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Hathor et le ”Maˆ ıtre des P´ egases” ` a Amathonte de Chypre Aur´ elie Carbillet To cite this version: Aur´ elie Carbillet. Hathor et le ”Maˆ ıtre des P´ egases” ` a Amathonte de Chypre. KT ` EMA Civilisa- tions de l’Orient, de la Gr` ece et de Rome antiques, Universit´ e de Strasbourg, 2008, pp.299-308. <hal-00446815> HAL Id: hal-00446815 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00446815 Submitted on 13 Jan 2010 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destin´ ee au d´ epˆ ot et ` a la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publi´ es ou non, ´ emanant des ´ etablissements d’enseignement et de recherche fran¸cais ou ´ etrangers, des laboratoires publics ou priv´ es.

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  • Hathor et le Matre des Pegases a Amathonte de

    Chypre

    Aurelie Carbillet

    To cite this version:

    Aurelie Carbillet. Hathor et le Matre des Pegases a Amathonte de Chypre. KTEMA Civilisa-tions de lOrient, de la Grece et de Rome antiques, Universite de Strasbourg, 2008, pp.299-308.

    HAL Id: hal-00446815

    https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00446815

    Submitted on 13 Jan 2010

    HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.

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  • Hathor et le Matre des Pgases Amathonte de Chypre

    Rsum. Le chapiteau hathorique SK 1903 de Berlin, dcouvert en 1890 par W. Drpfeld et M. Ohnefalsch-Richter sur lacropole dAmathonte, prsente, dans sa partie suprieure, une scne unique Chypre, celle dun kouros qui matrise deux chevaux ails. Sagit-il ici dun transfert divin ou dune simple reprise iconographique ? Les parallles chypriotes faisant dfaut, lauteur entend expliquer la prsence et la symbolique de ce Matre des Pgases en suivant sa piste iconographique, depuis sa cration au Proche-Orient jusqu sa diffusion dans le Bassin Mditerranen, et mettre en vidence sa parent avec des uvres ploponnsiennes. Cette figure montre en ralit lune des formes que le Grand Dieu de la cit pouvait revtir.

    Abstract. The hathoric capital SK 1903 in the Berlin Museum, discovered in 1890 by W. Drpfeld and M. Ohnefalsch-Richter on the acropolis of Amathus, shows, in its upper part, a unique Cypriote representation, a kouros mastering two winged horses. Is it a divine transfer or a simple iconographic reutilisation? In the absence of Cypriote parallels, the author will explain the presence and the symbolism of this Master of Pegasus following this iconographical motif, from its creation in the Near-East to its diffusion throughout the Mediterranean area, and prove its ties with Peloponnesian productions. Actually, this figure evokes the Great God of the city.

    Le chapiteau hathorique n SK 1903, dcouvert dans la cit chypriote dAmathonte et aujourdhui conserv aux Staatliche Museen de Berlin prsente, dans sa partie suprieure, un dcor tout fait singulier, qui na jamais fait lobjet dune tude approfondie (fig. 1). Taill dans un calcaire dur, il mesure 42 cm de haut pour une largeur conserve de 32,5 cm. Il comporte deux faces sculptes, dont lune est compltement arrache. Sur lautre, seule est conserve une partie de la coiffure de la desse et de son couronnement ; celui-ci est orn dune scne en relief qui voque un thme indit Chypre : celui du Matre des Pgases .

    Les chapiteaux hathoriques et la production amathousienneLes chapiteaux hathoriques chypriotes drivent des modles

    gyptiens, bien attests depuis le Moyen-Empire. A ce jour,

    (1) Divers ouvrages le mentionnent. Seuls A. Hermary et S. Sophocleous en fournissent une description dtaille ainsi quune tentative dinterprtation : Hermary 1981, n 74, p. 70, pl. 14 ; Sophocleous 1985, p. 78, pl. XX.1.

    (2) Voir notamment des exemples dans Von Mercklin 1962.

    Fig. 1 : Chapiteau hathorique n SK 1903, Staatliche Museen, Berlin.Photo RMN.

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  • 300 aurlie carbillet

    26 fragments de chapiteaux dont certains archologiquement complets ont t mis au jour un peu partout sur lle ; ils schelonnent de la premire moiti du VIe sicle avant J.-C. lpoque classique (vers la fin du Ve sicle avant J.-C.). La fonction exacte de ces artefacts est encore mal connue et ne semble dailleurs pas univoque ; ce jour, plusieurs pistes sont ouvertes : certains dentre eux pourraient avoir servi de supports architecturaux, comme le montre notamment la prsence de mortaises au lit dattente et de lignes de poses incises, et dautres, dobjets de vnration, sous la forme dun pilier cultuel, comme semble lattester une reprsentation sur un tesson dcor dans le style dAmathonte , dat du VIe sicle av. J.-C., et qui prsente ce qui semble bien tre une scne dadoration et de sacrifice autour dun chapiteau hathorique isol (fig. 2).

    Ds la seconde moiti du VIe sicle et plus particulirement au Ve sicle avant J.-C., la cit dAmathonte va connatre un engouement pour les reprsentations de la desse, et multiplier la production dobjets son effigie. Ds leur apparition et ce, quels que soient leurs supports, les effigies hathoriques amathousiennes se caractrisent par des oreilles humaines et non bovines, de rigueur pourtant sur les reprsentations gyptiennes. Les chapiteaux hathoriques amathousiens ont t mis au jour exclusivement sur lacropole alors que des effigies hathoriques ont t dcouvertes dans les ncropoles amathousiennes et principalement sur deux chantiers : au palais et au sanctuaire dAphrodite. Des fragments pars ont galement t dcouverts dans la partie basse de lacropole.

    Le chapiteau dont il est question ici a t fortuitement dcouvert sur lacropole par W. Drpfeld et M. Ohnefalsch-Richter en 1890. Malheureusement, aucune autre indication sur ce contexte ne nous est fournie. Aussi peut-on dj se demander si lon doit le rattacher un difice (palais ? sanctuaire ?) ou bien sil constituait le couronnement dun pilier sacr.

    (3) Les plus anciens exemplaires connus sont le n 74.51.2475, dcouvert Golgoi et conserv au Metropolitan Museum de New-York, et le n 853, dcouvert Amathonte et conserv au Muse de Limassol.

    (4) Un exemplaire inachev dcouvert au palais de Vouni : n 289, conserv sur le site.(5) Cest notamment le cas du n AM 1807 (Amathonte), n 156/1 (Amathonte, BCH 4), n 289 (Vouni), et dun fragment

    de chapiteau dcouvert Kourion.(6) Outre les chapiteaux, le masque hathorique se retrouve donc sur des vases, des bijoux, des coupes dorfvrerie. Cf.

    Hermary 1985.(7) A la diffrence des productions de Golgoi, qui, en conservant les oreilles bovines sur les effigies de la desse, ne rompent

    pas avec la tradition figurative gyptienne. Voir par exemple Von Mercklin 1962, p. 21, fig. 86 (stle n 74.51.2475) ; p. 20, fig. 80 (chapiteau proto-olique n 74.51.2495).

    (8) AM 1807, cf. BCH 114 (1990), p. 1003-1004, fig. 23-24 ; n 805, cf. BCH 108 (1984), p. 967-969, fig. 1-2.(9) AM 1555, cf. BCH 112 (1988), p. 863-865, fig. 15-17.(10) 156/I (naskos), cf. Hermary 1981, n 75, p. 70, pl. 14 ; n LM 1329, cf. Hermary 1998, p. 67-68, pl. I ; 1967/XII-2/1

    (fragment de boucle de la coiffure), cf. Hermary 1981, n 77, p. 71, pl. 14 ; 1967/XII-2/2 (fragment de boucle de la coiffure), cf. Hermary 1981, n 78, p. 71, pl. 14 ; 79.125.1 (fragment de perruque), cf. Hermary 2000, p. 146, n 968, pl. 86.

    Fig. 2 : Tesson chypriote dcor dans le style dAmathonte , n AM 393d, Muse du Louvre, seconde moiti du VIe sicle av. J.-C. Photo RMN, Les frres Chuzeville.

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  • 301hathor et le matre des pgases amathonte de chypre

    Description et datationLoriginalit de ce chapiteau rside ici dans la partie qui couronne la tte de la desse. Au lieu du

    traditionnel uraeus nich lintrieur du naskos, dont les pidroits sont ici conservs ainsi que les volutes qui lencadrent, nous avons une reprsentation unique Chypre : celle dun jeune homme, trait la manire dun kouros, qui matrise deux chevaux ails. Ce jeune homme est reprsent nu, tte et jambes de profil droite, torse de face. Ses cheveux sont disposs en deux ranges au-dessus du front et retombent dans le cou. Il tient ses poings serrs sous la bouche de chaque animal, comme si les chevaux taient harnachs et quil les tenait par la bride.

    Ce personnage et les chevaux qui laccompagnent ont une silhouette grecque indniable. Lobservation attentive des bras de ce kouros rvle leur manque de ralisme, tant dans leur position que dans leur morphologie, le bras gauche tant, du reste, plus muscl que le droit. Ce bras droit donne limpression dtre lastique et sa main dtre soit serre, paume vers larrire, contre la bride du cheval quelle maintient, soit de tenir cette mme bride par deux doigts. La bride des chevaux nest elle-mme suggre que par la position des mains du kouros, mais nest pas reprsente. Les chevaux sont, eux, grossirement reprsents. Nous sommes donc loin ici des chefs-duvre de la sculpture grecque archaque. Cette uvre tmoigne pourtant dun certain savoir-faire et dun got pour lart hellnique et pour son raffinement. La tte hathorique elle-mme est finement sculpte, les dtails, bien cisels. Notons, par exemple, loreille modele avec prcision et le lobe orn dune boucle en forme de rosette.

    Malgr larrachement presque total de la tte de la desse, le chapiteau conserve, au niveau de la perruque, un lment qui permet sa datation. Il sagit dune couronne forme par les deux ranges suprieures de rmiges associes une range infrieure de plumes en cailles , visible sur dautres chapiteaux chypriotes. Lun fut prcisment dat par A. Hermary des environs de 480 av. J.-C., daprs des comparaisons avec diffrentes uvres de la sculpture chypriote archaque. Le chapiteau de Berlin lui est toutefois lgrement antrieur, il conserve certains archasmes du groupe prcdant. Ce chapiteau se situe vraisemblablement entre l'extrme fin du Vle et le premier quart du Ve sicle avant J.-C.

    Peut-on identifier la scne qui orne le naskos ?Dans le contexte chypriote, cette reprsentation reste unique. Sur le plat dun scarabe archaque chypriote, nous retrouvons sans doute une scne similaire,

    mais les chevaux ny sont pas ails. Le kouros est pourvu dun corps athltique et les chevaux sont plutt lourds et moins lancs que ceux du chapiteau amathousien. Un sceau de la collection Pirids, aujourdhui perdu, associe, dans un tout autre registre, deux chevaux ails une figure masculine. Les quids, semblables ceux qui sont reproduits sur le naskos du chapiteau de Berlin, sont placs de manire antithtique sous une figure masculine agenouille, nue, aile, qui tient entre ses mains un disque solaire. Cette figure, bien quempenne, est traite la manire d'un kouros : sa nudit, son corps athltique, sa coiffure hellnise dont les longues mches, divises en

    (11) Hermary 1985, p. 694-695.(12) Notamment la volute simple accole d'une fleur de paradis qui flanque les parois latrales du naskos, dans un

    schma qui se rapproche des exemplaires de Kition dats de la seconde moiti du VIe sicle av. J.-C.(13) Boardmann 1968, n 135, p. 66.(14) H. MATTHAUS, Phoenician deities and demons. A study in the transfer of iconography and ideology , dans

    V. KARAGEORGhIS, H. MATTHAUS, S. ROGGE (ds.), Cyprus : Religion and Society from the Late Bronze Age to the End of the Archaic Period, Bibliopolis, 2005, p. 25, pl. 4:4.

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    tresses, retombent larrire du dos, rappellent les reprsentations de kouroi grecs archaques. Sa stature et sa coiffure le rapprochent le kouros du chapiteau de Berlin.

    Les reprsentations de chevaux ails restent toutefois relativement rares Chypre. Elles apparaissent partir du VIIe sicle av. J.-C. dans la glyptique chypriote. La monture y est soit reprsente seule, soit ddouble. Il existe galement diffrentes reprsentations, sur des scarabes archaques, de cratures composites, prsentant un avant-train de cheval ail et un arrire-train d'animaux varis.

    Paralllement, la figure de Pgase et le mythe qui lentoure taient galement connus des Chypriotes, au moins ds la fin du VIe sicle av. J.-C., comme en tmoigne la scne qui orne le plat dun scarabe en agate dAmathonte, aujourd'hui au muse de Limassol : Perse est reprsent dcapitant Mduse en prsence dAthna. La composition elle-mme et les dtails des personnages montrent une bonne connaissance de l'art grec, mais quelques dtails, comme le casque d'Athna et la jupe de Perse, sont probablement orientaux. Le dcor sculpt d'un sarcophage de Golgoi, dat du 2e quart du Ve sicle, prsente quant lui la Gorgone Mduse, tout juste dcapite par Perse, de laquelle nat Pgase (sans ailes) et Chrysaor.

    De sa naissance au Proche-OrientIl est aujourdhui communment admis que la figure du cheval ail, associe ou non un mythe,

    est une cration de lOrient. Lattestation la plus ancienne remonte au IIe millnaire avant J.-C. : il sagit dun relief de Tell-Ahmar, sur lequel sont reprsents deux chevaux ails flanquant un arbre de vie . Ce motif est ensuite repris par les Assyriens, notamment dans la glyptique et sur les vtements des personnages qui ornent les reliefs des grands palais royaux ( Ninive et Nimrud).

    Tout comme la figure du cheval ail, le thme du Matre des chevaux ails semble une cration assyrienne. Sur un sceau du dbut du Ier millnaire, on voit un personnage qui matrise, par la crinire, deux chevaux ails. Il porte une tunique et pose le genou gauche terre. Malgr cette position, sa taille dpasse celle des cratures quil empoigne, signe de sa puissance et de son importance. Un autre sceau prsente un personnage dominant un cheval ail de sa main gauche et un lamassu de sa main droite. Le personnage est ici de taille identique celle de ses adversaires.

    (15) Un scarabode en pierre dcouvert dans la tombe 354 d'Amathonte, dat du VIIe sicle av. J.-C., figure un cheval aux ailes dployes, cf. BCH 106 (1982), p. 700, fig. 50 ; le chaton d'une bague en lectrum, dcouverte dans la tombe 73 de Kourion, figure quant lui deux chevaux ails, brids, superposs l'un l'autre, marchant vers la droite, dans un environnement vgtal. cf. J. BOARDMAN Cypriot Fingerrings , BSA 65 (1970), n 9, fig. 2 :9.

    (16) Par exemple, un scarabe en agate orn dune crature composite qui comporte lavant-train dun cheval muni dailes et un corps se terminant en serpent trois ttes, cf. Reyes 2001, cat. 372, p. 153 ; scarabe en calcdoine dcor dune crature compose de lavant-train dun cheval et du corps dun oiseau, cf. Reyes 2001, cat. 398, p. 158.

    (17) Karageorghis 1998, fig. 56, p. 97.(18) Ibid., p. 97-98.(19) Karageorghis 1998, p. 98-100, fig. 57a.(20) Malten 1925, fig. 38, p. 143.(21) Par exemple, un cheval ail combattant un lion sur un sceau assyrien du XIIIe s. av. J.-C., cf. Moortgat 1942,

    p. 63-64, fig. 25 ; un cheval ail seul et en mouvement, n VAT 14477, XIIe s. av. J.-C., cf. Moortgat 1944, p. 31, fig. 22 ; un cheval ail chass larc par une figure humaine, Ier mill. av. J.-C., cf. Malten 1925, fig 55, p. 148.

    (22) Par exemple, Yalouris 1987, fig. 5, p. 23 : deux chevaux ails encadrent un arbre de vie , relief du palais Nord-Ouest de Ninive, British Museum, 124564. Une reprsentation similaire se retrouve sur un bas-relief du palais dAssurnazirpal Nimrud, cf. Canby 1971, pl. XVIIIb.

    (23) Yalouris 1987, fig. 3, p. 22.(24) Malten 1925, fig. 54, p. 148.(25) Des reprsentations similaires ont galement t dcouvertes Ninive. Cf. Layard 1853 ; Stearns, Hansen 1953.

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  • 303hathor et le matre des pgases amathonte de chypre

    Le motif du cheval ail se diffuse ainsi progressivement vers lOccident. Adopt ds le VIIIe sicle par les Ioniens dAsie Mineure, il passera au Nord du Ploponnse puis dans toute la Grce.

    sa diffusion en Grce En Grce, la figure des chevaux ails, antithtiques ou non, se retrouve ds le VIIIe sicle

    avant J.-C. Cette image se rpand plus largement au cours du VIe sicle, o elle est gnralement associe celle de Pgase. Fils de Posidon, celui-ci nat, avec Chrysaor, du cou de Mduse dcapite. Vivant prs des dieux, il porte le foudre de Zeus. A Corinthe, il est dompt par Bellrophon avec laide dAthna, puis il retourne dans lOlympe, attel au char de Zeus ou dEs.

    Il existe de nombreuses reprsentations de Pgase et des diffrents passages du mythe qui laccompagne, aussi bien sur des vases que sur des reliefs sculpts, des bronzes, etc. Le LIMC prsente lui seul 242 entres pour Pgase ! Cela suffit montrer la popularit de cette image : Bellrophon chevauchant Pgase seul ou face Chimre sont, par exemple, des thmes rcurrents dans liconographie grecque.

    En Grce comme au Proche-Orient, limage de Pgase, abstraction faite du personnage mythologique, peut tre double voire mme triple sur certaines reprsentations.

    Pour la figure du Matre des Pgases , cest le monde grec qui fournit les parallles les plus significatifs. Ainsi, le dcor dune coupe laconienne, dcouverte Capoue et date des environs de 560 av. J.-C., prsente une scne quasi identique la notre (fig. 3). Cette coupe fut attribue au Peintre de Pgase. On y voit un jeune homme, aux cheveux longs et onduls, vtu dune tunique et tournant la tte vers larrire. Dans chaque main, il tient la bride de deux chevaux ails. Ceux-ci ont des jambes lances, tout en longueur, comme celles du personnage. Notons que la taille de celui-ci figure divine plutt quhros mythologique ? est ici infrieure celle des chevaux ails.

    Sur une bande de bouclier en bronze dOlympie date du VIIe sicle, on voit Bellrophon tenant Pgase par la bride et attaquant Chimre avec un

    (26) Cf. Malten 1925, p. 145.(27) Ibid., p. 143.(28) Les tmoignages les plus anciens proviennent dun bronze de Lusoi, cf. Kunze 1950, fig. 3, p. 204, de vases

    protocorinthiens, cf. Dunbabin 1953, note 44, p. 1171, et de monnaies corinthiennes. Voir des exemples dans Yalouris 1950 et Yalouris 1987, fig. 6-7, p. 24-25.

    (29) Hsiode, Thogonie, 278-283.(30) Hsiode, Thogonie, 284-286.(31) LIMC, s.v. Pegasos , p. 214-231.(32) Des exemples notamment dans le LIMC, s.v. Pegasos , n 55, p. 147 (lcythe dcor de trois Pgases au galop, vers

    500 av. J.-C.) ; Yalouris 1987, fig. 14, p. 33 (mitra en bronze dAxos, vers 575 av. J.-C. : deux Pgases affronts) ; Malten 1925, fig. 42-43, p. 144 (dcors de vases ioniens, VIe s. av. J.-C.).

    Fig. 3 : Coupe laconienne de Capoue, n B2, British Museum, vers 560 avant J.-C. The Trustees of British Museum.

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  • 304 aurlie carbillet

    poignard tenu dans la main droite (fig. 4). La position de Bellrophon est ici similaire celle de notre kouros amathousien : ses jambes sont flchies et tournes vers la gauche, la jambe gauche est en appui, le torse est de face et la tte tourne vers la gauche. Les chevaux ails sont galement comparables, en particulier par la reprsentation de la crinire et des ailes. Comme sur la coupe de Capoue, Bellrophon a ici une taille infrieure celle de Pgase et de Chimre.

    Une autre reprsentation montre un Matre des chevaux non ails , qui rappelle la scne du scarabe chypriote voqu prcdemment (fig. 5). La position du kouros est ici aussi quasi identique celle de notre chapiteau.

    Cheval ail au Proche Orient, Pgase en Grce, quelles diffrences ?

    Au Proche-Orient, daprs les exemples tudis prcdemment, le cheval ail est soit reprsent seul, soit chass ou matris par un personnage, gnie ou mortel (roi ?), soit associ l arbre de vie quil protge et quil vnre. Cest donc une crature surnaturelle, que lon peut soumettre mais non dompter puisquil nest jamais reprsent brid. Il semble plutt faire partie du bestiaire fantastique, ct des taureaux ails, des lamassu et des sphinx, comme le suggre le dcor dun sceau assyrien dat des XIIIe-XIIe sicles avant J.-C.qui reproduit le combat entre un lamassu et un cheval ail, ou encore le relief du palais dAssurnazirpal voqu prcdemment.

    En Grce, le monstre est un tre chtonien. Il nat de Mduse, crature infernale. Il peut tre associ diverses figures divines : attel au char de Posidon, il est alors un symbole

    (33) Cf. Giuliani 1979, fig. 5, p. 39.(34) Cf. Kunze 1950, inv. B 987, cat XVa, p. 19-20, pls. 41-42.(35) Supra p. 301 et note 12.(36) Pour des reprsentations de matres dentits animales, cf. Porada 1948, pl. CXIV-CXV.(37) Cf. Orthmann 1975, fig. 105d, p. 354.(38) Cf. Canby 1971, pl. XVIIIb.(39) Yalouris 1987, p. 11.(40) Cf. LIMC, s.v. Pegasos , p. 229-230.

    Fig. 5 : Plaque dcore de bouclier en bronze, Olympie, n B 987, VIIe sicle av. J.-C. (dessin daprs Kunze 1950).

    Fig. 4 : Bande dcore de bouclier en bronze, Olympie, VIIe sicle a. J.-C. (dessin daprs Giuliani 1979).

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  • 305hathor et le matre des pgases amathonte de chypre

    aquatique et de fertilit. Cest galement une crature lie aux fontaines : Pgase, en frappant la terre de son sabot, faisait jaillir des sources. Mythologiquement, il est troitement associ au culte dAthna : Bellrophon dompte Pgase et tue la Chimre grce son aide, il sera ensuite attel au char de la desse. Des monnaies corinthiennes associent, par exemple, la tte dAthna et limage de Pgase. A Corinthe toujours, Pgase peut tre associ Aphrodite. Enfin, en Grce comme en Orient, Pgase est li au domaine funraire.

    Identification de la scne et du personnage sur le chapiteau amathousienLe style hellnisant du jeune homme sur le chapiteau amathousien, lvocation, par la position

    de ses mains, de brides maintenant les chevaux caractristique des reprsentations grecques , tout comme lindniable parent avec la scne de la coupe de Capoue et le bronze dOlympie semblent jouer plutt en faveur dun emprunt au monde grec.

    Les ailes recourbes dans leur partie suprieure de nos chevaux corroborent cette hypothse. En effet, elle sont une cration du monde grec et drivent de la forme des ailes des sphinx laconiens.

    Ce jeune homme qui dompte les Pgases nest pas un simple matre des animaux , comme ont pu lcrire certains commentateurs, mais un matre dentits surnaturelles . Un simple mortel ne possde pas la facult de dompter de telles cratures ; il ne peut alors sagir que dun hros, dans le sens grec du terme, ou dun dieu. La taille plus leve du personnage (dune demi-tte environ) indique aussi quil leur est suprieur. Cette analogie se retrouve galement sur les exemples proche-orientaux prcdemment cits. Or, en Grce, Bellrophon, hros par excellence, est toujours reprsent de taille infrieure. Autre fait remarquable : aucun hros nest assurment attest Chypre. Ceci pourrait indiquer que nous avons affaire un dieu et non un hros.

    Un dieu, oui, mais lequel ?Examinons lensemble des motifs iconographiques de ce chapiteau la lumire de ces nouvelles

    suppositions. Hathor y est figure en premire place, se fondant avec la forme architecturale du chapiteau. La

    scne qui nous intresse ici nest quune scne secondaire. Il est aujourdhui certain qu lpoque de notre chapiteau, Hathor tait une hypostase de la Grande Desse chypriote, divinit poliade dAmathonte. Ceci est entre autres attest par la place prpondrante tenue par ses effigies au palais et lexistence de ces chapiteaux auxquels on pouvait, semble-t-il, rendre un culte. Sur ce chapiteau donc, cts de la divinit majeure du panthon amathousien de lpoque et directement

    (41) Ibid.(42) Blomberg 1996, fig. 27, p. 25.(43) Par exemple, sur une plaque de Perachora, du deuxime quart du VIIe s. av. J.-C., cf. Jenkins 1940, p. 213, n 185

    (galement un Pgase sur une terre cuite signal dans cet ouvrage: p. 231, n 183) ; sur un miroir corinthien en bronze, vers 460 av., cf. Yalouris, 1986, fig. 29, p. 51 ; ou encore un vase sur lequel il est attel un char conduit par Herms et Aphrodite, cf. Karusos 1937.

    (44) Cf. LIMC, s.v. Pegasos , p. 230.(45) En effet, daprs le mythe, Pgase retourna ltat sauvage. Athna offrit alors Bellrophon une bride en or afin

    de lattraper. Cf. Dunbabin 1953, p. 1171 : So far as I know, it is only in Greece that the winged horse is bridled and mounted .

    (46) Cf. Buchholz, Wagenheim 1984, p. 250.(47) Ibid. p. 255 et par exemple, sur un sphinx en bronze du sanctuaire dArtmis Orthia, cf. Payne 1940, pl. 43, 1.(48) Par exemple, Hermary 1985, p. 668 : matre des chevaux ; Karageorghis 2001, p. 169 : Lord of the animals .

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    associ elle, nous dcouvrons un jeune personnage domptant des cratures surnaturelles fortes connotations chtoniennes.

    Au moins deux hypothses, non exclusives lune de lautre, souvrent alors quant son identification : il se pourrait que ce soit le Grand Dieu ici reprsent sous sa forme juvnile, matrisant les forces chtoniennes reprsentes par les deux Pgases, ou bien alors le roi dAmathonte divinis en un jeune dieu, tel Adonis. Le naskos dans lequel sinscrit la scne de ce chapiteau semble attester lidentit divine de ce personnage, qui, de fait, personnalise ainsi son domaine.

    Cette association entre Hathor, hypostase de la Grande Desse, et son pardre ne serait alors pas unique Amathonte. Outre une mention tardive par Stphane de Byzance, dun Adonis-Osiris vnr dans la cit, elle est atteste sur un sceau du British Museum qui prsente la desse sous la forme dun chapiteau associe la figure dun Bs , ainsi que sur un vase dcor du style dAmathonte o elle est galement assortie, semble-t-il, dun jeune dieu (Adonis peut-tre), et enfin sur la tte de Worcester qui prsente des Bs dansant avec des Mnades entre des piliers coiffs dun chapiteau hathorique.

    Il est clair, avec ces tmoignages, que, pour une mme priode, ce pardre pouvait revtir diffrentes formes. Serions-nous ici en prsence dune nouvelle hypostase de ce Grand Dieu, dans une version hellnise, une sorte dApollon, qui se prsenterait en quelque sorte comme un pendant des reprsentations locales de Bs et dAdonis, deux hypostases assures, respectivement gyptienne et levantine, du Grand Dieu ?

    Malheureusement, aucune attestation pigraphique ne nous renseigne sur le nom rellement port par ces deux grandes entits divines. Nommer prcisment ces personnages parat donc impossible, encore que, Amathonte, le nom Malika , qui pourrait tre une adaptation du mot smitique MLK roi, seigneur , semble attest. Quoi quil en soit, cet artefact nous permet de percevoir une des diverses formes que pouvait revtir le couple divin amathousien.

    Il est donc possible dentrevoir le processus de diffusion de cette image : cre en Orient au cours du IIe millnaire, elle sest dabord rpandue en Assyrie, puis en Occident, et ce partir du VIIIe sicle, dune manire singulire, par le Nord, cest--dire dIonie vers la Grce insulaire et continentale, sans passer par lle de Chypre, mais en ny arrivant que tardivement, au dbut du Ve sicle av. J.-C. Cette singularit semble tmoigner du peu dintrt que lui portrent les Chypriotes. Elle na pas t lenjeu dune relle appropriation, comme ce fut le cas pour limage dHathor par exemple. Le caractre unique de cette reprsentation Chypre semble bien sexpliquer par son emprunt aux Grecs, destin mettre en image une forme divine, en loccurrence ici celle de leur Grand Dieu. Ce chapiteau est un excellent exemple de syncrtisme culturel et ponctuel entre deux influences externes et dominantes pour la priode qui nous concerne, et tmoigne fort bien de

    (49) Stphane de Byzance, s.v. : Amathonte, [est une] ville trs ancienne de Chypre o lon honorait Adonis Osiris .

    (50) WA 104461, British Museum, cf. Culican 1977, Carbillet 2006.(51) Cf. Louca 2003.(52) Hermary 1985, p. 674, fig. 19.(53) Il faut insister sur cette notion de pluralit du couple divin. En effet, la Grande Desse est sujette au mme phnomne :

    elle peut revtir, entre autres, laspect dAstart, dHathor ou dAphrodite. A ce sujet, voir Karageorghis 1977. (54) A ce sujet, voir T. Petit, MALIKA : lidentit composite du Dieu-Roi dAmathonte sur le sarcophage de

    New-York , dans Fourrier, S., Grivaud, G. (ds.), Identits croises en un milieu mditerranen : le cas de Chypre (Antiquit Moyen-ge), Rouen, 2006 ; K. Hadjioannou, , Nicosie, vol. IV, 1977, p. 97 et 179.

    (55) Hypothse galement soutenue par L. Malten, cf. Malten 1925, p. 143-144 et H. G. Buchholz et C. Wangenheim, cf. Buchholz, Wangenheim 1984, p. 250-251.

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    cette mixit des cultures propre lle de Chypre et de la capacit de son peuple emprunter, dans des domaines culturels diffrents, les images qui semblaient rpondre la fonction de ses dieux.

    Aurlie Carbillet Universit Marc Bloch, Strasbourg II

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