historiografia das elites rurais da alta idade média

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    Lhistoriographie des lites rurales du haut Moyen ge.

    Emergence dun problme ?

    Laurent Feller

    La question des lites rurales du haut Moyen ge est apparue relativement rcemment

    dans lhistoriographie. Admettre, mme par hypothse, lexistence dune lite paysanne

    revient dire que les paysans sont les sujets de leur propre histoire et quils ne sont pas

    totalement soumis la domination seigneuriale : ils ont, dans cette perspective, une vritable

    autonomie, qui est davantage quune capacit de raction aux vnements sociaux ou

    conomiques. Les lectures les plus courantes de la socit mdivale excluent ce point de vue

    pour des raisons complexes qui tiennent en partie ce que lobjet dtude privilgi est,

    depuis Marc Bloch la seigneurie. Or, la problmatique de la seigneurie a davantage mis

    laccent sur les liens de sujtion et sur loppression subie par le monde rural que sur le

    fonctionnement concret des communauts dhabitants dont on voyait mal dailleurs comment

    elles pouvaient fonctionner lintrieur du cadre coercitif de la seigneurie.

    La seigneurie ou le pouvoir des matres de la terre sur les hommes qui lexploitent

    constitue un versant du problme. Une autre faon de prsenter les choses est de se

    demander sil est possible que lordonnancement des socits paysannes du haut Moyen ge

    ait repos sur lexistence de personnages ressemblant dune faon ou dune autre, ft-ce quepar analogie, aux big men de lanthropologie anglo-saxonne. Il faudrait admettre que llite

    pourrait tre compose de personnages sans position statutaire mais dots dune autorit de

    fait reposant sur leur capacit ngocier des services. Leur rle politique la tte dune

    communaut reposerait sur une richesse rassemble non pas pour tre accumule et

    transmise mais pour tre redistribue afin de crer des formes de reconnaissance et donc des

    rseaux o lautorit sappuie sur la rciprocit dans lchange. Lautorit de ces hommes doit

    toujours tre ngocie et est sans arrt susceptible dtre remise en cause.Un autre niveau doit enfin tre considr. Le monde rural est reli la socit qui

    lenglobe. Il a, en particulier, des relations directes ou indirectes avec laristocratie de rang

    comtal ou quivalent travers des personnages dots la plupart du temps dun statut

    (sculdassii, machtierns, gastalds). Ceux-l, sils ne font pas vritablement partie de la

    communaut rurale, doivent cependant, du fait de leur position intermdiaire, tre considrs

    comme constitutifs dune forme dlite rattache la fois au monde aristocratique et au

    monde paysan quils gouvernent sans le dominer au sens o les seigneurs du XIesicle ont pu

    le faire.

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    titre de provision, donc, on admettra pour linstant deux directions de rflexion et de

    recherche dans la bibliographie : 1) Appartient dune faon ou dune autre llite la frange

    suprieure de la paysannerie, cest--dire de ceux qui sont engags dans le processus de

    production en tant que cultivateurs ou en tant que chefs dexploitation. Il sagit l de ceux qui

    font preuve dexcellence dans leur activit principale, qui est de produire, et sont de ce fait en

    mesure de rassembler des richesses. La faon dont leur rle social a t ou na pas t peru

    est le propos de ce papier. 2) Appartiennent aussi llite ceux qui ont part au pouvoir au

    niveau le plus strictement local, la tte du village. Ils participent la fonction politique,

    encadrent et contrlent la socit villageoise et servent dinterface ou de go-between entre

    elle et la socit englobante. Ces gens sont aussi des propritaires fonciers locaux : la taille et

    la nature de leur patrimoine sont lun des aspects importants et intressants de la question

    quil nous faudra aborder.Admettre ces deux dfinitions et les retenir titre dhypothse de travail nous permet

    de rflchir aux processus de production des diffrenciations sociales et des hirarchies

    lintrieur du monde rural. Cela nous oblige galement poser la question de la circulation

    des lites de lun lautre de ces deux groupes dont la prsence doit au demeurant tre

    vrifie. Cette dfinition exclut les hommes et les groupes familiaux dont les intrts

    dpassent le village, qui sont en contact avec plusieurs communauts et qui, de ce fait, sont

    amens avoir des rapports permanents et non occasionnels avec les autorits publiques deniveau comtal ou suprieur.

    Enfin, le processus par lequel se construit la hirarchie lintrieur du village amne

    sinterroger sur le comportement des membres du groupe le dominant. On sattend trouver

    plusieurs types de comportement, lis aux deux positions que je viens dvoquer, dans la

    faon dont peut tre envisage la reproduction sociale. Ou bien les membres de llite

    cherchent assurer leur domination lintrieur de la communaut, et la reproduction alors

    doit se passer dans le village. Les comportements sociaux sont tout entiers tendus vers la

    matrise de forces internes la communaut. Ils passent par des politiques cibles dachat et

    de ventes de terre et par des choix matrimoniaux prcis et entranent des comportements qui

    font se rapprocher les agents des membres de laristocratie politique locale. Un autre type de

    politique consiste sappuyer sur des forces extrieures au village afin de consolider la

    domination que le groupe exerce sur lui. Les membres de ce groupe suprieur de la

    paysannerie choisissent parfois de sinsrer dans une structure politique plus vaste et, faisant

    jouer les rseaux qui peuvent assurer leur promotion lintrieur de leur communaut

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    dorigine. Ce choix peut aller jusqu entraner le franchissement dune barrire sociale : Le

    passage dans la chevalerie au XIesicle apparat comme lune des figures de ce choix.

    Il ne va pas de soi, cependant, que le monde rural ait eu une vritable lite, quil sagisse

    dune lite de fonction ou dune lite conomique. Toute la vieille cole , de Bloch au

    Duby de lEconomie rurale et la vie des campagnesou au Toubert des Structures du Latium mdival

    considre que le grand problme dhistoire sociale qui se pose durant le haut Moyen ge est

    celui de la constitution dune classe homogne juridiquement et socialement de dpendants.

    Le dernier hritier de cette longue ligne, Dominique Barthlemy, va jusqu nier, comme le

    fait dailleurs Claudie Amado, que les paysans soient perceptibles dans la documentation quil

    manipule1.

    En fait, ds La Socit fodale, un schma est construit dont il est assez difficile desvader. Bloch, en effet, prsente le monde rural comme hritier dun trs vieux pass. Il

    existe des continuits topographiques et des continuits sociales qui trouvent sexprimer

    dans la seigneurie. Continuits topographiques : pour Bloch, i l y a des exploitations

    paysannes aussi vieilles que lagriculture et les tenures paysannes aussi bien que les alleux en

    sont les continuateurs. Continuits sociales : des formes de domination sociale, exprimes par

    exemple travers les petits cadeaux coutumiers, les exenia, que lon rencontre si souvent dans

    les documents, quil sagisse de polyptyques ou de contrats agraires, existent depuis lpoqueprhistorique. La recherche dun protecteur, dun patron ou dun matre, a entran la

    constitution de groupements humains stables, rassembls autour dun chef et dont le seigneur

    foncier du haut Moyen ge est lhritier direct ou dont il constitue une figure. Il existe certes

    des terres libres, des alleux. La spcificit du haut Moyen ge, et plus prcisment de la

    priode carolingienne, est la rarfaction de ceux-ci : ils tendent tre intgrs au complexe

    foncier du grand domaine et cest lintrieur de celui-ci que se joue lvolution sociale. Pour

    Bloch, il sagit de quelque chose de dramatique ( lhumble drame champtre 2 crit-il) qui

    est le reflet au niveau le plus bas du mouvement qui prcipite les hommes dans les nuds de

    la subordination vassalique. Sans nier que des groupes dalleutiers ou de paysans sans

    seigneurs aient pu a et l exister, Bloch place linsertion des paysans dans la seigneurie au

    cur de tout le processus de transformation sociale.

    De ce fait, la question essentielle pour lui, comme pour lensemble de ses successeurs,

    est celle du colonat, quil faut comprendre comme linstitution sociale qui permet le

    1D. Barthlemy, La socit dans le comt de Vendme, p. 441. C. Duhamel-Amado, Lalleu paysan a-t-il exist 2M. Bloch, La socit fodale, p. 342.

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    nivellement des classes et leur confusion. Ce qui importe alors est lapparition dune foule

    uniforme de dpendants des seigneuries, hommes du matre, esclaves chass, affranchis, tous

    soumis, plus ou moins, la mainbour du seigneur. Par glissement progressif, les libres dchus

    et appauvris et les anciens esclaves promus se trouvrent inclus dans un nouveau groupe, qui

    comportait la grande masse des sujets des seigneuries, celui des serfs.

    On le voit, il nest pas, il ne peut pas tre question, dans ces conditions, dlite rurale

    lintrieur de la seigneurie. La seule lite pensable est, dans cette optique, celle que constitue

    le groupe des seigneurs lui-mme. La place de leurs agents, cest--dire des intermdiaires

    entre eux et les paysans, de lensemble des petits officiers seigneuriaux dtenant une fraction

    de lautorit seigneuriale est, elle aussi, subordonne. Au service de laristocratie dont ils sont

    comme les domestiques, ils nont pas didentit sociale bien dfinie. Bloch tait parfaitement

    conscient toutefois quil y avait un en-dehors de la seigneurie, cest--dire quil existait desvilains libres. Il renonce les tudier, tout simplement parce que ltat de la documentation

    disponible de son temps ne le lui permet pas. Et parce que son sujet est, en 1939, la socit

    fodale. Non la paysannerie en tant que telle.

    La position du problme par Bloch, sa cristallisation autour du contenu social de

    lopposition entre libert et servitude, cest--dire la focalisation du dbat autour de concepts

    juridiques, devait durer longtemps et donner naissance une forme de vulgate, ou de

    paradigme. Charles Edmond Perrin, reprenant en 1952 pour un cours vritablementmagistral, le dossier du grand domaine et du colonat, aboutit des conclusions similaires.

    Pour lui, lessentiel est la confusion des conditions et lapparition de ce quil appelle une

    classe servile. Par la suite, les manuels par exemple celui de Guy Fourquin paru en 1973,

    abondent dans ce sens3 : pour lui, la paysannerie est totalement sujette lintrieur du grand

    domaine qui a fini par absorber lessentiel du foncier et dont lexistence suppose quil ny a

    pas de communauts paysannes. Lhistoire de la petite proprit paysanne et du groupe des

    paysans libres est pour lui celle dun long recul et dune rgression continue depuis le VI e

    sicle : cette rgression et ce recule entranent la disparition de la classe des petits

    propritaires libres dont le statut et la condition se confondent avec ceux des dpendants du

    grand domaine.

    Le mme Guy Fourquin, dans un petit ouvrage sur les soulvements populaires dans

    lequel il souligne longuement le rle des lites dans les rvoltes mdivales va jusqu crire

    que, jusquau XIe sicle, il ny a pas dautre lite que clricale ou militaire4. On ne peut pour

    3G. Fourquin, Le paysan d'occident4G. Fourquin, Les soulvements populaires, p. 92.

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    lui parler dlites paysannes, dans la mesure o lon ne quitte pas le monde des rustres : la

    possibilit de slever tant caractristique voire constitutive de la notion mme dlite, le

    terme apparat comme dnu de sens jusqu ce que, partir du XIe sicle, quelques paysans

    aiss et heureux (sic) aient pu slever au-dessus de la masse paysanne et contribuer, par le

    bas, au renouvellement de la noblesse.

    En ralit, ds les annes 1950, une autre perception de la ralit paysanne apparaissait

    dans lhistoriographie, due essentiellement au fait que les chercheurs se sont alors intresss,

    mme pour les priodes hautes, dautres types de documents qui leur ont permis

    dapprhender dautres ralits. Georges Duby, dans sa thse, aborde la question du statut

    concret des cultivateurs. Au Xe sicle, il ne les voit pas du tout tous galement opprims et

    humilis. Et sil dmontre bien quil existe en Mconnais un nivellement des conditions et des

    statuts, il ne voit pas que ce nivellement ait accru les charges pesant sur la paysannerie. Aucontraire, il souligne le caractre positif de la situation. Les masoyers, ceux qui tiennent un

    manse, ont une tenure hrditaire dont ils ne peuvent aisment tre expulss. Les charges

    pesant sur la terre sont lgres et tendent sallger encore du fait de la mauvaise gestion

    seigneuriale. Sil y a eu alignement des conditions, cest vers le haut, vers le sens dune plus

    grande aisance paysanne et dune plus grande autonomie mme des tenanciers. Dautre part,

    la seigneurie mconnaise est bien incapable de procurer un cadre de vie stable aux paysans.

    Leur communaut est ailleurs, sans doute dj dans le village, mais assurment pas dans laseigneurie. La conclusion du chapitre II de la premire partie propose une esquisse de

    stratification conomique et sociale. Duby insiste sur le fait que la socit mconnaise du Xe

    sicle est indniablement une socit de paysans pour qui la seule valeur qui fasse sens est la

    terre5. Les hirarchies sociales sont dtermines par la taille de lexploitation et non par la

    dimension de la proprit. Les plus hauts placs sont, dit-il, ceux qui conservent les plus vastes

    condemines et les troupes de travailleurs les plus nombreuses. La hirarchie ainsi dtermine comporte

    trois groupes : celui des valets, qui ne sont mme pas matres de leur corps. Domestiques du

    seigneur, ils dpendent entirement de lui. Les plus favoriss ou les plus habiles dentre eux,

    slevant dans le groupe domestique parviennent devenir rgisseurs ou intendants et sont

    placs dans une situation de commandement lgard des autres serviteurs. Ils demeurent

    spars toutefois du groupe paysan, cest--dire du groupe de ceux qui mettent en valeur eux-

    mmes leur propre exploitation.. Celui-ci, pour Duby, est central. Il est relativement

    complexe, puisquil comporte la fois des laboureurs possdant leurs propres bufs et des

    manouvriers qui nen ont pas. La stabilit du groupe des propritaires est menace la fois

    5G. Duby, La socit aux XIe et XIIe sicles, p. 87.

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    par les partages successoraux et les aumnes frquentes aux glises. La plupart enfin sont la

    fois tenanciers de seigneurs peu exigeants et propritaire de leurs terres. Ce groupe l est

    donc en fait lui-mme diffrenci : il existe, ds le Xe sicle, des diffrences de fortune qui,

    dune faon ou dune autre ont des consquences sur lorganisation sociale du village.

    Au-dessus de ce monde de producteurs, structur par un critre essentiel, celui de la

    possession de la terre et de son exploitation (et non par les liens de sujtion ou par les liens

    dhomme homme), se trouve le groupe des seigneurs : il ny a rien entre les deux. Ce nest

    pas un groupe en lui-mme homogne, puisque la plupart des majores nont quune fortune

    des plus restreinte et essentiellement locale. Elle est suffisante toutefois pour que ces

    hommes puissent sortir du village et se mler la vie rgionale . Duby conclut le chapitre

    en insistant sur la mdiocrit conomique et la stabilit densemble de la structure quil dcrit

    et sur son manque de dynamisme conomique comme sur labsence de mobilit socialeperceptible. Ce quil appelle enfin des considrations dordre sentimental et qui sont

    dimpratives obligations sociales lies la construction du prestige personnel ou familial

    contrarient le libre jeu des forces conomiques . Enfin, ultime notation de Duby, le rang

    social nest pas exclusivement dtermin par la fortune mais par le prestige personnel,

    lillustration de la naissance ou encore le statut juridique qui dterminent, eux, la place

    vritable dans la socit. Georges Duby, constatant cela, poursuivait dans le mme sens que

    Marc Bloch en tablissant une analogie de fonctionnement entre le groupe aristocratique et lapartie suprieure du groupe paysan, astreints effectuer les mmes gestes de gnrosit

    ruineux mais e, astreints aussi faire dpendre leur statut davantage de lhonneur que de la

    richesse : en cela, lun et lautre considrent une qualit essentielle et fondamentale des libres

    et qui les unit, par del les barrires conomiques et les diffrences de statut.

    Plus partielle, du fait de la nature de la documentation commente, la vision de Pierre

    Toubert pour la Sabine et le Latium correspond, dans ses grandes lignes, celles-ci6. Il y a

    toutefois un inflchissement notable dans la faon de considrer les paysans par rapport la

    position de Georges Duby. Pour Pierre Toubert, en effet, lessentiel est la libration des

    hommes intervenus la fin du haut Moyen ge : il reprend en ceci le thme dj prsent dans

    Duby (et que Pierre Bonnassie plus tard dveloppera encore) dun heureux Xesicle, marqu

    par la libert paysanne et la faiblesse de lencadrement seigneurial. Lensemble des processus

    qui amnent la liquidation de lesclavage rural et la valorisation du colonat amnent pour

    lui la constitution dun groupe paysan unique sinon uniforme. Le colonat, lintrieur

    duquel se fondent les diffrent types de dpendances observes durant les priodes

    6P. Toubert, Les structures, p. 479-487.

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    prcdente, est un instrument de promotion sociale pour les plus humbles ; il nest pas

    ncessairement synonyme de dchance des libres et constitue linstitution la mieux en

    mesure de permettre lexpression du dynamisme conomique de la socit rurale. La colonia,

    est toujours exploite par une famille conjugale : cela suppose quil existe une mobilit des

    enfants, qui partent ailleurs fonder leur propre exploitation, seul demeurant sur place un et

    un seul hritier. Il ny a pas, dans le Latium du VIIIe au Xe sicle, dentassement sur place :

    lhabitat dispers permet une prolifration des hommes et de leurs exploitations. En dehors

    de ces considrations, qui lui permettent daller au plus prs quil est possible de la condition

    concrte des paysans latiaux, Pierre Toubert dit peu de choses de la socit paysanne : la

    documentation est ici en partie en cause, les grands chartriers dItalie centrale et les

    cartulaires de Farfa ayant t expurgs de ce qui fait la richesse, par exemple, des fonds

    catalans, cest--dire les actes passs entre personnes prives. Ce masque documentaire,toutefois, ne doit pas masquer un fait essentiel : malgr sa libration juridique et le

    dynamisme conomique dont elle fait preuve lintrieur de la colonicia, pour Pierre Toubert,

    au Xe sicle, la paysannerie latiale demeure fondamentalement sujette. Dans le schma de

    l incastellamento tel quil le dfinit en 1973, il exclut expressment toute forme dinitiative

    paysanne. Il ne peut pas, pour lui, ce moment, y avoir d incastellamento paysan, parce

    que le castrum est le signe tangible de lexistence du leadership seigneurial. La congregatio

    fundorum ne peut soprer que si les colons sont considrs comme des objets que lonmanipule et que lon contraint, ce qui rend caduque dune certaine manire, la question de la

    diffrenciation sociale lintrieur du monde paysan. Il ny a effectivement pas en ce sens

    dlite en dehors de laristocratie, quelle soit laque ou religieuse. La capacit prendre des

    dcisions pesant sur le destin de tout un groupe est de son ressort exclusif et aucune partie du

    monde paysan ny est convie. Pierre Toubert, ainsi, ne considre pas non plus comme

    plausible que des formes de collaboration entre la sanior parsde la paysannerie et les seigneurs

    promoteurs de l incastellamento aient pu ce moment se vrifier, ce qui, encore une fois,

    rendait peu utile ltude de la question de la diffrenciation7.

    Il constate cependant son existence lorsque, examinant les listes de participants aux

    plaids du dbut du XIe sicle, il remarque deux faits : 1) le personnel prsent aux plaids

    comtaux est dun niveau social sensiblement plus relev que celui des boni hominessigeant aux

    plaids castraux. 2) Les boni homines castrorum dont lune des fonctions est de participer

    lactivit judiciaire appartiennent pour la plupart la couche suprieure des tenanciers chass

    7P. Toubert, Les fodalits mditerranennes

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    par labbaye de Farfa8. Il ne fait pas de doute pour lui que, souvent, il sagisse dexploitants

    directs. Mais cette mergence dun groupe dhommes conomiquement et bientt

    statutairement au-dessus du reste de la communaut, postrieur l incastellamento , en est

    sans doute la consquence. Le groupe conomique et social quils forment nest pas reprable

    avant le XIe sicle, si lon en croit Toubert et il est lune des consquences de la

    dcentralisation de certaines formes de justice conscutive l incastellamento . La

    dislocation de la justice publique et lappropriation de celle-ci dans le cadre du castrum ont

    donc favoris lmergence dune lite locale dont certains membres, bientt, pourront sauter

    le pas et sagrger au groupe seigneurial. Mais il sagit l dun effet induit par la politique

    seigneuriale de peuplement et de gouvernement dune part, par la crise ou la dfaillance des

    structures publiques dencadrement de lautre.

    La diffrenciation sociale lintrieur de la seigneurie est constate un peu partout partir du XIe sicle. Quil sagisse des homines de masnada9 en Italie centrale ou des homines de

    behetriaen Castille, il est patent que des groupes dhommes ont trouv appui sur les structures

    seigneuriales pour favoriser leur ascension sociale : la seigneurie est productrice dlites. Elle

    fabrique de la diffrenciation lintrieur du groupe des producteurs. Et, implicitement, cela

    revient admettre une situation beaucoup plus galitaire avant le XI esicle.

    Si lon se tourne vers lEspagne, on trouve de tout autres points de vue.

    Lhistoriographie espagnole a toujours t attentive aux signes de libert et dautonomie dumonde rural. Parlant de socits de frontire, elle a construit limage dun monde fluide o les

    barrires sociales ne sont pas si nettement marques quelles le sont en Italie. Ds les annes

    1960, Claudio Sanchez Albornoz10 montrait lexistence dun groupe consistant de libres

    alleutiers aux Xe-XIe sicles dans le royaume de Lon-Asturies. Il y voyait le groupe social

    do allait surgir, au XIesicle, les caballeros villanos, les chevaliers vilains.

    Lhistoriographie espagnole a largement emprunt cette direction et a beaucoup insist

    sur la force des communauts paysannes installes dans des zones de peuplement ancien et

    sur celle des communauts de pionniers, dont J. A. De Cortazar dans une synthse dj

    ancienne, soulignait limportance11. Les premires de ces communauts sont repres en Lon

    et se caractrisent par la gnralisation de la proprit individuelle et, surtout, par lutilisation

    en commun des incultes. Moralement soudes par la possession et la gestion dglises prives

    comme par lexploitation des biens communs, elles se multiplient au Xe sicle, au fur et

    8P. Toubert, Les stuctures, p. 1292-1303.9P. P. Brancoli Busdraghi,Masnada e boni homines come strumento di dominio10C.Sanchez-Albornoz, Pequeos proprietarios 11J. A. Garcia de Cortazar, La sociedad rural en la Espaa medieval, Madrid, 1988,p. 25-36.

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    mesure que progresse le peuplement. En mme temps, elles sont, selon Garcia De Cortazar,

    atteintes par un processus de diffrenciation qui, ds les annes mdianes du Xe sicle, fait

    apparatre, en leur sein, un clivage entre militeset rustici, cest--dire une opposition sociale se

    cristallisant autour de deux fonctions, la production et la guerre et prludant la

    dsintgration du groupe unitaire initial. Ici, cest spontanment, par le simple dveloppement

    du mouvement conomique, que le groupe originellement indiffrenci sest scind entre une

    lite caractre militaire, susceptible de rejoindre les rangs de laristocratie et le groupe

    paysan proprement dit qui, pour sa part, ne prend plus du tout part au combat partir du Xe

    sicle.

    Cest dans la thse de Pierre Bonnassie, parue en 1975-1976, que ces lments, les

    communauts dune part, les alleutiers qui en sont les lments constitutifs de lautre, ont t

    sans doute le mieux reprs et thoriss12. Les alleutiers forment un groupe ou des groupesdhommes libres dont la fortune dtermine, selon la formule de Pierre Bonnassie, les niveaux

    de libert, cest--dire la capacit jouir des droits que leur statut juridique emporte. Sa

    documentation, dj riche pour le Xe sicle mais abondante au XIesicle, lui permet de voir

    des alleutiers possdant des biens dans plusieurs terroirs. Il existe selon lui des propritaires

    qui nexploitent pas eux-mmes les terres quils possdent soit quils aient des domestiques

    leur service, soit quils confient la mise en valeur de leurs terres des tenanciers. Il sagit

    encore de paysans, toutefois, bien que, dans les documents du XIe

    sicle, certains dentre euxapparaissent comme ayant un train de vie quivalent, et dans certains cas suprieur, celui de

    laristocratie. Dans le cas particulier de la Catalogne, jusquau XI esicle, la fonction militaire

    est partage entre membres de laristocratie et paysans. Ces derniers possdent des armes,

    voire des chevaux : le combat cheval ne semble pas incompatible avec le travail des champs

    et il nest en tout cas pas un signe de distinction trs net. Le combattant-paysan demeure

    solidaire de son groupe dorigine, comme plus tard dans le Padouan, les arimanni tels quils

    sont prsents par Grard Rippe demeurent, jusquau XIe sicle, solidaires du monde

    paysan13. Ces alleutiers se dploient en communauts organises dabord pour la gestion des

    terres communes ou pour celle de lglise dont ils peuvent parfois tre collectivement

    propritaires. Dans ces conditions, comme dans les Abruzzes du IXesicle, la participation

    la gestion de lglise paroissiale et la nomination du desservant est le signe de lappartenance

    au groupe dirigeant la communaut. Toute galitaire ou indiffrencie que soit la socit

    alleutire dcrite par Pierre Bonnassie, on entrevoit en elle des lments de classement et de

    12P. Bonnassie, La Catalogne du milieu du Xme la fin du XIme sicle.13G. Rippe, Dans le Padouan

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    hirarchisation. Bonnassie insiste galement sur la prsence et limportance dans le groupe

    villageois des boni hominesou boni laboratores. Il voit en eux de vritables notables, qualifis par

    leur aisance ou par leur profession (on y voit frquemment des artisans et des prtres). Ce

    sont surtout des experts dans les matires foncires dont la prsence est souhaite ou requise,

    comme elle lest aussi en Italie au IXe et au Xe sicle pour lestimation des terres en cas

    dchange et est obligatoire pour les contrats de complant ou les emprunts sur gage foncier.

    Ils sont galement les agents qui dterminent le prix de la terre dans les transactions. Situs

    en dessous des nobles, ils peuvent cependant siger au plaid public. Ils ont une fonction de

    justice de paix lintrieur du village. Rgulateurs sociaux dit Bonnassie, ils apparaissent

    bien comme une sorte dlite fonctionnelle. Appartenant au village et sa communaut, ils

    sont cependant aussi placs sa tte et sont galement en contact avec la socit politique

    englobante. Bref, les boni homines catalans nont pas ncessairement une fonction trsdiffrente de leurs homologues latiaux. Ils leurs sont antrieurs et vivent dans une socit qui

    nest pas domine par la seigneurie. Les extraordinaires chartes de franchises conserves par

    les archives catalanes nous montrent des situations trs particulires. Le plus bel exemple est

    celui de Cardona et en ce qui nous intresse, il est le plus passionnant. Entre autres

    privilges, en effet, les habitants de Cardona obtiennent dtre protgs contre toute forme

    dextorsion ou dexaction seigneuriale et protgs par eux-mmes puisque les habitants de

    Cardona voient lgitimer le droit de rsister par les armes loppression seigneuriale : PierreBonnassie avait t impressionn par ce qui lui semblait un droit vritable linsurrection.

    Une des clause finales, mme, interdit ou semble interdire aux membres de la communaut de

    se hausser le col et de sinstituer matres de leurs parsonniers. Autrement dit, il sagit la

    fois de se dfendre contre toute vellit dextension dun seigneur extrieur, mais aussi

    dempcher quiconque de slever au-dessus des autres membres de la communaut. Sil

    existe un processus de diffrenciation sociale luvre, il ne doit pas aller jusqu permettre

    lun des habitants de semparer du pouvoir sur les autres hommes. Lassaut men au XIe

    sicle par laristocratie catalane contre le groupe des alleutiers et contre les communauts

    tend ruiner ces positions et ramener les paysans catalans un niveau de sujtion

    quivalent au servage, annulant de la sorte tous les processus de diffrenciation en cours :

    laction des milites, le piratage seigneurial, appauvrit les libres en mme temps quil dtruit leur

    libert. Elle aboutit crer une socit homogne mais nivel vers le bas.

    Les rfutations et prcisions apportes par Paul Freedman en 199114montrent cependant

    que, par del les vnements dcrits par Pierre Bonnassie et quil a, plus tard, assimils une

    14P. Freedman, The Origins of Peasant Servitude, p. 73-83.

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    vritable rvolution, une frange de la paysannerie est parvenue faire mieux que survivre : elle a

    maintenu ses positions conomiques et son statut relativement protg durant tout le XI esicle.

    Un groupe de gros tenanciers subsiste, qui ne voit pas ses charges sensiblement alourdies ; de

    plus, note P. Freedman, toutes les franchises concdes au sicle prcdent ne sont pas abolies

    au XIesicle. En consquence, la continuit doit lemporter et, donc, les processus luvre au

    Xesicle, en particulier celui qui permet lenrichissement dune fraction du groupe paysan et son

    lvation au-dessus de la communaut doit se poursuivre : le groupe des boni homines catalans,

    quil ait t ou non intgr la seigneurie a d voir ses positions dans un premier temps

    renforces. La synthse entre les deux analyses, celle de Pierre Bonnassie et celle de Paul

    Freedman na pas encore t faite.

    En fait, jusquaux annes 1980, malgr tout, la question de la dfinition dun groupe

    dirigeant appartenant la communaut rurale na pas constitu, fondamentalement, lobjet desrecherches. Lattitude la plus frquente parmi les historiens est celle de Georges Duby qui,

    abordant dans Lconomie rurale et la vie des campagnes, la question du rapport entre grand domaine et

    conomie paysanne, est dune trs grande prudence15. Il constate lexistence de paysans libres,

    conomiquement actifs, cest--dire susceptibles de requrir au march de la terre pour agrandir

    leurs exploitations et formant communaut : il les voit investir mais ne peut en dire beaucoup

    plus alors que ce quil en disait 10 ans auparavant. De mme, dans son analyse du grand domaine,

    il pressent lexistence de fortunes de diffrents niveaux. Mais, l encore, il ne va pas beaucoupplus loin.

    Il faut en ralit attendre les annes 1980 pour que cette question soit aborde de front par

    W. Davies16 et C. Wickham, la premire pour la Bretagne, le second pour lItalie17. Je vais

    mattarder un peu sur leurs travaux qui sont tout fait clairants pour notre propos.

    Dans une description extrmement fouille de la socit rurale autour du monastre de

    Redon, fond en 832, W. Davies est en mesure danalyser la stratification sociale du Vannetais. Le

    cadre de lanalyse est laplebs, cest--dire la communaut, et lunit territoriale importante est ici la

    villa, constitue leur tour dune multiplicit de rans, cest--dire dexploitations. Leur taille est

    variable, puisquelle va de 25 60 ha. Le ranapparat dabord comme la terre exploite par une

    maisonne fondement familial : il abrite une communaut de travail o se ctoient libres

    propritaires et esclaves.

    15G. Duby, Lconomie rurale, p. 124-129.16W. Davies, Small worlds, p. 86-104.17C. Wickham, Studi sulla societ degli Appennini, p. . Id. The Mountains and the City, p. 40-67 (pour le VIIIesicle et p. 238-268pour les XIeet XIIesicles.

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    Lidentit villageoise sexprime ici par des faits sociaux complexes : deux sont essentiels. 1.

    patroner une glise. 2. tre en relation avec un machtiern, cest--dire avec un notable local, investi

    dune fonction publique et jouissant dune autorit particulire dans le village. Sa fonction est

    dadministrer la communaut et de juger. En retour, il attend des habitants du village une forme

    de fidlit. Les machtierns, dominant laplebsconstituent une lite, naturellement. Mais cela nest

    pas exclusif de lexistence dautres formes de pouvoir social.

    Wendy Davies discerne dabord un groupe de tenanciers dont la situation change aux

    alentours de 860. Jusque l, en effet, les tenanciers sont des hommes de statut relev qui prennent

    des terres en tenure afin daccrotre la taille de leurs exploitations et daugmenter, par l-mme,

    leurs revenus. Ce sont donc des notables et, jusque vers 860, le fait dtre tenancier est un

    marqueur dappartenance la frange suprieure de la paysannerie. Aprs cette date, le modle

    change du fait de lapparition et du dveloppement de la proprit ecclsiastique : le mmerapport juridique est donc successivement constitutif de deux statuts diffrents. La tenure est

    dsormais en rgle gnrale un ancien alleu dabord vendu au monastre puis repris en prcaire :

    cette pratique apporte court terme de la protection au preneur. terme, en revanche, la perte

    de la proprit entrane aussi une perte de statut et entrane une rgression sociale, un vritable

    dclassement. La prcaire permet toutefois aux plus pauvres davoir accs la terre : elle a, du

    point de vue seigneurial, une fonction qui nest pas ncessairement dabord conomique. Pour

    notre propos, son changement de signification est tout fait passionnant. De marqueurdappartenance llite, elle devient au contraire signe de la sujtion et de la pauvret. Aprs 860,

    la majeure partie des prcaristes sont des pauvres.

    Le groupe des propritaires est analys de trs prs : ce sont eux les vritables plebenses, les

    membres de plein droit de la communaut. Parmi eux, W. Davies trouve un certain nombre de

    propritaires multiples (possdant plusieurs rans). Ceux-ci, leur tour, se subdivisent en deux

    catgories : ceux qui ont des possessions dans une seule plebs; ceux qui ont des possessions dans

    plusieurs plebes. Parmi ces derniers, W. Davies discerne des hommes ayant une activit sociale

    soutenue : ce sont des juges, des prtres et des hommes qui apparaissent frquemment dans les

    souscriptions dactes. Certains dentre eux dtiennent ce que les textes appellent une hereditas

    constitue par une accumulation notable de rans. Dans trois des quatre cas documents, lhereditas

    est une forme daccumulation paysanne.

    A lintrieur de la communaut, les prtres jouent un rle essentiel. Ils possdent en effet

    des biens sur place, parfois importants. Ils ont des attaches familiales dans la communaut. En

    plus de leur activit sacramentelle, les prtres ont une fonction conomique. Ils prtent de

    largent et, en rgle gnrale, participent au mouvement des affaires. Cela jusqu la fondation de

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    Redon qui induit un changement notable de leur attitude : partir des annes 830, ils font des

    dons Redon et cessent donc davoir une politique patrimoniale cohrente avec celle de leur

    famille dont ils se dtachent. terme, enfin, le monastre se substitue eux dans leur fonction

    conomique.

    Reste la question des machtierns. Ils forment un groupe particulier qui appartient dj

    laristocratie mais qui est extrmement proche physiquement du groupe des paysans.

    Possessionns dans plusieursplebes, ils ont manifestement une assise sociale et conomique qui les

    place au-dessus du groupe desplebenses. Quelques familles font reposer leur fortune sur lexercice

    conjoint de plusieurs machtiernats dans des villages proches les uns des autres. Les

    machtierns, sans avoir de fonction militaire sont en relation avec laristocratie de rang comtal,

    voire avec les prinicipes bretons. Ces relations sont informelles et ne supposent pas lexistence

    dune relation vassalique. Aprs 870, pour des raisons que lon ne connat gure, la fonction demachtiern saffaiblit et le rle social de ces personnages dcrot. W. Davies, en les tudiant les a

    clairement spars de la communaut de village et les a rattachs un vritable groupe

    aristocratique, de trs faible niveau. Ils constituent une sorte de noblesse drive ou seconde

    qui rgit le territoire lchelon local mais na que peu de part aux profits comme aux charges de

    lexercice du pouvoir son plus haut niveau. En particulier, labsence de prrogative militaire les

    place quelque peu part dans lorganigramme des pouvoirs de lpoque carolingienne.

    En cela, dailleurs, les machtierns ne semblent pas si loigns des sculdassiiitaliens, tels quilspeuvent apparatre dans larticle que F. Bougard a ddi lun dentre eux , Pierre de Niviano en

    199618. Pierre de Niviano, dit le Spoltin est manifestement une figure de notable local. Il est

    profondment engag dans la vie conomique locale de la localit o il exerce sa fonction. Il

    achte et il vend. Il prend galement des terres en livello : il le fait auprs dun prtre de Plaisance

    qui, occasionnellement vend aussi des terres Pierre ou sa femme. Celle-ci est dailleurs un

    agent conomique majeur : elle achte, dune part, mais aussi elle prte de largent. Pierre de

    Niviano a une clientle. Il est en relations, au moins de faon indirecte avec laristocratie de rang

    comtal : parmi les tmoins son testament figure par exemple un fidle du comte, un gastald,

    ainsi quun juge. Des personnages de cette envergure, plus ou moins riches, portant des titres

    quivalents et exerant des fonctions se rencontrent dans dautres rgions italiennes, tel cet autre

    sculassius, Garibald de Langobardia19, dont le patrimoine foncier est valu, la fin de sa vie, la

    somme de 600 sous.

    18F. Bougard, Pierre de Niviano ; A. Sennis, Potere centrale 19L. Feller, Les Abruzzes, p. 572-575.

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    Ainsi, comme les machtierns, les sculdassiiitaliens exercent ou peuvent exercer une fonction

    dego betweenentre les comtes et les communauts rurales plus ou moins structures qui existent.

    Ils forment apparemment une strate infrieure de laristocratie. Les machtierns ont comme

    caractristique davoir des proprits disperses sur plusieurs communauts. Leur familles

    exercent un pouvoir galement tendu sur plusieurs plebes. En ce qui concerne les sculdassii, en

    revanche, il ne semble pas que leur surface sociale aille au-del dune et une seule communaut. Il

    en va dailleurs de mme des gastalds abruzzais dont le rle public et la fortune ne semblent pas

    trs diffrents de ceux des sculdassiidu IXesicle que nous connaissons.

    Ces notables ne sont naturellement pas les seuls membres de llite locale. ct deux,

    nous apercevons des hommes et des familles riches, parfois mme trs riches, qui sont sans

    lombre dun doute dtenteurs dun vritable pouvoir social, mais qui ne portent pas de titre et

    nexercent pas de fonction ni lchelon local ni lchelon rgional.La position des membres de laristocratie locale portant ces titres de petite valeur est

    cependant envie : sallier un membre du groupe des sculdassiiest, en Italie, quelque chose de

    dsirable. Les complexes affaires de prt contractes par Pierre de Niviano auprs de ses beaux-

    frres montrent que ceux-ci taient disposs risquer leur fortune pour consolider cette alliance

    sans doute prestigieuse ou simplement utile. Cest par lalliance avec ces familles qui ont ou qui

    ont eu une fonction et un titre que les membres de la fraction la plus fortune dun village

    peuvent esprer russir une ascension sociale au moins locale. Divers exemples abruzzaismontrent que la russite dune ascension sociale passait normalement par linsertion dans lun de

    ces groupes familiaux politiquement dominants.

    La domination sociale peut galement passer par la possession des glises paroissiales. On

    a vu que le rle des prtres dans les plebesdu Vannetais allait bien au-del de leur rle religieux.

    Jusqu la fondation de Redon, ils reprsentent le versant religieux du pouvoir des membres les

    plus riches des communauts rurales. Ils ont de plus, par le prt dargent, une fonction

    conomique de premire ampleur.

    The Mountains and the Cityde Chris Wickham permet de prciser ces points. Au chapitre 2,

    il y dcrit le destin social dune famille de notables du VIIIe sicle, quil qualifie dailleurs de

    membres de llite villageoise. Il sagit de Gundoald de Campori. Gundoald est un prtre

    propritaire avec ses frres dune glise ddie S. Maria ; il est galement le plus gros

    propritaire de Campori : il y possde de 9 maisons, alors que le village ne doit pas en comporter

    plus dune vingtaine. Il a de largent liquide ainsi quun groupe de casae, dexploitations agricoles

    mises en valeur par des tenanciers. Comme les sculdassii, mais la diffrence des machtierns, il ne

    possde rien en dehors de son village dorigine, Campori. On sait toutefois que, dans les annes

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    740, le niveau conomique de Gundoald ainsi que la qualit de son rseau de clientle et celle de

    des ses relations le classent dans llite du diocse : avant de fonder S. Maria, il a t recteur dune

    plebs, ce qui le place effectivement parmi les personnages notables de la rgion. Le point essentiel

    que souligne Wickham est que Gundoald a une carrire qui repose sur une srie de choix. Choix

    tout dabord de fonder une glise qui assure sa domination et celle de sa famille sur un village

    plutt que de continuer exercer une fonction presbytrale de type public. Choix, galement,

    intervenu dans les annes 770, de donner sa part de lglise quil possde lvque de Lucques.

    Cela inscrit de faon dfinitive le groupe familial dans la clientle de ce personnage. Dsormais,

    Gundoald et sa famille sefforcent par tous moyens dintensifier leurs relations conomiques et

    sociales avec lvque. laide de cette relation privilgie, la famille de Gundoald parvient

    maintenir sa position la tte du village durant tout le IXesicle. Ils ont alors dans le village un

    rseau de dpendants et dobligs, alors que eux-mmes sont des dpendants ou des clients delvque.

    Leaders sociaux de petite envergure, Gundoald et les siens maintiennent leur prminence

    sur le groupe villageois en se servant dabord de lglise prive quils construisent pour affirmer

    leur position, puis en sinsrant dans le rseau local de lvque dont ils facilitent la pntration

    lintrieur du village. Llite villageoise a ici comme fonction de renforcer lintgration du groupe

    la socit englobante.

    Concluons ce bref parcours la recherche des lites rurales. Les positions ont vari en

    fonction de plusieurs paramtres dont le principal est celui de la documentation disponible : on

    ne trouve pas dans les dossiers de Farfa les mmes informations que dans le chartrier de Lucques

    ou dans le cartulaire de Redon. Il est toutefois net que la sensibilit historienne a, en ces matires,

    beaucoup vari. Elle a t dtermine par un point de vue et un questionnement pralable

    lenqute. Lomnipotence de la structure seigneuriale, avant dtre un fait constat, est la rponse

    la question de savoir qui sont les vritables agents du changement social et qui exerce le

    leadership lintrieur de la socit. Lidentification dagents dominant les communauts rurales

    mais nappartenant pas au groupe seigneurial est sans doute lune des nouveauts

    historiographiques ou lun des acquis historiographiques de ces vingt dernires annes. On na

    cependant pas fini de procder toutes les relectures et toutes les interprtations que la

    constatation de ce fait implique.

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