in : douleurs, bouhassira, d., calvino b. (eds) arnette...
TRANSCRIPT
1
In : Douleurs, Bouhassira, D., Calvino B. (eds) Arnette, 2009.
Les systèmes de modulation de la douleur
Luis Villanueva et Laurence Bourgeais, INSERM/UPMC, UMR 677, 91 Boulevard de
l’Hôpital, 75634 Paris Cedex 13.
De nombreuses études montrent que la perception de la douleur implique à la fois des
mécanismes de transduction des stimuli nocifs environnementaux et des systèmes de modulation
endogènes sous l‟influence de facteurs cognitifs et émotionnels.
Depuis la fin du dix-neuvième siècle, les recherches sur la douleur ont été fortement
influencées par la théorie spécifiste de Von Frey (voir réfs. dans Nathan, 1976). A partir des
idées de Müller proposant l‟existence d‟une “ énergie spécifique ” au sein des nerfs, puis la
découverte des zones cutanées restreintes activées par une modalité sensorielle (voir Norrsell et
coll., 1999), l‟hypothèse spécifiste a proposé que chacune des sensations cutanées serait sous-
tendue par des neurones répondant seulement à un type de stimulus et codant exclusivement une
sous-modalité somatosensorielle. Sur cette base, on a essayé de corréler les différentes sensations
douloureuses à l‟activation d‟un type neuronal donné, et les sensations thermiques non-
douloureuses ont été étudiées séparément par rapport à la douleur. Ainsi, la sensation de
picotement a été interprétée comme une “ première douleur ” due à la mise en jeu des
nocicepteurs myelinisés, tandis que la sensation de brûlure ou “ deuxième douleur ” serait
véhiculée par des fibres non-myelinisées. Ce cloisonnement strict a amené à mesurer les
sensations indépendamment les unes des autres, sans considérer le rôle fondamental que jouent
leurs interactions dans la perception des sensations thermiques et douloureuses.
Des travaux récents ont cependant rendu obsolète le vieux débat entre les écoles dites
“spécifistes” et “non-spécifistes”. Les premiers défendaient l‟existence de nocicepteurs
périphériques et des circuits ascendants labellisés, activés seulement par des stimuli douloureux,
lesquels provoqueraient de manière spécifique et inéluctable la sensation douloureuse (voir
Craig, 2003 ; Perl, 2007). Les autres proposaient que la perception de la douleur serait sous
l‟influence du contexte dans lequel la stimulation nociceptive a lieu, la sensation résultante
dépendant de la mise en jeu de puissants mécanismes de modulation centrale (Wall, 1999).
Il existe en réalité des voies de transduction spécifiques des stimuli nociceptifs (voir Chapitre
1) montrant ainsi le haut niveau de spécialisation des nocicepteurs périphériques, qui
représentent le premier site du système d‟alarme de l‟organisme. Par ailleurs, la mise en jeu de
2
mécanismes de sensibilisation centrale par une grande variété de stimuli (douloureux mais
également non-douloureux) permet de comprendre pourquoi certains états de douleur chronique
n‟impliquent pas, en fait, l'activation de nocicepteurs.
Dans ce chapitre, nous verrons que les réseaux neuronaux qui intègrent les influx
périphériques agissent de concert avec les systèmes de modulation, dès l‟arrivée du message
nociceptif dans le système nerveux central. Après une analyse succincte des mécanismes de
contrôle spinal et bulbo-spinal, l‟importance des mécanismes d‟origine corticale sera illustrée par
leur capacité à moduler l‟ensemble des réseaux nociceptifs situés en amont. Nous verrons qu‟une
meilleure connaissance de ces derniers permettra probablement de comprendre les interactions
entre les réseaux nociceptifs spécifiques et polymodaux ainsi que les phénomènes de plasticité
liés à la douleur chronique.
Modulation périphérique
La cohabitation des nocicepteurs au sein des fibres périphériques rend complexe le traitement
de l‟information à l‟origine de la sensation de douleur, qui résulte probablement d‟une
convergence d‟influx d‟origines diverses (Green, 2004 ; Julius et Basbaum, 2001 ; Woolf et Ma,
2007). Sur le plan psychophysique, cette convergence est illustrée par le fait que chez l‟individu
normal la perception des sensations thermiques douloureuses ou non-douloureuses dépend de la
co-activation et de l‟interaction entre des réseaux thermiques et nociceptifs, composés des fibres
spécifiques et polymodales (figure 1). Ces interactions peuvent rendre compte des sensations
douloureuses paradoxales provoquées par des stimuli thermiques non-douloureux chez des
individus sains (Craig et coll., 1996; Green, 2004; Bouhassira et coll., 2005 ; Green et coll.,
2008) et des sensations thermiques douloureuses et non douloureuses paradoxales que l‟on peut
provoquer dans des situations pathologiques (Defrin et coll., 2002).
Sur le plan physiopathologique, il nous semble cependant nécessaire d‟élaborer un nouveau
cadre conceptuel qui intègre l‟ensemble des mécanismes de traitement périphérique et central de
la douleur, en prenant en compte non seulement les phénomènes de plasticité post-lésionnelle
mais également les processus de sensibilisation centrale à l‟origine des douleurs chroniques.
Modulation segmentaire
La théorie du portillon médullaire de Melzack et Wall (1965) a proposé que les inhibitions
segmentaires, qui se produisent au sein même du métamère d‟un foyer douloureux, sont générées
par des fibres afférentes de gros diamètre (A ) activées par des stimulations mécaniques non
nociceptives. Cependant, il a été montré que les fibres fines (A ) peuvent également être à
3
l‟origine de puissantes inhibitions à la fois segmentaires et hétérosegmentaires (voir réfs. dans
Bouhassira et coll., 1987). En effet, bien que la stimulation électrique transcutanée (TENS) soit
efficace lorsqu‟elle est appliquée à des fréquences et intensités qui activent principalement les
fibres A , les effets antalgiques ainsi obtenus sont souvent limités au segment stimulé. Des effets
analgésiques plus puissants sont déclenchés en utilisant une intensité de stimulation plus élevée,
qui produit une sensation déplaisante, mais non douloureuse. Une méta-analyse des travaux
portant sur cette question a d‟ailleurs clairement montré que l‟intensité d‟une stimulation est un
paramètre critique dans l‟obtention d‟une analgésie par TENS segmentaire (Deslile et Plaghki,
1990).
Sur la base de la théorie du portillon (figure 2), il a été également proposé que l‟activation des
fibres A joue un rôle essentiel dans les effets analgésiques déclenchés par la stimulation
électrique des cordons postérieurs (dénommée stimulation médullaire chez l‟homme). En effet,
les fibres A cheminant dans les cordons postérieurs émettent des collatérales qui contactent les
couches III-V de la corne dorsale. Lors de la stimulation des cordons postérieurs, une invasion à
contre-courant (antidromique) activerait ces afférences puis, secondairement, de façon
orthodromique, leurs collatérales sous-jacentes, provoquant ainsi une inhibition des neurones
nociceptifs de la corne dorsale. Cependant, les expériences chez l‟animal ont montré que la
stimulation des cordons postérieurs ne provoque que des inhibitions très brèves de l‟activité des
neurones nociceptifs, alors que chez l‟homme, le soulagement de la douleur peut durer plusieurs
heures. De plus chez l‟homme, la stimulation médullaire peut non seulement soulager les
douleurs ischémiques, mais également augmenter la circulation périphérique et la température
cutanée (Linderoth et Meyerson, 1995). Il est donc possible que la stimulation médullaire active
des contrôles inhibiteurs descendants cheminant dans les cordons postérieurs, et affectant
l‟activité des neurones des couches superficielles de la corne dorsale à l‟origine des réflexes
somato-sympathiques provoqués par des stimulations nociceptives.
La modulation bulbo-spinale
1- La région caudale du tronc cérébral : le subnucleus reticularis dorsalis (SRD)
Les contrôles hétérosegmentaires sont déclenchés principalement par des stimulations
nociceptives. Un foyer douloureux provoque des inhibitions de l‟ensemble des neurones des
couches profondes de la corne dorsale. Ces inhibitions, qui partagent le même substrat
anatomique et fonctionnel chez l‟animal et l‟homme, ont été dénommées « contrôles inhibiteurs
diffus induits par des stimulations nociceptives » (CIDN ; figure 3, voir réfs dans Villanueva et
4
Le Bars, 1995). Les structures supraspinales responsables des CIDN sont confinées dans la partie
caudale de la formation réticulée bulbaire, incluant notamment le SRD. Les neurones du SRD
présentent des caractéristiques fonctionnelles typiques des CIDN : ils sont activés exclusivement
par des stimuli nociceptifs quelle que soit la région du corps stimulée et codent précisément
l‟intensité de ces stimulations (Villanueva et coll., 1996). De plus, des lésions localisées dans la
partie caudale du tronc cérébral réduisent les CIDN aussi bien chez l‟animal que chez l‟homme
(De Broucker et coll. 1990). Ces réseaux pourraient favoriser la détection de l‟information
nociceptive en améliorant le rapport signal/bruit entre la population de neurones médullaires
activés par le stimulus nociceptif et l‟inhibition concomitante des autres neurones médullaires.
Comme de nombreux neurones du SRD innervent à la fois le thalamus et la moelle épinière, il
est probable que ce noyau régule simultanément l‟information sensorielle qui transite dans les
voies nociceptives médullaires et thalamiques (Monconduit et coll., 2002b). Il a d‟ailleurs été
montré que les couches profondes de la corne dorsale (V-VII), qui contiennent des neurones
répondant aux stimulations nociceptives cutanées et/ou viscérales, projettent principalement dans
la partie dorsale du SRD qui en retour, exerce des influences inhibitrices et excitatrices sur ces
neurones. Ces influences excitatrices sont exacerbées dans des modèles de douleur
neuropathique (Sotgiu et coll. 2008).
2- La région rostrale du tronc cérébral : le bulbe rostro-ventro-médian (RVM)
De nombreuses expériences de microstimulation bulbaire chez l‟animal ont montré que des
effets antinociceptifs puissants étaient déclenchés à partir de la substance grise périaqueducale
ventrale (PAG) et de la RVM (voir réfs. dans Oliveras et Besson, 1988). La RVM module
l‟activité des neurones des couches superficielles et profondes de la corne dorsale par des voies
descendantes directes. Les cellules de la RVM reçoivent les influx nociceptifs indirectement, par
l‟intermédiaire de la PAG et du noyau reticulé gigantocellulaire. La RVM joue un rôle clé dans
la modulation descendante car la PAG a peu de projections directes sur la corne dorsale. En
réalité, comme les systèmes bulbaires caudaux, les réseaux incluant la RVM sont à la fois
excitateurs et inhibiteurs (voir réfs. dans Fields et coll., 2004).
L‟enregistrement de l‟activité électrophysiologique des neurones de la RVM a permis de
comprendre ce mécanisme de contrôle bidirectionnel (figure 3). En fait, il existe trois classes de
neurones dans la RVM : les cellules « off », dont l‟activité s‟arrête juste avant le réflexe de
retrait provoqué par un stimulus nociceptif, les cellules « on », qui deviennent actives juste avant
ce même réflexe, et les cellules neutres qui ne présentent pas d‟activité pouvant être reliée au
réflexe. Les cellules « on » et « off » projettent directement sur les couches superficielles et
profondes de la corne dorsale. La microinjection d‟agonistes opioïdes ou de bicuculline dans la
5
RVM active les cellules « off » et inhibe la transmission spinale de l‟information nociceptive. En
revanche, les cellules « on », dont l‟activité facilite la transmission nociceptive, sont inhibées par
une injection locale ou systémique d‟opioïdes et sont activées par des stimulations nociceptives
toniques.
Dans certaines circonstances environnementales, les neurones de la RVM peuvent intégrer
des informations provenant des systèmes somatomoteur et autonome. Ils participent ainsi non
seulement à la modulation de la douleur, mais aussi aux régulations homéostasiques associées à
des réactions d‟éveil, des changements vasomoteurs, de thermorégulation ou au comportement
sexuel (Mason, 2001). Ces mêmes systèmes contribuent à l‟hyperalgésie et à l‟allodynie
observées dans les modèles animaux de douleur inflammatoire et neuropathique (Dickenson et
coll., 2004).
Chez l‟animal éveillé, on peut provoquer des effets anti-nociceptifs ou pro-nociceptifs
puissants par des manipulations stressantes, comme lors de situations qui représentent une
menace pour son intégrité (voir réfs. dans Andre et coll . 2005). Ainsi, des stimulations
nociceptives sans possibilité d‟échapement, ou la présence d‟un prédateur, ou encore des
indicateurs contextuels associés à des stimuli nociceptifs intenses ou prolongés peuvent modifier
l‟activité du système PAG-RVM. L‟effet résultant (pro- ou anti- nociceptif) dépend de
l‟influence de l‟hypothalamus sur ces structures (Lumb, 2004).
Il est couramment admis que certaines influences descendantes de la RVM sont véhiculées
par des neurones sérotoninergiques qui ne sont ni des cellules « on » ni des cellules « off ». De
plus, leur activité n‟est pas affectée par la morphine ou par la stimulation électrique de la PAG.
Ces neurones sérotoninergiques projettent sur la corne dorsale et sont fortement activés par les
influx venant des barorécepteurs. Ainsi, en même temps qu‟ils contribuent probablement au
contrôle de la transmission de l‟information nociceptive, les neurones sérotoninergiques de la
RVM constituent une voie de modulation parallèle, activée indépendamment de celle des cellules
on/off.
3- Implications fonctionnelles
Les études décrites ci-dessus ont montré que plusieurs réseaux spino-bulbo-spinaux sont
activés simultanément lorsqu‟on applique une stimulation nociceptive. Ces réseaux ne sont pas
organisés somatotopiquement et constituent des boucles de rétrocontrôle positif et négatif par
lesquelles l‟intensité des signaux nociceptifs spinaux peut être atténuée ou augmentée.
Néanmoins, il est difficile de corréler les changements d‟activité de ces systèmes avec
l‟analgésie, probablement du fait que plusieurs réseaux bulbo-spinaux agissent en parallèle ;
l‟effet résultant ne peut donc pas être attribué à un seul système. Par ailleurs, leur activité est
6
sous le contrôle de structures situées en amont, notamment au niveau hypothalamique et cortical.
Ceci est illustré ci-dessous par deux exemples: le phénomène de contre-stimulation et l‟analgésie
morphinique.
Analgésie par contre-stimulation
Les CIDN pourraient participer au masquage d‟une douleur provoqué par un stimulus
douloureux appliqué ailleurs. Ce phénomène, connu depuis l'antiquité et souvent décrit sous le
terme de "contre-stimulation", est à la base de traitements antalgiques traditionnels tels certaines
formes d'acupuncture ou même plus récents comme la TENS intense à basse fréquence ou
électro-acupuncture (voir réfs. dans Villanueva et Le Bars, 1995; Macdonald, 1998).
L‟application d‟une stimulation douloureuse hétérotopique chez l‟individu sain réduit à la fois
la perception d‟une douleur aiguë expérimentale provoquée par une stimulation électrique et le
réflexe spinal (RIII) qui en résulte. Cependant, ces effets sont abolis chez des sujets entraînés,
qui s‟attendent à ressentir une douleur provoquée par le protocole de contre-stimulation (Goffaux
et coll. 2007). De plus, chez des patients douloureux chroniques, plusieurs mécanismes,
n‟impliquant pas toujours les CIDN, interviennent dans les phénomènes de contre-stimulation.
Par exemple, chez les patients souffrant de douleurs neuropathiques, la contre-stimulation
produit des effets différents en fonction du mécanisme d‟allodynie concerné (Bouhassira et coll.,
2003). Une pression légère exercée sur la région allodynique induit une inhibition du réflexe RIII
et de la sensation douloureuse concomitante, tandis que des frôlements dans le même territoire
induisent une diminution de la sensation douloureuse, sans modifier pour autant le réflexe RIII.
Dans cette situation, l‟allodynie mécanique dynamique produit une analgésie par contre-
stimulation qui impliquerait plutôt des circuits supraspinaux que les réseaux spino-bulbo-spinaux
des CIDN. Par ailleurs, chez des patients souffrant de fibromyalgie, les CIDN sont inefficaces
sur une douleur expérimentale. Une absence de CIDN a été également observée sur la
sommation temporelle d‟une douleur expérimentale chez des sujets (femmes) saines.
Analgésie morphinique
A partir des observations montrant qu‟une stimulation nociceptive provoque la libération
spinale de peptides opioïdes et que des neurones contenant ces peptides sont présents dans le
tronc cérébral, il a été proposé que l‟analgésie par contre-stimulation pouvaît impliquer les
systèmes opioïdes endogènes bulbaires. En plus de son action médullaire bien connue, la
morphine pourrait réduire la transmission nociceptive spinale en activant des contrôles
inhibiteurs descendants issus de la RVM (Fields et coll., 2004). L‟analgésie morphinique
pourrait également résulter d‟une réduction des mécanismes d‟amplification des influx
nociceptifs spinaux assurée par les CIDN (Le Bars et coll., 1983).
7
En effet, l‟action antalgique des opiacés dépend de leurs interactions avec plusieurs réseaux
de modulation centrale (voir réfs. dans Rivat et coll., 2007), incluant de nombreuses aires
corticales et sous-corticales. Des études d‟imagerie fonctionnelle chez l‟homme ont montré que
les structures du système nerveux central activées par le système opioïde endogène, lors d‟une
douleur soutenue, sont les mêmes que celles identifiées chez l‟animal. En plus de la PAG, on
détecte une activation de régions sous-corticales telles que l‟hypothalamus, l‟amygdale et le
thalamus ventrolatéral, ainsi que les cortex cingulaire, préfrontal et insulaire (Zubieta et coll.,
2001). De plus, l‟activation des récepteurs réduit l‟activité de toutes les régions corticales et
sous-corticales activées par la douleur. La grande sensibilité du diencéphale aux opioïdes est
illustrée par les études effectuées chez l‟animal montrant que l‟activité évoquée des neurones
thalamiques est déprimée par la morphine à des doses bien plus faibles que celles nécessaires
pour réduire l‟activité des neurones de la corne dorsale (voir réfs. dans Monconduit et coll.,
2002a).
Le cortex cérébral : une source universelle de modulation nociceptive
Des puissants contrôles endogènes de la douleur sont issus du cortex, étant donné que
pratiquement l‟ensemble des relais nociceptifs centraux est sous l‟influence de contrôles
corticofuges, y compris les réseaux spinaux de modulation segmentaire et hétérosegmentaire
(figure 4 ; voir réfs. dans Villanueva et Fields, 2004). Cependant, contrairement aux contrôles
descendants bulbo-spinaux, les systèmes de modulation corticofuge sont également activés par
des stimuli non-douloureux.
Cortex limbique et modulation nociceptive
Les phénomènes d’attention
Lorsque des sujets sont entraînés à réaliser une tâche de discrimination visuelle ou thermique,
l‟attente d‟une stimulation douloureuse augmente la perception de la douleur, tandis qu‟une distraction
la réduit (voir réfs. dans Peyron et coll., 2000 ; Tracey et Mantyh, 2007). Bien que les circuits
neuronaux impliqués dans la modulation par l‟attention ne soient pas bien connus, les études
d‟imagerie fonctionnelle chez l‟homme suggèrent la participation du système RVM-PAG. En effet,
lorsque des sujets sains évaluent une douleur thermique en présence d‟un élément perturbateur visuel,
l‟intensité de la douleur perçue est significativement plus basse et on observe une augmentation
concomitante de l‟activité neuronale dans la PAG. De plus, les temps de réaction à une stimulation
douloureuse sont augmentés et la perception de l‟intensité est diminuée durant une manœuvre de
distraction. On observe de façon concomitante une augmentation de l‟activité du cortex cingulaire
antérieur (ACC) pendant la distraction et une diminution d‟activité dans le thalamus controlatéral, les
8
cortex insulaire et cingulaire médian. Les résultats d‟imagerie cérébrale indiquent donc que l‟ACC et
la PAG sont activés lors d‟une distraction associée à une réduction de l‟intensité de la douleur et une
baisse d‟activité des voies nociceptives afférentes.
Les phénomènes d’attente
Des évènements sensoriels extéroceptifs a priori neutres peuvent devenir de puissants modulateurs
de l‟activité des neurones nociceptifs de la corne dorsale en l‟absence d‟un stimulus douloureux.
Ainsi, lorsqu‟un sujet est conditionné par des signaux spécifiques, permettant de prédire quand un
stimulus sera douloureux ou non, ces signaux peuvent moduler puissamment la sensation douloureuse
(voir réfs. dans Tracey et Mantyh, 2007). En particulier, lorsqu‟un signal prédisant un stimulus
nociceptif est présenté juste avant une stimulation thermique non douloureuse, les sujets rapportent
cette stimulation comme étant douloureuse. Chez ces mêmes sujets, l‟ACC et le cortex insulaire
antérieur sont activés par des signaux prédictifs de la douleur. En accord avec ces données d‟imagerie
cérébrale chez l‟homme, des enregistrements réalisés dans l‟ACC de primates éveillés ont montré des
neurones spécifiquement activés pendant des comportements d‟évitement de la douleur. De plus, chez
l‟animal, des lésions de l‟ACC empêchent l‟apprentissage de comportements d‟évitement associés à
des stimulations nociceptives toniques (Johansen et coll., 2001) .
Chez des sujets sains on a étudié deux situations impliquant l‟attente d‟une stimulation
douloureuse. Dans la première, les sujets s‟attendent à une stimulation douloureuse, tandis que dans la
deuxième ils ne savent pas si la stimulation suivant le signal sera ou non douloureuse. La première
attente est associée à une modification de l‟activité neuronale dans l‟ACC et le cervelet postérieur,
tandis que la seconde est liée à des changements d‟activité dans le cortex préfrontal ventromédian,
cingulaire médian et l‟hippocampe. L‟attente associée à la connaissance de l‟avenir provoque un
sentiment de peur qui aboutit à une hypoalgésie tandis que l‟attente associée à l‟incertitude se traduit
par de l‟anxiété plutôt que de la peur, et par une augmentation de la sensibilité à la douleur.
Comment les neurones de l‟ACC et du cortex insulaire antérieur participent-ils à la
modulation liée à l‟attente? Il existe des projections directes de l‟ACC sur la PAG. Il y a aussi
une projection dense de l‟ACC sur le noyau accumbens qui projette à son tour sur
l‟hypothalamus et l‟amygdale basolatérale. Il existe également des connexions directes entre
cortex insulaire antérieur, RVM et locus coeruleus (Jasmin et coll., 2003). D‟autres études seront
certainement nécessaires pour élucider les mécanismes de modulation corticale liés à l‟attente de
la douleur. Certains des mécanismes possibles sont décrits dans les paragraphes suivants.
Modulation corticofuge des neurones de la corne dorsale
9
Le faisceau corticospinal issu du cortex somatosensoriel primaire (S1) projette sur les couches
superficielles de la corne dorsale de la moelle (voir réfs. dans Villanueva et Fields, 2004).
Certains de ces axones ont des collatérales qui se terminent dans les couches profondes, donnant
ainsi la possibilité à ce système de moduler simultanément l‟activité de l‟ensemble des neurones
nociceptifs de la corne dorsale. La stimulation du cortex S1 et moteur peut activer ou inhiber les
cellules spinothalamiques chez le singe. Des effets inhibiteurs sont obtenus principalement lors
d‟une stimulation de l‟aire S1 tandis que des effets mixtes (inhibition ou facilitation) sont
provoqués à partir du cortex moteur. Par le cortex insulaire antérieur rostral (RAIC) module
l‟activité des neurones de la corne dorsale et provoque des effets bidirectionnels sur l‟intégration
du message nociceptif (Jasmin et coll., 2003). Ces contrôles semblent impliquer des structures
bulbaires telles que la RVM et les neurones noradrénergiques du locus coeruleus.
L‟augmentation locale du taux de GABA dans le RAIC provoque des effets antinociceptifs par
l‟intermédiaire des contrôles descendants noradrénergiques bulbaires. L‟activation sélective
locale des récepteurs GABAB dans le RAIC produit au contraire une hyperalgésie, en activant un
circuit pro-nociceptif dans l‟amygdale. L‟ensemble de ces données montre donc que de
nombreuses aires corticales exercent des effets directs et indirects sur l‟intégration des influx
nociceptifs au niveau de la corne dorsale. Ces systèmes pourraient être à l‟origine de la
modulation corticale de la douleur chez l‟homme, et représenter le substrat de l‟analgésie
produite par stimulation électrique du cortex somatosensoriel ou moteur (Garcia-Larrea et coll.,
1999 ; Nguyen et coll., 2004).
Modulation corticofuge du système trigéminal
Des études anatomiques ont également montré des projections directes du faisceau
corticobulbaire sur le noyau caudal du trijumeau (Sp5C ; voir réfs. dans Desbois et coll., 1999).
L‟innervation corticale du Sp5C est strictement latéralisée et issue principalement des cortex S1
et insulaire (INS). Il est possible que les cortex S1 et INS contribuent aux mécanismes de
sensibilisation centrale qui aboutit aux migraines et autres types de céphalées. Cette hypothèse
est en accord avec les études montrant que la dépression corticale envahissante (CSD) semble un
élément clé à l‟origine de l‟activation du système vasculaire trigéminal (Pietrobon et Striessnig,
2003).
Afin d‟analyser les liens possibles entre l‟excitabilité corticale et la nociception méningée,
nous avons étudié l‟architecture fonctionnelle des réseaux cortico-trigéminaux (Noseda et coll.
2008). Il est apparu que le cortex S1 innerve les couches profondes tandis que l‟INS innerve
seulement les couches superficielles du Sp5C, ces deux régions contenant l‟ensemble des
neurones nociceptifs trigémino-vasculaires. Il existe une relation étroite entre les projections du
10
cortex insulaire sur le Sp5C, le récepteur de la sérotonine de type 5-HT1D et le peptide CGRP,
deux molécules neuroactives impliquées dans les mécanismes des migraines. De plus,
l‟induction de la CSD dans le cortex S1 provoque une inhibition simultanée des réponses tactiles
cutanées et nociceptives méningées des neurones du Sp5C. En revanche, une facilitation
sélective des réponses nociceptives méningées est provoquée lors de l‟induction de la CSD dans
le cortex insulaire. Cette étude renforce l‟hypothèse selon laquelle la CSD serait en mesure
d‟interagir spécifiquement avec des mécanismes à l‟origine du déclenchement de la céphalée
migraineuse. D‟autres aires corticales pourraient également moduler les activités des neurones
du Sp5C par l‟intermédiaire de la PAG, qui semble également impliquée dans la pathogenèse de
l‟attaque de migraine.
Dans les conditions physiologiques, les contrôles corticofuges participent également au
traitement de l‟information somatosensorielle d‟origine trigéminale. Par exemple, chez des
singes éveillés entraînés à réaliser des tâches comportementales faisant l‟objet d‟une
récompense, l‟activité des neurones nociceptifs du Sp5C varie en fonction de la signification du
stimulus. Si le stimulus est associé à une récompense, la réponse neuronale est plus importante.
Ainsi, les neurones qui répondent à une stimulation thermique peuvent être activés par un
stimulus visuel ou moteur uniquement dans le cadre de la tâche comportementale, alors que
l‟intégration d‟un stimulus visuel ou d‟un mouvement de la main n‟avait auparavant jamais été
associée à l‟activité neuronale dans le Sp5C. Il semble donc que la modulation, par le
comportement, de l‟activité des neurones trigéminaux se fasse par l‟intermédiaire de réseaux
distincts, impliqués soit dans le traitement d‟influx sensoriels, soit dans la préparation de l‟acte
moteur. Ceci indique qu‟une information pertinente en relation avec l‟environnement est traitée
dans des régions du système nerveux impliquées dans le comportement de l‟animal. Ainsi,
l‟activité neuronale du Sp5C peut dépendre entièrement du contexte environnemental dans lequel
un signal sensoriel est reçu. Etant donné que des activités similaires, modulées par une tâche
comportementale, ont été mises en évidence dans plusieurs aires corticales, ces modifications de
l‟activité trigéminale sont probablement dues aux mécanismes de modulation corticofuge mis en
place lors des paradigmes comportementaux (voir réfs. dans Villanueva et Fields, 2004).
Modulation corticofuge des contrôles bulbospinaux
Modulation corticofuge du SRD : un lien commun pour le traitement des influx nociceptifs
et moteurs ?
La partie dorsale du SRD est innervée par de nombreuses régions corticales, telles que les
cortex moteur, somatosensoriel et insulaire (Desbois et coll., 1999). Ces influences corticofuges
11
atteignent, par l‟intermédiaire des projections du SRD, simultanément plusieurs régions du SNC.
De nombreuses études ont suggéré que le système pyramidal pourrait mettre en route et affiner
les profils d‟activité de base générés par des circuits bulbaires réticulo-spinaux (voir Canedo,
1997). Le SRD constituerait ainsi un lien privilégié entre les influx nociceptifs et moteurs. Le
cortex, par l‟intermédiaire de ses projections pyramidales sur le SRD, coordonnerait
l‟information nociceptive qui transite à la fois par les structures thalamiques et la corne dorsale,
et pourrait synchroniser sur le plan temporel l‟activité de ces deux relais. Ces mécanismes
corticofuges permettraient au cortex de sélectionner l‟information pertinente en supprimant ou en
augmentant les signaux ascendants ou descendants qui cheminent par le SRD. En accord avec
cette hypothèse, des études électrophysiologiques et comportementales chez le rat (Zhang et coll.
2005) ont montré que la facilitation des réponses nociceptives induites par une stimulation de
l‟ACC était bloquée par des lésions du SRD.
Modulation corticofuge du réseau PAG/RVM : un substrat commun de l’analgésie
morphinique et de celle induite par effet placebo ?
Le blocage de l‟analgésie placebo par un antagoniste des récepteurs opiacés a été confirmé
dans des modèles de douleur cliniques et expérimentaux (voir réfs. dans Benedetti et coll., 2005).
Des études d‟imagerie cérébrale, réalisées chez l‟homme par Petrovic et coll. (2002), ont
comparé les régions activées par l‟administration de fentanyl, un agoniste µ, ou d‟un placebo
(sérum physiologique). Lorsqu‟on applique une stimulation nociceptive thermique, on observe
une superposition significative des aires activées par le fentanyl et le placebo. Ces aires incluent
l‟ACC et des régions localisées dans le tronc cérébral. Ces auteurs ont également observé que
l‟activité de l‟ACC co-varie avec celle dans des régions autour de la PAG durant l‟analgésie
provoquée par le fentanyl et le placebo, mais pas durant la stimulation nociceptive thermique
seule. Ceci suggère que l‟ACC, par l‟intermédiaire de ses connexions avec la PAG, intervient
dans les processus de modulation qui sont à l‟origine de l‟analgésie morphinique et par le
placebo (Vogt, 2005).
Modulation corticothalamique
La participation du cortex S1 dans la dimension sensori-discriminative de la douleur a été
proposée à partir des données anatomiques montrant que des zones restreintes de S1 sont
innervées par le thalamus ventrobasal (VPL), qui reçoit directement les projections du faisceau
spino-thalamique (voir Chapitre précedent). Ces données anatomiques suggèrent aussi que les
activités corticales sont largement dépendantes des interactions réciproques existant avec leurs
relais thalamiques car il y a environ 10 fois plus de fibres qui projettent en retour du cortex au
thalamus que celles innervant le cortex, en provenance du thalamus. Les neurones du VPL sont
12
hétérogènes sur le plan fonctionnel puisqu‟on distingue 3 types de neurones : les uns répondent
uniquement à la stimulation nociceptive (neurones nociceptifs spécifiques) ou non nociceptive
(neurones non nociceptifs), les autres sont activés par les deux types de stimulations (neurones
nociceptifs non-spécifiques). Cependant, ces trois catégories fonctionnelles sont homogènes sur
le plan morphologique : l‟ensemble des neurones du VPL sont multipolaires avec un arbre
dendritique dense, et projettent dans la même région de la couche IV de S1. Des enregistrements
électrophysiologiques ont montré que la discrimination des modalités sensorielles (nociceptives
ou non-nociceptives) au sein du cortex S1 s‟exerce par le biais des boucles thalamo-cortico-
thalamiques. En effet, ce contrôle corticothalamique module simultanément et de façon sélective
des réponses tactiles et nociceptives au sein du VPL, par l‟intermédiaire de systèmes
GABAergiques et glutamatergiques (Monconduit et coll., 2006).
Les premières études d‟imagerie cérébrale avaient montré que l‟application d‟une stimulation
nociceptive thermique à un membre antérieur induisait soit une augmentation soit une
diminution voir même une absence de modification d‟activité dans S1 (voir réfs. dans Duncan et
Albanese, 2003). Ces résultats contradictoires pourraient être en rapport avec la somatotopie
précise et l‟organisation restreinte de la boucle thalamo-corticale, conduisant à des activations
nécessairement ponctuelles au sein de S1, qui ne peuvent être être détectées qu‟avec des
méthodes à haute résolution. Un autre élément à prendre en compte est que l‟activation de S1 par
des stimuli tactiles ou nociceptifs peut être modulée par l‟attention, voire des suggestions
hypnotiques en vue de modifier spécifiquement l‟intensité d‟une douleur sans interférer avec sa
valence désagréable (voir réfs. dans Duquette et coll., 2007).
Conclusions
L‟ensemble des travaux présentés ici montrent que le SNC constitue un système sélectif de
reconnaissance qui permet de modifier l‟information afférente en fonction du contexte, de telle
sorte que la spécificité d‟une sensation résulte d‟une sélection a posteriori.
Les sensations et les réactions provoquées par une douleur résultent de mécanismes de type
“ bottom-up ” et “ top-down ” étroitement imbriqués. De nombreuses régions corticales, en
ajustant à la fois les cartes sensorielles thalamiques et pré-thalamiques, sont en mesure de
modifier l‟activité de l‟ensemble des réseaux situés en amont. De fait, les études d‟imagerie
fonctionnelle montrent que les aires corticales ne sont pas simplement des récepteurs de
l‟information afférente mais participent activement à la modulation de divers aspects de la
sensation douloureuse en fonction de facteurs environnementaux (Friston, 2002).
13
En l‟absence d‟influx périphériques, les projections corticofuges seraient capables de générer
des activités dans les relais situés en amont, et être ainsi à l‟origine de phénomènes de simulation
ou d‟anticipation. Dans des conditions pathologiques, elles pourraient donc représenter un
générateur central de douleurs qui surviennent sans lésion organique apparente ou bien en
absence de stimulation nociceptive (voir Ramachandran, 1998; Harris, 1999; Villanueva et
Fields, 2004). Il est intéressant de souligner à cet égard le cas d‟un patient présentant une
insensibilité congénitale à la douleur qui a expérimenté une seule et unique attaque de céphalée
intense, juste après la mort de son frère (Danziger et Willer, 2005). Cette observation est à
rapprocher des données récentes montrant que des mécanismes de modulation corticale de la
douleur participent également au traitement des processus déclenchés par le stress de séparation
ou d‟exclusion lié à la perte d‟un être cher (Eisenberger et Lieberman, 2004).
Harris (1999) a été le premier à proposer qu‟une douleur sans lésion organique apparente,
comme celle observée chez des patients ayant un membre fantôme ou lors de dystonies de la
main chez les musiciens, les écrivains ou les opérateurs sur claviers pourrait résulter d‟un conflit
entre l‟intention motrice, la conscience du mouvement et le retour visuel. Cette discongruence
provoquerait des changements plastiques dans le cortex somatosensoriel et moteur qui
aboutiraient à un contrôle cortical incorrect de la proprioception. Ce conflit entre l‟intention et le
mouvement déclencherait une douleur, et serait l‟équivalent du mal des transports, où il y a
conflit entre les sensations visuelles et vestibulaires.
D‟ailleurs, des travaux récents montrent l‟existence de liens entre systèmes somatosensoriels,
proprioceptifs et visuels dans la modulation de la douleur, permettant de développer des
traitements cognitifs viables. Par exemple, il est possible de soulager la douleur du membre
fantôme en regardant l‟image virtuelle de ce membre de façon synchrone avec la commande
motrice (Ramachandran, 1998; Giraux et Sirigu, 2003). Plus récemment, on a montré chez des
patients atteints d‟algodystrophie avec atteinte unilatérale, l‟existence de troubles de la
perception visuospatiale, à savoir une perception décalée d‟un point lumineux systématiquement
du coté douloureux (Sumitani et coll., 2007a,b). Des exercices ont permis de recaler la
perception visuelle suite à une adaptation de lunettes prismatiques. Cette rééducation non
seulement a soulagé la douleur mais a également amélioré d‟autres symptômes de
l‟algodystrophie tels que l‟oedème, la décoloration de la peau et les troubles moteurs.
Il est évident que la sensation douloureuse possède une qualité qui lui est propre et lui permet
d‟être perçue de façon univoque. Etant donné l'existence de sensations désagréables non
douloureuses, on a proposé de décrire sous le terme d‟ “ algosité ” la propriété psychophysique
14
d‟une expérience somesthésique lui permettant d‟être identifiée précisément comme une douleur
(Fields, 1999). On peut se demander si cette "algosité" est le résultat du traitement de
l‟information par des réseaux neuronaux spécifiquement “ algoceptifs ”, par des modalités
d‟activité au sein de réseaux somesthésiques, ou par les deux ?
En réalité, on ne peut répondre à cette interrogation sans avoir à l'esprit qu'un stimulus
nociceptif n‟apparaît jamais dans un SNC vide. Le SNC possède une activité somesthésique de
base non seulement importante pour la douleur, mais qui fournit également une information en
continu, essentielle pour l‟homéostasie, constamment sélectionnée et modulée en vue d‟une
réponse appropriée.
Comme l‟a suggéré Wall (1989), un tel état dynamique pourrait expliquer la très grande
variabilité des réponses aux stimuli douloureux lors d‟expériences identiques effectuées par
différents laboratoires sur des sujets entraînés. Ceci pourrait également expliquer la variabilité
des douleurs chez des patients admis aux urgences et ayant été triés en fonction de lésions
équivalentes. Une autre donnée pertinente concerne les fluctuations des douleurs spontanées lors
des lombalgies chroniques qui se révèlent associées à l‟activation de régions corticales distinctes.
Ainsi, lors des phases de douleurs soutenues de grande intensité, on observe des activations
spécifiques confinées au cortex pré-frontal médian. En revanche, lors des douleurs spontanées
d‟intensité croissante, on détecte une augmentation d‟activité dans de nombreuses régions
corticales mises en jeux lors des douleurs aiguës, incluant notamment l‟ACC (Baliki et coll.,
2006).
Sur la base de toutes ces données, on peut considérer que la perception de la douleur est
vraisemblablement un processus actif. Curieusement, ce concept a été adopté par les deux écoles
antagonistes : P. D. Wall (1999), chef de file des “ non-spécifistes ”, a proposé que “ la douleur
s‟apparente aux sensations telles que la faim, la soif, ou les démangeaisons, que l‟on peut
considérer comme des besoins qui vont déclencher l‟action à suivre ”. Pour cet auteur, “ la
douleur est un attribut assigné par le cerveau en tant que qualité ”. De son côté, A. D. Craig
(2003), “ spécifiste ” convaincu, propose que “ la douleur est une émotion homéostasique,
comme la sensation thermique, les démangeaisons, la faim et la soif. En d‟autres termes, la
douleur est à la fois un aspect de l‟entéroception et une motivation comportementale
spécifique ” .
Remerciements
15
Les auteurs remercient les Drs. Jean-François Bernard et Michel Hamon pour leurs précieux
commentaires lors de la révision du manuscrit. Ce travail a été effectué grâce au soutien de
l‟Institut UPSA de la Douleur, de l‟INSERM et de l‟Université Pierre et Marie Curie.
REFERENCES
Andre J, Zeau B, Pohl M, Cesselin F, Benoliel JJ, Becker C. Involvement of cholecystokininergic
systems in anxiety-induced hyperalgesia in male rats: behavioural and biochemical studies. J Neurosci
2005; 25: 7896-7904.
Baliki MN, Chialvo DR, Geha PY, Levy RM, Harden RN, Parrish TB, Apkarian AV. Chronic pain
and the emotional brain: specific brain activity associated with spontaneous fluctuations of intensity of
chronic back pain. J Neurosci 2006; 26: 12165-12173.
Benedetti F, Mayberg HS, Wager TD, Stohler CS, Zubieta JK. Neurobiological mechanisms of the
placebo effect. J Neurosci 2005; 25: 10390-10402.
Bouhassira D, Danziger N, Attal N, Guirimand F. Comparison of the pain suppressive effects of
clinical and experimental painful conditioning stimuli. Brain 2003; 126: 1068-1078.
Bouhassira D, Kern D, Rouaud J, Pelle-Lancien E, Morain F. Investigation of the paradoxical painful
sensation ('illusion of pain') produced by a thermal grill. Pain 2005; 114(1-2):160-167.
Bouhassira D, Le Bars D, Villanueva L. Heterotopic activation of A and C fibres triggers inhibition
of trigeminal and spinal convergent neurones in the rat. J Physiol (Lond) 1987; 389: 301-317.
Canedo A. Primary motor cortex influences on the descending and ascending systems. Prog Neurobiol
1997; 51: 287-335.
Craig AD, Reiman EM, Evans A, Bushnell MC. Functional imaging of an illusion of pain. Nature
1996; 384: 258-260.
Craig AD. A new view of pain as a homeostatic emotion. TINS 2003; 26: 303-307.
Danziger N, Willer JC. Tension-type headache as the unique pain experience of a patient with
congenital insensitivity to pain. Pain 2005 ; 117:478-483.
16
De Broucker T, Cesaro P, Willer JC, Le Bars D. Diffuse Noxious Inhibitory Controls (DNIC) in man:
involvement of a spino-reticular tract. Brain 1990; 113: 1223-1234.
Defrin R, Ohry A, Blumen N, Urca G. Sensory determinants of thermal pain. Brain 2002;125: 501-
510.
Desbois C, Le Bars D, Villanueva L. Organization of cortical projections to the medullary subnucleus
reticularis dorsalis : a retrograde and anterograde tracing study in the rat. J Comp Neurol 1999; 410: 178-
196.
Deslile D, Plaghki L. La neurostimulation électrique transcutanée est-elle capable de modifier la
perception de la douleur ? Une méta-analyse. Douleur et Analgésie 1990 ; 3: 115-122.
Dickenson AH, Suzuki R, Matthews EA, Rahman W, Urch C, Seagrove L, Rygh L. Balancing
excitations and inhibitions in spinal circuits, In: L. Villanueva, A. H. Dickenson and H. Ollat (Eds.) The
pain system in normal and pathological states : a primer for clinicians, Progress in pain research and
management, vol. 31, IASP Press, Seattle, 2004, pp. 79-106.
Duquette M, Roy M, Leporé F, Peretz I, Rainville P. Mécanismes cérébraux impliqués dans
l‟interaction entre la douleur et les emotions. Rev Neurol 2007; 163: 169-179.
Duncan GH, Albanese MC. Is there a role for the parietal lobes in the perception of pain ? Adv Neurol
2003; 93: 69-86.
Eisenberger NI, Lieberman MD. Why rejection hurts: a common neural alarm system for physical and
social pain. Trends Cogn Sci 2004; 8:294-300.
Fields HL. Pain: an unpleasant topic. Pain Supplement 1999; 6: S61-S69.
Fields HL, Basbaum AI, Heinricher MM. Central nervous system mechanisms of pain modulation. In :
McMahon S, Koltzenburg M, eds. Textbook of Pain. Edinburgh : Churchill Livingstone; 2004: .
Friston K. Beyond phrenology: what can neuroimaging tell us about distributed circuitry ? Annu Rev
Neurosci 2002; 25:221-250.
17
Garcia-Larrea L, Peyron R, Mertens P, Gregoire MC, Lavenne F, Le Bars D, Convers P, Mauguiere F,
Sindou M, Laurent B. Electrical stimulation of motor cortex for pain control: a combined PET-scan and
electrophysiological study. Pain 1999; 83:259-73.
Giraux P, Sirigu A. Illusory movements of the paralyzed limb restore motor cortex activity.
Neuroimage 2003; Suppl 1:S107-S11.
Goffaux P, Redmond WJ, Rainville P, Marchand S. Descending analgesia-when the spine echoes what
the brain expects. Pain 2007; 130: 137-143.
Green BG. Temperature perception and nociception. J Neurobiol 2004; 61(1):13-29.
Green BG, Roman C, Schoen K, Collins H. Nociceptive sensation evoked from „spots‟ in the skin by
mild cooling and heating. Pain 2008; 135: 196-208.
Harris AJ. Cortical origin of pathological pain. Lancet 1999; 354 : 1464-1466.
Jasmin L, Rabkin SD, Granato A, Boudah A, Ohara P. Analgesia and hyperalgesia from GABA-
mediated modulation of the cerebral cortex. Nature 2003; 424 : 316-320.
Johansen JP, Fields HL, Manning BH. The affective component of pain in rodents: direct evidence for
a contribution of the anterior cingulate cortex. Proc Natl Acad Sci USA 2001;98(14):8077-8082.
Julius D, Basbaum AI. Molecular mechanisms of nociception. Nature 2001; 413: 203-210.
Le Bars D, Dickenson AH, Besson JM. Opiate analgesia and descending control systems. Adv Pain
Res Ther 1983; 5: 341-372.
Linderoth B, Meyerson BA. Dorsal column stimulation : modulation of somatosensory and autonomic
function. Seminars in the Neurosciences 1995; 7: 263-277.
Lumb B. Hypothalamic and midbrain circuitry that distinguishes between escapable and inescapable
pain. News Physiol Sci 2004; 19: 22-26.
Macdonald AJR. Acupuncture‟s non-segmental and segmental analgesic effects: the point of
meridians. In: Filshie J, White A, eds. Medical acupuncture: a western approach. Churchill Livingstone;
1998 ; pp. 83-104.
18
Mason P. Contributions of the medullary raphe and ventromedial reticular region to pain modulation
and other homeostatic functions. Annu Rev Neurosci 2001; 24: 737-777.
Melzack R, Wall PD. Pain mechanisms : a new theory. Science 1965; 150: 971-979.
Monconduit L, Bourgeais L, Bernard JF, Villanueva L. Systemic morphine selectively depresses a
thalamic link of widespread nociceptive inputs in the rat. Eur J Pain 2002a; 6: 81-87.
Monconduit L, Desbois C, Villanueva L. The integrative role of the rat medullary subnucleus
reticularis dorsalis in nociception. Eur J Neurosci 2002b ; 16: 935-944.
Monconduit L, Lopez-Avila A, Molat JL, Chalus M, Villanueva L. Corticothalamic feedback
selectively modulates innocuous and noxious inputs in the rat spinothalamic system. J Neurosci 2006; 26
: 8441-8450.
Nathan PW. The gate-control theory of pain. A critical review. Brain 1976; 99(1):123-58.
Nguyen JP, Lefaucheur JP, Moubarak K, Cesaro P, Palfi S, Keravel Y. Novel strategies for modern
neurosurgery. In: Villanueva L, Dickenson AH, Ollat H, eds. The pain system in normal and pathological
states: a primer for clinicians. Seattle: IASP press; 2004 ; pp. 311-326.
Norrsell U, Finger S, Lajonchere C. Cutaneous sensory spots and the "law of specific nerve energies":
history and development of ideas. Brain Res Bull 1999; 48(5):457-65.
Noseda R, Constandil L, Bourgeais, L, Chalus M, Villanueva L. Cortical excitability directly
influences brainstem trigeminovascular neurons in the rat: a central link for endogenous modulation of
migraine pain. Soumis.
Oliveras JL, Besson JM. Stimulation-produced analgesia in animals : behavioural investigations. In:
Fields HL, Besson JM, eds. Progress in Brain Research, Vol 77. Elsevier; 1988: 141-157.
Perl E. Ideas about pain, a historical view. Nat Rev Neurosci 2007; 8: 71-80.
Petrovic P, Kalso E, Petersson KM, Ingvar M. Placebo and opioid analgesia-imaging a shared
neuronal network. Science 2002; 295: 1737-1740.
19
Peyron R, Laurent B, Garcia-Larrea L. Functional imaging of brain responses to pain. A review and
meta-analysis. Neurophysiol Clin 2000; 30(5):263-288.
Pietrobon D, Striessnig J. Neurobiology of migraine. Nat Rev Neurosci 2003; 4: 386-398.
Ramachadran VS. Consciousness and body image : lessons from phantom limbs, Capgras syndrome
and pain asymbolia. Phil Trans R Soc Lond B 1998; 353: 1851-1859.
Rivat C, Laboureyras E, Laulin JP, Le Roy C, Richebé P, Simonnet G. Non-nociceptive environmental
stress induced hyperalgesia, not analgesia, in pain and opioid-experienced rats.
Neuropsychopharmacology 2007; 32: 2217-2228.
Sotgiu ML, Valente M, Storchi R, Caramenti G, Biella GEM. Contribution by DRt descending
facilitatory pathways to maintenance of spinal neuron sensitization in rats. Brain Res 2008; 1188: 69-75.
Sumitani M, Rossetti Y, Shibata M, Matsuda Y, Sakaue G, Inoue T, Mashimo T, Miyauchi S. Prism
adaptation to optical deviation alleviates pathologic pain. Neurology 2007a ; 68:128-33.
Sumitani M, Shibata M, Iwakura T, Matsuda Y, Sakaue G, Inoue T, Mashimo T, Miyauchi S.
Pathologic pain distorts visuospatial perception. Neurology 2007b ; 68:152-4.
Tracey I, Mantyh P. The cerebral signature for pain perception and its modulation. Neuron 2007 ; 55 :
377-391.
Villanueva L, Bouhassira D, Le Bars D. The medullary subnucleus reticularis dorsalis (SRD) as a key
link in both the transmission and modulation of pain signals. Pain 1996; 67: 231-240.
Villanueva L, Fields H. Endogenous central mechanisms of pain modulation. In: Villanueva L,
Dickenson AH, Ollat H, eds. The pain system in normal and pathological states: a primer for clinicians.
Seattle: IASP press; 2004 ; pp. 223-243.
Villanueva L, Le Bars D. The activation of bulbo-spinal controls by peripheral nociceptive inputs:
Diffuse Noxious Inhibitory Controls (DNIC). Biol Res 1995; 28: 113-125.
Vogt BA. Pain and emotion interactions in subregions of the cingulate gyrus. Nat Rev Neurosci 2005;
6: 533-544.
20
Wall PD. Introduction. In : Wall PD, Melzack R (Eds). Textbook of Pain, Churchill Livingstone,
1989, pp 1-18.
Wall PD. Pain in context : the intellectual roots of pain research and therapy. In : Devor M,
Wiesenfeld-Hallin Z, Rowbotham MC (Eds). Proceedings of the 9th World Congress on Pain, IASP
Press, 1999, pp 19-33.
Woolf CJ, Ma Q. Nociceptors-noxious stimulus detectors. Neuron 2007; 55: 353-364.
Zhang L, Zhang Y, Zhao ZQ. Anterior cingulate cortex contributes to the descending facilitatory
modulation of pain via dorsal reticular nucleus. Eur J Neurosci 2005; 22: 1141-1148.
Zubieta JK, Smith YR, Bueller JA, et al. Regional mu opioid receptor regulation of sensory and
affective dimensions of pain. Science 2001; 293 : 311-315.
LEGENDES
Figure 1 La stimulation des thermorécepteurs contribue à la sensation de douleur
provoquée par la chaleur.
Echelle de perception de l‟intensité d‟une stimulation thermique en fonction de la température
appliquée sur la peau de l‟avant-bras avec une thermode. Les mesures ont été effectuées à
l‟intérieur des zones insensibles à la chaleur non-douloureuse (triangles blancs) qui sont donc
dépourvues de sensibilité thermique normale, et des zones cutanées adjacentes, ayant une
sensibilité thermique normale (triangles noirs). La sensation de chaleur est à peine perçue dans
les zones insensibles, y compris dans une gamme de températures suffisamment chaudes qui
stimulent les nocicepteurs thermiques (au delà de 41°C). En revanche, une stimulation à 44°C
dans les zones sensibles, qui provoque une très forte stimulation des nocicepteurs, évoque des
sensations de chaleur et de brulure cinq fois plus intenses (Modifiée à partir de Green, 2004).
Figure 2 : Organisation des influences segmentaires sur les neurones à convergence.
Les neurones à convergence (cercle noir) sont activés par des stimuli nociceptifs et non
nociceptifs. D‟autre part, ils possèdent un champ inhibiteur qui n'est activé que par des stimuli
non nociceptifs, surtout s'ils sont appliqués de façon répétitive et rapide (frottements, vibrations).
Les influences périphériques sont donc excitatrices (+) et inhibitrices (-). Dans ce dernier cas
elles font intervenir des interneurones inhibiteurs (cercle blanc) qui régulent l'accès des
21
informations issues de la périphérie vers les neurones à convergence situés dans des couches plus
profondes de la corne dorsale de la moelle. La mise en jeu des afférences de gros diamètre A
augmente l'activité de ces interneurones (le « portillon medullaire », voir Melzack et Wall, 1965;
Nathan, 1976). L'activation des fibres fines A et C déprime ce tonus inhibiteur, déclenchant
alors l'ouverture du portillon, ce qui facilite l'envahissement des neurones à convergence, par
désinhibition. On peut soulager la douleur en renforçant les contrôles inhibiteurs segmentaires
par stimulation électrique à haute fréquence et faible intensité des nerfs (A) ou des cordons
postérieurs (B). D'autres hypothèses ont cependant été proposées pour expliquer les effets
bénéfiques de la stimulation segmentaire (voir texte).
Figure 3 : Contrôles inhibiteurs issus du tronc cérébral qui s'exercent sur la
transmission spinale des messages nociceptifs.
Dans la partie rostrale du bulbe, l'application d'un stimulus nociceptif active via la
substance grise périaqueducale (PAG), les contrôles inhibiteurs descendants issus du bulbe
rostro-ventro-médian (RVM). L'existence de deux types neuronaux assure une boucle de
rétroaction positive : les cellules "on", qui excitent les neurones de la corne dorsale, sont activées
par stimulation nociceptive; les cellules "off", qui inhibent les neurones de la corne dorsale, sont
inhibées par stimulation nociceptive; ainsi la transmission nociceptive spinale est facilitée par un
double mécanisme de facilitation et de désinhibition.
Les contrôles inhibiteurs diffus induits par une stimulation nociceptive (CIDN) sont
déclenchés spécifiquement par les stimulations nociceptives et par la mise en jeu des fibres
périphériques A et C. Les voies ascendantes et descendantes de la boucle sont localisées
respectivement dans le quadrant antéro-latéral et dans le funiculus postéro-latéral. Les structures
cérébrales participant aux CIDN sont localisées dans la partie caudale du bulbe.
Figure 4 : Schéma des principaux mécanismes de modulation centrale de la douleur.
Un stimulus nociceptif active des mécanismes segmentaires et bulbo-spinaux par lesquels la
transmission nociceptive spinale peut être atténuée ou amplifiée. Les aires corticales constituent
la source principale de modulation descendante car pratiquement l‟ensemble des relais
nociceptifs du système nerveux central est sous l‟influence de contrôles corticofuges (voir texte).