��?�4 (v. 2 – par. Rt 2,13 ; 2 S 19,8) : toucher le sentiment, parler

gentiment – expression d’affection profonde • Préparez (ÍÚı') le chemin – rendre clair,

dégager (par. Es 57,14 ; 62,10) • aplanissez (« rendez droit » – ��R� v. 3), soit exhaussée, soit

abaissée (lpev') (v. 4), crie (v. 6) • Élève avec force ta voix, ne crains point (v. 9)

Les verbes à l’affirmatif

… est finie, est expiée (v. 2), la verra (v. 5), le comparatif ‘’est comme’’ (v. 6), sèche, tombe (v.

7), le vent du Seigneur souffle, il vient avec puissance, il commande, son salaire est, sa

rétribution le précède (v. 10), il paîtra, il prendra, il portera, il conduira (v. 11).

Remarques

‒ Les verbes à l’affirmatif sont liés à l’action de Dieu ou en comparaison avec Dieu

Introduction à l’exégèse de l’Ancien Testament 27

‒ Les verbes à l’impératif et au jussif s’adressent au prophète (v. 1-2, 6) et au peuple (cf.

le reste du texte) et l’appellent à une action en vue de l’épiphanie de Dieu ; ils

expriment la consolation

‒ Des mots exprimant la souffrance : servitude, vallées et collines, défilés étroits…, mais

aussi une procession

Quelques repères historiques

Avec le second Ésaïe (Es 40-55), l’élite de Juda est en exil depuis plus d’une trentaine

d’années. Après avoir été esclave en Égypte, le peuple d’Israël était devenu une nation avec

un roi, un temple et une terre. Avec la déportation, ces choses qui font son identité ont

disparu, le temple a été profané par les Babyloniens. Pour les exilés, c’est le pire désastre qui

puisse arriver. La déportation a été interprétée comme la punition de Dieu à cause de la

désobéissance du peuple. C’est du moins l’analyse de plusieurs observateurs, par exemple

ceux du mouvement dit deutéronomiste.

Le prophète inconnu à qui la tradition a donné le nom d’Ésaïe, est parmi les exilés. Mais il

voit venir les signes des temps, avec la montée en puissance de la Perse de Cyrus et la

décadence de l’empire babylonien. Il parle donc de l’espérance ; mais il doit aussi répondre à

la question délicate de la manière dont Dieu agit dans les détresses de l’histoire humaine :

qui dirige, au fond, cette histoire ?

Pour lui, les événements politiques qui se déroulent dans la région montrent que c’est Dieu

qui dirige l’histoire et est en train de se souvenir de son peuple, et le temps de la libération

est proche, et avec cette libération, la rétribution.

Éléments d’attache pour une herméneutique contextuelle de libération

Trois éléments apparaissent dans cette prophétie :

‒ La consolation du peuple,

‒ La dérision contre l’empire babylonien qui est comparé à de l’herbe et à une fleur, et

‒ Une espérance messianique : la corvée est finie et Dieu lui-même s’occupera de son

peuple ; cela sous-entend une critique d’un régime (Dieu est présenté comme le

berger idéal, ce qui est une critique implicite adressée aux mauvais bergers, mais on

ne sait pas exactement qui sont ces mauvais bergers : les Babyloniens ou les

responsables infidèles d’Israël et de Juda qui ont conduit le peuple à la ruine).

Se profile l’idée d’un exode : les versets 3 à 5, en insistant sur la préparation de la route,

l’abaissement des montagnes et des collines, le nivellement des coteaux et le remblai des

vallées, invitent à une procession symbolique qui rappelle, voire renouvelle le mouvement

de l’exode. Comme Dieu a manifesté sa gloire en conduisant son peuple hors de l’Égypte, il

manifestera encore sa gloire en conduisant les exilés hors de Babylone. Le lieu théologique ici

est la théologie de la captivité, qui ne se dissocie pas de la théologie de libération.

28 J. Koulagna

Or, le thème de l’exode et celui du nouvel exode sont des thèmes de prédilection de la

théologie de libération. Parce que celle-ci met en lumière deux classes sociales : une classe

d’oppresseurs et une classe d’opprimés et de pauvres ; elle montre aussi que Dieu prend le

parti des derniers au détriment des premiers.

Il s’agit d’une herméneutique qui se fait dans le contexte d’une théologie du politique. La

question est : « Comment Dieu peut-il parler face aux situations politiques nouvelles alors

que la révélation biblique est close ? Clodovis Boff répond : la révélation est close certes, mais

seulement comme canon, et la clôture du canon est une porte ouverte aux multiples

possibilités de lecture des moments historiques successifs (Boff, Théorie et pratique, p. 238).

Ces lectures se font par le moyen d’une médiation herméneutique.

La médiation herméneutique

Comment s'opère concrètement la lecture politique de l'Écriture ? En termes de pratique

théorique, la médiation socio-analytique est un outil indispensable pour que l'Écriture « se

vive » ou s'incarne dans une situation historique donnée. Mais il se pose la question épineuse

de la mise en rapport d'un système de signifiants bibliques avec le flux des événements

multiples, avec tout ce qu'elle peut comporter comme risque d'emploi abusif et incontrôlable

de l'Évangile. En tout cas, le modèle classique de l'herméneutique de libération est le

« modèle des termes correspondants », qui se présente de la manière suivante :

Écriture = théologie du politique

Sa situation politique = notre situation politique.

On est arrivé à cette gamme de parallélisme

Exode = Libération (théologie de libération)

Esclavage des hébreux = oppression du peuple

Babylone = oppression (théologie de captivité)

Israël = peuple d'Amérique latine

Jésus = Chrétiens

Son contexte politique = contexte politique actuel, etc.

Boff suggère un modèle alternatif qui peut se traduire ainsi :

Jésus de Nazareth = Christ + Église

Son contexte Contexte de l'Église

Tradition ecclésiastique = N o u s

Contexte historique Notre contexte

… et se déduire comme suit : E c r i t u r e = N o u s

Son contexte Notre contexte

Introduction à l’exégèse de l’Ancien Testament 29

Pour le texte d’Ésaïe 40, on peut établir, dans le contexte d’une herméneutique de libération,

les liens suivants :

• Israël → les opprimés, en contexte de domination économique et politique par

exemple. Les opprimés peuvent être les pays pauvres soumis à la loi de la

mondialisation et des multinationales toutes-puissantes ou au diktat des pays

occidentaux (les anciennes métropoles notamment) qui entretiennent des régimes de

dictature en Afrique pour sauvegarder leurs seuls intérêts. Les outils de l’analyse du

social seront en général ceux des modèles marxistes, avec un accent mis sur les

clivages sociaux et la lutte des classes. Le contexte du lecteur oriente la lecture du

contexte du texte

• L’annonce de la fin de la corvée → l’annonce d’une libération de la domination

politico-économique. La préparation du chemin, l’aplanissement des montagnes et

des vallons, etc. peuvent signifier la lutte de libération et pour l’égalité. En contexte

latino-américain, il s’agira de la mise sur pied des communautés de base en vue de la

construction d’une méthodologie de lutte. L’espérance messianique (l’épiphanie du

Seigneur) impliquera, dans ce contexte l’avènement d’un temps où Dieu montrera

clairement son parti-pris en faveur des plus faibles

• La situation politique d’Israël (précisément ici de Juda) → la situation politique du

lecteur en position de défavorisé.

Une telle analyse ne soulignera pas assez (ou pas du tout) la captivité comme conséquence

du péché tel cela est entendu dans le texte. Parce que dans ce contexte de théologie et

d’herméneutique politique, le péché, c’est l’oppression (ici la captivité) et le pécheur

l’oppresseur (ici le régime babylonien), non Israël.

Votre rédaction, à l’issue de cette analyse, pourra avoir une structure comme celle-ci

Une introduction

Dans cette introduction, vous pourrez par exemple situer le texte dans son contexte

historique, indiquer son intérêt herméneutique pour votre propre contexte et les principales

thématiques qui, de votre point de vue, adresse votre situation actuelle en tant que lecteur.

Un développement

Vous y reprendrez les thématiques relevées dans votre introduction. Ici, ce seront par

exemple les thèmes de :

‒ l’oppression d’Israël et des pauvres de notre temps,

‒ la dérision des puissances d’oppression dans le monde et l’appel à une action de

libération,

‒ l’espérance messianique et le rêve d’un changement social en faveur des opprimés.

Une conclusion

30 J. Koulagna

Dans cette conclusion, vous ferez une synthèse des principaux points de votre

démonstration, en soulignant ce qui pour vous est le cœur de ce texte et de son actualité et,

éventuellement, vous pourrez lancer un appel à une action et/ou suggérer, en forme

d’ouverture du débat, la poursuite de la réflexion sur un élément important en lien avec

votre démonstration mais que, faute de temps, vous n’avez pas pu aborder ou approfondir.

Attention, cependant, au hors-sujet. C’est un peu risqué !

Introduction à l’exégèse de l’Ancien Testament 31

REMARQUES ET QUESTIONS CONCLUSIVES : MÉTHODES EN CONFLIT ? UNE VIA

AFRICANA ?

1. Un recul des préoccupations historico-critiques, et pourtant…

• Et le grand siècle de l’historicisme toucha à sa fin, à partir du dernier tiers du 20e

siècle, en particulier dans les études du Pentateuque : la théorie documentaire dans le

système Graf-Wellhaüsen commence à être remise en question

• Les impasses sont mises en évidence, aussi bien aux plans méthodologique,

herméneutique qu’épistémologique

• Au plan méthodologique, on reproche à l’exégèse historico-critique la trop grande

technicité de sa méthode, qui « enferme le texte derrière des montagnes d’érudition »

• Au plan herméneutique est dénoncé le manque d’attention pour l’aujourd’hui du

texte

• Au plan épistémologique, on critique « un certain positivisme scientifique qui pose

une prétendue objectivité et neutralité du chercheur » → La réalité est qu’il n’existe

pas d’exégèse neutre

• Et cependant, l’exégèse historico-critique s’affine en intégrant les données purement

littéraires ; elle infiltre les nouvelles approches, à un degré plus ou moins important

• Elle offre des balises historiques nécessaires permettant de situer les textes dans le

contexte de leur apparition

• Les découvertes de Qumran, les projets d’édition des bibles hébraïques (BHQ, HUB,

OHB) et des anciennes versions (Septante et recensions, Peschitta…), ainsi que les

projets de traductions modernes de la Bible redonnent leur place aux méthodes

diachroniques, en particulier dans la critique textuelle et l’histoire du texte.

2. La narratologie a-t-elle le vent en poupe ?

• En redonnant sa place au texte et à sa structure interne (contrairement aux méthodes

diachroniques qui ont tendance à le déconstruire), on redécouvre que la Bible, avant

tout, raconte

• La découverte des traditions orales des peuples dits primitifs, l’influence du

structuralisme anthropologique (avec par ex. Claude Lévi-Strauss), ainsi que

l’omniprésence de la communication, ont peut-être joué un rôle dans ce sens

• L’expression : « l’exégèse à l’heure du récit » et les nombreuses études récentes sur le

récit biblique (Robert Alter, André Wénin, Daniel Marguerat, etc.) tendent à montrer

que la narratologie représente l’avenir de l’exégèse

32 J. Koulagna

• Mais les méthodes structurales, y compris la narratologie, ne sont pas exemptes de

critiques

• On leur reproche d’être souvent trop subjectives, poursuivant « ce qui est vrai pour

moi » plutôt que « ce qui est vrai », et d’ignorer tout l’aspect cognitif et dogmatique

du message biblique pour se concentrer sur les formes

• Le jargon parfois trop technique leur vaut également la critique d’ésotérisme adressée

aux approches historico-critiques

• Au plan méthodologique, on remarque une grande variété d’approches parfois

contradictoires ainsi qu’une imposition des concepts occidentaux à des textes anciens

et l’élimination de l’auteur qui, au mieux, est transformé en une marionnette

• Il reste cependant que les approches narratives peuvent être porteuses pour l’avenir

de l’exégèse biblique en Afrique. Elles permettent éventuellement de prendre en

compte de l’oralité narrative (avec ce qu’elle comporte d’outil mythique ou

légendaire) comme expression historique dans bien des cultures africaines (l’épopée

mandingue de Soundjata Keita peut être un excellent parallèle à ce niveau) – à

condition que soit appliquée une méthodologie appropriée à ce type de narrativité.

Les méthodes de l’ethnolinguistique et de l’ethnostylistique proposées par Gervais

Mendo Ze pour l’analyse des textes à caractère oral pourraient devenir une piste

fructueuse. À suivre…

3. Postmodernité entre déconstruction et anarchisme herméneutique – les lectures

plurielles

• L’expérience des deux grandes guerres du 20e siècle a provoqué une remise en

question des prétentions de la modernité et à une certaine réticence, dans le domaine

de la pensée, de l’art et des sciences humaines, vis-à-vis de tout ce qui est système

organisé, rationnel et cadré

• On parle de déconstruction : déconstruction de la métaphysique comme philosophie

de la présence et accent porté sur le mouvement ou le jeu sans fond qui produit les

différences (cf. Jacques Derrida qui appelle ces différences « différance »)

• Contre la prétendue objectivité du modernisme, la postmodernité valorise la vérité

subjective, avec parfois une pointe ironique

• En matière d’exégèse et d’herméneutique, Paul Ricœur, par ex., fait une critique de

l’interprétation existentialiste de l’être-là, et par ricochet, de l’exégèse existentiale

dans sa forme heideggérienne. Il se situe au carrefour du structuralisme et du

poststructuralisme, et met un accent sur le langage et l’interprétation du sens

• Parallèlement à la postmodernité, et peut-être à sa faveur, on assiste à une profusion

d’approches affichant clairement une prise de position sociopolitique (donc une

Introduction à l’exégèse de l’Ancien Testament 33

subjectivité sublimée), et que nous avons enrôlées sous la bannière d’approches

contextuelles : herméneutiques de libération, féministe, théologies noires

• L’univers de l’exégèse biblique devenue plurielle peut donner l’impression d’un

anarchisme herméneutique. Mais il permet de libérer l’exégèse de la fausse prétention

à la neutralité prêchée par les méthodes historico-critiques depuis l’époque des Pré-

lumières et de l’enraciner dans l’expérience vécue et le présent du lecteur.

4. Vrai ou faux conflit des interprétations ?

• L’exégèse biblique, c’est une longue histoire de réception et d’interprétation de la

Parole devenue Écriture : une histoire marquée par des conflits de méthodes, entre

« vrais » et « faux » prophètes, entre « hérétiques » et « orthodoxes », entre écoles

rivales et entre époques

• Dans ces conflits, il arrive que la méthode juste et l’interprétation juste soient la

méthode et l’interprétation dominantes, c.-à-d. qui recueillent le plus de suffrage des

lecteurs croyants, qui expliquent ou justifient la théologie reçue et les intérêts de

l’Église ou qui sont simplement à la mode

• Parfois, les conflits sont liés à la conception et à la compréhension de l’inspiration et

de l’autorité de l’Écriture pour le lecteur. Ces éléments nourrissent les conflits entre

fondamentalistes et libéraux, entre « fidélistes » et révisionnistes, par exemple sur

l’interprétation des textes relatifs à l’homosexualité ou à la place et au rôle des

femmes dans l’église

• Au plan méthodologique, le conflit des interprétations est en général le fait d’un

esprit scientifique sectaire, qui n’admet comme scientifiquement valable qu’une

approche univoque (par ex. l’historicisme à prétention d’objectivité et de neutralité et

le structuralisme à prétention de technicité)

• Mais la pluralité des lectures et des regards peut devenir une richesse et une

expression de la Parole qui n’est pas nôtre, mais qui est en mesure de s’adresser à

chaque peuple, à chaque culture, à chaque personne en contexte, et qui peut dévoiler

ainsi les faces variées de la Vérité dont elle rend compte.

5. L’Afrique sur la scène des sciences bibliques : état des lieux

• Depuis le retour du christianisme sur le continent à l’époque de la grande mission, et

en particulier depuis la naissance des églises africaines et de leurs écoles de formation

biblique et théologique, l’Afrique redevient un champ d’exégèse et d’herméneutique

bibliques

• Mais l’exégèse et l’herméneutique africaines de la Bible ont été longuement et

continuent encore à être marquées par les méthodes occidentales héritées des

missions

34 J. Koulagna

• Ceci est dû au fait que les missionnaires soient encore présents dans les écoles avec

leur vision et leur argent, au fait que les exégètes africains soient eux-mêmes

majoritairement formés en Occident ou à l’école occidentale, mais aussi à la perte ou à

la dévalorisation des intuitions interprétatives africaines suite à la colonisation et la

christianisation menée comme campagne civilisatrice et de destruction des traditions

« sauvages » ou « primitives »

• La recherche biblique africaine jusqu’ici est dominée par la théologie biblique, avec

les approches comparatives, et assez peu par l’exégèse (cf. Koulagna, Dire l’histoire

dans la bible hébraïque, p. 166-171)

• Les travaux exégétiques, eux, sont essentiellement marqués par la méthode historico-

critique traditionnelle, y compris quand la préoccupation est clairement

sociopolitique ou culturelle

• Mais l’histoire de l’esclavage transatlantique et les contextes colonial et postcolonial,

ainsi que la politique raciale en Afrique du Sud, ont également poussé les biblistes

africains à développer une herméneutique africaine de libération (ex. Gerald West,

Afrique du Sud)

• Il existe bien d’autres approches africaines qui, faute de recherche clairement

identifiée et de méthodologie bien définie, n’arrivent pas à trouver leur place dans

l’univers académique. C’est le cas par exemple de l’herméneutique de délivrance,

orientée vers les phénomènes spirituels et paranormaux ou de l’herméneutique néo-

traditionnelle, c.-à-d. ce que West appelle l’exégèse des « lecteurs ordinaires »,

tournée vers les besoins de la vie des lecteurs.

6. Un apport de l’Afrique à l’exégèse et à l’herméneutique bibliques – problème de

méthode

• La recherche biblique africaine est à la recherche d’une méthodologie appropriée, qui

tienne compte des intuitions littéraires et interprétatives des cultures africaines : bien

des études africaines en sciences bibliques souffrent d’une insuffisance de maîtrise

des méthodes historico-critiques héritées de l’Occident et, dans les études

culturellement orientées, il y a souvent une hybridation mal assumée des méthodes

des disciplines mises à contribution (par ex. l’anthropologie sociale)

• Comme apport de l’intuition africaine, une exégèse africaine pourrait par exemple

attirer l’attention sur les origines orales de la plupart des textes bibliques, notamment

dans le domaine de la critique des sources ou de la critique des formes. Elle

consisterait à souligner le caractère oral des textes que semble masquer l’écriture ;

autrement dit, à redécouvrir l’importance de la Parole dite et entendue qui, en dépit

de son caractère apparemment instable, reste vivante

• Parce que l’environnement socioculturel et linguistique de la Bible, en particulier de

l’Ancien Testament, est souvent plus proche de l’Afrique que de l’Occident

Introduction à l’exégèse de l’Ancien Testament 35

• Parce que l’Afrique, même moderne, dans la diversité de ses cultures et sa situation

socioéconomique, a besoin d’une parole qu’elle peut entendre dans son propre

contexte, et pas seulement d’une littérature écrite rangée dans le temps et dans

l’espace

• Mais cela demande un travail rigoureux, qui va au-delà de l’immédiateté de la

condition de vie du lecteur. Les biblistes africains devront travailler à l’élaboration

d’une méthodologie pertinente qui prenne par exemple appui sur des outils

d’analyse de la tradition orale, et qui pourrait éventuellement s’exporter vers des

contextes analogues, y compris en Occident.

36 J. Koulagna

INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES SOMMAIRES

Bauks M. & Nihan C. (éds), Manuel d’exégèse de l’Ancien Testament, (MdB 61), Genève, Labor

et Fides, 2008 (lecture obligatoire – pages à photocopier ou à lire sur le web)

Eck E. van, “The Word Is Life: African Theology as Biblical and Contextual Theology”, in

HTS 62, 2006, p. 679-701

Koulagna J., Dire l’histoire dans la bible hébraïque, Stavanger, Misjonshøgskolen, 2010, spéc.

chap. 6-7 (lecture obligatoire)

Koulagna J., Introduction à l’exégèse de l’Ancien Testament, Garoua-Boulaï, ELFBT, 2000, cours

non publié (base du cours 1)

Koulagna J., Lecture plurielle et herméneutique (encore intitulé Lecture plurielle du NT),

Meiganga, ILTM, 2002, cours non publié (base du cours 2)

Krog L., « African Hermeneutics: The Current State », Cours, South African Theological

Seminary, November 2005 (resource Internet)