intersection article dorlin

8/3/2019 Intersection Article Dorlin

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De l'usaqe epist 'e,mologique , e ' t poUtiquedes categlories de sexe et de < :c race ,

dans les etude,s sur Ie ,g en re I

Elsa Dorlio

De I'usage epistemologique et politiquedes categories de sexe et de racedans les etudes sur Ie genre I

Elsa Dorlin

ResumeA par ti r d 'une ref lexicn sur l e bteck femsnism, eel article traite de I'arti-

culat ion entre domination de genre et racisme, en tant qu'el le const itue l 'undes enjeux theoriques et polit iques les plus importants du feminisrne anglo-saxon: dans queJle mesure l 'exper ience de la segregat ion rac ist e modelecel le du sexi srne e t met a mal l 'unite polit ique du feminisme ? Si Ie suje tideologique femme a implose sous la c ri ti que du pat ri arca t, qu' en est -i ldu sujet pol it ique du feminisme lui -meme, Nous les femmes w ] Notrethese consiste a montrer comment l es dis cours de la dominat ion met tent adisposi tion des groupes opprimes des cadres anhis toriques qui reifient sanscesse ces memes groupes , jusque dans leurs a ff irma tions posi tives. Dansces condi tions, en voulant deessenti al ise r Ie sujet du feminisme, lesfemmes , lerisque est de Ie renatural iser en une myriade de sous-categories( le s femmes noires, l es femmes voi lees, l es femmes rnigrantes . .. ) qui de-viennent des prealables 3UX lut tes. De notre capacite a reveler l'historicitede I'entremelement des categor ies de sexe et de race et it user detechniques de rumultes iI meme d'inventer un aut re l angage pol it ique , de-pend notre capacite d'agir et de se penser comme sujets politiques elldevenir,

FEMINISMES - BLACK FEMINISM - DOMINATION - INTERSECTIONNALITE -COLONIALISME - POSTCOLONIALISME- RESISTANCES - ETATS-UNIS

I Je tiens a remercier Eleni Varikas pour l 'artenrlon qu'el le a portee a c e texte- nombre des problemat iques developpees lei sont grandement redevables deses recherches, de ses reflexions et de ses engagements tbeoriques.


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84 El sa Dorli nSexe et raoeToutes lesfemmes som blanches et tous lesNoirsson! des hommes ... 2 - bla.ckfeminist revolutionAu milieu du X I X " , siecle, au moment de I'emergence desmobilisations feministes americaines pour Ie suffrage feminin

les rnilitantes afro-americaines, anciennes esclaves ou descen-dantes d 'esclaves, dont Sojourner Truth est I 'uae des figures lesplus emblematiques 1, on t e t e vio lemment confron tees au raeisme,non seulement des detracteurs misogynes de cette revendication,mais aussi it celui d'une partie des militant(e}s abolitionnistes etfeministes, Si nombre d'associations ant decide de mener uneseule etmemecampagne pour le suffrage des Noirs et pour celuides femmes -. - cornme en temoigne la decision des delegues dela Convention pour les droits des femmes de creer, en mai 1866,une association pour l'egalite des droits qui Iutterait a la foispour le droit de vote des Noirs et pourcelui des femmes _,cette strategie est tres rapidement contestee par une partie desmilitant(e)s abolitionnistes et feministes, Comment accepter queles epouses des citoyens de la race angio-saxonne , selon Iesterrnes de Ia femini s te Elizabeth C. Stanton, soient releguees plusbas q ue I es Nom, a nc ie ns e sc la ve s, o u q ue I es immi gr es i ria nd ai s,a peine debarques ? Les associat ions feministes se dechirentet se scindenr sur la question perverse de Ia preeminence legitime des femmes etepouses blanches sur les Noirserpar consequent sur les femmes noires , excluant purementet

2 Reference iI. I 'ouvrage majeur de, Gloria Hu ll , P at ri ci a B e ll Scott et BarbaraSmith, AN the Women are White. allthe Blacks are Men, but same 0/ us areBrave (1982). Un an auparsvant parait Ie tout aussi important livre de CherneMoraga et Gloria Anzaldua, This Bndge Called My Back: Writings by RadicalWomen of Color (1981).) Nee esclave en J 797 dans I'Etat de New York, SOilS l e nom d ' I sabe llaBsumfree, elle est revendue a I'age de 12 ans a John Dumont . Violee pa r son(C proprietaire 1> , dIe. est mariee it un esclave, dont elle aura cinq enfants.L'esc lavage abol i, e lle qu it te New York en 1843 e t prend Ia route pour pre ..cher sous le nom de Sojourner, l'itinerante, Truth, l a vente. Pann i les aut re sgrandes f igures de militantes anciennes eselaves ou descendantes d'esclaveson peut cirer Harriet Tubman, Frances E. W. Harper, Ida B. Wells Barnett , MaryChurch Te rre l, Sur e lles e r leur s comba ts , on pourra se reporteri l Jacque lineJones Royster (2000) ainsi qu'a Angela Y. Davis (1983).

D e I 'u sa ge d es c at eg or ie s d e sexe et de race ,.. 85siroplement ces dernieres de la categoric femmes 4. La ques-tion du racisme au sein des groupes et associations feministesest complexe ..EUe releve a la fois de I'extreme pregnance del 'idwlogie segregationniste des Etats du Sud, et de sa diffusiondans l'ensemble de Lasociete, mais aussi du jeu dangereux decertaines leaders du mouvement qui, au toumant du XIXe et duXXe siecles, adoptent one strategic politique qui consiste aral lier les femmes du Sud aux depens des femmes descendantesd'esclaves 5. Exclues ou interdites des clubs de femmesblanches, des figures aussi importantes que Mary ChurchTerrell, presidente de l' Association nationale des femmes decouleur, ou encore Josephine Ruffin, representante de l'organi-sation New Era Club, sont non seulement la cible du racisme decertaines militantes feministes, mais egalement de leur sexisme.Nombre de femmes appartenant a des associations sudistes pour4;( Des le debut des annees 18601870, Susan B. Anthony [autre grande figuredu feminisme] realise le potentiel de Ia cause du suffrage reruinin pour ate irerles femmes blanches du Sud. Par cpportunisme , fs isant fi de tou te loyaut6 e tdejustice, elle demanda au supporter feministe de toujours, Frederick Douglas,de ne pas se rendre iI. la convention de I 'Association nationale americaine pourI e suff rage des femmes, qu i se tena it IiAtlanta (c itee pa r be ll hooks 2000 ,p..377). Voir aussi les travaux de l 'historienne Rosalyn Terborg-Penn (1998)auxquels se refere hooks. Frederick Douglas (1817-1895), n e esclave, devinel 'une des plus grandes f igures du mouvement d'ernanciparicn des Noirs,s En 1869, l'Associarion pour l'egslite de s droits lenait son assemblee annuelle- en fait, ce sera la derniere -; finalement, Ie 14amendement, stipulantque seuls les citoyens miilesont le droit de vote, est adopte, Alors qu'll atoujourn soutenu le suffrage feminin, Frederick Douglas s'est rallie a la posi-tion seton laquelle ledroit de vote des Noirs est prior itaire , Pour lui,i1 s'agissaitd'une question de vie ou de mort: Quand on a rrachera les femmes it leurma ison, simplement pa rce que ce sont des femmes; quaod 00 les pendra it desreverberes ; q:uand on leur enlevera leurs enfaots pour leurecraser la tete sur Iet rot to ir ; quand on les insultera a tous leg coins de rue; quand elles r isquerontit tout moment de voir leurs rnaisons incendiees s'effondrer sur leur tete;quand on interdi ra l 'ent reedes ecc le s a l eu rs enfants, aior s i l sera urgent deleur octroyer Ie droit de vote (cite par Angela Davis 1983, p. 103). APIes laguerre de Secession, nombre de, republicains qui avaient pourtant soutenus Iesuff rage fe rn in in reviennent sur leur posit ion e t a ffi rment que les Noirs sont(i prior itaires, ces demiers representant deux millions de voix potentielle-ment en faveur de leur parti . De ce fait, Ies democrates du Sud"lI'es maioritai-rement racistes, eurent tendance a soutenir les associations feministescommecelles de Susan 8. Anthony pour ccntrer le soutien des republieains au votedes Noirs.


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I I I86 Elsa Dor/in D e {'usage de s categories de sexe et de race ... 871e suffrage des femmes (entendons des seules femmes blanchrefuse.nt en effet de s'allier aux militantes noires, evoquant 1 : 2moralite douteuse. La fabrication d'une norme de la D " . . ., st . . f & ' . . . . ernuutes e ainsi e tectuee en opposition avec les femmes no',.t'lb . . . ITesrepute~s u nques, " ,:olentes, rustres, mauvaises meres o~ matriarches })abusives, Devant un journaliste du ChiT; 'bu. I "d . lcago. rt une, a presi ente de 1a Federation generale des clubs dfemmes, Mrs L~we, just if ie la decision de sa federation de ne pa~accepter Josephine Ruffin panni ses membres, en ces termes :

Mrs Ruffin appartient a son propre peuple. La, elle sera unleader et po~rafaire beaucoup de bien , mais parmi nous elle nepeut que creer des problemes (ci tee par hooks 2000, p. 379).

. D~ une telle configuration du rapport de genre, Ia dimen-sion .~lOle~ent antagonique de Ia domination a trace unefrontiere bien plus hermetiqueentrs les femmes elles-memes- blanches et noires -, qu' entre les hommes et les femmesComme I'ecrit Hazel Carby: .

Les. ideologies de la Rminite blanche ant e te le lieu de luttesracl ,: ,les et sociales qui ant permis aux femmes blanches de ne-gocter leur role subordonne dans Ie cadre du patriarcat et des 'all ier par inti rel de classe avec les hommes, contre une even-tuelle alliance avec les femmes noires (Carby 1987, p. 17-18).

A~ debut du XXe siecle aux Etats-Unis, le discours feministed?~ant te~u,pru: les principales dirigeantes des grandes asso-c~atLOnset federatrons pour Ie suffrage feminin consiste a dire :S1 VOllS octroyez Ie droit de vote aux Noirs, alors taus les ar-guments contre le suffrage feminin sont irrecevables et mal-ho~ete~. Or,. en revendiquant la priorite des femmes sur lesNo~, c est bien au nom d'une norme racisee de Iafeminite quel~s.defenseurs du suffrage feminin vont se battre pour lesdroitscrviques, Les epouses modeles de la classe dirigeante inearnent~esujet du ferninisme, cette femme reputee douce, moralernentirreprochable, pieuse, sensible, pudique et matemelle, On com-prend ~lors comment la categorie polit ique femmes , autre-ment < l i t celle du sujet politique du feminisme, implose Iitterale-ment sou~ j'effet du racisme de certaines militantes feministes,En consideranr que les femmes seraient prioritaires parrapport aux Noirs, on suppose que toutes les femmes sontblanches et que tous les Noirs sont des hommes.

Longtemps occulte, eet episode de.I'histoire des femmes s'estavert un point de tension entre Ies feministes de la secondevague. Dans les annees soixante-dix, Ie principe de sororite quianirne Ie Women's Liberation Movement (WLM) est mis it. malpar les feministes afro-americaines qui denoncent l'ignoranceou l'indifference historique du mouvement a l 'egard de la condi-tion des femmes de couleur et de leur experience de l'oppressionpatriarcaie, laquelle est etroitement conditionnee par le racisme,avec lequel I 'histoire du mouvement feministe a part ie l iee, En]973, a New York:, des feministes afro-americaines jugent ne-eessaire de former un groupe separe, qui deviendra la NationalBlack Feminist Organization (NBFO). Toutefois Ie blackfeminismdesigne une multitude de groupes et de mouvements differents.Par exemple, le Combahee River Collective, collect if lesbienfeministe radical, quitte la NBFO en 1974, considerant i 'orga-nisation trop feministe petit-bourgeois (Combahee RiverCollective 1997, p. 68), mais s'eloigne egalement d'autres groupeslesbiens en raison d'une divergence de fond sur Laquestion dupatriarcat et de l 'appel au separatisme. Selon le collectif, le se-paratisme lesbien n'est pas une analyse politique viable tid;p. 66), ni meme une strategic de lutte realiste et efficace au re-gard de la situation des lesbiennes afro-americaines, precise-ment en raison de leur experience du racisme, Solidaires de lacommunaute noire dent elles partagent I'experience des dis-criminations raciales quotidiennes, elles ne nient pas le sexismedes hommes noirs, mais elles considerent que 1 histoire deI'esclavage et de 1a segregation ont eu des effets sur la cons-truction normative de la ferninite et de la virilite. Pour lecollectif, Ie separatisme lesbien definit l 'oppression des femmescomme etant essentiel lement genree, deniant par l a meme lesfacteurs de classe et la structure raciste de la societe qui mode-lent et faconnent le sexisme. Dire d'un esclave, vivant au debutdu xrx' siecle, ou d'un Noir du Mississipi dans les anneesquarante, qu'il est aetif, qu'il detient le pouvoir, qu'il est auto-nome et que la societe est A son image, apparait eminemmentproblematique 6. Pour le Combahee River Collective, proclamer6 "On apprend aux hommes e t aUKfemmes a voir l es homines comrne inde-pendants, capables et doues de pouvoir ; on apprend aUKhommes et auxfemmes a voi r l es femmes comrne dependantes , l imit ees dans leur capac it e e t


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90 Elsa Dorlihpeuples - notamment des Francais et des Algeriens. Au mainsdepuis la pretendue necessaire assimilation des juifs a la~ev~lution francaise, assimiler tel le au tel le populationsignifie que celui qui assimile est natureUement ou genetjquement}) superieur a celui qui est essimile, afin de lU iimposer ses propres caracteres. En revanche, au xvrne siecle Iajeune nation americaine poursuit la politique des Anglais, 'la-quelle a des la fin du XV!f siecle interdit, plus drastiquement quedans les colonies franc;:aises, les unions au meme les relationsinterracial;.- , Plus tard, l 'adoption des lois dites Jim Crow 7dans les Etats du Sud, ou vivenr pres de neuf Noirs sur diximpose un systerne d'aparlheid, en vigueur jusque dans Ies~ees ~oixante. Dans cette Perspective, je ne suis pas sure qu'ilSaltpertinent de parler des Blanches par opposition aux autres,au regard de la situation franc;:aise.Si 1expression Blancs auBlanches ~emble de plus en plus uti lisec, notamment par lesjeunes gens vict imes de racisms - remplac;:ant i'expression de bourgeois au bourgeoises , cela ne doit pas nous auto-riser a reprendre cette expression telle quelle, sans I'examiner ets'~terroger s~ son historicite, sur la facon dont des categoriessexistes et racistes circulent a 1afois dans Ies discours des domi-nants, mais aussi dans les discours des domines, Dans ce cas, lamondialisat ion des 6changes, notamment par les medias _ le fai tde c.a~ter des chaines musicales anglo-saxonnes, par exemple-partlclpe non pas tant d'une unifonnisation que d'une circula-tion des expressions memes de la revolre, qui modifient profon-dement les ressources politiques -Ie catalogue d'actions _ adisposition des groupes cnnooses.Le concept d'imersecuon et les aporiesd'une penseejormaiiste de la domination. Je voudrais faire l 'inventaire des outils thooriques dont nousdlSPOSOnspour penser 1a domination de genre sans 1isoler desautres rapports de pouvoir, et en particulier du racisme. Je. , J . .un Crow est un personnage de music-hall, caricature raciste du Noirignorant, pares seux e t stupide. Apparu dans Ies B r a t s du Sud vers 1830 ce

personnage est joue par des acteur s blancs gr imes. Vers 1900, ce nom es; re-pris pow: designer !'ensemble de la legislation segregationniste en vigueurdans les Eta ts du SUd.

De[,usage des categories de ( sexe et de race ... 91d is revenir sur 1histoire de 1a conceptualite de cetvou rai I d'b tentre~roisement des rapports de dominatio~, sur es ~ ase iques dont e1Ie fait I'objet outre-Atlantique. Ce faisant,

~ru:rais eprouver les concepts du black f~minism, user tout~utanl de leur force, que m'instruire.des ap?nes ~ans !esqueUesi1 s se sont parfois trouves au des difficultes qu ~ls n ont peut-etre pas su resoudre. J'aimerais faire l'inv~ntaue des ~esrheoriquea dont nous disposons, de celles qui se sont enrayees,comme de celles qui DOUS font defaut,Au sein de la theorie feministe, l 'une des pr~ri~r~s f~~ons de

conceptualiser les multiples oppressions. a consl~te a utillser.unmodele mathematique 8. La double, voue la tnp~e oppressiondont certaines femmes font l'experience supposerait que chaquerapport de domination s'ajoute a Iau. tre. p~ exemple, q~e lesfemmes subissent Iesexisme, que certaines d entre eUessubls~entle sexisme et Ie racisme, que parmi ces dernieres, certam.esd'entre elles subissent le sexisme, le racisme et 1alesboph~ble,etc. Cette analyse pose de nombreuses diff icultes ~ar elle isolechaque rapport de domination et definit leur r~latlOn de fa,?"narithmetique : les femmes esclaves auraient SUbI une oppressionraciste - qu'elles auraient partage avec les hommes esc1aves-en plus d'une oppression sexiste, similaire a celle sUJ?portee.~arleurs maitresses . On voit bien que cette analyse dite addl~lVedemeure insatisfaisante pour comprendre les modaliteshistoriques de Ia domination sexiste et raciste, Un autre modelea done ete mobilise, cette fois-ci geornetrique, P?ur comprendreI'entrecroisement au plus exactement I'intersection des rapportsd'oppression. Kimberle W. Crenshaw a propose. ~e conc~p~d' interseetionnalite (1991 ; ce numero), afin de saisir la vanetedes interactions des rapports de genre et de race , au pluspres de la reaL ite meme des experiences d:~ femm~s afr.o:americaines, Crenshaw a montre comment 1 intersectionnalite8Je m'attache ici II la genese de cette pensee dans I~ femift~sme afro-amen cain. Toutefcis , le black feminism t ravail le d~ tensions anciennes. ?~pourr ait egalement r non trer comment la p~blematt~ue s~~ et classe a etedominante dans la pensee feminists francaise, du fait de I Im?ort~~ ~e Japensee marxi ste e t, p lus exacrernent , de la ~~d: influence d un feml~lsm~socialiste au XIX" siecle qui a constamment msiste sur Ie rapport ent re megalites des sexes , condition ouvriere et lut tes des classes .


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92 Elsa Dorlinpolitique des rapports de domination est une structure de Iadomination elle-meme qui empeche ou affaiblit les discourscentre le sexisme ou le racisme, L'lntersectionnalite des rapportsde pouvoir produit en effet des tensions, des confl its et des effetsdestructeurs et destructurants dans les processus de mobilisationdes mouvements sociaux. Pour illustrer ce point, Crenshaw atravaille sur la violence domestique, et plus particulierement surPisolement des femmes bat tues afro-amer ica ines dont 1'expe-r ie nc ec ro is ee d u s ex is me et du racisme le s invisibilise double-ment. Elles sont les oubliees des mobilisations feministescomme des mobil isat ions antiracistes, Or, eet isolement est a lafois I'effet d'uneabsence d'outil theorique pour eomprendreleur position a I'intersection de plusieurs rapports d'oppression,maisegalement celui d 'une absence de ressources mili tantes,d'outils pratiques communs It plusieurs luttes - comment Iutterensemble et avec les memes annes contre I'articulation dusexisme et du racisme ? Cette situation s'est revelee des plusproblematiques en 1982 a 1a sortie de la Couleur pourpre. Ceroman d'Alice Walker a suscite une violente polemique car ilmettait en scene une femme noire, Celie, battue par son compa-gnon noir; de nomereuses voix emanant des mouvements delutte centre Ie racisme se sont elevees contre ce qu'elles consi-deraient comme une representat ion stereotypeeet raciste de laviolence des Noirs.La critique que I'on peut adresser au raisonnement de

Crenshaw vise sa definition des rapports sociaux en termes desecteurs d'intervention, definition qui implique que celles d'eotrenous qui subissent plusieurs discriminations se retrouvent dansdes secteurs isoles. Or,cette definition non seulement isole,mais unifonnise des positions socialement antagoniques et tenda confondre Ies identites stigmatisees, imposeeset Jes identitespolitiques des groupes minorises. Le concept d'intersectioanaliteet,.plus generalement, l 'idee d'intersection peinent a penser unrapport de domination mouvant et historique, difficilement for-malisable (West, Fenstermaker 1995)9. En d'autres tennes,

9 En France, Daniele Kergoat a propose la notion de rapports sociaux(~consubstantiels '), pour penser de facon non formelle I'entrernelernentdesrapports de pouvoir (2001, p. 87).

De I'usage des categories de sexe et d e ( race N ... 93I'intersectionnalite est un outil d'analyse qui stabilise des re-lations en des positions fixes, qui sectorise les mob ilisat ions ,exactement de la r ne me fa co n que Ie discours dominant. naru-ral ise et enferme les sujets dans des identites alterisees I{I tou-jours deja- la . .A quelles condit ions est- il acceptable de penseravec des operations logiques ou cognitives qui sont les memesque celles de la domination ?P ou r u ne e pis te m olo gie d e la res.istanceUne technique du tumulte pour dijouer/a dominationEn voulant comprendre non plus le sexe ou la race de

facon formelle, rnais bien dans leur relation historique et poli-tique, nous nous retrouvons done face a un probleme abyssal:celui de notre capacite de comprendre la domination en dehorsdes termes all des categories qu'eUe impose au monde, eelui doncde Iavalidite de nos outi ls d 'analyse, La discussion engagee parle black feminism et Ies biais de la categoric femmes soulevent de fait le probleme des categories par lesquelles nouspensons Ia domination de genre et par Iesquelles nous amoreonsnotre l iberation. L'enjeu est done de penser la domination dans1a rnult iplicite de ses effectuations historiques, mats aussi lescondit ions intellectuelles et materiel les d 'une telle pensee, Cartoutse passe comme si la domination nous imposait toujours sespropres categories, comme si, en utilisant ses categories, nousttions systematiquement pris dans une pensee anhistorique, quinails empecherait de saisir 13logique meme de 1adomination. D e sJars, la menace constante de renanualisation des sujets politiques,c'est-a-dire de leur objectivation comme sujets assujettis (lesfemmes, les Noirs), la tendance a positionner, a fixer lesidentites sur des Iignes et des intersections, aux depens d'unepensee de l 'historicite des rapports de pouvoir et des processusde subjectivation politique, apparaissent comme une ruse de laraison dominanie. La difficulte est a la fois epistemologique etpolitique dans la mesure O U , de notre capacite a penser en de-10 Traduction de othering , c 'est-a-dire le processus socia l qui fubrique desdifferences, des Autres , le terme renvoie egalement a Colette Guillauminqui par le des categories alterisees .


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hors des cadres anJristoriques d'nne pensee dominante qui necesse de reifier les groupes et les individus alterises, depend Iapossibilite meme pour ces derniers de se pensercomme sujetspolitiques II.

Aujourd'hui, le dilemme auquel les theoriciennes jemfnistes Son!confrontees est qu e notre propre autodefinition estfondee sur unconcept [ les femmes ] que nous devons deconstru ire et des-essentialiser dans tous ses aspects (Alcoff 1988,. p, 406).

Face a cette difficulte .une partie des feministes ont cherche aretravailler Ies processus complexes d'identification et dedesideatiflcation des groupes alterises a travers les notions deconscience/conscientisation (hooks 1984 ou Anzaldua 1987), desujet (Riley 1988 ou de Lauretis 1984), dexperienoe (Scott1988 au Buder 1990) ouencore de categories entremelees deI'experience (Andersen, Hill Collins 1992). Le debat au seinde la theorie feministe anglophone n'est pas acheve : I'enjeuesttoujours la production d'une eonceptualite de la subjectivation,Autrement dit, des processus par lesquels les individus et lesgroupes domines se forgent une identi te polit ique a partir delaqueUe ils luttent et s'affirment comme sujets de leur propreliberation.

Pour le suje~ eIre us t point de depart deja donne pour la pol i-tique revient a se di faire de la question de la construct ion et deIojustement pol itique des sujets eta-memes (Butler 1992, p..13).

Reprenant les critiques de nombreuses feministes, Judith Butlerexplique pourquoi la categoric fernmes ne peut pas garantirnne solidarite a priori entre toutes les femmes : elle n' est pasd'emblee une identite politique. Cette identite politique du femi-nisme, ildoit Iui-meme laproduire. Cela ne signifie pas que leterme femmes ne doit pas etre utilise, cela veut dire qu'iI nepeut pasetre un prealable a toute politique femiaiste. A partirde cette idee, Butler eonsidere la force subversive des processusde reappropriation des identites infames . Selon eUe , decous-truire Ia categoric femmes equivaut a continuer it I'utiliser, itII Judith Butler parle des schemes norrnarifs d'intetligibilite I). Ce quir in te r-e sse oe n'es t pas tant ce qu i e st montre , que ce qui e st donne a voir. cequ i e st c ache , ce qu i const itue un cadre de vision , unpr isme pa r Iequel noussaisissons une realite et qui determine nos actions et reactions (Butler 2004a,p.. 180).

[Je.l 'usage des categories de sexe et de ( race ... 95Ia repeter, it la repeter subversivement et hOIS contexte.Autrement dit , cette categoric ne peut devenir une identite poli-tique qu'a 1a condition d'etre devoyee de son usage normatif,detachee de son substrat ontologique - le sexe , Dans ces'conditions, le sujet du feminisme est un sujet constamment endevenir, it ne renvoie plus a aucune definition normative et peutdevenir un sujet collectifen lutte.De fait, Ies multiples processus par lesquels les groupes

alterises se construisent une identite politique resistent - toutpartieulierement en ce qui conceme ce qu 'on appeUe justementles rnobilisations identitaires -, passent par la reappro-priation des categories de la domination. Toutefois, ces tenta-rives pennanentes de retoumement du contenn infamant descategories, de reappropriation positive des identites stigmatisees,s'inscrivent dans des strategies de luttesetroitement determineespar les conditions materielles induites par le rapport de force..En general , le choix des annes est plutot du c o t e du plus fort. Ladimension subversive de ces strategies de renversement est sou-vent precaire dans la mesure ou elle consiste en des techniquesde detournement, devoiement des cadres dominants ou des sys-temes categoriels 12. Or, man hypothese est que cette dimensionsubversive est limitee et qu'elle pourrait s'averer bien plusmenacante sf elle contournait ou evitait la ruse de la raison do-minante elle-rneme, en usant de cadres inedits, C'est ce que,bistoriquement, une partie de la pensee feministe s'est touioursexercee a fake. Comme I'eeri t Joan Scott:

Nous devons devenir plus attentives aux distinctions entre notrevocabulaire d'analyse et le materiei que MUS voulons analyser.Nous devons trouver des moyens (meme incomplets) de sou-meure sans cesse nos categories a la critique, nos analyses al 'autocritique. Ce qui signifie analyser dans son contexte. fa ma-niere dont opere toute opposit ion binaire, renversant et depla-can: sa construction hierarchique au l ieu de I 'accepter comme

12 Pour illustrer ce point, voir Gail Pheterson (2002), .a propos de s mobilise-tions de putes, comme se nornment les rnilitantes de COYOTIE. Voir ega-lement Jud ith Butler : La possib il ite po li tique de re trava iller la fo rce desaetes de discours pour la f ai re jouer conrr e la force de I' in jure consistea se re-approprier la force du discoursen le derournam de ses contextes precedents (2004b, p. 71).


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reelle , commeal lant de so i au comme elan! dans la nature deschases. En un sens, lesfeministes n 'ant, sans douse;fait qu e cecipendant des annees. (Scott 1988, p. 139).

L'idee selon laquelle l'un des effets Ies plus pregnants de ladomination est sa capacite a imposer les termes memes danslesquels s'expriment les luttes emaneipatrices et Ies resistancesa ete l'un des apports Ies plus remarquables de la pensee deFrantz Fanon. II avait parfai tement identifie cette aporie. danslaqueUe l'analyse cri tique de Iadomination comme celle des r e -sistances politiques se trouvent, impuissantes et prises au piege,II utilisait le terme de racialisation pour designer l'un deseffets Ies plus retors des rapports de domination imperialistsfondes sur Lacategorie de race , a savoie Ie fait d'imposeraux domines les modalites pratiques et discursives de leuremancipation - neutralisant plus ou moins les effetssubversifsde cette derniere. Dans Les damnes de la terre, Fanon ecri t :

On n 'a peut -etre pas suff isammenr montre que le colonialismene se conteniepas d'imposer sa 10 i aupresent et a {'ovenir dupaysdomine. Le colonialisme ne se sattsfait pas d'enserrer lepeupledans se s mailles, de vider Ie cerveau colonise de touie forme etde tout contenu: Par une sane de perversion de la logique, its 'oriente vers lepasse dupeuple opprime, le distord, le defifIl 're,l'aneantit (Fanon 2002 [1961], p..201).

L'idee centrale de cette pensee poli tique est bien Ie fait que Iadomination fonetionne comme un monde historiquement deformedans lequel les domines sont priset dans lequel ces dernierssoot contraints de se reflechir, Nous comprenons alors de quellefaeon les categories d'analyse dont nous usons ont des conse-quences sur les conditions materielles des luttes, Actuellement,sous I 'influence des travaux anglophones, des preoccupationsnouvelles et des recherches emergent, qui urilisent le terme derace pour designer Ie rapport social qui racialise tuie dif-ference sociale, Utilise avec ou sans guillemets, le terme der ac e d es ig ne dans ce rt ai n s d is cou r s s e ien ti fi qu e s nn e categoried'analyse d'un rapport de pouvoir. Toutefois, cette attention auracisme et aux mndali tes de racialisation des differences socialesparticipe aussi a Ia reintroduction dans le debat intel lectuelfrancais de ce terme et au developpement de ce qu'on pourraitappeler une nouvelle forme de raciologie , Le problerne est:

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dans queUe mesure I 'usage de la categorie de race commecategorie d'anaJyse, c'est-a-dire eomme concept designant le rap-port de racialisation des rapports sociaux, est-il manipulable,eompreaensible ? Redefini, manipule avec toutes les precau-t ions d'usage, Ie concept de race designe-t-il sans equivoqueun processus plutot qu'une identi te ideologique, ou une identitequi preexiste a l'analyse? Relativement a l'ernploi de la care-gorie de race , la polemique perdure depuis les viis debats aulendemain de Laseconde guerre mondiale. D'uncote, les par-t isans d'une uti lisat ion descriptive du tenne race pour desi-goer un type particulier de rapports scciaux, ou pour identifierles discriminations racistes dont sont victimes certains groupessociaux, considerent la race comme UD.e categoric comme legenre, la classe, ou meme la profession, De I'autre, ceux quicritiquent la banalisation d'une categorie de la domination. Pourees derniers, on ne saurait se satisfaire d'employer Ie termerace , meme en stipulant qu'il s'agit bien d'unecategoriesociale et construite ; une telle precaution necessaire n 'etanr passuffisante pour ernpecher une qualification du monde social quipasse alors exclusivement par le prisme de Ia race . Ainsi ,Paul Gilroy, parlant de I'usage du tenne race dans lessciences sociales et politiques, nous alerte sur le fait que:

[Ce terme] ne peut pas aisement etre re-signifie ou de.-signijie;imaginer que ses significations les plus dangereuses pourraiente ire faci lement rearticu iees dans une forme benZgne et demo-cratique serai t largement exagerer le pouvoir crit ique de ceuxqui s ' eleven: contre ces memes signi ficat ions [ .. . J . Malgr lesconditions les plus difficiles et lWec des materiaux imparfails ou'ilsn 'auraient certainement pas choisis s ' ils avaient et t en mesurede choisir, les groupes opprimes ont construit de complexes tra-ditions polniques, ethiques, des identites et des cultures. La dif-fusion acceptee de fa race a marginalise ces traditions parrapport aux histoires officielles de fa modemlte et ies a re/egueesau.finfond d'une histoireprepolitique (Gilroy 2000,. p. 12) 13.

ULe terme e thn icite ou groupe ethnique a tendance a jouer Ie role decategorie descriptive pa r rapport a 11 '1 race , rna is \30encore ( \que lles quesoien I. les categories qu'on utilise , on ne saurait faire abstraction des rapportsde force dans lesquels elles emergem, des enjeux politiques et theoriquesauxquelselles renvoient, des presupposes e tdu sens commun qui tendent a le s


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Selon lui, pour qUe les groupes alterises eux-memes puissentrenoncer auJ '. categties avec lesquelles ceux qui occupent lespositions dojll.ina~tes les contraignent a penser et agir, ilfautelaborer une pensee Capable de produire des categories inediteset non pas seuJement des categories redefinies,Ainsi, soit no~s


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100 Elsa Dorlinreligi?n,etc., sous pretexte d'historiciser 1acategorie de sexe .En d autres termes, on ue peut historiciser la domination degenr~, travailler sur ses multiples effectuations historiques,enne faisant que subdiviser Ia domination de genre en autant defacteurs de differenciation : elasse, race , sexualite, narionalitecu1~e,. religion ... Les femmes noires ne constituent "pas unecategorie stable q ui d esig ne u ne id en tite bien definie : Jesfemmes noire~ . De Ia meme f ac on , q ue designe I 'expressionfemmes occidentalesn? Dans ces conditions, nous ne pou-vons ac~ter d~ racialiser le sujet du ferninisme, sous pretextede le denaneattser ou de Ie desessentialiser. En faisant celanous risquons egalement decristalliser Ies resistances et lesIuttes des femmes dans I es t ermes scleroses de Ia dominatione ll e-meme , ce ll e de race au de culture , nctammenr, Nousrisquons de former un monde dans lequel les formes alter.na~".es a I'identite femme , Ies processus de subjectivationpolitique sont des formes tout aussi naturalisees que l'etait LaFemme.En terncigne cette identite feminine rnusulmane sur.mooiat~se~,pieuse, pudique et renvoyant a une normeethique

de.la feffiilllte toutaussi traditionnelle et esseotielisee que cedequi prevaut dans un certain discourspoli tique 17 qui fait des Europeennes ou des Occidentales des modeles de civi-lisation, des femmes tiber-res mais . . .. . tres feminines !Dansles representations coloaialistes, telles qu' elles sont vehiculeespar les cartes postalesa la fin du xrx' siecle et au debut du xx'siecle, les femmes des Antilles, d' Algerie, de Tunisie ou duMarocsont principalement representees soit sous Ies trai ts de Iafatm~ ilIe!tree, so:i~ SOllS ceux de Ia belle mauresque, de laprostituee .g. Ces rmses en scene tendent a viriliser ce s femmesou ales erotiser a outrance. Dans les deux cas, elles n'exhibent170 .11 pourra se repor te r au Manife ste de NexlGENDERation Pas en notrenom 1, peruen mars 2004 :http://nextg~d~tion.let.uu.IlVgrOUPslnOtinoumwnesffrancais.hlml;.aimiqu'autexte de Christ ine De lphy,adre sse au Col lect if des drc it s des femmes e t dis.ponible enligne http://lmsi.lletiarticIe.php3?id_article


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rapport de genre signifie Ie pouvoir , a quel point, par conse-quent, i l represente un enjeu de pouvoir: Ie cadre de pensee etd'act ion, impose par I 'histoire coloniale, par Iequel passe toutedomination comme toute resistance. Ainsi, l'actueUe affairedu voile part icipe d'une injonction a 1a moralite des jeunesfemmes et d'une injonction a la virilite des jeunes hommesdescendant de migrants d'Afrique du Nord. C'est une reponsepresente it 1a stigmatisat ion passee des femmes colonisees,comme des femmes lascives et immorales. C'est une reponsequi demeure prise dans la dialectique du pouvoir : el le temoigned'une domination de genre qui constitue un enjeu crucial dansLaconstruction d'une identite politique pour la generation issuede parents ayant connu la colonisation francaise _. d 'un c o t e oude I 'autre des rives de 13Mediterranee. Parce que cette histoireest deformee, parce qu'elle est irresolue, nouee, elle agit aupresent: c' est une ruse de la raison dominante bien eculee, quifait de la feminite une ressource poli tique. Dans ces condi-tions, on comprend qu'il s'agit, pour une partie des jeunes femmesqui s'expriment sur leur choix de porter le voile et qui s'enga-gent politiquement pour defendre leur position contre le racismedont elles font I 'objet, d 'une strategic qui s 'inscrit dans un pro-cessus plus global de subjectivation politique de toute une gene-ration face a I'histoire coloniale francaise. Processus perilleux,cependant, tout aussi perilleux que le fait, pour une partie de Lapensee feministe, de vouloir en faire L'expression meme de I'entre-croisement des categories de sexe ) et de race , au risquede participer it Laracialisation ambiante des rapports sociaux. Sile feminisme doit absolwnent regler ses comptes avec Ie racisme,ildoit egalement s'atteler it rendre intelligibles l'histoire colo-niale et Ia genealogie du racisme, sans se laisser tenter par uneracialisation essentialisante du monde qui, en vaulant denatura-Liserle ({sexe , renaturaliserait la race .L'un des enjeux majeurs du feminisme contemporain pour-

rait bien etre sacapacite a produire des outils de comprehensiondu mande social capables d'en modifier le rapport de force:comprendre un rnonde dans lequel il pourra rester a memed'agir poLitiquement et de resister de facon solidaire, Pour cefaire, ila tout interet a perpetuer une certaine tradit ion de pen-see qui a choisi de fabriquer ses propres outils d'analyse pour

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saisir la domination, mais aussi, et surtout, pour saisir les che-mins de traverses, les espaces de rencontre des luttes, les coali-tions solidaires comrne les utopies.

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