gribaudi les ouvriers de renault dans l'entre 2 guerres

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Gribaudi Les Ouvriers de Renault Dans l'Entre 2 Guerres

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  • Itinraires personnels et stratgies familiales: les ouvriers de Renault dans l'entre-deux-guerresAuthor(s): Maurizio GribaudiReviewed work(s):Source: Population (French Edition), 44e Anne, No. 6 (Nov. - Dec., 1989), pp. 1213-1232Published by: Institut National d'tudes DmographiquesStable URL: http://www.jstor.org/stable/1533443 .Accessed: 27/10/2011 12:12

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  • TI'NERAIRES PERSONNELS ET STRATEGIES FAMILIALES:

    LES OUVRIERS DE RENAULT DANS L'ENT'IRE-DEUX-GUERRES

    Pour comprendre des faits majeurs comme l'urbanisa- tion ou la formation de la classe ouvriere des grandes villes, il devient ndcessaire de depasser les caracteristiques des in- dividus et d'analyser les parcours familiaux.

    Maurizio GRIBAUDI* qui a dejd etudie la formation d'un faubourg ouvrier de Turin, dans un livre remarque**, nous montre ici comment des vagues migratoires tres differentes se sont succede pour constituer la population ouvriere des usines Renault dans l'entre-deux-guerres. L'accds aux archives de cette entreprise et leur couplage avec les gendalogies de l'en- quete des trois mille families (ou ) lancee par J. Du- paquier ont permis ce travail qui illustre la fecondite de nouvelles sources pour la Dgmographie et l'Histoire.

    Le monde ouvrier parisien de l'entre-deux-guerres a ete longuement etudie. Nous connaissons son importance croissante, la varidte de ses composantes, le role predominant occup6 par l'immigration de la province et de l'6tranger dans sa formation. Nous avons aussi beaucoup d'informa- tions sur les physionomies professionnelles qui se forment dans les usines, leurs specificites et leurs transformations. Nous avons enfin plusieurs etudes interessantes sur l'histoire de ses mouvements politiques et syndi- caux. Mais nous n'avons presque pas d'informations sur les processus reels de sa formation. Les formes et les rythmes A travers lesquels les diff6rentes composantes ont conflue dans ce cadre restent vagues. Surtout, nous ne savons rien sur les images, les representations et les pratiques que ces processus ont impliquees. Les images des usines et de la ville sont-elles les memes pour les differents ouvriers de l'entre-deux-guerres ? Quelle perception ont les Parisiens, les immigr6s de la province et de l'6tranger de cet espace ? Comment le situent-ils dans l'ensemble de la ville ? Avec quels autres espaces g6ographiques et sociaux le connectent-ils ?

    * EHESS. ** M. Gribaudi: Itineraires ouvriers: espaces et groupes sociaux a Turin au debut

    du xlxe siecle, editions de I'EHESS, Paris 1988.

    Population, 6, 1989, 1213-1232.

  • LES OUVRIERS DE RENAULT DANS L'ENTRE-DEUX-GUERRES

    J'ai voulu essayer de r6pondre a ces questions avec une recherche qui est n6e presque comme un pari. J'ai r6colt6 des donnees sur un 6chan- tillon d'ouvriers qui 6taient passes dans les usines de Renault Billancourt au cours de l'entre-deux-guerres, selon les criteres normalement utilises pour les etudes statistiques du monde de l'usine('). A travers la reconsti- tution des g6n6alogies de chaque ouvrier, j'ai voulu voir si et dans quelle mesure la reconstitution des parcours familiaux d'un groupe relativement petit et li6 a une experience professionnelle sp6cifique, me permettait de saisir ces ph6nom6nes d'ordre g6n6ral.

    C'est une recherche en cours. Les donn6es que je presente sont donc partielles et peuvent etre remises en cause dans les phases successives du travail. N6anmoins les premiers r6sultats semblent int6ressants. Grace a la reconstitution g6nealogique, les physionomies sociales de ce groupe d'ou- vriers parisiens de l'entre-deux-guerres, tres opaques quand on les observe dans le cadre restreint de l'usine, ressortent dans leur complexite et di- versit6. Elles r6velent un processus de formation qui ne s'est pas fait de faSon lin6aire, et qui, surtout, a impliqu6 un bouleversement total de la stratification sociale de l'ensemble de la soci6t6 frangaise. A travers les diff6rents parcours de ces families, on lit donc la transformation de ce paysage social qui est aussi une transformation des representations et des pratiques de l'espace urbain et rural. Entre la fin du XIXc et le d6but du XXC siecles, l'image de la ville, les liens qu'elle entretient avec la province, les ressources que les immigrants cherchent en elle, ont chang6. Le monde ouvrier se trouve au centre de ce processus. Peu visible, lie a des circuits de recrutement specifiques et s6par6s du mouvement d'ensemble de la ville, des la premiere guerre mondiale, celui-ci se trouve projet6 au centre de la scene en occupant un r61e symbolique et r6el de mediation entre Paris et la province, entre les couches basses de la population rurale et les couches moyennes de la population urbaine.

    I. - Les ouvriers a travers l'espace des usines: un groupe opaque

    Deux traits semblent caract6riser ces ouvriers si on les considere dans leur ensemble : d'une part l'importance du nombre d'immigr6s et la varidt6 de leurs origines, d'autre part l'homog6n6it6 des modalit6s A travers les- quelles ils se pr6sentent et passent dans l'espace des usines Renault.

    L'importance de l'origine migratoire est evidente : 83,6 % sont im- migres tandis que 16,4 % seulement sont originaires de la capitale. La distribution de ce groupe, pourtant faible en effectifs, suit parfaitement les r6sultats d'autres recherches qui montrent l'importance de l'attraction des usines parisiennes de l'entre-deux-guerres sur une zone de recrutement qui comprend l'ensemble du territoire fran9ais et l'6tranger(2). Ainsi 20,4 sont d'origine 6trangere(3), tandis que dans les 63,0 % restants on trouve des

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  • LES OUVRIERS DE RENAULT DANS L'ENTRE-DEUX-GUERRES

    originaires de toutes les rdgions de France; Midi et du Nord-Est et deux pointes, cependant, pour les originaires des regions de l'Ouest et du Bassin parisien (cf. tableau 1).

    TABLEAU 1. - LIEU DE NAISSANCE

    Lieu de naissance Effectif % Rtranger 41 20,2 Rh6ne-Alpes 12 5,9 Nord 14 6,9 Ouest 31 15,3 Sud 19 9,4 Bassin parisien 33 16,3 Region parisienne 19 9,4 Paris 34 16,7

    Cette h6t6rogdn6it6 des origines ne se traduit pas par des differences significatives des attitudes qu'on peut observer a travers les fichiers de l'usine. Ainsi on ne d6c6le pas de variations importantes, ni dans les dur6es de s6jour chez Renault, ni dans les lieux d'habitation (Paris ou la banlieue, tel arrondissement ou telle commune), ni dans les carri6res profession- nelles.

    La dur6e de s6jour chez Renault est, pour la majoritE, tr6s rEduite. Ici aussi on retrouve les formes d'un ph6nom6ne observe par la plupart des 6tudes. Les grandes entreprises de l'entre-deux-guerres avaient connu un brassage de la main-d'oeuvre, massif et etal6 sur toute la periode. Et, plus int6ressant, cette tendance est constante pour tous les groupes. En effet si on pouvait attendre un brassage l6ev6, par exemple, pour la po- pulation d'origine 6trang6re, on aurait pu croire qu'au moins une partie de la population franqaise, et notamment celle originaire de la R6gion pa-

    (l) J'ai reconstruit, a travers les archives du personnel, la carriere complete interne a l'usine de 260 ouvriers (221 hommes et 39 femmes). Pour chaque ouvrier j'ai ensuite re- constitue les genealogies ascendantes sur au moins trois generations (en croisant les actes de naissance, de mariage et de deces de chaque composant). A l'heure actuelle j'ai acheve 151 ge- nealogies d'hommes ouvriers. Pour les parcours parisiens de ces families j'ai en outre r6colte les fiches nominatives des recensements de 1926, 1931 et 1936. Une reconstitution des ge- nealogies descendantes ainsi qu'une serie d'interviews avec les survivants de ce groupe sont aussi prevues. La banque de donnees sur 3 000 genealogies de families fran9aises recoltee par l'6quipe dirigee par J. Dupaquier et conservee aupres du Laboratoire de D6mographie Historique, a ete indispensable pour amorcer cette reconstitution. Je remercie J. Dupaquier qui m'a aimablement donne l'acces a ses donndes et qui m'a en outre permis d'utiliser les canaux de son organisation pour la r6colte des actes d'6tat civil aupres des mairies de province. (2) Cf. Patrick Fridenson, Histoire des usines Renault. Naissance de la grande entre- prise, 1898-1939, Paris, 1972; Isabelle Merle, D'une classe ouvriere a une autre. Panorama d'une immigation, 1919-1939, Hutchinson, usine de Langlde, Chalette sur Loing, Loiret Me- moire de D.E.A., EHESS/ENS, sept. 1988; Catherine Omnes, Les trajectoires professionnelles des ouvrieres Parisiennes au XXe siecle, polycopie, Paris, 1988. (3) Pour la majorite il s'agit d'immigres provenant des pays de I'Est, auxquels s'ajoutent quelques Viet-namiens, des Italiens, des Espagnols, et un Marocain.

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    TABLEAU 2. - LIEU D'ORIGINE ET DUREE DE SbJOUR EN USINE

    Lieu d'origine 1 an 1-2 ans 3 ans

    Etranger 40,00 40,00 20,00 Rhone-Alpes 50,00 33,33 16,67 Nord 42,86 21,43 35,71 Ouest 53,33 36,67 10,00 Sud 55,56 27,78 16,67 Bassin parisien 51,52 36,36 12,12 R6gion parisienne 53,33 40,00 6,67 Paris 51,52 42,42 6,06

    risienne, aurait montrd une

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    de meme nature pour tous les groupes, dans le cas ou la dur6e de s6jour d6passe 3 ans. II ne s'agit pas, de toute facon, de carri6res foudroyantes. Les qualifications professionnelles de la sortie sont les memes que celles qui avaient 6t6 attribu6es lors de l'embauche. Ainsi les deux principaux groupes professionnels (les ouvriers sp6cialis6s et les ouvriers qualifi6s(4)) sont presque totalement stables dans leur composantes. S'il y a des ame- liorations, on les remarque peut-etre par rapport au salaire car, plutot que de >, il faudrait parler de ou d'avancement li6 aux mutations d'atelier.

    La fourchette, pour les ann6es 1920, peut aller de 1,05 F a 5,6 F de l'heure. Si on reste a l'int6rieur de l'usine pour une p6riode sup6rieure a 8 mois ou un an, on peut etre mute vers un autre atelier et, tout en gardant la meme cat6gorie professionnelle qu'a l'embauche, b6n6ficier d'une ame- lioration de salaire, souvent sensible. C'est pourquoi il faut consid6rer les donn6es sur les durees de s6jour presque comme s'il s'agissait en meme temps de donnees sur les >. Et c'est pourquoi on trouve, souvent, des ouvriers sp6cialis6s dont le salaire, a la meme p6riode, 6tait plus im- portant que celui d'ouvriers ?qualifis>>(5).

    C'est dire toute la difficulte d'6tudier des carrieres ouvrieres dans le cadre d'une seule entreprise. Mais ces problemes risqueraient de nous en- trainer dans d'autres directions. Je voudrais plut6t revenir ici sur les par- ticularit6s de l'echantillon. Comme on le voit, malgr6 le nombre limit6 de cas observ6s, il semble reagir de facon homogene aux ph6nom&nes qui se sont exerc6s dans le cadre de l'entreprise. De ce point de vue, on pourrait etre amene a penser que cette homogeneite est substantielle a l'ensemble du groupe. Autrement dit, le fait d'etre 6tranger ou Fran9ais, d'etre n6 a Paris ou en province, dans les d6partements du Nord ou du Midi, n'im- pliquerait pas de differences significatives pour ces individus et leur

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    paysage social est totalement boulevers6, et ce sur plusieurs niveaux. Au niveau macroscopique, les liens qui soudent les campagnes et les villes, la province et la Region parisienne, les couches moyennes et les couches plus basses de la soci6t6, changent de forme et de direction. Au niveau microscopique, ce sont les perceptions des espaces et de la r6alit6 sociale qui changent.

    Les formes macroscopiques de ce ph6nomene, meme si elles sont plus difficiles a deceler dans les donn6es consid6r6es, commencent cepen- dant a apparaitre si l'on considere les distributions par classes d'age (ta- bleau 4). On d6couvre ainsi une variation de l'importance de chaque classe d'age a I'int6rieur des diff6rents groupes. Les ouvriers originaires de l'6- tranger, du Nord, du Rh6ne-Alpes et, en partie, de l'Ouest se recrutent surtout dans la classe d'age n6e avant 1897. Les autres groupes, par contre, sont composes d'individus beaucoup plus jeunes. La difference, qui est faible pour le groupe du Sud, devient tres importante dans le cas du Bassin parisien, de la R6gion parisienne et de Paris.

    TABLEAU 4. - REPARTITION PAR DiPARTEMENT DE NAISSANCE ET GENERATION

    DEpartement de naissance 1870-1897 1898-1903 1904-1909 1910-1926 Effectifs

    Etranger 40,00 30,00 22,50 7,50 41 Rhone-Alpes 41,67 0,00 33,33 25,00 12 Nord 50,00 14,29 21,43 14,29 14 Ouest 32,26 22,58 22,58 22,58 31 Sud 15,79 47,37 21,05 15,79 19 Bassin parisien 24,24 21,21 42,42 12,12 33 Rgion parisienne 21,05 21,05 21,05 36,84 19 Paris 14,71 23,53 32,35 29,41 34

    Ces rapports peuvent sembler faibles, surtout lorsqu'on tient compte des poids relatifs des effectifs. Cependant, ils indiquent une integration urbaine diff6rentielle. Ils dessinent en effet les contours d'une s6rie d'ap- proches particulieres au monde ouvrier et aux usines parisiennes, qui se sont jouees avec des rythmes et, on le verra, des logiques diff6rentes. Consid6rons d'abord le groupe des Parisiens. On aurait pu s'attendre a trouver une partie importante d'ouvriers parmi les premieres classes d'ages ou, tout au moins, une presence constante pour chaque classe. Or, chez eux, l'attraction des usines se fait surtout sur les individus n6s apres 1909. Cette distribution est par contre totalement invers6e dans le cas des ori- ginaires du Nord, de l'Ouest et de Rhone-Alpes. Ici, l'attraction a 6t6 im- portante surtout pour ceux n6s entre 1875 et 1897, mais elle s'est estomp6e dans les classes d'age suivantes. Les originaires de la Region parisienne, du Bassin parisien, suivent de pres les Parisiens. Paradoxalement, ce sont done les groupes g6ographiquement les plus proches qui semblent au depart avoir aperqu le moins clairement le monde ouvrier de l'agglom6ration pa- risienne.

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  • LES OUVRIERS DE RENAULT DANS L'ENTRE-DEUX-GUERRES

    Le flux qui s'est orient6 vers ce cadre ouvrier n'est donc pas compact. Ses composantes s'6talent visiblement en vagues successives et diff6rentes. Le ph6nomene est observable a travers d'autres variables comme, par exemple, les qualifications et les lieux de travail precedent l'embauche chez Renault. Encore une fois, ce ne sont pas tant les Parisiens ou les originaires des departements environnants qui declarent un nombre impor- tant d'experiences ouvrieres dans la Region parisienne, mais les natifs des d6partements plus 6loign6s et les etrangers.

    Ce paradoxe apparent s'6claircie, en partie, si on observe ces memes groupes par rapport a leur provenance socio-professionnelle. Pour les 151 ouvriers dont a 6t6 faite la reconstitution gen6alogique, on a croise sur le tableau 5 le lieu de naissance et la profession du pere. Cet indicateur, bien que tres grossier, nous permet de remarquer comment apparaissent, a cha- que 6poque, des groupes marqu6s par des origines professionnelles diff6- rentes. D'abord, les seuls groupes d'origine ouvriere relativement importants sont ceux que nous avons vu deferler sur les usines parisiennes avant les autres. C'est le cas des originaires du Nord et de la region Rh6nes-Alpes. Ensuite, on voit se profiler au moins deux autres regrou- pements. Un premier, de provenance paysanne, comprend surtout les ori- ginaires du Sud, de l'Ouest mais aussi du Bassin parisien et une partie des natifs de la Region parisienne. Un deuxieme groupe est compose pres- que uniquement par les Parisiens et par une partie des originaires du Bassin parisien et de la Region parisienne, oi on remarque surtout des peres ar- tisans, commer9ants et employ6s.

    I. - Les ouvriers et leurs parcours gen6alogiques: des physionomies sociales et des racines complexes

    Nous avons vu que si la physionomie de ces ouvriers parisiens du d6but du siecle ne se differencie pas de maniere significative dans le strict cadre de l'usine, leur histoire montre des traits de diversification non n6- gligeables; d'une part, par le d6calage temporel dans l'int6gration des di- verses composantes, d'autre part, par la diversit6 des provenances sociales. Meme s'il est difficile de gen6raliser A partir de ces donn6es, il est clair qu'elles montrent que les canaux de recrutement du monde ouvrier ont consid6rablement change au cours du temps. Cependant, les formes et les sp6cificit6s de ces changements restent opaques. Pour les 6claircir, il faut observer ces memes tableaux i un niveau microscopique en examinant les trois groupes dans leurs composantes. Individualiser, A travers l'analyse des g6enalogies, les cheminements reellement pratiqu6s par ces familles et les differents milieux que leurs parcours ont relies.

    Si on observe les gen6alogies des individus d'origine ouvriere, on est frapp6 a la fois par la complexite des formes de mobilite qu'on peut y lire, et par leur homogeneit6 d'ensemble. Toutes montrent en effet un

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  • St. Eustache TRAVERS + 1831 Benoit - Claudine FAUSSON Pierre Anne ] Laboureur

    BILLEBE eW~ ~ ~~~~ W , *Franm St. Eusebe Esserterme Charr

    COLLET 1848 St. Vaccier 1833 1815 Frangoise - 1807 +1853 Philibert - Jeanne CHEVROT

    Domestique Journalier Domestique 0^, I L~~u~uhLaboureur . Charron Le Breuil

    VALFORT 1868 Antoine = Marie 1849

    Cordonnier Sans prof. ? Le Breuil CLEMENT 1851

    Jeanne Jean Benoit 1834 Cultivatrice Ouvriermineur

    00690

    EAU :ois - Julie Sidonie etier Joumaliere

    ? Le Breuil Montchanin Le Creusot

    SAUVAGEOT 1858 PILLOT 1868 1891 Benoite Philippe 1836 Marie = Jean 1841=- Antoinette

    Ouvrier mineur Joumaliere Ouvrier Menagere mineur

    Communay I Communay VIALA 1930 BARDENET Alberte = S6bastien 1879 1895 Alexandre Georgette

    + 1940 (Villerbanne) + 1956 LAGARRE Ouvrier Euphrasie

    Proprietaire ( journalier ( Instituteur () Mineur () Instituteur ( Manoeuvre ( Manoeuvre Garde Cultivateur Mar6chal Cultivateur Manoeuvre Mineur Charron Laboureur Domestique Cultivateur Sans profession Cultivateur Mineur Mineur Proprietaire Proprietaire Instituteur Manoeuvre Charron Manoeuvre

    Figure 1. - G6nealogie de la famille TRAVERS.

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    St. Etienne MIRON 1897 L6onie - Henri

    Secretaire Paris 1934 HADDAD

    Henri Aron Docteur en medecine

  • LES OUVRIERS DE RENAULT DANS L'ENTRE-DEUX-GUERRES

    meme pass6 familial, fait de deplacements, de d6racinements successifs et de passages presque obliges dans les bassins ouvriers de la France du XIXe siecle. Si toutes ont un arriere-plan paysan, celui-ci re- monte loin dans le pass6, au grand-pere ou a l'arriere grand-pere.

    Le premier d6racinement, celui qui a eloign6 la famille du village d'origine, suit, en g6n6ral, une situation de crise et/ou une marginalisation interne au contexte villageois. Ainsi dans chaque g6n6alogie, parmi les professions d6clarees, les cultivateurs, les laboureurs et les proprietaires tendent a laisser la place a une serie d'activites et de m6tiers souvent mar- ginaux : domestiques, journaliers, charpentiers, tailleurs de pierres, cou- vreurs... La rupture, quand elle survient, est totale et implique l'abandon du village pour se diriger vers un centre ouvrier ou minier de la province. Entre 1879 et 1890 on voit donc les peres et/ou les grands-peres de ce groupe des ouvriers qu'on retrouvera des decennies plus tard chez Renault devenir mineurs ou ouvriers d'usine. Des lors le cadre est donn6. On verra encore ces families suivre des parcours de grande mobilit6 mais toujours et uniquement a l'interieur d'un circuit strictement .

    Suivons par exemple la famille d'Alexandre Travers(6) (cf. figure 1). On retrouve son grand-pere, Philibert, dans le village de Torcy (d6parte- ment de la Sa6ne-et-Loire - France centrale). Deuxieme enfant d'une fa- mille de laboureurs, le parcours de Philibert montre deja les traces d'une descente sociale et d'un deracinement. Si, lors de ses mariages, sa phy- sionomie ne semble pas etre tres eloign6e de celle de sa famille d'origine (il se declare successivement et ), les professions d6clarees aux mariages des enfants montrent comme il a du se reconvertir (il sera toujours enregistre comme

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    mariages. Les donnees sont assez claires : le monde paysan et relativement aise des premiers mariages (en 1833 deux propri6taires, un garde et un laboureur) s'efface progressivement pour laisser place aux manoeuvres et aux mineurs qui constituent le nouveau paysage social de cette famille 7.

    J'ai pris comme exemple la famille Travers, mais j'aurais pu prendre des dizaines d'autres families : on aurait remarque les memes traits. Dans tous les cas de provenance ouvriere enregistres dans mon echantillon, celle- ci est deja pr6sente dans l'histoire familiale depuis la deuxieme moiti6 du XIXc siMcle. Nous avons donc ici des familles pour lesquelles la realite et les possibilites sociales envisag6es se sont recoup6es, des les ann6es 1870- 1880, a l'int6rieur d'un horizon fait de lieux, de parcours, de r6seaux de sociabilit6 totalement ouvriers. Dans ce cadre, si et quand la ville se pr6- sente comme une possibilit6, elle se reduit des le depart a ses usines et aux quartiers qui les entourent. Voici pourquoi on voit Alexandre Travers, comme ceux qui partagent un tel parcours, passer a travers les diff6rentes usines parisiennes et habiter la banlieue ou les marges ouvrieres de la ville (dans les 15e, 14e, 17e arrondissements).

    Bien diff6rentes sont les trajectoires familiales de ceux qui sont nes a Paris. Ici aussi l'origine paysanne prevaut (21 sur 28 ont un pere n6 en province), et ici aussi on quitte le village d'origine pendant la deuxieme moiti6 du XIXe siecle. Mais ce ne sont pas les bassins industriels qui at- tirent ces familles car, pour elles, abandonner le village signifie monter directement a Paris. De plus on lit, dans ce choix, moins une rupture et un changement total qu'un 61argissement au cadre urbain d'une s6rie de strat6gies et de pratiques de mobilit6 deja exp6rimentees ou tout au moins pr6sentes dans le contexte local. On le voit par plusieurs aspects. D'une part la traduction imm6diate en termes parisiens d'un bagage d'exp6riences familiales ou la gestion directe de la terre s'est souvent m6lang6e a une s6rie d'autres activit6s li6es au petit artisanat agricole, au petit commerce ou a l'administration. DMs leurs premiers pas dans la capitale on les voit donc s'activer autour du monde deja connu de l'artisanat et du petit commerce, celui des petits emplois parisiens. Le cadre ouvrier - qui pour- tant est deja present dans la capitale - ne semble pas les toucher au cours de cette premiere phase d'int6gration. Le peu de professions ouvriires qu'on trouve parmi les enregistrements de l'6tat civil correspondent tr6s clairement a des emplois temporaires; activites d'appoint a l'int6rieur d'un parcours d'ensemble qui, de toute 6vidence, ne les pergoit pas comme un terrain possible d'int6gration et de mobilit6.

    (7) II faudrait souligner que les donndes sur les temoins aux mariages mdritent une analyse plus attentive que celle faite ici car elles nous livrent (si on les dtudie pour une famille entiere et sur plusieurs gdenrations) des indices importants sur les strategies tentdes ou plus simplement sur les orientations successives de la famille. Dans ce cas particulier, il est par exemple interessant de remarquer comme les mariages centraux dans ce processus de (

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    D'autre part, on remarque une focalisation sur ses espaces intersti- tiels. Ce sont moins dans les grandes structures productives que ces fa- milies cherchent et trouvent leurs ressources, que dans le tissu des rapports locaux, lie au monde des quartiers centraux, qu'elles preferent h la ban- lieue. On le voit assez clairement par les physionomies des temoins des naissances et des mariages, une foule d'artisans et de commerqants qui sont avant tout des voisins dans le quartier voire dans l'immeuble. C'est le monde des quartiers parisiens qu'une abondante litt6rature nous a fait connaitre, mais c'est surtout la sociabilit6 villageoise, qui tisse dans la capitale ses nouveaux r6seaux.

    La distance totale qui s6pare ces families de celles du premier groupe est d'ailleurs frappante lorsqu'on compare des arbres g6n6alogiques. Consi- dCrons, par exemple, les parcours de la famille de Fran9ois Tramier (cf. figure 2). Fils cadet d'un gendarme-cultivateur de Langeac, Francois quitte son village d'origine pour monter a Paris au cours des ann6es 1880. II est difficile de dire, uniquement a partir des donn6es demographiques, dans quelle mesure l'exemple d'un oncle, 6b6niste dans le faubourg St. Antoine et dmigr6 a Paris depuis une dizaine d'ann6es, peut avoir orient6 son choix. Certes, l'espace de la ville autour de Francois et de sa famille est celui meme de l'oncle. Placier de la mairie de Paris, il noue ses relations parmi les petits emplois et les artisans de la ville qui constituent avant tout un tissu de quartier. Francois et sa famille habitent au 41 boulevard Voltaire, et nous retrouvons la foule des petits employ6s, des artisans et des commer- qants presents aux differents mariages et naissances de la famille, 6parpill6e tout autour de leur maison : 24 rue St. Antoine, 50 boulevard Voltaire, 27 rue St. Ambroise, 29 rue des Bourdonnais, 88 rue A. Dumas, 72 rue de Charonne. Si chez les Travers (figure 1) les parcours 6voluaient a travers les villes des bassins industriels de province et dans un cadre de relations totalement ouvrier, dans cette famille l'espace connu est constamment celui du quartier et de ses personnages, le monde ouvrier est, pour le moment, tres loin.

    C'est seulement au tournant de la Premiere Guerre mondiale qu'on commence a voir apparattre les usines parisiennes. Car si derriere ces comportements on lit tres clairement une recherche d'int6gration et de mo- bilit6 sociale, dans le cas de ces families leurs efforts ne semblent pas avoir pay6. On trouve, c'est vrai, des r6ussites relatives. Notamment, dans la famille Tramier, c'est le cas de Francois, qui a trouve et pu maintenir un emploi stable (et comme lui les autres peres employ6s regroup6s dans les cases du tableau 5). C'est aussi le cas de quelques-uns des enfants de Franqois. Mais pour la plupart de ces families, ces n'ont pas pu se stabiliser, en restant incapables de se reproduire. Leurs enfants, pous- s6s par les difficult6s, d6couvriront, comme Marcel et Robert Tramier, le monde ouvrier parisien durant l'entre-deux-guerres, quand il sera d'ailleurs impossible de l'ignorer.

    Consid6rons enfin les g6n6alogies des ouvriers issus directement des couches paysannes. Ici nous nous trouvons confront6s a un d6racinement

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  • TRAMIER |

    BEL N Marguerite

    Joumaliere

    BESSON Jean - M. Marguerite + 1837 Fortune Anne HUBEHER + 1835

    I l ~2Lanjeac Lanjeac CHAMPION Louis = Julien 1828 Melanie - Fortune 1811

    Cultivateur Propri6taire Gendarme Cultivateur

    E\

    00890

    - Eugenie Concierge

    /A Pans 1884 I Lanjeac

    1857 Marie - Francois Xavier 1852 Joumaliere Placier employd

    Ebeniste

    Pais Paris 1914 LANCE 1883 Henri= Marie 1893

    Ciseleur Bijoutire

    t Marechal des logis Gendarme Gendarme Cultivateur

    ) Ebeniste Livreur Repr6sentant

    Lanjeac Paris Chartres 1868 Josephine

    -

    Achille 1867 Joumaliere Typographe

    FASCINET Victor Maurice 1884

    Employe

    Paris 1889 Marcel

    Ajusteur

    O Representant Ciseleur Employ6

    (O Ottrott (67) Paris 1924 KUGELIN

    ert | -

    Elisabeth 1900

    1930 Pierre

    ) Employe Fleuriste Sellier Monteur

    () Bijoutiere Coututire Ajusteur Mecanicien

    Figure 2. - Genealogie de la famille TRAMIER.

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  • LES OUVRIERS DE RENAULT DANS L'ENTRE-DEUX-GUERRES

    TABLEAU 5. - DEPARTEMENT DE NAISSANCE ET PROFESSION DU PERE

    Departement Profession du pere (%) de naissance Empi. Comm. Art Cult. Serv Ouvr.

    Etranger 8,33 25,00 33,33 25,00 0,00 8,33 12 Rh6ne-Alpes 0,00 0,00 0,00 44,44 0,00 55,56 9 Nord 0,00 15,38 30,77 15,38 7,69 30,77 13 Ouest 4,00 8,00 24,00 56,00 4,00 4.00 25 Sud 5,88 17,65 11,76 41,18 11,76 11,76 17 Bassin parisien 10.71 7,14 17,86 35,71 7,14 21,43 28 Region parisienne 0,00 16,67 27,78 38,89 5,56 11,11 18 Paris 25,00 21,43 25,00 10,71 7,14 10,71 28

    beaucoup plus recent, qui suit directement une longue histoire d'immobi- lite, dont temoignent les cinquante genealogies de ce groupe. Souvent mar- quees par une f6condite assez importante, on retrouve ces families dans le meme village sur plusieurs generations. Tout au long du XIXe siecle et jusqu'a la Premiere Guerre mondiale, on n'enregistre done aucune mobilit6 geographique de quelque importance. Meme s'il s'agit toujours de families de condition tres modeste, elles semblent n'avoir jamais ni considere ni percu les ressources proposees par les grandes concentrations urbaines ou les bassins industriels de la province. Par contre, elles montrent une grande sensibilite ta 'ecologie locale et a ses modifications. En effet, a cote d'une stabilit6 des activites agricoles (pour la plupart il s'agit de journaliers) on voit toute une s6rie de variations professionnelles souvent li6es aux pos- sibilites qui se presentent conjoncturellement dans le contexte local. Ainsi, selon les regions, on voit figurer le tissage, les travaux publics (comme le terrassement), la charpente, la maconnerie, etc. Mais il ne s'agit jamais de changements stables, seulement de variations qui permettent le maintien d'une economie familiale ou priment la stabilite au village et le rapport a la terre, meme si ceci semble signifier souvent une survie ?au fil du rasoir?.

    Exception faite des variations locales, l'ensemble de ces gen6alogies pourrait donc etre assimile au modele propose par Louise Tilly pour les families paysannes du Cambresis(8). On voit en effet le meme phenomene de surdit6 aux changements structuraux et les memes tentatives de r6pondre aux crises et aux conjonctures a travers la reorganisation de la force de travail familiale. Surtout, ici aussi, on assiste a la rupture de cet 6quilibre fragile des la fin de la Premiere Guerre mondiale. C'est alors qu'on voit une partie des jeunes quitter le village pour la ville et, dans ce cas, la condition ouvriere. Pour L. Tilly, cette rupture se concretise surtout sous l'effet de facteurs demographiques. L'importante mortalite masculine, en- trainee par la guerre, aurait enleve des elements fondamentaux a la chaine

    (8) Cf. L.A. Tilly, , in Wheaton and Hareven (edits.), Family and sexuality in French history, Pennsylvania Press, 1980.

    1225

  • 00790 00790 Flers (62) Flers 1760

    1734 Jacques - Marie Joseph 1736 Manoeuvrer Menager Joumalier

    ler, I H791 sFlers Flers

    Flrs 1791Arras ers A1791 Flers 3 ELN Is ers Flers St Paul 1761 M. Marg. Jos. = 1764 Celestin Jos. Pacifique Jos. 1761 1769 Victorine Jos. 1774 Stan. Jos. 1806 Flers Joumalier Menagere M6nager

    Flers Flers Flers St Umer 1808 Flers 1766 J. Bapt. Jos. - 1779 Julie Jos. Flers Avesnes 1762 Louis Joseph 1772 Anne Jos. M. =

    Flers I Flers ers I 1842 PARMENTIER An 04 Pacifique Joseph An 06 Alexis Joseph An 08 S6raphine Joseph An 10 Geremie Joseph - Flavie An 14 Joumalier M6nagere M6nager

    Flers I Flers I 1843 Jos6phine D6siree 1846 Martine

    I Flers Humieres Flers 1876 THUILLIER 1847 D6sir6 Jos.= Aim6e 1855

    Receveur Couturihre Manoeuvrier Menagere Cabaretier Cabaretiere

    Croisette |Flers oist1905 QUENTIN Flers Flers 1880 J. M. Joseph - Julienne 1884 Cath. Germaine Flers 1876 Charles Paul Menuisier Ouv Agricole Flers 1889 Cath. Geraine Manoeuvrier MWnag&re 1882 Catherine J. M. 1889 Cath. Germaine

    Croisette I Hers Billancourt I Croisettel Flers BI1932 LEBON Barlin Vincennes AGON 1906 Elise Cath. 11909 Fernande| Alexandre 1904 11913 Desir6] Gabrielle 1913 1922 Denise J6r6mie

    Croisette 1907 Aim6e 1911 Seraphin D6s. Jos. 1918 Marcelle M. J. 1924 Marceau D6sire

    Figure 3. - G6n6alogie de la famille TRAGIN.

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    ITRAGIN I

  • LES OUVRIERS DE RENAULT DANS L'ENTRE-DEUX-GUERRES

    d'une organisation familiale du travail delicate et complexe. Des lors, les ajustements traditionnels n'auraient plus opere, l'6migration d'une partie de la famille devenue la seule issue. Or, si la guerre a surement marque une partie des familles de mon 6chantillon, pour d'autres la rupture se concretise meme en absence totale de mortalite (c'est par exemple le cas de la famille Tragin dont je reporte, dans la figure 3, la structure g6ena- logique). Plus vraisemblablement, on enregistre un ph6nomene plus global ou plusieurs determinations se cumulent mais deviennent cruciales surtout grace a un changement de visibilit6 du monde ouvrier urbain. Comme deja pour les Parisiens, la realit6 industrielle des annees 1920 et 1930 est de- venue beaucoup trop importante dans les discours et dans les representa- tions de l'epoque pour ne pas constituer un po1e d'attraction plus fort et reel qu'auparavant.

    Les prosopographies familiales nous permettent d'individualiser la specificit6 des traits qui marquent les groupes qu'on pouvait voir se des- siner a travers les donnees du tableau 5. Elles montrent, en meme temps, que la coherence de ces groupes est moins observable a partir d'un crit6re strictement professionnel qu'en termes de parcours, de modalites de pro- gresser dans les divers terrains sociaux (dans le temps et dans l'espace). Pour avoir une mesure plus precise de ces phenomenes, on peut done es- sayer de croiser le critere socio-professionnel avec celui des differentes modalites de ruptures qui marquent l'abandon du village d'origine. Dans le tableau 6 j'ai ainsi mesur6 l'importance dans chaque classe d'age de trois types de rapport entre la rupture et la condition sociale d'origine. Le premier type (A) regroupe les individus pour lesquels la rupture avec le village d'origine remonte au moins a la generation precedente et signifie l'entree de la famille dans le circuit ouvrier des bassins industriels de la

    TABLEAU 6. - MODALITES DES TRAJECTOIRES SOCIALES ET CLASSES D'AGE (%)

    1870-1897 1898-1903 1904-1909 1910-1926 Effectifs

    Type A 44,2 30,2 11,6 14.0 43 Type B 24,1 24,1 29,6 22.2 54 Type C 16,7 22,2 33,3 27,8 54

    province. Ce groupe recouvre donc la totalit6 des individus de provenance ouvriere qu'on avait deja individualise dans le tableau 5. Mais, suivant ces criteres, on peut aussi int6grer le cas d'autres individus dont la pro- fession declar6e par les peres, apparemment ?artisanale>, s'inscrit en realit6 dans une trajectoire sociale et professionnelle analogue. Le deuxieme type (B) regroupe par contre les individus appartenant a des families pour les- quelles l'abandon du village d'origine avait impliqu6 un rapport direct avec le milieu urbain de l'artisanat et du commerce. C'est done 6videmment le cas des families immigrees A Paris au cours de la deuxieme moiti6 du XIXc siecle mais c'est aussi le cas d'un certain nombre de familles qui, au cours de la meme epoque, s'etaient dirigees vers d'autres concentrations

    1227

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    urbaines de la province (Lyon, Bordeaux, Nantes, Tours, etc.). Le troisieme type regroupe enfin le cas de ceux qui passent directement d'une famille marquee par l'attache a la terre et aux activites paysannes aux usines pa- risiennes.

    II s'agit evidemment d'une mesure indirecte d'une serie de dynami- ques qui sont, nous l'avons vu, assez complexes. II faudra en effet etudier des criteres qui permettent de saisir plus pr6cisement la texture des diffe- rents terrains pratiqu6s par l'ensemble des personnes qui composent l'u- nivers familial et les relations de chaque individu. Cependant on peut observer assez clairement au moins les lignes g6nerales: avant tout, la perte progressive d'importance de la matrice ouvriere au fur et a mesure des g6enrations. Tendance qui semble s'inverser dans le cas du deuxieme groupe, jusqu'a s'opposer completement dans le troisieme. Ceci montre bien la diversit6 des composantes sociales qui affluent dans les usines pa- risiennes et le decalage temporel avec lequel elles se manifestent.

    III. - Le monde ouvrier, Paris et la province entre XIXe et XXe siecles:

    des liens et des stratifications qui se transforment

    La reconstitution des parcours des familles d'un groupe d'ouvriers d'une usine parisienne de l'entre-deux-guerres nous a permis de mettre en evidence un changement important dans le recrutement de cette couche professionnelle. Tout au long du XIXe siecle et jusqu'a la Premiere Guerre mondiale, le monde ouvrier parisien est en mesure d'attirer uniquement ceux qui ?pensent et voient ouvrier? depuis au moins une generation. Or il n'en est pas de meme pour tous ceux qui deferlent sur la capitale. Pour certains, ce monde peut offrir tout au plus une ressource d'appoint, mais leurs terrains de refErence privilegi6s, ou se fondent leurs strat6gies et leur choix d'integration, se trouvent ailleurs. Tout semble changer apres la guerre quand les usines et les quartiers ouvriers sortent du brouillard qui les entourait pour se placer sous les feux de la rampe de la scene sociale de l'6poque. D'une part ils sont en mesure d'attirer directement l'immi- gration rurale et, d'autre part, ils arrivent meme a reorienter les perspec- tives de nombreuses familles qui, dans le pass6, avaient evite le monde ouvrier.

    On peut expliquer cette nouvelle et plus importante visibilite par les transformations du marche du travail parisien. En effet, c'est a partir de l'apres-guerre qu'on enregistre le plein essor du secteur mecanique et de l'automobile en particulier. Mais ces donn6es ne montrent pas seulement une attraction accrue des usines de la capitale sur le monde paysan. Ce qu'on voit apparaitre c'est aussi un bouleversement total des liens entre Paris et la province, les couches sociales d'une grande concentration ur- baine et celles du monde agricole. Car derriere cette transformation, on lit surtout l'effacement du terrain social qui permettait au monde de la

    1228

  • LES OUVRIERS DE RENAULT DANS L'ENTRE-DEUX-GUERRES

    province de traduire ses strategies et ses pratiques traditionnelles directe- ment dans le cadre urbain. Avec lui, c'est donc aussi une forme de mobilite circulaire entre campagne et ville, qui semble caracteriser la stratification du paysage social du XIXe siecle, qui disparait.

    Tout en permettant de l'individualiser dans ses traits principaux, la structure de l'dchantillon (qui est centr6 sur un groupe d'ouvriers de l'en- tre-deux-guerres) ne permet pas d'observer le cycle complet de cette mo- bilit6. Pour l'appr6cier pleinement, il aurait fallu en effet pouvoir 6tudier les retours des families qui restent en ville moins d'une g6neration. C'est un travail en cours. Cependant, un sondage sur les actes de mariage d'un groupe de provinciaux d'origine rurale qui arrivent a Paris ou en partent entre 1870 et 1903 confirme les tendances observ6es et montre, en meme temps, les traits gen6raux dans lesquelles elles s'inserent(9). Ainsi, sur 934 mariages qui ont eu lieu a Paris et dont au moins un dpoux 6tait ne en province, j'enregistre seulement 9,7 % de professions declarees qui soient clairement assimilables au cadre ouvrier (parmi celles-ci 62,6 % concernent des fils d'ouvriers). Le gros du flux migratoire montre une ori- gine qui ne s'eloigne pas des traits qu'on a observes dans les g6n6alogies des Parisiens (parmi les peres, 42,3 % d'agriculteurs, 17,8 % d'artisans et 15,1 % de commer;ants)('0). Cette origine se traduit directement dans le cadre de l'artisanat (25,2 %), du commerce (15,2 %), des petits emplois de la bureaucratie parisienne (20,6 %)(1l et des services (9,3 %). Les 20 % qui restent se dispersent dans un 6ventail de denominations professionnelles assez disparates dont on pourrait 6tablir la valeur seulement a travers des sources accessoires (notamment patrimoniales). Parmi celles-ci, on peut ce- pendant enregistrer 91 professions propres aux couches moyennes et moyennes superieures (9,7 % du total), qui nous montrent l'existence d'un flux relativement important et parallkle qui relie les couches moyennes de la province a celles de la capitale.

    Mais encore plus interessantes sont les donn6es sur les 101 mariages enregistres en province pour des gens qui y resident tout en 6tant n6s a Paris. D'une part, en effet, l'importance de l'origine rurale (38,6 % des peres sont agriculteurs) permet de voir les mouvements de ce groupe de

  • LES OUVRIERS DE RENAULT DANS L'ENTRE-DEUX-GUERRES

    a des bottiers, mais aussi des bijoutiers a des menuisiers, jusqu'au cas du lithographe fils d'un coiffeur. De plus, Paris a forme les cadres moyens de l'Administration : les instituteurs, les employes de mairie, les sous-of- ficiers de l'armde.

    DMs lors, on peut mieux saisir le sens des parcours que nous avons observds au niveau microscopique. Car si les families qu'on a vu monter a Paris de la province vers la fin du XIXe siecle ont pu utiliser directement leur bagage social et professionnel, c'est aussi parce que la societe du XIXe siecle s'articule a travers des liens horizontaux. Les gouffres du pay- sage social ne se situent pas, A cette 6poque, entre la campagne et la ville mais entre couches basses et couches moyennes, qu'elles soient urbaines ou rurales. On le voit assez clairement si on repr6sente les mouvements qu'on vient d'analyser sous forme sch6matique (sch6ma 1).

    Province 4 Paris I1ltO 00490

    CouchesCouches basses et de la population moyennes basses

    rurale de la population urbaine

    Couches moyennes basses Couches moyennes de la population de la population

    ~~~~rurale ~ urbaine rurale

    Sch6ma 1

    Ce sont ces liens qu'on voit disparaltre des le debut du XXe siecle. A partir de cette poriode, on l'a vu, l'immigration rurale se concr6tise sous forme de rupture. C'est le passage direct dans le monde ouvrier, c'est, surtout, la disparition du terrain social commun a la campagne et a la ville. Quitter le village d'origine signifie desormais abandonner son bagage traditionnel pour acquerir une position sociale nouvelle. DMs lors, on ne voit plus de retours. Les rapports entre les deux mondes sont chang6s. Un clivage est apparu entre la campagne et la ville, la stratification s'est faite verticale (sch6ma 2).

    Le Paris du XXe siecle est donc devenu r6ellement plus ouvrier et plus urbain. L'6mergence du monde ouvrier a signifi6 l'expulsion du monde de la campagne hors des limites urbaines. C'est une expulsion que l'en- tre-deux-guerres a su souligner aussi symboliquement. On le voit dans les repr6sentations sociales, les discours politiques, la litt6rature et le cin6ma de l'6poque. Mais on le voit aussi par la nouvelle coh6rence urbaine que la ville se donne, car la devanture qu'elle pr6sente a la campagne est de moins en moins celle des villas et des pavilions de la bourgeoisie pari-

    1230

  • LES OUVRIERS DE RENAULT DANS L'ENTRE-DEUX-GUERRES 1231 Province 4 . Paris 1inO 00590

    Couches basses Couches basses et de la population moyennes basses

    rurale de la population urbaine

    _

    Couches . Couches moyennes moyennes basses de la population de la population urbaine

    rurale

    Schema 2

    sienne, de plus en plus celle des usines et des quartiers ouvriers. Symbole clair du nouveau r61e de m6diateur entre le monde urbain et extra-urbain que ce terrain a acquis, symbole d'une soci6t6 qui semble s'organiser de plus en plus autour des coh6rences de classe.

    Une nouvelle coh6rence symbolique se superpose done a la nouvelle articulation des rapports ville-campagne. Mais ceci n'implique pas, comme il pourrait sembler, un durcissement des limites des diff6rents corps so- ciaux. Au contraire, nous l'avons vu, la r6duction du terrain sur lequel les strategies paysannes jouaient leur integration urbaine a permis le rap- prochement entre couches basses et couches moyennes de la soci6te. Au XIXC siecle, Paris est effectivement

  • R!SUM! - SUMMARY - RESUMEN

    GRIBAUDI Maurizio. - Itineraires personnels et strat6gies familiales : Les ouvriers de Renault dans l'entre-deux-guerres. Grace aux donndes gdenalogiques de I'enquete TRA, et a une reconstitution des car-

    rieres d'ouvriers des usines Renault durant l'entre-deux-guerres, 151 gdnealogies completes ont 6t6 etablies. Alors qu'a un instant donnd rien ne parait distinguer les ouvriers des di- verses provenances, on peut, en utilisant les parcours familiaux, mettre au contraire en dvi- dence des comportements tres differents selon la generation.

    Tandis que les generations les plus anciennes acc6dent au monde ouvrier parisien a partir des concentrations ouvrieres provinciales, les generations recentes viennent directe- ment de la campagne ou de la petite bourgeoisie parisienne. A travers ces parcours se des- sine un changement majeur des rapports entre la ville et la campagne.

    GRIBAUDI Maurizio. - Individual Life Courses and Family Histories: Workers at Re- nault between the two World Wars.

    151 complete genealogies were constructed from genealogical data from the TRA survey and a reconstitution of the careers of workers at Renault factories between the two World Wars. While at any given moment no significant differences between the workers of various origins are found, an examination of family histories in terms of generations brings out significantly different types of behaviour.

    Whereas among the older generations most workers came to Paris from provincial concentrations of industrial workers, more recently they have tended to come directly from the country or from the Parisian petty bourgeoisie. These different life courses indicate a major change in the relations between town and country.

    GRIBAUDI Maurizio. - Itinerarios personales y estrategias familiares: los obreros de la Renault durante el periodo que separa las dos guerras.

    Gracias a los datos geneal6gicos de la encuesta TRA, y a una reconstituci6n de las carreras de algunos obreros de las fabricas Renault durante el periodo que separa las dos guerras, se pudieron establecer 151 genealogfas completas. Si a un momento dado nada pa- rece diferenciar a los obreros de diversas proveniencias, utilizando los recorridos familiares se pueden poner en evidencia comportamientos muy diferentes segun la generaci6n.

    Mientras que las generaciones mas antiguas acceden al mundo obrero parisino a par- tir de concentraciones obreras provinciales, las generaciones recientes llegan directamente del campo o de entre la pequefia burguesfa parisina. A traves de estos recorridos se entrev6 un cambio importante en las relaciones entre la ciudad y el campo.

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    Article Contentsp. [1213]p. 1214p. 1215p. 1216p. 1217p. 1218p. 1219p. 1220p. 1221p. 1222p. 1223p. 1224p. 1225p. 1226p. 1227p. 1228p. 1229p. 1230p. 1231p. 1232

    Issue Table of ContentsPopulation (French Edition), 44e Anne, No. 6 (Nov. - Dec., 1989), pp. 1009-1282+1-22Front Matter [pp. 1239-1239]Arsne Dumont et la capillarit sociale [pp. 1009-1028]L'volution dmographique des principaux rgimes de retraite en France depuis 1950 [pp. 1029-1052]La mortalit selon la cause en Union Sovitique [pp. 1053-1100]Dmographie du personnel et cots salariaux: calcul du GVT dans une population forte mobilit [pp. 1101-1120]Reconstitution de tables annuelles de mortalit pour la France au XIXe sicle [pp. 1121-1158]L'opinion sur la politique dmographique, la nuptialit et les nouvelles techniques de procration en mai 1987 [pp. 1159-1187]La population de la Yougoslavie: structure, dveloppement et perspective [pp. 1189-1212]Itinraires personnels et stratgies familiales: les ouvriers de Renault dans l'entre-deux-guerres [pp. 1213-1232]Prsentation d'un Manuel de l'I.N.E.D.Analyse dmographique des biographies [pp. 1233-1238]

    Notes et documentsStatistiques et ralit de la mortalit par accidents de la route [pp. 1240-1244]A long terme, l'cart d'esprance de vie entre hommes et femmes devrait diminuer [pp. 1244-1251]Le cas particulier de la mdecine lgale dans l'analyse de la mortalit l'exemple de l'Alsace [pp. 1252-1254]

    Bibliographie critiqueReview: untitled [p. 1255]Review: untitled [pp. 1255-1256]Review: untitled [pp. 1256-1257]Review: untitled [p. 1257]Notes [pp. 1257-1267]Ouvrages reus [pp. 1267-1282]

    Back Matter [pp. 1-22]