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GRANDE CHAMBRE AFFAIRE A ET B c. NORVÈGE (Requêtes n os 24130/11 et 29758/11) ARRÊT STRASBOURG 15 novembre 2016 Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

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Page 1: GRANDE CHAMBRE · 2016. 11. 18. · 5. Le 26 novembre 2013, la chambre a décidé de joindre les deux requêtes et de les communiquer au Gouvernement. 6. Le 7 juillet 2015, une chambre

GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE A ET B c NORVEgraveGE

(Requecirctes nos 2413011 et 2975811)

ARREcircT

STRASBOURG

15 novembre 2016

Cet arrecirct est deacutefinitif Il peut subir des retouches de forme

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 1

En lrsquoaffaire A et B c Norvegravege

La Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme sieacutegeant en une Grande

Chambre composeacutee de

Guido Raimondi preacutesident

Işıl Karakaş

Luis Loacutepez Guerra

Mirjana Lazarova Trajkovska

Angelika Nuszligberger

Boštjan M Zupančič

Khanlar Hajiyev

Kristina Pardalos

Julia Laffranque

Paulo Pinto de Albuquerque

Linos-Alexandre Sicilianos

Paul Lemmens

Paul Mahoney

Yonko Grozev

Armen Harutyunyan

Gabriele Kucsko-Stadlmayer juges

Dag Bugge Nordeacuten juge ad hoc

et de Lawrence Early jurisconsulte

Apregraves en avoir deacutelibeacutereacute en chambre du conseil le 13 janvier et le

12 septembre 2016

Rend lrsquoarrecirct que voici adopteacute agrave cette derniegravere date

PROCEacuteDURE

1 Agrave lrsquoorigine de lrsquoaffaire se trouvent deux requecirctes (nos 2413011 et

2975811) dirigeacutees contre le Royaume de Norvegravege et dont deux

ressortissants de cet Eacutetat A et B (laquo les requeacuterants raquo) ont saisi la Cour le

28 mars et le 26 avril 2011 respectivement en vertu de lrsquoarticle 34 de la

Convention de sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes

fondamentales (laquo la Convention raquo) Le preacutesident de la Grande Chambre a

acceacutedeacute agrave la demande des requeacuterants tendant agrave la non-reacuteveacutelation de leur

identiteacute (article 47 sect 4 du regraveglement de la Cour ndash laquo le regraveglement raquo)

2 Les requeacuterants ont eacuteteacute repreacutesenteacutes par Me R Kjeldahl avocat agrave Oslo

Le gouvernement norveacutegien (laquo le Gouvernement raquo) a eacuteteacute repreacutesenteacute

successivement par M M Emberland et M C Reusch tous deux du bureau

de lrsquoavocat geacuteneacuteral (affaires civiles) et de nouveau par M Emberland en

qualiteacute drsquoagent

2 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

3 M Erik Moslashse juge eacutelu au titre de la Norvegravege eacutetant empecirccheacute de

sieacuteger dans lrsquoaffaire (article 28 du regraveglement) le preacutesident de la chambre a

deacutesigneacute le 20 feacutevrier 2015 M Dag Bugge Nordeacuten pour sieacuteger agrave sa place en

qualiteacute de juge ad hoc (articles 26 sect 4 de la Convention et 29 du regraveglement)

4 Les requeacuterants estimaient en particulier avoir eacuteteacute poursuivis et punis

deux fois pour la mecircme infraction fiscale en violation de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 agrave la Convention

5 Le 26 novembre 2013 la chambre a deacutecideacute de joindre les deux

requecirctes et de les communiquer au Gouvernement

6 Le 7 juillet 2015 une chambre de la premiegravere section composeacutee de

Isabelle Berro preacutesidente Khanlar Hajiyev Mirjana Lazarova Trajkovska

Julia Laffranque Paulo Pinto de Albuquerque Linos-Alexandre Sicilianos

et Ksenija Turković juges ainsi que de Soslashren Nielsen greffier de section

srsquoest dessaisie en faveur de la Grande Chambre ni lrsquoune ni lrsquoautre des

parties ne srsquoy eacutetant opposeacutee (articles 30 de la Convention et 72 du

regraveglement)

7 La composition de la Grande Chambre a eacuteteacute arrecircteacutee conformeacutement

aux dispositions des articles 26 sectsect 4 et 5 de la Convention et 24 du

regraveglement Andraacutes Sajoacute et Nona Tsotsoria qui nrsquoavaient pas pu sieacuteger dans

lrsquoaffaire agrave la date de lrsquoadoption de lrsquoarrecirct ont eacuteteacute remplaceacutes par Kristina

Pardalos et Armen Harutyunyan premiegravere et second juges suppleacuteants

(article 24 sect 3 du regraveglement)

8 Tant les requeacuterants que le Gouvernement ont produit des observations

eacutecrites sur la recevabiliteacute et sur le fond des requecirctes

9 En outre les gouvernements de la Bulgarie de la Gregravece de la France

de la Reacutepublique de Moldova de la Reacutepublique tchegraveque et de la Suisse

autoriseacutes agrave intervenir en qualiteacute de tiers dans la proceacutedure eacutecrite ont produit

des observations (articles 36 sect 2 de la Convention et 44 sect 3 du regraveglement)

10 Une audience srsquoest deacuterouleacutee en public au Palais des droits de

lrsquohomme agrave Strasbourg le 13 janvier 2016 (article 59 sect 3 du regraveglement)

Ont comparu

ndash pour le Gouvernement

M M EMBERLAND avocat bureau de lrsquoavocat geacuteneacuteral

(affaires civiles) agent

Mme J SANDVIG avocate bureau de lrsquoavocat geacuteneacuteral

(affaires civiles)

M C REUSCH avocat bureau de lrsquoavocat geacuteneacuteral

(affaires civiles) conseils

MM A TVERBERG directeur geacuteneacuteral adjoint deacutepartement

de la leacutegislation ministegravere royal de la Justice et de la

Sucircreteacute publique

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 3

L STOLTENBERG procureur principal Autoriteacute nationale

drsquoenquecirctes et de poursuites pour les deacutelits eacuteconomiques

et eacutecologiques

DE EILERTSEN controcircleur fiscal principal services fiscaux

de lrsquoEst de la Norvegravege conseillers

ndash pour les requeacuterants

M R Kjeldahl avocat conseil

La Cour a entendu Me Kjeldahl et Me Sandvig en leurs deacuteclarations ainsi

qursquoen leurs reacuteponses aux questions poseacutees par des juges

EN FAIT

I LES CIRCONSTANCES DE LrsquoESPEgraveCE

11 Le premier requeacuterant A est neacute en 1960 et habite en Norvegravege Le

second requeacuterant B est neacute en 1965 et habite en Floride (Eacutetats-Unis

drsquoAmeacuterique)

12 Les requeacuterants et M EK deacutetenaient la socieacuteteacute Estora Investment

Ltd (laquo Estora raquo) immatriculeacutee agrave Gibraltar MM TF et GA deacutetenaient la

socieacuteteacute Strategic Investment AS (laquo Strategic raquo) immatriculeacutee agrave Samoa et au

Luxembourg En juin 2001 Estora acquit 24 des actions de la socieacuteteacute

Wnet AS et Strategic 46 des actions de Wnet AS En aoucirct 2001 toutes

les actions de Wnet AS furent vendues agrave Software Innovation AS agrave un prix

nettement plus eacuteleveacute Le montant du produit de la vente qui revenait au

premier requeacuterant srsquoeacutelevait agrave 3 259 341 couronnes norveacutegiennes (NOK ndash

soit environ 360 000 euros (EUR)) Ce dernier le transfeacutera agrave la socieacuteteacute

Banista Holding Ltd immatriculeacutee agrave Gibraltar dont il eacutetait lrsquoactionnaire

unique Le montant du produit de la vente qui revenait au second requeacuterant

srsquoeacutelevait agrave 4 651 881 NOK (soit environ 500 000 EUR) Ce dernier le

transfeacutera agrave la socieacuteteacute Fardan Investment Ltd dont il eacutetait lrsquoactionnaire

unique

MM EK GA et TF reacutealisegraverent des profits agrave lrsquooccasion de

transactions similaires tandis que MM BL KB et GN participegraverent par

le biais de Software Innovation AS agrave drsquoautres transactions imposables non

deacuteclareacutees

Les revenus tireacutes de ces transactions qui srsquoeacutelevaient agrave environ

114 500 000 NOK (soit environ 12 600 000 EUR) ne furent pas deacuteclareacutes

aux autoriteacutes fiscales norveacutegiennes (laquo le fisc raquo) ce qui repreacutesentait au total

environ 32 500 000 NOK (soit environ 3 600 000 EUR) drsquoimpocircts impayeacutes

4 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

13 En 2005 le fisc entama le controcircle fiscal de Software Innovation AS

et srsquointeacuteressa aux actionnaires de Wnet AS Le 25 octobre 2007 il deacuteposa

une plainte peacutenale contre TF aupregraves drsquoOslashkokrim (acronyme de lrsquoAutoriteacute

nationale norveacutegienne drsquoenquecirctes et de poursuites pour les deacutelits

eacuteconomiques et eacutecologiques) au sujet drsquoeacuteleacutements qui ulteacuterieurement

conduisirent agrave lrsquoinculpation du premier requeacuterant ainsi que des autres

personnes susmentionneacutees et du second requeacuterant pour fraude fiscale

aggraveacutee

Les personnes citeacutees au paragraphe 12 ci-dessus furent par la suite

poursuivies reconnues coupables et condamneacutees agrave des peines de prison

pour fraude fiscale en matiegravere peacutenale Signalons aussi ceci

ndash la peine de prison infligeacutee agrave M EK en premiegravere instance fut

confirmeacutee en deuxiegraveme instance bien que la juridiction de deuxiegraveme

instance eucirct jugeacute cette peine leacutegegravere parallegravelement une majoration drsquoimpocirct

de 30 lui fut infligeacutee

ndash la dureacutee de la peine de prison infligeacutee agrave M BL fut fixeacutee compte tenu

de ce qursquoune majoration drsquoimpocirct de 30 lui avait deacutejagrave eacuteteacute imposeacutee

ndash M GA nrsquoa eacuteteacute condamneacute agrave aucune amende ni agrave aucune majoration

drsquoimpocirct

ndash M TF a eacuteteacute condamneacute en outre agrave une amende correspondant agrave une

majoration drsquoimpocirct de 30

ndash MM KB et GN furent chacun condamneacutes agrave une amende

conformeacutement au raisonnement exposeacute par la Cour suprecircme dans sa

deacutecision publieacutee au Rt 2011 p 1509 qui renvoyait au Rt 2005 p 129 et a

eacuteteacute reacutesumeacutee au paragraphe 50 ci-dessous

Les circonstances particuliegraveres relatives au premier et au second

requeacuterants sont exposeacutees ci-dessous

A Le premier requeacuterant

14 Le premier requeacuterant fut tout drsquoabord interrogeacute en qualiteacute de teacutemoin

le 6 deacutecembre 2007 puis le 14 deacutecembre 2007 il fut arrecircteacute et deacuteposa en

qualiteacute drsquoaccuseacute (laquo siktet raquo) Il reconnut les faits mais nia toute

responsabiliteacute peacutenale Il fut eacutelargi quatre jours plus tard

15 Le 14 octobre 2008 le premier requeacuterant fut inculpeacute de violations

des articles 12-1 1) a) cf 12-2 de la loi fiscale de 1980 (ligningsloven voir

au paragraphe 43 ci-dessous le texte de ces dispositions)

16 Le 24 novembre 2008 le bureau des impocircts (skattekontoret) redressa

le premier requeacuterant pour les anneacutees fiscales 2002 agrave 2007 apregraves lui avoir

communiqueacute agrave cette fin le 26 aoucirct 2008 un avis qui renvoyait notamment

au controcircle fiscal agrave lrsquoenquecircte peacutenale et agrave la deacuteposition faite par lui eacutevoqueacutes

au paragraphe 13 ci-dessus ainsi qursquoaux documents saisis par Oslashkokrim lors

de lrsquoenquecircte Pour lrsquoanneacutee 2002 le redressement eacutetait fondeacute sur le deacutefaut de

deacuteclaration par lrsquointeacuteresseacute de 3 259 341 NOK (soit environ 360 000 EUR)

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 5

de revenus geacuteneacuteraux ce dernier ayant au lieu de cela deacuteclareacute 65 655 NOK

de pertes De plus sur la base des articles 10-2 1) et 10-4 1) de la loi fiscale

(voir au paragraphe 42 ci-dessous le texte de ces dispositions) le bureau des

impocircts lui appliqua une majoration drsquoimpocirct de 30 calculeacutee sur la base

des impocircts dont il eacutetait redevable au titre des montants non deacuteclareacutes Cette

deacutecision tenait compte notamment des deacutepositions faites par les premier et

second requeacuterants pendant leurs interrogatoires conduits lors de lrsquoenquecircte

peacutenale Le premier requeacuterant ne la contesta pas et srsquoacquitta des sommes

dues ainsi que de la majoration drsquoimpocirct avant lrsquoexpiration du deacutelai de

recours drsquoune dureacutee de trois semaines

17 Le 2 mars 2009 le tribunal (tingrett) de Follo reconnut le premier

requeacuterant coupable de fraude fiscale aggraveacutee et le condamna agrave un an

drsquoemprisonnement pour avoir omis de mentionner dans sa deacuteclaration

fiscale pour lrsquoanneacutee 2002 3 259 341 NOK de revenus perccedilus agrave lrsquoeacutetranger Il

fixa la peine en tenant compte de ce que lrsquointeacuteresseacute avait deacutejagrave eacuteteacute

lourdement sanctionneacute par lrsquoapplication de la majoration drsquoimpocirct

18 Le premier requeacuterant fit appel estimant avoir eacuteteacute jugeacute et puni deux

fois en violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 agrave la Convention Il

soutenait que pour la mecircme infraction relevant de lrsquoarticle 12-1 il avait

drsquoabord eacuteteacute accuseacute et inculpeacute par le parquet puis frappeacute par le fisc drsquoune

majoration drsquoimpocirct qursquoil aurait payeacutee apregraves quoi il avait eacuteteacute reconnu

coupable et sanctionneacute

19 Par un arrecirct rendu le 12 avril 2010 agrave lrsquounanimiteacute la cour drsquoappel

(lagmannsrett) Borgarting (laquo la cour drsquoappel raquo) le deacutebouta et par un arrecirct du

27 septembre 2010 la Cour suprecircme (Hoslashyesterett) fit de mecircme en se

fondant sur un raisonnement similaire reacutesumeacute ci-dessous

20 Dans son arrecirct du 27 septembre 2010 la Cour suprecircme rechercha

tout drsquoabord si les deux proceacutedures en question se rapportaient aux mecircmes

circonstances factuelles (samme forhold) Agrave cet eacutegard elle prit note des

deacuteveloppements de la jurisprudence relative agrave la Convention exposeacutes dans

lrsquoarrecirct de Grande Chambre Sergueiuml Zolotoukhine c Russie ([GC]

no 1493903 sectsect 52 53 80-82 et 84 CEDH 2009) et de la tentative

drsquoharmonisation y opeacutereacutee par le constat suivant

laquo () lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 doit ecirctre compris comme interdisant de poursuivre

ou de juger une personne pour une seconde laquo infraction raquo pour autant que celle-ci a

pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance les mecircmes () La

Cour doit donc faire porter son examen sur ces faits qui constituent un ensemble de

circonstances factuelles concregravetes impliquant le mecircme contrevenant et

indissociablement lieacutees entre elles dans le temps et lrsquoespace () raquo

21 En lrsquoespegravece la Cour suprecircme observa qursquoil ne faisait aucun doute

que les circonstances factuelles agrave lrsquoorigine de la deacutecision drsquoinfliger une

majoration drsquoimpocirct et des poursuites peacutenales avaient suffisamment de points

communs pour satisfaire agrave ces critegraveres Elle releva que dans le cadre des

deux proceacutedures la base factuelle eacutetait lrsquoomission de revenus dans la

6 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

deacuteclaration fiscale du premier requeacuterant Selon elle les proceacutedures portaient

sur les mecircmes faits et satisfaisaient donc agrave la condition requise agrave cet eacutegard

22 La Cour suprecircme rechercha ensuite si les deux proceacutedures avaient

pour objet une laquo infraction raquo au sens de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Agrave cet

eacutegard elle rappela son arrecirct publieacute au Norsk Retstidende (laquo le Rt raquo) 2002

p 509 (paragraphe 45 ci-dessous) qualifiant une majoration drsquoimpocirct au taux

ordinaire (30 ) de compatible avec la notion drsquolaquo accusation en matiegravere

peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 sect 1 Cette conclusion anteacuterieure agrave lrsquoespegravece

srsquoappuyait sur ce qursquoil est convenu drsquoappeler les trois laquo critegraveres Engel raquo (la

qualification juridique de lrsquoinfraction en droit interne la nature de celle-ci et

le degreacute de seacuteveacuteriteacute de la sanction encourue) eacutenonceacutes dans lrsquoarrecirct rendu par

la Cour en lrsquoaffaire Engel et autres c Pays-Bas (8 juin 1976 sect 82 seacuterie A

no 22) La Cour suprecircme jugea importantes dans son analyse la finaliteacute

geacuteneacuterale de preacutevention poursuivie par la majoration drsquoimpocirct et la possibiliteacute

que 30 eacutetant un taux eacuteleveacute des sommes consideacuterables fussent en jeu

Elle rappela en outre son arrecirct publieacute au Rt 2004 p 645 dans lequel elle

avait jugeacute agrave la lumiegravere de la jurisprudence de la Cour (selon laquelle la

notion de laquo peine raquo ne doit pas revecirctir des sens diffeacuterents selon la

disposition de la Convention en cause) qursquoune majoration drsquoimpocirct de 30

revecirctait aussi un caractegravere peacutenal sur le terrain de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 ce qursquoelle confirma sans autre deacutebat dans une deacutecision

publieacutee au Rt 2006 p 1409

23 La Cour suprecircme constata par ailleurs que la Direction des impocircts

(Skattedirektoratet) comme le Procureur geacuteneacuteral (Riksadvokaten) estimaient

peu probable qursquoune majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire ne fucirct pas

qualifieacutee de sanction peacutenale aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

24 La Cour suprecircme consideacutera eacutegalement la jurisprudence plus reacutecente

de la Cour (Mjelde c Norvegravege (deacutec) no 1114304 1er feacutevrier 2007

Storbraringten c Norvegravege (deacutec) no 1227704 1er feacutevrier 2007 Haarvig

c Norvegravege (deacutec) no 1118705 11 deacutecembre 2007 avec des reacutefeacuterences agrave

Malige c France 23 septembre 1998 sect 35 Recueil des arrecircts et deacutecisions

1998-VII et Nilsson c Suegravede (deacutec) no 7366101 CEDH 2005-XIII) dont il

ressortait selon elle qursquoun groupe plus large de critegraveres que ceux retenus

dans la jurisprudence Engel srsquoappliquaient pour effectuer une analyse sous

lrsquoangle de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Elle trouva dans lrsquoarrecirct preacuteciteacute

Sergueiuml Zolotoukhine (sectsect 52-57) suivi par lrsquoarrecirct Ruotsalainen c Finlande

(no 1307903 sectsect 41-47 16 juin 2009) la confirmation que les trois critegraveres

Engel sur la base desquels devait ecirctre eacutetablie lrsquoexistence drsquoune laquo accusation

en matiegravere peacutenale raquo sur le terrain de lrsquoarticle 6 srsquoappliquaient tout autant agrave

la notion de sanction peacutenale figurant agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

25 La Cour suprecircme en conclut qursquoil nrsquoy avait pas lieu pour elle de

srsquoeacutecarter de ses deacutecisions preacuteciteacutees rendues en 2004 et 2006 selon

lesquelles une majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire srsquoanalysait en une

laquo sanction peacutenale raquo (straff) pour les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 7

26 Elle observa ensuite que lrsquoune des conditions pour beacuteneacuteficier de la

protection offerte par cette disposition eacutetait que la deacutecision faisant obstacle agrave

drsquoautres poursuites ndash en lrsquoespegravece la deacutecision du 24 novembre 2008 portant

application drsquoune majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire ndash fucirct deacutefinitive Elle

constata que nrsquoayant pas fait lrsquoobjet drsquoun recours aupregraves de la plus haute

juridiction administrative dans le deacutelai prescrit de trois semaines lequel

avait pris fin le 15 deacutecembre 2008 ladite deacutecision eacutetait agrave cet eacutegard devenue

deacutefinitive Elle estima que si en revanche il fallait prendre en compte le

deacutelai de recours en justice de six mois fixeacute par lrsquoarticle 11-1 4) de la loi

fiscale la deacutecision nrsquoeacutetait pas encore devenue deacutefinitive agrave la date du

prononceacute du jugement du tribunal de Follo agrave savoir le 2 mars 2009

27 La Cour suprecircme dit que lrsquoexpression laquo acquitteacute ou condamneacute par un

jugement deacutefinitif raquo employeacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 avait eacuteteacute

conccedilue pour viser les situations ougrave la deacutecision faisant obstacle agrave drsquoautres

poursuites eacutetait un jugement au peacutenal Elle constata que la Cour avait eacutetabli

qursquoune deacutecision eacutetait deacutefinitive une fois passeacutee en force de chose jugeacutee

crsquoest-agrave-dire lorsqursquoaucun autre recours ordinaire nrsquoeacutetait ouvert et que en

cela la date agrave partir de laquelle en droit interne la deacutecision passait en force

de chose jugeacutee eacutetait deacuteterminante Elle consideacutera que ni le texte de la

disposition elle-mecircme ni les travaux preacuteparatoires de celle-ci ni la

jurisprudence ne donnaient la moindre indication pour le cas ougrave la deacutecision

faisant obstacle agrave drsquoautres poursuites eacutetait de nature administrative Elle

rappela que dans son arrecirct de principe publieacute au Rt 2002 p 557 elle avait

dit qursquoil fallait regarder comme deacutefinitive une deacutecision finale de

redressement fiscal y compris assortie drsquoune majoration drsquoimpocirct degraves lors

que le contribuable en question ne pouvait plus la contester (p 570) sans

toutefois preacuteciser si crsquoeacutetait le deacutelai de recours administratif ou le deacutelai de

recours judiciaire qui eacutetait deacuteterminant En lrsquoespegravece elle dit que la meilleure

solution eacutetait de consideacuterer que crsquoeacutetait le deacutelai de recours administratif

drsquoune dureacutee de trois semaines qui eacutetait deacuteterminant au regard de lrsquoarticle 4

du Protocole no 7 car sinon la situation ne serait eacuteclaircie qursquoau bout de six

mois dans lrsquohypothegravese ougrave le contribuable ne saisirait pas les tribunaux ou

qursquoune fois rendu un jugement leacutegalement exeacutecutoire dans lrsquohypothegravese

inverse au bout drsquoun laps de temps dont la dureacutee pouvait varier et ecirctre

longue Il fallait donc selon elle consideacuterer que la deacutecision du 24 novembre

2008 eacutetait deacutefinitive aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

28 La Cour suprecircme constata que le premier requeacuterant avait acquis la

qualiteacute drsquoaccuseacute le 14 deacutecembre 2007 et que lrsquoavis de redressement lui avait

eacuteteacute signifieacute le 26 aoucirct 2008 Elle releva que par la suite la proceacutedure fiscale

et la proceacutedure peacutenale srsquoeacutetaient deacuterouleacutees en parallegravele jusqursquoagrave ce qursquoune

deacutecision du 24 novembre 2008 et un jugement du 2 mars 2009

respectivement y mettent un terme Elle estima que lrsquoune des questions

essentielles dans cette affaire eacutetait de savoir si les poursuites avaient eacuteteacute

conseacutecutives ce qui aurait eacuteteacute contraire agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 ou

8 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

parallegraveles ce qui aurait eacuteteacute permis dans une certaine mesure Agrave cet eacutegard

elle prit en consideacuteration deux deacutecisions drsquoirrecevabiliteacute RT c Suisse

((deacutec) no 3198296 30 mai 2000) et Nilsson c Suegravede (deacutecision preacuteciteacutee) et

en particulier le passage suivant de cette derniegravere deacutecision

laquo Toutefois la Cour ne saurait accueillir la thegravese du requeacuterant selon laquelle les

autoriteacutes ont deacuteclencheacute contre lui de nouvelles poursuites peacutenales en mettant en œuvre

la proceacutedure de retrait litigieuse Si les diverses sanctions infligeacutees agrave lrsquointeacuteresseacute ont eacuteteacute

prononceacutees par deux autoriteacutes diffeacuterentes agrave lrsquoissue de proceacutedures distinctes il existait

entre elles un lien mateacuteriel et temporel suffisamment eacutetroit pour que lrsquoon puisse

consideacuterer le retrait de permis comme lrsquoune des mesures preacutevues par le droit sueacutedois

pour la reacutepression des deacutelits de conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute avanceacute et de conduite sans

permis (voir RT c Suisse deacutecision preacuteciteacutee et mutatis mutandis Phillips

c Royaume-Uni no 4108798 sect 34 CEDH 2001-VII) En drsquoautres termes on ne

saurait deacuteduire du retrait litigieux que lrsquointeacuteresseacute a eacuteteacute laquo poursuivi ou puni () en

raison drsquoune infraction pour laquelle il a[vait] deacutejagrave eacuteteacute () condamneacute par un jugement

deacutefinitif raquo au meacutepris de lrsquoarticle 4 sect 1 du Protocole no 7 raquo

29 La Cour suprecircme jugea que en lrsquoespegravece lrsquoexistence drsquoun lien

mateacuteriel et temporel suffisant ne pouvait faire de doute Elle estima que les

deux affaires reposaient sur les mecircmes circonstances factuelles agrave savoir une

omission drsquoinformations dans la deacuteclaration fiscale qui avait causeacute une

erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct Elle conclut que la proceacutedure peacutenale et la

proceacutedure administrative avaient eacuteteacute conduites en parallegravele Elle releva que

apregraves que le premier requeacuterant eut deacuteposeacute en qualiteacute drsquoaccuseacute le

14 deacutecembre 2007 un avis de redressement avait suivi le 26 aoucirct 2008 puis

une inculpation le 14 octobre 2008 la deacutecision de redressement prise par le

fisc le 24 novembre 2008 et le jugement du tribunal de Follo le 2 mars

2009 Selon elle la proceacutedure administrative et la proceacutedure peacutenale eacutetaient

ainsi dans une large mesure imbriqueacutees

30 La Cour suprecircme estima que la finaliteacute de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 qui eacutetait drsquooffrir une protection contre le fardeau que

repreacutesente un nouveau procegraves eacutetait moins pertinente en lrsquoespegravece dans la

mesure ougrave le premier requeacuterant nrsquoavait aucune espeacuterance leacutegitime de nrsquoecirctre

lrsquoobjet que drsquoune seule proceacutedure Dans ces conditions selon elle

lrsquoeffectiviteacute de la reacutepression revecirctait un caractegravere preacutepondeacuterant

B Le second requeacuterant

31 Agrave lrsquoautomne 2007 agrave la suite du controcircle fiscal conduit en 2005

eacutevoqueacute au paragraphe 13 ci-dessus le fisc signala agrave Oslashkokrim que dans sa

deacuteclaration fiscale pour lrsquoanneacutee fiscale 2002 le second requeacuterant avait omis

de mentionner 4 561 881 NOK (soit environ 500 000 EUR) de revenus tireacutes

de la vente par lui de certaines actions

32 Le 16 octobre 2008 le bureau des impocircts avisa le second requeacuterant

qursquoil envisageait de le redresser fiscalement et de lui appliquer une

majoration drsquoimpocirct Il srsquoappuyait notamment sur le controcircle fiscal sur

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 9

lrsquoenquecircte peacutenale et sur la deacuteposition faite par lrsquointeacuteresseacute eacutevoqueacutes au

paragraphe 13 ci-dessus ainsi que sur des documents saisis par Oslashkokrim

lors de lrsquoenquecircte Le 5 deacutecembre 2008 il effectua le redressement preacutecisant

que le second requeacuterant devait 1 302 526 NOK (soit environ 143 400 EUR)

drsquoimpocircts au titre des revenus non deacuteclareacutes De plus se fondant sur les

articles 10-2 1) et 10-4 1) de la loi fiscale il deacutecida drsquoappliquer une

majoration drsquoimpocirct de 30 en tenant notamment compte des deacutepositions

faites par les premier et second requeacuterants agrave lrsquooccasion de leurs

interrogatoires conduits lors de lrsquoenquecircte peacutenale Le second requeacuterant

srsquoacquitta des impocircts dus et de la majoration drsquoimpocirct et ne contesta pas

ladite deacutecision qui devint deacutefinitive le 26 deacutecembre 2008

33 Parallegravelement le 11 novembre 2008 le parquet avait inculpeacute le

second requeacuterant drsquoune violation de lrsquoarticle 12-1 1) a) cf article 12-2 de la

loi fiscale au motif que pour les anneacutees fiscales 2001 etou 2002 celui-ci

avait omis dans sa deacuteclaration fiscale 4 651 881 NOK de revenus ce qui

repreacutesentait 1 302 526 NOK drsquoimpocircts agrave verser Il pria le tribunal (tingrett)

drsquoOslo de rendre un jugement sommaire fondeacute sur les aveux

(tilstaringelsesdom) de lrsquointeacuteresseacute De plus MM EK BL et GA plaidegraverent

coupable et acceptegraverent de passer en jugement sommaire sur la base de la

reconnaissance par eux de leur culpabiliteacute

34 Le 10 feacutevrier 2009 le second requeacuterant (agrave lrsquoinverse de MM EK

BL et GA) revint sur ses aveux agrave la suite de quoi le procureur deacutelivra le

29 mai 2009 un acte drsquoinculpation reacuteviseacute qui reprenait les mecircmes chefs

35 Le 30 septembre 2009 agrave lrsquoissue drsquoun procegraves contradictoire le

tribunal drsquoOslo deacuteclara le second requeacuterant coupable des chefs de fraude

fiscale aggraveacutee et le condamna agrave un an drsquoemprisonnement peine qui tenait

compte de ce qursquoune majoration drsquoimpocirct lui avait deacutejagrave eacuteteacute appliqueacutee

36 Le second requeacuterant contesta devant la cour drsquoappel la proceacutedure

conduite devant le tribunal drsquoOslo soutenant en particulier que en vertu du

principe non bis in idem consacreacute agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

lrsquoapplication dans son cas drsquoune majoration drsquoimpocirct faisait obstacle agrave sa

condamnation peacutenale Il demanda donc agrave la cour drsquoappel lrsquoannulation

(opphevet) du jugement dudit tribunal et le rejet (avvist) de lrsquoaction dirigeacutee

contre lui

37 Par un arrecirct rendu le 8 juillet 2010 qui reprenait pour lrsquoessentiel le

raisonnement suivi par elle dans son arrecirct concernant le premier requeacuterant

lequel raisonnement eacutetait similaire agrave celui de la Cour suprecircme reacutesumeacute plus

haut (paragraphes 20 agrave 30 ci-dessus) la cour drsquoappel deacutebouta le second

requeacuterant Elle jugea ainsi que la deacutecision du 5 deacutecembre 2008 par laquelle

le fisc avait ordonneacute au second requeacuterant de payer une majoration drsquoimpocirct

de 30 srsquoanalysait bien en une sanction peacutenale (straff) que cette deacutecision

eacutetait devenue laquo deacutefinitive raquo agrave la date drsquoexpiration du deacutelai de recours soit le

26 deacutecembre 2008 et que ladite deacutecision et la condamnation peacutenale

posteacuterieure portaient sur les mecircmes faits

10 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

38 Par ailleurs comme dans le cas du premier requeacuterant la cour drsquoappel

jugea que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 permettait dans une certaine mesure

la conduite de proceacutedures parallegraveles ndash lrsquoune administrative et lrsquoautre

peacutenale ndash pourvu que la seconde commence avant que la premiegravere ne se

conclue par une deacutecision deacutefinitive Elle estima que une fois satisfaite cette

exigence minimale il fallait appreacutecier lrsquoeacutetat drsquoavancement de la seconde

proceacutedure et surtout rechercher srsquoil existait ou non un lien mateacuteriel et

temporel suffisant entre la premiegravere deacutecision et la seconde

39 Quant agrave lrsquoexamen concret des circonstances propres agrave lrsquoaffaire du

second requeacuterant la cour drsquoappel constata que la proceacutedure peacutenale et la

proceacutedure fiscale avaient en reacutealiteacute eacuteteacute conduites en parallegravele et ce depuis la

plainte dont le fisc avait saisi la police agrave lrsquoautomne 2007 jusqursquoagrave la deacutecision

de majoration drsquoimpocirct prise en deacutecembre 2008 Elle jugea la situation

similaire agrave celle du premier requeacuterant Elle releva que le second requeacuterant

avait eacuteteacute inculpeacute et que le dossier avait eacuteteacute transmis au tribunal drsquoOslo

assorti drsquoune demande de jugement sommaire sur la base des aveux

auxquels lrsquointeacuteresseacute srsquoeacutetait livreacute le 11 novembre 2008 anteacuterieurement agrave la

deacutecision de majoration drsquoimpocirct Elle estima donc que agrave la date de cette

deacutecision la proceacutedure peacutenale avait deacutejagrave atteint un stade relativement avanceacute

Elle admit que la peacuteriode de neuf mois ndash courant de la date agrave laquelle la

deacutecision du fisc du 5 deacutecembre 2008 eacutetait devenue deacutefinitive au

30 septembre 2009 date de la condamnation du second requeacuterant par le

tribunal drsquoOslo ndash eacutetait un peu plus longue que la peacuteriode de deux mois et

demi eacutecouleacutee dans le cas du premier requeacuterant Elle consideacutera neacuteanmoins

que cet eacutecart pouvait srsquoexpliquer par la reacutetractation du second requeacuterant en

feacutevrier 2009 en conseacutequence de laquelle il avait fallu lrsquoinculper de nouveau

le 29 mai 2009 et le juger dans le cadre drsquoun procegraves ordinaire Elle en

conclut agrave lrsquoinstar du tribunal drsquoOslo qursquoil existait manifestement un lien

mateacuteriel et temporel suffisant entre la deacutecision de majoration drsquoimpocirct et la

condamnation peacutenale ulteacuterieure

40 Le 29 octobre 2010 le Comiteacute de seacutelection des recours de la Cour

suprecircme refusa au second requeacuterant lrsquoautorisation de former un pourvoi

aupregraves de celle-ci au motif que cela ne se justifiait ni par lrsquoimportance

geacuteneacuterale de lrsquoaffaire ni par aucune autre raison

II LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

41 Aux termes de lrsquoarticle 10-2 1) de la loi fiscale de 1980 qui figure

dans le chapitre 10 consacreacute aux majorations drsquoimpocirct (Tilleggsskatt) est

passible drsquoune majoration drsquoimpocirct tout contribuable qui aura fourni au fisc

des informations inexactes ou incomplegravetes ayant ou risquant drsquoavoir pour

conseacutequence une erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct Conformeacutement agrave

lrsquoarticle 10-4 1) les majorations drsquoimpocirct srsquoeacutelegravevent en principe agrave 30 des

impocircts qui ont eacuteteacute ou risquaient drsquoecirctre soustraits

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 11

42 Agrave lrsquoeacutepoque ougrave les requeacuterants ont commis leurs infractions les

articles 10-2 10-3 et 10-4 de cette loi disposaient

Article 10-2 (majorations drsquoimpocirct)

laquo 1 Si le fisc srsquoaperccediloit qursquoun contribuable lui a communiqueacute dans une deacuteclaration

de revenus une deacuteclaration drsquoactifs une eacutecriture ou toute autre deacuteclaration verbale ou

eacutecrite des informations inexactes ou incomplegravetes qui conduisent ou risquent de

conduire agrave une erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct il lui est infligeacute une majoration

drsquoimpocirct correspondant agrave un pourcentage des impocircts qui ont eacuteteacute ou risquaient drsquoecirctre

soustraits

Les cotisations agrave la seacutecuriteacute sociale sont assimilables agrave des impocircts agrave cet eacutegard

2 Si le contribuable nrsquoa pas produit la deacuteclaration de revenus ou la deacuteclaration

drsquoactifs requise la majoration drsquoimpocirct est calculeacutee agrave partir de lrsquoimpocirct fixeacute dans le

redressement

3 Un suppleacutement drsquoactifs ou de revenus justifiant lrsquoimposition drsquoune majoration

drsquoimpocirct est reacuteputeacute repreacutesenter la partie supeacuterieure des actifs ou revenus du

contribuable Si le contribuable doit srsquoacquitter drsquoune majoration drsquoimpocirct fixeacutee sur la

base de taux diffeacuterents pour la mecircme anneacutee les impocircts sur la base desquels cette

majoration est calculeacutee seront reacutepartis proportionnellement en fonction des actifs ou

des revenus auxquels les divers taux srsquoappliquent

4 Les obligations que le preacutesent article fait peser sur le contribuable srsquoappliquent

eacutegalement agrave sa succession et agrave ses ayants droit

5 Le contribuable pour lequel une majoration drsquoimpocirct est envisageacutee en est aviseacute au

preacutealable et un deacutelai lui est fixeacute de maniegravere agrave lui permettre de srsquoexprimer agrave ce sujet

6 Les majorations drsquoimpocirct peuvent ecirctre fixeacutees dans les deacutelais preacutevus agrave lrsquoarticle 9-6

de la preacutesente loi en mecircme temps que lrsquoeacutetablissement des impocircts sur la base desquels

elles doivent ecirctre calculeacutees ou ulteacuterieurement dans le cadre drsquoune deacutemarche

speacuteciale raquo

Article 10-3 (exemption de majoration drsquoimpocirct)

laquo Nulle majoration drsquoimpocirct ne peut ecirctre imposeacutee

a) lorsque les deacuteclarations fiscales du contribuable contiennent une erreur manifeste

de calcul ou de typographie

b) lorsque lrsquoinfraction commise par le contribuable peut ecirctre regardeacutee comme

excusable pour des raisons tenant agrave sa santeacute agrave son acircge agrave son inexpeacuterience ou pour

toute autre raison qui ne peut lui ecirctre reprocheacutee ou

c) lorsque son montant est infeacuterieur agrave 400 NOK au total raquo

Article 10-4 (taux de la majoration drsquoimpocirct)

laquo 1 Le taux de la majoration drsquoimpocirct est en principe de 30 Si les actes viseacutes agrave

lrsquoarticle 10-2 1) sont commis intentionnellement ou par neacutegligence grave le taux peut

aller jusqursquoagrave 60 Le taux est fixeacute agrave 15 si les informations inexactes ou

incomplegravetes concernent des eacuteleacutements deacuteclareacutes de leur cocircteacute par un employeur ou un

tiers conformeacutement au chapitre 6 ou si les circonstances peuvent ecirctre aiseacutement

veacuterifieacutees au moyen des informations dont le fisc dispose par ailleurs

12 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

2 Les majorations drsquoimpocirct sont fixeacutees agrave des taux eacutequivalant agrave la moitieacute de ceux

indiqueacutes dans les premiegravere et troisiegraveme phrases du paragraphe 1 du preacutesent article si

sont preacutesentes les circonstances preacutevues agrave lrsquoarticle 10-3 b) eacutetant entendu que cela ne

justifie pas drsquoeacuteliminer toute majoration

3 Les majorations drsquoimpocirct peuvent ecirctre calculeacutees avec un taux infeacuterieur agrave celui

indiqueacute au paragraphe 2 du preacutesent article voire eacutecarteacutees si le contribuable sa

succession ou ses ayants droit rectifient ou complegravetent volontairement les

informations preacuteceacutedemment communiqueacutees de sorte que le montant exact des impocircts

puisse ecirctre fixeacute Cette disposition ne srsquoapplique pas si le rectificatif peut passer pour la

conseacutequence de mesures de controcircle qui ont eacuteteacute ou seront adopteacutees ou drsquoinformations

que les autoriteacutes fiscales ont obtenues ou pouvaient obtenir de tiers raquo

43 Le chapitre 12 consacreacute aux sanctions peacutenales (straff) comporte les

dispositions suivantes pertinentes en lrsquoespegravece

Article 12-1 (fraude fiscale)

laquo 1 Doit ecirctre sanctionneacutee pour fraude fiscale toute personne qui intentionnellement

ou par neacutegligence grave

a) communique aux autoriteacutes fiscales des informations inexactes ou incomplegravetes

tout en sachant ou tout en eacutetant censeacutee savoir qursquoelle peut en tirer des avantages

fiscaux () raquo

Article 12-2 (fraude fiscale aggraveacutee)

laquo 1 La fraude fiscale aggraveacutee est punie drsquoune amende ou drsquoune peine

drsquoemprisonnement pouvant aller jusqursquoagrave six ans La compliciteacute est punissable des

mecircmes peines

2 Pour deacuteterminer si la fraude fiscale est aggraveacutee on accordera un poids

particulier au point de savoir si elle risque drsquoentraicircner la soustraction de montants tregraves

importants en impocircts si elle est exeacutecuteacutee drsquoune maniegravere qui en rend la deacutecouverte

particuliegraverement difficile si elle est le fruit drsquoun abus drsquoautoriteacute ou de confiance ou si

elle reacutesulte drsquoune compliciteacute dans lrsquoexercice de fonctions professionnelles

3 En application des critegraveres eacutenumeacutereacutes au paragraphe 2 ci-dessus plusieurs

infractions peuvent ecirctre prises en compte conjointement

4 Le preacutesent article est applicable mecircme en cas drsquoignorance des circonstances

aggravantes si celle-ci est le fruit drsquoune neacutegligence grave raquo

44 Selon la jurisprudence de la Cour suprecircme lrsquoimposition drsquoune

majoration drsquoimpocirct de 60 doit ecirctre qualifieacutee drsquolaquo accusation en matiegravere

peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 de la Convention (Rt 2000 p 996) Degraves lors

que des poursuites peacutenales ont eacuteteacute ensuite engageacutees pour le mecircme

comportement la juridiction de jugement doit prononcer leur abandon faute

de quoi il y aurait violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 (deux arrecircts en

formation pleacuteniegravere rendus le 3 mai 2002 et publieacutes au Rt 2002 p 557 et au

Rt 2002 p 497)

45 La Cour suprecircme a eacutegalement conclu que lrsquoapplication drsquoune

majoration drsquoimpocirct de 30 eacutetait constitutive drsquoune laquo accusation en matiegravere

peacutenale raquo aux fins de lrsquoarticle 6 de la Convention (troisiegraveme arrecirct rendu le

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 13

3 mai 2002 Rt 2002 p 509) Dans des arrecircts ulteacuterieurs publieacutes au Rt 2004

p 645 et au Rt 2006 p 1409 elle a dit qursquoune majoration drsquoimpocirct de 30

revecirctait eacutegalement un caractegravere peacutenal sur le terrain de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7

46 Il faut encore signaler que pour ce qui est de la nature des

majorations drsquoimpocirct ordinaires de 30 la Cour suprecircme srsquoest appuyeacutee sur

des travaux preacuteparatoires de la loi (Otprpnr 29 (1978-1979) pp 44-45)

Elle a jugeacute que le ministegravere attachait beaucoup drsquoimportance agrave des

consideacuterations de preacutevention geacuteneacuterale Un risque eacuteleveacute de sanction sous

forme de majoration drsquoimpocirct aurait eacuteteacute jugeacute plus dissuasif que des sanctions

(peacutenales) moins nombreuses et plus lourdes La majoration drsquoimpocirct serait

censeacutee ecirctre avant tout une reacuteaction agrave la communication au fisc par le

contribuable de deacuteclarations ou drsquoinformations inexactes ou incomplegravetes et

une compensation des ressources humaines et financiegraveres consideacuterables

consacreacutees par la collectiviteacute aux controcircles et enquecirctes Il aurait eacuteteacute estimeacute

que les coucircts ainsi entraicircneacutes devaient dans une certaine mesure ecirctre

supporteacutes par ceux qui fournissaient les informations inexactes ou

incomplegravetes (Rt 2002 p 520) Les buts poursuivis par le reacutegime des

majorations drsquoimpocirct ordinaires se caracteacuteriseraient avant tout par la

neacutecessiteacute de garantir le respect effectif par le contribuable de son devoir de

fournir des informations et par des consideacuterations de preacutevention geacuteneacuterale

(Rt 2006 p 1409) Le contribuable aurait le devoir de communiquer les

informations et eacuteleacutements neacutecessaires agrave lrsquoeacutetablissement de son assiette

fiscale Essentiel agrave lrsquoensemble du systegraveme fiscal national ce devoir serait

eacutetayeacute par un meacutecanisme de controcircles et de sanctions efficaces en cas de

manquement Le calcul de lrsquoimpocirct serait une opeacuteration massive faisant

intervenir des millions de citoyens La majoration drsquoimpocirct aurait pour

finaliteacute de renforcer les fondations du systegraveme fiscal national Il serait admis

qursquoun systegraveme fiscal en bon eacutetat de marche est indispensable au

fonctionnement de lrsquoEacutetat et donc de la socieacuteteacute (Rt 2002 p 525)

47 Par un arrecirct adopteacute par la formation pleacuteniegravere de la Cour suprecircme le

14 septembre 2006 agrave la suite de la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute rendue le

14 septembre 2004 par la Cour en lrsquoaffaire Rosenquist c Suegravede

(no 6061900) la haute juridiction a dit que lrsquoimposition drsquoune majoration

drsquoimpocirct de 30 et une proceacutedure peacutenale pour fraude fiscale ne

correspondaient pas agrave la mecircme infraction au sens de lrsquoarticle 4 du Protocole

no 7 (Rt 2006 p1409) Dans son arrecirct rendu en septembre 2010 concernant

le premier requeacuterant elle a opeacutereacute un revirement de cette jurisprudence

jugeant que la proceacutedure administrative et la proceacutedure peacutenale concernaient

la mecircme infraction pour les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

(paragraphe 20 ci-dessus)

48 Parallegravelement agrave la suite de lrsquoarrecirct rendu par la Cour le 10 feacutevrier

2009 dans lrsquoaffaire preacuteciteacutee Sergueiuml Zolotoukhine le procureur geacuteneacuteral

(Riksadvokaten) publia le 3 avril 2009 des instructions (RA-2009-187) avec

14 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

prise drsquoeffet immeacutediate Drsquoapregraves celles-ci lrsquoarrecirct de la Cour suprecircme de

2006 ne pouvait plus ecirctre suivi Le texte se lisait notamment comme suit

laquo 4 La mecircme infraction ndash la notion drsquoidentiteacute

Il est communeacutement admis que la notion drsquoidentiteacute drsquoinfractions (idem) contenue agrave

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 comporte deux aspects lrsquoun relatif aux circonstances

factuelles et lrsquoautre relatif au droit Selon cette interpreacutetation la seconde proceacutedure (en

pratique le procegraves peacutenal) ne porte sur la mecircme infraction que la proceacutedure anteacuterieure

(en pratique la majoration drsquoimpocirct) que si elles concernent toutes deux les mecircmes

faits ndash le laquo mecircme comportement raquo ndash et si la teneur des dispositions pertinentes est

dans une large mesure identique (crsquoest-agrave-dire si elles renferment les laquo mecircmes eacuteleacutements

essentiels raquo)

Dans son arrecirct rendu en formation pleacuteniegravere (Rt 2006 p 1409) la Cour suprecircme ndash se

reacutefeacuterant en particulier agrave la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute rendue par la Cour le 14 septembre

2004 en lrsquoaffaire Rosenquist (deacutec) no 6061900 ndash a jugeacute qursquoune deacutecision infligeant

une majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire ne faisait pas obstacle agrave lrsquoouverture

ulteacuterieure drsquoun procegraves peacutenal lrsquoune et lrsquoautre des proceacutedures ayant pour objet des

infractions diffeacuterentes au sens de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 La majoriteacute (14 voix) a

estimeacute que les dispositions reacutegissant la majoration drsquoimpocirct ordinaire eacutenonceacutees agrave

lrsquoarticle 10-2 cf article 10-4 1) premiegravere phrase de la loi fiscale ne renfermaient pas

les mecircmes eacuteleacutements essentiels que la disposition peacutenale eacutenonceacutee agrave lrsquoarticle 12-1 de

cette mecircme loi Pour la Cour suprecircme la diffeacuterence deacutecisive tenait agrave ce que si la

disposition peacutenale nrsquoeacutetait applicable que lorsqursquoil y a intention ou neacutegligence grave

les majorations drsquoimpocirct ordinaires lrsquoeacutetaient sur la base de critegraveres plus ou moins

objectifs La haute juridiction a eacutegalement eacutevoqueacute la diffeacuterence de finaliteacute de ces

sanctions

Dans son arrecirct de Grande Chambre Sergueiuml Zolotoukhine la Cour srsquoest livreacutee agrave une

analyse minutieuse de la notion drsquoidentiteacute drsquoinfractions (idem) tireacutee de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 agrave lrsquoissue de laquelle elle srsquoest eacutecarteacutee de lrsquointerpreacutetation qui avait cours

auparavant Depuis cet arrecirct il est clair que la question de savoir si lrsquoune et lrsquoautre des

proceacutedures concernaient la mecircme infraction doit ecirctre analyseacutee sur la base des seuls

faits (voir en particulier les paragraphes 82 et 84 de lrsquoarrecirct) Les deux proceacutedures

auront pour objet la mecircme infraction si elles ont pour origine laquo des faits identiques ou

des faits qui sont en substance les mecircmes raquo (sect 82) Il faut donc faire porter lrsquolaquo examen

sur ces faits qui constituent un ensemble de circonstances factuelles concregravetes

impliquant le mecircme contrevenant et indissociablement lieacutees entre elles dans le temps

et lrsquoespace raquo (sect 84)

De lrsquoavis du procureur geacuteneacuteral le jugement porteacute par la Cour suprecircme dans son arrecirct

publieacute au Rt 2006 p 1409 qui se fondait principalement sur des diffeacuterences dans les

critegraveres de culpabiliteacute ne tient plus depuis lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine Degraves lors que

lrsquoapplication de la majoration drsquoimpocirct et le procegraves peacutenal ulteacuterieur reposent sur la

mecircme action ou omission comme crsquoest normalement le cas il faut supposer que en

application de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 la majoration drsquoimpocirct ordinaire fait

eacutegalement obstacle agrave des poursuites peacutenales ulteacuterieures Le procureur geacuteneacuteral a deacuteduit

de ses entretiens avec la direction des impocircts que telle est la position de celle-ci

La nouvelle conception de la notion drsquoidentiteacute drsquoinfractions sur le terrain de

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 soulegravevera incontestablement de nouvelles questions sur

lrsquoampleur des diffeacuterences que devront avoir les circonstances factuelles pour qursquoil

puisse ecirctre conclu agrave lrsquoabsence drsquoidentiteacute Cependant il srsquoagit de questions qui devront

ecirctre trancheacutees en pratique au cas par cas Il faut noter que le raisonnement de lrsquoarrecirct

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 15

Sergueiuml Zolotoukhine montre que la Cour est moins disposeacutee que le droit interne

norveacutegien agrave consideacuterer une seacutequence drsquoeacuteveacutenements comme un tout pour ce qui est de

rechercher srsquoil y a infraction continueacutee ou non

5 Nouvelle proceacutedure

Comme on le sait les instructions anteacuterieures (voir en particulier la section 3 de la

lettre du 26 mars 2007 (RA-2007-120) adresseacutee par le procureur geacuteneacuteral aux bureaux

reacutegionaux des procureurs et aux directeurs de la police) reposaient sur la possibiliteacute

drsquoappliquer aux majorations drsquoimpocirct ordinaires le systegraveme agrave deux niveaux instaureacute par

la loi fiscale Depuis le revirement opeacutereacute dans la jurisprudence de la Cour il faut

appliquer un systegraveme laquo agrave un niveau raquo eacutegalement pour les majorations drsquoimpocirct

ordinaires

Ainsi qursquoil a deacutejagrave eacuteteacute dit le procureur geacuteneacuteral et la direction des impocircts nrsquoestiment

pas justifiable drsquoouvrir un nouveau procegraves en supposant que les tribunaux ne

concluront plus que lrsquoapplication drsquoune majoration drsquoimpocirct ordinaire constitue une

sanction peacutenale au sens de la Convention On pourrait peut-ecirctre deacutefendre cette thegravese

mais elle comporte trop drsquoincertitudes Il faut aussi tenir compte du nombre

relativement important drsquoaffaires en jeu

Quand bien mecircme la jurisprudence de la Cour en matiegravere de proceacutedures parallegraveles

nrsquoaurait pas changeacute nous estimons ndash comme auparavant ndash que si un grand nombre

drsquoactions en justice sont formeacutees ndash ce qui risque drsquoecirctre le cas ndash il sera trop compliqueacute

drsquointenter un procegraves sur la base de proceacutedures parallegraveles crsquoest-agrave-dire devant

lrsquoadministration et devant le juge Il faut signaler aussi que dans tel ou tel cas si les

circonstances le permettent des transactions peuvent ecirctre conclues en tenant compte

de lrsquoeacuteventualiteacute de proceacutedures parallegraveles

Agrave lrsquoissue des discussions le procureur geacuteneacuteral et la direction des impocircts

conviennent de la proceacutedure suivante () raquo

49 Les instructions fixent ensuite les modaliteacutes de la laquo nouvelle

proceacutedure raquo

a) Srsquoagissant des affaires nouvelles crsquoest-agrave-dire celles sur lesquelles le

fisc nrsquoa pas encore statueacute celui-ci doit examiner de maniegravere indeacutependante si

le fait punissable est drsquoune graviteacute telle qursquoil meacuterite drsquoecirctre signaleacute agrave la

police Si le fisc deacutecide drsquoen saisir la police aucune majoration drsquoimpocirct ne

peut ecirctre appliqueacutee Srsquoil faut appliquer une majoration drsquoimpocirct la police ne

peut ecirctre saisie

Srsquoagissant des affaires dont la police a eacuteteacute saisie il est souligneacute que

lrsquoimposition drsquoune amende (par le biais drsquoune notification de peine ou drsquoun

jugement au peacutenal) fait obstacle agrave lrsquoapplication ulteacuterieure drsquoune majoration

drsquoimpocirct Si le parquet estime qursquoil nrsquoy a pas lieu drsquoouvrir des poursuites

peacutenales lrsquoaffaire doit ecirctre renvoyeacutee au fisc pour que celui-ci en reprenne

lrsquoexamen et lrsquointeacuteresseacute doit en ecirctre aviseacute

Dans les affaires ougrave le fisc applique une majoration drsquoimpocirct ordinaire

tout en signalant lrsquoaffaire agrave la police mais ougrave lrsquoouverture de poursuites nrsquoest

pas encore deacutecideacutee (laquo en instance de deacutecision raquo) il faut renoncer agrave celles-ci

b) Dans les affaires ougrave une notification de peine a eacuteteacute deacutelivreacutee mais nrsquoa

pas eacuteteacute accepteacutee et ougrave le fisc a appliqueacute une majoration drsquoimpocirct avant de

signaler lrsquoaffaire agrave la police il faut clore la proceacutedure Les notifications de

16 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

peine qui ont eacuteteacute accepteacutees doivent ecirctre annuleacutees par les hautes instances du

parquet En revanche en vertu du pouvoir discreacutetionnaire confeacutereacute par

lrsquoarticle 392 1) du code de proceacutedure peacutenale reconnu par la Cour suprecircme

en formation pleacuteniegravere dans son arrecirct publieacute au Rt 2003 p 359 il nrsquoest pas

neacutecessaire drsquoannuler les notifications de peine accepteacutees avant le 10 feacutevrier

2009 date du prononceacute de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine

c) Srsquoagissant des affaires passant en jugement devant les tribunaux de

premiegravere instance ndash sur la base drsquoun acte drsquoinculpation drsquoune notification de

peine non accepteacutee ou drsquoune demande de jugement sur la base drsquoune

reconnaissance de culpabiliteacute dans le cadre drsquoune proceacutedure sommaire ndash le

parquet doit clore la proceacutedure et abandonner les poursuites si lrsquoaudience

nrsquoa pas encore eu lieu ou si celle-ci a eu lieu demander le rejet de lrsquoaffaire

Le parquet doit faire appel de toute condamnation non encore deacutefinitive et

exeacutecutoire en faveur de la personne viseacutee et quelle que soit lrsquoissue en

premiegravere instance demander lrsquoannulation du jugement de premiegravere instance

et le rejet de lrsquoaffaire par les tribunaux

d) Il nrsquoest pas question de rouvrir le procegraves lorsque le jugement est

devenu deacutefinitif et exeacutecutoire anteacuterieurement agrave la date du prononceacute de

lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine crsquoest-agrave-dire avant le 10 feacutevrier 2009 Pour ce

qui est des jugements posteacuterieurs agrave cette date la reacuteouverture pourrait ecirctre

envisageacutee dans des cas exceptionnels mais lrsquointeacuteresseacute doit ecirctre informeacute que

le parquet ne demandera pas drsquooffice la reacuteouverture

50 Pour ce qui est de lrsquoimposition de plusieurs sanctions peacutenales pour le

mecircme comportement lrsquoarticle 29 du code peacutenal (Straffeloven) de 2005

dispose que la peine globale en reacutesultant doit raisonnablement correspondre

agrave lrsquoinfraction commise Cette disposition reflegravete agrave lrsquoeacutevidence le principe

geacuteneacuteral de proportionnaliteacute applicable aussi agrave la fixation des sanctions

peacutenales en droit norveacutegien sous lrsquoempire de lrsquoancien code peacutenal de 1902

Dans un arrecirct publieacute au Rt 2009 p 14 qui concernait une proceacutedure peacutenale

pour fraude fiscale la Cour suprecircme a deacuteduit des principes eacutenonceacutes dans le

code peacutenal de 1902 qursquoil fallait tenir compte de toute sanction deacutejagrave infligeacutee

agrave lrsquoaccuseacute ndash en lrsquooccurrence une majoration drsquoimpocirct de nature

administrative ndash pour la fraude fiscale dont il eacutetait lrsquoauteur et en a conclu

qursquoil ne devait pas ecirctre traiteacute plus seacutevegraverement que si lrsquoinfraction peacutenale de

fraude fiscale avait eacuteteacute jugeacutee en mecircme temps que le comportement

sanctionneacute dans le cadre de la proceacutedure administrative Dans un arrecirct

publieacute au Rt 2011 p 1509 elle a confirmeacute ce qursquoelle avait dit dans une

deacutecision anteacuterieure publieacutee au Rt 2005 p 129 agrave savoir que le principe

(eacutenonceacute dans un arrecirct publieacute au Rt 2004 p 645) selon lequel un montant

correspondant agrave la majoration drsquoimpocirct administrative ordinaire de 30

pouvait ecirctre englobeacute dans lrsquoamende nrsquoeacutetait pas applicable aux affaires de

fraude fiscale agrave caractegravere peacutenal ougrave il y avait lieu de prononcer des peines

drsquoemprisonnement en plus des amendes Elle a eacutegalement confirmeacute que

comme elle lrsquoavait dit dans sa deacutecision de 2005 si une majoration drsquoimpocirct

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 17

administrative ne pouvait plus ecirctre imposeacutee lrsquoamende de nature peacutenale

devait ecirctre plus lourde

III LrsquoAFFAIRE HANS AringKEBERG FRANSSON (C-61710) DEVANT LA

COUR DE JUSTICE DE LrsquoUNION EUROPEacuteENNE

51 Dans ses conclusions preacutesenteacutees le 12 juin 2012 en lrsquoaffaire

susmentionneacutee porteacutee devant la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne (laquo la

CJUE raquo) lrsquoavocat geacuteneacuteral Cruz Villaloacuten a dit ceci

laquo 2 Analyse des deuxiegraveme troisiegraveme et quatriegraveme questions preacutejudicielles

70 La question poseacutee par le [tribunal de] Haparanda () est particuliegraverement

complexe et srsquoavegravere tout aussi deacutelicate que la question qui vient drsquoecirctre traiteacutee Drsquoun

cocircteacute la double sanction administrative et peacutenale est une pratique tregraves reacutepandue dans

les Eacutetats membres surtout dans des domaines tels que ceux de la fiscaliteacute des

politiques environnementales ou de la seacutecuriteacute publique Toutefois les modaliteacutes

relatives au cumul des sanctions varient eacutenormeacutement entre les ordres juridiques et

revecirctent des caracteacuteristiques speacutecifiques et propres agrave chaque Eacutetat membre Dans la

plupart des cas ces speacutecificiteacutes visent agrave atteacutenuer les effets drsquoune double reacuteaction

punitive de la part des pouvoirs publics Drsquoun autre cocircteacute comme nous le verrons par

la suite la Cour de Strasbourg srsquoest prononceacutee reacutecemment agrave ce sujet et a confirmeacute

que contrairement agrave ce qursquoil semblait au deacutebut ces pratiques eacutetaient contraires au

droit fondamental ne bis in idem figurant agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 de la CEDH

Cependant il srsquoavegravere que tous les Eacutetats membres nrsquoont pas ratifieacute cette disposition

puisqursquoils ont introduit dans certains cas des reacuteserves ou des deacuteclarations

interpreacutetatives agrave ce sujet Il srsquoensuit que lrsquoobligation drsquointerpreacuteter la charte agrave la lumiegravere

de la CEDH et de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg (article 52 paragraphe 3

de la charte) devient en quelque sorte asymeacutetrique en ce qursquoelle pose de gros

problegravemes dans son application au cas particulier

a) Lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 de la CEDH et la jurisprudence de la Cour de

Strasbourg y affeacuterente

i) Signature et ratification de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 de la CEDH

71 Le principe ne bis in idem ne fait pas expresseacutement partie de la CEDH depuis le

deacutebut Son incorporation agrave la convention a eu lieu comme on le sait par le biais de

son Protocole no 7 ouvert agrave la signature le 22 novembre 1984 et entreacute en vigueur le

1er novembre 1988 Entre autres droits lrsquoarticle 4 eacutenonce la garantie du ne bis in idem

dans le but selon les explications sur le protocole fournies par le Conseil de lrsquoEurope

de concreacutetiser le principe en vertu duquel nul ne peut ecirctre poursuivi ou puni

peacutenalement en raison drsquoune infraction pour laquelle il a deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute ou condamneacute

par un jugement deacutefinitif

72 Agrave la diffeacuterence drsquoautres droits contenus dans la CEDH le droit preacutevu agrave

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 de la CEDH nrsquoa pas eacuteteacute unanimement accepteacute par les

Eacutetats signataires de la convention dont diffeacuterents Eacutetats membres de lrsquoUnion Au jour

de la lecture des preacutesentes conclusions le Protocole no 7 nrsquoest pas encore ratifieacute par la

Reacutepublique feacutedeacuterale drsquoAllemagne le Royaume de Belgique le Royaume des

Pays-Bas et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et drsquoIrlande du Nord Parmi les

Eacutetats qui lrsquoont ratifieacutee la Reacutepublique franccedilaise a formuleacute une reacuteserve agrave lrsquoarticle 4

dudit protocole en limitant son application aux seules infractions de nature

peacutenale () De mecircme agrave lrsquooccasion de la signature la Reacutepublique feacutedeacuterale

18 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

drsquoAllemagne la Reacutepublique drsquoAutriche la Reacutepublique italienne et la Reacutepublique

portugaise ont formuleacute diffeacuterentes deacuteclarations contenant la mecircme indication la

porteacutee limiteacutee de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 dont la protection ne concerne que la

double sanction laquo peacutenale raquo au sens ougrave lrsquoentend lrsquoordre juridique interne ()

73 Les eacuteleacutements qui preacutecegravedent montrent clairement et sans eacutequivoque que les

problegravemes que pose la double sanction administrative et peacutenale sont marqueacutes par un

grave deacutefaut de consensus entre les Eacutetats membres de lrsquoUnion Le caractegravere

probleacutematique du contexte est patent agrave en juger par les neacutegociations sur la future

adheacutesion de lrsquoUnion agrave la CEDH au cours desquelles les Eacutetats et lrsquoUnion ont deacutecideacute

drsquoexclure pour le moment les protocoles de la CEDH y compris celui en cause dans

cette affaire ()

74 Ce deacutefaut de consensus peut srsquoexpliquer par lrsquoimportance que revecirctent les

instruments de reacutepression administrative dans bon nombre drsquoEacutetats membres ainsi que

par lrsquoaccent particulier qui est mis dans ces Eacutetats membres agrave la fois sur la proceacutedure

et sur la sanction peacutenales Drsquoun cocircteacute les Eacutetats ne veulent pas renoncer agrave lrsquoefficaciteacute

qui caracteacuterise la sanction administrative en particulier dans des domaines ougrave les

pouvoirs publics tiennent agrave srsquoassurer du strict respect de la leacutegaliteacute tels que le droit

fiscal ou le droit de la seacutecuriteacute publique Drsquoun autre cocircteacute le caractegravere exceptionnel de

lrsquointervention peacutenale ainsi que les garanties dont lrsquoaccuseacute beacuteneacuteficie pendant le procegraves

incitent les Eacutetats agrave se reacuteserver une marge drsquoappreacuteciation pour deacuteterminer les

comportements qui doivent faire lrsquoobjet de poursuites peacutenales Ce double inteacuterecirct agrave

conserver un pouvoir de sanction agrave la fois administrative et peacutenale explique pourquoi

un grand nombre drsquoEacutetats membres refusent actuellement drsquoune maniegravere ou drsquoune

autre de se soumettre agrave la jurisprudence de la Cour de Strasbourg laquelle comme

nous allons le voir maintenant a eacutevolueacute dans un sens qui exclut pratiquement cette

dualiteacute raquo

52 Dans son arrecirct du 26 feacutevrier 2013 la CJUE (grande chambre) a

notamment dit ceci

laquo Sur les questions preacutejudicielles

Sur les deuxiegraveme troisiegraveme et quatriegraveme questions

32 Par ces questions auxquelles il convient de reacutepondre de maniegravere conjointe le

[tribunal de] Haparanda () demande en substance agrave la Cour srsquoil convient

drsquointerpreacuteter le principe ne bis in idem eacutenonceacute agrave lrsquoarticle 50 de la Charte en ce sens

qursquoil srsquooppose agrave ce que des poursuites peacutenales pour fraude fiscale soient diligenteacutees

contre un preacutevenu degraves lors que ce dernier a deacutejagrave fait lrsquoobjet drsquoune sanction fiscale

pour les mecircmes faits de fausse deacuteclaration

33 Srsquoagissant de lrsquoapplication du principe ne bis in idem eacutenonceacute agrave lrsquoarticle 50 de la

Charte agrave des poursuites peacutenales pour fraude fiscale telles que celles qui sont lrsquoobjet du

litige au principal elle suppose que les mesures qui ont deacutejagrave eacuteteacute adopteacutees agrave lrsquoencontre

du preacutevenu au moyen drsquoune deacutecision devenue deacutefinitive revecirctent un caractegravere peacutenal

34 Agrave cet eacutegard il convient de relever tout drsquoabord que lrsquoarticle 50 de la Charte ne

srsquooppose pas agrave ce qursquoun Eacutetat membre impose pour les mecircmes faits de non-respect

drsquoobligations deacuteclaratives dans le domaine de la TVA une combinaison de sanctions

fiscales et peacutenales En effet afin de garantir la perception de lrsquointeacutegraliteacute des recettes

provenant de la TVA et ce faisant la protection des inteacuterecircts financiers de lrsquoUnion les

Eacutetats membres disposent drsquoune liberteacute de choix des sanctions applicables (voir en ce

sens arrecircts du 21 septembre 1989 CommissionGregravece 68frasl88 Rec p 2965 point 24

du 7 deacutecembre 2000 de Andrade C-213frasl99 Rec p I-11083 point 19 et du

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 19

16 octobre 2003 Hannl-Hofstetter C-91frasl02 Rec p I-12077 point 17) Celles-ci

peuvent donc prendre la forme de sanctions administratives de sanctions peacutenales ou

drsquoune combinaison des deux Ce nrsquoest que lorsque la sanction fiscale revecirct un

caractegravere peacutenal au sens de lrsquoarticle 50 de la Charte et est devenue deacutefinitive que

ladite disposition srsquooppose agrave ce que des poursuites peacutenales pour les mecircmes faits soient

diligenteacutees contre une mecircme personne

35 Ensuite il y a lieu de rappeler que aux fins de lrsquoappreacuteciation de la nature peacutenale

de sanctions fiscales trois critegraveres sont pertinents Le premier est la qualification

juridique de lrsquoinfraction en droit interne le deuxiegraveme la nature mecircme de lrsquoinfraction et

le troisiegraveme la nature ainsi que le degreacute de seacuteveacuteriteacute de la sanction que risque de subir

lrsquointeacuteresseacute (arrecirct du 5 juin 2012 Bonda C-489frasl10 point 37)

36 Il appartient agrave la juridiction de renvoi drsquoappreacutecier agrave la lumiegravere de ces critegraveres

srsquoil y a lieu de proceacuteder agrave un examen du cumul de sanctions fiscales et peacutenales preacutevu

par la leacutegislation nationale par rapport aux standards nationaux au sens du point 29 du

preacutesent arrecirct ce qui pourrait lrsquoamener le cas eacutecheacuteant agrave consideacuterer ce cumul comme

contraire auxdits standards agrave condition que les sanctions restantes soient effectives

proportionneacutees et dissuasives (voir en ce sens notamment arrecircts CommissionGregravece

preacuteciteacute point 24 du 10 juillet 1990 Hansen C-326frasl88 Rec p I-2911 point 17 du

30 septembre 2003 Inspire Art C-167frasl01 Rec p I-10155 point 62 du 15 janvier

2004 Penycoed C-230frasl01 Rec p I-937 point 36 ainsi que du 3 mai 2005

Berlusconi ea C-387frasl02 C-391frasl02 et C-403frasl02 Rec p I-3565 point 65)

37 Il deacutecoule des consideacuterations qui preacutecegravedent qursquoil convient de reacutepondre aux

deuxiegraveme troisiegraveme et quatriegraveme questions que le principe ne bis in idem eacutenonceacute agrave

lrsquoarticle 50 de la Charte ne srsquooppose pas agrave ce qursquoun Eacutetat membre impose pour les

mecircmes faits de non-respect drsquoobligations deacuteclaratives dans le domaine de la TVA

successivement une sanction fiscale et une sanction peacutenale dans la mesure ougrave la

premiegravere sanction ne revecirct pas un caractegravere peacutenal ce qursquoil appartient agrave la juridiction

nationale de veacuterifier raquo

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 4 DU

PROTOCOLE No 7 Agrave LA CONVENTION

53 Les requeacuterants soutiennent tous deux avoir eacuteteacute poursuivis et

sanctionneacutes deux fois pour la mecircme infraction relevant de lrsquoarticle 12-1

(chapitre 12) de la loi fiscale en violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 agrave

la Convention ils allegraveguent avoir eacuteteacute interrogeacutes en tant qursquoaccuseacutes et

inculpeacutes par le parquet frappeacutes de majorations drsquoimpocirct par le fisc payeacutees

par eux puis reconnus coupables et sanctionneacutes au peacutenal Lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 est ainsi libelleacute

laquo 1 Nul ne peut ecirctre poursuivi ou puni peacutenalement par les juridictions du mecircme

Eacutetat en raison drsquoune infraction pour laquelle il a deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute ou condamneacute par un

jugement deacutefinitif conformeacutement agrave la loi et agrave la proceacutedure peacutenale de cet Eacutetat

20 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

2 Les dispositions du paragraphe preacuteceacutedent nrsquoempecircchent pas la reacuteouverture du

procegraves conformeacutement agrave la loi et agrave la proceacutedure peacutenale de lrsquoEacutetat concerneacute si des faits

nouveaux ou nouvellement reacuteveacuteleacutes ou un vice fondamental dans la proceacutedure

preacuteceacutedente sont de nature agrave affecter le jugement intervenu

3 Aucune deacuterogation nrsquoest autoriseacutee au preacutesent article au titre de lrsquoarticle 15 de la

Convention raquo

54 Le Gouvernement reacutecuse cette thegravese

A Sur la recevabiliteacute

55 La Cour estime que les requecirctes soulegravevent des questions complexes

du point de vue des faits et du droit de la Convention de sorte qursquoelle ne

saurait les rejeter pour deacutefaut manifeste de fondement au sens de lrsquoarticle 35

sect 3 a) de la Convention Constatant par ailleurs qursquoelles ne se heurtent agrave

aucun autre motif drsquoirrecevabiliteacute elle les deacuteclare recevables

B Sur le fond

1 Les requeacuterants

56 Les requeacuterants soutiennent que au meacutepris de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 ils ont fait lrsquoobjet drsquoune double incrimination pour le mecircme

motif agrave savoir une infraction relevant de lrsquoarticle 12-1 1) de la loi fiscale Ils

disent en effet avoir eacuteteacute drsquoabord interrogeacutes comme accuseacutes et inculpeacutes par le

parquet et frappeacutes de majorations drsquoimpocirct par le fisc accepteacutees et payeacutees

par chacun drsquoeux puis condamneacutes peacutenalement Se reacutefeacuterant agrave la chronologie

des proceacutedures deacutenonceacutees le premier requeacuterant ajoute qursquoil a fait lrsquoobjet de

doubles poursuites pendant un laps de temps important ce qui aurait fait

peser sur lui un fardeau excessivement lourd tant physiquement que

psychologiquement en conseacutequence de quoi il aurait eacuteteacute victime drsquoun

infarctus et aurait ducirc ecirctre hospitaliseacute

a) Les premiegraveres proceacutedures revecirctaient-elles un caractegravere peacutenal

57 Partageant lrsquoanalyse de la Cour suprecircme fondeacutee sur les critegraveres Engel

et sur drsquoautres eacuteleacutements pertinents de jurisprudence interne concernant la

majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire de 30 les requeacuterants jugent

manifeste que non seulement la proceacutedure pour fraude fiscale mais aussi la

proceacutedure de majoration drsquoimpocirct eacutetaient de nature laquo peacutenale raquo et que ces

deux proceacutedures doivent donc ecirctre qualifieacutees de laquo peacutenales raquo pour les besoins

de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

b) Les infractions eacutetaient-elles les mecircmes (idem)

58 Les requeacuterants souscrivent eacutegalement agrave lrsquoavis de la Cour suprecircme

lorsqursquoelle a dit qursquoil ne faisait aucun doute que les circonstances factuelles

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 21

agrave lrsquoorigine des majorations drsquoimpocirct et des poursuites peacutenales avaient

suffisamment de points communs pour ecirctre consideacutereacutees comme

constitutives de la mecircme infraction Ils estiment en effet que dans un cas

comme dans lrsquoautre la base factuelle eacutetait lrsquoomission de revenus dans leur

deacuteclaration fiscale

c) Les proceacutedures fiscales ont-elles fait lrsquoobjet de deacutecisions deacutefinitives et dans

lrsquoaffirmative agrave quel moment

59 Les requeacuterants soutiennent que les deacutecisions par lesquelles le fisc

leur a appliqueacute des majorations drsquoimpocirct eacutetaient devenues deacutefinitives et

passeacutees en force de chose jugeacutee le 15 deacutecembre 2008 srsquoagissant du premier

requeacuterant et le 26 deacutecembre 2008 srsquoagissant du second requeacuterant soit

anteacuterieurement agrave leur condamnation pour les mecircmes comportements

intervenue le 2 mars 2009 pour le premier requeacuterant et le 30 septembre 2009

pour le second requeacuterant Qursquoil faille regarder ou non ces sanctions comme

issues de proceacutedures dites parallegraveles les deacutecisions de majoration drsquoimpocirct

prises contre eux seraient devenues deacutefinitives et exeacutecutoires avant qursquoils ne

fussent reconnus coupables agrave raison drsquoun comportement strictement

identique respectivement par le tribunal de Follo et par le tribunal drsquoOslo

Les sanctionner peacutenalement aurait donc emporteacute violation du principe non

bis in idem consacreacute agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

d) Y a-t-il eu reacutepeacutetition des poursuites (bis)

60 Les requeacuterants se disent victimes drsquoune reacutepeacutetition des poursuites

proscrite par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Les proceacutedures administratives de

majoration drsquoimpocirct revecirctant effectivement selon eux un caractegravere peacutenal le

parquet aurait eacuteteacute tenu par cette disposition de mettre fin aux poursuites

peacutenales degraves que lrsquoissue de ces proceacutedures administratives eacutetait devenue

deacutefinitive Or il ne lrsquoaurait pas fait

61 Pour les requeacuterants si le droit norveacutegien autorise la conduite de

proceacutedures parallegraveles le recours agrave ce proceacutedeacute par les autoriteacutes internes a

permis agrave ces derniegraveres de coordonner leurs deacutemarches de maniegravere agrave

contourner lrsquointerdiction poseacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 et agrave rendre

ainsi illusoire la protection offerte par cette disposition Dans le cas du

premier requeacuterant en particulier lrsquoouverture de proceacutedures parallegraveles

semblerait avoir eacuteteacute une manœuvre organiseacutee de concert par le parquet et le

fisc

62 Les requeacuterants affirment que en lrsquoespegravece le parquet a simplement

attendu que le fisc deacutecide drsquoappliquer des majorations drsquoimpocirct pour

renvoyer les affaires en jugement Les proceacutedures peacutenale et administrative

auraient ainsi eacuteteacute coordonneacutees de faccedilon agrave les pieacuteger au moyen de deux corps

diffeacuterents de regravegles peacutenales et ainsi agrave leur faire payer des impocircts

suppleacutementaires et des majorations drsquoimpocirct et agrave les faire condamner pour le

mecircme comportement autrement dit agrave les soumettre agrave une double

22 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

incrimination Du point de vue de la seacutecuriteacute juridique la possibiliteacute de

conduire des proceacutedures parallegraveles poserait problegraveme Lrsquoimportante finaliteacute

de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 agrave savoir empecirccher que le justiciable soit

contraint de supporter un fardeau excessif militerait en faveur drsquoune

limitation de la faculteacute pour les autoriteacutes de mener des proceacutedures parallegraveles

63 Les requeacuterants considegraverent que sous lrsquoangle des garanties

proceacutedurales cette faculteacute pour le fisc et le parquet drsquoorganiser de concert la

conduite de proceacutedures parallegraveles est contraire agrave lrsquointerdiction de la double

incrimination poseacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 et agrave la jurisprudence

reacutecente de la Cour ainsi qursquoagrave certains jugements nationaux Ils estiment degraves

lors que ce proceacutedeacute qui a permis en lrsquoespegravece agrave des autoriteacutes diffeacuterentes de

mettre sur pied des proceacutedures parallegraveles semble assez contestable et ne

tient pas ducircment compte des pressions ainsi exerceacutees sur le justiciable pas

plus que des principaux inteacuterecircts proteacutegeacutes par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

64 Au cours du cauchemar qursquoils disent avoir veacutecu en lrsquoespegravece les

requeacuterants auraient eacuteteacute rassureacutes lorsque le premier drsquoentre eux aurait appris

par lrsquoagent des impocircts qursquoil pouvait deacutesormais laquo pousser un soupir de

soulagement raquo en raison de lrsquoadoption de nouvelles instructions eacutecrites par

le service du procureur geacuteneacuteral le 3 avril 2009 lesquelles auraient interdit la

reacutepeacutetition des poursuites et les doubles incriminations dans les cas comme le

sien Srsquoappuyant sur lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine ces nouvelles instructions

auraient notamment disposeacute que en appel ndash qursquoil y ait eu condamnation ou

acquittement en premiegravere instance ndash le parquet devait requeacuterir lrsquoannulation

du jugement et la clocircture de la proceacutedure Les requeacuterants preacutecisent que en

conseacutequence de ces nouvelles instructions et de la qualification de sanction

peacutenale donneacutee aux majorations drsquoimpocirct et puisque les deacutecisions appliquant

celles-ci eacutetaient devenues deacutefinitives et passeacutees en force de chose jugeacutee agrave

leur eacutegard il eacutetait raisonnable qursquoils srsquoattendent agrave lrsquoabandon des poursuites

peacutenales dirigeacutees contre eux par lrsquoeffet de lrsquointerdiction de la double

incrimination poseacutee par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 De plus en vertu de

ces instructions drsquoautres personnes accuseacutees des mecircmes infractions dans le

mecircme groupe drsquoaffaires ne se seraient pas vu appliquer de majorations

drsquoimpocirct parce qursquoelles avaient deacutejagrave eacuteteacute reconnues coupables et condamneacutees

agrave une peine drsquoemprisonnement pour violation de lrsquoarticle 12-2 de la loi

fiscale Or agrave lrsquoinverse de ces autres personnes les requeacuterants auraient eacuteteacute

reconnus coupables et frappeacutes de peines drsquoemprisonnement alors qursquoils

avaient ducirc verser un suppleacutement drsquoimpocirct et une majoration drsquoimpocirct agrave raison

du mecircme comportement La thegravese du Gouvernement soulignant la neacutecessiteacute

drsquoassurer une eacutegaliteacute de traitement avec les autres personnes inculpeacutees de la

mecircme infraction de fraude fiscale ne serait donc pas convaincante

65 Les requeacuterants se disent drsquoautant plus gravement affecteacutes sur le plan

psychologique que malgreacute les instructions susmentionneacutees le parquet a

poursuivi leur procegraves en invoquant la leacutegaliteacute des proceacutedures parallegraveles et a

rejeteacute leurs demandes tendant agrave lrsquoannulation de leur condamnation en

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 23

premiegravere instance et au rejet par les tribunaux des proceacutedures peacutenales Agrave cet

effet le premier requeacuterant produit divers certificats meacutedicaux dont un

deacutelivreacute par une clinique pour une intervention de chirurgie cardiaque

2 Le Gouvernement

a) Les premiegraveres proceacutedures revecirctaient-elles un caractegravere peacutenal

66 Le Gouvernement invite la Grande Chambre agrave confirmer lrsquoapproche

suivie dans une seacuterie drsquoaffaires anteacuterieures agrave lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine

selon laquelle le caractegravere laquo peacutenal raquo drsquoune sanction pour les besoins de

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 srsquoappreacutecie sur la base drsquoun groupe plus large de

facteurs que les critegraveres Engel (formuleacutes sur le terrain de lrsquoarticle 6) Selon

lui il faut tenir compte de la qualification juridique de lrsquoinfraction en droit

interne de la nature de celle-ci de la qualification de la sanction en droit

interne et de son but de sa nature et de son degreacute de seacuteveacuteriteacute ainsi que de

la question de savoir si elle a eacuteteacute imposeacutee agrave la suite drsquoune condamnation

pour une infraction peacutenale et des proceacutedures associeacutees agrave son adoption et agrave

son exeacutecution (le Gouvernement cite les affaires Malige c France

23 septembre 1998 sect 35 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1998-VII et

Nilsson c Suegravede (deacutec) no 7366101 CEDH 2005-XIII Haarvig c Norvegravege

(deacutec) no 1118705 11 deacutecembre 2007 Storbraringten c Norvegravege (deacutec)

no 1227704 1er feacutevrier 2007 et Mjelde c Norvegravege (deacutec) no 1114304

1er feacutevrier 2007)

67 Le Gouvernement soutient entre autres que les diffeacuterences dans le

libelleacute et lrsquoobjet de ces dispositions montrent clairement que le mot

laquo peacutenalement raquo employeacute agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 srsquoentend en un sens

plus eacutetroit que lrsquoexpression laquo en matiegravere peacutenale raquo figurant agrave lrsquoarticle 6 Il

ressortirait du rapport explicatif du Protocole no 7 que le libelleacute de lrsquoarticle 4

a eacuteteacute conccedilu pour viser les proceacutedures peacutenales stricto sensu Ce rapport

indiquerait en son paragraphe 28 qursquoil nrsquoeacutetait pas apparu neacutecessaire de

qualifier lrsquoinfraction de laquo peacutenale raquo car le libelleacute de lrsquoarticle 4 laquo qui contient

deacutejagrave les termes laquo peacutenalement raquo et laquo proceacutedure peacutenale raquo rendait cette

preacutecision inutile dans le texte mecircme de lrsquoarticle raquo Il soulignerait en son

paragraphe 32 que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 nrsquointerdit pas les proceacutedures

laquo drsquoun caractegravere diffeacuterent (par exemple une proceacutedure disciplinaire dans le

cas drsquoun fonctionnaire) raquo De plus lrsquoarticle 6 et lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

poursuivraient des fins diffeacuterentes voire parfois opposeacutees le premier ayant

pour but de renforcer les garanties proceacutedurales en matiegravere peacutenale

68 Le Gouvernement met eacutegalement en avant un certain nombre de

diffeacuterences suppleacutementaires dans la maniegravere dont ces deux dispositions ont

eacuteteacute interpreacuteteacutees et appliqueacutees dans la jurisprudence de la Cour notamment

le caractegravere absolu de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 (non susceptible de

deacuterogation au titre de lrsquoarticle 15) par opposition agrave lrsquoapproche nuanceacutee

suivie par la Cour sur le terrain de lrsquoarticle 6 Il cite lrsquoarrecirct Jussila

24 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

c Finlande ([GC] no 7305301 sect 43 CEDH 2006-XIV) ougrave la Grande

Chambre de la Cour a dit laquo il va de soi que () les laquo accusations en

matiegravere peacutenale raquo nrsquoont pas toutes le mecircme poids raquo et que laquo [l]es majorations

drsquoimpocirct ne faisant pas partie du noyau dur du droit peacutenal les garanties

offertes par le volet peacutenal de lrsquoarticle 6 ne doivent pas neacutecessairement

srsquoappliquer dans toute leur rigueur raquo

69 Se fondant sur le groupe plus large de critegraveres susmentionneacute le

Gouvernement prie la Cour de dire que les majorations drsquoimpocirct au taux

ordinaire ne revecirctent pas un caractegravere laquo peacutenal raquo aux fins de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7

70 Le Gouvernement avance toutefois les arguments exposeacutes ci-dessous

pour le cas ougrave la Grande Chambre viendrait agrave adopter lrsquoautre approche

baseacutee sur les seuls critegraveres Engel et agrave conclure que la deacutecision de

majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire eacutetait laquo peacutenale raquo au sens autonome

donneacute agrave ce terme sur le terrain de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

b) Les infractions eacutetaient-elles les mecircmes (idem)

71 Partageant le raisonnement et les conclusions adopteacutes par la Cour

suprecircme dans le procegraves du premier requeacuterant (paragraphes 20 agrave 30

ci-dessus) et repris par la cour drsquoappel dans le procegraves du second requeacuterant

(paragraphe 37 ci-dessus) le Gouvernement admet que les circonstances

factuelles agrave lrsquoorigine des proceacutedures de majoration drsquoimpocirct et des procegraves

pour fraude fiscale visaient les mecircmes contrevenants et eacutetaient

indissociablement lieacutees entre elles dans le temps et dans lrsquoespace

c) Les proceacutedures fiscales ont-elles fait lrsquoobjet de deacutecisions deacutefinitives

72 Le Gouvernement rappelle que dans un souci de protection effective

et de clarteacute de la jurisprudence la Cour suprecircme a conclu que la deacutecision de

redressement eacutetait devenue deacutefinitive agrave lrsquoexpiration du deacutelai de recours

administratif de trois semaines (soit le 15 deacutecembre 2008 pour le premier

requeacuterant et le 26 deacutecembre 2008 pour le second) alors mecircme que le deacutelai

de recours en justice de six mois preacutevu agrave lrsquoarticle 11-1 4) du chapitre 11 de

la loi fiscale nrsquoavait pas encore expireacute Srsquoil estime que ce point nrsquoest guegravere

deacuteterminant en lrsquoespegravece (le deacutelai de recours en justice ayant lui aussi pris fin

anteacuterieurement agrave la date de clocircture de la proceacutedure peacutenale alors pendante agrave

savoir le 24 mai 2009 pour le premier requeacuterant et le 5 juin 2009 pour le

second) il ne srsquointerroge pas moins sur la neacutecessiteacute drsquoune interpreacutetation

aussi stricte de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Srsquoappuyant sur lrsquoarrecirct Sergueiuml

Zolotoukhine (preacuteciteacute sect 108) il soutient que la jurisprudence de la Cour

semble confirmer que laquo [l]es deacutecisions susceptibles drsquoun recours ordinaire

ne beacuteneacuteficient pas de la garantie que renferme lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

tant que le deacutelai drsquoappel nrsquoest pas expireacute raquo Agrave son avis les requeacuterants

avaient toujours la faculteacute de former des recours ordinaires sous la forme

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 25

drsquoun recours judiciaire dans les six mois agrave compter de la date des deacutecisions

en cause

d) Y a-t-il eu reacutepeacutetition des poursuites (bis)

73 En revanche srsquoappuyant lagrave encore sur lrsquoanalyse de la Cour suprecircme

le Gouvernement souligne que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 permet dans

certaines conditions ce qursquoil est convenu drsquoappeler des laquo proceacutedures

parallegraveles raquo Le libelleacute de cette disposition indiquerait clairement qursquoelle

interdit la reacutepeacutetition des poursuites une fois passeacutee en force de chose jugeacutee

la deacutecision rendue agrave lrsquoissue de la premiegravere proceacutedure (laquo poursuivi ou puni

peacutenalement () en raison drsquoune infraction pour laquelle il a deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute

ou condamneacute par un jugement deacutefinitif raquo) Le rapport explicatif du

Protocole no 7 confirmerait que le principe non bis in idem est

drsquointerpreacutetation relativement eacutetroite Crsquoest ce qui ressortirait de lrsquoarrecirct

Sergueiuml Zolotoukhine (preacuteciteacute sect 83) dans lequel la Grande Chambre a

deacutefini plus preacuteciseacutement la porteacutee de la disposition en cause en la limitant agrave

la situation suivante

laquo La garantie consacreacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 entre en jeu lorsque de

nouvelles poursuites sont engageacutees et que la deacutecision anteacuterieure drsquoacquittement ou de

condamnation est deacutejagrave passeacutee en force de chose jugeacutee raquo

74 Le Gouvernement en deacuteduit a contrario que les proceacutedures

parallegraveles ndash crsquoest-agrave-dire des sanctions diffeacuterentes imposeacutees par deux

autoriteacutes diffeacuterentes dans des proceacutedures diffeacuterentes eacutetroitement lieacutees sur les

plans mateacuteriel et temporel ndash sortent du champ drsquoapplication de cette

disposition Le lancement drsquoune proceacutedure parallegravele ne srsquoanalyserait pas en

lrsquoouverture de nouvelles poursuites degraves lors que lrsquoacquittement ou la

condamnation anteacuterieurs seraient deacutejagrave passeacutes en force de chose jugeacutee Les

deacutecisions preacuteciteacutees RT c Suisse et Nilsson c Suegravede preacuteciseraient les

conditions dans lesquelles des proceacutedures peuvent passer pour parallegraveles et

donc ecirctre permises au regard de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

75 Or selon le Gouvernement la Cour srsquoest eacutecarteacutee de lrsquoapproche

suivie dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine dans un certain nombre drsquoarrecircts

plus reacutecents dont quatre concernant la Finlande rendus le 20 mai 2014 (en

particulier Nykaumlnen c Finlande no 1182811 sect 48 et Glantz c Finlande

no 3739411 sect 57) dans lesquels le paragraphe 83 de lrsquoarrecirct Sergueiuml

Zolotoukhine nrsquoaurait servi que de point de deacutepart et qui auraient dit que

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 laquo interdisait clairement les proceacutedures

conseacutecutives si la premiegravere avait deacutejagrave deacuteboucheacute sur une deacutecision deacutefinitive agrave

la date de lrsquoouverture de la seconde (voir par exemple Sergueiuml

Zolotoukhine preacuteciteacute) raquo

76 Pour le Gouvernement cette interpreacutetation extensive de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 livreacutee notamment dans lrsquoarrecirct Nykaumlnen et qui semble

incompatible avec lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine apparaicirct preacutesupposer que

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 impose lrsquoextinction de toute proceacutedure peacutenale si

26 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

une autre proceacutedure de nature administrative et conduite en parallegravele srsquoest

soldeacutee par une deacutecision deacutefinitive ou vice versa Elle reposerait sur une

deacutecision sur la recevabiliteacute (Zigarella c Italie (deacutec) no 4815499

CEDH 2002-IX (extraits)) et sur deux arrecircts de chambre (Tomasović

c Croatie no 5378509 18 octobre 2011 et Muslija c Bosnie-Herzeacutegovine

no 3204211 14 janvier 2014) Or aucune de ces affaires ne permettrait de

fonder solidement un tel revirement

La premiegravere affaire Zigarella aurait concerneacute des proceacutedures non pas

parallegraveles mais conseacutecutives contrairement agrave ce qursquoaurait supposeacute la

chambre La clocircture de la proceacutedure peacutenale ulteacuterieure ouverte alors que les

autoriteacutes ignoraient lrsquoexistence drsquoune proceacutedure (peacutenale elle aussi) objet

drsquoune deacutecision deacutefinitive aurait eacuteteacute prononceacutee une fois le juge aviseacute de

lrsquoacquittement deacutefinitif dans le premier procegraves La Cour nrsquoaurait alors fait

qursquoappliquer le volet mateacuteriel neacutegatif du principe non bis in idem qui relegraveve

de la regravegle de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee puisqursquoil srsquoagissait de deux

proceacutedures peacutenales ordinaires conseacutecutives concernant la mecircme infraction

Les deux autres affaires Tomasović et Muslija auraient eu pour objet des

proceacutedures se rapportant agrave des infractions relevant du laquo noyau dur raquo du droit

peacutenal agrave savoir respectivement possession de drogues dures et violences

domestiques (le Gouvernement invoque lrsquoarrecirct Jussila preacuteciteacute sect 43) Il y

aurait clairement eu dans ces affaires deux proceacutedures peacutenales visant un

mecircme acte Chacune des deux proceacutedures aurait eacuteteacute ouverte sur la base du

mecircme rapport de police De telles situations ne se produiraient a priori pas

en droit peacutenal norveacutegien et elles seraient en tout eacutetat de cause bien eacuteloigneacutees

du systegraveme traditionnel bien ancreacute dans ce pays de mixiteacute des poursuites

administratives et peacutenales pour les majorations drsquoimpocirct et fraudes fiscales

du type ici en cause

77 Exiger la clocircture de toute proceacutedure parallegravele en cours agrave la date ougrave

lrsquoautre proceacutedure relative aux mecircmes faits a donneacute lieu agrave une deacutecision

deacutefinitive srsquoanalyserait en une exception proceacutedurale de litispendance de

facto Il nrsquoaurait en effet guegravere de sens drsquoouvrir une proceacutedure parallegravele srsquoil

faut clore lrsquoune au seul motif que lrsquoautre a fait lrsquoobjet drsquoune deacutecision

deacutefinitive avant la premiegravere

78 Dans ce contexte drsquoincoheacuterences reacutepeacuteteacutees de la jurisprudence

relative agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 le Gouvernement estime qursquoil est

particuliegraverement important que la Grande Chambre reacuteaffirme lrsquoapproche

suivie par elle dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine qui considegravere cette

disposition comme un aspect du principe de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee et

rejette lrsquoapproche divergente retenue dans lrsquoarrecirct Nykaumlnen

79 Le Gouvernement ne voit pas quelles consideacuterations drsquoopportuniteacute

sous-tendent lrsquoarrecirct Nykaumlnen Le principe non bis in idem repose sur lrsquoideacutee

drsquooffrir une protection contre le risque drsquoecirctre exposeacute agrave des poursuites

reacutepeacutetitives (il mentionne lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sect 107) Le

justiciable devrait avoir la certitude que une fois son acquittement ou sa

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 27

condamnation passeacutes en force de chose jugeacutee il sera proteacutegeacute contre

lrsquoouverture de toute nouvelle proceacutedure fondeacutee sur les mecircmes faits Cela ne

vaudrait pas si la personne est passible de proceacutedures peacutenales et

administratives preacutevisibles conduites parallegravelement comme preacutevu par la loi

et encore moins si la premiegravere sanction (la majoration drsquoimpocirct) a eacuteteacute prise

en compte de maniegravere preacutevisible dans la deacutecision imposant la seconde

sanction (lrsquoemprisonnement)

80 Par ailleurs le Gouvernement nrsquoestime guegravere conciliables lrsquoideacutee que

des proceacutedures parallegraveles ne posent pas le moindre problegraveme sous lrsquoangle du

Protocole no 7 quand elles sont en cours et lrsquoideacutee que degraves que lrsquoune a

atteint sa conclusion deacutefinitive lrsquoexistence de lrsquoautre emporte violation et

ce que ce soit la proceacutedure administrative passible de sanctions plus

douces ou la proceacutedure peacutenale passible de sanctions plus seacutevegraveres qui ait

pris fin la premiegravere et quelle que soit celle entameacutee en premier

81 Le Gouvernement ajoute que lrsquoarrecirct Nykaumlnen meacuteconnaicirct eacutegalement

les principes fondamentaux de la preacutevisibiliteacute et de lrsquoeacutegaliteacute de traitement Il

expose que si crsquoest la proceacutedure peacutenale qui fait lrsquoobjet drsquoune deacutecision

passeacutee en force de chose jugeacutee avant la fin de la proceacutedure administrative

une personne peut se retrouver incarceacutereacutee tandis que dans lrsquohypothegravese

inverse un individu ayant commis la mecircme infraction aurait simplement agrave

payer une amende administrative modeacutereacutee Le point de savoir quelle

proceacutedure prend fin la premiegravere deacutependrait de la maniegravere dont le fisc la

police le parquet ou les tribunaux progressent et de lrsquoouverture ou non par

le contribuable drsquoun recours administratif etou drsquoun recours judiciaire

Lrsquoarrecirct Nykaumlnen commanderait donc agrave lrsquoEacutetat de traiter ineacutegalement des

personnes dans la mecircme situation en fonction de simples coiumlncidences

Comme cet arrecirct le reconnaicirctrait laquo savoir laquelle des proceacutedures parallegraveles

se clocirct la premiegravere par une deacutecision deacutefinitive relegraveve parfois de la

coiumlncidence ce qui pourrait poser problegraveme au regard de lrsquoeacutegaliteacute de

traitement raquo

82 Le Gouvernement dit que lrsquoimpeacuteratif drsquoefficaciteacute dans le traitement

des affaires milite souvent en faveur de la conduite de proceacutedures parallegraveles

Drsquoune part gracircce agrave leurs connaissances speacutecialiseacutees et agrave leurs moyens les

autoriteacutes administratives seraient souvent agrave mecircme drsquoimposer des sanctions

plus rapidement que le parquet et les tribunaux dans le cadre drsquoune

proceacutedure peacutenale Vu que leur action englobe lrsquoensemble des administreacutes

elles seraient en outre mieux placeacutees pour veiller agrave lrsquoeacutegaliteacute dans la sanction

des infractions La preacutevention des infractions graves en revanche

imposerait de ne pas interdire agrave lrsquoEacutetat drsquoen poursuivre et punir les auteurs

dans le cadre traditionnel et formel drsquoun procegraves peacutenal degraves lors que les

proceacutedures administratives et peacutenales mettent au jour des infractions plus

graves et plus complexes que celles qui ont motiveacute agrave lrsquoorigine la proceacutedure

et la sanction administratives Les cas des requeacuterants en seraient

drsquoexcellents exemples

28 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

83 Le Gouvernement constate que plusieurs Eacutetats europeacuteens sont doteacutes

drsquoun systegraveme mixte de sanctions dans des domaines tels que le droit fiscal et

la sucircreteacute publique Sur ce point il se reacutefegravere aux conclusions du 12 juin 2012

produites par lrsquoavocat geacuteneacuteral pregraves la CJUE dans lrsquoaffaire preacuteciteacutee Fransson

(paragraphe 51 ci-dessus)

84 Le Gouvernement dit que en Norvegravege la question de la poursuite de

proceacutedures parallegraveles ne se limite pas agrave la fiscaliteacute Il soutient qursquoune

interpreacutetation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 qui interdirait agrave une proceacutedure

parallegravele en cours drsquoaller jusqursquoagrave son terme degraves lors que lrsquoautre proceacutedure

administrative ou peacutenale a eacuteteacute clocirctureacutee par une deacutecision deacutefinitive aurait

des conseacutequences lourdes neacutegatives et impreacutevisibles dans un certain

nombre de domaines relevant du droit administratif La prudence serait donc

de mise Des questions similaires se poseraient au sein de certains Eacutetats

europeacuteens connaissant depuis longtemps des systegravemes de proceacutedures

administratives et peacutenales parallegraveles dans des domaines essentiels du droit

dont celui de la fiscaliteacute

85 Le Gouvernement estime que les consideacuterations qui sont agrave lrsquoorigine

de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 sont moins pertinentes lorsque les

proceacutedures en cause sont parallegraveles et simultaneacutees Un accuseacute sachant

pertinemment que des autoriteacutes diffeacuterentes ont ouvert contre lui deux

proceacutedures diffeacuterentes eacutetroitement lieacutees sur les plans mateacuteriel et temporel

risquerait moins de srsquoattendre agrave ce que la premiegravere sanction imposeacutee soit

deacutefinitive et exclue toute autre sanction Enfin la logique du principe non

bis in idem srsquoappliquerait dans une moindre mesure aux sanctions ne

relevant pas du laquo noyau dur raquo du droit peacutenal comme les majorations

drsquoimpocirct (voir le raisonnement exposeacute dans lrsquoarrecirct preacuteciteacute Jussila sect 43

relatif agrave lrsquoarticle 6 et transposable agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7)

86 Pour ce qui est des circonstances propres au cas drsquoespegravece le

Gouvernement fait sien sur tous les points le raisonnement exposeacute par la

Cour suprecircme dans lrsquoarrecirct concernant le premier requeacuterant (paragraphe 29

ci-dessus) et celui suivi par la cour drsquoappel dans lrsquoarrecirct concernant le second

requeacuterant (paragraphe 39 ci-dessus) agrave savoir qursquoil existait un lien temporel

et mateacuteriel suffisamment eacutetroit entre les proceacutedures Il dit que ni lrsquoun ni

lrsquoautre des requeacuterants ne pouvaient leacutegitimement srsquoattendre agrave ne faire lrsquoobjet

que drsquoune proceacutedure et drsquoune sanction administratives Il explique que de

maniegravere agrave ne pas aboutir agrave un reacutesultat qui aurait heurteacute le principe

fondamental de lrsquoeacutegaliteacute de traitement les requeacuterants laquo sur un pied

drsquoeacutegaliteacute avec raquo EK et BL coaccuseacutes dans le mecircme groupe drsquoaffaires

(paragraphes 12 et 13 ci-dessus) ont chacun eacuteteacute condamneacutes agrave des peines

drsquoemprisonnement agrave lrsquoissue de procegraves peacutenaux apregraves srsquoecirctre vu appliquer des

majorations drsquoimpocirct administratives de 30

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 29

3 Les tiers intervenants

87 Les tierces interventions sont principalement axeacutees sur deux points

premiegraverement lrsquointerpreacutetation du mot laquo peacutenalement raquo employeacute agrave lrsquoarticle 4

du Protocole no 7 et lrsquoarticulation entre cette disposition et les articles 6

(volet peacutenal) et 7 de la Convention et deuxiegravemement la mesure dans

laquelle le Protocole no 7 permet les proceacutedures parallegraveles (ces deux points

sont examineacutes respectivement dans les parties a) et b) ci-dessous)

a) Les premiegraveres proceacutedures revecirctaient-elles un caractegravere laquo peacutenal raquo

88 Les gouvernements tchegraveque et franccedilais pensent comme le

gouvernement deacutefendeur que lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine nrsquoa pas

explicitement rejeteacute lrsquoideacutee de recourir agrave un groupe plus large de critegraveres pour

deacuteterminer la nature de la proceacutedure agrave examiner sur le terrain de lrsquoarticle 4

du Protocole no 7 et que la Cour a elle-mecircme jugeacute notamment que les

proceacutedures de majoration drsquoimpocirct ne relevaient pas du noyau dur du droit

peacutenal et nrsquoa donc pas appliqueacute dans toute leur rigueur les garanties de

lrsquoarticle 6 (Jussila preacuteciteacute sect 43 in fine) Le gouvernement tchegraveque invite la

Cour agrave preacuteciser principalement si et dans lrsquoaffirmative sous quelles

conditions crsquoest-agrave-dire dans quel type drsquoaffaires il convient drsquoappliquer un

plus grand eacuteventail de critegraveres

89 Srsquoappuyant sur le libelleacute et le but de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 le

gouvernement bulgare soutient que seules les infractions peacutenales classiques

relegravevent du champ drsquoapplication de cette disposition Il estime que si

eacutetendre la porteacutee de lrsquoarticle 6 est essentiel agrave la protection du droit agrave un

procegraves eacutequitable lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 a une autre finaliteacute Se reacutefeacuterant

agrave lrsquoarrecirct rendu par la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis drsquoAmeacuterique dans

lrsquoaffaire Green v United States (355 US 194 (1957)) il souligne que

lrsquointerdiction de la double incrimination protegravege le justiciable du risque de

faire lrsquoobjet drsquoune multipliciteacute de procegraves et de condamnations eacuteventuelles

pour une mecircme infraction La logique de cette interdiction est selon lui qursquoil

ne faut pas que lrsquoEacutetat avec toutes ses ressources et tout son pouvoir puisse

se livrer agrave des tentatives reacutepeacuteteacutees tendant agrave faire condamner un individu

pour la mecircme infraction ce qui pour ce dernier serait source drsquoembarras de

frais et drsquoeacutepreuves et le forcerait agrave vivre dans un eacutetat permanent drsquoanxieacuteteacute et

drsquoinseacutecuriteacute tout en aggravant le risque que mecircme innocent il soit reconnu

coupable Un second impeacuteratif vital serait de preacuteserver le caractegravere deacutefinitif

des deacutecisions de justice

90 Le gouvernement franccedilais consacre drsquoamples deacuteveloppements

(paragraphes 10 agrave 26 de ses observations) agrave lrsquointerpreacutetation des articles 6 et

7 de la Convention et de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Srsquoappuyant sur lrsquoarrecirct

Perinccedilek c Suisse ([GC] no 2751008 sect 146 CEDH 2015 (extraits)) il

soutient que les termes employeacutes agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 diffeacuterents

de ceux figurant agrave lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention doivent conduire agrave

30 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

retenir des critegraveres plus eacutetroits reacutepondant aux objectifs du principe non bis in

idem garanti par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Lrsquoarticle 7 de la Convention

utiliserait les termes de condamnation (laquo condamneacute raquo en franccedilais et laquo held

guilty raquo en anglais) drsquoinfraction (laquo criminal offence raquo en anglais) et de peine

(laquo penalty raquo en anglais) qui seraient preacutesents aussi dans lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 De plus les garanties offertes par lrsquoarticle 7 de la

Convention comme celles de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 seraient des

eacuteleacutements essentiels de la proceacutedure peacutenale entendue strictement comme

lrsquoattesterait le fait que lrsquoarticle 15 de la Convention nrsquoy autorise aucune

deacuterogation alors qursquoil autoriserait une deacuterogation agrave lrsquoarticle 6 de la

Convention

91 Aussi et dans un souci de coheacuterence la Cour pour lrsquoapplication de

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 devrait-elle se reacutefeacuterer aux seuls critegraveres qursquoelle

a pu deacutevelopper dans le cadre de lrsquoarticle 7 de la Convention tout en les

preacutecisant afin de donner au terme laquo peacutenalement raquo aux fins de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 le sens strict qui devrait ecirctre le sien Pour deacuteterminer si une

mesure relegraveve du champ de cette disposition elle devrait se reacutefeacuterer agrave la

qualification juridique de lrsquoinfraction litigieuse en droit interne agrave la nature

et au but de la mesure en cause agrave la question de savoir si la mesure a eacuteteacute

imposeacutee agrave la suite drsquoune condamnation pour une infraction peacutenale agrave la

graviteacute de la sanction ndash cet eacuteleacutement nrsquoeacutetant pas deacuteterminant ndash et aux

proceacutedures associeacutees agrave lrsquoadoption de celle-ci et plus preacuteciseacutement agrave la

question de savoir si la mesure a eacuteteacute adopteacutee par un organe que lrsquoon peut

qualifier de juridiction et qui srsquoest prononceacute sur les eacuteleacutements drsquoune

infraction regardeacutee comme peacutenale au sens de lrsquoarticle 6 de la Convention

Le dernier de ces critegraveres revecirctirait une importance preacutepondeacuterante au regard

des termes mecircmes de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 et de lrsquoobjectif poursuivi

par cette disposition

92 Le gouvernement franccedilais conclut que au regard de ces critegraveres des

peacutenaliteacutes fiscales qui ne seraient pas qualifieacutees de peacutenales en droit interne

qui auraient une nature administrative et viseraient seulement agrave sanctionner

le non-respect par le contribuable de ses obligations fiscales qui ne seraient

pas imposeacutees agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale et qui ne seraient pas

prononceacutees par un organe juridictionnel ne pourraient ecirctre regardeacutees

comme relevant du champ de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

93 Le gouvernement suisse soutient que la seule exception admise ndash le

paragraphe 2 de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 ndash est la reacuteouverture du procegraves

laquo conformeacutement agrave la loi et agrave la proceacutedure peacutenale de lrsquoEacutetat concerneacute raquo Il

relegraveve que au moment de lrsquoadoption du Protocole en 1984 drsquoautres

exceptions telles qursquoadmises par la suite par la jurisprudence pertinente

nrsquoeacutetaient pas preacutevues ndash et nrsquoavaient pas besoin de lrsquoecirctre vu la conception

intrinsegravequement peacutenale de la garantie Le concept eacutetroit qui serait agrave lrsquoorigine

de la garantie trouverait une confirmation solide au paragraphe 3 de lrsquoarticle

4 du Protocole no 7 qui exclurait toute deacuterogation au titre de lrsquoarticle 15 de

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 31

la Convention agrave la protection offerte au paragraphe 1 Ainsi la garantie non

bis in idem serait mise sur un pied drsquoeacutegaliteacute avec le droit agrave la vie (article 2

article 3 du Protocole no 6 et article 2 du Protocole no 13) lrsquointerdiction de

la torture (article 3) lrsquointerdiction de lrsquoesclavage (article 4) et le principe

laquo pas de peine sans loi raquo (article 7) Ces eacuteleacutements militeraient en faveur

drsquoune interpreacutetation restrictive de la garantie Une telle approche

srsquoimposerait drsquoautant plus si la Grande Chambre devait maintenir la pratique

selon laquelle toute laquo accusation en matiegravere peacutenale raquo au sens autonome de

lrsquoarticle 6 sect 1 est susceptible de faire eacutegalement entrer en jeu lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 (paragraphe 100 ci-dessous)

b) Y a-t-il eu reacutepeacutetition des poursuites (bis)

94 Le gouvernement bulgare ne voit aucune raison de srsquoeacutecarter de

lrsquoapproche suivie dans les deacutecisions RT c Suisse et Nilsson c Suegravede

(preacuteciteacutees) dans le contexte des infractions routiegraveres et dans drsquoimportants

domaines se rattachant au fonctionnement de lrsquoEacutetat tels que la fiscaliteacute Une

proceacutedure fiscale aboutissant agrave lrsquoapplication drsquoune majoration drsquoimpocirct et

une proceacutedure peacutenale portant sur une fraude fiscale conduites

parallegravelement seraient eacutetroitement lieacutees sur les plans mateacuteriel et temporel

De plus la Cour reconnaicirctrait que les Eacutetats contractants jouissent drsquoune

marge drsquoappreacuteciation eacutetendue dans lrsquoeacutelaboration et la mise en œuvre de

leurs politiques en matiegravere fiscale et elle respecterait les choix du leacutegislateur

dans ces domaines sauf srsquoils se reacutevegravelent manifestement deacutepourvus de base

raisonnable Un systegraveme qui permettrait la conduite de proceacutedures parallegraveles

en matiegravere fiscale semblerait relever de la marge drsquoappreacuteciation de lrsquoEacutetat et

nrsquoapparaicirctrait pas contraire en soi agrave lrsquoun quelconque des principes eacutenonceacutes

dans la Convention y compris la garantie contre les doubles incriminations

95 Le gouvernement tchegraveque avance quatre arguments en faveur du

maintien de systegravemes mixtes de sanctions 1) chaque type de sanction

poursuit des buts diffeacuterents 2) alors que la proceacutedure peacutenale stricto sensu

doit respecter des garanties rigoureuses en matiegravere drsquoeacutequiteacute du procegraves dont

lrsquoapplication est souvent synonyme de lenteurs les sanctions

administratives doivent reacutepondre agrave des exigences de ceacuteleacuteriteacute et permettre

drsquoassurer lrsquoefficaciteacute et la peacuterenniteacute du systegraveme fiscal et du budget de

lrsquoEacutetat 3) la stricte application du principe non bis in idem agrave des proceacutedures

fiscales et peacutenales meneacutees en parallegravele pourrait faire eacutechouer la lutte contre

la criminaliteacute organiseacutee agrave grande eacutechelle si la premiegravere deacutecision en geacuteneacuteral

administrative devait empecirccher la tenue drsquoune enquecircte peacutenale de nature agrave

conduire agrave la deacutecouverte de reacuteseaux de fraude organiseacutee de blanchiment

drsquoargent et de deacutetournement de fonds ainsi que drsquoautres infractions graves

4) lrsquoordre dans lequel les autoriteacutes statuent dans tel ou tel cas Enfin il

signale qursquoil y a des cas ougrave plusieurs proceacutedures administratives sont

conduites en mecircme temps

32 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

96 Le gouvernement franccedilais estime que le raisonnement adopteacute dans

les deacutecisions R T c Suisse et Nilsson c Suegravede (preacuteciteacutees) peut ecirctre

transposeacute en matiegravere fiscale au regard des objectifs poursuivis par les Eacutetats

en ce domaine objectifs qui drsquoapregraves lui diffegraverent selon qursquoil srsquoagit de

poursuites peacutenales ou de lrsquoapplication de peacutenaliteacutes fiscales (i)) et degraves lors

qursquoil existe un lien suffisant entre les proceacutedures fiscale et peacutenale (ii))

i) Les poursuites peacutenales pour fraude fiscale devraient constituer une

reacuteponse adapteacutee et homogegravene agrave des comportements reacutepreacutehensibles Elles

auraient comme objectif principal de sanctionner les comportements les plus

graves Dans sa deacutecision Rosenquist c Suegravede (deacutec) no 6061900

14 septembre 2004 la Cour aurait releveacute que lrsquoobjectif poursuivi par

lrsquoinfraction criminelle de fraude fiscale eacutetait diffeacuterent de celui de

lrsquoimposition drsquoune peacutenaliteacute fiscale qui elle aurait pour but de renforcer les

fondations du systegraveme fiscal national

Les poursuites pour fraude fiscale auraient eacutegalement une finaliteacute

drsquoexemplariteacute en particulier lorsque de nouvelles typologies de fraudes sont

mises au jour afin de dissuader les fraudeurs potentiels drsquoy recourir Ne

plus poursuivre peacutenalement les fraudes les plus graves degraves lors qursquoune

peacutenaliteacute fiscale a eacuteteacute appliqueacutee priverait lrsquoEacutetat de lrsquoexemplariteacute et de la

publiciteacute rechercheacutees agrave travers les condamnations peacutenales prononceacutees dans

les plus grandes affaires de fraude fiscale

Dans lrsquohypothegravese ougrave une proceacutedure judiciaire drsquoenquecircte en matiegravere

fiscale preacuteceacutederait le controcircle fiscal meneacute par lrsquoadministration fiscale

lrsquoobligation drsquoabandonner la seconde proceacutedure degraves lors que la premiegravere est

devenue deacutefinitive conduirait le contribuable agrave laisser la proceacutedure peacutenale se

terminer rapidement en ne la contestant pas afin que cette derniegravere

srsquoachegraveve avant la proceacutedure fiscale et ainsi agrave eacutechapper aux sanctions

administratives geacuteneacuteralement beaucoup plus significatives en termes

peacutecuniaires

Dans une telle hypothegravese le contribuable mis en cause serait en position

drsquoarbitrer en faveur de la proceacutedure qui lui serait la plus favorable ce qui

porterait indeacuteniablement atteinte au caractegravere dissuasif de lrsquoaction meneacutee

par lrsquoEacutetat pour reacuteprimer les actes les plus reacutepreacutehensibles dans ce domaine Il

serait ainsi paradoxal que les contribuables ayant commis les fraudes les

plus graves et poursuivis peacutenalement pour cela soient sanctionneacutes moins

seacutevegraverement

En conclusion selon le gouvernement franccedilais la compleacutementariteacute entre

les proceacutedures peacutenales et les proceacutedures fiscales est essentielle pour la

reacutepression des fraudes les plus graves et il serait artificiel de consideacuterer

qursquoen raison de lrsquointervention de deux proceacutedures et de deux autoriteacutes ces

sanctions ne forment pas un tout coheacuterent destineacute agrave reacutepondre agrave ce type

drsquoinfraction En effet ces proceacutedures seraient eacutetroitement lieacutees et devraient

degraves lors pouvoir ecirctre cumuleacutees

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 33

ii) Dans les arrecircts rendus contre la Finlande le 20 mai 2014 le critegravere

principal retenu par la Cour pour ne pas accepter la reacutepeacutetition des

proceacutedures aurait eacuteteacute lrsquoindeacutependance totale des proceacutedures fiscale et peacutenale

lrsquoune par rapport agrave lrsquoautre Or ces deux types de proceacutedures devraient ecirctre

regardeacutes comme ayant un lien mateacuteriel et temporel degraves lors qursquoil existe un

eacutechange drsquoinformations entre les deux autoriteacutes et que les proceacutedures sont

conduites simultaneacutement Les eacuteleacutements factuels devraient deacutemontrer une

compleacutementariteacute entre ces proceacutedures

Agrave titre drsquoillustration le gouvernement franccedilais analyse de faccedilon deacutetailleacutee

comment dans le systegraveme national les proceacutedures peacutenale et fiscale sont

imbriqueacutees se chevauchent en droit et en pratique et sont conduites

simultaneacutement Le principe de proportionnaliteacute impliquerait que le montant

global des sanctions eacuteventuellement prononceacutees ne deacutepasse pas le montant

le plus eacuteleveacute encouru au titre de lrsquoune ou lrsquoautre des sanctions

Pour deacuteterminer si les proceacutedures peacutenales et fiscales peuvent passer pour

suffisamment lieacutees dans le temps seules devraient ecirctre consideacutereacutees les

phases de controcircle par lrsquoadministration fiscale et drsquoenquecircte judiciaire Ces

deux phases devraient ecirctre meneacutees simultaneacutement ou dans un deacutelai tregraves

rapprocheacute En revanche il nrsquoapparaicirctrait pas pertinent pour appreacutecier si le

lien temporel entre les proceacutedures est suffisamment eacutetroit de prendre en

compte la dureacutee de la proceacutedure judiciaire devant les tribunaux appeleacutes agrave

statuer sur lrsquoaction peacutenale et sur le bien-fondeacute des peacutenaliteacutes fiscales En

effet la dureacutee de reacuteponse des diffeacuterentes juridictions deacutependrait drsquoeacuteleacutements

exteacuterieurs et parfois propres au contribuable Ainsi ce dernier pourrait

choisir de ralentir deacutelibeacutereacutement la dureacutee de la proceacutedure devant lrsquoune des

juridictions par la multiplication de demandes ou la production drsquoeacutecritures

nombreuses qui devraient ecirctre soumises au contradictoire ou encore par

lrsquoexercice de recours

LrsquoEacutetat devrait disposer drsquoune marge drsquoappreacuteciation pour deacutefinir les

sanctions approprieacutees agrave certains comportements qui peuvent causer des

preacutejudices distincts Ainsi il devrait pouvoir faire face agrave une telle situation

tout en apportant une reacuteponse unique en confiant agrave plusieurs autoriteacutes ndash

judiciaires et administratives ndash le soin drsquoapporter une reacuteponse adapteacutee

97 Le gouvernement grec soutient que lrsquoexistence de proceacutedures

seacutepareacutees et conseacutecutives au cours desquelles des mesures drsquoordre peacutenal

identiques ou non sont imposeacutees agrave un requeacuterant est lrsquoeacuteleacutement deacuteterminant et

crucial pour qursquoil y ait laquo reacutepeacutetition raquo (laquo bis raquo) Pour lui le principe non bis

in idem nrsquoest pas meacuteconnu si diverses mesures drsquoordre laquo peacutenal raquo mecircme

distinctes les unes des autres venaient agrave ecirctre imposeacutees par diffeacuterentes

juridictions peacutenales et administratives degraves lors que les sanctions sont toutes

consideacutereacutees dans leur globaliteacute pour fixer le quantum de la peine (RT

c Suisse deacutecision preacuteciteacutee)

98 Cependant le gouvernement grec signale lrsquoarrecirct Kapetanios et

autres c Gregravece (nos 345312 4294112 et 902813 sect 72 30 avril 2015)

34 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

dans lequel la Cour a jugeacute que la regravegle non bis in idem ne serait pas

enfreinte en principe si les deux sanctions agrave savoir une privation de liberteacute

et une condamnation peacutecuniaire eacutetaient imposeacutees dans le cadre drsquoune seule

et mecircme proceacutedure judiciaire Selon lui nonobstant cet exemple il est

eacutevident que la Cour attache une grande importance agrave ce que lrsquoimposition de

sanctions peacutenales et administratives ait eacuteteacute lrsquoobjet drsquoun examen judiciaire

global

99 Le gouvernement grec ne se dissocie pas pour autant de lrsquoavis de la

Cour suprecircme norveacutegienne qui a dit en lrsquoespegravece que lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 permettait au moins dans une certaine mesure la conduite de

proceacutedures parallegraveles Crsquoest ce que confirmerait sans ambiguiumlteacute lrsquoarrecirct rendu

par la CJUE dans lrsquoaffaire Fransson (paragraphe 34 de cet arrecirct reproduit

au paragraphe 52 ci-dessus)

La CJUE aurait preacuteciseacute que crsquoest agrave la juridiction de renvoi qursquoil

appartient drsquoappreacutecier agrave la lumiegravere des critegraveres eacutenonceacutes srsquoil y a lieu de

proceacuteder agrave un examen du cumul de sanctions fiscales et peacutenales preacutevu par la

leacutegislation nationale par rapport aux standards nationaux crsquoest-agrave-dire ceux

applicables aux violations du droit national de nature et drsquoimportance

similaires degraves lors que le choix des sanctions relegraveve de la marge

drsquoappreacuteciation de lrsquoEacutetat membre elle aurait ainsi estimeacute que crsquoeacutetait au juge

national de dire si le cumul des sanctions eacutetait contraire agrave ces standards

pourvu que les sanctions restantes fussent effectives proportionneacutees et

dissuasives (paragraphe 37 de cet arrecirct reproduit au paragraphe 52

ci-dessus)

Le gouvernement grec juge pertinent en lrsquoespegravece cet arrecirct de la CJUE

Plus preacuteciseacutement on pourrait deacuteduire mutatis mutandis de lrsquointerpreacutetation

qui y est livreacutee que le juge national avait conclu agrave bon droit en vertu de sa

marge drsquoappreacuteciation comme constateacute par la CJUE que le cumul des

sanctions en cause imposeacutees agrave lrsquoissue de proceacutedures dites laquo parallegraveles raquo

dans le cadre drsquoune collaboration eacutetroite entre deux autoriteacutes distinctes

nrsquoavait pas enfreint les standards nationaux alors mecircme qursquoil avait estimeacute

pour lrsquoessentiel que les sanctions fiscales eacutetaient laquo de nature peacutenale raquo Au vu

des arguments exposeacutes au paragraphe 97 ci-dessus on pourrait

raisonnablement conclure que des proceacutedures parallegraveles qui conduiraient agrave

lrsquoimposition de sanctions diffeacuterentes par des autoriteacutes diffeacuterentes nettement

distinctes en droit ne seraient pas interdites par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

degraves lors que ces proceacutedures satisferaient au critegravere du lien temporel et

mateacuteriel eacutetroit Ce critegravere permettrait de reacutepondre agrave la question

fondamentale de lrsquoexistence ou non drsquoune reacutepeacutetition

100 Srsquoappuyant sur le paragraphe 83 de lrsquoarrecirct preacuteciteacute Sergueiuml

Zolotoukhine le gouvernement suisse soutient que la garantie eacutenonceacutee agrave

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 entre en jeu agrave lrsquoouverture de nouvelles

poursuites lorsque la deacutecision anteacuterieure drsquoacquittement ou de

condamnation est deacutejagrave passeacutee en force de chose jugeacutee Le fait qursquoune

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 35

proceacutedure peacutenale nrsquoeacutetait pas encore acheveacutee agrave lrsquoouverture drsquoune proceacutedure

administrative ne serait donc en soi pas probleacutematique agrave lrsquoeacutegard du

principe non bis in idem (il mentionne mutatis mutandis Kapetanios et

autres preacuteciteacute sect 72) Par conseacutequent des proceacutedures parallegraveles seraient

admissibles au titre de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 La preacutesente affaire

donnerait agrave la Grande Chambre lrsquooccasion de confirmer cette jurisprudence

La justification drsquoun systegraveme mixte reacutesiderait principalement dans le fait

que le droit administratif et le droit peacutenal sont de nature diffeacuterente et visent

des buts distincts fonction preacuteventive et eacuteducative pour le premier et

fonction reacutepressive pour le second

Le gouvernement suisse estime que si agrave la lumiegravere des critegraveres Engel la

notion drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo a eacuteteacute eacutelargie au-delagrave des

cateacutegories traditionnelles du droit peacutenal (malum in se) agrave drsquoautres domaines

(malum quia prohibitum) les accusations en matiegravere peacutenale nrsquoont pas toutes

le mecircme poids Srsquoagissant par exemple des majorations drsquoimpocirct ndash qui ne

feraient pas partie du noyau dur du droit peacutenal ndash les garanties offertes par le

volet peacutenal de lrsquoarticle 6 ne devraient pas neacutecessairement srsquoappliquer dans

toute leur rigueur (il mentionne lrsquoarrecirct Jussila preacuteciteacute sect 43) Il ne faudrait

pas lrsquooublier lorsqursquoil srsquoagit de deacuteterminer le champ drsquoapplication de

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

La preacutevisibiliteacute du cumul de sanctions administratives et de sanctions

peacutenales constituerait un autre facteur agrave prendre en compte dans

lrsquoappreacuteciation du systegraveme mixte en cause (il eacutevoque lrsquoarrecirct Maszni

c Roumanie no 5989200 sect 68 21 septembre 2006)

Selon le gouvernement suisse la jurisprudence Sergueiuml Zolotoukhine ne

doit pas ecirctre interpreacuteteacutee ou deacuteveloppeacutee de maniegravere agrave couvrir lrsquoensemble des

systegravemes preacutevoyant de sanctionner par les voies administrative et peacutenale les

infractions peacutenales indeacutependamment du fait que des autoriteacutes distinctes

disposant de compeacutetences distinctes et poursuivant des buts distincts

rendent des deacutecisions sur le mecircme ensemble de faits Cette conclusion

srsquoimposerait en tout cas dans les affaires preacutesentant un lien mateacuteriel et

temporel suffisamment eacutetroit entre les proceacutedures peacutenale et administrative

tel que requis par la Cour (il srsquoappuie sur les affaires suivantes ougrave la Cour a

conclu que cette condition avait eacuteteacute satisfaite Boman c Finlande

no 4160411 sect 41 17 feacutevrier 2015 avec une reacutefeacuterence aux deacutecisions

preacuteciteacutees RT c Suisse et Nilsson c Suegravede et agrave lrsquoarrecirct preacuteciteacute Maszni) Le

gouvernement suisse invite la Grande Chambre agrave saisir lrsquooccasion de la

preacutesente affaire pour confirmer cette approche qui nrsquoest pas selon lui

proscrite en elle-mecircme en lrsquoeacutetat de la jurisprudence

4 Appreacuteciation de la Cour

101 La Cour passera tout drsquoabord en revue sa jurisprudence pertinente

pour lrsquointerpreacutetation et lrsquoapplication du principe non bis in idem eacutenonceacute agrave

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 (parties a) agrave c) ci-dessous) Elle srsquoattachera agrave en

36 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

tirer les conclusions et critegraveres utiles et agrave apporter les eacuteclaircissements

neacutecessaires agrave lrsquoanalyse de la preacutesente affaire (partie d) ci-dessous) Enfin

elle appliquera ce principe dans lrsquointerpreacutetation qursquoelle aura deacutegageacutee aux

faits deacutenonceacutes par les requeacuterants (partie e) ci-dessous)

a) Questions geacuteneacuterales drsquointerpreacutetation

102 La Cour constate que dans les observations des parties et des tiers

intervenants il nrsquoy a guegravere de deacutesaccord quant agrave la principale contribution

qursquoapporte lrsquoarrecirct de Grande Chambre Sergueiuml Zolotoukhine agrave savoir la

clarification des critegraveres agrave lrsquoaune desquels il faut eacutevaluer si lrsquoinfraction pour

laquelle un requeacuterant a eacuteteacute jugeacute ou puni au cours de la seconde proceacutedure

eacutetait la mecircme (idem) que celle pour laquelle une deacutecision avait eacuteteacute rendue au

cours de la premiegravere proceacutedure (voir les paragraphes 70 agrave 84 de cet arrecirct) Il

nrsquoy a pas non plus de deacutesaccord majeur quant aux critegraveres permettant de

deacuteterminer quand une deacutecision laquo deacutefinitive raquo a eacuteteacute rendue qui sont eacutenonceacutes

dans cet arrecirct

103 En revanche les avis divergent quant agrave la meacutethode agrave employer afin

de deacuteterminer si la proceacutedure se rapportant agrave lrsquoapplication de majorations

drsquoimpocirct eacutetait laquo peacutenale raquo aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 sachant que

cette question est susceptible drsquoavoir une incidence sur lrsquoapplicabiliteacute de

lrsquointerdiction poseacutee par cette disposition de la double incrimination

104 En outre il y a des divergences drsquoapproche (notamment entre

drsquoune part les requeacuterants et drsquoautre part le gouvernement deacutefendeur et les

gouvernements intervenants) sur la question de la reacutepeacutetition des poursuites

en particulier sur la mesure dans laquelle les proceacutedures parallegraveles ou mixtes

sont permises au titre de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

b) Critegraveres pertinents pour deacuteterminer si la premiegravere proceacutedure est

laquo peacutenale raquo divergences drsquoapproche dans la jurisprudence

105 Dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine (preacuteciteacute) la Cour a appliqueacute afin

de deacuteterminer si les proceacutedures en question pouvaient ecirctre regardeacutees comme

laquo peacutenales raquo sur le terrain de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 les trois critegraveres

Engel preacuteceacutedemment eacutelaboreacutes pour les besoins de lrsquoarticle 6 de la

Convention agrave savoir 1) laquo la qualification juridique de lrsquoinfraction en droit

interne raquo 2) laquo la nature mecircme de lrsquoinfraction raquo et 3) le degreacute de seacuteveacuteriteacute de

la sanction dont lrsquointeacuteresseacute est passible les deuxiegraveme et troisiegraveme critegraveres

eacutetant alternatifs et pas neacutecessairement cumulatifs mais sans exclure une

approche cumulative Lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine nrsquoa donc pas repris ndash

alors qursquoil aurait pu le faire ndash le raisonnement suivi dans une seacuterie drsquoaffaires

anteacuterieures (voir par exemple la deacutecision preacuteciteacutee Storbraringten) ougrave avait eacuteteacute

retenue une liste plus large et non exhaustive de facteurs sans que la Cour

ait preacuteciseacute quel eacutetait leur poids respectif ni srsquoil fallait les appliquer

alternativement ou cumulativement Les gouvernements franccedilais et

norveacutegien invitent agrave preacutesent la Cour agrave saisir cette occasion pour dire si ce

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 37

sont ces derniers critegraveres plus nombreux qui srsquoappliquent (paragraphes 66 agrave

68 et 90-91 ci-dessus)

106 Il existe un certain nombre drsquoarguments en faveur drsquoune telle

interpreacutetation en particulier le fait que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 a

apparemment eacuteteacute conccedilu par ses auteurs pour viser les proceacutedures peacutenales au

sens strict et la circonstance que ndash agrave lrsquoinverse de lrsquoarticle 6 mais agrave lrsquoinstar de

lrsquoarticle 7 ndash il nrsquoest pas susceptible de deacuterogation au titre de lrsquoarticle 15 Si

lrsquoarticle 6 se contente drsquoeacutenoncer des garanties drsquoeacutequiteacute proceacutedurales

notamment en matiegravere peacutenale lrsquointerdiction de la double incrimination

poseacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 a certaines conseacutequences ndash qui peuvent

ecirctre importantes ndash sur les modaliteacutes drsquoapplication des regravegles de droit

national reacutegissant les sanctions peacutenales et administratives dans de nombreux

domaines Cette derniegravere disposition implique une analyse plus pousseacutee du

droit peacutenal mateacuteriel puisqursquoil srsquoagit drsquoeacutetablir si les infractions respectives

visent le mecircme comportement (idem) Ces diffeacuterences ainsi que lrsquoabsence

de convergence entre les systegravemes nationaux des Eacutetats contractants le degreacute

variable de volonteacute de la part desdits Eacutetats drsquoecirctre tenus par le Protocole no 7

et la marge drsquoappreacuteciation eacutetendue dont ils jouissent geacuteneacuteralement dans le

choix de leurs systegravemes et politiques en matiegravere peacutenale (Nykaumlnen preacuteciteacute

sect 48 et mutatis mutandis Achour c France [GC] no 6733501 sect 44

CEDH 2006-IV) sont tout agrave fait propres agrave justifier un groupe plus vaste de

critegraveres drsquoapplicabiliteacute davantage axeacutes sur le droit national sur le modegravele

de ceux retenus pour les besoins de lrsquoarticle 7 et auparavant de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 (crsquoest-agrave-dire avant lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine) et donc un

champ drsquoapplication plus eacutetroit que sous lrsquoempire de lrsquoarticle 6

107 Cependant si ainsi qursquoil a eacuteteacute souligneacute lrsquoarrecirct Sergueiuml

Zolotoukhine nrsquoest pas explicite sur ce point il faut supposer que la Cour a

deacutelibeacutereacutement choisi dans cet arrecirct de retenir les critegraveres Engel comme le

modegravele agrave suivre pour deacuteterminer si la proceacutedure en cause est laquo peacutenale raquo pour

les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Aux yeux de la Cour il ne paraicirct

pas justifieacute qursquoelle srsquoeacutecarte de cette analyse en lrsquoespegravece car des

consideacuterations de poids militent vraiment en faveur drsquoun tel choix Le

principe non bis in idem vise principalement lrsquoeacutequiteacute proceacutedurale qui est

lrsquoobjet de lrsquoarticle 6 et srsquointeacuteresse moins au droit peacutenal mateacuteriel que

lrsquoarticle 7 La Cour estime preacutefeacuterable dans un souci de coheacuterence de

lrsquointerpreacutetation de la Convention consideacutereacutee globalement que lrsquoapplicabiliteacute

de ce principe soit reacutegie par les critegraveres plus preacutecis deacutefinis dans lrsquoarrecirct

Engel Cela eacutetant dit ainsi qursquoil a deacutejagrave eacuteteacute admis ci-dessus degraves lors que le

principe non bis in idem est jugeacute applicable une approche moduleacutee

srsquoimpose agrave lrsquoeacutevidence pour eacutevaluer la maniegravere dont il est mis en œuvre

srsquoagissant de proceacutedures mecirclant sanctions administratives et sanctions

peacutenales

38 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

c) Jurisprudence de la Convention en matiegravere de proceacutedures mixtes

i Lrsquoapport de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine

108 Lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine concernait deux proceacutedures qui

avaient chacune pour objet des actes perturbateurs agrave lrsquoencontre drsquoun agent

public et dans le cadre desquelles lrsquoissue de la proceacutedure administrative eacutetait

devenue deacutefinitive avant mecircme le deacutebut de la proceacutedure peacutenale (Sergueiuml

Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 18 agrave 20 et 109) Lrsquoapport le plus notable de lrsquoarrecirct

Sergueiuml Zolotoukhine est drsquoavoir dit que le point de savoir si les infractions

en question eacutetaient les mecircmes (idem) deacutependait drsquoune analyse axeacutee sur les

faits (ibidem sect 84) plutocirct que par exemple drsquoun examen formel consistant agrave

comparer les laquo eacuteleacutements essentiels raquo des infractions Lrsquointerdiction vise

lrsquoinculpation ou le jugement pour une seconde laquo infraction raquo pour autant que

celle-ci a pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance

les mecircmes (ibidem sect 82)

109 De plus en rappelant que le but de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 eacutetait

drsquointerdire la reacutepeacutetition de proceacutedures peacutenales trancheacutees par une deacutecision

laquo deacutefinitive raquo crsquoest-agrave-dire laquo passeacutee en force de chose jugeacutee raquo lrsquoarrecirct Sergueiuml

Zolotoukhine a preacuteciseacute que les deacutecisions susceptibles drsquoun recours ordinaire

ne beacuteneacuteficiaient pas de la garantie que renfermait cette disposition tant que

le deacutelai de recours nrsquoeacutetait pas expireacute

110 En outre la Cour a dit sans ambiguiumlteacute que lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 visait non pas seulement le cas drsquoune double condamnation

mais aussi celui des doubles poursuites et que dans le cas contraire il

nrsquoaurait pas eacuteteacute neacutecessaire de mettre le terme laquo poursuivi raquo avant le terme

laquo puni raquo car il ne pourrait qursquoen constituer un doublon La Cour a ajouteacute

que cette disposition srsquoappliquait mecircme si lrsquoindividu concerneacute nrsquoavait fait

lrsquoobjet que de simples poursuites nrsquoayant pas abouti agrave une condamnation

Elle a souligneacute que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 renfermait trois garanties

distinctes et disposait que nul i ne pouvait ecirctre poursuivi ii jugeacute ou

iii puni deux fois pour les mecircmes faits (ibidem sect 110)

111 Il faut toutefois souligner que lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine ne

donne guegravere drsquoindications lorsque les proceacutedures en reacutealiteacute ne se reacutepegravetent

pas mais sont plutocirct combineacutees et inteacutegreacutees de maniegravere agrave former un tout

coheacuterent

ii La jurisprudence sur les proceacutedures mixtes anteacuterieurement et

posteacuterieurement agrave lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine

112 Depuis lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine et comme crsquoeacutetait deacutejagrave le cas

auparavant il est admis par la Cour que lrsquoimposition par des autoriteacutes

diffeacuterentes de sanctions diffeacuterentes pour le mecircme comportement est permise

dans une certaine mesure au titre de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 nonobstant

lrsquoexistence drsquoune deacutecision deacutefinitive Cette conclusion peut se comprendre

comme eacutetant fondeacutee sur lrsquoideacutee que le cumul de sanctions dans les affaires de

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 39

ce genre doit srsquoanalyser comme un tout en conseacutequence de quoi il serait

artificiel drsquoy voir une reacutepeacutetition de proceacutedures impliquant que lrsquointeacuteresseacute a

eacuteteacute laquo poursuivi ou puni peacutenalement () en raison drsquoune infraction pour

laquelle il a[vait] deacutejagrave eacuteteacute () condamneacute par un jugement deacutefinitif raquo au

meacutepris de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 La question srsquoest poseacutee dans quatre

types de situations

113 Agrave lrsquoorigine de cette analyse interpreacutetative de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 se trouve une premiegravere cateacutegorie drsquoaffaires qui remonte agrave la

deacutecision RT c Suisse (deacutecision preacuteciteacutee) Dans cette affaire lrsquoOffice

feacutedeacuteral suisse des routes avait retireacute son permis de conduire au requeacuterant en

mai 1993 pour une dureacutee de quatre mois pour conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute

Cette mesure avait finalement eacuteteacute confirmeacutee par la Commission des recours

administratifs puis par le Tribunal feacutedeacuteral (en deacutecembre 1995)

Parallegravelement en juin 1993 les autoriteacutes cantonales de Gossau avaient

deacutelivreacute agrave lrsquoencontre du requeacuterant une ordonnance peacutenale qui le condamnait agrave

une peine drsquoemprisonnement avec sursis et agrave une amende de 1 100 francs

suisses Nrsquoayant pas fait lrsquoobjet de recours cette ordonnance passa en force

de chose jugeacutee

La Cour a conclu que les autoriteacutes suisses nrsquoavaient fait que retenir les

trois types de sanctions cumulables preacutevues par la loi pour une telle

infraction agrave savoir une peine drsquoemprisonnement une amende et le retrait du

permis de conduire Elle a constateacute que ces sanctions avaient eacuteteacute prononceacutees

parallegravelement par deux autoriteacutes diffeacuterentes lrsquoune administrative et lrsquoautre

peacutenale Selon elle on ne pouvait donc pas y voir eu eacutegard agrave sa

jurisprudence une reacutepeacutetition de poursuites peacutenales contraire agrave lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7

De la mecircme maniegravere si la deacutecision Nilsson (preacuteciteacutee) concernait elle

aussi une sanction peacutenale (50 heures de travail drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral) et le retrait

du permis de conduire (pour une dureacutee de dix-huit mois) agrave raison drsquoune

infraction routiegravere le grief a eacuteteacute rejeteacute sur la base drsquoun raisonnement plus

eacutelaboreacute qui a introduit pour la premiegravere fois le critegravere du laquo lien mateacuteriel et

temporel suffisamment eacutetroit raquo

La Cour a jugeacute que le retrait du permis de conduire eacutetait une conseacutequence

directe et preacutevisible de la condamnation anteacuterieure du requeacuterant pour les

mecircmes deacutelits de conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute avanceacute et de conduite sans permis

et que faisant suite agrave une condamnation peacutenale il relevait de la matiegravere

laquo peacutenale raquo pour les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Elle a ajouteacute

que indeacutependamment de la condamnation peacutenale anteacuterieure un retrait de

permis drsquoune dureacutee de dix-huit mois constituait en soi par sa seacuteveacuteriteacute une

mesure pouvant ordinairement passer pour une sanction peacutenale Elle a

conclu que quand bien mecircme les diffeacuterentes sanctions avaient eacuteteacute

prononceacutees par deux autoriteacutes diffeacuterentes agrave lrsquoissue de proceacutedures diffeacuterentes

il existait entre ces sanctions un lien mateacuteriel et temporel suffisamment

eacutetroit pour que lrsquoon pucirct consideacuterer le retrait de permis comme lrsquoune des

40 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

mesures preacutevues par le droit sueacutedois pour la reacutepression des deacutelits de

conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute avanceacute et de conduite sans permis On ne pouvait

donc pas selon elle deacuteduire du retrait litigieux que le requeacuterant avait eacuteteacute

laquo poursuivi ou puni peacutenalement () en raison drsquoune infraction pour laquelle

il a[vait] deacutejagrave eacuteteacute () condamneacute par un jugement deacutefinitif raquo au meacutepris de

lrsquoarticle 4 sect 1 du Protocole no 7

De mecircme dans lrsquoarrecirct Boman (preacuteciteacute) la Cour a jugeacute qursquoil existait un

lien mateacuteriel et temporel suffisant entre drsquoune part la proceacutedure peacutenale agrave

lrsquoissue de laquelle le requeacuterant avait eacuteteacute reconnu coupable et condamneacute agrave

75 jours-amende (soit 450 EUR) ainsi qursquoagrave une interdiction de conduire

(drsquoune dureacutee de quatre mois et trois semaines) et drsquoautre part la proceacutedure

administrative ulteacuterieure qui srsquoeacutetait soldeacutee par la prolongation de

lrsquointerdiction de conduire (drsquoune dureacutee drsquoun mois)

114 Dans une deuxiegraveme seacuterie drsquoaffaires la Cour a confirmeacute que les

proceacutedures parallegraveles ne sont pas exclues dans les affaires combinant

majorations drsquoimpocirct dans une proceacutedure administrative et poursuites

condamnations et sanctions pour fraude fiscale dans une proceacutedure peacutenale

tout en concluant qursquoil nrsquoavait pas eacuteteacute satisfait au critegravere du laquo lien mateacuteriel et

temporel suffisamment eacutetroit raquo au vu des circonstances particuliegraveres propres

agrave chaque cas Il srsquoagit drsquoaffaires concernant la Finlande (notamment Glantz

preacuteciteacute sect 57 et Nykaumlnen preacuteciteacute sect 47) et la Suegravede (Lucky Dev c Suegravede

no 735610 sect 58 27 novembre 2014) Dans lrsquoarrecirct Nykaumlnen ougrave est exposeacutee

lrsquoapproche suivie dans les autres affaires dirigeacutees contre la Finlande et la

Suegravede la Cour a conclu au vu du dossier que dans le systegraveme finlandais les

sanctions peacutenales et administratives avaient eacuteteacute infligeacutees par des autoriteacutes

diffeacuterentes sans que les proceacutedures aient le moindre lien entre elles elles

avaient chacune suivi leur propre cheminement et avaient pris fin

indeacutependamment lrsquoune de lrsquoautre De plus chaque juridiction ou autoriteacute

avait fixeacute le quantum de la peine sans tenir compte de la sanction prononceacutee

par lrsquoautre et elles nrsquoavaient eu aucun eacutechange entre elles Surtout dans le

systegraveme finlandais les majorations drsquoimpocirct eacutetaient appliqueacutees agrave lrsquoissue drsquoun

examen du comportement du contrevenant et de lrsquoapplicabiliteacute agrave son eacutegard

de la leacutegislation fiscale pertinente indeacutependamment de lrsquoappreacuteciation au

peacutenal La Cour a donc conclu agrave la violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

au motif que le requeacuterant avait eacuteteacute condamneacute deux fois pour les mecircmes faits

dans le cadre de deux proceacutedures distinctes

On peut trouver un raisonnement et des conclusions identiques (ou

quasiment identiques) agrave propos de faits analogues dans les arrecircts Rinas

c Finlande (no 1703913 27 janvier 2015) et Oumlsterlund c Finlande

(no 5319713 10 feacutevrier 2015)

Il faut noter que si dans certaines de ces affaires (Nykaumlnen Glantz

Lucky Dev Rinas Oumlsterlund) les deux proceacutedures avaient eacuteteacute conduites

dans une large mesure simultaneacutement le lien temporel a eacuteteacute manifestement

jugeacute insuffisant agrave lui seul pour exclure lrsquoapplication de la regravegle non bis in

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 41

idem Il ne semble pas deacuteraisonnable de deacuteduire de ces arrecircts concernant la

Finlande et la Suegravede que les deux proceacutedures ayant agrave chaque fois eacuteteacute

meneacutees dans une large mesure simultaneacutement crsquoest lrsquoabsence de lien

mateacuteriel qui au vu des circonstances propres agrave chaque affaire a provoqueacute la

violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

115 Dans une troisiegraveme seacuterie drsquoaffaires ougrave les proceacutedures avaient eacuteteacute

conduites en parallegravele pendant un certain temps la Cour a conclu agrave la

violation mais sans se reacutefeacuterer au critegravere tireacute de la deacutecision Nilsson du laquo lien

mateacuteriel et temporel suffisamment eacutetroit raquo

Dans lrsquoaffaire preacuteciteacutee Tomasović (sectsect 5-10 et 30-32) le requeacuterant avait

eacuteteacute poursuivi et condamneacute deux fois pour la mecircme infraction de possession

de stupeacutefiants drsquoabord en tant qursquolaquo infraction mineure raquo (jugeacutee laquo peacutenale raquo

au vu des deuxiegraveme et troisiegraveme critegraveres Engel ndash ibidem sectsect 22-25) puis en

tant qursquolaquo infraction peacutenale raquo Faute pour la seconde proceacutedure drsquoavoir eacuteteacute

abandonneacutee agrave la conclusion de la premiegravere la Cour a estimeacute eacutevident qursquoil y

avait eu une reacutepeacutetition de proceacutedures peacutenales contraire agrave lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 (voir de la mecircme maniegravere Muslija preacuteciteacute sectsect 28-32 et 37

srsquoagissant de coups et blessures aggraveacutes)

De mecircme dans lrsquoaffaire Grande Stevens et autres c Italie (nos 1864010

1864710 1866310 1866810 et 1869810 4 mars 2014) la Cour a

constateacute qursquoil y avait eu une double proceacutedure relative au mecircme

comportement frauduleux en lrsquooccurrence une manipulation du marcheacute par

la diffusion de fausses informations drsquoune part une proceacutedure

administrative (du 9 feacutevrier 2007 au 23 juin 2009) qualifieacutee de laquo peacutenale raquo agrave

lrsquoaune des critegraveres Engel conduite devant la Commission nationale des

socieacuteteacutes et de la bourse (Commissione Nazionale per le Societa e la Borsa)

puis devant la cour drsquoappel et la Cour de cassation conclue par lrsquoimposition

drsquoune amende de 3 000 000 EUR assortie drsquoune interdiction drsquoexercer

certaines activiteacutes professionnelles et drsquoautre part une proceacutedure peacutenale (du

7 novembre 2008 au 28 feacutevrier 2013 et au-delagrave toujours en cours agrave la date

de lrsquoarrecirct) conduite devant le tribunal de premiegravere instance la Cour de

cassation et la cour drsquoappel Son constat que la nouvelle instance concernait

une seconde laquo infraction raquo neacutee de faits identiques agrave ceux qui avaient donneacute

lieu agrave la premiegravere condamnation devenue deacutefinitive lui a suffi agrave conclure agrave

la violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

116 Quatriegravemement lrsquoarrecirct Kapetanios et autres (preacuteciteacute) confirmeacute par

lrsquoarrecirct Sismanidis et Sitaridis c Gregravece nos 6660209 et 7187912 9 juin

2016 constitue un autre exemple distinct drsquoabsence de lien mateacuteriel ne

faisant pas explicitement reacutefeacuterence agrave ce critegravere tireacute de la deacutecision Nilsson

(preacuteciteacutee) Dans ces affaires les requeacuterants furent tout drsquoabord acquitteacutes

drsquoinfractions douaniegraveres agrave lrsquoissue de proceacutedures peacutenales Par la suite malgreacute

les acquittements les juridictions administratives leur infligegraverent de lourdes

amendes administratives pour le mecircme comportement Convaincue que ces

derniegraveres proceacutedures eacutetaient laquo peacutenales raquo pour les besoins de lrsquoarticle 4 du

42 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

Protocole no 7 la Cour a conclu agrave la violation de cette disposition (voir les

paragraphes 73 et 47 de ces arrecircts respectivement)

d) Conclusions agrave tirer de la jurisprudence

117 Si les Eacutetats contractants ont le devoir particulier de proteacuteger les

inteacuterecircts speacutecifiques du justiciable que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 entend

sauvegarder il est aussi neacutecessaire ainsi que cela a deacutejagrave eacuteteacute indiqueacute au

paragraphe 106 ci-dessus de laisser aux autoriteacutes nationales le choix des

moyens agrave utiliser pour y parvenir Il ne faut pas oublier agrave cet eacutegard que le

droit de ne pas ecirctre jugeacute ou puni deux fois nrsquoeacutetait pas inscrit dans la

Convention adopteacutee en 1950 mais qursquoil a eacuteteacute ajouteacute dans un septiegraveme

protocole adopteacute en 1984 et entreacute en vigueur en 1988 soit pregraves de

40 anneacutees plus tard Quatre Eacutetats (lrsquoAllemagne les Pays-Bas le Royaume-

Uni et la Turquie) nrsquoont pas ratifieacute le Protocole no 7 et lrsquoun drsquoentre eux

(lrsquoAllemagne) ainsi que quatre Eacutetats qui lrsquoont ratifieacute (lrsquoAutriche la France

lrsquoItalie et le Portugal) ont eacutemis des reacuteserves ou des deacuteclarations

interpreacutetatives preacutecisant que le mot laquo peacutenalement raquo devait leur ecirctre appliqueacute

selon le sens donneacute agrave cette notion dans leurs lois nationales respectives

(Signalons que les reacuteserves formuleacutees par lrsquoAutriche et lrsquoItalie ont eacuteteacute jugeacutees

non valables parce qursquoelles nrsquoeacutetaient pas accompagneacutees drsquoun bref exposeacute de

la loi en cause comme le veut lrsquoarticle 57 sect 2 (voir respectivement

Gradinger c Autriche 23 octobre 1995 sect 51 seacuterie A no 328-C et Grande

Stevens preacuteciteacute sectsect 204-211) contrairement agrave la reacuteserve eacutemise par la France

(Goumlktan c France no 3340296 sect 51 CEDH 2002-V))

118 La Cour souligne eacutegalement lrsquoobservation formuleacutee par lrsquoavocat

geacuteneacuteral pregraves la CJUE dans lrsquoaffaire Fransson (paragraphe 51 ci-dessus)

selon laquelle lrsquoimposition de sanctions sur la base tant du droit

administratif que du droit peacutenal pour la mecircme infraction est une pratique

tregraves reacutepandue dans les Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne surtout dans

des domaines tels que la fiscaliteacute les politiques environnementales ou la

seacutecuriteacute publique Lrsquoavocat geacuteneacuteral a ajouteacute que les modaliteacutes relatives au

cumul des sanctions variaient eacutenormeacutement selon les ordres juridiques et

revecirctaient des caracteacuteristiques speacutecifiques propres agrave chaque Eacutetat membre et

que dans la plupart des cas ces speacutecificiteacutes visaient agrave atteacutenuer les effets

drsquoune double reacuteaction punitive de la part des pouvoirs publics

119 Par ailleurs pas moins de six Eacutetats parties au Protocole no 7 sont

intervenus en la preacutesente instance exprimant surtout des opinions et des

preacuteoccupations sur des points drsquointerpreacutetation que partage aussi dans une

large mesure le gouvernement deacutefendeur

120 Dans ces conditions il faut souligner agrave titre liminaire que comme

la Cour le reconnaicirct dans une jurisprudence constante crsquoest aux Eacutetats

contractants qursquoil revient au premier chef de deacutecider de lrsquoorganisation de

leur systegraveme juridique y compris de leurs proceacutedures peacutenales (voir par

exemple Taxquet c Belgique [GC] no 92605 sect 83 CEDH 2010) Par

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 43

exemple rien dans la Convention nrsquointerdit dans tel ou tel cas de seacuteparer en

diffeacuterentes phases ou parties le processus de fixation de la peine de sorte

que diffeacuterentes peines peuvent ecirctre prononceacutees successivement ou

parallegravelement pour une infraction qursquoil convient de qualifier de laquo peacutenale raquo

au sens autonome que revecirct ce mot sur le terrain de la Convention (voir par

exemple Phillips c Royaume-Uni no 4108798 sect 34 CEDH 2001-VII

affaire qui concernait des griefs tireacutes sur le terrain de lrsquoarticle 6 drsquoune

proceacutedure de confiscation des recettes issues drsquoinfractions agrave la leacutegislation

sur les stupeacutefiants dirigeacutee contre un individu et intervenant agrave la suite drsquoune

condamnation du mecircme individu pour ces mecircmes infractions)

121 Aux yeux de la Cour les Eacutetats devraient pouvoir leacutegitimement

opter pour des reacuteponses juridiques compleacutementaires face agrave certains

comportements dangereux pour la socieacuteteacute (par exemple le non-respect du

code de la route le non-paiement des impocircts ou lrsquoeacutevasion fiscale) au moyen

de diffeacuterentes proceacutedures formant un tout coheacuterent de maniegravere agrave traiter sous

ses diffeacuterents aspects le problegraveme social en question pourvu que ces

reacuteponses juridiques combineacutees ne repreacutesentent pas une charge excessive

pour la personne en cause

122 Dans les affaires ougrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 entre en jeu la

Cour a pour tacircche de deacuteterminer si la mesure nationale speacutecifique deacutenonceacutee

constitue dans sa substance ou dans ses effets une double incrimination

portant preacutejudice au justiciable ou si au contraire elle est le fruit drsquoun

systegraveme inteacutegreacute permettant de reacuteprimer un meacutefait sous ses diffeacuterents aspects

de maniegravere preacutevisible et proportionneacutee et formant un tout coheacuterent en sorte

de ne causer aucune injustice agrave lrsquointeacuteresseacute

123 Lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 ne saurait avoir pour effet drsquointerdire

aux Eacutetats contractants drsquoorganiser leur systegraveme juridique de maniegravere agrave

permettre la majoration agrave un taux standard drsquoimpocircts illeacutegalement impayeacutes ndash

quand bien mecircme une telle mesure serait qualifieacutee en elle-mecircme de

laquo peacutenale raquo pour les besoins des garanties drsquoeacutequiteacute du procegraves preacutevues dans la

Convention ndash aussi dans les cas plus graves ougrave il y aurait peut-ecirctre lieu de

poursuivre lrsquoauteur du meacutefait parce qursquoun eacuteleacutement non retenu dans la

proceacutedure laquo administrative raquo en recouvrement des impocircts par exemple un

comportement frauduleux srsquoajouterait au deacutefaut de paiement Lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 a pour objet drsquoempecirccher lrsquoinjustice que repreacutesenterait pour

une personne le fait drsquoecirctre poursuivie ou punie deux fois pour le mecircme

comportement deacutelictueux Il ne bannit toutefois pas les systegravemes juridiques

qui traitent de maniegravere laquo inteacutegreacutee raquo le meacutefait neacutefaste pour la socieacuteteacute en

question notamment en reacuteprimant celui-ci dans le cadre de phases parallegraveles

meneacutees par des autoriteacutes diffeacuterentes agrave des fins diffeacuterentes

124 La Cour estime que la jurisprudence preacuteciteacutee portant sur les

proceacutedures parallegraveles ou mixtes creacuteeacutee avec les deacutecisions RT c Suisse et

Nilsson c Suegravede puis reprise dans lrsquoarrecirct Nykaumlnen et une seacuterie drsquoautres

affaires donne des indications utiles qui aident agrave deacutefinir ougrave se trouve le juste

44 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

eacutequilibre entre la preacuteservation neacutecessaire des inteacuterecircts de lrsquoindividu proteacutegeacutes

par le principe non bis in idem drsquoune part et la prise en compte de lrsquointeacuterecirct

particulier pour la socieacuteteacute de pouvoir reacuteglementer de maniegravere calibreacutee le

domaine en question drsquoautre part Cela dit avant de se pencher plus avant

sur les critegraveres pertinents agrave lrsquoaune desquels lrsquoeacutequilibre voulu peut ecirctre

meacutenageacute la Cour juge souhaitable de preacuteciser les conclusions agrave tirer de la

jurisprudence existante

125 Premiegraverement il faut conclure de lrsquoapplication du critegravere du laquo lien

mateacuteriel et temporel suffisamment eacutetroit raquo dans les affaires finlandaises et

sueacutedoises reacutecentes qursquoil ne sera pas satisfait agrave ce critegravere si lrsquoun ou lrsquoautre des

deux eacuteleacutements ndash mateacuteriel ou temporel ndash fait deacutefaut (paragraphe 114

ci-dessus)

126 Deuxiegravemement dans certaines affaires la Cour a drsquoabord rechercheacute

si et dans lrsquoaffirmative agrave quel moment lrsquoune des proceacutedures avait fait

lrsquoobjet drsquoune deacutecision laquo deacutefinitive raquo (faisant potentiellement obstacle agrave la

poursuite de lrsquoautre proceacutedure) avant drsquoappliquer le critegravere du laquo lien

suffisamment eacutetroit raquo et de reacutepondre par la neacutegative agrave la question du respect

de la condition de laquo bis raquo crsquoest-agrave-dire de conclure agrave lrsquoabsence de reacutepeacutetition

(Boman preacuteciteacute sectsect 36 agrave 38) Pour la Cour cependant la question du

caractegravere laquo deacutefinitif raquo ou non drsquoune deacutecision ne se pose pas degraves lors qursquoil y a

non pas une reacutepeacutetition des poursuites agrave proprement parler mais plutocirct une

combinaison de proceacutedures dont on peut consideacuterer qursquoelles forment un tout

inteacutegreacute

127 Troisiegravemement le point preacuteceacutedent a aussi une incidence sur les

preacuteoccupations exprimeacutees par certains des gouvernements intervenants agrave

savoir qursquoil ne faudrait pas exiger que les proceacutedures connexes deviennent

laquo deacutefinitives raquo au mecircme moment faute de quoi la personne concerneacutee

pourrait utiliser le principe non bis in idem agrave des fins de manipulation et

drsquoimpuniteacute Sur ce point la conclusion figurant au paragraphe 51 de lrsquoarrecirct

Nykaumlnen (preacuteciteacute) et dans un certain nombre drsquoarrecircts posteacuterieurs agrave savoir

que laquo lrsquoune et lrsquoautre des proceacutedures suivent leur propre cheminement et

prennent fin indeacutependamment lrsquoune de lrsquoautre raquo doit ecirctre consideacutereacutee comme

un constat de fait dans le reacutegime finlandais examineacute il nrsquoexistait pas de

lien suffisant drsquoun point de vue mateacuteriel entre la proceacutedure administrative et

la proceacutedure peacutenale alors qursquoelles avaient eacuteteacute conduites de maniegravere plus ou

moins simultaneacutee Lrsquoarrecirct Nykaumlnen est un exemple de cas ougrave lrsquoapplication

du critegravere du laquo lien mateacuteriel et temporel suffisant raquo va dans une certaine

direction en fonction des faits

128 Quatriegravemement pour des raisons similaires agrave celles exposeacutees

ci-dessus lrsquoordre dans lequel les proceacutedures sont conduites ne saurait ecirctre

un eacuteleacutement deacutecisif pour se prononcer sur le point de savoir si lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 permet des proceacutedures mixtes ou multiples (comparer avec

les deacutecisions preacuteciteacutees RT c Suisse ougrave un permis de conduire avait eacuteteacute

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 45

retireacute avant lrsquoouverture du procegraves peacutenal et Nilsson c Suegravede ougrave le retrait

eacutetait intervenu apregraves)

129 Enfin il ressort de certaines des affaires susmentionneacutees (Sergueiuml

Zolotoukhine Tomasović et Muslija eacutevoqueacutees au paragraphes 108 et 115

ci-dessus) pour autant que celles-ci concernaient une reacutepeacutetition de

proceacutedures dans lesquelles les objectifs et moyens employeacutes nrsquoeacutetaient pas

compleacutementaires (paragraphe 130 ci-dessous) que la Cour nrsquoeacutetait pas

disposeacutee agrave les examiner comme si elles avaient concerneacute des proceacutedures

parallegraveles ou mixtes susceptibles drsquoecirctre compatibles avec le principe ne bis

in idem comme dans les affaires RT c Suisse Nilsson et Boman

(paragraphe 113 ci-dessus)

130 Il ressort agrave lrsquoeacutevidence de cette analyse de la jurisprudence de la

Cour que srsquoagissant de faits punissables aussi bien sur le terrain du droit

peacutenal que sur celui du droit administratif la maniegravere la plus sucircre de veiller

au respect de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 consiste agrave preacutevoir agrave un stade

opportun une proceacutedure agrave un seul niveau permettant la reacuteunion des

branches parallegraveles du reacutegime leacutegal reacutegissant lrsquoactiviteacute en cause de faccedilon agrave

satisfaire dans le cadre drsquoun seul et mecircme processus aux diffeacuterents

impeacuteratifs poursuivis par la socieacuteteacute dans sa reacuteaction face agrave lrsquoinfraction

Toutefois ainsi qursquoil a eacuteteacute expliqueacute ci-dessus (notamment aux paragraphes

111 et 117 agrave 120) lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 nrsquoexclut pas la conduite de

proceacutedures mixtes mecircme jusqursquoagrave leur terme pourvu que certaines

conditions soient remplies En particulier pour convaincre la Cour de

lrsquoabsence de reacutepeacutetition de procegraves ou de peines (bis) proscrite par lrsquoarticle 4

du Protocole no 7 lrsquoEacutetat deacutefendeur doit eacutetablir de maniegravere probante que les

proceacutedures mixtes en question eacutetaient unies par un laquo lien mateacuteriel et

temporel suffisamment eacutetroit raquo Autrement dit il doit ecirctre deacutemontreacute que

celles-ci se combinaient de maniegravere agrave ecirctre inteacutegreacutees dans un tout coheacuterent

Cela signifie non seulement que les buts poursuivis et les moyens utiliseacutes

pour y parvenir doivent ecirctre en substance compleacutementaires et preacutesenter un

lien temporel mais aussi que les eacuteventuelles conseacutequences deacutecoulant drsquoune

telle organisation du traitement juridique du comportement en question

doivent ecirctre proportionneacutees et preacutevisibles pour le justiciable

131 Srsquoagissant des conditions agrave satisfaire pour que des proceacutedures

mixtes administratives et peacutenales puissent ecirctre regardeacutees comme preacutesentant

un lien mateacuteriel et temporel suffisant et donc comme compatibles avec le

critegravere de laquo bis raquo deacutecoulant de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 la Cour reacutesume

de la maniegravere suivante les consideacuterations pertinentes tireacutees de sa

jurisprudence telle qursquoexamineacutee ci-dessus

132 Les eacuteleacutements pertinents pour statuer sur lrsquoexistence drsquoun lien

suffisamment eacutetroit du point de vue mateacuteriel sont notamment les suivants

ndash le point de savoir si les diffeacuterentes proceacutedures visent des buts

compleacutementaires et concernent ainsi non seulement in abstracto mais aussi

46 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

in concreto des aspects diffeacuterents de lrsquoacte preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute en

cause

ndash le point de savoir si la mixiteacute des proceacutedures en question est une

conseacutequence preacutevisible aussi bien en droit qursquoen pratique du mecircme

comportement reacuteprimeacute (idem)

ndash le point de savoir si les proceacutedures en question ont eacuteteacute conduites drsquoune

maniegravere qui eacutevite autant que possible toute reacutepeacutetition dans le recueil et dans

lrsquoappreacuteciation des eacuteleacutements de preuve notamment gracircce agrave une interaction

adeacutequate entre les diverses autoriteacutes compeacutetentes faisant apparaicirctre que

lrsquoeacutetablissement des faits effectueacute dans lrsquoune des proceacutedures a eacuteteacute repris dans

lrsquoautre

ndash et surtout le point de savoir si la sanction imposeacutee agrave lrsquoissue de la

proceacutedure arriveacutee agrave son terme en premier a eacuteteacute prise en compte dans la

proceacutedure qui a pris fin en dernier de maniegravere agrave ne pas faire porter pour

finir agrave lrsquointeacuteresseacute un fardeau excessif ce dernier risque eacutetant moins

susceptible de se preacutesenter srsquoil existe un meacutecanisme compensatoire conccedilu

pour assurer que le montant global de toutes les peines prononceacutees est

proportionneacute

133 Agrave cet eacutegard il est eacutegalement instructif de tenir compte de la

maniegravere dont lrsquoarticle 6 de la Convention est appliqueacute dans le type drsquoaffaire

aujourdrsquohui examineacutee (Jussila preacuteciteacute sect 43)

laquo () il va de soi que certaines [proceacutedures peacutenales] ne comportent aucun caractegravere

infamant pour ceux qursquoelles visent et que les laquo accusations en matiegravere peacutenale raquo nrsquoont

pas toutes le mecircme poids De surcroicirct en adoptant une interpreacutetation autonome de la

notion drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo par application des critegraveres Engel les

organes de la Convention ont jeteacute les bases drsquoune extension progressive de

lrsquoapplication du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 agrave des domaines qui ne relegravevent pas

formellement des cateacutegories traditionnelles du droit peacutenal telles que les

contraventions administratives () les punitions pour manquement agrave la discipline

peacutenitentiaire () les infractions douaniegraveres () les sanctions peacutecuniaires infligeacutees

pour violation du droit de la concurrence () et les amendes infligeacutees par des

juridictions financiegraveres () Les majorations drsquoimpocirct ne faisant pas partie du noyau

dur du droit peacutenal les garanties offertes par le volet peacutenal de lrsquoarticle 6 ne doivent pas

neacutecessairement srsquoappliquer dans toute leur rigueur () raquo

Le raisonnement ci-dessus permet de deacutegager les eacuteleacutements pertinents

lorsqursquoil faut deacuteterminer si lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 a eacuteteacute respecteacute dans

les affaires de proceacutedures mixtes (administratives et peacutenales) De plus

comme la Cour lrsquoa deacutejagrave dit agrave de nombreuses reprises la Convention doit se

lire comme un tout et srsquointerpreacuteter de maniegravere agrave promouvoir sa coheacuterence

interne et lrsquoharmonie entre ses diverses dispositions (Klass et autres

c Allemagne 6 septembre 1978 sect 68 seacuterie A no 28 voir aussi Maaouia

c France [GC] no 3965298 sect 36 CEDH 2000-X Kudła c Pologne [GC]

no 3021096 sect 152 CEDH 2000-XI et Stec et autres c Royaume-Uni (deacutec)

[GC] nos 6573101 et 6590001 sect 48 CEDH 2005-X)

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 47

La mesure dans laquelle la proceacutedure administrative preacutesente les

caracteacuteristiques drsquoune proceacutedure peacutenale ordinaire est un eacuteleacutement important

Des proceacutedures mixtes satisferont plus vraisemblablement aux critegraveres de

compleacutementariteacute et de coheacuterence si les sanctions imposables dans la

proceacutedure non formellement qualifieacutee de laquo peacutenale raquo sont speacutecifiques au

comportement en question et ne font donc pas partie du laquo noyau dur du droit

peacutenal raquo (pour reprendre les termes de lrsquoarrecirct Jussila preacuteciteacute) Si agrave titre

additionnel cette proceacutedure nrsquoa pas de caractegravere veacuteritablement infamant il y

a moins de chances qursquoelle fasse peser une charge disproportionneacutee sur

lrsquoaccuseacute Agrave lrsquoinverse plus la proceacutedure administrative preacutesente de

caracteacuteristiques infamantes la rapprochant dans une large mesure drsquoune

proceacutedure peacutenale ordinaire plus les finaliteacutes sociales poursuivies par la

punition du comportement fautif dans des proceacutedures diffeacuterentes risquent de

se reacutepeacuteter (bis) au lieu de se compleacuteter Lrsquoissue des affaires mentionneacutees au

paragraphe 129 ci-dessus peut passer pour des illustrations de la

concreacutetisation drsquoun tel risque

134 De plus ainsi qursquoil a deacutejagrave eacuteteacute dit implicitement ci-dessus mecircme

lorsque le lien mateacuteriel est suffisamment solide la condition du lien

temporel demeure et doit ecirctre satisfaite Il ne faut pas en conclure pour

autant que les deux proceacutedures doivent ecirctre meneacutees simultaneacutement du deacutebut

agrave la fin LrsquoEacutetat doit avoir la faculteacute drsquoopter pour la conduite des proceacutedures

progressivement si ce proceacutedeacute se justifie par un souci drsquoefficaciteacute et de

bonne administration de la justice poursuit des finaliteacutes sociales diffeacuterentes

et ne cause pas un preacutejudice disproportionneacute agrave lrsquointeacuteresseacute Toutefois ainsi

qursquoil a deacutejagrave eacuteteacute preacuteciseacute il doit toujours y avoir un lien temporel Ce lien doit

ecirctre suffisamment eacutetroit pour que le justiciable ne soit pas en proie agrave

lrsquoincertitude et agrave des lenteurs et pour que les proceacutedures ne srsquoeacutetalent pas

trop dans le temps (voir comme exemple de lacune de ce type Kapetanios

et autres preacuteciteacute sect 67) mecircme dans lrsquohypothegravese ougrave le reacutegime national

pertinent preacutevoit un meacutecanisme laquo inteacutegreacute raquo comportant un volet

administratif et un volet peacutenal distincts Plus le lien temporel est teacutenu plus il

faudra que lrsquoEacutetat explique et justifie les lenteurs dont il pourrait ecirctre

responsable dans la conduite des proceacutedures

e) Sur le respect en lrsquoespegravece de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

i Le premier requeacuterant

135 Srsquoagissant du premier requeacuterant le bureau des impocircts lui appliqua

le 24 novembre 2008 une majoration drsquoimpocirct de 30 en vertu des

articles 10-2 1) et 10-4 1) de la loi fiscale au motif qursquoil avait omis dans sa

deacuteclaration fiscale pour lrsquoanneacutee 2002 3 259 342 NOK de revenus perccedilus agrave

lrsquoeacutetranger (paragraphe 16 ci-dessus) Le premier requeacuterant nrsquoayant pas

attaqueacute cette deacutecision celle-ci devint deacutefinitive au plus tocirct au bout de trois

semaines agrave lrsquoexpiration du deacutelai de recours (paragraphe 143 ci-dessous) Il

48 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

fut aussi poursuivi peacutenalement pour la mecircme omission dans sa deacuteclaration

fiscale pour 2002 le 14 octobre 2008 il fut inculpeacute et le 2 mars 2009 le

tribunal de Follo le reconnut coupable de fraude fiscale aggraveacutee et le

condamna agrave un an drsquoemprisonnement pour violation de lrsquoarticle 12-1 1)a)

cf section 12-2 de la loi fiscale (paragraphes 15 et 17 ci-dessus) La cour

drsquoappel le deacutebouta (paragraphe 19 ci-dessus) de mecircme que le 27 novembre

2010 la Cour suprecircme (paragraphes 20 agrave 30 ci-dessus)

α) Lrsquoapplication drsquoune majoration drsquoimpocirct eacutetait-elle de nature peacutenale

136 Dans le droit fil de ce qursquoelle a dit au paragraphe 107 ci-dessus la

Cour recherchera si la proceacutedure drsquoapplication de la majoration drsquoimpocirct de

30 pouvait sur la base des critegraveres Engel ecirctre qualifieacutee de laquo peacutenale raquo

pour les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

137 Agrave cet eacutegard la Cour note que la Cour suprecircme a eacuteteacute attentive agrave

lrsquoeacutevolution progressive du droit de la Convention dans ce domaine et srsquoest

efforceacutee de tenir compte des eacutevolutions de la jurisprudence de la Cour dans

ses propres deacutecisions en matiegravere de leacutegislation fiscale (paragraphes 44-47

ci-dessus) Ainsi en 2002 la Cour suprecircme a dit pour la premiegravere fois

qursquoune majoration drsquoimpocirct de 30 constituait une laquo accusation en matiegravere

peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 de la Convention Elle a eacutegalement jugeacute

contrairement agrave ses deacutecisions anteacuterieures qursquoune majoration drsquoimpocirct de

60 revecirctait un caractegravere peacutenal aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 En

2004 et en 2006 elle a estimeacute qursquoil en allait de mecircme de la majoration

drsquoimpocirct de 30

138 Dans des affaires comparables concernant la Suegravede (majorations

drsquoimpocirct agrave des taux de 40 et 20 ) la Cour a jugeacute que les proceacutedures en

question eacutetaient laquo peacutenales raquo pour les besoins non seulement de lrsquoarticle 6 de

la Convention (Janosevic c Suegravede no 3461997 sectsect 68-71 CEDH 2002-VII

et Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic c Suegravede no 3698597 sectsect 79-82

23 juillet 2002) mais aussi de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 (Manasson

c Suegravede (deacutec) no 4126598 8 avril 2003 Rosenquist deacutecision preacuteciteacutee

Synnelius et Edsbergs Taxi AB c Suegravede (deacutec) no 4429802 17 juin 2008

Carlberg c Suegravede (deacutec) no 963104 27 janvier 2009 et Lucky Dev preacuteciteacute

sectsect 6 et 51)

139 Dans ces conditions la Cour ne voit aucune raison de revenir sur la

conclusion de la Cour suprecircme (paragraphes 22 agrave 25 ci-dessus) selon

laquelle la proceacutedure qui a conduit agrave lrsquoimposition au premier requeacuterant

drsquoune majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire de 30 revecirctait un caractegravere

laquo peacutenal raquo au sens autonome donneacute agrave ce terme sur le terrain de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 49

β) Les infractions peacutenales pour lesquelles le premier requeacuterant a eacuteteacute poursuivi

eacutetaient-elles les mecircmes que celles pour lesquelles une majoration drsquoimpocirct

lui a eacuteteacute appliqueacutee (idem)

140 Ainsi qursquoil a eacuteteacute dit ci-dessus (paragraphe 128) la protection

qursquooffre le principe non bis in idem ne deacutepend pas de lrsquoordre dans lequel les

proceacutedures sont respectivement conduites crsquoest le lien entre les deux

infractions qui compte (Franz Fischer c Autriche no 3795097 sect 29

29 mai 2001 et les arrecircts et deacutecisions preacuteciteacutes Storbraringten Mjelde ainsi que

Haarvig Ruotsalainen et Kapetanios et autres)

141 Appliquant aux faits de lrsquoespegravece lrsquoapproche harmoniseacutee exposeacutee

dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine (preacuteciteacute sectsect 82-84) la Cour suprecircme a

conclu que les circonstances factuelles sur lesquelles reposaient la

majoration drsquoimpocirct et la condamnation peacutenale ndash crsquoest-agrave-dire dans les deux

cas lrsquoomission dans la deacuteclaration fiscale de certaines informations

concernant des revenus ndash eacutetaient suffisamment similaires pour satisfaire agrave la

condition susmentionneacutee (paragraphe 21 ci-dessus) Les parties ne le

contestent pas et malgreacute lrsquoeacuteleacutement factuel suppleacutementaire de fraude qui

caracteacuterise lrsquoinfraction peacutenale la Cour ne voit aucune raison de conclure

autrement

γ) Y a-t-il eu une deacutecision deacutefinitive

142 Pour ce qui est de savoir si au cours de la proceacutedure de majoration

drsquoimpocirct une deacutecision laquo deacutefinitive raquo susceptible de faire obstacle agrave des

poursuites peacutenales a eacuteteacute prise (Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 107-108)

la Cour renvoie agrave son analyse ci-dessus Eacutetant convaincue agrave lrsquoissue de son

examen ci-dessous de lrsquoexistence drsquoun lien mateacuteriel et temporel suffisant

entre la proceacutedure fiscale et la proceacutedure peacutenale pour que celles-ci puissent

ecirctre regardeacutees comme formant une solution juridique inteacutegreacutee reacutepondant au

comportement du premier requeacuterant elle nrsquoestime pas neacutecessaire

drsquoexaminer plus avant la question du caractegravere deacutefinitif de la proceacutedure

fiscale en elle-mecircme Agrave ses yeux la circonstance que la premiegravere proceacutedure

a eacuteteacute clocirctureacutee de maniegravere laquo deacutefinitive raquo avant la seconde nrsquoa aucune

incidence sur lrsquoexamen ci-dessous de lrsquoarticulation entre elles deux

(paragraphe 126 ci-dessus)

143 Point nrsquoest donc besoin pour la Cour de donner son avis sur

lrsquoanalyse faite par la Cour suprecircme de la question de savoir si la premiegravere

deacutecision du 24 novembre 2008 eacutetait devenue deacutefinitive agrave lrsquoexpiration du

deacutelai de recours administratif de trois semaines ou agrave celle du deacutelai de

recours judiciaire de six mois (paragraphe 27 ci-dessus)

δ) Y a-t-il eu reacutepeacutetition de poursuites (bis)

144 Les autoriteacutes nationales compeacutetentes ont jugeacute que le comportement

reacutepreacutehensible du premier requeacuterant appelait deux reacuteponses une sanction

administrative au titre du chapitre 10 de la loi fiscale consacreacute aux

50 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

majorations drsquoimpocirct et une sanction peacutenale au titre du chapitre 12 de cette

mecircme loi (paragraphes 15 16 et 41-43 ci-dessus) chacune ayant une

finaliteacute diffeacuterente Comme la Cour suprecircme lrsquoa expliqueacute dans ses arrecircts

rendus en mai 2002 (paragraphe 46 ci-dessus) la sanction administrative

que constitue la majoration drsquoimpocirct a une finaliteacute geacuteneacuterale de dissuasion en

reacuteaction agrave la communication par le contribuable peut-ecirctre innocemment de

deacuteclarations ou informations inexactes ou incomplegravetes et elle vise aussi agrave

compenser les ressources humaines et financiegraveres consideacuterables consacreacutees

par les autoriteacutes fiscales pour le compte de la collectiviteacute aux controcircles et

veacuterifications destineacutes agrave repeacuterer les deacuteclarations erroneacutees Lrsquoobjectif est que

les personnes ayant communiqueacute des informations incomplegravetes ou inexactes

supportent ces coucircts dans une certaine mesure Le calcul de lrsquoimpocirct est une

opeacuteration massive qui fait intervenir des millions de citoyens Pour la Cour

suprecircme la majoration drsquoimpocirct ordinaire a avant tout pour but drsquoinciter le

contribuable agrave respecter son obligation de fournir des informations

complegravetes et exactes et de renforcer les fondations du systegraveme fiscal

national condition indispensable au bon fonctionnement de lrsquoEacutetat et

partant de la socieacuteteacute Comme lrsquoa dit la Cour suprecircme une condamnation

peacutenale au titre du chapitre 12 en revanche poursuit des fins non seulement

dissuasives mais aussi reacutepressives srsquoagissant de la mecircme omission

preacutejudiciable pour la socieacuteteacute et comporte un eacuteleacutement additionnel de fraude

deacutelictueuse

145 Crsquoest ainsi que agrave la suite drsquoun controcircle fiscal conduit en 2005 le

fisc porta plainte au peacutenal contre le premier requeacuterant et drsquoautres personnes

agrave lrsquoautomne 2007 (paragraphe 13 ci-dessus) En deacutecembre 2007 lrsquointeacuteresseacute

fut interrogeacute en tant qursquoaccuseacute et deacutetenu pendant quatre jours

(paragraphe 14 ci-dessus) En aoucirct 2008 srsquoappuyant notamment sur les

conclusions de lrsquoenquecircte peacutenale le fisc lrsquoavisa qursquoil allait le redresser

notamment pour lrsquoanneacutee 2002 au motif qursquoil avait omis de deacuteclarer

3 259 341 NOK Cet avis reposait sur les conclusions du controcircle fiscal de

la socieacuteteacute Software Innovation AS meneacute par le fisc sur lrsquoenquecircte peacutenale

conseacutecutive et sur la deacuteposition faite par le premier requeacuterant au cours de

cette enquecircte (paragraphe 16 ci-dessus) En octobre 2008 le premier

requeacuterant fut inculpeacute drsquoinfractions fiscales par Oslashkokrim Par une deacutecision du

24 novembre 2008 le fisc ordonna son redressement et le versement par lui

de la majoration drsquoimpocirct en question Cette deacutecision eacutetait notamment fondeacutee

sur les deacutepositions faites par les premier et second requeacuterants lors

drsquointerrogatoires meneacutes au cours de lrsquoenquecircte peacutenale Un peu plus de deux

mois plus tard le 2 mars 2009 le tribunal de Follo condamna lrsquointeacuteresseacute

pour fraude fiscale au motif qursquoil avait omis le montant susmentionneacute dans

sa deacuteclaration fiscale pour lrsquoanneacutee 2002 Pour la Cour il est

particuliegraverement important de constater que conformeacutement aux principes

geacuteneacuteraux du droit national en matiegravere de fixation des peines (paragraphe 50

ci-dessus) ledit tribunal a prononceacute la peine drsquoun an drsquoemprisonnement en

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 51

tenant compte de ce que le premier requeacuterant avait deacutejagrave eacuteteacute lourdement

sanctionneacute par lrsquoapplication de la majoration drsquoimpocirct (paragraphe 17 ci-

dessus comparer avec les arrecircts preacuteciteacutes Kapetanios et autres sect 66 ougrave les

juridictions administratives avaient imposeacute des amendes administratives

sans tenir compte de lrsquoacquittement des requeacuterants agrave lrsquoissue des proceacutedures

peacutenales anteacuterieures relatives au mecircme comportement et Nykaumlnen ougrave la

Cour a conclu agrave lrsquoabsence de lien mateacuteriel suffisant entre les deux

proceacutedures)

146 Dans ces conditions la Cour conclut premiegraverement qursquoelle nrsquoa

aucune raison de mettre en doute les motifs pour lesquels le leacutegislateur

norveacutegien a choisi de reacuteprimer au moyen drsquoune proceacutedure mixte

(administrative et peacutenale) inteacutegreacutee le comportement preacutejudiciable agrave la

socieacuteteacute consistant agrave ne pas payer ses impocircts non plus que ceux pour

lesquels les autoriteacutes norveacutegiennes compeacutetentes ont deacutecideacute agrave lrsquoeacutegard du

premier requeacuterant de traiter seacutepareacutement lrsquoeacuteleacutement de fraude plus grave et

plus reacutepreacutehensible socialement dans le cadre drsquoune proceacutedure peacutenale plutocirct

que dans celui drsquoune proceacutedure administrative ordinaire

Deuxiegravemement la conduite de proceacutedures mixtes avec une possibiliteacute de

cumul de diffeacuterentes peines eacutetait preacutevisible par le premier requeacuterant qui

degraves le deacutebut nrsquoeacutetait pas censeacute ignorer que des poursuites peacutenales srsquoajoutant agrave

une majoration drsquoimpocirct eacutetaient de lrsquoordre du possible voire du probable

compte tenu du dossier (paragraphes 13 et 16 ci-dessus)

Troisiegravemement il semble clair que comme lrsquoa dit la Cour suprecircme les

proceacutedures administrative et peacutenale ont eacuteteacute conduites en parallegravele et eacutetaient

imbriqueacutees (paragraphe 29 ci-dessus) Les faits eacutetablis dans le cadre de

lrsquoune de ces proceacutedures ont eacuteteacute repris dans lrsquoautre et pour ce qui est de la

proportionnaliteacute de la peine globale la sanction peacutenale a tenu compte de la

majoration drsquoimpocirct (paragraphe 17 ci-dessus)

147 Compte tenu des faits porteacutes agrave sa connaissance la Cour conclut que

rien nrsquoindique que le premier requeacuterant ait subi un preacutejudice disproportionneacute

ou une injustice en conseacutequence de la reacuteponse juridique inteacutegreacutee deacutenonceacutee

par lui apporteacutee agrave son absence de deacuteclaration de certains revenus et au

non-paiement de certains de ses impocircts Aussi eu eacutegard aux consideacuterations

exposeacutees ci-dessus (et notamment celles reacutesumeacutees aux

paragraphes 132-134) la Cour est-elle convaincue que si des sanctions

diffeacuterentes ont eacuteteacute imposeacutees par deux autoriteacutes diffeacuterentes lors de

proceacutedures diffeacuterentes il existait neacuteanmoins entre celles-ci un lien tant

mateacuteriel que temporel suffisamment eacutetroit pour les consideacuterer comme

srsquoinscrivant dans le meacutecanisme inteacutegreacute de sanctions preacutevu par le droit

norveacutegien dans le cas ougrave une omission drsquoinformations sur certains revenus

dans une deacuteclaration fiscale conduit agrave une erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct

(paragraphe 21 ci-dessus)

52 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

ii Le second requeacuterant

148 Pour ce qui est du second requeacuterant reprenant le raisonnement

suivi par la Cour suprecircme dans lrsquoarrecirct concernant le premier requeacuterant la

cour drsquoappel jugea premiegraverement que la deacutecision prise le 5 deacutecembre 2008

par le fisc ordonnant agrave lrsquointeacuteresseacute de payer une majoration drsquoimpocirct de 30

srsquoanalysait bien en lrsquoimposition drsquoune sanction laquo peacutenale raquo au sens de

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 elle dit deuxiegravemement que la deacutecision eacutetait

devenue laquo deacutefinitive raquo le 26 deacutecembre 2008 date drsquoexpiration du deacutelai de

recours et troisiegravemement que la deacutecision de majoration drsquoimpocirct et la

condamnation peacutenale ulteacuterieure se rapportaient aux mecircmes faits (paragraphe

37 ci-dessus) Comme dans le cas du premier requeacuterant la Cour ne voit

aucune raison de conclure autrement sur les premier et troisiegraveme points non

plus que la neacutecessiteacute de se prononcer sur le deuxiegraveme

149 Srsquoagissant de la question qui se pose ensuite crsquoest-agrave-dire celle de

savoir srsquoil y a eu ou non une reacutepeacutetition des poursuites (bis) incompatible

avec le Protocole no 7 la Cour relegraveve que comme agrave lrsquoeacutegard du premier

requeacuterant (paragraphe 144 ci-dessus) les autoriteacutes compeacutetentes ont jugeacute

qursquoune proceacutedure mixte se justifiait dans le cas du second requeacuterant

150 Quant au deacuteroulement preacutecis des proceacutedures en cause agrave la suite du

controcircle conduit par lui en 2005 le fisc porta plainte au peacutenal aupregraves

drsquoOslashkokrim agrave lrsquoautomne 2007 contre le second requeacuterant (comme il lrsquoavait

fait contre le premier requeacuterant et drsquoautres personnes) au motif que

lrsquointeacuteresseacute nrsquoavait pas deacuteclareacute 4 561 881 NOK (soit environ 500 000 EUR)

de revenus pour lrsquoanneacutee fiscale 2002 (paragraphe 31 ci-dessus) Le

16 octobre 2008 srsquoappuyant en particulier sur le controcircle fiscal sur la

deacuteposition faite par le second requeacuterant au cours de lrsquoenquecircte peacutenale en

question ainsi que sur les documents saisis par Oslashkokrim lors de lrsquoenquecircte le

bureau des impocircts avisa lrsquointeacuteresseacute qursquoil envisageait de le redresser

fiscalement au motif que celui-ci avait omis de deacuteclarer lesdits revenus et

drsquoappliquer agrave son eacutegard une majoration drsquoimpocirct (paragraphe 32 ci-dessus)

Le 11 novembre 2008 le parquet inculpa le second requeacuterant de fraude

fiscale pour lrsquoomission par celui-ci du montant susmentionneacute ce qui

repreacutesentait 1 302 526 NOK drsquoimpocircts agrave payer et pria le tribunal drsquoOslo de

rendre un jugement sommaire fondeacute sur ses aveux (paragraphe 33

ci-dessus) Le 5 deacutecembre 2008 date agrave laquelle le bureau des impocircts

ordonna au second requeacuterant au titre du redressement de verser ce montant

ainsi que la majoration drsquoimpocirct en question la proceacutedure peacutenale eacutetait deacutejagrave

bien avanceacutee (paragraphe 32 ci-dessus)

Ainsi il ressort des eacuteleacutements ci-dessus que depuis la plainte dont le fisc

avait saisi la police agrave lrsquoautomne 2007 et jusqursquoagrave la deacutecision de majoration

drsquoimpocirct prise le 5 deacutecembre 2008 la proceacutedure peacutenale et la proceacutedure

fiscale ont eacuteteacute conduites en parallegravele et eacutetaient imbriqueacutees Cette situation

est similaire agrave celle du premier requeacuterant

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 53

151 Il est vrai que comme lrsquoa releveacute la cour drsquoappel la peacuteriode de neuf

mois seacuteparant la date agrave laquelle la deacutecision prise par le fisc le 5 deacutecembre

2008 eacutetait devenue deacutefinitive et la date de la condamnation du second

requeacuterant par le tribunal drsquoOslo (le 30 septembre 2009) ndash eacutetait un peu plus

longue que la peacuteriode de deux mois et demi eacutecouleacutee dans le procegraves du

premier requeacuterant Toutefois comme la cour drsquoappel lrsquoa eacutegalement indiqueacute

(paragraphe 39 ci-dessus) cela srsquoexpliquait par la reacutetractation du second

requeacuterant en feacutevrier 2009 en conseacutequence de laquelle il avait fallu

lrsquoinculper de nouveau le 29 mai 2009 et le juger dans le cadre drsquoun procegraves

contradictoire ordinaire (paragraphes 34 et 35 ci-dessus) Cette circonstance

reacutesultat drsquoun revirement du second requeacuterant ne saurait suffire en

elle-mecircme agrave rompre le lien temporel unissant la proceacutedure fiscale et la

proceacutedure peacutenale En particulier le laps de temps suppleacutementaire qui srsquoeacutetait

eacutecouleacute avant lrsquoaudience au peacutenal ne saurait passer pour disproportionneacute ou

deacuteraisonnable agrave en juger par sa cause Il demeure et crsquoest ce qui importe

que comme dans le cas du premier requeacuterant la juridiction de jugement a

fixeacute la peine lors du procegraves peacutenal en tenant effectivement compte de la

majoration drsquoimpocirct (paragraphe 35 ci-dessus)

152 Degraves lors srsquoagissant du second requeacuterant la Cour ne voit pas non

plus de raison de mettre en doute les motifs pour lesquels les autoriteacutes

norveacutegiennes ont choisi de reacuteprimer au moyen drsquoune proceacutedure mixte

(administrative et peacutenale) inteacutegreacutee le comportement reacutepreacutehensible en cause

La possibiliteacute drsquoun cumul de diffeacuterentes peines eacutetait forceacutement preacutevisible au

vu des circonstances (paragraphes 13 et 32 ci-dessus) La proceacutedure

administrative et la proceacutedure peacutenale ont eacuteteacute conduites dans une large

mesure en parallegravele et elles eacutetaient imbriqueacutees (paragraphe 39 ci-dessus) Lagrave

encore les faits eacutetablis dans le cadre de lrsquoune de ces proceacutedures ont eacuteteacute

repris dans lrsquoautre et pour ce qui est de la proportionnaliteacute de la peine

globale la sanction peacutenale a eacuteteacute fixeacutee en tenant compte de la sanction

administrative (paragraphes 33 et 35 ci-dessus)

153 Compte tenu des faits porteacutes agrave sa connaissance la Cour conclut que

rien nrsquoindique que le second requeacuterant ait subi un preacutejudice disproportionneacute

ou une injustice en conseacutequence de la reacuteponse juridique inteacutegreacutee deacutenonceacutee

par lui apporteacutee agrave son absence de deacuteclaration de certains revenus et au non-

paiement de certains de ses impocircts Aussi eu eacutegard aux consideacuterations

exposeacutees ci-dessus (et notamment celles reacutesumeacutees aux

paragraphes 132-134) la Cour conclut-elle qursquoil existait entre la deacutecision de

majoration drsquoimpocirct et la condamnation peacutenale ulteacuterieure un lien tant

mateacuteriel que temporel suffisamment eacutetroit pour consideacuterer que ces mesures

srsquoinscrivaient dans le meacutecanisme inteacutegreacute de sanctions preacutevu par le droit

norveacutegien dans le cas ougrave une omission drsquoinformations dans une deacuteclaration

fiscale conduit agrave une erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct

54 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

iii Conclusion geacuteneacuterale

154 Au vu de ce qui preacutecegravede aucun des deux requeacuterants ne peut passer

pour avoir eacuteteacute laquo poursuivi ou puni peacutenalement () en raison drsquoune

infraction pour laquelle il a[vait] deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute ou condamneacute par un

jugement deacutefinitif raquo au meacutepris de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 La Cour

conclut degraves lors agrave la non-violation de cette disposition en lrsquoespegravece et ce agrave

lrsquoeacutegard du premier requeacuterant comme du second

PAR CES MOTIFS LA COUR

1 Deacuteclare agrave lrsquounanimiteacute les requecirctes recevables

2 Dit par seize voix contre une qursquoil nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 4

du Protocole no 7 agrave la Convention dans le chef du premier et du second

requeacuterant

Fait en franccedilais et en anglais puis prononceacute en audience publique au

Palais des droits de lrsquohomme agrave Strasbourg le 15 novembre 2016

Lawrence Early Guido Raimondi

Jurisconsulte Preacutesident

Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la

Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute de lrsquoopinion seacutepareacutee du juge

Pinto de Albuquerque

GR

TLE

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 55

OPINION DISSIDENTE

DU JUGE PINTO DE ALBUQUERQUE

Table des matiegraveres

I ndash Introduction

Premiegravere partie

II - Fondements du principe ne bis in idem

A Bref rappel historique

a) Lrsquoeacutepoque romaine

b) Les Lumiegraveres

B Un principe de droit international coutumier

a) La consolidation universelle du principe

b) La consolidation europeacuteenne du principe

III - Les deacutefis contemporains du ne bis in idem

A Infractions administratives et politique peacutenale agrave deux vitesses

a) La tendance vers la politique de deacutepeacutenalisation

b) Lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk et la laquo peacutenalisation raquo des infractions mineures

B Les majorations drsquoimpocirct comme instrument de politique peacutenale

a) La nature peacutenale des majorations drsquoimpocirct

b) Lrsquoarrecirct Jussila et la ligne de deacutemarcation entre malum in se et

malum quia prohibitum

Seconde Partie

IV - Lrsquoheacuteritage pro persona de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine

A Le cumul des sanctions administratives et peacutenales

a) Lrsquoidem factum dans les proceacutedures administratives et peacutenales

b) La deacutecision deacutefinitive dans les proceacutedures administratives

B Les proceacutedures parallegraveles administratives et peacutenales (bis)

a) Un lien temporel suffisant

b) Un lien mateacuteriel suffisant

V - La reacutevision de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine

A La restriction de lrsquoidem factum par le critegravere du bis

a) La poursuite de buts diffeacuterents traitant drsquoaspects diffeacuterents de lrsquoacte

preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute

b) La preacutevisibiliteacute du cumul des diffeacuterentes sanctions

B La conception pro auctoritate du ne bis in idem de la majoriteacute

a) Absence de reacutepeacutetition de la collecte et de lrsquoappreacuteciation des preuves

b) Meacutecanisme de compensation entre les sanctions administratives et

peacutenales

VI ndash Conclusion

56 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

I ndash Introduction

1 Je ne peux souscrire ni au raisonnement ni aux conclusions de la

majoriteacute dans la preacutesente affaire Bien que cette affaire concerne

speacutecifiquement le cumul de majorations drsquoimpocirct appliqueacutees dans des

proceacutedures fiscales et de sanctions appliqueacutees en parallegraveles dans des

proceacutedures peacutenales la Grande Chambre a deacutelibeacutereacutement eacutetendu la porteacutee de

lrsquoespegravece au problegraveme juridique plus geacuteneacuteral des laquo proceacutedures peacutenales et

administratives mixtes raquo1 Le but eacutevident de la Grande Chambre est drsquoeacutetablir

un principe de droit europeacuteen des droits de lrsquohomme applicable agrave toutes les

affaires de cumul de proceacutedures peacutenale et administrative Le problegraveme est

que le raisonnement de la Grande Chambre est bacirccleacute La description

impreacutecise des conditions requises pour le cumul des sanctions

administrative et peacutenale et lrsquoapplication superficielle de ces conditions au

cadre juridique et agrave la pratique norveacutegiens laissent une impression

persistante de leacutegegravereteacute dans la motivation

2 Dans la premiegravere partie de cette opinion je traiterai des fondements

oublieacutes du principe ne bis in idem crsquoest-agrave-dire ses racines historiques en

tant que garantie individuelle et sa reconnaissance progressive comme

principe de droit international coutumier Par la suite je preacutesenterai les deacutefis

contemporains auxquels fait face ce principe dans le champ des infractions

administratives et particuliegraverement des infractions fiscales et la reacuteponse

heacutesitante de la part de la Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme (laquo la

Cour raquo) Dans la seconde partie de lrsquoopinion jrsquoeacutevaluerai lrsquoheacuteritage pro

persona de lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine2 et confronterai la posture pro

auctoritate de la majoriteacute dans la preacutesente affaire avec les solutions reacutecentes

de la Cour et de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne dans le champ des

infractions fiscales3 des infractions boursiegraveres4 et des infractions

douaniegraveres5 Enfin je deacutemontrerai les lacunes de la solution de la majoriteacute

en me fondant sur une discussion en profondeur des buts et des eacuteleacutements des

infractions peacutenales et administratives en jeu des diffeacuterentes regravegles de

preuve applicables en droit administratif et en droit peacutenal norveacutegien et des

traits speacutecifiques du meacutecanisme de compensation que fourniraient le droit

interne substantiel et la jurisprudence Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede je

conclurai qursquoil y a eu une violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

1 Voir le paragraphe 132 crucial de lrsquoarrecirct

2 Sergueiuml Zolotoukhine c Russie [GC] ndeg 1493903 sectsect 82 et 84 CEDH 2009

3 Hans Aringkeberg Fransson (C-617frasl10 arrecirct de la Grande Chambre de la CJUE 26 feacutevrier

2013 et Lucky Dev c Suegravede ndeg 735610 sect 58 27 novembre 2014

4 Grande Stevens et autres c Italie nos 1864010 1864710 1866310 1866810 et

1869810 4 mars 2014

5 Kapetanios et autres c Gregravece nos 345312 4294112 et 902813 sect72 30 avril 2015 et

Sismanidis et Sitaridis c Gregravece nos 6660209 et 7187912 9 juin 2016

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 57

Premiegravere partie

II - Fondements du principe ne bis in idem

A Bref rappel historique

a) Lrsquoeacutepoque romaine

3 La maxime ne bis in idem eacutetait respecteacutee durant la Reacutepublique

romaine et le Principat bien que fussent preacutevues certaines exceptions tireacutees

de nouvelles proceacutedures pour les mecircmes crimes contre des accuseacutes deacutejagrave

acquitteacutes6 Initialement durant la peacuteriode des legis actiones la maxime

signifiait que bis de eadem res ne sic actio agrave savoir que le deacuteclenchement

drsquoune certaine action avait pour conseacutequence lrsquoextinction du droit respectif

qui entravait le deacuteclenchement de nouvelles actiones mecircme lorsqursquoaucune

deacutecision sur le fond nrsquoavait eacuteteacute rendue Pour limiter lrsquoimpact de cette

maxime lrsquoexceptio rei judiciatae fut introduite qui eacutetait deacutependante drsquoune

deacutecision preacutealable sur le fond Lrsquoexceptio faisait obstacle au bis in eadem

sans consideacuteration pour le fait que le jugement preacutealable ait abouti agrave un

acquittement ou une condamnation Dans les deux cas lrsquoautoritas rerum

judicatarum emportait extinction de lrsquoaction peacutenale La porteacutee de cette

maxime eacutetait limiteacutee par lrsquoobjet de lrsquoaction peacutenale preacutealable tantum

consumptum quantum judiciatum tantum judiciatum quantum litigatum

Lrsquoeadem quaestio eacutetait deacutefinie par le mecircme fait idem factum7

4 Dans le droit justinien la preacutesomption de veacuteriteacute des deacutecisions des

juridictions devint la nouvelle logique de la maxime Ulpien fut le premier agrave

formuler la maxime res iudicata pro veritate accipitur (D 50 17 207)

Avec lrsquoeacutemergence de la proceacutedure inquisitoire et du raisonnement juridique

syllogistique la logique de la codification impeacuteriale ndash lrsquoautoriteacute de la

juridiction et lrsquoinfaillibiliteacute de ses conclusions ndash eut un impact neacutegatif sur la

dimension individuelle de la maxime Dans la logique de la nouvelle

proceacutedure inquisitoire la reacuteouverture autrefois exceptionnelle drsquoune

proceacutedure peacutenale pour les mecircmes faits en droit romain devint un simple

exemple de la maxime absolutio pro nunc rebus sic stantibus qui en fait

reconnaissait la nature transitoire du jugement peacutenal dans la poursuite de la

6 Sur le deacutebat historique voir Laurens De lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee consideacutereacutee comme

mode drsquoextinction de lrsquoaction publique Paris 1885 Mommsen Roumlmisches Strafrecht

Aaalen 1899 Arturo Rocco Trattato della Cosa Giudicata Come Causa di Estinzione

dellrsquoAzione Penale Rome 1900 Danan La regravegle non bis in idem en droit peacutenal franccedilais

Rennes 1971 Spinellis Die materielle Rechtskraft des Strafurteils Munich 1962

Mansdoumlrfer Das Prinzip des ne bis in idem im europaumlischen Strafrecht Berlin 2004 et

Lelieur-Fischer La regravegle ne bis in idem Du principe de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee au

principe drsquouniciteacute drsquoaction reacutepressive Eacutetude agrave la lumiegravere des droits franccedilais allemand et

europeacuteen Paris 2005

7 Laurens preacuteciteacute p 50-51 Arturo Rocco preacuteciteacute p 76 et Mommsen preacuteciteacute p 450

58 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

veacuteriteacute Par exemple en France drsquoapregraves la regravegle du laquo plus amplement

informeacute raquo en lrsquoabsence de preuve empiriques de lrsquoinnocence de lrsquoaccuseacute

lrsquoacquittement avait une nature transitoire et pouvait ecirctre renverseacute agrave tout

moment par une nouvelle preuve incriminante La mecircme chose est apparue

en Italie ougrave lrsquoaccuseacute eacutetait acquitteacute de lrsquoobservation du tribunal (At in casu

quo reus absoluendus est ab observatione iudici) sous la reacuteserve laquo tant que

les choses restent telles qursquoelles sont raquo (stantibus rebus prout stant) la

proceacutedure pouvant ecirctre rouverte degraves lors que de nouvelles preuves

apparaissaient (supervenient nova indicia)

b) Les Lumiegraveres

5 Les Lumiegraveres renouvelegraverent la dimension individuelle du ne bis in

eadem qui fut incluse agrave lrsquoarticle 8 du chapitre V du titre II de la

Constitution franccedilaise de 1791 (laquo tout homme acquitteacute par un jury leacutegal ne

peut plus ecirctre repris ni accuseacute agrave raison du mecircme fait raquo) et aux articles 246 et

360 du Code drsquoinstruction criminelle de 1808 La conseacutequence pratique de

ces dispositions fut la suppression de la tristement ceacutelegravebre regravegle du laquo plus

amplement informeacute raquo De lrsquoautre cocircteacute de lrsquooceacutean Atlantique la mecircme anneacutee

le Cinquiegraveme Amendement agrave la Constitution des Eacutetats-Unis introduisit une

prohibition de la double incrimination dans la proceacutedure peacutenale (laquo nor shall

any person be subject for the same offense to be twice put in jeopardy of life

or limb raquo) qui comprend lrsquointerdiction des poursuites subseacutequentes agrave un

acquittement ou agrave une condamnation et des peines multiples pour la mecircme

infraction8 Lrsquoamendement visait agrave empecirccher un criminel aussi bien drsquoecirctre

puni deux fois pour la mecircme infraction que drsquoecirctre deux fois traduit en

justice pour celle-ci Lorsque la condamnation eacutetait invalideacutee pour une

erreur la peine deacutejagrave effectueacutee devait ecirctre entiegraverement laquo creacutediteacutee raquo agrave la peine

relative agrave une nouvelle condamnation pour la mecircme infraction9

B Un principe de droit international coutumier

a) La consolidation universelle du principe

6 Ainsi que le montre la pratique bien eacutetablie et quasi-universelle des

Eacutetats le fait que la preacuterogative eacutetatique de poursuivre juger et punir lrsquoauteur

drsquoun fait deacutelictueux srsquoeacuteteint (Strafklageverbrauch) lorsque celui-ci a eacuteteacute

acquitteacute ou reconnu coupable de lrsquoinfraction par une deacutecision deacutefinitive

adopteacutee dans une proceacutedure peacutenale (le principe de lrsquoeacutepuisement de la

proceacutedure ou Erledigungsprinzip) est un principe de droit international

coutumier10 Le principe est indeacutependant de toute condition relative agrave

8 North Carolina c Pearce 395 US 711 p 717 (1969)

9 Ibidem p 718

10 Pour la pratique constitutionnelle voir Bassiouni Human Rights in the Context of

Criminal Justice Identifying International Procedural Protection and Equivalent

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 59

lrsquoimposition de la peine ou agrave son exeacutecution Lorsque ce principe ne

srsquoapplique pas comme dans le cas de lrsquointerdiction du double chacirctiment

sans interdiction de nouvelles poursuites ou de nouveau jugement toute

sanction anteacuterieure doit ecirctre prise en consideacuteration dans lrsquoimposition de la

peine subseacutequente pour le mecircme fait (principe de deacuteduction ou

Anrechnungprinzip)

7 Le principe de lrsquoeacutepuisement de la proceacutedure (Erledigungsprinzip) est

affirmeacute par lrsquoarticle 14 (7) du Pacte international relatif aux droits civils et

politiques de 1966 (laquo poursuivi ou puni raquo) (laquo le PIDCP raquo)11 lrsquoarticle 8 (4)

de la Convention ameacutericaine relative aux droits de lrsquohomme de 1969 (laquo agrave

nouveau poursuivi raquo) lrsquoarticle 75 (4) h) du Protocole additionnel de 1977

aux Conventions de Genegraveve du 12 aoucirct 1949 relatif agrave la protection des

victimes des conflits armeacutes internationaux (laquo poursuivie ou punie raquo)

lrsquoarticle 10 (1) du Statut du Tribunal peacutenal international pour

lrsquoex-Yougoslavie de 1993 (laquo traduit raquo)12 lrsquoarticle 9 (1) du Statut du Tribunal

peacutenal international pour le Rwanda de 1994 (laquo traduit raquo)13 lrsquoarticle 20 (2)

du Statut de la Cour peacutenale internationale de 1998 (laquo condamneacute ou

acquitteacute raquo) et lrsquoarticle 9 (1) du Statut du Tribunal speacutecial pour la Sierra

Leone (laquo traduit raquo) de 200214 et lrsquoarticle 19 (1) de la Chartre Arabe des

droits de lrsquohomme de 2004 Lrsquoarticle 86 de la Troisiegraveme Convention de

Genegraveve de 1949 (laquo puni raquo) et lrsquoarticle 117 (3) de la Quatriegraveme Convention

de Genegraveve de 1949 (laquo puni raquo) ne vont pas aussi loin puisqursquoils nrsquointerdisent

qursquoune nouvelle peine mais ils ne font aucune reacutefeacuterence au principe de

deacuteduction

b) La consolidation europeacuteenne du principe

8 Au sein du Conseil de lrsquoEurope le principe ne bis in idem est

initialement apparu comme motif drsquoexclusion obligatoire ou optionnelle de

la coopeacuteration en matiegravere peacutenale entre Eacutetats Constituent des exemples de

Protections in National Constitutions 1993 3 Duke Journal of Comparative amp

International Law p 247

11 Voir lrsquoObservation Geacuteneacuterale du Comiteacute des droits de lrsquohomme ndeg32 article 14 Droit agrave

lrsquoeacutegaliteacute devant les tribunaux et les cours de justice et agrave un procegraves eacutequitable 23 aoucirct 2007

CCPRCGC32 sectsect 54-57

12 laquo Pour deacutecider de la peine agrave infliger agrave une personne condamneacutee pour un crime viseacute par

le preacutesent statut le Tribunal international tient compte de la mesure dans laquelle cette

personne a deacutejagrave purgeacute toute peine qui pourrait lui avoir eacuteteacute infligeacutee par une juridiction

nationale pour le mecircme fait raquo

13 laquo Pour deacutecider de la peine agrave infliger agrave une personne condamneacutee pour un crime viseacute par

le preacutesent statut le Tribunal international pour le Rwanda tient compte de la mesure dans

laquelle cette personne a deacutejagrave purgeacute toute peine qui pourrait lui avoir eacuteteacute infligeacutee par une

juridiction nationale pour le mecircme fait raquo

14 laquo Pour deacutecider de la peine agrave infliger agrave une personne condamneacutee pour un crime viseacute par

le preacutesent Statut le Tribunal speacutecial tient compte de la mesure dans laquelle cette personne

a deacutejagrave purgeacute une peine qui pourrait lui avoir eacuteteacute infligeacutee par une juridiction nationale pour

le mecircme fait raquo

60 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

cette approche limiteacutee lrsquoarticle 9 de la Convention europeacuteenne drsquoextradition

de 195715 lrsquoarticle 9 de la Convention europeacuteenne pour la reacutepression des

infractions routiegraveres de 196216 lrsquoarticle 2 du Protocole additionnel agrave la

Convention europeacuteenne drsquoextradition de 197517 lrsquoarticle 8 de la Convention

sur le transfegraverement des personnes condamneacutees de 198318 lrsquoarticle 2 (4) de

lrsquoAccord relatif au trafic illicite par mer de 1995 mettant en œuvre lrsquoarticle

17 de la Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupeacutefiants

et de substances psychotropes19 et lrsquoarticle 28 (1) f) de la Convention du

Conseil de lrsquoEurope relative au blanchiment au deacutepistage agrave la saisie et agrave la

confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme de

200520

9 Plus reacutecemment le principe de lrsquoeacutepuisement de la proceacutedure

(Erledigungsprinzip) a eacuteteacute affirmeacute par lrsquoarticle 53 de la Convention

europeacuteenne sur la valeur internationale des jugements reacutepressifs de 1970

(laquo ne peut pour le mecircme fait ecirctre poursuivie condamneacutee ou soumise agrave

lrsquoexeacutecution drsquoune sanction raquo)21 lrsquoarticle 35 de la Convention europeacuteenne sur

la transmission des proceacutedures reacutepressives de 1972 (laquo ne peut pour le mecircme

fait ecirctre poursuivie condamneacutee ou soumise agrave lrsquoexeacutecution drsquoune sanction raquo)

22 et lrsquoarticle 17 de la Convention europeacuteenne sur les infractions visant des

biens culturels de 1985 (laquo ne peut pour le mecircme fait ecirctre poursuivie

condamneacutee ou soumise agrave lrsquoexeacutecution drsquoune sanction raquo) 23 Dans ces cas de

figure lorsque le ne bis in idem ne srsquoapplique pas le principe de deacuteduction

doit ecirctre proteacutegeacute en tant que garantie de dernier ressort Lrsquoarticle 25 de la

Convention du Conseil de lrsquoEurope de 2005 sur la lutte contre la traite des

ecirctres humains eacutetablit seulement le principe de deacuteduction24

10 La Recommandation 791 (1976) de lrsquoAssembleacutee Parlementaire du

Conseil de lrsquoEurope sur la protection des droits de lrsquohomme en Europe

exhortait le Comiteacute des Ministres agrave laquo srsquoefforcer drsquoinseacuterer le plus grand

nombre possible de dispositions positives du Pacte des Nations Unies dans

la Convention europeacuteenne des Droits de lrsquoHomme raquo Lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 a ainsi eacuteteacute approuveacute en 198425 sous lrsquoinfluence directe de

15 STE ndeg 24

16 STE ndeg 52

17 STE ndeg 86

18 STE ndeg 112

19 STE ndeg 156

20 STCE ndeg 198

21 STE ndeg 70 Lorsque ce principe ne srsquoapplique pas lrsquoarticle 54 preacutevoit lrsquoapplication du

principe de deacuteduction pour les peines de prison

22 STE ndeg 73 Lorsque ce principe ne srsquoapplique pas lrsquoarticle 36 preacutevoit lrsquoapplication du

principe de deacuteduction pour les peines de prison

23 STE ndeg 119 Lorsque ce principe ne srsquoapplique pas lrsquoarticle 18 preacutevoit lrsquoapplication du

principe de deacuteduction pour les peines de prison

24 STCE ndeg 197

25 STE ndeg 117 Il est entreacute en vigueur le 1er novembre 1988

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 61

lrsquoarticle 17 (7) du PIDCP La nouveauteacute majeure eacutetait la nature non

susceptible de deacuterogation du principe europeacuteen

11 Au sein de lrsquoUnion europeacuteenne le principe de lrsquoeacutepuisement de la

proceacutedure (Erledigungsprinzip) est affirmeacute agrave lrsquoarticle 1 de la Convention

entre les Eacutetats membres des communauteacutes europeacuteennes relative agrave

lrsquoapplication du principe ne bis in idem de 1987 (laquo ne peut pour les mecircmes

faits ecirctre poursuivie raquo)26 lrsquoarticle 54 de la Convention drsquoapplication de

lrsquoAccord de Schengen (laquo la CAAS raquo) de 1990 (laquo ne peut pour les mecircmes

faits ecirctre poursuivie raquo)27 lrsquoarticle 7 de la Convention relative agrave la protection

des inteacuterecircts financiers des Communauteacutes europeacuteennes de 1995 (laquo ne peut

ecirctre poursuivie raquo)28 lrsquoarticle 10 de la Convention contre la corruption

impliquant des fonctionnaires communautaires ou nationaux de 1997 (laquo ne

peut ecirctre poursuivie raquo) 29 lrsquoarticle 2(1) du regraveglement de la Banque centrale

europeacuteenne no 21571999 concernant les pouvoirs de la Banque centrale

europeacuteenne en matiegravere de sanctions (laquo Il nrsquoy a lieu drsquoengager qursquoune seule

proceacutedure drsquoinfraction contre une mecircme entreprise sur la base des mecircmes

faits raquo) lrsquoarticle 50 de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion

europeacuteenne (laquo la Charte raquo) de 2000 (laquo poursuivi ou puni raquo) et lrsquoinitiative de

la Reacutepublique helleacutenique concernant lrsquoadoption par le Conseil drsquoun projet de

deacutecision-cadre relative agrave lrsquoapplication du principe non bis in idem de 2003

(laquo nul ne peut ecirctre poursuivi ou jugeacute deux fois pour les mecircmes actes raquo)30

12 La Charte a changeacute radicalement les obligations juridiques des Eacutetats

membres de lrsquoUnion europeacuteenne auxquels elle srsquoapplique Puisque le droit

de ne pas ecirctre poursuivi ou puni peacutenalement deux fois pour une mecircme

infraction est eacutetabli agrave lrsquoarticle 54 de la CAAS et agrave lrsquoarticle 50 de la Charte

lrsquoarticle 54 doit ecirctre interpreacuteteacute agrave la lumiegravere de lrsquoarticle 5031 Agrave la lumiegravere de

26 Lrsquoarticle 3 eacutetablit un principe de deacuteduction pour les peines de prison ainsi que pour les

peines non privatives de liberteacute

27 Lorsque ce principe ne srsquoapplique pas lrsquoarticle 56 preacutevoit lrsquoapplication du principe de

deacuteduction pour les peines de prison ainsi que pour les peines non privatives de liberteacute Les

articles 54 et 57 de la Convention drsquoapplication de lrsquoAccord de Schengen ont repris la

Convention entre les Eacutetats membres des communauteacutes europeacuteennes relative agrave lrsquoapplication

du principe ne bis in idem Le Traiteacute drsquoAmsterdam a incorporeacute le ne bis in idem dans le

troisiegraveme pilier Agrave partir de ce moment le principe est devenu lrsquoun des objectifs de lrsquoespace

commun de liberteacute seacutecuriteacute et justice Voir eacutegalement le Programme de mesures destineacute agrave

mettre en œuvre le principe de reconnaissance mutuelle des deacutecisions peacutenales

(2001C 12frasl02) et le Livre vert de la Commission sur les conflits de compeacutetences et le

principe ne bis in idem dans le cadre des proceacutedures peacutenales (COM(2005) 696 final)

28 Acte du Conseil du 26 juillet 1995

29 Acte du Conseil du 26 mai 1997 Lrsquoarticle 10 preacutevoit lrsquoapplication du principe de

deacuteduction pour les peines de prison ainsi que pour les peines non privatives de liberteacute

30 Lrsquoarticle 3 contient des regravegles de lis pendens Lrsquoarticle 5 preacutevoit lrsquoapplication du

principe de deacuteduction incluant toutes les sanctions autres que la privation de liberteacute qui

pourraient ecirctre imposeacutees et les sanctions imposeacutees dans le cadre des proceacutedures

administratives

31 Voir paragraphe 35 de lrsquoarrecirct du 5 juin 2014 dans lrsquoaffaire M (C‑398frasl12)

62 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

lrsquoarticle 52 (3) de la Charte dans la mise en œuvre des droits et liberteacutes

issus de la Charte qui correspondent aux droits et liberteacutes garantis par la

Convention europeacuteenne des droits de lrsquoHomme (laquo la Convention raquo) et ses

Protocoles les Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne sont tenus par le sens

et la porteacutee de ces droits et liberteacutes eacutetablis par ladite Convention et ses

Protocoles tels qursquointerpreacuteteacutes par la Cour32 quand bien mecircme ils nrsquoauraient

pas ratifieacute ces protocoles Crsquoest eacutegalement le cas pour lrsquoarticle 50 de la

Charte et en conseacutequence lrsquoarticle 54 de la CAAS qui eacutevidemment doit ecirctre

interpreacuteteacute agrave la lumiegravere de la jurisprudence de la Cour relative agrave lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 mecircme agrave lrsquoeacutegard des Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne

qui ne lrsquoauraient pas ratifieacute

13 En outre le principe ne bis in idem a eacuteteacute instaureacute comme un motif

drsquoexclusion de la coopeacuteration en matiegravere peacutenale dans plusieurs instruments

tels que lrsquoarticle 3(2) de la Deacutecision-cadre relative au mandat drsquoarrecirct

europeacuteen de 200233 lrsquoarticle 7 (1) c) de la Deacutecision-cadre relative agrave

lrsquoexeacutecution dans lrsquoUnion europeacuteenne des deacutecisions de gel de biens ou

drsquoeacuteleacutements de preuve de 200334 lrsquoarticle 8 (2) b) de la Deacutecision-cadre

relative agrave lrsquoapplication du principe de reconnaissance mutuelle aux

deacutecisions de confiscation de 200635 lrsquoarticle 11 (1) c) de la Deacutecision-cadre

concernant lrsquoapplication du principe de reconnaissance mutuelle aux

jugements et aux deacutecisions de probation aux fins de la surveillance des

mesures de probation et des peines de substitution de 200836

lrsquoarticle 13 (1) a) de la Deacutecision-cadre relative au mandat europeacuteen

drsquoobtention de preuves visant agrave recueillir des objets des documents et des

donneacutees en vue de leur utilisation dans le cadre de proceacutedures peacutenales de

200837 lrsquoarticle 15 (1) c) de la Deacutecision-cadre concernant lrsquoapplication

entre les Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne du principe de

reconnaissance mutuelle aux deacutecisions relatives agrave des mesures de controcircle

en tant qursquoalternative agrave la deacutetention provisoire de 200938 et lrsquoarticle 1 (2) a)

de la Deacutecision-cadre relative agrave la preacutevention et au regraveglement des conflits en

matiegravere drsquoexercice de la compeacutetence dans le cadre des proceacutedures peacutenales

de 200939

32 Voir Note du Praesidium de la Convention Explications relatives agrave la Charte des

droits fondamentaux (Bruxelles 11 octobre 2000) laquo La reacutefeacuterence agrave la CEDH vise agrave la fois

la Convention et ses Protocoles Le sens et la porteacutee des droits garantis sont deacutetermineacutes non

seulement par le texte de ces instruments mais aussi par la jurisprudence de la Cour

europeacuteenne des droits de lrsquohomme et par la Cour de justice des Communauteacutes

europeacuteennes raquo

33 Deacutecision-cadre du Conseil 2002584JAI du 13 juin 2002

34 Deacutecision-cadre du Conseil 2003577JAI du 22 juillet 2003

35 Deacutecision-cadre du Conseil 2006783JAI du 6 octobre 2006

36 Deacutecision-cadre du Conseil 2008947JAI du 27 novembre 2008

37 Deacutecision-cadre du Conseil 2008978JAI du 18 deacutecembre 2008

38 Deacutecision-cadre du Conseil 2009829JAI du 23 octobre 2009

39 Deacutecision-cadre du Conseil 2009948JAI du 30 novembre 2009

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 63

Enfin lrsquoarticle 6 du Regraveglement no 298895 relatif agrave la protection des

inteacuterecircts financiers des Communauteacutes europeacuteennes eacutetablit le principe selon

lequel le peacutenal tient lrsquoadministratif coupleacute au principe de deacuteduction

14 Dans lrsquoaregravene judiciaire la Cour de Justice de lrsquoUnion europeacuteenne

(laquo la CJUE raquo) a dit dans lrsquoaffaire Walt Wilhelm et autres

c Bundeskartellamt que des sanctions concurrentes pouvaient ecirctre

imposeacutees dans deux proceacutedures parallegraveles poursuivant des objectifs

diffeacuterents En droit de la concurrence la possibiliteacute qursquoun ensemble de faits

soit soumise agrave deux proceacutedures parallegraveles lrsquoune communautaire et lrsquoautre

nationale deacuterive du systegraveme speacutecifique de reacutepartition des compeacutetences entre

les Communauteacutes et les Eacutetats membres agrave lrsquoeacutegard des ententes Si cependant

la possibiliteacute que deux proceacutedures se deacuteroulent seacutepareacutement devait conduire agrave

lrsquoimposition de sanctions conseacutecutives une exigence geacuteneacuterale de justice

naturelle demanderait que toute deacutecision punitive anteacuterieure soit prise en

compte dans la deacutetermination de toute sanction imposeacutee40

Par la suite la CJUE a deacuteveloppeacute plus avant sa jurisprudence dans le

cadre du troisiegraveme pilier sur le bis (Goumlzuumltok et Bruumlgge41 Miraglia42

Van Straaten43 Turanskyacute44 M45 Kussowski46) sur lrsquoidem (Van Esbroeck47

Van Straaten48 Gasparini49 Kretzinger50 Kraaijenbrink51 et Gasparini52)

et sur la clause drsquoexeacutecution (Klaus Bourquain53 Kretzinger54 et Spasic55)

Dans le domaine du droit fiscal lrsquoarrecirct fondamental est celui rendu dans

lrsquoaffaire Hans Aringkeberg Fransson qui est parvenu agrave la conclusion suivante

laquo Ce nrsquoest que lorsque la sanction fiscale revecirct un caractegravere peacutenal au sens

de lrsquoarticle 50 de la Charte et est devenue deacutefinitive que ladite disposition

srsquooppose agrave ce que des poursuites peacutenales pour les mecircmes faits soient

diligenteacutees contre une mecircme personne raquo56 En refusant la thegravese de lrsquoAvocat

Geacuteneacuteral baseacutee sur le principe de deacuteduction57 la Cour de Luxembourg a

40 Affaire 14frasl68 13 feacutevrier 1969 sect 11

41 Affaire C-187frasl01 et Affaire C-38501 11 feacutevrier 2003

42 Affaire C-469frasl03 10 mars 2005

43 Affaire C-150frasl05 28 septembre 2006

44 Affaire C-491frasl07 22 deacutecembre 2008

45 Affaire C‑398frasl12 5 juin 2014

46 Affaire C-486frasl14 29 juin 2016

47 Affaire C-436frasl04 9 mars 2006

48 Affaire preacuteciteacutee

49 Affaire C-467frasl04 28 septembre 2006

50 Affaire C-288frasl05 18 juillet 2007

51 Affaire C-367frasl05 18 juillet 2007

52 Affaire preacuteciteacutee

53 Affaire C-297frasl07 11 deacutecembre 2008

54 Affaire C-288frasl05 18 juillet 2007

55 Affaire C-129frasl14 PPU 27 mai 2014

56 Hans Aringkeberg Fransson preacuteciteacute sectsect 34 et 37

57 Aux paragraphes 86 et 87 de ses conclusions lrsquoAvocat Geacuteneacuteral plaidait pour une

laquo interpreacutetation partiellement autonome raquo de lrsquoarticle 50 arguant qursquoil existait une tradition

64 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

deacutecideacute dans un remarquable mouvement de convergence avec la Cour de

Strasbourg que la combinaison de sanctions fiscales de nature peacutenale

conformeacutement aux critegraveres Engel et de sanctions peacutenales constituerait une

violation de lrsquoarticle 50 de la Charte58

15 En reacutesumeacute la reacutecurrence de la preacutesence du principe ne bis in idem agrave

la fois en droit international et interne et dans la jurisprudence teacutemoigne de

la reconnaissance drsquoun principe de droit international coutumier59 Le

principe de lrsquoeacutepuisement de la proceacutedure (Erledigungsprinzip) est largement

preacutedominant en droit international au niveau universel comme europeacuteen

mais le principe de deacuteduction trouve eacutegalement une reconnaissance dans

une conception eacutetroite au sein du Conseil de lrsquoEurope (deacuteduction des peines

de prison) et dans une conception plus large au sein de lrsquoUnion europeacuteenne

(deacuteduction des peines de prison et prise en compte des sanctions non

privatives de liberteacute)

III - Les deacutefis contemporains du ne bis in idem

A Infractions administratives et politique peacutenale agrave deux vitesses

a) La tendance vers la politique de deacutepeacutenalisation

16 La deacutepeacutenalisation est une tendance plus que bienvenue du droit peacutenal

en Europe depuis les anneacutees 196060 Les infractions administratives sont un

instrument rationnel de deacutesencombrement en politique peacutenale Cette

tendance se caracteacuterise freacutequemment par le transfert drsquoinfractions peacutenales

moins preacutejudiciables agrave la socieacuteteacute telles que les infractions routiegraveres dans le

champ du droit administratif dans lequel les garanties substantielles et

proceacutedurales ne sont pas les mecircmes que dans le droit peacutenal et la proceacutedure

constitutionnelle commune aux Eacutetats membres opposeacutee agrave la lecture actuelle de lrsquoarticle 4

du Protocole ndeg 7 par la Cour de Strasbourg qui laquo se heurte agrave la forte preacutesence et agrave

lrsquoenracinement des systegravemes de double sanction administrative et peacutenale des Eacutetats

membres raquo

58 Crsquoest exactement la lecture de lrsquoarrecirct Fransson faite par la Cour dans les arrecircts preacuteciteacutes

Grande Stevens et autres sect 229 Kapetanios et autres sect 73 et Sismanidis et Sitaridis sect 73

59 Voir parmi de multiples sources drsquoopinio iuris agrave cet eacutegard les conclusions de

lrsquoAssociation internationale de droit peacutenal (laquo lrsquoAIDP raquo) XIVe Congregraves international de droit

peacutenal octobre 1989 (laquo Dans le cas ougrave un acte relegraveve des deux qualifications peacutenale et

administrative le deacutelinquant ne devrait pas ecirctre puni deux fois En cas de poursuites

successives il devrait ecirctre pleinement tenu compte de toute sanction deacutejagrave prononceacutee pour le

mecircme acte raquo et XVIIe Congregraves international de droit peacutenal septembre 2004 (laquo Le cumul

des proceacutedures et des sanctions de nature peacutenale doit ecirctre eacuteviteacute dans tous les cas raquo)

Principe 9 des Principes de Princeton sur la compeacutetence universelle de 2001 et Anke

Biehler et autres (dir de publ) Freiburg Proposal on Concurrent Jurisdictions and the

Prohibition of Multiple Prosecutions in the European Union 2003

60 AIDP XIVe Congregraves international preacuteciteacute laquo Cette deacutepeacutenalisation est souhaitable dans

la mesure ougrave elle est en harmonie avec le principe de subsidiariteacute de la loi peacutenale raquo

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 65

peacutenale classiques Les infractions administratives sont freacutequemment

formuleacutees en des termes larges et ouverts et les amendes administratives

(Geldbusse) en sont la forme privileacutegieacutee de sanction Lrsquoemprisonnement

nrsquoest pas une alternative agrave lrsquoamende (Ersatzfreiheitsstrafe) comme crsquoest le

cas en droit peacutenal et aucune contrainte par corps (Erzwingungshaft) ne peut

ecirctre ordonneacutee agrave moins que la personne concerneacutee nrsquoait manqueacute agrave son

obligation de paiement des sommes dues sans avoir fait eacutetablir son

incapaciteacute agrave srsquoen acquitter Les sanctions administratives ne sont pas

enregistreacutees au casier judiciaire national mais seulement dans certaines

circonstances dans certains dossiers administratifs sectoriels tel que le

registre des infractions routiegraveres Normalement les infractions

administratives font lrsquoobjet drsquoune proceacutedure simplifieacutee et drsquoune sanction

prononceacutee par des autoriteacutes administratives sauf si elles donnent

ulteacuterieurement lieu agrave un recours en justice Dans de nombreux cas la

poursuite des infractions administratives relegraveve du pouvoir discreacutetionnaire

des autoriteacutes administratives compeacutetentes Les regravegles geacuteneacuterales de la

proceacutedure peacutenale ne sont en principe applicables que par analogie De plus

courts deacutelais de prescriptions srsquoappliquent aux infractions administratives

par rapports aux infractions peacutenales

17 Le brouillage de la ligne de deacutemarcation entre droit peacutenal et droit

administrative a ses propres risques Des comportements gravement

preacutejudiciables agrave la socieacuteteacute sont eux aussi devenus lrsquoobjet du droit

administratif particuliegraverement lorsqursquoils impliquent le traitement massif de

donneacutees agrave lrsquoinstar du droit fiscal ou un niveau drsquoexpertise hautement

qualifieacutee comme en droit de la concurrence61 et en droit boursier ou des

valeurs mobiliegraveres62

b) Lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk et la laquo peacutenalisation raquo des infractions mineures

18 Depuis longtemps la jurisprudence de la Cour indique que les

infractions administratives entrent dans le champ de son controcircle sous

lrsquoeacutegide des garanties de lrsquoarticle 6 Sur la base des critegraveres Engel63 la Cour a

reacuteaffirmeacute maintes et maintes fois qursquoune conduite passible de sanctions

administratives devait beacuteneacuteficier des garanties proceacutedurales de lrsquoarticle 6

indiffeacuteremment de la nature personnelle ou collective de lrsquointeacuterecirct juridique

proteacutegeacute par la norme violeacutee64 du relatif manque de graviteacute de la peine65 et

61 A Menarini Diagnostics SRL c Italie ndeg 4350908 27 septembre 2011

62 Grande Stevens et autres preacuteciteacute

63 Engel et autres c Pays-Bas 8 juin 1976 seacuterie A ndeg 22

64 Oumlztuumlrk c Allemagne 21 feacutevrier 1984 sect 53 seacuterie A ndeg 73 laquo Il importe peu de savoir si

la disposition leacutegale meacuteconnue par M Oumlztuumlrk vise agrave proteacuteger les droits et inteacuterecircts drsquoautrui

ou seulement agrave satisfaire aux exigences de la circulation raquo

65 Ibidem sect 54 laquo La faiblesse relative de lrsquoenjeu (hellip) ne saurait retirer agrave une infraction

son caractegravere peacutenal intrinsegraveque raquo Voir aussi Lutz c Allemagne 25 aoucirct 1987 sect 55 seacuterie A

ndeg 123 et Jussila c Finlande [GC] ndeg 7305301 sect 31 CEDH 2006-XIII

66 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

du fait que la peine nrsquoait que peu de chance de leacuteser la reacuteputation du

coupable66 Sinon une telle privation de garanties proceacutedurales contredirait

le but de lrsquoarticle 667

19 Dans lrsquoaffaire Oumlztuumlrk68 la Cour a invoqueacute trois arguments cruciaux

pour se placer agrave contre-courant de la deacutepeacutenalisation et faire droit agrave la thegravese

selon laquelle lrsquoinfraction administrative en cause une infraction routiegravere

eacutetait de nature laquo peacutenale raquo aux fins de lrsquoarticle 6 le sens ordinaire des

termes la punition de la conduite incrimineacutee par le droit peacutenal dans laquo une

large majoriteacute des Eacutetats contractants raquo et la porteacutee geacuteneacuterale de la norme

violeacutee une norme de circulation routiegravere69 Agrave y regarder de plus pregraves aucun

de ces arguments nrsquoest convaincant Il est difficile drsquoeacutetablir une ligne de

deacutemarcation entre les infractions administratives et peacutenales sur la base du

laquo sens ordinaire des termes raquo quoique la Cour veuille dire par cela En

outre srsquoil est vrai que le consensus europeacuteen est certainement un argument

deacutecisif pour la peacutenalisation drsquoun acte gravement preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute il

est difficilement concevable que la Cour puisse argumenter sur la base du

consensus europeacuteen contre la deacutepeacutenalisation des infractions mineures qui

beacuteneacuteficie non seulement agrave lrsquoindividu qui ne pourrait plus rendre de comptes

en termes peacutenaux pour sa conduite et qui pourrait mecircme eacuteviter les

proceacutedures judiciaires mais eacutegalement le fonctionnement effectif de la

justice deacutesormais soulageacutee du traitement de la grande majoriteacute de ces

infractions Par-dessus tout la Cour se meacuteprend dans lrsquoassimilation des

infractions peacutenales aux normes de porteacutee personnelle geacuteneacuterale De maniegravere

assez surprenante elle semble ignorer la tradition europeacuteenne ancienne des

infractions peacutenales agrave porteacutee personnelle limiteacutee crsquoest-agrave-dire des normes

applicables agrave certaines cateacutegories de citoyens deacutefinissables par des traits

personnels ou professionnels (Sonderdelikte ou Pflichtendelikte)70 Ainsi

66 Oumlztuumlrk preacuteciteacute sect 53 laquo Sans doute srsquoagissait-il drsquoune infraction leacutegegravere ne risquant

guegravere de nuire agrave la reacuteputation de son auteur mais elle ne sortait pas pour autant du champ

drsquoapplication de lrsquoarticle 6 Rien ne donne en effet agrave penser que lrsquoinfraction peacutenale

(criminal offence) au sens de la Convention implique neacutecessairement un certain degreacute de

graviteacute raquo

67 Ibidem laquo il serait contraire agrave lrsquoobjet et au but de lrsquoarticle 6 qui garantit aux accuseacutes

le droit agrave un tribunal et agrave un procegraves eacutequitable de permettre agrave lrsquoEacutetat de soustraire agrave lrsquoempire

de ce texte toute une cateacutegorie drsquoinfractions pour peu qursquoil les juge leacutegegraveres raquo

68 Ibidem

69 Ibidem

70 Sur ce type drsquoinfractions peacutenales voir Roxin Taumlterschaft und Tatherrschaft Berlin

9e eacutedition 2015 et Langer Das Sonderverbrechen Berlin 1972 La doctrine distingue

entre les laquo veacuteritables infractions speacuteciales raquo (echte Sonderdelikte) qui peuvent seulement

ecirctre commise par une personne deacutetenant une certaine qualiteacute des laquo fausses infractions

speacuteciales raquo (unechte Sonderdelikte) qui peuvent ecirctre commises par nrsquoimporte qui mais

dont la sanction est aggraveacutee si elle est commise pas une personne deacutetenant une certaine

qualiteacute ou dans une situation particuliegravere La Cour dans lrsquoaffaire Oumlztuumlrk nrsquoest pas au fait de

cette distinction

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 67

les infractions peacutenales et les normes agrave porteacutee personnelle limiteacutee ne sont pas

incompatibles les unes avec les autres

20 Si la deacutepeacutenalisation nrsquoest pas sans poser problegraveme au regard des

garanties deacutecoulant des articles 6 et 7 de la Convention et de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 lorsqursquoil srsquoagit drsquoinfractions mineures reacuteprimant des actes

moins preacutejudiciables agrave la socieacuteteacute71 elle creacutee manifestement de seacuterieuses

difficulteacutes sur le terrain de ces articles lorsqursquoil srsquoagit drsquoactes plus

preacutejudiciables agrave la socieacuteteacute qui sont deacuteclasseacutes dans le domaine du droit

administratif agrave des fins politiques Elle en creacutee drsquoautant plus lorsque des

infractions administratives incluant celles commises par neacutegligence sont

passibles de sanctions financiegraveres amendes ou majorations astronomiques

parfois mecircme illimiteacutees freacutequemment associeacutees agrave la suspension la

restriction voire mecircme le retrait de certains droits tels que les droits

professionnels Des reacutegimes speacutecialement cleacutements sont proposeacutes aux

lanceurs drsquoalerte et autre collaborateurs de la justice Certaines infractions

administratives conduisent mecircme agrave des sanctions plus seacutevegraveres en cas de

reacutecidive En outre les proceacutedures administratives peuvent inclure des

mesures drsquoenquecirctes aussi intrusives que lrsquointerception de communication et

les perquisitions de domiciles qui peuvent porter atteinte agrave la vie priveacutee du

suspect tout autant que les proceacutedures peacutenales les plus seacuterieuses

21 En reacutealiteacute ce droit peacutenal agrave deux vitesses masque une politique

reacutepressive expansionniste qui vise agrave punir de maniegravere plus expeacuteditive et

plus seacutevegraverement avec moins de garanties mateacuterielles et proceacutedurales Dans

le contexte de ce nouveau Leacuteviathan les infractions de droit administratif ne

sont rien de plus qursquoune appellation trompeuse drsquoune strateacutegie punitive

ferme et le droit administratif devient un raccourci permettant de contourner

les garanties ordinaires du droit peacutenal et de la proceacutedure peacutenale72

22 La Convention nrsquoest pas indiffeacuterente agrave cette politique peacutenale Au

contraire elle ne saurait laisser des probleacutematiques relatives aux droits de

lrsquohomme de cette ampleur au seul pouvoir discreacutetionnaire de chaque Eacutetat

Aucune marge drsquoappreacuteciation nrsquoest accordeacutee aux Eacutetats par lrsquoarticle 7 de la

Convention et lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 qui sont des dispositions non

susceptibles de deacuterogation La deacutefinition des frontiegraveres du droit peacutenal et

lrsquoapplication des principes de leacutegaliteacute et du non bis in idem ne sont pas

deacutependantes des particulariteacutes de chaque systegraveme juridique national Au

contraire elles sont soumises agrave un controcircle europeacuteen strict reacutealiseacute par la

Cour ainsi que cela sera deacutemontreacute ci-dessous

71 Pour la Cour il est clair que la deacutepeacutenalisation est lieacutee aux infractions mineures non

infamantes drsquoun point de vue social (Lutz preacuteciteacute sect 57)

72 Jrsquoai deacutejagrave critiqueacute cette tendance dans mes opinions jointes aux arrecircts A Menarini

Diagnostics SRL preacuteciteacute et Grande Stevens et autres preacuteciteacute

68 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

B Les majorations drsquoimpocirct comme instrument de politique peacutenale

a) La nature peacutenale des majorations drsquoimpocirct

23 Tout comme les termes des articles 6 et 7 de la Convention la notion

de laquo proceacutedure peacutenale raquo doit ecirctre interpreacuteteacutee de maniegravere autonome En outre

par principe la Convention et ses Protocoles doivent ecirctre envisageacutes comme

un tout73 Ainsi lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 doit ecirctre interpreacuteteacute agrave la lumiegravere

des principes geacuteneacuteraux concernant les notions drsquolaquo accusation en matiegravere

peacutenale raquo et de laquo peine raquo eacutenonceacutees respectivement aux articles 6 et 7 de la

Convention74 De plus la qualification juridique de la proceacutedure en droit

national ne peut ecirctre le seul critegravere pertinent pour deacuteterminer lrsquoapplicabiliteacute

du principe ne bis in idem sur le terrain de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

Autrement lrsquoapplication de cette disposition serait laisseacutee au pouvoir

discreacutetionnaire des Eacutetats contractants agrave un degreacute conduisant agrave des reacutesultats

incompatibles avec lrsquoobjet et le but de la Convention Preacuteciseacutement pour

eacuteviter un tel pouvoir discreacutetionnaire il peut exister des cas dans lesquels ni

un acquittement deacutefinitif75 ni une condamnation deacutefinitive76 ne sont

capables de deacuteclencher les effets du ne bis in idem

24 Dans lrsquoaffaire en cause la premiegravere proceacutedure visait agrave lrsquoimposition

de majorations drsquoimpocirct La Cour a pris clairement position en faveur de la

nature peacutenale des sanctions administratives sur le terrain de lrsquoarticle 6 de la

Convention Dans lrsquoaffaire Bendenoun77 qui concernait lrsquoimposition de

majorations drsquoimpocirct pour eacutevasion fiscale la Cour ne srsquoest pas reacutefeacutereacutee

expresseacutement aux critegraveres Engel elle a eacutenumeacutereacute quatre eacuteleacutements qursquoelle

estimait pertinents dans la deacutetermination de lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 en

lrsquoespegravece que la loi eacutetablissant les sanctions concerne tous les citoyens en

leur qualiteacute de contribuables que la majoration ne tende pas agrave la reacuteparation

peacutecuniaire drsquoun preacutejudice mais vise pour lrsquoessentiel agrave punir pour empecirccher

la reacuteiteacuteration drsquoagissements semblables qursquoelle se fonde sur une norme de

caractegravere geacuteneacuteral dont le but est agrave la fois preacuteventif et reacutepressif et qursquoelle

revecircte une ampleur consideacuterable La Cour a consideacutereacute cependant qursquoun Eacutetat

contractant devait avoir la liberteacute de confier au fisc la tacircche drsquoimposer des

sanctions telles que des majorations drsquoimpocirct mecircme si elles atteignent des

sommes eacuteleveacutees Pareil systegraveme nrsquoest pas incompatible avec lrsquoarticle 6 sect 1

tant que le contribuable peut soumettre toute deacutecision lui faisant grief agrave un

73 Voir parmi drsquoautres Hirsi Jamaa et autres c Italie [GC] ndeg 2776509 sect 178

CEDH 2012 et Ferrazzini c Italie [GC] ndeg 4475998 sect 29 CEDH 2001-VII

74 Nykaumlnen c Finlande ndeg 1182811 sect 38 20 mai 2014 Haarvig c Norvegravege (deacutec)

ndeg 1118705 11 deacutecembre 2007 Nilsson c Suegravede (deacutec) ndeg 7366101 CEDH 2005-XIII

Rosenquist c Suegravede (deacutec) ndeg 6061900 14 septembre 2004 Manasson c Suegravede (deacutec)

ndeg 4126598 8 avril 2003 Goumlktan c France ndeg 3340296 sect 48 CEDH 2002-V et Malige

c France 23 septembre 1998 sect 35 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1998-VII

75 Marguš c Croatie [GC] ndeg 445510 sect 139 CEDH 2014

76 Kurdov et Ivanov c Bulgarie ndeg 1613704 sect 44 31 mai 2011

77 Bendenoun c France 24 feacutevrier 1994 seacuterie A ndeg 284

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 69

organe judiciaire jouissant de la pleine juridiction incluant le pouvoir

drsquoannuler sur tous les points que ce soit de droit ou de fait la deacutecision

contesteacutee78

25 Dans les affaires Janosevic79 et Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic80

la Cour nrsquoa fait aucune reacutefeacuterence agrave lrsquoaffaire Bendenoun ou agrave lrsquoapproche

particuliegravere y suivie par elle mais elle a proceacutedeacute strictement sur la base des

critegraveres Engel81 Apregraves avoir confirmeacute que les proceacutedures administratives

avaient abouti agrave une laquo accusation en matiegravere peacutenale raquo agrave lrsquoencontre du

requeacuterant la Cour a consideacutereacute que les proceacutedures judiciaires en lrsquoespegravece

avaient eacuteteacute conduites par des tribunaux soumis aux garanties requises par

lrsquoarticle 6 sect 1 puisque les juridictions administratives avaient compeacutetence

pour examiner tous les aspects de la question qui leur eacutetait adresseacutee Leur

examen nrsquoeacutetait pas limiteacute agrave des points de droit mais pouvait eacutegalement ecirctre

eacutetendu agrave des questions de faits incluant lrsquoappreacuteciation des preuves Si elles

eacutetaient en deacutesaccord avec lrsquoautoriteacute fiscale ces juridictions avaient le

pouvoir drsquoannuler la deacutecision objet drsquoun recours La Cour a ajouteacute que le

point de deacutepart pour les autoriteacutes fiscales et les juridictions devait reacutesider

dans le fait que les inexactitudes releveacutees dans la deacuteclaration fiscale

relevaient drsquoun acte inexcusable imputable au contribuable et qursquoil nrsquoeacutetait

pas manifestement deacuteraisonnable drsquoimposer une majoration drsquoimpocirct comme

sanction de ce comportement Les autoriteacutes fiscales et les juridictions

devraient eacutevaluer srsquoil existe des motifs de dispense mecircme si le contribuable

nrsquoa rien dit agrave cet eacutegard Cependant alors que le devoir drsquoeacutevaluer srsquoil existe

des motifs de dispense nrsquoexiste que lorsque les faits de lrsquoespegravece le justifient

la charge de prouver qursquoil existe des raisons de dispenser un contribuable

drsquoune majoration repose en effet sur celui-ci La Cour a conclu qursquoun

systegraveme fiscal opeacuterant sur une telle preacutesomption qursquoil appartient au

contribuable de renverser eacutetait compatible avec lrsquoarticle 6 sect 2 de la

Convention

b) Lrsquoarrecirct Jussila et la ligne de deacutemarcation entre malum in se et malum quia

prohibitum

26 Dans lrsquoaffaire Jussila82 la Cour a confirmeacute lrsquoapproche retenue dans

lrsquoaffaire Janosevic et souligneacute qursquolaquo Il nrsquoexiste donc pas dans la

jurisprudence de la Cour de preacuteceacutedent faisant autoriteacute qui permette de dire

78 Ibidem sect 46

79 Janosevic c Suegravede ndeg 3461997 CEDH 2002‑VII

80 Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic c Suegravede ndeg 3698597 23 juillet 2002

81 La Cour a souligneacute le mauvais argument laquo Les majorations drsquoimpocirct infligeacutees en

conseacutequence lrsquoont eacuteteacute au titre de la leacutegislation fiscale [hellip] qui vise toutes les personnes

assujetties agrave lrsquoimpocirct en Suegravede et non un groupe donneacute doteacute drsquoun statut particulier raquo

(Janosevic preacuteciteacute sect 68 Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic preacuteciteacute sect 79 voir aussi par

exemple SC IMH Suceava SRL c Roumanie ndeg 2493504 sect 51 29 octobre 2013)

82 Jussila preacuteciteacute sect 41

70 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

que la leacutegegravereteacute de la sanction constituerait en matiegravere fiscale ou autre un

facteur deacutecisif pour exclure du champ drsquoapplication de lrsquoarticle 6 une

infraction revecirctant par ailleurs un caractegravere peacutenal raquo 83 De plus comme un

signal clair de son intention de ne pas priver les contribuables de leur

garanties fondamentales opposables agrave lrsquoEacutetat la Cour a ajouteacute que si elle laquo ne

dout[ait] pas de lrsquoimportance de lrsquoimpocirct pour le bon fonctionnement de

lrsquoEacutetat elle nrsquo[eacutetait] pas convaincue qursquoil faille affranchir les sanctions

fiscales des garanties proceacutedurales contenues dans lrsquoarticle 6 pour preacuteserver

lrsquoefficaciteacute du systegraveme fiscal ni drsquoailleurs que pareille deacutemarche puisse se

concilier avec lrsquoesprit et le but de la Convention raquo84 En agissant de la sorte

la Cour a abandonneacute laquo peu ou prou raquo 85 la logique de lrsquoaffaire Ferrazzini86

puisqursquoelle a admis que les questions drsquoimposition ne sortaient pas du

champ mateacuteriel de la Convention Drsquoun point de vue ratione materiae les

questions se rapportant aux majorations drsquoimpocirct peuvent impliquer une

appreacuteciation par la Cour du pouvoir souverain des Eacutetats en matiegravere fiscale

La neutralisation des preacuterogatives de puissance publiques dans lrsquoaffaire

Jussila a conduit la Cour agrave un recadrage apparent des speacutecificiteacutes des

obligations fiscales dans le contexte du droit europeacuteen des droits de

lrsquohomme

27 Mecircme lorsque les majorations drsquoimpocirct ne sont pas qualifieacutees de

peacutenales en droit national ce seul fait nrsquoest pas deacutecisif pour la Cour Le fait

que les majorations drsquoimpocirct soient imposeacutees par des dispositions leacutegales

srsquoappliquant aux contribuables de maniegravere geacuteneacuterale avec une viseacutee

dissuasive est jugeacute plus pertinent En principe les majorations drsquoimpocirct sont

conccedilues non pas comme une compensation peacutecuniaire pour un dommage

causeacute agrave lrsquoEacutetat mais comme une forme de sanction des coupables et comme

un moyen de dissuader les reacutecidivistes et les nouveaux deacutelinquants

potentiels Aux yeux de la Cour les majorations drsquoimpocirct sont ainsi

imposeacutees par une regravegle dont le but est simultaneacutement dissuasif et punitif

mecircme dans le cas de lrsquoimposition drsquoune majoration fiscale de 10 avec un

maximum fixeacute agrave 2087 Pour la Cour dans lrsquoaffaire Jussila la nature

reacutepressive de la majoration fiscale surpasse la consideacuteration de minimis de

lrsquoarrecirct Bendenoun En conseacutequence les proceacutedures impliquant des

majorations drsquoimpocirct ont eacutegalement eacuteteacute consideacutereacutees comme des laquo proceacutedures

peacutenales raquo au regard de lrsquoarticle 6 de la Convention

83 Ibidem sect 35

84 Ibidem sect 36

85 Ibidem sect 45

86 Ferrazzini preacuteciteacute sect 29 En reacutealiteacute la Cour a eacutevalueacute agrave plusieurs reprises la

compatibiliteacute des mesures de politiques fiscales agrave lrsquoaune de lrsquoarticle 1 du Protocole ndeg 1

(parmi les affaires les plus significatives voir NKM c Hongrie ndeg 6652911 14 mai 2013

Koufaki et ADEDY c Gregravece (deacutec) nos 5766512 et 5765712 7 mai 2013 Da Conceiccedilatildeo

Mateus c Portugal (deacutec) nos 6223512 et 5772512 8 octobre 2013 et Da Silva Carvalho

Rico c Portugal (deacutec) ndeg 1334114 1er septembre 2014)

87 Jussila preacuteciteacute sect 38

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 71

28 Si la Cour srsquoeacutetait arrecircteacutee lagrave lrsquoarrecirct Jussila aurait eacuteteacute une simple

extension de lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk au domaine des majorations drsquoimpocirct Mais la

Cour ne srsquoest pas arrecircteacutee lagrave Elle a consideacutereacute ensuite qursquolaquo il [allait] de soi

que certaines [proceacutedures peacutenales] ne comportent aucun caractegravere infamant

pour ceux qursquoelles visent raquo En conseacutequence dans lrsquoarrecirct de la Cour les

garanties peacutenales ne srsquoappliquent pas avec toute leur rigueur aux accusations

peacutenales deacutepourvues de caractegravere infamant88 En appliquant lrsquoarticle 6 de

maniegravere diffeacuterencieacutee en fonction de la nature du sujet et du caractegravere

infamant que certaines accusations peacutenales comportent la Cour a opeacutereacute une

distinction entre les garanties proceacutedurales conventionnelles disponibles et

indisponibles le droit de lrsquoaccuseacute agrave un procegraves public appartenant agrave la

premiegravere cateacutegorie Dans la mesure ougrave elles nrsquoont pas de caractegravere infamant

les infractions administratives peuvent se distinguer du noyau dur du droit

peacutenal et ainsi les garanties peacutenales de lrsquoarticle 6 peuvent ne pas srsquoy

appliquer dans leur totaliteacute Une seconde cateacutegorie drsquoinfractions peacutenales qui

ne beacuteneacuteficie que de certaines des garanties de lrsquoarticle 6 a vu le jour dans

lrsquoaffaire Jussila

29 Malheureusement ni dans lrsquoarrecirct Jussila ni ulteacuterieurement la Cour

nrsquoa fait le moindre effort drsquoeacutelaborer une approche coheacuterente de la magna

quaestio relative agrave la ligne de deacutemarcation entre le laquo noyau dur du droit

peacutenal raquo et le reste du droit peacutenal qui fait eacutecho agrave la distinction entre mala in

se et mala prohibita La distinction de la Grande Chambre nrsquoest pas

seulement trop simpliste elle semble aussi assez artificielle Dans lrsquoarrecirct

Jussila comme dans quelques autres cas le critegravere du caractegravere infamant

ressemble agrave un argument purement theacuteorique que la Cour nrsquoutilise pas

veacuteritablement pour reacutesoudre lrsquoaffaire89 En reacutealiteacute la Cour a trancheacute lrsquoaffaire

88 Ibidem sect 43 Grande Stevens et autres preacuteciteacute sect 120 Kammerer c Autriche

ndeg 3243506 sect 26 12 mai 2010 et Flisar c Sloveacutenie ndeg 312709 sect 36 29 septembre 2011

La conclusion de lrsquoaffaire Jussila selon laquelle le procegraves public nrsquoeacutetait pas neacutecessaire dans

le cas des infractions administratives a eacuteteacute eacutetendue agrave drsquoautres questions proceacutedurales

couvertes par lrsquoarticle 6 telle que dans les affaires Kammerer et Flisar la preacutesence drsquoun

accuseacute agrave une audience

89 En reacutealiteacute lrsquoapplication du critegravere du caractegravere infamant dans la jurisprudence de la

Cour a eacuteteacute tregraves limiteacutee Il est vrai que la Cour a constateacute agrave maintes reprises le caractegravere

infamant que revecirct implicitement la torture (voir parmi de nombreuses affaires Irlande

c Royaume-Uni 18 janvier 1978 sect 167 seacuterie A ndeg 25 Aksoy c Turquie 18 deacutecembre

1996 sect 64 Recueil 1996-VI Aydın c Turquie 25 septembre 1997 sectsect 83-84 et 86

Recueil 1997-VI Selmouni c France [GC] ndeg 2580394 sect 74 CEDH 1999-V Dikme

c Turquie ndeg 2086992 sectsect 94-96 CEDH 2000-VIII et Batı et autres c Turquie

nos 3309796 et 5783400 sect 116 CEDH 2004-IV) Mais en dehors de ces affaires

lrsquoutilisation du critegravere est rare Parfois la Cour se reacutefegravere au caractegravere infamant de la

condamnation comme facteur pour deacuteterminer la neacutecessiteacute drsquoune comparution personnelle

de lrsquoaccuseacute dans une proceacutedure (dans une affaire de meurtre Chopenko c Ukraine

ndeg 1773506 sect 64 15 janvier 2015 dans une affaire de corruption Suuripaumlauml c Finlande

ndeg 4315102 sect 45 12 janvier 2010) ou pour deacuteterminer si la situation du requeacuterant doit

ecirctre deacutejagrave substantiellement affecteacutee par les mesures prises par la police dans les proceacutedures

preacuteliminaires (dans une affaire drsquoabus sexuel sur mineur Subinski c Sloveacutenie ndeg 1961104

72 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

Jussila de maniegravere tregraves pragmatique sur la base du fait que le requeacuterant avait

largement eu lrsquoopportuniteacute de se deacutefendre par eacutecrit et de commenter les

arguments des autoriteacutes fiscales

30 Le manque de clarteacute conceptuelle de la deacutefinition du laquo noyau dur du

droit peacutenal raquo au titre de lrsquoarticle 6 est encore aggraveacute par le fait que

normalement lrsquoapplication des critegraveres Engel est davantage une question de

degreacute deacutependant du poids des sanctions appliqueacutees et applicables qursquoune

question de nature des accusations qui pegravesent sur lrsquoaccuseacute La Cour preacutefegravere

le plus souvent reacutesoudre la question de lrsquoapplicabiliteacute des critegraveres Engel en

se reacutefeacuterant agrave une appreacuteciation purement quantitative plutocirct que qualitative

de lrsquoinfraction en cause Lorsqursquoelle se lance dans une analyse sur le fond de

la nature de lrsquoinfraction elle utilise freacutequemment lrsquoargument erroneacute tireacute de

lrsquoaffaire Oumlztuumlrk90 de la porteacutee personnelle limiteacutee de la norme

sect 68 18 janvier 2007) Le raisonnement de lrsquoarrecirct Suuripaumlauml a eacuteteacute eacutetendu agrave des infractions

administratives fiscales dans lrsquoaffaire Paacutekozdi c Hongrie (ndeg 5126907 sect 39 25 novembre

2014 Dans drsquoautres cas la Cour a dit que des infractions peacutenales passibles

drsquoemprisonnement impliquaient un caractegravere infamant suffisant lorsque la personne

condamneacutee se voit infliger une peine de sept ans (Popa et Tănăsescu c Roumanie

no 1994604 sect 46 10 avril 2012) une peine de quatre ans (Saacutendor Lajos Kiss c Hongrie

ndeg 2695805 sect 24 29 septembre 2009) ou une peine avec sursis (Goldmann et Szeacutenaacuteszky

c Hongrie ndeg 1760405 sect 20 30 novembre 2010) ou mecircme une amende (Talaacuteber

c Hongrie ndeg 3737605 sect 27 29 septembre 2009) En drsquoautres occasions la Cour a

simplement affirmeacute que certains inteacuterecircts juridiques tels que le respect des regravegles de seacutecuriteacute

incendie de protection des consommateurs ou des politiques drsquourbanisme nrsquoentraient pas

dans le champ du droit peacutenal sans mentionner le deacutefaut de caractegravere infamant (Kurdov et

Ivanov preacuteciteacute sect 43 SC IMH Suceava SRL preacuteciteacute sect 51 et Inocecircncio c Portugal

(deacutec) no 4386298 CEDH 2001ndashI) Dans lrsquoaffaire Segame SA c France (ndeg 483706

sect 59 7 juin 2012) la Cour a consideacutereacute qursquoun impocirct suppleacutementaire sur les œuvres drsquoart et

les sanctions correspondantes laquo ne [faisait] pas partie du noyau dur du droit peacutenal au sens

de la Convention raquo Dans lrsquoaffaire Grande Stevens et autres (preacuteciteacutee sect 122) la Cour a

noteacute que mis agrave part leur seacuteveacuteriteacute financiegravere les sanctions que certains des requeacuterants

encourraient avaient un laquo caractegravere infamant raquo et risquaient drsquoaffecter neacutegativement

lrsquohonneur professionnel et la reacuteputation des personnes concerneacutees Ainsi le critegravere

substantiel du caractegravere infamant est parfois lieacute aux sanctions applicables agrave lrsquoinfraction

alors que dans les cas de meurtre torture corruption ou abus sexuel de mineur il est lieacute agrave la

nature-mecircme du comportement En deacutefinitive la Cour a rejeteacute eacutegalement le critegravere

organique et tautologique selon lequel les infractions traiteacutees par les juridictions

administratives ou les juridictions compeacutetentes agrave lrsquoeacutegard des laquo infractions mineures raquo sont

administratives et qursquoen conseacutequence leur qualification de laquo peacutenale raquo serait exclue

(Tomasović c Croatie ndeg 5378509 sect 22 18 octobre 2011)

90 Lrsquoapplication de ce critegravere a produit des deacutecisions malheureuses telle que celle

deacutelibeacutereacutee dans lrsquoaffaire Inocecircncio (preacuteciteacutee) qui a consideacutereacute les infractions administratives

(contraordenaccedilotildees) en jeu comme non peacutenales bien que les contraordenaccedilotildees portugais

soient modeleacutees exactement agrave lrsquoimage des Ordnungswidrigkeiten allemandes qui avaient

eacuteteacute qualifieacutees de laquo peacutenales raquo dans lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk (agrave titre de comparaison voir la Loi

allemande sur les infractions administratives de 1968 Gesetz uumlber Ordnungswidrigkeiten

et la Loi portugaise sur les infractions administratives de 1982 Regime Geral das

Contraordenaccedilotildees)

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 73

31 En reacutesumeacute le choix politique de lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk de laquo peacutenaliser raquo les

infractions mineures aux fins de lrsquoarticle 6 est fondamentalement reacuteeacutevalueacute

dans lrsquoarrecirct Jussila Lrsquoextension apparente de ce choix politique aux

majorations drsquoimpocirct est dilueacutee en finaliteacute par lrsquoapproche pragmatique et

tourneacutee vers lrsquoefficaciteacute de la Cour qui eacutetiquette ces infractions mineures

comme eacutetant bien que laquo peacutenales raquo exclues du laquo noyau dur du droit peacutenal raquo

ne meacuteritant ainsi pas la protection pleine et entiegravere du volet peacutenal de

lrsquoarticle 6 Les inteacuterecircts drsquoune proceacutedure fiscale efficace et massive ont peseacute

plus lourd que toute autre consideacuteration

32 Quoiqursquoil en soit le message de la Cour dans lrsquoaffaire Jussila vaut

eacutegalement pour la Norvegravege Les majorations drsquoimpocirct imposeacutees dans la

preacutesente affaire sont de nature peacutenale et les proceacutedures fiscales respectives

sont peacutenales aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Les majorations

drsquoimpocirct de 30 imposeacutees par la Norvegravege pouvant aller jusqursquoagrave 60 en

cas de neacutegligence grossiegravere ou volontaire sont bien supeacuterieures en

comparaison de lrsquoaffaire Jussila

Crsquoest eacutegalement la position de la majoriteacute de la Grande Chambre dans la

preacutesente affaire qui confirme contrairement agrave lrsquoargumentation du

Gouvernement91 qursquoil nrsquoexiste pas de notion peacutenale plus restrictive agrave

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Ainsi la majoriteacute rejette lrsquoapproche des affaires

Storbraringten92 Mjelde93 et Haarvig94 dans lesquelles la Cour avait accepteacute un

eacuteventail de critegraveres plus large que les critegraveres Engel aux fins de deacuteterminer

si une proceacutedure revecirctait un caractegravere peacutenal au sens de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7

Seconde Partie

IV - Lrsquoheacuteritage pro persona de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine

A Le cumul des sanctions administratives et peacutenales

a) Lrsquoidem factum dans les proceacutedures administratives et peacutenales

33 Lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 prohibe la poursuite ou le jugement de

lrsquoauteur drsquoune infraction deacutejagrave acquitteacute ou condamneacute pour celle-ci Une

approche centreacutee sur la qualification juridique de lrsquoinfraction (idem crimen)

serait trop restrictive Si la Cour se bornait agrave accepter qursquoune personne soit

poursuivie pour des infractions qualifieacutees diffeacuteremment elle risquerait

91 Voir paragraphes 66 et 67 de lrsquoarrecirct

92 Storbraringten c Norvegravege (deacutec) ndeg 1227704 11 feacutevrier 2007

93 Mjelde c Norvegravege (deacutec) ndeg 1114304 11 feacutevrier 2007

94 Haarvig preacuteciteacute

74 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

drsquoamoindrir les garanties contenues agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 et ce pour

deux raisons Drsquoabord le mecircme fait peut ecirctre qualifieacute drsquoinfraction peacutenale

dans diffeacuterents Eacutetats mais les eacuteleacutements constitutifs de lrsquoinfraction peuvent

ecirctre significativement diffeacuterents Ensuite certains Eacutetats peuvent qualifier

diffeacuteremment le mecircme fait drsquoinfraction peacutenale ou drsquoinfraction

administrative crsquoest-agrave-dire non peacutenale95

34 Par conseacutequent lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 doit ecirctre interpreacuteteacute

comme prohibant la poursuite ou le jugement de novo drsquoune infraction dans

la mesure ougrave elle reacutesulte de faits identiques ou de faits similaires en

substance (idem factum)96 Il est donc important aux yeux de la Cour de

srsquoattacher aux faits qui constituent les circonstances factuelles concregravetes

impliquant le mecircme accuseacute et inextricablement lieacutes les uns aux autres dans

le temps et lrsquoespace dont lrsquoexistence doit ecirctre deacutemontreacutee pour garantir une

condamnation ou entamer des proceacutedures peacutenales97 Cela signifie que le

champ de la prohibition comprend la poursuite de nouvelles infractions en

relation de concours apparent (concorso apparente Gesetzeskonkurrenz) ou

de concours ideacuteal drsquoinfractions (concorso ideale di reati Idealkonkurrenz)98

avec lrsquoinfraction ou les infractions deacutejagrave jugeacutees La mecircme prohibition est

valable pour le concours reacuteel drsquoinfractions (concorso materiale di reati

Realkonkurrenz) lorsqursquoelles appartiennent agrave la mecircme uniteacute temporelle et

spatiale Cela signifie eacutegalement que lrsquoeffet ne bis idem drsquoun jugement

constatant une infraction continueacutee fait obstacle agrave la tenue drsquoun nouveau

procegraves pour des chefs drsquoaccusation se rapportant agrave tout nouveau fait distinct

srsquoinscrivant dans la continuiteacute du comportement deacutelictueux en cause99

35 En reacutesumeacute lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine affirme en droit europeacuteen

des droits de lrsquohomme le principe ne bis in idem en tant que droit individuel

de mecircme porteacutee que le principe classique drsquoeacutepuisement de la proceacutedure

95 Par exemple lrsquoarticle 4 du Protocole ndeg 7 a eacuteteacute eacutetendu aux sanctions administratives

telles que des majorations de 40 et 80 des impocircts dus (Ponsetti et Chesnell c France

(deacutec) nos 3685597 et 4173198 CEDH 1999-VI) aux sanctions administratives

compleacutementaires des peines peacutenales (Maszni c Roumanie ndeg 5989200 21 septembre

2006) et aux sanctions civiles (Storbraringten deacutecision preacuteciteacutee)

96 La Cour a deacutefini lrsquoidem factum comme laquo une seule et mecircme conduite de la part des

mecircmes personnes agrave la mecircme date raquo (Maresti c Croatie no 5575907 sect 63 25 juin 2009 et

Muslija c Bosnie‑Herzeacutegovine ndeg 3204211 sect 34 14 janvier 2014) La jurisprudence de la

Cour de Luxembourg concernant lrsquoarticle 54 de la CAAS est similaire (Van Esbroeck

preacuteciteacute sectsect 27 32 et 36 Kretzinger preacuteciteacute sectsect 33 et 34 Van Straaten preacuteciteacute sectsect 41 47 et

48 et Norma Kraaijenbrink preacuteciteacute sect 30)

97 Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 82 et 84 Lagrave nrsquoest pas le lieu ni lrsquoendroit pour

analyser le caractegravere artificiel de la summa divisio entre lrsquoidem factum et lrsquoidem legem

Lrsquoidem factum est conditionneacute dans une certaine mesure par lrsquoappreacutehension a priori des

faits pertinents agrave la lumiegravere du droit peacutenal Crsquoest particuliegraverement vrai dans le cas des

infractions continueacutees

98 Oliveira c Suisse ndeg 2571194 30 juillet 1998 Recueil 1998-V

99 Voir mon opinion seacutepareacutee dans lrsquoarrecirct Rohlena c Reacutepublique Tchegraveque [GC]

ndeg 5955208 sect 9 CEDH 2015

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 75

(Erledigungsprinzip)100 La garantie srsquoeacutetend au droit de ne pas ecirctre poursuivi

ou jugeacute deux fois101 Ce principe en son sens europeacuteen va bien plus loin

que la maxime res judicata pro veritate habetur qui vise fondamentalement

agrave proteacuteger lrsquoeacutenonceacute final public et faisant autoriteacute sur le crimen et ainsi agrave

assurer la seacutecuriteacute juridique et eacuteviter les jugements contradictoires En outre

lrsquointerpreacutetation europeacuteenne du principe ne bis in idem vise agrave proteacuteger le

suspect des faits alleacutegueacutes drsquoune double incrimination lorsque son

acquittement ou sa condamnation preacutealables sont deacutejagrave passeacutes en force de

chose jugeacutee102

Neacuteanmoins la Cour dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine exige une

comparaison entre la deacutecision par laquelle la premiegravere laquo proceacutedure peacutenale raquo

a eacuteteacute conclue et la liste des accusations dirigeacutees contre le requeacuterant dans les

nouvelles proceacutedures Puisque les faits dans les deux proceacutedures se

distinguaient au niveau drsquoun seul eacuteleacutement la menace de violence qui

nrsquoavait pas eacuteteacute mentionneacutee dans les premiegraveres proceacutedures la Cour considegravere

que les accusations peacutenales au titre de lrsquoarticle 213 sect 2 b) du Code Peacutenal

englobent les faits de lrsquoinfraction reacuteprimeacutee par lrsquoarticle 158 du Code des

infractions administrative dans leur totaliteacute et que inversement lrsquoinfraction

drsquolaquo actes perturbateurs mineurs raquo ne renfermait aucun eacuteleacutement qui nrsquoeacutetait

contenu dans lrsquoinfraction drsquolaquo actes perturbateurs raquo et laquo concernait

essentiellement la mecircme infraction raquo 103

36 Au regard de ce qui preacutecegravede je partage lrsquoopinion de la majoriteacute de la

Grande Chambre dans la preacutesente affaire selon laquelle lrsquoinfraction peacutenale

pour laquelle les requeacuterants ont eacuteteacute poursuivis condamneacutes et punis eacutetait

baseacutee sur le mecircme ensemble de faits que ceux pour lesquels les majorations

drsquoimpocirct leur ont eacuteteacute infligeacutees

b) La deacutecision deacutefinitive dans les proceacutedures administratives

37 Le but de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 est de prohiber la reacutepeacutetition

des proceacutedures conclues par une deacutecision laquo deacutefinitive raquo Drsquoapregraves le Rapport

explicatif du Protocole no 7 qui se reacutefegravere lui-mecircme agrave la Convention

europeacuteenne sur la valeur internationale des jugements reacutepressifs une

100 Se reacutefeacuterant litteacuteralement agrave la nature individuelle du droit Sergueiuml Zolotoukhine

preacuteciteacute sect 81

101 Ibidem sect 110 et auparavant Franz Fischer c Autriche ndeg 3795097 sect 29 29 mai

2001

102 Ainsi qursquoil a eacuteteacute deacutemontreacute ci-dessus il srsquoagit de lrsquoideacuteologie sous-jacente au septiegraveme

amendement agrave la Constitution des Eacutetats-Unis et agrave lrsquoarticle 8 du chapitre V du titre II de la

Constitution franccedilaise de 1791 montrant que lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine est conforme agrave la

compreacutehension historique et pro persona de ce principe agrave lrsquoeacutepoque moderne

103 Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 97 et 121 Peut-ecirctre est-ce involontaire mais dans

drsquoautres cas la Cour compare les laquo eacuteleacutements essentiels raquo de lrsquoinfraction pour eacutetablis lrsquoidem

(voir les exemples post-Sergueiuml Zolotoukhine Muslija preacuteciteacute sect 34 Asadbeyli et autres

c Azerbaiumldjan nos 365305 1472905 2090805 2624205 3608305 et 1651906 sect 157

11 deacutecembre 2012 et Ruotsalainen c Finlande no 1307903 sect 56 16 juin 2009)

76 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

deacutecision est deacutefinitive laquo si elle est selon lrsquoexpression consacreacutee passeacutee en

force de chose jugeacutee Tel est le cas lorsqursquoelle est irreacutevocable crsquoest-agrave-dire

lorsqursquoelle nrsquoest pas susceptible de voies de recours ordinaires ou que les

parties ont eacutepuiseacute ces voies ou laisseacute passer les deacutelais sans les exercer raquo104

Dans lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine la Cour a rappeleacute que les deacutecisions agrave

lrsquoencontre desquelles existe une possibiliteacute de recours ordinaire eacutetaient

exclues du champ de la garantie contenue agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 tant

que le deacutelai pour interjeter un tel appel nrsquoa pas expireacute Drsquoun autre cocircteacute les

recours extraordinaires tels qursquoune requecircte en reacuteouverture des proceacutedures ou

une demande drsquoextension du deacutelai expireacute ne sont pas pris en consideacuteration

aux fins de deacuteterminer si les proceacutedures ont atteint une conclusion

deacutefinitive

38 Agrave lrsquoinverse de la majoriteacute de la Grande Chambre je ne peux suivre

le raisonnement de la Cour suprecircme et la position des requeacuterants quant agrave

lrsquoargument selon lequel les deacutecisions de majorations drsquoimpocirct eacutetaient

devenues deacutefinitives le 15 deacutecembre 2008 pour M A et le 26 deacutecembre

2008 pour M B crsquoest-agrave-dire avant qursquoils ne soient condamneacutes pour les

mecircmes faits par la Cour de district bien que le deacutelai de 6 mois pour entamer

des proceacutedures judiciaires fixeacute par lrsquoarticle 11-1(4) de la loi fiscale nrsquoavait

pas encore expireacute Puisque les requeacuterants avaient toujours le droit drsquoacceacuteder

agrave une voie de recours jrsquoai du mal agrave consideacuterer les deacutecisions imposant les

majorations drsquoimpocirct comme irreacutevocables105 Cette conclusion srsquoimpose

drsquoautant plus si lrsquoon tient compte du fait que puisque les organes

administratifs en questions ne sont ni indeacutependants ni juridictionnels le

droit drsquoaccegraves agrave une proceacutedure judiciaire est neacutecessaire pour que les sanctions

administratives soient compatibles avec lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention106

39 La date exacte agrave laquelle la deacutecision administrative est devenue

deacutefinitive nrsquoest de toute eacutevidence pas anodine Lrsquohypothegravese juridique selon

laquelle la deacutecision administrative drsquoimposition des majorations devient

deacutefinitive en premier lieu pourrait ecirctre diffeacuterent de celui dans lequel la

condamnation peacutenale pour fraude fiscale devient deacutefinitive la premiegravere

Bien que la Cour ait consideacutereacute que laquo la question de savoir si le principe non

bis in idem a eacuteteacute enfreint se rapporte agrave la relation entre les deux infractions

et ne peut donc deacutependre de lrsquoordre dans lequel les proceacutedures sont

conduites raquo107 lrsquoimpact juridique drsquoune condamnation peacutenale deacutefinitive sur

une proceacutedure administrative peut se distinguer de maniegravere significative de

lrsquoimpact juridique drsquoune deacutecision administrative finale sur une proceacutedure

peacutenale La majoriteacute a fermeacute les yeux sur ce distinguo sans eacutevaluer les

diffeacuterentes conseacutequences en droit norveacutegien de ces diffeacuterentes hypothegraveses

Elle a simplement supposeacute que les proceacutedures administratives et peacutenales

104 Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 107 et 108

105 Crsquoest eacutegalement lrsquoargument du Gouvernement (voir paragraphe 72 de lrsquoarrecirct)

106 Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic preacuteciteacute sect 93

107 Franz Fischer preacuteciteacute sect 29

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 77

srsquoinscrivaient dans une laquo approche inteacutegreacutee raquo108 en concluant qursquoil nrsquoeacutetait

pas neacutecessaire de traiter de la question du caractegravere deacutefinitif des proceacutedures

administratives Je deacutemontrerai par la suite les effets neacutegatifs de cette

position

B Les proceacutedures parallegraveles administratives et peacutenales (bis)

a) Un lien temporel suffisant

40 Bien que la Cour dans lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine ne traite pas du

cas des proceacutedures parallegraveles ex professo109 elle eacutecarte bel et bien la

condition suppleacutementaire et inexacte que lrsquoaffaire Zigarella avait ajouteacutee au

bis en lrsquoabsence de tout dommage deacutemontreacute par le requeacuterant seules de

nouvelles proceacutedures entameacutees en connaissance du fait que lrsquoaccuseacute avait

deacutejagrave eacuteteacute jugeacute dans des proceacutedures anteacuterieures violeraient le principe ne bis in

idem110

41 Drsquoun point de vue litteacuteral rien dans la formulation de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 nrsquoindique qursquoune distinction doive ecirctre opeacutereacutee entre des

proceacutedures parallegraveles ou conseacutecutives entre la reprise de poursuites en

attente et le deacuteclenchement de nouvelles poursuites Agrave proprement parler la

disposition nrsquoempecircche pas que plusieurs proceacutedures parallegraveles soient

meneacutees avant qursquoune deacutecision deacutefinitive ne soit adopteacutee agrave lrsquoissue de lrsquoune

drsquoentre elles Dans une telle situation il ne peut ecirctre consideacutereacute que

lrsquoindividu a eacuteteacute poursuivi plusieurs fois laquo en raison drsquoune infraction pour

laquelle il a deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute ou condamneacute par un jugement deacutefinitif raquo111

Dans le cas de deux proceacutedures parallegraveles la Convention exige que la

108 Voir le paragraphe 141 de lrsquoarrecirct

109 Lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine traite de deux proceacutedures conseacutecutives la proceacutedure

administrative srsquoest acheveacutee le 4 janvier 2002 et la proceacutedure peacutenale ouverte le 23 janvier

2002 srsquoest acheveacutee le 15 avril 2003

110 Zigarella c Italie (deacutec) ndeg 4815499 CEDH 2002-IX (extraits) et Falkner

c Autriche (deacutec) ndeg 607202 30 septembre 2004 Au paragraphe 36 de lrsquoarrecirct de chambre

dans lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine la mecircme position est adopteacutee mais le paragraphe 115

de lrsquoarrecirct de la Grande Chambre srsquoabstient de reacutepeacuteter la mecircme phrase La Grande Chambre

admet seulement qursquoelle peut consideacuterer que le requeacuterant a perdu sa qualiteacute de victime

lorsque les autoriteacutes nationales entament deux seacuteries de proceacutedures mais par la suite

reconnaissent la violation du ne bis in idem et offrent la reacuteparation adeacutequate par exemple

en clocircturant ou en annulant la deuxiegraveme proceacutedure et en en supprimant les effets Ainsi la

Cour ne se reacutefegravere pas au caractegravere volontaire de lrsquoouverture de la seconde proceacutedure comme

condition de la violation du ne bis in idem et requiert seulement qursquoil y ait reconnaissance

explicite de la violation au niveau interne pour conclure agrave la non-recevabiliteacute du grief du

requeacuterant Ulteacuterieurement la Cour est malheureusement revenue agrave la formulation de lrsquoarrecirct

Zigarella dans les arrecircts Maresti (preacuteciteacute sect 66) et Tomasovic (preacuteciteacute sect 29) mais voir

lrsquoimportante opinion seacutepareacutee du juge Sicilianos jointe agrave ce dernier arrecirct

111 Garaudy c France (deacutec) ndeg 6583101 CEDH 2003-IX (extraits)

78 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

seconde soit interrompue aussitocirct que la premiegravere devient deacutefinitive112 En

lrsquoabsence drsquoune telle interruption la Cour conclut agrave une violation113

42 Cependant dans un certain nombre drsquoaffaires la Cour a eacutetabli des

regravegles diffeacuterentes pour certaines proceacutedures peacutenales et administratives

parallegraveles Dans la deacutecision Nilsson la Cour a consideacutereacute pour la premiegravere

fois que laquo si les diverses sanctions infligeacutees agrave lrsquointeacuteresseacute ont eacuteteacute prononceacutees

par deux autoriteacutes diffeacuterentes agrave lrsquoissue de proceacutedures distinctes il existait

entre elles un lien mateacuteriel et temporel suffisamment eacutetroit pour que lrsquoon

puisse consideacuterer le retrait de permis comme lrsquoune des mesures preacutevues par

le droit sueacutedois pour la reacutepression des deacutelits de conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute

avanceacute et de conduite sans permis raquo 114 Ce que la Cour envisage comme un

laquo lien temporel suffisamment eacutetroit raquo nrsquoest pas clair puisqursquoelle ne se reacutefegravere

pas explicitement agrave la peacuteriode entre la deacutecision devenue deacutefinitive en

premier lieu (la condamnation du requeacuterant par le tribunal de district de

Mora le 24 juin 1999) et la deacutecision devenue ensuite deacutefinitive (la deacutecision

de la Cour suprecircme du 18 deacutecembre 2000 deacuteboutant le requeacuterant) ou entre

la premiegravere deacutecision administrative (lrsquoavis deacutelivreacute par la preacutefecture le 5 mai

1999) et la premiegravere deacutecision peacutenale (la condamnation du requeacuterant par le

tribunal de district de Mora le 24 juin 1999) ou entre la premiegravere deacutecision

peacutenale (la deacutecision du tribunal de district de Mora du 24 juin 1999) et la

premiegravere deacutecision administrative de retrait du permis de conduire (lrsquoavis de

la preacutefecture du 5 aoucirct 1999) En reacutealiteacute il existe un tregraves bref

chevauchement entre les proceacutedures administratives qui ont deacutebuteacute le 5 mai

1999 et ont pris fin le 18 deacutecembre 2000 et les proceacutedures peacutenales qui ont

pris fin le 24 juin 1999

Dans lrsquoaffaire Boman115 la Cour a eacutegalement consideacutereacute qursquoil existait

pareil lien temporel puisque la deacutecision de la police du 28 mai 2010

drsquoimposer une seconde interdiction de conduite eacutetait directement baseacutee sur

la condamnation finale du requeacuterant par le tribunal deacutepartemental des

infractions routiegraveres du 22 avril 2010 et ainsi ne contenait pas drsquoexamen

propre de lrsquoinfraction ou de la conduite en cause Le lien temporel suffisant

eacutetait lieacute agrave lrsquoabsence drsquoappreacuteciation autonome des preuves comme si lrsquoun et

lrsquoautre eacutetaient eacutetroitement associeacutes

43 Agrave lrsquoinverse dans les affaires Glantz116 Nykaumlnen117 Lucky Dev118

Rinas119 et Oumlsterlund120 la Cour a pris en consideacuteration les dates auxquelles

112 Zigarella preacuteciteacute Il pourrait exister une difficulteacute au regard de la Convention lorsque

deux ou plusieurs proceacutedures peacutenales sont meneacutees en parallegravele contre le mecircme accuseacute pour

les mecircmes faits avant mecircme qursquoune deacutecision deacutefinitive nrsquoait eacuteteacute rendue dans lrsquoune drsquoentre

elles La situation de lis pendens forccedilant lrsquoaccuseacute agrave preacutesenter plusieurs strateacutegies de

deacutefense en mecircme temps devant plusieurs autoriteacutes soulegraveve un problegraveme drsquoinjustice

113 Tomasović preacuteciteacute sectsect 30 et 32 Muslija preacuteciteacute sect 37 et Milenković c Serbie

ndeg 5012413 sect 46 1 mars 2016

114 Nilsson preacuteciteacute

115 Boman c Finlande ndeg 4160411 17 feacutevrier 2015

116 Glantz c Finlande ndeg 3739411 20 mai 2014

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 79

les deacutecisions administratives et peacutenales eacutetaient devenues deacutefinitives Dans

toutes ces affaires la Cour a constateacute une violation Dans lrsquoarrecirct Glantz121

la proceacutedure administrative avait eacuteteacute initieacutee le 18 deacutecembre 2006 et a eacuteteacute

deacutefinitivement close le 11 janvier 2010 alors que la proceacutedure peacutenale avait

eacuteteacute initieacutee le 15 deacutecembre 2008 Les deux instances eacutetaient donc en cours de

maniegravere concurrente jusqursquoau 11 janvier 2010 lorsque la premiegravere a eacuteteacute

deacutefinitivement close Dans la mesure ougrave la proceacutedure peacutenale nrsquoavait pas eacuteteacute

interrompue apregraves que la premiegravere proceacutedure avait eacuteteacute deacutefinitivement close

mais srsquoeacutetait poursuivie jusqursquoagrave une deacutecision deacutefinitive le 18 mai 2011 la

Cour a consideacutereacute que le requeacuterant avait eacuteteacute condamneacute deux fois dans la

mecircme affaire dans instances devenues deacutefinitivement closes le 11 janvier

2010 et le 18 mai 2011122

Dans lrsquoarrecirct Rinas123 la Cour a noteacute que lorsque la proceacutedure peacutenale a

eacuteteacute deacutefinitivement close le 31 mai 2012 le recours formeacute par le requeacuterant

contre la deacutecision de majoration fiscale eacutetait toujours pendant devant la

Cour administrative suprecircme Dans la mesure ougrave la proceacutedure

administrative devant la Cour administrative suprecircme nrsquoavait pas eacuteteacute

interrompue apregraves que la proceacutedure peacutenale avait eacuteteacute deacutefinitivement close

mais srsquoeacutetait poursuivie jusqursquoagrave une deacutecision deacutefinitive du 13 septembre

2012 le requeacuterant a eacuteteacute condamneacute deux fois dans la mecircme affaire

concernant les anneacutees fiscales 2002 agrave 2004 dans deux instances closes

respectivement le 31 mai 2012 et le 13 septembre 2012124

44 La Cour est arriveacutee agrave une conclusion diffeacuterente dans lrsquoarrecirct Haumlkkauml125

La proceacutedure administrative avait deacutebuteacute en 2007 lorsque des majorations

drsquoimpocirct avaient eacuteteacute imposeacutees au requeacuterant Il nrsquoavait apparemment jamais

chercheacute agrave obtenir une rectification ni agrave former un recours et en

conseacutequence cette proceacutedure a eacuteteacute deacutefinitivement close le 31 deacutecembre

2010 et le 31 deacutecembre 2011 agrave lrsquoexpiration des deacutelais de rectification et

drsquoappel La proceacutedure peacutenale avait eacuteteacute initieacutee le 3 avril 2008 et srsquoeacutetait

acheveacutee le 29 juin 2010 lorsque la Cour suprecircme a rendu son arrecirct deacutefinitif

Les deux instances eacutetaient ainsi pendantes de maniegravere concurrente jusqursquoau

117 Nykaumlnen preacuteciteacute

118 Lucky Dev preacuteciteacute

119 Rinas c Finlande ndeg 1703913 27 janvier 2015

120 Oumlsterlund c Finlande ndeg 5319713 10 feacutevrier 2015

121 Glantz preacuteciteacute sect 62

122 Le mecircme raisonnement a eacuteteacute suivi dans Nykaumlnen (preacuteciteacute sect 52 ndash les proceacutedures

fiscales avaient commenceacute le 28 novembre 2005 et srsquoeacutetaient acheveacutees le 1er avril 2009

alors que les proceacutedures peacutenales avaient eacuteteacute initieacutees le 19 aoucirct 2008 et srsquoeacutetaient acheveacutees le

1er septembre 2010) et Lucky Dev (preacuteciteacute sect 63 ndash les proceacutedures fiscales avaient

commenceacute le 1er juin 2004 et srsquoeacutetaient acheveacutees le 20 octobre 2009 et les proceacutedures

peacutenales initieacutees le 5 aoucirct 2005 ont eacuteteacute deacutefinitivement closes le 8 janvier 2009)

123 Rinas preacuteciteacute sect 56

124 La situation eacutetait similaire dans lrsquoaffaire Oumlsterlund (preacuteciteacute sect 51)

125 Haumlkkauml c Finlande ndeg 75811 sectsect 50-52 20 mai 2014

80 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

29 juin 2010 quand la seconde devint deacutefinitive La Cour nrsquoa pas conclu agrave

la violation dans la mesure ougrave laquo le requeacuterant avait une possibiliteacute reacuteelle

drsquoempecirccher une double incrimination tout drsquoabord en demandant la

rectification puis en formant un recours dans le deacutelai qui nrsquoeacutetait pas encore

expireacute raquo126 Ainsi pour la Cour dans lrsquoarrecirct Haumlkkauml si lrsquoaccuseacute ne forme

aucun recours administratif le principe ne bis in idem ne trouve pas agrave

srsquoappliquer quand bien mecircme lrsquoaccuseacute aurait deacutejagrave fait lrsquoobjet drsquoune

condamnation deacutefinitive dans la proceacutedure peacutenale

45 Enfin dans lrsquoarrecirct Kiiveri127 la Cour a consideacutereacute que le requeacuterant ne

pouvait plus se plaindre drsquoune double incrimination pour lrsquoanneacutee fiscale

2002 preacuteciseacutement parce que la Cour suprecircme avait conclu que lrsquoaffaire

avait eacuteteacute deacutefinitivement trancheacutee dans la proceacutedure fiscale administrative et

avait rejeteacute les accusations peacutenales de fraude fiscale aggraveacutee laquo sans

examiner le fond raquo128 concernant lrsquoanneacutee 2002 sur la base du principe ne

bis in idem

46 Les exemples ci-dessus suffisent agrave montrer que le laquo lien temporel

suffisamment eacutetroit raquo est totalement arbitraire Crsquoest preacuteciseacutement la raison

pour laquelle la Cour srsquoen est dispenseacutee dans les affaires italiennes et

grecques129

Contrairement agrave la position du gouvernement franccedilais qui avait identifieacute

une phase drsquoappreacuteciation par les autoriteacutes fiscales et une autre drsquoenquecircte

judiciaire lesquelles devaient ecirctre meneacutees simultaneacutement ou nrsquoecirctre seacutepareacutees

que par un bref intervalle130 la majoriteacute dans la preacutesente affaire a choisi de

consideacuterer pertinente une peacuteriode de neuf mois entre le moment ougrave la

deacutecision des autoriteacutes fiscales du 5 deacutecembre 2008 eacutetait devenue deacutefinitive

et la date de la condamnation du second requeacuterant le 30 septembre 2009

Bien que cette peacuteriode soit laquo plus longue raquo131 que la peacuteriode de deux mois et

demi dans le cas du premier requeacuterant la majoriteacute impute ce laps de temps

additionnel au retrait par le second requeacuterant de ses aveux Selon ce

raisonnement la garantie du ne bis idem devient flexible avec une porteacutee

plus eacutetroite lorsque lrsquoaccuseacute exerce ses droits proceacuteduraux et plus large

lorsqursquoil ne le fait pas La posture punitive de la majoriteacute ne pouvait pas ecirctre

illustreacutee de maniegravere plus eacuteloquente

126 Ibidem sect 52

127 Kiiveri c Finlande ndeg 5375312 10 feacutevrier 2015

128 Ibidem sect 36

129 Je me reacutefegravere aux arrecircts Grande Stevens et autres (preacuteciteacute) Kapetanios et autres

(preacuteciteacute) et Sismanidis et Sitaridis (preacuteciteacute) dans lesquels la Cour a eacuteteacute unanime

130 Voir paragraphe 96 de lrsquoarrecirct

131 Voir paragraphe 150 de lrsquoarrecirct

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 81

b) Un lien mateacuteriel suffisant

47 La majoriteacute suit explicitement le raisonnement eacutetabli dans les

affaires RT c Suisse132 et Nilsson c Suegravede133 concernant les doubles

proceacutedures peacutenales et administratives lorsque les deacutecisions de retrait de

permis de conduire eacutetaient directement baseacutees sur une condamnation peacutenale

attendue ou finale pour infraction routiegravere et ainsi ne contenaient pas

drsquoexamen seacutepareacute de lrsquoinfraction ou de la conduite en cause134 Cette

jurisprudence a eacuteteacute deacuteveloppeacutee plus avant dans les affaires Lucky Dev

Nykaumlnen et Haumlkkauml135 ougrave il nrsquoexistait preacutetendument aucun lien suffisant

mateacuteriel et temporel entre les proceacutedures peacutenales et fiscales Dans les trois

affaires susmentionneacutees les proceacutedures peacutenales et fiscales eacutetaient parallegraveles

et concernaient la mecircme peacuteriode et essentiellement le mecircme montant

soustrait au fisc Dans celles-ci la Cour a noteacute que les infractions avaient

eacuteteacute examineacutees par diffeacuterentes autoriteacutes et juridictions sans que les

proceacutedures ne soient lieacutees les deux instances suivant leur propre cours et

eacutetant devenues deacutefinitives agrave des moments diffeacuterents Enfin dans tous ces

cas la responsabiliteacute peacutenale du requeacuterant et sa responsabiliteacute de payer les

majorations drsquoimpocirct fixeacutees par la leacutegislation fiscale pertinente eacutetaient

deacutetermineacutes dans des proceacutedures totalement indeacutependantes les unes des

autres Dans lrsquoaffaire Lucky Dev la Cour administrative suprecircme nrsquoavait pas

pris en consideacuteration le fait que la requeacuterante avait eacuteteacute acquitteacutee de

lrsquoinfraction fiscale lorsqursquoelle a refuseacute de faire appel et a imposeacute en

conseacutequence des majorations deacutefinitives136 Dans les affaires Nykaumlnen et

Haumlkkauml ni les sanctions administratives ni les sanctions peacutenales nrsquoont eacuteteacute

prises en consideacuteration par lrsquoautre juridiction ou autoriteacute lorsque celles-ci se

sont prononceacutees sur la seacuteveacuteriteacute de la sanction il nrsquoy a drsquoailleurs eu aucune

interaction entre les autoriteacutes concerneacutees137

48 Avant de discuter les deacutetails de ce raisonnement deux arguments

fallacieux doivent ecirctre eacutecarteacutes drsquoembleacutee Lrsquoun veut que si lrsquoarticle 4 du

132 RT c Suisse (deacutec) ndeg 3198296 30 mai 2000

133 Nilsson preacuteciteacute

134 Dans lrsquoaffaire RT c Suisse la proceacutedure administrative avait deacutebuteacute le 11 mai 1993

et avait eacuteteacute conclue avec la deacutecision du Tribunal feacutedeacuteral du 5 deacutecembre 1995 alors que la

proceacutedure peacutenale avait eacuteteacute conclue par la deacutelivrance de lrsquoordonnance peacutenale du 9 juin 1993

qui nrsquoavait pas fait lrsquoobjet drsquoun recours Dans lrsquoaffaire Nilsson la proceacutedure peacutenale avait

eacuteteacute conclue le 24 juin 1999 puisque le jugement du tribunal deacutepartemental de Mora nrsquoavait

pas fait lrsquoobjet drsquoun recours alors que la proceacutedure administrative avait commenceacute le 5 mai

1999 et srsquoeacutetait acheveacutee le 11 novembre 1999 Dans le dernier cas la sanction administrative

a eacuteteacute imposeacutee apregraves que la sanction peacutenale eacutetait devenue deacutefinitive Dans le premier cas la

sanction administrative a eacuteteacute imposeacutee avant la sanction peacutenale Ces affaires ne sont pas

similaires Pourtant la majoriteacute les a traiteacutees comme si elles lrsquoeacutetaient

135 Lucky Dev preacuteciteacute sect 54 et Nykaumlnen preacuteciteacute sect 43 et Haumlkkauml preacuteciteacute sectsect 50-52

136 Lucky Dev preacuteciteacute sect 62 Oumlsterlund preacuteciteacute sectsect 50 et 51 et Rinas preacuteciteacute sectsect 55 et

56

137 Nykaumlnen preacuteciteacute sectsect 51 et 52 Haumlkkauml preacuteciteacute sectsect 50 et 52

82 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

Protocole no 7 devait ecirctre interpreacuteteacute comme prohibant la clocircture de

proceacutedures en cours agrave partir du moment ougrave soit la proceacutedure peacutenale soit la

proceacutedure administrative est conclue par une deacutecision deacutefinitive cela

implique des laquo conseacutequences lourdes neacutegatives et impreacutevisibles dans un

certain nombre de domaines relevant du droit administratif raquo138 Cet

argumentum ad terrorem lequel joue la carte de lrsquoappel agrave la peur nrsquoest pas

un argument juridique et ne devrait degraves lors beacuteneacuteficier drsquoaucun creacutedit devant

une juridiction Lrsquoautre exemple drsquoargument fallacieux inadmissible est

celui selon lequel plusieurs Eacutetats europeacuteens qui connaissent un double

systegraveme de sanction ont plaideacute pour son maintien devant la Cour exprimant

des opinions et preacuteoccupations similaires agrave celles du gouvernement

deacutefendeur139 Il srsquoagit drsquoun argumentum ad nauseam jouant sur la reacutepeacutetition

de lrsquoargument et non sur ses meacuterites Il ne devrait pas qua tale avoir sa place

dans une deacutecision de la Cour

49 Deux postulats geacuteneacuteraux erroneacutes doivent eacutegalement ecirctre deacutenonceacutes Il

est faut drsquoarguer sur le terrain de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 que les Eacutetats

doivent beacuteneacuteficier drsquoune large marge drsquoappreacuteciation agrave cet eacutegard tant que le

systegraveme de double sanction poursuit un but leacutegitime et ne fait pas peser un

fardeau excessif ou disproportionneacute sur lrsquoaccuseacute Il srsquoagit drsquoun droit non

susceptible de deacuterogation et par conseacutequent les Eacutetats ne beacuteneacuteficient

drsquoaucune marge drsquoappreacuteciation140

Il nrsquoest pas davantage permis drsquoarguer que la question de savoir laquelle

des deux proceacutedures parallegraveles devient deacutefinitive relegraveve de la coiumlncidence

ni que si les autoriteacutes eacutetaient obligeacutees drsquointerrompre la premiegravere lorsque la

deuxiegraveme devient deacutefinitive lrsquoissue des proceacutedures combineacutees pourrait srsquoen

trouver arbitraire Cette argumentation est circulaire parce qursquoelle

preacutesuppose qursquoil devrait y avoir plus drsquoune proceacutedure pour les mecircmes faits

De plus elle implique que lrsquoaccuseacute puisse utiliser le principe ne bis in idem

agrave des fins de laquo manipulation et drsquoimpuniteacute raquo141 comme si lrsquoaccuseacute eacutetait

toujours en mesure de controcircler le rythme des proceacutedures Une telle vision

de lrsquoeacutequilibre des pouvoirs dans les proceacutedures administratives est

deacuteconnecteacutee de la reacutealiteacute142 Enfin la supposition sous-jacente du

raisonnement de la majoriteacute est la suivante le principe ne bis in idem nrsquoest

pas lrsquoexpression drsquoun droit subjectif de lrsquoaccuseacute mais une simple regravegle

visant agrave garantie lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee avec pour seul but la

138 Voir lrsquoargument du Gouvernement au paragraphe 84 de lrsquoarrecirct

139 Voir cet argument au paragraphe 119 de lrsquoarrecirct

140 Voir de maniegravere similaire le Rapport explicatif sur lrsquoAvis de lrsquoAssembleacutee

Parlementaire du Conseil de lrsquoEurope sur le Projet de Protocole ndeg 15 agrave la Convention de

sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales doc 13154 28 mars 2013

sect 8

141 Voir paragraphe 127 de lrsquoarrecirct

142 Voir comme exemple du deacuteseacutequilibre des pouvoirs entre les autoriteacutes administratives

et le justiciable dans des proceacutedures administratives mon opinion jointe agrave lrsquoarrecirct Grande

Stevens et autres preacuteciteacute

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 83

satisfaction de lrsquointeacuterecirct punitif de lrsquoEacutetat et de lrsquoincontestabiliteacute des deacutecisions

de justice Les reacuteflexions suivantes mettront en eacutevidence de maniegravere plus

deacutetailleacutee cette posture pro auctoritate de la majoriteacute

V - La reacutevision de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine

A La restriction de lrsquoidem factum par le critegravere du bis

a) La poursuite de buts diffeacuterents traitant drsquoaspects diffeacuterents de lrsquoacte

preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute

50 Drsquoapregraves la majoriteacute quatre conditions de fond doivent ecirctre reacuteunies

pour que puisse ecirctre accepteacute le cumul des sanctions administratives et

peacutenales des proceacutedures poursuivant des buts compleacutementaires et traitant

drsquoaspects diffeacuterents de lrsquoacte preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute en cause la

preacutevisibiliteacute du cumul des sanctions la non-reacutepeacutetition de la collecte et de

lrsquoappreacuteciation des preuves et le meacutecanisme de compensation entre les

sanctions administrative et peacutenale

51 La premiegravere condition fixeacutee par la majoriteacute se reacutefegravere agrave diffeacuterentes

proceacutedures poursuivant des buts compleacutementaires et traitant drsquoaspects

diffeacuterents de lrsquoacte en cause La majoriteacute identifie au paragraphe 144 les

diffeacuterents buts poursuivis par les majorations drsquoimpocirct sur le fondement de

lrsquoarticle 10 du chapitre 10 (dissuasion geacuteneacuterale et compensation pour le

travail et les coucircts supporteacutes par les autoriteacutes fiscales pour identifier les

deacuteclarations frauduleuses) et par la condamnation peacutenale sur le fondement

de lrsquoarticle 12 du chapitre 12 de la loi fiscale de 1980 (but punitif) La

majoriteacute souligne eacutegalement au paragraphe 123 lrsquolaquo eacuteleacutement additionnel raquo de

lrsquoinfraction peacutenale (la conduite frauduleuse) qui nrsquoest pas supposeacutement

traiteacute par lrsquoinfraction fiscale En drsquoautres termes la majoriteacute se range du

cocircteacute du Gouvernement qui preacutetend que les majorations drsquoimpocirct ordinaires

sont laquo infligeacutees objectivement sans consideacuteration de la faute dans le but

drsquooffrir agrave lrsquoEacutetat une compensation pour les coucircts associeacutes raquo au processus de

controcircle143

52 Cette thegravese ne tient pas pour deux raisons juridiques de principe

Premiegraverement il nrsquoy a aucune disposition ni instrument obligatoire de droit

interne qui requerrait un rapport de proportionnaliteacute entre les majorations

drsquoimpocirct et les coucircts engageacutes par lrsquoadministration pour deacutetecter investiguer

poursuivre et reacuteparer lrsquoinfraction fiscale imputeacutee au coupable Une telle

exigence serait simplement irreacutealiste puisqursquoelle ne pourrait ecirctre baseacutee que

sur une estimation virtuelle et approximative des coucircts per capita de

lrsquoadministration fiscale avec son systegraveme de controcircles et drsquoaudits reacutealiseacutes

pour identifier les deacuteclarations frauduleuses Ainsi lrsquoexistence drsquoune finaliteacute

compensatoire pour les majorations drsquoimpocirct impliquerait un eacuteleacutement

143 Voir les observations du Gouvernement du 11 novembre 2015 p 29

84 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

inadmissible de culpabiliteacute collective faisant peser sur certains

contribuables le coucirct du systegraveme de controcircle des deacuteclarations fiscales tout

entier

53 Ensuite la position de la majoriteacute neacuteglige le fait que les majorations

drsquoimpocirct en cause ne peuvent ecirctre consideacutereacutees comme simplement

compensatoires Des majorations jusqursquoagrave 30 voire mecircme 60 sont si

lourdes qursquoelles incluent manifestement une dimension punitive Dans

lrsquoaffaire Janosevic des majorations normalement fixeacutees agrave 20 ou 40 de

lrsquoimpocirct eacuteviteacute sans plafond et non convertible en peine de prison en cas de

non-paiement ont eacuteteacute consideacutereacutees comme relevant du volet peacutenal de

lrsquoarticle 6144 Enfin la majoriteacute nrsquoest pas consciente du but intrinsegravequement

punitif de toute majoration fiscale quel que soit son montant ainsi que

lrsquoaffaire Jussila lrsquoavait eacutetabli longtemps auparavant srsquoagissant drsquoune

majoration fiscale de 10 pouvant aller jusqursquoagrave 20 145 Il est difficile de

comprendre pourquoi la Cour a soudainement abandonneacute dans la preacutesente

affaire ces normes bien eacutetablies sans explication

En reacutesumeacute dans le cadre du droit norveacutegien les majorations drsquoimpocirct

visent agrave dissuader les fraudeurs potentiels et les reacutecidivistes La preacutevention

geacuteneacuterale est le but admis des majorations drsquoimpocirct en question146 Cet

objectif de preacutevention geacuteneacuterale a laquo neacutecessairement raquo des effets secondaires

punitifs et de preacutevention speacuteciale concernant le deacutelinquant condamneacute et ces

effets secondaires sont eacutevidemment voulus par la politique de lrsquoEacutetat147 La

Cour suprecircme a fait un effort louable pour limiter ces effets exemplaires et

punitifs par le principe de proportionnaliteacute148 Mais la Cour ne devrait pas se

livrer agrave un jeu seacutemantique Elle devrait plutocirct eacutevaluer drsquoune maniegravere

reacutealiste et terre agrave terre les sanctions fiscales et leur impact sur la vie des

contribuables Sous cet angle la preacutevention geacuteneacuterale par le biais drsquoune

punition proportionneacutee nrsquoest rien de plus qursquoune laquo theacuteorie punitive

deacuteguiseacutee raquo (verkappte Vergeltungstheorie)149

144 Janosevic preacuteciteacute sect 69

145 Jussila preacuteciteacute sect 38

146 Voir paragraphe 47 de lrsquoarrecirct

147 Ainsi que la Cour lrsquoa dit elle-mecircme dans lrsquoarrecirct Kurdov et Ivanov (preacuteciteacute sect 40)

mentionnant le but neacutecessairement reacutepressif des sanctions administratives de nature

peacutecuniaire

148 Voir le paragraphe 50 de lrsquoarrecirct

149 Il est impossible dans les limites de cette opinion drsquoentrer dans le grand deacutebat

doctrinal relatif aux objectifs des infractions administratives et en particulier de leurs

objectifs laquo deacuteguiseacutes raquo Comme introduction agrave cette discussion voir James Goldschmidt

Das Verwaltungsstrafrecht Eine Untersuchung der Grenzgebiete zwischen Strafrecht und

Verwaltungsrecht auf rechtsgeschichtlicher und rechtsvergleichender Grundlage Berlin

1902 Erik Wolf Die Stellung der Verwaltungsdelikte im Strafrechtssystem in Beitraumlge

zur Strafrechtswissenschaft Festgabe fuumlr Reinhard von Frank II Tuumlbingen 1930

Schmidt Straftaten und Ordnungswidrigkeiten in Juristen Zeitung 1951 Mattes

Untersuchungen zur Lehre von den Ordnungswidrigkeiten Berlin 1972 Paliero Minima

non curat praetor Ipertrofia del diritto penale e decriminalizzazione dei reatti bagatellari

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 85

54 Lrsquoargumentation du Gouvernement ne peut pas non plus ecirctre

accueillie concernant laquo lrsquoeacuteleacutement additionnel raquo de lrsquoinfraction peacutenale le

preacutetendu eacuteleacutement intentionnel frauduleux Lrsquoaccepter irait agrave lrsquoencontre de

lrsquoarrecirct Ruotsalainen150 Dans cette affaire lrsquoEacutetat deacutefendeur arguait que la

fraude fiscale incluait un eacuteleacutement laquo drsquointentionnaliteacute raquo alors que lrsquoinfraction

administrative ne pouvait reposer que sur des motifs objectifs La reacuteponse

de la Cour est eacuteloquente les faits dans les deux instances se distinguaient agrave

peine bien que la proceacutedure peacutenale requicirct une intention mais cela nrsquoeacutetait pas

pertinent aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Les eacuteleacutements des deux

infractions devaient donc ecirctre regardeacutes comme eacutetant substantiellement les

mecircmes agrave ces fins Il devrait en aller de mecircme dans la preacutesente affaire

55 En outre la majoriteacute ne compare pas les eacuteleacutements subjectifs de

lrsquoinfraction fiscale administrative passible de majoration drsquoimpocirct et

lrsquoinfraction fiscale de nature peacutenale passible drsquoemprisonnement ou

drsquoamende En conseacutequence elle meacuteconnaicirct la critique drsquoordre moral que

lrsquoon peut intrinsegravequement tirer de la lettre et de lrsquoesprit des provisions

pertinentes de la loi fiscale de 1980 (article 10-2 agrave 4 du chapitre 10)

Lrsquoarticle 10-3 emploie les expressions laquo excusable raquo et laquo raison qui ne peut

lui ecirctre reprocheacutee raquo pour deacutesigner les causes de remises fiscales

Lrsquoinexcusabiliteacute et le caractegravere blacircmable sont des notions intrinsegravequement

morales de lrsquoinfraction administrative qui caracteacuterisent la mens rea du

coupable On les trouve dans les infractions peacutenales aussi La modification

de cette disposition en 2010 ne renvoie plus agrave ces deux notions mais ajoute

la notion drsquolaquo erreur manifestement commise par inadvertance raquo qui

comporte de toute eacutevidence un eacuteleacutement de critique morale pour les erreurs

non commises laquo par inadvertance raquo ou intentionnelles

De plus les majorations drsquoimpocirct jusqursquoagrave un maximum de 60 peuvent

ecirctre imposeacutees quand des actes sont commis volontairement ou par

neacutegligence grossiegravere Ainsi ils requiegraverent lrsquoeacutetablissement drsquoune mens rea et

drsquoune culpabiliteacute comme en matiegravere peacutenale Les eacuteleacutements subjectifs de la

fraude eacutenonceacutes dans les dispositions peacutenales de lrsquoarticle 12-1 du chapitre 12

ndash laquo tout en sachant ou tout en eacutetant censeacutee savoir qursquoelle peut en tirer des

avantages fiscaux raquo ndash recoupe lrsquoeacuteleacutement subjectif de la majoration fiscale

aggraveacutee pouvant aller jusqursquoagrave 60 (neacutegligence grossiegravere ou intentionnelle

ndash article 10-4 du chapitre 10) Autrement dit les eacuteleacutements subjectifs des

sanctions peacutenales et administratives coiumlncident Les proceacutedures peacutenale et

administrative en cause ne visent pas tel ou tel aspect diffeacuterent de lrsquoacte

preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute

56 Une remarque pour finir la premiegravere condition fixeacutee par la majoriteacute

relegraveve en derniegravere analyse de la deacutetermination de lrsquoidem Lrsquoeacutetablissement

des laquo buts diffeacuterents raquo poursuivis par les infractions administratives et

Padoue 1985 et Delmas-Marty et autres Punir sans juger De la reacutepression administrative

au droit administratif peacutenal Paris 1992

150 Ruotsalainen preacuteciteacute sect 56

86 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

peacutenales et des laquo diffeacuterents aspects de lrsquoacte preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute raquo viseacutes

par chacune de ces infractions est intrinsegravequement une question de fond qui

touche agrave la deacutefinition de lrsquoidem Ces questions doivent ecirctre consideacutereacutees

comme se rattachant davantage agrave la notion drsquoidem plutocirct qursquoagrave celle de bis

contrairement au raisonnement theacuteorique de la majoriteacute En deacutepit de cette

confusion theacuteorique le but de la majoriteacute est tregraves clair elle veut limiter la

porteacutee de lrsquoidem factum En agissant de la sorte elle inflige un camouflet

conseacutequent agrave la jurisprudence Sergueiuml Zolotoukhine

b) La preacutevisibiliteacute du cumul des diffeacuterentes sanctions

57 La seconde condition fixeacutee par la majoriteacute se rapporte agrave la

preacutevisibiliteacute de la mixiteacute des proceacutedures administratives et peacutenales comme

conseacutequence agrave la fois en droit et en pratique du mecircme acte Une telle

preacutevisibiliteacute est affirmeacutee aux paragraphes 146 et 152 de lrsquoarrecirct sans le

moindre effort pour deacutevelopper la question tregraves deacutelicate du degreacute de

connaissance requis pour engager la responsabiliteacute administrative Une

probleacutematique qui a captiveacute lrsquoattention de la doctrine depuis des deacutecennies a

eacuteteacute tout simplement eacutecarteacutee151 La majoriteacute suppose simplement que les

citoyens en geacuteneacuteral et les contribuables en particulier connaissent ou

devraient connaicirctre lrsquointeacutegraliteacute du cadre juridique administratif y compris

les sanctions et ainsi pourraient ecirctre responsables de toute faute ou conduite

abusive agrave lrsquoaune de ce cadre juridique

58 La majoriteacute ne consacre pas une seule ligne de son raisonnement agrave

lrsquoargument des requeacuterants selon lequel les sanctions qui leur ont eacuteteacute

imposeacutees eacutetaient discriminatoires discreacutetionnaires et non preacutevisibles

puisque quatre coaccuseacutes (GA TF KB et GN) impliqueacutes dans les mecircmes

faits ne se sont pas vu imposer de majorations drsquoimpocirct alors que les

requeacuterants ont ducirc subir des peines de prison et des majorations drsquoimpocirct152

Cet argument va droit au cœur de la seconde condition fixeacutee par la majoriteacute

Les faits de la preacutesente affaire montrent que les Instructions du Procureur

geacuteneacuteral du 3 avril 2009 nrsquoont pas eacuteteacute appliqueacutees aux requeacuterants ni agrave A dont

la condamnation peacutenale date du 2 mars 2009 ni agrave B dont la condamnation

date du 30 novembre 2009 La Cour suprecircme en a pris note mais sans en

tirer de conseacutequence en en se justifiant ainsi laquo le parquet srsquoest reacuteserveacute le

droit drsquoouvrir des poursuites peacutenales sur la base drsquoune appreacuteciation

individuelle au cas ougrave serait en cours une proceacutedure parallegravele non contraire

[agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7] Il a eacuteteacute indiqueacute que le procegraves de [A] srsquoeacutetait

poursuivi au motif qursquoune juste sanction srsquoimposait agrave lrsquoaune drsquoautres

151 Voir comme introduction agrave cette probleacutematique les annotations aux paragraphes 10

et 11 in Rebman et autres Gesetz uumlber Ordnungswidrigkeiten Kommentar troisiegraveme

eacutedition Stuttgart 2016 et Karlsruher Kommentar zum Gesetz uumlber Ordnungswidrigkeiten

quatriegraveme eacutedition Munich 2014

152 Voir paragraphe 64 de lrsquoarrecirct

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 87

affaires connexes () Degraves lors le fondement de la deacutecision eacutetait le principe

drsquoeacutegaliteacute de traitement par rapport agrave des affaires connexes raquo Les requeacuterants

ont rejeteacute cet argument en soulignant que au regard des Instructions de

2009 les majorations drsquoimpocirct nrsquoavaient pas eacuteteacute imposeacutees agrave quatre autres

accuseacutes impliqueacutes dans les mecircmes faits Le Gouvernement nrsquoa pas

speacutecifiquement contesteacute cette thegravese La majoriteacute nrsquoa rien agrave reacutepondre agrave cette

thegravese majeure des requeacuterants

59 Quoi qursquoil en soit la latitude offerte par les Instructions est

inacceptable agrave la lumiegravere de la jurisprudence Camilleri153 Une telle latitude

pose problegraveme sous lrsquoangle de la seacutecuriteacute juridique Les Instructions avaient

fait naicirctre lrsquoespoir que lrsquoEacutetat ne consideacutererait plus le systegraveme norveacutegien de

reacutepression des fraudes fiscales agrave double voie comme eacutetant leacutegal et conforme

agrave la Convention et ainsi que le Procureur aurait lrsquoobligation drsquoattaquer les

condamnations et avant que celles-ci ne soient prononceacutees drsquoabandonner

les poursuites154 Dans le cas des requeacuterants la deacutecision par le parquet de

proceacuteder diffeacuteremment nrsquoeacutetait pas preacutevisible Le traitement preacutefeacuterentiel

accordeacute aux quatre autres accuseacutes impliqueacutes dans les mecircmes faits qui ont

eacuteteacute exempteacutes de toute majoration fiscale (GA TF KB et GN) ne fait que

prouver le caractegravere discreacutetionnaire et donc impreacutevisible du choix des

autoriteacutes nationales

B La conception pro auctoritate du ne bis in idem de la majoriteacute

a) Absence de reacutepeacutetition de la collecte et de lrsquoappreacuteciation des preuves

60 La troisiegraveme condition fixeacutee par la majoriteacute consiste en une

prohibition souple (laquo autant que possible raquo) de la reacutepeacutetition de la collecte et

de lrsquoappreacuteciation des preuves agrave partir drsquoun exemple (laquo notamment raquo)

lrsquointeraction entre diffeacuterentes autoriteacutes administrative et judiciaire pour

aboutir agrave lrsquoeacutetablissement des faits dans une proceacutedure est eacutegalement utiliseacutee

dans lrsquoautre proceacutedure155 Pour moi cette condition est tregraves probleacutematique

61 Par principe les conditions de la protection drsquoun droit individuel non

susceptible de deacuterogation tel que le ne bis in idem ne doivent pas ecirctre

laisseacutees au pouvoir discreacutetionnaire de lrsquoEacutetat Puisque la troisiegraveme condition

de la majoriteacute est une simple recommandation de iure condendo ce nrsquoest

pas une exigence conventionnelle Elle a le mecircme effet que lrsquoeacutenonceacute

eacutegalement de iure condendo selon lequel laquo la maniegravere la plus sucircre de veiller

153 Camilleri c Malte ndeg 4293110 22 janvier 2013

154 La position du Procureur Geacuteneacuteral norveacutegien ne pourrait ecirctre plus claire apregraves lrsquoarrecirct

Sergueiuml Zolotoukhine laquo Depuis le revirement opeacutereacute dans la jurisprudence de la Cour il

faut appliquer un systegraveme laquo agrave un niveau raquo eacutegalement pour les majorations drsquoimpocirct

ordinaires raquo Voir paragraphes 48 et 64 de lrsquoarrecirct

155 Voir paragraphe 132 de lrsquoarrecirct La majoriteacute ne dit pas un mot agrave propos de la solution

existant dans certains Eacutetats drsquoune coopeacuteration entre lrsquoadministration et le parquet pour

deacuteterminer la marche agrave suivre

88 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

au respect de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 consiste agrave preacutevoir agrave un stade

opportun une proceacutedure agrave un seul niveau raquo156 Tous deux sont des dicta non

contraignants qui nrsquoajoutent rien agrave la jurisprudence contraignante de la

Cour

62 En outre cette recommandation ne fait qursquoeffleurer en surface un

problegraveme tregraves seacuterieux Lrsquoexistence de diffeacuterentes deacuteclarations par les

autoriteacutes administratives et judiciaires sur les mecircmes faits sur la base drsquoune

appreacuteciation diffeacuterentes des mecircmes faits met en question lrsquoautoriteacute de

lrsquoEacutetat Pire encore une appreacuteciation diffeacuterente des preuves dans une

proceacutedure administrative et une proceacutedure peacutenale permet le deacutetournement

insidieux de la proceacutedure administrative aux fins de la proceacutedure peacutenale Ce

deacutetournement est encore plus inquieacutetant que le risque pour lrsquoautoriteacute de

lrsquoEacutetat dans la mesure ougrave il laisse lrsquoaccuseacute sans deacutefense En drsquoautres termes

la condamnation peacutenale est presque courue drsquoavance lorsque lrsquoinfraction

administrative commise par le contribuable a deacutejagrave eacuteteacute eacutetablie sur la base de

regravegles de preuve moins strictes Lrsquoobligation de coopeacuteration avec le fisc qui

pegravese sur le contribuable dans les proceacutedures administratives aggrave encore

cette conclusion

63 La majoriteacute ne confronte pas les regravegles de preuve en matiegravere

administrative et peacutenale en Norvegravege pour veacuterifier srsquoil existe un danger de

reacutepeacutetition dans la collecte et lrsquoappreacuteciation des preuves dans les deux

proceacutedures Elle nrsquoanalyse pas non plus le cadre juridique reacutegissant les

interactions entre les diffeacuterentes autoriteacutes judiciaires et administratives pour

deacuteterminer si lrsquoeacutetablissement des faits dans la proceacutedure administrative

influence la proceacutedure peacutenale et vice versa Aux paragraphes 145 et 150 de

lrsquoarrecirct la majoriteacute se contente drsquoeacutevoquer quelques exemples ad hoc

drsquoeacutechange drsquoinformations entre les autoriteacutes administratives et judiciaires

Rien de plus

64 Or les parties ont acircprement discuteacute cette question Le Gouvernement

reconnait que les regravegles de preuve sont diffeacuterentes dans les proceacutedures

fiscales dans lesquelles le critegravere de la laquo cause probable qualifieacutee raquo

srsquoapplique par rapport aux proceacutedures peacutenales dans lesquelles un laquo standard

de preuve strict raquo srsquoapplique En reacutealiteacute il srsquoagit selon le Gouvernement de

lrsquoun des laquo avantages majeurs raquo qursquooffrent les proceacutedures administratives157

Si crsquoest le cas la troisiegraveme condition de la majoriteacute nrsquoest pas respecteacutee en

droit norveacutegien pour la simple raison que puisque diffeacuterentes regravegles de

preuves sont applicables les preuves doivent ecirctre appreacutecieacutees diffeacuteremment

dans la proceacutedure administrative et la proceacutedure peacutenale avec le risque

eacutevident drsquoaboutir agrave des conclusions diffeacuterentes agrave propos des mecircmes faits

156 Voir paragraphe 130 de lrsquoarrecirct

157 Voir les observations du Gouvernement du 11 novembre 2015 page 8 Le

Gouvernement ajoute que les proceacutedures administratives ont lrsquoavantage de comporter des

phases drsquoinstruction et de jugement plus rapides

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 89

Entre le Charybde du risque de conclusions contradictoires dans les

proceacutedures peacutenales et administratives dues aux diffeacuterentes regravegles de preuve

(deux poids deux mesures) et le Scylla du deacutetournement des preuves

administratives agrave des fins peacutenales lrsquoaccuseacute se trouve dans tous les cas placeacute

dans une situation ineacutequitable dans le systegraveme norveacutegien agrave double voie

b) Meacutecanisme de compensation entre les sanctions administratives et peacutenales

65 La quatriegraveme condition fixeacutee par la majoriteacute exige la mise en place

drsquoun laquo meacutecanisme compensatoire conccedilu pour assurer que le montant global

de toutes les peines peacutecuniaires prononceacutees est proportionneacutee raquo158 Sans

aucune explication preacutealable de la raison pour laquelle cette alternative est

retenue la majoriteacute nrsquoenvisage pas drsquoautres solutions proceacutedurales bien

connues telles que la suspension de lrsquoune des proceacutedures pendant que

lrsquoautre est pendante159 ou des solutions de fond telles que le principe de

speacutecialiteacute ou la mise en place de limites pour la sanction du concours

drsquoinfractions peacutenale et administrative comme la regravegle selon laquelle le

montant total de la sanction ne doit pas exceacuteder le montant le plus eacuteleveacute de

lrsquoune des deux sanctions encourues ou le plafonnement de la sanction

fiscale au minimum de la sanction peacutenale La porteacutee et les caracteacuteristiques

du meacutecanisme de compensation proposeacute sont pour le moins tregraves

probleacutematiques

66 Le raisonnement de la majoriteacute entre en conflit frontal avec la

position reacutecente de la Cour dans lrsquoaffaire Grande Stevens et autres qui

concerne des proceacutedures administratives et peacutenales parallegraveles Le

gouvernement italien avait alleacutegueacute sans succegraves dans cette affaire que pour

assurer la proportionnaliteacute de la sanction aux accusations la juridiction

peacutenale italienne avait pris en consideacuteration lrsquoimposition preacutealable drsquoune

sanction administrative et reacuteduit la sanction peacutenale Plus preacuteciseacutement le

montant de lrsquoamende administrative avait eacuteteacute deacuteduit de la sanction peacutenale

financiegravere (article 187 terdecies du Deacutecret Leacutegislatif no 58 de 1998) et les

avoirs deacutejagrave saisis dans le contexte de la proceacutedure administrative ne

pouvaient pas ecirctre confisqueacutes160 Cet argument auquel la Cour nrsquoa pas

accordeacute de creacutedit dans Grande Stevens et autres est agrave preacutesent mis en avant

dans le contexte norveacutegien sans aucune justification de la part de la

majoriteacute quant agrave ce revirement soudain La majoriteacute semble avoir oublieacute

que dans lrsquoarrecirct Grande Stevens la Cour avait deacutecideacute que lrsquoEacutetat deacutefendeur

devait srsquoassurer que les nouvelles proceacutedures peacutenales entameacutees agrave lrsquoencontre

158 Voir le paragraphe 132 de lrsquoarrecirct

159 Crsquoest ce qui eacutetait proposeacute dans les arrecircts Kapetanios et autres (preacuteciteacute sect 72) et

Sismanidis et Sitaridis (preacuteciteacute sect 72)

160 Grande Stevens et autres preacuteciteacute sect 218

90 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

des requeacuterants en violation du ne bis in idem seraient clocirctureacutees aussi

rapidement que possible et sans effets indeacutesirables pour eux161

67 Le gouvernement italien avait aussi alleacutegueacute que le systegraveme agrave double

voie eacutetait requis par la Directive 20036CE du 28 janvier 2003 sur les

opeacuterations drsquoinitieacute et les manipulations de marcheacutes pour lutter contre les

manipulations et les abus plus efficacement invoquant les conclusions de

lrsquoAvocat Geacuteneacuteral dans lrsquoaffaire Hans Aringkerberg Fransson162 La Cour a

facilement eacutecarteacute cet argument comme eacutetant inopeacuterant163 Dans ce contexte

il est troublant que la Cour cite agrave preacutesent les conclusions de lrsquoAvocat

Geacuteneacuteral dans lrsquoaffaire Fransson agrave lrsquoappui de ses arguments164 En deacutepit du

fait que la CJUE ait deacutesapprouveacute la vision de lrsquoAvocat Geacuteneacuteral la majoriteacute

dans lrsquoaffaire A et B fait sienne sa position La Cour de Strasbourg prend

volontairement ses distances par rapport agrave la Cour de Luxembourg qui avait

fait un effort pour aligner les deux jurisprudences dans son arrecirct Fransson

Les juges de la Cour ont preacutefeacutereacute se ranger du cocircteacute de la seule voix de

lrsquoAvocat Geacuteneacuteral qui avait fortement critiqueacute la jurisprudence de la Cour

accuseacutee drsquoecirctre en contradiction avec les traditions constitutionnelles

europeacuteennes Le revirement inexpliqueacute de Strasbourg constitue un seacuterieux

revers pour la relation entre les deux cours europeacuteennes

68 En outre le meacutecanisme compensatoire de la majoriteacute ne srsquoapplique

qursquoaux deacuteductions de sanctions imposeacutees dans la proceacutedure deacutefinitivement

close en premier Il ne srsquoapplique pas si cette proceacutedure connaicirct une autre

issue crsquoest-agrave-dire si la juridiction prononce lrsquoacquittement ou le non-lieu

La raison est eacutevidente Dans ces cas de figure il nrsquoy a litteacuteralement rien agrave

compenser crsquoest-agrave-dire agrave contrebalancer ou agrave deacuteduire dans une proceacutedure

administrative subseacutequente ou parallegravele

69 La question est eacutevidemment cruciale agrave la lumiegravere des affaires

grecques reacutecentes dans lesquelles les juridictions administratives qui

avaient imposeacute des amendes administratives nrsquoavaient pas pris en

consideacuteration lrsquoacquittement des requeacuterants dans des proceacutedures peacutenales

parallegraveles (requecirctes nos 345312 et 4294112) ou subseacutequentes (requecircte no

161 Ibidem sect 237 Il est utile de rappeler les conclusions de lrsquoAIDP de 2004 preacuteciteacutees

laquo Le laquo bis raquo crsquoest-agrave-dire le cumul qui doit ecirctre eacuteviteacute ne se rapporte pas simplement aux

sanctions toute nouvelle poursuite doit ecirctre empecirccheacutee raquo

162 Grande Stevens et autres preacuteciteacute sect 216

163 Ibidem preacuteciteacute sect 229

164 Voir paragraphe 118 du preacutesent arrecirct La Directive 201457UE du16 avril 2014

relative aux sanctions peacutenales applicables aux abus de marcheacute qui admet le systegraveme mixte

(preacuteambule sect 23) doit srsquoarticuler avec le Regraveglement (UE) 5962014 du 16 avril 2014

(preacuteambule sect 72) Le leacutegislateur europeacuteen nrsquoa pas reacutesolu le problegraveme du ne bis in idem

preacutefeacuterant renvoyer la patate chaude aux Eacutetats Neacuteanmoins lrsquoimposition de sanctions

peacutenales sur la base drsquoune infraction obligatoire eacutetablie par la nouvelle Directive et de

sanctions administratives conformeacutement avec les infractions optionnelles preacutevues par le

nouveau Regraveglement (article 30 sect 1) laquo peuvent deacutecider de ne pas raquo) ne devrait pas conduire

agrave la violation du ne bis in idem

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 91

902913) ayant pour objet le mecircme acte165 Suivant le principe de lrsquoarrecirct

Kapetanios et autres tout acquittement ou non-lieu dans lrsquoaffaire peacutenale

aurait un Sperrwirkung sur une autre proceacutedure administrative parallegravele ou

subseacutequente ainsi que lrsquoa conclu la Cour dans lrsquoaffaire Sismanidis et

Sitaridis qui eacutegalement concernait deux cas (requecirctes nos 6660409 et

7187912) de proceacutedures administrative et peacutenale parallegraveles166 Lrsquoaccuseacute

acquitteacute a droit agrave ne pas ecirctre troubleacute une nouvelle fois pour les mecircmes faits

ce qui inclut le risque de nouvelles poursuites en deacutepit de la nature

diffeacuterente (judiciaire et administrative) des organes en cause167 En drsquoautres

termes il existe une prohibition absolue de se prononcer de nouveau sur les

mecircmes faits En outre les juridictions et lrsquoadministration doivent tenir

compte drsquooffice de la force de chose jugeacutee de lrsquoacquittement les droits de

lrsquoaccuseacute eacutetant absolus et non susceptibles de deacuterogation168

70 La jurisprudence grecque srsquoinscrit eacutegalement dans la ligneacutee du

principe eacutetabli au paragraphe 60 de Lucky Dev soulignant le fait que

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 serait violeacute si lrsquoune des deux proceacutedures se

poursuivait apregraves la date de clocircture de la premiegravere par une deacutecision

deacutefinitive Dans lrsquoaffaire Lucky Dev les majorations drsquoimpocirct avaient eacuteteacute

appliqueacutees apregraves un acquittement deacutefinitif agrave lrsquoissue de la proceacutedure peacutenale

parallegravele et la formulation du principe par la Cour est limpide laquo cette

deacutecision deacutefinitive appellerait la clocircture de lrsquoautre instance raquo169

71 Pour reacutesumer le preacutesent arrecirct contredit lrsquoessence des jurisprudences

Kapetanios et autres Sismanidis et Sitaridis et Lucky Dev Pour la majoriteacute

165 Dans Kapetanios et autres (preacuteciteacute) voir la requecircte ndeg 345312 avec une proceacutedure

administrative pendante entre novembre 1989 et juin 2011 et une proceacutedure peacutenale

pendante entre 1986 et novembre 1992 la requecircte ndeg 4294112 avec une proceacutedure

administrative pendante entre septembre 1996 et novembre 2011 et une proceacutedure peacutenale

pendante entre 1988 et juin 2000 et enfin la requecircte ndeg 902813 avec une proceacutedure

administrative pendante entre 2011 et feacutevrier 2012 et une proceacutedure peacutenale acheveacutee en mai

1998

166 Sismanidis et Sitaridis (preacuteciteacute) voir la requecircte ndeg 6660209 avec une proceacutedure

administrative pendante entre septembre 1996 et mai 2009 et une proceacutedure peacutenale

pendante entre deacutecembre 1994 et avril 1997 et la requecircte ndeg 7187912 avec une proceacutedure

administrative pendante entre novembre 1996 et feacutevrier 2012 et une proceacutedure peacutenale

pendante entre 1998 et feacutevrier 1999

167 Kapetanios et autres preacuteciteacute sectsect 71 et 72 La version franccedilaise de lrsquoarrecirct Sergueiuml

Zolotoukhine est plus expressive lorsqursquoelle parle au paragraphe 83 de laquo risque de

nouvelles poursuites raquo en plus des nouveaux procegraves Voir eacutegalement le paragraphe 59 de

lrsquoarrecirct Van Straaten rendu par la CJUE preacuteciteacute laquo lrsquoouverture drsquoune proceacutedure peacutenale dans

un autre Eacutetat contractant pour les mecircmes faits compromettrait dans le cas drsquoun

acquittement deacutefinitif pour insuffisance de preuves les principes de la seacutecuriteacute juridique et

de la confiance leacutegitime raquo

168 Kapetanios et autres preacuteciteacute sect 66 Crsquoest preacuteciseacutement la conclusion de lrsquoarrecirct Melo

Tadeu c Portugal (ndeg 2778510 sect 64 23 octobre 2014) laquo La Cour estime qursquoun

acquittement au peacutenal doit ecirctre pris en compte dans toute proceacutedure ulteacuterieure peacutenale ou

non peacutenale raquo

169 Lucky Dev preacuteciteacute sect 60

92 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

lrsquoacquittement de lrsquoaccuseacute que ce soit parce que les actes ne sont pas

constitutifs drsquoune infraction peacutenale parce que lrsquoaccuseacute ne les a pas commis

ou parce qursquoil nrsquoa pas eacuteteacute prouveacute qursquoil les ait commis nrsquoa pas agrave ecirctre pris en

consideacuteration dans des proceacutedures administratives parallegraveles Cela soulegraveve

aussi bien eacutevidemment un problegraveme au regard de lrsquoarticle 6 sect 2 de la

Convention Toute nouvelle conclusion sur le fond remettrait en question la

preacutesomption drsquoinnocence reacutesultant de lrsquoacquittement170

72 Le meacutecanisme compensatoire de la majoriteacute nrsquoest eacutegalement pas

applicable dans lrsquohypothegravese ougrave la proceacutedure administrative serait la

premiegravere agrave devenir deacutefinitive et ougrave aucune majoration fiscale ne serait

imposeacutee parce que la responsabiliteacute administrative nrsquoa pas pu ecirctre prouveacutee

Pour la majoriteacute dans cette hypothegravese le contribuable peut encore ecirctre

condamneacute pour les mecircmes faits dans une proceacutedure peacutenale

73 Agrave ce stade il est clair que la quatriegraveme condition est un chegraveque en

blanc pour les Eacutetats leur permettant drsquoagir agrave leur guise Pire encore la

majoriteacute nrsquoexplique pas comment le meacutecanisme compensatoire fonctionne

en droit norveacutegien Le seul paragraphe 50 de lrsquoarrecirct est un reacutesumeacute de la

jurisprudence qui laisse au lecteur lrsquoimpression que les juridictions peacutenales

deacutecident comme bon leur semble de parfois prendre en consideacuteration les

sanctions administratives anteacuterieures et parfois de ne pas le faire Cette

impression est justifieacutee dans lrsquoaffaire en cause ainsi qursquoil sera deacutemontreacute ci-

dessous En outre il nrsquoy a aucune indication dans lrsquoarrecirct quant agrave savoir si un

meacutecanisme similaire de compensation existe dans la proceacutedure fiscale par

lequel les sanctions peacutenales anteacuterieures seraient prises en consideacuteration

lorsque sont imposeacutees des majorations peacutenales

74 Le Gouvernement dit que laquo les condamnations agrave des majorations

drsquoimpocircts sont prises en compte lorsque les tribunaux deacuteterminent la bonne

et juste sanction pour une socieacuteteacute (voir article 28 lettre g du code peacutenal de

2005) Lorsque crsquoest une personne physique qui est condamneacutee ils tiennent

compte de toute majoration drsquoimpocirct infligeacutee sur la base de lrsquoarticle 27 du

code peacutenal de 1902 transposeacute agrave lrsquoarticle 53 du code peacutenal de 2005 raquo171

Lrsquoarticle 27 dispose laquo Lorsqursquoune amende est imposeacutee il faut ducircment tenir

compte non seulement de la nature de lrsquoinfraction mais aussi et surtout de la

situation peacutecuniaire de la personne condamneacutee et de ce que celle-ci peut

vraisemblablement se permettre de payer au vu des circonstances raquo Aucune

mention nrsquoest faite des sanctions dans les proceacutedures parallegraveles ou

anteacuterieures en relation avec les mecircmes faits et encore moins aux

majorations peacutenales Aucune mention nrsquoest faite non plus de la limite du

cumul des sanctions par exemple lrsquoexigence voulant que le montant total

des sanctions imposeacutees ne doive pas exceacuteder le montant le plus eacuteleveacute qui

pourrait ecirctre imposeacute pour lrsquoune ou lrsquoautre des sanctions En reacutealiteacute la prise

170 Kapetanios et autres preacuteciteacute sect 88 et Sismanidis et Sitaridis preacuteciteacute sect 58

171 Voir les observations du Gouvernement du 11 novembre 2015 page 8

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 93

en consideacuteration des autres sanctions nrsquoest mecircme pas mentionneacutee

lorsqursquoune peine drsquoemprisonnement a eacuteteacute ordonneacutee

Pour le dire en peu de mots il nrsquoexiste tout simplement pas de

meacutecanisme de compensation en droit norveacutegien il nrsquoy a qursquoune indication

geacuteneacuterale indiffeacuterencieacutee donneacutee par le leacutegislateur au juge selon laquelle la

situation financiegravere de la personne accuseacutee doit ecirctre prise en consideacuteration

dans sa condamnation agrave une amende Ni plus ni moins

75 La jurisprudence de la Cour suprecircme fondeacutee sur les dispositions du

Code Peacutenal susmentionneacutees pour autant que les juges de la Grande

Chambre en ont eu connaissance est peut-ecirctre creacuteative mais elle nrsquoest

certainement pas preacutevisible Elle est formuleacutee si extensivement que mecircme le

juriste le plus expeacuterimenteacute ne saurait anticiper si et selon quelles modaliteacutes

des majorations drsquoimpocirct seront prises en consideacuteration dans des amendes

peacutenales De plus sa porteacutee est tregraves limiteacutee en pratique Puisqursquoelle

nrsquoautorise aucun meacutecanisme compensatoire dans les cas drsquoemprisonnement

elle limite lrsquoimpact alleacutegueacute de lrsquoeffet compensatoire aux affaires moins

graves mais en prive les affaires plus graves

Conscients des faiblesses du systegraveme juridique national les juges

norveacutegiens ont fait un effort louable pour combler le trou noir juridique et

introduire une certaine proportionnaliteacute dans un systegraveme arbitraire excessif

et ineacutequitable arbitraire dans le choix pour un systegraveme agrave une seule ou deux

voies excessif dans les sanctions appliqueacutees et ineacutequitable drsquoun point de

vue proceacutedural dans la maniegravere dont il traite les accuseacutes Mais le principe ne

bis in idem laquo nrsquoest pas une regravegle de proceacutedure agissant comme un agent

leacutenitif au service de la proportionnaliteacute lorsqursquoune personne est doublement

jugeacutee et condamneacutee pour un mecircme comportement mais bien une garantie

fondamentale des droits des citoyens raquo172

76 Comme le Gouvernement la majoriteacute est seacuteduite par un laquo souci

drsquoefficaciteacute raquo173 selon lequel la logique du principe ne bis in idem

srsquoapplique laquo dans une moindre mesure aux sanctions ne relevant pas du

laquo noyau dur raquo du droit peacutenal comme les majorations drsquoimpocirct raquo174 Elle a

neacutegligeacute le fait qursquoun droit conventionnel non susceptible de deacuterogation tel

172 Affaire C-21300 P Italcementi SpA c Commission des Communauteacutes europeacuteennes

conclusions de lrsquoAvocat Geacuteneacuteral Ruiz-Jarabo Colomer preacutesenteacutees le 11 feacutevrier 2003 sect 96

et Affaire C-15005 preacuteciteacutee conclusions du mecircme Avocat Geacuteneacuteral preacutesenteacutees le 8 juin

2006 sect 58 Partant lrsquoopinion exprimeacute au paragraphe 107 du preacutesent arrecirct selon laquelle ne

bis in idem vise principalement une question proceacutedurale (laquo lrsquoeacutequiteacute proceacutedurale raquo) et non

une question de fond (laquo srsquointeacuteresse moins au droit peacutenal mateacuteriel que lrsquoarticle 7 raquo) est

fondamentalement erroneacutee

173 Les mots laquo soucis drsquoefficaciteacute raquo sont ceux choisi par la majoriteacute elle-mecircme

(paragraphe 134 de lrsquoarrecirct)

174 Voir paragraphe 85 de lrsquoarrecirct ougrave il est fait reacutefeacuterence agrave lrsquoargument du Gouvernement

selon lequel le raisonnement dans lrsquoarrecirct Jussila concernant lrsquoarticle 6 est transposable agrave

lrsquoarticle 4 du Protocole ndeg 7 Lrsquoargument fait fi de la nature absolue et non susceptible de

deacuterogation du second article

94 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

que ne bis in idem ne doit pas ecirctre substantiellement diffeacuterent en fonction

du domaine du droit concerneacute Lrsquoarticle 4 sect 3 du Protocole no 7 ne laisse pas

de marge de manœuvre pour cela

77 Enfin et surtout dans la preacutesente affaire la juridiction nationale a

pris en compte de la maniegravere suivante la majoration drsquoimpocircts infligeacutee au

premier requeacuterant laquo une sanction notable a deacutejagrave eacuteteacute imposeacutee agrave lrsquoaccuseacute

dans la deacutecision sur la majoration fiscale La plus grande partie des impocircts a

deacutejagrave eacuteteacute payeacutee raquo La prise en compte de la majoration agrave lrsquoeacutegard du second

requeacuterant est encore plus succincte laquo Le fait qursquoune majoration fiscale de

30 a eacuteteacute imposeacutee agrave lrsquoaccuseacute doit ecirctre pris en consideacuteration raquo175 Dans

aucun de ces cas les juridictions nationales ne se sont donneacute la peine

drsquoexpliquer de quelle maniegravere les majorations administratives anteacuterieures

avaient influenceacute les sanctions peacutenales La reacutefeacuterence de pure forme aux

majorations drsquoimpocirct preacuteceacutedemment imposeacutees pourrait apaiser des

consciences moins exigeantes mais ce nrsquoest certainement pas une deacutemarche

juridique preacutevisible et controcirclable Degraves lors les conditions le degreacute et les

limites de lrsquoimpact des majorations drsquoimpocirct sur les sanctions peacutenales ne

peuvent qursquoecirctre lrsquoobjet de pures speacuteculations dans le domaine inconnu et

inaccessible aux accuseacutes de la conviction intime des juges

VI ndash Conclusion

78 En deacutepit de sa logique axeacutee sur les droits de lrsquohomme lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk

ne fournit pas un cadre conceptuel clair permettant de deacutefinir la ligne de

deacutemarcation entre les infractions administratives et peacutenales Au milieu des

incertitudes de la jurisprudence de la Cour lrsquoarrecirct Jussila offre une solution

restrictive qui cherche agrave distinguer les affaires relevant du noyau dur du

droit peacutenal qui comportent un caractegravere infamant de celles qui nrsquoen

comportent pas limitant lrsquoapplicabiliteacute des garanties peacutenales dans les

affaires relevant de la seconde cateacutegorie La jurisprudence subseacutequente nrsquoa

clarifieacute ni le critegravere de fond du caractegravere infamant ni la distinction entre les

garanties proceacutedurales disponibles et indisponibles

79 Tout comme lrsquoarrecirct Jussila avait nuanceacute et limiteacute la porteacutee de lrsquoarrecirct

Oumlztuumlrk lrsquoarrecirct A et B c Norvegravege nuance et limite la porteacutee de lrsquoarrecirct

Sergueiuml Zolotoukhine La position ancienne et geacuteneacutereuse en matiegravere drsquoidem

factum est significativement limiteacutee par la nouvelle camisole proposeacutee pour

le bis Meacutefiante agrave lrsquoeacutegard des accuseacutes la majoriteacute a deacutecideacute drsquoabandonner le

principe fondamental dans la culture juridique europeacuteenne qui veut que nul

ne puisse ecirctre poursuivi plus drsquoune fois pour les mecircmes faits (principe de

lrsquouniteacute de lrsquoaction reacutepressive ou Einmaligkeit der Strafverfolgung) Le

principe ne bis in idem perd son caractegravere pro persona mineacute par la posture

175 Voir les jugements du tribunal de Follo du 2 mars 2009 et du tribunal drsquoOslo du

30 septembre 2009

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 95

strictement pro auctoritate de la Cour Il nrsquoest plus une garantie

individuelle mais un outil permettant drsquoeacuteviter toute laquo manipulation et

impuniteacute raquo dont profiteraient les accuseacutes176 Apregraves avoir renverseacute la logique

du principe ne bis in idem le preacutesent arrecirct ouvre la porte agrave une politique

reacutepressive sans preacuteceacutedent digne drsquoun Leacuteviathan baseacutee sur lrsquoouverture par

lrsquoEacutetat de proceacutedures multiples strateacutegiquement articuleacutees et mises en place

en vue drsquoatteindre lrsquoeffet reacutepressif maximal Cette politique pourrait devenir

lrsquohistoire sans fin vindicative de deux ou plusieurs proceacutedures conduites

parallegravelement ou successivement agrave lrsquoencontre du mecircme accuseacute pour les

mecircmes faits qui risqueraient mecircme de punir celui-ci en repreacutesailles pour

avoir exerceacute ses droits proceacuteduraux leacutegitimes et notamment son droit de

recours

80 La seule veacuteritable condition dont est assortie cette approche de la

majoriteacute orienteacutee vers lrsquolaquo efficaciteacute raquo177 est un simulacre de

proportionnaliteacute limiteacutee agrave la vague indication de prendre en consideacuteration

les sanctions administratives anteacuterieures dans lrsquoamende infligeacutee agrave lrsquoissue de

la proceacutedure peacutenale une approche bien eacuteloigneacutee des racines historiques et

du principe du droit international coutumier du ne bis in idem Le cumul des

sanctions peacutenales et administratives de nature peacutenale a eacuteteacute speacutecifiquement

rejeteacute par la Cour dans lrsquoaffaire Grande Stevens de mecircme que par la CJUE

dans lrsquoarrecirct Hans Aringkeberg Fransson Apregraves la deacutelivrance de son certificat de

deacutecegraves dans lrsquoaffaire italienne une telle approche est aujourdrsquohui ressusciteacutee

en tant qursquoapproche laquo calibreacutee raquo178 La collaboration progressive et mutuelle

entre les deux cours europeacuteennes va de toute eacutevidence ecirctre encore une fois

profondeacutement perturbeacutee Strasbourg allant dans la mauvaise direction quand

Luxembourg prend la bonne La Grande Chambre saisie de lrsquoaffaire Sergueiuml

Zolotoukhine nrsquoaurait pas accepteacute une reacutetrogradation du droit individuel

inalieacutenable au ne bis in idem vers un droit aussi fluide eacutetroitement

interpreacuteteacute en un mot illusoire Moi non plus

176 Voir paragraphe 127 de lrsquoarrecirct

177 Voir paragraphe 134 de lrsquoarrecirct

178 Voir paragraphe 124 de lrsquoarrecirct

Page 2: GRANDE CHAMBRE · 2016. 11. 18. · 5. Le 26 novembre 2013, la chambre a décidé de joindre les deux requêtes et de les communiquer au Gouvernement. 6. Le 7 juillet 2015, une chambre

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 1

En lrsquoaffaire A et B c Norvegravege

La Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme sieacutegeant en une Grande

Chambre composeacutee de

Guido Raimondi preacutesident

Işıl Karakaş

Luis Loacutepez Guerra

Mirjana Lazarova Trajkovska

Angelika Nuszligberger

Boštjan M Zupančič

Khanlar Hajiyev

Kristina Pardalos

Julia Laffranque

Paulo Pinto de Albuquerque

Linos-Alexandre Sicilianos

Paul Lemmens

Paul Mahoney

Yonko Grozev

Armen Harutyunyan

Gabriele Kucsko-Stadlmayer juges

Dag Bugge Nordeacuten juge ad hoc

et de Lawrence Early jurisconsulte

Apregraves en avoir deacutelibeacutereacute en chambre du conseil le 13 janvier et le

12 septembre 2016

Rend lrsquoarrecirct que voici adopteacute agrave cette derniegravere date

PROCEacuteDURE

1 Agrave lrsquoorigine de lrsquoaffaire se trouvent deux requecirctes (nos 2413011 et

2975811) dirigeacutees contre le Royaume de Norvegravege et dont deux

ressortissants de cet Eacutetat A et B (laquo les requeacuterants raquo) ont saisi la Cour le

28 mars et le 26 avril 2011 respectivement en vertu de lrsquoarticle 34 de la

Convention de sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes

fondamentales (laquo la Convention raquo) Le preacutesident de la Grande Chambre a

acceacutedeacute agrave la demande des requeacuterants tendant agrave la non-reacuteveacutelation de leur

identiteacute (article 47 sect 4 du regraveglement de la Cour ndash laquo le regraveglement raquo)

2 Les requeacuterants ont eacuteteacute repreacutesenteacutes par Me R Kjeldahl avocat agrave Oslo

Le gouvernement norveacutegien (laquo le Gouvernement raquo) a eacuteteacute repreacutesenteacute

successivement par M M Emberland et M C Reusch tous deux du bureau

de lrsquoavocat geacuteneacuteral (affaires civiles) et de nouveau par M Emberland en

qualiteacute drsquoagent

2 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

3 M Erik Moslashse juge eacutelu au titre de la Norvegravege eacutetant empecirccheacute de

sieacuteger dans lrsquoaffaire (article 28 du regraveglement) le preacutesident de la chambre a

deacutesigneacute le 20 feacutevrier 2015 M Dag Bugge Nordeacuten pour sieacuteger agrave sa place en

qualiteacute de juge ad hoc (articles 26 sect 4 de la Convention et 29 du regraveglement)

4 Les requeacuterants estimaient en particulier avoir eacuteteacute poursuivis et punis

deux fois pour la mecircme infraction fiscale en violation de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 agrave la Convention

5 Le 26 novembre 2013 la chambre a deacutecideacute de joindre les deux

requecirctes et de les communiquer au Gouvernement

6 Le 7 juillet 2015 une chambre de la premiegravere section composeacutee de

Isabelle Berro preacutesidente Khanlar Hajiyev Mirjana Lazarova Trajkovska

Julia Laffranque Paulo Pinto de Albuquerque Linos-Alexandre Sicilianos

et Ksenija Turković juges ainsi que de Soslashren Nielsen greffier de section

srsquoest dessaisie en faveur de la Grande Chambre ni lrsquoune ni lrsquoautre des

parties ne srsquoy eacutetant opposeacutee (articles 30 de la Convention et 72 du

regraveglement)

7 La composition de la Grande Chambre a eacuteteacute arrecircteacutee conformeacutement

aux dispositions des articles 26 sectsect 4 et 5 de la Convention et 24 du

regraveglement Andraacutes Sajoacute et Nona Tsotsoria qui nrsquoavaient pas pu sieacuteger dans

lrsquoaffaire agrave la date de lrsquoadoption de lrsquoarrecirct ont eacuteteacute remplaceacutes par Kristina

Pardalos et Armen Harutyunyan premiegravere et second juges suppleacuteants

(article 24 sect 3 du regraveglement)

8 Tant les requeacuterants que le Gouvernement ont produit des observations

eacutecrites sur la recevabiliteacute et sur le fond des requecirctes

9 En outre les gouvernements de la Bulgarie de la Gregravece de la France

de la Reacutepublique de Moldova de la Reacutepublique tchegraveque et de la Suisse

autoriseacutes agrave intervenir en qualiteacute de tiers dans la proceacutedure eacutecrite ont produit

des observations (articles 36 sect 2 de la Convention et 44 sect 3 du regraveglement)

10 Une audience srsquoest deacuterouleacutee en public au Palais des droits de

lrsquohomme agrave Strasbourg le 13 janvier 2016 (article 59 sect 3 du regraveglement)

Ont comparu

ndash pour le Gouvernement

M M EMBERLAND avocat bureau de lrsquoavocat geacuteneacuteral

(affaires civiles) agent

Mme J SANDVIG avocate bureau de lrsquoavocat geacuteneacuteral

(affaires civiles)

M C REUSCH avocat bureau de lrsquoavocat geacuteneacuteral

(affaires civiles) conseils

MM A TVERBERG directeur geacuteneacuteral adjoint deacutepartement

de la leacutegislation ministegravere royal de la Justice et de la

Sucircreteacute publique

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 3

L STOLTENBERG procureur principal Autoriteacute nationale

drsquoenquecirctes et de poursuites pour les deacutelits eacuteconomiques

et eacutecologiques

DE EILERTSEN controcircleur fiscal principal services fiscaux

de lrsquoEst de la Norvegravege conseillers

ndash pour les requeacuterants

M R Kjeldahl avocat conseil

La Cour a entendu Me Kjeldahl et Me Sandvig en leurs deacuteclarations ainsi

qursquoen leurs reacuteponses aux questions poseacutees par des juges

EN FAIT

I LES CIRCONSTANCES DE LrsquoESPEgraveCE

11 Le premier requeacuterant A est neacute en 1960 et habite en Norvegravege Le

second requeacuterant B est neacute en 1965 et habite en Floride (Eacutetats-Unis

drsquoAmeacuterique)

12 Les requeacuterants et M EK deacutetenaient la socieacuteteacute Estora Investment

Ltd (laquo Estora raquo) immatriculeacutee agrave Gibraltar MM TF et GA deacutetenaient la

socieacuteteacute Strategic Investment AS (laquo Strategic raquo) immatriculeacutee agrave Samoa et au

Luxembourg En juin 2001 Estora acquit 24 des actions de la socieacuteteacute

Wnet AS et Strategic 46 des actions de Wnet AS En aoucirct 2001 toutes

les actions de Wnet AS furent vendues agrave Software Innovation AS agrave un prix

nettement plus eacuteleveacute Le montant du produit de la vente qui revenait au

premier requeacuterant srsquoeacutelevait agrave 3 259 341 couronnes norveacutegiennes (NOK ndash

soit environ 360 000 euros (EUR)) Ce dernier le transfeacutera agrave la socieacuteteacute

Banista Holding Ltd immatriculeacutee agrave Gibraltar dont il eacutetait lrsquoactionnaire

unique Le montant du produit de la vente qui revenait au second requeacuterant

srsquoeacutelevait agrave 4 651 881 NOK (soit environ 500 000 EUR) Ce dernier le

transfeacutera agrave la socieacuteteacute Fardan Investment Ltd dont il eacutetait lrsquoactionnaire

unique

MM EK GA et TF reacutealisegraverent des profits agrave lrsquooccasion de

transactions similaires tandis que MM BL KB et GN participegraverent par

le biais de Software Innovation AS agrave drsquoautres transactions imposables non

deacuteclareacutees

Les revenus tireacutes de ces transactions qui srsquoeacutelevaient agrave environ

114 500 000 NOK (soit environ 12 600 000 EUR) ne furent pas deacuteclareacutes

aux autoriteacutes fiscales norveacutegiennes (laquo le fisc raquo) ce qui repreacutesentait au total

environ 32 500 000 NOK (soit environ 3 600 000 EUR) drsquoimpocircts impayeacutes

4 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

13 En 2005 le fisc entama le controcircle fiscal de Software Innovation AS

et srsquointeacuteressa aux actionnaires de Wnet AS Le 25 octobre 2007 il deacuteposa

une plainte peacutenale contre TF aupregraves drsquoOslashkokrim (acronyme de lrsquoAutoriteacute

nationale norveacutegienne drsquoenquecirctes et de poursuites pour les deacutelits

eacuteconomiques et eacutecologiques) au sujet drsquoeacuteleacutements qui ulteacuterieurement

conduisirent agrave lrsquoinculpation du premier requeacuterant ainsi que des autres

personnes susmentionneacutees et du second requeacuterant pour fraude fiscale

aggraveacutee

Les personnes citeacutees au paragraphe 12 ci-dessus furent par la suite

poursuivies reconnues coupables et condamneacutees agrave des peines de prison

pour fraude fiscale en matiegravere peacutenale Signalons aussi ceci

ndash la peine de prison infligeacutee agrave M EK en premiegravere instance fut

confirmeacutee en deuxiegraveme instance bien que la juridiction de deuxiegraveme

instance eucirct jugeacute cette peine leacutegegravere parallegravelement une majoration drsquoimpocirct

de 30 lui fut infligeacutee

ndash la dureacutee de la peine de prison infligeacutee agrave M BL fut fixeacutee compte tenu

de ce qursquoune majoration drsquoimpocirct de 30 lui avait deacutejagrave eacuteteacute imposeacutee

ndash M GA nrsquoa eacuteteacute condamneacute agrave aucune amende ni agrave aucune majoration

drsquoimpocirct

ndash M TF a eacuteteacute condamneacute en outre agrave une amende correspondant agrave une

majoration drsquoimpocirct de 30

ndash MM KB et GN furent chacun condamneacutes agrave une amende

conformeacutement au raisonnement exposeacute par la Cour suprecircme dans sa

deacutecision publieacutee au Rt 2011 p 1509 qui renvoyait au Rt 2005 p 129 et a

eacuteteacute reacutesumeacutee au paragraphe 50 ci-dessous

Les circonstances particuliegraveres relatives au premier et au second

requeacuterants sont exposeacutees ci-dessous

A Le premier requeacuterant

14 Le premier requeacuterant fut tout drsquoabord interrogeacute en qualiteacute de teacutemoin

le 6 deacutecembre 2007 puis le 14 deacutecembre 2007 il fut arrecircteacute et deacuteposa en

qualiteacute drsquoaccuseacute (laquo siktet raquo) Il reconnut les faits mais nia toute

responsabiliteacute peacutenale Il fut eacutelargi quatre jours plus tard

15 Le 14 octobre 2008 le premier requeacuterant fut inculpeacute de violations

des articles 12-1 1) a) cf 12-2 de la loi fiscale de 1980 (ligningsloven voir

au paragraphe 43 ci-dessous le texte de ces dispositions)

16 Le 24 novembre 2008 le bureau des impocircts (skattekontoret) redressa

le premier requeacuterant pour les anneacutees fiscales 2002 agrave 2007 apregraves lui avoir

communiqueacute agrave cette fin le 26 aoucirct 2008 un avis qui renvoyait notamment

au controcircle fiscal agrave lrsquoenquecircte peacutenale et agrave la deacuteposition faite par lui eacutevoqueacutes

au paragraphe 13 ci-dessus ainsi qursquoaux documents saisis par Oslashkokrim lors

de lrsquoenquecircte Pour lrsquoanneacutee 2002 le redressement eacutetait fondeacute sur le deacutefaut de

deacuteclaration par lrsquointeacuteresseacute de 3 259 341 NOK (soit environ 360 000 EUR)

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 5

de revenus geacuteneacuteraux ce dernier ayant au lieu de cela deacuteclareacute 65 655 NOK

de pertes De plus sur la base des articles 10-2 1) et 10-4 1) de la loi fiscale

(voir au paragraphe 42 ci-dessous le texte de ces dispositions) le bureau des

impocircts lui appliqua une majoration drsquoimpocirct de 30 calculeacutee sur la base

des impocircts dont il eacutetait redevable au titre des montants non deacuteclareacutes Cette

deacutecision tenait compte notamment des deacutepositions faites par les premier et

second requeacuterants pendant leurs interrogatoires conduits lors de lrsquoenquecircte

peacutenale Le premier requeacuterant ne la contesta pas et srsquoacquitta des sommes

dues ainsi que de la majoration drsquoimpocirct avant lrsquoexpiration du deacutelai de

recours drsquoune dureacutee de trois semaines

17 Le 2 mars 2009 le tribunal (tingrett) de Follo reconnut le premier

requeacuterant coupable de fraude fiscale aggraveacutee et le condamna agrave un an

drsquoemprisonnement pour avoir omis de mentionner dans sa deacuteclaration

fiscale pour lrsquoanneacutee 2002 3 259 341 NOK de revenus perccedilus agrave lrsquoeacutetranger Il

fixa la peine en tenant compte de ce que lrsquointeacuteresseacute avait deacutejagrave eacuteteacute

lourdement sanctionneacute par lrsquoapplication de la majoration drsquoimpocirct

18 Le premier requeacuterant fit appel estimant avoir eacuteteacute jugeacute et puni deux

fois en violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 agrave la Convention Il

soutenait que pour la mecircme infraction relevant de lrsquoarticle 12-1 il avait

drsquoabord eacuteteacute accuseacute et inculpeacute par le parquet puis frappeacute par le fisc drsquoune

majoration drsquoimpocirct qursquoil aurait payeacutee apregraves quoi il avait eacuteteacute reconnu

coupable et sanctionneacute

19 Par un arrecirct rendu le 12 avril 2010 agrave lrsquounanimiteacute la cour drsquoappel

(lagmannsrett) Borgarting (laquo la cour drsquoappel raquo) le deacutebouta et par un arrecirct du

27 septembre 2010 la Cour suprecircme (Hoslashyesterett) fit de mecircme en se

fondant sur un raisonnement similaire reacutesumeacute ci-dessous

20 Dans son arrecirct du 27 septembre 2010 la Cour suprecircme rechercha

tout drsquoabord si les deux proceacutedures en question se rapportaient aux mecircmes

circonstances factuelles (samme forhold) Agrave cet eacutegard elle prit note des

deacuteveloppements de la jurisprudence relative agrave la Convention exposeacutes dans

lrsquoarrecirct de Grande Chambre Sergueiuml Zolotoukhine c Russie ([GC]

no 1493903 sectsect 52 53 80-82 et 84 CEDH 2009) et de la tentative

drsquoharmonisation y opeacutereacutee par le constat suivant

laquo () lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 doit ecirctre compris comme interdisant de poursuivre

ou de juger une personne pour une seconde laquo infraction raquo pour autant que celle-ci a

pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance les mecircmes () La

Cour doit donc faire porter son examen sur ces faits qui constituent un ensemble de

circonstances factuelles concregravetes impliquant le mecircme contrevenant et

indissociablement lieacutees entre elles dans le temps et lrsquoespace () raquo

21 En lrsquoespegravece la Cour suprecircme observa qursquoil ne faisait aucun doute

que les circonstances factuelles agrave lrsquoorigine de la deacutecision drsquoinfliger une

majoration drsquoimpocirct et des poursuites peacutenales avaient suffisamment de points

communs pour satisfaire agrave ces critegraveres Elle releva que dans le cadre des

deux proceacutedures la base factuelle eacutetait lrsquoomission de revenus dans la

6 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

deacuteclaration fiscale du premier requeacuterant Selon elle les proceacutedures portaient

sur les mecircmes faits et satisfaisaient donc agrave la condition requise agrave cet eacutegard

22 La Cour suprecircme rechercha ensuite si les deux proceacutedures avaient

pour objet une laquo infraction raquo au sens de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Agrave cet

eacutegard elle rappela son arrecirct publieacute au Norsk Retstidende (laquo le Rt raquo) 2002

p 509 (paragraphe 45 ci-dessous) qualifiant une majoration drsquoimpocirct au taux

ordinaire (30 ) de compatible avec la notion drsquolaquo accusation en matiegravere

peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 sect 1 Cette conclusion anteacuterieure agrave lrsquoespegravece

srsquoappuyait sur ce qursquoil est convenu drsquoappeler les trois laquo critegraveres Engel raquo (la

qualification juridique de lrsquoinfraction en droit interne la nature de celle-ci et

le degreacute de seacuteveacuteriteacute de la sanction encourue) eacutenonceacutes dans lrsquoarrecirct rendu par

la Cour en lrsquoaffaire Engel et autres c Pays-Bas (8 juin 1976 sect 82 seacuterie A

no 22) La Cour suprecircme jugea importantes dans son analyse la finaliteacute

geacuteneacuterale de preacutevention poursuivie par la majoration drsquoimpocirct et la possibiliteacute

que 30 eacutetant un taux eacuteleveacute des sommes consideacuterables fussent en jeu

Elle rappela en outre son arrecirct publieacute au Rt 2004 p 645 dans lequel elle

avait jugeacute agrave la lumiegravere de la jurisprudence de la Cour (selon laquelle la

notion de laquo peine raquo ne doit pas revecirctir des sens diffeacuterents selon la

disposition de la Convention en cause) qursquoune majoration drsquoimpocirct de 30

revecirctait aussi un caractegravere peacutenal sur le terrain de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 ce qursquoelle confirma sans autre deacutebat dans une deacutecision

publieacutee au Rt 2006 p 1409

23 La Cour suprecircme constata par ailleurs que la Direction des impocircts

(Skattedirektoratet) comme le Procureur geacuteneacuteral (Riksadvokaten) estimaient

peu probable qursquoune majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire ne fucirct pas

qualifieacutee de sanction peacutenale aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

24 La Cour suprecircme consideacutera eacutegalement la jurisprudence plus reacutecente

de la Cour (Mjelde c Norvegravege (deacutec) no 1114304 1er feacutevrier 2007

Storbraringten c Norvegravege (deacutec) no 1227704 1er feacutevrier 2007 Haarvig

c Norvegravege (deacutec) no 1118705 11 deacutecembre 2007 avec des reacutefeacuterences agrave

Malige c France 23 septembre 1998 sect 35 Recueil des arrecircts et deacutecisions

1998-VII et Nilsson c Suegravede (deacutec) no 7366101 CEDH 2005-XIII) dont il

ressortait selon elle qursquoun groupe plus large de critegraveres que ceux retenus

dans la jurisprudence Engel srsquoappliquaient pour effectuer une analyse sous

lrsquoangle de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Elle trouva dans lrsquoarrecirct preacuteciteacute

Sergueiuml Zolotoukhine (sectsect 52-57) suivi par lrsquoarrecirct Ruotsalainen c Finlande

(no 1307903 sectsect 41-47 16 juin 2009) la confirmation que les trois critegraveres

Engel sur la base desquels devait ecirctre eacutetablie lrsquoexistence drsquoune laquo accusation

en matiegravere peacutenale raquo sur le terrain de lrsquoarticle 6 srsquoappliquaient tout autant agrave

la notion de sanction peacutenale figurant agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

25 La Cour suprecircme en conclut qursquoil nrsquoy avait pas lieu pour elle de

srsquoeacutecarter de ses deacutecisions preacuteciteacutees rendues en 2004 et 2006 selon

lesquelles une majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire srsquoanalysait en une

laquo sanction peacutenale raquo (straff) pour les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 7

26 Elle observa ensuite que lrsquoune des conditions pour beacuteneacuteficier de la

protection offerte par cette disposition eacutetait que la deacutecision faisant obstacle agrave

drsquoautres poursuites ndash en lrsquoespegravece la deacutecision du 24 novembre 2008 portant

application drsquoune majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire ndash fucirct deacutefinitive Elle

constata que nrsquoayant pas fait lrsquoobjet drsquoun recours aupregraves de la plus haute

juridiction administrative dans le deacutelai prescrit de trois semaines lequel

avait pris fin le 15 deacutecembre 2008 ladite deacutecision eacutetait agrave cet eacutegard devenue

deacutefinitive Elle estima que si en revanche il fallait prendre en compte le

deacutelai de recours en justice de six mois fixeacute par lrsquoarticle 11-1 4) de la loi

fiscale la deacutecision nrsquoeacutetait pas encore devenue deacutefinitive agrave la date du

prononceacute du jugement du tribunal de Follo agrave savoir le 2 mars 2009

27 La Cour suprecircme dit que lrsquoexpression laquo acquitteacute ou condamneacute par un

jugement deacutefinitif raquo employeacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 avait eacuteteacute

conccedilue pour viser les situations ougrave la deacutecision faisant obstacle agrave drsquoautres

poursuites eacutetait un jugement au peacutenal Elle constata que la Cour avait eacutetabli

qursquoune deacutecision eacutetait deacutefinitive une fois passeacutee en force de chose jugeacutee

crsquoest-agrave-dire lorsqursquoaucun autre recours ordinaire nrsquoeacutetait ouvert et que en

cela la date agrave partir de laquelle en droit interne la deacutecision passait en force

de chose jugeacutee eacutetait deacuteterminante Elle consideacutera que ni le texte de la

disposition elle-mecircme ni les travaux preacuteparatoires de celle-ci ni la

jurisprudence ne donnaient la moindre indication pour le cas ougrave la deacutecision

faisant obstacle agrave drsquoautres poursuites eacutetait de nature administrative Elle

rappela que dans son arrecirct de principe publieacute au Rt 2002 p 557 elle avait

dit qursquoil fallait regarder comme deacutefinitive une deacutecision finale de

redressement fiscal y compris assortie drsquoune majoration drsquoimpocirct degraves lors

que le contribuable en question ne pouvait plus la contester (p 570) sans

toutefois preacuteciser si crsquoeacutetait le deacutelai de recours administratif ou le deacutelai de

recours judiciaire qui eacutetait deacuteterminant En lrsquoespegravece elle dit que la meilleure

solution eacutetait de consideacuterer que crsquoeacutetait le deacutelai de recours administratif

drsquoune dureacutee de trois semaines qui eacutetait deacuteterminant au regard de lrsquoarticle 4

du Protocole no 7 car sinon la situation ne serait eacuteclaircie qursquoau bout de six

mois dans lrsquohypothegravese ougrave le contribuable ne saisirait pas les tribunaux ou

qursquoune fois rendu un jugement leacutegalement exeacutecutoire dans lrsquohypothegravese

inverse au bout drsquoun laps de temps dont la dureacutee pouvait varier et ecirctre

longue Il fallait donc selon elle consideacuterer que la deacutecision du 24 novembre

2008 eacutetait deacutefinitive aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

28 La Cour suprecircme constata que le premier requeacuterant avait acquis la

qualiteacute drsquoaccuseacute le 14 deacutecembre 2007 et que lrsquoavis de redressement lui avait

eacuteteacute signifieacute le 26 aoucirct 2008 Elle releva que par la suite la proceacutedure fiscale

et la proceacutedure peacutenale srsquoeacutetaient deacuterouleacutees en parallegravele jusqursquoagrave ce qursquoune

deacutecision du 24 novembre 2008 et un jugement du 2 mars 2009

respectivement y mettent un terme Elle estima que lrsquoune des questions

essentielles dans cette affaire eacutetait de savoir si les poursuites avaient eacuteteacute

conseacutecutives ce qui aurait eacuteteacute contraire agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 ou

8 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

parallegraveles ce qui aurait eacuteteacute permis dans une certaine mesure Agrave cet eacutegard

elle prit en consideacuteration deux deacutecisions drsquoirrecevabiliteacute RT c Suisse

((deacutec) no 3198296 30 mai 2000) et Nilsson c Suegravede (deacutecision preacuteciteacutee) et

en particulier le passage suivant de cette derniegravere deacutecision

laquo Toutefois la Cour ne saurait accueillir la thegravese du requeacuterant selon laquelle les

autoriteacutes ont deacuteclencheacute contre lui de nouvelles poursuites peacutenales en mettant en œuvre

la proceacutedure de retrait litigieuse Si les diverses sanctions infligeacutees agrave lrsquointeacuteresseacute ont eacuteteacute

prononceacutees par deux autoriteacutes diffeacuterentes agrave lrsquoissue de proceacutedures distinctes il existait

entre elles un lien mateacuteriel et temporel suffisamment eacutetroit pour que lrsquoon puisse

consideacuterer le retrait de permis comme lrsquoune des mesures preacutevues par le droit sueacutedois

pour la reacutepression des deacutelits de conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute avanceacute et de conduite sans

permis (voir RT c Suisse deacutecision preacuteciteacutee et mutatis mutandis Phillips

c Royaume-Uni no 4108798 sect 34 CEDH 2001-VII) En drsquoautres termes on ne

saurait deacuteduire du retrait litigieux que lrsquointeacuteresseacute a eacuteteacute laquo poursuivi ou puni () en

raison drsquoune infraction pour laquelle il a[vait] deacutejagrave eacuteteacute () condamneacute par un jugement

deacutefinitif raquo au meacutepris de lrsquoarticle 4 sect 1 du Protocole no 7 raquo

29 La Cour suprecircme jugea que en lrsquoespegravece lrsquoexistence drsquoun lien

mateacuteriel et temporel suffisant ne pouvait faire de doute Elle estima que les

deux affaires reposaient sur les mecircmes circonstances factuelles agrave savoir une

omission drsquoinformations dans la deacuteclaration fiscale qui avait causeacute une

erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct Elle conclut que la proceacutedure peacutenale et la

proceacutedure administrative avaient eacuteteacute conduites en parallegravele Elle releva que

apregraves que le premier requeacuterant eut deacuteposeacute en qualiteacute drsquoaccuseacute le

14 deacutecembre 2007 un avis de redressement avait suivi le 26 aoucirct 2008 puis

une inculpation le 14 octobre 2008 la deacutecision de redressement prise par le

fisc le 24 novembre 2008 et le jugement du tribunal de Follo le 2 mars

2009 Selon elle la proceacutedure administrative et la proceacutedure peacutenale eacutetaient

ainsi dans une large mesure imbriqueacutees

30 La Cour suprecircme estima que la finaliteacute de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 qui eacutetait drsquooffrir une protection contre le fardeau que

repreacutesente un nouveau procegraves eacutetait moins pertinente en lrsquoespegravece dans la

mesure ougrave le premier requeacuterant nrsquoavait aucune espeacuterance leacutegitime de nrsquoecirctre

lrsquoobjet que drsquoune seule proceacutedure Dans ces conditions selon elle

lrsquoeffectiviteacute de la reacutepression revecirctait un caractegravere preacutepondeacuterant

B Le second requeacuterant

31 Agrave lrsquoautomne 2007 agrave la suite du controcircle fiscal conduit en 2005

eacutevoqueacute au paragraphe 13 ci-dessus le fisc signala agrave Oslashkokrim que dans sa

deacuteclaration fiscale pour lrsquoanneacutee fiscale 2002 le second requeacuterant avait omis

de mentionner 4 561 881 NOK (soit environ 500 000 EUR) de revenus tireacutes

de la vente par lui de certaines actions

32 Le 16 octobre 2008 le bureau des impocircts avisa le second requeacuterant

qursquoil envisageait de le redresser fiscalement et de lui appliquer une

majoration drsquoimpocirct Il srsquoappuyait notamment sur le controcircle fiscal sur

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 9

lrsquoenquecircte peacutenale et sur la deacuteposition faite par lrsquointeacuteresseacute eacutevoqueacutes au

paragraphe 13 ci-dessus ainsi que sur des documents saisis par Oslashkokrim

lors de lrsquoenquecircte Le 5 deacutecembre 2008 il effectua le redressement preacutecisant

que le second requeacuterant devait 1 302 526 NOK (soit environ 143 400 EUR)

drsquoimpocircts au titre des revenus non deacuteclareacutes De plus se fondant sur les

articles 10-2 1) et 10-4 1) de la loi fiscale il deacutecida drsquoappliquer une

majoration drsquoimpocirct de 30 en tenant notamment compte des deacutepositions

faites par les premier et second requeacuterants agrave lrsquooccasion de leurs

interrogatoires conduits lors de lrsquoenquecircte peacutenale Le second requeacuterant

srsquoacquitta des impocircts dus et de la majoration drsquoimpocirct et ne contesta pas

ladite deacutecision qui devint deacutefinitive le 26 deacutecembre 2008

33 Parallegravelement le 11 novembre 2008 le parquet avait inculpeacute le

second requeacuterant drsquoune violation de lrsquoarticle 12-1 1) a) cf article 12-2 de la

loi fiscale au motif que pour les anneacutees fiscales 2001 etou 2002 celui-ci

avait omis dans sa deacuteclaration fiscale 4 651 881 NOK de revenus ce qui

repreacutesentait 1 302 526 NOK drsquoimpocircts agrave verser Il pria le tribunal (tingrett)

drsquoOslo de rendre un jugement sommaire fondeacute sur les aveux

(tilstaringelsesdom) de lrsquointeacuteresseacute De plus MM EK BL et GA plaidegraverent

coupable et acceptegraverent de passer en jugement sommaire sur la base de la

reconnaissance par eux de leur culpabiliteacute

34 Le 10 feacutevrier 2009 le second requeacuterant (agrave lrsquoinverse de MM EK

BL et GA) revint sur ses aveux agrave la suite de quoi le procureur deacutelivra le

29 mai 2009 un acte drsquoinculpation reacuteviseacute qui reprenait les mecircmes chefs

35 Le 30 septembre 2009 agrave lrsquoissue drsquoun procegraves contradictoire le

tribunal drsquoOslo deacuteclara le second requeacuterant coupable des chefs de fraude

fiscale aggraveacutee et le condamna agrave un an drsquoemprisonnement peine qui tenait

compte de ce qursquoune majoration drsquoimpocirct lui avait deacutejagrave eacuteteacute appliqueacutee

36 Le second requeacuterant contesta devant la cour drsquoappel la proceacutedure

conduite devant le tribunal drsquoOslo soutenant en particulier que en vertu du

principe non bis in idem consacreacute agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

lrsquoapplication dans son cas drsquoune majoration drsquoimpocirct faisait obstacle agrave sa

condamnation peacutenale Il demanda donc agrave la cour drsquoappel lrsquoannulation

(opphevet) du jugement dudit tribunal et le rejet (avvist) de lrsquoaction dirigeacutee

contre lui

37 Par un arrecirct rendu le 8 juillet 2010 qui reprenait pour lrsquoessentiel le

raisonnement suivi par elle dans son arrecirct concernant le premier requeacuterant

lequel raisonnement eacutetait similaire agrave celui de la Cour suprecircme reacutesumeacute plus

haut (paragraphes 20 agrave 30 ci-dessus) la cour drsquoappel deacutebouta le second

requeacuterant Elle jugea ainsi que la deacutecision du 5 deacutecembre 2008 par laquelle

le fisc avait ordonneacute au second requeacuterant de payer une majoration drsquoimpocirct

de 30 srsquoanalysait bien en une sanction peacutenale (straff) que cette deacutecision

eacutetait devenue laquo deacutefinitive raquo agrave la date drsquoexpiration du deacutelai de recours soit le

26 deacutecembre 2008 et que ladite deacutecision et la condamnation peacutenale

posteacuterieure portaient sur les mecircmes faits

10 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

38 Par ailleurs comme dans le cas du premier requeacuterant la cour drsquoappel

jugea que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 permettait dans une certaine mesure

la conduite de proceacutedures parallegraveles ndash lrsquoune administrative et lrsquoautre

peacutenale ndash pourvu que la seconde commence avant que la premiegravere ne se

conclue par une deacutecision deacutefinitive Elle estima que une fois satisfaite cette

exigence minimale il fallait appreacutecier lrsquoeacutetat drsquoavancement de la seconde

proceacutedure et surtout rechercher srsquoil existait ou non un lien mateacuteriel et

temporel suffisant entre la premiegravere deacutecision et la seconde

39 Quant agrave lrsquoexamen concret des circonstances propres agrave lrsquoaffaire du

second requeacuterant la cour drsquoappel constata que la proceacutedure peacutenale et la

proceacutedure fiscale avaient en reacutealiteacute eacuteteacute conduites en parallegravele et ce depuis la

plainte dont le fisc avait saisi la police agrave lrsquoautomne 2007 jusqursquoagrave la deacutecision

de majoration drsquoimpocirct prise en deacutecembre 2008 Elle jugea la situation

similaire agrave celle du premier requeacuterant Elle releva que le second requeacuterant

avait eacuteteacute inculpeacute et que le dossier avait eacuteteacute transmis au tribunal drsquoOslo

assorti drsquoune demande de jugement sommaire sur la base des aveux

auxquels lrsquointeacuteresseacute srsquoeacutetait livreacute le 11 novembre 2008 anteacuterieurement agrave la

deacutecision de majoration drsquoimpocirct Elle estima donc que agrave la date de cette

deacutecision la proceacutedure peacutenale avait deacutejagrave atteint un stade relativement avanceacute

Elle admit que la peacuteriode de neuf mois ndash courant de la date agrave laquelle la

deacutecision du fisc du 5 deacutecembre 2008 eacutetait devenue deacutefinitive au

30 septembre 2009 date de la condamnation du second requeacuterant par le

tribunal drsquoOslo ndash eacutetait un peu plus longue que la peacuteriode de deux mois et

demi eacutecouleacutee dans le cas du premier requeacuterant Elle consideacutera neacuteanmoins

que cet eacutecart pouvait srsquoexpliquer par la reacutetractation du second requeacuterant en

feacutevrier 2009 en conseacutequence de laquelle il avait fallu lrsquoinculper de nouveau

le 29 mai 2009 et le juger dans le cadre drsquoun procegraves ordinaire Elle en

conclut agrave lrsquoinstar du tribunal drsquoOslo qursquoil existait manifestement un lien

mateacuteriel et temporel suffisant entre la deacutecision de majoration drsquoimpocirct et la

condamnation peacutenale ulteacuterieure

40 Le 29 octobre 2010 le Comiteacute de seacutelection des recours de la Cour

suprecircme refusa au second requeacuterant lrsquoautorisation de former un pourvoi

aupregraves de celle-ci au motif que cela ne se justifiait ni par lrsquoimportance

geacuteneacuterale de lrsquoaffaire ni par aucune autre raison

II LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

41 Aux termes de lrsquoarticle 10-2 1) de la loi fiscale de 1980 qui figure

dans le chapitre 10 consacreacute aux majorations drsquoimpocirct (Tilleggsskatt) est

passible drsquoune majoration drsquoimpocirct tout contribuable qui aura fourni au fisc

des informations inexactes ou incomplegravetes ayant ou risquant drsquoavoir pour

conseacutequence une erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct Conformeacutement agrave

lrsquoarticle 10-4 1) les majorations drsquoimpocirct srsquoeacutelegravevent en principe agrave 30 des

impocircts qui ont eacuteteacute ou risquaient drsquoecirctre soustraits

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 11

42 Agrave lrsquoeacutepoque ougrave les requeacuterants ont commis leurs infractions les

articles 10-2 10-3 et 10-4 de cette loi disposaient

Article 10-2 (majorations drsquoimpocirct)

laquo 1 Si le fisc srsquoaperccediloit qursquoun contribuable lui a communiqueacute dans une deacuteclaration

de revenus une deacuteclaration drsquoactifs une eacutecriture ou toute autre deacuteclaration verbale ou

eacutecrite des informations inexactes ou incomplegravetes qui conduisent ou risquent de

conduire agrave une erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct il lui est infligeacute une majoration

drsquoimpocirct correspondant agrave un pourcentage des impocircts qui ont eacuteteacute ou risquaient drsquoecirctre

soustraits

Les cotisations agrave la seacutecuriteacute sociale sont assimilables agrave des impocircts agrave cet eacutegard

2 Si le contribuable nrsquoa pas produit la deacuteclaration de revenus ou la deacuteclaration

drsquoactifs requise la majoration drsquoimpocirct est calculeacutee agrave partir de lrsquoimpocirct fixeacute dans le

redressement

3 Un suppleacutement drsquoactifs ou de revenus justifiant lrsquoimposition drsquoune majoration

drsquoimpocirct est reacuteputeacute repreacutesenter la partie supeacuterieure des actifs ou revenus du

contribuable Si le contribuable doit srsquoacquitter drsquoune majoration drsquoimpocirct fixeacutee sur la

base de taux diffeacuterents pour la mecircme anneacutee les impocircts sur la base desquels cette

majoration est calculeacutee seront reacutepartis proportionnellement en fonction des actifs ou

des revenus auxquels les divers taux srsquoappliquent

4 Les obligations que le preacutesent article fait peser sur le contribuable srsquoappliquent

eacutegalement agrave sa succession et agrave ses ayants droit

5 Le contribuable pour lequel une majoration drsquoimpocirct est envisageacutee en est aviseacute au

preacutealable et un deacutelai lui est fixeacute de maniegravere agrave lui permettre de srsquoexprimer agrave ce sujet

6 Les majorations drsquoimpocirct peuvent ecirctre fixeacutees dans les deacutelais preacutevus agrave lrsquoarticle 9-6

de la preacutesente loi en mecircme temps que lrsquoeacutetablissement des impocircts sur la base desquels

elles doivent ecirctre calculeacutees ou ulteacuterieurement dans le cadre drsquoune deacutemarche

speacuteciale raquo

Article 10-3 (exemption de majoration drsquoimpocirct)

laquo Nulle majoration drsquoimpocirct ne peut ecirctre imposeacutee

a) lorsque les deacuteclarations fiscales du contribuable contiennent une erreur manifeste

de calcul ou de typographie

b) lorsque lrsquoinfraction commise par le contribuable peut ecirctre regardeacutee comme

excusable pour des raisons tenant agrave sa santeacute agrave son acircge agrave son inexpeacuterience ou pour

toute autre raison qui ne peut lui ecirctre reprocheacutee ou

c) lorsque son montant est infeacuterieur agrave 400 NOK au total raquo

Article 10-4 (taux de la majoration drsquoimpocirct)

laquo 1 Le taux de la majoration drsquoimpocirct est en principe de 30 Si les actes viseacutes agrave

lrsquoarticle 10-2 1) sont commis intentionnellement ou par neacutegligence grave le taux peut

aller jusqursquoagrave 60 Le taux est fixeacute agrave 15 si les informations inexactes ou

incomplegravetes concernent des eacuteleacutements deacuteclareacutes de leur cocircteacute par un employeur ou un

tiers conformeacutement au chapitre 6 ou si les circonstances peuvent ecirctre aiseacutement

veacuterifieacutees au moyen des informations dont le fisc dispose par ailleurs

12 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

2 Les majorations drsquoimpocirct sont fixeacutees agrave des taux eacutequivalant agrave la moitieacute de ceux

indiqueacutes dans les premiegravere et troisiegraveme phrases du paragraphe 1 du preacutesent article si

sont preacutesentes les circonstances preacutevues agrave lrsquoarticle 10-3 b) eacutetant entendu que cela ne

justifie pas drsquoeacuteliminer toute majoration

3 Les majorations drsquoimpocirct peuvent ecirctre calculeacutees avec un taux infeacuterieur agrave celui

indiqueacute au paragraphe 2 du preacutesent article voire eacutecarteacutees si le contribuable sa

succession ou ses ayants droit rectifient ou complegravetent volontairement les

informations preacuteceacutedemment communiqueacutees de sorte que le montant exact des impocircts

puisse ecirctre fixeacute Cette disposition ne srsquoapplique pas si le rectificatif peut passer pour la

conseacutequence de mesures de controcircle qui ont eacuteteacute ou seront adopteacutees ou drsquoinformations

que les autoriteacutes fiscales ont obtenues ou pouvaient obtenir de tiers raquo

43 Le chapitre 12 consacreacute aux sanctions peacutenales (straff) comporte les

dispositions suivantes pertinentes en lrsquoespegravece

Article 12-1 (fraude fiscale)

laquo 1 Doit ecirctre sanctionneacutee pour fraude fiscale toute personne qui intentionnellement

ou par neacutegligence grave

a) communique aux autoriteacutes fiscales des informations inexactes ou incomplegravetes

tout en sachant ou tout en eacutetant censeacutee savoir qursquoelle peut en tirer des avantages

fiscaux () raquo

Article 12-2 (fraude fiscale aggraveacutee)

laquo 1 La fraude fiscale aggraveacutee est punie drsquoune amende ou drsquoune peine

drsquoemprisonnement pouvant aller jusqursquoagrave six ans La compliciteacute est punissable des

mecircmes peines

2 Pour deacuteterminer si la fraude fiscale est aggraveacutee on accordera un poids

particulier au point de savoir si elle risque drsquoentraicircner la soustraction de montants tregraves

importants en impocircts si elle est exeacutecuteacutee drsquoune maniegravere qui en rend la deacutecouverte

particuliegraverement difficile si elle est le fruit drsquoun abus drsquoautoriteacute ou de confiance ou si

elle reacutesulte drsquoune compliciteacute dans lrsquoexercice de fonctions professionnelles

3 En application des critegraveres eacutenumeacutereacutes au paragraphe 2 ci-dessus plusieurs

infractions peuvent ecirctre prises en compte conjointement

4 Le preacutesent article est applicable mecircme en cas drsquoignorance des circonstances

aggravantes si celle-ci est le fruit drsquoune neacutegligence grave raquo

44 Selon la jurisprudence de la Cour suprecircme lrsquoimposition drsquoune

majoration drsquoimpocirct de 60 doit ecirctre qualifieacutee drsquolaquo accusation en matiegravere

peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 de la Convention (Rt 2000 p 996) Degraves lors

que des poursuites peacutenales ont eacuteteacute ensuite engageacutees pour le mecircme

comportement la juridiction de jugement doit prononcer leur abandon faute

de quoi il y aurait violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 (deux arrecircts en

formation pleacuteniegravere rendus le 3 mai 2002 et publieacutes au Rt 2002 p 557 et au

Rt 2002 p 497)

45 La Cour suprecircme a eacutegalement conclu que lrsquoapplication drsquoune

majoration drsquoimpocirct de 30 eacutetait constitutive drsquoune laquo accusation en matiegravere

peacutenale raquo aux fins de lrsquoarticle 6 de la Convention (troisiegraveme arrecirct rendu le

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 13

3 mai 2002 Rt 2002 p 509) Dans des arrecircts ulteacuterieurs publieacutes au Rt 2004

p 645 et au Rt 2006 p 1409 elle a dit qursquoune majoration drsquoimpocirct de 30

revecirctait eacutegalement un caractegravere peacutenal sur le terrain de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7

46 Il faut encore signaler que pour ce qui est de la nature des

majorations drsquoimpocirct ordinaires de 30 la Cour suprecircme srsquoest appuyeacutee sur

des travaux preacuteparatoires de la loi (Otprpnr 29 (1978-1979) pp 44-45)

Elle a jugeacute que le ministegravere attachait beaucoup drsquoimportance agrave des

consideacuterations de preacutevention geacuteneacuterale Un risque eacuteleveacute de sanction sous

forme de majoration drsquoimpocirct aurait eacuteteacute jugeacute plus dissuasif que des sanctions

(peacutenales) moins nombreuses et plus lourdes La majoration drsquoimpocirct serait

censeacutee ecirctre avant tout une reacuteaction agrave la communication au fisc par le

contribuable de deacuteclarations ou drsquoinformations inexactes ou incomplegravetes et

une compensation des ressources humaines et financiegraveres consideacuterables

consacreacutees par la collectiviteacute aux controcircles et enquecirctes Il aurait eacuteteacute estimeacute

que les coucircts ainsi entraicircneacutes devaient dans une certaine mesure ecirctre

supporteacutes par ceux qui fournissaient les informations inexactes ou

incomplegravetes (Rt 2002 p 520) Les buts poursuivis par le reacutegime des

majorations drsquoimpocirct ordinaires se caracteacuteriseraient avant tout par la

neacutecessiteacute de garantir le respect effectif par le contribuable de son devoir de

fournir des informations et par des consideacuterations de preacutevention geacuteneacuterale

(Rt 2006 p 1409) Le contribuable aurait le devoir de communiquer les

informations et eacuteleacutements neacutecessaires agrave lrsquoeacutetablissement de son assiette

fiscale Essentiel agrave lrsquoensemble du systegraveme fiscal national ce devoir serait

eacutetayeacute par un meacutecanisme de controcircles et de sanctions efficaces en cas de

manquement Le calcul de lrsquoimpocirct serait une opeacuteration massive faisant

intervenir des millions de citoyens La majoration drsquoimpocirct aurait pour

finaliteacute de renforcer les fondations du systegraveme fiscal national Il serait admis

qursquoun systegraveme fiscal en bon eacutetat de marche est indispensable au

fonctionnement de lrsquoEacutetat et donc de la socieacuteteacute (Rt 2002 p 525)

47 Par un arrecirct adopteacute par la formation pleacuteniegravere de la Cour suprecircme le

14 septembre 2006 agrave la suite de la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute rendue le

14 septembre 2004 par la Cour en lrsquoaffaire Rosenquist c Suegravede

(no 6061900) la haute juridiction a dit que lrsquoimposition drsquoune majoration

drsquoimpocirct de 30 et une proceacutedure peacutenale pour fraude fiscale ne

correspondaient pas agrave la mecircme infraction au sens de lrsquoarticle 4 du Protocole

no 7 (Rt 2006 p1409) Dans son arrecirct rendu en septembre 2010 concernant

le premier requeacuterant elle a opeacutereacute un revirement de cette jurisprudence

jugeant que la proceacutedure administrative et la proceacutedure peacutenale concernaient

la mecircme infraction pour les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

(paragraphe 20 ci-dessus)

48 Parallegravelement agrave la suite de lrsquoarrecirct rendu par la Cour le 10 feacutevrier

2009 dans lrsquoaffaire preacuteciteacutee Sergueiuml Zolotoukhine le procureur geacuteneacuteral

(Riksadvokaten) publia le 3 avril 2009 des instructions (RA-2009-187) avec

14 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

prise drsquoeffet immeacutediate Drsquoapregraves celles-ci lrsquoarrecirct de la Cour suprecircme de

2006 ne pouvait plus ecirctre suivi Le texte se lisait notamment comme suit

laquo 4 La mecircme infraction ndash la notion drsquoidentiteacute

Il est communeacutement admis que la notion drsquoidentiteacute drsquoinfractions (idem) contenue agrave

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 comporte deux aspects lrsquoun relatif aux circonstances

factuelles et lrsquoautre relatif au droit Selon cette interpreacutetation la seconde proceacutedure (en

pratique le procegraves peacutenal) ne porte sur la mecircme infraction que la proceacutedure anteacuterieure

(en pratique la majoration drsquoimpocirct) que si elles concernent toutes deux les mecircmes

faits ndash le laquo mecircme comportement raquo ndash et si la teneur des dispositions pertinentes est

dans une large mesure identique (crsquoest-agrave-dire si elles renferment les laquo mecircmes eacuteleacutements

essentiels raquo)

Dans son arrecirct rendu en formation pleacuteniegravere (Rt 2006 p 1409) la Cour suprecircme ndash se

reacutefeacuterant en particulier agrave la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute rendue par la Cour le 14 septembre

2004 en lrsquoaffaire Rosenquist (deacutec) no 6061900 ndash a jugeacute qursquoune deacutecision infligeant

une majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire ne faisait pas obstacle agrave lrsquoouverture

ulteacuterieure drsquoun procegraves peacutenal lrsquoune et lrsquoautre des proceacutedures ayant pour objet des

infractions diffeacuterentes au sens de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 La majoriteacute (14 voix) a

estimeacute que les dispositions reacutegissant la majoration drsquoimpocirct ordinaire eacutenonceacutees agrave

lrsquoarticle 10-2 cf article 10-4 1) premiegravere phrase de la loi fiscale ne renfermaient pas

les mecircmes eacuteleacutements essentiels que la disposition peacutenale eacutenonceacutee agrave lrsquoarticle 12-1 de

cette mecircme loi Pour la Cour suprecircme la diffeacuterence deacutecisive tenait agrave ce que si la

disposition peacutenale nrsquoeacutetait applicable que lorsqursquoil y a intention ou neacutegligence grave

les majorations drsquoimpocirct ordinaires lrsquoeacutetaient sur la base de critegraveres plus ou moins

objectifs La haute juridiction a eacutegalement eacutevoqueacute la diffeacuterence de finaliteacute de ces

sanctions

Dans son arrecirct de Grande Chambre Sergueiuml Zolotoukhine la Cour srsquoest livreacutee agrave une

analyse minutieuse de la notion drsquoidentiteacute drsquoinfractions (idem) tireacutee de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 agrave lrsquoissue de laquelle elle srsquoest eacutecarteacutee de lrsquointerpreacutetation qui avait cours

auparavant Depuis cet arrecirct il est clair que la question de savoir si lrsquoune et lrsquoautre des

proceacutedures concernaient la mecircme infraction doit ecirctre analyseacutee sur la base des seuls

faits (voir en particulier les paragraphes 82 et 84 de lrsquoarrecirct) Les deux proceacutedures

auront pour objet la mecircme infraction si elles ont pour origine laquo des faits identiques ou

des faits qui sont en substance les mecircmes raquo (sect 82) Il faut donc faire porter lrsquolaquo examen

sur ces faits qui constituent un ensemble de circonstances factuelles concregravetes

impliquant le mecircme contrevenant et indissociablement lieacutees entre elles dans le temps

et lrsquoespace raquo (sect 84)

De lrsquoavis du procureur geacuteneacuteral le jugement porteacute par la Cour suprecircme dans son arrecirct

publieacute au Rt 2006 p 1409 qui se fondait principalement sur des diffeacuterences dans les

critegraveres de culpabiliteacute ne tient plus depuis lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine Degraves lors que

lrsquoapplication de la majoration drsquoimpocirct et le procegraves peacutenal ulteacuterieur reposent sur la

mecircme action ou omission comme crsquoest normalement le cas il faut supposer que en

application de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 la majoration drsquoimpocirct ordinaire fait

eacutegalement obstacle agrave des poursuites peacutenales ulteacuterieures Le procureur geacuteneacuteral a deacuteduit

de ses entretiens avec la direction des impocircts que telle est la position de celle-ci

La nouvelle conception de la notion drsquoidentiteacute drsquoinfractions sur le terrain de

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 soulegravevera incontestablement de nouvelles questions sur

lrsquoampleur des diffeacuterences que devront avoir les circonstances factuelles pour qursquoil

puisse ecirctre conclu agrave lrsquoabsence drsquoidentiteacute Cependant il srsquoagit de questions qui devront

ecirctre trancheacutees en pratique au cas par cas Il faut noter que le raisonnement de lrsquoarrecirct

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 15

Sergueiuml Zolotoukhine montre que la Cour est moins disposeacutee que le droit interne

norveacutegien agrave consideacuterer une seacutequence drsquoeacuteveacutenements comme un tout pour ce qui est de

rechercher srsquoil y a infraction continueacutee ou non

5 Nouvelle proceacutedure

Comme on le sait les instructions anteacuterieures (voir en particulier la section 3 de la

lettre du 26 mars 2007 (RA-2007-120) adresseacutee par le procureur geacuteneacuteral aux bureaux

reacutegionaux des procureurs et aux directeurs de la police) reposaient sur la possibiliteacute

drsquoappliquer aux majorations drsquoimpocirct ordinaires le systegraveme agrave deux niveaux instaureacute par

la loi fiscale Depuis le revirement opeacutereacute dans la jurisprudence de la Cour il faut

appliquer un systegraveme laquo agrave un niveau raquo eacutegalement pour les majorations drsquoimpocirct

ordinaires

Ainsi qursquoil a deacutejagrave eacuteteacute dit le procureur geacuteneacuteral et la direction des impocircts nrsquoestiment

pas justifiable drsquoouvrir un nouveau procegraves en supposant que les tribunaux ne

concluront plus que lrsquoapplication drsquoune majoration drsquoimpocirct ordinaire constitue une

sanction peacutenale au sens de la Convention On pourrait peut-ecirctre deacutefendre cette thegravese

mais elle comporte trop drsquoincertitudes Il faut aussi tenir compte du nombre

relativement important drsquoaffaires en jeu

Quand bien mecircme la jurisprudence de la Cour en matiegravere de proceacutedures parallegraveles

nrsquoaurait pas changeacute nous estimons ndash comme auparavant ndash que si un grand nombre

drsquoactions en justice sont formeacutees ndash ce qui risque drsquoecirctre le cas ndash il sera trop compliqueacute

drsquointenter un procegraves sur la base de proceacutedures parallegraveles crsquoest-agrave-dire devant

lrsquoadministration et devant le juge Il faut signaler aussi que dans tel ou tel cas si les

circonstances le permettent des transactions peuvent ecirctre conclues en tenant compte

de lrsquoeacuteventualiteacute de proceacutedures parallegraveles

Agrave lrsquoissue des discussions le procureur geacuteneacuteral et la direction des impocircts

conviennent de la proceacutedure suivante () raquo

49 Les instructions fixent ensuite les modaliteacutes de la laquo nouvelle

proceacutedure raquo

a) Srsquoagissant des affaires nouvelles crsquoest-agrave-dire celles sur lesquelles le

fisc nrsquoa pas encore statueacute celui-ci doit examiner de maniegravere indeacutependante si

le fait punissable est drsquoune graviteacute telle qursquoil meacuterite drsquoecirctre signaleacute agrave la

police Si le fisc deacutecide drsquoen saisir la police aucune majoration drsquoimpocirct ne

peut ecirctre appliqueacutee Srsquoil faut appliquer une majoration drsquoimpocirct la police ne

peut ecirctre saisie

Srsquoagissant des affaires dont la police a eacuteteacute saisie il est souligneacute que

lrsquoimposition drsquoune amende (par le biais drsquoune notification de peine ou drsquoun

jugement au peacutenal) fait obstacle agrave lrsquoapplication ulteacuterieure drsquoune majoration

drsquoimpocirct Si le parquet estime qursquoil nrsquoy a pas lieu drsquoouvrir des poursuites

peacutenales lrsquoaffaire doit ecirctre renvoyeacutee au fisc pour que celui-ci en reprenne

lrsquoexamen et lrsquointeacuteresseacute doit en ecirctre aviseacute

Dans les affaires ougrave le fisc applique une majoration drsquoimpocirct ordinaire

tout en signalant lrsquoaffaire agrave la police mais ougrave lrsquoouverture de poursuites nrsquoest

pas encore deacutecideacutee (laquo en instance de deacutecision raquo) il faut renoncer agrave celles-ci

b) Dans les affaires ougrave une notification de peine a eacuteteacute deacutelivreacutee mais nrsquoa

pas eacuteteacute accepteacutee et ougrave le fisc a appliqueacute une majoration drsquoimpocirct avant de

signaler lrsquoaffaire agrave la police il faut clore la proceacutedure Les notifications de

16 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

peine qui ont eacuteteacute accepteacutees doivent ecirctre annuleacutees par les hautes instances du

parquet En revanche en vertu du pouvoir discreacutetionnaire confeacutereacute par

lrsquoarticle 392 1) du code de proceacutedure peacutenale reconnu par la Cour suprecircme

en formation pleacuteniegravere dans son arrecirct publieacute au Rt 2003 p 359 il nrsquoest pas

neacutecessaire drsquoannuler les notifications de peine accepteacutees avant le 10 feacutevrier

2009 date du prononceacute de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine

c) Srsquoagissant des affaires passant en jugement devant les tribunaux de

premiegravere instance ndash sur la base drsquoun acte drsquoinculpation drsquoune notification de

peine non accepteacutee ou drsquoune demande de jugement sur la base drsquoune

reconnaissance de culpabiliteacute dans le cadre drsquoune proceacutedure sommaire ndash le

parquet doit clore la proceacutedure et abandonner les poursuites si lrsquoaudience

nrsquoa pas encore eu lieu ou si celle-ci a eu lieu demander le rejet de lrsquoaffaire

Le parquet doit faire appel de toute condamnation non encore deacutefinitive et

exeacutecutoire en faveur de la personne viseacutee et quelle que soit lrsquoissue en

premiegravere instance demander lrsquoannulation du jugement de premiegravere instance

et le rejet de lrsquoaffaire par les tribunaux

d) Il nrsquoest pas question de rouvrir le procegraves lorsque le jugement est

devenu deacutefinitif et exeacutecutoire anteacuterieurement agrave la date du prononceacute de

lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine crsquoest-agrave-dire avant le 10 feacutevrier 2009 Pour ce

qui est des jugements posteacuterieurs agrave cette date la reacuteouverture pourrait ecirctre

envisageacutee dans des cas exceptionnels mais lrsquointeacuteresseacute doit ecirctre informeacute que

le parquet ne demandera pas drsquooffice la reacuteouverture

50 Pour ce qui est de lrsquoimposition de plusieurs sanctions peacutenales pour le

mecircme comportement lrsquoarticle 29 du code peacutenal (Straffeloven) de 2005

dispose que la peine globale en reacutesultant doit raisonnablement correspondre

agrave lrsquoinfraction commise Cette disposition reflegravete agrave lrsquoeacutevidence le principe

geacuteneacuteral de proportionnaliteacute applicable aussi agrave la fixation des sanctions

peacutenales en droit norveacutegien sous lrsquoempire de lrsquoancien code peacutenal de 1902

Dans un arrecirct publieacute au Rt 2009 p 14 qui concernait une proceacutedure peacutenale

pour fraude fiscale la Cour suprecircme a deacuteduit des principes eacutenonceacutes dans le

code peacutenal de 1902 qursquoil fallait tenir compte de toute sanction deacutejagrave infligeacutee

agrave lrsquoaccuseacute ndash en lrsquooccurrence une majoration drsquoimpocirct de nature

administrative ndash pour la fraude fiscale dont il eacutetait lrsquoauteur et en a conclu

qursquoil ne devait pas ecirctre traiteacute plus seacutevegraverement que si lrsquoinfraction peacutenale de

fraude fiscale avait eacuteteacute jugeacutee en mecircme temps que le comportement

sanctionneacute dans le cadre de la proceacutedure administrative Dans un arrecirct

publieacute au Rt 2011 p 1509 elle a confirmeacute ce qursquoelle avait dit dans une

deacutecision anteacuterieure publieacutee au Rt 2005 p 129 agrave savoir que le principe

(eacutenonceacute dans un arrecirct publieacute au Rt 2004 p 645) selon lequel un montant

correspondant agrave la majoration drsquoimpocirct administrative ordinaire de 30

pouvait ecirctre englobeacute dans lrsquoamende nrsquoeacutetait pas applicable aux affaires de

fraude fiscale agrave caractegravere peacutenal ougrave il y avait lieu de prononcer des peines

drsquoemprisonnement en plus des amendes Elle a eacutegalement confirmeacute que

comme elle lrsquoavait dit dans sa deacutecision de 2005 si une majoration drsquoimpocirct

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 17

administrative ne pouvait plus ecirctre imposeacutee lrsquoamende de nature peacutenale

devait ecirctre plus lourde

III LrsquoAFFAIRE HANS AringKEBERG FRANSSON (C-61710) DEVANT LA

COUR DE JUSTICE DE LrsquoUNION EUROPEacuteENNE

51 Dans ses conclusions preacutesenteacutees le 12 juin 2012 en lrsquoaffaire

susmentionneacutee porteacutee devant la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne (laquo la

CJUE raquo) lrsquoavocat geacuteneacuteral Cruz Villaloacuten a dit ceci

laquo 2 Analyse des deuxiegraveme troisiegraveme et quatriegraveme questions preacutejudicielles

70 La question poseacutee par le [tribunal de] Haparanda () est particuliegraverement

complexe et srsquoavegravere tout aussi deacutelicate que la question qui vient drsquoecirctre traiteacutee Drsquoun

cocircteacute la double sanction administrative et peacutenale est une pratique tregraves reacutepandue dans

les Eacutetats membres surtout dans des domaines tels que ceux de la fiscaliteacute des

politiques environnementales ou de la seacutecuriteacute publique Toutefois les modaliteacutes

relatives au cumul des sanctions varient eacutenormeacutement entre les ordres juridiques et

revecirctent des caracteacuteristiques speacutecifiques et propres agrave chaque Eacutetat membre Dans la

plupart des cas ces speacutecificiteacutes visent agrave atteacutenuer les effets drsquoune double reacuteaction

punitive de la part des pouvoirs publics Drsquoun autre cocircteacute comme nous le verrons par

la suite la Cour de Strasbourg srsquoest prononceacutee reacutecemment agrave ce sujet et a confirmeacute

que contrairement agrave ce qursquoil semblait au deacutebut ces pratiques eacutetaient contraires au

droit fondamental ne bis in idem figurant agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 de la CEDH

Cependant il srsquoavegravere que tous les Eacutetats membres nrsquoont pas ratifieacute cette disposition

puisqursquoils ont introduit dans certains cas des reacuteserves ou des deacuteclarations

interpreacutetatives agrave ce sujet Il srsquoensuit que lrsquoobligation drsquointerpreacuteter la charte agrave la lumiegravere

de la CEDH et de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg (article 52 paragraphe 3

de la charte) devient en quelque sorte asymeacutetrique en ce qursquoelle pose de gros

problegravemes dans son application au cas particulier

a) Lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 de la CEDH et la jurisprudence de la Cour de

Strasbourg y affeacuterente

i) Signature et ratification de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 de la CEDH

71 Le principe ne bis in idem ne fait pas expresseacutement partie de la CEDH depuis le

deacutebut Son incorporation agrave la convention a eu lieu comme on le sait par le biais de

son Protocole no 7 ouvert agrave la signature le 22 novembre 1984 et entreacute en vigueur le

1er novembre 1988 Entre autres droits lrsquoarticle 4 eacutenonce la garantie du ne bis in idem

dans le but selon les explications sur le protocole fournies par le Conseil de lrsquoEurope

de concreacutetiser le principe en vertu duquel nul ne peut ecirctre poursuivi ou puni

peacutenalement en raison drsquoune infraction pour laquelle il a deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute ou condamneacute

par un jugement deacutefinitif

72 Agrave la diffeacuterence drsquoautres droits contenus dans la CEDH le droit preacutevu agrave

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 de la CEDH nrsquoa pas eacuteteacute unanimement accepteacute par les

Eacutetats signataires de la convention dont diffeacuterents Eacutetats membres de lrsquoUnion Au jour

de la lecture des preacutesentes conclusions le Protocole no 7 nrsquoest pas encore ratifieacute par la

Reacutepublique feacutedeacuterale drsquoAllemagne le Royaume de Belgique le Royaume des

Pays-Bas et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et drsquoIrlande du Nord Parmi les

Eacutetats qui lrsquoont ratifieacutee la Reacutepublique franccedilaise a formuleacute une reacuteserve agrave lrsquoarticle 4

dudit protocole en limitant son application aux seules infractions de nature

peacutenale () De mecircme agrave lrsquooccasion de la signature la Reacutepublique feacutedeacuterale

18 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

drsquoAllemagne la Reacutepublique drsquoAutriche la Reacutepublique italienne et la Reacutepublique

portugaise ont formuleacute diffeacuterentes deacuteclarations contenant la mecircme indication la

porteacutee limiteacutee de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 dont la protection ne concerne que la

double sanction laquo peacutenale raquo au sens ougrave lrsquoentend lrsquoordre juridique interne ()

73 Les eacuteleacutements qui preacutecegravedent montrent clairement et sans eacutequivoque que les

problegravemes que pose la double sanction administrative et peacutenale sont marqueacutes par un

grave deacutefaut de consensus entre les Eacutetats membres de lrsquoUnion Le caractegravere

probleacutematique du contexte est patent agrave en juger par les neacutegociations sur la future

adheacutesion de lrsquoUnion agrave la CEDH au cours desquelles les Eacutetats et lrsquoUnion ont deacutecideacute

drsquoexclure pour le moment les protocoles de la CEDH y compris celui en cause dans

cette affaire ()

74 Ce deacutefaut de consensus peut srsquoexpliquer par lrsquoimportance que revecirctent les

instruments de reacutepression administrative dans bon nombre drsquoEacutetats membres ainsi que

par lrsquoaccent particulier qui est mis dans ces Eacutetats membres agrave la fois sur la proceacutedure

et sur la sanction peacutenales Drsquoun cocircteacute les Eacutetats ne veulent pas renoncer agrave lrsquoefficaciteacute

qui caracteacuterise la sanction administrative en particulier dans des domaines ougrave les

pouvoirs publics tiennent agrave srsquoassurer du strict respect de la leacutegaliteacute tels que le droit

fiscal ou le droit de la seacutecuriteacute publique Drsquoun autre cocircteacute le caractegravere exceptionnel de

lrsquointervention peacutenale ainsi que les garanties dont lrsquoaccuseacute beacuteneacuteficie pendant le procegraves

incitent les Eacutetats agrave se reacuteserver une marge drsquoappreacuteciation pour deacuteterminer les

comportements qui doivent faire lrsquoobjet de poursuites peacutenales Ce double inteacuterecirct agrave

conserver un pouvoir de sanction agrave la fois administrative et peacutenale explique pourquoi

un grand nombre drsquoEacutetats membres refusent actuellement drsquoune maniegravere ou drsquoune

autre de se soumettre agrave la jurisprudence de la Cour de Strasbourg laquelle comme

nous allons le voir maintenant a eacutevolueacute dans un sens qui exclut pratiquement cette

dualiteacute raquo

52 Dans son arrecirct du 26 feacutevrier 2013 la CJUE (grande chambre) a

notamment dit ceci

laquo Sur les questions preacutejudicielles

Sur les deuxiegraveme troisiegraveme et quatriegraveme questions

32 Par ces questions auxquelles il convient de reacutepondre de maniegravere conjointe le

[tribunal de] Haparanda () demande en substance agrave la Cour srsquoil convient

drsquointerpreacuteter le principe ne bis in idem eacutenonceacute agrave lrsquoarticle 50 de la Charte en ce sens

qursquoil srsquooppose agrave ce que des poursuites peacutenales pour fraude fiscale soient diligenteacutees

contre un preacutevenu degraves lors que ce dernier a deacutejagrave fait lrsquoobjet drsquoune sanction fiscale

pour les mecircmes faits de fausse deacuteclaration

33 Srsquoagissant de lrsquoapplication du principe ne bis in idem eacutenonceacute agrave lrsquoarticle 50 de la

Charte agrave des poursuites peacutenales pour fraude fiscale telles que celles qui sont lrsquoobjet du

litige au principal elle suppose que les mesures qui ont deacutejagrave eacuteteacute adopteacutees agrave lrsquoencontre

du preacutevenu au moyen drsquoune deacutecision devenue deacutefinitive revecirctent un caractegravere peacutenal

34 Agrave cet eacutegard il convient de relever tout drsquoabord que lrsquoarticle 50 de la Charte ne

srsquooppose pas agrave ce qursquoun Eacutetat membre impose pour les mecircmes faits de non-respect

drsquoobligations deacuteclaratives dans le domaine de la TVA une combinaison de sanctions

fiscales et peacutenales En effet afin de garantir la perception de lrsquointeacutegraliteacute des recettes

provenant de la TVA et ce faisant la protection des inteacuterecircts financiers de lrsquoUnion les

Eacutetats membres disposent drsquoune liberteacute de choix des sanctions applicables (voir en ce

sens arrecircts du 21 septembre 1989 CommissionGregravece 68frasl88 Rec p 2965 point 24

du 7 deacutecembre 2000 de Andrade C-213frasl99 Rec p I-11083 point 19 et du

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 19

16 octobre 2003 Hannl-Hofstetter C-91frasl02 Rec p I-12077 point 17) Celles-ci

peuvent donc prendre la forme de sanctions administratives de sanctions peacutenales ou

drsquoune combinaison des deux Ce nrsquoest que lorsque la sanction fiscale revecirct un

caractegravere peacutenal au sens de lrsquoarticle 50 de la Charte et est devenue deacutefinitive que

ladite disposition srsquooppose agrave ce que des poursuites peacutenales pour les mecircmes faits soient

diligenteacutees contre une mecircme personne

35 Ensuite il y a lieu de rappeler que aux fins de lrsquoappreacuteciation de la nature peacutenale

de sanctions fiscales trois critegraveres sont pertinents Le premier est la qualification

juridique de lrsquoinfraction en droit interne le deuxiegraveme la nature mecircme de lrsquoinfraction et

le troisiegraveme la nature ainsi que le degreacute de seacuteveacuteriteacute de la sanction que risque de subir

lrsquointeacuteresseacute (arrecirct du 5 juin 2012 Bonda C-489frasl10 point 37)

36 Il appartient agrave la juridiction de renvoi drsquoappreacutecier agrave la lumiegravere de ces critegraveres

srsquoil y a lieu de proceacuteder agrave un examen du cumul de sanctions fiscales et peacutenales preacutevu

par la leacutegislation nationale par rapport aux standards nationaux au sens du point 29 du

preacutesent arrecirct ce qui pourrait lrsquoamener le cas eacutecheacuteant agrave consideacuterer ce cumul comme

contraire auxdits standards agrave condition que les sanctions restantes soient effectives

proportionneacutees et dissuasives (voir en ce sens notamment arrecircts CommissionGregravece

preacuteciteacute point 24 du 10 juillet 1990 Hansen C-326frasl88 Rec p I-2911 point 17 du

30 septembre 2003 Inspire Art C-167frasl01 Rec p I-10155 point 62 du 15 janvier

2004 Penycoed C-230frasl01 Rec p I-937 point 36 ainsi que du 3 mai 2005

Berlusconi ea C-387frasl02 C-391frasl02 et C-403frasl02 Rec p I-3565 point 65)

37 Il deacutecoule des consideacuterations qui preacutecegravedent qursquoil convient de reacutepondre aux

deuxiegraveme troisiegraveme et quatriegraveme questions que le principe ne bis in idem eacutenonceacute agrave

lrsquoarticle 50 de la Charte ne srsquooppose pas agrave ce qursquoun Eacutetat membre impose pour les

mecircmes faits de non-respect drsquoobligations deacuteclaratives dans le domaine de la TVA

successivement une sanction fiscale et une sanction peacutenale dans la mesure ougrave la

premiegravere sanction ne revecirct pas un caractegravere peacutenal ce qursquoil appartient agrave la juridiction

nationale de veacuterifier raquo

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 4 DU

PROTOCOLE No 7 Agrave LA CONVENTION

53 Les requeacuterants soutiennent tous deux avoir eacuteteacute poursuivis et

sanctionneacutes deux fois pour la mecircme infraction relevant de lrsquoarticle 12-1

(chapitre 12) de la loi fiscale en violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 agrave

la Convention ils allegraveguent avoir eacuteteacute interrogeacutes en tant qursquoaccuseacutes et

inculpeacutes par le parquet frappeacutes de majorations drsquoimpocirct par le fisc payeacutees

par eux puis reconnus coupables et sanctionneacutes au peacutenal Lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 est ainsi libelleacute

laquo 1 Nul ne peut ecirctre poursuivi ou puni peacutenalement par les juridictions du mecircme

Eacutetat en raison drsquoune infraction pour laquelle il a deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute ou condamneacute par un

jugement deacutefinitif conformeacutement agrave la loi et agrave la proceacutedure peacutenale de cet Eacutetat

20 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

2 Les dispositions du paragraphe preacuteceacutedent nrsquoempecircchent pas la reacuteouverture du

procegraves conformeacutement agrave la loi et agrave la proceacutedure peacutenale de lrsquoEacutetat concerneacute si des faits

nouveaux ou nouvellement reacuteveacuteleacutes ou un vice fondamental dans la proceacutedure

preacuteceacutedente sont de nature agrave affecter le jugement intervenu

3 Aucune deacuterogation nrsquoest autoriseacutee au preacutesent article au titre de lrsquoarticle 15 de la

Convention raquo

54 Le Gouvernement reacutecuse cette thegravese

A Sur la recevabiliteacute

55 La Cour estime que les requecirctes soulegravevent des questions complexes

du point de vue des faits et du droit de la Convention de sorte qursquoelle ne

saurait les rejeter pour deacutefaut manifeste de fondement au sens de lrsquoarticle 35

sect 3 a) de la Convention Constatant par ailleurs qursquoelles ne se heurtent agrave

aucun autre motif drsquoirrecevabiliteacute elle les deacuteclare recevables

B Sur le fond

1 Les requeacuterants

56 Les requeacuterants soutiennent que au meacutepris de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 ils ont fait lrsquoobjet drsquoune double incrimination pour le mecircme

motif agrave savoir une infraction relevant de lrsquoarticle 12-1 1) de la loi fiscale Ils

disent en effet avoir eacuteteacute drsquoabord interrogeacutes comme accuseacutes et inculpeacutes par le

parquet et frappeacutes de majorations drsquoimpocirct par le fisc accepteacutees et payeacutees

par chacun drsquoeux puis condamneacutes peacutenalement Se reacutefeacuterant agrave la chronologie

des proceacutedures deacutenonceacutees le premier requeacuterant ajoute qursquoil a fait lrsquoobjet de

doubles poursuites pendant un laps de temps important ce qui aurait fait

peser sur lui un fardeau excessivement lourd tant physiquement que

psychologiquement en conseacutequence de quoi il aurait eacuteteacute victime drsquoun

infarctus et aurait ducirc ecirctre hospitaliseacute

a) Les premiegraveres proceacutedures revecirctaient-elles un caractegravere peacutenal

57 Partageant lrsquoanalyse de la Cour suprecircme fondeacutee sur les critegraveres Engel

et sur drsquoautres eacuteleacutements pertinents de jurisprudence interne concernant la

majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire de 30 les requeacuterants jugent

manifeste que non seulement la proceacutedure pour fraude fiscale mais aussi la

proceacutedure de majoration drsquoimpocirct eacutetaient de nature laquo peacutenale raquo et que ces

deux proceacutedures doivent donc ecirctre qualifieacutees de laquo peacutenales raquo pour les besoins

de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

b) Les infractions eacutetaient-elles les mecircmes (idem)

58 Les requeacuterants souscrivent eacutegalement agrave lrsquoavis de la Cour suprecircme

lorsqursquoelle a dit qursquoil ne faisait aucun doute que les circonstances factuelles

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 21

agrave lrsquoorigine des majorations drsquoimpocirct et des poursuites peacutenales avaient

suffisamment de points communs pour ecirctre consideacutereacutees comme

constitutives de la mecircme infraction Ils estiment en effet que dans un cas

comme dans lrsquoautre la base factuelle eacutetait lrsquoomission de revenus dans leur

deacuteclaration fiscale

c) Les proceacutedures fiscales ont-elles fait lrsquoobjet de deacutecisions deacutefinitives et dans

lrsquoaffirmative agrave quel moment

59 Les requeacuterants soutiennent que les deacutecisions par lesquelles le fisc

leur a appliqueacute des majorations drsquoimpocirct eacutetaient devenues deacutefinitives et

passeacutees en force de chose jugeacutee le 15 deacutecembre 2008 srsquoagissant du premier

requeacuterant et le 26 deacutecembre 2008 srsquoagissant du second requeacuterant soit

anteacuterieurement agrave leur condamnation pour les mecircmes comportements

intervenue le 2 mars 2009 pour le premier requeacuterant et le 30 septembre 2009

pour le second requeacuterant Qursquoil faille regarder ou non ces sanctions comme

issues de proceacutedures dites parallegraveles les deacutecisions de majoration drsquoimpocirct

prises contre eux seraient devenues deacutefinitives et exeacutecutoires avant qursquoils ne

fussent reconnus coupables agrave raison drsquoun comportement strictement

identique respectivement par le tribunal de Follo et par le tribunal drsquoOslo

Les sanctionner peacutenalement aurait donc emporteacute violation du principe non

bis in idem consacreacute agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

d) Y a-t-il eu reacutepeacutetition des poursuites (bis)

60 Les requeacuterants se disent victimes drsquoune reacutepeacutetition des poursuites

proscrite par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Les proceacutedures administratives de

majoration drsquoimpocirct revecirctant effectivement selon eux un caractegravere peacutenal le

parquet aurait eacuteteacute tenu par cette disposition de mettre fin aux poursuites

peacutenales degraves que lrsquoissue de ces proceacutedures administratives eacutetait devenue

deacutefinitive Or il ne lrsquoaurait pas fait

61 Pour les requeacuterants si le droit norveacutegien autorise la conduite de

proceacutedures parallegraveles le recours agrave ce proceacutedeacute par les autoriteacutes internes a

permis agrave ces derniegraveres de coordonner leurs deacutemarches de maniegravere agrave

contourner lrsquointerdiction poseacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 et agrave rendre

ainsi illusoire la protection offerte par cette disposition Dans le cas du

premier requeacuterant en particulier lrsquoouverture de proceacutedures parallegraveles

semblerait avoir eacuteteacute une manœuvre organiseacutee de concert par le parquet et le

fisc

62 Les requeacuterants affirment que en lrsquoespegravece le parquet a simplement

attendu que le fisc deacutecide drsquoappliquer des majorations drsquoimpocirct pour

renvoyer les affaires en jugement Les proceacutedures peacutenale et administrative

auraient ainsi eacuteteacute coordonneacutees de faccedilon agrave les pieacuteger au moyen de deux corps

diffeacuterents de regravegles peacutenales et ainsi agrave leur faire payer des impocircts

suppleacutementaires et des majorations drsquoimpocirct et agrave les faire condamner pour le

mecircme comportement autrement dit agrave les soumettre agrave une double

22 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

incrimination Du point de vue de la seacutecuriteacute juridique la possibiliteacute de

conduire des proceacutedures parallegraveles poserait problegraveme Lrsquoimportante finaliteacute

de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 agrave savoir empecirccher que le justiciable soit

contraint de supporter un fardeau excessif militerait en faveur drsquoune

limitation de la faculteacute pour les autoriteacutes de mener des proceacutedures parallegraveles

63 Les requeacuterants considegraverent que sous lrsquoangle des garanties

proceacutedurales cette faculteacute pour le fisc et le parquet drsquoorganiser de concert la

conduite de proceacutedures parallegraveles est contraire agrave lrsquointerdiction de la double

incrimination poseacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 et agrave la jurisprudence

reacutecente de la Cour ainsi qursquoagrave certains jugements nationaux Ils estiment degraves

lors que ce proceacutedeacute qui a permis en lrsquoespegravece agrave des autoriteacutes diffeacuterentes de

mettre sur pied des proceacutedures parallegraveles semble assez contestable et ne

tient pas ducircment compte des pressions ainsi exerceacutees sur le justiciable pas

plus que des principaux inteacuterecircts proteacutegeacutes par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

64 Au cours du cauchemar qursquoils disent avoir veacutecu en lrsquoespegravece les

requeacuterants auraient eacuteteacute rassureacutes lorsque le premier drsquoentre eux aurait appris

par lrsquoagent des impocircts qursquoil pouvait deacutesormais laquo pousser un soupir de

soulagement raquo en raison de lrsquoadoption de nouvelles instructions eacutecrites par

le service du procureur geacuteneacuteral le 3 avril 2009 lesquelles auraient interdit la

reacutepeacutetition des poursuites et les doubles incriminations dans les cas comme le

sien Srsquoappuyant sur lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine ces nouvelles instructions

auraient notamment disposeacute que en appel ndash qursquoil y ait eu condamnation ou

acquittement en premiegravere instance ndash le parquet devait requeacuterir lrsquoannulation

du jugement et la clocircture de la proceacutedure Les requeacuterants preacutecisent que en

conseacutequence de ces nouvelles instructions et de la qualification de sanction

peacutenale donneacutee aux majorations drsquoimpocirct et puisque les deacutecisions appliquant

celles-ci eacutetaient devenues deacutefinitives et passeacutees en force de chose jugeacutee agrave

leur eacutegard il eacutetait raisonnable qursquoils srsquoattendent agrave lrsquoabandon des poursuites

peacutenales dirigeacutees contre eux par lrsquoeffet de lrsquointerdiction de la double

incrimination poseacutee par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 De plus en vertu de

ces instructions drsquoautres personnes accuseacutees des mecircmes infractions dans le

mecircme groupe drsquoaffaires ne se seraient pas vu appliquer de majorations

drsquoimpocirct parce qursquoelles avaient deacutejagrave eacuteteacute reconnues coupables et condamneacutees

agrave une peine drsquoemprisonnement pour violation de lrsquoarticle 12-2 de la loi

fiscale Or agrave lrsquoinverse de ces autres personnes les requeacuterants auraient eacuteteacute

reconnus coupables et frappeacutes de peines drsquoemprisonnement alors qursquoils

avaient ducirc verser un suppleacutement drsquoimpocirct et une majoration drsquoimpocirct agrave raison

du mecircme comportement La thegravese du Gouvernement soulignant la neacutecessiteacute

drsquoassurer une eacutegaliteacute de traitement avec les autres personnes inculpeacutees de la

mecircme infraction de fraude fiscale ne serait donc pas convaincante

65 Les requeacuterants se disent drsquoautant plus gravement affecteacutes sur le plan

psychologique que malgreacute les instructions susmentionneacutees le parquet a

poursuivi leur procegraves en invoquant la leacutegaliteacute des proceacutedures parallegraveles et a

rejeteacute leurs demandes tendant agrave lrsquoannulation de leur condamnation en

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 23

premiegravere instance et au rejet par les tribunaux des proceacutedures peacutenales Agrave cet

effet le premier requeacuterant produit divers certificats meacutedicaux dont un

deacutelivreacute par une clinique pour une intervention de chirurgie cardiaque

2 Le Gouvernement

a) Les premiegraveres proceacutedures revecirctaient-elles un caractegravere peacutenal

66 Le Gouvernement invite la Grande Chambre agrave confirmer lrsquoapproche

suivie dans une seacuterie drsquoaffaires anteacuterieures agrave lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine

selon laquelle le caractegravere laquo peacutenal raquo drsquoune sanction pour les besoins de

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 srsquoappreacutecie sur la base drsquoun groupe plus large de

facteurs que les critegraveres Engel (formuleacutes sur le terrain de lrsquoarticle 6) Selon

lui il faut tenir compte de la qualification juridique de lrsquoinfraction en droit

interne de la nature de celle-ci de la qualification de la sanction en droit

interne et de son but de sa nature et de son degreacute de seacuteveacuteriteacute ainsi que de

la question de savoir si elle a eacuteteacute imposeacutee agrave la suite drsquoune condamnation

pour une infraction peacutenale et des proceacutedures associeacutees agrave son adoption et agrave

son exeacutecution (le Gouvernement cite les affaires Malige c France

23 septembre 1998 sect 35 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1998-VII et

Nilsson c Suegravede (deacutec) no 7366101 CEDH 2005-XIII Haarvig c Norvegravege

(deacutec) no 1118705 11 deacutecembre 2007 Storbraringten c Norvegravege (deacutec)

no 1227704 1er feacutevrier 2007 et Mjelde c Norvegravege (deacutec) no 1114304

1er feacutevrier 2007)

67 Le Gouvernement soutient entre autres que les diffeacuterences dans le

libelleacute et lrsquoobjet de ces dispositions montrent clairement que le mot

laquo peacutenalement raquo employeacute agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 srsquoentend en un sens

plus eacutetroit que lrsquoexpression laquo en matiegravere peacutenale raquo figurant agrave lrsquoarticle 6 Il

ressortirait du rapport explicatif du Protocole no 7 que le libelleacute de lrsquoarticle 4

a eacuteteacute conccedilu pour viser les proceacutedures peacutenales stricto sensu Ce rapport

indiquerait en son paragraphe 28 qursquoil nrsquoeacutetait pas apparu neacutecessaire de

qualifier lrsquoinfraction de laquo peacutenale raquo car le libelleacute de lrsquoarticle 4 laquo qui contient

deacutejagrave les termes laquo peacutenalement raquo et laquo proceacutedure peacutenale raquo rendait cette

preacutecision inutile dans le texte mecircme de lrsquoarticle raquo Il soulignerait en son

paragraphe 32 que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 nrsquointerdit pas les proceacutedures

laquo drsquoun caractegravere diffeacuterent (par exemple une proceacutedure disciplinaire dans le

cas drsquoun fonctionnaire) raquo De plus lrsquoarticle 6 et lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

poursuivraient des fins diffeacuterentes voire parfois opposeacutees le premier ayant

pour but de renforcer les garanties proceacutedurales en matiegravere peacutenale

68 Le Gouvernement met eacutegalement en avant un certain nombre de

diffeacuterences suppleacutementaires dans la maniegravere dont ces deux dispositions ont

eacuteteacute interpreacuteteacutees et appliqueacutees dans la jurisprudence de la Cour notamment

le caractegravere absolu de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 (non susceptible de

deacuterogation au titre de lrsquoarticle 15) par opposition agrave lrsquoapproche nuanceacutee

suivie par la Cour sur le terrain de lrsquoarticle 6 Il cite lrsquoarrecirct Jussila

24 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

c Finlande ([GC] no 7305301 sect 43 CEDH 2006-XIV) ougrave la Grande

Chambre de la Cour a dit laquo il va de soi que () les laquo accusations en

matiegravere peacutenale raquo nrsquoont pas toutes le mecircme poids raquo et que laquo [l]es majorations

drsquoimpocirct ne faisant pas partie du noyau dur du droit peacutenal les garanties

offertes par le volet peacutenal de lrsquoarticle 6 ne doivent pas neacutecessairement

srsquoappliquer dans toute leur rigueur raquo

69 Se fondant sur le groupe plus large de critegraveres susmentionneacute le

Gouvernement prie la Cour de dire que les majorations drsquoimpocirct au taux

ordinaire ne revecirctent pas un caractegravere laquo peacutenal raquo aux fins de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7

70 Le Gouvernement avance toutefois les arguments exposeacutes ci-dessous

pour le cas ougrave la Grande Chambre viendrait agrave adopter lrsquoautre approche

baseacutee sur les seuls critegraveres Engel et agrave conclure que la deacutecision de

majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire eacutetait laquo peacutenale raquo au sens autonome

donneacute agrave ce terme sur le terrain de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

b) Les infractions eacutetaient-elles les mecircmes (idem)

71 Partageant le raisonnement et les conclusions adopteacutes par la Cour

suprecircme dans le procegraves du premier requeacuterant (paragraphes 20 agrave 30

ci-dessus) et repris par la cour drsquoappel dans le procegraves du second requeacuterant

(paragraphe 37 ci-dessus) le Gouvernement admet que les circonstances

factuelles agrave lrsquoorigine des proceacutedures de majoration drsquoimpocirct et des procegraves

pour fraude fiscale visaient les mecircmes contrevenants et eacutetaient

indissociablement lieacutees entre elles dans le temps et dans lrsquoespace

c) Les proceacutedures fiscales ont-elles fait lrsquoobjet de deacutecisions deacutefinitives

72 Le Gouvernement rappelle que dans un souci de protection effective

et de clarteacute de la jurisprudence la Cour suprecircme a conclu que la deacutecision de

redressement eacutetait devenue deacutefinitive agrave lrsquoexpiration du deacutelai de recours

administratif de trois semaines (soit le 15 deacutecembre 2008 pour le premier

requeacuterant et le 26 deacutecembre 2008 pour le second) alors mecircme que le deacutelai

de recours en justice de six mois preacutevu agrave lrsquoarticle 11-1 4) du chapitre 11 de

la loi fiscale nrsquoavait pas encore expireacute Srsquoil estime que ce point nrsquoest guegravere

deacuteterminant en lrsquoespegravece (le deacutelai de recours en justice ayant lui aussi pris fin

anteacuterieurement agrave la date de clocircture de la proceacutedure peacutenale alors pendante agrave

savoir le 24 mai 2009 pour le premier requeacuterant et le 5 juin 2009 pour le

second) il ne srsquointerroge pas moins sur la neacutecessiteacute drsquoune interpreacutetation

aussi stricte de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Srsquoappuyant sur lrsquoarrecirct Sergueiuml

Zolotoukhine (preacuteciteacute sect 108) il soutient que la jurisprudence de la Cour

semble confirmer que laquo [l]es deacutecisions susceptibles drsquoun recours ordinaire

ne beacuteneacuteficient pas de la garantie que renferme lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

tant que le deacutelai drsquoappel nrsquoest pas expireacute raquo Agrave son avis les requeacuterants

avaient toujours la faculteacute de former des recours ordinaires sous la forme

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 25

drsquoun recours judiciaire dans les six mois agrave compter de la date des deacutecisions

en cause

d) Y a-t-il eu reacutepeacutetition des poursuites (bis)

73 En revanche srsquoappuyant lagrave encore sur lrsquoanalyse de la Cour suprecircme

le Gouvernement souligne que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 permet dans

certaines conditions ce qursquoil est convenu drsquoappeler des laquo proceacutedures

parallegraveles raquo Le libelleacute de cette disposition indiquerait clairement qursquoelle

interdit la reacutepeacutetition des poursuites une fois passeacutee en force de chose jugeacutee

la deacutecision rendue agrave lrsquoissue de la premiegravere proceacutedure (laquo poursuivi ou puni

peacutenalement () en raison drsquoune infraction pour laquelle il a deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute

ou condamneacute par un jugement deacutefinitif raquo) Le rapport explicatif du

Protocole no 7 confirmerait que le principe non bis in idem est

drsquointerpreacutetation relativement eacutetroite Crsquoest ce qui ressortirait de lrsquoarrecirct

Sergueiuml Zolotoukhine (preacuteciteacute sect 83) dans lequel la Grande Chambre a

deacutefini plus preacuteciseacutement la porteacutee de la disposition en cause en la limitant agrave

la situation suivante

laquo La garantie consacreacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 entre en jeu lorsque de

nouvelles poursuites sont engageacutees et que la deacutecision anteacuterieure drsquoacquittement ou de

condamnation est deacutejagrave passeacutee en force de chose jugeacutee raquo

74 Le Gouvernement en deacuteduit a contrario que les proceacutedures

parallegraveles ndash crsquoest-agrave-dire des sanctions diffeacuterentes imposeacutees par deux

autoriteacutes diffeacuterentes dans des proceacutedures diffeacuterentes eacutetroitement lieacutees sur les

plans mateacuteriel et temporel ndash sortent du champ drsquoapplication de cette

disposition Le lancement drsquoune proceacutedure parallegravele ne srsquoanalyserait pas en

lrsquoouverture de nouvelles poursuites degraves lors que lrsquoacquittement ou la

condamnation anteacuterieurs seraient deacutejagrave passeacutes en force de chose jugeacutee Les

deacutecisions preacuteciteacutees RT c Suisse et Nilsson c Suegravede preacuteciseraient les

conditions dans lesquelles des proceacutedures peuvent passer pour parallegraveles et

donc ecirctre permises au regard de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

75 Or selon le Gouvernement la Cour srsquoest eacutecarteacutee de lrsquoapproche

suivie dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine dans un certain nombre drsquoarrecircts

plus reacutecents dont quatre concernant la Finlande rendus le 20 mai 2014 (en

particulier Nykaumlnen c Finlande no 1182811 sect 48 et Glantz c Finlande

no 3739411 sect 57) dans lesquels le paragraphe 83 de lrsquoarrecirct Sergueiuml

Zolotoukhine nrsquoaurait servi que de point de deacutepart et qui auraient dit que

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 laquo interdisait clairement les proceacutedures

conseacutecutives si la premiegravere avait deacutejagrave deacuteboucheacute sur une deacutecision deacutefinitive agrave

la date de lrsquoouverture de la seconde (voir par exemple Sergueiuml

Zolotoukhine preacuteciteacute) raquo

76 Pour le Gouvernement cette interpreacutetation extensive de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 livreacutee notamment dans lrsquoarrecirct Nykaumlnen et qui semble

incompatible avec lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine apparaicirct preacutesupposer que

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 impose lrsquoextinction de toute proceacutedure peacutenale si

26 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

une autre proceacutedure de nature administrative et conduite en parallegravele srsquoest

soldeacutee par une deacutecision deacutefinitive ou vice versa Elle reposerait sur une

deacutecision sur la recevabiliteacute (Zigarella c Italie (deacutec) no 4815499

CEDH 2002-IX (extraits)) et sur deux arrecircts de chambre (Tomasović

c Croatie no 5378509 18 octobre 2011 et Muslija c Bosnie-Herzeacutegovine

no 3204211 14 janvier 2014) Or aucune de ces affaires ne permettrait de

fonder solidement un tel revirement

La premiegravere affaire Zigarella aurait concerneacute des proceacutedures non pas

parallegraveles mais conseacutecutives contrairement agrave ce qursquoaurait supposeacute la

chambre La clocircture de la proceacutedure peacutenale ulteacuterieure ouverte alors que les

autoriteacutes ignoraient lrsquoexistence drsquoune proceacutedure (peacutenale elle aussi) objet

drsquoune deacutecision deacutefinitive aurait eacuteteacute prononceacutee une fois le juge aviseacute de

lrsquoacquittement deacutefinitif dans le premier procegraves La Cour nrsquoaurait alors fait

qursquoappliquer le volet mateacuteriel neacutegatif du principe non bis in idem qui relegraveve

de la regravegle de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee puisqursquoil srsquoagissait de deux

proceacutedures peacutenales ordinaires conseacutecutives concernant la mecircme infraction

Les deux autres affaires Tomasović et Muslija auraient eu pour objet des

proceacutedures se rapportant agrave des infractions relevant du laquo noyau dur raquo du droit

peacutenal agrave savoir respectivement possession de drogues dures et violences

domestiques (le Gouvernement invoque lrsquoarrecirct Jussila preacuteciteacute sect 43) Il y

aurait clairement eu dans ces affaires deux proceacutedures peacutenales visant un

mecircme acte Chacune des deux proceacutedures aurait eacuteteacute ouverte sur la base du

mecircme rapport de police De telles situations ne se produiraient a priori pas

en droit peacutenal norveacutegien et elles seraient en tout eacutetat de cause bien eacuteloigneacutees

du systegraveme traditionnel bien ancreacute dans ce pays de mixiteacute des poursuites

administratives et peacutenales pour les majorations drsquoimpocirct et fraudes fiscales

du type ici en cause

77 Exiger la clocircture de toute proceacutedure parallegravele en cours agrave la date ougrave

lrsquoautre proceacutedure relative aux mecircmes faits a donneacute lieu agrave une deacutecision

deacutefinitive srsquoanalyserait en une exception proceacutedurale de litispendance de

facto Il nrsquoaurait en effet guegravere de sens drsquoouvrir une proceacutedure parallegravele srsquoil

faut clore lrsquoune au seul motif que lrsquoautre a fait lrsquoobjet drsquoune deacutecision

deacutefinitive avant la premiegravere

78 Dans ce contexte drsquoincoheacuterences reacutepeacuteteacutees de la jurisprudence

relative agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 le Gouvernement estime qursquoil est

particuliegraverement important que la Grande Chambre reacuteaffirme lrsquoapproche

suivie par elle dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine qui considegravere cette

disposition comme un aspect du principe de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee et

rejette lrsquoapproche divergente retenue dans lrsquoarrecirct Nykaumlnen

79 Le Gouvernement ne voit pas quelles consideacuterations drsquoopportuniteacute

sous-tendent lrsquoarrecirct Nykaumlnen Le principe non bis in idem repose sur lrsquoideacutee

drsquooffrir une protection contre le risque drsquoecirctre exposeacute agrave des poursuites

reacutepeacutetitives (il mentionne lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sect 107) Le

justiciable devrait avoir la certitude que une fois son acquittement ou sa

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 27

condamnation passeacutes en force de chose jugeacutee il sera proteacutegeacute contre

lrsquoouverture de toute nouvelle proceacutedure fondeacutee sur les mecircmes faits Cela ne

vaudrait pas si la personne est passible de proceacutedures peacutenales et

administratives preacutevisibles conduites parallegravelement comme preacutevu par la loi

et encore moins si la premiegravere sanction (la majoration drsquoimpocirct) a eacuteteacute prise

en compte de maniegravere preacutevisible dans la deacutecision imposant la seconde

sanction (lrsquoemprisonnement)

80 Par ailleurs le Gouvernement nrsquoestime guegravere conciliables lrsquoideacutee que

des proceacutedures parallegraveles ne posent pas le moindre problegraveme sous lrsquoangle du

Protocole no 7 quand elles sont en cours et lrsquoideacutee que degraves que lrsquoune a

atteint sa conclusion deacutefinitive lrsquoexistence de lrsquoautre emporte violation et

ce que ce soit la proceacutedure administrative passible de sanctions plus

douces ou la proceacutedure peacutenale passible de sanctions plus seacutevegraveres qui ait

pris fin la premiegravere et quelle que soit celle entameacutee en premier

81 Le Gouvernement ajoute que lrsquoarrecirct Nykaumlnen meacuteconnaicirct eacutegalement

les principes fondamentaux de la preacutevisibiliteacute et de lrsquoeacutegaliteacute de traitement Il

expose que si crsquoest la proceacutedure peacutenale qui fait lrsquoobjet drsquoune deacutecision

passeacutee en force de chose jugeacutee avant la fin de la proceacutedure administrative

une personne peut se retrouver incarceacutereacutee tandis que dans lrsquohypothegravese

inverse un individu ayant commis la mecircme infraction aurait simplement agrave

payer une amende administrative modeacutereacutee Le point de savoir quelle

proceacutedure prend fin la premiegravere deacutependrait de la maniegravere dont le fisc la

police le parquet ou les tribunaux progressent et de lrsquoouverture ou non par

le contribuable drsquoun recours administratif etou drsquoun recours judiciaire

Lrsquoarrecirct Nykaumlnen commanderait donc agrave lrsquoEacutetat de traiter ineacutegalement des

personnes dans la mecircme situation en fonction de simples coiumlncidences

Comme cet arrecirct le reconnaicirctrait laquo savoir laquelle des proceacutedures parallegraveles

se clocirct la premiegravere par une deacutecision deacutefinitive relegraveve parfois de la

coiumlncidence ce qui pourrait poser problegraveme au regard de lrsquoeacutegaliteacute de

traitement raquo

82 Le Gouvernement dit que lrsquoimpeacuteratif drsquoefficaciteacute dans le traitement

des affaires milite souvent en faveur de la conduite de proceacutedures parallegraveles

Drsquoune part gracircce agrave leurs connaissances speacutecialiseacutees et agrave leurs moyens les

autoriteacutes administratives seraient souvent agrave mecircme drsquoimposer des sanctions

plus rapidement que le parquet et les tribunaux dans le cadre drsquoune

proceacutedure peacutenale Vu que leur action englobe lrsquoensemble des administreacutes

elles seraient en outre mieux placeacutees pour veiller agrave lrsquoeacutegaliteacute dans la sanction

des infractions La preacutevention des infractions graves en revanche

imposerait de ne pas interdire agrave lrsquoEacutetat drsquoen poursuivre et punir les auteurs

dans le cadre traditionnel et formel drsquoun procegraves peacutenal degraves lors que les

proceacutedures administratives et peacutenales mettent au jour des infractions plus

graves et plus complexes que celles qui ont motiveacute agrave lrsquoorigine la proceacutedure

et la sanction administratives Les cas des requeacuterants en seraient

drsquoexcellents exemples

28 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

83 Le Gouvernement constate que plusieurs Eacutetats europeacuteens sont doteacutes

drsquoun systegraveme mixte de sanctions dans des domaines tels que le droit fiscal et

la sucircreteacute publique Sur ce point il se reacutefegravere aux conclusions du 12 juin 2012

produites par lrsquoavocat geacuteneacuteral pregraves la CJUE dans lrsquoaffaire preacuteciteacutee Fransson

(paragraphe 51 ci-dessus)

84 Le Gouvernement dit que en Norvegravege la question de la poursuite de

proceacutedures parallegraveles ne se limite pas agrave la fiscaliteacute Il soutient qursquoune

interpreacutetation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 qui interdirait agrave une proceacutedure

parallegravele en cours drsquoaller jusqursquoagrave son terme degraves lors que lrsquoautre proceacutedure

administrative ou peacutenale a eacuteteacute clocirctureacutee par une deacutecision deacutefinitive aurait

des conseacutequences lourdes neacutegatives et impreacutevisibles dans un certain

nombre de domaines relevant du droit administratif La prudence serait donc

de mise Des questions similaires se poseraient au sein de certains Eacutetats

europeacuteens connaissant depuis longtemps des systegravemes de proceacutedures

administratives et peacutenales parallegraveles dans des domaines essentiels du droit

dont celui de la fiscaliteacute

85 Le Gouvernement estime que les consideacuterations qui sont agrave lrsquoorigine

de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 sont moins pertinentes lorsque les

proceacutedures en cause sont parallegraveles et simultaneacutees Un accuseacute sachant

pertinemment que des autoriteacutes diffeacuterentes ont ouvert contre lui deux

proceacutedures diffeacuterentes eacutetroitement lieacutees sur les plans mateacuteriel et temporel

risquerait moins de srsquoattendre agrave ce que la premiegravere sanction imposeacutee soit

deacutefinitive et exclue toute autre sanction Enfin la logique du principe non

bis in idem srsquoappliquerait dans une moindre mesure aux sanctions ne

relevant pas du laquo noyau dur raquo du droit peacutenal comme les majorations

drsquoimpocirct (voir le raisonnement exposeacute dans lrsquoarrecirct preacuteciteacute Jussila sect 43

relatif agrave lrsquoarticle 6 et transposable agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7)

86 Pour ce qui est des circonstances propres au cas drsquoespegravece le

Gouvernement fait sien sur tous les points le raisonnement exposeacute par la

Cour suprecircme dans lrsquoarrecirct concernant le premier requeacuterant (paragraphe 29

ci-dessus) et celui suivi par la cour drsquoappel dans lrsquoarrecirct concernant le second

requeacuterant (paragraphe 39 ci-dessus) agrave savoir qursquoil existait un lien temporel

et mateacuteriel suffisamment eacutetroit entre les proceacutedures Il dit que ni lrsquoun ni

lrsquoautre des requeacuterants ne pouvaient leacutegitimement srsquoattendre agrave ne faire lrsquoobjet

que drsquoune proceacutedure et drsquoune sanction administratives Il explique que de

maniegravere agrave ne pas aboutir agrave un reacutesultat qui aurait heurteacute le principe

fondamental de lrsquoeacutegaliteacute de traitement les requeacuterants laquo sur un pied

drsquoeacutegaliteacute avec raquo EK et BL coaccuseacutes dans le mecircme groupe drsquoaffaires

(paragraphes 12 et 13 ci-dessus) ont chacun eacuteteacute condamneacutes agrave des peines

drsquoemprisonnement agrave lrsquoissue de procegraves peacutenaux apregraves srsquoecirctre vu appliquer des

majorations drsquoimpocirct administratives de 30

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 29

3 Les tiers intervenants

87 Les tierces interventions sont principalement axeacutees sur deux points

premiegraverement lrsquointerpreacutetation du mot laquo peacutenalement raquo employeacute agrave lrsquoarticle 4

du Protocole no 7 et lrsquoarticulation entre cette disposition et les articles 6

(volet peacutenal) et 7 de la Convention et deuxiegravemement la mesure dans

laquelle le Protocole no 7 permet les proceacutedures parallegraveles (ces deux points

sont examineacutes respectivement dans les parties a) et b) ci-dessous)

a) Les premiegraveres proceacutedures revecirctaient-elles un caractegravere laquo peacutenal raquo

88 Les gouvernements tchegraveque et franccedilais pensent comme le

gouvernement deacutefendeur que lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine nrsquoa pas

explicitement rejeteacute lrsquoideacutee de recourir agrave un groupe plus large de critegraveres pour

deacuteterminer la nature de la proceacutedure agrave examiner sur le terrain de lrsquoarticle 4

du Protocole no 7 et que la Cour a elle-mecircme jugeacute notamment que les

proceacutedures de majoration drsquoimpocirct ne relevaient pas du noyau dur du droit

peacutenal et nrsquoa donc pas appliqueacute dans toute leur rigueur les garanties de

lrsquoarticle 6 (Jussila preacuteciteacute sect 43 in fine) Le gouvernement tchegraveque invite la

Cour agrave preacuteciser principalement si et dans lrsquoaffirmative sous quelles

conditions crsquoest-agrave-dire dans quel type drsquoaffaires il convient drsquoappliquer un

plus grand eacuteventail de critegraveres

89 Srsquoappuyant sur le libelleacute et le but de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 le

gouvernement bulgare soutient que seules les infractions peacutenales classiques

relegravevent du champ drsquoapplication de cette disposition Il estime que si

eacutetendre la porteacutee de lrsquoarticle 6 est essentiel agrave la protection du droit agrave un

procegraves eacutequitable lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 a une autre finaliteacute Se reacutefeacuterant

agrave lrsquoarrecirct rendu par la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis drsquoAmeacuterique dans

lrsquoaffaire Green v United States (355 US 194 (1957)) il souligne que

lrsquointerdiction de la double incrimination protegravege le justiciable du risque de

faire lrsquoobjet drsquoune multipliciteacute de procegraves et de condamnations eacuteventuelles

pour une mecircme infraction La logique de cette interdiction est selon lui qursquoil

ne faut pas que lrsquoEacutetat avec toutes ses ressources et tout son pouvoir puisse

se livrer agrave des tentatives reacutepeacuteteacutees tendant agrave faire condamner un individu

pour la mecircme infraction ce qui pour ce dernier serait source drsquoembarras de

frais et drsquoeacutepreuves et le forcerait agrave vivre dans un eacutetat permanent drsquoanxieacuteteacute et

drsquoinseacutecuriteacute tout en aggravant le risque que mecircme innocent il soit reconnu

coupable Un second impeacuteratif vital serait de preacuteserver le caractegravere deacutefinitif

des deacutecisions de justice

90 Le gouvernement franccedilais consacre drsquoamples deacuteveloppements

(paragraphes 10 agrave 26 de ses observations) agrave lrsquointerpreacutetation des articles 6 et

7 de la Convention et de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Srsquoappuyant sur lrsquoarrecirct

Perinccedilek c Suisse ([GC] no 2751008 sect 146 CEDH 2015 (extraits)) il

soutient que les termes employeacutes agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 diffeacuterents

de ceux figurant agrave lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention doivent conduire agrave

30 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

retenir des critegraveres plus eacutetroits reacutepondant aux objectifs du principe non bis in

idem garanti par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Lrsquoarticle 7 de la Convention

utiliserait les termes de condamnation (laquo condamneacute raquo en franccedilais et laquo held

guilty raquo en anglais) drsquoinfraction (laquo criminal offence raquo en anglais) et de peine

(laquo penalty raquo en anglais) qui seraient preacutesents aussi dans lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 De plus les garanties offertes par lrsquoarticle 7 de la

Convention comme celles de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 seraient des

eacuteleacutements essentiels de la proceacutedure peacutenale entendue strictement comme

lrsquoattesterait le fait que lrsquoarticle 15 de la Convention nrsquoy autorise aucune

deacuterogation alors qursquoil autoriserait une deacuterogation agrave lrsquoarticle 6 de la

Convention

91 Aussi et dans un souci de coheacuterence la Cour pour lrsquoapplication de

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 devrait-elle se reacutefeacuterer aux seuls critegraveres qursquoelle

a pu deacutevelopper dans le cadre de lrsquoarticle 7 de la Convention tout en les

preacutecisant afin de donner au terme laquo peacutenalement raquo aux fins de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 le sens strict qui devrait ecirctre le sien Pour deacuteterminer si une

mesure relegraveve du champ de cette disposition elle devrait se reacutefeacuterer agrave la

qualification juridique de lrsquoinfraction litigieuse en droit interne agrave la nature

et au but de la mesure en cause agrave la question de savoir si la mesure a eacuteteacute

imposeacutee agrave la suite drsquoune condamnation pour une infraction peacutenale agrave la

graviteacute de la sanction ndash cet eacuteleacutement nrsquoeacutetant pas deacuteterminant ndash et aux

proceacutedures associeacutees agrave lrsquoadoption de celle-ci et plus preacuteciseacutement agrave la

question de savoir si la mesure a eacuteteacute adopteacutee par un organe que lrsquoon peut

qualifier de juridiction et qui srsquoest prononceacute sur les eacuteleacutements drsquoune

infraction regardeacutee comme peacutenale au sens de lrsquoarticle 6 de la Convention

Le dernier de ces critegraveres revecirctirait une importance preacutepondeacuterante au regard

des termes mecircmes de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 et de lrsquoobjectif poursuivi

par cette disposition

92 Le gouvernement franccedilais conclut que au regard de ces critegraveres des

peacutenaliteacutes fiscales qui ne seraient pas qualifieacutees de peacutenales en droit interne

qui auraient une nature administrative et viseraient seulement agrave sanctionner

le non-respect par le contribuable de ses obligations fiscales qui ne seraient

pas imposeacutees agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale et qui ne seraient pas

prononceacutees par un organe juridictionnel ne pourraient ecirctre regardeacutees

comme relevant du champ de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

93 Le gouvernement suisse soutient que la seule exception admise ndash le

paragraphe 2 de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 ndash est la reacuteouverture du procegraves

laquo conformeacutement agrave la loi et agrave la proceacutedure peacutenale de lrsquoEacutetat concerneacute raquo Il

relegraveve que au moment de lrsquoadoption du Protocole en 1984 drsquoautres

exceptions telles qursquoadmises par la suite par la jurisprudence pertinente

nrsquoeacutetaient pas preacutevues ndash et nrsquoavaient pas besoin de lrsquoecirctre vu la conception

intrinsegravequement peacutenale de la garantie Le concept eacutetroit qui serait agrave lrsquoorigine

de la garantie trouverait une confirmation solide au paragraphe 3 de lrsquoarticle

4 du Protocole no 7 qui exclurait toute deacuterogation au titre de lrsquoarticle 15 de

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 31

la Convention agrave la protection offerte au paragraphe 1 Ainsi la garantie non

bis in idem serait mise sur un pied drsquoeacutegaliteacute avec le droit agrave la vie (article 2

article 3 du Protocole no 6 et article 2 du Protocole no 13) lrsquointerdiction de

la torture (article 3) lrsquointerdiction de lrsquoesclavage (article 4) et le principe

laquo pas de peine sans loi raquo (article 7) Ces eacuteleacutements militeraient en faveur

drsquoune interpreacutetation restrictive de la garantie Une telle approche

srsquoimposerait drsquoautant plus si la Grande Chambre devait maintenir la pratique

selon laquelle toute laquo accusation en matiegravere peacutenale raquo au sens autonome de

lrsquoarticle 6 sect 1 est susceptible de faire eacutegalement entrer en jeu lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 (paragraphe 100 ci-dessous)

b) Y a-t-il eu reacutepeacutetition des poursuites (bis)

94 Le gouvernement bulgare ne voit aucune raison de srsquoeacutecarter de

lrsquoapproche suivie dans les deacutecisions RT c Suisse et Nilsson c Suegravede

(preacuteciteacutees) dans le contexte des infractions routiegraveres et dans drsquoimportants

domaines se rattachant au fonctionnement de lrsquoEacutetat tels que la fiscaliteacute Une

proceacutedure fiscale aboutissant agrave lrsquoapplication drsquoune majoration drsquoimpocirct et

une proceacutedure peacutenale portant sur une fraude fiscale conduites

parallegravelement seraient eacutetroitement lieacutees sur les plans mateacuteriel et temporel

De plus la Cour reconnaicirctrait que les Eacutetats contractants jouissent drsquoune

marge drsquoappreacuteciation eacutetendue dans lrsquoeacutelaboration et la mise en œuvre de

leurs politiques en matiegravere fiscale et elle respecterait les choix du leacutegislateur

dans ces domaines sauf srsquoils se reacutevegravelent manifestement deacutepourvus de base

raisonnable Un systegraveme qui permettrait la conduite de proceacutedures parallegraveles

en matiegravere fiscale semblerait relever de la marge drsquoappreacuteciation de lrsquoEacutetat et

nrsquoapparaicirctrait pas contraire en soi agrave lrsquoun quelconque des principes eacutenonceacutes

dans la Convention y compris la garantie contre les doubles incriminations

95 Le gouvernement tchegraveque avance quatre arguments en faveur du

maintien de systegravemes mixtes de sanctions 1) chaque type de sanction

poursuit des buts diffeacuterents 2) alors que la proceacutedure peacutenale stricto sensu

doit respecter des garanties rigoureuses en matiegravere drsquoeacutequiteacute du procegraves dont

lrsquoapplication est souvent synonyme de lenteurs les sanctions

administratives doivent reacutepondre agrave des exigences de ceacuteleacuteriteacute et permettre

drsquoassurer lrsquoefficaciteacute et la peacuterenniteacute du systegraveme fiscal et du budget de

lrsquoEacutetat 3) la stricte application du principe non bis in idem agrave des proceacutedures

fiscales et peacutenales meneacutees en parallegravele pourrait faire eacutechouer la lutte contre

la criminaliteacute organiseacutee agrave grande eacutechelle si la premiegravere deacutecision en geacuteneacuteral

administrative devait empecirccher la tenue drsquoune enquecircte peacutenale de nature agrave

conduire agrave la deacutecouverte de reacuteseaux de fraude organiseacutee de blanchiment

drsquoargent et de deacutetournement de fonds ainsi que drsquoautres infractions graves

4) lrsquoordre dans lequel les autoriteacutes statuent dans tel ou tel cas Enfin il

signale qursquoil y a des cas ougrave plusieurs proceacutedures administratives sont

conduites en mecircme temps

32 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

96 Le gouvernement franccedilais estime que le raisonnement adopteacute dans

les deacutecisions R T c Suisse et Nilsson c Suegravede (preacuteciteacutees) peut ecirctre

transposeacute en matiegravere fiscale au regard des objectifs poursuivis par les Eacutetats

en ce domaine objectifs qui drsquoapregraves lui diffegraverent selon qursquoil srsquoagit de

poursuites peacutenales ou de lrsquoapplication de peacutenaliteacutes fiscales (i)) et degraves lors

qursquoil existe un lien suffisant entre les proceacutedures fiscale et peacutenale (ii))

i) Les poursuites peacutenales pour fraude fiscale devraient constituer une

reacuteponse adapteacutee et homogegravene agrave des comportements reacutepreacutehensibles Elles

auraient comme objectif principal de sanctionner les comportements les plus

graves Dans sa deacutecision Rosenquist c Suegravede (deacutec) no 6061900

14 septembre 2004 la Cour aurait releveacute que lrsquoobjectif poursuivi par

lrsquoinfraction criminelle de fraude fiscale eacutetait diffeacuterent de celui de

lrsquoimposition drsquoune peacutenaliteacute fiscale qui elle aurait pour but de renforcer les

fondations du systegraveme fiscal national

Les poursuites pour fraude fiscale auraient eacutegalement une finaliteacute

drsquoexemplariteacute en particulier lorsque de nouvelles typologies de fraudes sont

mises au jour afin de dissuader les fraudeurs potentiels drsquoy recourir Ne

plus poursuivre peacutenalement les fraudes les plus graves degraves lors qursquoune

peacutenaliteacute fiscale a eacuteteacute appliqueacutee priverait lrsquoEacutetat de lrsquoexemplariteacute et de la

publiciteacute rechercheacutees agrave travers les condamnations peacutenales prononceacutees dans

les plus grandes affaires de fraude fiscale

Dans lrsquohypothegravese ougrave une proceacutedure judiciaire drsquoenquecircte en matiegravere

fiscale preacuteceacutederait le controcircle fiscal meneacute par lrsquoadministration fiscale

lrsquoobligation drsquoabandonner la seconde proceacutedure degraves lors que la premiegravere est

devenue deacutefinitive conduirait le contribuable agrave laisser la proceacutedure peacutenale se

terminer rapidement en ne la contestant pas afin que cette derniegravere

srsquoachegraveve avant la proceacutedure fiscale et ainsi agrave eacutechapper aux sanctions

administratives geacuteneacuteralement beaucoup plus significatives en termes

peacutecuniaires

Dans une telle hypothegravese le contribuable mis en cause serait en position

drsquoarbitrer en faveur de la proceacutedure qui lui serait la plus favorable ce qui

porterait indeacuteniablement atteinte au caractegravere dissuasif de lrsquoaction meneacutee

par lrsquoEacutetat pour reacuteprimer les actes les plus reacutepreacutehensibles dans ce domaine Il

serait ainsi paradoxal que les contribuables ayant commis les fraudes les

plus graves et poursuivis peacutenalement pour cela soient sanctionneacutes moins

seacutevegraverement

En conclusion selon le gouvernement franccedilais la compleacutementariteacute entre

les proceacutedures peacutenales et les proceacutedures fiscales est essentielle pour la

reacutepression des fraudes les plus graves et il serait artificiel de consideacuterer

qursquoen raison de lrsquointervention de deux proceacutedures et de deux autoriteacutes ces

sanctions ne forment pas un tout coheacuterent destineacute agrave reacutepondre agrave ce type

drsquoinfraction En effet ces proceacutedures seraient eacutetroitement lieacutees et devraient

degraves lors pouvoir ecirctre cumuleacutees

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 33

ii) Dans les arrecircts rendus contre la Finlande le 20 mai 2014 le critegravere

principal retenu par la Cour pour ne pas accepter la reacutepeacutetition des

proceacutedures aurait eacuteteacute lrsquoindeacutependance totale des proceacutedures fiscale et peacutenale

lrsquoune par rapport agrave lrsquoautre Or ces deux types de proceacutedures devraient ecirctre

regardeacutes comme ayant un lien mateacuteriel et temporel degraves lors qursquoil existe un

eacutechange drsquoinformations entre les deux autoriteacutes et que les proceacutedures sont

conduites simultaneacutement Les eacuteleacutements factuels devraient deacutemontrer une

compleacutementariteacute entre ces proceacutedures

Agrave titre drsquoillustration le gouvernement franccedilais analyse de faccedilon deacutetailleacutee

comment dans le systegraveme national les proceacutedures peacutenale et fiscale sont

imbriqueacutees se chevauchent en droit et en pratique et sont conduites

simultaneacutement Le principe de proportionnaliteacute impliquerait que le montant

global des sanctions eacuteventuellement prononceacutees ne deacutepasse pas le montant

le plus eacuteleveacute encouru au titre de lrsquoune ou lrsquoautre des sanctions

Pour deacuteterminer si les proceacutedures peacutenales et fiscales peuvent passer pour

suffisamment lieacutees dans le temps seules devraient ecirctre consideacutereacutees les

phases de controcircle par lrsquoadministration fiscale et drsquoenquecircte judiciaire Ces

deux phases devraient ecirctre meneacutees simultaneacutement ou dans un deacutelai tregraves

rapprocheacute En revanche il nrsquoapparaicirctrait pas pertinent pour appreacutecier si le

lien temporel entre les proceacutedures est suffisamment eacutetroit de prendre en

compte la dureacutee de la proceacutedure judiciaire devant les tribunaux appeleacutes agrave

statuer sur lrsquoaction peacutenale et sur le bien-fondeacute des peacutenaliteacutes fiscales En

effet la dureacutee de reacuteponse des diffeacuterentes juridictions deacutependrait drsquoeacuteleacutements

exteacuterieurs et parfois propres au contribuable Ainsi ce dernier pourrait

choisir de ralentir deacutelibeacutereacutement la dureacutee de la proceacutedure devant lrsquoune des

juridictions par la multiplication de demandes ou la production drsquoeacutecritures

nombreuses qui devraient ecirctre soumises au contradictoire ou encore par

lrsquoexercice de recours

LrsquoEacutetat devrait disposer drsquoune marge drsquoappreacuteciation pour deacutefinir les

sanctions approprieacutees agrave certains comportements qui peuvent causer des

preacutejudices distincts Ainsi il devrait pouvoir faire face agrave une telle situation

tout en apportant une reacuteponse unique en confiant agrave plusieurs autoriteacutes ndash

judiciaires et administratives ndash le soin drsquoapporter une reacuteponse adapteacutee

97 Le gouvernement grec soutient que lrsquoexistence de proceacutedures

seacutepareacutees et conseacutecutives au cours desquelles des mesures drsquoordre peacutenal

identiques ou non sont imposeacutees agrave un requeacuterant est lrsquoeacuteleacutement deacuteterminant et

crucial pour qursquoil y ait laquo reacutepeacutetition raquo (laquo bis raquo) Pour lui le principe non bis

in idem nrsquoest pas meacuteconnu si diverses mesures drsquoordre laquo peacutenal raquo mecircme

distinctes les unes des autres venaient agrave ecirctre imposeacutees par diffeacuterentes

juridictions peacutenales et administratives degraves lors que les sanctions sont toutes

consideacutereacutees dans leur globaliteacute pour fixer le quantum de la peine (RT

c Suisse deacutecision preacuteciteacutee)

98 Cependant le gouvernement grec signale lrsquoarrecirct Kapetanios et

autres c Gregravece (nos 345312 4294112 et 902813 sect 72 30 avril 2015)

34 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

dans lequel la Cour a jugeacute que la regravegle non bis in idem ne serait pas

enfreinte en principe si les deux sanctions agrave savoir une privation de liberteacute

et une condamnation peacutecuniaire eacutetaient imposeacutees dans le cadre drsquoune seule

et mecircme proceacutedure judiciaire Selon lui nonobstant cet exemple il est

eacutevident que la Cour attache une grande importance agrave ce que lrsquoimposition de

sanctions peacutenales et administratives ait eacuteteacute lrsquoobjet drsquoun examen judiciaire

global

99 Le gouvernement grec ne se dissocie pas pour autant de lrsquoavis de la

Cour suprecircme norveacutegienne qui a dit en lrsquoespegravece que lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 permettait au moins dans une certaine mesure la conduite de

proceacutedures parallegraveles Crsquoest ce que confirmerait sans ambiguiumlteacute lrsquoarrecirct rendu

par la CJUE dans lrsquoaffaire Fransson (paragraphe 34 de cet arrecirct reproduit

au paragraphe 52 ci-dessus)

La CJUE aurait preacuteciseacute que crsquoest agrave la juridiction de renvoi qursquoil

appartient drsquoappreacutecier agrave la lumiegravere des critegraveres eacutenonceacutes srsquoil y a lieu de

proceacuteder agrave un examen du cumul de sanctions fiscales et peacutenales preacutevu par la

leacutegislation nationale par rapport aux standards nationaux crsquoest-agrave-dire ceux

applicables aux violations du droit national de nature et drsquoimportance

similaires degraves lors que le choix des sanctions relegraveve de la marge

drsquoappreacuteciation de lrsquoEacutetat membre elle aurait ainsi estimeacute que crsquoeacutetait au juge

national de dire si le cumul des sanctions eacutetait contraire agrave ces standards

pourvu que les sanctions restantes fussent effectives proportionneacutees et

dissuasives (paragraphe 37 de cet arrecirct reproduit au paragraphe 52

ci-dessus)

Le gouvernement grec juge pertinent en lrsquoespegravece cet arrecirct de la CJUE

Plus preacuteciseacutement on pourrait deacuteduire mutatis mutandis de lrsquointerpreacutetation

qui y est livreacutee que le juge national avait conclu agrave bon droit en vertu de sa

marge drsquoappreacuteciation comme constateacute par la CJUE que le cumul des

sanctions en cause imposeacutees agrave lrsquoissue de proceacutedures dites laquo parallegraveles raquo

dans le cadre drsquoune collaboration eacutetroite entre deux autoriteacutes distinctes

nrsquoavait pas enfreint les standards nationaux alors mecircme qursquoil avait estimeacute

pour lrsquoessentiel que les sanctions fiscales eacutetaient laquo de nature peacutenale raquo Au vu

des arguments exposeacutes au paragraphe 97 ci-dessus on pourrait

raisonnablement conclure que des proceacutedures parallegraveles qui conduiraient agrave

lrsquoimposition de sanctions diffeacuterentes par des autoriteacutes diffeacuterentes nettement

distinctes en droit ne seraient pas interdites par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

degraves lors que ces proceacutedures satisferaient au critegravere du lien temporel et

mateacuteriel eacutetroit Ce critegravere permettrait de reacutepondre agrave la question

fondamentale de lrsquoexistence ou non drsquoune reacutepeacutetition

100 Srsquoappuyant sur le paragraphe 83 de lrsquoarrecirct preacuteciteacute Sergueiuml

Zolotoukhine le gouvernement suisse soutient que la garantie eacutenonceacutee agrave

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 entre en jeu agrave lrsquoouverture de nouvelles

poursuites lorsque la deacutecision anteacuterieure drsquoacquittement ou de

condamnation est deacutejagrave passeacutee en force de chose jugeacutee Le fait qursquoune

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 35

proceacutedure peacutenale nrsquoeacutetait pas encore acheveacutee agrave lrsquoouverture drsquoune proceacutedure

administrative ne serait donc en soi pas probleacutematique agrave lrsquoeacutegard du

principe non bis in idem (il mentionne mutatis mutandis Kapetanios et

autres preacuteciteacute sect 72) Par conseacutequent des proceacutedures parallegraveles seraient

admissibles au titre de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 La preacutesente affaire

donnerait agrave la Grande Chambre lrsquooccasion de confirmer cette jurisprudence

La justification drsquoun systegraveme mixte reacutesiderait principalement dans le fait

que le droit administratif et le droit peacutenal sont de nature diffeacuterente et visent

des buts distincts fonction preacuteventive et eacuteducative pour le premier et

fonction reacutepressive pour le second

Le gouvernement suisse estime que si agrave la lumiegravere des critegraveres Engel la

notion drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo a eacuteteacute eacutelargie au-delagrave des

cateacutegories traditionnelles du droit peacutenal (malum in se) agrave drsquoautres domaines

(malum quia prohibitum) les accusations en matiegravere peacutenale nrsquoont pas toutes

le mecircme poids Srsquoagissant par exemple des majorations drsquoimpocirct ndash qui ne

feraient pas partie du noyau dur du droit peacutenal ndash les garanties offertes par le

volet peacutenal de lrsquoarticle 6 ne devraient pas neacutecessairement srsquoappliquer dans

toute leur rigueur (il mentionne lrsquoarrecirct Jussila preacuteciteacute sect 43) Il ne faudrait

pas lrsquooublier lorsqursquoil srsquoagit de deacuteterminer le champ drsquoapplication de

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

La preacutevisibiliteacute du cumul de sanctions administratives et de sanctions

peacutenales constituerait un autre facteur agrave prendre en compte dans

lrsquoappreacuteciation du systegraveme mixte en cause (il eacutevoque lrsquoarrecirct Maszni

c Roumanie no 5989200 sect 68 21 septembre 2006)

Selon le gouvernement suisse la jurisprudence Sergueiuml Zolotoukhine ne

doit pas ecirctre interpreacuteteacutee ou deacuteveloppeacutee de maniegravere agrave couvrir lrsquoensemble des

systegravemes preacutevoyant de sanctionner par les voies administrative et peacutenale les

infractions peacutenales indeacutependamment du fait que des autoriteacutes distinctes

disposant de compeacutetences distinctes et poursuivant des buts distincts

rendent des deacutecisions sur le mecircme ensemble de faits Cette conclusion

srsquoimposerait en tout cas dans les affaires preacutesentant un lien mateacuteriel et

temporel suffisamment eacutetroit entre les proceacutedures peacutenale et administrative

tel que requis par la Cour (il srsquoappuie sur les affaires suivantes ougrave la Cour a

conclu que cette condition avait eacuteteacute satisfaite Boman c Finlande

no 4160411 sect 41 17 feacutevrier 2015 avec une reacutefeacuterence aux deacutecisions

preacuteciteacutees RT c Suisse et Nilsson c Suegravede et agrave lrsquoarrecirct preacuteciteacute Maszni) Le

gouvernement suisse invite la Grande Chambre agrave saisir lrsquooccasion de la

preacutesente affaire pour confirmer cette approche qui nrsquoest pas selon lui

proscrite en elle-mecircme en lrsquoeacutetat de la jurisprudence

4 Appreacuteciation de la Cour

101 La Cour passera tout drsquoabord en revue sa jurisprudence pertinente

pour lrsquointerpreacutetation et lrsquoapplication du principe non bis in idem eacutenonceacute agrave

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 (parties a) agrave c) ci-dessous) Elle srsquoattachera agrave en

36 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

tirer les conclusions et critegraveres utiles et agrave apporter les eacuteclaircissements

neacutecessaires agrave lrsquoanalyse de la preacutesente affaire (partie d) ci-dessous) Enfin

elle appliquera ce principe dans lrsquointerpreacutetation qursquoelle aura deacutegageacutee aux

faits deacutenonceacutes par les requeacuterants (partie e) ci-dessous)

a) Questions geacuteneacuterales drsquointerpreacutetation

102 La Cour constate que dans les observations des parties et des tiers

intervenants il nrsquoy a guegravere de deacutesaccord quant agrave la principale contribution

qursquoapporte lrsquoarrecirct de Grande Chambre Sergueiuml Zolotoukhine agrave savoir la

clarification des critegraveres agrave lrsquoaune desquels il faut eacutevaluer si lrsquoinfraction pour

laquelle un requeacuterant a eacuteteacute jugeacute ou puni au cours de la seconde proceacutedure

eacutetait la mecircme (idem) que celle pour laquelle une deacutecision avait eacuteteacute rendue au

cours de la premiegravere proceacutedure (voir les paragraphes 70 agrave 84 de cet arrecirct) Il

nrsquoy a pas non plus de deacutesaccord majeur quant aux critegraveres permettant de

deacuteterminer quand une deacutecision laquo deacutefinitive raquo a eacuteteacute rendue qui sont eacutenonceacutes

dans cet arrecirct

103 En revanche les avis divergent quant agrave la meacutethode agrave employer afin

de deacuteterminer si la proceacutedure se rapportant agrave lrsquoapplication de majorations

drsquoimpocirct eacutetait laquo peacutenale raquo aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 sachant que

cette question est susceptible drsquoavoir une incidence sur lrsquoapplicabiliteacute de

lrsquointerdiction poseacutee par cette disposition de la double incrimination

104 En outre il y a des divergences drsquoapproche (notamment entre

drsquoune part les requeacuterants et drsquoautre part le gouvernement deacutefendeur et les

gouvernements intervenants) sur la question de la reacutepeacutetition des poursuites

en particulier sur la mesure dans laquelle les proceacutedures parallegraveles ou mixtes

sont permises au titre de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

b) Critegraveres pertinents pour deacuteterminer si la premiegravere proceacutedure est

laquo peacutenale raquo divergences drsquoapproche dans la jurisprudence

105 Dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine (preacuteciteacute) la Cour a appliqueacute afin

de deacuteterminer si les proceacutedures en question pouvaient ecirctre regardeacutees comme

laquo peacutenales raquo sur le terrain de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 les trois critegraveres

Engel preacuteceacutedemment eacutelaboreacutes pour les besoins de lrsquoarticle 6 de la

Convention agrave savoir 1) laquo la qualification juridique de lrsquoinfraction en droit

interne raquo 2) laquo la nature mecircme de lrsquoinfraction raquo et 3) le degreacute de seacuteveacuteriteacute de

la sanction dont lrsquointeacuteresseacute est passible les deuxiegraveme et troisiegraveme critegraveres

eacutetant alternatifs et pas neacutecessairement cumulatifs mais sans exclure une

approche cumulative Lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine nrsquoa donc pas repris ndash

alors qursquoil aurait pu le faire ndash le raisonnement suivi dans une seacuterie drsquoaffaires

anteacuterieures (voir par exemple la deacutecision preacuteciteacutee Storbraringten) ougrave avait eacuteteacute

retenue une liste plus large et non exhaustive de facteurs sans que la Cour

ait preacuteciseacute quel eacutetait leur poids respectif ni srsquoil fallait les appliquer

alternativement ou cumulativement Les gouvernements franccedilais et

norveacutegien invitent agrave preacutesent la Cour agrave saisir cette occasion pour dire si ce

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 37

sont ces derniers critegraveres plus nombreux qui srsquoappliquent (paragraphes 66 agrave

68 et 90-91 ci-dessus)

106 Il existe un certain nombre drsquoarguments en faveur drsquoune telle

interpreacutetation en particulier le fait que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 a

apparemment eacuteteacute conccedilu par ses auteurs pour viser les proceacutedures peacutenales au

sens strict et la circonstance que ndash agrave lrsquoinverse de lrsquoarticle 6 mais agrave lrsquoinstar de

lrsquoarticle 7 ndash il nrsquoest pas susceptible de deacuterogation au titre de lrsquoarticle 15 Si

lrsquoarticle 6 se contente drsquoeacutenoncer des garanties drsquoeacutequiteacute proceacutedurales

notamment en matiegravere peacutenale lrsquointerdiction de la double incrimination

poseacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 a certaines conseacutequences ndash qui peuvent

ecirctre importantes ndash sur les modaliteacutes drsquoapplication des regravegles de droit

national reacutegissant les sanctions peacutenales et administratives dans de nombreux

domaines Cette derniegravere disposition implique une analyse plus pousseacutee du

droit peacutenal mateacuteriel puisqursquoil srsquoagit drsquoeacutetablir si les infractions respectives

visent le mecircme comportement (idem) Ces diffeacuterences ainsi que lrsquoabsence

de convergence entre les systegravemes nationaux des Eacutetats contractants le degreacute

variable de volonteacute de la part desdits Eacutetats drsquoecirctre tenus par le Protocole no 7

et la marge drsquoappreacuteciation eacutetendue dont ils jouissent geacuteneacuteralement dans le

choix de leurs systegravemes et politiques en matiegravere peacutenale (Nykaumlnen preacuteciteacute

sect 48 et mutatis mutandis Achour c France [GC] no 6733501 sect 44

CEDH 2006-IV) sont tout agrave fait propres agrave justifier un groupe plus vaste de

critegraveres drsquoapplicabiliteacute davantage axeacutes sur le droit national sur le modegravele

de ceux retenus pour les besoins de lrsquoarticle 7 et auparavant de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 (crsquoest-agrave-dire avant lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine) et donc un

champ drsquoapplication plus eacutetroit que sous lrsquoempire de lrsquoarticle 6

107 Cependant si ainsi qursquoil a eacuteteacute souligneacute lrsquoarrecirct Sergueiuml

Zolotoukhine nrsquoest pas explicite sur ce point il faut supposer que la Cour a

deacutelibeacutereacutement choisi dans cet arrecirct de retenir les critegraveres Engel comme le

modegravele agrave suivre pour deacuteterminer si la proceacutedure en cause est laquo peacutenale raquo pour

les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Aux yeux de la Cour il ne paraicirct

pas justifieacute qursquoelle srsquoeacutecarte de cette analyse en lrsquoespegravece car des

consideacuterations de poids militent vraiment en faveur drsquoun tel choix Le

principe non bis in idem vise principalement lrsquoeacutequiteacute proceacutedurale qui est

lrsquoobjet de lrsquoarticle 6 et srsquointeacuteresse moins au droit peacutenal mateacuteriel que

lrsquoarticle 7 La Cour estime preacutefeacuterable dans un souci de coheacuterence de

lrsquointerpreacutetation de la Convention consideacutereacutee globalement que lrsquoapplicabiliteacute

de ce principe soit reacutegie par les critegraveres plus preacutecis deacutefinis dans lrsquoarrecirct

Engel Cela eacutetant dit ainsi qursquoil a deacutejagrave eacuteteacute admis ci-dessus degraves lors que le

principe non bis in idem est jugeacute applicable une approche moduleacutee

srsquoimpose agrave lrsquoeacutevidence pour eacutevaluer la maniegravere dont il est mis en œuvre

srsquoagissant de proceacutedures mecirclant sanctions administratives et sanctions

peacutenales

38 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

c) Jurisprudence de la Convention en matiegravere de proceacutedures mixtes

i Lrsquoapport de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine

108 Lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine concernait deux proceacutedures qui

avaient chacune pour objet des actes perturbateurs agrave lrsquoencontre drsquoun agent

public et dans le cadre desquelles lrsquoissue de la proceacutedure administrative eacutetait

devenue deacutefinitive avant mecircme le deacutebut de la proceacutedure peacutenale (Sergueiuml

Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 18 agrave 20 et 109) Lrsquoapport le plus notable de lrsquoarrecirct

Sergueiuml Zolotoukhine est drsquoavoir dit que le point de savoir si les infractions

en question eacutetaient les mecircmes (idem) deacutependait drsquoune analyse axeacutee sur les

faits (ibidem sect 84) plutocirct que par exemple drsquoun examen formel consistant agrave

comparer les laquo eacuteleacutements essentiels raquo des infractions Lrsquointerdiction vise

lrsquoinculpation ou le jugement pour une seconde laquo infraction raquo pour autant que

celle-ci a pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance

les mecircmes (ibidem sect 82)

109 De plus en rappelant que le but de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 eacutetait

drsquointerdire la reacutepeacutetition de proceacutedures peacutenales trancheacutees par une deacutecision

laquo deacutefinitive raquo crsquoest-agrave-dire laquo passeacutee en force de chose jugeacutee raquo lrsquoarrecirct Sergueiuml

Zolotoukhine a preacuteciseacute que les deacutecisions susceptibles drsquoun recours ordinaire

ne beacuteneacuteficiaient pas de la garantie que renfermait cette disposition tant que

le deacutelai de recours nrsquoeacutetait pas expireacute

110 En outre la Cour a dit sans ambiguiumlteacute que lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 visait non pas seulement le cas drsquoune double condamnation

mais aussi celui des doubles poursuites et que dans le cas contraire il

nrsquoaurait pas eacuteteacute neacutecessaire de mettre le terme laquo poursuivi raquo avant le terme

laquo puni raquo car il ne pourrait qursquoen constituer un doublon La Cour a ajouteacute

que cette disposition srsquoappliquait mecircme si lrsquoindividu concerneacute nrsquoavait fait

lrsquoobjet que de simples poursuites nrsquoayant pas abouti agrave une condamnation

Elle a souligneacute que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 renfermait trois garanties

distinctes et disposait que nul i ne pouvait ecirctre poursuivi ii jugeacute ou

iii puni deux fois pour les mecircmes faits (ibidem sect 110)

111 Il faut toutefois souligner que lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine ne

donne guegravere drsquoindications lorsque les proceacutedures en reacutealiteacute ne se reacutepegravetent

pas mais sont plutocirct combineacutees et inteacutegreacutees de maniegravere agrave former un tout

coheacuterent

ii La jurisprudence sur les proceacutedures mixtes anteacuterieurement et

posteacuterieurement agrave lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine

112 Depuis lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine et comme crsquoeacutetait deacutejagrave le cas

auparavant il est admis par la Cour que lrsquoimposition par des autoriteacutes

diffeacuterentes de sanctions diffeacuterentes pour le mecircme comportement est permise

dans une certaine mesure au titre de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 nonobstant

lrsquoexistence drsquoune deacutecision deacutefinitive Cette conclusion peut se comprendre

comme eacutetant fondeacutee sur lrsquoideacutee que le cumul de sanctions dans les affaires de

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 39

ce genre doit srsquoanalyser comme un tout en conseacutequence de quoi il serait

artificiel drsquoy voir une reacutepeacutetition de proceacutedures impliquant que lrsquointeacuteresseacute a

eacuteteacute laquo poursuivi ou puni peacutenalement () en raison drsquoune infraction pour

laquelle il a[vait] deacutejagrave eacuteteacute () condamneacute par un jugement deacutefinitif raquo au

meacutepris de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 La question srsquoest poseacutee dans quatre

types de situations

113 Agrave lrsquoorigine de cette analyse interpreacutetative de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 se trouve une premiegravere cateacutegorie drsquoaffaires qui remonte agrave la

deacutecision RT c Suisse (deacutecision preacuteciteacutee) Dans cette affaire lrsquoOffice

feacutedeacuteral suisse des routes avait retireacute son permis de conduire au requeacuterant en

mai 1993 pour une dureacutee de quatre mois pour conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute

Cette mesure avait finalement eacuteteacute confirmeacutee par la Commission des recours

administratifs puis par le Tribunal feacutedeacuteral (en deacutecembre 1995)

Parallegravelement en juin 1993 les autoriteacutes cantonales de Gossau avaient

deacutelivreacute agrave lrsquoencontre du requeacuterant une ordonnance peacutenale qui le condamnait agrave

une peine drsquoemprisonnement avec sursis et agrave une amende de 1 100 francs

suisses Nrsquoayant pas fait lrsquoobjet de recours cette ordonnance passa en force

de chose jugeacutee

La Cour a conclu que les autoriteacutes suisses nrsquoavaient fait que retenir les

trois types de sanctions cumulables preacutevues par la loi pour une telle

infraction agrave savoir une peine drsquoemprisonnement une amende et le retrait du

permis de conduire Elle a constateacute que ces sanctions avaient eacuteteacute prononceacutees

parallegravelement par deux autoriteacutes diffeacuterentes lrsquoune administrative et lrsquoautre

peacutenale Selon elle on ne pouvait donc pas y voir eu eacutegard agrave sa

jurisprudence une reacutepeacutetition de poursuites peacutenales contraire agrave lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7

De la mecircme maniegravere si la deacutecision Nilsson (preacuteciteacutee) concernait elle

aussi une sanction peacutenale (50 heures de travail drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral) et le retrait

du permis de conduire (pour une dureacutee de dix-huit mois) agrave raison drsquoune

infraction routiegravere le grief a eacuteteacute rejeteacute sur la base drsquoun raisonnement plus

eacutelaboreacute qui a introduit pour la premiegravere fois le critegravere du laquo lien mateacuteriel et

temporel suffisamment eacutetroit raquo

La Cour a jugeacute que le retrait du permis de conduire eacutetait une conseacutequence

directe et preacutevisible de la condamnation anteacuterieure du requeacuterant pour les

mecircmes deacutelits de conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute avanceacute et de conduite sans permis

et que faisant suite agrave une condamnation peacutenale il relevait de la matiegravere

laquo peacutenale raquo pour les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Elle a ajouteacute

que indeacutependamment de la condamnation peacutenale anteacuterieure un retrait de

permis drsquoune dureacutee de dix-huit mois constituait en soi par sa seacuteveacuteriteacute une

mesure pouvant ordinairement passer pour une sanction peacutenale Elle a

conclu que quand bien mecircme les diffeacuterentes sanctions avaient eacuteteacute

prononceacutees par deux autoriteacutes diffeacuterentes agrave lrsquoissue de proceacutedures diffeacuterentes

il existait entre ces sanctions un lien mateacuteriel et temporel suffisamment

eacutetroit pour que lrsquoon pucirct consideacuterer le retrait de permis comme lrsquoune des

40 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

mesures preacutevues par le droit sueacutedois pour la reacutepression des deacutelits de

conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute avanceacute et de conduite sans permis On ne pouvait

donc pas selon elle deacuteduire du retrait litigieux que le requeacuterant avait eacuteteacute

laquo poursuivi ou puni peacutenalement () en raison drsquoune infraction pour laquelle

il a[vait] deacutejagrave eacuteteacute () condamneacute par un jugement deacutefinitif raquo au meacutepris de

lrsquoarticle 4 sect 1 du Protocole no 7

De mecircme dans lrsquoarrecirct Boman (preacuteciteacute) la Cour a jugeacute qursquoil existait un

lien mateacuteriel et temporel suffisant entre drsquoune part la proceacutedure peacutenale agrave

lrsquoissue de laquelle le requeacuterant avait eacuteteacute reconnu coupable et condamneacute agrave

75 jours-amende (soit 450 EUR) ainsi qursquoagrave une interdiction de conduire

(drsquoune dureacutee de quatre mois et trois semaines) et drsquoautre part la proceacutedure

administrative ulteacuterieure qui srsquoeacutetait soldeacutee par la prolongation de

lrsquointerdiction de conduire (drsquoune dureacutee drsquoun mois)

114 Dans une deuxiegraveme seacuterie drsquoaffaires la Cour a confirmeacute que les

proceacutedures parallegraveles ne sont pas exclues dans les affaires combinant

majorations drsquoimpocirct dans une proceacutedure administrative et poursuites

condamnations et sanctions pour fraude fiscale dans une proceacutedure peacutenale

tout en concluant qursquoil nrsquoavait pas eacuteteacute satisfait au critegravere du laquo lien mateacuteriel et

temporel suffisamment eacutetroit raquo au vu des circonstances particuliegraveres propres

agrave chaque cas Il srsquoagit drsquoaffaires concernant la Finlande (notamment Glantz

preacuteciteacute sect 57 et Nykaumlnen preacuteciteacute sect 47) et la Suegravede (Lucky Dev c Suegravede

no 735610 sect 58 27 novembre 2014) Dans lrsquoarrecirct Nykaumlnen ougrave est exposeacutee

lrsquoapproche suivie dans les autres affaires dirigeacutees contre la Finlande et la

Suegravede la Cour a conclu au vu du dossier que dans le systegraveme finlandais les

sanctions peacutenales et administratives avaient eacuteteacute infligeacutees par des autoriteacutes

diffeacuterentes sans que les proceacutedures aient le moindre lien entre elles elles

avaient chacune suivi leur propre cheminement et avaient pris fin

indeacutependamment lrsquoune de lrsquoautre De plus chaque juridiction ou autoriteacute

avait fixeacute le quantum de la peine sans tenir compte de la sanction prononceacutee

par lrsquoautre et elles nrsquoavaient eu aucun eacutechange entre elles Surtout dans le

systegraveme finlandais les majorations drsquoimpocirct eacutetaient appliqueacutees agrave lrsquoissue drsquoun

examen du comportement du contrevenant et de lrsquoapplicabiliteacute agrave son eacutegard

de la leacutegislation fiscale pertinente indeacutependamment de lrsquoappreacuteciation au

peacutenal La Cour a donc conclu agrave la violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

au motif que le requeacuterant avait eacuteteacute condamneacute deux fois pour les mecircmes faits

dans le cadre de deux proceacutedures distinctes

On peut trouver un raisonnement et des conclusions identiques (ou

quasiment identiques) agrave propos de faits analogues dans les arrecircts Rinas

c Finlande (no 1703913 27 janvier 2015) et Oumlsterlund c Finlande

(no 5319713 10 feacutevrier 2015)

Il faut noter que si dans certaines de ces affaires (Nykaumlnen Glantz

Lucky Dev Rinas Oumlsterlund) les deux proceacutedures avaient eacuteteacute conduites

dans une large mesure simultaneacutement le lien temporel a eacuteteacute manifestement

jugeacute insuffisant agrave lui seul pour exclure lrsquoapplication de la regravegle non bis in

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 41

idem Il ne semble pas deacuteraisonnable de deacuteduire de ces arrecircts concernant la

Finlande et la Suegravede que les deux proceacutedures ayant agrave chaque fois eacuteteacute

meneacutees dans une large mesure simultaneacutement crsquoest lrsquoabsence de lien

mateacuteriel qui au vu des circonstances propres agrave chaque affaire a provoqueacute la

violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

115 Dans une troisiegraveme seacuterie drsquoaffaires ougrave les proceacutedures avaient eacuteteacute

conduites en parallegravele pendant un certain temps la Cour a conclu agrave la

violation mais sans se reacutefeacuterer au critegravere tireacute de la deacutecision Nilsson du laquo lien

mateacuteriel et temporel suffisamment eacutetroit raquo

Dans lrsquoaffaire preacuteciteacutee Tomasović (sectsect 5-10 et 30-32) le requeacuterant avait

eacuteteacute poursuivi et condamneacute deux fois pour la mecircme infraction de possession

de stupeacutefiants drsquoabord en tant qursquolaquo infraction mineure raquo (jugeacutee laquo peacutenale raquo

au vu des deuxiegraveme et troisiegraveme critegraveres Engel ndash ibidem sectsect 22-25) puis en

tant qursquolaquo infraction peacutenale raquo Faute pour la seconde proceacutedure drsquoavoir eacuteteacute

abandonneacutee agrave la conclusion de la premiegravere la Cour a estimeacute eacutevident qursquoil y

avait eu une reacutepeacutetition de proceacutedures peacutenales contraire agrave lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 (voir de la mecircme maniegravere Muslija preacuteciteacute sectsect 28-32 et 37

srsquoagissant de coups et blessures aggraveacutes)

De mecircme dans lrsquoaffaire Grande Stevens et autres c Italie (nos 1864010

1864710 1866310 1866810 et 1869810 4 mars 2014) la Cour a

constateacute qursquoil y avait eu une double proceacutedure relative au mecircme

comportement frauduleux en lrsquooccurrence une manipulation du marcheacute par

la diffusion de fausses informations drsquoune part une proceacutedure

administrative (du 9 feacutevrier 2007 au 23 juin 2009) qualifieacutee de laquo peacutenale raquo agrave

lrsquoaune des critegraveres Engel conduite devant la Commission nationale des

socieacuteteacutes et de la bourse (Commissione Nazionale per le Societa e la Borsa)

puis devant la cour drsquoappel et la Cour de cassation conclue par lrsquoimposition

drsquoune amende de 3 000 000 EUR assortie drsquoune interdiction drsquoexercer

certaines activiteacutes professionnelles et drsquoautre part une proceacutedure peacutenale (du

7 novembre 2008 au 28 feacutevrier 2013 et au-delagrave toujours en cours agrave la date

de lrsquoarrecirct) conduite devant le tribunal de premiegravere instance la Cour de

cassation et la cour drsquoappel Son constat que la nouvelle instance concernait

une seconde laquo infraction raquo neacutee de faits identiques agrave ceux qui avaient donneacute

lieu agrave la premiegravere condamnation devenue deacutefinitive lui a suffi agrave conclure agrave

la violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

116 Quatriegravemement lrsquoarrecirct Kapetanios et autres (preacuteciteacute) confirmeacute par

lrsquoarrecirct Sismanidis et Sitaridis c Gregravece nos 6660209 et 7187912 9 juin

2016 constitue un autre exemple distinct drsquoabsence de lien mateacuteriel ne

faisant pas explicitement reacutefeacuterence agrave ce critegravere tireacute de la deacutecision Nilsson

(preacuteciteacutee) Dans ces affaires les requeacuterants furent tout drsquoabord acquitteacutes

drsquoinfractions douaniegraveres agrave lrsquoissue de proceacutedures peacutenales Par la suite malgreacute

les acquittements les juridictions administratives leur infligegraverent de lourdes

amendes administratives pour le mecircme comportement Convaincue que ces

derniegraveres proceacutedures eacutetaient laquo peacutenales raquo pour les besoins de lrsquoarticle 4 du

42 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

Protocole no 7 la Cour a conclu agrave la violation de cette disposition (voir les

paragraphes 73 et 47 de ces arrecircts respectivement)

d) Conclusions agrave tirer de la jurisprudence

117 Si les Eacutetats contractants ont le devoir particulier de proteacuteger les

inteacuterecircts speacutecifiques du justiciable que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 entend

sauvegarder il est aussi neacutecessaire ainsi que cela a deacutejagrave eacuteteacute indiqueacute au

paragraphe 106 ci-dessus de laisser aux autoriteacutes nationales le choix des

moyens agrave utiliser pour y parvenir Il ne faut pas oublier agrave cet eacutegard que le

droit de ne pas ecirctre jugeacute ou puni deux fois nrsquoeacutetait pas inscrit dans la

Convention adopteacutee en 1950 mais qursquoil a eacuteteacute ajouteacute dans un septiegraveme

protocole adopteacute en 1984 et entreacute en vigueur en 1988 soit pregraves de

40 anneacutees plus tard Quatre Eacutetats (lrsquoAllemagne les Pays-Bas le Royaume-

Uni et la Turquie) nrsquoont pas ratifieacute le Protocole no 7 et lrsquoun drsquoentre eux

(lrsquoAllemagne) ainsi que quatre Eacutetats qui lrsquoont ratifieacute (lrsquoAutriche la France

lrsquoItalie et le Portugal) ont eacutemis des reacuteserves ou des deacuteclarations

interpreacutetatives preacutecisant que le mot laquo peacutenalement raquo devait leur ecirctre appliqueacute

selon le sens donneacute agrave cette notion dans leurs lois nationales respectives

(Signalons que les reacuteserves formuleacutees par lrsquoAutriche et lrsquoItalie ont eacuteteacute jugeacutees

non valables parce qursquoelles nrsquoeacutetaient pas accompagneacutees drsquoun bref exposeacute de

la loi en cause comme le veut lrsquoarticle 57 sect 2 (voir respectivement

Gradinger c Autriche 23 octobre 1995 sect 51 seacuterie A no 328-C et Grande

Stevens preacuteciteacute sectsect 204-211) contrairement agrave la reacuteserve eacutemise par la France

(Goumlktan c France no 3340296 sect 51 CEDH 2002-V))

118 La Cour souligne eacutegalement lrsquoobservation formuleacutee par lrsquoavocat

geacuteneacuteral pregraves la CJUE dans lrsquoaffaire Fransson (paragraphe 51 ci-dessus)

selon laquelle lrsquoimposition de sanctions sur la base tant du droit

administratif que du droit peacutenal pour la mecircme infraction est une pratique

tregraves reacutepandue dans les Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne surtout dans

des domaines tels que la fiscaliteacute les politiques environnementales ou la

seacutecuriteacute publique Lrsquoavocat geacuteneacuteral a ajouteacute que les modaliteacutes relatives au

cumul des sanctions variaient eacutenormeacutement selon les ordres juridiques et

revecirctaient des caracteacuteristiques speacutecifiques propres agrave chaque Eacutetat membre et

que dans la plupart des cas ces speacutecificiteacutes visaient agrave atteacutenuer les effets

drsquoune double reacuteaction punitive de la part des pouvoirs publics

119 Par ailleurs pas moins de six Eacutetats parties au Protocole no 7 sont

intervenus en la preacutesente instance exprimant surtout des opinions et des

preacuteoccupations sur des points drsquointerpreacutetation que partage aussi dans une

large mesure le gouvernement deacutefendeur

120 Dans ces conditions il faut souligner agrave titre liminaire que comme

la Cour le reconnaicirct dans une jurisprudence constante crsquoest aux Eacutetats

contractants qursquoil revient au premier chef de deacutecider de lrsquoorganisation de

leur systegraveme juridique y compris de leurs proceacutedures peacutenales (voir par

exemple Taxquet c Belgique [GC] no 92605 sect 83 CEDH 2010) Par

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 43

exemple rien dans la Convention nrsquointerdit dans tel ou tel cas de seacuteparer en

diffeacuterentes phases ou parties le processus de fixation de la peine de sorte

que diffeacuterentes peines peuvent ecirctre prononceacutees successivement ou

parallegravelement pour une infraction qursquoil convient de qualifier de laquo peacutenale raquo

au sens autonome que revecirct ce mot sur le terrain de la Convention (voir par

exemple Phillips c Royaume-Uni no 4108798 sect 34 CEDH 2001-VII

affaire qui concernait des griefs tireacutes sur le terrain de lrsquoarticle 6 drsquoune

proceacutedure de confiscation des recettes issues drsquoinfractions agrave la leacutegislation

sur les stupeacutefiants dirigeacutee contre un individu et intervenant agrave la suite drsquoune

condamnation du mecircme individu pour ces mecircmes infractions)

121 Aux yeux de la Cour les Eacutetats devraient pouvoir leacutegitimement

opter pour des reacuteponses juridiques compleacutementaires face agrave certains

comportements dangereux pour la socieacuteteacute (par exemple le non-respect du

code de la route le non-paiement des impocircts ou lrsquoeacutevasion fiscale) au moyen

de diffeacuterentes proceacutedures formant un tout coheacuterent de maniegravere agrave traiter sous

ses diffeacuterents aspects le problegraveme social en question pourvu que ces

reacuteponses juridiques combineacutees ne repreacutesentent pas une charge excessive

pour la personne en cause

122 Dans les affaires ougrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 entre en jeu la

Cour a pour tacircche de deacuteterminer si la mesure nationale speacutecifique deacutenonceacutee

constitue dans sa substance ou dans ses effets une double incrimination

portant preacutejudice au justiciable ou si au contraire elle est le fruit drsquoun

systegraveme inteacutegreacute permettant de reacuteprimer un meacutefait sous ses diffeacuterents aspects

de maniegravere preacutevisible et proportionneacutee et formant un tout coheacuterent en sorte

de ne causer aucune injustice agrave lrsquointeacuteresseacute

123 Lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 ne saurait avoir pour effet drsquointerdire

aux Eacutetats contractants drsquoorganiser leur systegraveme juridique de maniegravere agrave

permettre la majoration agrave un taux standard drsquoimpocircts illeacutegalement impayeacutes ndash

quand bien mecircme une telle mesure serait qualifieacutee en elle-mecircme de

laquo peacutenale raquo pour les besoins des garanties drsquoeacutequiteacute du procegraves preacutevues dans la

Convention ndash aussi dans les cas plus graves ougrave il y aurait peut-ecirctre lieu de

poursuivre lrsquoauteur du meacutefait parce qursquoun eacuteleacutement non retenu dans la

proceacutedure laquo administrative raquo en recouvrement des impocircts par exemple un

comportement frauduleux srsquoajouterait au deacutefaut de paiement Lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 a pour objet drsquoempecirccher lrsquoinjustice que repreacutesenterait pour

une personne le fait drsquoecirctre poursuivie ou punie deux fois pour le mecircme

comportement deacutelictueux Il ne bannit toutefois pas les systegravemes juridiques

qui traitent de maniegravere laquo inteacutegreacutee raquo le meacutefait neacutefaste pour la socieacuteteacute en

question notamment en reacuteprimant celui-ci dans le cadre de phases parallegraveles

meneacutees par des autoriteacutes diffeacuterentes agrave des fins diffeacuterentes

124 La Cour estime que la jurisprudence preacuteciteacutee portant sur les

proceacutedures parallegraveles ou mixtes creacuteeacutee avec les deacutecisions RT c Suisse et

Nilsson c Suegravede puis reprise dans lrsquoarrecirct Nykaumlnen et une seacuterie drsquoautres

affaires donne des indications utiles qui aident agrave deacutefinir ougrave se trouve le juste

44 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

eacutequilibre entre la preacuteservation neacutecessaire des inteacuterecircts de lrsquoindividu proteacutegeacutes

par le principe non bis in idem drsquoune part et la prise en compte de lrsquointeacuterecirct

particulier pour la socieacuteteacute de pouvoir reacuteglementer de maniegravere calibreacutee le

domaine en question drsquoautre part Cela dit avant de se pencher plus avant

sur les critegraveres pertinents agrave lrsquoaune desquels lrsquoeacutequilibre voulu peut ecirctre

meacutenageacute la Cour juge souhaitable de preacuteciser les conclusions agrave tirer de la

jurisprudence existante

125 Premiegraverement il faut conclure de lrsquoapplication du critegravere du laquo lien

mateacuteriel et temporel suffisamment eacutetroit raquo dans les affaires finlandaises et

sueacutedoises reacutecentes qursquoil ne sera pas satisfait agrave ce critegravere si lrsquoun ou lrsquoautre des

deux eacuteleacutements ndash mateacuteriel ou temporel ndash fait deacutefaut (paragraphe 114

ci-dessus)

126 Deuxiegravemement dans certaines affaires la Cour a drsquoabord rechercheacute

si et dans lrsquoaffirmative agrave quel moment lrsquoune des proceacutedures avait fait

lrsquoobjet drsquoune deacutecision laquo deacutefinitive raquo (faisant potentiellement obstacle agrave la

poursuite de lrsquoautre proceacutedure) avant drsquoappliquer le critegravere du laquo lien

suffisamment eacutetroit raquo et de reacutepondre par la neacutegative agrave la question du respect

de la condition de laquo bis raquo crsquoest-agrave-dire de conclure agrave lrsquoabsence de reacutepeacutetition

(Boman preacuteciteacute sectsect 36 agrave 38) Pour la Cour cependant la question du

caractegravere laquo deacutefinitif raquo ou non drsquoune deacutecision ne se pose pas degraves lors qursquoil y a

non pas une reacutepeacutetition des poursuites agrave proprement parler mais plutocirct une

combinaison de proceacutedures dont on peut consideacuterer qursquoelles forment un tout

inteacutegreacute

127 Troisiegravemement le point preacuteceacutedent a aussi une incidence sur les

preacuteoccupations exprimeacutees par certains des gouvernements intervenants agrave

savoir qursquoil ne faudrait pas exiger que les proceacutedures connexes deviennent

laquo deacutefinitives raquo au mecircme moment faute de quoi la personne concerneacutee

pourrait utiliser le principe non bis in idem agrave des fins de manipulation et

drsquoimpuniteacute Sur ce point la conclusion figurant au paragraphe 51 de lrsquoarrecirct

Nykaumlnen (preacuteciteacute) et dans un certain nombre drsquoarrecircts posteacuterieurs agrave savoir

que laquo lrsquoune et lrsquoautre des proceacutedures suivent leur propre cheminement et

prennent fin indeacutependamment lrsquoune de lrsquoautre raquo doit ecirctre consideacutereacutee comme

un constat de fait dans le reacutegime finlandais examineacute il nrsquoexistait pas de

lien suffisant drsquoun point de vue mateacuteriel entre la proceacutedure administrative et

la proceacutedure peacutenale alors qursquoelles avaient eacuteteacute conduites de maniegravere plus ou

moins simultaneacutee Lrsquoarrecirct Nykaumlnen est un exemple de cas ougrave lrsquoapplication

du critegravere du laquo lien mateacuteriel et temporel suffisant raquo va dans une certaine

direction en fonction des faits

128 Quatriegravemement pour des raisons similaires agrave celles exposeacutees

ci-dessus lrsquoordre dans lequel les proceacutedures sont conduites ne saurait ecirctre

un eacuteleacutement deacutecisif pour se prononcer sur le point de savoir si lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 permet des proceacutedures mixtes ou multiples (comparer avec

les deacutecisions preacuteciteacutees RT c Suisse ougrave un permis de conduire avait eacuteteacute

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 45

retireacute avant lrsquoouverture du procegraves peacutenal et Nilsson c Suegravede ougrave le retrait

eacutetait intervenu apregraves)

129 Enfin il ressort de certaines des affaires susmentionneacutees (Sergueiuml

Zolotoukhine Tomasović et Muslija eacutevoqueacutees au paragraphes 108 et 115

ci-dessus) pour autant que celles-ci concernaient une reacutepeacutetition de

proceacutedures dans lesquelles les objectifs et moyens employeacutes nrsquoeacutetaient pas

compleacutementaires (paragraphe 130 ci-dessous) que la Cour nrsquoeacutetait pas

disposeacutee agrave les examiner comme si elles avaient concerneacute des proceacutedures

parallegraveles ou mixtes susceptibles drsquoecirctre compatibles avec le principe ne bis

in idem comme dans les affaires RT c Suisse Nilsson et Boman

(paragraphe 113 ci-dessus)

130 Il ressort agrave lrsquoeacutevidence de cette analyse de la jurisprudence de la

Cour que srsquoagissant de faits punissables aussi bien sur le terrain du droit

peacutenal que sur celui du droit administratif la maniegravere la plus sucircre de veiller

au respect de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 consiste agrave preacutevoir agrave un stade

opportun une proceacutedure agrave un seul niveau permettant la reacuteunion des

branches parallegraveles du reacutegime leacutegal reacutegissant lrsquoactiviteacute en cause de faccedilon agrave

satisfaire dans le cadre drsquoun seul et mecircme processus aux diffeacuterents

impeacuteratifs poursuivis par la socieacuteteacute dans sa reacuteaction face agrave lrsquoinfraction

Toutefois ainsi qursquoil a eacuteteacute expliqueacute ci-dessus (notamment aux paragraphes

111 et 117 agrave 120) lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 nrsquoexclut pas la conduite de

proceacutedures mixtes mecircme jusqursquoagrave leur terme pourvu que certaines

conditions soient remplies En particulier pour convaincre la Cour de

lrsquoabsence de reacutepeacutetition de procegraves ou de peines (bis) proscrite par lrsquoarticle 4

du Protocole no 7 lrsquoEacutetat deacutefendeur doit eacutetablir de maniegravere probante que les

proceacutedures mixtes en question eacutetaient unies par un laquo lien mateacuteriel et

temporel suffisamment eacutetroit raquo Autrement dit il doit ecirctre deacutemontreacute que

celles-ci se combinaient de maniegravere agrave ecirctre inteacutegreacutees dans un tout coheacuterent

Cela signifie non seulement que les buts poursuivis et les moyens utiliseacutes

pour y parvenir doivent ecirctre en substance compleacutementaires et preacutesenter un

lien temporel mais aussi que les eacuteventuelles conseacutequences deacutecoulant drsquoune

telle organisation du traitement juridique du comportement en question

doivent ecirctre proportionneacutees et preacutevisibles pour le justiciable

131 Srsquoagissant des conditions agrave satisfaire pour que des proceacutedures

mixtes administratives et peacutenales puissent ecirctre regardeacutees comme preacutesentant

un lien mateacuteriel et temporel suffisant et donc comme compatibles avec le

critegravere de laquo bis raquo deacutecoulant de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 la Cour reacutesume

de la maniegravere suivante les consideacuterations pertinentes tireacutees de sa

jurisprudence telle qursquoexamineacutee ci-dessus

132 Les eacuteleacutements pertinents pour statuer sur lrsquoexistence drsquoun lien

suffisamment eacutetroit du point de vue mateacuteriel sont notamment les suivants

ndash le point de savoir si les diffeacuterentes proceacutedures visent des buts

compleacutementaires et concernent ainsi non seulement in abstracto mais aussi

46 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

in concreto des aspects diffeacuterents de lrsquoacte preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute en

cause

ndash le point de savoir si la mixiteacute des proceacutedures en question est une

conseacutequence preacutevisible aussi bien en droit qursquoen pratique du mecircme

comportement reacuteprimeacute (idem)

ndash le point de savoir si les proceacutedures en question ont eacuteteacute conduites drsquoune

maniegravere qui eacutevite autant que possible toute reacutepeacutetition dans le recueil et dans

lrsquoappreacuteciation des eacuteleacutements de preuve notamment gracircce agrave une interaction

adeacutequate entre les diverses autoriteacutes compeacutetentes faisant apparaicirctre que

lrsquoeacutetablissement des faits effectueacute dans lrsquoune des proceacutedures a eacuteteacute repris dans

lrsquoautre

ndash et surtout le point de savoir si la sanction imposeacutee agrave lrsquoissue de la

proceacutedure arriveacutee agrave son terme en premier a eacuteteacute prise en compte dans la

proceacutedure qui a pris fin en dernier de maniegravere agrave ne pas faire porter pour

finir agrave lrsquointeacuteresseacute un fardeau excessif ce dernier risque eacutetant moins

susceptible de se preacutesenter srsquoil existe un meacutecanisme compensatoire conccedilu

pour assurer que le montant global de toutes les peines prononceacutees est

proportionneacute

133 Agrave cet eacutegard il est eacutegalement instructif de tenir compte de la

maniegravere dont lrsquoarticle 6 de la Convention est appliqueacute dans le type drsquoaffaire

aujourdrsquohui examineacutee (Jussila preacuteciteacute sect 43)

laquo () il va de soi que certaines [proceacutedures peacutenales] ne comportent aucun caractegravere

infamant pour ceux qursquoelles visent et que les laquo accusations en matiegravere peacutenale raquo nrsquoont

pas toutes le mecircme poids De surcroicirct en adoptant une interpreacutetation autonome de la

notion drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo par application des critegraveres Engel les

organes de la Convention ont jeteacute les bases drsquoune extension progressive de

lrsquoapplication du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 agrave des domaines qui ne relegravevent pas

formellement des cateacutegories traditionnelles du droit peacutenal telles que les

contraventions administratives () les punitions pour manquement agrave la discipline

peacutenitentiaire () les infractions douaniegraveres () les sanctions peacutecuniaires infligeacutees

pour violation du droit de la concurrence () et les amendes infligeacutees par des

juridictions financiegraveres () Les majorations drsquoimpocirct ne faisant pas partie du noyau

dur du droit peacutenal les garanties offertes par le volet peacutenal de lrsquoarticle 6 ne doivent pas

neacutecessairement srsquoappliquer dans toute leur rigueur () raquo

Le raisonnement ci-dessus permet de deacutegager les eacuteleacutements pertinents

lorsqursquoil faut deacuteterminer si lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 a eacuteteacute respecteacute dans

les affaires de proceacutedures mixtes (administratives et peacutenales) De plus

comme la Cour lrsquoa deacutejagrave dit agrave de nombreuses reprises la Convention doit se

lire comme un tout et srsquointerpreacuteter de maniegravere agrave promouvoir sa coheacuterence

interne et lrsquoharmonie entre ses diverses dispositions (Klass et autres

c Allemagne 6 septembre 1978 sect 68 seacuterie A no 28 voir aussi Maaouia

c France [GC] no 3965298 sect 36 CEDH 2000-X Kudła c Pologne [GC]

no 3021096 sect 152 CEDH 2000-XI et Stec et autres c Royaume-Uni (deacutec)

[GC] nos 6573101 et 6590001 sect 48 CEDH 2005-X)

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 47

La mesure dans laquelle la proceacutedure administrative preacutesente les

caracteacuteristiques drsquoune proceacutedure peacutenale ordinaire est un eacuteleacutement important

Des proceacutedures mixtes satisferont plus vraisemblablement aux critegraveres de

compleacutementariteacute et de coheacuterence si les sanctions imposables dans la

proceacutedure non formellement qualifieacutee de laquo peacutenale raquo sont speacutecifiques au

comportement en question et ne font donc pas partie du laquo noyau dur du droit

peacutenal raquo (pour reprendre les termes de lrsquoarrecirct Jussila preacuteciteacute) Si agrave titre

additionnel cette proceacutedure nrsquoa pas de caractegravere veacuteritablement infamant il y

a moins de chances qursquoelle fasse peser une charge disproportionneacutee sur

lrsquoaccuseacute Agrave lrsquoinverse plus la proceacutedure administrative preacutesente de

caracteacuteristiques infamantes la rapprochant dans une large mesure drsquoune

proceacutedure peacutenale ordinaire plus les finaliteacutes sociales poursuivies par la

punition du comportement fautif dans des proceacutedures diffeacuterentes risquent de

se reacutepeacuteter (bis) au lieu de se compleacuteter Lrsquoissue des affaires mentionneacutees au

paragraphe 129 ci-dessus peut passer pour des illustrations de la

concreacutetisation drsquoun tel risque

134 De plus ainsi qursquoil a deacutejagrave eacuteteacute dit implicitement ci-dessus mecircme

lorsque le lien mateacuteriel est suffisamment solide la condition du lien

temporel demeure et doit ecirctre satisfaite Il ne faut pas en conclure pour

autant que les deux proceacutedures doivent ecirctre meneacutees simultaneacutement du deacutebut

agrave la fin LrsquoEacutetat doit avoir la faculteacute drsquoopter pour la conduite des proceacutedures

progressivement si ce proceacutedeacute se justifie par un souci drsquoefficaciteacute et de

bonne administration de la justice poursuit des finaliteacutes sociales diffeacuterentes

et ne cause pas un preacutejudice disproportionneacute agrave lrsquointeacuteresseacute Toutefois ainsi

qursquoil a deacutejagrave eacuteteacute preacuteciseacute il doit toujours y avoir un lien temporel Ce lien doit

ecirctre suffisamment eacutetroit pour que le justiciable ne soit pas en proie agrave

lrsquoincertitude et agrave des lenteurs et pour que les proceacutedures ne srsquoeacutetalent pas

trop dans le temps (voir comme exemple de lacune de ce type Kapetanios

et autres preacuteciteacute sect 67) mecircme dans lrsquohypothegravese ougrave le reacutegime national

pertinent preacutevoit un meacutecanisme laquo inteacutegreacute raquo comportant un volet

administratif et un volet peacutenal distincts Plus le lien temporel est teacutenu plus il

faudra que lrsquoEacutetat explique et justifie les lenteurs dont il pourrait ecirctre

responsable dans la conduite des proceacutedures

e) Sur le respect en lrsquoespegravece de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

i Le premier requeacuterant

135 Srsquoagissant du premier requeacuterant le bureau des impocircts lui appliqua

le 24 novembre 2008 une majoration drsquoimpocirct de 30 en vertu des

articles 10-2 1) et 10-4 1) de la loi fiscale au motif qursquoil avait omis dans sa

deacuteclaration fiscale pour lrsquoanneacutee 2002 3 259 342 NOK de revenus perccedilus agrave

lrsquoeacutetranger (paragraphe 16 ci-dessus) Le premier requeacuterant nrsquoayant pas

attaqueacute cette deacutecision celle-ci devint deacutefinitive au plus tocirct au bout de trois

semaines agrave lrsquoexpiration du deacutelai de recours (paragraphe 143 ci-dessous) Il

48 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

fut aussi poursuivi peacutenalement pour la mecircme omission dans sa deacuteclaration

fiscale pour 2002 le 14 octobre 2008 il fut inculpeacute et le 2 mars 2009 le

tribunal de Follo le reconnut coupable de fraude fiscale aggraveacutee et le

condamna agrave un an drsquoemprisonnement pour violation de lrsquoarticle 12-1 1)a)

cf section 12-2 de la loi fiscale (paragraphes 15 et 17 ci-dessus) La cour

drsquoappel le deacutebouta (paragraphe 19 ci-dessus) de mecircme que le 27 novembre

2010 la Cour suprecircme (paragraphes 20 agrave 30 ci-dessus)

α) Lrsquoapplication drsquoune majoration drsquoimpocirct eacutetait-elle de nature peacutenale

136 Dans le droit fil de ce qursquoelle a dit au paragraphe 107 ci-dessus la

Cour recherchera si la proceacutedure drsquoapplication de la majoration drsquoimpocirct de

30 pouvait sur la base des critegraveres Engel ecirctre qualifieacutee de laquo peacutenale raquo

pour les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

137 Agrave cet eacutegard la Cour note que la Cour suprecircme a eacuteteacute attentive agrave

lrsquoeacutevolution progressive du droit de la Convention dans ce domaine et srsquoest

efforceacutee de tenir compte des eacutevolutions de la jurisprudence de la Cour dans

ses propres deacutecisions en matiegravere de leacutegislation fiscale (paragraphes 44-47

ci-dessus) Ainsi en 2002 la Cour suprecircme a dit pour la premiegravere fois

qursquoune majoration drsquoimpocirct de 30 constituait une laquo accusation en matiegravere

peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 de la Convention Elle a eacutegalement jugeacute

contrairement agrave ses deacutecisions anteacuterieures qursquoune majoration drsquoimpocirct de

60 revecirctait un caractegravere peacutenal aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 En

2004 et en 2006 elle a estimeacute qursquoil en allait de mecircme de la majoration

drsquoimpocirct de 30

138 Dans des affaires comparables concernant la Suegravede (majorations

drsquoimpocirct agrave des taux de 40 et 20 ) la Cour a jugeacute que les proceacutedures en

question eacutetaient laquo peacutenales raquo pour les besoins non seulement de lrsquoarticle 6 de

la Convention (Janosevic c Suegravede no 3461997 sectsect 68-71 CEDH 2002-VII

et Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic c Suegravede no 3698597 sectsect 79-82

23 juillet 2002) mais aussi de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 (Manasson

c Suegravede (deacutec) no 4126598 8 avril 2003 Rosenquist deacutecision preacuteciteacutee

Synnelius et Edsbergs Taxi AB c Suegravede (deacutec) no 4429802 17 juin 2008

Carlberg c Suegravede (deacutec) no 963104 27 janvier 2009 et Lucky Dev preacuteciteacute

sectsect 6 et 51)

139 Dans ces conditions la Cour ne voit aucune raison de revenir sur la

conclusion de la Cour suprecircme (paragraphes 22 agrave 25 ci-dessus) selon

laquelle la proceacutedure qui a conduit agrave lrsquoimposition au premier requeacuterant

drsquoune majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire de 30 revecirctait un caractegravere

laquo peacutenal raquo au sens autonome donneacute agrave ce terme sur le terrain de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 49

β) Les infractions peacutenales pour lesquelles le premier requeacuterant a eacuteteacute poursuivi

eacutetaient-elles les mecircmes que celles pour lesquelles une majoration drsquoimpocirct

lui a eacuteteacute appliqueacutee (idem)

140 Ainsi qursquoil a eacuteteacute dit ci-dessus (paragraphe 128) la protection

qursquooffre le principe non bis in idem ne deacutepend pas de lrsquoordre dans lequel les

proceacutedures sont respectivement conduites crsquoest le lien entre les deux

infractions qui compte (Franz Fischer c Autriche no 3795097 sect 29

29 mai 2001 et les arrecircts et deacutecisions preacuteciteacutes Storbraringten Mjelde ainsi que

Haarvig Ruotsalainen et Kapetanios et autres)

141 Appliquant aux faits de lrsquoespegravece lrsquoapproche harmoniseacutee exposeacutee

dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine (preacuteciteacute sectsect 82-84) la Cour suprecircme a

conclu que les circonstances factuelles sur lesquelles reposaient la

majoration drsquoimpocirct et la condamnation peacutenale ndash crsquoest-agrave-dire dans les deux

cas lrsquoomission dans la deacuteclaration fiscale de certaines informations

concernant des revenus ndash eacutetaient suffisamment similaires pour satisfaire agrave la

condition susmentionneacutee (paragraphe 21 ci-dessus) Les parties ne le

contestent pas et malgreacute lrsquoeacuteleacutement factuel suppleacutementaire de fraude qui

caracteacuterise lrsquoinfraction peacutenale la Cour ne voit aucune raison de conclure

autrement

γ) Y a-t-il eu une deacutecision deacutefinitive

142 Pour ce qui est de savoir si au cours de la proceacutedure de majoration

drsquoimpocirct une deacutecision laquo deacutefinitive raquo susceptible de faire obstacle agrave des

poursuites peacutenales a eacuteteacute prise (Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 107-108)

la Cour renvoie agrave son analyse ci-dessus Eacutetant convaincue agrave lrsquoissue de son

examen ci-dessous de lrsquoexistence drsquoun lien mateacuteriel et temporel suffisant

entre la proceacutedure fiscale et la proceacutedure peacutenale pour que celles-ci puissent

ecirctre regardeacutees comme formant une solution juridique inteacutegreacutee reacutepondant au

comportement du premier requeacuterant elle nrsquoestime pas neacutecessaire

drsquoexaminer plus avant la question du caractegravere deacutefinitif de la proceacutedure

fiscale en elle-mecircme Agrave ses yeux la circonstance que la premiegravere proceacutedure

a eacuteteacute clocirctureacutee de maniegravere laquo deacutefinitive raquo avant la seconde nrsquoa aucune

incidence sur lrsquoexamen ci-dessous de lrsquoarticulation entre elles deux

(paragraphe 126 ci-dessus)

143 Point nrsquoest donc besoin pour la Cour de donner son avis sur

lrsquoanalyse faite par la Cour suprecircme de la question de savoir si la premiegravere

deacutecision du 24 novembre 2008 eacutetait devenue deacutefinitive agrave lrsquoexpiration du

deacutelai de recours administratif de trois semaines ou agrave celle du deacutelai de

recours judiciaire de six mois (paragraphe 27 ci-dessus)

δ) Y a-t-il eu reacutepeacutetition de poursuites (bis)

144 Les autoriteacutes nationales compeacutetentes ont jugeacute que le comportement

reacutepreacutehensible du premier requeacuterant appelait deux reacuteponses une sanction

administrative au titre du chapitre 10 de la loi fiscale consacreacute aux

50 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

majorations drsquoimpocirct et une sanction peacutenale au titre du chapitre 12 de cette

mecircme loi (paragraphes 15 16 et 41-43 ci-dessus) chacune ayant une

finaliteacute diffeacuterente Comme la Cour suprecircme lrsquoa expliqueacute dans ses arrecircts

rendus en mai 2002 (paragraphe 46 ci-dessus) la sanction administrative

que constitue la majoration drsquoimpocirct a une finaliteacute geacuteneacuterale de dissuasion en

reacuteaction agrave la communication par le contribuable peut-ecirctre innocemment de

deacuteclarations ou informations inexactes ou incomplegravetes et elle vise aussi agrave

compenser les ressources humaines et financiegraveres consideacuterables consacreacutees

par les autoriteacutes fiscales pour le compte de la collectiviteacute aux controcircles et

veacuterifications destineacutes agrave repeacuterer les deacuteclarations erroneacutees Lrsquoobjectif est que

les personnes ayant communiqueacute des informations incomplegravetes ou inexactes

supportent ces coucircts dans une certaine mesure Le calcul de lrsquoimpocirct est une

opeacuteration massive qui fait intervenir des millions de citoyens Pour la Cour

suprecircme la majoration drsquoimpocirct ordinaire a avant tout pour but drsquoinciter le

contribuable agrave respecter son obligation de fournir des informations

complegravetes et exactes et de renforcer les fondations du systegraveme fiscal

national condition indispensable au bon fonctionnement de lrsquoEacutetat et

partant de la socieacuteteacute Comme lrsquoa dit la Cour suprecircme une condamnation

peacutenale au titre du chapitre 12 en revanche poursuit des fins non seulement

dissuasives mais aussi reacutepressives srsquoagissant de la mecircme omission

preacutejudiciable pour la socieacuteteacute et comporte un eacuteleacutement additionnel de fraude

deacutelictueuse

145 Crsquoest ainsi que agrave la suite drsquoun controcircle fiscal conduit en 2005 le

fisc porta plainte au peacutenal contre le premier requeacuterant et drsquoautres personnes

agrave lrsquoautomne 2007 (paragraphe 13 ci-dessus) En deacutecembre 2007 lrsquointeacuteresseacute

fut interrogeacute en tant qursquoaccuseacute et deacutetenu pendant quatre jours

(paragraphe 14 ci-dessus) En aoucirct 2008 srsquoappuyant notamment sur les

conclusions de lrsquoenquecircte peacutenale le fisc lrsquoavisa qursquoil allait le redresser

notamment pour lrsquoanneacutee 2002 au motif qursquoil avait omis de deacuteclarer

3 259 341 NOK Cet avis reposait sur les conclusions du controcircle fiscal de

la socieacuteteacute Software Innovation AS meneacute par le fisc sur lrsquoenquecircte peacutenale

conseacutecutive et sur la deacuteposition faite par le premier requeacuterant au cours de

cette enquecircte (paragraphe 16 ci-dessus) En octobre 2008 le premier

requeacuterant fut inculpeacute drsquoinfractions fiscales par Oslashkokrim Par une deacutecision du

24 novembre 2008 le fisc ordonna son redressement et le versement par lui

de la majoration drsquoimpocirct en question Cette deacutecision eacutetait notamment fondeacutee

sur les deacutepositions faites par les premier et second requeacuterants lors

drsquointerrogatoires meneacutes au cours de lrsquoenquecircte peacutenale Un peu plus de deux

mois plus tard le 2 mars 2009 le tribunal de Follo condamna lrsquointeacuteresseacute

pour fraude fiscale au motif qursquoil avait omis le montant susmentionneacute dans

sa deacuteclaration fiscale pour lrsquoanneacutee 2002 Pour la Cour il est

particuliegraverement important de constater que conformeacutement aux principes

geacuteneacuteraux du droit national en matiegravere de fixation des peines (paragraphe 50

ci-dessus) ledit tribunal a prononceacute la peine drsquoun an drsquoemprisonnement en

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 51

tenant compte de ce que le premier requeacuterant avait deacutejagrave eacuteteacute lourdement

sanctionneacute par lrsquoapplication de la majoration drsquoimpocirct (paragraphe 17 ci-

dessus comparer avec les arrecircts preacuteciteacutes Kapetanios et autres sect 66 ougrave les

juridictions administratives avaient imposeacute des amendes administratives

sans tenir compte de lrsquoacquittement des requeacuterants agrave lrsquoissue des proceacutedures

peacutenales anteacuterieures relatives au mecircme comportement et Nykaumlnen ougrave la

Cour a conclu agrave lrsquoabsence de lien mateacuteriel suffisant entre les deux

proceacutedures)

146 Dans ces conditions la Cour conclut premiegraverement qursquoelle nrsquoa

aucune raison de mettre en doute les motifs pour lesquels le leacutegislateur

norveacutegien a choisi de reacuteprimer au moyen drsquoune proceacutedure mixte

(administrative et peacutenale) inteacutegreacutee le comportement preacutejudiciable agrave la

socieacuteteacute consistant agrave ne pas payer ses impocircts non plus que ceux pour

lesquels les autoriteacutes norveacutegiennes compeacutetentes ont deacutecideacute agrave lrsquoeacutegard du

premier requeacuterant de traiter seacutepareacutement lrsquoeacuteleacutement de fraude plus grave et

plus reacutepreacutehensible socialement dans le cadre drsquoune proceacutedure peacutenale plutocirct

que dans celui drsquoune proceacutedure administrative ordinaire

Deuxiegravemement la conduite de proceacutedures mixtes avec une possibiliteacute de

cumul de diffeacuterentes peines eacutetait preacutevisible par le premier requeacuterant qui

degraves le deacutebut nrsquoeacutetait pas censeacute ignorer que des poursuites peacutenales srsquoajoutant agrave

une majoration drsquoimpocirct eacutetaient de lrsquoordre du possible voire du probable

compte tenu du dossier (paragraphes 13 et 16 ci-dessus)

Troisiegravemement il semble clair que comme lrsquoa dit la Cour suprecircme les

proceacutedures administrative et peacutenale ont eacuteteacute conduites en parallegravele et eacutetaient

imbriqueacutees (paragraphe 29 ci-dessus) Les faits eacutetablis dans le cadre de

lrsquoune de ces proceacutedures ont eacuteteacute repris dans lrsquoautre et pour ce qui est de la

proportionnaliteacute de la peine globale la sanction peacutenale a tenu compte de la

majoration drsquoimpocirct (paragraphe 17 ci-dessus)

147 Compte tenu des faits porteacutes agrave sa connaissance la Cour conclut que

rien nrsquoindique que le premier requeacuterant ait subi un preacutejudice disproportionneacute

ou une injustice en conseacutequence de la reacuteponse juridique inteacutegreacutee deacutenonceacutee

par lui apporteacutee agrave son absence de deacuteclaration de certains revenus et au

non-paiement de certains de ses impocircts Aussi eu eacutegard aux consideacuterations

exposeacutees ci-dessus (et notamment celles reacutesumeacutees aux

paragraphes 132-134) la Cour est-elle convaincue que si des sanctions

diffeacuterentes ont eacuteteacute imposeacutees par deux autoriteacutes diffeacuterentes lors de

proceacutedures diffeacuterentes il existait neacuteanmoins entre celles-ci un lien tant

mateacuteriel que temporel suffisamment eacutetroit pour les consideacuterer comme

srsquoinscrivant dans le meacutecanisme inteacutegreacute de sanctions preacutevu par le droit

norveacutegien dans le cas ougrave une omission drsquoinformations sur certains revenus

dans une deacuteclaration fiscale conduit agrave une erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct

(paragraphe 21 ci-dessus)

52 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

ii Le second requeacuterant

148 Pour ce qui est du second requeacuterant reprenant le raisonnement

suivi par la Cour suprecircme dans lrsquoarrecirct concernant le premier requeacuterant la

cour drsquoappel jugea premiegraverement que la deacutecision prise le 5 deacutecembre 2008

par le fisc ordonnant agrave lrsquointeacuteresseacute de payer une majoration drsquoimpocirct de 30

srsquoanalysait bien en lrsquoimposition drsquoune sanction laquo peacutenale raquo au sens de

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 elle dit deuxiegravemement que la deacutecision eacutetait

devenue laquo deacutefinitive raquo le 26 deacutecembre 2008 date drsquoexpiration du deacutelai de

recours et troisiegravemement que la deacutecision de majoration drsquoimpocirct et la

condamnation peacutenale ulteacuterieure se rapportaient aux mecircmes faits (paragraphe

37 ci-dessus) Comme dans le cas du premier requeacuterant la Cour ne voit

aucune raison de conclure autrement sur les premier et troisiegraveme points non

plus que la neacutecessiteacute de se prononcer sur le deuxiegraveme

149 Srsquoagissant de la question qui se pose ensuite crsquoest-agrave-dire celle de

savoir srsquoil y a eu ou non une reacutepeacutetition des poursuites (bis) incompatible

avec le Protocole no 7 la Cour relegraveve que comme agrave lrsquoeacutegard du premier

requeacuterant (paragraphe 144 ci-dessus) les autoriteacutes compeacutetentes ont jugeacute

qursquoune proceacutedure mixte se justifiait dans le cas du second requeacuterant

150 Quant au deacuteroulement preacutecis des proceacutedures en cause agrave la suite du

controcircle conduit par lui en 2005 le fisc porta plainte au peacutenal aupregraves

drsquoOslashkokrim agrave lrsquoautomne 2007 contre le second requeacuterant (comme il lrsquoavait

fait contre le premier requeacuterant et drsquoautres personnes) au motif que

lrsquointeacuteresseacute nrsquoavait pas deacuteclareacute 4 561 881 NOK (soit environ 500 000 EUR)

de revenus pour lrsquoanneacutee fiscale 2002 (paragraphe 31 ci-dessus) Le

16 octobre 2008 srsquoappuyant en particulier sur le controcircle fiscal sur la

deacuteposition faite par le second requeacuterant au cours de lrsquoenquecircte peacutenale en

question ainsi que sur les documents saisis par Oslashkokrim lors de lrsquoenquecircte le

bureau des impocircts avisa lrsquointeacuteresseacute qursquoil envisageait de le redresser

fiscalement au motif que celui-ci avait omis de deacuteclarer lesdits revenus et

drsquoappliquer agrave son eacutegard une majoration drsquoimpocirct (paragraphe 32 ci-dessus)

Le 11 novembre 2008 le parquet inculpa le second requeacuterant de fraude

fiscale pour lrsquoomission par celui-ci du montant susmentionneacute ce qui

repreacutesentait 1 302 526 NOK drsquoimpocircts agrave payer et pria le tribunal drsquoOslo de

rendre un jugement sommaire fondeacute sur ses aveux (paragraphe 33

ci-dessus) Le 5 deacutecembre 2008 date agrave laquelle le bureau des impocircts

ordonna au second requeacuterant au titre du redressement de verser ce montant

ainsi que la majoration drsquoimpocirct en question la proceacutedure peacutenale eacutetait deacutejagrave

bien avanceacutee (paragraphe 32 ci-dessus)

Ainsi il ressort des eacuteleacutements ci-dessus que depuis la plainte dont le fisc

avait saisi la police agrave lrsquoautomne 2007 et jusqursquoagrave la deacutecision de majoration

drsquoimpocirct prise le 5 deacutecembre 2008 la proceacutedure peacutenale et la proceacutedure

fiscale ont eacuteteacute conduites en parallegravele et eacutetaient imbriqueacutees Cette situation

est similaire agrave celle du premier requeacuterant

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 53

151 Il est vrai que comme lrsquoa releveacute la cour drsquoappel la peacuteriode de neuf

mois seacuteparant la date agrave laquelle la deacutecision prise par le fisc le 5 deacutecembre

2008 eacutetait devenue deacutefinitive et la date de la condamnation du second

requeacuterant par le tribunal drsquoOslo (le 30 septembre 2009) ndash eacutetait un peu plus

longue que la peacuteriode de deux mois et demi eacutecouleacutee dans le procegraves du

premier requeacuterant Toutefois comme la cour drsquoappel lrsquoa eacutegalement indiqueacute

(paragraphe 39 ci-dessus) cela srsquoexpliquait par la reacutetractation du second

requeacuterant en feacutevrier 2009 en conseacutequence de laquelle il avait fallu

lrsquoinculper de nouveau le 29 mai 2009 et le juger dans le cadre drsquoun procegraves

contradictoire ordinaire (paragraphes 34 et 35 ci-dessus) Cette circonstance

reacutesultat drsquoun revirement du second requeacuterant ne saurait suffire en

elle-mecircme agrave rompre le lien temporel unissant la proceacutedure fiscale et la

proceacutedure peacutenale En particulier le laps de temps suppleacutementaire qui srsquoeacutetait

eacutecouleacute avant lrsquoaudience au peacutenal ne saurait passer pour disproportionneacute ou

deacuteraisonnable agrave en juger par sa cause Il demeure et crsquoest ce qui importe

que comme dans le cas du premier requeacuterant la juridiction de jugement a

fixeacute la peine lors du procegraves peacutenal en tenant effectivement compte de la

majoration drsquoimpocirct (paragraphe 35 ci-dessus)

152 Degraves lors srsquoagissant du second requeacuterant la Cour ne voit pas non

plus de raison de mettre en doute les motifs pour lesquels les autoriteacutes

norveacutegiennes ont choisi de reacuteprimer au moyen drsquoune proceacutedure mixte

(administrative et peacutenale) inteacutegreacutee le comportement reacutepreacutehensible en cause

La possibiliteacute drsquoun cumul de diffeacuterentes peines eacutetait forceacutement preacutevisible au

vu des circonstances (paragraphes 13 et 32 ci-dessus) La proceacutedure

administrative et la proceacutedure peacutenale ont eacuteteacute conduites dans une large

mesure en parallegravele et elles eacutetaient imbriqueacutees (paragraphe 39 ci-dessus) Lagrave

encore les faits eacutetablis dans le cadre de lrsquoune de ces proceacutedures ont eacuteteacute

repris dans lrsquoautre et pour ce qui est de la proportionnaliteacute de la peine

globale la sanction peacutenale a eacuteteacute fixeacutee en tenant compte de la sanction

administrative (paragraphes 33 et 35 ci-dessus)

153 Compte tenu des faits porteacutes agrave sa connaissance la Cour conclut que

rien nrsquoindique que le second requeacuterant ait subi un preacutejudice disproportionneacute

ou une injustice en conseacutequence de la reacuteponse juridique inteacutegreacutee deacutenonceacutee

par lui apporteacutee agrave son absence de deacuteclaration de certains revenus et au non-

paiement de certains de ses impocircts Aussi eu eacutegard aux consideacuterations

exposeacutees ci-dessus (et notamment celles reacutesumeacutees aux

paragraphes 132-134) la Cour conclut-elle qursquoil existait entre la deacutecision de

majoration drsquoimpocirct et la condamnation peacutenale ulteacuterieure un lien tant

mateacuteriel que temporel suffisamment eacutetroit pour consideacuterer que ces mesures

srsquoinscrivaient dans le meacutecanisme inteacutegreacute de sanctions preacutevu par le droit

norveacutegien dans le cas ougrave une omission drsquoinformations dans une deacuteclaration

fiscale conduit agrave une erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct

54 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

iii Conclusion geacuteneacuterale

154 Au vu de ce qui preacutecegravede aucun des deux requeacuterants ne peut passer

pour avoir eacuteteacute laquo poursuivi ou puni peacutenalement () en raison drsquoune

infraction pour laquelle il a[vait] deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute ou condamneacute par un

jugement deacutefinitif raquo au meacutepris de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 La Cour

conclut degraves lors agrave la non-violation de cette disposition en lrsquoespegravece et ce agrave

lrsquoeacutegard du premier requeacuterant comme du second

PAR CES MOTIFS LA COUR

1 Deacuteclare agrave lrsquounanimiteacute les requecirctes recevables

2 Dit par seize voix contre une qursquoil nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 4

du Protocole no 7 agrave la Convention dans le chef du premier et du second

requeacuterant

Fait en franccedilais et en anglais puis prononceacute en audience publique au

Palais des droits de lrsquohomme agrave Strasbourg le 15 novembre 2016

Lawrence Early Guido Raimondi

Jurisconsulte Preacutesident

Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la

Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute de lrsquoopinion seacutepareacutee du juge

Pinto de Albuquerque

GR

TLE

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 55

OPINION DISSIDENTE

DU JUGE PINTO DE ALBUQUERQUE

Table des matiegraveres

I ndash Introduction

Premiegravere partie

II - Fondements du principe ne bis in idem

A Bref rappel historique

a) Lrsquoeacutepoque romaine

b) Les Lumiegraveres

B Un principe de droit international coutumier

a) La consolidation universelle du principe

b) La consolidation europeacuteenne du principe

III - Les deacutefis contemporains du ne bis in idem

A Infractions administratives et politique peacutenale agrave deux vitesses

a) La tendance vers la politique de deacutepeacutenalisation

b) Lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk et la laquo peacutenalisation raquo des infractions mineures

B Les majorations drsquoimpocirct comme instrument de politique peacutenale

a) La nature peacutenale des majorations drsquoimpocirct

b) Lrsquoarrecirct Jussila et la ligne de deacutemarcation entre malum in se et

malum quia prohibitum

Seconde Partie

IV - Lrsquoheacuteritage pro persona de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine

A Le cumul des sanctions administratives et peacutenales

a) Lrsquoidem factum dans les proceacutedures administratives et peacutenales

b) La deacutecision deacutefinitive dans les proceacutedures administratives

B Les proceacutedures parallegraveles administratives et peacutenales (bis)

a) Un lien temporel suffisant

b) Un lien mateacuteriel suffisant

V - La reacutevision de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine

A La restriction de lrsquoidem factum par le critegravere du bis

a) La poursuite de buts diffeacuterents traitant drsquoaspects diffeacuterents de lrsquoacte

preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute

b) La preacutevisibiliteacute du cumul des diffeacuterentes sanctions

B La conception pro auctoritate du ne bis in idem de la majoriteacute

a) Absence de reacutepeacutetition de la collecte et de lrsquoappreacuteciation des preuves

b) Meacutecanisme de compensation entre les sanctions administratives et

peacutenales

VI ndash Conclusion

56 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

I ndash Introduction

1 Je ne peux souscrire ni au raisonnement ni aux conclusions de la

majoriteacute dans la preacutesente affaire Bien que cette affaire concerne

speacutecifiquement le cumul de majorations drsquoimpocirct appliqueacutees dans des

proceacutedures fiscales et de sanctions appliqueacutees en parallegraveles dans des

proceacutedures peacutenales la Grande Chambre a deacutelibeacutereacutement eacutetendu la porteacutee de

lrsquoespegravece au problegraveme juridique plus geacuteneacuteral des laquo proceacutedures peacutenales et

administratives mixtes raquo1 Le but eacutevident de la Grande Chambre est drsquoeacutetablir

un principe de droit europeacuteen des droits de lrsquohomme applicable agrave toutes les

affaires de cumul de proceacutedures peacutenale et administrative Le problegraveme est

que le raisonnement de la Grande Chambre est bacirccleacute La description

impreacutecise des conditions requises pour le cumul des sanctions

administrative et peacutenale et lrsquoapplication superficielle de ces conditions au

cadre juridique et agrave la pratique norveacutegiens laissent une impression

persistante de leacutegegravereteacute dans la motivation

2 Dans la premiegravere partie de cette opinion je traiterai des fondements

oublieacutes du principe ne bis in idem crsquoest-agrave-dire ses racines historiques en

tant que garantie individuelle et sa reconnaissance progressive comme

principe de droit international coutumier Par la suite je preacutesenterai les deacutefis

contemporains auxquels fait face ce principe dans le champ des infractions

administratives et particuliegraverement des infractions fiscales et la reacuteponse

heacutesitante de la part de la Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme (laquo la

Cour raquo) Dans la seconde partie de lrsquoopinion jrsquoeacutevaluerai lrsquoheacuteritage pro

persona de lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine2 et confronterai la posture pro

auctoritate de la majoriteacute dans la preacutesente affaire avec les solutions reacutecentes

de la Cour et de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne dans le champ des

infractions fiscales3 des infractions boursiegraveres4 et des infractions

douaniegraveres5 Enfin je deacutemontrerai les lacunes de la solution de la majoriteacute

en me fondant sur une discussion en profondeur des buts et des eacuteleacutements des

infractions peacutenales et administratives en jeu des diffeacuterentes regravegles de

preuve applicables en droit administratif et en droit peacutenal norveacutegien et des

traits speacutecifiques du meacutecanisme de compensation que fourniraient le droit

interne substantiel et la jurisprudence Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede je

conclurai qursquoil y a eu une violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

1 Voir le paragraphe 132 crucial de lrsquoarrecirct

2 Sergueiuml Zolotoukhine c Russie [GC] ndeg 1493903 sectsect 82 et 84 CEDH 2009

3 Hans Aringkeberg Fransson (C-617frasl10 arrecirct de la Grande Chambre de la CJUE 26 feacutevrier

2013 et Lucky Dev c Suegravede ndeg 735610 sect 58 27 novembre 2014

4 Grande Stevens et autres c Italie nos 1864010 1864710 1866310 1866810 et

1869810 4 mars 2014

5 Kapetanios et autres c Gregravece nos 345312 4294112 et 902813 sect72 30 avril 2015 et

Sismanidis et Sitaridis c Gregravece nos 6660209 et 7187912 9 juin 2016

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 57

Premiegravere partie

II - Fondements du principe ne bis in idem

A Bref rappel historique

a) Lrsquoeacutepoque romaine

3 La maxime ne bis in idem eacutetait respecteacutee durant la Reacutepublique

romaine et le Principat bien que fussent preacutevues certaines exceptions tireacutees

de nouvelles proceacutedures pour les mecircmes crimes contre des accuseacutes deacutejagrave

acquitteacutes6 Initialement durant la peacuteriode des legis actiones la maxime

signifiait que bis de eadem res ne sic actio agrave savoir que le deacuteclenchement

drsquoune certaine action avait pour conseacutequence lrsquoextinction du droit respectif

qui entravait le deacuteclenchement de nouvelles actiones mecircme lorsqursquoaucune

deacutecision sur le fond nrsquoavait eacuteteacute rendue Pour limiter lrsquoimpact de cette

maxime lrsquoexceptio rei judiciatae fut introduite qui eacutetait deacutependante drsquoune

deacutecision preacutealable sur le fond Lrsquoexceptio faisait obstacle au bis in eadem

sans consideacuteration pour le fait que le jugement preacutealable ait abouti agrave un

acquittement ou une condamnation Dans les deux cas lrsquoautoritas rerum

judicatarum emportait extinction de lrsquoaction peacutenale La porteacutee de cette

maxime eacutetait limiteacutee par lrsquoobjet de lrsquoaction peacutenale preacutealable tantum

consumptum quantum judiciatum tantum judiciatum quantum litigatum

Lrsquoeadem quaestio eacutetait deacutefinie par le mecircme fait idem factum7

4 Dans le droit justinien la preacutesomption de veacuteriteacute des deacutecisions des

juridictions devint la nouvelle logique de la maxime Ulpien fut le premier agrave

formuler la maxime res iudicata pro veritate accipitur (D 50 17 207)

Avec lrsquoeacutemergence de la proceacutedure inquisitoire et du raisonnement juridique

syllogistique la logique de la codification impeacuteriale ndash lrsquoautoriteacute de la

juridiction et lrsquoinfaillibiliteacute de ses conclusions ndash eut un impact neacutegatif sur la

dimension individuelle de la maxime Dans la logique de la nouvelle

proceacutedure inquisitoire la reacuteouverture autrefois exceptionnelle drsquoune

proceacutedure peacutenale pour les mecircmes faits en droit romain devint un simple

exemple de la maxime absolutio pro nunc rebus sic stantibus qui en fait

reconnaissait la nature transitoire du jugement peacutenal dans la poursuite de la

6 Sur le deacutebat historique voir Laurens De lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee consideacutereacutee comme

mode drsquoextinction de lrsquoaction publique Paris 1885 Mommsen Roumlmisches Strafrecht

Aaalen 1899 Arturo Rocco Trattato della Cosa Giudicata Come Causa di Estinzione

dellrsquoAzione Penale Rome 1900 Danan La regravegle non bis in idem en droit peacutenal franccedilais

Rennes 1971 Spinellis Die materielle Rechtskraft des Strafurteils Munich 1962

Mansdoumlrfer Das Prinzip des ne bis in idem im europaumlischen Strafrecht Berlin 2004 et

Lelieur-Fischer La regravegle ne bis in idem Du principe de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee au

principe drsquouniciteacute drsquoaction reacutepressive Eacutetude agrave la lumiegravere des droits franccedilais allemand et

europeacuteen Paris 2005

7 Laurens preacuteciteacute p 50-51 Arturo Rocco preacuteciteacute p 76 et Mommsen preacuteciteacute p 450

58 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

veacuteriteacute Par exemple en France drsquoapregraves la regravegle du laquo plus amplement

informeacute raquo en lrsquoabsence de preuve empiriques de lrsquoinnocence de lrsquoaccuseacute

lrsquoacquittement avait une nature transitoire et pouvait ecirctre renverseacute agrave tout

moment par une nouvelle preuve incriminante La mecircme chose est apparue

en Italie ougrave lrsquoaccuseacute eacutetait acquitteacute de lrsquoobservation du tribunal (At in casu

quo reus absoluendus est ab observatione iudici) sous la reacuteserve laquo tant que

les choses restent telles qursquoelles sont raquo (stantibus rebus prout stant) la

proceacutedure pouvant ecirctre rouverte degraves lors que de nouvelles preuves

apparaissaient (supervenient nova indicia)

b) Les Lumiegraveres

5 Les Lumiegraveres renouvelegraverent la dimension individuelle du ne bis in

eadem qui fut incluse agrave lrsquoarticle 8 du chapitre V du titre II de la

Constitution franccedilaise de 1791 (laquo tout homme acquitteacute par un jury leacutegal ne

peut plus ecirctre repris ni accuseacute agrave raison du mecircme fait raquo) et aux articles 246 et

360 du Code drsquoinstruction criminelle de 1808 La conseacutequence pratique de

ces dispositions fut la suppression de la tristement ceacutelegravebre regravegle du laquo plus

amplement informeacute raquo De lrsquoautre cocircteacute de lrsquooceacutean Atlantique la mecircme anneacutee

le Cinquiegraveme Amendement agrave la Constitution des Eacutetats-Unis introduisit une

prohibition de la double incrimination dans la proceacutedure peacutenale (laquo nor shall

any person be subject for the same offense to be twice put in jeopardy of life

or limb raquo) qui comprend lrsquointerdiction des poursuites subseacutequentes agrave un

acquittement ou agrave une condamnation et des peines multiples pour la mecircme

infraction8 Lrsquoamendement visait agrave empecirccher un criminel aussi bien drsquoecirctre

puni deux fois pour la mecircme infraction que drsquoecirctre deux fois traduit en

justice pour celle-ci Lorsque la condamnation eacutetait invalideacutee pour une

erreur la peine deacutejagrave effectueacutee devait ecirctre entiegraverement laquo creacutediteacutee raquo agrave la peine

relative agrave une nouvelle condamnation pour la mecircme infraction9

B Un principe de droit international coutumier

a) La consolidation universelle du principe

6 Ainsi que le montre la pratique bien eacutetablie et quasi-universelle des

Eacutetats le fait que la preacuterogative eacutetatique de poursuivre juger et punir lrsquoauteur

drsquoun fait deacutelictueux srsquoeacuteteint (Strafklageverbrauch) lorsque celui-ci a eacuteteacute

acquitteacute ou reconnu coupable de lrsquoinfraction par une deacutecision deacutefinitive

adopteacutee dans une proceacutedure peacutenale (le principe de lrsquoeacutepuisement de la

proceacutedure ou Erledigungsprinzip) est un principe de droit international

coutumier10 Le principe est indeacutependant de toute condition relative agrave

8 North Carolina c Pearce 395 US 711 p 717 (1969)

9 Ibidem p 718

10 Pour la pratique constitutionnelle voir Bassiouni Human Rights in the Context of

Criminal Justice Identifying International Procedural Protection and Equivalent

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 59

lrsquoimposition de la peine ou agrave son exeacutecution Lorsque ce principe ne

srsquoapplique pas comme dans le cas de lrsquointerdiction du double chacirctiment

sans interdiction de nouvelles poursuites ou de nouveau jugement toute

sanction anteacuterieure doit ecirctre prise en consideacuteration dans lrsquoimposition de la

peine subseacutequente pour le mecircme fait (principe de deacuteduction ou

Anrechnungprinzip)

7 Le principe de lrsquoeacutepuisement de la proceacutedure (Erledigungsprinzip) est

affirmeacute par lrsquoarticle 14 (7) du Pacte international relatif aux droits civils et

politiques de 1966 (laquo poursuivi ou puni raquo) (laquo le PIDCP raquo)11 lrsquoarticle 8 (4)

de la Convention ameacutericaine relative aux droits de lrsquohomme de 1969 (laquo agrave

nouveau poursuivi raquo) lrsquoarticle 75 (4) h) du Protocole additionnel de 1977

aux Conventions de Genegraveve du 12 aoucirct 1949 relatif agrave la protection des

victimes des conflits armeacutes internationaux (laquo poursuivie ou punie raquo)

lrsquoarticle 10 (1) du Statut du Tribunal peacutenal international pour

lrsquoex-Yougoslavie de 1993 (laquo traduit raquo)12 lrsquoarticle 9 (1) du Statut du Tribunal

peacutenal international pour le Rwanda de 1994 (laquo traduit raquo)13 lrsquoarticle 20 (2)

du Statut de la Cour peacutenale internationale de 1998 (laquo condamneacute ou

acquitteacute raquo) et lrsquoarticle 9 (1) du Statut du Tribunal speacutecial pour la Sierra

Leone (laquo traduit raquo) de 200214 et lrsquoarticle 19 (1) de la Chartre Arabe des

droits de lrsquohomme de 2004 Lrsquoarticle 86 de la Troisiegraveme Convention de

Genegraveve de 1949 (laquo puni raquo) et lrsquoarticle 117 (3) de la Quatriegraveme Convention

de Genegraveve de 1949 (laquo puni raquo) ne vont pas aussi loin puisqursquoils nrsquointerdisent

qursquoune nouvelle peine mais ils ne font aucune reacutefeacuterence au principe de

deacuteduction

b) La consolidation europeacuteenne du principe

8 Au sein du Conseil de lrsquoEurope le principe ne bis in idem est

initialement apparu comme motif drsquoexclusion obligatoire ou optionnelle de

la coopeacuteration en matiegravere peacutenale entre Eacutetats Constituent des exemples de

Protections in National Constitutions 1993 3 Duke Journal of Comparative amp

International Law p 247

11 Voir lrsquoObservation Geacuteneacuterale du Comiteacute des droits de lrsquohomme ndeg32 article 14 Droit agrave

lrsquoeacutegaliteacute devant les tribunaux et les cours de justice et agrave un procegraves eacutequitable 23 aoucirct 2007

CCPRCGC32 sectsect 54-57

12 laquo Pour deacutecider de la peine agrave infliger agrave une personne condamneacutee pour un crime viseacute par

le preacutesent statut le Tribunal international tient compte de la mesure dans laquelle cette

personne a deacutejagrave purgeacute toute peine qui pourrait lui avoir eacuteteacute infligeacutee par une juridiction

nationale pour le mecircme fait raquo

13 laquo Pour deacutecider de la peine agrave infliger agrave une personne condamneacutee pour un crime viseacute par

le preacutesent statut le Tribunal international pour le Rwanda tient compte de la mesure dans

laquelle cette personne a deacutejagrave purgeacute toute peine qui pourrait lui avoir eacuteteacute infligeacutee par une

juridiction nationale pour le mecircme fait raquo

14 laquo Pour deacutecider de la peine agrave infliger agrave une personne condamneacutee pour un crime viseacute par

le preacutesent Statut le Tribunal speacutecial tient compte de la mesure dans laquelle cette personne

a deacutejagrave purgeacute une peine qui pourrait lui avoir eacuteteacute infligeacutee par une juridiction nationale pour

le mecircme fait raquo

60 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

cette approche limiteacutee lrsquoarticle 9 de la Convention europeacuteenne drsquoextradition

de 195715 lrsquoarticle 9 de la Convention europeacuteenne pour la reacutepression des

infractions routiegraveres de 196216 lrsquoarticle 2 du Protocole additionnel agrave la

Convention europeacuteenne drsquoextradition de 197517 lrsquoarticle 8 de la Convention

sur le transfegraverement des personnes condamneacutees de 198318 lrsquoarticle 2 (4) de

lrsquoAccord relatif au trafic illicite par mer de 1995 mettant en œuvre lrsquoarticle

17 de la Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupeacutefiants

et de substances psychotropes19 et lrsquoarticle 28 (1) f) de la Convention du

Conseil de lrsquoEurope relative au blanchiment au deacutepistage agrave la saisie et agrave la

confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme de

200520

9 Plus reacutecemment le principe de lrsquoeacutepuisement de la proceacutedure

(Erledigungsprinzip) a eacuteteacute affirmeacute par lrsquoarticle 53 de la Convention

europeacuteenne sur la valeur internationale des jugements reacutepressifs de 1970

(laquo ne peut pour le mecircme fait ecirctre poursuivie condamneacutee ou soumise agrave

lrsquoexeacutecution drsquoune sanction raquo)21 lrsquoarticle 35 de la Convention europeacuteenne sur

la transmission des proceacutedures reacutepressives de 1972 (laquo ne peut pour le mecircme

fait ecirctre poursuivie condamneacutee ou soumise agrave lrsquoexeacutecution drsquoune sanction raquo)

22 et lrsquoarticle 17 de la Convention europeacuteenne sur les infractions visant des

biens culturels de 1985 (laquo ne peut pour le mecircme fait ecirctre poursuivie

condamneacutee ou soumise agrave lrsquoexeacutecution drsquoune sanction raquo) 23 Dans ces cas de

figure lorsque le ne bis in idem ne srsquoapplique pas le principe de deacuteduction

doit ecirctre proteacutegeacute en tant que garantie de dernier ressort Lrsquoarticle 25 de la

Convention du Conseil de lrsquoEurope de 2005 sur la lutte contre la traite des

ecirctres humains eacutetablit seulement le principe de deacuteduction24

10 La Recommandation 791 (1976) de lrsquoAssembleacutee Parlementaire du

Conseil de lrsquoEurope sur la protection des droits de lrsquohomme en Europe

exhortait le Comiteacute des Ministres agrave laquo srsquoefforcer drsquoinseacuterer le plus grand

nombre possible de dispositions positives du Pacte des Nations Unies dans

la Convention europeacuteenne des Droits de lrsquoHomme raquo Lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 a ainsi eacuteteacute approuveacute en 198425 sous lrsquoinfluence directe de

15 STE ndeg 24

16 STE ndeg 52

17 STE ndeg 86

18 STE ndeg 112

19 STE ndeg 156

20 STCE ndeg 198

21 STE ndeg 70 Lorsque ce principe ne srsquoapplique pas lrsquoarticle 54 preacutevoit lrsquoapplication du

principe de deacuteduction pour les peines de prison

22 STE ndeg 73 Lorsque ce principe ne srsquoapplique pas lrsquoarticle 36 preacutevoit lrsquoapplication du

principe de deacuteduction pour les peines de prison

23 STE ndeg 119 Lorsque ce principe ne srsquoapplique pas lrsquoarticle 18 preacutevoit lrsquoapplication du

principe de deacuteduction pour les peines de prison

24 STCE ndeg 197

25 STE ndeg 117 Il est entreacute en vigueur le 1er novembre 1988

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 61

lrsquoarticle 17 (7) du PIDCP La nouveauteacute majeure eacutetait la nature non

susceptible de deacuterogation du principe europeacuteen

11 Au sein de lrsquoUnion europeacuteenne le principe de lrsquoeacutepuisement de la

proceacutedure (Erledigungsprinzip) est affirmeacute agrave lrsquoarticle 1 de la Convention

entre les Eacutetats membres des communauteacutes europeacuteennes relative agrave

lrsquoapplication du principe ne bis in idem de 1987 (laquo ne peut pour les mecircmes

faits ecirctre poursuivie raquo)26 lrsquoarticle 54 de la Convention drsquoapplication de

lrsquoAccord de Schengen (laquo la CAAS raquo) de 1990 (laquo ne peut pour les mecircmes

faits ecirctre poursuivie raquo)27 lrsquoarticle 7 de la Convention relative agrave la protection

des inteacuterecircts financiers des Communauteacutes europeacuteennes de 1995 (laquo ne peut

ecirctre poursuivie raquo)28 lrsquoarticle 10 de la Convention contre la corruption

impliquant des fonctionnaires communautaires ou nationaux de 1997 (laquo ne

peut ecirctre poursuivie raquo) 29 lrsquoarticle 2(1) du regraveglement de la Banque centrale

europeacuteenne no 21571999 concernant les pouvoirs de la Banque centrale

europeacuteenne en matiegravere de sanctions (laquo Il nrsquoy a lieu drsquoengager qursquoune seule

proceacutedure drsquoinfraction contre une mecircme entreprise sur la base des mecircmes

faits raquo) lrsquoarticle 50 de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion

europeacuteenne (laquo la Charte raquo) de 2000 (laquo poursuivi ou puni raquo) et lrsquoinitiative de

la Reacutepublique helleacutenique concernant lrsquoadoption par le Conseil drsquoun projet de

deacutecision-cadre relative agrave lrsquoapplication du principe non bis in idem de 2003

(laquo nul ne peut ecirctre poursuivi ou jugeacute deux fois pour les mecircmes actes raquo)30

12 La Charte a changeacute radicalement les obligations juridiques des Eacutetats

membres de lrsquoUnion europeacuteenne auxquels elle srsquoapplique Puisque le droit

de ne pas ecirctre poursuivi ou puni peacutenalement deux fois pour une mecircme

infraction est eacutetabli agrave lrsquoarticle 54 de la CAAS et agrave lrsquoarticle 50 de la Charte

lrsquoarticle 54 doit ecirctre interpreacuteteacute agrave la lumiegravere de lrsquoarticle 5031 Agrave la lumiegravere de

26 Lrsquoarticle 3 eacutetablit un principe de deacuteduction pour les peines de prison ainsi que pour les

peines non privatives de liberteacute

27 Lorsque ce principe ne srsquoapplique pas lrsquoarticle 56 preacutevoit lrsquoapplication du principe de

deacuteduction pour les peines de prison ainsi que pour les peines non privatives de liberteacute Les

articles 54 et 57 de la Convention drsquoapplication de lrsquoAccord de Schengen ont repris la

Convention entre les Eacutetats membres des communauteacutes europeacuteennes relative agrave lrsquoapplication

du principe ne bis in idem Le Traiteacute drsquoAmsterdam a incorporeacute le ne bis in idem dans le

troisiegraveme pilier Agrave partir de ce moment le principe est devenu lrsquoun des objectifs de lrsquoespace

commun de liberteacute seacutecuriteacute et justice Voir eacutegalement le Programme de mesures destineacute agrave

mettre en œuvre le principe de reconnaissance mutuelle des deacutecisions peacutenales

(2001C 12frasl02) et le Livre vert de la Commission sur les conflits de compeacutetences et le

principe ne bis in idem dans le cadre des proceacutedures peacutenales (COM(2005) 696 final)

28 Acte du Conseil du 26 juillet 1995

29 Acte du Conseil du 26 mai 1997 Lrsquoarticle 10 preacutevoit lrsquoapplication du principe de

deacuteduction pour les peines de prison ainsi que pour les peines non privatives de liberteacute

30 Lrsquoarticle 3 contient des regravegles de lis pendens Lrsquoarticle 5 preacutevoit lrsquoapplication du

principe de deacuteduction incluant toutes les sanctions autres que la privation de liberteacute qui

pourraient ecirctre imposeacutees et les sanctions imposeacutees dans le cadre des proceacutedures

administratives

31 Voir paragraphe 35 de lrsquoarrecirct du 5 juin 2014 dans lrsquoaffaire M (C‑398frasl12)

62 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

lrsquoarticle 52 (3) de la Charte dans la mise en œuvre des droits et liberteacutes

issus de la Charte qui correspondent aux droits et liberteacutes garantis par la

Convention europeacuteenne des droits de lrsquoHomme (laquo la Convention raquo) et ses

Protocoles les Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne sont tenus par le sens

et la porteacutee de ces droits et liberteacutes eacutetablis par ladite Convention et ses

Protocoles tels qursquointerpreacuteteacutes par la Cour32 quand bien mecircme ils nrsquoauraient

pas ratifieacute ces protocoles Crsquoest eacutegalement le cas pour lrsquoarticle 50 de la

Charte et en conseacutequence lrsquoarticle 54 de la CAAS qui eacutevidemment doit ecirctre

interpreacuteteacute agrave la lumiegravere de la jurisprudence de la Cour relative agrave lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 mecircme agrave lrsquoeacutegard des Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne

qui ne lrsquoauraient pas ratifieacute

13 En outre le principe ne bis in idem a eacuteteacute instaureacute comme un motif

drsquoexclusion de la coopeacuteration en matiegravere peacutenale dans plusieurs instruments

tels que lrsquoarticle 3(2) de la Deacutecision-cadre relative au mandat drsquoarrecirct

europeacuteen de 200233 lrsquoarticle 7 (1) c) de la Deacutecision-cadre relative agrave

lrsquoexeacutecution dans lrsquoUnion europeacuteenne des deacutecisions de gel de biens ou

drsquoeacuteleacutements de preuve de 200334 lrsquoarticle 8 (2) b) de la Deacutecision-cadre

relative agrave lrsquoapplication du principe de reconnaissance mutuelle aux

deacutecisions de confiscation de 200635 lrsquoarticle 11 (1) c) de la Deacutecision-cadre

concernant lrsquoapplication du principe de reconnaissance mutuelle aux

jugements et aux deacutecisions de probation aux fins de la surveillance des

mesures de probation et des peines de substitution de 200836

lrsquoarticle 13 (1) a) de la Deacutecision-cadre relative au mandat europeacuteen

drsquoobtention de preuves visant agrave recueillir des objets des documents et des

donneacutees en vue de leur utilisation dans le cadre de proceacutedures peacutenales de

200837 lrsquoarticle 15 (1) c) de la Deacutecision-cadre concernant lrsquoapplication

entre les Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne du principe de

reconnaissance mutuelle aux deacutecisions relatives agrave des mesures de controcircle

en tant qursquoalternative agrave la deacutetention provisoire de 200938 et lrsquoarticle 1 (2) a)

de la Deacutecision-cadre relative agrave la preacutevention et au regraveglement des conflits en

matiegravere drsquoexercice de la compeacutetence dans le cadre des proceacutedures peacutenales

de 200939

32 Voir Note du Praesidium de la Convention Explications relatives agrave la Charte des

droits fondamentaux (Bruxelles 11 octobre 2000) laquo La reacutefeacuterence agrave la CEDH vise agrave la fois

la Convention et ses Protocoles Le sens et la porteacutee des droits garantis sont deacutetermineacutes non

seulement par le texte de ces instruments mais aussi par la jurisprudence de la Cour

europeacuteenne des droits de lrsquohomme et par la Cour de justice des Communauteacutes

europeacuteennes raquo

33 Deacutecision-cadre du Conseil 2002584JAI du 13 juin 2002

34 Deacutecision-cadre du Conseil 2003577JAI du 22 juillet 2003

35 Deacutecision-cadre du Conseil 2006783JAI du 6 octobre 2006

36 Deacutecision-cadre du Conseil 2008947JAI du 27 novembre 2008

37 Deacutecision-cadre du Conseil 2008978JAI du 18 deacutecembre 2008

38 Deacutecision-cadre du Conseil 2009829JAI du 23 octobre 2009

39 Deacutecision-cadre du Conseil 2009948JAI du 30 novembre 2009

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 63

Enfin lrsquoarticle 6 du Regraveglement no 298895 relatif agrave la protection des

inteacuterecircts financiers des Communauteacutes europeacuteennes eacutetablit le principe selon

lequel le peacutenal tient lrsquoadministratif coupleacute au principe de deacuteduction

14 Dans lrsquoaregravene judiciaire la Cour de Justice de lrsquoUnion europeacuteenne

(laquo la CJUE raquo) a dit dans lrsquoaffaire Walt Wilhelm et autres

c Bundeskartellamt que des sanctions concurrentes pouvaient ecirctre

imposeacutees dans deux proceacutedures parallegraveles poursuivant des objectifs

diffeacuterents En droit de la concurrence la possibiliteacute qursquoun ensemble de faits

soit soumise agrave deux proceacutedures parallegraveles lrsquoune communautaire et lrsquoautre

nationale deacuterive du systegraveme speacutecifique de reacutepartition des compeacutetences entre

les Communauteacutes et les Eacutetats membres agrave lrsquoeacutegard des ententes Si cependant

la possibiliteacute que deux proceacutedures se deacuteroulent seacutepareacutement devait conduire agrave

lrsquoimposition de sanctions conseacutecutives une exigence geacuteneacuterale de justice

naturelle demanderait que toute deacutecision punitive anteacuterieure soit prise en

compte dans la deacutetermination de toute sanction imposeacutee40

Par la suite la CJUE a deacuteveloppeacute plus avant sa jurisprudence dans le

cadre du troisiegraveme pilier sur le bis (Goumlzuumltok et Bruumlgge41 Miraglia42

Van Straaten43 Turanskyacute44 M45 Kussowski46) sur lrsquoidem (Van Esbroeck47

Van Straaten48 Gasparini49 Kretzinger50 Kraaijenbrink51 et Gasparini52)

et sur la clause drsquoexeacutecution (Klaus Bourquain53 Kretzinger54 et Spasic55)

Dans le domaine du droit fiscal lrsquoarrecirct fondamental est celui rendu dans

lrsquoaffaire Hans Aringkeberg Fransson qui est parvenu agrave la conclusion suivante

laquo Ce nrsquoest que lorsque la sanction fiscale revecirct un caractegravere peacutenal au sens

de lrsquoarticle 50 de la Charte et est devenue deacutefinitive que ladite disposition

srsquooppose agrave ce que des poursuites peacutenales pour les mecircmes faits soient

diligenteacutees contre une mecircme personne raquo56 En refusant la thegravese de lrsquoAvocat

Geacuteneacuteral baseacutee sur le principe de deacuteduction57 la Cour de Luxembourg a

40 Affaire 14frasl68 13 feacutevrier 1969 sect 11

41 Affaire C-187frasl01 et Affaire C-38501 11 feacutevrier 2003

42 Affaire C-469frasl03 10 mars 2005

43 Affaire C-150frasl05 28 septembre 2006

44 Affaire C-491frasl07 22 deacutecembre 2008

45 Affaire C‑398frasl12 5 juin 2014

46 Affaire C-486frasl14 29 juin 2016

47 Affaire C-436frasl04 9 mars 2006

48 Affaire preacuteciteacutee

49 Affaire C-467frasl04 28 septembre 2006

50 Affaire C-288frasl05 18 juillet 2007

51 Affaire C-367frasl05 18 juillet 2007

52 Affaire preacuteciteacutee

53 Affaire C-297frasl07 11 deacutecembre 2008

54 Affaire C-288frasl05 18 juillet 2007

55 Affaire C-129frasl14 PPU 27 mai 2014

56 Hans Aringkeberg Fransson preacuteciteacute sectsect 34 et 37

57 Aux paragraphes 86 et 87 de ses conclusions lrsquoAvocat Geacuteneacuteral plaidait pour une

laquo interpreacutetation partiellement autonome raquo de lrsquoarticle 50 arguant qursquoil existait une tradition

64 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

deacutecideacute dans un remarquable mouvement de convergence avec la Cour de

Strasbourg que la combinaison de sanctions fiscales de nature peacutenale

conformeacutement aux critegraveres Engel et de sanctions peacutenales constituerait une

violation de lrsquoarticle 50 de la Charte58

15 En reacutesumeacute la reacutecurrence de la preacutesence du principe ne bis in idem agrave

la fois en droit international et interne et dans la jurisprudence teacutemoigne de

la reconnaissance drsquoun principe de droit international coutumier59 Le

principe de lrsquoeacutepuisement de la proceacutedure (Erledigungsprinzip) est largement

preacutedominant en droit international au niveau universel comme europeacuteen

mais le principe de deacuteduction trouve eacutegalement une reconnaissance dans

une conception eacutetroite au sein du Conseil de lrsquoEurope (deacuteduction des peines

de prison) et dans une conception plus large au sein de lrsquoUnion europeacuteenne

(deacuteduction des peines de prison et prise en compte des sanctions non

privatives de liberteacute)

III - Les deacutefis contemporains du ne bis in idem

A Infractions administratives et politique peacutenale agrave deux vitesses

a) La tendance vers la politique de deacutepeacutenalisation

16 La deacutepeacutenalisation est une tendance plus que bienvenue du droit peacutenal

en Europe depuis les anneacutees 196060 Les infractions administratives sont un

instrument rationnel de deacutesencombrement en politique peacutenale Cette

tendance se caracteacuterise freacutequemment par le transfert drsquoinfractions peacutenales

moins preacutejudiciables agrave la socieacuteteacute telles que les infractions routiegraveres dans le

champ du droit administratif dans lequel les garanties substantielles et

proceacutedurales ne sont pas les mecircmes que dans le droit peacutenal et la proceacutedure

constitutionnelle commune aux Eacutetats membres opposeacutee agrave la lecture actuelle de lrsquoarticle 4

du Protocole ndeg 7 par la Cour de Strasbourg qui laquo se heurte agrave la forte preacutesence et agrave

lrsquoenracinement des systegravemes de double sanction administrative et peacutenale des Eacutetats

membres raquo

58 Crsquoest exactement la lecture de lrsquoarrecirct Fransson faite par la Cour dans les arrecircts preacuteciteacutes

Grande Stevens et autres sect 229 Kapetanios et autres sect 73 et Sismanidis et Sitaridis sect 73

59 Voir parmi de multiples sources drsquoopinio iuris agrave cet eacutegard les conclusions de

lrsquoAssociation internationale de droit peacutenal (laquo lrsquoAIDP raquo) XIVe Congregraves international de droit

peacutenal octobre 1989 (laquo Dans le cas ougrave un acte relegraveve des deux qualifications peacutenale et

administrative le deacutelinquant ne devrait pas ecirctre puni deux fois En cas de poursuites

successives il devrait ecirctre pleinement tenu compte de toute sanction deacutejagrave prononceacutee pour le

mecircme acte raquo et XVIIe Congregraves international de droit peacutenal septembre 2004 (laquo Le cumul

des proceacutedures et des sanctions de nature peacutenale doit ecirctre eacuteviteacute dans tous les cas raquo)

Principe 9 des Principes de Princeton sur la compeacutetence universelle de 2001 et Anke

Biehler et autres (dir de publ) Freiburg Proposal on Concurrent Jurisdictions and the

Prohibition of Multiple Prosecutions in the European Union 2003

60 AIDP XIVe Congregraves international preacuteciteacute laquo Cette deacutepeacutenalisation est souhaitable dans

la mesure ougrave elle est en harmonie avec le principe de subsidiariteacute de la loi peacutenale raquo

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 65

peacutenale classiques Les infractions administratives sont freacutequemment

formuleacutees en des termes larges et ouverts et les amendes administratives

(Geldbusse) en sont la forme privileacutegieacutee de sanction Lrsquoemprisonnement

nrsquoest pas une alternative agrave lrsquoamende (Ersatzfreiheitsstrafe) comme crsquoest le

cas en droit peacutenal et aucune contrainte par corps (Erzwingungshaft) ne peut

ecirctre ordonneacutee agrave moins que la personne concerneacutee nrsquoait manqueacute agrave son

obligation de paiement des sommes dues sans avoir fait eacutetablir son

incapaciteacute agrave srsquoen acquitter Les sanctions administratives ne sont pas

enregistreacutees au casier judiciaire national mais seulement dans certaines

circonstances dans certains dossiers administratifs sectoriels tel que le

registre des infractions routiegraveres Normalement les infractions

administratives font lrsquoobjet drsquoune proceacutedure simplifieacutee et drsquoune sanction

prononceacutee par des autoriteacutes administratives sauf si elles donnent

ulteacuterieurement lieu agrave un recours en justice Dans de nombreux cas la

poursuite des infractions administratives relegraveve du pouvoir discreacutetionnaire

des autoriteacutes administratives compeacutetentes Les regravegles geacuteneacuterales de la

proceacutedure peacutenale ne sont en principe applicables que par analogie De plus

courts deacutelais de prescriptions srsquoappliquent aux infractions administratives

par rapports aux infractions peacutenales

17 Le brouillage de la ligne de deacutemarcation entre droit peacutenal et droit

administrative a ses propres risques Des comportements gravement

preacutejudiciables agrave la socieacuteteacute sont eux aussi devenus lrsquoobjet du droit

administratif particuliegraverement lorsqursquoils impliquent le traitement massif de

donneacutees agrave lrsquoinstar du droit fiscal ou un niveau drsquoexpertise hautement

qualifieacutee comme en droit de la concurrence61 et en droit boursier ou des

valeurs mobiliegraveres62

b) Lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk et la laquo peacutenalisation raquo des infractions mineures

18 Depuis longtemps la jurisprudence de la Cour indique que les

infractions administratives entrent dans le champ de son controcircle sous

lrsquoeacutegide des garanties de lrsquoarticle 6 Sur la base des critegraveres Engel63 la Cour a

reacuteaffirmeacute maintes et maintes fois qursquoune conduite passible de sanctions

administratives devait beacuteneacuteficier des garanties proceacutedurales de lrsquoarticle 6

indiffeacuteremment de la nature personnelle ou collective de lrsquointeacuterecirct juridique

proteacutegeacute par la norme violeacutee64 du relatif manque de graviteacute de la peine65 et

61 A Menarini Diagnostics SRL c Italie ndeg 4350908 27 septembre 2011

62 Grande Stevens et autres preacuteciteacute

63 Engel et autres c Pays-Bas 8 juin 1976 seacuterie A ndeg 22

64 Oumlztuumlrk c Allemagne 21 feacutevrier 1984 sect 53 seacuterie A ndeg 73 laquo Il importe peu de savoir si

la disposition leacutegale meacuteconnue par M Oumlztuumlrk vise agrave proteacuteger les droits et inteacuterecircts drsquoautrui

ou seulement agrave satisfaire aux exigences de la circulation raquo

65 Ibidem sect 54 laquo La faiblesse relative de lrsquoenjeu (hellip) ne saurait retirer agrave une infraction

son caractegravere peacutenal intrinsegraveque raquo Voir aussi Lutz c Allemagne 25 aoucirct 1987 sect 55 seacuterie A

ndeg 123 et Jussila c Finlande [GC] ndeg 7305301 sect 31 CEDH 2006-XIII

66 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

du fait que la peine nrsquoait que peu de chance de leacuteser la reacuteputation du

coupable66 Sinon une telle privation de garanties proceacutedurales contredirait

le but de lrsquoarticle 667

19 Dans lrsquoaffaire Oumlztuumlrk68 la Cour a invoqueacute trois arguments cruciaux

pour se placer agrave contre-courant de la deacutepeacutenalisation et faire droit agrave la thegravese

selon laquelle lrsquoinfraction administrative en cause une infraction routiegravere

eacutetait de nature laquo peacutenale raquo aux fins de lrsquoarticle 6 le sens ordinaire des

termes la punition de la conduite incrimineacutee par le droit peacutenal dans laquo une

large majoriteacute des Eacutetats contractants raquo et la porteacutee geacuteneacuterale de la norme

violeacutee une norme de circulation routiegravere69 Agrave y regarder de plus pregraves aucun

de ces arguments nrsquoest convaincant Il est difficile drsquoeacutetablir une ligne de

deacutemarcation entre les infractions administratives et peacutenales sur la base du

laquo sens ordinaire des termes raquo quoique la Cour veuille dire par cela En

outre srsquoil est vrai que le consensus europeacuteen est certainement un argument

deacutecisif pour la peacutenalisation drsquoun acte gravement preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute il

est difficilement concevable que la Cour puisse argumenter sur la base du

consensus europeacuteen contre la deacutepeacutenalisation des infractions mineures qui

beacuteneacuteficie non seulement agrave lrsquoindividu qui ne pourrait plus rendre de comptes

en termes peacutenaux pour sa conduite et qui pourrait mecircme eacuteviter les

proceacutedures judiciaires mais eacutegalement le fonctionnement effectif de la

justice deacutesormais soulageacutee du traitement de la grande majoriteacute de ces

infractions Par-dessus tout la Cour se meacuteprend dans lrsquoassimilation des

infractions peacutenales aux normes de porteacutee personnelle geacuteneacuterale De maniegravere

assez surprenante elle semble ignorer la tradition europeacuteenne ancienne des

infractions peacutenales agrave porteacutee personnelle limiteacutee crsquoest-agrave-dire des normes

applicables agrave certaines cateacutegories de citoyens deacutefinissables par des traits

personnels ou professionnels (Sonderdelikte ou Pflichtendelikte)70 Ainsi

66 Oumlztuumlrk preacuteciteacute sect 53 laquo Sans doute srsquoagissait-il drsquoune infraction leacutegegravere ne risquant

guegravere de nuire agrave la reacuteputation de son auteur mais elle ne sortait pas pour autant du champ

drsquoapplication de lrsquoarticle 6 Rien ne donne en effet agrave penser que lrsquoinfraction peacutenale

(criminal offence) au sens de la Convention implique neacutecessairement un certain degreacute de

graviteacute raquo

67 Ibidem laquo il serait contraire agrave lrsquoobjet et au but de lrsquoarticle 6 qui garantit aux accuseacutes

le droit agrave un tribunal et agrave un procegraves eacutequitable de permettre agrave lrsquoEacutetat de soustraire agrave lrsquoempire

de ce texte toute une cateacutegorie drsquoinfractions pour peu qursquoil les juge leacutegegraveres raquo

68 Ibidem

69 Ibidem

70 Sur ce type drsquoinfractions peacutenales voir Roxin Taumlterschaft und Tatherrschaft Berlin

9e eacutedition 2015 et Langer Das Sonderverbrechen Berlin 1972 La doctrine distingue

entre les laquo veacuteritables infractions speacuteciales raquo (echte Sonderdelikte) qui peuvent seulement

ecirctre commise par une personne deacutetenant une certaine qualiteacute des laquo fausses infractions

speacuteciales raquo (unechte Sonderdelikte) qui peuvent ecirctre commises par nrsquoimporte qui mais

dont la sanction est aggraveacutee si elle est commise pas une personne deacutetenant une certaine

qualiteacute ou dans une situation particuliegravere La Cour dans lrsquoaffaire Oumlztuumlrk nrsquoest pas au fait de

cette distinction

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 67

les infractions peacutenales et les normes agrave porteacutee personnelle limiteacutee ne sont pas

incompatibles les unes avec les autres

20 Si la deacutepeacutenalisation nrsquoest pas sans poser problegraveme au regard des

garanties deacutecoulant des articles 6 et 7 de la Convention et de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 lorsqursquoil srsquoagit drsquoinfractions mineures reacuteprimant des actes

moins preacutejudiciables agrave la socieacuteteacute71 elle creacutee manifestement de seacuterieuses

difficulteacutes sur le terrain de ces articles lorsqursquoil srsquoagit drsquoactes plus

preacutejudiciables agrave la socieacuteteacute qui sont deacuteclasseacutes dans le domaine du droit

administratif agrave des fins politiques Elle en creacutee drsquoautant plus lorsque des

infractions administratives incluant celles commises par neacutegligence sont

passibles de sanctions financiegraveres amendes ou majorations astronomiques

parfois mecircme illimiteacutees freacutequemment associeacutees agrave la suspension la

restriction voire mecircme le retrait de certains droits tels que les droits

professionnels Des reacutegimes speacutecialement cleacutements sont proposeacutes aux

lanceurs drsquoalerte et autre collaborateurs de la justice Certaines infractions

administratives conduisent mecircme agrave des sanctions plus seacutevegraveres en cas de

reacutecidive En outre les proceacutedures administratives peuvent inclure des

mesures drsquoenquecirctes aussi intrusives que lrsquointerception de communication et

les perquisitions de domiciles qui peuvent porter atteinte agrave la vie priveacutee du

suspect tout autant que les proceacutedures peacutenales les plus seacuterieuses

21 En reacutealiteacute ce droit peacutenal agrave deux vitesses masque une politique

reacutepressive expansionniste qui vise agrave punir de maniegravere plus expeacuteditive et

plus seacutevegraverement avec moins de garanties mateacuterielles et proceacutedurales Dans

le contexte de ce nouveau Leacuteviathan les infractions de droit administratif ne

sont rien de plus qursquoune appellation trompeuse drsquoune strateacutegie punitive

ferme et le droit administratif devient un raccourci permettant de contourner

les garanties ordinaires du droit peacutenal et de la proceacutedure peacutenale72

22 La Convention nrsquoest pas indiffeacuterente agrave cette politique peacutenale Au

contraire elle ne saurait laisser des probleacutematiques relatives aux droits de

lrsquohomme de cette ampleur au seul pouvoir discreacutetionnaire de chaque Eacutetat

Aucune marge drsquoappreacuteciation nrsquoest accordeacutee aux Eacutetats par lrsquoarticle 7 de la

Convention et lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 qui sont des dispositions non

susceptibles de deacuterogation La deacutefinition des frontiegraveres du droit peacutenal et

lrsquoapplication des principes de leacutegaliteacute et du non bis in idem ne sont pas

deacutependantes des particulariteacutes de chaque systegraveme juridique national Au

contraire elles sont soumises agrave un controcircle europeacuteen strict reacutealiseacute par la

Cour ainsi que cela sera deacutemontreacute ci-dessous

71 Pour la Cour il est clair que la deacutepeacutenalisation est lieacutee aux infractions mineures non

infamantes drsquoun point de vue social (Lutz preacuteciteacute sect 57)

72 Jrsquoai deacutejagrave critiqueacute cette tendance dans mes opinions jointes aux arrecircts A Menarini

Diagnostics SRL preacuteciteacute et Grande Stevens et autres preacuteciteacute

68 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

B Les majorations drsquoimpocirct comme instrument de politique peacutenale

a) La nature peacutenale des majorations drsquoimpocirct

23 Tout comme les termes des articles 6 et 7 de la Convention la notion

de laquo proceacutedure peacutenale raquo doit ecirctre interpreacuteteacutee de maniegravere autonome En outre

par principe la Convention et ses Protocoles doivent ecirctre envisageacutes comme

un tout73 Ainsi lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 doit ecirctre interpreacuteteacute agrave la lumiegravere

des principes geacuteneacuteraux concernant les notions drsquolaquo accusation en matiegravere

peacutenale raquo et de laquo peine raquo eacutenonceacutees respectivement aux articles 6 et 7 de la

Convention74 De plus la qualification juridique de la proceacutedure en droit

national ne peut ecirctre le seul critegravere pertinent pour deacuteterminer lrsquoapplicabiliteacute

du principe ne bis in idem sur le terrain de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

Autrement lrsquoapplication de cette disposition serait laisseacutee au pouvoir

discreacutetionnaire des Eacutetats contractants agrave un degreacute conduisant agrave des reacutesultats

incompatibles avec lrsquoobjet et le but de la Convention Preacuteciseacutement pour

eacuteviter un tel pouvoir discreacutetionnaire il peut exister des cas dans lesquels ni

un acquittement deacutefinitif75 ni une condamnation deacutefinitive76 ne sont

capables de deacuteclencher les effets du ne bis in idem

24 Dans lrsquoaffaire en cause la premiegravere proceacutedure visait agrave lrsquoimposition

de majorations drsquoimpocirct La Cour a pris clairement position en faveur de la

nature peacutenale des sanctions administratives sur le terrain de lrsquoarticle 6 de la

Convention Dans lrsquoaffaire Bendenoun77 qui concernait lrsquoimposition de

majorations drsquoimpocirct pour eacutevasion fiscale la Cour ne srsquoest pas reacutefeacutereacutee

expresseacutement aux critegraveres Engel elle a eacutenumeacutereacute quatre eacuteleacutements qursquoelle

estimait pertinents dans la deacutetermination de lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 en

lrsquoespegravece que la loi eacutetablissant les sanctions concerne tous les citoyens en

leur qualiteacute de contribuables que la majoration ne tende pas agrave la reacuteparation

peacutecuniaire drsquoun preacutejudice mais vise pour lrsquoessentiel agrave punir pour empecirccher

la reacuteiteacuteration drsquoagissements semblables qursquoelle se fonde sur une norme de

caractegravere geacuteneacuteral dont le but est agrave la fois preacuteventif et reacutepressif et qursquoelle

revecircte une ampleur consideacuterable La Cour a consideacutereacute cependant qursquoun Eacutetat

contractant devait avoir la liberteacute de confier au fisc la tacircche drsquoimposer des

sanctions telles que des majorations drsquoimpocirct mecircme si elles atteignent des

sommes eacuteleveacutees Pareil systegraveme nrsquoest pas incompatible avec lrsquoarticle 6 sect 1

tant que le contribuable peut soumettre toute deacutecision lui faisant grief agrave un

73 Voir parmi drsquoautres Hirsi Jamaa et autres c Italie [GC] ndeg 2776509 sect 178

CEDH 2012 et Ferrazzini c Italie [GC] ndeg 4475998 sect 29 CEDH 2001-VII

74 Nykaumlnen c Finlande ndeg 1182811 sect 38 20 mai 2014 Haarvig c Norvegravege (deacutec)

ndeg 1118705 11 deacutecembre 2007 Nilsson c Suegravede (deacutec) ndeg 7366101 CEDH 2005-XIII

Rosenquist c Suegravede (deacutec) ndeg 6061900 14 septembre 2004 Manasson c Suegravede (deacutec)

ndeg 4126598 8 avril 2003 Goumlktan c France ndeg 3340296 sect 48 CEDH 2002-V et Malige

c France 23 septembre 1998 sect 35 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1998-VII

75 Marguš c Croatie [GC] ndeg 445510 sect 139 CEDH 2014

76 Kurdov et Ivanov c Bulgarie ndeg 1613704 sect 44 31 mai 2011

77 Bendenoun c France 24 feacutevrier 1994 seacuterie A ndeg 284

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 69

organe judiciaire jouissant de la pleine juridiction incluant le pouvoir

drsquoannuler sur tous les points que ce soit de droit ou de fait la deacutecision

contesteacutee78

25 Dans les affaires Janosevic79 et Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic80

la Cour nrsquoa fait aucune reacutefeacuterence agrave lrsquoaffaire Bendenoun ou agrave lrsquoapproche

particuliegravere y suivie par elle mais elle a proceacutedeacute strictement sur la base des

critegraveres Engel81 Apregraves avoir confirmeacute que les proceacutedures administratives

avaient abouti agrave une laquo accusation en matiegravere peacutenale raquo agrave lrsquoencontre du

requeacuterant la Cour a consideacutereacute que les proceacutedures judiciaires en lrsquoespegravece

avaient eacuteteacute conduites par des tribunaux soumis aux garanties requises par

lrsquoarticle 6 sect 1 puisque les juridictions administratives avaient compeacutetence

pour examiner tous les aspects de la question qui leur eacutetait adresseacutee Leur

examen nrsquoeacutetait pas limiteacute agrave des points de droit mais pouvait eacutegalement ecirctre

eacutetendu agrave des questions de faits incluant lrsquoappreacuteciation des preuves Si elles

eacutetaient en deacutesaccord avec lrsquoautoriteacute fiscale ces juridictions avaient le

pouvoir drsquoannuler la deacutecision objet drsquoun recours La Cour a ajouteacute que le

point de deacutepart pour les autoriteacutes fiscales et les juridictions devait reacutesider

dans le fait que les inexactitudes releveacutees dans la deacuteclaration fiscale

relevaient drsquoun acte inexcusable imputable au contribuable et qursquoil nrsquoeacutetait

pas manifestement deacuteraisonnable drsquoimposer une majoration drsquoimpocirct comme

sanction de ce comportement Les autoriteacutes fiscales et les juridictions

devraient eacutevaluer srsquoil existe des motifs de dispense mecircme si le contribuable

nrsquoa rien dit agrave cet eacutegard Cependant alors que le devoir drsquoeacutevaluer srsquoil existe

des motifs de dispense nrsquoexiste que lorsque les faits de lrsquoespegravece le justifient

la charge de prouver qursquoil existe des raisons de dispenser un contribuable

drsquoune majoration repose en effet sur celui-ci La Cour a conclu qursquoun

systegraveme fiscal opeacuterant sur une telle preacutesomption qursquoil appartient au

contribuable de renverser eacutetait compatible avec lrsquoarticle 6 sect 2 de la

Convention

b) Lrsquoarrecirct Jussila et la ligne de deacutemarcation entre malum in se et malum quia

prohibitum

26 Dans lrsquoaffaire Jussila82 la Cour a confirmeacute lrsquoapproche retenue dans

lrsquoaffaire Janosevic et souligneacute qursquolaquo Il nrsquoexiste donc pas dans la

jurisprudence de la Cour de preacuteceacutedent faisant autoriteacute qui permette de dire

78 Ibidem sect 46

79 Janosevic c Suegravede ndeg 3461997 CEDH 2002‑VII

80 Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic c Suegravede ndeg 3698597 23 juillet 2002

81 La Cour a souligneacute le mauvais argument laquo Les majorations drsquoimpocirct infligeacutees en

conseacutequence lrsquoont eacuteteacute au titre de la leacutegislation fiscale [hellip] qui vise toutes les personnes

assujetties agrave lrsquoimpocirct en Suegravede et non un groupe donneacute doteacute drsquoun statut particulier raquo

(Janosevic preacuteciteacute sect 68 Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic preacuteciteacute sect 79 voir aussi par

exemple SC IMH Suceava SRL c Roumanie ndeg 2493504 sect 51 29 octobre 2013)

82 Jussila preacuteciteacute sect 41

70 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

que la leacutegegravereteacute de la sanction constituerait en matiegravere fiscale ou autre un

facteur deacutecisif pour exclure du champ drsquoapplication de lrsquoarticle 6 une

infraction revecirctant par ailleurs un caractegravere peacutenal raquo 83 De plus comme un

signal clair de son intention de ne pas priver les contribuables de leur

garanties fondamentales opposables agrave lrsquoEacutetat la Cour a ajouteacute que si elle laquo ne

dout[ait] pas de lrsquoimportance de lrsquoimpocirct pour le bon fonctionnement de

lrsquoEacutetat elle nrsquo[eacutetait] pas convaincue qursquoil faille affranchir les sanctions

fiscales des garanties proceacutedurales contenues dans lrsquoarticle 6 pour preacuteserver

lrsquoefficaciteacute du systegraveme fiscal ni drsquoailleurs que pareille deacutemarche puisse se

concilier avec lrsquoesprit et le but de la Convention raquo84 En agissant de la sorte

la Cour a abandonneacute laquo peu ou prou raquo 85 la logique de lrsquoaffaire Ferrazzini86

puisqursquoelle a admis que les questions drsquoimposition ne sortaient pas du

champ mateacuteriel de la Convention Drsquoun point de vue ratione materiae les

questions se rapportant aux majorations drsquoimpocirct peuvent impliquer une

appreacuteciation par la Cour du pouvoir souverain des Eacutetats en matiegravere fiscale

La neutralisation des preacuterogatives de puissance publiques dans lrsquoaffaire

Jussila a conduit la Cour agrave un recadrage apparent des speacutecificiteacutes des

obligations fiscales dans le contexte du droit europeacuteen des droits de

lrsquohomme

27 Mecircme lorsque les majorations drsquoimpocirct ne sont pas qualifieacutees de

peacutenales en droit national ce seul fait nrsquoest pas deacutecisif pour la Cour Le fait

que les majorations drsquoimpocirct soient imposeacutees par des dispositions leacutegales

srsquoappliquant aux contribuables de maniegravere geacuteneacuterale avec une viseacutee

dissuasive est jugeacute plus pertinent En principe les majorations drsquoimpocirct sont

conccedilues non pas comme une compensation peacutecuniaire pour un dommage

causeacute agrave lrsquoEacutetat mais comme une forme de sanction des coupables et comme

un moyen de dissuader les reacutecidivistes et les nouveaux deacutelinquants

potentiels Aux yeux de la Cour les majorations drsquoimpocirct sont ainsi

imposeacutees par une regravegle dont le but est simultaneacutement dissuasif et punitif

mecircme dans le cas de lrsquoimposition drsquoune majoration fiscale de 10 avec un

maximum fixeacute agrave 2087 Pour la Cour dans lrsquoaffaire Jussila la nature

reacutepressive de la majoration fiscale surpasse la consideacuteration de minimis de

lrsquoarrecirct Bendenoun En conseacutequence les proceacutedures impliquant des

majorations drsquoimpocirct ont eacutegalement eacuteteacute consideacutereacutees comme des laquo proceacutedures

peacutenales raquo au regard de lrsquoarticle 6 de la Convention

83 Ibidem sect 35

84 Ibidem sect 36

85 Ibidem sect 45

86 Ferrazzini preacuteciteacute sect 29 En reacutealiteacute la Cour a eacutevalueacute agrave plusieurs reprises la

compatibiliteacute des mesures de politiques fiscales agrave lrsquoaune de lrsquoarticle 1 du Protocole ndeg 1

(parmi les affaires les plus significatives voir NKM c Hongrie ndeg 6652911 14 mai 2013

Koufaki et ADEDY c Gregravece (deacutec) nos 5766512 et 5765712 7 mai 2013 Da Conceiccedilatildeo

Mateus c Portugal (deacutec) nos 6223512 et 5772512 8 octobre 2013 et Da Silva Carvalho

Rico c Portugal (deacutec) ndeg 1334114 1er septembre 2014)

87 Jussila preacuteciteacute sect 38

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 71

28 Si la Cour srsquoeacutetait arrecircteacutee lagrave lrsquoarrecirct Jussila aurait eacuteteacute une simple

extension de lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk au domaine des majorations drsquoimpocirct Mais la

Cour ne srsquoest pas arrecircteacutee lagrave Elle a consideacutereacute ensuite qursquolaquo il [allait] de soi

que certaines [proceacutedures peacutenales] ne comportent aucun caractegravere infamant

pour ceux qursquoelles visent raquo En conseacutequence dans lrsquoarrecirct de la Cour les

garanties peacutenales ne srsquoappliquent pas avec toute leur rigueur aux accusations

peacutenales deacutepourvues de caractegravere infamant88 En appliquant lrsquoarticle 6 de

maniegravere diffeacuterencieacutee en fonction de la nature du sujet et du caractegravere

infamant que certaines accusations peacutenales comportent la Cour a opeacutereacute une

distinction entre les garanties proceacutedurales conventionnelles disponibles et

indisponibles le droit de lrsquoaccuseacute agrave un procegraves public appartenant agrave la

premiegravere cateacutegorie Dans la mesure ougrave elles nrsquoont pas de caractegravere infamant

les infractions administratives peuvent se distinguer du noyau dur du droit

peacutenal et ainsi les garanties peacutenales de lrsquoarticle 6 peuvent ne pas srsquoy

appliquer dans leur totaliteacute Une seconde cateacutegorie drsquoinfractions peacutenales qui

ne beacuteneacuteficie que de certaines des garanties de lrsquoarticle 6 a vu le jour dans

lrsquoaffaire Jussila

29 Malheureusement ni dans lrsquoarrecirct Jussila ni ulteacuterieurement la Cour

nrsquoa fait le moindre effort drsquoeacutelaborer une approche coheacuterente de la magna

quaestio relative agrave la ligne de deacutemarcation entre le laquo noyau dur du droit

peacutenal raquo et le reste du droit peacutenal qui fait eacutecho agrave la distinction entre mala in

se et mala prohibita La distinction de la Grande Chambre nrsquoest pas

seulement trop simpliste elle semble aussi assez artificielle Dans lrsquoarrecirct

Jussila comme dans quelques autres cas le critegravere du caractegravere infamant

ressemble agrave un argument purement theacuteorique que la Cour nrsquoutilise pas

veacuteritablement pour reacutesoudre lrsquoaffaire89 En reacutealiteacute la Cour a trancheacute lrsquoaffaire

88 Ibidem sect 43 Grande Stevens et autres preacuteciteacute sect 120 Kammerer c Autriche

ndeg 3243506 sect 26 12 mai 2010 et Flisar c Sloveacutenie ndeg 312709 sect 36 29 septembre 2011

La conclusion de lrsquoaffaire Jussila selon laquelle le procegraves public nrsquoeacutetait pas neacutecessaire dans

le cas des infractions administratives a eacuteteacute eacutetendue agrave drsquoautres questions proceacutedurales

couvertes par lrsquoarticle 6 telle que dans les affaires Kammerer et Flisar la preacutesence drsquoun

accuseacute agrave une audience

89 En reacutealiteacute lrsquoapplication du critegravere du caractegravere infamant dans la jurisprudence de la

Cour a eacuteteacute tregraves limiteacutee Il est vrai que la Cour a constateacute agrave maintes reprises le caractegravere

infamant que revecirct implicitement la torture (voir parmi de nombreuses affaires Irlande

c Royaume-Uni 18 janvier 1978 sect 167 seacuterie A ndeg 25 Aksoy c Turquie 18 deacutecembre

1996 sect 64 Recueil 1996-VI Aydın c Turquie 25 septembre 1997 sectsect 83-84 et 86

Recueil 1997-VI Selmouni c France [GC] ndeg 2580394 sect 74 CEDH 1999-V Dikme

c Turquie ndeg 2086992 sectsect 94-96 CEDH 2000-VIII et Batı et autres c Turquie

nos 3309796 et 5783400 sect 116 CEDH 2004-IV) Mais en dehors de ces affaires

lrsquoutilisation du critegravere est rare Parfois la Cour se reacutefegravere au caractegravere infamant de la

condamnation comme facteur pour deacuteterminer la neacutecessiteacute drsquoune comparution personnelle

de lrsquoaccuseacute dans une proceacutedure (dans une affaire de meurtre Chopenko c Ukraine

ndeg 1773506 sect 64 15 janvier 2015 dans une affaire de corruption Suuripaumlauml c Finlande

ndeg 4315102 sect 45 12 janvier 2010) ou pour deacuteterminer si la situation du requeacuterant doit

ecirctre deacutejagrave substantiellement affecteacutee par les mesures prises par la police dans les proceacutedures

preacuteliminaires (dans une affaire drsquoabus sexuel sur mineur Subinski c Sloveacutenie ndeg 1961104

72 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

Jussila de maniegravere tregraves pragmatique sur la base du fait que le requeacuterant avait

largement eu lrsquoopportuniteacute de se deacutefendre par eacutecrit et de commenter les

arguments des autoriteacutes fiscales

30 Le manque de clarteacute conceptuelle de la deacutefinition du laquo noyau dur du

droit peacutenal raquo au titre de lrsquoarticle 6 est encore aggraveacute par le fait que

normalement lrsquoapplication des critegraveres Engel est davantage une question de

degreacute deacutependant du poids des sanctions appliqueacutees et applicables qursquoune

question de nature des accusations qui pegravesent sur lrsquoaccuseacute La Cour preacutefegravere

le plus souvent reacutesoudre la question de lrsquoapplicabiliteacute des critegraveres Engel en

se reacutefeacuterant agrave une appreacuteciation purement quantitative plutocirct que qualitative

de lrsquoinfraction en cause Lorsqursquoelle se lance dans une analyse sur le fond de

la nature de lrsquoinfraction elle utilise freacutequemment lrsquoargument erroneacute tireacute de

lrsquoaffaire Oumlztuumlrk90 de la porteacutee personnelle limiteacutee de la norme

sect 68 18 janvier 2007) Le raisonnement de lrsquoarrecirct Suuripaumlauml a eacuteteacute eacutetendu agrave des infractions

administratives fiscales dans lrsquoaffaire Paacutekozdi c Hongrie (ndeg 5126907 sect 39 25 novembre

2014 Dans drsquoautres cas la Cour a dit que des infractions peacutenales passibles

drsquoemprisonnement impliquaient un caractegravere infamant suffisant lorsque la personne

condamneacutee se voit infliger une peine de sept ans (Popa et Tănăsescu c Roumanie

no 1994604 sect 46 10 avril 2012) une peine de quatre ans (Saacutendor Lajos Kiss c Hongrie

ndeg 2695805 sect 24 29 septembre 2009) ou une peine avec sursis (Goldmann et Szeacutenaacuteszky

c Hongrie ndeg 1760405 sect 20 30 novembre 2010) ou mecircme une amende (Talaacuteber

c Hongrie ndeg 3737605 sect 27 29 septembre 2009) En drsquoautres occasions la Cour a

simplement affirmeacute que certains inteacuterecircts juridiques tels que le respect des regravegles de seacutecuriteacute

incendie de protection des consommateurs ou des politiques drsquourbanisme nrsquoentraient pas

dans le champ du droit peacutenal sans mentionner le deacutefaut de caractegravere infamant (Kurdov et

Ivanov preacuteciteacute sect 43 SC IMH Suceava SRL preacuteciteacute sect 51 et Inocecircncio c Portugal

(deacutec) no 4386298 CEDH 2001ndashI) Dans lrsquoaffaire Segame SA c France (ndeg 483706

sect 59 7 juin 2012) la Cour a consideacutereacute qursquoun impocirct suppleacutementaire sur les œuvres drsquoart et

les sanctions correspondantes laquo ne [faisait] pas partie du noyau dur du droit peacutenal au sens

de la Convention raquo Dans lrsquoaffaire Grande Stevens et autres (preacuteciteacutee sect 122) la Cour a

noteacute que mis agrave part leur seacuteveacuteriteacute financiegravere les sanctions que certains des requeacuterants

encourraient avaient un laquo caractegravere infamant raquo et risquaient drsquoaffecter neacutegativement

lrsquohonneur professionnel et la reacuteputation des personnes concerneacutees Ainsi le critegravere

substantiel du caractegravere infamant est parfois lieacute aux sanctions applicables agrave lrsquoinfraction

alors que dans les cas de meurtre torture corruption ou abus sexuel de mineur il est lieacute agrave la

nature-mecircme du comportement En deacutefinitive la Cour a rejeteacute eacutegalement le critegravere

organique et tautologique selon lequel les infractions traiteacutees par les juridictions

administratives ou les juridictions compeacutetentes agrave lrsquoeacutegard des laquo infractions mineures raquo sont

administratives et qursquoen conseacutequence leur qualification de laquo peacutenale raquo serait exclue

(Tomasović c Croatie ndeg 5378509 sect 22 18 octobre 2011)

90 Lrsquoapplication de ce critegravere a produit des deacutecisions malheureuses telle que celle

deacutelibeacutereacutee dans lrsquoaffaire Inocecircncio (preacuteciteacutee) qui a consideacutereacute les infractions administratives

(contraordenaccedilotildees) en jeu comme non peacutenales bien que les contraordenaccedilotildees portugais

soient modeleacutees exactement agrave lrsquoimage des Ordnungswidrigkeiten allemandes qui avaient

eacuteteacute qualifieacutees de laquo peacutenales raquo dans lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk (agrave titre de comparaison voir la Loi

allemande sur les infractions administratives de 1968 Gesetz uumlber Ordnungswidrigkeiten

et la Loi portugaise sur les infractions administratives de 1982 Regime Geral das

Contraordenaccedilotildees)

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 73

31 En reacutesumeacute le choix politique de lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk de laquo peacutenaliser raquo les

infractions mineures aux fins de lrsquoarticle 6 est fondamentalement reacuteeacutevalueacute

dans lrsquoarrecirct Jussila Lrsquoextension apparente de ce choix politique aux

majorations drsquoimpocirct est dilueacutee en finaliteacute par lrsquoapproche pragmatique et

tourneacutee vers lrsquoefficaciteacute de la Cour qui eacutetiquette ces infractions mineures

comme eacutetant bien que laquo peacutenales raquo exclues du laquo noyau dur du droit peacutenal raquo

ne meacuteritant ainsi pas la protection pleine et entiegravere du volet peacutenal de

lrsquoarticle 6 Les inteacuterecircts drsquoune proceacutedure fiscale efficace et massive ont peseacute

plus lourd que toute autre consideacuteration

32 Quoiqursquoil en soit le message de la Cour dans lrsquoaffaire Jussila vaut

eacutegalement pour la Norvegravege Les majorations drsquoimpocirct imposeacutees dans la

preacutesente affaire sont de nature peacutenale et les proceacutedures fiscales respectives

sont peacutenales aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Les majorations

drsquoimpocirct de 30 imposeacutees par la Norvegravege pouvant aller jusqursquoagrave 60 en

cas de neacutegligence grossiegravere ou volontaire sont bien supeacuterieures en

comparaison de lrsquoaffaire Jussila

Crsquoest eacutegalement la position de la majoriteacute de la Grande Chambre dans la

preacutesente affaire qui confirme contrairement agrave lrsquoargumentation du

Gouvernement91 qursquoil nrsquoexiste pas de notion peacutenale plus restrictive agrave

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Ainsi la majoriteacute rejette lrsquoapproche des affaires

Storbraringten92 Mjelde93 et Haarvig94 dans lesquelles la Cour avait accepteacute un

eacuteventail de critegraveres plus large que les critegraveres Engel aux fins de deacuteterminer

si une proceacutedure revecirctait un caractegravere peacutenal au sens de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7

Seconde Partie

IV - Lrsquoheacuteritage pro persona de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine

A Le cumul des sanctions administratives et peacutenales

a) Lrsquoidem factum dans les proceacutedures administratives et peacutenales

33 Lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 prohibe la poursuite ou le jugement de

lrsquoauteur drsquoune infraction deacutejagrave acquitteacute ou condamneacute pour celle-ci Une

approche centreacutee sur la qualification juridique de lrsquoinfraction (idem crimen)

serait trop restrictive Si la Cour se bornait agrave accepter qursquoune personne soit

poursuivie pour des infractions qualifieacutees diffeacuteremment elle risquerait

91 Voir paragraphes 66 et 67 de lrsquoarrecirct

92 Storbraringten c Norvegravege (deacutec) ndeg 1227704 11 feacutevrier 2007

93 Mjelde c Norvegravege (deacutec) ndeg 1114304 11 feacutevrier 2007

94 Haarvig preacuteciteacute

74 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

drsquoamoindrir les garanties contenues agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 et ce pour

deux raisons Drsquoabord le mecircme fait peut ecirctre qualifieacute drsquoinfraction peacutenale

dans diffeacuterents Eacutetats mais les eacuteleacutements constitutifs de lrsquoinfraction peuvent

ecirctre significativement diffeacuterents Ensuite certains Eacutetats peuvent qualifier

diffeacuteremment le mecircme fait drsquoinfraction peacutenale ou drsquoinfraction

administrative crsquoest-agrave-dire non peacutenale95

34 Par conseacutequent lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 doit ecirctre interpreacuteteacute

comme prohibant la poursuite ou le jugement de novo drsquoune infraction dans

la mesure ougrave elle reacutesulte de faits identiques ou de faits similaires en

substance (idem factum)96 Il est donc important aux yeux de la Cour de

srsquoattacher aux faits qui constituent les circonstances factuelles concregravetes

impliquant le mecircme accuseacute et inextricablement lieacutes les uns aux autres dans

le temps et lrsquoespace dont lrsquoexistence doit ecirctre deacutemontreacutee pour garantir une

condamnation ou entamer des proceacutedures peacutenales97 Cela signifie que le

champ de la prohibition comprend la poursuite de nouvelles infractions en

relation de concours apparent (concorso apparente Gesetzeskonkurrenz) ou

de concours ideacuteal drsquoinfractions (concorso ideale di reati Idealkonkurrenz)98

avec lrsquoinfraction ou les infractions deacutejagrave jugeacutees La mecircme prohibition est

valable pour le concours reacuteel drsquoinfractions (concorso materiale di reati

Realkonkurrenz) lorsqursquoelles appartiennent agrave la mecircme uniteacute temporelle et

spatiale Cela signifie eacutegalement que lrsquoeffet ne bis idem drsquoun jugement

constatant une infraction continueacutee fait obstacle agrave la tenue drsquoun nouveau

procegraves pour des chefs drsquoaccusation se rapportant agrave tout nouveau fait distinct

srsquoinscrivant dans la continuiteacute du comportement deacutelictueux en cause99

35 En reacutesumeacute lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine affirme en droit europeacuteen

des droits de lrsquohomme le principe ne bis in idem en tant que droit individuel

de mecircme porteacutee que le principe classique drsquoeacutepuisement de la proceacutedure

95 Par exemple lrsquoarticle 4 du Protocole ndeg 7 a eacuteteacute eacutetendu aux sanctions administratives

telles que des majorations de 40 et 80 des impocircts dus (Ponsetti et Chesnell c France

(deacutec) nos 3685597 et 4173198 CEDH 1999-VI) aux sanctions administratives

compleacutementaires des peines peacutenales (Maszni c Roumanie ndeg 5989200 21 septembre

2006) et aux sanctions civiles (Storbraringten deacutecision preacuteciteacutee)

96 La Cour a deacutefini lrsquoidem factum comme laquo une seule et mecircme conduite de la part des

mecircmes personnes agrave la mecircme date raquo (Maresti c Croatie no 5575907 sect 63 25 juin 2009 et

Muslija c Bosnie‑Herzeacutegovine ndeg 3204211 sect 34 14 janvier 2014) La jurisprudence de la

Cour de Luxembourg concernant lrsquoarticle 54 de la CAAS est similaire (Van Esbroeck

preacuteciteacute sectsect 27 32 et 36 Kretzinger preacuteciteacute sectsect 33 et 34 Van Straaten preacuteciteacute sectsect 41 47 et

48 et Norma Kraaijenbrink preacuteciteacute sect 30)

97 Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 82 et 84 Lagrave nrsquoest pas le lieu ni lrsquoendroit pour

analyser le caractegravere artificiel de la summa divisio entre lrsquoidem factum et lrsquoidem legem

Lrsquoidem factum est conditionneacute dans une certaine mesure par lrsquoappreacutehension a priori des

faits pertinents agrave la lumiegravere du droit peacutenal Crsquoest particuliegraverement vrai dans le cas des

infractions continueacutees

98 Oliveira c Suisse ndeg 2571194 30 juillet 1998 Recueil 1998-V

99 Voir mon opinion seacutepareacutee dans lrsquoarrecirct Rohlena c Reacutepublique Tchegraveque [GC]

ndeg 5955208 sect 9 CEDH 2015

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 75

(Erledigungsprinzip)100 La garantie srsquoeacutetend au droit de ne pas ecirctre poursuivi

ou jugeacute deux fois101 Ce principe en son sens europeacuteen va bien plus loin

que la maxime res judicata pro veritate habetur qui vise fondamentalement

agrave proteacuteger lrsquoeacutenonceacute final public et faisant autoriteacute sur le crimen et ainsi agrave

assurer la seacutecuriteacute juridique et eacuteviter les jugements contradictoires En outre

lrsquointerpreacutetation europeacuteenne du principe ne bis in idem vise agrave proteacuteger le

suspect des faits alleacutegueacutes drsquoune double incrimination lorsque son

acquittement ou sa condamnation preacutealables sont deacutejagrave passeacutes en force de

chose jugeacutee102

Neacuteanmoins la Cour dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine exige une

comparaison entre la deacutecision par laquelle la premiegravere laquo proceacutedure peacutenale raquo

a eacuteteacute conclue et la liste des accusations dirigeacutees contre le requeacuterant dans les

nouvelles proceacutedures Puisque les faits dans les deux proceacutedures se

distinguaient au niveau drsquoun seul eacuteleacutement la menace de violence qui

nrsquoavait pas eacuteteacute mentionneacutee dans les premiegraveres proceacutedures la Cour considegravere

que les accusations peacutenales au titre de lrsquoarticle 213 sect 2 b) du Code Peacutenal

englobent les faits de lrsquoinfraction reacuteprimeacutee par lrsquoarticle 158 du Code des

infractions administrative dans leur totaliteacute et que inversement lrsquoinfraction

drsquolaquo actes perturbateurs mineurs raquo ne renfermait aucun eacuteleacutement qui nrsquoeacutetait

contenu dans lrsquoinfraction drsquolaquo actes perturbateurs raquo et laquo concernait

essentiellement la mecircme infraction raquo 103

36 Au regard de ce qui preacutecegravede je partage lrsquoopinion de la majoriteacute de la

Grande Chambre dans la preacutesente affaire selon laquelle lrsquoinfraction peacutenale

pour laquelle les requeacuterants ont eacuteteacute poursuivis condamneacutes et punis eacutetait

baseacutee sur le mecircme ensemble de faits que ceux pour lesquels les majorations

drsquoimpocirct leur ont eacuteteacute infligeacutees

b) La deacutecision deacutefinitive dans les proceacutedures administratives

37 Le but de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 est de prohiber la reacutepeacutetition

des proceacutedures conclues par une deacutecision laquo deacutefinitive raquo Drsquoapregraves le Rapport

explicatif du Protocole no 7 qui se reacutefegravere lui-mecircme agrave la Convention

europeacuteenne sur la valeur internationale des jugements reacutepressifs une

100 Se reacutefeacuterant litteacuteralement agrave la nature individuelle du droit Sergueiuml Zolotoukhine

preacuteciteacute sect 81

101 Ibidem sect 110 et auparavant Franz Fischer c Autriche ndeg 3795097 sect 29 29 mai

2001

102 Ainsi qursquoil a eacuteteacute deacutemontreacute ci-dessus il srsquoagit de lrsquoideacuteologie sous-jacente au septiegraveme

amendement agrave la Constitution des Eacutetats-Unis et agrave lrsquoarticle 8 du chapitre V du titre II de la

Constitution franccedilaise de 1791 montrant que lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine est conforme agrave la

compreacutehension historique et pro persona de ce principe agrave lrsquoeacutepoque moderne

103 Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 97 et 121 Peut-ecirctre est-ce involontaire mais dans

drsquoautres cas la Cour compare les laquo eacuteleacutements essentiels raquo de lrsquoinfraction pour eacutetablis lrsquoidem

(voir les exemples post-Sergueiuml Zolotoukhine Muslija preacuteciteacute sect 34 Asadbeyli et autres

c Azerbaiumldjan nos 365305 1472905 2090805 2624205 3608305 et 1651906 sect 157

11 deacutecembre 2012 et Ruotsalainen c Finlande no 1307903 sect 56 16 juin 2009)

76 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

deacutecision est deacutefinitive laquo si elle est selon lrsquoexpression consacreacutee passeacutee en

force de chose jugeacutee Tel est le cas lorsqursquoelle est irreacutevocable crsquoest-agrave-dire

lorsqursquoelle nrsquoest pas susceptible de voies de recours ordinaires ou que les

parties ont eacutepuiseacute ces voies ou laisseacute passer les deacutelais sans les exercer raquo104

Dans lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine la Cour a rappeleacute que les deacutecisions agrave

lrsquoencontre desquelles existe une possibiliteacute de recours ordinaire eacutetaient

exclues du champ de la garantie contenue agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 tant

que le deacutelai pour interjeter un tel appel nrsquoa pas expireacute Drsquoun autre cocircteacute les

recours extraordinaires tels qursquoune requecircte en reacuteouverture des proceacutedures ou

une demande drsquoextension du deacutelai expireacute ne sont pas pris en consideacuteration

aux fins de deacuteterminer si les proceacutedures ont atteint une conclusion

deacutefinitive

38 Agrave lrsquoinverse de la majoriteacute de la Grande Chambre je ne peux suivre

le raisonnement de la Cour suprecircme et la position des requeacuterants quant agrave

lrsquoargument selon lequel les deacutecisions de majorations drsquoimpocirct eacutetaient

devenues deacutefinitives le 15 deacutecembre 2008 pour M A et le 26 deacutecembre

2008 pour M B crsquoest-agrave-dire avant qursquoils ne soient condamneacutes pour les

mecircmes faits par la Cour de district bien que le deacutelai de 6 mois pour entamer

des proceacutedures judiciaires fixeacute par lrsquoarticle 11-1(4) de la loi fiscale nrsquoavait

pas encore expireacute Puisque les requeacuterants avaient toujours le droit drsquoacceacuteder

agrave une voie de recours jrsquoai du mal agrave consideacuterer les deacutecisions imposant les

majorations drsquoimpocirct comme irreacutevocables105 Cette conclusion srsquoimpose

drsquoautant plus si lrsquoon tient compte du fait que puisque les organes

administratifs en questions ne sont ni indeacutependants ni juridictionnels le

droit drsquoaccegraves agrave une proceacutedure judiciaire est neacutecessaire pour que les sanctions

administratives soient compatibles avec lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention106

39 La date exacte agrave laquelle la deacutecision administrative est devenue

deacutefinitive nrsquoest de toute eacutevidence pas anodine Lrsquohypothegravese juridique selon

laquelle la deacutecision administrative drsquoimposition des majorations devient

deacutefinitive en premier lieu pourrait ecirctre diffeacuterent de celui dans lequel la

condamnation peacutenale pour fraude fiscale devient deacutefinitive la premiegravere

Bien que la Cour ait consideacutereacute que laquo la question de savoir si le principe non

bis in idem a eacuteteacute enfreint se rapporte agrave la relation entre les deux infractions

et ne peut donc deacutependre de lrsquoordre dans lequel les proceacutedures sont

conduites raquo107 lrsquoimpact juridique drsquoune condamnation peacutenale deacutefinitive sur

une proceacutedure administrative peut se distinguer de maniegravere significative de

lrsquoimpact juridique drsquoune deacutecision administrative finale sur une proceacutedure

peacutenale La majoriteacute a fermeacute les yeux sur ce distinguo sans eacutevaluer les

diffeacuterentes conseacutequences en droit norveacutegien de ces diffeacuterentes hypothegraveses

Elle a simplement supposeacute que les proceacutedures administratives et peacutenales

104 Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 107 et 108

105 Crsquoest eacutegalement lrsquoargument du Gouvernement (voir paragraphe 72 de lrsquoarrecirct)

106 Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic preacuteciteacute sect 93

107 Franz Fischer preacuteciteacute sect 29

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 77

srsquoinscrivaient dans une laquo approche inteacutegreacutee raquo108 en concluant qursquoil nrsquoeacutetait

pas neacutecessaire de traiter de la question du caractegravere deacutefinitif des proceacutedures

administratives Je deacutemontrerai par la suite les effets neacutegatifs de cette

position

B Les proceacutedures parallegraveles administratives et peacutenales (bis)

a) Un lien temporel suffisant

40 Bien que la Cour dans lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine ne traite pas du

cas des proceacutedures parallegraveles ex professo109 elle eacutecarte bel et bien la

condition suppleacutementaire et inexacte que lrsquoaffaire Zigarella avait ajouteacutee au

bis en lrsquoabsence de tout dommage deacutemontreacute par le requeacuterant seules de

nouvelles proceacutedures entameacutees en connaissance du fait que lrsquoaccuseacute avait

deacutejagrave eacuteteacute jugeacute dans des proceacutedures anteacuterieures violeraient le principe ne bis in

idem110

41 Drsquoun point de vue litteacuteral rien dans la formulation de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 nrsquoindique qursquoune distinction doive ecirctre opeacutereacutee entre des

proceacutedures parallegraveles ou conseacutecutives entre la reprise de poursuites en

attente et le deacuteclenchement de nouvelles poursuites Agrave proprement parler la

disposition nrsquoempecircche pas que plusieurs proceacutedures parallegraveles soient

meneacutees avant qursquoune deacutecision deacutefinitive ne soit adopteacutee agrave lrsquoissue de lrsquoune

drsquoentre elles Dans une telle situation il ne peut ecirctre consideacutereacute que

lrsquoindividu a eacuteteacute poursuivi plusieurs fois laquo en raison drsquoune infraction pour

laquelle il a deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute ou condamneacute par un jugement deacutefinitif raquo111

Dans le cas de deux proceacutedures parallegraveles la Convention exige que la

108 Voir le paragraphe 141 de lrsquoarrecirct

109 Lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine traite de deux proceacutedures conseacutecutives la proceacutedure

administrative srsquoest acheveacutee le 4 janvier 2002 et la proceacutedure peacutenale ouverte le 23 janvier

2002 srsquoest acheveacutee le 15 avril 2003

110 Zigarella c Italie (deacutec) ndeg 4815499 CEDH 2002-IX (extraits) et Falkner

c Autriche (deacutec) ndeg 607202 30 septembre 2004 Au paragraphe 36 de lrsquoarrecirct de chambre

dans lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine la mecircme position est adopteacutee mais le paragraphe 115

de lrsquoarrecirct de la Grande Chambre srsquoabstient de reacutepeacuteter la mecircme phrase La Grande Chambre

admet seulement qursquoelle peut consideacuterer que le requeacuterant a perdu sa qualiteacute de victime

lorsque les autoriteacutes nationales entament deux seacuteries de proceacutedures mais par la suite

reconnaissent la violation du ne bis in idem et offrent la reacuteparation adeacutequate par exemple

en clocircturant ou en annulant la deuxiegraveme proceacutedure et en en supprimant les effets Ainsi la

Cour ne se reacutefegravere pas au caractegravere volontaire de lrsquoouverture de la seconde proceacutedure comme

condition de la violation du ne bis in idem et requiert seulement qursquoil y ait reconnaissance

explicite de la violation au niveau interne pour conclure agrave la non-recevabiliteacute du grief du

requeacuterant Ulteacuterieurement la Cour est malheureusement revenue agrave la formulation de lrsquoarrecirct

Zigarella dans les arrecircts Maresti (preacuteciteacute sect 66) et Tomasovic (preacuteciteacute sect 29) mais voir

lrsquoimportante opinion seacutepareacutee du juge Sicilianos jointe agrave ce dernier arrecirct

111 Garaudy c France (deacutec) ndeg 6583101 CEDH 2003-IX (extraits)

78 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

seconde soit interrompue aussitocirct que la premiegravere devient deacutefinitive112 En

lrsquoabsence drsquoune telle interruption la Cour conclut agrave une violation113

42 Cependant dans un certain nombre drsquoaffaires la Cour a eacutetabli des

regravegles diffeacuterentes pour certaines proceacutedures peacutenales et administratives

parallegraveles Dans la deacutecision Nilsson la Cour a consideacutereacute pour la premiegravere

fois que laquo si les diverses sanctions infligeacutees agrave lrsquointeacuteresseacute ont eacuteteacute prononceacutees

par deux autoriteacutes diffeacuterentes agrave lrsquoissue de proceacutedures distinctes il existait

entre elles un lien mateacuteriel et temporel suffisamment eacutetroit pour que lrsquoon

puisse consideacuterer le retrait de permis comme lrsquoune des mesures preacutevues par

le droit sueacutedois pour la reacutepression des deacutelits de conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute

avanceacute et de conduite sans permis raquo 114 Ce que la Cour envisage comme un

laquo lien temporel suffisamment eacutetroit raquo nrsquoest pas clair puisqursquoelle ne se reacutefegravere

pas explicitement agrave la peacuteriode entre la deacutecision devenue deacutefinitive en

premier lieu (la condamnation du requeacuterant par le tribunal de district de

Mora le 24 juin 1999) et la deacutecision devenue ensuite deacutefinitive (la deacutecision

de la Cour suprecircme du 18 deacutecembre 2000 deacuteboutant le requeacuterant) ou entre

la premiegravere deacutecision administrative (lrsquoavis deacutelivreacute par la preacutefecture le 5 mai

1999) et la premiegravere deacutecision peacutenale (la condamnation du requeacuterant par le

tribunal de district de Mora le 24 juin 1999) ou entre la premiegravere deacutecision

peacutenale (la deacutecision du tribunal de district de Mora du 24 juin 1999) et la

premiegravere deacutecision administrative de retrait du permis de conduire (lrsquoavis de

la preacutefecture du 5 aoucirct 1999) En reacutealiteacute il existe un tregraves bref

chevauchement entre les proceacutedures administratives qui ont deacutebuteacute le 5 mai

1999 et ont pris fin le 18 deacutecembre 2000 et les proceacutedures peacutenales qui ont

pris fin le 24 juin 1999

Dans lrsquoaffaire Boman115 la Cour a eacutegalement consideacutereacute qursquoil existait

pareil lien temporel puisque la deacutecision de la police du 28 mai 2010

drsquoimposer une seconde interdiction de conduite eacutetait directement baseacutee sur

la condamnation finale du requeacuterant par le tribunal deacutepartemental des

infractions routiegraveres du 22 avril 2010 et ainsi ne contenait pas drsquoexamen

propre de lrsquoinfraction ou de la conduite en cause Le lien temporel suffisant

eacutetait lieacute agrave lrsquoabsence drsquoappreacuteciation autonome des preuves comme si lrsquoun et

lrsquoautre eacutetaient eacutetroitement associeacutes

43 Agrave lrsquoinverse dans les affaires Glantz116 Nykaumlnen117 Lucky Dev118

Rinas119 et Oumlsterlund120 la Cour a pris en consideacuteration les dates auxquelles

112 Zigarella preacuteciteacute Il pourrait exister une difficulteacute au regard de la Convention lorsque

deux ou plusieurs proceacutedures peacutenales sont meneacutees en parallegravele contre le mecircme accuseacute pour

les mecircmes faits avant mecircme qursquoune deacutecision deacutefinitive nrsquoait eacuteteacute rendue dans lrsquoune drsquoentre

elles La situation de lis pendens forccedilant lrsquoaccuseacute agrave preacutesenter plusieurs strateacutegies de

deacutefense en mecircme temps devant plusieurs autoriteacutes soulegraveve un problegraveme drsquoinjustice

113 Tomasović preacuteciteacute sectsect 30 et 32 Muslija preacuteciteacute sect 37 et Milenković c Serbie

ndeg 5012413 sect 46 1 mars 2016

114 Nilsson preacuteciteacute

115 Boman c Finlande ndeg 4160411 17 feacutevrier 2015

116 Glantz c Finlande ndeg 3739411 20 mai 2014

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 79

les deacutecisions administratives et peacutenales eacutetaient devenues deacutefinitives Dans

toutes ces affaires la Cour a constateacute une violation Dans lrsquoarrecirct Glantz121

la proceacutedure administrative avait eacuteteacute initieacutee le 18 deacutecembre 2006 et a eacuteteacute

deacutefinitivement close le 11 janvier 2010 alors que la proceacutedure peacutenale avait

eacuteteacute initieacutee le 15 deacutecembre 2008 Les deux instances eacutetaient donc en cours de

maniegravere concurrente jusqursquoau 11 janvier 2010 lorsque la premiegravere a eacuteteacute

deacutefinitivement close Dans la mesure ougrave la proceacutedure peacutenale nrsquoavait pas eacuteteacute

interrompue apregraves que la premiegravere proceacutedure avait eacuteteacute deacutefinitivement close

mais srsquoeacutetait poursuivie jusqursquoagrave une deacutecision deacutefinitive le 18 mai 2011 la

Cour a consideacutereacute que le requeacuterant avait eacuteteacute condamneacute deux fois dans la

mecircme affaire dans instances devenues deacutefinitivement closes le 11 janvier

2010 et le 18 mai 2011122

Dans lrsquoarrecirct Rinas123 la Cour a noteacute que lorsque la proceacutedure peacutenale a

eacuteteacute deacutefinitivement close le 31 mai 2012 le recours formeacute par le requeacuterant

contre la deacutecision de majoration fiscale eacutetait toujours pendant devant la

Cour administrative suprecircme Dans la mesure ougrave la proceacutedure

administrative devant la Cour administrative suprecircme nrsquoavait pas eacuteteacute

interrompue apregraves que la proceacutedure peacutenale avait eacuteteacute deacutefinitivement close

mais srsquoeacutetait poursuivie jusqursquoagrave une deacutecision deacutefinitive du 13 septembre

2012 le requeacuterant a eacuteteacute condamneacute deux fois dans la mecircme affaire

concernant les anneacutees fiscales 2002 agrave 2004 dans deux instances closes

respectivement le 31 mai 2012 et le 13 septembre 2012124

44 La Cour est arriveacutee agrave une conclusion diffeacuterente dans lrsquoarrecirct Haumlkkauml125

La proceacutedure administrative avait deacutebuteacute en 2007 lorsque des majorations

drsquoimpocirct avaient eacuteteacute imposeacutees au requeacuterant Il nrsquoavait apparemment jamais

chercheacute agrave obtenir une rectification ni agrave former un recours et en

conseacutequence cette proceacutedure a eacuteteacute deacutefinitivement close le 31 deacutecembre

2010 et le 31 deacutecembre 2011 agrave lrsquoexpiration des deacutelais de rectification et

drsquoappel La proceacutedure peacutenale avait eacuteteacute initieacutee le 3 avril 2008 et srsquoeacutetait

acheveacutee le 29 juin 2010 lorsque la Cour suprecircme a rendu son arrecirct deacutefinitif

Les deux instances eacutetaient ainsi pendantes de maniegravere concurrente jusqursquoau

117 Nykaumlnen preacuteciteacute

118 Lucky Dev preacuteciteacute

119 Rinas c Finlande ndeg 1703913 27 janvier 2015

120 Oumlsterlund c Finlande ndeg 5319713 10 feacutevrier 2015

121 Glantz preacuteciteacute sect 62

122 Le mecircme raisonnement a eacuteteacute suivi dans Nykaumlnen (preacuteciteacute sect 52 ndash les proceacutedures

fiscales avaient commenceacute le 28 novembre 2005 et srsquoeacutetaient acheveacutees le 1er avril 2009

alors que les proceacutedures peacutenales avaient eacuteteacute initieacutees le 19 aoucirct 2008 et srsquoeacutetaient acheveacutees le

1er septembre 2010) et Lucky Dev (preacuteciteacute sect 63 ndash les proceacutedures fiscales avaient

commenceacute le 1er juin 2004 et srsquoeacutetaient acheveacutees le 20 octobre 2009 et les proceacutedures

peacutenales initieacutees le 5 aoucirct 2005 ont eacuteteacute deacutefinitivement closes le 8 janvier 2009)

123 Rinas preacuteciteacute sect 56

124 La situation eacutetait similaire dans lrsquoaffaire Oumlsterlund (preacuteciteacute sect 51)

125 Haumlkkauml c Finlande ndeg 75811 sectsect 50-52 20 mai 2014

80 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

29 juin 2010 quand la seconde devint deacutefinitive La Cour nrsquoa pas conclu agrave

la violation dans la mesure ougrave laquo le requeacuterant avait une possibiliteacute reacuteelle

drsquoempecirccher une double incrimination tout drsquoabord en demandant la

rectification puis en formant un recours dans le deacutelai qui nrsquoeacutetait pas encore

expireacute raquo126 Ainsi pour la Cour dans lrsquoarrecirct Haumlkkauml si lrsquoaccuseacute ne forme

aucun recours administratif le principe ne bis in idem ne trouve pas agrave

srsquoappliquer quand bien mecircme lrsquoaccuseacute aurait deacutejagrave fait lrsquoobjet drsquoune

condamnation deacutefinitive dans la proceacutedure peacutenale

45 Enfin dans lrsquoarrecirct Kiiveri127 la Cour a consideacutereacute que le requeacuterant ne

pouvait plus se plaindre drsquoune double incrimination pour lrsquoanneacutee fiscale

2002 preacuteciseacutement parce que la Cour suprecircme avait conclu que lrsquoaffaire

avait eacuteteacute deacutefinitivement trancheacutee dans la proceacutedure fiscale administrative et

avait rejeteacute les accusations peacutenales de fraude fiscale aggraveacutee laquo sans

examiner le fond raquo128 concernant lrsquoanneacutee 2002 sur la base du principe ne

bis in idem

46 Les exemples ci-dessus suffisent agrave montrer que le laquo lien temporel

suffisamment eacutetroit raquo est totalement arbitraire Crsquoest preacuteciseacutement la raison

pour laquelle la Cour srsquoen est dispenseacutee dans les affaires italiennes et

grecques129

Contrairement agrave la position du gouvernement franccedilais qui avait identifieacute

une phase drsquoappreacuteciation par les autoriteacutes fiscales et une autre drsquoenquecircte

judiciaire lesquelles devaient ecirctre meneacutees simultaneacutement ou nrsquoecirctre seacutepareacutees

que par un bref intervalle130 la majoriteacute dans la preacutesente affaire a choisi de

consideacuterer pertinente une peacuteriode de neuf mois entre le moment ougrave la

deacutecision des autoriteacutes fiscales du 5 deacutecembre 2008 eacutetait devenue deacutefinitive

et la date de la condamnation du second requeacuterant le 30 septembre 2009

Bien que cette peacuteriode soit laquo plus longue raquo131 que la peacuteriode de deux mois et

demi dans le cas du premier requeacuterant la majoriteacute impute ce laps de temps

additionnel au retrait par le second requeacuterant de ses aveux Selon ce

raisonnement la garantie du ne bis idem devient flexible avec une porteacutee

plus eacutetroite lorsque lrsquoaccuseacute exerce ses droits proceacuteduraux et plus large

lorsqursquoil ne le fait pas La posture punitive de la majoriteacute ne pouvait pas ecirctre

illustreacutee de maniegravere plus eacuteloquente

126 Ibidem sect 52

127 Kiiveri c Finlande ndeg 5375312 10 feacutevrier 2015

128 Ibidem sect 36

129 Je me reacutefegravere aux arrecircts Grande Stevens et autres (preacuteciteacute) Kapetanios et autres

(preacuteciteacute) et Sismanidis et Sitaridis (preacuteciteacute) dans lesquels la Cour a eacuteteacute unanime

130 Voir paragraphe 96 de lrsquoarrecirct

131 Voir paragraphe 150 de lrsquoarrecirct

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 81

b) Un lien mateacuteriel suffisant

47 La majoriteacute suit explicitement le raisonnement eacutetabli dans les

affaires RT c Suisse132 et Nilsson c Suegravede133 concernant les doubles

proceacutedures peacutenales et administratives lorsque les deacutecisions de retrait de

permis de conduire eacutetaient directement baseacutees sur une condamnation peacutenale

attendue ou finale pour infraction routiegravere et ainsi ne contenaient pas

drsquoexamen seacutepareacute de lrsquoinfraction ou de la conduite en cause134 Cette

jurisprudence a eacuteteacute deacuteveloppeacutee plus avant dans les affaires Lucky Dev

Nykaumlnen et Haumlkkauml135 ougrave il nrsquoexistait preacutetendument aucun lien suffisant

mateacuteriel et temporel entre les proceacutedures peacutenales et fiscales Dans les trois

affaires susmentionneacutees les proceacutedures peacutenales et fiscales eacutetaient parallegraveles

et concernaient la mecircme peacuteriode et essentiellement le mecircme montant

soustrait au fisc Dans celles-ci la Cour a noteacute que les infractions avaient

eacuteteacute examineacutees par diffeacuterentes autoriteacutes et juridictions sans que les

proceacutedures ne soient lieacutees les deux instances suivant leur propre cours et

eacutetant devenues deacutefinitives agrave des moments diffeacuterents Enfin dans tous ces

cas la responsabiliteacute peacutenale du requeacuterant et sa responsabiliteacute de payer les

majorations drsquoimpocirct fixeacutees par la leacutegislation fiscale pertinente eacutetaient

deacutetermineacutes dans des proceacutedures totalement indeacutependantes les unes des

autres Dans lrsquoaffaire Lucky Dev la Cour administrative suprecircme nrsquoavait pas

pris en consideacuteration le fait que la requeacuterante avait eacuteteacute acquitteacutee de

lrsquoinfraction fiscale lorsqursquoelle a refuseacute de faire appel et a imposeacute en

conseacutequence des majorations deacutefinitives136 Dans les affaires Nykaumlnen et

Haumlkkauml ni les sanctions administratives ni les sanctions peacutenales nrsquoont eacuteteacute

prises en consideacuteration par lrsquoautre juridiction ou autoriteacute lorsque celles-ci se

sont prononceacutees sur la seacuteveacuteriteacute de la sanction il nrsquoy a drsquoailleurs eu aucune

interaction entre les autoriteacutes concerneacutees137

48 Avant de discuter les deacutetails de ce raisonnement deux arguments

fallacieux doivent ecirctre eacutecarteacutes drsquoembleacutee Lrsquoun veut que si lrsquoarticle 4 du

132 RT c Suisse (deacutec) ndeg 3198296 30 mai 2000

133 Nilsson preacuteciteacute

134 Dans lrsquoaffaire RT c Suisse la proceacutedure administrative avait deacutebuteacute le 11 mai 1993

et avait eacuteteacute conclue avec la deacutecision du Tribunal feacutedeacuteral du 5 deacutecembre 1995 alors que la

proceacutedure peacutenale avait eacuteteacute conclue par la deacutelivrance de lrsquoordonnance peacutenale du 9 juin 1993

qui nrsquoavait pas fait lrsquoobjet drsquoun recours Dans lrsquoaffaire Nilsson la proceacutedure peacutenale avait

eacuteteacute conclue le 24 juin 1999 puisque le jugement du tribunal deacutepartemental de Mora nrsquoavait

pas fait lrsquoobjet drsquoun recours alors que la proceacutedure administrative avait commenceacute le 5 mai

1999 et srsquoeacutetait acheveacutee le 11 novembre 1999 Dans le dernier cas la sanction administrative

a eacuteteacute imposeacutee apregraves que la sanction peacutenale eacutetait devenue deacutefinitive Dans le premier cas la

sanction administrative a eacuteteacute imposeacutee avant la sanction peacutenale Ces affaires ne sont pas

similaires Pourtant la majoriteacute les a traiteacutees comme si elles lrsquoeacutetaient

135 Lucky Dev preacuteciteacute sect 54 et Nykaumlnen preacuteciteacute sect 43 et Haumlkkauml preacuteciteacute sectsect 50-52

136 Lucky Dev preacuteciteacute sect 62 Oumlsterlund preacuteciteacute sectsect 50 et 51 et Rinas preacuteciteacute sectsect 55 et

56

137 Nykaumlnen preacuteciteacute sectsect 51 et 52 Haumlkkauml preacuteciteacute sectsect 50 et 52

82 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

Protocole no 7 devait ecirctre interpreacuteteacute comme prohibant la clocircture de

proceacutedures en cours agrave partir du moment ougrave soit la proceacutedure peacutenale soit la

proceacutedure administrative est conclue par une deacutecision deacutefinitive cela

implique des laquo conseacutequences lourdes neacutegatives et impreacutevisibles dans un

certain nombre de domaines relevant du droit administratif raquo138 Cet

argumentum ad terrorem lequel joue la carte de lrsquoappel agrave la peur nrsquoest pas

un argument juridique et ne devrait degraves lors beacuteneacuteficier drsquoaucun creacutedit devant

une juridiction Lrsquoautre exemple drsquoargument fallacieux inadmissible est

celui selon lequel plusieurs Eacutetats europeacuteens qui connaissent un double

systegraveme de sanction ont plaideacute pour son maintien devant la Cour exprimant

des opinions et preacuteoccupations similaires agrave celles du gouvernement

deacutefendeur139 Il srsquoagit drsquoun argumentum ad nauseam jouant sur la reacutepeacutetition

de lrsquoargument et non sur ses meacuterites Il ne devrait pas qua tale avoir sa place

dans une deacutecision de la Cour

49 Deux postulats geacuteneacuteraux erroneacutes doivent eacutegalement ecirctre deacutenonceacutes Il

est faut drsquoarguer sur le terrain de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 que les Eacutetats

doivent beacuteneacuteficier drsquoune large marge drsquoappreacuteciation agrave cet eacutegard tant que le

systegraveme de double sanction poursuit un but leacutegitime et ne fait pas peser un

fardeau excessif ou disproportionneacute sur lrsquoaccuseacute Il srsquoagit drsquoun droit non

susceptible de deacuterogation et par conseacutequent les Eacutetats ne beacuteneacuteficient

drsquoaucune marge drsquoappreacuteciation140

Il nrsquoest pas davantage permis drsquoarguer que la question de savoir laquelle

des deux proceacutedures parallegraveles devient deacutefinitive relegraveve de la coiumlncidence

ni que si les autoriteacutes eacutetaient obligeacutees drsquointerrompre la premiegravere lorsque la

deuxiegraveme devient deacutefinitive lrsquoissue des proceacutedures combineacutees pourrait srsquoen

trouver arbitraire Cette argumentation est circulaire parce qursquoelle

preacutesuppose qursquoil devrait y avoir plus drsquoune proceacutedure pour les mecircmes faits

De plus elle implique que lrsquoaccuseacute puisse utiliser le principe ne bis in idem

agrave des fins de laquo manipulation et drsquoimpuniteacute raquo141 comme si lrsquoaccuseacute eacutetait

toujours en mesure de controcircler le rythme des proceacutedures Une telle vision

de lrsquoeacutequilibre des pouvoirs dans les proceacutedures administratives est

deacuteconnecteacutee de la reacutealiteacute142 Enfin la supposition sous-jacente du

raisonnement de la majoriteacute est la suivante le principe ne bis in idem nrsquoest

pas lrsquoexpression drsquoun droit subjectif de lrsquoaccuseacute mais une simple regravegle

visant agrave garantie lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee avec pour seul but la

138 Voir lrsquoargument du Gouvernement au paragraphe 84 de lrsquoarrecirct

139 Voir cet argument au paragraphe 119 de lrsquoarrecirct

140 Voir de maniegravere similaire le Rapport explicatif sur lrsquoAvis de lrsquoAssembleacutee

Parlementaire du Conseil de lrsquoEurope sur le Projet de Protocole ndeg 15 agrave la Convention de

sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales doc 13154 28 mars 2013

sect 8

141 Voir paragraphe 127 de lrsquoarrecirct

142 Voir comme exemple du deacuteseacutequilibre des pouvoirs entre les autoriteacutes administratives

et le justiciable dans des proceacutedures administratives mon opinion jointe agrave lrsquoarrecirct Grande

Stevens et autres preacuteciteacute

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 83

satisfaction de lrsquointeacuterecirct punitif de lrsquoEacutetat et de lrsquoincontestabiliteacute des deacutecisions

de justice Les reacuteflexions suivantes mettront en eacutevidence de maniegravere plus

deacutetailleacutee cette posture pro auctoritate de la majoriteacute

V - La reacutevision de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine

A La restriction de lrsquoidem factum par le critegravere du bis

a) La poursuite de buts diffeacuterents traitant drsquoaspects diffeacuterents de lrsquoacte

preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute

50 Drsquoapregraves la majoriteacute quatre conditions de fond doivent ecirctre reacuteunies

pour que puisse ecirctre accepteacute le cumul des sanctions administratives et

peacutenales des proceacutedures poursuivant des buts compleacutementaires et traitant

drsquoaspects diffeacuterents de lrsquoacte preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute en cause la

preacutevisibiliteacute du cumul des sanctions la non-reacutepeacutetition de la collecte et de

lrsquoappreacuteciation des preuves et le meacutecanisme de compensation entre les

sanctions administrative et peacutenale

51 La premiegravere condition fixeacutee par la majoriteacute se reacutefegravere agrave diffeacuterentes

proceacutedures poursuivant des buts compleacutementaires et traitant drsquoaspects

diffeacuterents de lrsquoacte en cause La majoriteacute identifie au paragraphe 144 les

diffeacuterents buts poursuivis par les majorations drsquoimpocirct sur le fondement de

lrsquoarticle 10 du chapitre 10 (dissuasion geacuteneacuterale et compensation pour le

travail et les coucircts supporteacutes par les autoriteacutes fiscales pour identifier les

deacuteclarations frauduleuses) et par la condamnation peacutenale sur le fondement

de lrsquoarticle 12 du chapitre 12 de la loi fiscale de 1980 (but punitif) La

majoriteacute souligne eacutegalement au paragraphe 123 lrsquolaquo eacuteleacutement additionnel raquo de

lrsquoinfraction peacutenale (la conduite frauduleuse) qui nrsquoest pas supposeacutement

traiteacute par lrsquoinfraction fiscale En drsquoautres termes la majoriteacute se range du

cocircteacute du Gouvernement qui preacutetend que les majorations drsquoimpocirct ordinaires

sont laquo infligeacutees objectivement sans consideacuteration de la faute dans le but

drsquooffrir agrave lrsquoEacutetat une compensation pour les coucircts associeacutes raquo au processus de

controcircle143

52 Cette thegravese ne tient pas pour deux raisons juridiques de principe

Premiegraverement il nrsquoy a aucune disposition ni instrument obligatoire de droit

interne qui requerrait un rapport de proportionnaliteacute entre les majorations

drsquoimpocirct et les coucircts engageacutes par lrsquoadministration pour deacutetecter investiguer

poursuivre et reacuteparer lrsquoinfraction fiscale imputeacutee au coupable Une telle

exigence serait simplement irreacutealiste puisqursquoelle ne pourrait ecirctre baseacutee que

sur une estimation virtuelle et approximative des coucircts per capita de

lrsquoadministration fiscale avec son systegraveme de controcircles et drsquoaudits reacutealiseacutes

pour identifier les deacuteclarations frauduleuses Ainsi lrsquoexistence drsquoune finaliteacute

compensatoire pour les majorations drsquoimpocirct impliquerait un eacuteleacutement

143 Voir les observations du Gouvernement du 11 novembre 2015 p 29

84 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

inadmissible de culpabiliteacute collective faisant peser sur certains

contribuables le coucirct du systegraveme de controcircle des deacuteclarations fiscales tout

entier

53 Ensuite la position de la majoriteacute neacuteglige le fait que les majorations

drsquoimpocirct en cause ne peuvent ecirctre consideacutereacutees comme simplement

compensatoires Des majorations jusqursquoagrave 30 voire mecircme 60 sont si

lourdes qursquoelles incluent manifestement une dimension punitive Dans

lrsquoaffaire Janosevic des majorations normalement fixeacutees agrave 20 ou 40 de

lrsquoimpocirct eacuteviteacute sans plafond et non convertible en peine de prison en cas de

non-paiement ont eacuteteacute consideacutereacutees comme relevant du volet peacutenal de

lrsquoarticle 6144 Enfin la majoriteacute nrsquoest pas consciente du but intrinsegravequement

punitif de toute majoration fiscale quel que soit son montant ainsi que

lrsquoaffaire Jussila lrsquoavait eacutetabli longtemps auparavant srsquoagissant drsquoune

majoration fiscale de 10 pouvant aller jusqursquoagrave 20 145 Il est difficile de

comprendre pourquoi la Cour a soudainement abandonneacute dans la preacutesente

affaire ces normes bien eacutetablies sans explication

En reacutesumeacute dans le cadre du droit norveacutegien les majorations drsquoimpocirct

visent agrave dissuader les fraudeurs potentiels et les reacutecidivistes La preacutevention

geacuteneacuterale est le but admis des majorations drsquoimpocirct en question146 Cet

objectif de preacutevention geacuteneacuterale a laquo neacutecessairement raquo des effets secondaires

punitifs et de preacutevention speacuteciale concernant le deacutelinquant condamneacute et ces

effets secondaires sont eacutevidemment voulus par la politique de lrsquoEacutetat147 La

Cour suprecircme a fait un effort louable pour limiter ces effets exemplaires et

punitifs par le principe de proportionnaliteacute148 Mais la Cour ne devrait pas se

livrer agrave un jeu seacutemantique Elle devrait plutocirct eacutevaluer drsquoune maniegravere

reacutealiste et terre agrave terre les sanctions fiscales et leur impact sur la vie des

contribuables Sous cet angle la preacutevention geacuteneacuterale par le biais drsquoune

punition proportionneacutee nrsquoest rien de plus qursquoune laquo theacuteorie punitive

deacuteguiseacutee raquo (verkappte Vergeltungstheorie)149

144 Janosevic preacuteciteacute sect 69

145 Jussila preacuteciteacute sect 38

146 Voir paragraphe 47 de lrsquoarrecirct

147 Ainsi que la Cour lrsquoa dit elle-mecircme dans lrsquoarrecirct Kurdov et Ivanov (preacuteciteacute sect 40)

mentionnant le but neacutecessairement reacutepressif des sanctions administratives de nature

peacutecuniaire

148 Voir le paragraphe 50 de lrsquoarrecirct

149 Il est impossible dans les limites de cette opinion drsquoentrer dans le grand deacutebat

doctrinal relatif aux objectifs des infractions administratives et en particulier de leurs

objectifs laquo deacuteguiseacutes raquo Comme introduction agrave cette discussion voir James Goldschmidt

Das Verwaltungsstrafrecht Eine Untersuchung der Grenzgebiete zwischen Strafrecht und

Verwaltungsrecht auf rechtsgeschichtlicher und rechtsvergleichender Grundlage Berlin

1902 Erik Wolf Die Stellung der Verwaltungsdelikte im Strafrechtssystem in Beitraumlge

zur Strafrechtswissenschaft Festgabe fuumlr Reinhard von Frank II Tuumlbingen 1930

Schmidt Straftaten und Ordnungswidrigkeiten in Juristen Zeitung 1951 Mattes

Untersuchungen zur Lehre von den Ordnungswidrigkeiten Berlin 1972 Paliero Minima

non curat praetor Ipertrofia del diritto penale e decriminalizzazione dei reatti bagatellari

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 85

54 Lrsquoargumentation du Gouvernement ne peut pas non plus ecirctre

accueillie concernant laquo lrsquoeacuteleacutement additionnel raquo de lrsquoinfraction peacutenale le

preacutetendu eacuteleacutement intentionnel frauduleux Lrsquoaccepter irait agrave lrsquoencontre de

lrsquoarrecirct Ruotsalainen150 Dans cette affaire lrsquoEacutetat deacutefendeur arguait que la

fraude fiscale incluait un eacuteleacutement laquo drsquointentionnaliteacute raquo alors que lrsquoinfraction

administrative ne pouvait reposer que sur des motifs objectifs La reacuteponse

de la Cour est eacuteloquente les faits dans les deux instances se distinguaient agrave

peine bien que la proceacutedure peacutenale requicirct une intention mais cela nrsquoeacutetait pas

pertinent aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Les eacuteleacutements des deux

infractions devaient donc ecirctre regardeacutes comme eacutetant substantiellement les

mecircmes agrave ces fins Il devrait en aller de mecircme dans la preacutesente affaire

55 En outre la majoriteacute ne compare pas les eacuteleacutements subjectifs de

lrsquoinfraction fiscale administrative passible de majoration drsquoimpocirct et

lrsquoinfraction fiscale de nature peacutenale passible drsquoemprisonnement ou

drsquoamende En conseacutequence elle meacuteconnaicirct la critique drsquoordre moral que

lrsquoon peut intrinsegravequement tirer de la lettre et de lrsquoesprit des provisions

pertinentes de la loi fiscale de 1980 (article 10-2 agrave 4 du chapitre 10)

Lrsquoarticle 10-3 emploie les expressions laquo excusable raquo et laquo raison qui ne peut

lui ecirctre reprocheacutee raquo pour deacutesigner les causes de remises fiscales

Lrsquoinexcusabiliteacute et le caractegravere blacircmable sont des notions intrinsegravequement

morales de lrsquoinfraction administrative qui caracteacuterisent la mens rea du

coupable On les trouve dans les infractions peacutenales aussi La modification

de cette disposition en 2010 ne renvoie plus agrave ces deux notions mais ajoute

la notion drsquolaquo erreur manifestement commise par inadvertance raquo qui

comporte de toute eacutevidence un eacuteleacutement de critique morale pour les erreurs

non commises laquo par inadvertance raquo ou intentionnelles

De plus les majorations drsquoimpocirct jusqursquoagrave un maximum de 60 peuvent

ecirctre imposeacutees quand des actes sont commis volontairement ou par

neacutegligence grossiegravere Ainsi ils requiegraverent lrsquoeacutetablissement drsquoune mens rea et

drsquoune culpabiliteacute comme en matiegravere peacutenale Les eacuteleacutements subjectifs de la

fraude eacutenonceacutes dans les dispositions peacutenales de lrsquoarticle 12-1 du chapitre 12

ndash laquo tout en sachant ou tout en eacutetant censeacutee savoir qursquoelle peut en tirer des

avantages fiscaux raquo ndash recoupe lrsquoeacuteleacutement subjectif de la majoration fiscale

aggraveacutee pouvant aller jusqursquoagrave 60 (neacutegligence grossiegravere ou intentionnelle

ndash article 10-4 du chapitre 10) Autrement dit les eacuteleacutements subjectifs des

sanctions peacutenales et administratives coiumlncident Les proceacutedures peacutenale et

administrative en cause ne visent pas tel ou tel aspect diffeacuterent de lrsquoacte

preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute

56 Une remarque pour finir la premiegravere condition fixeacutee par la majoriteacute

relegraveve en derniegravere analyse de la deacutetermination de lrsquoidem Lrsquoeacutetablissement

des laquo buts diffeacuterents raquo poursuivis par les infractions administratives et

Padoue 1985 et Delmas-Marty et autres Punir sans juger De la reacutepression administrative

au droit administratif peacutenal Paris 1992

150 Ruotsalainen preacuteciteacute sect 56

86 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

peacutenales et des laquo diffeacuterents aspects de lrsquoacte preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute raquo viseacutes

par chacune de ces infractions est intrinsegravequement une question de fond qui

touche agrave la deacutefinition de lrsquoidem Ces questions doivent ecirctre consideacutereacutees

comme se rattachant davantage agrave la notion drsquoidem plutocirct qursquoagrave celle de bis

contrairement au raisonnement theacuteorique de la majoriteacute En deacutepit de cette

confusion theacuteorique le but de la majoriteacute est tregraves clair elle veut limiter la

porteacutee de lrsquoidem factum En agissant de la sorte elle inflige un camouflet

conseacutequent agrave la jurisprudence Sergueiuml Zolotoukhine

b) La preacutevisibiliteacute du cumul des diffeacuterentes sanctions

57 La seconde condition fixeacutee par la majoriteacute se rapporte agrave la

preacutevisibiliteacute de la mixiteacute des proceacutedures administratives et peacutenales comme

conseacutequence agrave la fois en droit et en pratique du mecircme acte Une telle

preacutevisibiliteacute est affirmeacutee aux paragraphes 146 et 152 de lrsquoarrecirct sans le

moindre effort pour deacutevelopper la question tregraves deacutelicate du degreacute de

connaissance requis pour engager la responsabiliteacute administrative Une

probleacutematique qui a captiveacute lrsquoattention de la doctrine depuis des deacutecennies a

eacuteteacute tout simplement eacutecarteacutee151 La majoriteacute suppose simplement que les

citoyens en geacuteneacuteral et les contribuables en particulier connaissent ou

devraient connaicirctre lrsquointeacutegraliteacute du cadre juridique administratif y compris

les sanctions et ainsi pourraient ecirctre responsables de toute faute ou conduite

abusive agrave lrsquoaune de ce cadre juridique

58 La majoriteacute ne consacre pas une seule ligne de son raisonnement agrave

lrsquoargument des requeacuterants selon lequel les sanctions qui leur ont eacuteteacute

imposeacutees eacutetaient discriminatoires discreacutetionnaires et non preacutevisibles

puisque quatre coaccuseacutes (GA TF KB et GN) impliqueacutes dans les mecircmes

faits ne se sont pas vu imposer de majorations drsquoimpocirct alors que les

requeacuterants ont ducirc subir des peines de prison et des majorations drsquoimpocirct152

Cet argument va droit au cœur de la seconde condition fixeacutee par la majoriteacute

Les faits de la preacutesente affaire montrent que les Instructions du Procureur

geacuteneacuteral du 3 avril 2009 nrsquoont pas eacuteteacute appliqueacutees aux requeacuterants ni agrave A dont

la condamnation peacutenale date du 2 mars 2009 ni agrave B dont la condamnation

date du 30 novembre 2009 La Cour suprecircme en a pris note mais sans en

tirer de conseacutequence en en se justifiant ainsi laquo le parquet srsquoest reacuteserveacute le

droit drsquoouvrir des poursuites peacutenales sur la base drsquoune appreacuteciation

individuelle au cas ougrave serait en cours une proceacutedure parallegravele non contraire

[agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7] Il a eacuteteacute indiqueacute que le procegraves de [A] srsquoeacutetait

poursuivi au motif qursquoune juste sanction srsquoimposait agrave lrsquoaune drsquoautres

151 Voir comme introduction agrave cette probleacutematique les annotations aux paragraphes 10

et 11 in Rebman et autres Gesetz uumlber Ordnungswidrigkeiten Kommentar troisiegraveme

eacutedition Stuttgart 2016 et Karlsruher Kommentar zum Gesetz uumlber Ordnungswidrigkeiten

quatriegraveme eacutedition Munich 2014

152 Voir paragraphe 64 de lrsquoarrecirct

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 87

affaires connexes () Degraves lors le fondement de la deacutecision eacutetait le principe

drsquoeacutegaliteacute de traitement par rapport agrave des affaires connexes raquo Les requeacuterants

ont rejeteacute cet argument en soulignant que au regard des Instructions de

2009 les majorations drsquoimpocirct nrsquoavaient pas eacuteteacute imposeacutees agrave quatre autres

accuseacutes impliqueacutes dans les mecircmes faits Le Gouvernement nrsquoa pas

speacutecifiquement contesteacute cette thegravese La majoriteacute nrsquoa rien agrave reacutepondre agrave cette

thegravese majeure des requeacuterants

59 Quoi qursquoil en soit la latitude offerte par les Instructions est

inacceptable agrave la lumiegravere de la jurisprudence Camilleri153 Une telle latitude

pose problegraveme sous lrsquoangle de la seacutecuriteacute juridique Les Instructions avaient

fait naicirctre lrsquoespoir que lrsquoEacutetat ne consideacutererait plus le systegraveme norveacutegien de

reacutepression des fraudes fiscales agrave double voie comme eacutetant leacutegal et conforme

agrave la Convention et ainsi que le Procureur aurait lrsquoobligation drsquoattaquer les

condamnations et avant que celles-ci ne soient prononceacutees drsquoabandonner

les poursuites154 Dans le cas des requeacuterants la deacutecision par le parquet de

proceacuteder diffeacuteremment nrsquoeacutetait pas preacutevisible Le traitement preacutefeacuterentiel

accordeacute aux quatre autres accuseacutes impliqueacutes dans les mecircmes faits qui ont

eacuteteacute exempteacutes de toute majoration fiscale (GA TF KB et GN) ne fait que

prouver le caractegravere discreacutetionnaire et donc impreacutevisible du choix des

autoriteacutes nationales

B La conception pro auctoritate du ne bis in idem de la majoriteacute

a) Absence de reacutepeacutetition de la collecte et de lrsquoappreacuteciation des preuves

60 La troisiegraveme condition fixeacutee par la majoriteacute consiste en une

prohibition souple (laquo autant que possible raquo) de la reacutepeacutetition de la collecte et

de lrsquoappreacuteciation des preuves agrave partir drsquoun exemple (laquo notamment raquo)

lrsquointeraction entre diffeacuterentes autoriteacutes administrative et judiciaire pour

aboutir agrave lrsquoeacutetablissement des faits dans une proceacutedure est eacutegalement utiliseacutee

dans lrsquoautre proceacutedure155 Pour moi cette condition est tregraves probleacutematique

61 Par principe les conditions de la protection drsquoun droit individuel non

susceptible de deacuterogation tel que le ne bis in idem ne doivent pas ecirctre

laisseacutees au pouvoir discreacutetionnaire de lrsquoEacutetat Puisque la troisiegraveme condition

de la majoriteacute est une simple recommandation de iure condendo ce nrsquoest

pas une exigence conventionnelle Elle a le mecircme effet que lrsquoeacutenonceacute

eacutegalement de iure condendo selon lequel laquo la maniegravere la plus sucircre de veiller

153 Camilleri c Malte ndeg 4293110 22 janvier 2013

154 La position du Procureur Geacuteneacuteral norveacutegien ne pourrait ecirctre plus claire apregraves lrsquoarrecirct

Sergueiuml Zolotoukhine laquo Depuis le revirement opeacutereacute dans la jurisprudence de la Cour il

faut appliquer un systegraveme laquo agrave un niveau raquo eacutegalement pour les majorations drsquoimpocirct

ordinaires raquo Voir paragraphes 48 et 64 de lrsquoarrecirct

155 Voir paragraphe 132 de lrsquoarrecirct La majoriteacute ne dit pas un mot agrave propos de la solution

existant dans certains Eacutetats drsquoune coopeacuteration entre lrsquoadministration et le parquet pour

deacuteterminer la marche agrave suivre

88 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

au respect de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 consiste agrave preacutevoir agrave un stade

opportun une proceacutedure agrave un seul niveau raquo156 Tous deux sont des dicta non

contraignants qui nrsquoajoutent rien agrave la jurisprudence contraignante de la

Cour

62 En outre cette recommandation ne fait qursquoeffleurer en surface un

problegraveme tregraves seacuterieux Lrsquoexistence de diffeacuterentes deacuteclarations par les

autoriteacutes administratives et judiciaires sur les mecircmes faits sur la base drsquoune

appreacuteciation diffeacuterentes des mecircmes faits met en question lrsquoautoriteacute de

lrsquoEacutetat Pire encore une appreacuteciation diffeacuterente des preuves dans une

proceacutedure administrative et une proceacutedure peacutenale permet le deacutetournement

insidieux de la proceacutedure administrative aux fins de la proceacutedure peacutenale Ce

deacutetournement est encore plus inquieacutetant que le risque pour lrsquoautoriteacute de

lrsquoEacutetat dans la mesure ougrave il laisse lrsquoaccuseacute sans deacutefense En drsquoautres termes

la condamnation peacutenale est presque courue drsquoavance lorsque lrsquoinfraction

administrative commise par le contribuable a deacutejagrave eacuteteacute eacutetablie sur la base de

regravegles de preuve moins strictes Lrsquoobligation de coopeacuteration avec le fisc qui

pegravese sur le contribuable dans les proceacutedures administratives aggrave encore

cette conclusion

63 La majoriteacute ne confronte pas les regravegles de preuve en matiegravere

administrative et peacutenale en Norvegravege pour veacuterifier srsquoil existe un danger de

reacutepeacutetition dans la collecte et lrsquoappreacuteciation des preuves dans les deux

proceacutedures Elle nrsquoanalyse pas non plus le cadre juridique reacutegissant les

interactions entre les diffeacuterentes autoriteacutes judiciaires et administratives pour

deacuteterminer si lrsquoeacutetablissement des faits dans la proceacutedure administrative

influence la proceacutedure peacutenale et vice versa Aux paragraphes 145 et 150 de

lrsquoarrecirct la majoriteacute se contente drsquoeacutevoquer quelques exemples ad hoc

drsquoeacutechange drsquoinformations entre les autoriteacutes administratives et judiciaires

Rien de plus

64 Or les parties ont acircprement discuteacute cette question Le Gouvernement

reconnait que les regravegles de preuve sont diffeacuterentes dans les proceacutedures

fiscales dans lesquelles le critegravere de la laquo cause probable qualifieacutee raquo

srsquoapplique par rapport aux proceacutedures peacutenales dans lesquelles un laquo standard

de preuve strict raquo srsquoapplique En reacutealiteacute il srsquoagit selon le Gouvernement de

lrsquoun des laquo avantages majeurs raquo qursquooffrent les proceacutedures administratives157

Si crsquoest le cas la troisiegraveme condition de la majoriteacute nrsquoest pas respecteacutee en

droit norveacutegien pour la simple raison que puisque diffeacuterentes regravegles de

preuves sont applicables les preuves doivent ecirctre appreacutecieacutees diffeacuteremment

dans la proceacutedure administrative et la proceacutedure peacutenale avec le risque

eacutevident drsquoaboutir agrave des conclusions diffeacuterentes agrave propos des mecircmes faits

156 Voir paragraphe 130 de lrsquoarrecirct

157 Voir les observations du Gouvernement du 11 novembre 2015 page 8 Le

Gouvernement ajoute que les proceacutedures administratives ont lrsquoavantage de comporter des

phases drsquoinstruction et de jugement plus rapides

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 89

Entre le Charybde du risque de conclusions contradictoires dans les

proceacutedures peacutenales et administratives dues aux diffeacuterentes regravegles de preuve

(deux poids deux mesures) et le Scylla du deacutetournement des preuves

administratives agrave des fins peacutenales lrsquoaccuseacute se trouve dans tous les cas placeacute

dans une situation ineacutequitable dans le systegraveme norveacutegien agrave double voie

b) Meacutecanisme de compensation entre les sanctions administratives et peacutenales

65 La quatriegraveme condition fixeacutee par la majoriteacute exige la mise en place

drsquoun laquo meacutecanisme compensatoire conccedilu pour assurer que le montant global

de toutes les peines peacutecuniaires prononceacutees est proportionneacutee raquo158 Sans

aucune explication preacutealable de la raison pour laquelle cette alternative est

retenue la majoriteacute nrsquoenvisage pas drsquoautres solutions proceacutedurales bien

connues telles que la suspension de lrsquoune des proceacutedures pendant que

lrsquoautre est pendante159 ou des solutions de fond telles que le principe de

speacutecialiteacute ou la mise en place de limites pour la sanction du concours

drsquoinfractions peacutenale et administrative comme la regravegle selon laquelle le

montant total de la sanction ne doit pas exceacuteder le montant le plus eacuteleveacute de

lrsquoune des deux sanctions encourues ou le plafonnement de la sanction

fiscale au minimum de la sanction peacutenale La porteacutee et les caracteacuteristiques

du meacutecanisme de compensation proposeacute sont pour le moins tregraves

probleacutematiques

66 Le raisonnement de la majoriteacute entre en conflit frontal avec la

position reacutecente de la Cour dans lrsquoaffaire Grande Stevens et autres qui

concerne des proceacutedures administratives et peacutenales parallegraveles Le

gouvernement italien avait alleacutegueacute sans succegraves dans cette affaire que pour

assurer la proportionnaliteacute de la sanction aux accusations la juridiction

peacutenale italienne avait pris en consideacuteration lrsquoimposition preacutealable drsquoune

sanction administrative et reacuteduit la sanction peacutenale Plus preacuteciseacutement le

montant de lrsquoamende administrative avait eacuteteacute deacuteduit de la sanction peacutenale

financiegravere (article 187 terdecies du Deacutecret Leacutegislatif no 58 de 1998) et les

avoirs deacutejagrave saisis dans le contexte de la proceacutedure administrative ne

pouvaient pas ecirctre confisqueacutes160 Cet argument auquel la Cour nrsquoa pas

accordeacute de creacutedit dans Grande Stevens et autres est agrave preacutesent mis en avant

dans le contexte norveacutegien sans aucune justification de la part de la

majoriteacute quant agrave ce revirement soudain La majoriteacute semble avoir oublieacute

que dans lrsquoarrecirct Grande Stevens la Cour avait deacutecideacute que lrsquoEacutetat deacutefendeur

devait srsquoassurer que les nouvelles proceacutedures peacutenales entameacutees agrave lrsquoencontre

158 Voir le paragraphe 132 de lrsquoarrecirct

159 Crsquoest ce qui eacutetait proposeacute dans les arrecircts Kapetanios et autres (preacuteciteacute sect 72) et

Sismanidis et Sitaridis (preacuteciteacute sect 72)

160 Grande Stevens et autres preacuteciteacute sect 218

90 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

des requeacuterants en violation du ne bis in idem seraient clocirctureacutees aussi

rapidement que possible et sans effets indeacutesirables pour eux161

67 Le gouvernement italien avait aussi alleacutegueacute que le systegraveme agrave double

voie eacutetait requis par la Directive 20036CE du 28 janvier 2003 sur les

opeacuterations drsquoinitieacute et les manipulations de marcheacutes pour lutter contre les

manipulations et les abus plus efficacement invoquant les conclusions de

lrsquoAvocat Geacuteneacuteral dans lrsquoaffaire Hans Aringkerberg Fransson162 La Cour a

facilement eacutecarteacute cet argument comme eacutetant inopeacuterant163 Dans ce contexte

il est troublant que la Cour cite agrave preacutesent les conclusions de lrsquoAvocat

Geacuteneacuteral dans lrsquoaffaire Fransson agrave lrsquoappui de ses arguments164 En deacutepit du

fait que la CJUE ait deacutesapprouveacute la vision de lrsquoAvocat Geacuteneacuteral la majoriteacute

dans lrsquoaffaire A et B fait sienne sa position La Cour de Strasbourg prend

volontairement ses distances par rapport agrave la Cour de Luxembourg qui avait

fait un effort pour aligner les deux jurisprudences dans son arrecirct Fransson

Les juges de la Cour ont preacutefeacutereacute se ranger du cocircteacute de la seule voix de

lrsquoAvocat Geacuteneacuteral qui avait fortement critiqueacute la jurisprudence de la Cour

accuseacutee drsquoecirctre en contradiction avec les traditions constitutionnelles

europeacuteennes Le revirement inexpliqueacute de Strasbourg constitue un seacuterieux

revers pour la relation entre les deux cours europeacuteennes

68 En outre le meacutecanisme compensatoire de la majoriteacute ne srsquoapplique

qursquoaux deacuteductions de sanctions imposeacutees dans la proceacutedure deacutefinitivement

close en premier Il ne srsquoapplique pas si cette proceacutedure connaicirct une autre

issue crsquoest-agrave-dire si la juridiction prononce lrsquoacquittement ou le non-lieu

La raison est eacutevidente Dans ces cas de figure il nrsquoy a litteacuteralement rien agrave

compenser crsquoest-agrave-dire agrave contrebalancer ou agrave deacuteduire dans une proceacutedure

administrative subseacutequente ou parallegravele

69 La question est eacutevidemment cruciale agrave la lumiegravere des affaires

grecques reacutecentes dans lesquelles les juridictions administratives qui

avaient imposeacute des amendes administratives nrsquoavaient pas pris en

consideacuteration lrsquoacquittement des requeacuterants dans des proceacutedures peacutenales

parallegraveles (requecirctes nos 345312 et 4294112) ou subseacutequentes (requecircte no

161 Ibidem sect 237 Il est utile de rappeler les conclusions de lrsquoAIDP de 2004 preacuteciteacutees

laquo Le laquo bis raquo crsquoest-agrave-dire le cumul qui doit ecirctre eacuteviteacute ne se rapporte pas simplement aux

sanctions toute nouvelle poursuite doit ecirctre empecirccheacutee raquo

162 Grande Stevens et autres preacuteciteacute sect 216

163 Ibidem preacuteciteacute sect 229

164 Voir paragraphe 118 du preacutesent arrecirct La Directive 201457UE du16 avril 2014

relative aux sanctions peacutenales applicables aux abus de marcheacute qui admet le systegraveme mixte

(preacuteambule sect 23) doit srsquoarticuler avec le Regraveglement (UE) 5962014 du 16 avril 2014

(preacuteambule sect 72) Le leacutegislateur europeacuteen nrsquoa pas reacutesolu le problegraveme du ne bis in idem

preacutefeacuterant renvoyer la patate chaude aux Eacutetats Neacuteanmoins lrsquoimposition de sanctions

peacutenales sur la base drsquoune infraction obligatoire eacutetablie par la nouvelle Directive et de

sanctions administratives conformeacutement avec les infractions optionnelles preacutevues par le

nouveau Regraveglement (article 30 sect 1) laquo peuvent deacutecider de ne pas raquo) ne devrait pas conduire

agrave la violation du ne bis in idem

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 91

902913) ayant pour objet le mecircme acte165 Suivant le principe de lrsquoarrecirct

Kapetanios et autres tout acquittement ou non-lieu dans lrsquoaffaire peacutenale

aurait un Sperrwirkung sur une autre proceacutedure administrative parallegravele ou

subseacutequente ainsi que lrsquoa conclu la Cour dans lrsquoaffaire Sismanidis et

Sitaridis qui eacutegalement concernait deux cas (requecirctes nos 6660409 et

7187912) de proceacutedures administrative et peacutenale parallegraveles166 Lrsquoaccuseacute

acquitteacute a droit agrave ne pas ecirctre troubleacute une nouvelle fois pour les mecircmes faits

ce qui inclut le risque de nouvelles poursuites en deacutepit de la nature

diffeacuterente (judiciaire et administrative) des organes en cause167 En drsquoautres

termes il existe une prohibition absolue de se prononcer de nouveau sur les

mecircmes faits En outre les juridictions et lrsquoadministration doivent tenir

compte drsquooffice de la force de chose jugeacutee de lrsquoacquittement les droits de

lrsquoaccuseacute eacutetant absolus et non susceptibles de deacuterogation168

70 La jurisprudence grecque srsquoinscrit eacutegalement dans la ligneacutee du

principe eacutetabli au paragraphe 60 de Lucky Dev soulignant le fait que

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 serait violeacute si lrsquoune des deux proceacutedures se

poursuivait apregraves la date de clocircture de la premiegravere par une deacutecision

deacutefinitive Dans lrsquoaffaire Lucky Dev les majorations drsquoimpocirct avaient eacuteteacute

appliqueacutees apregraves un acquittement deacutefinitif agrave lrsquoissue de la proceacutedure peacutenale

parallegravele et la formulation du principe par la Cour est limpide laquo cette

deacutecision deacutefinitive appellerait la clocircture de lrsquoautre instance raquo169

71 Pour reacutesumer le preacutesent arrecirct contredit lrsquoessence des jurisprudences

Kapetanios et autres Sismanidis et Sitaridis et Lucky Dev Pour la majoriteacute

165 Dans Kapetanios et autres (preacuteciteacute) voir la requecircte ndeg 345312 avec une proceacutedure

administrative pendante entre novembre 1989 et juin 2011 et une proceacutedure peacutenale

pendante entre 1986 et novembre 1992 la requecircte ndeg 4294112 avec une proceacutedure

administrative pendante entre septembre 1996 et novembre 2011 et une proceacutedure peacutenale

pendante entre 1988 et juin 2000 et enfin la requecircte ndeg 902813 avec une proceacutedure

administrative pendante entre 2011 et feacutevrier 2012 et une proceacutedure peacutenale acheveacutee en mai

1998

166 Sismanidis et Sitaridis (preacuteciteacute) voir la requecircte ndeg 6660209 avec une proceacutedure

administrative pendante entre septembre 1996 et mai 2009 et une proceacutedure peacutenale

pendante entre deacutecembre 1994 et avril 1997 et la requecircte ndeg 7187912 avec une proceacutedure

administrative pendante entre novembre 1996 et feacutevrier 2012 et une proceacutedure peacutenale

pendante entre 1998 et feacutevrier 1999

167 Kapetanios et autres preacuteciteacute sectsect 71 et 72 La version franccedilaise de lrsquoarrecirct Sergueiuml

Zolotoukhine est plus expressive lorsqursquoelle parle au paragraphe 83 de laquo risque de

nouvelles poursuites raquo en plus des nouveaux procegraves Voir eacutegalement le paragraphe 59 de

lrsquoarrecirct Van Straaten rendu par la CJUE preacuteciteacute laquo lrsquoouverture drsquoune proceacutedure peacutenale dans

un autre Eacutetat contractant pour les mecircmes faits compromettrait dans le cas drsquoun

acquittement deacutefinitif pour insuffisance de preuves les principes de la seacutecuriteacute juridique et

de la confiance leacutegitime raquo

168 Kapetanios et autres preacuteciteacute sect 66 Crsquoest preacuteciseacutement la conclusion de lrsquoarrecirct Melo

Tadeu c Portugal (ndeg 2778510 sect 64 23 octobre 2014) laquo La Cour estime qursquoun

acquittement au peacutenal doit ecirctre pris en compte dans toute proceacutedure ulteacuterieure peacutenale ou

non peacutenale raquo

169 Lucky Dev preacuteciteacute sect 60

92 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

lrsquoacquittement de lrsquoaccuseacute que ce soit parce que les actes ne sont pas

constitutifs drsquoune infraction peacutenale parce que lrsquoaccuseacute ne les a pas commis

ou parce qursquoil nrsquoa pas eacuteteacute prouveacute qursquoil les ait commis nrsquoa pas agrave ecirctre pris en

consideacuteration dans des proceacutedures administratives parallegraveles Cela soulegraveve

aussi bien eacutevidemment un problegraveme au regard de lrsquoarticle 6 sect 2 de la

Convention Toute nouvelle conclusion sur le fond remettrait en question la

preacutesomption drsquoinnocence reacutesultant de lrsquoacquittement170

72 Le meacutecanisme compensatoire de la majoriteacute nrsquoest eacutegalement pas

applicable dans lrsquohypothegravese ougrave la proceacutedure administrative serait la

premiegravere agrave devenir deacutefinitive et ougrave aucune majoration fiscale ne serait

imposeacutee parce que la responsabiliteacute administrative nrsquoa pas pu ecirctre prouveacutee

Pour la majoriteacute dans cette hypothegravese le contribuable peut encore ecirctre

condamneacute pour les mecircmes faits dans une proceacutedure peacutenale

73 Agrave ce stade il est clair que la quatriegraveme condition est un chegraveque en

blanc pour les Eacutetats leur permettant drsquoagir agrave leur guise Pire encore la

majoriteacute nrsquoexplique pas comment le meacutecanisme compensatoire fonctionne

en droit norveacutegien Le seul paragraphe 50 de lrsquoarrecirct est un reacutesumeacute de la

jurisprudence qui laisse au lecteur lrsquoimpression que les juridictions peacutenales

deacutecident comme bon leur semble de parfois prendre en consideacuteration les

sanctions administratives anteacuterieures et parfois de ne pas le faire Cette

impression est justifieacutee dans lrsquoaffaire en cause ainsi qursquoil sera deacutemontreacute ci-

dessous En outre il nrsquoy a aucune indication dans lrsquoarrecirct quant agrave savoir si un

meacutecanisme similaire de compensation existe dans la proceacutedure fiscale par

lequel les sanctions peacutenales anteacuterieures seraient prises en consideacuteration

lorsque sont imposeacutees des majorations peacutenales

74 Le Gouvernement dit que laquo les condamnations agrave des majorations

drsquoimpocircts sont prises en compte lorsque les tribunaux deacuteterminent la bonne

et juste sanction pour une socieacuteteacute (voir article 28 lettre g du code peacutenal de

2005) Lorsque crsquoest une personne physique qui est condamneacutee ils tiennent

compte de toute majoration drsquoimpocirct infligeacutee sur la base de lrsquoarticle 27 du

code peacutenal de 1902 transposeacute agrave lrsquoarticle 53 du code peacutenal de 2005 raquo171

Lrsquoarticle 27 dispose laquo Lorsqursquoune amende est imposeacutee il faut ducircment tenir

compte non seulement de la nature de lrsquoinfraction mais aussi et surtout de la

situation peacutecuniaire de la personne condamneacutee et de ce que celle-ci peut

vraisemblablement se permettre de payer au vu des circonstances raquo Aucune

mention nrsquoest faite des sanctions dans les proceacutedures parallegraveles ou

anteacuterieures en relation avec les mecircmes faits et encore moins aux

majorations peacutenales Aucune mention nrsquoest faite non plus de la limite du

cumul des sanctions par exemple lrsquoexigence voulant que le montant total

des sanctions imposeacutees ne doive pas exceacuteder le montant le plus eacuteleveacute qui

pourrait ecirctre imposeacute pour lrsquoune ou lrsquoautre des sanctions En reacutealiteacute la prise

170 Kapetanios et autres preacuteciteacute sect 88 et Sismanidis et Sitaridis preacuteciteacute sect 58

171 Voir les observations du Gouvernement du 11 novembre 2015 page 8

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 93

en consideacuteration des autres sanctions nrsquoest mecircme pas mentionneacutee

lorsqursquoune peine drsquoemprisonnement a eacuteteacute ordonneacutee

Pour le dire en peu de mots il nrsquoexiste tout simplement pas de

meacutecanisme de compensation en droit norveacutegien il nrsquoy a qursquoune indication

geacuteneacuterale indiffeacuterencieacutee donneacutee par le leacutegislateur au juge selon laquelle la

situation financiegravere de la personne accuseacutee doit ecirctre prise en consideacuteration

dans sa condamnation agrave une amende Ni plus ni moins

75 La jurisprudence de la Cour suprecircme fondeacutee sur les dispositions du

Code Peacutenal susmentionneacutees pour autant que les juges de la Grande

Chambre en ont eu connaissance est peut-ecirctre creacuteative mais elle nrsquoest

certainement pas preacutevisible Elle est formuleacutee si extensivement que mecircme le

juriste le plus expeacuterimenteacute ne saurait anticiper si et selon quelles modaliteacutes

des majorations drsquoimpocirct seront prises en consideacuteration dans des amendes

peacutenales De plus sa porteacutee est tregraves limiteacutee en pratique Puisqursquoelle

nrsquoautorise aucun meacutecanisme compensatoire dans les cas drsquoemprisonnement

elle limite lrsquoimpact alleacutegueacute de lrsquoeffet compensatoire aux affaires moins

graves mais en prive les affaires plus graves

Conscients des faiblesses du systegraveme juridique national les juges

norveacutegiens ont fait un effort louable pour combler le trou noir juridique et

introduire une certaine proportionnaliteacute dans un systegraveme arbitraire excessif

et ineacutequitable arbitraire dans le choix pour un systegraveme agrave une seule ou deux

voies excessif dans les sanctions appliqueacutees et ineacutequitable drsquoun point de

vue proceacutedural dans la maniegravere dont il traite les accuseacutes Mais le principe ne

bis in idem laquo nrsquoest pas une regravegle de proceacutedure agissant comme un agent

leacutenitif au service de la proportionnaliteacute lorsqursquoune personne est doublement

jugeacutee et condamneacutee pour un mecircme comportement mais bien une garantie

fondamentale des droits des citoyens raquo172

76 Comme le Gouvernement la majoriteacute est seacuteduite par un laquo souci

drsquoefficaciteacute raquo173 selon lequel la logique du principe ne bis in idem

srsquoapplique laquo dans une moindre mesure aux sanctions ne relevant pas du

laquo noyau dur raquo du droit peacutenal comme les majorations drsquoimpocirct raquo174 Elle a

neacutegligeacute le fait qursquoun droit conventionnel non susceptible de deacuterogation tel

172 Affaire C-21300 P Italcementi SpA c Commission des Communauteacutes europeacuteennes

conclusions de lrsquoAvocat Geacuteneacuteral Ruiz-Jarabo Colomer preacutesenteacutees le 11 feacutevrier 2003 sect 96

et Affaire C-15005 preacuteciteacutee conclusions du mecircme Avocat Geacuteneacuteral preacutesenteacutees le 8 juin

2006 sect 58 Partant lrsquoopinion exprimeacute au paragraphe 107 du preacutesent arrecirct selon laquelle ne

bis in idem vise principalement une question proceacutedurale (laquo lrsquoeacutequiteacute proceacutedurale raquo) et non

une question de fond (laquo srsquointeacuteresse moins au droit peacutenal mateacuteriel que lrsquoarticle 7 raquo) est

fondamentalement erroneacutee

173 Les mots laquo soucis drsquoefficaciteacute raquo sont ceux choisi par la majoriteacute elle-mecircme

(paragraphe 134 de lrsquoarrecirct)

174 Voir paragraphe 85 de lrsquoarrecirct ougrave il est fait reacutefeacuterence agrave lrsquoargument du Gouvernement

selon lequel le raisonnement dans lrsquoarrecirct Jussila concernant lrsquoarticle 6 est transposable agrave

lrsquoarticle 4 du Protocole ndeg 7 Lrsquoargument fait fi de la nature absolue et non susceptible de

deacuterogation du second article

94 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

que ne bis in idem ne doit pas ecirctre substantiellement diffeacuterent en fonction

du domaine du droit concerneacute Lrsquoarticle 4 sect 3 du Protocole no 7 ne laisse pas

de marge de manœuvre pour cela

77 Enfin et surtout dans la preacutesente affaire la juridiction nationale a

pris en compte de la maniegravere suivante la majoration drsquoimpocircts infligeacutee au

premier requeacuterant laquo une sanction notable a deacutejagrave eacuteteacute imposeacutee agrave lrsquoaccuseacute

dans la deacutecision sur la majoration fiscale La plus grande partie des impocircts a

deacutejagrave eacuteteacute payeacutee raquo La prise en compte de la majoration agrave lrsquoeacutegard du second

requeacuterant est encore plus succincte laquo Le fait qursquoune majoration fiscale de

30 a eacuteteacute imposeacutee agrave lrsquoaccuseacute doit ecirctre pris en consideacuteration raquo175 Dans

aucun de ces cas les juridictions nationales ne se sont donneacute la peine

drsquoexpliquer de quelle maniegravere les majorations administratives anteacuterieures

avaient influenceacute les sanctions peacutenales La reacutefeacuterence de pure forme aux

majorations drsquoimpocirct preacuteceacutedemment imposeacutees pourrait apaiser des

consciences moins exigeantes mais ce nrsquoest certainement pas une deacutemarche

juridique preacutevisible et controcirclable Degraves lors les conditions le degreacute et les

limites de lrsquoimpact des majorations drsquoimpocirct sur les sanctions peacutenales ne

peuvent qursquoecirctre lrsquoobjet de pures speacuteculations dans le domaine inconnu et

inaccessible aux accuseacutes de la conviction intime des juges

VI ndash Conclusion

78 En deacutepit de sa logique axeacutee sur les droits de lrsquohomme lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk

ne fournit pas un cadre conceptuel clair permettant de deacutefinir la ligne de

deacutemarcation entre les infractions administratives et peacutenales Au milieu des

incertitudes de la jurisprudence de la Cour lrsquoarrecirct Jussila offre une solution

restrictive qui cherche agrave distinguer les affaires relevant du noyau dur du

droit peacutenal qui comportent un caractegravere infamant de celles qui nrsquoen

comportent pas limitant lrsquoapplicabiliteacute des garanties peacutenales dans les

affaires relevant de la seconde cateacutegorie La jurisprudence subseacutequente nrsquoa

clarifieacute ni le critegravere de fond du caractegravere infamant ni la distinction entre les

garanties proceacutedurales disponibles et indisponibles

79 Tout comme lrsquoarrecirct Jussila avait nuanceacute et limiteacute la porteacutee de lrsquoarrecirct

Oumlztuumlrk lrsquoarrecirct A et B c Norvegravege nuance et limite la porteacutee de lrsquoarrecirct

Sergueiuml Zolotoukhine La position ancienne et geacuteneacutereuse en matiegravere drsquoidem

factum est significativement limiteacutee par la nouvelle camisole proposeacutee pour

le bis Meacutefiante agrave lrsquoeacutegard des accuseacutes la majoriteacute a deacutecideacute drsquoabandonner le

principe fondamental dans la culture juridique europeacuteenne qui veut que nul

ne puisse ecirctre poursuivi plus drsquoune fois pour les mecircmes faits (principe de

lrsquouniteacute de lrsquoaction reacutepressive ou Einmaligkeit der Strafverfolgung) Le

principe ne bis in idem perd son caractegravere pro persona mineacute par la posture

175 Voir les jugements du tribunal de Follo du 2 mars 2009 et du tribunal drsquoOslo du

30 septembre 2009

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 95

strictement pro auctoritate de la Cour Il nrsquoest plus une garantie

individuelle mais un outil permettant drsquoeacuteviter toute laquo manipulation et

impuniteacute raquo dont profiteraient les accuseacutes176 Apregraves avoir renverseacute la logique

du principe ne bis in idem le preacutesent arrecirct ouvre la porte agrave une politique

reacutepressive sans preacuteceacutedent digne drsquoun Leacuteviathan baseacutee sur lrsquoouverture par

lrsquoEacutetat de proceacutedures multiples strateacutegiquement articuleacutees et mises en place

en vue drsquoatteindre lrsquoeffet reacutepressif maximal Cette politique pourrait devenir

lrsquohistoire sans fin vindicative de deux ou plusieurs proceacutedures conduites

parallegravelement ou successivement agrave lrsquoencontre du mecircme accuseacute pour les

mecircmes faits qui risqueraient mecircme de punir celui-ci en repreacutesailles pour

avoir exerceacute ses droits proceacuteduraux leacutegitimes et notamment son droit de

recours

80 La seule veacuteritable condition dont est assortie cette approche de la

majoriteacute orienteacutee vers lrsquolaquo efficaciteacute raquo177 est un simulacre de

proportionnaliteacute limiteacutee agrave la vague indication de prendre en consideacuteration

les sanctions administratives anteacuterieures dans lrsquoamende infligeacutee agrave lrsquoissue de

la proceacutedure peacutenale une approche bien eacuteloigneacutee des racines historiques et

du principe du droit international coutumier du ne bis in idem Le cumul des

sanctions peacutenales et administratives de nature peacutenale a eacuteteacute speacutecifiquement

rejeteacute par la Cour dans lrsquoaffaire Grande Stevens de mecircme que par la CJUE

dans lrsquoarrecirct Hans Aringkeberg Fransson Apregraves la deacutelivrance de son certificat de

deacutecegraves dans lrsquoaffaire italienne une telle approche est aujourdrsquohui ressusciteacutee

en tant qursquoapproche laquo calibreacutee raquo178 La collaboration progressive et mutuelle

entre les deux cours europeacuteennes va de toute eacutevidence ecirctre encore une fois

profondeacutement perturbeacutee Strasbourg allant dans la mauvaise direction quand

Luxembourg prend la bonne La Grande Chambre saisie de lrsquoaffaire Sergueiuml

Zolotoukhine nrsquoaurait pas accepteacute une reacutetrogradation du droit individuel

inalieacutenable au ne bis in idem vers un droit aussi fluide eacutetroitement

interpreacuteteacute en un mot illusoire Moi non plus

176 Voir paragraphe 127 de lrsquoarrecirct

177 Voir paragraphe 134 de lrsquoarrecirct

178 Voir paragraphe 124 de lrsquoarrecirct

Page 3: GRANDE CHAMBRE · 2016. 11. 18. · 5. Le 26 novembre 2013, la chambre a décidé de joindre les deux requêtes et de les communiquer au Gouvernement. 6. Le 7 juillet 2015, une chambre

2 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

3 M Erik Moslashse juge eacutelu au titre de la Norvegravege eacutetant empecirccheacute de

sieacuteger dans lrsquoaffaire (article 28 du regraveglement) le preacutesident de la chambre a

deacutesigneacute le 20 feacutevrier 2015 M Dag Bugge Nordeacuten pour sieacuteger agrave sa place en

qualiteacute de juge ad hoc (articles 26 sect 4 de la Convention et 29 du regraveglement)

4 Les requeacuterants estimaient en particulier avoir eacuteteacute poursuivis et punis

deux fois pour la mecircme infraction fiscale en violation de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 agrave la Convention

5 Le 26 novembre 2013 la chambre a deacutecideacute de joindre les deux

requecirctes et de les communiquer au Gouvernement

6 Le 7 juillet 2015 une chambre de la premiegravere section composeacutee de

Isabelle Berro preacutesidente Khanlar Hajiyev Mirjana Lazarova Trajkovska

Julia Laffranque Paulo Pinto de Albuquerque Linos-Alexandre Sicilianos

et Ksenija Turković juges ainsi que de Soslashren Nielsen greffier de section

srsquoest dessaisie en faveur de la Grande Chambre ni lrsquoune ni lrsquoautre des

parties ne srsquoy eacutetant opposeacutee (articles 30 de la Convention et 72 du

regraveglement)

7 La composition de la Grande Chambre a eacuteteacute arrecircteacutee conformeacutement

aux dispositions des articles 26 sectsect 4 et 5 de la Convention et 24 du

regraveglement Andraacutes Sajoacute et Nona Tsotsoria qui nrsquoavaient pas pu sieacuteger dans

lrsquoaffaire agrave la date de lrsquoadoption de lrsquoarrecirct ont eacuteteacute remplaceacutes par Kristina

Pardalos et Armen Harutyunyan premiegravere et second juges suppleacuteants

(article 24 sect 3 du regraveglement)

8 Tant les requeacuterants que le Gouvernement ont produit des observations

eacutecrites sur la recevabiliteacute et sur le fond des requecirctes

9 En outre les gouvernements de la Bulgarie de la Gregravece de la France

de la Reacutepublique de Moldova de la Reacutepublique tchegraveque et de la Suisse

autoriseacutes agrave intervenir en qualiteacute de tiers dans la proceacutedure eacutecrite ont produit

des observations (articles 36 sect 2 de la Convention et 44 sect 3 du regraveglement)

10 Une audience srsquoest deacuterouleacutee en public au Palais des droits de

lrsquohomme agrave Strasbourg le 13 janvier 2016 (article 59 sect 3 du regraveglement)

Ont comparu

ndash pour le Gouvernement

M M EMBERLAND avocat bureau de lrsquoavocat geacuteneacuteral

(affaires civiles) agent

Mme J SANDVIG avocate bureau de lrsquoavocat geacuteneacuteral

(affaires civiles)

M C REUSCH avocat bureau de lrsquoavocat geacuteneacuteral

(affaires civiles) conseils

MM A TVERBERG directeur geacuteneacuteral adjoint deacutepartement

de la leacutegislation ministegravere royal de la Justice et de la

Sucircreteacute publique

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 3

L STOLTENBERG procureur principal Autoriteacute nationale

drsquoenquecirctes et de poursuites pour les deacutelits eacuteconomiques

et eacutecologiques

DE EILERTSEN controcircleur fiscal principal services fiscaux

de lrsquoEst de la Norvegravege conseillers

ndash pour les requeacuterants

M R Kjeldahl avocat conseil

La Cour a entendu Me Kjeldahl et Me Sandvig en leurs deacuteclarations ainsi

qursquoen leurs reacuteponses aux questions poseacutees par des juges

EN FAIT

I LES CIRCONSTANCES DE LrsquoESPEgraveCE

11 Le premier requeacuterant A est neacute en 1960 et habite en Norvegravege Le

second requeacuterant B est neacute en 1965 et habite en Floride (Eacutetats-Unis

drsquoAmeacuterique)

12 Les requeacuterants et M EK deacutetenaient la socieacuteteacute Estora Investment

Ltd (laquo Estora raquo) immatriculeacutee agrave Gibraltar MM TF et GA deacutetenaient la

socieacuteteacute Strategic Investment AS (laquo Strategic raquo) immatriculeacutee agrave Samoa et au

Luxembourg En juin 2001 Estora acquit 24 des actions de la socieacuteteacute

Wnet AS et Strategic 46 des actions de Wnet AS En aoucirct 2001 toutes

les actions de Wnet AS furent vendues agrave Software Innovation AS agrave un prix

nettement plus eacuteleveacute Le montant du produit de la vente qui revenait au

premier requeacuterant srsquoeacutelevait agrave 3 259 341 couronnes norveacutegiennes (NOK ndash

soit environ 360 000 euros (EUR)) Ce dernier le transfeacutera agrave la socieacuteteacute

Banista Holding Ltd immatriculeacutee agrave Gibraltar dont il eacutetait lrsquoactionnaire

unique Le montant du produit de la vente qui revenait au second requeacuterant

srsquoeacutelevait agrave 4 651 881 NOK (soit environ 500 000 EUR) Ce dernier le

transfeacutera agrave la socieacuteteacute Fardan Investment Ltd dont il eacutetait lrsquoactionnaire

unique

MM EK GA et TF reacutealisegraverent des profits agrave lrsquooccasion de

transactions similaires tandis que MM BL KB et GN participegraverent par

le biais de Software Innovation AS agrave drsquoautres transactions imposables non

deacuteclareacutees

Les revenus tireacutes de ces transactions qui srsquoeacutelevaient agrave environ

114 500 000 NOK (soit environ 12 600 000 EUR) ne furent pas deacuteclareacutes

aux autoriteacutes fiscales norveacutegiennes (laquo le fisc raquo) ce qui repreacutesentait au total

environ 32 500 000 NOK (soit environ 3 600 000 EUR) drsquoimpocircts impayeacutes

4 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

13 En 2005 le fisc entama le controcircle fiscal de Software Innovation AS

et srsquointeacuteressa aux actionnaires de Wnet AS Le 25 octobre 2007 il deacuteposa

une plainte peacutenale contre TF aupregraves drsquoOslashkokrim (acronyme de lrsquoAutoriteacute

nationale norveacutegienne drsquoenquecirctes et de poursuites pour les deacutelits

eacuteconomiques et eacutecologiques) au sujet drsquoeacuteleacutements qui ulteacuterieurement

conduisirent agrave lrsquoinculpation du premier requeacuterant ainsi que des autres

personnes susmentionneacutees et du second requeacuterant pour fraude fiscale

aggraveacutee

Les personnes citeacutees au paragraphe 12 ci-dessus furent par la suite

poursuivies reconnues coupables et condamneacutees agrave des peines de prison

pour fraude fiscale en matiegravere peacutenale Signalons aussi ceci

ndash la peine de prison infligeacutee agrave M EK en premiegravere instance fut

confirmeacutee en deuxiegraveme instance bien que la juridiction de deuxiegraveme

instance eucirct jugeacute cette peine leacutegegravere parallegravelement une majoration drsquoimpocirct

de 30 lui fut infligeacutee

ndash la dureacutee de la peine de prison infligeacutee agrave M BL fut fixeacutee compte tenu

de ce qursquoune majoration drsquoimpocirct de 30 lui avait deacutejagrave eacuteteacute imposeacutee

ndash M GA nrsquoa eacuteteacute condamneacute agrave aucune amende ni agrave aucune majoration

drsquoimpocirct

ndash M TF a eacuteteacute condamneacute en outre agrave une amende correspondant agrave une

majoration drsquoimpocirct de 30

ndash MM KB et GN furent chacun condamneacutes agrave une amende

conformeacutement au raisonnement exposeacute par la Cour suprecircme dans sa

deacutecision publieacutee au Rt 2011 p 1509 qui renvoyait au Rt 2005 p 129 et a

eacuteteacute reacutesumeacutee au paragraphe 50 ci-dessous

Les circonstances particuliegraveres relatives au premier et au second

requeacuterants sont exposeacutees ci-dessous

A Le premier requeacuterant

14 Le premier requeacuterant fut tout drsquoabord interrogeacute en qualiteacute de teacutemoin

le 6 deacutecembre 2007 puis le 14 deacutecembre 2007 il fut arrecircteacute et deacuteposa en

qualiteacute drsquoaccuseacute (laquo siktet raquo) Il reconnut les faits mais nia toute

responsabiliteacute peacutenale Il fut eacutelargi quatre jours plus tard

15 Le 14 octobre 2008 le premier requeacuterant fut inculpeacute de violations

des articles 12-1 1) a) cf 12-2 de la loi fiscale de 1980 (ligningsloven voir

au paragraphe 43 ci-dessous le texte de ces dispositions)

16 Le 24 novembre 2008 le bureau des impocircts (skattekontoret) redressa

le premier requeacuterant pour les anneacutees fiscales 2002 agrave 2007 apregraves lui avoir

communiqueacute agrave cette fin le 26 aoucirct 2008 un avis qui renvoyait notamment

au controcircle fiscal agrave lrsquoenquecircte peacutenale et agrave la deacuteposition faite par lui eacutevoqueacutes

au paragraphe 13 ci-dessus ainsi qursquoaux documents saisis par Oslashkokrim lors

de lrsquoenquecircte Pour lrsquoanneacutee 2002 le redressement eacutetait fondeacute sur le deacutefaut de

deacuteclaration par lrsquointeacuteresseacute de 3 259 341 NOK (soit environ 360 000 EUR)

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 5

de revenus geacuteneacuteraux ce dernier ayant au lieu de cela deacuteclareacute 65 655 NOK

de pertes De plus sur la base des articles 10-2 1) et 10-4 1) de la loi fiscale

(voir au paragraphe 42 ci-dessous le texte de ces dispositions) le bureau des

impocircts lui appliqua une majoration drsquoimpocirct de 30 calculeacutee sur la base

des impocircts dont il eacutetait redevable au titre des montants non deacuteclareacutes Cette

deacutecision tenait compte notamment des deacutepositions faites par les premier et

second requeacuterants pendant leurs interrogatoires conduits lors de lrsquoenquecircte

peacutenale Le premier requeacuterant ne la contesta pas et srsquoacquitta des sommes

dues ainsi que de la majoration drsquoimpocirct avant lrsquoexpiration du deacutelai de

recours drsquoune dureacutee de trois semaines

17 Le 2 mars 2009 le tribunal (tingrett) de Follo reconnut le premier

requeacuterant coupable de fraude fiscale aggraveacutee et le condamna agrave un an

drsquoemprisonnement pour avoir omis de mentionner dans sa deacuteclaration

fiscale pour lrsquoanneacutee 2002 3 259 341 NOK de revenus perccedilus agrave lrsquoeacutetranger Il

fixa la peine en tenant compte de ce que lrsquointeacuteresseacute avait deacutejagrave eacuteteacute

lourdement sanctionneacute par lrsquoapplication de la majoration drsquoimpocirct

18 Le premier requeacuterant fit appel estimant avoir eacuteteacute jugeacute et puni deux

fois en violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 agrave la Convention Il

soutenait que pour la mecircme infraction relevant de lrsquoarticle 12-1 il avait

drsquoabord eacuteteacute accuseacute et inculpeacute par le parquet puis frappeacute par le fisc drsquoune

majoration drsquoimpocirct qursquoil aurait payeacutee apregraves quoi il avait eacuteteacute reconnu

coupable et sanctionneacute

19 Par un arrecirct rendu le 12 avril 2010 agrave lrsquounanimiteacute la cour drsquoappel

(lagmannsrett) Borgarting (laquo la cour drsquoappel raquo) le deacutebouta et par un arrecirct du

27 septembre 2010 la Cour suprecircme (Hoslashyesterett) fit de mecircme en se

fondant sur un raisonnement similaire reacutesumeacute ci-dessous

20 Dans son arrecirct du 27 septembre 2010 la Cour suprecircme rechercha

tout drsquoabord si les deux proceacutedures en question se rapportaient aux mecircmes

circonstances factuelles (samme forhold) Agrave cet eacutegard elle prit note des

deacuteveloppements de la jurisprudence relative agrave la Convention exposeacutes dans

lrsquoarrecirct de Grande Chambre Sergueiuml Zolotoukhine c Russie ([GC]

no 1493903 sectsect 52 53 80-82 et 84 CEDH 2009) et de la tentative

drsquoharmonisation y opeacutereacutee par le constat suivant

laquo () lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 doit ecirctre compris comme interdisant de poursuivre

ou de juger une personne pour une seconde laquo infraction raquo pour autant que celle-ci a

pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance les mecircmes () La

Cour doit donc faire porter son examen sur ces faits qui constituent un ensemble de

circonstances factuelles concregravetes impliquant le mecircme contrevenant et

indissociablement lieacutees entre elles dans le temps et lrsquoespace () raquo

21 En lrsquoespegravece la Cour suprecircme observa qursquoil ne faisait aucun doute

que les circonstances factuelles agrave lrsquoorigine de la deacutecision drsquoinfliger une

majoration drsquoimpocirct et des poursuites peacutenales avaient suffisamment de points

communs pour satisfaire agrave ces critegraveres Elle releva que dans le cadre des

deux proceacutedures la base factuelle eacutetait lrsquoomission de revenus dans la

6 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

deacuteclaration fiscale du premier requeacuterant Selon elle les proceacutedures portaient

sur les mecircmes faits et satisfaisaient donc agrave la condition requise agrave cet eacutegard

22 La Cour suprecircme rechercha ensuite si les deux proceacutedures avaient

pour objet une laquo infraction raquo au sens de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Agrave cet

eacutegard elle rappela son arrecirct publieacute au Norsk Retstidende (laquo le Rt raquo) 2002

p 509 (paragraphe 45 ci-dessous) qualifiant une majoration drsquoimpocirct au taux

ordinaire (30 ) de compatible avec la notion drsquolaquo accusation en matiegravere

peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 sect 1 Cette conclusion anteacuterieure agrave lrsquoespegravece

srsquoappuyait sur ce qursquoil est convenu drsquoappeler les trois laquo critegraveres Engel raquo (la

qualification juridique de lrsquoinfraction en droit interne la nature de celle-ci et

le degreacute de seacuteveacuteriteacute de la sanction encourue) eacutenonceacutes dans lrsquoarrecirct rendu par

la Cour en lrsquoaffaire Engel et autres c Pays-Bas (8 juin 1976 sect 82 seacuterie A

no 22) La Cour suprecircme jugea importantes dans son analyse la finaliteacute

geacuteneacuterale de preacutevention poursuivie par la majoration drsquoimpocirct et la possibiliteacute

que 30 eacutetant un taux eacuteleveacute des sommes consideacuterables fussent en jeu

Elle rappela en outre son arrecirct publieacute au Rt 2004 p 645 dans lequel elle

avait jugeacute agrave la lumiegravere de la jurisprudence de la Cour (selon laquelle la

notion de laquo peine raquo ne doit pas revecirctir des sens diffeacuterents selon la

disposition de la Convention en cause) qursquoune majoration drsquoimpocirct de 30

revecirctait aussi un caractegravere peacutenal sur le terrain de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 ce qursquoelle confirma sans autre deacutebat dans une deacutecision

publieacutee au Rt 2006 p 1409

23 La Cour suprecircme constata par ailleurs que la Direction des impocircts

(Skattedirektoratet) comme le Procureur geacuteneacuteral (Riksadvokaten) estimaient

peu probable qursquoune majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire ne fucirct pas

qualifieacutee de sanction peacutenale aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

24 La Cour suprecircme consideacutera eacutegalement la jurisprudence plus reacutecente

de la Cour (Mjelde c Norvegravege (deacutec) no 1114304 1er feacutevrier 2007

Storbraringten c Norvegravege (deacutec) no 1227704 1er feacutevrier 2007 Haarvig

c Norvegravege (deacutec) no 1118705 11 deacutecembre 2007 avec des reacutefeacuterences agrave

Malige c France 23 septembre 1998 sect 35 Recueil des arrecircts et deacutecisions

1998-VII et Nilsson c Suegravede (deacutec) no 7366101 CEDH 2005-XIII) dont il

ressortait selon elle qursquoun groupe plus large de critegraveres que ceux retenus

dans la jurisprudence Engel srsquoappliquaient pour effectuer une analyse sous

lrsquoangle de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Elle trouva dans lrsquoarrecirct preacuteciteacute

Sergueiuml Zolotoukhine (sectsect 52-57) suivi par lrsquoarrecirct Ruotsalainen c Finlande

(no 1307903 sectsect 41-47 16 juin 2009) la confirmation que les trois critegraveres

Engel sur la base desquels devait ecirctre eacutetablie lrsquoexistence drsquoune laquo accusation

en matiegravere peacutenale raquo sur le terrain de lrsquoarticle 6 srsquoappliquaient tout autant agrave

la notion de sanction peacutenale figurant agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

25 La Cour suprecircme en conclut qursquoil nrsquoy avait pas lieu pour elle de

srsquoeacutecarter de ses deacutecisions preacuteciteacutees rendues en 2004 et 2006 selon

lesquelles une majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire srsquoanalysait en une

laquo sanction peacutenale raquo (straff) pour les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 7

26 Elle observa ensuite que lrsquoune des conditions pour beacuteneacuteficier de la

protection offerte par cette disposition eacutetait que la deacutecision faisant obstacle agrave

drsquoautres poursuites ndash en lrsquoespegravece la deacutecision du 24 novembre 2008 portant

application drsquoune majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire ndash fucirct deacutefinitive Elle

constata que nrsquoayant pas fait lrsquoobjet drsquoun recours aupregraves de la plus haute

juridiction administrative dans le deacutelai prescrit de trois semaines lequel

avait pris fin le 15 deacutecembre 2008 ladite deacutecision eacutetait agrave cet eacutegard devenue

deacutefinitive Elle estima que si en revanche il fallait prendre en compte le

deacutelai de recours en justice de six mois fixeacute par lrsquoarticle 11-1 4) de la loi

fiscale la deacutecision nrsquoeacutetait pas encore devenue deacutefinitive agrave la date du

prononceacute du jugement du tribunal de Follo agrave savoir le 2 mars 2009

27 La Cour suprecircme dit que lrsquoexpression laquo acquitteacute ou condamneacute par un

jugement deacutefinitif raquo employeacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 avait eacuteteacute

conccedilue pour viser les situations ougrave la deacutecision faisant obstacle agrave drsquoautres

poursuites eacutetait un jugement au peacutenal Elle constata que la Cour avait eacutetabli

qursquoune deacutecision eacutetait deacutefinitive une fois passeacutee en force de chose jugeacutee

crsquoest-agrave-dire lorsqursquoaucun autre recours ordinaire nrsquoeacutetait ouvert et que en

cela la date agrave partir de laquelle en droit interne la deacutecision passait en force

de chose jugeacutee eacutetait deacuteterminante Elle consideacutera que ni le texte de la

disposition elle-mecircme ni les travaux preacuteparatoires de celle-ci ni la

jurisprudence ne donnaient la moindre indication pour le cas ougrave la deacutecision

faisant obstacle agrave drsquoautres poursuites eacutetait de nature administrative Elle

rappela que dans son arrecirct de principe publieacute au Rt 2002 p 557 elle avait

dit qursquoil fallait regarder comme deacutefinitive une deacutecision finale de

redressement fiscal y compris assortie drsquoune majoration drsquoimpocirct degraves lors

que le contribuable en question ne pouvait plus la contester (p 570) sans

toutefois preacuteciser si crsquoeacutetait le deacutelai de recours administratif ou le deacutelai de

recours judiciaire qui eacutetait deacuteterminant En lrsquoespegravece elle dit que la meilleure

solution eacutetait de consideacuterer que crsquoeacutetait le deacutelai de recours administratif

drsquoune dureacutee de trois semaines qui eacutetait deacuteterminant au regard de lrsquoarticle 4

du Protocole no 7 car sinon la situation ne serait eacuteclaircie qursquoau bout de six

mois dans lrsquohypothegravese ougrave le contribuable ne saisirait pas les tribunaux ou

qursquoune fois rendu un jugement leacutegalement exeacutecutoire dans lrsquohypothegravese

inverse au bout drsquoun laps de temps dont la dureacutee pouvait varier et ecirctre

longue Il fallait donc selon elle consideacuterer que la deacutecision du 24 novembre

2008 eacutetait deacutefinitive aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

28 La Cour suprecircme constata que le premier requeacuterant avait acquis la

qualiteacute drsquoaccuseacute le 14 deacutecembre 2007 et que lrsquoavis de redressement lui avait

eacuteteacute signifieacute le 26 aoucirct 2008 Elle releva que par la suite la proceacutedure fiscale

et la proceacutedure peacutenale srsquoeacutetaient deacuterouleacutees en parallegravele jusqursquoagrave ce qursquoune

deacutecision du 24 novembre 2008 et un jugement du 2 mars 2009

respectivement y mettent un terme Elle estima que lrsquoune des questions

essentielles dans cette affaire eacutetait de savoir si les poursuites avaient eacuteteacute

conseacutecutives ce qui aurait eacuteteacute contraire agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 ou

8 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

parallegraveles ce qui aurait eacuteteacute permis dans une certaine mesure Agrave cet eacutegard

elle prit en consideacuteration deux deacutecisions drsquoirrecevabiliteacute RT c Suisse

((deacutec) no 3198296 30 mai 2000) et Nilsson c Suegravede (deacutecision preacuteciteacutee) et

en particulier le passage suivant de cette derniegravere deacutecision

laquo Toutefois la Cour ne saurait accueillir la thegravese du requeacuterant selon laquelle les

autoriteacutes ont deacuteclencheacute contre lui de nouvelles poursuites peacutenales en mettant en œuvre

la proceacutedure de retrait litigieuse Si les diverses sanctions infligeacutees agrave lrsquointeacuteresseacute ont eacuteteacute

prononceacutees par deux autoriteacutes diffeacuterentes agrave lrsquoissue de proceacutedures distinctes il existait

entre elles un lien mateacuteriel et temporel suffisamment eacutetroit pour que lrsquoon puisse

consideacuterer le retrait de permis comme lrsquoune des mesures preacutevues par le droit sueacutedois

pour la reacutepression des deacutelits de conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute avanceacute et de conduite sans

permis (voir RT c Suisse deacutecision preacuteciteacutee et mutatis mutandis Phillips

c Royaume-Uni no 4108798 sect 34 CEDH 2001-VII) En drsquoautres termes on ne

saurait deacuteduire du retrait litigieux que lrsquointeacuteresseacute a eacuteteacute laquo poursuivi ou puni () en

raison drsquoune infraction pour laquelle il a[vait] deacutejagrave eacuteteacute () condamneacute par un jugement

deacutefinitif raquo au meacutepris de lrsquoarticle 4 sect 1 du Protocole no 7 raquo

29 La Cour suprecircme jugea que en lrsquoespegravece lrsquoexistence drsquoun lien

mateacuteriel et temporel suffisant ne pouvait faire de doute Elle estima que les

deux affaires reposaient sur les mecircmes circonstances factuelles agrave savoir une

omission drsquoinformations dans la deacuteclaration fiscale qui avait causeacute une

erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct Elle conclut que la proceacutedure peacutenale et la

proceacutedure administrative avaient eacuteteacute conduites en parallegravele Elle releva que

apregraves que le premier requeacuterant eut deacuteposeacute en qualiteacute drsquoaccuseacute le

14 deacutecembre 2007 un avis de redressement avait suivi le 26 aoucirct 2008 puis

une inculpation le 14 octobre 2008 la deacutecision de redressement prise par le

fisc le 24 novembre 2008 et le jugement du tribunal de Follo le 2 mars

2009 Selon elle la proceacutedure administrative et la proceacutedure peacutenale eacutetaient

ainsi dans une large mesure imbriqueacutees

30 La Cour suprecircme estima que la finaliteacute de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 qui eacutetait drsquooffrir une protection contre le fardeau que

repreacutesente un nouveau procegraves eacutetait moins pertinente en lrsquoespegravece dans la

mesure ougrave le premier requeacuterant nrsquoavait aucune espeacuterance leacutegitime de nrsquoecirctre

lrsquoobjet que drsquoune seule proceacutedure Dans ces conditions selon elle

lrsquoeffectiviteacute de la reacutepression revecirctait un caractegravere preacutepondeacuterant

B Le second requeacuterant

31 Agrave lrsquoautomne 2007 agrave la suite du controcircle fiscal conduit en 2005

eacutevoqueacute au paragraphe 13 ci-dessus le fisc signala agrave Oslashkokrim que dans sa

deacuteclaration fiscale pour lrsquoanneacutee fiscale 2002 le second requeacuterant avait omis

de mentionner 4 561 881 NOK (soit environ 500 000 EUR) de revenus tireacutes

de la vente par lui de certaines actions

32 Le 16 octobre 2008 le bureau des impocircts avisa le second requeacuterant

qursquoil envisageait de le redresser fiscalement et de lui appliquer une

majoration drsquoimpocirct Il srsquoappuyait notamment sur le controcircle fiscal sur

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 9

lrsquoenquecircte peacutenale et sur la deacuteposition faite par lrsquointeacuteresseacute eacutevoqueacutes au

paragraphe 13 ci-dessus ainsi que sur des documents saisis par Oslashkokrim

lors de lrsquoenquecircte Le 5 deacutecembre 2008 il effectua le redressement preacutecisant

que le second requeacuterant devait 1 302 526 NOK (soit environ 143 400 EUR)

drsquoimpocircts au titre des revenus non deacuteclareacutes De plus se fondant sur les

articles 10-2 1) et 10-4 1) de la loi fiscale il deacutecida drsquoappliquer une

majoration drsquoimpocirct de 30 en tenant notamment compte des deacutepositions

faites par les premier et second requeacuterants agrave lrsquooccasion de leurs

interrogatoires conduits lors de lrsquoenquecircte peacutenale Le second requeacuterant

srsquoacquitta des impocircts dus et de la majoration drsquoimpocirct et ne contesta pas

ladite deacutecision qui devint deacutefinitive le 26 deacutecembre 2008

33 Parallegravelement le 11 novembre 2008 le parquet avait inculpeacute le

second requeacuterant drsquoune violation de lrsquoarticle 12-1 1) a) cf article 12-2 de la

loi fiscale au motif que pour les anneacutees fiscales 2001 etou 2002 celui-ci

avait omis dans sa deacuteclaration fiscale 4 651 881 NOK de revenus ce qui

repreacutesentait 1 302 526 NOK drsquoimpocircts agrave verser Il pria le tribunal (tingrett)

drsquoOslo de rendre un jugement sommaire fondeacute sur les aveux

(tilstaringelsesdom) de lrsquointeacuteresseacute De plus MM EK BL et GA plaidegraverent

coupable et acceptegraverent de passer en jugement sommaire sur la base de la

reconnaissance par eux de leur culpabiliteacute

34 Le 10 feacutevrier 2009 le second requeacuterant (agrave lrsquoinverse de MM EK

BL et GA) revint sur ses aveux agrave la suite de quoi le procureur deacutelivra le

29 mai 2009 un acte drsquoinculpation reacuteviseacute qui reprenait les mecircmes chefs

35 Le 30 septembre 2009 agrave lrsquoissue drsquoun procegraves contradictoire le

tribunal drsquoOslo deacuteclara le second requeacuterant coupable des chefs de fraude

fiscale aggraveacutee et le condamna agrave un an drsquoemprisonnement peine qui tenait

compte de ce qursquoune majoration drsquoimpocirct lui avait deacutejagrave eacuteteacute appliqueacutee

36 Le second requeacuterant contesta devant la cour drsquoappel la proceacutedure

conduite devant le tribunal drsquoOslo soutenant en particulier que en vertu du

principe non bis in idem consacreacute agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

lrsquoapplication dans son cas drsquoune majoration drsquoimpocirct faisait obstacle agrave sa

condamnation peacutenale Il demanda donc agrave la cour drsquoappel lrsquoannulation

(opphevet) du jugement dudit tribunal et le rejet (avvist) de lrsquoaction dirigeacutee

contre lui

37 Par un arrecirct rendu le 8 juillet 2010 qui reprenait pour lrsquoessentiel le

raisonnement suivi par elle dans son arrecirct concernant le premier requeacuterant

lequel raisonnement eacutetait similaire agrave celui de la Cour suprecircme reacutesumeacute plus

haut (paragraphes 20 agrave 30 ci-dessus) la cour drsquoappel deacutebouta le second

requeacuterant Elle jugea ainsi que la deacutecision du 5 deacutecembre 2008 par laquelle

le fisc avait ordonneacute au second requeacuterant de payer une majoration drsquoimpocirct

de 30 srsquoanalysait bien en une sanction peacutenale (straff) que cette deacutecision

eacutetait devenue laquo deacutefinitive raquo agrave la date drsquoexpiration du deacutelai de recours soit le

26 deacutecembre 2008 et que ladite deacutecision et la condamnation peacutenale

posteacuterieure portaient sur les mecircmes faits

10 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

38 Par ailleurs comme dans le cas du premier requeacuterant la cour drsquoappel

jugea que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 permettait dans une certaine mesure

la conduite de proceacutedures parallegraveles ndash lrsquoune administrative et lrsquoautre

peacutenale ndash pourvu que la seconde commence avant que la premiegravere ne se

conclue par une deacutecision deacutefinitive Elle estima que une fois satisfaite cette

exigence minimale il fallait appreacutecier lrsquoeacutetat drsquoavancement de la seconde

proceacutedure et surtout rechercher srsquoil existait ou non un lien mateacuteriel et

temporel suffisant entre la premiegravere deacutecision et la seconde

39 Quant agrave lrsquoexamen concret des circonstances propres agrave lrsquoaffaire du

second requeacuterant la cour drsquoappel constata que la proceacutedure peacutenale et la

proceacutedure fiscale avaient en reacutealiteacute eacuteteacute conduites en parallegravele et ce depuis la

plainte dont le fisc avait saisi la police agrave lrsquoautomne 2007 jusqursquoagrave la deacutecision

de majoration drsquoimpocirct prise en deacutecembre 2008 Elle jugea la situation

similaire agrave celle du premier requeacuterant Elle releva que le second requeacuterant

avait eacuteteacute inculpeacute et que le dossier avait eacuteteacute transmis au tribunal drsquoOslo

assorti drsquoune demande de jugement sommaire sur la base des aveux

auxquels lrsquointeacuteresseacute srsquoeacutetait livreacute le 11 novembre 2008 anteacuterieurement agrave la

deacutecision de majoration drsquoimpocirct Elle estima donc que agrave la date de cette

deacutecision la proceacutedure peacutenale avait deacutejagrave atteint un stade relativement avanceacute

Elle admit que la peacuteriode de neuf mois ndash courant de la date agrave laquelle la

deacutecision du fisc du 5 deacutecembre 2008 eacutetait devenue deacutefinitive au

30 septembre 2009 date de la condamnation du second requeacuterant par le

tribunal drsquoOslo ndash eacutetait un peu plus longue que la peacuteriode de deux mois et

demi eacutecouleacutee dans le cas du premier requeacuterant Elle consideacutera neacuteanmoins

que cet eacutecart pouvait srsquoexpliquer par la reacutetractation du second requeacuterant en

feacutevrier 2009 en conseacutequence de laquelle il avait fallu lrsquoinculper de nouveau

le 29 mai 2009 et le juger dans le cadre drsquoun procegraves ordinaire Elle en

conclut agrave lrsquoinstar du tribunal drsquoOslo qursquoil existait manifestement un lien

mateacuteriel et temporel suffisant entre la deacutecision de majoration drsquoimpocirct et la

condamnation peacutenale ulteacuterieure

40 Le 29 octobre 2010 le Comiteacute de seacutelection des recours de la Cour

suprecircme refusa au second requeacuterant lrsquoautorisation de former un pourvoi

aupregraves de celle-ci au motif que cela ne se justifiait ni par lrsquoimportance

geacuteneacuterale de lrsquoaffaire ni par aucune autre raison

II LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

41 Aux termes de lrsquoarticle 10-2 1) de la loi fiscale de 1980 qui figure

dans le chapitre 10 consacreacute aux majorations drsquoimpocirct (Tilleggsskatt) est

passible drsquoune majoration drsquoimpocirct tout contribuable qui aura fourni au fisc

des informations inexactes ou incomplegravetes ayant ou risquant drsquoavoir pour

conseacutequence une erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct Conformeacutement agrave

lrsquoarticle 10-4 1) les majorations drsquoimpocirct srsquoeacutelegravevent en principe agrave 30 des

impocircts qui ont eacuteteacute ou risquaient drsquoecirctre soustraits

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 11

42 Agrave lrsquoeacutepoque ougrave les requeacuterants ont commis leurs infractions les

articles 10-2 10-3 et 10-4 de cette loi disposaient

Article 10-2 (majorations drsquoimpocirct)

laquo 1 Si le fisc srsquoaperccediloit qursquoun contribuable lui a communiqueacute dans une deacuteclaration

de revenus une deacuteclaration drsquoactifs une eacutecriture ou toute autre deacuteclaration verbale ou

eacutecrite des informations inexactes ou incomplegravetes qui conduisent ou risquent de

conduire agrave une erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct il lui est infligeacute une majoration

drsquoimpocirct correspondant agrave un pourcentage des impocircts qui ont eacuteteacute ou risquaient drsquoecirctre

soustraits

Les cotisations agrave la seacutecuriteacute sociale sont assimilables agrave des impocircts agrave cet eacutegard

2 Si le contribuable nrsquoa pas produit la deacuteclaration de revenus ou la deacuteclaration

drsquoactifs requise la majoration drsquoimpocirct est calculeacutee agrave partir de lrsquoimpocirct fixeacute dans le

redressement

3 Un suppleacutement drsquoactifs ou de revenus justifiant lrsquoimposition drsquoune majoration

drsquoimpocirct est reacuteputeacute repreacutesenter la partie supeacuterieure des actifs ou revenus du

contribuable Si le contribuable doit srsquoacquitter drsquoune majoration drsquoimpocirct fixeacutee sur la

base de taux diffeacuterents pour la mecircme anneacutee les impocircts sur la base desquels cette

majoration est calculeacutee seront reacutepartis proportionnellement en fonction des actifs ou

des revenus auxquels les divers taux srsquoappliquent

4 Les obligations que le preacutesent article fait peser sur le contribuable srsquoappliquent

eacutegalement agrave sa succession et agrave ses ayants droit

5 Le contribuable pour lequel une majoration drsquoimpocirct est envisageacutee en est aviseacute au

preacutealable et un deacutelai lui est fixeacute de maniegravere agrave lui permettre de srsquoexprimer agrave ce sujet

6 Les majorations drsquoimpocirct peuvent ecirctre fixeacutees dans les deacutelais preacutevus agrave lrsquoarticle 9-6

de la preacutesente loi en mecircme temps que lrsquoeacutetablissement des impocircts sur la base desquels

elles doivent ecirctre calculeacutees ou ulteacuterieurement dans le cadre drsquoune deacutemarche

speacuteciale raquo

Article 10-3 (exemption de majoration drsquoimpocirct)

laquo Nulle majoration drsquoimpocirct ne peut ecirctre imposeacutee

a) lorsque les deacuteclarations fiscales du contribuable contiennent une erreur manifeste

de calcul ou de typographie

b) lorsque lrsquoinfraction commise par le contribuable peut ecirctre regardeacutee comme

excusable pour des raisons tenant agrave sa santeacute agrave son acircge agrave son inexpeacuterience ou pour

toute autre raison qui ne peut lui ecirctre reprocheacutee ou

c) lorsque son montant est infeacuterieur agrave 400 NOK au total raquo

Article 10-4 (taux de la majoration drsquoimpocirct)

laquo 1 Le taux de la majoration drsquoimpocirct est en principe de 30 Si les actes viseacutes agrave

lrsquoarticle 10-2 1) sont commis intentionnellement ou par neacutegligence grave le taux peut

aller jusqursquoagrave 60 Le taux est fixeacute agrave 15 si les informations inexactes ou

incomplegravetes concernent des eacuteleacutements deacuteclareacutes de leur cocircteacute par un employeur ou un

tiers conformeacutement au chapitre 6 ou si les circonstances peuvent ecirctre aiseacutement

veacuterifieacutees au moyen des informations dont le fisc dispose par ailleurs

12 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

2 Les majorations drsquoimpocirct sont fixeacutees agrave des taux eacutequivalant agrave la moitieacute de ceux

indiqueacutes dans les premiegravere et troisiegraveme phrases du paragraphe 1 du preacutesent article si

sont preacutesentes les circonstances preacutevues agrave lrsquoarticle 10-3 b) eacutetant entendu que cela ne

justifie pas drsquoeacuteliminer toute majoration

3 Les majorations drsquoimpocirct peuvent ecirctre calculeacutees avec un taux infeacuterieur agrave celui

indiqueacute au paragraphe 2 du preacutesent article voire eacutecarteacutees si le contribuable sa

succession ou ses ayants droit rectifient ou complegravetent volontairement les

informations preacuteceacutedemment communiqueacutees de sorte que le montant exact des impocircts

puisse ecirctre fixeacute Cette disposition ne srsquoapplique pas si le rectificatif peut passer pour la

conseacutequence de mesures de controcircle qui ont eacuteteacute ou seront adopteacutees ou drsquoinformations

que les autoriteacutes fiscales ont obtenues ou pouvaient obtenir de tiers raquo

43 Le chapitre 12 consacreacute aux sanctions peacutenales (straff) comporte les

dispositions suivantes pertinentes en lrsquoespegravece

Article 12-1 (fraude fiscale)

laquo 1 Doit ecirctre sanctionneacutee pour fraude fiscale toute personne qui intentionnellement

ou par neacutegligence grave

a) communique aux autoriteacutes fiscales des informations inexactes ou incomplegravetes

tout en sachant ou tout en eacutetant censeacutee savoir qursquoelle peut en tirer des avantages

fiscaux () raquo

Article 12-2 (fraude fiscale aggraveacutee)

laquo 1 La fraude fiscale aggraveacutee est punie drsquoune amende ou drsquoune peine

drsquoemprisonnement pouvant aller jusqursquoagrave six ans La compliciteacute est punissable des

mecircmes peines

2 Pour deacuteterminer si la fraude fiscale est aggraveacutee on accordera un poids

particulier au point de savoir si elle risque drsquoentraicircner la soustraction de montants tregraves

importants en impocircts si elle est exeacutecuteacutee drsquoune maniegravere qui en rend la deacutecouverte

particuliegraverement difficile si elle est le fruit drsquoun abus drsquoautoriteacute ou de confiance ou si

elle reacutesulte drsquoune compliciteacute dans lrsquoexercice de fonctions professionnelles

3 En application des critegraveres eacutenumeacutereacutes au paragraphe 2 ci-dessus plusieurs

infractions peuvent ecirctre prises en compte conjointement

4 Le preacutesent article est applicable mecircme en cas drsquoignorance des circonstances

aggravantes si celle-ci est le fruit drsquoune neacutegligence grave raquo

44 Selon la jurisprudence de la Cour suprecircme lrsquoimposition drsquoune

majoration drsquoimpocirct de 60 doit ecirctre qualifieacutee drsquolaquo accusation en matiegravere

peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 de la Convention (Rt 2000 p 996) Degraves lors

que des poursuites peacutenales ont eacuteteacute ensuite engageacutees pour le mecircme

comportement la juridiction de jugement doit prononcer leur abandon faute

de quoi il y aurait violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 (deux arrecircts en

formation pleacuteniegravere rendus le 3 mai 2002 et publieacutes au Rt 2002 p 557 et au

Rt 2002 p 497)

45 La Cour suprecircme a eacutegalement conclu que lrsquoapplication drsquoune

majoration drsquoimpocirct de 30 eacutetait constitutive drsquoune laquo accusation en matiegravere

peacutenale raquo aux fins de lrsquoarticle 6 de la Convention (troisiegraveme arrecirct rendu le

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 13

3 mai 2002 Rt 2002 p 509) Dans des arrecircts ulteacuterieurs publieacutes au Rt 2004

p 645 et au Rt 2006 p 1409 elle a dit qursquoune majoration drsquoimpocirct de 30

revecirctait eacutegalement un caractegravere peacutenal sur le terrain de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7

46 Il faut encore signaler que pour ce qui est de la nature des

majorations drsquoimpocirct ordinaires de 30 la Cour suprecircme srsquoest appuyeacutee sur

des travaux preacuteparatoires de la loi (Otprpnr 29 (1978-1979) pp 44-45)

Elle a jugeacute que le ministegravere attachait beaucoup drsquoimportance agrave des

consideacuterations de preacutevention geacuteneacuterale Un risque eacuteleveacute de sanction sous

forme de majoration drsquoimpocirct aurait eacuteteacute jugeacute plus dissuasif que des sanctions

(peacutenales) moins nombreuses et plus lourdes La majoration drsquoimpocirct serait

censeacutee ecirctre avant tout une reacuteaction agrave la communication au fisc par le

contribuable de deacuteclarations ou drsquoinformations inexactes ou incomplegravetes et

une compensation des ressources humaines et financiegraveres consideacuterables

consacreacutees par la collectiviteacute aux controcircles et enquecirctes Il aurait eacuteteacute estimeacute

que les coucircts ainsi entraicircneacutes devaient dans une certaine mesure ecirctre

supporteacutes par ceux qui fournissaient les informations inexactes ou

incomplegravetes (Rt 2002 p 520) Les buts poursuivis par le reacutegime des

majorations drsquoimpocirct ordinaires se caracteacuteriseraient avant tout par la

neacutecessiteacute de garantir le respect effectif par le contribuable de son devoir de

fournir des informations et par des consideacuterations de preacutevention geacuteneacuterale

(Rt 2006 p 1409) Le contribuable aurait le devoir de communiquer les

informations et eacuteleacutements neacutecessaires agrave lrsquoeacutetablissement de son assiette

fiscale Essentiel agrave lrsquoensemble du systegraveme fiscal national ce devoir serait

eacutetayeacute par un meacutecanisme de controcircles et de sanctions efficaces en cas de

manquement Le calcul de lrsquoimpocirct serait une opeacuteration massive faisant

intervenir des millions de citoyens La majoration drsquoimpocirct aurait pour

finaliteacute de renforcer les fondations du systegraveme fiscal national Il serait admis

qursquoun systegraveme fiscal en bon eacutetat de marche est indispensable au

fonctionnement de lrsquoEacutetat et donc de la socieacuteteacute (Rt 2002 p 525)

47 Par un arrecirct adopteacute par la formation pleacuteniegravere de la Cour suprecircme le

14 septembre 2006 agrave la suite de la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute rendue le

14 septembre 2004 par la Cour en lrsquoaffaire Rosenquist c Suegravede

(no 6061900) la haute juridiction a dit que lrsquoimposition drsquoune majoration

drsquoimpocirct de 30 et une proceacutedure peacutenale pour fraude fiscale ne

correspondaient pas agrave la mecircme infraction au sens de lrsquoarticle 4 du Protocole

no 7 (Rt 2006 p1409) Dans son arrecirct rendu en septembre 2010 concernant

le premier requeacuterant elle a opeacutereacute un revirement de cette jurisprudence

jugeant que la proceacutedure administrative et la proceacutedure peacutenale concernaient

la mecircme infraction pour les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

(paragraphe 20 ci-dessus)

48 Parallegravelement agrave la suite de lrsquoarrecirct rendu par la Cour le 10 feacutevrier

2009 dans lrsquoaffaire preacuteciteacutee Sergueiuml Zolotoukhine le procureur geacuteneacuteral

(Riksadvokaten) publia le 3 avril 2009 des instructions (RA-2009-187) avec

14 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

prise drsquoeffet immeacutediate Drsquoapregraves celles-ci lrsquoarrecirct de la Cour suprecircme de

2006 ne pouvait plus ecirctre suivi Le texte se lisait notamment comme suit

laquo 4 La mecircme infraction ndash la notion drsquoidentiteacute

Il est communeacutement admis que la notion drsquoidentiteacute drsquoinfractions (idem) contenue agrave

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 comporte deux aspects lrsquoun relatif aux circonstances

factuelles et lrsquoautre relatif au droit Selon cette interpreacutetation la seconde proceacutedure (en

pratique le procegraves peacutenal) ne porte sur la mecircme infraction que la proceacutedure anteacuterieure

(en pratique la majoration drsquoimpocirct) que si elles concernent toutes deux les mecircmes

faits ndash le laquo mecircme comportement raquo ndash et si la teneur des dispositions pertinentes est

dans une large mesure identique (crsquoest-agrave-dire si elles renferment les laquo mecircmes eacuteleacutements

essentiels raquo)

Dans son arrecirct rendu en formation pleacuteniegravere (Rt 2006 p 1409) la Cour suprecircme ndash se

reacutefeacuterant en particulier agrave la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute rendue par la Cour le 14 septembre

2004 en lrsquoaffaire Rosenquist (deacutec) no 6061900 ndash a jugeacute qursquoune deacutecision infligeant

une majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire ne faisait pas obstacle agrave lrsquoouverture

ulteacuterieure drsquoun procegraves peacutenal lrsquoune et lrsquoautre des proceacutedures ayant pour objet des

infractions diffeacuterentes au sens de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 La majoriteacute (14 voix) a

estimeacute que les dispositions reacutegissant la majoration drsquoimpocirct ordinaire eacutenonceacutees agrave

lrsquoarticle 10-2 cf article 10-4 1) premiegravere phrase de la loi fiscale ne renfermaient pas

les mecircmes eacuteleacutements essentiels que la disposition peacutenale eacutenonceacutee agrave lrsquoarticle 12-1 de

cette mecircme loi Pour la Cour suprecircme la diffeacuterence deacutecisive tenait agrave ce que si la

disposition peacutenale nrsquoeacutetait applicable que lorsqursquoil y a intention ou neacutegligence grave

les majorations drsquoimpocirct ordinaires lrsquoeacutetaient sur la base de critegraveres plus ou moins

objectifs La haute juridiction a eacutegalement eacutevoqueacute la diffeacuterence de finaliteacute de ces

sanctions

Dans son arrecirct de Grande Chambre Sergueiuml Zolotoukhine la Cour srsquoest livreacutee agrave une

analyse minutieuse de la notion drsquoidentiteacute drsquoinfractions (idem) tireacutee de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 agrave lrsquoissue de laquelle elle srsquoest eacutecarteacutee de lrsquointerpreacutetation qui avait cours

auparavant Depuis cet arrecirct il est clair que la question de savoir si lrsquoune et lrsquoautre des

proceacutedures concernaient la mecircme infraction doit ecirctre analyseacutee sur la base des seuls

faits (voir en particulier les paragraphes 82 et 84 de lrsquoarrecirct) Les deux proceacutedures

auront pour objet la mecircme infraction si elles ont pour origine laquo des faits identiques ou

des faits qui sont en substance les mecircmes raquo (sect 82) Il faut donc faire porter lrsquolaquo examen

sur ces faits qui constituent un ensemble de circonstances factuelles concregravetes

impliquant le mecircme contrevenant et indissociablement lieacutees entre elles dans le temps

et lrsquoespace raquo (sect 84)

De lrsquoavis du procureur geacuteneacuteral le jugement porteacute par la Cour suprecircme dans son arrecirct

publieacute au Rt 2006 p 1409 qui se fondait principalement sur des diffeacuterences dans les

critegraveres de culpabiliteacute ne tient plus depuis lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine Degraves lors que

lrsquoapplication de la majoration drsquoimpocirct et le procegraves peacutenal ulteacuterieur reposent sur la

mecircme action ou omission comme crsquoest normalement le cas il faut supposer que en

application de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 la majoration drsquoimpocirct ordinaire fait

eacutegalement obstacle agrave des poursuites peacutenales ulteacuterieures Le procureur geacuteneacuteral a deacuteduit

de ses entretiens avec la direction des impocircts que telle est la position de celle-ci

La nouvelle conception de la notion drsquoidentiteacute drsquoinfractions sur le terrain de

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 soulegravevera incontestablement de nouvelles questions sur

lrsquoampleur des diffeacuterences que devront avoir les circonstances factuelles pour qursquoil

puisse ecirctre conclu agrave lrsquoabsence drsquoidentiteacute Cependant il srsquoagit de questions qui devront

ecirctre trancheacutees en pratique au cas par cas Il faut noter que le raisonnement de lrsquoarrecirct

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 15

Sergueiuml Zolotoukhine montre que la Cour est moins disposeacutee que le droit interne

norveacutegien agrave consideacuterer une seacutequence drsquoeacuteveacutenements comme un tout pour ce qui est de

rechercher srsquoil y a infraction continueacutee ou non

5 Nouvelle proceacutedure

Comme on le sait les instructions anteacuterieures (voir en particulier la section 3 de la

lettre du 26 mars 2007 (RA-2007-120) adresseacutee par le procureur geacuteneacuteral aux bureaux

reacutegionaux des procureurs et aux directeurs de la police) reposaient sur la possibiliteacute

drsquoappliquer aux majorations drsquoimpocirct ordinaires le systegraveme agrave deux niveaux instaureacute par

la loi fiscale Depuis le revirement opeacutereacute dans la jurisprudence de la Cour il faut

appliquer un systegraveme laquo agrave un niveau raquo eacutegalement pour les majorations drsquoimpocirct

ordinaires

Ainsi qursquoil a deacutejagrave eacuteteacute dit le procureur geacuteneacuteral et la direction des impocircts nrsquoestiment

pas justifiable drsquoouvrir un nouveau procegraves en supposant que les tribunaux ne

concluront plus que lrsquoapplication drsquoune majoration drsquoimpocirct ordinaire constitue une

sanction peacutenale au sens de la Convention On pourrait peut-ecirctre deacutefendre cette thegravese

mais elle comporte trop drsquoincertitudes Il faut aussi tenir compte du nombre

relativement important drsquoaffaires en jeu

Quand bien mecircme la jurisprudence de la Cour en matiegravere de proceacutedures parallegraveles

nrsquoaurait pas changeacute nous estimons ndash comme auparavant ndash que si un grand nombre

drsquoactions en justice sont formeacutees ndash ce qui risque drsquoecirctre le cas ndash il sera trop compliqueacute

drsquointenter un procegraves sur la base de proceacutedures parallegraveles crsquoest-agrave-dire devant

lrsquoadministration et devant le juge Il faut signaler aussi que dans tel ou tel cas si les

circonstances le permettent des transactions peuvent ecirctre conclues en tenant compte

de lrsquoeacuteventualiteacute de proceacutedures parallegraveles

Agrave lrsquoissue des discussions le procureur geacuteneacuteral et la direction des impocircts

conviennent de la proceacutedure suivante () raquo

49 Les instructions fixent ensuite les modaliteacutes de la laquo nouvelle

proceacutedure raquo

a) Srsquoagissant des affaires nouvelles crsquoest-agrave-dire celles sur lesquelles le

fisc nrsquoa pas encore statueacute celui-ci doit examiner de maniegravere indeacutependante si

le fait punissable est drsquoune graviteacute telle qursquoil meacuterite drsquoecirctre signaleacute agrave la

police Si le fisc deacutecide drsquoen saisir la police aucune majoration drsquoimpocirct ne

peut ecirctre appliqueacutee Srsquoil faut appliquer une majoration drsquoimpocirct la police ne

peut ecirctre saisie

Srsquoagissant des affaires dont la police a eacuteteacute saisie il est souligneacute que

lrsquoimposition drsquoune amende (par le biais drsquoune notification de peine ou drsquoun

jugement au peacutenal) fait obstacle agrave lrsquoapplication ulteacuterieure drsquoune majoration

drsquoimpocirct Si le parquet estime qursquoil nrsquoy a pas lieu drsquoouvrir des poursuites

peacutenales lrsquoaffaire doit ecirctre renvoyeacutee au fisc pour que celui-ci en reprenne

lrsquoexamen et lrsquointeacuteresseacute doit en ecirctre aviseacute

Dans les affaires ougrave le fisc applique une majoration drsquoimpocirct ordinaire

tout en signalant lrsquoaffaire agrave la police mais ougrave lrsquoouverture de poursuites nrsquoest

pas encore deacutecideacutee (laquo en instance de deacutecision raquo) il faut renoncer agrave celles-ci

b) Dans les affaires ougrave une notification de peine a eacuteteacute deacutelivreacutee mais nrsquoa

pas eacuteteacute accepteacutee et ougrave le fisc a appliqueacute une majoration drsquoimpocirct avant de

signaler lrsquoaffaire agrave la police il faut clore la proceacutedure Les notifications de

16 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

peine qui ont eacuteteacute accepteacutees doivent ecirctre annuleacutees par les hautes instances du

parquet En revanche en vertu du pouvoir discreacutetionnaire confeacutereacute par

lrsquoarticle 392 1) du code de proceacutedure peacutenale reconnu par la Cour suprecircme

en formation pleacuteniegravere dans son arrecirct publieacute au Rt 2003 p 359 il nrsquoest pas

neacutecessaire drsquoannuler les notifications de peine accepteacutees avant le 10 feacutevrier

2009 date du prononceacute de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine

c) Srsquoagissant des affaires passant en jugement devant les tribunaux de

premiegravere instance ndash sur la base drsquoun acte drsquoinculpation drsquoune notification de

peine non accepteacutee ou drsquoune demande de jugement sur la base drsquoune

reconnaissance de culpabiliteacute dans le cadre drsquoune proceacutedure sommaire ndash le

parquet doit clore la proceacutedure et abandonner les poursuites si lrsquoaudience

nrsquoa pas encore eu lieu ou si celle-ci a eu lieu demander le rejet de lrsquoaffaire

Le parquet doit faire appel de toute condamnation non encore deacutefinitive et

exeacutecutoire en faveur de la personne viseacutee et quelle que soit lrsquoissue en

premiegravere instance demander lrsquoannulation du jugement de premiegravere instance

et le rejet de lrsquoaffaire par les tribunaux

d) Il nrsquoest pas question de rouvrir le procegraves lorsque le jugement est

devenu deacutefinitif et exeacutecutoire anteacuterieurement agrave la date du prononceacute de

lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine crsquoest-agrave-dire avant le 10 feacutevrier 2009 Pour ce

qui est des jugements posteacuterieurs agrave cette date la reacuteouverture pourrait ecirctre

envisageacutee dans des cas exceptionnels mais lrsquointeacuteresseacute doit ecirctre informeacute que

le parquet ne demandera pas drsquooffice la reacuteouverture

50 Pour ce qui est de lrsquoimposition de plusieurs sanctions peacutenales pour le

mecircme comportement lrsquoarticle 29 du code peacutenal (Straffeloven) de 2005

dispose que la peine globale en reacutesultant doit raisonnablement correspondre

agrave lrsquoinfraction commise Cette disposition reflegravete agrave lrsquoeacutevidence le principe

geacuteneacuteral de proportionnaliteacute applicable aussi agrave la fixation des sanctions

peacutenales en droit norveacutegien sous lrsquoempire de lrsquoancien code peacutenal de 1902

Dans un arrecirct publieacute au Rt 2009 p 14 qui concernait une proceacutedure peacutenale

pour fraude fiscale la Cour suprecircme a deacuteduit des principes eacutenonceacutes dans le

code peacutenal de 1902 qursquoil fallait tenir compte de toute sanction deacutejagrave infligeacutee

agrave lrsquoaccuseacute ndash en lrsquooccurrence une majoration drsquoimpocirct de nature

administrative ndash pour la fraude fiscale dont il eacutetait lrsquoauteur et en a conclu

qursquoil ne devait pas ecirctre traiteacute plus seacutevegraverement que si lrsquoinfraction peacutenale de

fraude fiscale avait eacuteteacute jugeacutee en mecircme temps que le comportement

sanctionneacute dans le cadre de la proceacutedure administrative Dans un arrecirct

publieacute au Rt 2011 p 1509 elle a confirmeacute ce qursquoelle avait dit dans une

deacutecision anteacuterieure publieacutee au Rt 2005 p 129 agrave savoir que le principe

(eacutenonceacute dans un arrecirct publieacute au Rt 2004 p 645) selon lequel un montant

correspondant agrave la majoration drsquoimpocirct administrative ordinaire de 30

pouvait ecirctre englobeacute dans lrsquoamende nrsquoeacutetait pas applicable aux affaires de

fraude fiscale agrave caractegravere peacutenal ougrave il y avait lieu de prononcer des peines

drsquoemprisonnement en plus des amendes Elle a eacutegalement confirmeacute que

comme elle lrsquoavait dit dans sa deacutecision de 2005 si une majoration drsquoimpocirct

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 17

administrative ne pouvait plus ecirctre imposeacutee lrsquoamende de nature peacutenale

devait ecirctre plus lourde

III LrsquoAFFAIRE HANS AringKEBERG FRANSSON (C-61710) DEVANT LA

COUR DE JUSTICE DE LrsquoUNION EUROPEacuteENNE

51 Dans ses conclusions preacutesenteacutees le 12 juin 2012 en lrsquoaffaire

susmentionneacutee porteacutee devant la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne (laquo la

CJUE raquo) lrsquoavocat geacuteneacuteral Cruz Villaloacuten a dit ceci

laquo 2 Analyse des deuxiegraveme troisiegraveme et quatriegraveme questions preacutejudicielles

70 La question poseacutee par le [tribunal de] Haparanda () est particuliegraverement

complexe et srsquoavegravere tout aussi deacutelicate que la question qui vient drsquoecirctre traiteacutee Drsquoun

cocircteacute la double sanction administrative et peacutenale est une pratique tregraves reacutepandue dans

les Eacutetats membres surtout dans des domaines tels que ceux de la fiscaliteacute des

politiques environnementales ou de la seacutecuriteacute publique Toutefois les modaliteacutes

relatives au cumul des sanctions varient eacutenormeacutement entre les ordres juridiques et

revecirctent des caracteacuteristiques speacutecifiques et propres agrave chaque Eacutetat membre Dans la

plupart des cas ces speacutecificiteacutes visent agrave atteacutenuer les effets drsquoune double reacuteaction

punitive de la part des pouvoirs publics Drsquoun autre cocircteacute comme nous le verrons par

la suite la Cour de Strasbourg srsquoest prononceacutee reacutecemment agrave ce sujet et a confirmeacute

que contrairement agrave ce qursquoil semblait au deacutebut ces pratiques eacutetaient contraires au

droit fondamental ne bis in idem figurant agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 de la CEDH

Cependant il srsquoavegravere que tous les Eacutetats membres nrsquoont pas ratifieacute cette disposition

puisqursquoils ont introduit dans certains cas des reacuteserves ou des deacuteclarations

interpreacutetatives agrave ce sujet Il srsquoensuit que lrsquoobligation drsquointerpreacuteter la charte agrave la lumiegravere

de la CEDH et de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg (article 52 paragraphe 3

de la charte) devient en quelque sorte asymeacutetrique en ce qursquoelle pose de gros

problegravemes dans son application au cas particulier

a) Lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 de la CEDH et la jurisprudence de la Cour de

Strasbourg y affeacuterente

i) Signature et ratification de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 de la CEDH

71 Le principe ne bis in idem ne fait pas expresseacutement partie de la CEDH depuis le

deacutebut Son incorporation agrave la convention a eu lieu comme on le sait par le biais de

son Protocole no 7 ouvert agrave la signature le 22 novembre 1984 et entreacute en vigueur le

1er novembre 1988 Entre autres droits lrsquoarticle 4 eacutenonce la garantie du ne bis in idem

dans le but selon les explications sur le protocole fournies par le Conseil de lrsquoEurope

de concreacutetiser le principe en vertu duquel nul ne peut ecirctre poursuivi ou puni

peacutenalement en raison drsquoune infraction pour laquelle il a deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute ou condamneacute

par un jugement deacutefinitif

72 Agrave la diffeacuterence drsquoautres droits contenus dans la CEDH le droit preacutevu agrave

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 de la CEDH nrsquoa pas eacuteteacute unanimement accepteacute par les

Eacutetats signataires de la convention dont diffeacuterents Eacutetats membres de lrsquoUnion Au jour

de la lecture des preacutesentes conclusions le Protocole no 7 nrsquoest pas encore ratifieacute par la

Reacutepublique feacutedeacuterale drsquoAllemagne le Royaume de Belgique le Royaume des

Pays-Bas et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et drsquoIrlande du Nord Parmi les

Eacutetats qui lrsquoont ratifieacutee la Reacutepublique franccedilaise a formuleacute une reacuteserve agrave lrsquoarticle 4

dudit protocole en limitant son application aux seules infractions de nature

peacutenale () De mecircme agrave lrsquooccasion de la signature la Reacutepublique feacutedeacuterale

18 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

drsquoAllemagne la Reacutepublique drsquoAutriche la Reacutepublique italienne et la Reacutepublique

portugaise ont formuleacute diffeacuterentes deacuteclarations contenant la mecircme indication la

porteacutee limiteacutee de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 dont la protection ne concerne que la

double sanction laquo peacutenale raquo au sens ougrave lrsquoentend lrsquoordre juridique interne ()

73 Les eacuteleacutements qui preacutecegravedent montrent clairement et sans eacutequivoque que les

problegravemes que pose la double sanction administrative et peacutenale sont marqueacutes par un

grave deacutefaut de consensus entre les Eacutetats membres de lrsquoUnion Le caractegravere

probleacutematique du contexte est patent agrave en juger par les neacutegociations sur la future

adheacutesion de lrsquoUnion agrave la CEDH au cours desquelles les Eacutetats et lrsquoUnion ont deacutecideacute

drsquoexclure pour le moment les protocoles de la CEDH y compris celui en cause dans

cette affaire ()

74 Ce deacutefaut de consensus peut srsquoexpliquer par lrsquoimportance que revecirctent les

instruments de reacutepression administrative dans bon nombre drsquoEacutetats membres ainsi que

par lrsquoaccent particulier qui est mis dans ces Eacutetats membres agrave la fois sur la proceacutedure

et sur la sanction peacutenales Drsquoun cocircteacute les Eacutetats ne veulent pas renoncer agrave lrsquoefficaciteacute

qui caracteacuterise la sanction administrative en particulier dans des domaines ougrave les

pouvoirs publics tiennent agrave srsquoassurer du strict respect de la leacutegaliteacute tels que le droit

fiscal ou le droit de la seacutecuriteacute publique Drsquoun autre cocircteacute le caractegravere exceptionnel de

lrsquointervention peacutenale ainsi que les garanties dont lrsquoaccuseacute beacuteneacuteficie pendant le procegraves

incitent les Eacutetats agrave se reacuteserver une marge drsquoappreacuteciation pour deacuteterminer les

comportements qui doivent faire lrsquoobjet de poursuites peacutenales Ce double inteacuterecirct agrave

conserver un pouvoir de sanction agrave la fois administrative et peacutenale explique pourquoi

un grand nombre drsquoEacutetats membres refusent actuellement drsquoune maniegravere ou drsquoune

autre de se soumettre agrave la jurisprudence de la Cour de Strasbourg laquelle comme

nous allons le voir maintenant a eacutevolueacute dans un sens qui exclut pratiquement cette

dualiteacute raquo

52 Dans son arrecirct du 26 feacutevrier 2013 la CJUE (grande chambre) a

notamment dit ceci

laquo Sur les questions preacutejudicielles

Sur les deuxiegraveme troisiegraveme et quatriegraveme questions

32 Par ces questions auxquelles il convient de reacutepondre de maniegravere conjointe le

[tribunal de] Haparanda () demande en substance agrave la Cour srsquoil convient

drsquointerpreacuteter le principe ne bis in idem eacutenonceacute agrave lrsquoarticle 50 de la Charte en ce sens

qursquoil srsquooppose agrave ce que des poursuites peacutenales pour fraude fiscale soient diligenteacutees

contre un preacutevenu degraves lors que ce dernier a deacutejagrave fait lrsquoobjet drsquoune sanction fiscale

pour les mecircmes faits de fausse deacuteclaration

33 Srsquoagissant de lrsquoapplication du principe ne bis in idem eacutenonceacute agrave lrsquoarticle 50 de la

Charte agrave des poursuites peacutenales pour fraude fiscale telles que celles qui sont lrsquoobjet du

litige au principal elle suppose que les mesures qui ont deacutejagrave eacuteteacute adopteacutees agrave lrsquoencontre

du preacutevenu au moyen drsquoune deacutecision devenue deacutefinitive revecirctent un caractegravere peacutenal

34 Agrave cet eacutegard il convient de relever tout drsquoabord que lrsquoarticle 50 de la Charte ne

srsquooppose pas agrave ce qursquoun Eacutetat membre impose pour les mecircmes faits de non-respect

drsquoobligations deacuteclaratives dans le domaine de la TVA une combinaison de sanctions

fiscales et peacutenales En effet afin de garantir la perception de lrsquointeacutegraliteacute des recettes

provenant de la TVA et ce faisant la protection des inteacuterecircts financiers de lrsquoUnion les

Eacutetats membres disposent drsquoune liberteacute de choix des sanctions applicables (voir en ce

sens arrecircts du 21 septembre 1989 CommissionGregravece 68frasl88 Rec p 2965 point 24

du 7 deacutecembre 2000 de Andrade C-213frasl99 Rec p I-11083 point 19 et du

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 19

16 octobre 2003 Hannl-Hofstetter C-91frasl02 Rec p I-12077 point 17) Celles-ci

peuvent donc prendre la forme de sanctions administratives de sanctions peacutenales ou

drsquoune combinaison des deux Ce nrsquoest que lorsque la sanction fiscale revecirct un

caractegravere peacutenal au sens de lrsquoarticle 50 de la Charte et est devenue deacutefinitive que

ladite disposition srsquooppose agrave ce que des poursuites peacutenales pour les mecircmes faits soient

diligenteacutees contre une mecircme personne

35 Ensuite il y a lieu de rappeler que aux fins de lrsquoappreacuteciation de la nature peacutenale

de sanctions fiscales trois critegraveres sont pertinents Le premier est la qualification

juridique de lrsquoinfraction en droit interne le deuxiegraveme la nature mecircme de lrsquoinfraction et

le troisiegraveme la nature ainsi que le degreacute de seacuteveacuteriteacute de la sanction que risque de subir

lrsquointeacuteresseacute (arrecirct du 5 juin 2012 Bonda C-489frasl10 point 37)

36 Il appartient agrave la juridiction de renvoi drsquoappreacutecier agrave la lumiegravere de ces critegraveres

srsquoil y a lieu de proceacuteder agrave un examen du cumul de sanctions fiscales et peacutenales preacutevu

par la leacutegislation nationale par rapport aux standards nationaux au sens du point 29 du

preacutesent arrecirct ce qui pourrait lrsquoamener le cas eacutecheacuteant agrave consideacuterer ce cumul comme

contraire auxdits standards agrave condition que les sanctions restantes soient effectives

proportionneacutees et dissuasives (voir en ce sens notamment arrecircts CommissionGregravece

preacuteciteacute point 24 du 10 juillet 1990 Hansen C-326frasl88 Rec p I-2911 point 17 du

30 septembre 2003 Inspire Art C-167frasl01 Rec p I-10155 point 62 du 15 janvier

2004 Penycoed C-230frasl01 Rec p I-937 point 36 ainsi que du 3 mai 2005

Berlusconi ea C-387frasl02 C-391frasl02 et C-403frasl02 Rec p I-3565 point 65)

37 Il deacutecoule des consideacuterations qui preacutecegravedent qursquoil convient de reacutepondre aux

deuxiegraveme troisiegraveme et quatriegraveme questions que le principe ne bis in idem eacutenonceacute agrave

lrsquoarticle 50 de la Charte ne srsquooppose pas agrave ce qursquoun Eacutetat membre impose pour les

mecircmes faits de non-respect drsquoobligations deacuteclaratives dans le domaine de la TVA

successivement une sanction fiscale et une sanction peacutenale dans la mesure ougrave la

premiegravere sanction ne revecirct pas un caractegravere peacutenal ce qursquoil appartient agrave la juridiction

nationale de veacuterifier raquo

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 4 DU

PROTOCOLE No 7 Agrave LA CONVENTION

53 Les requeacuterants soutiennent tous deux avoir eacuteteacute poursuivis et

sanctionneacutes deux fois pour la mecircme infraction relevant de lrsquoarticle 12-1

(chapitre 12) de la loi fiscale en violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 agrave

la Convention ils allegraveguent avoir eacuteteacute interrogeacutes en tant qursquoaccuseacutes et

inculpeacutes par le parquet frappeacutes de majorations drsquoimpocirct par le fisc payeacutees

par eux puis reconnus coupables et sanctionneacutes au peacutenal Lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 est ainsi libelleacute

laquo 1 Nul ne peut ecirctre poursuivi ou puni peacutenalement par les juridictions du mecircme

Eacutetat en raison drsquoune infraction pour laquelle il a deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute ou condamneacute par un

jugement deacutefinitif conformeacutement agrave la loi et agrave la proceacutedure peacutenale de cet Eacutetat

20 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

2 Les dispositions du paragraphe preacuteceacutedent nrsquoempecircchent pas la reacuteouverture du

procegraves conformeacutement agrave la loi et agrave la proceacutedure peacutenale de lrsquoEacutetat concerneacute si des faits

nouveaux ou nouvellement reacuteveacuteleacutes ou un vice fondamental dans la proceacutedure

preacuteceacutedente sont de nature agrave affecter le jugement intervenu

3 Aucune deacuterogation nrsquoest autoriseacutee au preacutesent article au titre de lrsquoarticle 15 de la

Convention raquo

54 Le Gouvernement reacutecuse cette thegravese

A Sur la recevabiliteacute

55 La Cour estime que les requecirctes soulegravevent des questions complexes

du point de vue des faits et du droit de la Convention de sorte qursquoelle ne

saurait les rejeter pour deacutefaut manifeste de fondement au sens de lrsquoarticle 35

sect 3 a) de la Convention Constatant par ailleurs qursquoelles ne se heurtent agrave

aucun autre motif drsquoirrecevabiliteacute elle les deacuteclare recevables

B Sur le fond

1 Les requeacuterants

56 Les requeacuterants soutiennent que au meacutepris de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 ils ont fait lrsquoobjet drsquoune double incrimination pour le mecircme

motif agrave savoir une infraction relevant de lrsquoarticle 12-1 1) de la loi fiscale Ils

disent en effet avoir eacuteteacute drsquoabord interrogeacutes comme accuseacutes et inculpeacutes par le

parquet et frappeacutes de majorations drsquoimpocirct par le fisc accepteacutees et payeacutees

par chacun drsquoeux puis condamneacutes peacutenalement Se reacutefeacuterant agrave la chronologie

des proceacutedures deacutenonceacutees le premier requeacuterant ajoute qursquoil a fait lrsquoobjet de

doubles poursuites pendant un laps de temps important ce qui aurait fait

peser sur lui un fardeau excessivement lourd tant physiquement que

psychologiquement en conseacutequence de quoi il aurait eacuteteacute victime drsquoun

infarctus et aurait ducirc ecirctre hospitaliseacute

a) Les premiegraveres proceacutedures revecirctaient-elles un caractegravere peacutenal

57 Partageant lrsquoanalyse de la Cour suprecircme fondeacutee sur les critegraveres Engel

et sur drsquoautres eacuteleacutements pertinents de jurisprudence interne concernant la

majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire de 30 les requeacuterants jugent

manifeste que non seulement la proceacutedure pour fraude fiscale mais aussi la

proceacutedure de majoration drsquoimpocirct eacutetaient de nature laquo peacutenale raquo et que ces

deux proceacutedures doivent donc ecirctre qualifieacutees de laquo peacutenales raquo pour les besoins

de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

b) Les infractions eacutetaient-elles les mecircmes (idem)

58 Les requeacuterants souscrivent eacutegalement agrave lrsquoavis de la Cour suprecircme

lorsqursquoelle a dit qursquoil ne faisait aucun doute que les circonstances factuelles

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 21

agrave lrsquoorigine des majorations drsquoimpocirct et des poursuites peacutenales avaient

suffisamment de points communs pour ecirctre consideacutereacutees comme

constitutives de la mecircme infraction Ils estiment en effet que dans un cas

comme dans lrsquoautre la base factuelle eacutetait lrsquoomission de revenus dans leur

deacuteclaration fiscale

c) Les proceacutedures fiscales ont-elles fait lrsquoobjet de deacutecisions deacutefinitives et dans

lrsquoaffirmative agrave quel moment

59 Les requeacuterants soutiennent que les deacutecisions par lesquelles le fisc

leur a appliqueacute des majorations drsquoimpocirct eacutetaient devenues deacutefinitives et

passeacutees en force de chose jugeacutee le 15 deacutecembre 2008 srsquoagissant du premier

requeacuterant et le 26 deacutecembre 2008 srsquoagissant du second requeacuterant soit

anteacuterieurement agrave leur condamnation pour les mecircmes comportements

intervenue le 2 mars 2009 pour le premier requeacuterant et le 30 septembre 2009

pour le second requeacuterant Qursquoil faille regarder ou non ces sanctions comme

issues de proceacutedures dites parallegraveles les deacutecisions de majoration drsquoimpocirct

prises contre eux seraient devenues deacutefinitives et exeacutecutoires avant qursquoils ne

fussent reconnus coupables agrave raison drsquoun comportement strictement

identique respectivement par le tribunal de Follo et par le tribunal drsquoOslo

Les sanctionner peacutenalement aurait donc emporteacute violation du principe non

bis in idem consacreacute agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

d) Y a-t-il eu reacutepeacutetition des poursuites (bis)

60 Les requeacuterants se disent victimes drsquoune reacutepeacutetition des poursuites

proscrite par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Les proceacutedures administratives de

majoration drsquoimpocirct revecirctant effectivement selon eux un caractegravere peacutenal le

parquet aurait eacuteteacute tenu par cette disposition de mettre fin aux poursuites

peacutenales degraves que lrsquoissue de ces proceacutedures administratives eacutetait devenue

deacutefinitive Or il ne lrsquoaurait pas fait

61 Pour les requeacuterants si le droit norveacutegien autorise la conduite de

proceacutedures parallegraveles le recours agrave ce proceacutedeacute par les autoriteacutes internes a

permis agrave ces derniegraveres de coordonner leurs deacutemarches de maniegravere agrave

contourner lrsquointerdiction poseacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 et agrave rendre

ainsi illusoire la protection offerte par cette disposition Dans le cas du

premier requeacuterant en particulier lrsquoouverture de proceacutedures parallegraveles

semblerait avoir eacuteteacute une manœuvre organiseacutee de concert par le parquet et le

fisc

62 Les requeacuterants affirment que en lrsquoespegravece le parquet a simplement

attendu que le fisc deacutecide drsquoappliquer des majorations drsquoimpocirct pour

renvoyer les affaires en jugement Les proceacutedures peacutenale et administrative

auraient ainsi eacuteteacute coordonneacutees de faccedilon agrave les pieacuteger au moyen de deux corps

diffeacuterents de regravegles peacutenales et ainsi agrave leur faire payer des impocircts

suppleacutementaires et des majorations drsquoimpocirct et agrave les faire condamner pour le

mecircme comportement autrement dit agrave les soumettre agrave une double

22 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

incrimination Du point de vue de la seacutecuriteacute juridique la possibiliteacute de

conduire des proceacutedures parallegraveles poserait problegraveme Lrsquoimportante finaliteacute

de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 agrave savoir empecirccher que le justiciable soit

contraint de supporter un fardeau excessif militerait en faveur drsquoune

limitation de la faculteacute pour les autoriteacutes de mener des proceacutedures parallegraveles

63 Les requeacuterants considegraverent que sous lrsquoangle des garanties

proceacutedurales cette faculteacute pour le fisc et le parquet drsquoorganiser de concert la

conduite de proceacutedures parallegraveles est contraire agrave lrsquointerdiction de la double

incrimination poseacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 et agrave la jurisprudence

reacutecente de la Cour ainsi qursquoagrave certains jugements nationaux Ils estiment degraves

lors que ce proceacutedeacute qui a permis en lrsquoespegravece agrave des autoriteacutes diffeacuterentes de

mettre sur pied des proceacutedures parallegraveles semble assez contestable et ne

tient pas ducircment compte des pressions ainsi exerceacutees sur le justiciable pas

plus que des principaux inteacuterecircts proteacutegeacutes par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

64 Au cours du cauchemar qursquoils disent avoir veacutecu en lrsquoespegravece les

requeacuterants auraient eacuteteacute rassureacutes lorsque le premier drsquoentre eux aurait appris

par lrsquoagent des impocircts qursquoil pouvait deacutesormais laquo pousser un soupir de

soulagement raquo en raison de lrsquoadoption de nouvelles instructions eacutecrites par

le service du procureur geacuteneacuteral le 3 avril 2009 lesquelles auraient interdit la

reacutepeacutetition des poursuites et les doubles incriminations dans les cas comme le

sien Srsquoappuyant sur lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine ces nouvelles instructions

auraient notamment disposeacute que en appel ndash qursquoil y ait eu condamnation ou

acquittement en premiegravere instance ndash le parquet devait requeacuterir lrsquoannulation

du jugement et la clocircture de la proceacutedure Les requeacuterants preacutecisent que en

conseacutequence de ces nouvelles instructions et de la qualification de sanction

peacutenale donneacutee aux majorations drsquoimpocirct et puisque les deacutecisions appliquant

celles-ci eacutetaient devenues deacutefinitives et passeacutees en force de chose jugeacutee agrave

leur eacutegard il eacutetait raisonnable qursquoils srsquoattendent agrave lrsquoabandon des poursuites

peacutenales dirigeacutees contre eux par lrsquoeffet de lrsquointerdiction de la double

incrimination poseacutee par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 De plus en vertu de

ces instructions drsquoautres personnes accuseacutees des mecircmes infractions dans le

mecircme groupe drsquoaffaires ne se seraient pas vu appliquer de majorations

drsquoimpocirct parce qursquoelles avaient deacutejagrave eacuteteacute reconnues coupables et condamneacutees

agrave une peine drsquoemprisonnement pour violation de lrsquoarticle 12-2 de la loi

fiscale Or agrave lrsquoinverse de ces autres personnes les requeacuterants auraient eacuteteacute

reconnus coupables et frappeacutes de peines drsquoemprisonnement alors qursquoils

avaient ducirc verser un suppleacutement drsquoimpocirct et une majoration drsquoimpocirct agrave raison

du mecircme comportement La thegravese du Gouvernement soulignant la neacutecessiteacute

drsquoassurer une eacutegaliteacute de traitement avec les autres personnes inculpeacutees de la

mecircme infraction de fraude fiscale ne serait donc pas convaincante

65 Les requeacuterants se disent drsquoautant plus gravement affecteacutes sur le plan

psychologique que malgreacute les instructions susmentionneacutees le parquet a

poursuivi leur procegraves en invoquant la leacutegaliteacute des proceacutedures parallegraveles et a

rejeteacute leurs demandes tendant agrave lrsquoannulation de leur condamnation en

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 23

premiegravere instance et au rejet par les tribunaux des proceacutedures peacutenales Agrave cet

effet le premier requeacuterant produit divers certificats meacutedicaux dont un

deacutelivreacute par une clinique pour une intervention de chirurgie cardiaque

2 Le Gouvernement

a) Les premiegraveres proceacutedures revecirctaient-elles un caractegravere peacutenal

66 Le Gouvernement invite la Grande Chambre agrave confirmer lrsquoapproche

suivie dans une seacuterie drsquoaffaires anteacuterieures agrave lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine

selon laquelle le caractegravere laquo peacutenal raquo drsquoune sanction pour les besoins de

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 srsquoappreacutecie sur la base drsquoun groupe plus large de

facteurs que les critegraveres Engel (formuleacutes sur le terrain de lrsquoarticle 6) Selon

lui il faut tenir compte de la qualification juridique de lrsquoinfraction en droit

interne de la nature de celle-ci de la qualification de la sanction en droit

interne et de son but de sa nature et de son degreacute de seacuteveacuteriteacute ainsi que de

la question de savoir si elle a eacuteteacute imposeacutee agrave la suite drsquoune condamnation

pour une infraction peacutenale et des proceacutedures associeacutees agrave son adoption et agrave

son exeacutecution (le Gouvernement cite les affaires Malige c France

23 septembre 1998 sect 35 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1998-VII et

Nilsson c Suegravede (deacutec) no 7366101 CEDH 2005-XIII Haarvig c Norvegravege

(deacutec) no 1118705 11 deacutecembre 2007 Storbraringten c Norvegravege (deacutec)

no 1227704 1er feacutevrier 2007 et Mjelde c Norvegravege (deacutec) no 1114304

1er feacutevrier 2007)

67 Le Gouvernement soutient entre autres que les diffeacuterences dans le

libelleacute et lrsquoobjet de ces dispositions montrent clairement que le mot

laquo peacutenalement raquo employeacute agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 srsquoentend en un sens

plus eacutetroit que lrsquoexpression laquo en matiegravere peacutenale raquo figurant agrave lrsquoarticle 6 Il

ressortirait du rapport explicatif du Protocole no 7 que le libelleacute de lrsquoarticle 4

a eacuteteacute conccedilu pour viser les proceacutedures peacutenales stricto sensu Ce rapport

indiquerait en son paragraphe 28 qursquoil nrsquoeacutetait pas apparu neacutecessaire de

qualifier lrsquoinfraction de laquo peacutenale raquo car le libelleacute de lrsquoarticle 4 laquo qui contient

deacutejagrave les termes laquo peacutenalement raquo et laquo proceacutedure peacutenale raquo rendait cette

preacutecision inutile dans le texte mecircme de lrsquoarticle raquo Il soulignerait en son

paragraphe 32 que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 nrsquointerdit pas les proceacutedures

laquo drsquoun caractegravere diffeacuterent (par exemple une proceacutedure disciplinaire dans le

cas drsquoun fonctionnaire) raquo De plus lrsquoarticle 6 et lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

poursuivraient des fins diffeacuterentes voire parfois opposeacutees le premier ayant

pour but de renforcer les garanties proceacutedurales en matiegravere peacutenale

68 Le Gouvernement met eacutegalement en avant un certain nombre de

diffeacuterences suppleacutementaires dans la maniegravere dont ces deux dispositions ont

eacuteteacute interpreacuteteacutees et appliqueacutees dans la jurisprudence de la Cour notamment

le caractegravere absolu de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 (non susceptible de

deacuterogation au titre de lrsquoarticle 15) par opposition agrave lrsquoapproche nuanceacutee

suivie par la Cour sur le terrain de lrsquoarticle 6 Il cite lrsquoarrecirct Jussila

24 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

c Finlande ([GC] no 7305301 sect 43 CEDH 2006-XIV) ougrave la Grande

Chambre de la Cour a dit laquo il va de soi que () les laquo accusations en

matiegravere peacutenale raquo nrsquoont pas toutes le mecircme poids raquo et que laquo [l]es majorations

drsquoimpocirct ne faisant pas partie du noyau dur du droit peacutenal les garanties

offertes par le volet peacutenal de lrsquoarticle 6 ne doivent pas neacutecessairement

srsquoappliquer dans toute leur rigueur raquo

69 Se fondant sur le groupe plus large de critegraveres susmentionneacute le

Gouvernement prie la Cour de dire que les majorations drsquoimpocirct au taux

ordinaire ne revecirctent pas un caractegravere laquo peacutenal raquo aux fins de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7

70 Le Gouvernement avance toutefois les arguments exposeacutes ci-dessous

pour le cas ougrave la Grande Chambre viendrait agrave adopter lrsquoautre approche

baseacutee sur les seuls critegraveres Engel et agrave conclure que la deacutecision de

majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire eacutetait laquo peacutenale raquo au sens autonome

donneacute agrave ce terme sur le terrain de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

b) Les infractions eacutetaient-elles les mecircmes (idem)

71 Partageant le raisonnement et les conclusions adopteacutes par la Cour

suprecircme dans le procegraves du premier requeacuterant (paragraphes 20 agrave 30

ci-dessus) et repris par la cour drsquoappel dans le procegraves du second requeacuterant

(paragraphe 37 ci-dessus) le Gouvernement admet que les circonstances

factuelles agrave lrsquoorigine des proceacutedures de majoration drsquoimpocirct et des procegraves

pour fraude fiscale visaient les mecircmes contrevenants et eacutetaient

indissociablement lieacutees entre elles dans le temps et dans lrsquoespace

c) Les proceacutedures fiscales ont-elles fait lrsquoobjet de deacutecisions deacutefinitives

72 Le Gouvernement rappelle que dans un souci de protection effective

et de clarteacute de la jurisprudence la Cour suprecircme a conclu que la deacutecision de

redressement eacutetait devenue deacutefinitive agrave lrsquoexpiration du deacutelai de recours

administratif de trois semaines (soit le 15 deacutecembre 2008 pour le premier

requeacuterant et le 26 deacutecembre 2008 pour le second) alors mecircme que le deacutelai

de recours en justice de six mois preacutevu agrave lrsquoarticle 11-1 4) du chapitre 11 de

la loi fiscale nrsquoavait pas encore expireacute Srsquoil estime que ce point nrsquoest guegravere

deacuteterminant en lrsquoespegravece (le deacutelai de recours en justice ayant lui aussi pris fin

anteacuterieurement agrave la date de clocircture de la proceacutedure peacutenale alors pendante agrave

savoir le 24 mai 2009 pour le premier requeacuterant et le 5 juin 2009 pour le

second) il ne srsquointerroge pas moins sur la neacutecessiteacute drsquoune interpreacutetation

aussi stricte de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Srsquoappuyant sur lrsquoarrecirct Sergueiuml

Zolotoukhine (preacuteciteacute sect 108) il soutient que la jurisprudence de la Cour

semble confirmer que laquo [l]es deacutecisions susceptibles drsquoun recours ordinaire

ne beacuteneacuteficient pas de la garantie que renferme lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

tant que le deacutelai drsquoappel nrsquoest pas expireacute raquo Agrave son avis les requeacuterants

avaient toujours la faculteacute de former des recours ordinaires sous la forme

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 25

drsquoun recours judiciaire dans les six mois agrave compter de la date des deacutecisions

en cause

d) Y a-t-il eu reacutepeacutetition des poursuites (bis)

73 En revanche srsquoappuyant lagrave encore sur lrsquoanalyse de la Cour suprecircme

le Gouvernement souligne que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 permet dans

certaines conditions ce qursquoil est convenu drsquoappeler des laquo proceacutedures

parallegraveles raquo Le libelleacute de cette disposition indiquerait clairement qursquoelle

interdit la reacutepeacutetition des poursuites une fois passeacutee en force de chose jugeacutee

la deacutecision rendue agrave lrsquoissue de la premiegravere proceacutedure (laquo poursuivi ou puni

peacutenalement () en raison drsquoune infraction pour laquelle il a deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute

ou condamneacute par un jugement deacutefinitif raquo) Le rapport explicatif du

Protocole no 7 confirmerait que le principe non bis in idem est

drsquointerpreacutetation relativement eacutetroite Crsquoest ce qui ressortirait de lrsquoarrecirct

Sergueiuml Zolotoukhine (preacuteciteacute sect 83) dans lequel la Grande Chambre a

deacutefini plus preacuteciseacutement la porteacutee de la disposition en cause en la limitant agrave

la situation suivante

laquo La garantie consacreacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 entre en jeu lorsque de

nouvelles poursuites sont engageacutees et que la deacutecision anteacuterieure drsquoacquittement ou de

condamnation est deacutejagrave passeacutee en force de chose jugeacutee raquo

74 Le Gouvernement en deacuteduit a contrario que les proceacutedures

parallegraveles ndash crsquoest-agrave-dire des sanctions diffeacuterentes imposeacutees par deux

autoriteacutes diffeacuterentes dans des proceacutedures diffeacuterentes eacutetroitement lieacutees sur les

plans mateacuteriel et temporel ndash sortent du champ drsquoapplication de cette

disposition Le lancement drsquoune proceacutedure parallegravele ne srsquoanalyserait pas en

lrsquoouverture de nouvelles poursuites degraves lors que lrsquoacquittement ou la

condamnation anteacuterieurs seraient deacutejagrave passeacutes en force de chose jugeacutee Les

deacutecisions preacuteciteacutees RT c Suisse et Nilsson c Suegravede preacuteciseraient les

conditions dans lesquelles des proceacutedures peuvent passer pour parallegraveles et

donc ecirctre permises au regard de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

75 Or selon le Gouvernement la Cour srsquoest eacutecarteacutee de lrsquoapproche

suivie dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine dans un certain nombre drsquoarrecircts

plus reacutecents dont quatre concernant la Finlande rendus le 20 mai 2014 (en

particulier Nykaumlnen c Finlande no 1182811 sect 48 et Glantz c Finlande

no 3739411 sect 57) dans lesquels le paragraphe 83 de lrsquoarrecirct Sergueiuml

Zolotoukhine nrsquoaurait servi que de point de deacutepart et qui auraient dit que

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 laquo interdisait clairement les proceacutedures

conseacutecutives si la premiegravere avait deacutejagrave deacuteboucheacute sur une deacutecision deacutefinitive agrave

la date de lrsquoouverture de la seconde (voir par exemple Sergueiuml

Zolotoukhine preacuteciteacute) raquo

76 Pour le Gouvernement cette interpreacutetation extensive de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 livreacutee notamment dans lrsquoarrecirct Nykaumlnen et qui semble

incompatible avec lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine apparaicirct preacutesupposer que

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 impose lrsquoextinction de toute proceacutedure peacutenale si

26 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

une autre proceacutedure de nature administrative et conduite en parallegravele srsquoest

soldeacutee par une deacutecision deacutefinitive ou vice versa Elle reposerait sur une

deacutecision sur la recevabiliteacute (Zigarella c Italie (deacutec) no 4815499

CEDH 2002-IX (extraits)) et sur deux arrecircts de chambre (Tomasović

c Croatie no 5378509 18 octobre 2011 et Muslija c Bosnie-Herzeacutegovine

no 3204211 14 janvier 2014) Or aucune de ces affaires ne permettrait de

fonder solidement un tel revirement

La premiegravere affaire Zigarella aurait concerneacute des proceacutedures non pas

parallegraveles mais conseacutecutives contrairement agrave ce qursquoaurait supposeacute la

chambre La clocircture de la proceacutedure peacutenale ulteacuterieure ouverte alors que les

autoriteacutes ignoraient lrsquoexistence drsquoune proceacutedure (peacutenale elle aussi) objet

drsquoune deacutecision deacutefinitive aurait eacuteteacute prononceacutee une fois le juge aviseacute de

lrsquoacquittement deacutefinitif dans le premier procegraves La Cour nrsquoaurait alors fait

qursquoappliquer le volet mateacuteriel neacutegatif du principe non bis in idem qui relegraveve

de la regravegle de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee puisqursquoil srsquoagissait de deux

proceacutedures peacutenales ordinaires conseacutecutives concernant la mecircme infraction

Les deux autres affaires Tomasović et Muslija auraient eu pour objet des

proceacutedures se rapportant agrave des infractions relevant du laquo noyau dur raquo du droit

peacutenal agrave savoir respectivement possession de drogues dures et violences

domestiques (le Gouvernement invoque lrsquoarrecirct Jussila preacuteciteacute sect 43) Il y

aurait clairement eu dans ces affaires deux proceacutedures peacutenales visant un

mecircme acte Chacune des deux proceacutedures aurait eacuteteacute ouverte sur la base du

mecircme rapport de police De telles situations ne se produiraient a priori pas

en droit peacutenal norveacutegien et elles seraient en tout eacutetat de cause bien eacuteloigneacutees

du systegraveme traditionnel bien ancreacute dans ce pays de mixiteacute des poursuites

administratives et peacutenales pour les majorations drsquoimpocirct et fraudes fiscales

du type ici en cause

77 Exiger la clocircture de toute proceacutedure parallegravele en cours agrave la date ougrave

lrsquoautre proceacutedure relative aux mecircmes faits a donneacute lieu agrave une deacutecision

deacutefinitive srsquoanalyserait en une exception proceacutedurale de litispendance de

facto Il nrsquoaurait en effet guegravere de sens drsquoouvrir une proceacutedure parallegravele srsquoil

faut clore lrsquoune au seul motif que lrsquoautre a fait lrsquoobjet drsquoune deacutecision

deacutefinitive avant la premiegravere

78 Dans ce contexte drsquoincoheacuterences reacutepeacuteteacutees de la jurisprudence

relative agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 le Gouvernement estime qursquoil est

particuliegraverement important que la Grande Chambre reacuteaffirme lrsquoapproche

suivie par elle dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine qui considegravere cette

disposition comme un aspect du principe de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee et

rejette lrsquoapproche divergente retenue dans lrsquoarrecirct Nykaumlnen

79 Le Gouvernement ne voit pas quelles consideacuterations drsquoopportuniteacute

sous-tendent lrsquoarrecirct Nykaumlnen Le principe non bis in idem repose sur lrsquoideacutee

drsquooffrir une protection contre le risque drsquoecirctre exposeacute agrave des poursuites

reacutepeacutetitives (il mentionne lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sect 107) Le

justiciable devrait avoir la certitude que une fois son acquittement ou sa

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 27

condamnation passeacutes en force de chose jugeacutee il sera proteacutegeacute contre

lrsquoouverture de toute nouvelle proceacutedure fondeacutee sur les mecircmes faits Cela ne

vaudrait pas si la personne est passible de proceacutedures peacutenales et

administratives preacutevisibles conduites parallegravelement comme preacutevu par la loi

et encore moins si la premiegravere sanction (la majoration drsquoimpocirct) a eacuteteacute prise

en compte de maniegravere preacutevisible dans la deacutecision imposant la seconde

sanction (lrsquoemprisonnement)

80 Par ailleurs le Gouvernement nrsquoestime guegravere conciliables lrsquoideacutee que

des proceacutedures parallegraveles ne posent pas le moindre problegraveme sous lrsquoangle du

Protocole no 7 quand elles sont en cours et lrsquoideacutee que degraves que lrsquoune a

atteint sa conclusion deacutefinitive lrsquoexistence de lrsquoautre emporte violation et

ce que ce soit la proceacutedure administrative passible de sanctions plus

douces ou la proceacutedure peacutenale passible de sanctions plus seacutevegraveres qui ait

pris fin la premiegravere et quelle que soit celle entameacutee en premier

81 Le Gouvernement ajoute que lrsquoarrecirct Nykaumlnen meacuteconnaicirct eacutegalement

les principes fondamentaux de la preacutevisibiliteacute et de lrsquoeacutegaliteacute de traitement Il

expose que si crsquoest la proceacutedure peacutenale qui fait lrsquoobjet drsquoune deacutecision

passeacutee en force de chose jugeacutee avant la fin de la proceacutedure administrative

une personne peut se retrouver incarceacutereacutee tandis que dans lrsquohypothegravese

inverse un individu ayant commis la mecircme infraction aurait simplement agrave

payer une amende administrative modeacutereacutee Le point de savoir quelle

proceacutedure prend fin la premiegravere deacutependrait de la maniegravere dont le fisc la

police le parquet ou les tribunaux progressent et de lrsquoouverture ou non par

le contribuable drsquoun recours administratif etou drsquoun recours judiciaire

Lrsquoarrecirct Nykaumlnen commanderait donc agrave lrsquoEacutetat de traiter ineacutegalement des

personnes dans la mecircme situation en fonction de simples coiumlncidences

Comme cet arrecirct le reconnaicirctrait laquo savoir laquelle des proceacutedures parallegraveles

se clocirct la premiegravere par une deacutecision deacutefinitive relegraveve parfois de la

coiumlncidence ce qui pourrait poser problegraveme au regard de lrsquoeacutegaliteacute de

traitement raquo

82 Le Gouvernement dit que lrsquoimpeacuteratif drsquoefficaciteacute dans le traitement

des affaires milite souvent en faveur de la conduite de proceacutedures parallegraveles

Drsquoune part gracircce agrave leurs connaissances speacutecialiseacutees et agrave leurs moyens les

autoriteacutes administratives seraient souvent agrave mecircme drsquoimposer des sanctions

plus rapidement que le parquet et les tribunaux dans le cadre drsquoune

proceacutedure peacutenale Vu que leur action englobe lrsquoensemble des administreacutes

elles seraient en outre mieux placeacutees pour veiller agrave lrsquoeacutegaliteacute dans la sanction

des infractions La preacutevention des infractions graves en revanche

imposerait de ne pas interdire agrave lrsquoEacutetat drsquoen poursuivre et punir les auteurs

dans le cadre traditionnel et formel drsquoun procegraves peacutenal degraves lors que les

proceacutedures administratives et peacutenales mettent au jour des infractions plus

graves et plus complexes que celles qui ont motiveacute agrave lrsquoorigine la proceacutedure

et la sanction administratives Les cas des requeacuterants en seraient

drsquoexcellents exemples

28 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

83 Le Gouvernement constate que plusieurs Eacutetats europeacuteens sont doteacutes

drsquoun systegraveme mixte de sanctions dans des domaines tels que le droit fiscal et

la sucircreteacute publique Sur ce point il se reacutefegravere aux conclusions du 12 juin 2012

produites par lrsquoavocat geacuteneacuteral pregraves la CJUE dans lrsquoaffaire preacuteciteacutee Fransson

(paragraphe 51 ci-dessus)

84 Le Gouvernement dit que en Norvegravege la question de la poursuite de

proceacutedures parallegraveles ne se limite pas agrave la fiscaliteacute Il soutient qursquoune

interpreacutetation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 qui interdirait agrave une proceacutedure

parallegravele en cours drsquoaller jusqursquoagrave son terme degraves lors que lrsquoautre proceacutedure

administrative ou peacutenale a eacuteteacute clocirctureacutee par une deacutecision deacutefinitive aurait

des conseacutequences lourdes neacutegatives et impreacutevisibles dans un certain

nombre de domaines relevant du droit administratif La prudence serait donc

de mise Des questions similaires se poseraient au sein de certains Eacutetats

europeacuteens connaissant depuis longtemps des systegravemes de proceacutedures

administratives et peacutenales parallegraveles dans des domaines essentiels du droit

dont celui de la fiscaliteacute

85 Le Gouvernement estime que les consideacuterations qui sont agrave lrsquoorigine

de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 sont moins pertinentes lorsque les

proceacutedures en cause sont parallegraveles et simultaneacutees Un accuseacute sachant

pertinemment que des autoriteacutes diffeacuterentes ont ouvert contre lui deux

proceacutedures diffeacuterentes eacutetroitement lieacutees sur les plans mateacuteriel et temporel

risquerait moins de srsquoattendre agrave ce que la premiegravere sanction imposeacutee soit

deacutefinitive et exclue toute autre sanction Enfin la logique du principe non

bis in idem srsquoappliquerait dans une moindre mesure aux sanctions ne

relevant pas du laquo noyau dur raquo du droit peacutenal comme les majorations

drsquoimpocirct (voir le raisonnement exposeacute dans lrsquoarrecirct preacuteciteacute Jussila sect 43

relatif agrave lrsquoarticle 6 et transposable agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7)

86 Pour ce qui est des circonstances propres au cas drsquoespegravece le

Gouvernement fait sien sur tous les points le raisonnement exposeacute par la

Cour suprecircme dans lrsquoarrecirct concernant le premier requeacuterant (paragraphe 29

ci-dessus) et celui suivi par la cour drsquoappel dans lrsquoarrecirct concernant le second

requeacuterant (paragraphe 39 ci-dessus) agrave savoir qursquoil existait un lien temporel

et mateacuteriel suffisamment eacutetroit entre les proceacutedures Il dit que ni lrsquoun ni

lrsquoautre des requeacuterants ne pouvaient leacutegitimement srsquoattendre agrave ne faire lrsquoobjet

que drsquoune proceacutedure et drsquoune sanction administratives Il explique que de

maniegravere agrave ne pas aboutir agrave un reacutesultat qui aurait heurteacute le principe

fondamental de lrsquoeacutegaliteacute de traitement les requeacuterants laquo sur un pied

drsquoeacutegaliteacute avec raquo EK et BL coaccuseacutes dans le mecircme groupe drsquoaffaires

(paragraphes 12 et 13 ci-dessus) ont chacun eacuteteacute condamneacutes agrave des peines

drsquoemprisonnement agrave lrsquoissue de procegraves peacutenaux apregraves srsquoecirctre vu appliquer des

majorations drsquoimpocirct administratives de 30

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 29

3 Les tiers intervenants

87 Les tierces interventions sont principalement axeacutees sur deux points

premiegraverement lrsquointerpreacutetation du mot laquo peacutenalement raquo employeacute agrave lrsquoarticle 4

du Protocole no 7 et lrsquoarticulation entre cette disposition et les articles 6

(volet peacutenal) et 7 de la Convention et deuxiegravemement la mesure dans

laquelle le Protocole no 7 permet les proceacutedures parallegraveles (ces deux points

sont examineacutes respectivement dans les parties a) et b) ci-dessous)

a) Les premiegraveres proceacutedures revecirctaient-elles un caractegravere laquo peacutenal raquo

88 Les gouvernements tchegraveque et franccedilais pensent comme le

gouvernement deacutefendeur que lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine nrsquoa pas

explicitement rejeteacute lrsquoideacutee de recourir agrave un groupe plus large de critegraveres pour

deacuteterminer la nature de la proceacutedure agrave examiner sur le terrain de lrsquoarticle 4

du Protocole no 7 et que la Cour a elle-mecircme jugeacute notamment que les

proceacutedures de majoration drsquoimpocirct ne relevaient pas du noyau dur du droit

peacutenal et nrsquoa donc pas appliqueacute dans toute leur rigueur les garanties de

lrsquoarticle 6 (Jussila preacuteciteacute sect 43 in fine) Le gouvernement tchegraveque invite la

Cour agrave preacuteciser principalement si et dans lrsquoaffirmative sous quelles

conditions crsquoest-agrave-dire dans quel type drsquoaffaires il convient drsquoappliquer un

plus grand eacuteventail de critegraveres

89 Srsquoappuyant sur le libelleacute et le but de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 le

gouvernement bulgare soutient que seules les infractions peacutenales classiques

relegravevent du champ drsquoapplication de cette disposition Il estime que si

eacutetendre la porteacutee de lrsquoarticle 6 est essentiel agrave la protection du droit agrave un

procegraves eacutequitable lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 a une autre finaliteacute Se reacutefeacuterant

agrave lrsquoarrecirct rendu par la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis drsquoAmeacuterique dans

lrsquoaffaire Green v United States (355 US 194 (1957)) il souligne que

lrsquointerdiction de la double incrimination protegravege le justiciable du risque de

faire lrsquoobjet drsquoune multipliciteacute de procegraves et de condamnations eacuteventuelles

pour une mecircme infraction La logique de cette interdiction est selon lui qursquoil

ne faut pas que lrsquoEacutetat avec toutes ses ressources et tout son pouvoir puisse

se livrer agrave des tentatives reacutepeacuteteacutees tendant agrave faire condamner un individu

pour la mecircme infraction ce qui pour ce dernier serait source drsquoembarras de

frais et drsquoeacutepreuves et le forcerait agrave vivre dans un eacutetat permanent drsquoanxieacuteteacute et

drsquoinseacutecuriteacute tout en aggravant le risque que mecircme innocent il soit reconnu

coupable Un second impeacuteratif vital serait de preacuteserver le caractegravere deacutefinitif

des deacutecisions de justice

90 Le gouvernement franccedilais consacre drsquoamples deacuteveloppements

(paragraphes 10 agrave 26 de ses observations) agrave lrsquointerpreacutetation des articles 6 et

7 de la Convention et de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Srsquoappuyant sur lrsquoarrecirct

Perinccedilek c Suisse ([GC] no 2751008 sect 146 CEDH 2015 (extraits)) il

soutient que les termes employeacutes agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 diffeacuterents

de ceux figurant agrave lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention doivent conduire agrave

30 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

retenir des critegraveres plus eacutetroits reacutepondant aux objectifs du principe non bis in

idem garanti par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Lrsquoarticle 7 de la Convention

utiliserait les termes de condamnation (laquo condamneacute raquo en franccedilais et laquo held

guilty raquo en anglais) drsquoinfraction (laquo criminal offence raquo en anglais) et de peine

(laquo penalty raquo en anglais) qui seraient preacutesents aussi dans lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 De plus les garanties offertes par lrsquoarticle 7 de la

Convention comme celles de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 seraient des

eacuteleacutements essentiels de la proceacutedure peacutenale entendue strictement comme

lrsquoattesterait le fait que lrsquoarticle 15 de la Convention nrsquoy autorise aucune

deacuterogation alors qursquoil autoriserait une deacuterogation agrave lrsquoarticle 6 de la

Convention

91 Aussi et dans un souci de coheacuterence la Cour pour lrsquoapplication de

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 devrait-elle se reacutefeacuterer aux seuls critegraveres qursquoelle

a pu deacutevelopper dans le cadre de lrsquoarticle 7 de la Convention tout en les

preacutecisant afin de donner au terme laquo peacutenalement raquo aux fins de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 le sens strict qui devrait ecirctre le sien Pour deacuteterminer si une

mesure relegraveve du champ de cette disposition elle devrait se reacutefeacuterer agrave la

qualification juridique de lrsquoinfraction litigieuse en droit interne agrave la nature

et au but de la mesure en cause agrave la question de savoir si la mesure a eacuteteacute

imposeacutee agrave la suite drsquoune condamnation pour une infraction peacutenale agrave la

graviteacute de la sanction ndash cet eacuteleacutement nrsquoeacutetant pas deacuteterminant ndash et aux

proceacutedures associeacutees agrave lrsquoadoption de celle-ci et plus preacuteciseacutement agrave la

question de savoir si la mesure a eacuteteacute adopteacutee par un organe que lrsquoon peut

qualifier de juridiction et qui srsquoest prononceacute sur les eacuteleacutements drsquoune

infraction regardeacutee comme peacutenale au sens de lrsquoarticle 6 de la Convention

Le dernier de ces critegraveres revecirctirait une importance preacutepondeacuterante au regard

des termes mecircmes de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 et de lrsquoobjectif poursuivi

par cette disposition

92 Le gouvernement franccedilais conclut que au regard de ces critegraveres des

peacutenaliteacutes fiscales qui ne seraient pas qualifieacutees de peacutenales en droit interne

qui auraient une nature administrative et viseraient seulement agrave sanctionner

le non-respect par le contribuable de ses obligations fiscales qui ne seraient

pas imposeacutees agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale et qui ne seraient pas

prononceacutees par un organe juridictionnel ne pourraient ecirctre regardeacutees

comme relevant du champ de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

93 Le gouvernement suisse soutient que la seule exception admise ndash le

paragraphe 2 de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 ndash est la reacuteouverture du procegraves

laquo conformeacutement agrave la loi et agrave la proceacutedure peacutenale de lrsquoEacutetat concerneacute raquo Il

relegraveve que au moment de lrsquoadoption du Protocole en 1984 drsquoautres

exceptions telles qursquoadmises par la suite par la jurisprudence pertinente

nrsquoeacutetaient pas preacutevues ndash et nrsquoavaient pas besoin de lrsquoecirctre vu la conception

intrinsegravequement peacutenale de la garantie Le concept eacutetroit qui serait agrave lrsquoorigine

de la garantie trouverait une confirmation solide au paragraphe 3 de lrsquoarticle

4 du Protocole no 7 qui exclurait toute deacuterogation au titre de lrsquoarticle 15 de

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 31

la Convention agrave la protection offerte au paragraphe 1 Ainsi la garantie non

bis in idem serait mise sur un pied drsquoeacutegaliteacute avec le droit agrave la vie (article 2

article 3 du Protocole no 6 et article 2 du Protocole no 13) lrsquointerdiction de

la torture (article 3) lrsquointerdiction de lrsquoesclavage (article 4) et le principe

laquo pas de peine sans loi raquo (article 7) Ces eacuteleacutements militeraient en faveur

drsquoune interpreacutetation restrictive de la garantie Une telle approche

srsquoimposerait drsquoautant plus si la Grande Chambre devait maintenir la pratique

selon laquelle toute laquo accusation en matiegravere peacutenale raquo au sens autonome de

lrsquoarticle 6 sect 1 est susceptible de faire eacutegalement entrer en jeu lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 (paragraphe 100 ci-dessous)

b) Y a-t-il eu reacutepeacutetition des poursuites (bis)

94 Le gouvernement bulgare ne voit aucune raison de srsquoeacutecarter de

lrsquoapproche suivie dans les deacutecisions RT c Suisse et Nilsson c Suegravede

(preacuteciteacutees) dans le contexte des infractions routiegraveres et dans drsquoimportants

domaines se rattachant au fonctionnement de lrsquoEacutetat tels que la fiscaliteacute Une

proceacutedure fiscale aboutissant agrave lrsquoapplication drsquoune majoration drsquoimpocirct et

une proceacutedure peacutenale portant sur une fraude fiscale conduites

parallegravelement seraient eacutetroitement lieacutees sur les plans mateacuteriel et temporel

De plus la Cour reconnaicirctrait que les Eacutetats contractants jouissent drsquoune

marge drsquoappreacuteciation eacutetendue dans lrsquoeacutelaboration et la mise en œuvre de

leurs politiques en matiegravere fiscale et elle respecterait les choix du leacutegislateur

dans ces domaines sauf srsquoils se reacutevegravelent manifestement deacutepourvus de base

raisonnable Un systegraveme qui permettrait la conduite de proceacutedures parallegraveles

en matiegravere fiscale semblerait relever de la marge drsquoappreacuteciation de lrsquoEacutetat et

nrsquoapparaicirctrait pas contraire en soi agrave lrsquoun quelconque des principes eacutenonceacutes

dans la Convention y compris la garantie contre les doubles incriminations

95 Le gouvernement tchegraveque avance quatre arguments en faveur du

maintien de systegravemes mixtes de sanctions 1) chaque type de sanction

poursuit des buts diffeacuterents 2) alors que la proceacutedure peacutenale stricto sensu

doit respecter des garanties rigoureuses en matiegravere drsquoeacutequiteacute du procegraves dont

lrsquoapplication est souvent synonyme de lenteurs les sanctions

administratives doivent reacutepondre agrave des exigences de ceacuteleacuteriteacute et permettre

drsquoassurer lrsquoefficaciteacute et la peacuterenniteacute du systegraveme fiscal et du budget de

lrsquoEacutetat 3) la stricte application du principe non bis in idem agrave des proceacutedures

fiscales et peacutenales meneacutees en parallegravele pourrait faire eacutechouer la lutte contre

la criminaliteacute organiseacutee agrave grande eacutechelle si la premiegravere deacutecision en geacuteneacuteral

administrative devait empecirccher la tenue drsquoune enquecircte peacutenale de nature agrave

conduire agrave la deacutecouverte de reacuteseaux de fraude organiseacutee de blanchiment

drsquoargent et de deacutetournement de fonds ainsi que drsquoautres infractions graves

4) lrsquoordre dans lequel les autoriteacutes statuent dans tel ou tel cas Enfin il

signale qursquoil y a des cas ougrave plusieurs proceacutedures administratives sont

conduites en mecircme temps

32 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

96 Le gouvernement franccedilais estime que le raisonnement adopteacute dans

les deacutecisions R T c Suisse et Nilsson c Suegravede (preacuteciteacutees) peut ecirctre

transposeacute en matiegravere fiscale au regard des objectifs poursuivis par les Eacutetats

en ce domaine objectifs qui drsquoapregraves lui diffegraverent selon qursquoil srsquoagit de

poursuites peacutenales ou de lrsquoapplication de peacutenaliteacutes fiscales (i)) et degraves lors

qursquoil existe un lien suffisant entre les proceacutedures fiscale et peacutenale (ii))

i) Les poursuites peacutenales pour fraude fiscale devraient constituer une

reacuteponse adapteacutee et homogegravene agrave des comportements reacutepreacutehensibles Elles

auraient comme objectif principal de sanctionner les comportements les plus

graves Dans sa deacutecision Rosenquist c Suegravede (deacutec) no 6061900

14 septembre 2004 la Cour aurait releveacute que lrsquoobjectif poursuivi par

lrsquoinfraction criminelle de fraude fiscale eacutetait diffeacuterent de celui de

lrsquoimposition drsquoune peacutenaliteacute fiscale qui elle aurait pour but de renforcer les

fondations du systegraveme fiscal national

Les poursuites pour fraude fiscale auraient eacutegalement une finaliteacute

drsquoexemplariteacute en particulier lorsque de nouvelles typologies de fraudes sont

mises au jour afin de dissuader les fraudeurs potentiels drsquoy recourir Ne

plus poursuivre peacutenalement les fraudes les plus graves degraves lors qursquoune

peacutenaliteacute fiscale a eacuteteacute appliqueacutee priverait lrsquoEacutetat de lrsquoexemplariteacute et de la

publiciteacute rechercheacutees agrave travers les condamnations peacutenales prononceacutees dans

les plus grandes affaires de fraude fiscale

Dans lrsquohypothegravese ougrave une proceacutedure judiciaire drsquoenquecircte en matiegravere

fiscale preacuteceacutederait le controcircle fiscal meneacute par lrsquoadministration fiscale

lrsquoobligation drsquoabandonner la seconde proceacutedure degraves lors que la premiegravere est

devenue deacutefinitive conduirait le contribuable agrave laisser la proceacutedure peacutenale se

terminer rapidement en ne la contestant pas afin que cette derniegravere

srsquoachegraveve avant la proceacutedure fiscale et ainsi agrave eacutechapper aux sanctions

administratives geacuteneacuteralement beaucoup plus significatives en termes

peacutecuniaires

Dans une telle hypothegravese le contribuable mis en cause serait en position

drsquoarbitrer en faveur de la proceacutedure qui lui serait la plus favorable ce qui

porterait indeacuteniablement atteinte au caractegravere dissuasif de lrsquoaction meneacutee

par lrsquoEacutetat pour reacuteprimer les actes les plus reacutepreacutehensibles dans ce domaine Il

serait ainsi paradoxal que les contribuables ayant commis les fraudes les

plus graves et poursuivis peacutenalement pour cela soient sanctionneacutes moins

seacutevegraverement

En conclusion selon le gouvernement franccedilais la compleacutementariteacute entre

les proceacutedures peacutenales et les proceacutedures fiscales est essentielle pour la

reacutepression des fraudes les plus graves et il serait artificiel de consideacuterer

qursquoen raison de lrsquointervention de deux proceacutedures et de deux autoriteacutes ces

sanctions ne forment pas un tout coheacuterent destineacute agrave reacutepondre agrave ce type

drsquoinfraction En effet ces proceacutedures seraient eacutetroitement lieacutees et devraient

degraves lors pouvoir ecirctre cumuleacutees

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 33

ii) Dans les arrecircts rendus contre la Finlande le 20 mai 2014 le critegravere

principal retenu par la Cour pour ne pas accepter la reacutepeacutetition des

proceacutedures aurait eacuteteacute lrsquoindeacutependance totale des proceacutedures fiscale et peacutenale

lrsquoune par rapport agrave lrsquoautre Or ces deux types de proceacutedures devraient ecirctre

regardeacutes comme ayant un lien mateacuteriel et temporel degraves lors qursquoil existe un

eacutechange drsquoinformations entre les deux autoriteacutes et que les proceacutedures sont

conduites simultaneacutement Les eacuteleacutements factuels devraient deacutemontrer une

compleacutementariteacute entre ces proceacutedures

Agrave titre drsquoillustration le gouvernement franccedilais analyse de faccedilon deacutetailleacutee

comment dans le systegraveme national les proceacutedures peacutenale et fiscale sont

imbriqueacutees se chevauchent en droit et en pratique et sont conduites

simultaneacutement Le principe de proportionnaliteacute impliquerait que le montant

global des sanctions eacuteventuellement prononceacutees ne deacutepasse pas le montant

le plus eacuteleveacute encouru au titre de lrsquoune ou lrsquoautre des sanctions

Pour deacuteterminer si les proceacutedures peacutenales et fiscales peuvent passer pour

suffisamment lieacutees dans le temps seules devraient ecirctre consideacutereacutees les

phases de controcircle par lrsquoadministration fiscale et drsquoenquecircte judiciaire Ces

deux phases devraient ecirctre meneacutees simultaneacutement ou dans un deacutelai tregraves

rapprocheacute En revanche il nrsquoapparaicirctrait pas pertinent pour appreacutecier si le

lien temporel entre les proceacutedures est suffisamment eacutetroit de prendre en

compte la dureacutee de la proceacutedure judiciaire devant les tribunaux appeleacutes agrave

statuer sur lrsquoaction peacutenale et sur le bien-fondeacute des peacutenaliteacutes fiscales En

effet la dureacutee de reacuteponse des diffeacuterentes juridictions deacutependrait drsquoeacuteleacutements

exteacuterieurs et parfois propres au contribuable Ainsi ce dernier pourrait

choisir de ralentir deacutelibeacutereacutement la dureacutee de la proceacutedure devant lrsquoune des

juridictions par la multiplication de demandes ou la production drsquoeacutecritures

nombreuses qui devraient ecirctre soumises au contradictoire ou encore par

lrsquoexercice de recours

LrsquoEacutetat devrait disposer drsquoune marge drsquoappreacuteciation pour deacutefinir les

sanctions approprieacutees agrave certains comportements qui peuvent causer des

preacutejudices distincts Ainsi il devrait pouvoir faire face agrave une telle situation

tout en apportant une reacuteponse unique en confiant agrave plusieurs autoriteacutes ndash

judiciaires et administratives ndash le soin drsquoapporter une reacuteponse adapteacutee

97 Le gouvernement grec soutient que lrsquoexistence de proceacutedures

seacutepareacutees et conseacutecutives au cours desquelles des mesures drsquoordre peacutenal

identiques ou non sont imposeacutees agrave un requeacuterant est lrsquoeacuteleacutement deacuteterminant et

crucial pour qursquoil y ait laquo reacutepeacutetition raquo (laquo bis raquo) Pour lui le principe non bis

in idem nrsquoest pas meacuteconnu si diverses mesures drsquoordre laquo peacutenal raquo mecircme

distinctes les unes des autres venaient agrave ecirctre imposeacutees par diffeacuterentes

juridictions peacutenales et administratives degraves lors que les sanctions sont toutes

consideacutereacutees dans leur globaliteacute pour fixer le quantum de la peine (RT

c Suisse deacutecision preacuteciteacutee)

98 Cependant le gouvernement grec signale lrsquoarrecirct Kapetanios et

autres c Gregravece (nos 345312 4294112 et 902813 sect 72 30 avril 2015)

34 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

dans lequel la Cour a jugeacute que la regravegle non bis in idem ne serait pas

enfreinte en principe si les deux sanctions agrave savoir une privation de liberteacute

et une condamnation peacutecuniaire eacutetaient imposeacutees dans le cadre drsquoune seule

et mecircme proceacutedure judiciaire Selon lui nonobstant cet exemple il est

eacutevident que la Cour attache une grande importance agrave ce que lrsquoimposition de

sanctions peacutenales et administratives ait eacuteteacute lrsquoobjet drsquoun examen judiciaire

global

99 Le gouvernement grec ne se dissocie pas pour autant de lrsquoavis de la

Cour suprecircme norveacutegienne qui a dit en lrsquoespegravece que lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 permettait au moins dans une certaine mesure la conduite de

proceacutedures parallegraveles Crsquoest ce que confirmerait sans ambiguiumlteacute lrsquoarrecirct rendu

par la CJUE dans lrsquoaffaire Fransson (paragraphe 34 de cet arrecirct reproduit

au paragraphe 52 ci-dessus)

La CJUE aurait preacuteciseacute que crsquoest agrave la juridiction de renvoi qursquoil

appartient drsquoappreacutecier agrave la lumiegravere des critegraveres eacutenonceacutes srsquoil y a lieu de

proceacuteder agrave un examen du cumul de sanctions fiscales et peacutenales preacutevu par la

leacutegislation nationale par rapport aux standards nationaux crsquoest-agrave-dire ceux

applicables aux violations du droit national de nature et drsquoimportance

similaires degraves lors que le choix des sanctions relegraveve de la marge

drsquoappreacuteciation de lrsquoEacutetat membre elle aurait ainsi estimeacute que crsquoeacutetait au juge

national de dire si le cumul des sanctions eacutetait contraire agrave ces standards

pourvu que les sanctions restantes fussent effectives proportionneacutees et

dissuasives (paragraphe 37 de cet arrecirct reproduit au paragraphe 52

ci-dessus)

Le gouvernement grec juge pertinent en lrsquoespegravece cet arrecirct de la CJUE

Plus preacuteciseacutement on pourrait deacuteduire mutatis mutandis de lrsquointerpreacutetation

qui y est livreacutee que le juge national avait conclu agrave bon droit en vertu de sa

marge drsquoappreacuteciation comme constateacute par la CJUE que le cumul des

sanctions en cause imposeacutees agrave lrsquoissue de proceacutedures dites laquo parallegraveles raquo

dans le cadre drsquoune collaboration eacutetroite entre deux autoriteacutes distinctes

nrsquoavait pas enfreint les standards nationaux alors mecircme qursquoil avait estimeacute

pour lrsquoessentiel que les sanctions fiscales eacutetaient laquo de nature peacutenale raquo Au vu

des arguments exposeacutes au paragraphe 97 ci-dessus on pourrait

raisonnablement conclure que des proceacutedures parallegraveles qui conduiraient agrave

lrsquoimposition de sanctions diffeacuterentes par des autoriteacutes diffeacuterentes nettement

distinctes en droit ne seraient pas interdites par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

degraves lors que ces proceacutedures satisferaient au critegravere du lien temporel et

mateacuteriel eacutetroit Ce critegravere permettrait de reacutepondre agrave la question

fondamentale de lrsquoexistence ou non drsquoune reacutepeacutetition

100 Srsquoappuyant sur le paragraphe 83 de lrsquoarrecirct preacuteciteacute Sergueiuml

Zolotoukhine le gouvernement suisse soutient que la garantie eacutenonceacutee agrave

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 entre en jeu agrave lrsquoouverture de nouvelles

poursuites lorsque la deacutecision anteacuterieure drsquoacquittement ou de

condamnation est deacutejagrave passeacutee en force de chose jugeacutee Le fait qursquoune

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 35

proceacutedure peacutenale nrsquoeacutetait pas encore acheveacutee agrave lrsquoouverture drsquoune proceacutedure

administrative ne serait donc en soi pas probleacutematique agrave lrsquoeacutegard du

principe non bis in idem (il mentionne mutatis mutandis Kapetanios et

autres preacuteciteacute sect 72) Par conseacutequent des proceacutedures parallegraveles seraient

admissibles au titre de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 La preacutesente affaire

donnerait agrave la Grande Chambre lrsquooccasion de confirmer cette jurisprudence

La justification drsquoun systegraveme mixte reacutesiderait principalement dans le fait

que le droit administratif et le droit peacutenal sont de nature diffeacuterente et visent

des buts distincts fonction preacuteventive et eacuteducative pour le premier et

fonction reacutepressive pour le second

Le gouvernement suisse estime que si agrave la lumiegravere des critegraveres Engel la

notion drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo a eacuteteacute eacutelargie au-delagrave des

cateacutegories traditionnelles du droit peacutenal (malum in se) agrave drsquoautres domaines

(malum quia prohibitum) les accusations en matiegravere peacutenale nrsquoont pas toutes

le mecircme poids Srsquoagissant par exemple des majorations drsquoimpocirct ndash qui ne

feraient pas partie du noyau dur du droit peacutenal ndash les garanties offertes par le

volet peacutenal de lrsquoarticle 6 ne devraient pas neacutecessairement srsquoappliquer dans

toute leur rigueur (il mentionne lrsquoarrecirct Jussila preacuteciteacute sect 43) Il ne faudrait

pas lrsquooublier lorsqursquoil srsquoagit de deacuteterminer le champ drsquoapplication de

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

La preacutevisibiliteacute du cumul de sanctions administratives et de sanctions

peacutenales constituerait un autre facteur agrave prendre en compte dans

lrsquoappreacuteciation du systegraveme mixte en cause (il eacutevoque lrsquoarrecirct Maszni

c Roumanie no 5989200 sect 68 21 septembre 2006)

Selon le gouvernement suisse la jurisprudence Sergueiuml Zolotoukhine ne

doit pas ecirctre interpreacuteteacutee ou deacuteveloppeacutee de maniegravere agrave couvrir lrsquoensemble des

systegravemes preacutevoyant de sanctionner par les voies administrative et peacutenale les

infractions peacutenales indeacutependamment du fait que des autoriteacutes distinctes

disposant de compeacutetences distinctes et poursuivant des buts distincts

rendent des deacutecisions sur le mecircme ensemble de faits Cette conclusion

srsquoimposerait en tout cas dans les affaires preacutesentant un lien mateacuteriel et

temporel suffisamment eacutetroit entre les proceacutedures peacutenale et administrative

tel que requis par la Cour (il srsquoappuie sur les affaires suivantes ougrave la Cour a

conclu que cette condition avait eacuteteacute satisfaite Boman c Finlande

no 4160411 sect 41 17 feacutevrier 2015 avec une reacutefeacuterence aux deacutecisions

preacuteciteacutees RT c Suisse et Nilsson c Suegravede et agrave lrsquoarrecirct preacuteciteacute Maszni) Le

gouvernement suisse invite la Grande Chambre agrave saisir lrsquooccasion de la

preacutesente affaire pour confirmer cette approche qui nrsquoest pas selon lui

proscrite en elle-mecircme en lrsquoeacutetat de la jurisprudence

4 Appreacuteciation de la Cour

101 La Cour passera tout drsquoabord en revue sa jurisprudence pertinente

pour lrsquointerpreacutetation et lrsquoapplication du principe non bis in idem eacutenonceacute agrave

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 (parties a) agrave c) ci-dessous) Elle srsquoattachera agrave en

36 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

tirer les conclusions et critegraveres utiles et agrave apporter les eacuteclaircissements

neacutecessaires agrave lrsquoanalyse de la preacutesente affaire (partie d) ci-dessous) Enfin

elle appliquera ce principe dans lrsquointerpreacutetation qursquoelle aura deacutegageacutee aux

faits deacutenonceacutes par les requeacuterants (partie e) ci-dessous)

a) Questions geacuteneacuterales drsquointerpreacutetation

102 La Cour constate que dans les observations des parties et des tiers

intervenants il nrsquoy a guegravere de deacutesaccord quant agrave la principale contribution

qursquoapporte lrsquoarrecirct de Grande Chambre Sergueiuml Zolotoukhine agrave savoir la

clarification des critegraveres agrave lrsquoaune desquels il faut eacutevaluer si lrsquoinfraction pour

laquelle un requeacuterant a eacuteteacute jugeacute ou puni au cours de la seconde proceacutedure

eacutetait la mecircme (idem) que celle pour laquelle une deacutecision avait eacuteteacute rendue au

cours de la premiegravere proceacutedure (voir les paragraphes 70 agrave 84 de cet arrecirct) Il

nrsquoy a pas non plus de deacutesaccord majeur quant aux critegraveres permettant de

deacuteterminer quand une deacutecision laquo deacutefinitive raquo a eacuteteacute rendue qui sont eacutenonceacutes

dans cet arrecirct

103 En revanche les avis divergent quant agrave la meacutethode agrave employer afin

de deacuteterminer si la proceacutedure se rapportant agrave lrsquoapplication de majorations

drsquoimpocirct eacutetait laquo peacutenale raquo aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 sachant que

cette question est susceptible drsquoavoir une incidence sur lrsquoapplicabiliteacute de

lrsquointerdiction poseacutee par cette disposition de la double incrimination

104 En outre il y a des divergences drsquoapproche (notamment entre

drsquoune part les requeacuterants et drsquoautre part le gouvernement deacutefendeur et les

gouvernements intervenants) sur la question de la reacutepeacutetition des poursuites

en particulier sur la mesure dans laquelle les proceacutedures parallegraveles ou mixtes

sont permises au titre de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

b) Critegraveres pertinents pour deacuteterminer si la premiegravere proceacutedure est

laquo peacutenale raquo divergences drsquoapproche dans la jurisprudence

105 Dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine (preacuteciteacute) la Cour a appliqueacute afin

de deacuteterminer si les proceacutedures en question pouvaient ecirctre regardeacutees comme

laquo peacutenales raquo sur le terrain de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 les trois critegraveres

Engel preacuteceacutedemment eacutelaboreacutes pour les besoins de lrsquoarticle 6 de la

Convention agrave savoir 1) laquo la qualification juridique de lrsquoinfraction en droit

interne raquo 2) laquo la nature mecircme de lrsquoinfraction raquo et 3) le degreacute de seacuteveacuteriteacute de

la sanction dont lrsquointeacuteresseacute est passible les deuxiegraveme et troisiegraveme critegraveres

eacutetant alternatifs et pas neacutecessairement cumulatifs mais sans exclure une

approche cumulative Lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine nrsquoa donc pas repris ndash

alors qursquoil aurait pu le faire ndash le raisonnement suivi dans une seacuterie drsquoaffaires

anteacuterieures (voir par exemple la deacutecision preacuteciteacutee Storbraringten) ougrave avait eacuteteacute

retenue une liste plus large et non exhaustive de facteurs sans que la Cour

ait preacuteciseacute quel eacutetait leur poids respectif ni srsquoil fallait les appliquer

alternativement ou cumulativement Les gouvernements franccedilais et

norveacutegien invitent agrave preacutesent la Cour agrave saisir cette occasion pour dire si ce

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 37

sont ces derniers critegraveres plus nombreux qui srsquoappliquent (paragraphes 66 agrave

68 et 90-91 ci-dessus)

106 Il existe un certain nombre drsquoarguments en faveur drsquoune telle

interpreacutetation en particulier le fait que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 a

apparemment eacuteteacute conccedilu par ses auteurs pour viser les proceacutedures peacutenales au

sens strict et la circonstance que ndash agrave lrsquoinverse de lrsquoarticle 6 mais agrave lrsquoinstar de

lrsquoarticle 7 ndash il nrsquoest pas susceptible de deacuterogation au titre de lrsquoarticle 15 Si

lrsquoarticle 6 se contente drsquoeacutenoncer des garanties drsquoeacutequiteacute proceacutedurales

notamment en matiegravere peacutenale lrsquointerdiction de la double incrimination

poseacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 a certaines conseacutequences ndash qui peuvent

ecirctre importantes ndash sur les modaliteacutes drsquoapplication des regravegles de droit

national reacutegissant les sanctions peacutenales et administratives dans de nombreux

domaines Cette derniegravere disposition implique une analyse plus pousseacutee du

droit peacutenal mateacuteriel puisqursquoil srsquoagit drsquoeacutetablir si les infractions respectives

visent le mecircme comportement (idem) Ces diffeacuterences ainsi que lrsquoabsence

de convergence entre les systegravemes nationaux des Eacutetats contractants le degreacute

variable de volonteacute de la part desdits Eacutetats drsquoecirctre tenus par le Protocole no 7

et la marge drsquoappreacuteciation eacutetendue dont ils jouissent geacuteneacuteralement dans le

choix de leurs systegravemes et politiques en matiegravere peacutenale (Nykaumlnen preacuteciteacute

sect 48 et mutatis mutandis Achour c France [GC] no 6733501 sect 44

CEDH 2006-IV) sont tout agrave fait propres agrave justifier un groupe plus vaste de

critegraveres drsquoapplicabiliteacute davantage axeacutes sur le droit national sur le modegravele

de ceux retenus pour les besoins de lrsquoarticle 7 et auparavant de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 (crsquoest-agrave-dire avant lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine) et donc un

champ drsquoapplication plus eacutetroit que sous lrsquoempire de lrsquoarticle 6

107 Cependant si ainsi qursquoil a eacuteteacute souligneacute lrsquoarrecirct Sergueiuml

Zolotoukhine nrsquoest pas explicite sur ce point il faut supposer que la Cour a

deacutelibeacutereacutement choisi dans cet arrecirct de retenir les critegraveres Engel comme le

modegravele agrave suivre pour deacuteterminer si la proceacutedure en cause est laquo peacutenale raquo pour

les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Aux yeux de la Cour il ne paraicirct

pas justifieacute qursquoelle srsquoeacutecarte de cette analyse en lrsquoespegravece car des

consideacuterations de poids militent vraiment en faveur drsquoun tel choix Le

principe non bis in idem vise principalement lrsquoeacutequiteacute proceacutedurale qui est

lrsquoobjet de lrsquoarticle 6 et srsquointeacuteresse moins au droit peacutenal mateacuteriel que

lrsquoarticle 7 La Cour estime preacutefeacuterable dans un souci de coheacuterence de

lrsquointerpreacutetation de la Convention consideacutereacutee globalement que lrsquoapplicabiliteacute

de ce principe soit reacutegie par les critegraveres plus preacutecis deacutefinis dans lrsquoarrecirct

Engel Cela eacutetant dit ainsi qursquoil a deacutejagrave eacuteteacute admis ci-dessus degraves lors que le

principe non bis in idem est jugeacute applicable une approche moduleacutee

srsquoimpose agrave lrsquoeacutevidence pour eacutevaluer la maniegravere dont il est mis en œuvre

srsquoagissant de proceacutedures mecirclant sanctions administratives et sanctions

peacutenales

38 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

c) Jurisprudence de la Convention en matiegravere de proceacutedures mixtes

i Lrsquoapport de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine

108 Lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine concernait deux proceacutedures qui

avaient chacune pour objet des actes perturbateurs agrave lrsquoencontre drsquoun agent

public et dans le cadre desquelles lrsquoissue de la proceacutedure administrative eacutetait

devenue deacutefinitive avant mecircme le deacutebut de la proceacutedure peacutenale (Sergueiuml

Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 18 agrave 20 et 109) Lrsquoapport le plus notable de lrsquoarrecirct

Sergueiuml Zolotoukhine est drsquoavoir dit que le point de savoir si les infractions

en question eacutetaient les mecircmes (idem) deacutependait drsquoune analyse axeacutee sur les

faits (ibidem sect 84) plutocirct que par exemple drsquoun examen formel consistant agrave

comparer les laquo eacuteleacutements essentiels raquo des infractions Lrsquointerdiction vise

lrsquoinculpation ou le jugement pour une seconde laquo infraction raquo pour autant que

celle-ci a pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance

les mecircmes (ibidem sect 82)

109 De plus en rappelant que le but de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 eacutetait

drsquointerdire la reacutepeacutetition de proceacutedures peacutenales trancheacutees par une deacutecision

laquo deacutefinitive raquo crsquoest-agrave-dire laquo passeacutee en force de chose jugeacutee raquo lrsquoarrecirct Sergueiuml

Zolotoukhine a preacuteciseacute que les deacutecisions susceptibles drsquoun recours ordinaire

ne beacuteneacuteficiaient pas de la garantie que renfermait cette disposition tant que

le deacutelai de recours nrsquoeacutetait pas expireacute

110 En outre la Cour a dit sans ambiguiumlteacute que lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 visait non pas seulement le cas drsquoune double condamnation

mais aussi celui des doubles poursuites et que dans le cas contraire il

nrsquoaurait pas eacuteteacute neacutecessaire de mettre le terme laquo poursuivi raquo avant le terme

laquo puni raquo car il ne pourrait qursquoen constituer un doublon La Cour a ajouteacute

que cette disposition srsquoappliquait mecircme si lrsquoindividu concerneacute nrsquoavait fait

lrsquoobjet que de simples poursuites nrsquoayant pas abouti agrave une condamnation

Elle a souligneacute que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 renfermait trois garanties

distinctes et disposait que nul i ne pouvait ecirctre poursuivi ii jugeacute ou

iii puni deux fois pour les mecircmes faits (ibidem sect 110)

111 Il faut toutefois souligner que lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine ne

donne guegravere drsquoindications lorsque les proceacutedures en reacutealiteacute ne se reacutepegravetent

pas mais sont plutocirct combineacutees et inteacutegreacutees de maniegravere agrave former un tout

coheacuterent

ii La jurisprudence sur les proceacutedures mixtes anteacuterieurement et

posteacuterieurement agrave lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine

112 Depuis lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine et comme crsquoeacutetait deacutejagrave le cas

auparavant il est admis par la Cour que lrsquoimposition par des autoriteacutes

diffeacuterentes de sanctions diffeacuterentes pour le mecircme comportement est permise

dans une certaine mesure au titre de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 nonobstant

lrsquoexistence drsquoune deacutecision deacutefinitive Cette conclusion peut se comprendre

comme eacutetant fondeacutee sur lrsquoideacutee que le cumul de sanctions dans les affaires de

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 39

ce genre doit srsquoanalyser comme un tout en conseacutequence de quoi il serait

artificiel drsquoy voir une reacutepeacutetition de proceacutedures impliquant que lrsquointeacuteresseacute a

eacuteteacute laquo poursuivi ou puni peacutenalement () en raison drsquoune infraction pour

laquelle il a[vait] deacutejagrave eacuteteacute () condamneacute par un jugement deacutefinitif raquo au

meacutepris de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 La question srsquoest poseacutee dans quatre

types de situations

113 Agrave lrsquoorigine de cette analyse interpreacutetative de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 se trouve une premiegravere cateacutegorie drsquoaffaires qui remonte agrave la

deacutecision RT c Suisse (deacutecision preacuteciteacutee) Dans cette affaire lrsquoOffice

feacutedeacuteral suisse des routes avait retireacute son permis de conduire au requeacuterant en

mai 1993 pour une dureacutee de quatre mois pour conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute

Cette mesure avait finalement eacuteteacute confirmeacutee par la Commission des recours

administratifs puis par le Tribunal feacutedeacuteral (en deacutecembre 1995)

Parallegravelement en juin 1993 les autoriteacutes cantonales de Gossau avaient

deacutelivreacute agrave lrsquoencontre du requeacuterant une ordonnance peacutenale qui le condamnait agrave

une peine drsquoemprisonnement avec sursis et agrave une amende de 1 100 francs

suisses Nrsquoayant pas fait lrsquoobjet de recours cette ordonnance passa en force

de chose jugeacutee

La Cour a conclu que les autoriteacutes suisses nrsquoavaient fait que retenir les

trois types de sanctions cumulables preacutevues par la loi pour une telle

infraction agrave savoir une peine drsquoemprisonnement une amende et le retrait du

permis de conduire Elle a constateacute que ces sanctions avaient eacuteteacute prononceacutees

parallegravelement par deux autoriteacutes diffeacuterentes lrsquoune administrative et lrsquoautre

peacutenale Selon elle on ne pouvait donc pas y voir eu eacutegard agrave sa

jurisprudence une reacutepeacutetition de poursuites peacutenales contraire agrave lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7

De la mecircme maniegravere si la deacutecision Nilsson (preacuteciteacutee) concernait elle

aussi une sanction peacutenale (50 heures de travail drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral) et le retrait

du permis de conduire (pour une dureacutee de dix-huit mois) agrave raison drsquoune

infraction routiegravere le grief a eacuteteacute rejeteacute sur la base drsquoun raisonnement plus

eacutelaboreacute qui a introduit pour la premiegravere fois le critegravere du laquo lien mateacuteriel et

temporel suffisamment eacutetroit raquo

La Cour a jugeacute que le retrait du permis de conduire eacutetait une conseacutequence

directe et preacutevisible de la condamnation anteacuterieure du requeacuterant pour les

mecircmes deacutelits de conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute avanceacute et de conduite sans permis

et que faisant suite agrave une condamnation peacutenale il relevait de la matiegravere

laquo peacutenale raquo pour les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Elle a ajouteacute

que indeacutependamment de la condamnation peacutenale anteacuterieure un retrait de

permis drsquoune dureacutee de dix-huit mois constituait en soi par sa seacuteveacuteriteacute une

mesure pouvant ordinairement passer pour une sanction peacutenale Elle a

conclu que quand bien mecircme les diffeacuterentes sanctions avaient eacuteteacute

prononceacutees par deux autoriteacutes diffeacuterentes agrave lrsquoissue de proceacutedures diffeacuterentes

il existait entre ces sanctions un lien mateacuteriel et temporel suffisamment

eacutetroit pour que lrsquoon pucirct consideacuterer le retrait de permis comme lrsquoune des

40 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

mesures preacutevues par le droit sueacutedois pour la reacutepression des deacutelits de

conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute avanceacute et de conduite sans permis On ne pouvait

donc pas selon elle deacuteduire du retrait litigieux que le requeacuterant avait eacuteteacute

laquo poursuivi ou puni peacutenalement () en raison drsquoune infraction pour laquelle

il a[vait] deacutejagrave eacuteteacute () condamneacute par un jugement deacutefinitif raquo au meacutepris de

lrsquoarticle 4 sect 1 du Protocole no 7

De mecircme dans lrsquoarrecirct Boman (preacuteciteacute) la Cour a jugeacute qursquoil existait un

lien mateacuteriel et temporel suffisant entre drsquoune part la proceacutedure peacutenale agrave

lrsquoissue de laquelle le requeacuterant avait eacuteteacute reconnu coupable et condamneacute agrave

75 jours-amende (soit 450 EUR) ainsi qursquoagrave une interdiction de conduire

(drsquoune dureacutee de quatre mois et trois semaines) et drsquoautre part la proceacutedure

administrative ulteacuterieure qui srsquoeacutetait soldeacutee par la prolongation de

lrsquointerdiction de conduire (drsquoune dureacutee drsquoun mois)

114 Dans une deuxiegraveme seacuterie drsquoaffaires la Cour a confirmeacute que les

proceacutedures parallegraveles ne sont pas exclues dans les affaires combinant

majorations drsquoimpocirct dans une proceacutedure administrative et poursuites

condamnations et sanctions pour fraude fiscale dans une proceacutedure peacutenale

tout en concluant qursquoil nrsquoavait pas eacuteteacute satisfait au critegravere du laquo lien mateacuteriel et

temporel suffisamment eacutetroit raquo au vu des circonstances particuliegraveres propres

agrave chaque cas Il srsquoagit drsquoaffaires concernant la Finlande (notamment Glantz

preacuteciteacute sect 57 et Nykaumlnen preacuteciteacute sect 47) et la Suegravede (Lucky Dev c Suegravede

no 735610 sect 58 27 novembre 2014) Dans lrsquoarrecirct Nykaumlnen ougrave est exposeacutee

lrsquoapproche suivie dans les autres affaires dirigeacutees contre la Finlande et la

Suegravede la Cour a conclu au vu du dossier que dans le systegraveme finlandais les

sanctions peacutenales et administratives avaient eacuteteacute infligeacutees par des autoriteacutes

diffeacuterentes sans que les proceacutedures aient le moindre lien entre elles elles

avaient chacune suivi leur propre cheminement et avaient pris fin

indeacutependamment lrsquoune de lrsquoautre De plus chaque juridiction ou autoriteacute

avait fixeacute le quantum de la peine sans tenir compte de la sanction prononceacutee

par lrsquoautre et elles nrsquoavaient eu aucun eacutechange entre elles Surtout dans le

systegraveme finlandais les majorations drsquoimpocirct eacutetaient appliqueacutees agrave lrsquoissue drsquoun

examen du comportement du contrevenant et de lrsquoapplicabiliteacute agrave son eacutegard

de la leacutegislation fiscale pertinente indeacutependamment de lrsquoappreacuteciation au

peacutenal La Cour a donc conclu agrave la violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

au motif que le requeacuterant avait eacuteteacute condamneacute deux fois pour les mecircmes faits

dans le cadre de deux proceacutedures distinctes

On peut trouver un raisonnement et des conclusions identiques (ou

quasiment identiques) agrave propos de faits analogues dans les arrecircts Rinas

c Finlande (no 1703913 27 janvier 2015) et Oumlsterlund c Finlande

(no 5319713 10 feacutevrier 2015)

Il faut noter que si dans certaines de ces affaires (Nykaumlnen Glantz

Lucky Dev Rinas Oumlsterlund) les deux proceacutedures avaient eacuteteacute conduites

dans une large mesure simultaneacutement le lien temporel a eacuteteacute manifestement

jugeacute insuffisant agrave lui seul pour exclure lrsquoapplication de la regravegle non bis in

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 41

idem Il ne semble pas deacuteraisonnable de deacuteduire de ces arrecircts concernant la

Finlande et la Suegravede que les deux proceacutedures ayant agrave chaque fois eacuteteacute

meneacutees dans une large mesure simultaneacutement crsquoest lrsquoabsence de lien

mateacuteriel qui au vu des circonstances propres agrave chaque affaire a provoqueacute la

violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

115 Dans une troisiegraveme seacuterie drsquoaffaires ougrave les proceacutedures avaient eacuteteacute

conduites en parallegravele pendant un certain temps la Cour a conclu agrave la

violation mais sans se reacutefeacuterer au critegravere tireacute de la deacutecision Nilsson du laquo lien

mateacuteriel et temporel suffisamment eacutetroit raquo

Dans lrsquoaffaire preacuteciteacutee Tomasović (sectsect 5-10 et 30-32) le requeacuterant avait

eacuteteacute poursuivi et condamneacute deux fois pour la mecircme infraction de possession

de stupeacutefiants drsquoabord en tant qursquolaquo infraction mineure raquo (jugeacutee laquo peacutenale raquo

au vu des deuxiegraveme et troisiegraveme critegraveres Engel ndash ibidem sectsect 22-25) puis en

tant qursquolaquo infraction peacutenale raquo Faute pour la seconde proceacutedure drsquoavoir eacuteteacute

abandonneacutee agrave la conclusion de la premiegravere la Cour a estimeacute eacutevident qursquoil y

avait eu une reacutepeacutetition de proceacutedures peacutenales contraire agrave lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 (voir de la mecircme maniegravere Muslija preacuteciteacute sectsect 28-32 et 37

srsquoagissant de coups et blessures aggraveacutes)

De mecircme dans lrsquoaffaire Grande Stevens et autres c Italie (nos 1864010

1864710 1866310 1866810 et 1869810 4 mars 2014) la Cour a

constateacute qursquoil y avait eu une double proceacutedure relative au mecircme

comportement frauduleux en lrsquooccurrence une manipulation du marcheacute par

la diffusion de fausses informations drsquoune part une proceacutedure

administrative (du 9 feacutevrier 2007 au 23 juin 2009) qualifieacutee de laquo peacutenale raquo agrave

lrsquoaune des critegraveres Engel conduite devant la Commission nationale des

socieacuteteacutes et de la bourse (Commissione Nazionale per le Societa e la Borsa)

puis devant la cour drsquoappel et la Cour de cassation conclue par lrsquoimposition

drsquoune amende de 3 000 000 EUR assortie drsquoune interdiction drsquoexercer

certaines activiteacutes professionnelles et drsquoautre part une proceacutedure peacutenale (du

7 novembre 2008 au 28 feacutevrier 2013 et au-delagrave toujours en cours agrave la date

de lrsquoarrecirct) conduite devant le tribunal de premiegravere instance la Cour de

cassation et la cour drsquoappel Son constat que la nouvelle instance concernait

une seconde laquo infraction raquo neacutee de faits identiques agrave ceux qui avaient donneacute

lieu agrave la premiegravere condamnation devenue deacutefinitive lui a suffi agrave conclure agrave

la violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

116 Quatriegravemement lrsquoarrecirct Kapetanios et autres (preacuteciteacute) confirmeacute par

lrsquoarrecirct Sismanidis et Sitaridis c Gregravece nos 6660209 et 7187912 9 juin

2016 constitue un autre exemple distinct drsquoabsence de lien mateacuteriel ne

faisant pas explicitement reacutefeacuterence agrave ce critegravere tireacute de la deacutecision Nilsson

(preacuteciteacutee) Dans ces affaires les requeacuterants furent tout drsquoabord acquitteacutes

drsquoinfractions douaniegraveres agrave lrsquoissue de proceacutedures peacutenales Par la suite malgreacute

les acquittements les juridictions administratives leur infligegraverent de lourdes

amendes administratives pour le mecircme comportement Convaincue que ces

derniegraveres proceacutedures eacutetaient laquo peacutenales raquo pour les besoins de lrsquoarticle 4 du

42 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

Protocole no 7 la Cour a conclu agrave la violation de cette disposition (voir les

paragraphes 73 et 47 de ces arrecircts respectivement)

d) Conclusions agrave tirer de la jurisprudence

117 Si les Eacutetats contractants ont le devoir particulier de proteacuteger les

inteacuterecircts speacutecifiques du justiciable que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 entend

sauvegarder il est aussi neacutecessaire ainsi que cela a deacutejagrave eacuteteacute indiqueacute au

paragraphe 106 ci-dessus de laisser aux autoriteacutes nationales le choix des

moyens agrave utiliser pour y parvenir Il ne faut pas oublier agrave cet eacutegard que le

droit de ne pas ecirctre jugeacute ou puni deux fois nrsquoeacutetait pas inscrit dans la

Convention adopteacutee en 1950 mais qursquoil a eacuteteacute ajouteacute dans un septiegraveme

protocole adopteacute en 1984 et entreacute en vigueur en 1988 soit pregraves de

40 anneacutees plus tard Quatre Eacutetats (lrsquoAllemagne les Pays-Bas le Royaume-

Uni et la Turquie) nrsquoont pas ratifieacute le Protocole no 7 et lrsquoun drsquoentre eux

(lrsquoAllemagne) ainsi que quatre Eacutetats qui lrsquoont ratifieacute (lrsquoAutriche la France

lrsquoItalie et le Portugal) ont eacutemis des reacuteserves ou des deacuteclarations

interpreacutetatives preacutecisant que le mot laquo peacutenalement raquo devait leur ecirctre appliqueacute

selon le sens donneacute agrave cette notion dans leurs lois nationales respectives

(Signalons que les reacuteserves formuleacutees par lrsquoAutriche et lrsquoItalie ont eacuteteacute jugeacutees

non valables parce qursquoelles nrsquoeacutetaient pas accompagneacutees drsquoun bref exposeacute de

la loi en cause comme le veut lrsquoarticle 57 sect 2 (voir respectivement

Gradinger c Autriche 23 octobre 1995 sect 51 seacuterie A no 328-C et Grande

Stevens preacuteciteacute sectsect 204-211) contrairement agrave la reacuteserve eacutemise par la France

(Goumlktan c France no 3340296 sect 51 CEDH 2002-V))

118 La Cour souligne eacutegalement lrsquoobservation formuleacutee par lrsquoavocat

geacuteneacuteral pregraves la CJUE dans lrsquoaffaire Fransson (paragraphe 51 ci-dessus)

selon laquelle lrsquoimposition de sanctions sur la base tant du droit

administratif que du droit peacutenal pour la mecircme infraction est une pratique

tregraves reacutepandue dans les Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne surtout dans

des domaines tels que la fiscaliteacute les politiques environnementales ou la

seacutecuriteacute publique Lrsquoavocat geacuteneacuteral a ajouteacute que les modaliteacutes relatives au

cumul des sanctions variaient eacutenormeacutement selon les ordres juridiques et

revecirctaient des caracteacuteristiques speacutecifiques propres agrave chaque Eacutetat membre et

que dans la plupart des cas ces speacutecificiteacutes visaient agrave atteacutenuer les effets

drsquoune double reacuteaction punitive de la part des pouvoirs publics

119 Par ailleurs pas moins de six Eacutetats parties au Protocole no 7 sont

intervenus en la preacutesente instance exprimant surtout des opinions et des

preacuteoccupations sur des points drsquointerpreacutetation que partage aussi dans une

large mesure le gouvernement deacutefendeur

120 Dans ces conditions il faut souligner agrave titre liminaire que comme

la Cour le reconnaicirct dans une jurisprudence constante crsquoest aux Eacutetats

contractants qursquoil revient au premier chef de deacutecider de lrsquoorganisation de

leur systegraveme juridique y compris de leurs proceacutedures peacutenales (voir par

exemple Taxquet c Belgique [GC] no 92605 sect 83 CEDH 2010) Par

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 43

exemple rien dans la Convention nrsquointerdit dans tel ou tel cas de seacuteparer en

diffeacuterentes phases ou parties le processus de fixation de la peine de sorte

que diffeacuterentes peines peuvent ecirctre prononceacutees successivement ou

parallegravelement pour une infraction qursquoil convient de qualifier de laquo peacutenale raquo

au sens autonome que revecirct ce mot sur le terrain de la Convention (voir par

exemple Phillips c Royaume-Uni no 4108798 sect 34 CEDH 2001-VII

affaire qui concernait des griefs tireacutes sur le terrain de lrsquoarticle 6 drsquoune

proceacutedure de confiscation des recettes issues drsquoinfractions agrave la leacutegislation

sur les stupeacutefiants dirigeacutee contre un individu et intervenant agrave la suite drsquoune

condamnation du mecircme individu pour ces mecircmes infractions)

121 Aux yeux de la Cour les Eacutetats devraient pouvoir leacutegitimement

opter pour des reacuteponses juridiques compleacutementaires face agrave certains

comportements dangereux pour la socieacuteteacute (par exemple le non-respect du

code de la route le non-paiement des impocircts ou lrsquoeacutevasion fiscale) au moyen

de diffeacuterentes proceacutedures formant un tout coheacuterent de maniegravere agrave traiter sous

ses diffeacuterents aspects le problegraveme social en question pourvu que ces

reacuteponses juridiques combineacutees ne repreacutesentent pas une charge excessive

pour la personne en cause

122 Dans les affaires ougrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 entre en jeu la

Cour a pour tacircche de deacuteterminer si la mesure nationale speacutecifique deacutenonceacutee

constitue dans sa substance ou dans ses effets une double incrimination

portant preacutejudice au justiciable ou si au contraire elle est le fruit drsquoun

systegraveme inteacutegreacute permettant de reacuteprimer un meacutefait sous ses diffeacuterents aspects

de maniegravere preacutevisible et proportionneacutee et formant un tout coheacuterent en sorte

de ne causer aucune injustice agrave lrsquointeacuteresseacute

123 Lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 ne saurait avoir pour effet drsquointerdire

aux Eacutetats contractants drsquoorganiser leur systegraveme juridique de maniegravere agrave

permettre la majoration agrave un taux standard drsquoimpocircts illeacutegalement impayeacutes ndash

quand bien mecircme une telle mesure serait qualifieacutee en elle-mecircme de

laquo peacutenale raquo pour les besoins des garanties drsquoeacutequiteacute du procegraves preacutevues dans la

Convention ndash aussi dans les cas plus graves ougrave il y aurait peut-ecirctre lieu de

poursuivre lrsquoauteur du meacutefait parce qursquoun eacuteleacutement non retenu dans la

proceacutedure laquo administrative raquo en recouvrement des impocircts par exemple un

comportement frauduleux srsquoajouterait au deacutefaut de paiement Lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 a pour objet drsquoempecirccher lrsquoinjustice que repreacutesenterait pour

une personne le fait drsquoecirctre poursuivie ou punie deux fois pour le mecircme

comportement deacutelictueux Il ne bannit toutefois pas les systegravemes juridiques

qui traitent de maniegravere laquo inteacutegreacutee raquo le meacutefait neacutefaste pour la socieacuteteacute en

question notamment en reacuteprimant celui-ci dans le cadre de phases parallegraveles

meneacutees par des autoriteacutes diffeacuterentes agrave des fins diffeacuterentes

124 La Cour estime que la jurisprudence preacuteciteacutee portant sur les

proceacutedures parallegraveles ou mixtes creacuteeacutee avec les deacutecisions RT c Suisse et

Nilsson c Suegravede puis reprise dans lrsquoarrecirct Nykaumlnen et une seacuterie drsquoautres

affaires donne des indications utiles qui aident agrave deacutefinir ougrave se trouve le juste

44 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

eacutequilibre entre la preacuteservation neacutecessaire des inteacuterecircts de lrsquoindividu proteacutegeacutes

par le principe non bis in idem drsquoune part et la prise en compte de lrsquointeacuterecirct

particulier pour la socieacuteteacute de pouvoir reacuteglementer de maniegravere calibreacutee le

domaine en question drsquoautre part Cela dit avant de se pencher plus avant

sur les critegraveres pertinents agrave lrsquoaune desquels lrsquoeacutequilibre voulu peut ecirctre

meacutenageacute la Cour juge souhaitable de preacuteciser les conclusions agrave tirer de la

jurisprudence existante

125 Premiegraverement il faut conclure de lrsquoapplication du critegravere du laquo lien

mateacuteriel et temporel suffisamment eacutetroit raquo dans les affaires finlandaises et

sueacutedoises reacutecentes qursquoil ne sera pas satisfait agrave ce critegravere si lrsquoun ou lrsquoautre des

deux eacuteleacutements ndash mateacuteriel ou temporel ndash fait deacutefaut (paragraphe 114

ci-dessus)

126 Deuxiegravemement dans certaines affaires la Cour a drsquoabord rechercheacute

si et dans lrsquoaffirmative agrave quel moment lrsquoune des proceacutedures avait fait

lrsquoobjet drsquoune deacutecision laquo deacutefinitive raquo (faisant potentiellement obstacle agrave la

poursuite de lrsquoautre proceacutedure) avant drsquoappliquer le critegravere du laquo lien

suffisamment eacutetroit raquo et de reacutepondre par la neacutegative agrave la question du respect

de la condition de laquo bis raquo crsquoest-agrave-dire de conclure agrave lrsquoabsence de reacutepeacutetition

(Boman preacuteciteacute sectsect 36 agrave 38) Pour la Cour cependant la question du

caractegravere laquo deacutefinitif raquo ou non drsquoune deacutecision ne se pose pas degraves lors qursquoil y a

non pas une reacutepeacutetition des poursuites agrave proprement parler mais plutocirct une

combinaison de proceacutedures dont on peut consideacuterer qursquoelles forment un tout

inteacutegreacute

127 Troisiegravemement le point preacuteceacutedent a aussi une incidence sur les

preacuteoccupations exprimeacutees par certains des gouvernements intervenants agrave

savoir qursquoil ne faudrait pas exiger que les proceacutedures connexes deviennent

laquo deacutefinitives raquo au mecircme moment faute de quoi la personne concerneacutee

pourrait utiliser le principe non bis in idem agrave des fins de manipulation et

drsquoimpuniteacute Sur ce point la conclusion figurant au paragraphe 51 de lrsquoarrecirct

Nykaumlnen (preacuteciteacute) et dans un certain nombre drsquoarrecircts posteacuterieurs agrave savoir

que laquo lrsquoune et lrsquoautre des proceacutedures suivent leur propre cheminement et

prennent fin indeacutependamment lrsquoune de lrsquoautre raquo doit ecirctre consideacutereacutee comme

un constat de fait dans le reacutegime finlandais examineacute il nrsquoexistait pas de

lien suffisant drsquoun point de vue mateacuteriel entre la proceacutedure administrative et

la proceacutedure peacutenale alors qursquoelles avaient eacuteteacute conduites de maniegravere plus ou

moins simultaneacutee Lrsquoarrecirct Nykaumlnen est un exemple de cas ougrave lrsquoapplication

du critegravere du laquo lien mateacuteriel et temporel suffisant raquo va dans une certaine

direction en fonction des faits

128 Quatriegravemement pour des raisons similaires agrave celles exposeacutees

ci-dessus lrsquoordre dans lequel les proceacutedures sont conduites ne saurait ecirctre

un eacuteleacutement deacutecisif pour se prononcer sur le point de savoir si lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 permet des proceacutedures mixtes ou multiples (comparer avec

les deacutecisions preacuteciteacutees RT c Suisse ougrave un permis de conduire avait eacuteteacute

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 45

retireacute avant lrsquoouverture du procegraves peacutenal et Nilsson c Suegravede ougrave le retrait

eacutetait intervenu apregraves)

129 Enfin il ressort de certaines des affaires susmentionneacutees (Sergueiuml

Zolotoukhine Tomasović et Muslija eacutevoqueacutees au paragraphes 108 et 115

ci-dessus) pour autant que celles-ci concernaient une reacutepeacutetition de

proceacutedures dans lesquelles les objectifs et moyens employeacutes nrsquoeacutetaient pas

compleacutementaires (paragraphe 130 ci-dessous) que la Cour nrsquoeacutetait pas

disposeacutee agrave les examiner comme si elles avaient concerneacute des proceacutedures

parallegraveles ou mixtes susceptibles drsquoecirctre compatibles avec le principe ne bis

in idem comme dans les affaires RT c Suisse Nilsson et Boman

(paragraphe 113 ci-dessus)

130 Il ressort agrave lrsquoeacutevidence de cette analyse de la jurisprudence de la

Cour que srsquoagissant de faits punissables aussi bien sur le terrain du droit

peacutenal que sur celui du droit administratif la maniegravere la plus sucircre de veiller

au respect de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 consiste agrave preacutevoir agrave un stade

opportun une proceacutedure agrave un seul niveau permettant la reacuteunion des

branches parallegraveles du reacutegime leacutegal reacutegissant lrsquoactiviteacute en cause de faccedilon agrave

satisfaire dans le cadre drsquoun seul et mecircme processus aux diffeacuterents

impeacuteratifs poursuivis par la socieacuteteacute dans sa reacuteaction face agrave lrsquoinfraction

Toutefois ainsi qursquoil a eacuteteacute expliqueacute ci-dessus (notamment aux paragraphes

111 et 117 agrave 120) lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 nrsquoexclut pas la conduite de

proceacutedures mixtes mecircme jusqursquoagrave leur terme pourvu que certaines

conditions soient remplies En particulier pour convaincre la Cour de

lrsquoabsence de reacutepeacutetition de procegraves ou de peines (bis) proscrite par lrsquoarticle 4

du Protocole no 7 lrsquoEacutetat deacutefendeur doit eacutetablir de maniegravere probante que les

proceacutedures mixtes en question eacutetaient unies par un laquo lien mateacuteriel et

temporel suffisamment eacutetroit raquo Autrement dit il doit ecirctre deacutemontreacute que

celles-ci se combinaient de maniegravere agrave ecirctre inteacutegreacutees dans un tout coheacuterent

Cela signifie non seulement que les buts poursuivis et les moyens utiliseacutes

pour y parvenir doivent ecirctre en substance compleacutementaires et preacutesenter un

lien temporel mais aussi que les eacuteventuelles conseacutequences deacutecoulant drsquoune

telle organisation du traitement juridique du comportement en question

doivent ecirctre proportionneacutees et preacutevisibles pour le justiciable

131 Srsquoagissant des conditions agrave satisfaire pour que des proceacutedures

mixtes administratives et peacutenales puissent ecirctre regardeacutees comme preacutesentant

un lien mateacuteriel et temporel suffisant et donc comme compatibles avec le

critegravere de laquo bis raquo deacutecoulant de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 la Cour reacutesume

de la maniegravere suivante les consideacuterations pertinentes tireacutees de sa

jurisprudence telle qursquoexamineacutee ci-dessus

132 Les eacuteleacutements pertinents pour statuer sur lrsquoexistence drsquoun lien

suffisamment eacutetroit du point de vue mateacuteriel sont notamment les suivants

ndash le point de savoir si les diffeacuterentes proceacutedures visent des buts

compleacutementaires et concernent ainsi non seulement in abstracto mais aussi

46 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

in concreto des aspects diffeacuterents de lrsquoacte preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute en

cause

ndash le point de savoir si la mixiteacute des proceacutedures en question est une

conseacutequence preacutevisible aussi bien en droit qursquoen pratique du mecircme

comportement reacuteprimeacute (idem)

ndash le point de savoir si les proceacutedures en question ont eacuteteacute conduites drsquoune

maniegravere qui eacutevite autant que possible toute reacutepeacutetition dans le recueil et dans

lrsquoappreacuteciation des eacuteleacutements de preuve notamment gracircce agrave une interaction

adeacutequate entre les diverses autoriteacutes compeacutetentes faisant apparaicirctre que

lrsquoeacutetablissement des faits effectueacute dans lrsquoune des proceacutedures a eacuteteacute repris dans

lrsquoautre

ndash et surtout le point de savoir si la sanction imposeacutee agrave lrsquoissue de la

proceacutedure arriveacutee agrave son terme en premier a eacuteteacute prise en compte dans la

proceacutedure qui a pris fin en dernier de maniegravere agrave ne pas faire porter pour

finir agrave lrsquointeacuteresseacute un fardeau excessif ce dernier risque eacutetant moins

susceptible de se preacutesenter srsquoil existe un meacutecanisme compensatoire conccedilu

pour assurer que le montant global de toutes les peines prononceacutees est

proportionneacute

133 Agrave cet eacutegard il est eacutegalement instructif de tenir compte de la

maniegravere dont lrsquoarticle 6 de la Convention est appliqueacute dans le type drsquoaffaire

aujourdrsquohui examineacutee (Jussila preacuteciteacute sect 43)

laquo () il va de soi que certaines [proceacutedures peacutenales] ne comportent aucun caractegravere

infamant pour ceux qursquoelles visent et que les laquo accusations en matiegravere peacutenale raquo nrsquoont

pas toutes le mecircme poids De surcroicirct en adoptant une interpreacutetation autonome de la

notion drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo par application des critegraveres Engel les

organes de la Convention ont jeteacute les bases drsquoune extension progressive de

lrsquoapplication du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 agrave des domaines qui ne relegravevent pas

formellement des cateacutegories traditionnelles du droit peacutenal telles que les

contraventions administratives () les punitions pour manquement agrave la discipline

peacutenitentiaire () les infractions douaniegraveres () les sanctions peacutecuniaires infligeacutees

pour violation du droit de la concurrence () et les amendes infligeacutees par des

juridictions financiegraveres () Les majorations drsquoimpocirct ne faisant pas partie du noyau

dur du droit peacutenal les garanties offertes par le volet peacutenal de lrsquoarticle 6 ne doivent pas

neacutecessairement srsquoappliquer dans toute leur rigueur () raquo

Le raisonnement ci-dessus permet de deacutegager les eacuteleacutements pertinents

lorsqursquoil faut deacuteterminer si lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 a eacuteteacute respecteacute dans

les affaires de proceacutedures mixtes (administratives et peacutenales) De plus

comme la Cour lrsquoa deacutejagrave dit agrave de nombreuses reprises la Convention doit se

lire comme un tout et srsquointerpreacuteter de maniegravere agrave promouvoir sa coheacuterence

interne et lrsquoharmonie entre ses diverses dispositions (Klass et autres

c Allemagne 6 septembre 1978 sect 68 seacuterie A no 28 voir aussi Maaouia

c France [GC] no 3965298 sect 36 CEDH 2000-X Kudła c Pologne [GC]

no 3021096 sect 152 CEDH 2000-XI et Stec et autres c Royaume-Uni (deacutec)

[GC] nos 6573101 et 6590001 sect 48 CEDH 2005-X)

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 47

La mesure dans laquelle la proceacutedure administrative preacutesente les

caracteacuteristiques drsquoune proceacutedure peacutenale ordinaire est un eacuteleacutement important

Des proceacutedures mixtes satisferont plus vraisemblablement aux critegraveres de

compleacutementariteacute et de coheacuterence si les sanctions imposables dans la

proceacutedure non formellement qualifieacutee de laquo peacutenale raquo sont speacutecifiques au

comportement en question et ne font donc pas partie du laquo noyau dur du droit

peacutenal raquo (pour reprendre les termes de lrsquoarrecirct Jussila preacuteciteacute) Si agrave titre

additionnel cette proceacutedure nrsquoa pas de caractegravere veacuteritablement infamant il y

a moins de chances qursquoelle fasse peser une charge disproportionneacutee sur

lrsquoaccuseacute Agrave lrsquoinverse plus la proceacutedure administrative preacutesente de

caracteacuteristiques infamantes la rapprochant dans une large mesure drsquoune

proceacutedure peacutenale ordinaire plus les finaliteacutes sociales poursuivies par la

punition du comportement fautif dans des proceacutedures diffeacuterentes risquent de

se reacutepeacuteter (bis) au lieu de se compleacuteter Lrsquoissue des affaires mentionneacutees au

paragraphe 129 ci-dessus peut passer pour des illustrations de la

concreacutetisation drsquoun tel risque

134 De plus ainsi qursquoil a deacutejagrave eacuteteacute dit implicitement ci-dessus mecircme

lorsque le lien mateacuteriel est suffisamment solide la condition du lien

temporel demeure et doit ecirctre satisfaite Il ne faut pas en conclure pour

autant que les deux proceacutedures doivent ecirctre meneacutees simultaneacutement du deacutebut

agrave la fin LrsquoEacutetat doit avoir la faculteacute drsquoopter pour la conduite des proceacutedures

progressivement si ce proceacutedeacute se justifie par un souci drsquoefficaciteacute et de

bonne administration de la justice poursuit des finaliteacutes sociales diffeacuterentes

et ne cause pas un preacutejudice disproportionneacute agrave lrsquointeacuteresseacute Toutefois ainsi

qursquoil a deacutejagrave eacuteteacute preacuteciseacute il doit toujours y avoir un lien temporel Ce lien doit

ecirctre suffisamment eacutetroit pour que le justiciable ne soit pas en proie agrave

lrsquoincertitude et agrave des lenteurs et pour que les proceacutedures ne srsquoeacutetalent pas

trop dans le temps (voir comme exemple de lacune de ce type Kapetanios

et autres preacuteciteacute sect 67) mecircme dans lrsquohypothegravese ougrave le reacutegime national

pertinent preacutevoit un meacutecanisme laquo inteacutegreacute raquo comportant un volet

administratif et un volet peacutenal distincts Plus le lien temporel est teacutenu plus il

faudra que lrsquoEacutetat explique et justifie les lenteurs dont il pourrait ecirctre

responsable dans la conduite des proceacutedures

e) Sur le respect en lrsquoespegravece de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

i Le premier requeacuterant

135 Srsquoagissant du premier requeacuterant le bureau des impocircts lui appliqua

le 24 novembre 2008 une majoration drsquoimpocirct de 30 en vertu des

articles 10-2 1) et 10-4 1) de la loi fiscale au motif qursquoil avait omis dans sa

deacuteclaration fiscale pour lrsquoanneacutee 2002 3 259 342 NOK de revenus perccedilus agrave

lrsquoeacutetranger (paragraphe 16 ci-dessus) Le premier requeacuterant nrsquoayant pas

attaqueacute cette deacutecision celle-ci devint deacutefinitive au plus tocirct au bout de trois

semaines agrave lrsquoexpiration du deacutelai de recours (paragraphe 143 ci-dessous) Il

48 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

fut aussi poursuivi peacutenalement pour la mecircme omission dans sa deacuteclaration

fiscale pour 2002 le 14 octobre 2008 il fut inculpeacute et le 2 mars 2009 le

tribunal de Follo le reconnut coupable de fraude fiscale aggraveacutee et le

condamna agrave un an drsquoemprisonnement pour violation de lrsquoarticle 12-1 1)a)

cf section 12-2 de la loi fiscale (paragraphes 15 et 17 ci-dessus) La cour

drsquoappel le deacutebouta (paragraphe 19 ci-dessus) de mecircme que le 27 novembre

2010 la Cour suprecircme (paragraphes 20 agrave 30 ci-dessus)

α) Lrsquoapplication drsquoune majoration drsquoimpocirct eacutetait-elle de nature peacutenale

136 Dans le droit fil de ce qursquoelle a dit au paragraphe 107 ci-dessus la

Cour recherchera si la proceacutedure drsquoapplication de la majoration drsquoimpocirct de

30 pouvait sur la base des critegraveres Engel ecirctre qualifieacutee de laquo peacutenale raquo

pour les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

137 Agrave cet eacutegard la Cour note que la Cour suprecircme a eacuteteacute attentive agrave

lrsquoeacutevolution progressive du droit de la Convention dans ce domaine et srsquoest

efforceacutee de tenir compte des eacutevolutions de la jurisprudence de la Cour dans

ses propres deacutecisions en matiegravere de leacutegislation fiscale (paragraphes 44-47

ci-dessus) Ainsi en 2002 la Cour suprecircme a dit pour la premiegravere fois

qursquoune majoration drsquoimpocirct de 30 constituait une laquo accusation en matiegravere

peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 de la Convention Elle a eacutegalement jugeacute

contrairement agrave ses deacutecisions anteacuterieures qursquoune majoration drsquoimpocirct de

60 revecirctait un caractegravere peacutenal aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 En

2004 et en 2006 elle a estimeacute qursquoil en allait de mecircme de la majoration

drsquoimpocirct de 30

138 Dans des affaires comparables concernant la Suegravede (majorations

drsquoimpocirct agrave des taux de 40 et 20 ) la Cour a jugeacute que les proceacutedures en

question eacutetaient laquo peacutenales raquo pour les besoins non seulement de lrsquoarticle 6 de

la Convention (Janosevic c Suegravede no 3461997 sectsect 68-71 CEDH 2002-VII

et Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic c Suegravede no 3698597 sectsect 79-82

23 juillet 2002) mais aussi de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 (Manasson

c Suegravede (deacutec) no 4126598 8 avril 2003 Rosenquist deacutecision preacuteciteacutee

Synnelius et Edsbergs Taxi AB c Suegravede (deacutec) no 4429802 17 juin 2008

Carlberg c Suegravede (deacutec) no 963104 27 janvier 2009 et Lucky Dev preacuteciteacute

sectsect 6 et 51)

139 Dans ces conditions la Cour ne voit aucune raison de revenir sur la

conclusion de la Cour suprecircme (paragraphes 22 agrave 25 ci-dessus) selon

laquelle la proceacutedure qui a conduit agrave lrsquoimposition au premier requeacuterant

drsquoune majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire de 30 revecirctait un caractegravere

laquo peacutenal raquo au sens autonome donneacute agrave ce terme sur le terrain de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 49

β) Les infractions peacutenales pour lesquelles le premier requeacuterant a eacuteteacute poursuivi

eacutetaient-elles les mecircmes que celles pour lesquelles une majoration drsquoimpocirct

lui a eacuteteacute appliqueacutee (idem)

140 Ainsi qursquoil a eacuteteacute dit ci-dessus (paragraphe 128) la protection

qursquooffre le principe non bis in idem ne deacutepend pas de lrsquoordre dans lequel les

proceacutedures sont respectivement conduites crsquoest le lien entre les deux

infractions qui compte (Franz Fischer c Autriche no 3795097 sect 29

29 mai 2001 et les arrecircts et deacutecisions preacuteciteacutes Storbraringten Mjelde ainsi que

Haarvig Ruotsalainen et Kapetanios et autres)

141 Appliquant aux faits de lrsquoespegravece lrsquoapproche harmoniseacutee exposeacutee

dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine (preacuteciteacute sectsect 82-84) la Cour suprecircme a

conclu que les circonstances factuelles sur lesquelles reposaient la

majoration drsquoimpocirct et la condamnation peacutenale ndash crsquoest-agrave-dire dans les deux

cas lrsquoomission dans la deacuteclaration fiscale de certaines informations

concernant des revenus ndash eacutetaient suffisamment similaires pour satisfaire agrave la

condition susmentionneacutee (paragraphe 21 ci-dessus) Les parties ne le

contestent pas et malgreacute lrsquoeacuteleacutement factuel suppleacutementaire de fraude qui

caracteacuterise lrsquoinfraction peacutenale la Cour ne voit aucune raison de conclure

autrement

γ) Y a-t-il eu une deacutecision deacutefinitive

142 Pour ce qui est de savoir si au cours de la proceacutedure de majoration

drsquoimpocirct une deacutecision laquo deacutefinitive raquo susceptible de faire obstacle agrave des

poursuites peacutenales a eacuteteacute prise (Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 107-108)

la Cour renvoie agrave son analyse ci-dessus Eacutetant convaincue agrave lrsquoissue de son

examen ci-dessous de lrsquoexistence drsquoun lien mateacuteriel et temporel suffisant

entre la proceacutedure fiscale et la proceacutedure peacutenale pour que celles-ci puissent

ecirctre regardeacutees comme formant une solution juridique inteacutegreacutee reacutepondant au

comportement du premier requeacuterant elle nrsquoestime pas neacutecessaire

drsquoexaminer plus avant la question du caractegravere deacutefinitif de la proceacutedure

fiscale en elle-mecircme Agrave ses yeux la circonstance que la premiegravere proceacutedure

a eacuteteacute clocirctureacutee de maniegravere laquo deacutefinitive raquo avant la seconde nrsquoa aucune

incidence sur lrsquoexamen ci-dessous de lrsquoarticulation entre elles deux

(paragraphe 126 ci-dessus)

143 Point nrsquoest donc besoin pour la Cour de donner son avis sur

lrsquoanalyse faite par la Cour suprecircme de la question de savoir si la premiegravere

deacutecision du 24 novembre 2008 eacutetait devenue deacutefinitive agrave lrsquoexpiration du

deacutelai de recours administratif de trois semaines ou agrave celle du deacutelai de

recours judiciaire de six mois (paragraphe 27 ci-dessus)

δ) Y a-t-il eu reacutepeacutetition de poursuites (bis)

144 Les autoriteacutes nationales compeacutetentes ont jugeacute que le comportement

reacutepreacutehensible du premier requeacuterant appelait deux reacuteponses une sanction

administrative au titre du chapitre 10 de la loi fiscale consacreacute aux

50 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

majorations drsquoimpocirct et une sanction peacutenale au titre du chapitre 12 de cette

mecircme loi (paragraphes 15 16 et 41-43 ci-dessus) chacune ayant une

finaliteacute diffeacuterente Comme la Cour suprecircme lrsquoa expliqueacute dans ses arrecircts

rendus en mai 2002 (paragraphe 46 ci-dessus) la sanction administrative

que constitue la majoration drsquoimpocirct a une finaliteacute geacuteneacuterale de dissuasion en

reacuteaction agrave la communication par le contribuable peut-ecirctre innocemment de

deacuteclarations ou informations inexactes ou incomplegravetes et elle vise aussi agrave

compenser les ressources humaines et financiegraveres consideacuterables consacreacutees

par les autoriteacutes fiscales pour le compte de la collectiviteacute aux controcircles et

veacuterifications destineacutes agrave repeacuterer les deacuteclarations erroneacutees Lrsquoobjectif est que

les personnes ayant communiqueacute des informations incomplegravetes ou inexactes

supportent ces coucircts dans une certaine mesure Le calcul de lrsquoimpocirct est une

opeacuteration massive qui fait intervenir des millions de citoyens Pour la Cour

suprecircme la majoration drsquoimpocirct ordinaire a avant tout pour but drsquoinciter le

contribuable agrave respecter son obligation de fournir des informations

complegravetes et exactes et de renforcer les fondations du systegraveme fiscal

national condition indispensable au bon fonctionnement de lrsquoEacutetat et

partant de la socieacuteteacute Comme lrsquoa dit la Cour suprecircme une condamnation

peacutenale au titre du chapitre 12 en revanche poursuit des fins non seulement

dissuasives mais aussi reacutepressives srsquoagissant de la mecircme omission

preacutejudiciable pour la socieacuteteacute et comporte un eacuteleacutement additionnel de fraude

deacutelictueuse

145 Crsquoest ainsi que agrave la suite drsquoun controcircle fiscal conduit en 2005 le

fisc porta plainte au peacutenal contre le premier requeacuterant et drsquoautres personnes

agrave lrsquoautomne 2007 (paragraphe 13 ci-dessus) En deacutecembre 2007 lrsquointeacuteresseacute

fut interrogeacute en tant qursquoaccuseacute et deacutetenu pendant quatre jours

(paragraphe 14 ci-dessus) En aoucirct 2008 srsquoappuyant notamment sur les

conclusions de lrsquoenquecircte peacutenale le fisc lrsquoavisa qursquoil allait le redresser

notamment pour lrsquoanneacutee 2002 au motif qursquoil avait omis de deacuteclarer

3 259 341 NOK Cet avis reposait sur les conclusions du controcircle fiscal de

la socieacuteteacute Software Innovation AS meneacute par le fisc sur lrsquoenquecircte peacutenale

conseacutecutive et sur la deacuteposition faite par le premier requeacuterant au cours de

cette enquecircte (paragraphe 16 ci-dessus) En octobre 2008 le premier

requeacuterant fut inculpeacute drsquoinfractions fiscales par Oslashkokrim Par une deacutecision du

24 novembre 2008 le fisc ordonna son redressement et le versement par lui

de la majoration drsquoimpocirct en question Cette deacutecision eacutetait notamment fondeacutee

sur les deacutepositions faites par les premier et second requeacuterants lors

drsquointerrogatoires meneacutes au cours de lrsquoenquecircte peacutenale Un peu plus de deux

mois plus tard le 2 mars 2009 le tribunal de Follo condamna lrsquointeacuteresseacute

pour fraude fiscale au motif qursquoil avait omis le montant susmentionneacute dans

sa deacuteclaration fiscale pour lrsquoanneacutee 2002 Pour la Cour il est

particuliegraverement important de constater que conformeacutement aux principes

geacuteneacuteraux du droit national en matiegravere de fixation des peines (paragraphe 50

ci-dessus) ledit tribunal a prononceacute la peine drsquoun an drsquoemprisonnement en

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 51

tenant compte de ce que le premier requeacuterant avait deacutejagrave eacuteteacute lourdement

sanctionneacute par lrsquoapplication de la majoration drsquoimpocirct (paragraphe 17 ci-

dessus comparer avec les arrecircts preacuteciteacutes Kapetanios et autres sect 66 ougrave les

juridictions administratives avaient imposeacute des amendes administratives

sans tenir compte de lrsquoacquittement des requeacuterants agrave lrsquoissue des proceacutedures

peacutenales anteacuterieures relatives au mecircme comportement et Nykaumlnen ougrave la

Cour a conclu agrave lrsquoabsence de lien mateacuteriel suffisant entre les deux

proceacutedures)

146 Dans ces conditions la Cour conclut premiegraverement qursquoelle nrsquoa

aucune raison de mettre en doute les motifs pour lesquels le leacutegislateur

norveacutegien a choisi de reacuteprimer au moyen drsquoune proceacutedure mixte

(administrative et peacutenale) inteacutegreacutee le comportement preacutejudiciable agrave la

socieacuteteacute consistant agrave ne pas payer ses impocircts non plus que ceux pour

lesquels les autoriteacutes norveacutegiennes compeacutetentes ont deacutecideacute agrave lrsquoeacutegard du

premier requeacuterant de traiter seacutepareacutement lrsquoeacuteleacutement de fraude plus grave et

plus reacutepreacutehensible socialement dans le cadre drsquoune proceacutedure peacutenale plutocirct

que dans celui drsquoune proceacutedure administrative ordinaire

Deuxiegravemement la conduite de proceacutedures mixtes avec une possibiliteacute de

cumul de diffeacuterentes peines eacutetait preacutevisible par le premier requeacuterant qui

degraves le deacutebut nrsquoeacutetait pas censeacute ignorer que des poursuites peacutenales srsquoajoutant agrave

une majoration drsquoimpocirct eacutetaient de lrsquoordre du possible voire du probable

compte tenu du dossier (paragraphes 13 et 16 ci-dessus)

Troisiegravemement il semble clair que comme lrsquoa dit la Cour suprecircme les

proceacutedures administrative et peacutenale ont eacuteteacute conduites en parallegravele et eacutetaient

imbriqueacutees (paragraphe 29 ci-dessus) Les faits eacutetablis dans le cadre de

lrsquoune de ces proceacutedures ont eacuteteacute repris dans lrsquoautre et pour ce qui est de la

proportionnaliteacute de la peine globale la sanction peacutenale a tenu compte de la

majoration drsquoimpocirct (paragraphe 17 ci-dessus)

147 Compte tenu des faits porteacutes agrave sa connaissance la Cour conclut que

rien nrsquoindique que le premier requeacuterant ait subi un preacutejudice disproportionneacute

ou une injustice en conseacutequence de la reacuteponse juridique inteacutegreacutee deacutenonceacutee

par lui apporteacutee agrave son absence de deacuteclaration de certains revenus et au

non-paiement de certains de ses impocircts Aussi eu eacutegard aux consideacuterations

exposeacutees ci-dessus (et notamment celles reacutesumeacutees aux

paragraphes 132-134) la Cour est-elle convaincue que si des sanctions

diffeacuterentes ont eacuteteacute imposeacutees par deux autoriteacutes diffeacuterentes lors de

proceacutedures diffeacuterentes il existait neacuteanmoins entre celles-ci un lien tant

mateacuteriel que temporel suffisamment eacutetroit pour les consideacuterer comme

srsquoinscrivant dans le meacutecanisme inteacutegreacute de sanctions preacutevu par le droit

norveacutegien dans le cas ougrave une omission drsquoinformations sur certains revenus

dans une deacuteclaration fiscale conduit agrave une erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct

(paragraphe 21 ci-dessus)

52 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

ii Le second requeacuterant

148 Pour ce qui est du second requeacuterant reprenant le raisonnement

suivi par la Cour suprecircme dans lrsquoarrecirct concernant le premier requeacuterant la

cour drsquoappel jugea premiegraverement que la deacutecision prise le 5 deacutecembre 2008

par le fisc ordonnant agrave lrsquointeacuteresseacute de payer une majoration drsquoimpocirct de 30

srsquoanalysait bien en lrsquoimposition drsquoune sanction laquo peacutenale raquo au sens de

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 elle dit deuxiegravemement que la deacutecision eacutetait

devenue laquo deacutefinitive raquo le 26 deacutecembre 2008 date drsquoexpiration du deacutelai de

recours et troisiegravemement que la deacutecision de majoration drsquoimpocirct et la

condamnation peacutenale ulteacuterieure se rapportaient aux mecircmes faits (paragraphe

37 ci-dessus) Comme dans le cas du premier requeacuterant la Cour ne voit

aucune raison de conclure autrement sur les premier et troisiegraveme points non

plus que la neacutecessiteacute de se prononcer sur le deuxiegraveme

149 Srsquoagissant de la question qui se pose ensuite crsquoest-agrave-dire celle de

savoir srsquoil y a eu ou non une reacutepeacutetition des poursuites (bis) incompatible

avec le Protocole no 7 la Cour relegraveve que comme agrave lrsquoeacutegard du premier

requeacuterant (paragraphe 144 ci-dessus) les autoriteacutes compeacutetentes ont jugeacute

qursquoune proceacutedure mixte se justifiait dans le cas du second requeacuterant

150 Quant au deacuteroulement preacutecis des proceacutedures en cause agrave la suite du

controcircle conduit par lui en 2005 le fisc porta plainte au peacutenal aupregraves

drsquoOslashkokrim agrave lrsquoautomne 2007 contre le second requeacuterant (comme il lrsquoavait

fait contre le premier requeacuterant et drsquoautres personnes) au motif que

lrsquointeacuteresseacute nrsquoavait pas deacuteclareacute 4 561 881 NOK (soit environ 500 000 EUR)

de revenus pour lrsquoanneacutee fiscale 2002 (paragraphe 31 ci-dessus) Le

16 octobre 2008 srsquoappuyant en particulier sur le controcircle fiscal sur la

deacuteposition faite par le second requeacuterant au cours de lrsquoenquecircte peacutenale en

question ainsi que sur les documents saisis par Oslashkokrim lors de lrsquoenquecircte le

bureau des impocircts avisa lrsquointeacuteresseacute qursquoil envisageait de le redresser

fiscalement au motif que celui-ci avait omis de deacuteclarer lesdits revenus et

drsquoappliquer agrave son eacutegard une majoration drsquoimpocirct (paragraphe 32 ci-dessus)

Le 11 novembre 2008 le parquet inculpa le second requeacuterant de fraude

fiscale pour lrsquoomission par celui-ci du montant susmentionneacute ce qui

repreacutesentait 1 302 526 NOK drsquoimpocircts agrave payer et pria le tribunal drsquoOslo de

rendre un jugement sommaire fondeacute sur ses aveux (paragraphe 33

ci-dessus) Le 5 deacutecembre 2008 date agrave laquelle le bureau des impocircts

ordonna au second requeacuterant au titre du redressement de verser ce montant

ainsi que la majoration drsquoimpocirct en question la proceacutedure peacutenale eacutetait deacutejagrave

bien avanceacutee (paragraphe 32 ci-dessus)

Ainsi il ressort des eacuteleacutements ci-dessus que depuis la plainte dont le fisc

avait saisi la police agrave lrsquoautomne 2007 et jusqursquoagrave la deacutecision de majoration

drsquoimpocirct prise le 5 deacutecembre 2008 la proceacutedure peacutenale et la proceacutedure

fiscale ont eacuteteacute conduites en parallegravele et eacutetaient imbriqueacutees Cette situation

est similaire agrave celle du premier requeacuterant

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 53

151 Il est vrai que comme lrsquoa releveacute la cour drsquoappel la peacuteriode de neuf

mois seacuteparant la date agrave laquelle la deacutecision prise par le fisc le 5 deacutecembre

2008 eacutetait devenue deacutefinitive et la date de la condamnation du second

requeacuterant par le tribunal drsquoOslo (le 30 septembre 2009) ndash eacutetait un peu plus

longue que la peacuteriode de deux mois et demi eacutecouleacutee dans le procegraves du

premier requeacuterant Toutefois comme la cour drsquoappel lrsquoa eacutegalement indiqueacute

(paragraphe 39 ci-dessus) cela srsquoexpliquait par la reacutetractation du second

requeacuterant en feacutevrier 2009 en conseacutequence de laquelle il avait fallu

lrsquoinculper de nouveau le 29 mai 2009 et le juger dans le cadre drsquoun procegraves

contradictoire ordinaire (paragraphes 34 et 35 ci-dessus) Cette circonstance

reacutesultat drsquoun revirement du second requeacuterant ne saurait suffire en

elle-mecircme agrave rompre le lien temporel unissant la proceacutedure fiscale et la

proceacutedure peacutenale En particulier le laps de temps suppleacutementaire qui srsquoeacutetait

eacutecouleacute avant lrsquoaudience au peacutenal ne saurait passer pour disproportionneacute ou

deacuteraisonnable agrave en juger par sa cause Il demeure et crsquoest ce qui importe

que comme dans le cas du premier requeacuterant la juridiction de jugement a

fixeacute la peine lors du procegraves peacutenal en tenant effectivement compte de la

majoration drsquoimpocirct (paragraphe 35 ci-dessus)

152 Degraves lors srsquoagissant du second requeacuterant la Cour ne voit pas non

plus de raison de mettre en doute les motifs pour lesquels les autoriteacutes

norveacutegiennes ont choisi de reacuteprimer au moyen drsquoune proceacutedure mixte

(administrative et peacutenale) inteacutegreacutee le comportement reacutepreacutehensible en cause

La possibiliteacute drsquoun cumul de diffeacuterentes peines eacutetait forceacutement preacutevisible au

vu des circonstances (paragraphes 13 et 32 ci-dessus) La proceacutedure

administrative et la proceacutedure peacutenale ont eacuteteacute conduites dans une large

mesure en parallegravele et elles eacutetaient imbriqueacutees (paragraphe 39 ci-dessus) Lagrave

encore les faits eacutetablis dans le cadre de lrsquoune de ces proceacutedures ont eacuteteacute

repris dans lrsquoautre et pour ce qui est de la proportionnaliteacute de la peine

globale la sanction peacutenale a eacuteteacute fixeacutee en tenant compte de la sanction

administrative (paragraphes 33 et 35 ci-dessus)

153 Compte tenu des faits porteacutes agrave sa connaissance la Cour conclut que

rien nrsquoindique que le second requeacuterant ait subi un preacutejudice disproportionneacute

ou une injustice en conseacutequence de la reacuteponse juridique inteacutegreacutee deacutenonceacutee

par lui apporteacutee agrave son absence de deacuteclaration de certains revenus et au non-

paiement de certains de ses impocircts Aussi eu eacutegard aux consideacuterations

exposeacutees ci-dessus (et notamment celles reacutesumeacutees aux

paragraphes 132-134) la Cour conclut-elle qursquoil existait entre la deacutecision de

majoration drsquoimpocirct et la condamnation peacutenale ulteacuterieure un lien tant

mateacuteriel que temporel suffisamment eacutetroit pour consideacuterer que ces mesures

srsquoinscrivaient dans le meacutecanisme inteacutegreacute de sanctions preacutevu par le droit

norveacutegien dans le cas ougrave une omission drsquoinformations dans une deacuteclaration

fiscale conduit agrave une erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct

54 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

iii Conclusion geacuteneacuterale

154 Au vu de ce qui preacutecegravede aucun des deux requeacuterants ne peut passer

pour avoir eacuteteacute laquo poursuivi ou puni peacutenalement () en raison drsquoune

infraction pour laquelle il a[vait] deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute ou condamneacute par un

jugement deacutefinitif raquo au meacutepris de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 La Cour

conclut degraves lors agrave la non-violation de cette disposition en lrsquoespegravece et ce agrave

lrsquoeacutegard du premier requeacuterant comme du second

PAR CES MOTIFS LA COUR

1 Deacuteclare agrave lrsquounanimiteacute les requecirctes recevables

2 Dit par seize voix contre une qursquoil nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 4

du Protocole no 7 agrave la Convention dans le chef du premier et du second

requeacuterant

Fait en franccedilais et en anglais puis prononceacute en audience publique au

Palais des droits de lrsquohomme agrave Strasbourg le 15 novembre 2016

Lawrence Early Guido Raimondi

Jurisconsulte Preacutesident

Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la

Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute de lrsquoopinion seacutepareacutee du juge

Pinto de Albuquerque

GR

TLE

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 55

OPINION DISSIDENTE

DU JUGE PINTO DE ALBUQUERQUE

Table des matiegraveres

I ndash Introduction

Premiegravere partie

II - Fondements du principe ne bis in idem

A Bref rappel historique

a) Lrsquoeacutepoque romaine

b) Les Lumiegraveres

B Un principe de droit international coutumier

a) La consolidation universelle du principe

b) La consolidation europeacuteenne du principe

III - Les deacutefis contemporains du ne bis in idem

A Infractions administratives et politique peacutenale agrave deux vitesses

a) La tendance vers la politique de deacutepeacutenalisation

b) Lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk et la laquo peacutenalisation raquo des infractions mineures

B Les majorations drsquoimpocirct comme instrument de politique peacutenale

a) La nature peacutenale des majorations drsquoimpocirct

b) Lrsquoarrecirct Jussila et la ligne de deacutemarcation entre malum in se et

malum quia prohibitum

Seconde Partie

IV - Lrsquoheacuteritage pro persona de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine

A Le cumul des sanctions administratives et peacutenales

a) Lrsquoidem factum dans les proceacutedures administratives et peacutenales

b) La deacutecision deacutefinitive dans les proceacutedures administratives

B Les proceacutedures parallegraveles administratives et peacutenales (bis)

a) Un lien temporel suffisant

b) Un lien mateacuteriel suffisant

V - La reacutevision de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine

A La restriction de lrsquoidem factum par le critegravere du bis

a) La poursuite de buts diffeacuterents traitant drsquoaspects diffeacuterents de lrsquoacte

preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute

b) La preacutevisibiliteacute du cumul des diffeacuterentes sanctions

B La conception pro auctoritate du ne bis in idem de la majoriteacute

a) Absence de reacutepeacutetition de la collecte et de lrsquoappreacuteciation des preuves

b) Meacutecanisme de compensation entre les sanctions administratives et

peacutenales

VI ndash Conclusion

56 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

I ndash Introduction

1 Je ne peux souscrire ni au raisonnement ni aux conclusions de la

majoriteacute dans la preacutesente affaire Bien que cette affaire concerne

speacutecifiquement le cumul de majorations drsquoimpocirct appliqueacutees dans des

proceacutedures fiscales et de sanctions appliqueacutees en parallegraveles dans des

proceacutedures peacutenales la Grande Chambre a deacutelibeacutereacutement eacutetendu la porteacutee de

lrsquoespegravece au problegraveme juridique plus geacuteneacuteral des laquo proceacutedures peacutenales et

administratives mixtes raquo1 Le but eacutevident de la Grande Chambre est drsquoeacutetablir

un principe de droit europeacuteen des droits de lrsquohomme applicable agrave toutes les

affaires de cumul de proceacutedures peacutenale et administrative Le problegraveme est

que le raisonnement de la Grande Chambre est bacirccleacute La description

impreacutecise des conditions requises pour le cumul des sanctions

administrative et peacutenale et lrsquoapplication superficielle de ces conditions au

cadre juridique et agrave la pratique norveacutegiens laissent une impression

persistante de leacutegegravereteacute dans la motivation

2 Dans la premiegravere partie de cette opinion je traiterai des fondements

oublieacutes du principe ne bis in idem crsquoest-agrave-dire ses racines historiques en

tant que garantie individuelle et sa reconnaissance progressive comme

principe de droit international coutumier Par la suite je preacutesenterai les deacutefis

contemporains auxquels fait face ce principe dans le champ des infractions

administratives et particuliegraverement des infractions fiscales et la reacuteponse

heacutesitante de la part de la Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme (laquo la

Cour raquo) Dans la seconde partie de lrsquoopinion jrsquoeacutevaluerai lrsquoheacuteritage pro

persona de lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine2 et confronterai la posture pro

auctoritate de la majoriteacute dans la preacutesente affaire avec les solutions reacutecentes

de la Cour et de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne dans le champ des

infractions fiscales3 des infractions boursiegraveres4 et des infractions

douaniegraveres5 Enfin je deacutemontrerai les lacunes de la solution de la majoriteacute

en me fondant sur une discussion en profondeur des buts et des eacuteleacutements des

infractions peacutenales et administratives en jeu des diffeacuterentes regravegles de

preuve applicables en droit administratif et en droit peacutenal norveacutegien et des

traits speacutecifiques du meacutecanisme de compensation que fourniraient le droit

interne substantiel et la jurisprudence Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede je

conclurai qursquoil y a eu une violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

1 Voir le paragraphe 132 crucial de lrsquoarrecirct

2 Sergueiuml Zolotoukhine c Russie [GC] ndeg 1493903 sectsect 82 et 84 CEDH 2009

3 Hans Aringkeberg Fransson (C-617frasl10 arrecirct de la Grande Chambre de la CJUE 26 feacutevrier

2013 et Lucky Dev c Suegravede ndeg 735610 sect 58 27 novembre 2014

4 Grande Stevens et autres c Italie nos 1864010 1864710 1866310 1866810 et

1869810 4 mars 2014

5 Kapetanios et autres c Gregravece nos 345312 4294112 et 902813 sect72 30 avril 2015 et

Sismanidis et Sitaridis c Gregravece nos 6660209 et 7187912 9 juin 2016

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 57

Premiegravere partie

II - Fondements du principe ne bis in idem

A Bref rappel historique

a) Lrsquoeacutepoque romaine

3 La maxime ne bis in idem eacutetait respecteacutee durant la Reacutepublique

romaine et le Principat bien que fussent preacutevues certaines exceptions tireacutees

de nouvelles proceacutedures pour les mecircmes crimes contre des accuseacutes deacutejagrave

acquitteacutes6 Initialement durant la peacuteriode des legis actiones la maxime

signifiait que bis de eadem res ne sic actio agrave savoir que le deacuteclenchement

drsquoune certaine action avait pour conseacutequence lrsquoextinction du droit respectif

qui entravait le deacuteclenchement de nouvelles actiones mecircme lorsqursquoaucune

deacutecision sur le fond nrsquoavait eacuteteacute rendue Pour limiter lrsquoimpact de cette

maxime lrsquoexceptio rei judiciatae fut introduite qui eacutetait deacutependante drsquoune

deacutecision preacutealable sur le fond Lrsquoexceptio faisait obstacle au bis in eadem

sans consideacuteration pour le fait que le jugement preacutealable ait abouti agrave un

acquittement ou une condamnation Dans les deux cas lrsquoautoritas rerum

judicatarum emportait extinction de lrsquoaction peacutenale La porteacutee de cette

maxime eacutetait limiteacutee par lrsquoobjet de lrsquoaction peacutenale preacutealable tantum

consumptum quantum judiciatum tantum judiciatum quantum litigatum

Lrsquoeadem quaestio eacutetait deacutefinie par le mecircme fait idem factum7

4 Dans le droit justinien la preacutesomption de veacuteriteacute des deacutecisions des

juridictions devint la nouvelle logique de la maxime Ulpien fut le premier agrave

formuler la maxime res iudicata pro veritate accipitur (D 50 17 207)

Avec lrsquoeacutemergence de la proceacutedure inquisitoire et du raisonnement juridique

syllogistique la logique de la codification impeacuteriale ndash lrsquoautoriteacute de la

juridiction et lrsquoinfaillibiliteacute de ses conclusions ndash eut un impact neacutegatif sur la

dimension individuelle de la maxime Dans la logique de la nouvelle

proceacutedure inquisitoire la reacuteouverture autrefois exceptionnelle drsquoune

proceacutedure peacutenale pour les mecircmes faits en droit romain devint un simple

exemple de la maxime absolutio pro nunc rebus sic stantibus qui en fait

reconnaissait la nature transitoire du jugement peacutenal dans la poursuite de la

6 Sur le deacutebat historique voir Laurens De lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee consideacutereacutee comme

mode drsquoextinction de lrsquoaction publique Paris 1885 Mommsen Roumlmisches Strafrecht

Aaalen 1899 Arturo Rocco Trattato della Cosa Giudicata Come Causa di Estinzione

dellrsquoAzione Penale Rome 1900 Danan La regravegle non bis in idem en droit peacutenal franccedilais

Rennes 1971 Spinellis Die materielle Rechtskraft des Strafurteils Munich 1962

Mansdoumlrfer Das Prinzip des ne bis in idem im europaumlischen Strafrecht Berlin 2004 et

Lelieur-Fischer La regravegle ne bis in idem Du principe de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee au

principe drsquouniciteacute drsquoaction reacutepressive Eacutetude agrave la lumiegravere des droits franccedilais allemand et

europeacuteen Paris 2005

7 Laurens preacuteciteacute p 50-51 Arturo Rocco preacuteciteacute p 76 et Mommsen preacuteciteacute p 450

58 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

veacuteriteacute Par exemple en France drsquoapregraves la regravegle du laquo plus amplement

informeacute raquo en lrsquoabsence de preuve empiriques de lrsquoinnocence de lrsquoaccuseacute

lrsquoacquittement avait une nature transitoire et pouvait ecirctre renverseacute agrave tout

moment par une nouvelle preuve incriminante La mecircme chose est apparue

en Italie ougrave lrsquoaccuseacute eacutetait acquitteacute de lrsquoobservation du tribunal (At in casu

quo reus absoluendus est ab observatione iudici) sous la reacuteserve laquo tant que

les choses restent telles qursquoelles sont raquo (stantibus rebus prout stant) la

proceacutedure pouvant ecirctre rouverte degraves lors que de nouvelles preuves

apparaissaient (supervenient nova indicia)

b) Les Lumiegraveres

5 Les Lumiegraveres renouvelegraverent la dimension individuelle du ne bis in

eadem qui fut incluse agrave lrsquoarticle 8 du chapitre V du titre II de la

Constitution franccedilaise de 1791 (laquo tout homme acquitteacute par un jury leacutegal ne

peut plus ecirctre repris ni accuseacute agrave raison du mecircme fait raquo) et aux articles 246 et

360 du Code drsquoinstruction criminelle de 1808 La conseacutequence pratique de

ces dispositions fut la suppression de la tristement ceacutelegravebre regravegle du laquo plus

amplement informeacute raquo De lrsquoautre cocircteacute de lrsquooceacutean Atlantique la mecircme anneacutee

le Cinquiegraveme Amendement agrave la Constitution des Eacutetats-Unis introduisit une

prohibition de la double incrimination dans la proceacutedure peacutenale (laquo nor shall

any person be subject for the same offense to be twice put in jeopardy of life

or limb raquo) qui comprend lrsquointerdiction des poursuites subseacutequentes agrave un

acquittement ou agrave une condamnation et des peines multiples pour la mecircme

infraction8 Lrsquoamendement visait agrave empecirccher un criminel aussi bien drsquoecirctre

puni deux fois pour la mecircme infraction que drsquoecirctre deux fois traduit en

justice pour celle-ci Lorsque la condamnation eacutetait invalideacutee pour une

erreur la peine deacutejagrave effectueacutee devait ecirctre entiegraverement laquo creacutediteacutee raquo agrave la peine

relative agrave une nouvelle condamnation pour la mecircme infraction9

B Un principe de droit international coutumier

a) La consolidation universelle du principe

6 Ainsi que le montre la pratique bien eacutetablie et quasi-universelle des

Eacutetats le fait que la preacuterogative eacutetatique de poursuivre juger et punir lrsquoauteur

drsquoun fait deacutelictueux srsquoeacuteteint (Strafklageverbrauch) lorsque celui-ci a eacuteteacute

acquitteacute ou reconnu coupable de lrsquoinfraction par une deacutecision deacutefinitive

adopteacutee dans une proceacutedure peacutenale (le principe de lrsquoeacutepuisement de la

proceacutedure ou Erledigungsprinzip) est un principe de droit international

coutumier10 Le principe est indeacutependant de toute condition relative agrave

8 North Carolina c Pearce 395 US 711 p 717 (1969)

9 Ibidem p 718

10 Pour la pratique constitutionnelle voir Bassiouni Human Rights in the Context of

Criminal Justice Identifying International Procedural Protection and Equivalent

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 59

lrsquoimposition de la peine ou agrave son exeacutecution Lorsque ce principe ne

srsquoapplique pas comme dans le cas de lrsquointerdiction du double chacirctiment

sans interdiction de nouvelles poursuites ou de nouveau jugement toute

sanction anteacuterieure doit ecirctre prise en consideacuteration dans lrsquoimposition de la

peine subseacutequente pour le mecircme fait (principe de deacuteduction ou

Anrechnungprinzip)

7 Le principe de lrsquoeacutepuisement de la proceacutedure (Erledigungsprinzip) est

affirmeacute par lrsquoarticle 14 (7) du Pacte international relatif aux droits civils et

politiques de 1966 (laquo poursuivi ou puni raquo) (laquo le PIDCP raquo)11 lrsquoarticle 8 (4)

de la Convention ameacutericaine relative aux droits de lrsquohomme de 1969 (laquo agrave

nouveau poursuivi raquo) lrsquoarticle 75 (4) h) du Protocole additionnel de 1977

aux Conventions de Genegraveve du 12 aoucirct 1949 relatif agrave la protection des

victimes des conflits armeacutes internationaux (laquo poursuivie ou punie raquo)

lrsquoarticle 10 (1) du Statut du Tribunal peacutenal international pour

lrsquoex-Yougoslavie de 1993 (laquo traduit raquo)12 lrsquoarticle 9 (1) du Statut du Tribunal

peacutenal international pour le Rwanda de 1994 (laquo traduit raquo)13 lrsquoarticle 20 (2)

du Statut de la Cour peacutenale internationale de 1998 (laquo condamneacute ou

acquitteacute raquo) et lrsquoarticle 9 (1) du Statut du Tribunal speacutecial pour la Sierra

Leone (laquo traduit raquo) de 200214 et lrsquoarticle 19 (1) de la Chartre Arabe des

droits de lrsquohomme de 2004 Lrsquoarticle 86 de la Troisiegraveme Convention de

Genegraveve de 1949 (laquo puni raquo) et lrsquoarticle 117 (3) de la Quatriegraveme Convention

de Genegraveve de 1949 (laquo puni raquo) ne vont pas aussi loin puisqursquoils nrsquointerdisent

qursquoune nouvelle peine mais ils ne font aucune reacutefeacuterence au principe de

deacuteduction

b) La consolidation europeacuteenne du principe

8 Au sein du Conseil de lrsquoEurope le principe ne bis in idem est

initialement apparu comme motif drsquoexclusion obligatoire ou optionnelle de

la coopeacuteration en matiegravere peacutenale entre Eacutetats Constituent des exemples de

Protections in National Constitutions 1993 3 Duke Journal of Comparative amp

International Law p 247

11 Voir lrsquoObservation Geacuteneacuterale du Comiteacute des droits de lrsquohomme ndeg32 article 14 Droit agrave

lrsquoeacutegaliteacute devant les tribunaux et les cours de justice et agrave un procegraves eacutequitable 23 aoucirct 2007

CCPRCGC32 sectsect 54-57

12 laquo Pour deacutecider de la peine agrave infliger agrave une personne condamneacutee pour un crime viseacute par

le preacutesent statut le Tribunal international tient compte de la mesure dans laquelle cette

personne a deacutejagrave purgeacute toute peine qui pourrait lui avoir eacuteteacute infligeacutee par une juridiction

nationale pour le mecircme fait raquo

13 laquo Pour deacutecider de la peine agrave infliger agrave une personne condamneacutee pour un crime viseacute par

le preacutesent statut le Tribunal international pour le Rwanda tient compte de la mesure dans

laquelle cette personne a deacutejagrave purgeacute toute peine qui pourrait lui avoir eacuteteacute infligeacutee par une

juridiction nationale pour le mecircme fait raquo

14 laquo Pour deacutecider de la peine agrave infliger agrave une personne condamneacutee pour un crime viseacute par

le preacutesent Statut le Tribunal speacutecial tient compte de la mesure dans laquelle cette personne

a deacutejagrave purgeacute une peine qui pourrait lui avoir eacuteteacute infligeacutee par une juridiction nationale pour

le mecircme fait raquo

60 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

cette approche limiteacutee lrsquoarticle 9 de la Convention europeacuteenne drsquoextradition

de 195715 lrsquoarticle 9 de la Convention europeacuteenne pour la reacutepression des

infractions routiegraveres de 196216 lrsquoarticle 2 du Protocole additionnel agrave la

Convention europeacuteenne drsquoextradition de 197517 lrsquoarticle 8 de la Convention

sur le transfegraverement des personnes condamneacutees de 198318 lrsquoarticle 2 (4) de

lrsquoAccord relatif au trafic illicite par mer de 1995 mettant en œuvre lrsquoarticle

17 de la Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupeacutefiants

et de substances psychotropes19 et lrsquoarticle 28 (1) f) de la Convention du

Conseil de lrsquoEurope relative au blanchiment au deacutepistage agrave la saisie et agrave la

confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme de

200520

9 Plus reacutecemment le principe de lrsquoeacutepuisement de la proceacutedure

(Erledigungsprinzip) a eacuteteacute affirmeacute par lrsquoarticle 53 de la Convention

europeacuteenne sur la valeur internationale des jugements reacutepressifs de 1970

(laquo ne peut pour le mecircme fait ecirctre poursuivie condamneacutee ou soumise agrave

lrsquoexeacutecution drsquoune sanction raquo)21 lrsquoarticle 35 de la Convention europeacuteenne sur

la transmission des proceacutedures reacutepressives de 1972 (laquo ne peut pour le mecircme

fait ecirctre poursuivie condamneacutee ou soumise agrave lrsquoexeacutecution drsquoune sanction raquo)

22 et lrsquoarticle 17 de la Convention europeacuteenne sur les infractions visant des

biens culturels de 1985 (laquo ne peut pour le mecircme fait ecirctre poursuivie

condamneacutee ou soumise agrave lrsquoexeacutecution drsquoune sanction raquo) 23 Dans ces cas de

figure lorsque le ne bis in idem ne srsquoapplique pas le principe de deacuteduction

doit ecirctre proteacutegeacute en tant que garantie de dernier ressort Lrsquoarticle 25 de la

Convention du Conseil de lrsquoEurope de 2005 sur la lutte contre la traite des

ecirctres humains eacutetablit seulement le principe de deacuteduction24

10 La Recommandation 791 (1976) de lrsquoAssembleacutee Parlementaire du

Conseil de lrsquoEurope sur la protection des droits de lrsquohomme en Europe

exhortait le Comiteacute des Ministres agrave laquo srsquoefforcer drsquoinseacuterer le plus grand

nombre possible de dispositions positives du Pacte des Nations Unies dans

la Convention europeacuteenne des Droits de lrsquoHomme raquo Lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 a ainsi eacuteteacute approuveacute en 198425 sous lrsquoinfluence directe de

15 STE ndeg 24

16 STE ndeg 52

17 STE ndeg 86

18 STE ndeg 112

19 STE ndeg 156

20 STCE ndeg 198

21 STE ndeg 70 Lorsque ce principe ne srsquoapplique pas lrsquoarticle 54 preacutevoit lrsquoapplication du

principe de deacuteduction pour les peines de prison

22 STE ndeg 73 Lorsque ce principe ne srsquoapplique pas lrsquoarticle 36 preacutevoit lrsquoapplication du

principe de deacuteduction pour les peines de prison

23 STE ndeg 119 Lorsque ce principe ne srsquoapplique pas lrsquoarticle 18 preacutevoit lrsquoapplication du

principe de deacuteduction pour les peines de prison

24 STCE ndeg 197

25 STE ndeg 117 Il est entreacute en vigueur le 1er novembre 1988

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 61

lrsquoarticle 17 (7) du PIDCP La nouveauteacute majeure eacutetait la nature non

susceptible de deacuterogation du principe europeacuteen

11 Au sein de lrsquoUnion europeacuteenne le principe de lrsquoeacutepuisement de la

proceacutedure (Erledigungsprinzip) est affirmeacute agrave lrsquoarticle 1 de la Convention

entre les Eacutetats membres des communauteacutes europeacuteennes relative agrave

lrsquoapplication du principe ne bis in idem de 1987 (laquo ne peut pour les mecircmes

faits ecirctre poursuivie raquo)26 lrsquoarticle 54 de la Convention drsquoapplication de

lrsquoAccord de Schengen (laquo la CAAS raquo) de 1990 (laquo ne peut pour les mecircmes

faits ecirctre poursuivie raquo)27 lrsquoarticle 7 de la Convention relative agrave la protection

des inteacuterecircts financiers des Communauteacutes europeacuteennes de 1995 (laquo ne peut

ecirctre poursuivie raquo)28 lrsquoarticle 10 de la Convention contre la corruption

impliquant des fonctionnaires communautaires ou nationaux de 1997 (laquo ne

peut ecirctre poursuivie raquo) 29 lrsquoarticle 2(1) du regraveglement de la Banque centrale

europeacuteenne no 21571999 concernant les pouvoirs de la Banque centrale

europeacuteenne en matiegravere de sanctions (laquo Il nrsquoy a lieu drsquoengager qursquoune seule

proceacutedure drsquoinfraction contre une mecircme entreprise sur la base des mecircmes

faits raquo) lrsquoarticle 50 de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion

europeacuteenne (laquo la Charte raquo) de 2000 (laquo poursuivi ou puni raquo) et lrsquoinitiative de

la Reacutepublique helleacutenique concernant lrsquoadoption par le Conseil drsquoun projet de

deacutecision-cadre relative agrave lrsquoapplication du principe non bis in idem de 2003

(laquo nul ne peut ecirctre poursuivi ou jugeacute deux fois pour les mecircmes actes raquo)30

12 La Charte a changeacute radicalement les obligations juridiques des Eacutetats

membres de lrsquoUnion europeacuteenne auxquels elle srsquoapplique Puisque le droit

de ne pas ecirctre poursuivi ou puni peacutenalement deux fois pour une mecircme

infraction est eacutetabli agrave lrsquoarticle 54 de la CAAS et agrave lrsquoarticle 50 de la Charte

lrsquoarticle 54 doit ecirctre interpreacuteteacute agrave la lumiegravere de lrsquoarticle 5031 Agrave la lumiegravere de

26 Lrsquoarticle 3 eacutetablit un principe de deacuteduction pour les peines de prison ainsi que pour les

peines non privatives de liberteacute

27 Lorsque ce principe ne srsquoapplique pas lrsquoarticle 56 preacutevoit lrsquoapplication du principe de

deacuteduction pour les peines de prison ainsi que pour les peines non privatives de liberteacute Les

articles 54 et 57 de la Convention drsquoapplication de lrsquoAccord de Schengen ont repris la

Convention entre les Eacutetats membres des communauteacutes europeacuteennes relative agrave lrsquoapplication

du principe ne bis in idem Le Traiteacute drsquoAmsterdam a incorporeacute le ne bis in idem dans le

troisiegraveme pilier Agrave partir de ce moment le principe est devenu lrsquoun des objectifs de lrsquoespace

commun de liberteacute seacutecuriteacute et justice Voir eacutegalement le Programme de mesures destineacute agrave

mettre en œuvre le principe de reconnaissance mutuelle des deacutecisions peacutenales

(2001C 12frasl02) et le Livre vert de la Commission sur les conflits de compeacutetences et le

principe ne bis in idem dans le cadre des proceacutedures peacutenales (COM(2005) 696 final)

28 Acte du Conseil du 26 juillet 1995

29 Acte du Conseil du 26 mai 1997 Lrsquoarticle 10 preacutevoit lrsquoapplication du principe de

deacuteduction pour les peines de prison ainsi que pour les peines non privatives de liberteacute

30 Lrsquoarticle 3 contient des regravegles de lis pendens Lrsquoarticle 5 preacutevoit lrsquoapplication du

principe de deacuteduction incluant toutes les sanctions autres que la privation de liberteacute qui

pourraient ecirctre imposeacutees et les sanctions imposeacutees dans le cadre des proceacutedures

administratives

31 Voir paragraphe 35 de lrsquoarrecirct du 5 juin 2014 dans lrsquoaffaire M (C‑398frasl12)

62 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

lrsquoarticle 52 (3) de la Charte dans la mise en œuvre des droits et liberteacutes

issus de la Charte qui correspondent aux droits et liberteacutes garantis par la

Convention europeacuteenne des droits de lrsquoHomme (laquo la Convention raquo) et ses

Protocoles les Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne sont tenus par le sens

et la porteacutee de ces droits et liberteacutes eacutetablis par ladite Convention et ses

Protocoles tels qursquointerpreacuteteacutes par la Cour32 quand bien mecircme ils nrsquoauraient

pas ratifieacute ces protocoles Crsquoest eacutegalement le cas pour lrsquoarticle 50 de la

Charte et en conseacutequence lrsquoarticle 54 de la CAAS qui eacutevidemment doit ecirctre

interpreacuteteacute agrave la lumiegravere de la jurisprudence de la Cour relative agrave lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 mecircme agrave lrsquoeacutegard des Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne

qui ne lrsquoauraient pas ratifieacute

13 En outre le principe ne bis in idem a eacuteteacute instaureacute comme un motif

drsquoexclusion de la coopeacuteration en matiegravere peacutenale dans plusieurs instruments

tels que lrsquoarticle 3(2) de la Deacutecision-cadre relative au mandat drsquoarrecirct

europeacuteen de 200233 lrsquoarticle 7 (1) c) de la Deacutecision-cadre relative agrave

lrsquoexeacutecution dans lrsquoUnion europeacuteenne des deacutecisions de gel de biens ou

drsquoeacuteleacutements de preuve de 200334 lrsquoarticle 8 (2) b) de la Deacutecision-cadre

relative agrave lrsquoapplication du principe de reconnaissance mutuelle aux

deacutecisions de confiscation de 200635 lrsquoarticle 11 (1) c) de la Deacutecision-cadre

concernant lrsquoapplication du principe de reconnaissance mutuelle aux

jugements et aux deacutecisions de probation aux fins de la surveillance des

mesures de probation et des peines de substitution de 200836

lrsquoarticle 13 (1) a) de la Deacutecision-cadre relative au mandat europeacuteen

drsquoobtention de preuves visant agrave recueillir des objets des documents et des

donneacutees en vue de leur utilisation dans le cadre de proceacutedures peacutenales de

200837 lrsquoarticle 15 (1) c) de la Deacutecision-cadre concernant lrsquoapplication

entre les Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne du principe de

reconnaissance mutuelle aux deacutecisions relatives agrave des mesures de controcircle

en tant qursquoalternative agrave la deacutetention provisoire de 200938 et lrsquoarticle 1 (2) a)

de la Deacutecision-cadre relative agrave la preacutevention et au regraveglement des conflits en

matiegravere drsquoexercice de la compeacutetence dans le cadre des proceacutedures peacutenales

de 200939

32 Voir Note du Praesidium de la Convention Explications relatives agrave la Charte des

droits fondamentaux (Bruxelles 11 octobre 2000) laquo La reacutefeacuterence agrave la CEDH vise agrave la fois

la Convention et ses Protocoles Le sens et la porteacutee des droits garantis sont deacutetermineacutes non

seulement par le texte de ces instruments mais aussi par la jurisprudence de la Cour

europeacuteenne des droits de lrsquohomme et par la Cour de justice des Communauteacutes

europeacuteennes raquo

33 Deacutecision-cadre du Conseil 2002584JAI du 13 juin 2002

34 Deacutecision-cadre du Conseil 2003577JAI du 22 juillet 2003

35 Deacutecision-cadre du Conseil 2006783JAI du 6 octobre 2006

36 Deacutecision-cadre du Conseil 2008947JAI du 27 novembre 2008

37 Deacutecision-cadre du Conseil 2008978JAI du 18 deacutecembre 2008

38 Deacutecision-cadre du Conseil 2009829JAI du 23 octobre 2009

39 Deacutecision-cadre du Conseil 2009948JAI du 30 novembre 2009

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 63

Enfin lrsquoarticle 6 du Regraveglement no 298895 relatif agrave la protection des

inteacuterecircts financiers des Communauteacutes europeacuteennes eacutetablit le principe selon

lequel le peacutenal tient lrsquoadministratif coupleacute au principe de deacuteduction

14 Dans lrsquoaregravene judiciaire la Cour de Justice de lrsquoUnion europeacuteenne

(laquo la CJUE raquo) a dit dans lrsquoaffaire Walt Wilhelm et autres

c Bundeskartellamt que des sanctions concurrentes pouvaient ecirctre

imposeacutees dans deux proceacutedures parallegraveles poursuivant des objectifs

diffeacuterents En droit de la concurrence la possibiliteacute qursquoun ensemble de faits

soit soumise agrave deux proceacutedures parallegraveles lrsquoune communautaire et lrsquoautre

nationale deacuterive du systegraveme speacutecifique de reacutepartition des compeacutetences entre

les Communauteacutes et les Eacutetats membres agrave lrsquoeacutegard des ententes Si cependant

la possibiliteacute que deux proceacutedures se deacuteroulent seacutepareacutement devait conduire agrave

lrsquoimposition de sanctions conseacutecutives une exigence geacuteneacuterale de justice

naturelle demanderait que toute deacutecision punitive anteacuterieure soit prise en

compte dans la deacutetermination de toute sanction imposeacutee40

Par la suite la CJUE a deacuteveloppeacute plus avant sa jurisprudence dans le

cadre du troisiegraveme pilier sur le bis (Goumlzuumltok et Bruumlgge41 Miraglia42

Van Straaten43 Turanskyacute44 M45 Kussowski46) sur lrsquoidem (Van Esbroeck47

Van Straaten48 Gasparini49 Kretzinger50 Kraaijenbrink51 et Gasparini52)

et sur la clause drsquoexeacutecution (Klaus Bourquain53 Kretzinger54 et Spasic55)

Dans le domaine du droit fiscal lrsquoarrecirct fondamental est celui rendu dans

lrsquoaffaire Hans Aringkeberg Fransson qui est parvenu agrave la conclusion suivante

laquo Ce nrsquoest que lorsque la sanction fiscale revecirct un caractegravere peacutenal au sens

de lrsquoarticle 50 de la Charte et est devenue deacutefinitive que ladite disposition

srsquooppose agrave ce que des poursuites peacutenales pour les mecircmes faits soient

diligenteacutees contre une mecircme personne raquo56 En refusant la thegravese de lrsquoAvocat

Geacuteneacuteral baseacutee sur le principe de deacuteduction57 la Cour de Luxembourg a

40 Affaire 14frasl68 13 feacutevrier 1969 sect 11

41 Affaire C-187frasl01 et Affaire C-38501 11 feacutevrier 2003

42 Affaire C-469frasl03 10 mars 2005

43 Affaire C-150frasl05 28 septembre 2006

44 Affaire C-491frasl07 22 deacutecembre 2008

45 Affaire C‑398frasl12 5 juin 2014

46 Affaire C-486frasl14 29 juin 2016

47 Affaire C-436frasl04 9 mars 2006

48 Affaire preacuteciteacutee

49 Affaire C-467frasl04 28 septembre 2006

50 Affaire C-288frasl05 18 juillet 2007

51 Affaire C-367frasl05 18 juillet 2007

52 Affaire preacuteciteacutee

53 Affaire C-297frasl07 11 deacutecembre 2008

54 Affaire C-288frasl05 18 juillet 2007

55 Affaire C-129frasl14 PPU 27 mai 2014

56 Hans Aringkeberg Fransson preacuteciteacute sectsect 34 et 37

57 Aux paragraphes 86 et 87 de ses conclusions lrsquoAvocat Geacuteneacuteral plaidait pour une

laquo interpreacutetation partiellement autonome raquo de lrsquoarticle 50 arguant qursquoil existait une tradition

64 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

deacutecideacute dans un remarquable mouvement de convergence avec la Cour de

Strasbourg que la combinaison de sanctions fiscales de nature peacutenale

conformeacutement aux critegraveres Engel et de sanctions peacutenales constituerait une

violation de lrsquoarticle 50 de la Charte58

15 En reacutesumeacute la reacutecurrence de la preacutesence du principe ne bis in idem agrave

la fois en droit international et interne et dans la jurisprudence teacutemoigne de

la reconnaissance drsquoun principe de droit international coutumier59 Le

principe de lrsquoeacutepuisement de la proceacutedure (Erledigungsprinzip) est largement

preacutedominant en droit international au niveau universel comme europeacuteen

mais le principe de deacuteduction trouve eacutegalement une reconnaissance dans

une conception eacutetroite au sein du Conseil de lrsquoEurope (deacuteduction des peines

de prison) et dans une conception plus large au sein de lrsquoUnion europeacuteenne

(deacuteduction des peines de prison et prise en compte des sanctions non

privatives de liberteacute)

III - Les deacutefis contemporains du ne bis in idem

A Infractions administratives et politique peacutenale agrave deux vitesses

a) La tendance vers la politique de deacutepeacutenalisation

16 La deacutepeacutenalisation est une tendance plus que bienvenue du droit peacutenal

en Europe depuis les anneacutees 196060 Les infractions administratives sont un

instrument rationnel de deacutesencombrement en politique peacutenale Cette

tendance se caracteacuterise freacutequemment par le transfert drsquoinfractions peacutenales

moins preacutejudiciables agrave la socieacuteteacute telles que les infractions routiegraveres dans le

champ du droit administratif dans lequel les garanties substantielles et

proceacutedurales ne sont pas les mecircmes que dans le droit peacutenal et la proceacutedure

constitutionnelle commune aux Eacutetats membres opposeacutee agrave la lecture actuelle de lrsquoarticle 4

du Protocole ndeg 7 par la Cour de Strasbourg qui laquo se heurte agrave la forte preacutesence et agrave

lrsquoenracinement des systegravemes de double sanction administrative et peacutenale des Eacutetats

membres raquo

58 Crsquoest exactement la lecture de lrsquoarrecirct Fransson faite par la Cour dans les arrecircts preacuteciteacutes

Grande Stevens et autres sect 229 Kapetanios et autres sect 73 et Sismanidis et Sitaridis sect 73

59 Voir parmi de multiples sources drsquoopinio iuris agrave cet eacutegard les conclusions de

lrsquoAssociation internationale de droit peacutenal (laquo lrsquoAIDP raquo) XIVe Congregraves international de droit

peacutenal octobre 1989 (laquo Dans le cas ougrave un acte relegraveve des deux qualifications peacutenale et

administrative le deacutelinquant ne devrait pas ecirctre puni deux fois En cas de poursuites

successives il devrait ecirctre pleinement tenu compte de toute sanction deacutejagrave prononceacutee pour le

mecircme acte raquo et XVIIe Congregraves international de droit peacutenal septembre 2004 (laquo Le cumul

des proceacutedures et des sanctions de nature peacutenale doit ecirctre eacuteviteacute dans tous les cas raquo)

Principe 9 des Principes de Princeton sur la compeacutetence universelle de 2001 et Anke

Biehler et autres (dir de publ) Freiburg Proposal on Concurrent Jurisdictions and the

Prohibition of Multiple Prosecutions in the European Union 2003

60 AIDP XIVe Congregraves international preacuteciteacute laquo Cette deacutepeacutenalisation est souhaitable dans

la mesure ougrave elle est en harmonie avec le principe de subsidiariteacute de la loi peacutenale raquo

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 65

peacutenale classiques Les infractions administratives sont freacutequemment

formuleacutees en des termes larges et ouverts et les amendes administratives

(Geldbusse) en sont la forme privileacutegieacutee de sanction Lrsquoemprisonnement

nrsquoest pas une alternative agrave lrsquoamende (Ersatzfreiheitsstrafe) comme crsquoest le

cas en droit peacutenal et aucune contrainte par corps (Erzwingungshaft) ne peut

ecirctre ordonneacutee agrave moins que la personne concerneacutee nrsquoait manqueacute agrave son

obligation de paiement des sommes dues sans avoir fait eacutetablir son

incapaciteacute agrave srsquoen acquitter Les sanctions administratives ne sont pas

enregistreacutees au casier judiciaire national mais seulement dans certaines

circonstances dans certains dossiers administratifs sectoriels tel que le

registre des infractions routiegraveres Normalement les infractions

administratives font lrsquoobjet drsquoune proceacutedure simplifieacutee et drsquoune sanction

prononceacutee par des autoriteacutes administratives sauf si elles donnent

ulteacuterieurement lieu agrave un recours en justice Dans de nombreux cas la

poursuite des infractions administratives relegraveve du pouvoir discreacutetionnaire

des autoriteacutes administratives compeacutetentes Les regravegles geacuteneacuterales de la

proceacutedure peacutenale ne sont en principe applicables que par analogie De plus

courts deacutelais de prescriptions srsquoappliquent aux infractions administratives

par rapports aux infractions peacutenales

17 Le brouillage de la ligne de deacutemarcation entre droit peacutenal et droit

administrative a ses propres risques Des comportements gravement

preacutejudiciables agrave la socieacuteteacute sont eux aussi devenus lrsquoobjet du droit

administratif particuliegraverement lorsqursquoils impliquent le traitement massif de

donneacutees agrave lrsquoinstar du droit fiscal ou un niveau drsquoexpertise hautement

qualifieacutee comme en droit de la concurrence61 et en droit boursier ou des

valeurs mobiliegraveres62

b) Lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk et la laquo peacutenalisation raquo des infractions mineures

18 Depuis longtemps la jurisprudence de la Cour indique que les

infractions administratives entrent dans le champ de son controcircle sous

lrsquoeacutegide des garanties de lrsquoarticle 6 Sur la base des critegraveres Engel63 la Cour a

reacuteaffirmeacute maintes et maintes fois qursquoune conduite passible de sanctions

administratives devait beacuteneacuteficier des garanties proceacutedurales de lrsquoarticle 6

indiffeacuteremment de la nature personnelle ou collective de lrsquointeacuterecirct juridique

proteacutegeacute par la norme violeacutee64 du relatif manque de graviteacute de la peine65 et

61 A Menarini Diagnostics SRL c Italie ndeg 4350908 27 septembre 2011

62 Grande Stevens et autres preacuteciteacute

63 Engel et autres c Pays-Bas 8 juin 1976 seacuterie A ndeg 22

64 Oumlztuumlrk c Allemagne 21 feacutevrier 1984 sect 53 seacuterie A ndeg 73 laquo Il importe peu de savoir si

la disposition leacutegale meacuteconnue par M Oumlztuumlrk vise agrave proteacuteger les droits et inteacuterecircts drsquoautrui

ou seulement agrave satisfaire aux exigences de la circulation raquo

65 Ibidem sect 54 laquo La faiblesse relative de lrsquoenjeu (hellip) ne saurait retirer agrave une infraction

son caractegravere peacutenal intrinsegraveque raquo Voir aussi Lutz c Allemagne 25 aoucirct 1987 sect 55 seacuterie A

ndeg 123 et Jussila c Finlande [GC] ndeg 7305301 sect 31 CEDH 2006-XIII

66 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

du fait que la peine nrsquoait que peu de chance de leacuteser la reacuteputation du

coupable66 Sinon une telle privation de garanties proceacutedurales contredirait

le but de lrsquoarticle 667

19 Dans lrsquoaffaire Oumlztuumlrk68 la Cour a invoqueacute trois arguments cruciaux

pour se placer agrave contre-courant de la deacutepeacutenalisation et faire droit agrave la thegravese

selon laquelle lrsquoinfraction administrative en cause une infraction routiegravere

eacutetait de nature laquo peacutenale raquo aux fins de lrsquoarticle 6 le sens ordinaire des

termes la punition de la conduite incrimineacutee par le droit peacutenal dans laquo une

large majoriteacute des Eacutetats contractants raquo et la porteacutee geacuteneacuterale de la norme

violeacutee une norme de circulation routiegravere69 Agrave y regarder de plus pregraves aucun

de ces arguments nrsquoest convaincant Il est difficile drsquoeacutetablir une ligne de

deacutemarcation entre les infractions administratives et peacutenales sur la base du

laquo sens ordinaire des termes raquo quoique la Cour veuille dire par cela En

outre srsquoil est vrai que le consensus europeacuteen est certainement un argument

deacutecisif pour la peacutenalisation drsquoun acte gravement preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute il

est difficilement concevable que la Cour puisse argumenter sur la base du

consensus europeacuteen contre la deacutepeacutenalisation des infractions mineures qui

beacuteneacuteficie non seulement agrave lrsquoindividu qui ne pourrait plus rendre de comptes

en termes peacutenaux pour sa conduite et qui pourrait mecircme eacuteviter les

proceacutedures judiciaires mais eacutegalement le fonctionnement effectif de la

justice deacutesormais soulageacutee du traitement de la grande majoriteacute de ces

infractions Par-dessus tout la Cour se meacuteprend dans lrsquoassimilation des

infractions peacutenales aux normes de porteacutee personnelle geacuteneacuterale De maniegravere

assez surprenante elle semble ignorer la tradition europeacuteenne ancienne des

infractions peacutenales agrave porteacutee personnelle limiteacutee crsquoest-agrave-dire des normes

applicables agrave certaines cateacutegories de citoyens deacutefinissables par des traits

personnels ou professionnels (Sonderdelikte ou Pflichtendelikte)70 Ainsi

66 Oumlztuumlrk preacuteciteacute sect 53 laquo Sans doute srsquoagissait-il drsquoune infraction leacutegegravere ne risquant

guegravere de nuire agrave la reacuteputation de son auteur mais elle ne sortait pas pour autant du champ

drsquoapplication de lrsquoarticle 6 Rien ne donne en effet agrave penser que lrsquoinfraction peacutenale

(criminal offence) au sens de la Convention implique neacutecessairement un certain degreacute de

graviteacute raquo

67 Ibidem laquo il serait contraire agrave lrsquoobjet et au but de lrsquoarticle 6 qui garantit aux accuseacutes

le droit agrave un tribunal et agrave un procegraves eacutequitable de permettre agrave lrsquoEacutetat de soustraire agrave lrsquoempire

de ce texte toute une cateacutegorie drsquoinfractions pour peu qursquoil les juge leacutegegraveres raquo

68 Ibidem

69 Ibidem

70 Sur ce type drsquoinfractions peacutenales voir Roxin Taumlterschaft und Tatherrschaft Berlin

9e eacutedition 2015 et Langer Das Sonderverbrechen Berlin 1972 La doctrine distingue

entre les laquo veacuteritables infractions speacuteciales raquo (echte Sonderdelikte) qui peuvent seulement

ecirctre commise par une personne deacutetenant une certaine qualiteacute des laquo fausses infractions

speacuteciales raquo (unechte Sonderdelikte) qui peuvent ecirctre commises par nrsquoimporte qui mais

dont la sanction est aggraveacutee si elle est commise pas une personne deacutetenant une certaine

qualiteacute ou dans une situation particuliegravere La Cour dans lrsquoaffaire Oumlztuumlrk nrsquoest pas au fait de

cette distinction

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 67

les infractions peacutenales et les normes agrave porteacutee personnelle limiteacutee ne sont pas

incompatibles les unes avec les autres

20 Si la deacutepeacutenalisation nrsquoest pas sans poser problegraveme au regard des

garanties deacutecoulant des articles 6 et 7 de la Convention et de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 lorsqursquoil srsquoagit drsquoinfractions mineures reacuteprimant des actes

moins preacutejudiciables agrave la socieacuteteacute71 elle creacutee manifestement de seacuterieuses

difficulteacutes sur le terrain de ces articles lorsqursquoil srsquoagit drsquoactes plus

preacutejudiciables agrave la socieacuteteacute qui sont deacuteclasseacutes dans le domaine du droit

administratif agrave des fins politiques Elle en creacutee drsquoautant plus lorsque des

infractions administratives incluant celles commises par neacutegligence sont

passibles de sanctions financiegraveres amendes ou majorations astronomiques

parfois mecircme illimiteacutees freacutequemment associeacutees agrave la suspension la

restriction voire mecircme le retrait de certains droits tels que les droits

professionnels Des reacutegimes speacutecialement cleacutements sont proposeacutes aux

lanceurs drsquoalerte et autre collaborateurs de la justice Certaines infractions

administratives conduisent mecircme agrave des sanctions plus seacutevegraveres en cas de

reacutecidive En outre les proceacutedures administratives peuvent inclure des

mesures drsquoenquecirctes aussi intrusives que lrsquointerception de communication et

les perquisitions de domiciles qui peuvent porter atteinte agrave la vie priveacutee du

suspect tout autant que les proceacutedures peacutenales les plus seacuterieuses

21 En reacutealiteacute ce droit peacutenal agrave deux vitesses masque une politique

reacutepressive expansionniste qui vise agrave punir de maniegravere plus expeacuteditive et

plus seacutevegraverement avec moins de garanties mateacuterielles et proceacutedurales Dans

le contexte de ce nouveau Leacuteviathan les infractions de droit administratif ne

sont rien de plus qursquoune appellation trompeuse drsquoune strateacutegie punitive

ferme et le droit administratif devient un raccourci permettant de contourner

les garanties ordinaires du droit peacutenal et de la proceacutedure peacutenale72

22 La Convention nrsquoest pas indiffeacuterente agrave cette politique peacutenale Au

contraire elle ne saurait laisser des probleacutematiques relatives aux droits de

lrsquohomme de cette ampleur au seul pouvoir discreacutetionnaire de chaque Eacutetat

Aucune marge drsquoappreacuteciation nrsquoest accordeacutee aux Eacutetats par lrsquoarticle 7 de la

Convention et lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 qui sont des dispositions non

susceptibles de deacuterogation La deacutefinition des frontiegraveres du droit peacutenal et

lrsquoapplication des principes de leacutegaliteacute et du non bis in idem ne sont pas

deacutependantes des particulariteacutes de chaque systegraveme juridique national Au

contraire elles sont soumises agrave un controcircle europeacuteen strict reacutealiseacute par la

Cour ainsi que cela sera deacutemontreacute ci-dessous

71 Pour la Cour il est clair que la deacutepeacutenalisation est lieacutee aux infractions mineures non

infamantes drsquoun point de vue social (Lutz preacuteciteacute sect 57)

72 Jrsquoai deacutejagrave critiqueacute cette tendance dans mes opinions jointes aux arrecircts A Menarini

Diagnostics SRL preacuteciteacute et Grande Stevens et autres preacuteciteacute

68 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

B Les majorations drsquoimpocirct comme instrument de politique peacutenale

a) La nature peacutenale des majorations drsquoimpocirct

23 Tout comme les termes des articles 6 et 7 de la Convention la notion

de laquo proceacutedure peacutenale raquo doit ecirctre interpreacuteteacutee de maniegravere autonome En outre

par principe la Convention et ses Protocoles doivent ecirctre envisageacutes comme

un tout73 Ainsi lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 doit ecirctre interpreacuteteacute agrave la lumiegravere

des principes geacuteneacuteraux concernant les notions drsquolaquo accusation en matiegravere

peacutenale raquo et de laquo peine raquo eacutenonceacutees respectivement aux articles 6 et 7 de la

Convention74 De plus la qualification juridique de la proceacutedure en droit

national ne peut ecirctre le seul critegravere pertinent pour deacuteterminer lrsquoapplicabiliteacute

du principe ne bis in idem sur le terrain de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

Autrement lrsquoapplication de cette disposition serait laisseacutee au pouvoir

discreacutetionnaire des Eacutetats contractants agrave un degreacute conduisant agrave des reacutesultats

incompatibles avec lrsquoobjet et le but de la Convention Preacuteciseacutement pour

eacuteviter un tel pouvoir discreacutetionnaire il peut exister des cas dans lesquels ni

un acquittement deacutefinitif75 ni une condamnation deacutefinitive76 ne sont

capables de deacuteclencher les effets du ne bis in idem

24 Dans lrsquoaffaire en cause la premiegravere proceacutedure visait agrave lrsquoimposition

de majorations drsquoimpocirct La Cour a pris clairement position en faveur de la

nature peacutenale des sanctions administratives sur le terrain de lrsquoarticle 6 de la

Convention Dans lrsquoaffaire Bendenoun77 qui concernait lrsquoimposition de

majorations drsquoimpocirct pour eacutevasion fiscale la Cour ne srsquoest pas reacutefeacutereacutee

expresseacutement aux critegraveres Engel elle a eacutenumeacutereacute quatre eacuteleacutements qursquoelle

estimait pertinents dans la deacutetermination de lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 en

lrsquoespegravece que la loi eacutetablissant les sanctions concerne tous les citoyens en

leur qualiteacute de contribuables que la majoration ne tende pas agrave la reacuteparation

peacutecuniaire drsquoun preacutejudice mais vise pour lrsquoessentiel agrave punir pour empecirccher

la reacuteiteacuteration drsquoagissements semblables qursquoelle se fonde sur une norme de

caractegravere geacuteneacuteral dont le but est agrave la fois preacuteventif et reacutepressif et qursquoelle

revecircte une ampleur consideacuterable La Cour a consideacutereacute cependant qursquoun Eacutetat

contractant devait avoir la liberteacute de confier au fisc la tacircche drsquoimposer des

sanctions telles que des majorations drsquoimpocirct mecircme si elles atteignent des

sommes eacuteleveacutees Pareil systegraveme nrsquoest pas incompatible avec lrsquoarticle 6 sect 1

tant que le contribuable peut soumettre toute deacutecision lui faisant grief agrave un

73 Voir parmi drsquoautres Hirsi Jamaa et autres c Italie [GC] ndeg 2776509 sect 178

CEDH 2012 et Ferrazzini c Italie [GC] ndeg 4475998 sect 29 CEDH 2001-VII

74 Nykaumlnen c Finlande ndeg 1182811 sect 38 20 mai 2014 Haarvig c Norvegravege (deacutec)

ndeg 1118705 11 deacutecembre 2007 Nilsson c Suegravede (deacutec) ndeg 7366101 CEDH 2005-XIII

Rosenquist c Suegravede (deacutec) ndeg 6061900 14 septembre 2004 Manasson c Suegravede (deacutec)

ndeg 4126598 8 avril 2003 Goumlktan c France ndeg 3340296 sect 48 CEDH 2002-V et Malige

c France 23 septembre 1998 sect 35 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1998-VII

75 Marguš c Croatie [GC] ndeg 445510 sect 139 CEDH 2014

76 Kurdov et Ivanov c Bulgarie ndeg 1613704 sect 44 31 mai 2011

77 Bendenoun c France 24 feacutevrier 1994 seacuterie A ndeg 284

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 69

organe judiciaire jouissant de la pleine juridiction incluant le pouvoir

drsquoannuler sur tous les points que ce soit de droit ou de fait la deacutecision

contesteacutee78

25 Dans les affaires Janosevic79 et Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic80

la Cour nrsquoa fait aucune reacutefeacuterence agrave lrsquoaffaire Bendenoun ou agrave lrsquoapproche

particuliegravere y suivie par elle mais elle a proceacutedeacute strictement sur la base des

critegraveres Engel81 Apregraves avoir confirmeacute que les proceacutedures administratives

avaient abouti agrave une laquo accusation en matiegravere peacutenale raquo agrave lrsquoencontre du

requeacuterant la Cour a consideacutereacute que les proceacutedures judiciaires en lrsquoespegravece

avaient eacuteteacute conduites par des tribunaux soumis aux garanties requises par

lrsquoarticle 6 sect 1 puisque les juridictions administratives avaient compeacutetence

pour examiner tous les aspects de la question qui leur eacutetait adresseacutee Leur

examen nrsquoeacutetait pas limiteacute agrave des points de droit mais pouvait eacutegalement ecirctre

eacutetendu agrave des questions de faits incluant lrsquoappreacuteciation des preuves Si elles

eacutetaient en deacutesaccord avec lrsquoautoriteacute fiscale ces juridictions avaient le

pouvoir drsquoannuler la deacutecision objet drsquoun recours La Cour a ajouteacute que le

point de deacutepart pour les autoriteacutes fiscales et les juridictions devait reacutesider

dans le fait que les inexactitudes releveacutees dans la deacuteclaration fiscale

relevaient drsquoun acte inexcusable imputable au contribuable et qursquoil nrsquoeacutetait

pas manifestement deacuteraisonnable drsquoimposer une majoration drsquoimpocirct comme

sanction de ce comportement Les autoriteacutes fiscales et les juridictions

devraient eacutevaluer srsquoil existe des motifs de dispense mecircme si le contribuable

nrsquoa rien dit agrave cet eacutegard Cependant alors que le devoir drsquoeacutevaluer srsquoil existe

des motifs de dispense nrsquoexiste que lorsque les faits de lrsquoespegravece le justifient

la charge de prouver qursquoil existe des raisons de dispenser un contribuable

drsquoune majoration repose en effet sur celui-ci La Cour a conclu qursquoun

systegraveme fiscal opeacuterant sur une telle preacutesomption qursquoil appartient au

contribuable de renverser eacutetait compatible avec lrsquoarticle 6 sect 2 de la

Convention

b) Lrsquoarrecirct Jussila et la ligne de deacutemarcation entre malum in se et malum quia

prohibitum

26 Dans lrsquoaffaire Jussila82 la Cour a confirmeacute lrsquoapproche retenue dans

lrsquoaffaire Janosevic et souligneacute qursquolaquo Il nrsquoexiste donc pas dans la

jurisprudence de la Cour de preacuteceacutedent faisant autoriteacute qui permette de dire

78 Ibidem sect 46

79 Janosevic c Suegravede ndeg 3461997 CEDH 2002‑VII

80 Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic c Suegravede ndeg 3698597 23 juillet 2002

81 La Cour a souligneacute le mauvais argument laquo Les majorations drsquoimpocirct infligeacutees en

conseacutequence lrsquoont eacuteteacute au titre de la leacutegislation fiscale [hellip] qui vise toutes les personnes

assujetties agrave lrsquoimpocirct en Suegravede et non un groupe donneacute doteacute drsquoun statut particulier raquo

(Janosevic preacuteciteacute sect 68 Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic preacuteciteacute sect 79 voir aussi par

exemple SC IMH Suceava SRL c Roumanie ndeg 2493504 sect 51 29 octobre 2013)

82 Jussila preacuteciteacute sect 41

70 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

que la leacutegegravereteacute de la sanction constituerait en matiegravere fiscale ou autre un

facteur deacutecisif pour exclure du champ drsquoapplication de lrsquoarticle 6 une

infraction revecirctant par ailleurs un caractegravere peacutenal raquo 83 De plus comme un

signal clair de son intention de ne pas priver les contribuables de leur

garanties fondamentales opposables agrave lrsquoEacutetat la Cour a ajouteacute que si elle laquo ne

dout[ait] pas de lrsquoimportance de lrsquoimpocirct pour le bon fonctionnement de

lrsquoEacutetat elle nrsquo[eacutetait] pas convaincue qursquoil faille affranchir les sanctions

fiscales des garanties proceacutedurales contenues dans lrsquoarticle 6 pour preacuteserver

lrsquoefficaciteacute du systegraveme fiscal ni drsquoailleurs que pareille deacutemarche puisse se

concilier avec lrsquoesprit et le but de la Convention raquo84 En agissant de la sorte

la Cour a abandonneacute laquo peu ou prou raquo 85 la logique de lrsquoaffaire Ferrazzini86

puisqursquoelle a admis que les questions drsquoimposition ne sortaient pas du

champ mateacuteriel de la Convention Drsquoun point de vue ratione materiae les

questions se rapportant aux majorations drsquoimpocirct peuvent impliquer une

appreacuteciation par la Cour du pouvoir souverain des Eacutetats en matiegravere fiscale

La neutralisation des preacuterogatives de puissance publiques dans lrsquoaffaire

Jussila a conduit la Cour agrave un recadrage apparent des speacutecificiteacutes des

obligations fiscales dans le contexte du droit europeacuteen des droits de

lrsquohomme

27 Mecircme lorsque les majorations drsquoimpocirct ne sont pas qualifieacutees de

peacutenales en droit national ce seul fait nrsquoest pas deacutecisif pour la Cour Le fait

que les majorations drsquoimpocirct soient imposeacutees par des dispositions leacutegales

srsquoappliquant aux contribuables de maniegravere geacuteneacuterale avec une viseacutee

dissuasive est jugeacute plus pertinent En principe les majorations drsquoimpocirct sont

conccedilues non pas comme une compensation peacutecuniaire pour un dommage

causeacute agrave lrsquoEacutetat mais comme une forme de sanction des coupables et comme

un moyen de dissuader les reacutecidivistes et les nouveaux deacutelinquants

potentiels Aux yeux de la Cour les majorations drsquoimpocirct sont ainsi

imposeacutees par une regravegle dont le but est simultaneacutement dissuasif et punitif

mecircme dans le cas de lrsquoimposition drsquoune majoration fiscale de 10 avec un

maximum fixeacute agrave 2087 Pour la Cour dans lrsquoaffaire Jussila la nature

reacutepressive de la majoration fiscale surpasse la consideacuteration de minimis de

lrsquoarrecirct Bendenoun En conseacutequence les proceacutedures impliquant des

majorations drsquoimpocirct ont eacutegalement eacuteteacute consideacutereacutees comme des laquo proceacutedures

peacutenales raquo au regard de lrsquoarticle 6 de la Convention

83 Ibidem sect 35

84 Ibidem sect 36

85 Ibidem sect 45

86 Ferrazzini preacuteciteacute sect 29 En reacutealiteacute la Cour a eacutevalueacute agrave plusieurs reprises la

compatibiliteacute des mesures de politiques fiscales agrave lrsquoaune de lrsquoarticle 1 du Protocole ndeg 1

(parmi les affaires les plus significatives voir NKM c Hongrie ndeg 6652911 14 mai 2013

Koufaki et ADEDY c Gregravece (deacutec) nos 5766512 et 5765712 7 mai 2013 Da Conceiccedilatildeo

Mateus c Portugal (deacutec) nos 6223512 et 5772512 8 octobre 2013 et Da Silva Carvalho

Rico c Portugal (deacutec) ndeg 1334114 1er septembre 2014)

87 Jussila preacuteciteacute sect 38

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 71

28 Si la Cour srsquoeacutetait arrecircteacutee lagrave lrsquoarrecirct Jussila aurait eacuteteacute une simple

extension de lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk au domaine des majorations drsquoimpocirct Mais la

Cour ne srsquoest pas arrecircteacutee lagrave Elle a consideacutereacute ensuite qursquolaquo il [allait] de soi

que certaines [proceacutedures peacutenales] ne comportent aucun caractegravere infamant

pour ceux qursquoelles visent raquo En conseacutequence dans lrsquoarrecirct de la Cour les

garanties peacutenales ne srsquoappliquent pas avec toute leur rigueur aux accusations

peacutenales deacutepourvues de caractegravere infamant88 En appliquant lrsquoarticle 6 de

maniegravere diffeacuterencieacutee en fonction de la nature du sujet et du caractegravere

infamant que certaines accusations peacutenales comportent la Cour a opeacutereacute une

distinction entre les garanties proceacutedurales conventionnelles disponibles et

indisponibles le droit de lrsquoaccuseacute agrave un procegraves public appartenant agrave la

premiegravere cateacutegorie Dans la mesure ougrave elles nrsquoont pas de caractegravere infamant

les infractions administratives peuvent se distinguer du noyau dur du droit

peacutenal et ainsi les garanties peacutenales de lrsquoarticle 6 peuvent ne pas srsquoy

appliquer dans leur totaliteacute Une seconde cateacutegorie drsquoinfractions peacutenales qui

ne beacuteneacuteficie que de certaines des garanties de lrsquoarticle 6 a vu le jour dans

lrsquoaffaire Jussila

29 Malheureusement ni dans lrsquoarrecirct Jussila ni ulteacuterieurement la Cour

nrsquoa fait le moindre effort drsquoeacutelaborer une approche coheacuterente de la magna

quaestio relative agrave la ligne de deacutemarcation entre le laquo noyau dur du droit

peacutenal raquo et le reste du droit peacutenal qui fait eacutecho agrave la distinction entre mala in

se et mala prohibita La distinction de la Grande Chambre nrsquoest pas

seulement trop simpliste elle semble aussi assez artificielle Dans lrsquoarrecirct

Jussila comme dans quelques autres cas le critegravere du caractegravere infamant

ressemble agrave un argument purement theacuteorique que la Cour nrsquoutilise pas

veacuteritablement pour reacutesoudre lrsquoaffaire89 En reacutealiteacute la Cour a trancheacute lrsquoaffaire

88 Ibidem sect 43 Grande Stevens et autres preacuteciteacute sect 120 Kammerer c Autriche

ndeg 3243506 sect 26 12 mai 2010 et Flisar c Sloveacutenie ndeg 312709 sect 36 29 septembre 2011

La conclusion de lrsquoaffaire Jussila selon laquelle le procegraves public nrsquoeacutetait pas neacutecessaire dans

le cas des infractions administratives a eacuteteacute eacutetendue agrave drsquoautres questions proceacutedurales

couvertes par lrsquoarticle 6 telle que dans les affaires Kammerer et Flisar la preacutesence drsquoun

accuseacute agrave une audience

89 En reacutealiteacute lrsquoapplication du critegravere du caractegravere infamant dans la jurisprudence de la

Cour a eacuteteacute tregraves limiteacutee Il est vrai que la Cour a constateacute agrave maintes reprises le caractegravere

infamant que revecirct implicitement la torture (voir parmi de nombreuses affaires Irlande

c Royaume-Uni 18 janvier 1978 sect 167 seacuterie A ndeg 25 Aksoy c Turquie 18 deacutecembre

1996 sect 64 Recueil 1996-VI Aydın c Turquie 25 septembre 1997 sectsect 83-84 et 86

Recueil 1997-VI Selmouni c France [GC] ndeg 2580394 sect 74 CEDH 1999-V Dikme

c Turquie ndeg 2086992 sectsect 94-96 CEDH 2000-VIII et Batı et autres c Turquie

nos 3309796 et 5783400 sect 116 CEDH 2004-IV) Mais en dehors de ces affaires

lrsquoutilisation du critegravere est rare Parfois la Cour se reacutefegravere au caractegravere infamant de la

condamnation comme facteur pour deacuteterminer la neacutecessiteacute drsquoune comparution personnelle

de lrsquoaccuseacute dans une proceacutedure (dans une affaire de meurtre Chopenko c Ukraine

ndeg 1773506 sect 64 15 janvier 2015 dans une affaire de corruption Suuripaumlauml c Finlande

ndeg 4315102 sect 45 12 janvier 2010) ou pour deacuteterminer si la situation du requeacuterant doit

ecirctre deacutejagrave substantiellement affecteacutee par les mesures prises par la police dans les proceacutedures

preacuteliminaires (dans une affaire drsquoabus sexuel sur mineur Subinski c Sloveacutenie ndeg 1961104

72 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

Jussila de maniegravere tregraves pragmatique sur la base du fait que le requeacuterant avait

largement eu lrsquoopportuniteacute de se deacutefendre par eacutecrit et de commenter les

arguments des autoriteacutes fiscales

30 Le manque de clarteacute conceptuelle de la deacutefinition du laquo noyau dur du

droit peacutenal raquo au titre de lrsquoarticle 6 est encore aggraveacute par le fait que

normalement lrsquoapplication des critegraveres Engel est davantage une question de

degreacute deacutependant du poids des sanctions appliqueacutees et applicables qursquoune

question de nature des accusations qui pegravesent sur lrsquoaccuseacute La Cour preacutefegravere

le plus souvent reacutesoudre la question de lrsquoapplicabiliteacute des critegraveres Engel en

se reacutefeacuterant agrave une appreacuteciation purement quantitative plutocirct que qualitative

de lrsquoinfraction en cause Lorsqursquoelle se lance dans une analyse sur le fond de

la nature de lrsquoinfraction elle utilise freacutequemment lrsquoargument erroneacute tireacute de

lrsquoaffaire Oumlztuumlrk90 de la porteacutee personnelle limiteacutee de la norme

sect 68 18 janvier 2007) Le raisonnement de lrsquoarrecirct Suuripaumlauml a eacuteteacute eacutetendu agrave des infractions

administratives fiscales dans lrsquoaffaire Paacutekozdi c Hongrie (ndeg 5126907 sect 39 25 novembre

2014 Dans drsquoautres cas la Cour a dit que des infractions peacutenales passibles

drsquoemprisonnement impliquaient un caractegravere infamant suffisant lorsque la personne

condamneacutee se voit infliger une peine de sept ans (Popa et Tănăsescu c Roumanie

no 1994604 sect 46 10 avril 2012) une peine de quatre ans (Saacutendor Lajos Kiss c Hongrie

ndeg 2695805 sect 24 29 septembre 2009) ou une peine avec sursis (Goldmann et Szeacutenaacuteszky

c Hongrie ndeg 1760405 sect 20 30 novembre 2010) ou mecircme une amende (Talaacuteber

c Hongrie ndeg 3737605 sect 27 29 septembre 2009) En drsquoautres occasions la Cour a

simplement affirmeacute que certains inteacuterecircts juridiques tels que le respect des regravegles de seacutecuriteacute

incendie de protection des consommateurs ou des politiques drsquourbanisme nrsquoentraient pas

dans le champ du droit peacutenal sans mentionner le deacutefaut de caractegravere infamant (Kurdov et

Ivanov preacuteciteacute sect 43 SC IMH Suceava SRL preacuteciteacute sect 51 et Inocecircncio c Portugal

(deacutec) no 4386298 CEDH 2001ndashI) Dans lrsquoaffaire Segame SA c France (ndeg 483706

sect 59 7 juin 2012) la Cour a consideacutereacute qursquoun impocirct suppleacutementaire sur les œuvres drsquoart et

les sanctions correspondantes laquo ne [faisait] pas partie du noyau dur du droit peacutenal au sens

de la Convention raquo Dans lrsquoaffaire Grande Stevens et autres (preacuteciteacutee sect 122) la Cour a

noteacute que mis agrave part leur seacuteveacuteriteacute financiegravere les sanctions que certains des requeacuterants

encourraient avaient un laquo caractegravere infamant raquo et risquaient drsquoaffecter neacutegativement

lrsquohonneur professionnel et la reacuteputation des personnes concerneacutees Ainsi le critegravere

substantiel du caractegravere infamant est parfois lieacute aux sanctions applicables agrave lrsquoinfraction

alors que dans les cas de meurtre torture corruption ou abus sexuel de mineur il est lieacute agrave la

nature-mecircme du comportement En deacutefinitive la Cour a rejeteacute eacutegalement le critegravere

organique et tautologique selon lequel les infractions traiteacutees par les juridictions

administratives ou les juridictions compeacutetentes agrave lrsquoeacutegard des laquo infractions mineures raquo sont

administratives et qursquoen conseacutequence leur qualification de laquo peacutenale raquo serait exclue

(Tomasović c Croatie ndeg 5378509 sect 22 18 octobre 2011)

90 Lrsquoapplication de ce critegravere a produit des deacutecisions malheureuses telle que celle

deacutelibeacutereacutee dans lrsquoaffaire Inocecircncio (preacuteciteacutee) qui a consideacutereacute les infractions administratives

(contraordenaccedilotildees) en jeu comme non peacutenales bien que les contraordenaccedilotildees portugais

soient modeleacutees exactement agrave lrsquoimage des Ordnungswidrigkeiten allemandes qui avaient

eacuteteacute qualifieacutees de laquo peacutenales raquo dans lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk (agrave titre de comparaison voir la Loi

allemande sur les infractions administratives de 1968 Gesetz uumlber Ordnungswidrigkeiten

et la Loi portugaise sur les infractions administratives de 1982 Regime Geral das

Contraordenaccedilotildees)

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 73

31 En reacutesumeacute le choix politique de lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk de laquo peacutenaliser raquo les

infractions mineures aux fins de lrsquoarticle 6 est fondamentalement reacuteeacutevalueacute

dans lrsquoarrecirct Jussila Lrsquoextension apparente de ce choix politique aux

majorations drsquoimpocirct est dilueacutee en finaliteacute par lrsquoapproche pragmatique et

tourneacutee vers lrsquoefficaciteacute de la Cour qui eacutetiquette ces infractions mineures

comme eacutetant bien que laquo peacutenales raquo exclues du laquo noyau dur du droit peacutenal raquo

ne meacuteritant ainsi pas la protection pleine et entiegravere du volet peacutenal de

lrsquoarticle 6 Les inteacuterecircts drsquoune proceacutedure fiscale efficace et massive ont peseacute

plus lourd que toute autre consideacuteration

32 Quoiqursquoil en soit le message de la Cour dans lrsquoaffaire Jussila vaut

eacutegalement pour la Norvegravege Les majorations drsquoimpocirct imposeacutees dans la

preacutesente affaire sont de nature peacutenale et les proceacutedures fiscales respectives

sont peacutenales aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Les majorations

drsquoimpocirct de 30 imposeacutees par la Norvegravege pouvant aller jusqursquoagrave 60 en

cas de neacutegligence grossiegravere ou volontaire sont bien supeacuterieures en

comparaison de lrsquoaffaire Jussila

Crsquoest eacutegalement la position de la majoriteacute de la Grande Chambre dans la

preacutesente affaire qui confirme contrairement agrave lrsquoargumentation du

Gouvernement91 qursquoil nrsquoexiste pas de notion peacutenale plus restrictive agrave

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Ainsi la majoriteacute rejette lrsquoapproche des affaires

Storbraringten92 Mjelde93 et Haarvig94 dans lesquelles la Cour avait accepteacute un

eacuteventail de critegraveres plus large que les critegraveres Engel aux fins de deacuteterminer

si une proceacutedure revecirctait un caractegravere peacutenal au sens de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7

Seconde Partie

IV - Lrsquoheacuteritage pro persona de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine

A Le cumul des sanctions administratives et peacutenales

a) Lrsquoidem factum dans les proceacutedures administratives et peacutenales

33 Lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 prohibe la poursuite ou le jugement de

lrsquoauteur drsquoune infraction deacutejagrave acquitteacute ou condamneacute pour celle-ci Une

approche centreacutee sur la qualification juridique de lrsquoinfraction (idem crimen)

serait trop restrictive Si la Cour se bornait agrave accepter qursquoune personne soit

poursuivie pour des infractions qualifieacutees diffeacuteremment elle risquerait

91 Voir paragraphes 66 et 67 de lrsquoarrecirct

92 Storbraringten c Norvegravege (deacutec) ndeg 1227704 11 feacutevrier 2007

93 Mjelde c Norvegravege (deacutec) ndeg 1114304 11 feacutevrier 2007

94 Haarvig preacuteciteacute

74 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

drsquoamoindrir les garanties contenues agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 et ce pour

deux raisons Drsquoabord le mecircme fait peut ecirctre qualifieacute drsquoinfraction peacutenale

dans diffeacuterents Eacutetats mais les eacuteleacutements constitutifs de lrsquoinfraction peuvent

ecirctre significativement diffeacuterents Ensuite certains Eacutetats peuvent qualifier

diffeacuteremment le mecircme fait drsquoinfraction peacutenale ou drsquoinfraction

administrative crsquoest-agrave-dire non peacutenale95

34 Par conseacutequent lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 doit ecirctre interpreacuteteacute

comme prohibant la poursuite ou le jugement de novo drsquoune infraction dans

la mesure ougrave elle reacutesulte de faits identiques ou de faits similaires en

substance (idem factum)96 Il est donc important aux yeux de la Cour de

srsquoattacher aux faits qui constituent les circonstances factuelles concregravetes

impliquant le mecircme accuseacute et inextricablement lieacutes les uns aux autres dans

le temps et lrsquoespace dont lrsquoexistence doit ecirctre deacutemontreacutee pour garantir une

condamnation ou entamer des proceacutedures peacutenales97 Cela signifie que le

champ de la prohibition comprend la poursuite de nouvelles infractions en

relation de concours apparent (concorso apparente Gesetzeskonkurrenz) ou

de concours ideacuteal drsquoinfractions (concorso ideale di reati Idealkonkurrenz)98

avec lrsquoinfraction ou les infractions deacutejagrave jugeacutees La mecircme prohibition est

valable pour le concours reacuteel drsquoinfractions (concorso materiale di reati

Realkonkurrenz) lorsqursquoelles appartiennent agrave la mecircme uniteacute temporelle et

spatiale Cela signifie eacutegalement que lrsquoeffet ne bis idem drsquoun jugement

constatant une infraction continueacutee fait obstacle agrave la tenue drsquoun nouveau

procegraves pour des chefs drsquoaccusation se rapportant agrave tout nouveau fait distinct

srsquoinscrivant dans la continuiteacute du comportement deacutelictueux en cause99

35 En reacutesumeacute lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine affirme en droit europeacuteen

des droits de lrsquohomme le principe ne bis in idem en tant que droit individuel

de mecircme porteacutee que le principe classique drsquoeacutepuisement de la proceacutedure

95 Par exemple lrsquoarticle 4 du Protocole ndeg 7 a eacuteteacute eacutetendu aux sanctions administratives

telles que des majorations de 40 et 80 des impocircts dus (Ponsetti et Chesnell c France

(deacutec) nos 3685597 et 4173198 CEDH 1999-VI) aux sanctions administratives

compleacutementaires des peines peacutenales (Maszni c Roumanie ndeg 5989200 21 septembre

2006) et aux sanctions civiles (Storbraringten deacutecision preacuteciteacutee)

96 La Cour a deacutefini lrsquoidem factum comme laquo une seule et mecircme conduite de la part des

mecircmes personnes agrave la mecircme date raquo (Maresti c Croatie no 5575907 sect 63 25 juin 2009 et

Muslija c Bosnie‑Herzeacutegovine ndeg 3204211 sect 34 14 janvier 2014) La jurisprudence de la

Cour de Luxembourg concernant lrsquoarticle 54 de la CAAS est similaire (Van Esbroeck

preacuteciteacute sectsect 27 32 et 36 Kretzinger preacuteciteacute sectsect 33 et 34 Van Straaten preacuteciteacute sectsect 41 47 et

48 et Norma Kraaijenbrink preacuteciteacute sect 30)

97 Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 82 et 84 Lagrave nrsquoest pas le lieu ni lrsquoendroit pour

analyser le caractegravere artificiel de la summa divisio entre lrsquoidem factum et lrsquoidem legem

Lrsquoidem factum est conditionneacute dans une certaine mesure par lrsquoappreacutehension a priori des

faits pertinents agrave la lumiegravere du droit peacutenal Crsquoest particuliegraverement vrai dans le cas des

infractions continueacutees

98 Oliveira c Suisse ndeg 2571194 30 juillet 1998 Recueil 1998-V

99 Voir mon opinion seacutepareacutee dans lrsquoarrecirct Rohlena c Reacutepublique Tchegraveque [GC]

ndeg 5955208 sect 9 CEDH 2015

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 75

(Erledigungsprinzip)100 La garantie srsquoeacutetend au droit de ne pas ecirctre poursuivi

ou jugeacute deux fois101 Ce principe en son sens europeacuteen va bien plus loin

que la maxime res judicata pro veritate habetur qui vise fondamentalement

agrave proteacuteger lrsquoeacutenonceacute final public et faisant autoriteacute sur le crimen et ainsi agrave

assurer la seacutecuriteacute juridique et eacuteviter les jugements contradictoires En outre

lrsquointerpreacutetation europeacuteenne du principe ne bis in idem vise agrave proteacuteger le

suspect des faits alleacutegueacutes drsquoune double incrimination lorsque son

acquittement ou sa condamnation preacutealables sont deacutejagrave passeacutes en force de

chose jugeacutee102

Neacuteanmoins la Cour dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine exige une

comparaison entre la deacutecision par laquelle la premiegravere laquo proceacutedure peacutenale raquo

a eacuteteacute conclue et la liste des accusations dirigeacutees contre le requeacuterant dans les

nouvelles proceacutedures Puisque les faits dans les deux proceacutedures se

distinguaient au niveau drsquoun seul eacuteleacutement la menace de violence qui

nrsquoavait pas eacuteteacute mentionneacutee dans les premiegraveres proceacutedures la Cour considegravere

que les accusations peacutenales au titre de lrsquoarticle 213 sect 2 b) du Code Peacutenal

englobent les faits de lrsquoinfraction reacuteprimeacutee par lrsquoarticle 158 du Code des

infractions administrative dans leur totaliteacute et que inversement lrsquoinfraction

drsquolaquo actes perturbateurs mineurs raquo ne renfermait aucun eacuteleacutement qui nrsquoeacutetait

contenu dans lrsquoinfraction drsquolaquo actes perturbateurs raquo et laquo concernait

essentiellement la mecircme infraction raquo 103

36 Au regard de ce qui preacutecegravede je partage lrsquoopinion de la majoriteacute de la

Grande Chambre dans la preacutesente affaire selon laquelle lrsquoinfraction peacutenale

pour laquelle les requeacuterants ont eacuteteacute poursuivis condamneacutes et punis eacutetait

baseacutee sur le mecircme ensemble de faits que ceux pour lesquels les majorations

drsquoimpocirct leur ont eacuteteacute infligeacutees

b) La deacutecision deacutefinitive dans les proceacutedures administratives

37 Le but de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 est de prohiber la reacutepeacutetition

des proceacutedures conclues par une deacutecision laquo deacutefinitive raquo Drsquoapregraves le Rapport

explicatif du Protocole no 7 qui se reacutefegravere lui-mecircme agrave la Convention

europeacuteenne sur la valeur internationale des jugements reacutepressifs une

100 Se reacutefeacuterant litteacuteralement agrave la nature individuelle du droit Sergueiuml Zolotoukhine

preacuteciteacute sect 81

101 Ibidem sect 110 et auparavant Franz Fischer c Autriche ndeg 3795097 sect 29 29 mai

2001

102 Ainsi qursquoil a eacuteteacute deacutemontreacute ci-dessus il srsquoagit de lrsquoideacuteologie sous-jacente au septiegraveme

amendement agrave la Constitution des Eacutetats-Unis et agrave lrsquoarticle 8 du chapitre V du titre II de la

Constitution franccedilaise de 1791 montrant que lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine est conforme agrave la

compreacutehension historique et pro persona de ce principe agrave lrsquoeacutepoque moderne

103 Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 97 et 121 Peut-ecirctre est-ce involontaire mais dans

drsquoautres cas la Cour compare les laquo eacuteleacutements essentiels raquo de lrsquoinfraction pour eacutetablis lrsquoidem

(voir les exemples post-Sergueiuml Zolotoukhine Muslija preacuteciteacute sect 34 Asadbeyli et autres

c Azerbaiumldjan nos 365305 1472905 2090805 2624205 3608305 et 1651906 sect 157

11 deacutecembre 2012 et Ruotsalainen c Finlande no 1307903 sect 56 16 juin 2009)

76 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

deacutecision est deacutefinitive laquo si elle est selon lrsquoexpression consacreacutee passeacutee en

force de chose jugeacutee Tel est le cas lorsqursquoelle est irreacutevocable crsquoest-agrave-dire

lorsqursquoelle nrsquoest pas susceptible de voies de recours ordinaires ou que les

parties ont eacutepuiseacute ces voies ou laisseacute passer les deacutelais sans les exercer raquo104

Dans lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine la Cour a rappeleacute que les deacutecisions agrave

lrsquoencontre desquelles existe une possibiliteacute de recours ordinaire eacutetaient

exclues du champ de la garantie contenue agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 tant

que le deacutelai pour interjeter un tel appel nrsquoa pas expireacute Drsquoun autre cocircteacute les

recours extraordinaires tels qursquoune requecircte en reacuteouverture des proceacutedures ou

une demande drsquoextension du deacutelai expireacute ne sont pas pris en consideacuteration

aux fins de deacuteterminer si les proceacutedures ont atteint une conclusion

deacutefinitive

38 Agrave lrsquoinverse de la majoriteacute de la Grande Chambre je ne peux suivre

le raisonnement de la Cour suprecircme et la position des requeacuterants quant agrave

lrsquoargument selon lequel les deacutecisions de majorations drsquoimpocirct eacutetaient

devenues deacutefinitives le 15 deacutecembre 2008 pour M A et le 26 deacutecembre

2008 pour M B crsquoest-agrave-dire avant qursquoils ne soient condamneacutes pour les

mecircmes faits par la Cour de district bien que le deacutelai de 6 mois pour entamer

des proceacutedures judiciaires fixeacute par lrsquoarticle 11-1(4) de la loi fiscale nrsquoavait

pas encore expireacute Puisque les requeacuterants avaient toujours le droit drsquoacceacuteder

agrave une voie de recours jrsquoai du mal agrave consideacuterer les deacutecisions imposant les

majorations drsquoimpocirct comme irreacutevocables105 Cette conclusion srsquoimpose

drsquoautant plus si lrsquoon tient compte du fait que puisque les organes

administratifs en questions ne sont ni indeacutependants ni juridictionnels le

droit drsquoaccegraves agrave une proceacutedure judiciaire est neacutecessaire pour que les sanctions

administratives soient compatibles avec lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention106

39 La date exacte agrave laquelle la deacutecision administrative est devenue

deacutefinitive nrsquoest de toute eacutevidence pas anodine Lrsquohypothegravese juridique selon

laquelle la deacutecision administrative drsquoimposition des majorations devient

deacutefinitive en premier lieu pourrait ecirctre diffeacuterent de celui dans lequel la

condamnation peacutenale pour fraude fiscale devient deacutefinitive la premiegravere

Bien que la Cour ait consideacutereacute que laquo la question de savoir si le principe non

bis in idem a eacuteteacute enfreint se rapporte agrave la relation entre les deux infractions

et ne peut donc deacutependre de lrsquoordre dans lequel les proceacutedures sont

conduites raquo107 lrsquoimpact juridique drsquoune condamnation peacutenale deacutefinitive sur

une proceacutedure administrative peut se distinguer de maniegravere significative de

lrsquoimpact juridique drsquoune deacutecision administrative finale sur une proceacutedure

peacutenale La majoriteacute a fermeacute les yeux sur ce distinguo sans eacutevaluer les

diffeacuterentes conseacutequences en droit norveacutegien de ces diffeacuterentes hypothegraveses

Elle a simplement supposeacute que les proceacutedures administratives et peacutenales

104 Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 107 et 108

105 Crsquoest eacutegalement lrsquoargument du Gouvernement (voir paragraphe 72 de lrsquoarrecirct)

106 Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic preacuteciteacute sect 93

107 Franz Fischer preacuteciteacute sect 29

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 77

srsquoinscrivaient dans une laquo approche inteacutegreacutee raquo108 en concluant qursquoil nrsquoeacutetait

pas neacutecessaire de traiter de la question du caractegravere deacutefinitif des proceacutedures

administratives Je deacutemontrerai par la suite les effets neacutegatifs de cette

position

B Les proceacutedures parallegraveles administratives et peacutenales (bis)

a) Un lien temporel suffisant

40 Bien que la Cour dans lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine ne traite pas du

cas des proceacutedures parallegraveles ex professo109 elle eacutecarte bel et bien la

condition suppleacutementaire et inexacte que lrsquoaffaire Zigarella avait ajouteacutee au

bis en lrsquoabsence de tout dommage deacutemontreacute par le requeacuterant seules de

nouvelles proceacutedures entameacutees en connaissance du fait que lrsquoaccuseacute avait

deacutejagrave eacuteteacute jugeacute dans des proceacutedures anteacuterieures violeraient le principe ne bis in

idem110

41 Drsquoun point de vue litteacuteral rien dans la formulation de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 nrsquoindique qursquoune distinction doive ecirctre opeacutereacutee entre des

proceacutedures parallegraveles ou conseacutecutives entre la reprise de poursuites en

attente et le deacuteclenchement de nouvelles poursuites Agrave proprement parler la

disposition nrsquoempecircche pas que plusieurs proceacutedures parallegraveles soient

meneacutees avant qursquoune deacutecision deacutefinitive ne soit adopteacutee agrave lrsquoissue de lrsquoune

drsquoentre elles Dans une telle situation il ne peut ecirctre consideacutereacute que

lrsquoindividu a eacuteteacute poursuivi plusieurs fois laquo en raison drsquoune infraction pour

laquelle il a deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute ou condamneacute par un jugement deacutefinitif raquo111

Dans le cas de deux proceacutedures parallegraveles la Convention exige que la

108 Voir le paragraphe 141 de lrsquoarrecirct

109 Lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine traite de deux proceacutedures conseacutecutives la proceacutedure

administrative srsquoest acheveacutee le 4 janvier 2002 et la proceacutedure peacutenale ouverte le 23 janvier

2002 srsquoest acheveacutee le 15 avril 2003

110 Zigarella c Italie (deacutec) ndeg 4815499 CEDH 2002-IX (extraits) et Falkner

c Autriche (deacutec) ndeg 607202 30 septembre 2004 Au paragraphe 36 de lrsquoarrecirct de chambre

dans lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine la mecircme position est adopteacutee mais le paragraphe 115

de lrsquoarrecirct de la Grande Chambre srsquoabstient de reacutepeacuteter la mecircme phrase La Grande Chambre

admet seulement qursquoelle peut consideacuterer que le requeacuterant a perdu sa qualiteacute de victime

lorsque les autoriteacutes nationales entament deux seacuteries de proceacutedures mais par la suite

reconnaissent la violation du ne bis in idem et offrent la reacuteparation adeacutequate par exemple

en clocircturant ou en annulant la deuxiegraveme proceacutedure et en en supprimant les effets Ainsi la

Cour ne se reacutefegravere pas au caractegravere volontaire de lrsquoouverture de la seconde proceacutedure comme

condition de la violation du ne bis in idem et requiert seulement qursquoil y ait reconnaissance

explicite de la violation au niveau interne pour conclure agrave la non-recevabiliteacute du grief du

requeacuterant Ulteacuterieurement la Cour est malheureusement revenue agrave la formulation de lrsquoarrecirct

Zigarella dans les arrecircts Maresti (preacuteciteacute sect 66) et Tomasovic (preacuteciteacute sect 29) mais voir

lrsquoimportante opinion seacutepareacutee du juge Sicilianos jointe agrave ce dernier arrecirct

111 Garaudy c France (deacutec) ndeg 6583101 CEDH 2003-IX (extraits)

78 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

seconde soit interrompue aussitocirct que la premiegravere devient deacutefinitive112 En

lrsquoabsence drsquoune telle interruption la Cour conclut agrave une violation113

42 Cependant dans un certain nombre drsquoaffaires la Cour a eacutetabli des

regravegles diffeacuterentes pour certaines proceacutedures peacutenales et administratives

parallegraveles Dans la deacutecision Nilsson la Cour a consideacutereacute pour la premiegravere

fois que laquo si les diverses sanctions infligeacutees agrave lrsquointeacuteresseacute ont eacuteteacute prononceacutees

par deux autoriteacutes diffeacuterentes agrave lrsquoissue de proceacutedures distinctes il existait

entre elles un lien mateacuteriel et temporel suffisamment eacutetroit pour que lrsquoon

puisse consideacuterer le retrait de permis comme lrsquoune des mesures preacutevues par

le droit sueacutedois pour la reacutepression des deacutelits de conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute

avanceacute et de conduite sans permis raquo 114 Ce que la Cour envisage comme un

laquo lien temporel suffisamment eacutetroit raquo nrsquoest pas clair puisqursquoelle ne se reacutefegravere

pas explicitement agrave la peacuteriode entre la deacutecision devenue deacutefinitive en

premier lieu (la condamnation du requeacuterant par le tribunal de district de

Mora le 24 juin 1999) et la deacutecision devenue ensuite deacutefinitive (la deacutecision

de la Cour suprecircme du 18 deacutecembre 2000 deacuteboutant le requeacuterant) ou entre

la premiegravere deacutecision administrative (lrsquoavis deacutelivreacute par la preacutefecture le 5 mai

1999) et la premiegravere deacutecision peacutenale (la condamnation du requeacuterant par le

tribunal de district de Mora le 24 juin 1999) ou entre la premiegravere deacutecision

peacutenale (la deacutecision du tribunal de district de Mora du 24 juin 1999) et la

premiegravere deacutecision administrative de retrait du permis de conduire (lrsquoavis de

la preacutefecture du 5 aoucirct 1999) En reacutealiteacute il existe un tregraves bref

chevauchement entre les proceacutedures administratives qui ont deacutebuteacute le 5 mai

1999 et ont pris fin le 18 deacutecembre 2000 et les proceacutedures peacutenales qui ont

pris fin le 24 juin 1999

Dans lrsquoaffaire Boman115 la Cour a eacutegalement consideacutereacute qursquoil existait

pareil lien temporel puisque la deacutecision de la police du 28 mai 2010

drsquoimposer une seconde interdiction de conduite eacutetait directement baseacutee sur

la condamnation finale du requeacuterant par le tribunal deacutepartemental des

infractions routiegraveres du 22 avril 2010 et ainsi ne contenait pas drsquoexamen

propre de lrsquoinfraction ou de la conduite en cause Le lien temporel suffisant

eacutetait lieacute agrave lrsquoabsence drsquoappreacuteciation autonome des preuves comme si lrsquoun et

lrsquoautre eacutetaient eacutetroitement associeacutes

43 Agrave lrsquoinverse dans les affaires Glantz116 Nykaumlnen117 Lucky Dev118

Rinas119 et Oumlsterlund120 la Cour a pris en consideacuteration les dates auxquelles

112 Zigarella preacuteciteacute Il pourrait exister une difficulteacute au regard de la Convention lorsque

deux ou plusieurs proceacutedures peacutenales sont meneacutees en parallegravele contre le mecircme accuseacute pour

les mecircmes faits avant mecircme qursquoune deacutecision deacutefinitive nrsquoait eacuteteacute rendue dans lrsquoune drsquoentre

elles La situation de lis pendens forccedilant lrsquoaccuseacute agrave preacutesenter plusieurs strateacutegies de

deacutefense en mecircme temps devant plusieurs autoriteacutes soulegraveve un problegraveme drsquoinjustice

113 Tomasović preacuteciteacute sectsect 30 et 32 Muslija preacuteciteacute sect 37 et Milenković c Serbie

ndeg 5012413 sect 46 1 mars 2016

114 Nilsson preacuteciteacute

115 Boman c Finlande ndeg 4160411 17 feacutevrier 2015

116 Glantz c Finlande ndeg 3739411 20 mai 2014

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 79

les deacutecisions administratives et peacutenales eacutetaient devenues deacutefinitives Dans

toutes ces affaires la Cour a constateacute une violation Dans lrsquoarrecirct Glantz121

la proceacutedure administrative avait eacuteteacute initieacutee le 18 deacutecembre 2006 et a eacuteteacute

deacutefinitivement close le 11 janvier 2010 alors que la proceacutedure peacutenale avait

eacuteteacute initieacutee le 15 deacutecembre 2008 Les deux instances eacutetaient donc en cours de

maniegravere concurrente jusqursquoau 11 janvier 2010 lorsque la premiegravere a eacuteteacute

deacutefinitivement close Dans la mesure ougrave la proceacutedure peacutenale nrsquoavait pas eacuteteacute

interrompue apregraves que la premiegravere proceacutedure avait eacuteteacute deacutefinitivement close

mais srsquoeacutetait poursuivie jusqursquoagrave une deacutecision deacutefinitive le 18 mai 2011 la

Cour a consideacutereacute que le requeacuterant avait eacuteteacute condamneacute deux fois dans la

mecircme affaire dans instances devenues deacutefinitivement closes le 11 janvier

2010 et le 18 mai 2011122

Dans lrsquoarrecirct Rinas123 la Cour a noteacute que lorsque la proceacutedure peacutenale a

eacuteteacute deacutefinitivement close le 31 mai 2012 le recours formeacute par le requeacuterant

contre la deacutecision de majoration fiscale eacutetait toujours pendant devant la

Cour administrative suprecircme Dans la mesure ougrave la proceacutedure

administrative devant la Cour administrative suprecircme nrsquoavait pas eacuteteacute

interrompue apregraves que la proceacutedure peacutenale avait eacuteteacute deacutefinitivement close

mais srsquoeacutetait poursuivie jusqursquoagrave une deacutecision deacutefinitive du 13 septembre

2012 le requeacuterant a eacuteteacute condamneacute deux fois dans la mecircme affaire

concernant les anneacutees fiscales 2002 agrave 2004 dans deux instances closes

respectivement le 31 mai 2012 et le 13 septembre 2012124

44 La Cour est arriveacutee agrave une conclusion diffeacuterente dans lrsquoarrecirct Haumlkkauml125

La proceacutedure administrative avait deacutebuteacute en 2007 lorsque des majorations

drsquoimpocirct avaient eacuteteacute imposeacutees au requeacuterant Il nrsquoavait apparemment jamais

chercheacute agrave obtenir une rectification ni agrave former un recours et en

conseacutequence cette proceacutedure a eacuteteacute deacutefinitivement close le 31 deacutecembre

2010 et le 31 deacutecembre 2011 agrave lrsquoexpiration des deacutelais de rectification et

drsquoappel La proceacutedure peacutenale avait eacuteteacute initieacutee le 3 avril 2008 et srsquoeacutetait

acheveacutee le 29 juin 2010 lorsque la Cour suprecircme a rendu son arrecirct deacutefinitif

Les deux instances eacutetaient ainsi pendantes de maniegravere concurrente jusqursquoau

117 Nykaumlnen preacuteciteacute

118 Lucky Dev preacuteciteacute

119 Rinas c Finlande ndeg 1703913 27 janvier 2015

120 Oumlsterlund c Finlande ndeg 5319713 10 feacutevrier 2015

121 Glantz preacuteciteacute sect 62

122 Le mecircme raisonnement a eacuteteacute suivi dans Nykaumlnen (preacuteciteacute sect 52 ndash les proceacutedures

fiscales avaient commenceacute le 28 novembre 2005 et srsquoeacutetaient acheveacutees le 1er avril 2009

alors que les proceacutedures peacutenales avaient eacuteteacute initieacutees le 19 aoucirct 2008 et srsquoeacutetaient acheveacutees le

1er septembre 2010) et Lucky Dev (preacuteciteacute sect 63 ndash les proceacutedures fiscales avaient

commenceacute le 1er juin 2004 et srsquoeacutetaient acheveacutees le 20 octobre 2009 et les proceacutedures

peacutenales initieacutees le 5 aoucirct 2005 ont eacuteteacute deacutefinitivement closes le 8 janvier 2009)

123 Rinas preacuteciteacute sect 56

124 La situation eacutetait similaire dans lrsquoaffaire Oumlsterlund (preacuteciteacute sect 51)

125 Haumlkkauml c Finlande ndeg 75811 sectsect 50-52 20 mai 2014

80 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

29 juin 2010 quand la seconde devint deacutefinitive La Cour nrsquoa pas conclu agrave

la violation dans la mesure ougrave laquo le requeacuterant avait une possibiliteacute reacuteelle

drsquoempecirccher une double incrimination tout drsquoabord en demandant la

rectification puis en formant un recours dans le deacutelai qui nrsquoeacutetait pas encore

expireacute raquo126 Ainsi pour la Cour dans lrsquoarrecirct Haumlkkauml si lrsquoaccuseacute ne forme

aucun recours administratif le principe ne bis in idem ne trouve pas agrave

srsquoappliquer quand bien mecircme lrsquoaccuseacute aurait deacutejagrave fait lrsquoobjet drsquoune

condamnation deacutefinitive dans la proceacutedure peacutenale

45 Enfin dans lrsquoarrecirct Kiiveri127 la Cour a consideacutereacute que le requeacuterant ne

pouvait plus se plaindre drsquoune double incrimination pour lrsquoanneacutee fiscale

2002 preacuteciseacutement parce que la Cour suprecircme avait conclu que lrsquoaffaire

avait eacuteteacute deacutefinitivement trancheacutee dans la proceacutedure fiscale administrative et

avait rejeteacute les accusations peacutenales de fraude fiscale aggraveacutee laquo sans

examiner le fond raquo128 concernant lrsquoanneacutee 2002 sur la base du principe ne

bis in idem

46 Les exemples ci-dessus suffisent agrave montrer que le laquo lien temporel

suffisamment eacutetroit raquo est totalement arbitraire Crsquoest preacuteciseacutement la raison

pour laquelle la Cour srsquoen est dispenseacutee dans les affaires italiennes et

grecques129

Contrairement agrave la position du gouvernement franccedilais qui avait identifieacute

une phase drsquoappreacuteciation par les autoriteacutes fiscales et une autre drsquoenquecircte

judiciaire lesquelles devaient ecirctre meneacutees simultaneacutement ou nrsquoecirctre seacutepareacutees

que par un bref intervalle130 la majoriteacute dans la preacutesente affaire a choisi de

consideacuterer pertinente une peacuteriode de neuf mois entre le moment ougrave la

deacutecision des autoriteacutes fiscales du 5 deacutecembre 2008 eacutetait devenue deacutefinitive

et la date de la condamnation du second requeacuterant le 30 septembre 2009

Bien que cette peacuteriode soit laquo plus longue raquo131 que la peacuteriode de deux mois et

demi dans le cas du premier requeacuterant la majoriteacute impute ce laps de temps

additionnel au retrait par le second requeacuterant de ses aveux Selon ce

raisonnement la garantie du ne bis idem devient flexible avec une porteacutee

plus eacutetroite lorsque lrsquoaccuseacute exerce ses droits proceacuteduraux et plus large

lorsqursquoil ne le fait pas La posture punitive de la majoriteacute ne pouvait pas ecirctre

illustreacutee de maniegravere plus eacuteloquente

126 Ibidem sect 52

127 Kiiveri c Finlande ndeg 5375312 10 feacutevrier 2015

128 Ibidem sect 36

129 Je me reacutefegravere aux arrecircts Grande Stevens et autres (preacuteciteacute) Kapetanios et autres

(preacuteciteacute) et Sismanidis et Sitaridis (preacuteciteacute) dans lesquels la Cour a eacuteteacute unanime

130 Voir paragraphe 96 de lrsquoarrecirct

131 Voir paragraphe 150 de lrsquoarrecirct

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 81

b) Un lien mateacuteriel suffisant

47 La majoriteacute suit explicitement le raisonnement eacutetabli dans les

affaires RT c Suisse132 et Nilsson c Suegravede133 concernant les doubles

proceacutedures peacutenales et administratives lorsque les deacutecisions de retrait de

permis de conduire eacutetaient directement baseacutees sur une condamnation peacutenale

attendue ou finale pour infraction routiegravere et ainsi ne contenaient pas

drsquoexamen seacutepareacute de lrsquoinfraction ou de la conduite en cause134 Cette

jurisprudence a eacuteteacute deacuteveloppeacutee plus avant dans les affaires Lucky Dev

Nykaumlnen et Haumlkkauml135 ougrave il nrsquoexistait preacutetendument aucun lien suffisant

mateacuteriel et temporel entre les proceacutedures peacutenales et fiscales Dans les trois

affaires susmentionneacutees les proceacutedures peacutenales et fiscales eacutetaient parallegraveles

et concernaient la mecircme peacuteriode et essentiellement le mecircme montant

soustrait au fisc Dans celles-ci la Cour a noteacute que les infractions avaient

eacuteteacute examineacutees par diffeacuterentes autoriteacutes et juridictions sans que les

proceacutedures ne soient lieacutees les deux instances suivant leur propre cours et

eacutetant devenues deacutefinitives agrave des moments diffeacuterents Enfin dans tous ces

cas la responsabiliteacute peacutenale du requeacuterant et sa responsabiliteacute de payer les

majorations drsquoimpocirct fixeacutees par la leacutegislation fiscale pertinente eacutetaient

deacutetermineacutes dans des proceacutedures totalement indeacutependantes les unes des

autres Dans lrsquoaffaire Lucky Dev la Cour administrative suprecircme nrsquoavait pas

pris en consideacuteration le fait que la requeacuterante avait eacuteteacute acquitteacutee de

lrsquoinfraction fiscale lorsqursquoelle a refuseacute de faire appel et a imposeacute en

conseacutequence des majorations deacutefinitives136 Dans les affaires Nykaumlnen et

Haumlkkauml ni les sanctions administratives ni les sanctions peacutenales nrsquoont eacuteteacute

prises en consideacuteration par lrsquoautre juridiction ou autoriteacute lorsque celles-ci se

sont prononceacutees sur la seacuteveacuteriteacute de la sanction il nrsquoy a drsquoailleurs eu aucune

interaction entre les autoriteacutes concerneacutees137

48 Avant de discuter les deacutetails de ce raisonnement deux arguments

fallacieux doivent ecirctre eacutecarteacutes drsquoembleacutee Lrsquoun veut que si lrsquoarticle 4 du

132 RT c Suisse (deacutec) ndeg 3198296 30 mai 2000

133 Nilsson preacuteciteacute

134 Dans lrsquoaffaire RT c Suisse la proceacutedure administrative avait deacutebuteacute le 11 mai 1993

et avait eacuteteacute conclue avec la deacutecision du Tribunal feacutedeacuteral du 5 deacutecembre 1995 alors que la

proceacutedure peacutenale avait eacuteteacute conclue par la deacutelivrance de lrsquoordonnance peacutenale du 9 juin 1993

qui nrsquoavait pas fait lrsquoobjet drsquoun recours Dans lrsquoaffaire Nilsson la proceacutedure peacutenale avait

eacuteteacute conclue le 24 juin 1999 puisque le jugement du tribunal deacutepartemental de Mora nrsquoavait

pas fait lrsquoobjet drsquoun recours alors que la proceacutedure administrative avait commenceacute le 5 mai

1999 et srsquoeacutetait acheveacutee le 11 novembre 1999 Dans le dernier cas la sanction administrative

a eacuteteacute imposeacutee apregraves que la sanction peacutenale eacutetait devenue deacutefinitive Dans le premier cas la

sanction administrative a eacuteteacute imposeacutee avant la sanction peacutenale Ces affaires ne sont pas

similaires Pourtant la majoriteacute les a traiteacutees comme si elles lrsquoeacutetaient

135 Lucky Dev preacuteciteacute sect 54 et Nykaumlnen preacuteciteacute sect 43 et Haumlkkauml preacuteciteacute sectsect 50-52

136 Lucky Dev preacuteciteacute sect 62 Oumlsterlund preacuteciteacute sectsect 50 et 51 et Rinas preacuteciteacute sectsect 55 et

56

137 Nykaumlnen preacuteciteacute sectsect 51 et 52 Haumlkkauml preacuteciteacute sectsect 50 et 52

82 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

Protocole no 7 devait ecirctre interpreacuteteacute comme prohibant la clocircture de

proceacutedures en cours agrave partir du moment ougrave soit la proceacutedure peacutenale soit la

proceacutedure administrative est conclue par une deacutecision deacutefinitive cela

implique des laquo conseacutequences lourdes neacutegatives et impreacutevisibles dans un

certain nombre de domaines relevant du droit administratif raquo138 Cet

argumentum ad terrorem lequel joue la carte de lrsquoappel agrave la peur nrsquoest pas

un argument juridique et ne devrait degraves lors beacuteneacuteficier drsquoaucun creacutedit devant

une juridiction Lrsquoautre exemple drsquoargument fallacieux inadmissible est

celui selon lequel plusieurs Eacutetats europeacuteens qui connaissent un double

systegraveme de sanction ont plaideacute pour son maintien devant la Cour exprimant

des opinions et preacuteoccupations similaires agrave celles du gouvernement

deacutefendeur139 Il srsquoagit drsquoun argumentum ad nauseam jouant sur la reacutepeacutetition

de lrsquoargument et non sur ses meacuterites Il ne devrait pas qua tale avoir sa place

dans une deacutecision de la Cour

49 Deux postulats geacuteneacuteraux erroneacutes doivent eacutegalement ecirctre deacutenonceacutes Il

est faut drsquoarguer sur le terrain de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 que les Eacutetats

doivent beacuteneacuteficier drsquoune large marge drsquoappreacuteciation agrave cet eacutegard tant que le

systegraveme de double sanction poursuit un but leacutegitime et ne fait pas peser un

fardeau excessif ou disproportionneacute sur lrsquoaccuseacute Il srsquoagit drsquoun droit non

susceptible de deacuterogation et par conseacutequent les Eacutetats ne beacuteneacuteficient

drsquoaucune marge drsquoappreacuteciation140

Il nrsquoest pas davantage permis drsquoarguer que la question de savoir laquelle

des deux proceacutedures parallegraveles devient deacutefinitive relegraveve de la coiumlncidence

ni que si les autoriteacutes eacutetaient obligeacutees drsquointerrompre la premiegravere lorsque la

deuxiegraveme devient deacutefinitive lrsquoissue des proceacutedures combineacutees pourrait srsquoen

trouver arbitraire Cette argumentation est circulaire parce qursquoelle

preacutesuppose qursquoil devrait y avoir plus drsquoune proceacutedure pour les mecircmes faits

De plus elle implique que lrsquoaccuseacute puisse utiliser le principe ne bis in idem

agrave des fins de laquo manipulation et drsquoimpuniteacute raquo141 comme si lrsquoaccuseacute eacutetait

toujours en mesure de controcircler le rythme des proceacutedures Une telle vision

de lrsquoeacutequilibre des pouvoirs dans les proceacutedures administratives est

deacuteconnecteacutee de la reacutealiteacute142 Enfin la supposition sous-jacente du

raisonnement de la majoriteacute est la suivante le principe ne bis in idem nrsquoest

pas lrsquoexpression drsquoun droit subjectif de lrsquoaccuseacute mais une simple regravegle

visant agrave garantie lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee avec pour seul but la

138 Voir lrsquoargument du Gouvernement au paragraphe 84 de lrsquoarrecirct

139 Voir cet argument au paragraphe 119 de lrsquoarrecirct

140 Voir de maniegravere similaire le Rapport explicatif sur lrsquoAvis de lrsquoAssembleacutee

Parlementaire du Conseil de lrsquoEurope sur le Projet de Protocole ndeg 15 agrave la Convention de

sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales doc 13154 28 mars 2013

sect 8

141 Voir paragraphe 127 de lrsquoarrecirct

142 Voir comme exemple du deacuteseacutequilibre des pouvoirs entre les autoriteacutes administratives

et le justiciable dans des proceacutedures administratives mon opinion jointe agrave lrsquoarrecirct Grande

Stevens et autres preacuteciteacute

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 83

satisfaction de lrsquointeacuterecirct punitif de lrsquoEacutetat et de lrsquoincontestabiliteacute des deacutecisions

de justice Les reacuteflexions suivantes mettront en eacutevidence de maniegravere plus

deacutetailleacutee cette posture pro auctoritate de la majoriteacute

V - La reacutevision de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine

A La restriction de lrsquoidem factum par le critegravere du bis

a) La poursuite de buts diffeacuterents traitant drsquoaspects diffeacuterents de lrsquoacte

preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute

50 Drsquoapregraves la majoriteacute quatre conditions de fond doivent ecirctre reacuteunies

pour que puisse ecirctre accepteacute le cumul des sanctions administratives et

peacutenales des proceacutedures poursuivant des buts compleacutementaires et traitant

drsquoaspects diffeacuterents de lrsquoacte preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute en cause la

preacutevisibiliteacute du cumul des sanctions la non-reacutepeacutetition de la collecte et de

lrsquoappreacuteciation des preuves et le meacutecanisme de compensation entre les

sanctions administrative et peacutenale

51 La premiegravere condition fixeacutee par la majoriteacute se reacutefegravere agrave diffeacuterentes

proceacutedures poursuivant des buts compleacutementaires et traitant drsquoaspects

diffeacuterents de lrsquoacte en cause La majoriteacute identifie au paragraphe 144 les

diffeacuterents buts poursuivis par les majorations drsquoimpocirct sur le fondement de

lrsquoarticle 10 du chapitre 10 (dissuasion geacuteneacuterale et compensation pour le

travail et les coucircts supporteacutes par les autoriteacutes fiscales pour identifier les

deacuteclarations frauduleuses) et par la condamnation peacutenale sur le fondement

de lrsquoarticle 12 du chapitre 12 de la loi fiscale de 1980 (but punitif) La

majoriteacute souligne eacutegalement au paragraphe 123 lrsquolaquo eacuteleacutement additionnel raquo de

lrsquoinfraction peacutenale (la conduite frauduleuse) qui nrsquoest pas supposeacutement

traiteacute par lrsquoinfraction fiscale En drsquoautres termes la majoriteacute se range du

cocircteacute du Gouvernement qui preacutetend que les majorations drsquoimpocirct ordinaires

sont laquo infligeacutees objectivement sans consideacuteration de la faute dans le but

drsquooffrir agrave lrsquoEacutetat une compensation pour les coucircts associeacutes raquo au processus de

controcircle143

52 Cette thegravese ne tient pas pour deux raisons juridiques de principe

Premiegraverement il nrsquoy a aucune disposition ni instrument obligatoire de droit

interne qui requerrait un rapport de proportionnaliteacute entre les majorations

drsquoimpocirct et les coucircts engageacutes par lrsquoadministration pour deacutetecter investiguer

poursuivre et reacuteparer lrsquoinfraction fiscale imputeacutee au coupable Une telle

exigence serait simplement irreacutealiste puisqursquoelle ne pourrait ecirctre baseacutee que

sur une estimation virtuelle et approximative des coucircts per capita de

lrsquoadministration fiscale avec son systegraveme de controcircles et drsquoaudits reacutealiseacutes

pour identifier les deacuteclarations frauduleuses Ainsi lrsquoexistence drsquoune finaliteacute

compensatoire pour les majorations drsquoimpocirct impliquerait un eacuteleacutement

143 Voir les observations du Gouvernement du 11 novembre 2015 p 29

84 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

inadmissible de culpabiliteacute collective faisant peser sur certains

contribuables le coucirct du systegraveme de controcircle des deacuteclarations fiscales tout

entier

53 Ensuite la position de la majoriteacute neacuteglige le fait que les majorations

drsquoimpocirct en cause ne peuvent ecirctre consideacutereacutees comme simplement

compensatoires Des majorations jusqursquoagrave 30 voire mecircme 60 sont si

lourdes qursquoelles incluent manifestement une dimension punitive Dans

lrsquoaffaire Janosevic des majorations normalement fixeacutees agrave 20 ou 40 de

lrsquoimpocirct eacuteviteacute sans plafond et non convertible en peine de prison en cas de

non-paiement ont eacuteteacute consideacutereacutees comme relevant du volet peacutenal de

lrsquoarticle 6144 Enfin la majoriteacute nrsquoest pas consciente du but intrinsegravequement

punitif de toute majoration fiscale quel que soit son montant ainsi que

lrsquoaffaire Jussila lrsquoavait eacutetabli longtemps auparavant srsquoagissant drsquoune

majoration fiscale de 10 pouvant aller jusqursquoagrave 20 145 Il est difficile de

comprendre pourquoi la Cour a soudainement abandonneacute dans la preacutesente

affaire ces normes bien eacutetablies sans explication

En reacutesumeacute dans le cadre du droit norveacutegien les majorations drsquoimpocirct

visent agrave dissuader les fraudeurs potentiels et les reacutecidivistes La preacutevention

geacuteneacuterale est le but admis des majorations drsquoimpocirct en question146 Cet

objectif de preacutevention geacuteneacuterale a laquo neacutecessairement raquo des effets secondaires

punitifs et de preacutevention speacuteciale concernant le deacutelinquant condamneacute et ces

effets secondaires sont eacutevidemment voulus par la politique de lrsquoEacutetat147 La

Cour suprecircme a fait un effort louable pour limiter ces effets exemplaires et

punitifs par le principe de proportionnaliteacute148 Mais la Cour ne devrait pas se

livrer agrave un jeu seacutemantique Elle devrait plutocirct eacutevaluer drsquoune maniegravere

reacutealiste et terre agrave terre les sanctions fiscales et leur impact sur la vie des

contribuables Sous cet angle la preacutevention geacuteneacuterale par le biais drsquoune

punition proportionneacutee nrsquoest rien de plus qursquoune laquo theacuteorie punitive

deacuteguiseacutee raquo (verkappte Vergeltungstheorie)149

144 Janosevic preacuteciteacute sect 69

145 Jussila preacuteciteacute sect 38

146 Voir paragraphe 47 de lrsquoarrecirct

147 Ainsi que la Cour lrsquoa dit elle-mecircme dans lrsquoarrecirct Kurdov et Ivanov (preacuteciteacute sect 40)

mentionnant le but neacutecessairement reacutepressif des sanctions administratives de nature

peacutecuniaire

148 Voir le paragraphe 50 de lrsquoarrecirct

149 Il est impossible dans les limites de cette opinion drsquoentrer dans le grand deacutebat

doctrinal relatif aux objectifs des infractions administratives et en particulier de leurs

objectifs laquo deacuteguiseacutes raquo Comme introduction agrave cette discussion voir James Goldschmidt

Das Verwaltungsstrafrecht Eine Untersuchung der Grenzgebiete zwischen Strafrecht und

Verwaltungsrecht auf rechtsgeschichtlicher und rechtsvergleichender Grundlage Berlin

1902 Erik Wolf Die Stellung der Verwaltungsdelikte im Strafrechtssystem in Beitraumlge

zur Strafrechtswissenschaft Festgabe fuumlr Reinhard von Frank II Tuumlbingen 1930

Schmidt Straftaten und Ordnungswidrigkeiten in Juristen Zeitung 1951 Mattes

Untersuchungen zur Lehre von den Ordnungswidrigkeiten Berlin 1972 Paliero Minima

non curat praetor Ipertrofia del diritto penale e decriminalizzazione dei reatti bagatellari

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 85

54 Lrsquoargumentation du Gouvernement ne peut pas non plus ecirctre

accueillie concernant laquo lrsquoeacuteleacutement additionnel raquo de lrsquoinfraction peacutenale le

preacutetendu eacuteleacutement intentionnel frauduleux Lrsquoaccepter irait agrave lrsquoencontre de

lrsquoarrecirct Ruotsalainen150 Dans cette affaire lrsquoEacutetat deacutefendeur arguait que la

fraude fiscale incluait un eacuteleacutement laquo drsquointentionnaliteacute raquo alors que lrsquoinfraction

administrative ne pouvait reposer que sur des motifs objectifs La reacuteponse

de la Cour est eacuteloquente les faits dans les deux instances se distinguaient agrave

peine bien que la proceacutedure peacutenale requicirct une intention mais cela nrsquoeacutetait pas

pertinent aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Les eacuteleacutements des deux

infractions devaient donc ecirctre regardeacutes comme eacutetant substantiellement les

mecircmes agrave ces fins Il devrait en aller de mecircme dans la preacutesente affaire

55 En outre la majoriteacute ne compare pas les eacuteleacutements subjectifs de

lrsquoinfraction fiscale administrative passible de majoration drsquoimpocirct et

lrsquoinfraction fiscale de nature peacutenale passible drsquoemprisonnement ou

drsquoamende En conseacutequence elle meacuteconnaicirct la critique drsquoordre moral que

lrsquoon peut intrinsegravequement tirer de la lettre et de lrsquoesprit des provisions

pertinentes de la loi fiscale de 1980 (article 10-2 agrave 4 du chapitre 10)

Lrsquoarticle 10-3 emploie les expressions laquo excusable raquo et laquo raison qui ne peut

lui ecirctre reprocheacutee raquo pour deacutesigner les causes de remises fiscales

Lrsquoinexcusabiliteacute et le caractegravere blacircmable sont des notions intrinsegravequement

morales de lrsquoinfraction administrative qui caracteacuterisent la mens rea du

coupable On les trouve dans les infractions peacutenales aussi La modification

de cette disposition en 2010 ne renvoie plus agrave ces deux notions mais ajoute

la notion drsquolaquo erreur manifestement commise par inadvertance raquo qui

comporte de toute eacutevidence un eacuteleacutement de critique morale pour les erreurs

non commises laquo par inadvertance raquo ou intentionnelles

De plus les majorations drsquoimpocirct jusqursquoagrave un maximum de 60 peuvent

ecirctre imposeacutees quand des actes sont commis volontairement ou par

neacutegligence grossiegravere Ainsi ils requiegraverent lrsquoeacutetablissement drsquoune mens rea et

drsquoune culpabiliteacute comme en matiegravere peacutenale Les eacuteleacutements subjectifs de la

fraude eacutenonceacutes dans les dispositions peacutenales de lrsquoarticle 12-1 du chapitre 12

ndash laquo tout en sachant ou tout en eacutetant censeacutee savoir qursquoelle peut en tirer des

avantages fiscaux raquo ndash recoupe lrsquoeacuteleacutement subjectif de la majoration fiscale

aggraveacutee pouvant aller jusqursquoagrave 60 (neacutegligence grossiegravere ou intentionnelle

ndash article 10-4 du chapitre 10) Autrement dit les eacuteleacutements subjectifs des

sanctions peacutenales et administratives coiumlncident Les proceacutedures peacutenale et

administrative en cause ne visent pas tel ou tel aspect diffeacuterent de lrsquoacte

preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute

56 Une remarque pour finir la premiegravere condition fixeacutee par la majoriteacute

relegraveve en derniegravere analyse de la deacutetermination de lrsquoidem Lrsquoeacutetablissement

des laquo buts diffeacuterents raquo poursuivis par les infractions administratives et

Padoue 1985 et Delmas-Marty et autres Punir sans juger De la reacutepression administrative

au droit administratif peacutenal Paris 1992

150 Ruotsalainen preacuteciteacute sect 56

86 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

peacutenales et des laquo diffeacuterents aspects de lrsquoacte preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute raquo viseacutes

par chacune de ces infractions est intrinsegravequement une question de fond qui

touche agrave la deacutefinition de lrsquoidem Ces questions doivent ecirctre consideacutereacutees

comme se rattachant davantage agrave la notion drsquoidem plutocirct qursquoagrave celle de bis

contrairement au raisonnement theacuteorique de la majoriteacute En deacutepit de cette

confusion theacuteorique le but de la majoriteacute est tregraves clair elle veut limiter la

porteacutee de lrsquoidem factum En agissant de la sorte elle inflige un camouflet

conseacutequent agrave la jurisprudence Sergueiuml Zolotoukhine

b) La preacutevisibiliteacute du cumul des diffeacuterentes sanctions

57 La seconde condition fixeacutee par la majoriteacute se rapporte agrave la

preacutevisibiliteacute de la mixiteacute des proceacutedures administratives et peacutenales comme

conseacutequence agrave la fois en droit et en pratique du mecircme acte Une telle

preacutevisibiliteacute est affirmeacutee aux paragraphes 146 et 152 de lrsquoarrecirct sans le

moindre effort pour deacutevelopper la question tregraves deacutelicate du degreacute de

connaissance requis pour engager la responsabiliteacute administrative Une

probleacutematique qui a captiveacute lrsquoattention de la doctrine depuis des deacutecennies a

eacuteteacute tout simplement eacutecarteacutee151 La majoriteacute suppose simplement que les

citoyens en geacuteneacuteral et les contribuables en particulier connaissent ou

devraient connaicirctre lrsquointeacutegraliteacute du cadre juridique administratif y compris

les sanctions et ainsi pourraient ecirctre responsables de toute faute ou conduite

abusive agrave lrsquoaune de ce cadre juridique

58 La majoriteacute ne consacre pas une seule ligne de son raisonnement agrave

lrsquoargument des requeacuterants selon lequel les sanctions qui leur ont eacuteteacute

imposeacutees eacutetaient discriminatoires discreacutetionnaires et non preacutevisibles

puisque quatre coaccuseacutes (GA TF KB et GN) impliqueacutes dans les mecircmes

faits ne se sont pas vu imposer de majorations drsquoimpocirct alors que les

requeacuterants ont ducirc subir des peines de prison et des majorations drsquoimpocirct152

Cet argument va droit au cœur de la seconde condition fixeacutee par la majoriteacute

Les faits de la preacutesente affaire montrent que les Instructions du Procureur

geacuteneacuteral du 3 avril 2009 nrsquoont pas eacuteteacute appliqueacutees aux requeacuterants ni agrave A dont

la condamnation peacutenale date du 2 mars 2009 ni agrave B dont la condamnation

date du 30 novembre 2009 La Cour suprecircme en a pris note mais sans en

tirer de conseacutequence en en se justifiant ainsi laquo le parquet srsquoest reacuteserveacute le

droit drsquoouvrir des poursuites peacutenales sur la base drsquoune appreacuteciation

individuelle au cas ougrave serait en cours une proceacutedure parallegravele non contraire

[agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7] Il a eacuteteacute indiqueacute que le procegraves de [A] srsquoeacutetait

poursuivi au motif qursquoune juste sanction srsquoimposait agrave lrsquoaune drsquoautres

151 Voir comme introduction agrave cette probleacutematique les annotations aux paragraphes 10

et 11 in Rebman et autres Gesetz uumlber Ordnungswidrigkeiten Kommentar troisiegraveme

eacutedition Stuttgart 2016 et Karlsruher Kommentar zum Gesetz uumlber Ordnungswidrigkeiten

quatriegraveme eacutedition Munich 2014

152 Voir paragraphe 64 de lrsquoarrecirct

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 87

affaires connexes () Degraves lors le fondement de la deacutecision eacutetait le principe

drsquoeacutegaliteacute de traitement par rapport agrave des affaires connexes raquo Les requeacuterants

ont rejeteacute cet argument en soulignant que au regard des Instructions de

2009 les majorations drsquoimpocirct nrsquoavaient pas eacuteteacute imposeacutees agrave quatre autres

accuseacutes impliqueacutes dans les mecircmes faits Le Gouvernement nrsquoa pas

speacutecifiquement contesteacute cette thegravese La majoriteacute nrsquoa rien agrave reacutepondre agrave cette

thegravese majeure des requeacuterants

59 Quoi qursquoil en soit la latitude offerte par les Instructions est

inacceptable agrave la lumiegravere de la jurisprudence Camilleri153 Une telle latitude

pose problegraveme sous lrsquoangle de la seacutecuriteacute juridique Les Instructions avaient

fait naicirctre lrsquoespoir que lrsquoEacutetat ne consideacutererait plus le systegraveme norveacutegien de

reacutepression des fraudes fiscales agrave double voie comme eacutetant leacutegal et conforme

agrave la Convention et ainsi que le Procureur aurait lrsquoobligation drsquoattaquer les

condamnations et avant que celles-ci ne soient prononceacutees drsquoabandonner

les poursuites154 Dans le cas des requeacuterants la deacutecision par le parquet de

proceacuteder diffeacuteremment nrsquoeacutetait pas preacutevisible Le traitement preacutefeacuterentiel

accordeacute aux quatre autres accuseacutes impliqueacutes dans les mecircmes faits qui ont

eacuteteacute exempteacutes de toute majoration fiscale (GA TF KB et GN) ne fait que

prouver le caractegravere discreacutetionnaire et donc impreacutevisible du choix des

autoriteacutes nationales

B La conception pro auctoritate du ne bis in idem de la majoriteacute

a) Absence de reacutepeacutetition de la collecte et de lrsquoappreacuteciation des preuves

60 La troisiegraveme condition fixeacutee par la majoriteacute consiste en une

prohibition souple (laquo autant que possible raquo) de la reacutepeacutetition de la collecte et

de lrsquoappreacuteciation des preuves agrave partir drsquoun exemple (laquo notamment raquo)

lrsquointeraction entre diffeacuterentes autoriteacutes administrative et judiciaire pour

aboutir agrave lrsquoeacutetablissement des faits dans une proceacutedure est eacutegalement utiliseacutee

dans lrsquoautre proceacutedure155 Pour moi cette condition est tregraves probleacutematique

61 Par principe les conditions de la protection drsquoun droit individuel non

susceptible de deacuterogation tel que le ne bis in idem ne doivent pas ecirctre

laisseacutees au pouvoir discreacutetionnaire de lrsquoEacutetat Puisque la troisiegraveme condition

de la majoriteacute est une simple recommandation de iure condendo ce nrsquoest

pas une exigence conventionnelle Elle a le mecircme effet que lrsquoeacutenonceacute

eacutegalement de iure condendo selon lequel laquo la maniegravere la plus sucircre de veiller

153 Camilleri c Malte ndeg 4293110 22 janvier 2013

154 La position du Procureur Geacuteneacuteral norveacutegien ne pourrait ecirctre plus claire apregraves lrsquoarrecirct

Sergueiuml Zolotoukhine laquo Depuis le revirement opeacutereacute dans la jurisprudence de la Cour il

faut appliquer un systegraveme laquo agrave un niveau raquo eacutegalement pour les majorations drsquoimpocirct

ordinaires raquo Voir paragraphes 48 et 64 de lrsquoarrecirct

155 Voir paragraphe 132 de lrsquoarrecirct La majoriteacute ne dit pas un mot agrave propos de la solution

existant dans certains Eacutetats drsquoune coopeacuteration entre lrsquoadministration et le parquet pour

deacuteterminer la marche agrave suivre

88 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

au respect de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 consiste agrave preacutevoir agrave un stade

opportun une proceacutedure agrave un seul niveau raquo156 Tous deux sont des dicta non

contraignants qui nrsquoajoutent rien agrave la jurisprudence contraignante de la

Cour

62 En outre cette recommandation ne fait qursquoeffleurer en surface un

problegraveme tregraves seacuterieux Lrsquoexistence de diffeacuterentes deacuteclarations par les

autoriteacutes administratives et judiciaires sur les mecircmes faits sur la base drsquoune

appreacuteciation diffeacuterentes des mecircmes faits met en question lrsquoautoriteacute de

lrsquoEacutetat Pire encore une appreacuteciation diffeacuterente des preuves dans une

proceacutedure administrative et une proceacutedure peacutenale permet le deacutetournement

insidieux de la proceacutedure administrative aux fins de la proceacutedure peacutenale Ce

deacutetournement est encore plus inquieacutetant que le risque pour lrsquoautoriteacute de

lrsquoEacutetat dans la mesure ougrave il laisse lrsquoaccuseacute sans deacutefense En drsquoautres termes

la condamnation peacutenale est presque courue drsquoavance lorsque lrsquoinfraction

administrative commise par le contribuable a deacutejagrave eacuteteacute eacutetablie sur la base de

regravegles de preuve moins strictes Lrsquoobligation de coopeacuteration avec le fisc qui

pegravese sur le contribuable dans les proceacutedures administratives aggrave encore

cette conclusion

63 La majoriteacute ne confronte pas les regravegles de preuve en matiegravere

administrative et peacutenale en Norvegravege pour veacuterifier srsquoil existe un danger de

reacutepeacutetition dans la collecte et lrsquoappreacuteciation des preuves dans les deux

proceacutedures Elle nrsquoanalyse pas non plus le cadre juridique reacutegissant les

interactions entre les diffeacuterentes autoriteacutes judiciaires et administratives pour

deacuteterminer si lrsquoeacutetablissement des faits dans la proceacutedure administrative

influence la proceacutedure peacutenale et vice versa Aux paragraphes 145 et 150 de

lrsquoarrecirct la majoriteacute se contente drsquoeacutevoquer quelques exemples ad hoc

drsquoeacutechange drsquoinformations entre les autoriteacutes administratives et judiciaires

Rien de plus

64 Or les parties ont acircprement discuteacute cette question Le Gouvernement

reconnait que les regravegles de preuve sont diffeacuterentes dans les proceacutedures

fiscales dans lesquelles le critegravere de la laquo cause probable qualifieacutee raquo

srsquoapplique par rapport aux proceacutedures peacutenales dans lesquelles un laquo standard

de preuve strict raquo srsquoapplique En reacutealiteacute il srsquoagit selon le Gouvernement de

lrsquoun des laquo avantages majeurs raquo qursquooffrent les proceacutedures administratives157

Si crsquoest le cas la troisiegraveme condition de la majoriteacute nrsquoest pas respecteacutee en

droit norveacutegien pour la simple raison que puisque diffeacuterentes regravegles de

preuves sont applicables les preuves doivent ecirctre appreacutecieacutees diffeacuteremment

dans la proceacutedure administrative et la proceacutedure peacutenale avec le risque

eacutevident drsquoaboutir agrave des conclusions diffeacuterentes agrave propos des mecircmes faits

156 Voir paragraphe 130 de lrsquoarrecirct

157 Voir les observations du Gouvernement du 11 novembre 2015 page 8 Le

Gouvernement ajoute que les proceacutedures administratives ont lrsquoavantage de comporter des

phases drsquoinstruction et de jugement plus rapides

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 89

Entre le Charybde du risque de conclusions contradictoires dans les

proceacutedures peacutenales et administratives dues aux diffeacuterentes regravegles de preuve

(deux poids deux mesures) et le Scylla du deacutetournement des preuves

administratives agrave des fins peacutenales lrsquoaccuseacute se trouve dans tous les cas placeacute

dans une situation ineacutequitable dans le systegraveme norveacutegien agrave double voie

b) Meacutecanisme de compensation entre les sanctions administratives et peacutenales

65 La quatriegraveme condition fixeacutee par la majoriteacute exige la mise en place

drsquoun laquo meacutecanisme compensatoire conccedilu pour assurer que le montant global

de toutes les peines peacutecuniaires prononceacutees est proportionneacutee raquo158 Sans

aucune explication preacutealable de la raison pour laquelle cette alternative est

retenue la majoriteacute nrsquoenvisage pas drsquoautres solutions proceacutedurales bien

connues telles que la suspension de lrsquoune des proceacutedures pendant que

lrsquoautre est pendante159 ou des solutions de fond telles que le principe de

speacutecialiteacute ou la mise en place de limites pour la sanction du concours

drsquoinfractions peacutenale et administrative comme la regravegle selon laquelle le

montant total de la sanction ne doit pas exceacuteder le montant le plus eacuteleveacute de

lrsquoune des deux sanctions encourues ou le plafonnement de la sanction

fiscale au minimum de la sanction peacutenale La porteacutee et les caracteacuteristiques

du meacutecanisme de compensation proposeacute sont pour le moins tregraves

probleacutematiques

66 Le raisonnement de la majoriteacute entre en conflit frontal avec la

position reacutecente de la Cour dans lrsquoaffaire Grande Stevens et autres qui

concerne des proceacutedures administratives et peacutenales parallegraveles Le

gouvernement italien avait alleacutegueacute sans succegraves dans cette affaire que pour

assurer la proportionnaliteacute de la sanction aux accusations la juridiction

peacutenale italienne avait pris en consideacuteration lrsquoimposition preacutealable drsquoune

sanction administrative et reacuteduit la sanction peacutenale Plus preacuteciseacutement le

montant de lrsquoamende administrative avait eacuteteacute deacuteduit de la sanction peacutenale

financiegravere (article 187 terdecies du Deacutecret Leacutegislatif no 58 de 1998) et les

avoirs deacutejagrave saisis dans le contexte de la proceacutedure administrative ne

pouvaient pas ecirctre confisqueacutes160 Cet argument auquel la Cour nrsquoa pas

accordeacute de creacutedit dans Grande Stevens et autres est agrave preacutesent mis en avant

dans le contexte norveacutegien sans aucune justification de la part de la

majoriteacute quant agrave ce revirement soudain La majoriteacute semble avoir oublieacute

que dans lrsquoarrecirct Grande Stevens la Cour avait deacutecideacute que lrsquoEacutetat deacutefendeur

devait srsquoassurer que les nouvelles proceacutedures peacutenales entameacutees agrave lrsquoencontre

158 Voir le paragraphe 132 de lrsquoarrecirct

159 Crsquoest ce qui eacutetait proposeacute dans les arrecircts Kapetanios et autres (preacuteciteacute sect 72) et

Sismanidis et Sitaridis (preacuteciteacute sect 72)

160 Grande Stevens et autres preacuteciteacute sect 218

90 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

des requeacuterants en violation du ne bis in idem seraient clocirctureacutees aussi

rapidement que possible et sans effets indeacutesirables pour eux161

67 Le gouvernement italien avait aussi alleacutegueacute que le systegraveme agrave double

voie eacutetait requis par la Directive 20036CE du 28 janvier 2003 sur les

opeacuterations drsquoinitieacute et les manipulations de marcheacutes pour lutter contre les

manipulations et les abus plus efficacement invoquant les conclusions de

lrsquoAvocat Geacuteneacuteral dans lrsquoaffaire Hans Aringkerberg Fransson162 La Cour a

facilement eacutecarteacute cet argument comme eacutetant inopeacuterant163 Dans ce contexte

il est troublant que la Cour cite agrave preacutesent les conclusions de lrsquoAvocat

Geacuteneacuteral dans lrsquoaffaire Fransson agrave lrsquoappui de ses arguments164 En deacutepit du

fait que la CJUE ait deacutesapprouveacute la vision de lrsquoAvocat Geacuteneacuteral la majoriteacute

dans lrsquoaffaire A et B fait sienne sa position La Cour de Strasbourg prend

volontairement ses distances par rapport agrave la Cour de Luxembourg qui avait

fait un effort pour aligner les deux jurisprudences dans son arrecirct Fransson

Les juges de la Cour ont preacutefeacutereacute se ranger du cocircteacute de la seule voix de

lrsquoAvocat Geacuteneacuteral qui avait fortement critiqueacute la jurisprudence de la Cour

accuseacutee drsquoecirctre en contradiction avec les traditions constitutionnelles

europeacuteennes Le revirement inexpliqueacute de Strasbourg constitue un seacuterieux

revers pour la relation entre les deux cours europeacuteennes

68 En outre le meacutecanisme compensatoire de la majoriteacute ne srsquoapplique

qursquoaux deacuteductions de sanctions imposeacutees dans la proceacutedure deacutefinitivement

close en premier Il ne srsquoapplique pas si cette proceacutedure connaicirct une autre

issue crsquoest-agrave-dire si la juridiction prononce lrsquoacquittement ou le non-lieu

La raison est eacutevidente Dans ces cas de figure il nrsquoy a litteacuteralement rien agrave

compenser crsquoest-agrave-dire agrave contrebalancer ou agrave deacuteduire dans une proceacutedure

administrative subseacutequente ou parallegravele

69 La question est eacutevidemment cruciale agrave la lumiegravere des affaires

grecques reacutecentes dans lesquelles les juridictions administratives qui

avaient imposeacute des amendes administratives nrsquoavaient pas pris en

consideacuteration lrsquoacquittement des requeacuterants dans des proceacutedures peacutenales

parallegraveles (requecirctes nos 345312 et 4294112) ou subseacutequentes (requecircte no

161 Ibidem sect 237 Il est utile de rappeler les conclusions de lrsquoAIDP de 2004 preacuteciteacutees

laquo Le laquo bis raquo crsquoest-agrave-dire le cumul qui doit ecirctre eacuteviteacute ne se rapporte pas simplement aux

sanctions toute nouvelle poursuite doit ecirctre empecirccheacutee raquo

162 Grande Stevens et autres preacuteciteacute sect 216

163 Ibidem preacuteciteacute sect 229

164 Voir paragraphe 118 du preacutesent arrecirct La Directive 201457UE du16 avril 2014

relative aux sanctions peacutenales applicables aux abus de marcheacute qui admet le systegraveme mixte

(preacuteambule sect 23) doit srsquoarticuler avec le Regraveglement (UE) 5962014 du 16 avril 2014

(preacuteambule sect 72) Le leacutegislateur europeacuteen nrsquoa pas reacutesolu le problegraveme du ne bis in idem

preacutefeacuterant renvoyer la patate chaude aux Eacutetats Neacuteanmoins lrsquoimposition de sanctions

peacutenales sur la base drsquoune infraction obligatoire eacutetablie par la nouvelle Directive et de

sanctions administratives conformeacutement avec les infractions optionnelles preacutevues par le

nouveau Regraveglement (article 30 sect 1) laquo peuvent deacutecider de ne pas raquo) ne devrait pas conduire

agrave la violation du ne bis in idem

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 91

902913) ayant pour objet le mecircme acte165 Suivant le principe de lrsquoarrecirct

Kapetanios et autres tout acquittement ou non-lieu dans lrsquoaffaire peacutenale

aurait un Sperrwirkung sur une autre proceacutedure administrative parallegravele ou

subseacutequente ainsi que lrsquoa conclu la Cour dans lrsquoaffaire Sismanidis et

Sitaridis qui eacutegalement concernait deux cas (requecirctes nos 6660409 et

7187912) de proceacutedures administrative et peacutenale parallegraveles166 Lrsquoaccuseacute

acquitteacute a droit agrave ne pas ecirctre troubleacute une nouvelle fois pour les mecircmes faits

ce qui inclut le risque de nouvelles poursuites en deacutepit de la nature

diffeacuterente (judiciaire et administrative) des organes en cause167 En drsquoautres

termes il existe une prohibition absolue de se prononcer de nouveau sur les

mecircmes faits En outre les juridictions et lrsquoadministration doivent tenir

compte drsquooffice de la force de chose jugeacutee de lrsquoacquittement les droits de

lrsquoaccuseacute eacutetant absolus et non susceptibles de deacuterogation168

70 La jurisprudence grecque srsquoinscrit eacutegalement dans la ligneacutee du

principe eacutetabli au paragraphe 60 de Lucky Dev soulignant le fait que

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 serait violeacute si lrsquoune des deux proceacutedures se

poursuivait apregraves la date de clocircture de la premiegravere par une deacutecision

deacutefinitive Dans lrsquoaffaire Lucky Dev les majorations drsquoimpocirct avaient eacuteteacute

appliqueacutees apregraves un acquittement deacutefinitif agrave lrsquoissue de la proceacutedure peacutenale

parallegravele et la formulation du principe par la Cour est limpide laquo cette

deacutecision deacutefinitive appellerait la clocircture de lrsquoautre instance raquo169

71 Pour reacutesumer le preacutesent arrecirct contredit lrsquoessence des jurisprudences

Kapetanios et autres Sismanidis et Sitaridis et Lucky Dev Pour la majoriteacute

165 Dans Kapetanios et autres (preacuteciteacute) voir la requecircte ndeg 345312 avec une proceacutedure

administrative pendante entre novembre 1989 et juin 2011 et une proceacutedure peacutenale

pendante entre 1986 et novembre 1992 la requecircte ndeg 4294112 avec une proceacutedure

administrative pendante entre septembre 1996 et novembre 2011 et une proceacutedure peacutenale

pendante entre 1988 et juin 2000 et enfin la requecircte ndeg 902813 avec une proceacutedure

administrative pendante entre 2011 et feacutevrier 2012 et une proceacutedure peacutenale acheveacutee en mai

1998

166 Sismanidis et Sitaridis (preacuteciteacute) voir la requecircte ndeg 6660209 avec une proceacutedure

administrative pendante entre septembre 1996 et mai 2009 et une proceacutedure peacutenale

pendante entre deacutecembre 1994 et avril 1997 et la requecircte ndeg 7187912 avec une proceacutedure

administrative pendante entre novembre 1996 et feacutevrier 2012 et une proceacutedure peacutenale

pendante entre 1998 et feacutevrier 1999

167 Kapetanios et autres preacuteciteacute sectsect 71 et 72 La version franccedilaise de lrsquoarrecirct Sergueiuml

Zolotoukhine est plus expressive lorsqursquoelle parle au paragraphe 83 de laquo risque de

nouvelles poursuites raquo en plus des nouveaux procegraves Voir eacutegalement le paragraphe 59 de

lrsquoarrecirct Van Straaten rendu par la CJUE preacuteciteacute laquo lrsquoouverture drsquoune proceacutedure peacutenale dans

un autre Eacutetat contractant pour les mecircmes faits compromettrait dans le cas drsquoun

acquittement deacutefinitif pour insuffisance de preuves les principes de la seacutecuriteacute juridique et

de la confiance leacutegitime raquo

168 Kapetanios et autres preacuteciteacute sect 66 Crsquoest preacuteciseacutement la conclusion de lrsquoarrecirct Melo

Tadeu c Portugal (ndeg 2778510 sect 64 23 octobre 2014) laquo La Cour estime qursquoun

acquittement au peacutenal doit ecirctre pris en compte dans toute proceacutedure ulteacuterieure peacutenale ou

non peacutenale raquo

169 Lucky Dev preacuteciteacute sect 60

92 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

lrsquoacquittement de lrsquoaccuseacute que ce soit parce que les actes ne sont pas

constitutifs drsquoune infraction peacutenale parce que lrsquoaccuseacute ne les a pas commis

ou parce qursquoil nrsquoa pas eacuteteacute prouveacute qursquoil les ait commis nrsquoa pas agrave ecirctre pris en

consideacuteration dans des proceacutedures administratives parallegraveles Cela soulegraveve

aussi bien eacutevidemment un problegraveme au regard de lrsquoarticle 6 sect 2 de la

Convention Toute nouvelle conclusion sur le fond remettrait en question la

preacutesomption drsquoinnocence reacutesultant de lrsquoacquittement170

72 Le meacutecanisme compensatoire de la majoriteacute nrsquoest eacutegalement pas

applicable dans lrsquohypothegravese ougrave la proceacutedure administrative serait la

premiegravere agrave devenir deacutefinitive et ougrave aucune majoration fiscale ne serait

imposeacutee parce que la responsabiliteacute administrative nrsquoa pas pu ecirctre prouveacutee

Pour la majoriteacute dans cette hypothegravese le contribuable peut encore ecirctre

condamneacute pour les mecircmes faits dans une proceacutedure peacutenale

73 Agrave ce stade il est clair que la quatriegraveme condition est un chegraveque en

blanc pour les Eacutetats leur permettant drsquoagir agrave leur guise Pire encore la

majoriteacute nrsquoexplique pas comment le meacutecanisme compensatoire fonctionne

en droit norveacutegien Le seul paragraphe 50 de lrsquoarrecirct est un reacutesumeacute de la

jurisprudence qui laisse au lecteur lrsquoimpression que les juridictions peacutenales

deacutecident comme bon leur semble de parfois prendre en consideacuteration les

sanctions administratives anteacuterieures et parfois de ne pas le faire Cette

impression est justifieacutee dans lrsquoaffaire en cause ainsi qursquoil sera deacutemontreacute ci-

dessous En outre il nrsquoy a aucune indication dans lrsquoarrecirct quant agrave savoir si un

meacutecanisme similaire de compensation existe dans la proceacutedure fiscale par

lequel les sanctions peacutenales anteacuterieures seraient prises en consideacuteration

lorsque sont imposeacutees des majorations peacutenales

74 Le Gouvernement dit que laquo les condamnations agrave des majorations

drsquoimpocircts sont prises en compte lorsque les tribunaux deacuteterminent la bonne

et juste sanction pour une socieacuteteacute (voir article 28 lettre g du code peacutenal de

2005) Lorsque crsquoest une personne physique qui est condamneacutee ils tiennent

compte de toute majoration drsquoimpocirct infligeacutee sur la base de lrsquoarticle 27 du

code peacutenal de 1902 transposeacute agrave lrsquoarticle 53 du code peacutenal de 2005 raquo171

Lrsquoarticle 27 dispose laquo Lorsqursquoune amende est imposeacutee il faut ducircment tenir

compte non seulement de la nature de lrsquoinfraction mais aussi et surtout de la

situation peacutecuniaire de la personne condamneacutee et de ce que celle-ci peut

vraisemblablement se permettre de payer au vu des circonstances raquo Aucune

mention nrsquoest faite des sanctions dans les proceacutedures parallegraveles ou

anteacuterieures en relation avec les mecircmes faits et encore moins aux

majorations peacutenales Aucune mention nrsquoest faite non plus de la limite du

cumul des sanctions par exemple lrsquoexigence voulant que le montant total

des sanctions imposeacutees ne doive pas exceacuteder le montant le plus eacuteleveacute qui

pourrait ecirctre imposeacute pour lrsquoune ou lrsquoautre des sanctions En reacutealiteacute la prise

170 Kapetanios et autres preacuteciteacute sect 88 et Sismanidis et Sitaridis preacuteciteacute sect 58

171 Voir les observations du Gouvernement du 11 novembre 2015 page 8

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 93

en consideacuteration des autres sanctions nrsquoest mecircme pas mentionneacutee

lorsqursquoune peine drsquoemprisonnement a eacuteteacute ordonneacutee

Pour le dire en peu de mots il nrsquoexiste tout simplement pas de

meacutecanisme de compensation en droit norveacutegien il nrsquoy a qursquoune indication

geacuteneacuterale indiffeacuterencieacutee donneacutee par le leacutegislateur au juge selon laquelle la

situation financiegravere de la personne accuseacutee doit ecirctre prise en consideacuteration

dans sa condamnation agrave une amende Ni plus ni moins

75 La jurisprudence de la Cour suprecircme fondeacutee sur les dispositions du

Code Peacutenal susmentionneacutees pour autant que les juges de la Grande

Chambre en ont eu connaissance est peut-ecirctre creacuteative mais elle nrsquoest

certainement pas preacutevisible Elle est formuleacutee si extensivement que mecircme le

juriste le plus expeacuterimenteacute ne saurait anticiper si et selon quelles modaliteacutes

des majorations drsquoimpocirct seront prises en consideacuteration dans des amendes

peacutenales De plus sa porteacutee est tregraves limiteacutee en pratique Puisqursquoelle

nrsquoautorise aucun meacutecanisme compensatoire dans les cas drsquoemprisonnement

elle limite lrsquoimpact alleacutegueacute de lrsquoeffet compensatoire aux affaires moins

graves mais en prive les affaires plus graves

Conscients des faiblesses du systegraveme juridique national les juges

norveacutegiens ont fait un effort louable pour combler le trou noir juridique et

introduire une certaine proportionnaliteacute dans un systegraveme arbitraire excessif

et ineacutequitable arbitraire dans le choix pour un systegraveme agrave une seule ou deux

voies excessif dans les sanctions appliqueacutees et ineacutequitable drsquoun point de

vue proceacutedural dans la maniegravere dont il traite les accuseacutes Mais le principe ne

bis in idem laquo nrsquoest pas une regravegle de proceacutedure agissant comme un agent

leacutenitif au service de la proportionnaliteacute lorsqursquoune personne est doublement

jugeacutee et condamneacutee pour un mecircme comportement mais bien une garantie

fondamentale des droits des citoyens raquo172

76 Comme le Gouvernement la majoriteacute est seacuteduite par un laquo souci

drsquoefficaciteacute raquo173 selon lequel la logique du principe ne bis in idem

srsquoapplique laquo dans une moindre mesure aux sanctions ne relevant pas du

laquo noyau dur raquo du droit peacutenal comme les majorations drsquoimpocirct raquo174 Elle a

neacutegligeacute le fait qursquoun droit conventionnel non susceptible de deacuterogation tel

172 Affaire C-21300 P Italcementi SpA c Commission des Communauteacutes europeacuteennes

conclusions de lrsquoAvocat Geacuteneacuteral Ruiz-Jarabo Colomer preacutesenteacutees le 11 feacutevrier 2003 sect 96

et Affaire C-15005 preacuteciteacutee conclusions du mecircme Avocat Geacuteneacuteral preacutesenteacutees le 8 juin

2006 sect 58 Partant lrsquoopinion exprimeacute au paragraphe 107 du preacutesent arrecirct selon laquelle ne

bis in idem vise principalement une question proceacutedurale (laquo lrsquoeacutequiteacute proceacutedurale raquo) et non

une question de fond (laquo srsquointeacuteresse moins au droit peacutenal mateacuteriel que lrsquoarticle 7 raquo) est

fondamentalement erroneacutee

173 Les mots laquo soucis drsquoefficaciteacute raquo sont ceux choisi par la majoriteacute elle-mecircme

(paragraphe 134 de lrsquoarrecirct)

174 Voir paragraphe 85 de lrsquoarrecirct ougrave il est fait reacutefeacuterence agrave lrsquoargument du Gouvernement

selon lequel le raisonnement dans lrsquoarrecirct Jussila concernant lrsquoarticle 6 est transposable agrave

lrsquoarticle 4 du Protocole ndeg 7 Lrsquoargument fait fi de la nature absolue et non susceptible de

deacuterogation du second article

94 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

que ne bis in idem ne doit pas ecirctre substantiellement diffeacuterent en fonction

du domaine du droit concerneacute Lrsquoarticle 4 sect 3 du Protocole no 7 ne laisse pas

de marge de manœuvre pour cela

77 Enfin et surtout dans la preacutesente affaire la juridiction nationale a

pris en compte de la maniegravere suivante la majoration drsquoimpocircts infligeacutee au

premier requeacuterant laquo une sanction notable a deacutejagrave eacuteteacute imposeacutee agrave lrsquoaccuseacute

dans la deacutecision sur la majoration fiscale La plus grande partie des impocircts a

deacutejagrave eacuteteacute payeacutee raquo La prise en compte de la majoration agrave lrsquoeacutegard du second

requeacuterant est encore plus succincte laquo Le fait qursquoune majoration fiscale de

30 a eacuteteacute imposeacutee agrave lrsquoaccuseacute doit ecirctre pris en consideacuteration raquo175 Dans

aucun de ces cas les juridictions nationales ne se sont donneacute la peine

drsquoexpliquer de quelle maniegravere les majorations administratives anteacuterieures

avaient influenceacute les sanctions peacutenales La reacutefeacuterence de pure forme aux

majorations drsquoimpocirct preacuteceacutedemment imposeacutees pourrait apaiser des

consciences moins exigeantes mais ce nrsquoest certainement pas une deacutemarche

juridique preacutevisible et controcirclable Degraves lors les conditions le degreacute et les

limites de lrsquoimpact des majorations drsquoimpocirct sur les sanctions peacutenales ne

peuvent qursquoecirctre lrsquoobjet de pures speacuteculations dans le domaine inconnu et

inaccessible aux accuseacutes de la conviction intime des juges

VI ndash Conclusion

78 En deacutepit de sa logique axeacutee sur les droits de lrsquohomme lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk

ne fournit pas un cadre conceptuel clair permettant de deacutefinir la ligne de

deacutemarcation entre les infractions administratives et peacutenales Au milieu des

incertitudes de la jurisprudence de la Cour lrsquoarrecirct Jussila offre une solution

restrictive qui cherche agrave distinguer les affaires relevant du noyau dur du

droit peacutenal qui comportent un caractegravere infamant de celles qui nrsquoen

comportent pas limitant lrsquoapplicabiliteacute des garanties peacutenales dans les

affaires relevant de la seconde cateacutegorie La jurisprudence subseacutequente nrsquoa

clarifieacute ni le critegravere de fond du caractegravere infamant ni la distinction entre les

garanties proceacutedurales disponibles et indisponibles

79 Tout comme lrsquoarrecirct Jussila avait nuanceacute et limiteacute la porteacutee de lrsquoarrecirct

Oumlztuumlrk lrsquoarrecirct A et B c Norvegravege nuance et limite la porteacutee de lrsquoarrecirct

Sergueiuml Zolotoukhine La position ancienne et geacuteneacutereuse en matiegravere drsquoidem

factum est significativement limiteacutee par la nouvelle camisole proposeacutee pour

le bis Meacutefiante agrave lrsquoeacutegard des accuseacutes la majoriteacute a deacutecideacute drsquoabandonner le

principe fondamental dans la culture juridique europeacuteenne qui veut que nul

ne puisse ecirctre poursuivi plus drsquoune fois pour les mecircmes faits (principe de

lrsquouniteacute de lrsquoaction reacutepressive ou Einmaligkeit der Strafverfolgung) Le

principe ne bis in idem perd son caractegravere pro persona mineacute par la posture

175 Voir les jugements du tribunal de Follo du 2 mars 2009 et du tribunal drsquoOslo du

30 septembre 2009

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 95

strictement pro auctoritate de la Cour Il nrsquoest plus une garantie

individuelle mais un outil permettant drsquoeacuteviter toute laquo manipulation et

impuniteacute raquo dont profiteraient les accuseacutes176 Apregraves avoir renverseacute la logique

du principe ne bis in idem le preacutesent arrecirct ouvre la porte agrave une politique

reacutepressive sans preacuteceacutedent digne drsquoun Leacuteviathan baseacutee sur lrsquoouverture par

lrsquoEacutetat de proceacutedures multiples strateacutegiquement articuleacutees et mises en place

en vue drsquoatteindre lrsquoeffet reacutepressif maximal Cette politique pourrait devenir

lrsquohistoire sans fin vindicative de deux ou plusieurs proceacutedures conduites

parallegravelement ou successivement agrave lrsquoencontre du mecircme accuseacute pour les

mecircmes faits qui risqueraient mecircme de punir celui-ci en repreacutesailles pour

avoir exerceacute ses droits proceacuteduraux leacutegitimes et notamment son droit de

recours

80 La seule veacuteritable condition dont est assortie cette approche de la

majoriteacute orienteacutee vers lrsquolaquo efficaciteacute raquo177 est un simulacre de

proportionnaliteacute limiteacutee agrave la vague indication de prendre en consideacuteration

les sanctions administratives anteacuterieures dans lrsquoamende infligeacutee agrave lrsquoissue de

la proceacutedure peacutenale une approche bien eacuteloigneacutee des racines historiques et

du principe du droit international coutumier du ne bis in idem Le cumul des

sanctions peacutenales et administratives de nature peacutenale a eacuteteacute speacutecifiquement

rejeteacute par la Cour dans lrsquoaffaire Grande Stevens de mecircme que par la CJUE

dans lrsquoarrecirct Hans Aringkeberg Fransson Apregraves la deacutelivrance de son certificat de

deacutecegraves dans lrsquoaffaire italienne une telle approche est aujourdrsquohui ressusciteacutee

en tant qursquoapproche laquo calibreacutee raquo178 La collaboration progressive et mutuelle

entre les deux cours europeacuteennes va de toute eacutevidence ecirctre encore une fois

profondeacutement perturbeacutee Strasbourg allant dans la mauvaise direction quand

Luxembourg prend la bonne La Grande Chambre saisie de lrsquoaffaire Sergueiuml

Zolotoukhine nrsquoaurait pas accepteacute une reacutetrogradation du droit individuel

inalieacutenable au ne bis in idem vers un droit aussi fluide eacutetroitement

interpreacuteteacute en un mot illusoire Moi non plus

176 Voir paragraphe 127 de lrsquoarrecirct

177 Voir paragraphe 134 de lrsquoarrecirct

178 Voir paragraphe 124 de lrsquoarrecirct

Page 4: GRANDE CHAMBRE · 2016. 11. 18. · 5. Le 26 novembre 2013, la chambre a décidé de joindre les deux requêtes et de les communiquer au Gouvernement. 6. Le 7 juillet 2015, une chambre

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 3

L STOLTENBERG procureur principal Autoriteacute nationale

drsquoenquecirctes et de poursuites pour les deacutelits eacuteconomiques

et eacutecologiques

DE EILERTSEN controcircleur fiscal principal services fiscaux

de lrsquoEst de la Norvegravege conseillers

ndash pour les requeacuterants

M R Kjeldahl avocat conseil

La Cour a entendu Me Kjeldahl et Me Sandvig en leurs deacuteclarations ainsi

qursquoen leurs reacuteponses aux questions poseacutees par des juges

EN FAIT

I LES CIRCONSTANCES DE LrsquoESPEgraveCE

11 Le premier requeacuterant A est neacute en 1960 et habite en Norvegravege Le

second requeacuterant B est neacute en 1965 et habite en Floride (Eacutetats-Unis

drsquoAmeacuterique)

12 Les requeacuterants et M EK deacutetenaient la socieacuteteacute Estora Investment

Ltd (laquo Estora raquo) immatriculeacutee agrave Gibraltar MM TF et GA deacutetenaient la

socieacuteteacute Strategic Investment AS (laquo Strategic raquo) immatriculeacutee agrave Samoa et au

Luxembourg En juin 2001 Estora acquit 24 des actions de la socieacuteteacute

Wnet AS et Strategic 46 des actions de Wnet AS En aoucirct 2001 toutes

les actions de Wnet AS furent vendues agrave Software Innovation AS agrave un prix

nettement plus eacuteleveacute Le montant du produit de la vente qui revenait au

premier requeacuterant srsquoeacutelevait agrave 3 259 341 couronnes norveacutegiennes (NOK ndash

soit environ 360 000 euros (EUR)) Ce dernier le transfeacutera agrave la socieacuteteacute

Banista Holding Ltd immatriculeacutee agrave Gibraltar dont il eacutetait lrsquoactionnaire

unique Le montant du produit de la vente qui revenait au second requeacuterant

srsquoeacutelevait agrave 4 651 881 NOK (soit environ 500 000 EUR) Ce dernier le

transfeacutera agrave la socieacuteteacute Fardan Investment Ltd dont il eacutetait lrsquoactionnaire

unique

MM EK GA et TF reacutealisegraverent des profits agrave lrsquooccasion de

transactions similaires tandis que MM BL KB et GN participegraverent par

le biais de Software Innovation AS agrave drsquoautres transactions imposables non

deacuteclareacutees

Les revenus tireacutes de ces transactions qui srsquoeacutelevaient agrave environ

114 500 000 NOK (soit environ 12 600 000 EUR) ne furent pas deacuteclareacutes

aux autoriteacutes fiscales norveacutegiennes (laquo le fisc raquo) ce qui repreacutesentait au total

environ 32 500 000 NOK (soit environ 3 600 000 EUR) drsquoimpocircts impayeacutes

4 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

13 En 2005 le fisc entama le controcircle fiscal de Software Innovation AS

et srsquointeacuteressa aux actionnaires de Wnet AS Le 25 octobre 2007 il deacuteposa

une plainte peacutenale contre TF aupregraves drsquoOslashkokrim (acronyme de lrsquoAutoriteacute

nationale norveacutegienne drsquoenquecirctes et de poursuites pour les deacutelits

eacuteconomiques et eacutecologiques) au sujet drsquoeacuteleacutements qui ulteacuterieurement

conduisirent agrave lrsquoinculpation du premier requeacuterant ainsi que des autres

personnes susmentionneacutees et du second requeacuterant pour fraude fiscale

aggraveacutee

Les personnes citeacutees au paragraphe 12 ci-dessus furent par la suite

poursuivies reconnues coupables et condamneacutees agrave des peines de prison

pour fraude fiscale en matiegravere peacutenale Signalons aussi ceci

ndash la peine de prison infligeacutee agrave M EK en premiegravere instance fut

confirmeacutee en deuxiegraveme instance bien que la juridiction de deuxiegraveme

instance eucirct jugeacute cette peine leacutegegravere parallegravelement une majoration drsquoimpocirct

de 30 lui fut infligeacutee

ndash la dureacutee de la peine de prison infligeacutee agrave M BL fut fixeacutee compte tenu

de ce qursquoune majoration drsquoimpocirct de 30 lui avait deacutejagrave eacuteteacute imposeacutee

ndash M GA nrsquoa eacuteteacute condamneacute agrave aucune amende ni agrave aucune majoration

drsquoimpocirct

ndash M TF a eacuteteacute condamneacute en outre agrave une amende correspondant agrave une

majoration drsquoimpocirct de 30

ndash MM KB et GN furent chacun condamneacutes agrave une amende

conformeacutement au raisonnement exposeacute par la Cour suprecircme dans sa

deacutecision publieacutee au Rt 2011 p 1509 qui renvoyait au Rt 2005 p 129 et a

eacuteteacute reacutesumeacutee au paragraphe 50 ci-dessous

Les circonstances particuliegraveres relatives au premier et au second

requeacuterants sont exposeacutees ci-dessous

A Le premier requeacuterant

14 Le premier requeacuterant fut tout drsquoabord interrogeacute en qualiteacute de teacutemoin

le 6 deacutecembre 2007 puis le 14 deacutecembre 2007 il fut arrecircteacute et deacuteposa en

qualiteacute drsquoaccuseacute (laquo siktet raquo) Il reconnut les faits mais nia toute

responsabiliteacute peacutenale Il fut eacutelargi quatre jours plus tard

15 Le 14 octobre 2008 le premier requeacuterant fut inculpeacute de violations

des articles 12-1 1) a) cf 12-2 de la loi fiscale de 1980 (ligningsloven voir

au paragraphe 43 ci-dessous le texte de ces dispositions)

16 Le 24 novembre 2008 le bureau des impocircts (skattekontoret) redressa

le premier requeacuterant pour les anneacutees fiscales 2002 agrave 2007 apregraves lui avoir

communiqueacute agrave cette fin le 26 aoucirct 2008 un avis qui renvoyait notamment

au controcircle fiscal agrave lrsquoenquecircte peacutenale et agrave la deacuteposition faite par lui eacutevoqueacutes

au paragraphe 13 ci-dessus ainsi qursquoaux documents saisis par Oslashkokrim lors

de lrsquoenquecircte Pour lrsquoanneacutee 2002 le redressement eacutetait fondeacute sur le deacutefaut de

deacuteclaration par lrsquointeacuteresseacute de 3 259 341 NOK (soit environ 360 000 EUR)

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 5

de revenus geacuteneacuteraux ce dernier ayant au lieu de cela deacuteclareacute 65 655 NOK

de pertes De plus sur la base des articles 10-2 1) et 10-4 1) de la loi fiscale

(voir au paragraphe 42 ci-dessous le texte de ces dispositions) le bureau des

impocircts lui appliqua une majoration drsquoimpocirct de 30 calculeacutee sur la base

des impocircts dont il eacutetait redevable au titre des montants non deacuteclareacutes Cette

deacutecision tenait compte notamment des deacutepositions faites par les premier et

second requeacuterants pendant leurs interrogatoires conduits lors de lrsquoenquecircte

peacutenale Le premier requeacuterant ne la contesta pas et srsquoacquitta des sommes

dues ainsi que de la majoration drsquoimpocirct avant lrsquoexpiration du deacutelai de

recours drsquoune dureacutee de trois semaines

17 Le 2 mars 2009 le tribunal (tingrett) de Follo reconnut le premier

requeacuterant coupable de fraude fiscale aggraveacutee et le condamna agrave un an

drsquoemprisonnement pour avoir omis de mentionner dans sa deacuteclaration

fiscale pour lrsquoanneacutee 2002 3 259 341 NOK de revenus perccedilus agrave lrsquoeacutetranger Il

fixa la peine en tenant compte de ce que lrsquointeacuteresseacute avait deacutejagrave eacuteteacute

lourdement sanctionneacute par lrsquoapplication de la majoration drsquoimpocirct

18 Le premier requeacuterant fit appel estimant avoir eacuteteacute jugeacute et puni deux

fois en violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 agrave la Convention Il

soutenait que pour la mecircme infraction relevant de lrsquoarticle 12-1 il avait

drsquoabord eacuteteacute accuseacute et inculpeacute par le parquet puis frappeacute par le fisc drsquoune

majoration drsquoimpocirct qursquoil aurait payeacutee apregraves quoi il avait eacuteteacute reconnu

coupable et sanctionneacute

19 Par un arrecirct rendu le 12 avril 2010 agrave lrsquounanimiteacute la cour drsquoappel

(lagmannsrett) Borgarting (laquo la cour drsquoappel raquo) le deacutebouta et par un arrecirct du

27 septembre 2010 la Cour suprecircme (Hoslashyesterett) fit de mecircme en se

fondant sur un raisonnement similaire reacutesumeacute ci-dessous

20 Dans son arrecirct du 27 septembre 2010 la Cour suprecircme rechercha

tout drsquoabord si les deux proceacutedures en question se rapportaient aux mecircmes

circonstances factuelles (samme forhold) Agrave cet eacutegard elle prit note des

deacuteveloppements de la jurisprudence relative agrave la Convention exposeacutes dans

lrsquoarrecirct de Grande Chambre Sergueiuml Zolotoukhine c Russie ([GC]

no 1493903 sectsect 52 53 80-82 et 84 CEDH 2009) et de la tentative

drsquoharmonisation y opeacutereacutee par le constat suivant

laquo () lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 doit ecirctre compris comme interdisant de poursuivre

ou de juger une personne pour une seconde laquo infraction raquo pour autant que celle-ci a

pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance les mecircmes () La

Cour doit donc faire porter son examen sur ces faits qui constituent un ensemble de

circonstances factuelles concregravetes impliquant le mecircme contrevenant et

indissociablement lieacutees entre elles dans le temps et lrsquoespace () raquo

21 En lrsquoespegravece la Cour suprecircme observa qursquoil ne faisait aucun doute

que les circonstances factuelles agrave lrsquoorigine de la deacutecision drsquoinfliger une

majoration drsquoimpocirct et des poursuites peacutenales avaient suffisamment de points

communs pour satisfaire agrave ces critegraveres Elle releva que dans le cadre des

deux proceacutedures la base factuelle eacutetait lrsquoomission de revenus dans la

6 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

deacuteclaration fiscale du premier requeacuterant Selon elle les proceacutedures portaient

sur les mecircmes faits et satisfaisaient donc agrave la condition requise agrave cet eacutegard

22 La Cour suprecircme rechercha ensuite si les deux proceacutedures avaient

pour objet une laquo infraction raquo au sens de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Agrave cet

eacutegard elle rappela son arrecirct publieacute au Norsk Retstidende (laquo le Rt raquo) 2002

p 509 (paragraphe 45 ci-dessous) qualifiant une majoration drsquoimpocirct au taux

ordinaire (30 ) de compatible avec la notion drsquolaquo accusation en matiegravere

peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 sect 1 Cette conclusion anteacuterieure agrave lrsquoespegravece

srsquoappuyait sur ce qursquoil est convenu drsquoappeler les trois laquo critegraveres Engel raquo (la

qualification juridique de lrsquoinfraction en droit interne la nature de celle-ci et

le degreacute de seacuteveacuteriteacute de la sanction encourue) eacutenonceacutes dans lrsquoarrecirct rendu par

la Cour en lrsquoaffaire Engel et autres c Pays-Bas (8 juin 1976 sect 82 seacuterie A

no 22) La Cour suprecircme jugea importantes dans son analyse la finaliteacute

geacuteneacuterale de preacutevention poursuivie par la majoration drsquoimpocirct et la possibiliteacute

que 30 eacutetant un taux eacuteleveacute des sommes consideacuterables fussent en jeu

Elle rappela en outre son arrecirct publieacute au Rt 2004 p 645 dans lequel elle

avait jugeacute agrave la lumiegravere de la jurisprudence de la Cour (selon laquelle la

notion de laquo peine raquo ne doit pas revecirctir des sens diffeacuterents selon la

disposition de la Convention en cause) qursquoune majoration drsquoimpocirct de 30

revecirctait aussi un caractegravere peacutenal sur le terrain de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 ce qursquoelle confirma sans autre deacutebat dans une deacutecision

publieacutee au Rt 2006 p 1409

23 La Cour suprecircme constata par ailleurs que la Direction des impocircts

(Skattedirektoratet) comme le Procureur geacuteneacuteral (Riksadvokaten) estimaient

peu probable qursquoune majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire ne fucirct pas

qualifieacutee de sanction peacutenale aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

24 La Cour suprecircme consideacutera eacutegalement la jurisprudence plus reacutecente

de la Cour (Mjelde c Norvegravege (deacutec) no 1114304 1er feacutevrier 2007

Storbraringten c Norvegravege (deacutec) no 1227704 1er feacutevrier 2007 Haarvig

c Norvegravege (deacutec) no 1118705 11 deacutecembre 2007 avec des reacutefeacuterences agrave

Malige c France 23 septembre 1998 sect 35 Recueil des arrecircts et deacutecisions

1998-VII et Nilsson c Suegravede (deacutec) no 7366101 CEDH 2005-XIII) dont il

ressortait selon elle qursquoun groupe plus large de critegraveres que ceux retenus

dans la jurisprudence Engel srsquoappliquaient pour effectuer une analyse sous

lrsquoangle de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Elle trouva dans lrsquoarrecirct preacuteciteacute

Sergueiuml Zolotoukhine (sectsect 52-57) suivi par lrsquoarrecirct Ruotsalainen c Finlande

(no 1307903 sectsect 41-47 16 juin 2009) la confirmation que les trois critegraveres

Engel sur la base desquels devait ecirctre eacutetablie lrsquoexistence drsquoune laquo accusation

en matiegravere peacutenale raquo sur le terrain de lrsquoarticle 6 srsquoappliquaient tout autant agrave

la notion de sanction peacutenale figurant agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

25 La Cour suprecircme en conclut qursquoil nrsquoy avait pas lieu pour elle de

srsquoeacutecarter de ses deacutecisions preacuteciteacutees rendues en 2004 et 2006 selon

lesquelles une majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire srsquoanalysait en une

laquo sanction peacutenale raquo (straff) pour les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 7

26 Elle observa ensuite que lrsquoune des conditions pour beacuteneacuteficier de la

protection offerte par cette disposition eacutetait que la deacutecision faisant obstacle agrave

drsquoautres poursuites ndash en lrsquoespegravece la deacutecision du 24 novembre 2008 portant

application drsquoune majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire ndash fucirct deacutefinitive Elle

constata que nrsquoayant pas fait lrsquoobjet drsquoun recours aupregraves de la plus haute

juridiction administrative dans le deacutelai prescrit de trois semaines lequel

avait pris fin le 15 deacutecembre 2008 ladite deacutecision eacutetait agrave cet eacutegard devenue

deacutefinitive Elle estima que si en revanche il fallait prendre en compte le

deacutelai de recours en justice de six mois fixeacute par lrsquoarticle 11-1 4) de la loi

fiscale la deacutecision nrsquoeacutetait pas encore devenue deacutefinitive agrave la date du

prononceacute du jugement du tribunal de Follo agrave savoir le 2 mars 2009

27 La Cour suprecircme dit que lrsquoexpression laquo acquitteacute ou condamneacute par un

jugement deacutefinitif raquo employeacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 avait eacuteteacute

conccedilue pour viser les situations ougrave la deacutecision faisant obstacle agrave drsquoautres

poursuites eacutetait un jugement au peacutenal Elle constata que la Cour avait eacutetabli

qursquoune deacutecision eacutetait deacutefinitive une fois passeacutee en force de chose jugeacutee

crsquoest-agrave-dire lorsqursquoaucun autre recours ordinaire nrsquoeacutetait ouvert et que en

cela la date agrave partir de laquelle en droit interne la deacutecision passait en force

de chose jugeacutee eacutetait deacuteterminante Elle consideacutera que ni le texte de la

disposition elle-mecircme ni les travaux preacuteparatoires de celle-ci ni la

jurisprudence ne donnaient la moindre indication pour le cas ougrave la deacutecision

faisant obstacle agrave drsquoautres poursuites eacutetait de nature administrative Elle

rappela que dans son arrecirct de principe publieacute au Rt 2002 p 557 elle avait

dit qursquoil fallait regarder comme deacutefinitive une deacutecision finale de

redressement fiscal y compris assortie drsquoune majoration drsquoimpocirct degraves lors

que le contribuable en question ne pouvait plus la contester (p 570) sans

toutefois preacuteciser si crsquoeacutetait le deacutelai de recours administratif ou le deacutelai de

recours judiciaire qui eacutetait deacuteterminant En lrsquoespegravece elle dit que la meilleure

solution eacutetait de consideacuterer que crsquoeacutetait le deacutelai de recours administratif

drsquoune dureacutee de trois semaines qui eacutetait deacuteterminant au regard de lrsquoarticle 4

du Protocole no 7 car sinon la situation ne serait eacuteclaircie qursquoau bout de six

mois dans lrsquohypothegravese ougrave le contribuable ne saisirait pas les tribunaux ou

qursquoune fois rendu un jugement leacutegalement exeacutecutoire dans lrsquohypothegravese

inverse au bout drsquoun laps de temps dont la dureacutee pouvait varier et ecirctre

longue Il fallait donc selon elle consideacuterer que la deacutecision du 24 novembre

2008 eacutetait deacutefinitive aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

28 La Cour suprecircme constata que le premier requeacuterant avait acquis la

qualiteacute drsquoaccuseacute le 14 deacutecembre 2007 et que lrsquoavis de redressement lui avait

eacuteteacute signifieacute le 26 aoucirct 2008 Elle releva que par la suite la proceacutedure fiscale

et la proceacutedure peacutenale srsquoeacutetaient deacuterouleacutees en parallegravele jusqursquoagrave ce qursquoune

deacutecision du 24 novembre 2008 et un jugement du 2 mars 2009

respectivement y mettent un terme Elle estima que lrsquoune des questions

essentielles dans cette affaire eacutetait de savoir si les poursuites avaient eacuteteacute

conseacutecutives ce qui aurait eacuteteacute contraire agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 ou

8 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

parallegraveles ce qui aurait eacuteteacute permis dans une certaine mesure Agrave cet eacutegard

elle prit en consideacuteration deux deacutecisions drsquoirrecevabiliteacute RT c Suisse

((deacutec) no 3198296 30 mai 2000) et Nilsson c Suegravede (deacutecision preacuteciteacutee) et

en particulier le passage suivant de cette derniegravere deacutecision

laquo Toutefois la Cour ne saurait accueillir la thegravese du requeacuterant selon laquelle les

autoriteacutes ont deacuteclencheacute contre lui de nouvelles poursuites peacutenales en mettant en œuvre

la proceacutedure de retrait litigieuse Si les diverses sanctions infligeacutees agrave lrsquointeacuteresseacute ont eacuteteacute

prononceacutees par deux autoriteacutes diffeacuterentes agrave lrsquoissue de proceacutedures distinctes il existait

entre elles un lien mateacuteriel et temporel suffisamment eacutetroit pour que lrsquoon puisse

consideacuterer le retrait de permis comme lrsquoune des mesures preacutevues par le droit sueacutedois

pour la reacutepression des deacutelits de conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute avanceacute et de conduite sans

permis (voir RT c Suisse deacutecision preacuteciteacutee et mutatis mutandis Phillips

c Royaume-Uni no 4108798 sect 34 CEDH 2001-VII) En drsquoautres termes on ne

saurait deacuteduire du retrait litigieux que lrsquointeacuteresseacute a eacuteteacute laquo poursuivi ou puni () en

raison drsquoune infraction pour laquelle il a[vait] deacutejagrave eacuteteacute () condamneacute par un jugement

deacutefinitif raquo au meacutepris de lrsquoarticle 4 sect 1 du Protocole no 7 raquo

29 La Cour suprecircme jugea que en lrsquoespegravece lrsquoexistence drsquoun lien

mateacuteriel et temporel suffisant ne pouvait faire de doute Elle estima que les

deux affaires reposaient sur les mecircmes circonstances factuelles agrave savoir une

omission drsquoinformations dans la deacuteclaration fiscale qui avait causeacute une

erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct Elle conclut que la proceacutedure peacutenale et la

proceacutedure administrative avaient eacuteteacute conduites en parallegravele Elle releva que

apregraves que le premier requeacuterant eut deacuteposeacute en qualiteacute drsquoaccuseacute le

14 deacutecembre 2007 un avis de redressement avait suivi le 26 aoucirct 2008 puis

une inculpation le 14 octobre 2008 la deacutecision de redressement prise par le

fisc le 24 novembre 2008 et le jugement du tribunal de Follo le 2 mars

2009 Selon elle la proceacutedure administrative et la proceacutedure peacutenale eacutetaient

ainsi dans une large mesure imbriqueacutees

30 La Cour suprecircme estima que la finaliteacute de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 qui eacutetait drsquooffrir une protection contre le fardeau que

repreacutesente un nouveau procegraves eacutetait moins pertinente en lrsquoespegravece dans la

mesure ougrave le premier requeacuterant nrsquoavait aucune espeacuterance leacutegitime de nrsquoecirctre

lrsquoobjet que drsquoune seule proceacutedure Dans ces conditions selon elle

lrsquoeffectiviteacute de la reacutepression revecirctait un caractegravere preacutepondeacuterant

B Le second requeacuterant

31 Agrave lrsquoautomne 2007 agrave la suite du controcircle fiscal conduit en 2005

eacutevoqueacute au paragraphe 13 ci-dessus le fisc signala agrave Oslashkokrim que dans sa

deacuteclaration fiscale pour lrsquoanneacutee fiscale 2002 le second requeacuterant avait omis

de mentionner 4 561 881 NOK (soit environ 500 000 EUR) de revenus tireacutes

de la vente par lui de certaines actions

32 Le 16 octobre 2008 le bureau des impocircts avisa le second requeacuterant

qursquoil envisageait de le redresser fiscalement et de lui appliquer une

majoration drsquoimpocirct Il srsquoappuyait notamment sur le controcircle fiscal sur

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 9

lrsquoenquecircte peacutenale et sur la deacuteposition faite par lrsquointeacuteresseacute eacutevoqueacutes au

paragraphe 13 ci-dessus ainsi que sur des documents saisis par Oslashkokrim

lors de lrsquoenquecircte Le 5 deacutecembre 2008 il effectua le redressement preacutecisant

que le second requeacuterant devait 1 302 526 NOK (soit environ 143 400 EUR)

drsquoimpocircts au titre des revenus non deacuteclareacutes De plus se fondant sur les

articles 10-2 1) et 10-4 1) de la loi fiscale il deacutecida drsquoappliquer une

majoration drsquoimpocirct de 30 en tenant notamment compte des deacutepositions

faites par les premier et second requeacuterants agrave lrsquooccasion de leurs

interrogatoires conduits lors de lrsquoenquecircte peacutenale Le second requeacuterant

srsquoacquitta des impocircts dus et de la majoration drsquoimpocirct et ne contesta pas

ladite deacutecision qui devint deacutefinitive le 26 deacutecembre 2008

33 Parallegravelement le 11 novembre 2008 le parquet avait inculpeacute le

second requeacuterant drsquoune violation de lrsquoarticle 12-1 1) a) cf article 12-2 de la

loi fiscale au motif que pour les anneacutees fiscales 2001 etou 2002 celui-ci

avait omis dans sa deacuteclaration fiscale 4 651 881 NOK de revenus ce qui

repreacutesentait 1 302 526 NOK drsquoimpocircts agrave verser Il pria le tribunal (tingrett)

drsquoOslo de rendre un jugement sommaire fondeacute sur les aveux

(tilstaringelsesdom) de lrsquointeacuteresseacute De plus MM EK BL et GA plaidegraverent

coupable et acceptegraverent de passer en jugement sommaire sur la base de la

reconnaissance par eux de leur culpabiliteacute

34 Le 10 feacutevrier 2009 le second requeacuterant (agrave lrsquoinverse de MM EK

BL et GA) revint sur ses aveux agrave la suite de quoi le procureur deacutelivra le

29 mai 2009 un acte drsquoinculpation reacuteviseacute qui reprenait les mecircmes chefs

35 Le 30 septembre 2009 agrave lrsquoissue drsquoun procegraves contradictoire le

tribunal drsquoOslo deacuteclara le second requeacuterant coupable des chefs de fraude

fiscale aggraveacutee et le condamna agrave un an drsquoemprisonnement peine qui tenait

compte de ce qursquoune majoration drsquoimpocirct lui avait deacutejagrave eacuteteacute appliqueacutee

36 Le second requeacuterant contesta devant la cour drsquoappel la proceacutedure

conduite devant le tribunal drsquoOslo soutenant en particulier que en vertu du

principe non bis in idem consacreacute agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

lrsquoapplication dans son cas drsquoune majoration drsquoimpocirct faisait obstacle agrave sa

condamnation peacutenale Il demanda donc agrave la cour drsquoappel lrsquoannulation

(opphevet) du jugement dudit tribunal et le rejet (avvist) de lrsquoaction dirigeacutee

contre lui

37 Par un arrecirct rendu le 8 juillet 2010 qui reprenait pour lrsquoessentiel le

raisonnement suivi par elle dans son arrecirct concernant le premier requeacuterant

lequel raisonnement eacutetait similaire agrave celui de la Cour suprecircme reacutesumeacute plus

haut (paragraphes 20 agrave 30 ci-dessus) la cour drsquoappel deacutebouta le second

requeacuterant Elle jugea ainsi que la deacutecision du 5 deacutecembre 2008 par laquelle

le fisc avait ordonneacute au second requeacuterant de payer une majoration drsquoimpocirct

de 30 srsquoanalysait bien en une sanction peacutenale (straff) que cette deacutecision

eacutetait devenue laquo deacutefinitive raquo agrave la date drsquoexpiration du deacutelai de recours soit le

26 deacutecembre 2008 et que ladite deacutecision et la condamnation peacutenale

posteacuterieure portaient sur les mecircmes faits

10 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

38 Par ailleurs comme dans le cas du premier requeacuterant la cour drsquoappel

jugea que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 permettait dans une certaine mesure

la conduite de proceacutedures parallegraveles ndash lrsquoune administrative et lrsquoautre

peacutenale ndash pourvu que la seconde commence avant que la premiegravere ne se

conclue par une deacutecision deacutefinitive Elle estima que une fois satisfaite cette

exigence minimale il fallait appreacutecier lrsquoeacutetat drsquoavancement de la seconde

proceacutedure et surtout rechercher srsquoil existait ou non un lien mateacuteriel et

temporel suffisant entre la premiegravere deacutecision et la seconde

39 Quant agrave lrsquoexamen concret des circonstances propres agrave lrsquoaffaire du

second requeacuterant la cour drsquoappel constata que la proceacutedure peacutenale et la

proceacutedure fiscale avaient en reacutealiteacute eacuteteacute conduites en parallegravele et ce depuis la

plainte dont le fisc avait saisi la police agrave lrsquoautomne 2007 jusqursquoagrave la deacutecision

de majoration drsquoimpocirct prise en deacutecembre 2008 Elle jugea la situation

similaire agrave celle du premier requeacuterant Elle releva que le second requeacuterant

avait eacuteteacute inculpeacute et que le dossier avait eacuteteacute transmis au tribunal drsquoOslo

assorti drsquoune demande de jugement sommaire sur la base des aveux

auxquels lrsquointeacuteresseacute srsquoeacutetait livreacute le 11 novembre 2008 anteacuterieurement agrave la

deacutecision de majoration drsquoimpocirct Elle estima donc que agrave la date de cette

deacutecision la proceacutedure peacutenale avait deacutejagrave atteint un stade relativement avanceacute

Elle admit que la peacuteriode de neuf mois ndash courant de la date agrave laquelle la

deacutecision du fisc du 5 deacutecembre 2008 eacutetait devenue deacutefinitive au

30 septembre 2009 date de la condamnation du second requeacuterant par le

tribunal drsquoOslo ndash eacutetait un peu plus longue que la peacuteriode de deux mois et

demi eacutecouleacutee dans le cas du premier requeacuterant Elle consideacutera neacuteanmoins

que cet eacutecart pouvait srsquoexpliquer par la reacutetractation du second requeacuterant en

feacutevrier 2009 en conseacutequence de laquelle il avait fallu lrsquoinculper de nouveau

le 29 mai 2009 et le juger dans le cadre drsquoun procegraves ordinaire Elle en

conclut agrave lrsquoinstar du tribunal drsquoOslo qursquoil existait manifestement un lien

mateacuteriel et temporel suffisant entre la deacutecision de majoration drsquoimpocirct et la

condamnation peacutenale ulteacuterieure

40 Le 29 octobre 2010 le Comiteacute de seacutelection des recours de la Cour

suprecircme refusa au second requeacuterant lrsquoautorisation de former un pourvoi

aupregraves de celle-ci au motif que cela ne se justifiait ni par lrsquoimportance

geacuteneacuterale de lrsquoaffaire ni par aucune autre raison

II LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

41 Aux termes de lrsquoarticle 10-2 1) de la loi fiscale de 1980 qui figure

dans le chapitre 10 consacreacute aux majorations drsquoimpocirct (Tilleggsskatt) est

passible drsquoune majoration drsquoimpocirct tout contribuable qui aura fourni au fisc

des informations inexactes ou incomplegravetes ayant ou risquant drsquoavoir pour

conseacutequence une erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct Conformeacutement agrave

lrsquoarticle 10-4 1) les majorations drsquoimpocirct srsquoeacutelegravevent en principe agrave 30 des

impocircts qui ont eacuteteacute ou risquaient drsquoecirctre soustraits

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 11

42 Agrave lrsquoeacutepoque ougrave les requeacuterants ont commis leurs infractions les

articles 10-2 10-3 et 10-4 de cette loi disposaient

Article 10-2 (majorations drsquoimpocirct)

laquo 1 Si le fisc srsquoaperccediloit qursquoun contribuable lui a communiqueacute dans une deacuteclaration

de revenus une deacuteclaration drsquoactifs une eacutecriture ou toute autre deacuteclaration verbale ou

eacutecrite des informations inexactes ou incomplegravetes qui conduisent ou risquent de

conduire agrave une erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct il lui est infligeacute une majoration

drsquoimpocirct correspondant agrave un pourcentage des impocircts qui ont eacuteteacute ou risquaient drsquoecirctre

soustraits

Les cotisations agrave la seacutecuriteacute sociale sont assimilables agrave des impocircts agrave cet eacutegard

2 Si le contribuable nrsquoa pas produit la deacuteclaration de revenus ou la deacuteclaration

drsquoactifs requise la majoration drsquoimpocirct est calculeacutee agrave partir de lrsquoimpocirct fixeacute dans le

redressement

3 Un suppleacutement drsquoactifs ou de revenus justifiant lrsquoimposition drsquoune majoration

drsquoimpocirct est reacuteputeacute repreacutesenter la partie supeacuterieure des actifs ou revenus du

contribuable Si le contribuable doit srsquoacquitter drsquoune majoration drsquoimpocirct fixeacutee sur la

base de taux diffeacuterents pour la mecircme anneacutee les impocircts sur la base desquels cette

majoration est calculeacutee seront reacutepartis proportionnellement en fonction des actifs ou

des revenus auxquels les divers taux srsquoappliquent

4 Les obligations que le preacutesent article fait peser sur le contribuable srsquoappliquent

eacutegalement agrave sa succession et agrave ses ayants droit

5 Le contribuable pour lequel une majoration drsquoimpocirct est envisageacutee en est aviseacute au

preacutealable et un deacutelai lui est fixeacute de maniegravere agrave lui permettre de srsquoexprimer agrave ce sujet

6 Les majorations drsquoimpocirct peuvent ecirctre fixeacutees dans les deacutelais preacutevus agrave lrsquoarticle 9-6

de la preacutesente loi en mecircme temps que lrsquoeacutetablissement des impocircts sur la base desquels

elles doivent ecirctre calculeacutees ou ulteacuterieurement dans le cadre drsquoune deacutemarche

speacuteciale raquo

Article 10-3 (exemption de majoration drsquoimpocirct)

laquo Nulle majoration drsquoimpocirct ne peut ecirctre imposeacutee

a) lorsque les deacuteclarations fiscales du contribuable contiennent une erreur manifeste

de calcul ou de typographie

b) lorsque lrsquoinfraction commise par le contribuable peut ecirctre regardeacutee comme

excusable pour des raisons tenant agrave sa santeacute agrave son acircge agrave son inexpeacuterience ou pour

toute autre raison qui ne peut lui ecirctre reprocheacutee ou

c) lorsque son montant est infeacuterieur agrave 400 NOK au total raquo

Article 10-4 (taux de la majoration drsquoimpocirct)

laquo 1 Le taux de la majoration drsquoimpocirct est en principe de 30 Si les actes viseacutes agrave

lrsquoarticle 10-2 1) sont commis intentionnellement ou par neacutegligence grave le taux peut

aller jusqursquoagrave 60 Le taux est fixeacute agrave 15 si les informations inexactes ou

incomplegravetes concernent des eacuteleacutements deacuteclareacutes de leur cocircteacute par un employeur ou un

tiers conformeacutement au chapitre 6 ou si les circonstances peuvent ecirctre aiseacutement

veacuterifieacutees au moyen des informations dont le fisc dispose par ailleurs

12 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

2 Les majorations drsquoimpocirct sont fixeacutees agrave des taux eacutequivalant agrave la moitieacute de ceux

indiqueacutes dans les premiegravere et troisiegraveme phrases du paragraphe 1 du preacutesent article si

sont preacutesentes les circonstances preacutevues agrave lrsquoarticle 10-3 b) eacutetant entendu que cela ne

justifie pas drsquoeacuteliminer toute majoration

3 Les majorations drsquoimpocirct peuvent ecirctre calculeacutees avec un taux infeacuterieur agrave celui

indiqueacute au paragraphe 2 du preacutesent article voire eacutecarteacutees si le contribuable sa

succession ou ses ayants droit rectifient ou complegravetent volontairement les

informations preacuteceacutedemment communiqueacutees de sorte que le montant exact des impocircts

puisse ecirctre fixeacute Cette disposition ne srsquoapplique pas si le rectificatif peut passer pour la

conseacutequence de mesures de controcircle qui ont eacuteteacute ou seront adopteacutees ou drsquoinformations

que les autoriteacutes fiscales ont obtenues ou pouvaient obtenir de tiers raquo

43 Le chapitre 12 consacreacute aux sanctions peacutenales (straff) comporte les

dispositions suivantes pertinentes en lrsquoespegravece

Article 12-1 (fraude fiscale)

laquo 1 Doit ecirctre sanctionneacutee pour fraude fiscale toute personne qui intentionnellement

ou par neacutegligence grave

a) communique aux autoriteacutes fiscales des informations inexactes ou incomplegravetes

tout en sachant ou tout en eacutetant censeacutee savoir qursquoelle peut en tirer des avantages

fiscaux () raquo

Article 12-2 (fraude fiscale aggraveacutee)

laquo 1 La fraude fiscale aggraveacutee est punie drsquoune amende ou drsquoune peine

drsquoemprisonnement pouvant aller jusqursquoagrave six ans La compliciteacute est punissable des

mecircmes peines

2 Pour deacuteterminer si la fraude fiscale est aggraveacutee on accordera un poids

particulier au point de savoir si elle risque drsquoentraicircner la soustraction de montants tregraves

importants en impocircts si elle est exeacutecuteacutee drsquoune maniegravere qui en rend la deacutecouverte

particuliegraverement difficile si elle est le fruit drsquoun abus drsquoautoriteacute ou de confiance ou si

elle reacutesulte drsquoune compliciteacute dans lrsquoexercice de fonctions professionnelles

3 En application des critegraveres eacutenumeacutereacutes au paragraphe 2 ci-dessus plusieurs

infractions peuvent ecirctre prises en compte conjointement

4 Le preacutesent article est applicable mecircme en cas drsquoignorance des circonstances

aggravantes si celle-ci est le fruit drsquoune neacutegligence grave raquo

44 Selon la jurisprudence de la Cour suprecircme lrsquoimposition drsquoune

majoration drsquoimpocirct de 60 doit ecirctre qualifieacutee drsquolaquo accusation en matiegravere

peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 de la Convention (Rt 2000 p 996) Degraves lors

que des poursuites peacutenales ont eacuteteacute ensuite engageacutees pour le mecircme

comportement la juridiction de jugement doit prononcer leur abandon faute

de quoi il y aurait violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 (deux arrecircts en

formation pleacuteniegravere rendus le 3 mai 2002 et publieacutes au Rt 2002 p 557 et au

Rt 2002 p 497)

45 La Cour suprecircme a eacutegalement conclu que lrsquoapplication drsquoune

majoration drsquoimpocirct de 30 eacutetait constitutive drsquoune laquo accusation en matiegravere

peacutenale raquo aux fins de lrsquoarticle 6 de la Convention (troisiegraveme arrecirct rendu le

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 13

3 mai 2002 Rt 2002 p 509) Dans des arrecircts ulteacuterieurs publieacutes au Rt 2004

p 645 et au Rt 2006 p 1409 elle a dit qursquoune majoration drsquoimpocirct de 30

revecirctait eacutegalement un caractegravere peacutenal sur le terrain de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7

46 Il faut encore signaler que pour ce qui est de la nature des

majorations drsquoimpocirct ordinaires de 30 la Cour suprecircme srsquoest appuyeacutee sur

des travaux preacuteparatoires de la loi (Otprpnr 29 (1978-1979) pp 44-45)

Elle a jugeacute que le ministegravere attachait beaucoup drsquoimportance agrave des

consideacuterations de preacutevention geacuteneacuterale Un risque eacuteleveacute de sanction sous

forme de majoration drsquoimpocirct aurait eacuteteacute jugeacute plus dissuasif que des sanctions

(peacutenales) moins nombreuses et plus lourdes La majoration drsquoimpocirct serait

censeacutee ecirctre avant tout une reacuteaction agrave la communication au fisc par le

contribuable de deacuteclarations ou drsquoinformations inexactes ou incomplegravetes et

une compensation des ressources humaines et financiegraveres consideacuterables

consacreacutees par la collectiviteacute aux controcircles et enquecirctes Il aurait eacuteteacute estimeacute

que les coucircts ainsi entraicircneacutes devaient dans une certaine mesure ecirctre

supporteacutes par ceux qui fournissaient les informations inexactes ou

incomplegravetes (Rt 2002 p 520) Les buts poursuivis par le reacutegime des

majorations drsquoimpocirct ordinaires se caracteacuteriseraient avant tout par la

neacutecessiteacute de garantir le respect effectif par le contribuable de son devoir de

fournir des informations et par des consideacuterations de preacutevention geacuteneacuterale

(Rt 2006 p 1409) Le contribuable aurait le devoir de communiquer les

informations et eacuteleacutements neacutecessaires agrave lrsquoeacutetablissement de son assiette

fiscale Essentiel agrave lrsquoensemble du systegraveme fiscal national ce devoir serait

eacutetayeacute par un meacutecanisme de controcircles et de sanctions efficaces en cas de

manquement Le calcul de lrsquoimpocirct serait une opeacuteration massive faisant

intervenir des millions de citoyens La majoration drsquoimpocirct aurait pour

finaliteacute de renforcer les fondations du systegraveme fiscal national Il serait admis

qursquoun systegraveme fiscal en bon eacutetat de marche est indispensable au

fonctionnement de lrsquoEacutetat et donc de la socieacuteteacute (Rt 2002 p 525)

47 Par un arrecirct adopteacute par la formation pleacuteniegravere de la Cour suprecircme le

14 septembre 2006 agrave la suite de la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute rendue le

14 septembre 2004 par la Cour en lrsquoaffaire Rosenquist c Suegravede

(no 6061900) la haute juridiction a dit que lrsquoimposition drsquoune majoration

drsquoimpocirct de 30 et une proceacutedure peacutenale pour fraude fiscale ne

correspondaient pas agrave la mecircme infraction au sens de lrsquoarticle 4 du Protocole

no 7 (Rt 2006 p1409) Dans son arrecirct rendu en septembre 2010 concernant

le premier requeacuterant elle a opeacutereacute un revirement de cette jurisprudence

jugeant que la proceacutedure administrative et la proceacutedure peacutenale concernaient

la mecircme infraction pour les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

(paragraphe 20 ci-dessus)

48 Parallegravelement agrave la suite de lrsquoarrecirct rendu par la Cour le 10 feacutevrier

2009 dans lrsquoaffaire preacuteciteacutee Sergueiuml Zolotoukhine le procureur geacuteneacuteral

(Riksadvokaten) publia le 3 avril 2009 des instructions (RA-2009-187) avec

14 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

prise drsquoeffet immeacutediate Drsquoapregraves celles-ci lrsquoarrecirct de la Cour suprecircme de

2006 ne pouvait plus ecirctre suivi Le texte se lisait notamment comme suit

laquo 4 La mecircme infraction ndash la notion drsquoidentiteacute

Il est communeacutement admis que la notion drsquoidentiteacute drsquoinfractions (idem) contenue agrave

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 comporte deux aspects lrsquoun relatif aux circonstances

factuelles et lrsquoautre relatif au droit Selon cette interpreacutetation la seconde proceacutedure (en

pratique le procegraves peacutenal) ne porte sur la mecircme infraction que la proceacutedure anteacuterieure

(en pratique la majoration drsquoimpocirct) que si elles concernent toutes deux les mecircmes

faits ndash le laquo mecircme comportement raquo ndash et si la teneur des dispositions pertinentes est

dans une large mesure identique (crsquoest-agrave-dire si elles renferment les laquo mecircmes eacuteleacutements

essentiels raquo)

Dans son arrecirct rendu en formation pleacuteniegravere (Rt 2006 p 1409) la Cour suprecircme ndash se

reacutefeacuterant en particulier agrave la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute rendue par la Cour le 14 septembre

2004 en lrsquoaffaire Rosenquist (deacutec) no 6061900 ndash a jugeacute qursquoune deacutecision infligeant

une majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire ne faisait pas obstacle agrave lrsquoouverture

ulteacuterieure drsquoun procegraves peacutenal lrsquoune et lrsquoautre des proceacutedures ayant pour objet des

infractions diffeacuterentes au sens de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 La majoriteacute (14 voix) a

estimeacute que les dispositions reacutegissant la majoration drsquoimpocirct ordinaire eacutenonceacutees agrave

lrsquoarticle 10-2 cf article 10-4 1) premiegravere phrase de la loi fiscale ne renfermaient pas

les mecircmes eacuteleacutements essentiels que la disposition peacutenale eacutenonceacutee agrave lrsquoarticle 12-1 de

cette mecircme loi Pour la Cour suprecircme la diffeacuterence deacutecisive tenait agrave ce que si la

disposition peacutenale nrsquoeacutetait applicable que lorsqursquoil y a intention ou neacutegligence grave

les majorations drsquoimpocirct ordinaires lrsquoeacutetaient sur la base de critegraveres plus ou moins

objectifs La haute juridiction a eacutegalement eacutevoqueacute la diffeacuterence de finaliteacute de ces

sanctions

Dans son arrecirct de Grande Chambre Sergueiuml Zolotoukhine la Cour srsquoest livreacutee agrave une

analyse minutieuse de la notion drsquoidentiteacute drsquoinfractions (idem) tireacutee de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 agrave lrsquoissue de laquelle elle srsquoest eacutecarteacutee de lrsquointerpreacutetation qui avait cours

auparavant Depuis cet arrecirct il est clair que la question de savoir si lrsquoune et lrsquoautre des

proceacutedures concernaient la mecircme infraction doit ecirctre analyseacutee sur la base des seuls

faits (voir en particulier les paragraphes 82 et 84 de lrsquoarrecirct) Les deux proceacutedures

auront pour objet la mecircme infraction si elles ont pour origine laquo des faits identiques ou

des faits qui sont en substance les mecircmes raquo (sect 82) Il faut donc faire porter lrsquolaquo examen

sur ces faits qui constituent un ensemble de circonstances factuelles concregravetes

impliquant le mecircme contrevenant et indissociablement lieacutees entre elles dans le temps

et lrsquoespace raquo (sect 84)

De lrsquoavis du procureur geacuteneacuteral le jugement porteacute par la Cour suprecircme dans son arrecirct

publieacute au Rt 2006 p 1409 qui se fondait principalement sur des diffeacuterences dans les

critegraveres de culpabiliteacute ne tient plus depuis lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine Degraves lors que

lrsquoapplication de la majoration drsquoimpocirct et le procegraves peacutenal ulteacuterieur reposent sur la

mecircme action ou omission comme crsquoest normalement le cas il faut supposer que en

application de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 la majoration drsquoimpocirct ordinaire fait

eacutegalement obstacle agrave des poursuites peacutenales ulteacuterieures Le procureur geacuteneacuteral a deacuteduit

de ses entretiens avec la direction des impocircts que telle est la position de celle-ci

La nouvelle conception de la notion drsquoidentiteacute drsquoinfractions sur le terrain de

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 soulegravevera incontestablement de nouvelles questions sur

lrsquoampleur des diffeacuterences que devront avoir les circonstances factuelles pour qursquoil

puisse ecirctre conclu agrave lrsquoabsence drsquoidentiteacute Cependant il srsquoagit de questions qui devront

ecirctre trancheacutees en pratique au cas par cas Il faut noter que le raisonnement de lrsquoarrecirct

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 15

Sergueiuml Zolotoukhine montre que la Cour est moins disposeacutee que le droit interne

norveacutegien agrave consideacuterer une seacutequence drsquoeacuteveacutenements comme un tout pour ce qui est de

rechercher srsquoil y a infraction continueacutee ou non

5 Nouvelle proceacutedure

Comme on le sait les instructions anteacuterieures (voir en particulier la section 3 de la

lettre du 26 mars 2007 (RA-2007-120) adresseacutee par le procureur geacuteneacuteral aux bureaux

reacutegionaux des procureurs et aux directeurs de la police) reposaient sur la possibiliteacute

drsquoappliquer aux majorations drsquoimpocirct ordinaires le systegraveme agrave deux niveaux instaureacute par

la loi fiscale Depuis le revirement opeacutereacute dans la jurisprudence de la Cour il faut

appliquer un systegraveme laquo agrave un niveau raquo eacutegalement pour les majorations drsquoimpocirct

ordinaires

Ainsi qursquoil a deacutejagrave eacuteteacute dit le procureur geacuteneacuteral et la direction des impocircts nrsquoestiment

pas justifiable drsquoouvrir un nouveau procegraves en supposant que les tribunaux ne

concluront plus que lrsquoapplication drsquoune majoration drsquoimpocirct ordinaire constitue une

sanction peacutenale au sens de la Convention On pourrait peut-ecirctre deacutefendre cette thegravese

mais elle comporte trop drsquoincertitudes Il faut aussi tenir compte du nombre

relativement important drsquoaffaires en jeu

Quand bien mecircme la jurisprudence de la Cour en matiegravere de proceacutedures parallegraveles

nrsquoaurait pas changeacute nous estimons ndash comme auparavant ndash que si un grand nombre

drsquoactions en justice sont formeacutees ndash ce qui risque drsquoecirctre le cas ndash il sera trop compliqueacute

drsquointenter un procegraves sur la base de proceacutedures parallegraveles crsquoest-agrave-dire devant

lrsquoadministration et devant le juge Il faut signaler aussi que dans tel ou tel cas si les

circonstances le permettent des transactions peuvent ecirctre conclues en tenant compte

de lrsquoeacuteventualiteacute de proceacutedures parallegraveles

Agrave lrsquoissue des discussions le procureur geacuteneacuteral et la direction des impocircts

conviennent de la proceacutedure suivante () raquo

49 Les instructions fixent ensuite les modaliteacutes de la laquo nouvelle

proceacutedure raquo

a) Srsquoagissant des affaires nouvelles crsquoest-agrave-dire celles sur lesquelles le

fisc nrsquoa pas encore statueacute celui-ci doit examiner de maniegravere indeacutependante si

le fait punissable est drsquoune graviteacute telle qursquoil meacuterite drsquoecirctre signaleacute agrave la

police Si le fisc deacutecide drsquoen saisir la police aucune majoration drsquoimpocirct ne

peut ecirctre appliqueacutee Srsquoil faut appliquer une majoration drsquoimpocirct la police ne

peut ecirctre saisie

Srsquoagissant des affaires dont la police a eacuteteacute saisie il est souligneacute que

lrsquoimposition drsquoune amende (par le biais drsquoune notification de peine ou drsquoun

jugement au peacutenal) fait obstacle agrave lrsquoapplication ulteacuterieure drsquoune majoration

drsquoimpocirct Si le parquet estime qursquoil nrsquoy a pas lieu drsquoouvrir des poursuites

peacutenales lrsquoaffaire doit ecirctre renvoyeacutee au fisc pour que celui-ci en reprenne

lrsquoexamen et lrsquointeacuteresseacute doit en ecirctre aviseacute

Dans les affaires ougrave le fisc applique une majoration drsquoimpocirct ordinaire

tout en signalant lrsquoaffaire agrave la police mais ougrave lrsquoouverture de poursuites nrsquoest

pas encore deacutecideacutee (laquo en instance de deacutecision raquo) il faut renoncer agrave celles-ci

b) Dans les affaires ougrave une notification de peine a eacuteteacute deacutelivreacutee mais nrsquoa

pas eacuteteacute accepteacutee et ougrave le fisc a appliqueacute une majoration drsquoimpocirct avant de

signaler lrsquoaffaire agrave la police il faut clore la proceacutedure Les notifications de

16 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

peine qui ont eacuteteacute accepteacutees doivent ecirctre annuleacutees par les hautes instances du

parquet En revanche en vertu du pouvoir discreacutetionnaire confeacutereacute par

lrsquoarticle 392 1) du code de proceacutedure peacutenale reconnu par la Cour suprecircme

en formation pleacuteniegravere dans son arrecirct publieacute au Rt 2003 p 359 il nrsquoest pas

neacutecessaire drsquoannuler les notifications de peine accepteacutees avant le 10 feacutevrier

2009 date du prononceacute de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine

c) Srsquoagissant des affaires passant en jugement devant les tribunaux de

premiegravere instance ndash sur la base drsquoun acte drsquoinculpation drsquoune notification de

peine non accepteacutee ou drsquoune demande de jugement sur la base drsquoune

reconnaissance de culpabiliteacute dans le cadre drsquoune proceacutedure sommaire ndash le

parquet doit clore la proceacutedure et abandonner les poursuites si lrsquoaudience

nrsquoa pas encore eu lieu ou si celle-ci a eu lieu demander le rejet de lrsquoaffaire

Le parquet doit faire appel de toute condamnation non encore deacutefinitive et

exeacutecutoire en faveur de la personne viseacutee et quelle que soit lrsquoissue en

premiegravere instance demander lrsquoannulation du jugement de premiegravere instance

et le rejet de lrsquoaffaire par les tribunaux

d) Il nrsquoest pas question de rouvrir le procegraves lorsque le jugement est

devenu deacutefinitif et exeacutecutoire anteacuterieurement agrave la date du prononceacute de

lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine crsquoest-agrave-dire avant le 10 feacutevrier 2009 Pour ce

qui est des jugements posteacuterieurs agrave cette date la reacuteouverture pourrait ecirctre

envisageacutee dans des cas exceptionnels mais lrsquointeacuteresseacute doit ecirctre informeacute que

le parquet ne demandera pas drsquooffice la reacuteouverture

50 Pour ce qui est de lrsquoimposition de plusieurs sanctions peacutenales pour le

mecircme comportement lrsquoarticle 29 du code peacutenal (Straffeloven) de 2005

dispose que la peine globale en reacutesultant doit raisonnablement correspondre

agrave lrsquoinfraction commise Cette disposition reflegravete agrave lrsquoeacutevidence le principe

geacuteneacuteral de proportionnaliteacute applicable aussi agrave la fixation des sanctions

peacutenales en droit norveacutegien sous lrsquoempire de lrsquoancien code peacutenal de 1902

Dans un arrecirct publieacute au Rt 2009 p 14 qui concernait une proceacutedure peacutenale

pour fraude fiscale la Cour suprecircme a deacuteduit des principes eacutenonceacutes dans le

code peacutenal de 1902 qursquoil fallait tenir compte de toute sanction deacutejagrave infligeacutee

agrave lrsquoaccuseacute ndash en lrsquooccurrence une majoration drsquoimpocirct de nature

administrative ndash pour la fraude fiscale dont il eacutetait lrsquoauteur et en a conclu

qursquoil ne devait pas ecirctre traiteacute plus seacutevegraverement que si lrsquoinfraction peacutenale de

fraude fiscale avait eacuteteacute jugeacutee en mecircme temps que le comportement

sanctionneacute dans le cadre de la proceacutedure administrative Dans un arrecirct

publieacute au Rt 2011 p 1509 elle a confirmeacute ce qursquoelle avait dit dans une

deacutecision anteacuterieure publieacutee au Rt 2005 p 129 agrave savoir que le principe

(eacutenonceacute dans un arrecirct publieacute au Rt 2004 p 645) selon lequel un montant

correspondant agrave la majoration drsquoimpocirct administrative ordinaire de 30

pouvait ecirctre englobeacute dans lrsquoamende nrsquoeacutetait pas applicable aux affaires de

fraude fiscale agrave caractegravere peacutenal ougrave il y avait lieu de prononcer des peines

drsquoemprisonnement en plus des amendes Elle a eacutegalement confirmeacute que

comme elle lrsquoavait dit dans sa deacutecision de 2005 si une majoration drsquoimpocirct

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 17

administrative ne pouvait plus ecirctre imposeacutee lrsquoamende de nature peacutenale

devait ecirctre plus lourde

III LrsquoAFFAIRE HANS AringKEBERG FRANSSON (C-61710) DEVANT LA

COUR DE JUSTICE DE LrsquoUNION EUROPEacuteENNE

51 Dans ses conclusions preacutesenteacutees le 12 juin 2012 en lrsquoaffaire

susmentionneacutee porteacutee devant la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne (laquo la

CJUE raquo) lrsquoavocat geacuteneacuteral Cruz Villaloacuten a dit ceci

laquo 2 Analyse des deuxiegraveme troisiegraveme et quatriegraveme questions preacutejudicielles

70 La question poseacutee par le [tribunal de] Haparanda () est particuliegraverement

complexe et srsquoavegravere tout aussi deacutelicate que la question qui vient drsquoecirctre traiteacutee Drsquoun

cocircteacute la double sanction administrative et peacutenale est une pratique tregraves reacutepandue dans

les Eacutetats membres surtout dans des domaines tels que ceux de la fiscaliteacute des

politiques environnementales ou de la seacutecuriteacute publique Toutefois les modaliteacutes

relatives au cumul des sanctions varient eacutenormeacutement entre les ordres juridiques et

revecirctent des caracteacuteristiques speacutecifiques et propres agrave chaque Eacutetat membre Dans la

plupart des cas ces speacutecificiteacutes visent agrave atteacutenuer les effets drsquoune double reacuteaction

punitive de la part des pouvoirs publics Drsquoun autre cocircteacute comme nous le verrons par

la suite la Cour de Strasbourg srsquoest prononceacutee reacutecemment agrave ce sujet et a confirmeacute

que contrairement agrave ce qursquoil semblait au deacutebut ces pratiques eacutetaient contraires au

droit fondamental ne bis in idem figurant agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 de la CEDH

Cependant il srsquoavegravere que tous les Eacutetats membres nrsquoont pas ratifieacute cette disposition

puisqursquoils ont introduit dans certains cas des reacuteserves ou des deacuteclarations

interpreacutetatives agrave ce sujet Il srsquoensuit que lrsquoobligation drsquointerpreacuteter la charte agrave la lumiegravere

de la CEDH et de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg (article 52 paragraphe 3

de la charte) devient en quelque sorte asymeacutetrique en ce qursquoelle pose de gros

problegravemes dans son application au cas particulier

a) Lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 de la CEDH et la jurisprudence de la Cour de

Strasbourg y affeacuterente

i) Signature et ratification de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 de la CEDH

71 Le principe ne bis in idem ne fait pas expresseacutement partie de la CEDH depuis le

deacutebut Son incorporation agrave la convention a eu lieu comme on le sait par le biais de

son Protocole no 7 ouvert agrave la signature le 22 novembre 1984 et entreacute en vigueur le

1er novembre 1988 Entre autres droits lrsquoarticle 4 eacutenonce la garantie du ne bis in idem

dans le but selon les explications sur le protocole fournies par le Conseil de lrsquoEurope

de concreacutetiser le principe en vertu duquel nul ne peut ecirctre poursuivi ou puni

peacutenalement en raison drsquoune infraction pour laquelle il a deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute ou condamneacute

par un jugement deacutefinitif

72 Agrave la diffeacuterence drsquoautres droits contenus dans la CEDH le droit preacutevu agrave

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 de la CEDH nrsquoa pas eacuteteacute unanimement accepteacute par les

Eacutetats signataires de la convention dont diffeacuterents Eacutetats membres de lrsquoUnion Au jour

de la lecture des preacutesentes conclusions le Protocole no 7 nrsquoest pas encore ratifieacute par la

Reacutepublique feacutedeacuterale drsquoAllemagne le Royaume de Belgique le Royaume des

Pays-Bas et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et drsquoIrlande du Nord Parmi les

Eacutetats qui lrsquoont ratifieacutee la Reacutepublique franccedilaise a formuleacute une reacuteserve agrave lrsquoarticle 4

dudit protocole en limitant son application aux seules infractions de nature

peacutenale () De mecircme agrave lrsquooccasion de la signature la Reacutepublique feacutedeacuterale

18 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

drsquoAllemagne la Reacutepublique drsquoAutriche la Reacutepublique italienne et la Reacutepublique

portugaise ont formuleacute diffeacuterentes deacuteclarations contenant la mecircme indication la

porteacutee limiteacutee de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 dont la protection ne concerne que la

double sanction laquo peacutenale raquo au sens ougrave lrsquoentend lrsquoordre juridique interne ()

73 Les eacuteleacutements qui preacutecegravedent montrent clairement et sans eacutequivoque que les

problegravemes que pose la double sanction administrative et peacutenale sont marqueacutes par un

grave deacutefaut de consensus entre les Eacutetats membres de lrsquoUnion Le caractegravere

probleacutematique du contexte est patent agrave en juger par les neacutegociations sur la future

adheacutesion de lrsquoUnion agrave la CEDH au cours desquelles les Eacutetats et lrsquoUnion ont deacutecideacute

drsquoexclure pour le moment les protocoles de la CEDH y compris celui en cause dans

cette affaire ()

74 Ce deacutefaut de consensus peut srsquoexpliquer par lrsquoimportance que revecirctent les

instruments de reacutepression administrative dans bon nombre drsquoEacutetats membres ainsi que

par lrsquoaccent particulier qui est mis dans ces Eacutetats membres agrave la fois sur la proceacutedure

et sur la sanction peacutenales Drsquoun cocircteacute les Eacutetats ne veulent pas renoncer agrave lrsquoefficaciteacute

qui caracteacuterise la sanction administrative en particulier dans des domaines ougrave les

pouvoirs publics tiennent agrave srsquoassurer du strict respect de la leacutegaliteacute tels que le droit

fiscal ou le droit de la seacutecuriteacute publique Drsquoun autre cocircteacute le caractegravere exceptionnel de

lrsquointervention peacutenale ainsi que les garanties dont lrsquoaccuseacute beacuteneacuteficie pendant le procegraves

incitent les Eacutetats agrave se reacuteserver une marge drsquoappreacuteciation pour deacuteterminer les

comportements qui doivent faire lrsquoobjet de poursuites peacutenales Ce double inteacuterecirct agrave

conserver un pouvoir de sanction agrave la fois administrative et peacutenale explique pourquoi

un grand nombre drsquoEacutetats membres refusent actuellement drsquoune maniegravere ou drsquoune

autre de se soumettre agrave la jurisprudence de la Cour de Strasbourg laquelle comme

nous allons le voir maintenant a eacutevolueacute dans un sens qui exclut pratiquement cette

dualiteacute raquo

52 Dans son arrecirct du 26 feacutevrier 2013 la CJUE (grande chambre) a

notamment dit ceci

laquo Sur les questions preacutejudicielles

Sur les deuxiegraveme troisiegraveme et quatriegraveme questions

32 Par ces questions auxquelles il convient de reacutepondre de maniegravere conjointe le

[tribunal de] Haparanda () demande en substance agrave la Cour srsquoil convient

drsquointerpreacuteter le principe ne bis in idem eacutenonceacute agrave lrsquoarticle 50 de la Charte en ce sens

qursquoil srsquooppose agrave ce que des poursuites peacutenales pour fraude fiscale soient diligenteacutees

contre un preacutevenu degraves lors que ce dernier a deacutejagrave fait lrsquoobjet drsquoune sanction fiscale

pour les mecircmes faits de fausse deacuteclaration

33 Srsquoagissant de lrsquoapplication du principe ne bis in idem eacutenonceacute agrave lrsquoarticle 50 de la

Charte agrave des poursuites peacutenales pour fraude fiscale telles que celles qui sont lrsquoobjet du

litige au principal elle suppose que les mesures qui ont deacutejagrave eacuteteacute adopteacutees agrave lrsquoencontre

du preacutevenu au moyen drsquoune deacutecision devenue deacutefinitive revecirctent un caractegravere peacutenal

34 Agrave cet eacutegard il convient de relever tout drsquoabord que lrsquoarticle 50 de la Charte ne

srsquooppose pas agrave ce qursquoun Eacutetat membre impose pour les mecircmes faits de non-respect

drsquoobligations deacuteclaratives dans le domaine de la TVA une combinaison de sanctions

fiscales et peacutenales En effet afin de garantir la perception de lrsquointeacutegraliteacute des recettes

provenant de la TVA et ce faisant la protection des inteacuterecircts financiers de lrsquoUnion les

Eacutetats membres disposent drsquoune liberteacute de choix des sanctions applicables (voir en ce

sens arrecircts du 21 septembre 1989 CommissionGregravece 68frasl88 Rec p 2965 point 24

du 7 deacutecembre 2000 de Andrade C-213frasl99 Rec p I-11083 point 19 et du

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 19

16 octobre 2003 Hannl-Hofstetter C-91frasl02 Rec p I-12077 point 17) Celles-ci

peuvent donc prendre la forme de sanctions administratives de sanctions peacutenales ou

drsquoune combinaison des deux Ce nrsquoest que lorsque la sanction fiscale revecirct un

caractegravere peacutenal au sens de lrsquoarticle 50 de la Charte et est devenue deacutefinitive que

ladite disposition srsquooppose agrave ce que des poursuites peacutenales pour les mecircmes faits soient

diligenteacutees contre une mecircme personne

35 Ensuite il y a lieu de rappeler que aux fins de lrsquoappreacuteciation de la nature peacutenale

de sanctions fiscales trois critegraveres sont pertinents Le premier est la qualification

juridique de lrsquoinfraction en droit interne le deuxiegraveme la nature mecircme de lrsquoinfraction et

le troisiegraveme la nature ainsi que le degreacute de seacuteveacuteriteacute de la sanction que risque de subir

lrsquointeacuteresseacute (arrecirct du 5 juin 2012 Bonda C-489frasl10 point 37)

36 Il appartient agrave la juridiction de renvoi drsquoappreacutecier agrave la lumiegravere de ces critegraveres

srsquoil y a lieu de proceacuteder agrave un examen du cumul de sanctions fiscales et peacutenales preacutevu

par la leacutegislation nationale par rapport aux standards nationaux au sens du point 29 du

preacutesent arrecirct ce qui pourrait lrsquoamener le cas eacutecheacuteant agrave consideacuterer ce cumul comme

contraire auxdits standards agrave condition que les sanctions restantes soient effectives

proportionneacutees et dissuasives (voir en ce sens notamment arrecircts CommissionGregravece

preacuteciteacute point 24 du 10 juillet 1990 Hansen C-326frasl88 Rec p I-2911 point 17 du

30 septembre 2003 Inspire Art C-167frasl01 Rec p I-10155 point 62 du 15 janvier

2004 Penycoed C-230frasl01 Rec p I-937 point 36 ainsi que du 3 mai 2005

Berlusconi ea C-387frasl02 C-391frasl02 et C-403frasl02 Rec p I-3565 point 65)

37 Il deacutecoule des consideacuterations qui preacutecegravedent qursquoil convient de reacutepondre aux

deuxiegraveme troisiegraveme et quatriegraveme questions que le principe ne bis in idem eacutenonceacute agrave

lrsquoarticle 50 de la Charte ne srsquooppose pas agrave ce qursquoun Eacutetat membre impose pour les

mecircmes faits de non-respect drsquoobligations deacuteclaratives dans le domaine de la TVA

successivement une sanction fiscale et une sanction peacutenale dans la mesure ougrave la

premiegravere sanction ne revecirct pas un caractegravere peacutenal ce qursquoil appartient agrave la juridiction

nationale de veacuterifier raquo

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 4 DU

PROTOCOLE No 7 Agrave LA CONVENTION

53 Les requeacuterants soutiennent tous deux avoir eacuteteacute poursuivis et

sanctionneacutes deux fois pour la mecircme infraction relevant de lrsquoarticle 12-1

(chapitre 12) de la loi fiscale en violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 agrave

la Convention ils allegraveguent avoir eacuteteacute interrogeacutes en tant qursquoaccuseacutes et

inculpeacutes par le parquet frappeacutes de majorations drsquoimpocirct par le fisc payeacutees

par eux puis reconnus coupables et sanctionneacutes au peacutenal Lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 est ainsi libelleacute

laquo 1 Nul ne peut ecirctre poursuivi ou puni peacutenalement par les juridictions du mecircme

Eacutetat en raison drsquoune infraction pour laquelle il a deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute ou condamneacute par un

jugement deacutefinitif conformeacutement agrave la loi et agrave la proceacutedure peacutenale de cet Eacutetat

20 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

2 Les dispositions du paragraphe preacuteceacutedent nrsquoempecircchent pas la reacuteouverture du

procegraves conformeacutement agrave la loi et agrave la proceacutedure peacutenale de lrsquoEacutetat concerneacute si des faits

nouveaux ou nouvellement reacuteveacuteleacutes ou un vice fondamental dans la proceacutedure

preacuteceacutedente sont de nature agrave affecter le jugement intervenu

3 Aucune deacuterogation nrsquoest autoriseacutee au preacutesent article au titre de lrsquoarticle 15 de la

Convention raquo

54 Le Gouvernement reacutecuse cette thegravese

A Sur la recevabiliteacute

55 La Cour estime que les requecirctes soulegravevent des questions complexes

du point de vue des faits et du droit de la Convention de sorte qursquoelle ne

saurait les rejeter pour deacutefaut manifeste de fondement au sens de lrsquoarticle 35

sect 3 a) de la Convention Constatant par ailleurs qursquoelles ne se heurtent agrave

aucun autre motif drsquoirrecevabiliteacute elle les deacuteclare recevables

B Sur le fond

1 Les requeacuterants

56 Les requeacuterants soutiennent que au meacutepris de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 ils ont fait lrsquoobjet drsquoune double incrimination pour le mecircme

motif agrave savoir une infraction relevant de lrsquoarticle 12-1 1) de la loi fiscale Ils

disent en effet avoir eacuteteacute drsquoabord interrogeacutes comme accuseacutes et inculpeacutes par le

parquet et frappeacutes de majorations drsquoimpocirct par le fisc accepteacutees et payeacutees

par chacun drsquoeux puis condamneacutes peacutenalement Se reacutefeacuterant agrave la chronologie

des proceacutedures deacutenonceacutees le premier requeacuterant ajoute qursquoil a fait lrsquoobjet de

doubles poursuites pendant un laps de temps important ce qui aurait fait

peser sur lui un fardeau excessivement lourd tant physiquement que

psychologiquement en conseacutequence de quoi il aurait eacuteteacute victime drsquoun

infarctus et aurait ducirc ecirctre hospitaliseacute

a) Les premiegraveres proceacutedures revecirctaient-elles un caractegravere peacutenal

57 Partageant lrsquoanalyse de la Cour suprecircme fondeacutee sur les critegraveres Engel

et sur drsquoautres eacuteleacutements pertinents de jurisprudence interne concernant la

majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire de 30 les requeacuterants jugent

manifeste que non seulement la proceacutedure pour fraude fiscale mais aussi la

proceacutedure de majoration drsquoimpocirct eacutetaient de nature laquo peacutenale raquo et que ces

deux proceacutedures doivent donc ecirctre qualifieacutees de laquo peacutenales raquo pour les besoins

de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

b) Les infractions eacutetaient-elles les mecircmes (idem)

58 Les requeacuterants souscrivent eacutegalement agrave lrsquoavis de la Cour suprecircme

lorsqursquoelle a dit qursquoil ne faisait aucun doute que les circonstances factuelles

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 21

agrave lrsquoorigine des majorations drsquoimpocirct et des poursuites peacutenales avaient

suffisamment de points communs pour ecirctre consideacutereacutees comme

constitutives de la mecircme infraction Ils estiment en effet que dans un cas

comme dans lrsquoautre la base factuelle eacutetait lrsquoomission de revenus dans leur

deacuteclaration fiscale

c) Les proceacutedures fiscales ont-elles fait lrsquoobjet de deacutecisions deacutefinitives et dans

lrsquoaffirmative agrave quel moment

59 Les requeacuterants soutiennent que les deacutecisions par lesquelles le fisc

leur a appliqueacute des majorations drsquoimpocirct eacutetaient devenues deacutefinitives et

passeacutees en force de chose jugeacutee le 15 deacutecembre 2008 srsquoagissant du premier

requeacuterant et le 26 deacutecembre 2008 srsquoagissant du second requeacuterant soit

anteacuterieurement agrave leur condamnation pour les mecircmes comportements

intervenue le 2 mars 2009 pour le premier requeacuterant et le 30 septembre 2009

pour le second requeacuterant Qursquoil faille regarder ou non ces sanctions comme

issues de proceacutedures dites parallegraveles les deacutecisions de majoration drsquoimpocirct

prises contre eux seraient devenues deacutefinitives et exeacutecutoires avant qursquoils ne

fussent reconnus coupables agrave raison drsquoun comportement strictement

identique respectivement par le tribunal de Follo et par le tribunal drsquoOslo

Les sanctionner peacutenalement aurait donc emporteacute violation du principe non

bis in idem consacreacute agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

d) Y a-t-il eu reacutepeacutetition des poursuites (bis)

60 Les requeacuterants se disent victimes drsquoune reacutepeacutetition des poursuites

proscrite par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Les proceacutedures administratives de

majoration drsquoimpocirct revecirctant effectivement selon eux un caractegravere peacutenal le

parquet aurait eacuteteacute tenu par cette disposition de mettre fin aux poursuites

peacutenales degraves que lrsquoissue de ces proceacutedures administratives eacutetait devenue

deacutefinitive Or il ne lrsquoaurait pas fait

61 Pour les requeacuterants si le droit norveacutegien autorise la conduite de

proceacutedures parallegraveles le recours agrave ce proceacutedeacute par les autoriteacutes internes a

permis agrave ces derniegraveres de coordonner leurs deacutemarches de maniegravere agrave

contourner lrsquointerdiction poseacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 et agrave rendre

ainsi illusoire la protection offerte par cette disposition Dans le cas du

premier requeacuterant en particulier lrsquoouverture de proceacutedures parallegraveles

semblerait avoir eacuteteacute une manœuvre organiseacutee de concert par le parquet et le

fisc

62 Les requeacuterants affirment que en lrsquoespegravece le parquet a simplement

attendu que le fisc deacutecide drsquoappliquer des majorations drsquoimpocirct pour

renvoyer les affaires en jugement Les proceacutedures peacutenale et administrative

auraient ainsi eacuteteacute coordonneacutees de faccedilon agrave les pieacuteger au moyen de deux corps

diffeacuterents de regravegles peacutenales et ainsi agrave leur faire payer des impocircts

suppleacutementaires et des majorations drsquoimpocirct et agrave les faire condamner pour le

mecircme comportement autrement dit agrave les soumettre agrave une double

22 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

incrimination Du point de vue de la seacutecuriteacute juridique la possibiliteacute de

conduire des proceacutedures parallegraveles poserait problegraveme Lrsquoimportante finaliteacute

de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 agrave savoir empecirccher que le justiciable soit

contraint de supporter un fardeau excessif militerait en faveur drsquoune

limitation de la faculteacute pour les autoriteacutes de mener des proceacutedures parallegraveles

63 Les requeacuterants considegraverent que sous lrsquoangle des garanties

proceacutedurales cette faculteacute pour le fisc et le parquet drsquoorganiser de concert la

conduite de proceacutedures parallegraveles est contraire agrave lrsquointerdiction de la double

incrimination poseacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 et agrave la jurisprudence

reacutecente de la Cour ainsi qursquoagrave certains jugements nationaux Ils estiment degraves

lors que ce proceacutedeacute qui a permis en lrsquoespegravece agrave des autoriteacutes diffeacuterentes de

mettre sur pied des proceacutedures parallegraveles semble assez contestable et ne

tient pas ducircment compte des pressions ainsi exerceacutees sur le justiciable pas

plus que des principaux inteacuterecircts proteacutegeacutes par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

64 Au cours du cauchemar qursquoils disent avoir veacutecu en lrsquoespegravece les

requeacuterants auraient eacuteteacute rassureacutes lorsque le premier drsquoentre eux aurait appris

par lrsquoagent des impocircts qursquoil pouvait deacutesormais laquo pousser un soupir de

soulagement raquo en raison de lrsquoadoption de nouvelles instructions eacutecrites par

le service du procureur geacuteneacuteral le 3 avril 2009 lesquelles auraient interdit la

reacutepeacutetition des poursuites et les doubles incriminations dans les cas comme le

sien Srsquoappuyant sur lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine ces nouvelles instructions

auraient notamment disposeacute que en appel ndash qursquoil y ait eu condamnation ou

acquittement en premiegravere instance ndash le parquet devait requeacuterir lrsquoannulation

du jugement et la clocircture de la proceacutedure Les requeacuterants preacutecisent que en

conseacutequence de ces nouvelles instructions et de la qualification de sanction

peacutenale donneacutee aux majorations drsquoimpocirct et puisque les deacutecisions appliquant

celles-ci eacutetaient devenues deacutefinitives et passeacutees en force de chose jugeacutee agrave

leur eacutegard il eacutetait raisonnable qursquoils srsquoattendent agrave lrsquoabandon des poursuites

peacutenales dirigeacutees contre eux par lrsquoeffet de lrsquointerdiction de la double

incrimination poseacutee par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 De plus en vertu de

ces instructions drsquoautres personnes accuseacutees des mecircmes infractions dans le

mecircme groupe drsquoaffaires ne se seraient pas vu appliquer de majorations

drsquoimpocirct parce qursquoelles avaient deacutejagrave eacuteteacute reconnues coupables et condamneacutees

agrave une peine drsquoemprisonnement pour violation de lrsquoarticle 12-2 de la loi

fiscale Or agrave lrsquoinverse de ces autres personnes les requeacuterants auraient eacuteteacute

reconnus coupables et frappeacutes de peines drsquoemprisonnement alors qursquoils

avaient ducirc verser un suppleacutement drsquoimpocirct et une majoration drsquoimpocirct agrave raison

du mecircme comportement La thegravese du Gouvernement soulignant la neacutecessiteacute

drsquoassurer une eacutegaliteacute de traitement avec les autres personnes inculpeacutees de la

mecircme infraction de fraude fiscale ne serait donc pas convaincante

65 Les requeacuterants se disent drsquoautant plus gravement affecteacutes sur le plan

psychologique que malgreacute les instructions susmentionneacutees le parquet a

poursuivi leur procegraves en invoquant la leacutegaliteacute des proceacutedures parallegraveles et a

rejeteacute leurs demandes tendant agrave lrsquoannulation de leur condamnation en

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 23

premiegravere instance et au rejet par les tribunaux des proceacutedures peacutenales Agrave cet

effet le premier requeacuterant produit divers certificats meacutedicaux dont un

deacutelivreacute par une clinique pour une intervention de chirurgie cardiaque

2 Le Gouvernement

a) Les premiegraveres proceacutedures revecirctaient-elles un caractegravere peacutenal

66 Le Gouvernement invite la Grande Chambre agrave confirmer lrsquoapproche

suivie dans une seacuterie drsquoaffaires anteacuterieures agrave lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine

selon laquelle le caractegravere laquo peacutenal raquo drsquoune sanction pour les besoins de

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 srsquoappreacutecie sur la base drsquoun groupe plus large de

facteurs que les critegraveres Engel (formuleacutes sur le terrain de lrsquoarticle 6) Selon

lui il faut tenir compte de la qualification juridique de lrsquoinfraction en droit

interne de la nature de celle-ci de la qualification de la sanction en droit

interne et de son but de sa nature et de son degreacute de seacuteveacuteriteacute ainsi que de

la question de savoir si elle a eacuteteacute imposeacutee agrave la suite drsquoune condamnation

pour une infraction peacutenale et des proceacutedures associeacutees agrave son adoption et agrave

son exeacutecution (le Gouvernement cite les affaires Malige c France

23 septembre 1998 sect 35 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1998-VII et

Nilsson c Suegravede (deacutec) no 7366101 CEDH 2005-XIII Haarvig c Norvegravege

(deacutec) no 1118705 11 deacutecembre 2007 Storbraringten c Norvegravege (deacutec)

no 1227704 1er feacutevrier 2007 et Mjelde c Norvegravege (deacutec) no 1114304

1er feacutevrier 2007)

67 Le Gouvernement soutient entre autres que les diffeacuterences dans le

libelleacute et lrsquoobjet de ces dispositions montrent clairement que le mot

laquo peacutenalement raquo employeacute agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 srsquoentend en un sens

plus eacutetroit que lrsquoexpression laquo en matiegravere peacutenale raquo figurant agrave lrsquoarticle 6 Il

ressortirait du rapport explicatif du Protocole no 7 que le libelleacute de lrsquoarticle 4

a eacuteteacute conccedilu pour viser les proceacutedures peacutenales stricto sensu Ce rapport

indiquerait en son paragraphe 28 qursquoil nrsquoeacutetait pas apparu neacutecessaire de

qualifier lrsquoinfraction de laquo peacutenale raquo car le libelleacute de lrsquoarticle 4 laquo qui contient

deacutejagrave les termes laquo peacutenalement raquo et laquo proceacutedure peacutenale raquo rendait cette

preacutecision inutile dans le texte mecircme de lrsquoarticle raquo Il soulignerait en son

paragraphe 32 que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 nrsquointerdit pas les proceacutedures

laquo drsquoun caractegravere diffeacuterent (par exemple une proceacutedure disciplinaire dans le

cas drsquoun fonctionnaire) raquo De plus lrsquoarticle 6 et lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

poursuivraient des fins diffeacuterentes voire parfois opposeacutees le premier ayant

pour but de renforcer les garanties proceacutedurales en matiegravere peacutenale

68 Le Gouvernement met eacutegalement en avant un certain nombre de

diffeacuterences suppleacutementaires dans la maniegravere dont ces deux dispositions ont

eacuteteacute interpreacuteteacutees et appliqueacutees dans la jurisprudence de la Cour notamment

le caractegravere absolu de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 (non susceptible de

deacuterogation au titre de lrsquoarticle 15) par opposition agrave lrsquoapproche nuanceacutee

suivie par la Cour sur le terrain de lrsquoarticle 6 Il cite lrsquoarrecirct Jussila

24 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

c Finlande ([GC] no 7305301 sect 43 CEDH 2006-XIV) ougrave la Grande

Chambre de la Cour a dit laquo il va de soi que () les laquo accusations en

matiegravere peacutenale raquo nrsquoont pas toutes le mecircme poids raquo et que laquo [l]es majorations

drsquoimpocirct ne faisant pas partie du noyau dur du droit peacutenal les garanties

offertes par le volet peacutenal de lrsquoarticle 6 ne doivent pas neacutecessairement

srsquoappliquer dans toute leur rigueur raquo

69 Se fondant sur le groupe plus large de critegraveres susmentionneacute le

Gouvernement prie la Cour de dire que les majorations drsquoimpocirct au taux

ordinaire ne revecirctent pas un caractegravere laquo peacutenal raquo aux fins de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7

70 Le Gouvernement avance toutefois les arguments exposeacutes ci-dessous

pour le cas ougrave la Grande Chambre viendrait agrave adopter lrsquoautre approche

baseacutee sur les seuls critegraveres Engel et agrave conclure que la deacutecision de

majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire eacutetait laquo peacutenale raquo au sens autonome

donneacute agrave ce terme sur le terrain de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

b) Les infractions eacutetaient-elles les mecircmes (idem)

71 Partageant le raisonnement et les conclusions adopteacutes par la Cour

suprecircme dans le procegraves du premier requeacuterant (paragraphes 20 agrave 30

ci-dessus) et repris par la cour drsquoappel dans le procegraves du second requeacuterant

(paragraphe 37 ci-dessus) le Gouvernement admet que les circonstances

factuelles agrave lrsquoorigine des proceacutedures de majoration drsquoimpocirct et des procegraves

pour fraude fiscale visaient les mecircmes contrevenants et eacutetaient

indissociablement lieacutees entre elles dans le temps et dans lrsquoespace

c) Les proceacutedures fiscales ont-elles fait lrsquoobjet de deacutecisions deacutefinitives

72 Le Gouvernement rappelle que dans un souci de protection effective

et de clarteacute de la jurisprudence la Cour suprecircme a conclu que la deacutecision de

redressement eacutetait devenue deacutefinitive agrave lrsquoexpiration du deacutelai de recours

administratif de trois semaines (soit le 15 deacutecembre 2008 pour le premier

requeacuterant et le 26 deacutecembre 2008 pour le second) alors mecircme que le deacutelai

de recours en justice de six mois preacutevu agrave lrsquoarticle 11-1 4) du chapitre 11 de

la loi fiscale nrsquoavait pas encore expireacute Srsquoil estime que ce point nrsquoest guegravere

deacuteterminant en lrsquoespegravece (le deacutelai de recours en justice ayant lui aussi pris fin

anteacuterieurement agrave la date de clocircture de la proceacutedure peacutenale alors pendante agrave

savoir le 24 mai 2009 pour le premier requeacuterant et le 5 juin 2009 pour le

second) il ne srsquointerroge pas moins sur la neacutecessiteacute drsquoune interpreacutetation

aussi stricte de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Srsquoappuyant sur lrsquoarrecirct Sergueiuml

Zolotoukhine (preacuteciteacute sect 108) il soutient que la jurisprudence de la Cour

semble confirmer que laquo [l]es deacutecisions susceptibles drsquoun recours ordinaire

ne beacuteneacuteficient pas de la garantie que renferme lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

tant que le deacutelai drsquoappel nrsquoest pas expireacute raquo Agrave son avis les requeacuterants

avaient toujours la faculteacute de former des recours ordinaires sous la forme

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 25

drsquoun recours judiciaire dans les six mois agrave compter de la date des deacutecisions

en cause

d) Y a-t-il eu reacutepeacutetition des poursuites (bis)

73 En revanche srsquoappuyant lagrave encore sur lrsquoanalyse de la Cour suprecircme

le Gouvernement souligne que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 permet dans

certaines conditions ce qursquoil est convenu drsquoappeler des laquo proceacutedures

parallegraveles raquo Le libelleacute de cette disposition indiquerait clairement qursquoelle

interdit la reacutepeacutetition des poursuites une fois passeacutee en force de chose jugeacutee

la deacutecision rendue agrave lrsquoissue de la premiegravere proceacutedure (laquo poursuivi ou puni

peacutenalement () en raison drsquoune infraction pour laquelle il a deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute

ou condamneacute par un jugement deacutefinitif raquo) Le rapport explicatif du

Protocole no 7 confirmerait que le principe non bis in idem est

drsquointerpreacutetation relativement eacutetroite Crsquoest ce qui ressortirait de lrsquoarrecirct

Sergueiuml Zolotoukhine (preacuteciteacute sect 83) dans lequel la Grande Chambre a

deacutefini plus preacuteciseacutement la porteacutee de la disposition en cause en la limitant agrave

la situation suivante

laquo La garantie consacreacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 entre en jeu lorsque de

nouvelles poursuites sont engageacutees et que la deacutecision anteacuterieure drsquoacquittement ou de

condamnation est deacutejagrave passeacutee en force de chose jugeacutee raquo

74 Le Gouvernement en deacuteduit a contrario que les proceacutedures

parallegraveles ndash crsquoest-agrave-dire des sanctions diffeacuterentes imposeacutees par deux

autoriteacutes diffeacuterentes dans des proceacutedures diffeacuterentes eacutetroitement lieacutees sur les

plans mateacuteriel et temporel ndash sortent du champ drsquoapplication de cette

disposition Le lancement drsquoune proceacutedure parallegravele ne srsquoanalyserait pas en

lrsquoouverture de nouvelles poursuites degraves lors que lrsquoacquittement ou la

condamnation anteacuterieurs seraient deacutejagrave passeacutes en force de chose jugeacutee Les

deacutecisions preacuteciteacutees RT c Suisse et Nilsson c Suegravede preacuteciseraient les

conditions dans lesquelles des proceacutedures peuvent passer pour parallegraveles et

donc ecirctre permises au regard de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

75 Or selon le Gouvernement la Cour srsquoest eacutecarteacutee de lrsquoapproche

suivie dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine dans un certain nombre drsquoarrecircts

plus reacutecents dont quatre concernant la Finlande rendus le 20 mai 2014 (en

particulier Nykaumlnen c Finlande no 1182811 sect 48 et Glantz c Finlande

no 3739411 sect 57) dans lesquels le paragraphe 83 de lrsquoarrecirct Sergueiuml

Zolotoukhine nrsquoaurait servi que de point de deacutepart et qui auraient dit que

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 laquo interdisait clairement les proceacutedures

conseacutecutives si la premiegravere avait deacutejagrave deacuteboucheacute sur une deacutecision deacutefinitive agrave

la date de lrsquoouverture de la seconde (voir par exemple Sergueiuml

Zolotoukhine preacuteciteacute) raquo

76 Pour le Gouvernement cette interpreacutetation extensive de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 livreacutee notamment dans lrsquoarrecirct Nykaumlnen et qui semble

incompatible avec lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine apparaicirct preacutesupposer que

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 impose lrsquoextinction de toute proceacutedure peacutenale si

26 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

une autre proceacutedure de nature administrative et conduite en parallegravele srsquoest

soldeacutee par une deacutecision deacutefinitive ou vice versa Elle reposerait sur une

deacutecision sur la recevabiliteacute (Zigarella c Italie (deacutec) no 4815499

CEDH 2002-IX (extraits)) et sur deux arrecircts de chambre (Tomasović

c Croatie no 5378509 18 octobre 2011 et Muslija c Bosnie-Herzeacutegovine

no 3204211 14 janvier 2014) Or aucune de ces affaires ne permettrait de

fonder solidement un tel revirement

La premiegravere affaire Zigarella aurait concerneacute des proceacutedures non pas

parallegraveles mais conseacutecutives contrairement agrave ce qursquoaurait supposeacute la

chambre La clocircture de la proceacutedure peacutenale ulteacuterieure ouverte alors que les

autoriteacutes ignoraient lrsquoexistence drsquoune proceacutedure (peacutenale elle aussi) objet

drsquoune deacutecision deacutefinitive aurait eacuteteacute prononceacutee une fois le juge aviseacute de

lrsquoacquittement deacutefinitif dans le premier procegraves La Cour nrsquoaurait alors fait

qursquoappliquer le volet mateacuteriel neacutegatif du principe non bis in idem qui relegraveve

de la regravegle de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee puisqursquoil srsquoagissait de deux

proceacutedures peacutenales ordinaires conseacutecutives concernant la mecircme infraction

Les deux autres affaires Tomasović et Muslija auraient eu pour objet des

proceacutedures se rapportant agrave des infractions relevant du laquo noyau dur raquo du droit

peacutenal agrave savoir respectivement possession de drogues dures et violences

domestiques (le Gouvernement invoque lrsquoarrecirct Jussila preacuteciteacute sect 43) Il y

aurait clairement eu dans ces affaires deux proceacutedures peacutenales visant un

mecircme acte Chacune des deux proceacutedures aurait eacuteteacute ouverte sur la base du

mecircme rapport de police De telles situations ne se produiraient a priori pas

en droit peacutenal norveacutegien et elles seraient en tout eacutetat de cause bien eacuteloigneacutees

du systegraveme traditionnel bien ancreacute dans ce pays de mixiteacute des poursuites

administratives et peacutenales pour les majorations drsquoimpocirct et fraudes fiscales

du type ici en cause

77 Exiger la clocircture de toute proceacutedure parallegravele en cours agrave la date ougrave

lrsquoautre proceacutedure relative aux mecircmes faits a donneacute lieu agrave une deacutecision

deacutefinitive srsquoanalyserait en une exception proceacutedurale de litispendance de

facto Il nrsquoaurait en effet guegravere de sens drsquoouvrir une proceacutedure parallegravele srsquoil

faut clore lrsquoune au seul motif que lrsquoautre a fait lrsquoobjet drsquoune deacutecision

deacutefinitive avant la premiegravere

78 Dans ce contexte drsquoincoheacuterences reacutepeacuteteacutees de la jurisprudence

relative agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 le Gouvernement estime qursquoil est

particuliegraverement important que la Grande Chambre reacuteaffirme lrsquoapproche

suivie par elle dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine qui considegravere cette

disposition comme un aspect du principe de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee et

rejette lrsquoapproche divergente retenue dans lrsquoarrecirct Nykaumlnen

79 Le Gouvernement ne voit pas quelles consideacuterations drsquoopportuniteacute

sous-tendent lrsquoarrecirct Nykaumlnen Le principe non bis in idem repose sur lrsquoideacutee

drsquooffrir une protection contre le risque drsquoecirctre exposeacute agrave des poursuites

reacutepeacutetitives (il mentionne lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sect 107) Le

justiciable devrait avoir la certitude que une fois son acquittement ou sa

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 27

condamnation passeacutes en force de chose jugeacutee il sera proteacutegeacute contre

lrsquoouverture de toute nouvelle proceacutedure fondeacutee sur les mecircmes faits Cela ne

vaudrait pas si la personne est passible de proceacutedures peacutenales et

administratives preacutevisibles conduites parallegravelement comme preacutevu par la loi

et encore moins si la premiegravere sanction (la majoration drsquoimpocirct) a eacuteteacute prise

en compte de maniegravere preacutevisible dans la deacutecision imposant la seconde

sanction (lrsquoemprisonnement)

80 Par ailleurs le Gouvernement nrsquoestime guegravere conciliables lrsquoideacutee que

des proceacutedures parallegraveles ne posent pas le moindre problegraveme sous lrsquoangle du

Protocole no 7 quand elles sont en cours et lrsquoideacutee que degraves que lrsquoune a

atteint sa conclusion deacutefinitive lrsquoexistence de lrsquoautre emporte violation et

ce que ce soit la proceacutedure administrative passible de sanctions plus

douces ou la proceacutedure peacutenale passible de sanctions plus seacutevegraveres qui ait

pris fin la premiegravere et quelle que soit celle entameacutee en premier

81 Le Gouvernement ajoute que lrsquoarrecirct Nykaumlnen meacuteconnaicirct eacutegalement

les principes fondamentaux de la preacutevisibiliteacute et de lrsquoeacutegaliteacute de traitement Il

expose que si crsquoest la proceacutedure peacutenale qui fait lrsquoobjet drsquoune deacutecision

passeacutee en force de chose jugeacutee avant la fin de la proceacutedure administrative

une personne peut se retrouver incarceacutereacutee tandis que dans lrsquohypothegravese

inverse un individu ayant commis la mecircme infraction aurait simplement agrave

payer une amende administrative modeacutereacutee Le point de savoir quelle

proceacutedure prend fin la premiegravere deacutependrait de la maniegravere dont le fisc la

police le parquet ou les tribunaux progressent et de lrsquoouverture ou non par

le contribuable drsquoun recours administratif etou drsquoun recours judiciaire

Lrsquoarrecirct Nykaumlnen commanderait donc agrave lrsquoEacutetat de traiter ineacutegalement des

personnes dans la mecircme situation en fonction de simples coiumlncidences

Comme cet arrecirct le reconnaicirctrait laquo savoir laquelle des proceacutedures parallegraveles

se clocirct la premiegravere par une deacutecision deacutefinitive relegraveve parfois de la

coiumlncidence ce qui pourrait poser problegraveme au regard de lrsquoeacutegaliteacute de

traitement raquo

82 Le Gouvernement dit que lrsquoimpeacuteratif drsquoefficaciteacute dans le traitement

des affaires milite souvent en faveur de la conduite de proceacutedures parallegraveles

Drsquoune part gracircce agrave leurs connaissances speacutecialiseacutees et agrave leurs moyens les

autoriteacutes administratives seraient souvent agrave mecircme drsquoimposer des sanctions

plus rapidement que le parquet et les tribunaux dans le cadre drsquoune

proceacutedure peacutenale Vu que leur action englobe lrsquoensemble des administreacutes

elles seraient en outre mieux placeacutees pour veiller agrave lrsquoeacutegaliteacute dans la sanction

des infractions La preacutevention des infractions graves en revanche

imposerait de ne pas interdire agrave lrsquoEacutetat drsquoen poursuivre et punir les auteurs

dans le cadre traditionnel et formel drsquoun procegraves peacutenal degraves lors que les

proceacutedures administratives et peacutenales mettent au jour des infractions plus

graves et plus complexes que celles qui ont motiveacute agrave lrsquoorigine la proceacutedure

et la sanction administratives Les cas des requeacuterants en seraient

drsquoexcellents exemples

28 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

83 Le Gouvernement constate que plusieurs Eacutetats europeacuteens sont doteacutes

drsquoun systegraveme mixte de sanctions dans des domaines tels que le droit fiscal et

la sucircreteacute publique Sur ce point il se reacutefegravere aux conclusions du 12 juin 2012

produites par lrsquoavocat geacuteneacuteral pregraves la CJUE dans lrsquoaffaire preacuteciteacutee Fransson

(paragraphe 51 ci-dessus)

84 Le Gouvernement dit que en Norvegravege la question de la poursuite de

proceacutedures parallegraveles ne se limite pas agrave la fiscaliteacute Il soutient qursquoune

interpreacutetation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 qui interdirait agrave une proceacutedure

parallegravele en cours drsquoaller jusqursquoagrave son terme degraves lors que lrsquoautre proceacutedure

administrative ou peacutenale a eacuteteacute clocirctureacutee par une deacutecision deacutefinitive aurait

des conseacutequences lourdes neacutegatives et impreacutevisibles dans un certain

nombre de domaines relevant du droit administratif La prudence serait donc

de mise Des questions similaires se poseraient au sein de certains Eacutetats

europeacuteens connaissant depuis longtemps des systegravemes de proceacutedures

administratives et peacutenales parallegraveles dans des domaines essentiels du droit

dont celui de la fiscaliteacute

85 Le Gouvernement estime que les consideacuterations qui sont agrave lrsquoorigine

de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 sont moins pertinentes lorsque les

proceacutedures en cause sont parallegraveles et simultaneacutees Un accuseacute sachant

pertinemment que des autoriteacutes diffeacuterentes ont ouvert contre lui deux

proceacutedures diffeacuterentes eacutetroitement lieacutees sur les plans mateacuteriel et temporel

risquerait moins de srsquoattendre agrave ce que la premiegravere sanction imposeacutee soit

deacutefinitive et exclue toute autre sanction Enfin la logique du principe non

bis in idem srsquoappliquerait dans une moindre mesure aux sanctions ne

relevant pas du laquo noyau dur raquo du droit peacutenal comme les majorations

drsquoimpocirct (voir le raisonnement exposeacute dans lrsquoarrecirct preacuteciteacute Jussila sect 43

relatif agrave lrsquoarticle 6 et transposable agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7)

86 Pour ce qui est des circonstances propres au cas drsquoespegravece le

Gouvernement fait sien sur tous les points le raisonnement exposeacute par la

Cour suprecircme dans lrsquoarrecirct concernant le premier requeacuterant (paragraphe 29

ci-dessus) et celui suivi par la cour drsquoappel dans lrsquoarrecirct concernant le second

requeacuterant (paragraphe 39 ci-dessus) agrave savoir qursquoil existait un lien temporel

et mateacuteriel suffisamment eacutetroit entre les proceacutedures Il dit que ni lrsquoun ni

lrsquoautre des requeacuterants ne pouvaient leacutegitimement srsquoattendre agrave ne faire lrsquoobjet

que drsquoune proceacutedure et drsquoune sanction administratives Il explique que de

maniegravere agrave ne pas aboutir agrave un reacutesultat qui aurait heurteacute le principe

fondamental de lrsquoeacutegaliteacute de traitement les requeacuterants laquo sur un pied

drsquoeacutegaliteacute avec raquo EK et BL coaccuseacutes dans le mecircme groupe drsquoaffaires

(paragraphes 12 et 13 ci-dessus) ont chacun eacuteteacute condamneacutes agrave des peines

drsquoemprisonnement agrave lrsquoissue de procegraves peacutenaux apregraves srsquoecirctre vu appliquer des

majorations drsquoimpocirct administratives de 30

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 29

3 Les tiers intervenants

87 Les tierces interventions sont principalement axeacutees sur deux points

premiegraverement lrsquointerpreacutetation du mot laquo peacutenalement raquo employeacute agrave lrsquoarticle 4

du Protocole no 7 et lrsquoarticulation entre cette disposition et les articles 6

(volet peacutenal) et 7 de la Convention et deuxiegravemement la mesure dans

laquelle le Protocole no 7 permet les proceacutedures parallegraveles (ces deux points

sont examineacutes respectivement dans les parties a) et b) ci-dessous)

a) Les premiegraveres proceacutedures revecirctaient-elles un caractegravere laquo peacutenal raquo

88 Les gouvernements tchegraveque et franccedilais pensent comme le

gouvernement deacutefendeur que lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine nrsquoa pas

explicitement rejeteacute lrsquoideacutee de recourir agrave un groupe plus large de critegraveres pour

deacuteterminer la nature de la proceacutedure agrave examiner sur le terrain de lrsquoarticle 4

du Protocole no 7 et que la Cour a elle-mecircme jugeacute notamment que les

proceacutedures de majoration drsquoimpocirct ne relevaient pas du noyau dur du droit

peacutenal et nrsquoa donc pas appliqueacute dans toute leur rigueur les garanties de

lrsquoarticle 6 (Jussila preacuteciteacute sect 43 in fine) Le gouvernement tchegraveque invite la

Cour agrave preacuteciser principalement si et dans lrsquoaffirmative sous quelles

conditions crsquoest-agrave-dire dans quel type drsquoaffaires il convient drsquoappliquer un

plus grand eacuteventail de critegraveres

89 Srsquoappuyant sur le libelleacute et le but de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 le

gouvernement bulgare soutient que seules les infractions peacutenales classiques

relegravevent du champ drsquoapplication de cette disposition Il estime que si

eacutetendre la porteacutee de lrsquoarticle 6 est essentiel agrave la protection du droit agrave un

procegraves eacutequitable lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 a une autre finaliteacute Se reacutefeacuterant

agrave lrsquoarrecirct rendu par la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis drsquoAmeacuterique dans

lrsquoaffaire Green v United States (355 US 194 (1957)) il souligne que

lrsquointerdiction de la double incrimination protegravege le justiciable du risque de

faire lrsquoobjet drsquoune multipliciteacute de procegraves et de condamnations eacuteventuelles

pour une mecircme infraction La logique de cette interdiction est selon lui qursquoil

ne faut pas que lrsquoEacutetat avec toutes ses ressources et tout son pouvoir puisse

se livrer agrave des tentatives reacutepeacuteteacutees tendant agrave faire condamner un individu

pour la mecircme infraction ce qui pour ce dernier serait source drsquoembarras de

frais et drsquoeacutepreuves et le forcerait agrave vivre dans un eacutetat permanent drsquoanxieacuteteacute et

drsquoinseacutecuriteacute tout en aggravant le risque que mecircme innocent il soit reconnu

coupable Un second impeacuteratif vital serait de preacuteserver le caractegravere deacutefinitif

des deacutecisions de justice

90 Le gouvernement franccedilais consacre drsquoamples deacuteveloppements

(paragraphes 10 agrave 26 de ses observations) agrave lrsquointerpreacutetation des articles 6 et

7 de la Convention et de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Srsquoappuyant sur lrsquoarrecirct

Perinccedilek c Suisse ([GC] no 2751008 sect 146 CEDH 2015 (extraits)) il

soutient que les termes employeacutes agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 diffeacuterents

de ceux figurant agrave lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention doivent conduire agrave

30 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

retenir des critegraveres plus eacutetroits reacutepondant aux objectifs du principe non bis in

idem garanti par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Lrsquoarticle 7 de la Convention

utiliserait les termes de condamnation (laquo condamneacute raquo en franccedilais et laquo held

guilty raquo en anglais) drsquoinfraction (laquo criminal offence raquo en anglais) et de peine

(laquo penalty raquo en anglais) qui seraient preacutesents aussi dans lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 De plus les garanties offertes par lrsquoarticle 7 de la

Convention comme celles de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 seraient des

eacuteleacutements essentiels de la proceacutedure peacutenale entendue strictement comme

lrsquoattesterait le fait que lrsquoarticle 15 de la Convention nrsquoy autorise aucune

deacuterogation alors qursquoil autoriserait une deacuterogation agrave lrsquoarticle 6 de la

Convention

91 Aussi et dans un souci de coheacuterence la Cour pour lrsquoapplication de

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 devrait-elle se reacutefeacuterer aux seuls critegraveres qursquoelle

a pu deacutevelopper dans le cadre de lrsquoarticle 7 de la Convention tout en les

preacutecisant afin de donner au terme laquo peacutenalement raquo aux fins de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 le sens strict qui devrait ecirctre le sien Pour deacuteterminer si une

mesure relegraveve du champ de cette disposition elle devrait se reacutefeacuterer agrave la

qualification juridique de lrsquoinfraction litigieuse en droit interne agrave la nature

et au but de la mesure en cause agrave la question de savoir si la mesure a eacuteteacute

imposeacutee agrave la suite drsquoune condamnation pour une infraction peacutenale agrave la

graviteacute de la sanction ndash cet eacuteleacutement nrsquoeacutetant pas deacuteterminant ndash et aux

proceacutedures associeacutees agrave lrsquoadoption de celle-ci et plus preacuteciseacutement agrave la

question de savoir si la mesure a eacuteteacute adopteacutee par un organe que lrsquoon peut

qualifier de juridiction et qui srsquoest prononceacute sur les eacuteleacutements drsquoune

infraction regardeacutee comme peacutenale au sens de lrsquoarticle 6 de la Convention

Le dernier de ces critegraveres revecirctirait une importance preacutepondeacuterante au regard

des termes mecircmes de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 et de lrsquoobjectif poursuivi

par cette disposition

92 Le gouvernement franccedilais conclut que au regard de ces critegraveres des

peacutenaliteacutes fiscales qui ne seraient pas qualifieacutees de peacutenales en droit interne

qui auraient une nature administrative et viseraient seulement agrave sanctionner

le non-respect par le contribuable de ses obligations fiscales qui ne seraient

pas imposeacutees agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale et qui ne seraient pas

prononceacutees par un organe juridictionnel ne pourraient ecirctre regardeacutees

comme relevant du champ de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

93 Le gouvernement suisse soutient que la seule exception admise ndash le

paragraphe 2 de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 ndash est la reacuteouverture du procegraves

laquo conformeacutement agrave la loi et agrave la proceacutedure peacutenale de lrsquoEacutetat concerneacute raquo Il

relegraveve que au moment de lrsquoadoption du Protocole en 1984 drsquoautres

exceptions telles qursquoadmises par la suite par la jurisprudence pertinente

nrsquoeacutetaient pas preacutevues ndash et nrsquoavaient pas besoin de lrsquoecirctre vu la conception

intrinsegravequement peacutenale de la garantie Le concept eacutetroit qui serait agrave lrsquoorigine

de la garantie trouverait une confirmation solide au paragraphe 3 de lrsquoarticle

4 du Protocole no 7 qui exclurait toute deacuterogation au titre de lrsquoarticle 15 de

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 31

la Convention agrave la protection offerte au paragraphe 1 Ainsi la garantie non

bis in idem serait mise sur un pied drsquoeacutegaliteacute avec le droit agrave la vie (article 2

article 3 du Protocole no 6 et article 2 du Protocole no 13) lrsquointerdiction de

la torture (article 3) lrsquointerdiction de lrsquoesclavage (article 4) et le principe

laquo pas de peine sans loi raquo (article 7) Ces eacuteleacutements militeraient en faveur

drsquoune interpreacutetation restrictive de la garantie Une telle approche

srsquoimposerait drsquoautant plus si la Grande Chambre devait maintenir la pratique

selon laquelle toute laquo accusation en matiegravere peacutenale raquo au sens autonome de

lrsquoarticle 6 sect 1 est susceptible de faire eacutegalement entrer en jeu lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 (paragraphe 100 ci-dessous)

b) Y a-t-il eu reacutepeacutetition des poursuites (bis)

94 Le gouvernement bulgare ne voit aucune raison de srsquoeacutecarter de

lrsquoapproche suivie dans les deacutecisions RT c Suisse et Nilsson c Suegravede

(preacuteciteacutees) dans le contexte des infractions routiegraveres et dans drsquoimportants

domaines se rattachant au fonctionnement de lrsquoEacutetat tels que la fiscaliteacute Une

proceacutedure fiscale aboutissant agrave lrsquoapplication drsquoune majoration drsquoimpocirct et

une proceacutedure peacutenale portant sur une fraude fiscale conduites

parallegravelement seraient eacutetroitement lieacutees sur les plans mateacuteriel et temporel

De plus la Cour reconnaicirctrait que les Eacutetats contractants jouissent drsquoune

marge drsquoappreacuteciation eacutetendue dans lrsquoeacutelaboration et la mise en œuvre de

leurs politiques en matiegravere fiscale et elle respecterait les choix du leacutegislateur

dans ces domaines sauf srsquoils se reacutevegravelent manifestement deacutepourvus de base

raisonnable Un systegraveme qui permettrait la conduite de proceacutedures parallegraveles

en matiegravere fiscale semblerait relever de la marge drsquoappreacuteciation de lrsquoEacutetat et

nrsquoapparaicirctrait pas contraire en soi agrave lrsquoun quelconque des principes eacutenonceacutes

dans la Convention y compris la garantie contre les doubles incriminations

95 Le gouvernement tchegraveque avance quatre arguments en faveur du

maintien de systegravemes mixtes de sanctions 1) chaque type de sanction

poursuit des buts diffeacuterents 2) alors que la proceacutedure peacutenale stricto sensu

doit respecter des garanties rigoureuses en matiegravere drsquoeacutequiteacute du procegraves dont

lrsquoapplication est souvent synonyme de lenteurs les sanctions

administratives doivent reacutepondre agrave des exigences de ceacuteleacuteriteacute et permettre

drsquoassurer lrsquoefficaciteacute et la peacuterenniteacute du systegraveme fiscal et du budget de

lrsquoEacutetat 3) la stricte application du principe non bis in idem agrave des proceacutedures

fiscales et peacutenales meneacutees en parallegravele pourrait faire eacutechouer la lutte contre

la criminaliteacute organiseacutee agrave grande eacutechelle si la premiegravere deacutecision en geacuteneacuteral

administrative devait empecirccher la tenue drsquoune enquecircte peacutenale de nature agrave

conduire agrave la deacutecouverte de reacuteseaux de fraude organiseacutee de blanchiment

drsquoargent et de deacutetournement de fonds ainsi que drsquoautres infractions graves

4) lrsquoordre dans lequel les autoriteacutes statuent dans tel ou tel cas Enfin il

signale qursquoil y a des cas ougrave plusieurs proceacutedures administratives sont

conduites en mecircme temps

32 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

96 Le gouvernement franccedilais estime que le raisonnement adopteacute dans

les deacutecisions R T c Suisse et Nilsson c Suegravede (preacuteciteacutees) peut ecirctre

transposeacute en matiegravere fiscale au regard des objectifs poursuivis par les Eacutetats

en ce domaine objectifs qui drsquoapregraves lui diffegraverent selon qursquoil srsquoagit de

poursuites peacutenales ou de lrsquoapplication de peacutenaliteacutes fiscales (i)) et degraves lors

qursquoil existe un lien suffisant entre les proceacutedures fiscale et peacutenale (ii))

i) Les poursuites peacutenales pour fraude fiscale devraient constituer une

reacuteponse adapteacutee et homogegravene agrave des comportements reacutepreacutehensibles Elles

auraient comme objectif principal de sanctionner les comportements les plus

graves Dans sa deacutecision Rosenquist c Suegravede (deacutec) no 6061900

14 septembre 2004 la Cour aurait releveacute que lrsquoobjectif poursuivi par

lrsquoinfraction criminelle de fraude fiscale eacutetait diffeacuterent de celui de

lrsquoimposition drsquoune peacutenaliteacute fiscale qui elle aurait pour but de renforcer les

fondations du systegraveme fiscal national

Les poursuites pour fraude fiscale auraient eacutegalement une finaliteacute

drsquoexemplariteacute en particulier lorsque de nouvelles typologies de fraudes sont

mises au jour afin de dissuader les fraudeurs potentiels drsquoy recourir Ne

plus poursuivre peacutenalement les fraudes les plus graves degraves lors qursquoune

peacutenaliteacute fiscale a eacuteteacute appliqueacutee priverait lrsquoEacutetat de lrsquoexemplariteacute et de la

publiciteacute rechercheacutees agrave travers les condamnations peacutenales prononceacutees dans

les plus grandes affaires de fraude fiscale

Dans lrsquohypothegravese ougrave une proceacutedure judiciaire drsquoenquecircte en matiegravere

fiscale preacuteceacutederait le controcircle fiscal meneacute par lrsquoadministration fiscale

lrsquoobligation drsquoabandonner la seconde proceacutedure degraves lors que la premiegravere est

devenue deacutefinitive conduirait le contribuable agrave laisser la proceacutedure peacutenale se

terminer rapidement en ne la contestant pas afin que cette derniegravere

srsquoachegraveve avant la proceacutedure fiscale et ainsi agrave eacutechapper aux sanctions

administratives geacuteneacuteralement beaucoup plus significatives en termes

peacutecuniaires

Dans une telle hypothegravese le contribuable mis en cause serait en position

drsquoarbitrer en faveur de la proceacutedure qui lui serait la plus favorable ce qui

porterait indeacuteniablement atteinte au caractegravere dissuasif de lrsquoaction meneacutee

par lrsquoEacutetat pour reacuteprimer les actes les plus reacutepreacutehensibles dans ce domaine Il

serait ainsi paradoxal que les contribuables ayant commis les fraudes les

plus graves et poursuivis peacutenalement pour cela soient sanctionneacutes moins

seacutevegraverement

En conclusion selon le gouvernement franccedilais la compleacutementariteacute entre

les proceacutedures peacutenales et les proceacutedures fiscales est essentielle pour la

reacutepression des fraudes les plus graves et il serait artificiel de consideacuterer

qursquoen raison de lrsquointervention de deux proceacutedures et de deux autoriteacutes ces

sanctions ne forment pas un tout coheacuterent destineacute agrave reacutepondre agrave ce type

drsquoinfraction En effet ces proceacutedures seraient eacutetroitement lieacutees et devraient

degraves lors pouvoir ecirctre cumuleacutees

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 33

ii) Dans les arrecircts rendus contre la Finlande le 20 mai 2014 le critegravere

principal retenu par la Cour pour ne pas accepter la reacutepeacutetition des

proceacutedures aurait eacuteteacute lrsquoindeacutependance totale des proceacutedures fiscale et peacutenale

lrsquoune par rapport agrave lrsquoautre Or ces deux types de proceacutedures devraient ecirctre

regardeacutes comme ayant un lien mateacuteriel et temporel degraves lors qursquoil existe un

eacutechange drsquoinformations entre les deux autoriteacutes et que les proceacutedures sont

conduites simultaneacutement Les eacuteleacutements factuels devraient deacutemontrer une

compleacutementariteacute entre ces proceacutedures

Agrave titre drsquoillustration le gouvernement franccedilais analyse de faccedilon deacutetailleacutee

comment dans le systegraveme national les proceacutedures peacutenale et fiscale sont

imbriqueacutees se chevauchent en droit et en pratique et sont conduites

simultaneacutement Le principe de proportionnaliteacute impliquerait que le montant

global des sanctions eacuteventuellement prononceacutees ne deacutepasse pas le montant

le plus eacuteleveacute encouru au titre de lrsquoune ou lrsquoautre des sanctions

Pour deacuteterminer si les proceacutedures peacutenales et fiscales peuvent passer pour

suffisamment lieacutees dans le temps seules devraient ecirctre consideacutereacutees les

phases de controcircle par lrsquoadministration fiscale et drsquoenquecircte judiciaire Ces

deux phases devraient ecirctre meneacutees simultaneacutement ou dans un deacutelai tregraves

rapprocheacute En revanche il nrsquoapparaicirctrait pas pertinent pour appreacutecier si le

lien temporel entre les proceacutedures est suffisamment eacutetroit de prendre en

compte la dureacutee de la proceacutedure judiciaire devant les tribunaux appeleacutes agrave

statuer sur lrsquoaction peacutenale et sur le bien-fondeacute des peacutenaliteacutes fiscales En

effet la dureacutee de reacuteponse des diffeacuterentes juridictions deacutependrait drsquoeacuteleacutements

exteacuterieurs et parfois propres au contribuable Ainsi ce dernier pourrait

choisir de ralentir deacutelibeacutereacutement la dureacutee de la proceacutedure devant lrsquoune des

juridictions par la multiplication de demandes ou la production drsquoeacutecritures

nombreuses qui devraient ecirctre soumises au contradictoire ou encore par

lrsquoexercice de recours

LrsquoEacutetat devrait disposer drsquoune marge drsquoappreacuteciation pour deacutefinir les

sanctions approprieacutees agrave certains comportements qui peuvent causer des

preacutejudices distincts Ainsi il devrait pouvoir faire face agrave une telle situation

tout en apportant une reacuteponse unique en confiant agrave plusieurs autoriteacutes ndash

judiciaires et administratives ndash le soin drsquoapporter une reacuteponse adapteacutee

97 Le gouvernement grec soutient que lrsquoexistence de proceacutedures

seacutepareacutees et conseacutecutives au cours desquelles des mesures drsquoordre peacutenal

identiques ou non sont imposeacutees agrave un requeacuterant est lrsquoeacuteleacutement deacuteterminant et

crucial pour qursquoil y ait laquo reacutepeacutetition raquo (laquo bis raquo) Pour lui le principe non bis

in idem nrsquoest pas meacuteconnu si diverses mesures drsquoordre laquo peacutenal raquo mecircme

distinctes les unes des autres venaient agrave ecirctre imposeacutees par diffeacuterentes

juridictions peacutenales et administratives degraves lors que les sanctions sont toutes

consideacutereacutees dans leur globaliteacute pour fixer le quantum de la peine (RT

c Suisse deacutecision preacuteciteacutee)

98 Cependant le gouvernement grec signale lrsquoarrecirct Kapetanios et

autres c Gregravece (nos 345312 4294112 et 902813 sect 72 30 avril 2015)

34 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

dans lequel la Cour a jugeacute que la regravegle non bis in idem ne serait pas

enfreinte en principe si les deux sanctions agrave savoir une privation de liberteacute

et une condamnation peacutecuniaire eacutetaient imposeacutees dans le cadre drsquoune seule

et mecircme proceacutedure judiciaire Selon lui nonobstant cet exemple il est

eacutevident que la Cour attache une grande importance agrave ce que lrsquoimposition de

sanctions peacutenales et administratives ait eacuteteacute lrsquoobjet drsquoun examen judiciaire

global

99 Le gouvernement grec ne se dissocie pas pour autant de lrsquoavis de la

Cour suprecircme norveacutegienne qui a dit en lrsquoespegravece que lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 permettait au moins dans une certaine mesure la conduite de

proceacutedures parallegraveles Crsquoest ce que confirmerait sans ambiguiumlteacute lrsquoarrecirct rendu

par la CJUE dans lrsquoaffaire Fransson (paragraphe 34 de cet arrecirct reproduit

au paragraphe 52 ci-dessus)

La CJUE aurait preacuteciseacute que crsquoest agrave la juridiction de renvoi qursquoil

appartient drsquoappreacutecier agrave la lumiegravere des critegraveres eacutenonceacutes srsquoil y a lieu de

proceacuteder agrave un examen du cumul de sanctions fiscales et peacutenales preacutevu par la

leacutegislation nationale par rapport aux standards nationaux crsquoest-agrave-dire ceux

applicables aux violations du droit national de nature et drsquoimportance

similaires degraves lors que le choix des sanctions relegraveve de la marge

drsquoappreacuteciation de lrsquoEacutetat membre elle aurait ainsi estimeacute que crsquoeacutetait au juge

national de dire si le cumul des sanctions eacutetait contraire agrave ces standards

pourvu que les sanctions restantes fussent effectives proportionneacutees et

dissuasives (paragraphe 37 de cet arrecirct reproduit au paragraphe 52

ci-dessus)

Le gouvernement grec juge pertinent en lrsquoespegravece cet arrecirct de la CJUE

Plus preacuteciseacutement on pourrait deacuteduire mutatis mutandis de lrsquointerpreacutetation

qui y est livreacutee que le juge national avait conclu agrave bon droit en vertu de sa

marge drsquoappreacuteciation comme constateacute par la CJUE que le cumul des

sanctions en cause imposeacutees agrave lrsquoissue de proceacutedures dites laquo parallegraveles raquo

dans le cadre drsquoune collaboration eacutetroite entre deux autoriteacutes distinctes

nrsquoavait pas enfreint les standards nationaux alors mecircme qursquoil avait estimeacute

pour lrsquoessentiel que les sanctions fiscales eacutetaient laquo de nature peacutenale raquo Au vu

des arguments exposeacutes au paragraphe 97 ci-dessus on pourrait

raisonnablement conclure que des proceacutedures parallegraveles qui conduiraient agrave

lrsquoimposition de sanctions diffeacuterentes par des autoriteacutes diffeacuterentes nettement

distinctes en droit ne seraient pas interdites par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

degraves lors que ces proceacutedures satisferaient au critegravere du lien temporel et

mateacuteriel eacutetroit Ce critegravere permettrait de reacutepondre agrave la question

fondamentale de lrsquoexistence ou non drsquoune reacutepeacutetition

100 Srsquoappuyant sur le paragraphe 83 de lrsquoarrecirct preacuteciteacute Sergueiuml

Zolotoukhine le gouvernement suisse soutient que la garantie eacutenonceacutee agrave

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 entre en jeu agrave lrsquoouverture de nouvelles

poursuites lorsque la deacutecision anteacuterieure drsquoacquittement ou de

condamnation est deacutejagrave passeacutee en force de chose jugeacutee Le fait qursquoune

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 35

proceacutedure peacutenale nrsquoeacutetait pas encore acheveacutee agrave lrsquoouverture drsquoune proceacutedure

administrative ne serait donc en soi pas probleacutematique agrave lrsquoeacutegard du

principe non bis in idem (il mentionne mutatis mutandis Kapetanios et

autres preacuteciteacute sect 72) Par conseacutequent des proceacutedures parallegraveles seraient

admissibles au titre de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 La preacutesente affaire

donnerait agrave la Grande Chambre lrsquooccasion de confirmer cette jurisprudence

La justification drsquoun systegraveme mixte reacutesiderait principalement dans le fait

que le droit administratif et le droit peacutenal sont de nature diffeacuterente et visent

des buts distincts fonction preacuteventive et eacuteducative pour le premier et

fonction reacutepressive pour le second

Le gouvernement suisse estime que si agrave la lumiegravere des critegraveres Engel la

notion drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo a eacuteteacute eacutelargie au-delagrave des

cateacutegories traditionnelles du droit peacutenal (malum in se) agrave drsquoautres domaines

(malum quia prohibitum) les accusations en matiegravere peacutenale nrsquoont pas toutes

le mecircme poids Srsquoagissant par exemple des majorations drsquoimpocirct ndash qui ne

feraient pas partie du noyau dur du droit peacutenal ndash les garanties offertes par le

volet peacutenal de lrsquoarticle 6 ne devraient pas neacutecessairement srsquoappliquer dans

toute leur rigueur (il mentionne lrsquoarrecirct Jussila preacuteciteacute sect 43) Il ne faudrait

pas lrsquooublier lorsqursquoil srsquoagit de deacuteterminer le champ drsquoapplication de

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

La preacutevisibiliteacute du cumul de sanctions administratives et de sanctions

peacutenales constituerait un autre facteur agrave prendre en compte dans

lrsquoappreacuteciation du systegraveme mixte en cause (il eacutevoque lrsquoarrecirct Maszni

c Roumanie no 5989200 sect 68 21 septembre 2006)

Selon le gouvernement suisse la jurisprudence Sergueiuml Zolotoukhine ne

doit pas ecirctre interpreacuteteacutee ou deacuteveloppeacutee de maniegravere agrave couvrir lrsquoensemble des

systegravemes preacutevoyant de sanctionner par les voies administrative et peacutenale les

infractions peacutenales indeacutependamment du fait que des autoriteacutes distinctes

disposant de compeacutetences distinctes et poursuivant des buts distincts

rendent des deacutecisions sur le mecircme ensemble de faits Cette conclusion

srsquoimposerait en tout cas dans les affaires preacutesentant un lien mateacuteriel et

temporel suffisamment eacutetroit entre les proceacutedures peacutenale et administrative

tel que requis par la Cour (il srsquoappuie sur les affaires suivantes ougrave la Cour a

conclu que cette condition avait eacuteteacute satisfaite Boman c Finlande

no 4160411 sect 41 17 feacutevrier 2015 avec une reacutefeacuterence aux deacutecisions

preacuteciteacutees RT c Suisse et Nilsson c Suegravede et agrave lrsquoarrecirct preacuteciteacute Maszni) Le

gouvernement suisse invite la Grande Chambre agrave saisir lrsquooccasion de la

preacutesente affaire pour confirmer cette approche qui nrsquoest pas selon lui

proscrite en elle-mecircme en lrsquoeacutetat de la jurisprudence

4 Appreacuteciation de la Cour

101 La Cour passera tout drsquoabord en revue sa jurisprudence pertinente

pour lrsquointerpreacutetation et lrsquoapplication du principe non bis in idem eacutenonceacute agrave

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 (parties a) agrave c) ci-dessous) Elle srsquoattachera agrave en

36 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

tirer les conclusions et critegraveres utiles et agrave apporter les eacuteclaircissements

neacutecessaires agrave lrsquoanalyse de la preacutesente affaire (partie d) ci-dessous) Enfin

elle appliquera ce principe dans lrsquointerpreacutetation qursquoelle aura deacutegageacutee aux

faits deacutenonceacutes par les requeacuterants (partie e) ci-dessous)

a) Questions geacuteneacuterales drsquointerpreacutetation

102 La Cour constate que dans les observations des parties et des tiers

intervenants il nrsquoy a guegravere de deacutesaccord quant agrave la principale contribution

qursquoapporte lrsquoarrecirct de Grande Chambre Sergueiuml Zolotoukhine agrave savoir la

clarification des critegraveres agrave lrsquoaune desquels il faut eacutevaluer si lrsquoinfraction pour

laquelle un requeacuterant a eacuteteacute jugeacute ou puni au cours de la seconde proceacutedure

eacutetait la mecircme (idem) que celle pour laquelle une deacutecision avait eacuteteacute rendue au

cours de la premiegravere proceacutedure (voir les paragraphes 70 agrave 84 de cet arrecirct) Il

nrsquoy a pas non plus de deacutesaccord majeur quant aux critegraveres permettant de

deacuteterminer quand une deacutecision laquo deacutefinitive raquo a eacuteteacute rendue qui sont eacutenonceacutes

dans cet arrecirct

103 En revanche les avis divergent quant agrave la meacutethode agrave employer afin

de deacuteterminer si la proceacutedure se rapportant agrave lrsquoapplication de majorations

drsquoimpocirct eacutetait laquo peacutenale raquo aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 sachant que

cette question est susceptible drsquoavoir une incidence sur lrsquoapplicabiliteacute de

lrsquointerdiction poseacutee par cette disposition de la double incrimination

104 En outre il y a des divergences drsquoapproche (notamment entre

drsquoune part les requeacuterants et drsquoautre part le gouvernement deacutefendeur et les

gouvernements intervenants) sur la question de la reacutepeacutetition des poursuites

en particulier sur la mesure dans laquelle les proceacutedures parallegraveles ou mixtes

sont permises au titre de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

b) Critegraveres pertinents pour deacuteterminer si la premiegravere proceacutedure est

laquo peacutenale raquo divergences drsquoapproche dans la jurisprudence

105 Dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine (preacuteciteacute) la Cour a appliqueacute afin

de deacuteterminer si les proceacutedures en question pouvaient ecirctre regardeacutees comme

laquo peacutenales raquo sur le terrain de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 les trois critegraveres

Engel preacuteceacutedemment eacutelaboreacutes pour les besoins de lrsquoarticle 6 de la

Convention agrave savoir 1) laquo la qualification juridique de lrsquoinfraction en droit

interne raquo 2) laquo la nature mecircme de lrsquoinfraction raquo et 3) le degreacute de seacuteveacuteriteacute de

la sanction dont lrsquointeacuteresseacute est passible les deuxiegraveme et troisiegraveme critegraveres

eacutetant alternatifs et pas neacutecessairement cumulatifs mais sans exclure une

approche cumulative Lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine nrsquoa donc pas repris ndash

alors qursquoil aurait pu le faire ndash le raisonnement suivi dans une seacuterie drsquoaffaires

anteacuterieures (voir par exemple la deacutecision preacuteciteacutee Storbraringten) ougrave avait eacuteteacute

retenue une liste plus large et non exhaustive de facteurs sans que la Cour

ait preacuteciseacute quel eacutetait leur poids respectif ni srsquoil fallait les appliquer

alternativement ou cumulativement Les gouvernements franccedilais et

norveacutegien invitent agrave preacutesent la Cour agrave saisir cette occasion pour dire si ce

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 37

sont ces derniers critegraveres plus nombreux qui srsquoappliquent (paragraphes 66 agrave

68 et 90-91 ci-dessus)

106 Il existe un certain nombre drsquoarguments en faveur drsquoune telle

interpreacutetation en particulier le fait que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 a

apparemment eacuteteacute conccedilu par ses auteurs pour viser les proceacutedures peacutenales au

sens strict et la circonstance que ndash agrave lrsquoinverse de lrsquoarticle 6 mais agrave lrsquoinstar de

lrsquoarticle 7 ndash il nrsquoest pas susceptible de deacuterogation au titre de lrsquoarticle 15 Si

lrsquoarticle 6 se contente drsquoeacutenoncer des garanties drsquoeacutequiteacute proceacutedurales

notamment en matiegravere peacutenale lrsquointerdiction de la double incrimination

poseacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 a certaines conseacutequences ndash qui peuvent

ecirctre importantes ndash sur les modaliteacutes drsquoapplication des regravegles de droit

national reacutegissant les sanctions peacutenales et administratives dans de nombreux

domaines Cette derniegravere disposition implique une analyse plus pousseacutee du

droit peacutenal mateacuteriel puisqursquoil srsquoagit drsquoeacutetablir si les infractions respectives

visent le mecircme comportement (idem) Ces diffeacuterences ainsi que lrsquoabsence

de convergence entre les systegravemes nationaux des Eacutetats contractants le degreacute

variable de volonteacute de la part desdits Eacutetats drsquoecirctre tenus par le Protocole no 7

et la marge drsquoappreacuteciation eacutetendue dont ils jouissent geacuteneacuteralement dans le

choix de leurs systegravemes et politiques en matiegravere peacutenale (Nykaumlnen preacuteciteacute

sect 48 et mutatis mutandis Achour c France [GC] no 6733501 sect 44

CEDH 2006-IV) sont tout agrave fait propres agrave justifier un groupe plus vaste de

critegraveres drsquoapplicabiliteacute davantage axeacutes sur le droit national sur le modegravele

de ceux retenus pour les besoins de lrsquoarticle 7 et auparavant de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 (crsquoest-agrave-dire avant lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine) et donc un

champ drsquoapplication plus eacutetroit que sous lrsquoempire de lrsquoarticle 6

107 Cependant si ainsi qursquoil a eacuteteacute souligneacute lrsquoarrecirct Sergueiuml

Zolotoukhine nrsquoest pas explicite sur ce point il faut supposer que la Cour a

deacutelibeacutereacutement choisi dans cet arrecirct de retenir les critegraveres Engel comme le

modegravele agrave suivre pour deacuteterminer si la proceacutedure en cause est laquo peacutenale raquo pour

les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Aux yeux de la Cour il ne paraicirct

pas justifieacute qursquoelle srsquoeacutecarte de cette analyse en lrsquoespegravece car des

consideacuterations de poids militent vraiment en faveur drsquoun tel choix Le

principe non bis in idem vise principalement lrsquoeacutequiteacute proceacutedurale qui est

lrsquoobjet de lrsquoarticle 6 et srsquointeacuteresse moins au droit peacutenal mateacuteriel que

lrsquoarticle 7 La Cour estime preacutefeacuterable dans un souci de coheacuterence de

lrsquointerpreacutetation de la Convention consideacutereacutee globalement que lrsquoapplicabiliteacute

de ce principe soit reacutegie par les critegraveres plus preacutecis deacutefinis dans lrsquoarrecirct

Engel Cela eacutetant dit ainsi qursquoil a deacutejagrave eacuteteacute admis ci-dessus degraves lors que le

principe non bis in idem est jugeacute applicable une approche moduleacutee

srsquoimpose agrave lrsquoeacutevidence pour eacutevaluer la maniegravere dont il est mis en œuvre

srsquoagissant de proceacutedures mecirclant sanctions administratives et sanctions

peacutenales

38 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

c) Jurisprudence de la Convention en matiegravere de proceacutedures mixtes

i Lrsquoapport de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine

108 Lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine concernait deux proceacutedures qui

avaient chacune pour objet des actes perturbateurs agrave lrsquoencontre drsquoun agent

public et dans le cadre desquelles lrsquoissue de la proceacutedure administrative eacutetait

devenue deacutefinitive avant mecircme le deacutebut de la proceacutedure peacutenale (Sergueiuml

Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 18 agrave 20 et 109) Lrsquoapport le plus notable de lrsquoarrecirct

Sergueiuml Zolotoukhine est drsquoavoir dit que le point de savoir si les infractions

en question eacutetaient les mecircmes (idem) deacutependait drsquoune analyse axeacutee sur les

faits (ibidem sect 84) plutocirct que par exemple drsquoun examen formel consistant agrave

comparer les laquo eacuteleacutements essentiels raquo des infractions Lrsquointerdiction vise

lrsquoinculpation ou le jugement pour une seconde laquo infraction raquo pour autant que

celle-ci a pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance

les mecircmes (ibidem sect 82)

109 De plus en rappelant que le but de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 eacutetait

drsquointerdire la reacutepeacutetition de proceacutedures peacutenales trancheacutees par une deacutecision

laquo deacutefinitive raquo crsquoest-agrave-dire laquo passeacutee en force de chose jugeacutee raquo lrsquoarrecirct Sergueiuml

Zolotoukhine a preacuteciseacute que les deacutecisions susceptibles drsquoun recours ordinaire

ne beacuteneacuteficiaient pas de la garantie que renfermait cette disposition tant que

le deacutelai de recours nrsquoeacutetait pas expireacute

110 En outre la Cour a dit sans ambiguiumlteacute que lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 visait non pas seulement le cas drsquoune double condamnation

mais aussi celui des doubles poursuites et que dans le cas contraire il

nrsquoaurait pas eacuteteacute neacutecessaire de mettre le terme laquo poursuivi raquo avant le terme

laquo puni raquo car il ne pourrait qursquoen constituer un doublon La Cour a ajouteacute

que cette disposition srsquoappliquait mecircme si lrsquoindividu concerneacute nrsquoavait fait

lrsquoobjet que de simples poursuites nrsquoayant pas abouti agrave une condamnation

Elle a souligneacute que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 renfermait trois garanties

distinctes et disposait que nul i ne pouvait ecirctre poursuivi ii jugeacute ou

iii puni deux fois pour les mecircmes faits (ibidem sect 110)

111 Il faut toutefois souligner que lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine ne

donne guegravere drsquoindications lorsque les proceacutedures en reacutealiteacute ne se reacutepegravetent

pas mais sont plutocirct combineacutees et inteacutegreacutees de maniegravere agrave former un tout

coheacuterent

ii La jurisprudence sur les proceacutedures mixtes anteacuterieurement et

posteacuterieurement agrave lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine

112 Depuis lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine et comme crsquoeacutetait deacutejagrave le cas

auparavant il est admis par la Cour que lrsquoimposition par des autoriteacutes

diffeacuterentes de sanctions diffeacuterentes pour le mecircme comportement est permise

dans une certaine mesure au titre de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 nonobstant

lrsquoexistence drsquoune deacutecision deacutefinitive Cette conclusion peut se comprendre

comme eacutetant fondeacutee sur lrsquoideacutee que le cumul de sanctions dans les affaires de

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 39

ce genre doit srsquoanalyser comme un tout en conseacutequence de quoi il serait

artificiel drsquoy voir une reacutepeacutetition de proceacutedures impliquant que lrsquointeacuteresseacute a

eacuteteacute laquo poursuivi ou puni peacutenalement () en raison drsquoune infraction pour

laquelle il a[vait] deacutejagrave eacuteteacute () condamneacute par un jugement deacutefinitif raquo au

meacutepris de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 La question srsquoest poseacutee dans quatre

types de situations

113 Agrave lrsquoorigine de cette analyse interpreacutetative de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 se trouve une premiegravere cateacutegorie drsquoaffaires qui remonte agrave la

deacutecision RT c Suisse (deacutecision preacuteciteacutee) Dans cette affaire lrsquoOffice

feacutedeacuteral suisse des routes avait retireacute son permis de conduire au requeacuterant en

mai 1993 pour une dureacutee de quatre mois pour conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute

Cette mesure avait finalement eacuteteacute confirmeacutee par la Commission des recours

administratifs puis par le Tribunal feacutedeacuteral (en deacutecembre 1995)

Parallegravelement en juin 1993 les autoriteacutes cantonales de Gossau avaient

deacutelivreacute agrave lrsquoencontre du requeacuterant une ordonnance peacutenale qui le condamnait agrave

une peine drsquoemprisonnement avec sursis et agrave une amende de 1 100 francs

suisses Nrsquoayant pas fait lrsquoobjet de recours cette ordonnance passa en force

de chose jugeacutee

La Cour a conclu que les autoriteacutes suisses nrsquoavaient fait que retenir les

trois types de sanctions cumulables preacutevues par la loi pour une telle

infraction agrave savoir une peine drsquoemprisonnement une amende et le retrait du

permis de conduire Elle a constateacute que ces sanctions avaient eacuteteacute prononceacutees

parallegravelement par deux autoriteacutes diffeacuterentes lrsquoune administrative et lrsquoautre

peacutenale Selon elle on ne pouvait donc pas y voir eu eacutegard agrave sa

jurisprudence une reacutepeacutetition de poursuites peacutenales contraire agrave lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7

De la mecircme maniegravere si la deacutecision Nilsson (preacuteciteacutee) concernait elle

aussi une sanction peacutenale (50 heures de travail drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral) et le retrait

du permis de conduire (pour une dureacutee de dix-huit mois) agrave raison drsquoune

infraction routiegravere le grief a eacuteteacute rejeteacute sur la base drsquoun raisonnement plus

eacutelaboreacute qui a introduit pour la premiegravere fois le critegravere du laquo lien mateacuteriel et

temporel suffisamment eacutetroit raquo

La Cour a jugeacute que le retrait du permis de conduire eacutetait une conseacutequence

directe et preacutevisible de la condamnation anteacuterieure du requeacuterant pour les

mecircmes deacutelits de conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute avanceacute et de conduite sans permis

et que faisant suite agrave une condamnation peacutenale il relevait de la matiegravere

laquo peacutenale raquo pour les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Elle a ajouteacute

que indeacutependamment de la condamnation peacutenale anteacuterieure un retrait de

permis drsquoune dureacutee de dix-huit mois constituait en soi par sa seacuteveacuteriteacute une

mesure pouvant ordinairement passer pour une sanction peacutenale Elle a

conclu que quand bien mecircme les diffeacuterentes sanctions avaient eacuteteacute

prononceacutees par deux autoriteacutes diffeacuterentes agrave lrsquoissue de proceacutedures diffeacuterentes

il existait entre ces sanctions un lien mateacuteriel et temporel suffisamment

eacutetroit pour que lrsquoon pucirct consideacuterer le retrait de permis comme lrsquoune des

40 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

mesures preacutevues par le droit sueacutedois pour la reacutepression des deacutelits de

conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute avanceacute et de conduite sans permis On ne pouvait

donc pas selon elle deacuteduire du retrait litigieux que le requeacuterant avait eacuteteacute

laquo poursuivi ou puni peacutenalement () en raison drsquoune infraction pour laquelle

il a[vait] deacutejagrave eacuteteacute () condamneacute par un jugement deacutefinitif raquo au meacutepris de

lrsquoarticle 4 sect 1 du Protocole no 7

De mecircme dans lrsquoarrecirct Boman (preacuteciteacute) la Cour a jugeacute qursquoil existait un

lien mateacuteriel et temporel suffisant entre drsquoune part la proceacutedure peacutenale agrave

lrsquoissue de laquelle le requeacuterant avait eacuteteacute reconnu coupable et condamneacute agrave

75 jours-amende (soit 450 EUR) ainsi qursquoagrave une interdiction de conduire

(drsquoune dureacutee de quatre mois et trois semaines) et drsquoautre part la proceacutedure

administrative ulteacuterieure qui srsquoeacutetait soldeacutee par la prolongation de

lrsquointerdiction de conduire (drsquoune dureacutee drsquoun mois)

114 Dans une deuxiegraveme seacuterie drsquoaffaires la Cour a confirmeacute que les

proceacutedures parallegraveles ne sont pas exclues dans les affaires combinant

majorations drsquoimpocirct dans une proceacutedure administrative et poursuites

condamnations et sanctions pour fraude fiscale dans une proceacutedure peacutenale

tout en concluant qursquoil nrsquoavait pas eacuteteacute satisfait au critegravere du laquo lien mateacuteriel et

temporel suffisamment eacutetroit raquo au vu des circonstances particuliegraveres propres

agrave chaque cas Il srsquoagit drsquoaffaires concernant la Finlande (notamment Glantz

preacuteciteacute sect 57 et Nykaumlnen preacuteciteacute sect 47) et la Suegravede (Lucky Dev c Suegravede

no 735610 sect 58 27 novembre 2014) Dans lrsquoarrecirct Nykaumlnen ougrave est exposeacutee

lrsquoapproche suivie dans les autres affaires dirigeacutees contre la Finlande et la

Suegravede la Cour a conclu au vu du dossier que dans le systegraveme finlandais les

sanctions peacutenales et administratives avaient eacuteteacute infligeacutees par des autoriteacutes

diffeacuterentes sans que les proceacutedures aient le moindre lien entre elles elles

avaient chacune suivi leur propre cheminement et avaient pris fin

indeacutependamment lrsquoune de lrsquoautre De plus chaque juridiction ou autoriteacute

avait fixeacute le quantum de la peine sans tenir compte de la sanction prononceacutee

par lrsquoautre et elles nrsquoavaient eu aucun eacutechange entre elles Surtout dans le

systegraveme finlandais les majorations drsquoimpocirct eacutetaient appliqueacutees agrave lrsquoissue drsquoun

examen du comportement du contrevenant et de lrsquoapplicabiliteacute agrave son eacutegard

de la leacutegislation fiscale pertinente indeacutependamment de lrsquoappreacuteciation au

peacutenal La Cour a donc conclu agrave la violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

au motif que le requeacuterant avait eacuteteacute condamneacute deux fois pour les mecircmes faits

dans le cadre de deux proceacutedures distinctes

On peut trouver un raisonnement et des conclusions identiques (ou

quasiment identiques) agrave propos de faits analogues dans les arrecircts Rinas

c Finlande (no 1703913 27 janvier 2015) et Oumlsterlund c Finlande

(no 5319713 10 feacutevrier 2015)

Il faut noter que si dans certaines de ces affaires (Nykaumlnen Glantz

Lucky Dev Rinas Oumlsterlund) les deux proceacutedures avaient eacuteteacute conduites

dans une large mesure simultaneacutement le lien temporel a eacuteteacute manifestement

jugeacute insuffisant agrave lui seul pour exclure lrsquoapplication de la regravegle non bis in

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 41

idem Il ne semble pas deacuteraisonnable de deacuteduire de ces arrecircts concernant la

Finlande et la Suegravede que les deux proceacutedures ayant agrave chaque fois eacuteteacute

meneacutees dans une large mesure simultaneacutement crsquoest lrsquoabsence de lien

mateacuteriel qui au vu des circonstances propres agrave chaque affaire a provoqueacute la

violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

115 Dans une troisiegraveme seacuterie drsquoaffaires ougrave les proceacutedures avaient eacuteteacute

conduites en parallegravele pendant un certain temps la Cour a conclu agrave la

violation mais sans se reacutefeacuterer au critegravere tireacute de la deacutecision Nilsson du laquo lien

mateacuteriel et temporel suffisamment eacutetroit raquo

Dans lrsquoaffaire preacuteciteacutee Tomasović (sectsect 5-10 et 30-32) le requeacuterant avait

eacuteteacute poursuivi et condamneacute deux fois pour la mecircme infraction de possession

de stupeacutefiants drsquoabord en tant qursquolaquo infraction mineure raquo (jugeacutee laquo peacutenale raquo

au vu des deuxiegraveme et troisiegraveme critegraveres Engel ndash ibidem sectsect 22-25) puis en

tant qursquolaquo infraction peacutenale raquo Faute pour la seconde proceacutedure drsquoavoir eacuteteacute

abandonneacutee agrave la conclusion de la premiegravere la Cour a estimeacute eacutevident qursquoil y

avait eu une reacutepeacutetition de proceacutedures peacutenales contraire agrave lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 (voir de la mecircme maniegravere Muslija preacuteciteacute sectsect 28-32 et 37

srsquoagissant de coups et blessures aggraveacutes)

De mecircme dans lrsquoaffaire Grande Stevens et autres c Italie (nos 1864010

1864710 1866310 1866810 et 1869810 4 mars 2014) la Cour a

constateacute qursquoil y avait eu une double proceacutedure relative au mecircme

comportement frauduleux en lrsquooccurrence une manipulation du marcheacute par

la diffusion de fausses informations drsquoune part une proceacutedure

administrative (du 9 feacutevrier 2007 au 23 juin 2009) qualifieacutee de laquo peacutenale raquo agrave

lrsquoaune des critegraveres Engel conduite devant la Commission nationale des

socieacuteteacutes et de la bourse (Commissione Nazionale per le Societa e la Borsa)

puis devant la cour drsquoappel et la Cour de cassation conclue par lrsquoimposition

drsquoune amende de 3 000 000 EUR assortie drsquoune interdiction drsquoexercer

certaines activiteacutes professionnelles et drsquoautre part une proceacutedure peacutenale (du

7 novembre 2008 au 28 feacutevrier 2013 et au-delagrave toujours en cours agrave la date

de lrsquoarrecirct) conduite devant le tribunal de premiegravere instance la Cour de

cassation et la cour drsquoappel Son constat que la nouvelle instance concernait

une seconde laquo infraction raquo neacutee de faits identiques agrave ceux qui avaient donneacute

lieu agrave la premiegravere condamnation devenue deacutefinitive lui a suffi agrave conclure agrave

la violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

116 Quatriegravemement lrsquoarrecirct Kapetanios et autres (preacuteciteacute) confirmeacute par

lrsquoarrecirct Sismanidis et Sitaridis c Gregravece nos 6660209 et 7187912 9 juin

2016 constitue un autre exemple distinct drsquoabsence de lien mateacuteriel ne

faisant pas explicitement reacutefeacuterence agrave ce critegravere tireacute de la deacutecision Nilsson

(preacuteciteacutee) Dans ces affaires les requeacuterants furent tout drsquoabord acquitteacutes

drsquoinfractions douaniegraveres agrave lrsquoissue de proceacutedures peacutenales Par la suite malgreacute

les acquittements les juridictions administratives leur infligegraverent de lourdes

amendes administratives pour le mecircme comportement Convaincue que ces

derniegraveres proceacutedures eacutetaient laquo peacutenales raquo pour les besoins de lrsquoarticle 4 du

42 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

Protocole no 7 la Cour a conclu agrave la violation de cette disposition (voir les

paragraphes 73 et 47 de ces arrecircts respectivement)

d) Conclusions agrave tirer de la jurisprudence

117 Si les Eacutetats contractants ont le devoir particulier de proteacuteger les

inteacuterecircts speacutecifiques du justiciable que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 entend

sauvegarder il est aussi neacutecessaire ainsi que cela a deacutejagrave eacuteteacute indiqueacute au

paragraphe 106 ci-dessus de laisser aux autoriteacutes nationales le choix des

moyens agrave utiliser pour y parvenir Il ne faut pas oublier agrave cet eacutegard que le

droit de ne pas ecirctre jugeacute ou puni deux fois nrsquoeacutetait pas inscrit dans la

Convention adopteacutee en 1950 mais qursquoil a eacuteteacute ajouteacute dans un septiegraveme

protocole adopteacute en 1984 et entreacute en vigueur en 1988 soit pregraves de

40 anneacutees plus tard Quatre Eacutetats (lrsquoAllemagne les Pays-Bas le Royaume-

Uni et la Turquie) nrsquoont pas ratifieacute le Protocole no 7 et lrsquoun drsquoentre eux

(lrsquoAllemagne) ainsi que quatre Eacutetats qui lrsquoont ratifieacute (lrsquoAutriche la France

lrsquoItalie et le Portugal) ont eacutemis des reacuteserves ou des deacuteclarations

interpreacutetatives preacutecisant que le mot laquo peacutenalement raquo devait leur ecirctre appliqueacute

selon le sens donneacute agrave cette notion dans leurs lois nationales respectives

(Signalons que les reacuteserves formuleacutees par lrsquoAutriche et lrsquoItalie ont eacuteteacute jugeacutees

non valables parce qursquoelles nrsquoeacutetaient pas accompagneacutees drsquoun bref exposeacute de

la loi en cause comme le veut lrsquoarticle 57 sect 2 (voir respectivement

Gradinger c Autriche 23 octobre 1995 sect 51 seacuterie A no 328-C et Grande

Stevens preacuteciteacute sectsect 204-211) contrairement agrave la reacuteserve eacutemise par la France

(Goumlktan c France no 3340296 sect 51 CEDH 2002-V))

118 La Cour souligne eacutegalement lrsquoobservation formuleacutee par lrsquoavocat

geacuteneacuteral pregraves la CJUE dans lrsquoaffaire Fransson (paragraphe 51 ci-dessus)

selon laquelle lrsquoimposition de sanctions sur la base tant du droit

administratif que du droit peacutenal pour la mecircme infraction est une pratique

tregraves reacutepandue dans les Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne surtout dans

des domaines tels que la fiscaliteacute les politiques environnementales ou la

seacutecuriteacute publique Lrsquoavocat geacuteneacuteral a ajouteacute que les modaliteacutes relatives au

cumul des sanctions variaient eacutenormeacutement selon les ordres juridiques et

revecirctaient des caracteacuteristiques speacutecifiques propres agrave chaque Eacutetat membre et

que dans la plupart des cas ces speacutecificiteacutes visaient agrave atteacutenuer les effets

drsquoune double reacuteaction punitive de la part des pouvoirs publics

119 Par ailleurs pas moins de six Eacutetats parties au Protocole no 7 sont

intervenus en la preacutesente instance exprimant surtout des opinions et des

preacuteoccupations sur des points drsquointerpreacutetation que partage aussi dans une

large mesure le gouvernement deacutefendeur

120 Dans ces conditions il faut souligner agrave titre liminaire que comme

la Cour le reconnaicirct dans une jurisprudence constante crsquoest aux Eacutetats

contractants qursquoil revient au premier chef de deacutecider de lrsquoorganisation de

leur systegraveme juridique y compris de leurs proceacutedures peacutenales (voir par

exemple Taxquet c Belgique [GC] no 92605 sect 83 CEDH 2010) Par

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 43

exemple rien dans la Convention nrsquointerdit dans tel ou tel cas de seacuteparer en

diffeacuterentes phases ou parties le processus de fixation de la peine de sorte

que diffeacuterentes peines peuvent ecirctre prononceacutees successivement ou

parallegravelement pour une infraction qursquoil convient de qualifier de laquo peacutenale raquo

au sens autonome que revecirct ce mot sur le terrain de la Convention (voir par

exemple Phillips c Royaume-Uni no 4108798 sect 34 CEDH 2001-VII

affaire qui concernait des griefs tireacutes sur le terrain de lrsquoarticle 6 drsquoune

proceacutedure de confiscation des recettes issues drsquoinfractions agrave la leacutegislation

sur les stupeacutefiants dirigeacutee contre un individu et intervenant agrave la suite drsquoune

condamnation du mecircme individu pour ces mecircmes infractions)

121 Aux yeux de la Cour les Eacutetats devraient pouvoir leacutegitimement

opter pour des reacuteponses juridiques compleacutementaires face agrave certains

comportements dangereux pour la socieacuteteacute (par exemple le non-respect du

code de la route le non-paiement des impocircts ou lrsquoeacutevasion fiscale) au moyen

de diffeacuterentes proceacutedures formant un tout coheacuterent de maniegravere agrave traiter sous

ses diffeacuterents aspects le problegraveme social en question pourvu que ces

reacuteponses juridiques combineacutees ne repreacutesentent pas une charge excessive

pour la personne en cause

122 Dans les affaires ougrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 entre en jeu la

Cour a pour tacircche de deacuteterminer si la mesure nationale speacutecifique deacutenonceacutee

constitue dans sa substance ou dans ses effets une double incrimination

portant preacutejudice au justiciable ou si au contraire elle est le fruit drsquoun

systegraveme inteacutegreacute permettant de reacuteprimer un meacutefait sous ses diffeacuterents aspects

de maniegravere preacutevisible et proportionneacutee et formant un tout coheacuterent en sorte

de ne causer aucune injustice agrave lrsquointeacuteresseacute

123 Lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 ne saurait avoir pour effet drsquointerdire

aux Eacutetats contractants drsquoorganiser leur systegraveme juridique de maniegravere agrave

permettre la majoration agrave un taux standard drsquoimpocircts illeacutegalement impayeacutes ndash

quand bien mecircme une telle mesure serait qualifieacutee en elle-mecircme de

laquo peacutenale raquo pour les besoins des garanties drsquoeacutequiteacute du procegraves preacutevues dans la

Convention ndash aussi dans les cas plus graves ougrave il y aurait peut-ecirctre lieu de

poursuivre lrsquoauteur du meacutefait parce qursquoun eacuteleacutement non retenu dans la

proceacutedure laquo administrative raquo en recouvrement des impocircts par exemple un

comportement frauduleux srsquoajouterait au deacutefaut de paiement Lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 a pour objet drsquoempecirccher lrsquoinjustice que repreacutesenterait pour

une personne le fait drsquoecirctre poursuivie ou punie deux fois pour le mecircme

comportement deacutelictueux Il ne bannit toutefois pas les systegravemes juridiques

qui traitent de maniegravere laquo inteacutegreacutee raquo le meacutefait neacutefaste pour la socieacuteteacute en

question notamment en reacuteprimant celui-ci dans le cadre de phases parallegraveles

meneacutees par des autoriteacutes diffeacuterentes agrave des fins diffeacuterentes

124 La Cour estime que la jurisprudence preacuteciteacutee portant sur les

proceacutedures parallegraveles ou mixtes creacuteeacutee avec les deacutecisions RT c Suisse et

Nilsson c Suegravede puis reprise dans lrsquoarrecirct Nykaumlnen et une seacuterie drsquoautres

affaires donne des indications utiles qui aident agrave deacutefinir ougrave se trouve le juste

44 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

eacutequilibre entre la preacuteservation neacutecessaire des inteacuterecircts de lrsquoindividu proteacutegeacutes

par le principe non bis in idem drsquoune part et la prise en compte de lrsquointeacuterecirct

particulier pour la socieacuteteacute de pouvoir reacuteglementer de maniegravere calibreacutee le

domaine en question drsquoautre part Cela dit avant de se pencher plus avant

sur les critegraveres pertinents agrave lrsquoaune desquels lrsquoeacutequilibre voulu peut ecirctre

meacutenageacute la Cour juge souhaitable de preacuteciser les conclusions agrave tirer de la

jurisprudence existante

125 Premiegraverement il faut conclure de lrsquoapplication du critegravere du laquo lien

mateacuteriel et temporel suffisamment eacutetroit raquo dans les affaires finlandaises et

sueacutedoises reacutecentes qursquoil ne sera pas satisfait agrave ce critegravere si lrsquoun ou lrsquoautre des

deux eacuteleacutements ndash mateacuteriel ou temporel ndash fait deacutefaut (paragraphe 114

ci-dessus)

126 Deuxiegravemement dans certaines affaires la Cour a drsquoabord rechercheacute

si et dans lrsquoaffirmative agrave quel moment lrsquoune des proceacutedures avait fait

lrsquoobjet drsquoune deacutecision laquo deacutefinitive raquo (faisant potentiellement obstacle agrave la

poursuite de lrsquoautre proceacutedure) avant drsquoappliquer le critegravere du laquo lien

suffisamment eacutetroit raquo et de reacutepondre par la neacutegative agrave la question du respect

de la condition de laquo bis raquo crsquoest-agrave-dire de conclure agrave lrsquoabsence de reacutepeacutetition

(Boman preacuteciteacute sectsect 36 agrave 38) Pour la Cour cependant la question du

caractegravere laquo deacutefinitif raquo ou non drsquoune deacutecision ne se pose pas degraves lors qursquoil y a

non pas une reacutepeacutetition des poursuites agrave proprement parler mais plutocirct une

combinaison de proceacutedures dont on peut consideacuterer qursquoelles forment un tout

inteacutegreacute

127 Troisiegravemement le point preacuteceacutedent a aussi une incidence sur les

preacuteoccupations exprimeacutees par certains des gouvernements intervenants agrave

savoir qursquoil ne faudrait pas exiger que les proceacutedures connexes deviennent

laquo deacutefinitives raquo au mecircme moment faute de quoi la personne concerneacutee

pourrait utiliser le principe non bis in idem agrave des fins de manipulation et

drsquoimpuniteacute Sur ce point la conclusion figurant au paragraphe 51 de lrsquoarrecirct

Nykaumlnen (preacuteciteacute) et dans un certain nombre drsquoarrecircts posteacuterieurs agrave savoir

que laquo lrsquoune et lrsquoautre des proceacutedures suivent leur propre cheminement et

prennent fin indeacutependamment lrsquoune de lrsquoautre raquo doit ecirctre consideacutereacutee comme

un constat de fait dans le reacutegime finlandais examineacute il nrsquoexistait pas de

lien suffisant drsquoun point de vue mateacuteriel entre la proceacutedure administrative et

la proceacutedure peacutenale alors qursquoelles avaient eacuteteacute conduites de maniegravere plus ou

moins simultaneacutee Lrsquoarrecirct Nykaumlnen est un exemple de cas ougrave lrsquoapplication

du critegravere du laquo lien mateacuteriel et temporel suffisant raquo va dans une certaine

direction en fonction des faits

128 Quatriegravemement pour des raisons similaires agrave celles exposeacutees

ci-dessus lrsquoordre dans lequel les proceacutedures sont conduites ne saurait ecirctre

un eacuteleacutement deacutecisif pour se prononcer sur le point de savoir si lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 permet des proceacutedures mixtes ou multiples (comparer avec

les deacutecisions preacuteciteacutees RT c Suisse ougrave un permis de conduire avait eacuteteacute

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 45

retireacute avant lrsquoouverture du procegraves peacutenal et Nilsson c Suegravede ougrave le retrait

eacutetait intervenu apregraves)

129 Enfin il ressort de certaines des affaires susmentionneacutees (Sergueiuml

Zolotoukhine Tomasović et Muslija eacutevoqueacutees au paragraphes 108 et 115

ci-dessus) pour autant que celles-ci concernaient une reacutepeacutetition de

proceacutedures dans lesquelles les objectifs et moyens employeacutes nrsquoeacutetaient pas

compleacutementaires (paragraphe 130 ci-dessous) que la Cour nrsquoeacutetait pas

disposeacutee agrave les examiner comme si elles avaient concerneacute des proceacutedures

parallegraveles ou mixtes susceptibles drsquoecirctre compatibles avec le principe ne bis

in idem comme dans les affaires RT c Suisse Nilsson et Boman

(paragraphe 113 ci-dessus)

130 Il ressort agrave lrsquoeacutevidence de cette analyse de la jurisprudence de la

Cour que srsquoagissant de faits punissables aussi bien sur le terrain du droit

peacutenal que sur celui du droit administratif la maniegravere la plus sucircre de veiller

au respect de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 consiste agrave preacutevoir agrave un stade

opportun une proceacutedure agrave un seul niveau permettant la reacuteunion des

branches parallegraveles du reacutegime leacutegal reacutegissant lrsquoactiviteacute en cause de faccedilon agrave

satisfaire dans le cadre drsquoun seul et mecircme processus aux diffeacuterents

impeacuteratifs poursuivis par la socieacuteteacute dans sa reacuteaction face agrave lrsquoinfraction

Toutefois ainsi qursquoil a eacuteteacute expliqueacute ci-dessus (notamment aux paragraphes

111 et 117 agrave 120) lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 nrsquoexclut pas la conduite de

proceacutedures mixtes mecircme jusqursquoagrave leur terme pourvu que certaines

conditions soient remplies En particulier pour convaincre la Cour de

lrsquoabsence de reacutepeacutetition de procegraves ou de peines (bis) proscrite par lrsquoarticle 4

du Protocole no 7 lrsquoEacutetat deacutefendeur doit eacutetablir de maniegravere probante que les

proceacutedures mixtes en question eacutetaient unies par un laquo lien mateacuteriel et

temporel suffisamment eacutetroit raquo Autrement dit il doit ecirctre deacutemontreacute que

celles-ci se combinaient de maniegravere agrave ecirctre inteacutegreacutees dans un tout coheacuterent

Cela signifie non seulement que les buts poursuivis et les moyens utiliseacutes

pour y parvenir doivent ecirctre en substance compleacutementaires et preacutesenter un

lien temporel mais aussi que les eacuteventuelles conseacutequences deacutecoulant drsquoune

telle organisation du traitement juridique du comportement en question

doivent ecirctre proportionneacutees et preacutevisibles pour le justiciable

131 Srsquoagissant des conditions agrave satisfaire pour que des proceacutedures

mixtes administratives et peacutenales puissent ecirctre regardeacutees comme preacutesentant

un lien mateacuteriel et temporel suffisant et donc comme compatibles avec le

critegravere de laquo bis raquo deacutecoulant de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 la Cour reacutesume

de la maniegravere suivante les consideacuterations pertinentes tireacutees de sa

jurisprudence telle qursquoexamineacutee ci-dessus

132 Les eacuteleacutements pertinents pour statuer sur lrsquoexistence drsquoun lien

suffisamment eacutetroit du point de vue mateacuteriel sont notamment les suivants

ndash le point de savoir si les diffeacuterentes proceacutedures visent des buts

compleacutementaires et concernent ainsi non seulement in abstracto mais aussi

46 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

in concreto des aspects diffeacuterents de lrsquoacte preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute en

cause

ndash le point de savoir si la mixiteacute des proceacutedures en question est une

conseacutequence preacutevisible aussi bien en droit qursquoen pratique du mecircme

comportement reacuteprimeacute (idem)

ndash le point de savoir si les proceacutedures en question ont eacuteteacute conduites drsquoune

maniegravere qui eacutevite autant que possible toute reacutepeacutetition dans le recueil et dans

lrsquoappreacuteciation des eacuteleacutements de preuve notamment gracircce agrave une interaction

adeacutequate entre les diverses autoriteacutes compeacutetentes faisant apparaicirctre que

lrsquoeacutetablissement des faits effectueacute dans lrsquoune des proceacutedures a eacuteteacute repris dans

lrsquoautre

ndash et surtout le point de savoir si la sanction imposeacutee agrave lrsquoissue de la

proceacutedure arriveacutee agrave son terme en premier a eacuteteacute prise en compte dans la

proceacutedure qui a pris fin en dernier de maniegravere agrave ne pas faire porter pour

finir agrave lrsquointeacuteresseacute un fardeau excessif ce dernier risque eacutetant moins

susceptible de se preacutesenter srsquoil existe un meacutecanisme compensatoire conccedilu

pour assurer que le montant global de toutes les peines prononceacutees est

proportionneacute

133 Agrave cet eacutegard il est eacutegalement instructif de tenir compte de la

maniegravere dont lrsquoarticle 6 de la Convention est appliqueacute dans le type drsquoaffaire

aujourdrsquohui examineacutee (Jussila preacuteciteacute sect 43)

laquo () il va de soi que certaines [proceacutedures peacutenales] ne comportent aucun caractegravere

infamant pour ceux qursquoelles visent et que les laquo accusations en matiegravere peacutenale raquo nrsquoont

pas toutes le mecircme poids De surcroicirct en adoptant une interpreacutetation autonome de la

notion drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo par application des critegraveres Engel les

organes de la Convention ont jeteacute les bases drsquoune extension progressive de

lrsquoapplication du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 agrave des domaines qui ne relegravevent pas

formellement des cateacutegories traditionnelles du droit peacutenal telles que les

contraventions administratives () les punitions pour manquement agrave la discipline

peacutenitentiaire () les infractions douaniegraveres () les sanctions peacutecuniaires infligeacutees

pour violation du droit de la concurrence () et les amendes infligeacutees par des

juridictions financiegraveres () Les majorations drsquoimpocirct ne faisant pas partie du noyau

dur du droit peacutenal les garanties offertes par le volet peacutenal de lrsquoarticle 6 ne doivent pas

neacutecessairement srsquoappliquer dans toute leur rigueur () raquo

Le raisonnement ci-dessus permet de deacutegager les eacuteleacutements pertinents

lorsqursquoil faut deacuteterminer si lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 a eacuteteacute respecteacute dans

les affaires de proceacutedures mixtes (administratives et peacutenales) De plus

comme la Cour lrsquoa deacutejagrave dit agrave de nombreuses reprises la Convention doit se

lire comme un tout et srsquointerpreacuteter de maniegravere agrave promouvoir sa coheacuterence

interne et lrsquoharmonie entre ses diverses dispositions (Klass et autres

c Allemagne 6 septembre 1978 sect 68 seacuterie A no 28 voir aussi Maaouia

c France [GC] no 3965298 sect 36 CEDH 2000-X Kudła c Pologne [GC]

no 3021096 sect 152 CEDH 2000-XI et Stec et autres c Royaume-Uni (deacutec)

[GC] nos 6573101 et 6590001 sect 48 CEDH 2005-X)

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 47

La mesure dans laquelle la proceacutedure administrative preacutesente les

caracteacuteristiques drsquoune proceacutedure peacutenale ordinaire est un eacuteleacutement important

Des proceacutedures mixtes satisferont plus vraisemblablement aux critegraveres de

compleacutementariteacute et de coheacuterence si les sanctions imposables dans la

proceacutedure non formellement qualifieacutee de laquo peacutenale raquo sont speacutecifiques au

comportement en question et ne font donc pas partie du laquo noyau dur du droit

peacutenal raquo (pour reprendre les termes de lrsquoarrecirct Jussila preacuteciteacute) Si agrave titre

additionnel cette proceacutedure nrsquoa pas de caractegravere veacuteritablement infamant il y

a moins de chances qursquoelle fasse peser une charge disproportionneacutee sur

lrsquoaccuseacute Agrave lrsquoinverse plus la proceacutedure administrative preacutesente de

caracteacuteristiques infamantes la rapprochant dans une large mesure drsquoune

proceacutedure peacutenale ordinaire plus les finaliteacutes sociales poursuivies par la

punition du comportement fautif dans des proceacutedures diffeacuterentes risquent de

se reacutepeacuteter (bis) au lieu de se compleacuteter Lrsquoissue des affaires mentionneacutees au

paragraphe 129 ci-dessus peut passer pour des illustrations de la

concreacutetisation drsquoun tel risque

134 De plus ainsi qursquoil a deacutejagrave eacuteteacute dit implicitement ci-dessus mecircme

lorsque le lien mateacuteriel est suffisamment solide la condition du lien

temporel demeure et doit ecirctre satisfaite Il ne faut pas en conclure pour

autant que les deux proceacutedures doivent ecirctre meneacutees simultaneacutement du deacutebut

agrave la fin LrsquoEacutetat doit avoir la faculteacute drsquoopter pour la conduite des proceacutedures

progressivement si ce proceacutedeacute se justifie par un souci drsquoefficaciteacute et de

bonne administration de la justice poursuit des finaliteacutes sociales diffeacuterentes

et ne cause pas un preacutejudice disproportionneacute agrave lrsquointeacuteresseacute Toutefois ainsi

qursquoil a deacutejagrave eacuteteacute preacuteciseacute il doit toujours y avoir un lien temporel Ce lien doit

ecirctre suffisamment eacutetroit pour que le justiciable ne soit pas en proie agrave

lrsquoincertitude et agrave des lenteurs et pour que les proceacutedures ne srsquoeacutetalent pas

trop dans le temps (voir comme exemple de lacune de ce type Kapetanios

et autres preacuteciteacute sect 67) mecircme dans lrsquohypothegravese ougrave le reacutegime national

pertinent preacutevoit un meacutecanisme laquo inteacutegreacute raquo comportant un volet

administratif et un volet peacutenal distincts Plus le lien temporel est teacutenu plus il

faudra que lrsquoEacutetat explique et justifie les lenteurs dont il pourrait ecirctre

responsable dans la conduite des proceacutedures

e) Sur le respect en lrsquoespegravece de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

i Le premier requeacuterant

135 Srsquoagissant du premier requeacuterant le bureau des impocircts lui appliqua

le 24 novembre 2008 une majoration drsquoimpocirct de 30 en vertu des

articles 10-2 1) et 10-4 1) de la loi fiscale au motif qursquoil avait omis dans sa

deacuteclaration fiscale pour lrsquoanneacutee 2002 3 259 342 NOK de revenus perccedilus agrave

lrsquoeacutetranger (paragraphe 16 ci-dessus) Le premier requeacuterant nrsquoayant pas

attaqueacute cette deacutecision celle-ci devint deacutefinitive au plus tocirct au bout de trois

semaines agrave lrsquoexpiration du deacutelai de recours (paragraphe 143 ci-dessous) Il

48 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

fut aussi poursuivi peacutenalement pour la mecircme omission dans sa deacuteclaration

fiscale pour 2002 le 14 octobre 2008 il fut inculpeacute et le 2 mars 2009 le

tribunal de Follo le reconnut coupable de fraude fiscale aggraveacutee et le

condamna agrave un an drsquoemprisonnement pour violation de lrsquoarticle 12-1 1)a)

cf section 12-2 de la loi fiscale (paragraphes 15 et 17 ci-dessus) La cour

drsquoappel le deacutebouta (paragraphe 19 ci-dessus) de mecircme que le 27 novembre

2010 la Cour suprecircme (paragraphes 20 agrave 30 ci-dessus)

α) Lrsquoapplication drsquoune majoration drsquoimpocirct eacutetait-elle de nature peacutenale

136 Dans le droit fil de ce qursquoelle a dit au paragraphe 107 ci-dessus la

Cour recherchera si la proceacutedure drsquoapplication de la majoration drsquoimpocirct de

30 pouvait sur la base des critegraveres Engel ecirctre qualifieacutee de laquo peacutenale raquo

pour les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

137 Agrave cet eacutegard la Cour note que la Cour suprecircme a eacuteteacute attentive agrave

lrsquoeacutevolution progressive du droit de la Convention dans ce domaine et srsquoest

efforceacutee de tenir compte des eacutevolutions de la jurisprudence de la Cour dans

ses propres deacutecisions en matiegravere de leacutegislation fiscale (paragraphes 44-47

ci-dessus) Ainsi en 2002 la Cour suprecircme a dit pour la premiegravere fois

qursquoune majoration drsquoimpocirct de 30 constituait une laquo accusation en matiegravere

peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 de la Convention Elle a eacutegalement jugeacute

contrairement agrave ses deacutecisions anteacuterieures qursquoune majoration drsquoimpocirct de

60 revecirctait un caractegravere peacutenal aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 En

2004 et en 2006 elle a estimeacute qursquoil en allait de mecircme de la majoration

drsquoimpocirct de 30

138 Dans des affaires comparables concernant la Suegravede (majorations

drsquoimpocirct agrave des taux de 40 et 20 ) la Cour a jugeacute que les proceacutedures en

question eacutetaient laquo peacutenales raquo pour les besoins non seulement de lrsquoarticle 6 de

la Convention (Janosevic c Suegravede no 3461997 sectsect 68-71 CEDH 2002-VII

et Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic c Suegravede no 3698597 sectsect 79-82

23 juillet 2002) mais aussi de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 (Manasson

c Suegravede (deacutec) no 4126598 8 avril 2003 Rosenquist deacutecision preacuteciteacutee

Synnelius et Edsbergs Taxi AB c Suegravede (deacutec) no 4429802 17 juin 2008

Carlberg c Suegravede (deacutec) no 963104 27 janvier 2009 et Lucky Dev preacuteciteacute

sectsect 6 et 51)

139 Dans ces conditions la Cour ne voit aucune raison de revenir sur la

conclusion de la Cour suprecircme (paragraphes 22 agrave 25 ci-dessus) selon

laquelle la proceacutedure qui a conduit agrave lrsquoimposition au premier requeacuterant

drsquoune majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire de 30 revecirctait un caractegravere

laquo peacutenal raquo au sens autonome donneacute agrave ce terme sur le terrain de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 49

β) Les infractions peacutenales pour lesquelles le premier requeacuterant a eacuteteacute poursuivi

eacutetaient-elles les mecircmes que celles pour lesquelles une majoration drsquoimpocirct

lui a eacuteteacute appliqueacutee (idem)

140 Ainsi qursquoil a eacuteteacute dit ci-dessus (paragraphe 128) la protection

qursquooffre le principe non bis in idem ne deacutepend pas de lrsquoordre dans lequel les

proceacutedures sont respectivement conduites crsquoest le lien entre les deux

infractions qui compte (Franz Fischer c Autriche no 3795097 sect 29

29 mai 2001 et les arrecircts et deacutecisions preacuteciteacutes Storbraringten Mjelde ainsi que

Haarvig Ruotsalainen et Kapetanios et autres)

141 Appliquant aux faits de lrsquoespegravece lrsquoapproche harmoniseacutee exposeacutee

dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine (preacuteciteacute sectsect 82-84) la Cour suprecircme a

conclu que les circonstances factuelles sur lesquelles reposaient la

majoration drsquoimpocirct et la condamnation peacutenale ndash crsquoest-agrave-dire dans les deux

cas lrsquoomission dans la deacuteclaration fiscale de certaines informations

concernant des revenus ndash eacutetaient suffisamment similaires pour satisfaire agrave la

condition susmentionneacutee (paragraphe 21 ci-dessus) Les parties ne le

contestent pas et malgreacute lrsquoeacuteleacutement factuel suppleacutementaire de fraude qui

caracteacuterise lrsquoinfraction peacutenale la Cour ne voit aucune raison de conclure

autrement

γ) Y a-t-il eu une deacutecision deacutefinitive

142 Pour ce qui est de savoir si au cours de la proceacutedure de majoration

drsquoimpocirct une deacutecision laquo deacutefinitive raquo susceptible de faire obstacle agrave des

poursuites peacutenales a eacuteteacute prise (Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 107-108)

la Cour renvoie agrave son analyse ci-dessus Eacutetant convaincue agrave lrsquoissue de son

examen ci-dessous de lrsquoexistence drsquoun lien mateacuteriel et temporel suffisant

entre la proceacutedure fiscale et la proceacutedure peacutenale pour que celles-ci puissent

ecirctre regardeacutees comme formant une solution juridique inteacutegreacutee reacutepondant au

comportement du premier requeacuterant elle nrsquoestime pas neacutecessaire

drsquoexaminer plus avant la question du caractegravere deacutefinitif de la proceacutedure

fiscale en elle-mecircme Agrave ses yeux la circonstance que la premiegravere proceacutedure

a eacuteteacute clocirctureacutee de maniegravere laquo deacutefinitive raquo avant la seconde nrsquoa aucune

incidence sur lrsquoexamen ci-dessous de lrsquoarticulation entre elles deux

(paragraphe 126 ci-dessus)

143 Point nrsquoest donc besoin pour la Cour de donner son avis sur

lrsquoanalyse faite par la Cour suprecircme de la question de savoir si la premiegravere

deacutecision du 24 novembre 2008 eacutetait devenue deacutefinitive agrave lrsquoexpiration du

deacutelai de recours administratif de trois semaines ou agrave celle du deacutelai de

recours judiciaire de six mois (paragraphe 27 ci-dessus)

δ) Y a-t-il eu reacutepeacutetition de poursuites (bis)

144 Les autoriteacutes nationales compeacutetentes ont jugeacute que le comportement

reacutepreacutehensible du premier requeacuterant appelait deux reacuteponses une sanction

administrative au titre du chapitre 10 de la loi fiscale consacreacute aux

50 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

majorations drsquoimpocirct et une sanction peacutenale au titre du chapitre 12 de cette

mecircme loi (paragraphes 15 16 et 41-43 ci-dessus) chacune ayant une

finaliteacute diffeacuterente Comme la Cour suprecircme lrsquoa expliqueacute dans ses arrecircts

rendus en mai 2002 (paragraphe 46 ci-dessus) la sanction administrative

que constitue la majoration drsquoimpocirct a une finaliteacute geacuteneacuterale de dissuasion en

reacuteaction agrave la communication par le contribuable peut-ecirctre innocemment de

deacuteclarations ou informations inexactes ou incomplegravetes et elle vise aussi agrave

compenser les ressources humaines et financiegraveres consideacuterables consacreacutees

par les autoriteacutes fiscales pour le compte de la collectiviteacute aux controcircles et

veacuterifications destineacutes agrave repeacuterer les deacuteclarations erroneacutees Lrsquoobjectif est que

les personnes ayant communiqueacute des informations incomplegravetes ou inexactes

supportent ces coucircts dans une certaine mesure Le calcul de lrsquoimpocirct est une

opeacuteration massive qui fait intervenir des millions de citoyens Pour la Cour

suprecircme la majoration drsquoimpocirct ordinaire a avant tout pour but drsquoinciter le

contribuable agrave respecter son obligation de fournir des informations

complegravetes et exactes et de renforcer les fondations du systegraveme fiscal

national condition indispensable au bon fonctionnement de lrsquoEacutetat et

partant de la socieacuteteacute Comme lrsquoa dit la Cour suprecircme une condamnation

peacutenale au titre du chapitre 12 en revanche poursuit des fins non seulement

dissuasives mais aussi reacutepressives srsquoagissant de la mecircme omission

preacutejudiciable pour la socieacuteteacute et comporte un eacuteleacutement additionnel de fraude

deacutelictueuse

145 Crsquoest ainsi que agrave la suite drsquoun controcircle fiscal conduit en 2005 le

fisc porta plainte au peacutenal contre le premier requeacuterant et drsquoautres personnes

agrave lrsquoautomne 2007 (paragraphe 13 ci-dessus) En deacutecembre 2007 lrsquointeacuteresseacute

fut interrogeacute en tant qursquoaccuseacute et deacutetenu pendant quatre jours

(paragraphe 14 ci-dessus) En aoucirct 2008 srsquoappuyant notamment sur les

conclusions de lrsquoenquecircte peacutenale le fisc lrsquoavisa qursquoil allait le redresser

notamment pour lrsquoanneacutee 2002 au motif qursquoil avait omis de deacuteclarer

3 259 341 NOK Cet avis reposait sur les conclusions du controcircle fiscal de

la socieacuteteacute Software Innovation AS meneacute par le fisc sur lrsquoenquecircte peacutenale

conseacutecutive et sur la deacuteposition faite par le premier requeacuterant au cours de

cette enquecircte (paragraphe 16 ci-dessus) En octobre 2008 le premier

requeacuterant fut inculpeacute drsquoinfractions fiscales par Oslashkokrim Par une deacutecision du

24 novembre 2008 le fisc ordonna son redressement et le versement par lui

de la majoration drsquoimpocirct en question Cette deacutecision eacutetait notamment fondeacutee

sur les deacutepositions faites par les premier et second requeacuterants lors

drsquointerrogatoires meneacutes au cours de lrsquoenquecircte peacutenale Un peu plus de deux

mois plus tard le 2 mars 2009 le tribunal de Follo condamna lrsquointeacuteresseacute

pour fraude fiscale au motif qursquoil avait omis le montant susmentionneacute dans

sa deacuteclaration fiscale pour lrsquoanneacutee 2002 Pour la Cour il est

particuliegraverement important de constater que conformeacutement aux principes

geacuteneacuteraux du droit national en matiegravere de fixation des peines (paragraphe 50

ci-dessus) ledit tribunal a prononceacute la peine drsquoun an drsquoemprisonnement en

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 51

tenant compte de ce que le premier requeacuterant avait deacutejagrave eacuteteacute lourdement

sanctionneacute par lrsquoapplication de la majoration drsquoimpocirct (paragraphe 17 ci-

dessus comparer avec les arrecircts preacuteciteacutes Kapetanios et autres sect 66 ougrave les

juridictions administratives avaient imposeacute des amendes administratives

sans tenir compte de lrsquoacquittement des requeacuterants agrave lrsquoissue des proceacutedures

peacutenales anteacuterieures relatives au mecircme comportement et Nykaumlnen ougrave la

Cour a conclu agrave lrsquoabsence de lien mateacuteriel suffisant entre les deux

proceacutedures)

146 Dans ces conditions la Cour conclut premiegraverement qursquoelle nrsquoa

aucune raison de mettre en doute les motifs pour lesquels le leacutegislateur

norveacutegien a choisi de reacuteprimer au moyen drsquoune proceacutedure mixte

(administrative et peacutenale) inteacutegreacutee le comportement preacutejudiciable agrave la

socieacuteteacute consistant agrave ne pas payer ses impocircts non plus que ceux pour

lesquels les autoriteacutes norveacutegiennes compeacutetentes ont deacutecideacute agrave lrsquoeacutegard du

premier requeacuterant de traiter seacutepareacutement lrsquoeacuteleacutement de fraude plus grave et

plus reacutepreacutehensible socialement dans le cadre drsquoune proceacutedure peacutenale plutocirct

que dans celui drsquoune proceacutedure administrative ordinaire

Deuxiegravemement la conduite de proceacutedures mixtes avec une possibiliteacute de

cumul de diffeacuterentes peines eacutetait preacutevisible par le premier requeacuterant qui

degraves le deacutebut nrsquoeacutetait pas censeacute ignorer que des poursuites peacutenales srsquoajoutant agrave

une majoration drsquoimpocirct eacutetaient de lrsquoordre du possible voire du probable

compte tenu du dossier (paragraphes 13 et 16 ci-dessus)

Troisiegravemement il semble clair que comme lrsquoa dit la Cour suprecircme les

proceacutedures administrative et peacutenale ont eacuteteacute conduites en parallegravele et eacutetaient

imbriqueacutees (paragraphe 29 ci-dessus) Les faits eacutetablis dans le cadre de

lrsquoune de ces proceacutedures ont eacuteteacute repris dans lrsquoautre et pour ce qui est de la

proportionnaliteacute de la peine globale la sanction peacutenale a tenu compte de la

majoration drsquoimpocirct (paragraphe 17 ci-dessus)

147 Compte tenu des faits porteacutes agrave sa connaissance la Cour conclut que

rien nrsquoindique que le premier requeacuterant ait subi un preacutejudice disproportionneacute

ou une injustice en conseacutequence de la reacuteponse juridique inteacutegreacutee deacutenonceacutee

par lui apporteacutee agrave son absence de deacuteclaration de certains revenus et au

non-paiement de certains de ses impocircts Aussi eu eacutegard aux consideacuterations

exposeacutees ci-dessus (et notamment celles reacutesumeacutees aux

paragraphes 132-134) la Cour est-elle convaincue que si des sanctions

diffeacuterentes ont eacuteteacute imposeacutees par deux autoriteacutes diffeacuterentes lors de

proceacutedures diffeacuterentes il existait neacuteanmoins entre celles-ci un lien tant

mateacuteriel que temporel suffisamment eacutetroit pour les consideacuterer comme

srsquoinscrivant dans le meacutecanisme inteacutegreacute de sanctions preacutevu par le droit

norveacutegien dans le cas ougrave une omission drsquoinformations sur certains revenus

dans une deacuteclaration fiscale conduit agrave une erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct

(paragraphe 21 ci-dessus)

52 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

ii Le second requeacuterant

148 Pour ce qui est du second requeacuterant reprenant le raisonnement

suivi par la Cour suprecircme dans lrsquoarrecirct concernant le premier requeacuterant la

cour drsquoappel jugea premiegraverement que la deacutecision prise le 5 deacutecembre 2008

par le fisc ordonnant agrave lrsquointeacuteresseacute de payer une majoration drsquoimpocirct de 30

srsquoanalysait bien en lrsquoimposition drsquoune sanction laquo peacutenale raquo au sens de

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 elle dit deuxiegravemement que la deacutecision eacutetait

devenue laquo deacutefinitive raquo le 26 deacutecembre 2008 date drsquoexpiration du deacutelai de

recours et troisiegravemement que la deacutecision de majoration drsquoimpocirct et la

condamnation peacutenale ulteacuterieure se rapportaient aux mecircmes faits (paragraphe

37 ci-dessus) Comme dans le cas du premier requeacuterant la Cour ne voit

aucune raison de conclure autrement sur les premier et troisiegraveme points non

plus que la neacutecessiteacute de se prononcer sur le deuxiegraveme

149 Srsquoagissant de la question qui se pose ensuite crsquoest-agrave-dire celle de

savoir srsquoil y a eu ou non une reacutepeacutetition des poursuites (bis) incompatible

avec le Protocole no 7 la Cour relegraveve que comme agrave lrsquoeacutegard du premier

requeacuterant (paragraphe 144 ci-dessus) les autoriteacutes compeacutetentes ont jugeacute

qursquoune proceacutedure mixte se justifiait dans le cas du second requeacuterant

150 Quant au deacuteroulement preacutecis des proceacutedures en cause agrave la suite du

controcircle conduit par lui en 2005 le fisc porta plainte au peacutenal aupregraves

drsquoOslashkokrim agrave lrsquoautomne 2007 contre le second requeacuterant (comme il lrsquoavait

fait contre le premier requeacuterant et drsquoautres personnes) au motif que

lrsquointeacuteresseacute nrsquoavait pas deacuteclareacute 4 561 881 NOK (soit environ 500 000 EUR)

de revenus pour lrsquoanneacutee fiscale 2002 (paragraphe 31 ci-dessus) Le

16 octobre 2008 srsquoappuyant en particulier sur le controcircle fiscal sur la

deacuteposition faite par le second requeacuterant au cours de lrsquoenquecircte peacutenale en

question ainsi que sur les documents saisis par Oslashkokrim lors de lrsquoenquecircte le

bureau des impocircts avisa lrsquointeacuteresseacute qursquoil envisageait de le redresser

fiscalement au motif que celui-ci avait omis de deacuteclarer lesdits revenus et

drsquoappliquer agrave son eacutegard une majoration drsquoimpocirct (paragraphe 32 ci-dessus)

Le 11 novembre 2008 le parquet inculpa le second requeacuterant de fraude

fiscale pour lrsquoomission par celui-ci du montant susmentionneacute ce qui

repreacutesentait 1 302 526 NOK drsquoimpocircts agrave payer et pria le tribunal drsquoOslo de

rendre un jugement sommaire fondeacute sur ses aveux (paragraphe 33

ci-dessus) Le 5 deacutecembre 2008 date agrave laquelle le bureau des impocircts

ordonna au second requeacuterant au titre du redressement de verser ce montant

ainsi que la majoration drsquoimpocirct en question la proceacutedure peacutenale eacutetait deacutejagrave

bien avanceacutee (paragraphe 32 ci-dessus)

Ainsi il ressort des eacuteleacutements ci-dessus que depuis la plainte dont le fisc

avait saisi la police agrave lrsquoautomne 2007 et jusqursquoagrave la deacutecision de majoration

drsquoimpocirct prise le 5 deacutecembre 2008 la proceacutedure peacutenale et la proceacutedure

fiscale ont eacuteteacute conduites en parallegravele et eacutetaient imbriqueacutees Cette situation

est similaire agrave celle du premier requeacuterant

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 53

151 Il est vrai que comme lrsquoa releveacute la cour drsquoappel la peacuteriode de neuf

mois seacuteparant la date agrave laquelle la deacutecision prise par le fisc le 5 deacutecembre

2008 eacutetait devenue deacutefinitive et la date de la condamnation du second

requeacuterant par le tribunal drsquoOslo (le 30 septembre 2009) ndash eacutetait un peu plus

longue que la peacuteriode de deux mois et demi eacutecouleacutee dans le procegraves du

premier requeacuterant Toutefois comme la cour drsquoappel lrsquoa eacutegalement indiqueacute

(paragraphe 39 ci-dessus) cela srsquoexpliquait par la reacutetractation du second

requeacuterant en feacutevrier 2009 en conseacutequence de laquelle il avait fallu

lrsquoinculper de nouveau le 29 mai 2009 et le juger dans le cadre drsquoun procegraves

contradictoire ordinaire (paragraphes 34 et 35 ci-dessus) Cette circonstance

reacutesultat drsquoun revirement du second requeacuterant ne saurait suffire en

elle-mecircme agrave rompre le lien temporel unissant la proceacutedure fiscale et la

proceacutedure peacutenale En particulier le laps de temps suppleacutementaire qui srsquoeacutetait

eacutecouleacute avant lrsquoaudience au peacutenal ne saurait passer pour disproportionneacute ou

deacuteraisonnable agrave en juger par sa cause Il demeure et crsquoest ce qui importe

que comme dans le cas du premier requeacuterant la juridiction de jugement a

fixeacute la peine lors du procegraves peacutenal en tenant effectivement compte de la

majoration drsquoimpocirct (paragraphe 35 ci-dessus)

152 Degraves lors srsquoagissant du second requeacuterant la Cour ne voit pas non

plus de raison de mettre en doute les motifs pour lesquels les autoriteacutes

norveacutegiennes ont choisi de reacuteprimer au moyen drsquoune proceacutedure mixte

(administrative et peacutenale) inteacutegreacutee le comportement reacutepreacutehensible en cause

La possibiliteacute drsquoun cumul de diffeacuterentes peines eacutetait forceacutement preacutevisible au

vu des circonstances (paragraphes 13 et 32 ci-dessus) La proceacutedure

administrative et la proceacutedure peacutenale ont eacuteteacute conduites dans une large

mesure en parallegravele et elles eacutetaient imbriqueacutees (paragraphe 39 ci-dessus) Lagrave

encore les faits eacutetablis dans le cadre de lrsquoune de ces proceacutedures ont eacuteteacute

repris dans lrsquoautre et pour ce qui est de la proportionnaliteacute de la peine

globale la sanction peacutenale a eacuteteacute fixeacutee en tenant compte de la sanction

administrative (paragraphes 33 et 35 ci-dessus)

153 Compte tenu des faits porteacutes agrave sa connaissance la Cour conclut que

rien nrsquoindique que le second requeacuterant ait subi un preacutejudice disproportionneacute

ou une injustice en conseacutequence de la reacuteponse juridique inteacutegreacutee deacutenonceacutee

par lui apporteacutee agrave son absence de deacuteclaration de certains revenus et au non-

paiement de certains de ses impocircts Aussi eu eacutegard aux consideacuterations

exposeacutees ci-dessus (et notamment celles reacutesumeacutees aux

paragraphes 132-134) la Cour conclut-elle qursquoil existait entre la deacutecision de

majoration drsquoimpocirct et la condamnation peacutenale ulteacuterieure un lien tant

mateacuteriel que temporel suffisamment eacutetroit pour consideacuterer que ces mesures

srsquoinscrivaient dans le meacutecanisme inteacutegreacute de sanctions preacutevu par le droit

norveacutegien dans le cas ougrave une omission drsquoinformations dans une deacuteclaration

fiscale conduit agrave une erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct

54 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

iii Conclusion geacuteneacuterale

154 Au vu de ce qui preacutecegravede aucun des deux requeacuterants ne peut passer

pour avoir eacuteteacute laquo poursuivi ou puni peacutenalement () en raison drsquoune

infraction pour laquelle il a[vait] deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute ou condamneacute par un

jugement deacutefinitif raquo au meacutepris de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 La Cour

conclut degraves lors agrave la non-violation de cette disposition en lrsquoespegravece et ce agrave

lrsquoeacutegard du premier requeacuterant comme du second

PAR CES MOTIFS LA COUR

1 Deacuteclare agrave lrsquounanimiteacute les requecirctes recevables

2 Dit par seize voix contre une qursquoil nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 4

du Protocole no 7 agrave la Convention dans le chef du premier et du second

requeacuterant

Fait en franccedilais et en anglais puis prononceacute en audience publique au

Palais des droits de lrsquohomme agrave Strasbourg le 15 novembre 2016

Lawrence Early Guido Raimondi

Jurisconsulte Preacutesident

Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la

Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute de lrsquoopinion seacutepareacutee du juge

Pinto de Albuquerque

GR

TLE

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 55

OPINION DISSIDENTE

DU JUGE PINTO DE ALBUQUERQUE

Table des matiegraveres

I ndash Introduction

Premiegravere partie

II - Fondements du principe ne bis in idem

A Bref rappel historique

a) Lrsquoeacutepoque romaine

b) Les Lumiegraveres

B Un principe de droit international coutumier

a) La consolidation universelle du principe

b) La consolidation europeacuteenne du principe

III - Les deacutefis contemporains du ne bis in idem

A Infractions administratives et politique peacutenale agrave deux vitesses

a) La tendance vers la politique de deacutepeacutenalisation

b) Lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk et la laquo peacutenalisation raquo des infractions mineures

B Les majorations drsquoimpocirct comme instrument de politique peacutenale

a) La nature peacutenale des majorations drsquoimpocirct

b) Lrsquoarrecirct Jussila et la ligne de deacutemarcation entre malum in se et

malum quia prohibitum

Seconde Partie

IV - Lrsquoheacuteritage pro persona de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine

A Le cumul des sanctions administratives et peacutenales

a) Lrsquoidem factum dans les proceacutedures administratives et peacutenales

b) La deacutecision deacutefinitive dans les proceacutedures administratives

B Les proceacutedures parallegraveles administratives et peacutenales (bis)

a) Un lien temporel suffisant

b) Un lien mateacuteriel suffisant

V - La reacutevision de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine

A La restriction de lrsquoidem factum par le critegravere du bis

a) La poursuite de buts diffeacuterents traitant drsquoaspects diffeacuterents de lrsquoacte

preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute

b) La preacutevisibiliteacute du cumul des diffeacuterentes sanctions

B La conception pro auctoritate du ne bis in idem de la majoriteacute

a) Absence de reacutepeacutetition de la collecte et de lrsquoappreacuteciation des preuves

b) Meacutecanisme de compensation entre les sanctions administratives et

peacutenales

VI ndash Conclusion

56 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

I ndash Introduction

1 Je ne peux souscrire ni au raisonnement ni aux conclusions de la

majoriteacute dans la preacutesente affaire Bien que cette affaire concerne

speacutecifiquement le cumul de majorations drsquoimpocirct appliqueacutees dans des

proceacutedures fiscales et de sanctions appliqueacutees en parallegraveles dans des

proceacutedures peacutenales la Grande Chambre a deacutelibeacutereacutement eacutetendu la porteacutee de

lrsquoespegravece au problegraveme juridique plus geacuteneacuteral des laquo proceacutedures peacutenales et

administratives mixtes raquo1 Le but eacutevident de la Grande Chambre est drsquoeacutetablir

un principe de droit europeacuteen des droits de lrsquohomme applicable agrave toutes les

affaires de cumul de proceacutedures peacutenale et administrative Le problegraveme est

que le raisonnement de la Grande Chambre est bacirccleacute La description

impreacutecise des conditions requises pour le cumul des sanctions

administrative et peacutenale et lrsquoapplication superficielle de ces conditions au

cadre juridique et agrave la pratique norveacutegiens laissent une impression

persistante de leacutegegravereteacute dans la motivation

2 Dans la premiegravere partie de cette opinion je traiterai des fondements

oublieacutes du principe ne bis in idem crsquoest-agrave-dire ses racines historiques en

tant que garantie individuelle et sa reconnaissance progressive comme

principe de droit international coutumier Par la suite je preacutesenterai les deacutefis

contemporains auxquels fait face ce principe dans le champ des infractions

administratives et particuliegraverement des infractions fiscales et la reacuteponse

heacutesitante de la part de la Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme (laquo la

Cour raquo) Dans la seconde partie de lrsquoopinion jrsquoeacutevaluerai lrsquoheacuteritage pro

persona de lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine2 et confronterai la posture pro

auctoritate de la majoriteacute dans la preacutesente affaire avec les solutions reacutecentes

de la Cour et de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne dans le champ des

infractions fiscales3 des infractions boursiegraveres4 et des infractions

douaniegraveres5 Enfin je deacutemontrerai les lacunes de la solution de la majoriteacute

en me fondant sur une discussion en profondeur des buts et des eacuteleacutements des

infractions peacutenales et administratives en jeu des diffeacuterentes regravegles de

preuve applicables en droit administratif et en droit peacutenal norveacutegien et des

traits speacutecifiques du meacutecanisme de compensation que fourniraient le droit

interne substantiel et la jurisprudence Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede je

conclurai qursquoil y a eu une violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

1 Voir le paragraphe 132 crucial de lrsquoarrecirct

2 Sergueiuml Zolotoukhine c Russie [GC] ndeg 1493903 sectsect 82 et 84 CEDH 2009

3 Hans Aringkeberg Fransson (C-617frasl10 arrecirct de la Grande Chambre de la CJUE 26 feacutevrier

2013 et Lucky Dev c Suegravede ndeg 735610 sect 58 27 novembre 2014

4 Grande Stevens et autres c Italie nos 1864010 1864710 1866310 1866810 et

1869810 4 mars 2014

5 Kapetanios et autres c Gregravece nos 345312 4294112 et 902813 sect72 30 avril 2015 et

Sismanidis et Sitaridis c Gregravece nos 6660209 et 7187912 9 juin 2016

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 57

Premiegravere partie

II - Fondements du principe ne bis in idem

A Bref rappel historique

a) Lrsquoeacutepoque romaine

3 La maxime ne bis in idem eacutetait respecteacutee durant la Reacutepublique

romaine et le Principat bien que fussent preacutevues certaines exceptions tireacutees

de nouvelles proceacutedures pour les mecircmes crimes contre des accuseacutes deacutejagrave

acquitteacutes6 Initialement durant la peacuteriode des legis actiones la maxime

signifiait que bis de eadem res ne sic actio agrave savoir que le deacuteclenchement

drsquoune certaine action avait pour conseacutequence lrsquoextinction du droit respectif

qui entravait le deacuteclenchement de nouvelles actiones mecircme lorsqursquoaucune

deacutecision sur le fond nrsquoavait eacuteteacute rendue Pour limiter lrsquoimpact de cette

maxime lrsquoexceptio rei judiciatae fut introduite qui eacutetait deacutependante drsquoune

deacutecision preacutealable sur le fond Lrsquoexceptio faisait obstacle au bis in eadem

sans consideacuteration pour le fait que le jugement preacutealable ait abouti agrave un

acquittement ou une condamnation Dans les deux cas lrsquoautoritas rerum

judicatarum emportait extinction de lrsquoaction peacutenale La porteacutee de cette

maxime eacutetait limiteacutee par lrsquoobjet de lrsquoaction peacutenale preacutealable tantum

consumptum quantum judiciatum tantum judiciatum quantum litigatum

Lrsquoeadem quaestio eacutetait deacutefinie par le mecircme fait idem factum7

4 Dans le droit justinien la preacutesomption de veacuteriteacute des deacutecisions des

juridictions devint la nouvelle logique de la maxime Ulpien fut le premier agrave

formuler la maxime res iudicata pro veritate accipitur (D 50 17 207)

Avec lrsquoeacutemergence de la proceacutedure inquisitoire et du raisonnement juridique

syllogistique la logique de la codification impeacuteriale ndash lrsquoautoriteacute de la

juridiction et lrsquoinfaillibiliteacute de ses conclusions ndash eut un impact neacutegatif sur la

dimension individuelle de la maxime Dans la logique de la nouvelle

proceacutedure inquisitoire la reacuteouverture autrefois exceptionnelle drsquoune

proceacutedure peacutenale pour les mecircmes faits en droit romain devint un simple

exemple de la maxime absolutio pro nunc rebus sic stantibus qui en fait

reconnaissait la nature transitoire du jugement peacutenal dans la poursuite de la

6 Sur le deacutebat historique voir Laurens De lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee consideacutereacutee comme

mode drsquoextinction de lrsquoaction publique Paris 1885 Mommsen Roumlmisches Strafrecht

Aaalen 1899 Arturo Rocco Trattato della Cosa Giudicata Come Causa di Estinzione

dellrsquoAzione Penale Rome 1900 Danan La regravegle non bis in idem en droit peacutenal franccedilais

Rennes 1971 Spinellis Die materielle Rechtskraft des Strafurteils Munich 1962

Mansdoumlrfer Das Prinzip des ne bis in idem im europaumlischen Strafrecht Berlin 2004 et

Lelieur-Fischer La regravegle ne bis in idem Du principe de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee au

principe drsquouniciteacute drsquoaction reacutepressive Eacutetude agrave la lumiegravere des droits franccedilais allemand et

europeacuteen Paris 2005

7 Laurens preacuteciteacute p 50-51 Arturo Rocco preacuteciteacute p 76 et Mommsen preacuteciteacute p 450

58 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

veacuteriteacute Par exemple en France drsquoapregraves la regravegle du laquo plus amplement

informeacute raquo en lrsquoabsence de preuve empiriques de lrsquoinnocence de lrsquoaccuseacute

lrsquoacquittement avait une nature transitoire et pouvait ecirctre renverseacute agrave tout

moment par une nouvelle preuve incriminante La mecircme chose est apparue

en Italie ougrave lrsquoaccuseacute eacutetait acquitteacute de lrsquoobservation du tribunal (At in casu

quo reus absoluendus est ab observatione iudici) sous la reacuteserve laquo tant que

les choses restent telles qursquoelles sont raquo (stantibus rebus prout stant) la

proceacutedure pouvant ecirctre rouverte degraves lors que de nouvelles preuves

apparaissaient (supervenient nova indicia)

b) Les Lumiegraveres

5 Les Lumiegraveres renouvelegraverent la dimension individuelle du ne bis in

eadem qui fut incluse agrave lrsquoarticle 8 du chapitre V du titre II de la

Constitution franccedilaise de 1791 (laquo tout homme acquitteacute par un jury leacutegal ne

peut plus ecirctre repris ni accuseacute agrave raison du mecircme fait raquo) et aux articles 246 et

360 du Code drsquoinstruction criminelle de 1808 La conseacutequence pratique de

ces dispositions fut la suppression de la tristement ceacutelegravebre regravegle du laquo plus

amplement informeacute raquo De lrsquoautre cocircteacute de lrsquooceacutean Atlantique la mecircme anneacutee

le Cinquiegraveme Amendement agrave la Constitution des Eacutetats-Unis introduisit une

prohibition de la double incrimination dans la proceacutedure peacutenale (laquo nor shall

any person be subject for the same offense to be twice put in jeopardy of life

or limb raquo) qui comprend lrsquointerdiction des poursuites subseacutequentes agrave un

acquittement ou agrave une condamnation et des peines multiples pour la mecircme

infraction8 Lrsquoamendement visait agrave empecirccher un criminel aussi bien drsquoecirctre

puni deux fois pour la mecircme infraction que drsquoecirctre deux fois traduit en

justice pour celle-ci Lorsque la condamnation eacutetait invalideacutee pour une

erreur la peine deacutejagrave effectueacutee devait ecirctre entiegraverement laquo creacutediteacutee raquo agrave la peine

relative agrave une nouvelle condamnation pour la mecircme infraction9

B Un principe de droit international coutumier

a) La consolidation universelle du principe

6 Ainsi que le montre la pratique bien eacutetablie et quasi-universelle des

Eacutetats le fait que la preacuterogative eacutetatique de poursuivre juger et punir lrsquoauteur

drsquoun fait deacutelictueux srsquoeacuteteint (Strafklageverbrauch) lorsque celui-ci a eacuteteacute

acquitteacute ou reconnu coupable de lrsquoinfraction par une deacutecision deacutefinitive

adopteacutee dans une proceacutedure peacutenale (le principe de lrsquoeacutepuisement de la

proceacutedure ou Erledigungsprinzip) est un principe de droit international

coutumier10 Le principe est indeacutependant de toute condition relative agrave

8 North Carolina c Pearce 395 US 711 p 717 (1969)

9 Ibidem p 718

10 Pour la pratique constitutionnelle voir Bassiouni Human Rights in the Context of

Criminal Justice Identifying International Procedural Protection and Equivalent

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 59

lrsquoimposition de la peine ou agrave son exeacutecution Lorsque ce principe ne

srsquoapplique pas comme dans le cas de lrsquointerdiction du double chacirctiment

sans interdiction de nouvelles poursuites ou de nouveau jugement toute

sanction anteacuterieure doit ecirctre prise en consideacuteration dans lrsquoimposition de la

peine subseacutequente pour le mecircme fait (principe de deacuteduction ou

Anrechnungprinzip)

7 Le principe de lrsquoeacutepuisement de la proceacutedure (Erledigungsprinzip) est

affirmeacute par lrsquoarticle 14 (7) du Pacte international relatif aux droits civils et

politiques de 1966 (laquo poursuivi ou puni raquo) (laquo le PIDCP raquo)11 lrsquoarticle 8 (4)

de la Convention ameacutericaine relative aux droits de lrsquohomme de 1969 (laquo agrave

nouveau poursuivi raquo) lrsquoarticle 75 (4) h) du Protocole additionnel de 1977

aux Conventions de Genegraveve du 12 aoucirct 1949 relatif agrave la protection des

victimes des conflits armeacutes internationaux (laquo poursuivie ou punie raquo)

lrsquoarticle 10 (1) du Statut du Tribunal peacutenal international pour

lrsquoex-Yougoslavie de 1993 (laquo traduit raquo)12 lrsquoarticle 9 (1) du Statut du Tribunal

peacutenal international pour le Rwanda de 1994 (laquo traduit raquo)13 lrsquoarticle 20 (2)

du Statut de la Cour peacutenale internationale de 1998 (laquo condamneacute ou

acquitteacute raquo) et lrsquoarticle 9 (1) du Statut du Tribunal speacutecial pour la Sierra

Leone (laquo traduit raquo) de 200214 et lrsquoarticle 19 (1) de la Chartre Arabe des

droits de lrsquohomme de 2004 Lrsquoarticle 86 de la Troisiegraveme Convention de

Genegraveve de 1949 (laquo puni raquo) et lrsquoarticle 117 (3) de la Quatriegraveme Convention

de Genegraveve de 1949 (laquo puni raquo) ne vont pas aussi loin puisqursquoils nrsquointerdisent

qursquoune nouvelle peine mais ils ne font aucune reacutefeacuterence au principe de

deacuteduction

b) La consolidation europeacuteenne du principe

8 Au sein du Conseil de lrsquoEurope le principe ne bis in idem est

initialement apparu comme motif drsquoexclusion obligatoire ou optionnelle de

la coopeacuteration en matiegravere peacutenale entre Eacutetats Constituent des exemples de

Protections in National Constitutions 1993 3 Duke Journal of Comparative amp

International Law p 247

11 Voir lrsquoObservation Geacuteneacuterale du Comiteacute des droits de lrsquohomme ndeg32 article 14 Droit agrave

lrsquoeacutegaliteacute devant les tribunaux et les cours de justice et agrave un procegraves eacutequitable 23 aoucirct 2007

CCPRCGC32 sectsect 54-57

12 laquo Pour deacutecider de la peine agrave infliger agrave une personne condamneacutee pour un crime viseacute par

le preacutesent statut le Tribunal international tient compte de la mesure dans laquelle cette

personne a deacutejagrave purgeacute toute peine qui pourrait lui avoir eacuteteacute infligeacutee par une juridiction

nationale pour le mecircme fait raquo

13 laquo Pour deacutecider de la peine agrave infliger agrave une personne condamneacutee pour un crime viseacute par

le preacutesent statut le Tribunal international pour le Rwanda tient compte de la mesure dans

laquelle cette personne a deacutejagrave purgeacute toute peine qui pourrait lui avoir eacuteteacute infligeacutee par une

juridiction nationale pour le mecircme fait raquo

14 laquo Pour deacutecider de la peine agrave infliger agrave une personne condamneacutee pour un crime viseacute par

le preacutesent Statut le Tribunal speacutecial tient compte de la mesure dans laquelle cette personne

a deacutejagrave purgeacute une peine qui pourrait lui avoir eacuteteacute infligeacutee par une juridiction nationale pour

le mecircme fait raquo

60 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

cette approche limiteacutee lrsquoarticle 9 de la Convention europeacuteenne drsquoextradition

de 195715 lrsquoarticle 9 de la Convention europeacuteenne pour la reacutepression des

infractions routiegraveres de 196216 lrsquoarticle 2 du Protocole additionnel agrave la

Convention europeacuteenne drsquoextradition de 197517 lrsquoarticle 8 de la Convention

sur le transfegraverement des personnes condamneacutees de 198318 lrsquoarticle 2 (4) de

lrsquoAccord relatif au trafic illicite par mer de 1995 mettant en œuvre lrsquoarticle

17 de la Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupeacutefiants

et de substances psychotropes19 et lrsquoarticle 28 (1) f) de la Convention du

Conseil de lrsquoEurope relative au blanchiment au deacutepistage agrave la saisie et agrave la

confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme de

200520

9 Plus reacutecemment le principe de lrsquoeacutepuisement de la proceacutedure

(Erledigungsprinzip) a eacuteteacute affirmeacute par lrsquoarticle 53 de la Convention

europeacuteenne sur la valeur internationale des jugements reacutepressifs de 1970

(laquo ne peut pour le mecircme fait ecirctre poursuivie condamneacutee ou soumise agrave

lrsquoexeacutecution drsquoune sanction raquo)21 lrsquoarticle 35 de la Convention europeacuteenne sur

la transmission des proceacutedures reacutepressives de 1972 (laquo ne peut pour le mecircme

fait ecirctre poursuivie condamneacutee ou soumise agrave lrsquoexeacutecution drsquoune sanction raquo)

22 et lrsquoarticle 17 de la Convention europeacuteenne sur les infractions visant des

biens culturels de 1985 (laquo ne peut pour le mecircme fait ecirctre poursuivie

condamneacutee ou soumise agrave lrsquoexeacutecution drsquoune sanction raquo) 23 Dans ces cas de

figure lorsque le ne bis in idem ne srsquoapplique pas le principe de deacuteduction

doit ecirctre proteacutegeacute en tant que garantie de dernier ressort Lrsquoarticle 25 de la

Convention du Conseil de lrsquoEurope de 2005 sur la lutte contre la traite des

ecirctres humains eacutetablit seulement le principe de deacuteduction24

10 La Recommandation 791 (1976) de lrsquoAssembleacutee Parlementaire du

Conseil de lrsquoEurope sur la protection des droits de lrsquohomme en Europe

exhortait le Comiteacute des Ministres agrave laquo srsquoefforcer drsquoinseacuterer le plus grand

nombre possible de dispositions positives du Pacte des Nations Unies dans

la Convention europeacuteenne des Droits de lrsquoHomme raquo Lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 a ainsi eacuteteacute approuveacute en 198425 sous lrsquoinfluence directe de

15 STE ndeg 24

16 STE ndeg 52

17 STE ndeg 86

18 STE ndeg 112

19 STE ndeg 156

20 STCE ndeg 198

21 STE ndeg 70 Lorsque ce principe ne srsquoapplique pas lrsquoarticle 54 preacutevoit lrsquoapplication du

principe de deacuteduction pour les peines de prison

22 STE ndeg 73 Lorsque ce principe ne srsquoapplique pas lrsquoarticle 36 preacutevoit lrsquoapplication du

principe de deacuteduction pour les peines de prison

23 STE ndeg 119 Lorsque ce principe ne srsquoapplique pas lrsquoarticle 18 preacutevoit lrsquoapplication du

principe de deacuteduction pour les peines de prison

24 STCE ndeg 197

25 STE ndeg 117 Il est entreacute en vigueur le 1er novembre 1988

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 61

lrsquoarticle 17 (7) du PIDCP La nouveauteacute majeure eacutetait la nature non

susceptible de deacuterogation du principe europeacuteen

11 Au sein de lrsquoUnion europeacuteenne le principe de lrsquoeacutepuisement de la

proceacutedure (Erledigungsprinzip) est affirmeacute agrave lrsquoarticle 1 de la Convention

entre les Eacutetats membres des communauteacutes europeacuteennes relative agrave

lrsquoapplication du principe ne bis in idem de 1987 (laquo ne peut pour les mecircmes

faits ecirctre poursuivie raquo)26 lrsquoarticle 54 de la Convention drsquoapplication de

lrsquoAccord de Schengen (laquo la CAAS raquo) de 1990 (laquo ne peut pour les mecircmes

faits ecirctre poursuivie raquo)27 lrsquoarticle 7 de la Convention relative agrave la protection

des inteacuterecircts financiers des Communauteacutes europeacuteennes de 1995 (laquo ne peut

ecirctre poursuivie raquo)28 lrsquoarticle 10 de la Convention contre la corruption

impliquant des fonctionnaires communautaires ou nationaux de 1997 (laquo ne

peut ecirctre poursuivie raquo) 29 lrsquoarticle 2(1) du regraveglement de la Banque centrale

europeacuteenne no 21571999 concernant les pouvoirs de la Banque centrale

europeacuteenne en matiegravere de sanctions (laquo Il nrsquoy a lieu drsquoengager qursquoune seule

proceacutedure drsquoinfraction contre une mecircme entreprise sur la base des mecircmes

faits raquo) lrsquoarticle 50 de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion

europeacuteenne (laquo la Charte raquo) de 2000 (laquo poursuivi ou puni raquo) et lrsquoinitiative de

la Reacutepublique helleacutenique concernant lrsquoadoption par le Conseil drsquoun projet de

deacutecision-cadre relative agrave lrsquoapplication du principe non bis in idem de 2003

(laquo nul ne peut ecirctre poursuivi ou jugeacute deux fois pour les mecircmes actes raquo)30

12 La Charte a changeacute radicalement les obligations juridiques des Eacutetats

membres de lrsquoUnion europeacuteenne auxquels elle srsquoapplique Puisque le droit

de ne pas ecirctre poursuivi ou puni peacutenalement deux fois pour une mecircme

infraction est eacutetabli agrave lrsquoarticle 54 de la CAAS et agrave lrsquoarticle 50 de la Charte

lrsquoarticle 54 doit ecirctre interpreacuteteacute agrave la lumiegravere de lrsquoarticle 5031 Agrave la lumiegravere de

26 Lrsquoarticle 3 eacutetablit un principe de deacuteduction pour les peines de prison ainsi que pour les

peines non privatives de liberteacute

27 Lorsque ce principe ne srsquoapplique pas lrsquoarticle 56 preacutevoit lrsquoapplication du principe de

deacuteduction pour les peines de prison ainsi que pour les peines non privatives de liberteacute Les

articles 54 et 57 de la Convention drsquoapplication de lrsquoAccord de Schengen ont repris la

Convention entre les Eacutetats membres des communauteacutes europeacuteennes relative agrave lrsquoapplication

du principe ne bis in idem Le Traiteacute drsquoAmsterdam a incorporeacute le ne bis in idem dans le

troisiegraveme pilier Agrave partir de ce moment le principe est devenu lrsquoun des objectifs de lrsquoespace

commun de liberteacute seacutecuriteacute et justice Voir eacutegalement le Programme de mesures destineacute agrave

mettre en œuvre le principe de reconnaissance mutuelle des deacutecisions peacutenales

(2001C 12frasl02) et le Livre vert de la Commission sur les conflits de compeacutetences et le

principe ne bis in idem dans le cadre des proceacutedures peacutenales (COM(2005) 696 final)

28 Acte du Conseil du 26 juillet 1995

29 Acte du Conseil du 26 mai 1997 Lrsquoarticle 10 preacutevoit lrsquoapplication du principe de

deacuteduction pour les peines de prison ainsi que pour les peines non privatives de liberteacute

30 Lrsquoarticle 3 contient des regravegles de lis pendens Lrsquoarticle 5 preacutevoit lrsquoapplication du

principe de deacuteduction incluant toutes les sanctions autres que la privation de liberteacute qui

pourraient ecirctre imposeacutees et les sanctions imposeacutees dans le cadre des proceacutedures

administratives

31 Voir paragraphe 35 de lrsquoarrecirct du 5 juin 2014 dans lrsquoaffaire M (C‑398frasl12)

62 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

lrsquoarticle 52 (3) de la Charte dans la mise en œuvre des droits et liberteacutes

issus de la Charte qui correspondent aux droits et liberteacutes garantis par la

Convention europeacuteenne des droits de lrsquoHomme (laquo la Convention raquo) et ses

Protocoles les Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne sont tenus par le sens

et la porteacutee de ces droits et liberteacutes eacutetablis par ladite Convention et ses

Protocoles tels qursquointerpreacuteteacutes par la Cour32 quand bien mecircme ils nrsquoauraient

pas ratifieacute ces protocoles Crsquoest eacutegalement le cas pour lrsquoarticle 50 de la

Charte et en conseacutequence lrsquoarticle 54 de la CAAS qui eacutevidemment doit ecirctre

interpreacuteteacute agrave la lumiegravere de la jurisprudence de la Cour relative agrave lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 mecircme agrave lrsquoeacutegard des Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne

qui ne lrsquoauraient pas ratifieacute

13 En outre le principe ne bis in idem a eacuteteacute instaureacute comme un motif

drsquoexclusion de la coopeacuteration en matiegravere peacutenale dans plusieurs instruments

tels que lrsquoarticle 3(2) de la Deacutecision-cadre relative au mandat drsquoarrecirct

europeacuteen de 200233 lrsquoarticle 7 (1) c) de la Deacutecision-cadre relative agrave

lrsquoexeacutecution dans lrsquoUnion europeacuteenne des deacutecisions de gel de biens ou

drsquoeacuteleacutements de preuve de 200334 lrsquoarticle 8 (2) b) de la Deacutecision-cadre

relative agrave lrsquoapplication du principe de reconnaissance mutuelle aux

deacutecisions de confiscation de 200635 lrsquoarticle 11 (1) c) de la Deacutecision-cadre

concernant lrsquoapplication du principe de reconnaissance mutuelle aux

jugements et aux deacutecisions de probation aux fins de la surveillance des

mesures de probation et des peines de substitution de 200836

lrsquoarticle 13 (1) a) de la Deacutecision-cadre relative au mandat europeacuteen

drsquoobtention de preuves visant agrave recueillir des objets des documents et des

donneacutees en vue de leur utilisation dans le cadre de proceacutedures peacutenales de

200837 lrsquoarticle 15 (1) c) de la Deacutecision-cadre concernant lrsquoapplication

entre les Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne du principe de

reconnaissance mutuelle aux deacutecisions relatives agrave des mesures de controcircle

en tant qursquoalternative agrave la deacutetention provisoire de 200938 et lrsquoarticle 1 (2) a)

de la Deacutecision-cadre relative agrave la preacutevention et au regraveglement des conflits en

matiegravere drsquoexercice de la compeacutetence dans le cadre des proceacutedures peacutenales

de 200939

32 Voir Note du Praesidium de la Convention Explications relatives agrave la Charte des

droits fondamentaux (Bruxelles 11 octobre 2000) laquo La reacutefeacuterence agrave la CEDH vise agrave la fois

la Convention et ses Protocoles Le sens et la porteacutee des droits garantis sont deacutetermineacutes non

seulement par le texte de ces instruments mais aussi par la jurisprudence de la Cour

europeacuteenne des droits de lrsquohomme et par la Cour de justice des Communauteacutes

europeacuteennes raquo

33 Deacutecision-cadre du Conseil 2002584JAI du 13 juin 2002

34 Deacutecision-cadre du Conseil 2003577JAI du 22 juillet 2003

35 Deacutecision-cadre du Conseil 2006783JAI du 6 octobre 2006

36 Deacutecision-cadre du Conseil 2008947JAI du 27 novembre 2008

37 Deacutecision-cadre du Conseil 2008978JAI du 18 deacutecembre 2008

38 Deacutecision-cadre du Conseil 2009829JAI du 23 octobre 2009

39 Deacutecision-cadre du Conseil 2009948JAI du 30 novembre 2009

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 63

Enfin lrsquoarticle 6 du Regraveglement no 298895 relatif agrave la protection des

inteacuterecircts financiers des Communauteacutes europeacuteennes eacutetablit le principe selon

lequel le peacutenal tient lrsquoadministratif coupleacute au principe de deacuteduction

14 Dans lrsquoaregravene judiciaire la Cour de Justice de lrsquoUnion europeacuteenne

(laquo la CJUE raquo) a dit dans lrsquoaffaire Walt Wilhelm et autres

c Bundeskartellamt que des sanctions concurrentes pouvaient ecirctre

imposeacutees dans deux proceacutedures parallegraveles poursuivant des objectifs

diffeacuterents En droit de la concurrence la possibiliteacute qursquoun ensemble de faits

soit soumise agrave deux proceacutedures parallegraveles lrsquoune communautaire et lrsquoautre

nationale deacuterive du systegraveme speacutecifique de reacutepartition des compeacutetences entre

les Communauteacutes et les Eacutetats membres agrave lrsquoeacutegard des ententes Si cependant

la possibiliteacute que deux proceacutedures se deacuteroulent seacutepareacutement devait conduire agrave

lrsquoimposition de sanctions conseacutecutives une exigence geacuteneacuterale de justice

naturelle demanderait que toute deacutecision punitive anteacuterieure soit prise en

compte dans la deacutetermination de toute sanction imposeacutee40

Par la suite la CJUE a deacuteveloppeacute plus avant sa jurisprudence dans le

cadre du troisiegraveme pilier sur le bis (Goumlzuumltok et Bruumlgge41 Miraglia42

Van Straaten43 Turanskyacute44 M45 Kussowski46) sur lrsquoidem (Van Esbroeck47

Van Straaten48 Gasparini49 Kretzinger50 Kraaijenbrink51 et Gasparini52)

et sur la clause drsquoexeacutecution (Klaus Bourquain53 Kretzinger54 et Spasic55)

Dans le domaine du droit fiscal lrsquoarrecirct fondamental est celui rendu dans

lrsquoaffaire Hans Aringkeberg Fransson qui est parvenu agrave la conclusion suivante

laquo Ce nrsquoest que lorsque la sanction fiscale revecirct un caractegravere peacutenal au sens

de lrsquoarticle 50 de la Charte et est devenue deacutefinitive que ladite disposition

srsquooppose agrave ce que des poursuites peacutenales pour les mecircmes faits soient

diligenteacutees contre une mecircme personne raquo56 En refusant la thegravese de lrsquoAvocat

Geacuteneacuteral baseacutee sur le principe de deacuteduction57 la Cour de Luxembourg a

40 Affaire 14frasl68 13 feacutevrier 1969 sect 11

41 Affaire C-187frasl01 et Affaire C-38501 11 feacutevrier 2003

42 Affaire C-469frasl03 10 mars 2005

43 Affaire C-150frasl05 28 septembre 2006

44 Affaire C-491frasl07 22 deacutecembre 2008

45 Affaire C‑398frasl12 5 juin 2014

46 Affaire C-486frasl14 29 juin 2016

47 Affaire C-436frasl04 9 mars 2006

48 Affaire preacuteciteacutee

49 Affaire C-467frasl04 28 septembre 2006

50 Affaire C-288frasl05 18 juillet 2007

51 Affaire C-367frasl05 18 juillet 2007

52 Affaire preacuteciteacutee

53 Affaire C-297frasl07 11 deacutecembre 2008

54 Affaire C-288frasl05 18 juillet 2007

55 Affaire C-129frasl14 PPU 27 mai 2014

56 Hans Aringkeberg Fransson preacuteciteacute sectsect 34 et 37

57 Aux paragraphes 86 et 87 de ses conclusions lrsquoAvocat Geacuteneacuteral plaidait pour une

laquo interpreacutetation partiellement autonome raquo de lrsquoarticle 50 arguant qursquoil existait une tradition

64 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

deacutecideacute dans un remarquable mouvement de convergence avec la Cour de

Strasbourg que la combinaison de sanctions fiscales de nature peacutenale

conformeacutement aux critegraveres Engel et de sanctions peacutenales constituerait une

violation de lrsquoarticle 50 de la Charte58

15 En reacutesumeacute la reacutecurrence de la preacutesence du principe ne bis in idem agrave

la fois en droit international et interne et dans la jurisprudence teacutemoigne de

la reconnaissance drsquoun principe de droit international coutumier59 Le

principe de lrsquoeacutepuisement de la proceacutedure (Erledigungsprinzip) est largement

preacutedominant en droit international au niveau universel comme europeacuteen

mais le principe de deacuteduction trouve eacutegalement une reconnaissance dans

une conception eacutetroite au sein du Conseil de lrsquoEurope (deacuteduction des peines

de prison) et dans une conception plus large au sein de lrsquoUnion europeacuteenne

(deacuteduction des peines de prison et prise en compte des sanctions non

privatives de liberteacute)

III - Les deacutefis contemporains du ne bis in idem

A Infractions administratives et politique peacutenale agrave deux vitesses

a) La tendance vers la politique de deacutepeacutenalisation

16 La deacutepeacutenalisation est une tendance plus que bienvenue du droit peacutenal

en Europe depuis les anneacutees 196060 Les infractions administratives sont un

instrument rationnel de deacutesencombrement en politique peacutenale Cette

tendance se caracteacuterise freacutequemment par le transfert drsquoinfractions peacutenales

moins preacutejudiciables agrave la socieacuteteacute telles que les infractions routiegraveres dans le

champ du droit administratif dans lequel les garanties substantielles et

proceacutedurales ne sont pas les mecircmes que dans le droit peacutenal et la proceacutedure

constitutionnelle commune aux Eacutetats membres opposeacutee agrave la lecture actuelle de lrsquoarticle 4

du Protocole ndeg 7 par la Cour de Strasbourg qui laquo se heurte agrave la forte preacutesence et agrave

lrsquoenracinement des systegravemes de double sanction administrative et peacutenale des Eacutetats

membres raquo

58 Crsquoest exactement la lecture de lrsquoarrecirct Fransson faite par la Cour dans les arrecircts preacuteciteacutes

Grande Stevens et autres sect 229 Kapetanios et autres sect 73 et Sismanidis et Sitaridis sect 73

59 Voir parmi de multiples sources drsquoopinio iuris agrave cet eacutegard les conclusions de

lrsquoAssociation internationale de droit peacutenal (laquo lrsquoAIDP raquo) XIVe Congregraves international de droit

peacutenal octobre 1989 (laquo Dans le cas ougrave un acte relegraveve des deux qualifications peacutenale et

administrative le deacutelinquant ne devrait pas ecirctre puni deux fois En cas de poursuites

successives il devrait ecirctre pleinement tenu compte de toute sanction deacutejagrave prononceacutee pour le

mecircme acte raquo et XVIIe Congregraves international de droit peacutenal septembre 2004 (laquo Le cumul

des proceacutedures et des sanctions de nature peacutenale doit ecirctre eacuteviteacute dans tous les cas raquo)

Principe 9 des Principes de Princeton sur la compeacutetence universelle de 2001 et Anke

Biehler et autres (dir de publ) Freiburg Proposal on Concurrent Jurisdictions and the

Prohibition of Multiple Prosecutions in the European Union 2003

60 AIDP XIVe Congregraves international preacuteciteacute laquo Cette deacutepeacutenalisation est souhaitable dans

la mesure ougrave elle est en harmonie avec le principe de subsidiariteacute de la loi peacutenale raquo

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 65

peacutenale classiques Les infractions administratives sont freacutequemment

formuleacutees en des termes larges et ouverts et les amendes administratives

(Geldbusse) en sont la forme privileacutegieacutee de sanction Lrsquoemprisonnement

nrsquoest pas une alternative agrave lrsquoamende (Ersatzfreiheitsstrafe) comme crsquoest le

cas en droit peacutenal et aucune contrainte par corps (Erzwingungshaft) ne peut

ecirctre ordonneacutee agrave moins que la personne concerneacutee nrsquoait manqueacute agrave son

obligation de paiement des sommes dues sans avoir fait eacutetablir son

incapaciteacute agrave srsquoen acquitter Les sanctions administratives ne sont pas

enregistreacutees au casier judiciaire national mais seulement dans certaines

circonstances dans certains dossiers administratifs sectoriels tel que le

registre des infractions routiegraveres Normalement les infractions

administratives font lrsquoobjet drsquoune proceacutedure simplifieacutee et drsquoune sanction

prononceacutee par des autoriteacutes administratives sauf si elles donnent

ulteacuterieurement lieu agrave un recours en justice Dans de nombreux cas la

poursuite des infractions administratives relegraveve du pouvoir discreacutetionnaire

des autoriteacutes administratives compeacutetentes Les regravegles geacuteneacuterales de la

proceacutedure peacutenale ne sont en principe applicables que par analogie De plus

courts deacutelais de prescriptions srsquoappliquent aux infractions administratives

par rapports aux infractions peacutenales

17 Le brouillage de la ligne de deacutemarcation entre droit peacutenal et droit

administrative a ses propres risques Des comportements gravement

preacutejudiciables agrave la socieacuteteacute sont eux aussi devenus lrsquoobjet du droit

administratif particuliegraverement lorsqursquoils impliquent le traitement massif de

donneacutees agrave lrsquoinstar du droit fiscal ou un niveau drsquoexpertise hautement

qualifieacutee comme en droit de la concurrence61 et en droit boursier ou des

valeurs mobiliegraveres62

b) Lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk et la laquo peacutenalisation raquo des infractions mineures

18 Depuis longtemps la jurisprudence de la Cour indique que les

infractions administratives entrent dans le champ de son controcircle sous

lrsquoeacutegide des garanties de lrsquoarticle 6 Sur la base des critegraveres Engel63 la Cour a

reacuteaffirmeacute maintes et maintes fois qursquoune conduite passible de sanctions

administratives devait beacuteneacuteficier des garanties proceacutedurales de lrsquoarticle 6

indiffeacuteremment de la nature personnelle ou collective de lrsquointeacuterecirct juridique

proteacutegeacute par la norme violeacutee64 du relatif manque de graviteacute de la peine65 et

61 A Menarini Diagnostics SRL c Italie ndeg 4350908 27 septembre 2011

62 Grande Stevens et autres preacuteciteacute

63 Engel et autres c Pays-Bas 8 juin 1976 seacuterie A ndeg 22

64 Oumlztuumlrk c Allemagne 21 feacutevrier 1984 sect 53 seacuterie A ndeg 73 laquo Il importe peu de savoir si

la disposition leacutegale meacuteconnue par M Oumlztuumlrk vise agrave proteacuteger les droits et inteacuterecircts drsquoautrui

ou seulement agrave satisfaire aux exigences de la circulation raquo

65 Ibidem sect 54 laquo La faiblesse relative de lrsquoenjeu (hellip) ne saurait retirer agrave une infraction

son caractegravere peacutenal intrinsegraveque raquo Voir aussi Lutz c Allemagne 25 aoucirct 1987 sect 55 seacuterie A

ndeg 123 et Jussila c Finlande [GC] ndeg 7305301 sect 31 CEDH 2006-XIII

66 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

du fait que la peine nrsquoait que peu de chance de leacuteser la reacuteputation du

coupable66 Sinon une telle privation de garanties proceacutedurales contredirait

le but de lrsquoarticle 667

19 Dans lrsquoaffaire Oumlztuumlrk68 la Cour a invoqueacute trois arguments cruciaux

pour se placer agrave contre-courant de la deacutepeacutenalisation et faire droit agrave la thegravese

selon laquelle lrsquoinfraction administrative en cause une infraction routiegravere

eacutetait de nature laquo peacutenale raquo aux fins de lrsquoarticle 6 le sens ordinaire des

termes la punition de la conduite incrimineacutee par le droit peacutenal dans laquo une

large majoriteacute des Eacutetats contractants raquo et la porteacutee geacuteneacuterale de la norme

violeacutee une norme de circulation routiegravere69 Agrave y regarder de plus pregraves aucun

de ces arguments nrsquoest convaincant Il est difficile drsquoeacutetablir une ligne de

deacutemarcation entre les infractions administratives et peacutenales sur la base du

laquo sens ordinaire des termes raquo quoique la Cour veuille dire par cela En

outre srsquoil est vrai que le consensus europeacuteen est certainement un argument

deacutecisif pour la peacutenalisation drsquoun acte gravement preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute il

est difficilement concevable que la Cour puisse argumenter sur la base du

consensus europeacuteen contre la deacutepeacutenalisation des infractions mineures qui

beacuteneacuteficie non seulement agrave lrsquoindividu qui ne pourrait plus rendre de comptes

en termes peacutenaux pour sa conduite et qui pourrait mecircme eacuteviter les

proceacutedures judiciaires mais eacutegalement le fonctionnement effectif de la

justice deacutesormais soulageacutee du traitement de la grande majoriteacute de ces

infractions Par-dessus tout la Cour se meacuteprend dans lrsquoassimilation des

infractions peacutenales aux normes de porteacutee personnelle geacuteneacuterale De maniegravere

assez surprenante elle semble ignorer la tradition europeacuteenne ancienne des

infractions peacutenales agrave porteacutee personnelle limiteacutee crsquoest-agrave-dire des normes

applicables agrave certaines cateacutegories de citoyens deacutefinissables par des traits

personnels ou professionnels (Sonderdelikte ou Pflichtendelikte)70 Ainsi

66 Oumlztuumlrk preacuteciteacute sect 53 laquo Sans doute srsquoagissait-il drsquoune infraction leacutegegravere ne risquant

guegravere de nuire agrave la reacuteputation de son auteur mais elle ne sortait pas pour autant du champ

drsquoapplication de lrsquoarticle 6 Rien ne donne en effet agrave penser que lrsquoinfraction peacutenale

(criminal offence) au sens de la Convention implique neacutecessairement un certain degreacute de

graviteacute raquo

67 Ibidem laquo il serait contraire agrave lrsquoobjet et au but de lrsquoarticle 6 qui garantit aux accuseacutes

le droit agrave un tribunal et agrave un procegraves eacutequitable de permettre agrave lrsquoEacutetat de soustraire agrave lrsquoempire

de ce texte toute une cateacutegorie drsquoinfractions pour peu qursquoil les juge leacutegegraveres raquo

68 Ibidem

69 Ibidem

70 Sur ce type drsquoinfractions peacutenales voir Roxin Taumlterschaft und Tatherrschaft Berlin

9e eacutedition 2015 et Langer Das Sonderverbrechen Berlin 1972 La doctrine distingue

entre les laquo veacuteritables infractions speacuteciales raquo (echte Sonderdelikte) qui peuvent seulement

ecirctre commise par une personne deacutetenant une certaine qualiteacute des laquo fausses infractions

speacuteciales raquo (unechte Sonderdelikte) qui peuvent ecirctre commises par nrsquoimporte qui mais

dont la sanction est aggraveacutee si elle est commise pas une personne deacutetenant une certaine

qualiteacute ou dans une situation particuliegravere La Cour dans lrsquoaffaire Oumlztuumlrk nrsquoest pas au fait de

cette distinction

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 67

les infractions peacutenales et les normes agrave porteacutee personnelle limiteacutee ne sont pas

incompatibles les unes avec les autres

20 Si la deacutepeacutenalisation nrsquoest pas sans poser problegraveme au regard des

garanties deacutecoulant des articles 6 et 7 de la Convention et de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 lorsqursquoil srsquoagit drsquoinfractions mineures reacuteprimant des actes

moins preacutejudiciables agrave la socieacuteteacute71 elle creacutee manifestement de seacuterieuses

difficulteacutes sur le terrain de ces articles lorsqursquoil srsquoagit drsquoactes plus

preacutejudiciables agrave la socieacuteteacute qui sont deacuteclasseacutes dans le domaine du droit

administratif agrave des fins politiques Elle en creacutee drsquoautant plus lorsque des

infractions administratives incluant celles commises par neacutegligence sont

passibles de sanctions financiegraveres amendes ou majorations astronomiques

parfois mecircme illimiteacutees freacutequemment associeacutees agrave la suspension la

restriction voire mecircme le retrait de certains droits tels que les droits

professionnels Des reacutegimes speacutecialement cleacutements sont proposeacutes aux

lanceurs drsquoalerte et autre collaborateurs de la justice Certaines infractions

administratives conduisent mecircme agrave des sanctions plus seacutevegraveres en cas de

reacutecidive En outre les proceacutedures administratives peuvent inclure des

mesures drsquoenquecirctes aussi intrusives que lrsquointerception de communication et

les perquisitions de domiciles qui peuvent porter atteinte agrave la vie priveacutee du

suspect tout autant que les proceacutedures peacutenales les plus seacuterieuses

21 En reacutealiteacute ce droit peacutenal agrave deux vitesses masque une politique

reacutepressive expansionniste qui vise agrave punir de maniegravere plus expeacuteditive et

plus seacutevegraverement avec moins de garanties mateacuterielles et proceacutedurales Dans

le contexte de ce nouveau Leacuteviathan les infractions de droit administratif ne

sont rien de plus qursquoune appellation trompeuse drsquoune strateacutegie punitive

ferme et le droit administratif devient un raccourci permettant de contourner

les garanties ordinaires du droit peacutenal et de la proceacutedure peacutenale72

22 La Convention nrsquoest pas indiffeacuterente agrave cette politique peacutenale Au

contraire elle ne saurait laisser des probleacutematiques relatives aux droits de

lrsquohomme de cette ampleur au seul pouvoir discreacutetionnaire de chaque Eacutetat

Aucune marge drsquoappreacuteciation nrsquoest accordeacutee aux Eacutetats par lrsquoarticle 7 de la

Convention et lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 qui sont des dispositions non

susceptibles de deacuterogation La deacutefinition des frontiegraveres du droit peacutenal et

lrsquoapplication des principes de leacutegaliteacute et du non bis in idem ne sont pas

deacutependantes des particulariteacutes de chaque systegraveme juridique national Au

contraire elles sont soumises agrave un controcircle europeacuteen strict reacutealiseacute par la

Cour ainsi que cela sera deacutemontreacute ci-dessous

71 Pour la Cour il est clair que la deacutepeacutenalisation est lieacutee aux infractions mineures non

infamantes drsquoun point de vue social (Lutz preacuteciteacute sect 57)

72 Jrsquoai deacutejagrave critiqueacute cette tendance dans mes opinions jointes aux arrecircts A Menarini

Diagnostics SRL preacuteciteacute et Grande Stevens et autres preacuteciteacute

68 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

B Les majorations drsquoimpocirct comme instrument de politique peacutenale

a) La nature peacutenale des majorations drsquoimpocirct

23 Tout comme les termes des articles 6 et 7 de la Convention la notion

de laquo proceacutedure peacutenale raquo doit ecirctre interpreacuteteacutee de maniegravere autonome En outre

par principe la Convention et ses Protocoles doivent ecirctre envisageacutes comme

un tout73 Ainsi lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 doit ecirctre interpreacuteteacute agrave la lumiegravere

des principes geacuteneacuteraux concernant les notions drsquolaquo accusation en matiegravere

peacutenale raquo et de laquo peine raquo eacutenonceacutees respectivement aux articles 6 et 7 de la

Convention74 De plus la qualification juridique de la proceacutedure en droit

national ne peut ecirctre le seul critegravere pertinent pour deacuteterminer lrsquoapplicabiliteacute

du principe ne bis in idem sur le terrain de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

Autrement lrsquoapplication de cette disposition serait laisseacutee au pouvoir

discreacutetionnaire des Eacutetats contractants agrave un degreacute conduisant agrave des reacutesultats

incompatibles avec lrsquoobjet et le but de la Convention Preacuteciseacutement pour

eacuteviter un tel pouvoir discreacutetionnaire il peut exister des cas dans lesquels ni

un acquittement deacutefinitif75 ni une condamnation deacutefinitive76 ne sont

capables de deacuteclencher les effets du ne bis in idem

24 Dans lrsquoaffaire en cause la premiegravere proceacutedure visait agrave lrsquoimposition

de majorations drsquoimpocirct La Cour a pris clairement position en faveur de la

nature peacutenale des sanctions administratives sur le terrain de lrsquoarticle 6 de la

Convention Dans lrsquoaffaire Bendenoun77 qui concernait lrsquoimposition de

majorations drsquoimpocirct pour eacutevasion fiscale la Cour ne srsquoest pas reacutefeacutereacutee

expresseacutement aux critegraveres Engel elle a eacutenumeacutereacute quatre eacuteleacutements qursquoelle

estimait pertinents dans la deacutetermination de lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 en

lrsquoespegravece que la loi eacutetablissant les sanctions concerne tous les citoyens en

leur qualiteacute de contribuables que la majoration ne tende pas agrave la reacuteparation

peacutecuniaire drsquoun preacutejudice mais vise pour lrsquoessentiel agrave punir pour empecirccher

la reacuteiteacuteration drsquoagissements semblables qursquoelle se fonde sur une norme de

caractegravere geacuteneacuteral dont le but est agrave la fois preacuteventif et reacutepressif et qursquoelle

revecircte une ampleur consideacuterable La Cour a consideacutereacute cependant qursquoun Eacutetat

contractant devait avoir la liberteacute de confier au fisc la tacircche drsquoimposer des

sanctions telles que des majorations drsquoimpocirct mecircme si elles atteignent des

sommes eacuteleveacutees Pareil systegraveme nrsquoest pas incompatible avec lrsquoarticle 6 sect 1

tant que le contribuable peut soumettre toute deacutecision lui faisant grief agrave un

73 Voir parmi drsquoautres Hirsi Jamaa et autres c Italie [GC] ndeg 2776509 sect 178

CEDH 2012 et Ferrazzini c Italie [GC] ndeg 4475998 sect 29 CEDH 2001-VII

74 Nykaumlnen c Finlande ndeg 1182811 sect 38 20 mai 2014 Haarvig c Norvegravege (deacutec)

ndeg 1118705 11 deacutecembre 2007 Nilsson c Suegravede (deacutec) ndeg 7366101 CEDH 2005-XIII

Rosenquist c Suegravede (deacutec) ndeg 6061900 14 septembre 2004 Manasson c Suegravede (deacutec)

ndeg 4126598 8 avril 2003 Goumlktan c France ndeg 3340296 sect 48 CEDH 2002-V et Malige

c France 23 septembre 1998 sect 35 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1998-VII

75 Marguš c Croatie [GC] ndeg 445510 sect 139 CEDH 2014

76 Kurdov et Ivanov c Bulgarie ndeg 1613704 sect 44 31 mai 2011

77 Bendenoun c France 24 feacutevrier 1994 seacuterie A ndeg 284

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 69

organe judiciaire jouissant de la pleine juridiction incluant le pouvoir

drsquoannuler sur tous les points que ce soit de droit ou de fait la deacutecision

contesteacutee78

25 Dans les affaires Janosevic79 et Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic80

la Cour nrsquoa fait aucune reacutefeacuterence agrave lrsquoaffaire Bendenoun ou agrave lrsquoapproche

particuliegravere y suivie par elle mais elle a proceacutedeacute strictement sur la base des

critegraveres Engel81 Apregraves avoir confirmeacute que les proceacutedures administratives

avaient abouti agrave une laquo accusation en matiegravere peacutenale raquo agrave lrsquoencontre du

requeacuterant la Cour a consideacutereacute que les proceacutedures judiciaires en lrsquoespegravece

avaient eacuteteacute conduites par des tribunaux soumis aux garanties requises par

lrsquoarticle 6 sect 1 puisque les juridictions administratives avaient compeacutetence

pour examiner tous les aspects de la question qui leur eacutetait adresseacutee Leur

examen nrsquoeacutetait pas limiteacute agrave des points de droit mais pouvait eacutegalement ecirctre

eacutetendu agrave des questions de faits incluant lrsquoappreacuteciation des preuves Si elles

eacutetaient en deacutesaccord avec lrsquoautoriteacute fiscale ces juridictions avaient le

pouvoir drsquoannuler la deacutecision objet drsquoun recours La Cour a ajouteacute que le

point de deacutepart pour les autoriteacutes fiscales et les juridictions devait reacutesider

dans le fait que les inexactitudes releveacutees dans la deacuteclaration fiscale

relevaient drsquoun acte inexcusable imputable au contribuable et qursquoil nrsquoeacutetait

pas manifestement deacuteraisonnable drsquoimposer une majoration drsquoimpocirct comme

sanction de ce comportement Les autoriteacutes fiscales et les juridictions

devraient eacutevaluer srsquoil existe des motifs de dispense mecircme si le contribuable

nrsquoa rien dit agrave cet eacutegard Cependant alors que le devoir drsquoeacutevaluer srsquoil existe

des motifs de dispense nrsquoexiste que lorsque les faits de lrsquoespegravece le justifient

la charge de prouver qursquoil existe des raisons de dispenser un contribuable

drsquoune majoration repose en effet sur celui-ci La Cour a conclu qursquoun

systegraveme fiscal opeacuterant sur une telle preacutesomption qursquoil appartient au

contribuable de renverser eacutetait compatible avec lrsquoarticle 6 sect 2 de la

Convention

b) Lrsquoarrecirct Jussila et la ligne de deacutemarcation entre malum in se et malum quia

prohibitum

26 Dans lrsquoaffaire Jussila82 la Cour a confirmeacute lrsquoapproche retenue dans

lrsquoaffaire Janosevic et souligneacute qursquolaquo Il nrsquoexiste donc pas dans la

jurisprudence de la Cour de preacuteceacutedent faisant autoriteacute qui permette de dire

78 Ibidem sect 46

79 Janosevic c Suegravede ndeg 3461997 CEDH 2002‑VII

80 Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic c Suegravede ndeg 3698597 23 juillet 2002

81 La Cour a souligneacute le mauvais argument laquo Les majorations drsquoimpocirct infligeacutees en

conseacutequence lrsquoont eacuteteacute au titre de la leacutegislation fiscale [hellip] qui vise toutes les personnes

assujetties agrave lrsquoimpocirct en Suegravede et non un groupe donneacute doteacute drsquoun statut particulier raquo

(Janosevic preacuteciteacute sect 68 Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic preacuteciteacute sect 79 voir aussi par

exemple SC IMH Suceava SRL c Roumanie ndeg 2493504 sect 51 29 octobre 2013)

82 Jussila preacuteciteacute sect 41

70 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

que la leacutegegravereteacute de la sanction constituerait en matiegravere fiscale ou autre un

facteur deacutecisif pour exclure du champ drsquoapplication de lrsquoarticle 6 une

infraction revecirctant par ailleurs un caractegravere peacutenal raquo 83 De plus comme un

signal clair de son intention de ne pas priver les contribuables de leur

garanties fondamentales opposables agrave lrsquoEacutetat la Cour a ajouteacute que si elle laquo ne

dout[ait] pas de lrsquoimportance de lrsquoimpocirct pour le bon fonctionnement de

lrsquoEacutetat elle nrsquo[eacutetait] pas convaincue qursquoil faille affranchir les sanctions

fiscales des garanties proceacutedurales contenues dans lrsquoarticle 6 pour preacuteserver

lrsquoefficaciteacute du systegraveme fiscal ni drsquoailleurs que pareille deacutemarche puisse se

concilier avec lrsquoesprit et le but de la Convention raquo84 En agissant de la sorte

la Cour a abandonneacute laquo peu ou prou raquo 85 la logique de lrsquoaffaire Ferrazzini86

puisqursquoelle a admis que les questions drsquoimposition ne sortaient pas du

champ mateacuteriel de la Convention Drsquoun point de vue ratione materiae les

questions se rapportant aux majorations drsquoimpocirct peuvent impliquer une

appreacuteciation par la Cour du pouvoir souverain des Eacutetats en matiegravere fiscale

La neutralisation des preacuterogatives de puissance publiques dans lrsquoaffaire

Jussila a conduit la Cour agrave un recadrage apparent des speacutecificiteacutes des

obligations fiscales dans le contexte du droit europeacuteen des droits de

lrsquohomme

27 Mecircme lorsque les majorations drsquoimpocirct ne sont pas qualifieacutees de

peacutenales en droit national ce seul fait nrsquoest pas deacutecisif pour la Cour Le fait

que les majorations drsquoimpocirct soient imposeacutees par des dispositions leacutegales

srsquoappliquant aux contribuables de maniegravere geacuteneacuterale avec une viseacutee

dissuasive est jugeacute plus pertinent En principe les majorations drsquoimpocirct sont

conccedilues non pas comme une compensation peacutecuniaire pour un dommage

causeacute agrave lrsquoEacutetat mais comme une forme de sanction des coupables et comme

un moyen de dissuader les reacutecidivistes et les nouveaux deacutelinquants

potentiels Aux yeux de la Cour les majorations drsquoimpocirct sont ainsi

imposeacutees par une regravegle dont le but est simultaneacutement dissuasif et punitif

mecircme dans le cas de lrsquoimposition drsquoune majoration fiscale de 10 avec un

maximum fixeacute agrave 2087 Pour la Cour dans lrsquoaffaire Jussila la nature

reacutepressive de la majoration fiscale surpasse la consideacuteration de minimis de

lrsquoarrecirct Bendenoun En conseacutequence les proceacutedures impliquant des

majorations drsquoimpocirct ont eacutegalement eacuteteacute consideacutereacutees comme des laquo proceacutedures

peacutenales raquo au regard de lrsquoarticle 6 de la Convention

83 Ibidem sect 35

84 Ibidem sect 36

85 Ibidem sect 45

86 Ferrazzini preacuteciteacute sect 29 En reacutealiteacute la Cour a eacutevalueacute agrave plusieurs reprises la

compatibiliteacute des mesures de politiques fiscales agrave lrsquoaune de lrsquoarticle 1 du Protocole ndeg 1

(parmi les affaires les plus significatives voir NKM c Hongrie ndeg 6652911 14 mai 2013

Koufaki et ADEDY c Gregravece (deacutec) nos 5766512 et 5765712 7 mai 2013 Da Conceiccedilatildeo

Mateus c Portugal (deacutec) nos 6223512 et 5772512 8 octobre 2013 et Da Silva Carvalho

Rico c Portugal (deacutec) ndeg 1334114 1er septembre 2014)

87 Jussila preacuteciteacute sect 38

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 71

28 Si la Cour srsquoeacutetait arrecircteacutee lagrave lrsquoarrecirct Jussila aurait eacuteteacute une simple

extension de lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk au domaine des majorations drsquoimpocirct Mais la

Cour ne srsquoest pas arrecircteacutee lagrave Elle a consideacutereacute ensuite qursquolaquo il [allait] de soi

que certaines [proceacutedures peacutenales] ne comportent aucun caractegravere infamant

pour ceux qursquoelles visent raquo En conseacutequence dans lrsquoarrecirct de la Cour les

garanties peacutenales ne srsquoappliquent pas avec toute leur rigueur aux accusations

peacutenales deacutepourvues de caractegravere infamant88 En appliquant lrsquoarticle 6 de

maniegravere diffeacuterencieacutee en fonction de la nature du sujet et du caractegravere

infamant que certaines accusations peacutenales comportent la Cour a opeacutereacute une

distinction entre les garanties proceacutedurales conventionnelles disponibles et

indisponibles le droit de lrsquoaccuseacute agrave un procegraves public appartenant agrave la

premiegravere cateacutegorie Dans la mesure ougrave elles nrsquoont pas de caractegravere infamant

les infractions administratives peuvent se distinguer du noyau dur du droit

peacutenal et ainsi les garanties peacutenales de lrsquoarticle 6 peuvent ne pas srsquoy

appliquer dans leur totaliteacute Une seconde cateacutegorie drsquoinfractions peacutenales qui

ne beacuteneacuteficie que de certaines des garanties de lrsquoarticle 6 a vu le jour dans

lrsquoaffaire Jussila

29 Malheureusement ni dans lrsquoarrecirct Jussila ni ulteacuterieurement la Cour

nrsquoa fait le moindre effort drsquoeacutelaborer une approche coheacuterente de la magna

quaestio relative agrave la ligne de deacutemarcation entre le laquo noyau dur du droit

peacutenal raquo et le reste du droit peacutenal qui fait eacutecho agrave la distinction entre mala in

se et mala prohibita La distinction de la Grande Chambre nrsquoest pas

seulement trop simpliste elle semble aussi assez artificielle Dans lrsquoarrecirct

Jussila comme dans quelques autres cas le critegravere du caractegravere infamant

ressemble agrave un argument purement theacuteorique que la Cour nrsquoutilise pas

veacuteritablement pour reacutesoudre lrsquoaffaire89 En reacutealiteacute la Cour a trancheacute lrsquoaffaire

88 Ibidem sect 43 Grande Stevens et autres preacuteciteacute sect 120 Kammerer c Autriche

ndeg 3243506 sect 26 12 mai 2010 et Flisar c Sloveacutenie ndeg 312709 sect 36 29 septembre 2011

La conclusion de lrsquoaffaire Jussila selon laquelle le procegraves public nrsquoeacutetait pas neacutecessaire dans

le cas des infractions administratives a eacuteteacute eacutetendue agrave drsquoautres questions proceacutedurales

couvertes par lrsquoarticle 6 telle que dans les affaires Kammerer et Flisar la preacutesence drsquoun

accuseacute agrave une audience

89 En reacutealiteacute lrsquoapplication du critegravere du caractegravere infamant dans la jurisprudence de la

Cour a eacuteteacute tregraves limiteacutee Il est vrai que la Cour a constateacute agrave maintes reprises le caractegravere

infamant que revecirct implicitement la torture (voir parmi de nombreuses affaires Irlande

c Royaume-Uni 18 janvier 1978 sect 167 seacuterie A ndeg 25 Aksoy c Turquie 18 deacutecembre

1996 sect 64 Recueil 1996-VI Aydın c Turquie 25 septembre 1997 sectsect 83-84 et 86

Recueil 1997-VI Selmouni c France [GC] ndeg 2580394 sect 74 CEDH 1999-V Dikme

c Turquie ndeg 2086992 sectsect 94-96 CEDH 2000-VIII et Batı et autres c Turquie

nos 3309796 et 5783400 sect 116 CEDH 2004-IV) Mais en dehors de ces affaires

lrsquoutilisation du critegravere est rare Parfois la Cour se reacutefegravere au caractegravere infamant de la

condamnation comme facteur pour deacuteterminer la neacutecessiteacute drsquoune comparution personnelle

de lrsquoaccuseacute dans une proceacutedure (dans une affaire de meurtre Chopenko c Ukraine

ndeg 1773506 sect 64 15 janvier 2015 dans une affaire de corruption Suuripaumlauml c Finlande

ndeg 4315102 sect 45 12 janvier 2010) ou pour deacuteterminer si la situation du requeacuterant doit

ecirctre deacutejagrave substantiellement affecteacutee par les mesures prises par la police dans les proceacutedures

preacuteliminaires (dans une affaire drsquoabus sexuel sur mineur Subinski c Sloveacutenie ndeg 1961104

72 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

Jussila de maniegravere tregraves pragmatique sur la base du fait que le requeacuterant avait

largement eu lrsquoopportuniteacute de se deacutefendre par eacutecrit et de commenter les

arguments des autoriteacutes fiscales

30 Le manque de clarteacute conceptuelle de la deacutefinition du laquo noyau dur du

droit peacutenal raquo au titre de lrsquoarticle 6 est encore aggraveacute par le fait que

normalement lrsquoapplication des critegraveres Engel est davantage une question de

degreacute deacutependant du poids des sanctions appliqueacutees et applicables qursquoune

question de nature des accusations qui pegravesent sur lrsquoaccuseacute La Cour preacutefegravere

le plus souvent reacutesoudre la question de lrsquoapplicabiliteacute des critegraveres Engel en

se reacutefeacuterant agrave une appreacuteciation purement quantitative plutocirct que qualitative

de lrsquoinfraction en cause Lorsqursquoelle se lance dans une analyse sur le fond de

la nature de lrsquoinfraction elle utilise freacutequemment lrsquoargument erroneacute tireacute de

lrsquoaffaire Oumlztuumlrk90 de la porteacutee personnelle limiteacutee de la norme

sect 68 18 janvier 2007) Le raisonnement de lrsquoarrecirct Suuripaumlauml a eacuteteacute eacutetendu agrave des infractions

administratives fiscales dans lrsquoaffaire Paacutekozdi c Hongrie (ndeg 5126907 sect 39 25 novembre

2014 Dans drsquoautres cas la Cour a dit que des infractions peacutenales passibles

drsquoemprisonnement impliquaient un caractegravere infamant suffisant lorsque la personne

condamneacutee se voit infliger une peine de sept ans (Popa et Tănăsescu c Roumanie

no 1994604 sect 46 10 avril 2012) une peine de quatre ans (Saacutendor Lajos Kiss c Hongrie

ndeg 2695805 sect 24 29 septembre 2009) ou une peine avec sursis (Goldmann et Szeacutenaacuteszky

c Hongrie ndeg 1760405 sect 20 30 novembre 2010) ou mecircme une amende (Talaacuteber

c Hongrie ndeg 3737605 sect 27 29 septembre 2009) En drsquoautres occasions la Cour a

simplement affirmeacute que certains inteacuterecircts juridiques tels que le respect des regravegles de seacutecuriteacute

incendie de protection des consommateurs ou des politiques drsquourbanisme nrsquoentraient pas

dans le champ du droit peacutenal sans mentionner le deacutefaut de caractegravere infamant (Kurdov et

Ivanov preacuteciteacute sect 43 SC IMH Suceava SRL preacuteciteacute sect 51 et Inocecircncio c Portugal

(deacutec) no 4386298 CEDH 2001ndashI) Dans lrsquoaffaire Segame SA c France (ndeg 483706

sect 59 7 juin 2012) la Cour a consideacutereacute qursquoun impocirct suppleacutementaire sur les œuvres drsquoart et

les sanctions correspondantes laquo ne [faisait] pas partie du noyau dur du droit peacutenal au sens

de la Convention raquo Dans lrsquoaffaire Grande Stevens et autres (preacuteciteacutee sect 122) la Cour a

noteacute que mis agrave part leur seacuteveacuteriteacute financiegravere les sanctions que certains des requeacuterants

encourraient avaient un laquo caractegravere infamant raquo et risquaient drsquoaffecter neacutegativement

lrsquohonneur professionnel et la reacuteputation des personnes concerneacutees Ainsi le critegravere

substantiel du caractegravere infamant est parfois lieacute aux sanctions applicables agrave lrsquoinfraction

alors que dans les cas de meurtre torture corruption ou abus sexuel de mineur il est lieacute agrave la

nature-mecircme du comportement En deacutefinitive la Cour a rejeteacute eacutegalement le critegravere

organique et tautologique selon lequel les infractions traiteacutees par les juridictions

administratives ou les juridictions compeacutetentes agrave lrsquoeacutegard des laquo infractions mineures raquo sont

administratives et qursquoen conseacutequence leur qualification de laquo peacutenale raquo serait exclue

(Tomasović c Croatie ndeg 5378509 sect 22 18 octobre 2011)

90 Lrsquoapplication de ce critegravere a produit des deacutecisions malheureuses telle que celle

deacutelibeacutereacutee dans lrsquoaffaire Inocecircncio (preacuteciteacutee) qui a consideacutereacute les infractions administratives

(contraordenaccedilotildees) en jeu comme non peacutenales bien que les contraordenaccedilotildees portugais

soient modeleacutees exactement agrave lrsquoimage des Ordnungswidrigkeiten allemandes qui avaient

eacuteteacute qualifieacutees de laquo peacutenales raquo dans lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk (agrave titre de comparaison voir la Loi

allemande sur les infractions administratives de 1968 Gesetz uumlber Ordnungswidrigkeiten

et la Loi portugaise sur les infractions administratives de 1982 Regime Geral das

Contraordenaccedilotildees)

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 73

31 En reacutesumeacute le choix politique de lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk de laquo peacutenaliser raquo les

infractions mineures aux fins de lrsquoarticle 6 est fondamentalement reacuteeacutevalueacute

dans lrsquoarrecirct Jussila Lrsquoextension apparente de ce choix politique aux

majorations drsquoimpocirct est dilueacutee en finaliteacute par lrsquoapproche pragmatique et

tourneacutee vers lrsquoefficaciteacute de la Cour qui eacutetiquette ces infractions mineures

comme eacutetant bien que laquo peacutenales raquo exclues du laquo noyau dur du droit peacutenal raquo

ne meacuteritant ainsi pas la protection pleine et entiegravere du volet peacutenal de

lrsquoarticle 6 Les inteacuterecircts drsquoune proceacutedure fiscale efficace et massive ont peseacute

plus lourd que toute autre consideacuteration

32 Quoiqursquoil en soit le message de la Cour dans lrsquoaffaire Jussila vaut

eacutegalement pour la Norvegravege Les majorations drsquoimpocirct imposeacutees dans la

preacutesente affaire sont de nature peacutenale et les proceacutedures fiscales respectives

sont peacutenales aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Les majorations

drsquoimpocirct de 30 imposeacutees par la Norvegravege pouvant aller jusqursquoagrave 60 en

cas de neacutegligence grossiegravere ou volontaire sont bien supeacuterieures en

comparaison de lrsquoaffaire Jussila

Crsquoest eacutegalement la position de la majoriteacute de la Grande Chambre dans la

preacutesente affaire qui confirme contrairement agrave lrsquoargumentation du

Gouvernement91 qursquoil nrsquoexiste pas de notion peacutenale plus restrictive agrave

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Ainsi la majoriteacute rejette lrsquoapproche des affaires

Storbraringten92 Mjelde93 et Haarvig94 dans lesquelles la Cour avait accepteacute un

eacuteventail de critegraveres plus large que les critegraveres Engel aux fins de deacuteterminer

si une proceacutedure revecirctait un caractegravere peacutenal au sens de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7

Seconde Partie

IV - Lrsquoheacuteritage pro persona de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine

A Le cumul des sanctions administratives et peacutenales

a) Lrsquoidem factum dans les proceacutedures administratives et peacutenales

33 Lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 prohibe la poursuite ou le jugement de

lrsquoauteur drsquoune infraction deacutejagrave acquitteacute ou condamneacute pour celle-ci Une

approche centreacutee sur la qualification juridique de lrsquoinfraction (idem crimen)

serait trop restrictive Si la Cour se bornait agrave accepter qursquoune personne soit

poursuivie pour des infractions qualifieacutees diffeacuteremment elle risquerait

91 Voir paragraphes 66 et 67 de lrsquoarrecirct

92 Storbraringten c Norvegravege (deacutec) ndeg 1227704 11 feacutevrier 2007

93 Mjelde c Norvegravege (deacutec) ndeg 1114304 11 feacutevrier 2007

94 Haarvig preacuteciteacute

74 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

drsquoamoindrir les garanties contenues agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 et ce pour

deux raisons Drsquoabord le mecircme fait peut ecirctre qualifieacute drsquoinfraction peacutenale

dans diffeacuterents Eacutetats mais les eacuteleacutements constitutifs de lrsquoinfraction peuvent

ecirctre significativement diffeacuterents Ensuite certains Eacutetats peuvent qualifier

diffeacuteremment le mecircme fait drsquoinfraction peacutenale ou drsquoinfraction

administrative crsquoest-agrave-dire non peacutenale95

34 Par conseacutequent lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 doit ecirctre interpreacuteteacute

comme prohibant la poursuite ou le jugement de novo drsquoune infraction dans

la mesure ougrave elle reacutesulte de faits identiques ou de faits similaires en

substance (idem factum)96 Il est donc important aux yeux de la Cour de

srsquoattacher aux faits qui constituent les circonstances factuelles concregravetes

impliquant le mecircme accuseacute et inextricablement lieacutes les uns aux autres dans

le temps et lrsquoespace dont lrsquoexistence doit ecirctre deacutemontreacutee pour garantir une

condamnation ou entamer des proceacutedures peacutenales97 Cela signifie que le

champ de la prohibition comprend la poursuite de nouvelles infractions en

relation de concours apparent (concorso apparente Gesetzeskonkurrenz) ou

de concours ideacuteal drsquoinfractions (concorso ideale di reati Idealkonkurrenz)98

avec lrsquoinfraction ou les infractions deacutejagrave jugeacutees La mecircme prohibition est

valable pour le concours reacuteel drsquoinfractions (concorso materiale di reati

Realkonkurrenz) lorsqursquoelles appartiennent agrave la mecircme uniteacute temporelle et

spatiale Cela signifie eacutegalement que lrsquoeffet ne bis idem drsquoun jugement

constatant une infraction continueacutee fait obstacle agrave la tenue drsquoun nouveau

procegraves pour des chefs drsquoaccusation se rapportant agrave tout nouveau fait distinct

srsquoinscrivant dans la continuiteacute du comportement deacutelictueux en cause99

35 En reacutesumeacute lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine affirme en droit europeacuteen

des droits de lrsquohomme le principe ne bis in idem en tant que droit individuel

de mecircme porteacutee que le principe classique drsquoeacutepuisement de la proceacutedure

95 Par exemple lrsquoarticle 4 du Protocole ndeg 7 a eacuteteacute eacutetendu aux sanctions administratives

telles que des majorations de 40 et 80 des impocircts dus (Ponsetti et Chesnell c France

(deacutec) nos 3685597 et 4173198 CEDH 1999-VI) aux sanctions administratives

compleacutementaires des peines peacutenales (Maszni c Roumanie ndeg 5989200 21 septembre

2006) et aux sanctions civiles (Storbraringten deacutecision preacuteciteacutee)

96 La Cour a deacutefini lrsquoidem factum comme laquo une seule et mecircme conduite de la part des

mecircmes personnes agrave la mecircme date raquo (Maresti c Croatie no 5575907 sect 63 25 juin 2009 et

Muslija c Bosnie‑Herzeacutegovine ndeg 3204211 sect 34 14 janvier 2014) La jurisprudence de la

Cour de Luxembourg concernant lrsquoarticle 54 de la CAAS est similaire (Van Esbroeck

preacuteciteacute sectsect 27 32 et 36 Kretzinger preacuteciteacute sectsect 33 et 34 Van Straaten preacuteciteacute sectsect 41 47 et

48 et Norma Kraaijenbrink preacuteciteacute sect 30)

97 Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 82 et 84 Lagrave nrsquoest pas le lieu ni lrsquoendroit pour

analyser le caractegravere artificiel de la summa divisio entre lrsquoidem factum et lrsquoidem legem

Lrsquoidem factum est conditionneacute dans une certaine mesure par lrsquoappreacutehension a priori des

faits pertinents agrave la lumiegravere du droit peacutenal Crsquoest particuliegraverement vrai dans le cas des

infractions continueacutees

98 Oliveira c Suisse ndeg 2571194 30 juillet 1998 Recueil 1998-V

99 Voir mon opinion seacutepareacutee dans lrsquoarrecirct Rohlena c Reacutepublique Tchegraveque [GC]

ndeg 5955208 sect 9 CEDH 2015

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 75

(Erledigungsprinzip)100 La garantie srsquoeacutetend au droit de ne pas ecirctre poursuivi

ou jugeacute deux fois101 Ce principe en son sens europeacuteen va bien plus loin

que la maxime res judicata pro veritate habetur qui vise fondamentalement

agrave proteacuteger lrsquoeacutenonceacute final public et faisant autoriteacute sur le crimen et ainsi agrave

assurer la seacutecuriteacute juridique et eacuteviter les jugements contradictoires En outre

lrsquointerpreacutetation europeacuteenne du principe ne bis in idem vise agrave proteacuteger le

suspect des faits alleacutegueacutes drsquoune double incrimination lorsque son

acquittement ou sa condamnation preacutealables sont deacutejagrave passeacutes en force de

chose jugeacutee102

Neacuteanmoins la Cour dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine exige une

comparaison entre la deacutecision par laquelle la premiegravere laquo proceacutedure peacutenale raquo

a eacuteteacute conclue et la liste des accusations dirigeacutees contre le requeacuterant dans les

nouvelles proceacutedures Puisque les faits dans les deux proceacutedures se

distinguaient au niveau drsquoun seul eacuteleacutement la menace de violence qui

nrsquoavait pas eacuteteacute mentionneacutee dans les premiegraveres proceacutedures la Cour considegravere

que les accusations peacutenales au titre de lrsquoarticle 213 sect 2 b) du Code Peacutenal

englobent les faits de lrsquoinfraction reacuteprimeacutee par lrsquoarticle 158 du Code des

infractions administrative dans leur totaliteacute et que inversement lrsquoinfraction

drsquolaquo actes perturbateurs mineurs raquo ne renfermait aucun eacuteleacutement qui nrsquoeacutetait

contenu dans lrsquoinfraction drsquolaquo actes perturbateurs raquo et laquo concernait

essentiellement la mecircme infraction raquo 103

36 Au regard de ce qui preacutecegravede je partage lrsquoopinion de la majoriteacute de la

Grande Chambre dans la preacutesente affaire selon laquelle lrsquoinfraction peacutenale

pour laquelle les requeacuterants ont eacuteteacute poursuivis condamneacutes et punis eacutetait

baseacutee sur le mecircme ensemble de faits que ceux pour lesquels les majorations

drsquoimpocirct leur ont eacuteteacute infligeacutees

b) La deacutecision deacutefinitive dans les proceacutedures administratives

37 Le but de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 est de prohiber la reacutepeacutetition

des proceacutedures conclues par une deacutecision laquo deacutefinitive raquo Drsquoapregraves le Rapport

explicatif du Protocole no 7 qui se reacutefegravere lui-mecircme agrave la Convention

europeacuteenne sur la valeur internationale des jugements reacutepressifs une

100 Se reacutefeacuterant litteacuteralement agrave la nature individuelle du droit Sergueiuml Zolotoukhine

preacuteciteacute sect 81

101 Ibidem sect 110 et auparavant Franz Fischer c Autriche ndeg 3795097 sect 29 29 mai

2001

102 Ainsi qursquoil a eacuteteacute deacutemontreacute ci-dessus il srsquoagit de lrsquoideacuteologie sous-jacente au septiegraveme

amendement agrave la Constitution des Eacutetats-Unis et agrave lrsquoarticle 8 du chapitre V du titre II de la

Constitution franccedilaise de 1791 montrant que lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine est conforme agrave la

compreacutehension historique et pro persona de ce principe agrave lrsquoeacutepoque moderne

103 Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 97 et 121 Peut-ecirctre est-ce involontaire mais dans

drsquoautres cas la Cour compare les laquo eacuteleacutements essentiels raquo de lrsquoinfraction pour eacutetablis lrsquoidem

(voir les exemples post-Sergueiuml Zolotoukhine Muslija preacuteciteacute sect 34 Asadbeyli et autres

c Azerbaiumldjan nos 365305 1472905 2090805 2624205 3608305 et 1651906 sect 157

11 deacutecembre 2012 et Ruotsalainen c Finlande no 1307903 sect 56 16 juin 2009)

76 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

deacutecision est deacutefinitive laquo si elle est selon lrsquoexpression consacreacutee passeacutee en

force de chose jugeacutee Tel est le cas lorsqursquoelle est irreacutevocable crsquoest-agrave-dire

lorsqursquoelle nrsquoest pas susceptible de voies de recours ordinaires ou que les

parties ont eacutepuiseacute ces voies ou laisseacute passer les deacutelais sans les exercer raquo104

Dans lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine la Cour a rappeleacute que les deacutecisions agrave

lrsquoencontre desquelles existe une possibiliteacute de recours ordinaire eacutetaient

exclues du champ de la garantie contenue agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 tant

que le deacutelai pour interjeter un tel appel nrsquoa pas expireacute Drsquoun autre cocircteacute les

recours extraordinaires tels qursquoune requecircte en reacuteouverture des proceacutedures ou

une demande drsquoextension du deacutelai expireacute ne sont pas pris en consideacuteration

aux fins de deacuteterminer si les proceacutedures ont atteint une conclusion

deacutefinitive

38 Agrave lrsquoinverse de la majoriteacute de la Grande Chambre je ne peux suivre

le raisonnement de la Cour suprecircme et la position des requeacuterants quant agrave

lrsquoargument selon lequel les deacutecisions de majorations drsquoimpocirct eacutetaient

devenues deacutefinitives le 15 deacutecembre 2008 pour M A et le 26 deacutecembre

2008 pour M B crsquoest-agrave-dire avant qursquoils ne soient condamneacutes pour les

mecircmes faits par la Cour de district bien que le deacutelai de 6 mois pour entamer

des proceacutedures judiciaires fixeacute par lrsquoarticle 11-1(4) de la loi fiscale nrsquoavait

pas encore expireacute Puisque les requeacuterants avaient toujours le droit drsquoacceacuteder

agrave une voie de recours jrsquoai du mal agrave consideacuterer les deacutecisions imposant les

majorations drsquoimpocirct comme irreacutevocables105 Cette conclusion srsquoimpose

drsquoautant plus si lrsquoon tient compte du fait que puisque les organes

administratifs en questions ne sont ni indeacutependants ni juridictionnels le

droit drsquoaccegraves agrave une proceacutedure judiciaire est neacutecessaire pour que les sanctions

administratives soient compatibles avec lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention106

39 La date exacte agrave laquelle la deacutecision administrative est devenue

deacutefinitive nrsquoest de toute eacutevidence pas anodine Lrsquohypothegravese juridique selon

laquelle la deacutecision administrative drsquoimposition des majorations devient

deacutefinitive en premier lieu pourrait ecirctre diffeacuterent de celui dans lequel la

condamnation peacutenale pour fraude fiscale devient deacutefinitive la premiegravere

Bien que la Cour ait consideacutereacute que laquo la question de savoir si le principe non

bis in idem a eacuteteacute enfreint se rapporte agrave la relation entre les deux infractions

et ne peut donc deacutependre de lrsquoordre dans lequel les proceacutedures sont

conduites raquo107 lrsquoimpact juridique drsquoune condamnation peacutenale deacutefinitive sur

une proceacutedure administrative peut se distinguer de maniegravere significative de

lrsquoimpact juridique drsquoune deacutecision administrative finale sur une proceacutedure

peacutenale La majoriteacute a fermeacute les yeux sur ce distinguo sans eacutevaluer les

diffeacuterentes conseacutequences en droit norveacutegien de ces diffeacuterentes hypothegraveses

Elle a simplement supposeacute que les proceacutedures administratives et peacutenales

104 Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 107 et 108

105 Crsquoest eacutegalement lrsquoargument du Gouvernement (voir paragraphe 72 de lrsquoarrecirct)

106 Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic preacuteciteacute sect 93

107 Franz Fischer preacuteciteacute sect 29

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 77

srsquoinscrivaient dans une laquo approche inteacutegreacutee raquo108 en concluant qursquoil nrsquoeacutetait

pas neacutecessaire de traiter de la question du caractegravere deacutefinitif des proceacutedures

administratives Je deacutemontrerai par la suite les effets neacutegatifs de cette

position

B Les proceacutedures parallegraveles administratives et peacutenales (bis)

a) Un lien temporel suffisant

40 Bien que la Cour dans lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine ne traite pas du

cas des proceacutedures parallegraveles ex professo109 elle eacutecarte bel et bien la

condition suppleacutementaire et inexacte que lrsquoaffaire Zigarella avait ajouteacutee au

bis en lrsquoabsence de tout dommage deacutemontreacute par le requeacuterant seules de

nouvelles proceacutedures entameacutees en connaissance du fait que lrsquoaccuseacute avait

deacutejagrave eacuteteacute jugeacute dans des proceacutedures anteacuterieures violeraient le principe ne bis in

idem110

41 Drsquoun point de vue litteacuteral rien dans la formulation de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 nrsquoindique qursquoune distinction doive ecirctre opeacutereacutee entre des

proceacutedures parallegraveles ou conseacutecutives entre la reprise de poursuites en

attente et le deacuteclenchement de nouvelles poursuites Agrave proprement parler la

disposition nrsquoempecircche pas que plusieurs proceacutedures parallegraveles soient

meneacutees avant qursquoune deacutecision deacutefinitive ne soit adopteacutee agrave lrsquoissue de lrsquoune

drsquoentre elles Dans une telle situation il ne peut ecirctre consideacutereacute que

lrsquoindividu a eacuteteacute poursuivi plusieurs fois laquo en raison drsquoune infraction pour

laquelle il a deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute ou condamneacute par un jugement deacutefinitif raquo111

Dans le cas de deux proceacutedures parallegraveles la Convention exige que la

108 Voir le paragraphe 141 de lrsquoarrecirct

109 Lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine traite de deux proceacutedures conseacutecutives la proceacutedure

administrative srsquoest acheveacutee le 4 janvier 2002 et la proceacutedure peacutenale ouverte le 23 janvier

2002 srsquoest acheveacutee le 15 avril 2003

110 Zigarella c Italie (deacutec) ndeg 4815499 CEDH 2002-IX (extraits) et Falkner

c Autriche (deacutec) ndeg 607202 30 septembre 2004 Au paragraphe 36 de lrsquoarrecirct de chambre

dans lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine la mecircme position est adopteacutee mais le paragraphe 115

de lrsquoarrecirct de la Grande Chambre srsquoabstient de reacutepeacuteter la mecircme phrase La Grande Chambre

admet seulement qursquoelle peut consideacuterer que le requeacuterant a perdu sa qualiteacute de victime

lorsque les autoriteacutes nationales entament deux seacuteries de proceacutedures mais par la suite

reconnaissent la violation du ne bis in idem et offrent la reacuteparation adeacutequate par exemple

en clocircturant ou en annulant la deuxiegraveme proceacutedure et en en supprimant les effets Ainsi la

Cour ne se reacutefegravere pas au caractegravere volontaire de lrsquoouverture de la seconde proceacutedure comme

condition de la violation du ne bis in idem et requiert seulement qursquoil y ait reconnaissance

explicite de la violation au niveau interne pour conclure agrave la non-recevabiliteacute du grief du

requeacuterant Ulteacuterieurement la Cour est malheureusement revenue agrave la formulation de lrsquoarrecirct

Zigarella dans les arrecircts Maresti (preacuteciteacute sect 66) et Tomasovic (preacuteciteacute sect 29) mais voir

lrsquoimportante opinion seacutepareacutee du juge Sicilianos jointe agrave ce dernier arrecirct

111 Garaudy c France (deacutec) ndeg 6583101 CEDH 2003-IX (extraits)

78 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

seconde soit interrompue aussitocirct que la premiegravere devient deacutefinitive112 En

lrsquoabsence drsquoune telle interruption la Cour conclut agrave une violation113

42 Cependant dans un certain nombre drsquoaffaires la Cour a eacutetabli des

regravegles diffeacuterentes pour certaines proceacutedures peacutenales et administratives

parallegraveles Dans la deacutecision Nilsson la Cour a consideacutereacute pour la premiegravere

fois que laquo si les diverses sanctions infligeacutees agrave lrsquointeacuteresseacute ont eacuteteacute prononceacutees

par deux autoriteacutes diffeacuterentes agrave lrsquoissue de proceacutedures distinctes il existait

entre elles un lien mateacuteriel et temporel suffisamment eacutetroit pour que lrsquoon

puisse consideacuterer le retrait de permis comme lrsquoune des mesures preacutevues par

le droit sueacutedois pour la reacutepression des deacutelits de conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute

avanceacute et de conduite sans permis raquo 114 Ce que la Cour envisage comme un

laquo lien temporel suffisamment eacutetroit raquo nrsquoest pas clair puisqursquoelle ne se reacutefegravere

pas explicitement agrave la peacuteriode entre la deacutecision devenue deacutefinitive en

premier lieu (la condamnation du requeacuterant par le tribunal de district de

Mora le 24 juin 1999) et la deacutecision devenue ensuite deacutefinitive (la deacutecision

de la Cour suprecircme du 18 deacutecembre 2000 deacuteboutant le requeacuterant) ou entre

la premiegravere deacutecision administrative (lrsquoavis deacutelivreacute par la preacutefecture le 5 mai

1999) et la premiegravere deacutecision peacutenale (la condamnation du requeacuterant par le

tribunal de district de Mora le 24 juin 1999) ou entre la premiegravere deacutecision

peacutenale (la deacutecision du tribunal de district de Mora du 24 juin 1999) et la

premiegravere deacutecision administrative de retrait du permis de conduire (lrsquoavis de

la preacutefecture du 5 aoucirct 1999) En reacutealiteacute il existe un tregraves bref

chevauchement entre les proceacutedures administratives qui ont deacutebuteacute le 5 mai

1999 et ont pris fin le 18 deacutecembre 2000 et les proceacutedures peacutenales qui ont

pris fin le 24 juin 1999

Dans lrsquoaffaire Boman115 la Cour a eacutegalement consideacutereacute qursquoil existait

pareil lien temporel puisque la deacutecision de la police du 28 mai 2010

drsquoimposer une seconde interdiction de conduite eacutetait directement baseacutee sur

la condamnation finale du requeacuterant par le tribunal deacutepartemental des

infractions routiegraveres du 22 avril 2010 et ainsi ne contenait pas drsquoexamen

propre de lrsquoinfraction ou de la conduite en cause Le lien temporel suffisant

eacutetait lieacute agrave lrsquoabsence drsquoappreacuteciation autonome des preuves comme si lrsquoun et

lrsquoautre eacutetaient eacutetroitement associeacutes

43 Agrave lrsquoinverse dans les affaires Glantz116 Nykaumlnen117 Lucky Dev118

Rinas119 et Oumlsterlund120 la Cour a pris en consideacuteration les dates auxquelles

112 Zigarella preacuteciteacute Il pourrait exister une difficulteacute au regard de la Convention lorsque

deux ou plusieurs proceacutedures peacutenales sont meneacutees en parallegravele contre le mecircme accuseacute pour

les mecircmes faits avant mecircme qursquoune deacutecision deacutefinitive nrsquoait eacuteteacute rendue dans lrsquoune drsquoentre

elles La situation de lis pendens forccedilant lrsquoaccuseacute agrave preacutesenter plusieurs strateacutegies de

deacutefense en mecircme temps devant plusieurs autoriteacutes soulegraveve un problegraveme drsquoinjustice

113 Tomasović preacuteciteacute sectsect 30 et 32 Muslija preacuteciteacute sect 37 et Milenković c Serbie

ndeg 5012413 sect 46 1 mars 2016

114 Nilsson preacuteciteacute

115 Boman c Finlande ndeg 4160411 17 feacutevrier 2015

116 Glantz c Finlande ndeg 3739411 20 mai 2014

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 79

les deacutecisions administratives et peacutenales eacutetaient devenues deacutefinitives Dans

toutes ces affaires la Cour a constateacute une violation Dans lrsquoarrecirct Glantz121

la proceacutedure administrative avait eacuteteacute initieacutee le 18 deacutecembre 2006 et a eacuteteacute

deacutefinitivement close le 11 janvier 2010 alors que la proceacutedure peacutenale avait

eacuteteacute initieacutee le 15 deacutecembre 2008 Les deux instances eacutetaient donc en cours de

maniegravere concurrente jusqursquoau 11 janvier 2010 lorsque la premiegravere a eacuteteacute

deacutefinitivement close Dans la mesure ougrave la proceacutedure peacutenale nrsquoavait pas eacuteteacute

interrompue apregraves que la premiegravere proceacutedure avait eacuteteacute deacutefinitivement close

mais srsquoeacutetait poursuivie jusqursquoagrave une deacutecision deacutefinitive le 18 mai 2011 la

Cour a consideacutereacute que le requeacuterant avait eacuteteacute condamneacute deux fois dans la

mecircme affaire dans instances devenues deacutefinitivement closes le 11 janvier

2010 et le 18 mai 2011122

Dans lrsquoarrecirct Rinas123 la Cour a noteacute que lorsque la proceacutedure peacutenale a

eacuteteacute deacutefinitivement close le 31 mai 2012 le recours formeacute par le requeacuterant

contre la deacutecision de majoration fiscale eacutetait toujours pendant devant la

Cour administrative suprecircme Dans la mesure ougrave la proceacutedure

administrative devant la Cour administrative suprecircme nrsquoavait pas eacuteteacute

interrompue apregraves que la proceacutedure peacutenale avait eacuteteacute deacutefinitivement close

mais srsquoeacutetait poursuivie jusqursquoagrave une deacutecision deacutefinitive du 13 septembre

2012 le requeacuterant a eacuteteacute condamneacute deux fois dans la mecircme affaire

concernant les anneacutees fiscales 2002 agrave 2004 dans deux instances closes

respectivement le 31 mai 2012 et le 13 septembre 2012124

44 La Cour est arriveacutee agrave une conclusion diffeacuterente dans lrsquoarrecirct Haumlkkauml125

La proceacutedure administrative avait deacutebuteacute en 2007 lorsque des majorations

drsquoimpocirct avaient eacuteteacute imposeacutees au requeacuterant Il nrsquoavait apparemment jamais

chercheacute agrave obtenir une rectification ni agrave former un recours et en

conseacutequence cette proceacutedure a eacuteteacute deacutefinitivement close le 31 deacutecembre

2010 et le 31 deacutecembre 2011 agrave lrsquoexpiration des deacutelais de rectification et

drsquoappel La proceacutedure peacutenale avait eacuteteacute initieacutee le 3 avril 2008 et srsquoeacutetait

acheveacutee le 29 juin 2010 lorsque la Cour suprecircme a rendu son arrecirct deacutefinitif

Les deux instances eacutetaient ainsi pendantes de maniegravere concurrente jusqursquoau

117 Nykaumlnen preacuteciteacute

118 Lucky Dev preacuteciteacute

119 Rinas c Finlande ndeg 1703913 27 janvier 2015

120 Oumlsterlund c Finlande ndeg 5319713 10 feacutevrier 2015

121 Glantz preacuteciteacute sect 62

122 Le mecircme raisonnement a eacuteteacute suivi dans Nykaumlnen (preacuteciteacute sect 52 ndash les proceacutedures

fiscales avaient commenceacute le 28 novembre 2005 et srsquoeacutetaient acheveacutees le 1er avril 2009

alors que les proceacutedures peacutenales avaient eacuteteacute initieacutees le 19 aoucirct 2008 et srsquoeacutetaient acheveacutees le

1er septembre 2010) et Lucky Dev (preacuteciteacute sect 63 ndash les proceacutedures fiscales avaient

commenceacute le 1er juin 2004 et srsquoeacutetaient acheveacutees le 20 octobre 2009 et les proceacutedures

peacutenales initieacutees le 5 aoucirct 2005 ont eacuteteacute deacutefinitivement closes le 8 janvier 2009)

123 Rinas preacuteciteacute sect 56

124 La situation eacutetait similaire dans lrsquoaffaire Oumlsterlund (preacuteciteacute sect 51)

125 Haumlkkauml c Finlande ndeg 75811 sectsect 50-52 20 mai 2014

80 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

29 juin 2010 quand la seconde devint deacutefinitive La Cour nrsquoa pas conclu agrave

la violation dans la mesure ougrave laquo le requeacuterant avait une possibiliteacute reacuteelle

drsquoempecirccher une double incrimination tout drsquoabord en demandant la

rectification puis en formant un recours dans le deacutelai qui nrsquoeacutetait pas encore

expireacute raquo126 Ainsi pour la Cour dans lrsquoarrecirct Haumlkkauml si lrsquoaccuseacute ne forme

aucun recours administratif le principe ne bis in idem ne trouve pas agrave

srsquoappliquer quand bien mecircme lrsquoaccuseacute aurait deacutejagrave fait lrsquoobjet drsquoune

condamnation deacutefinitive dans la proceacutedure peacutenale

45 Enfin dans lrsquoarrecirct Kiiveri127 la Cour a consideacutereacute que le requeacuterant ne

pouvait plus se plaindre drsquoune double incrimination pour lrsquoanneacutee fiscale

2002 preacuteciseacutement parce que la Cour suprecircme avait conclu que lrsquoaffaire

avait eacuteteacute deacutefinitivement trancheacutee dans la proceacutedure fiscale administrative et

avait rejeteacute les accusations peacutenales de fraude fiscale aggraveacutee laquo sans

examiner le fond raquo128 concernant lrsquoanneacutee 2002 sur la base du principe ne

bis in idem

46 Les exemples ci-dessus suffisent agrave montrer que le laquo lien temporel

suffisamment eacutetroit raquo est totalement arbitraire Crsquoest preacuteciseacutement la raison

pour laquelle la Cour srsquoen est dispenseacutee dans les affaires italiennes et

grecques129

Contrairement agrave la position du gouvernement franccedilais qui avait identifieacute

une phase drsquoappreacuteciation par les autoriteacutes fiscales et une autre drsquoenquecircte

judiciaire lesquelles devaient ecirctre meneacutees simultaneacutement ou nrsquoecirctre seacutepareacutees

que par un bref intervalle130 la majoriteacute dans la preacutesente affaire a choisi de

consideacuterer pertinente une peacuteriode de neuf mois entre le moment ougrave la

deacutecision des autoriteacutes fiscales du 5 deacutecembre 2008 eacutetait devenue deacutefinitive

et la date de la condamnation du second requeacuterant le 30 septembre 2009

Bien que cette peacuteriode soit laquo plus longue raquo131 que la peacuteriode de deux mois et

demi dans le cas du premier requeacuterant la majoriteacute impute ce laps de temps

additionnel au retrait par le second requeacuterant de ses aveux Selon ce

raisonnement la garantie du ne bis idem devient flexible avec une porteacutee

plus eacutetroite lorsque lrsquoaccuseacute exerce ses droits proceacuteduraux et plus large

lorsqursquoil ne le fait pas La posture punitive de la majoriteacute ne pouvait pas ecirctre

illustreacutee de maniegravere plus eacuteloquente

126 Ibidem sect 52

127 Kiiveri c Finlande ndeg 5375312 10 feacutevrier 2015

128 Ibidem sect 36

129 Je me reacutefegravere aux arrecircts Grande Stevens et autres (preacuteciteacute) Kapetanios et autres

(preacuteciteacute) et Sismanidis et Sitaridis (preacuteciteacute) dans lesquels la Cour a eacuteteacute unanime

130 Voir paragraphe 96 de lrsquoarrecirct

131 Voir paragraphe 150 de lrsquoarrecirct

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 81

b) Un lien mateacuteriel suffisant

47 La majoriteacute suit explicitement le raisonnement eacutetabli dans les

affaires RT c Suisse132 et Nilsson c Suegravede133 concernant les doubles

proceacutedures peacutenales et administratives lorsque les deacutecisions de retrait de

permis de conduire eacutetaient directement baseacutees sur une condamnation peacutenale

attendue ou finale pour infraction routiegravere et ainsi ne contenaient pas

drsquoexamen seacutepareacute de lrsquoinfraction ou de la conduite en cause134 Cette

jurisprudence a eacuteteacute deacuteveloppeacutee plus avant dans les affaires Lucky Dev

Nykaumlnen et Haumlkkauml135 ougrave il nrsquoexistait preacutetendument aucun lien suffisant

mateacuteriel et temporel entre les proceacutedures peacutenales et fiscales Dans les trois

affaires susmentionneacutees les proceacutedures peacutenales et fiscales eacutetaient parallegraveles

et concernaient la mecircme peacuteriode et essentiellement le mecircme montant

soustrait au fisc Dans celles-ci la Cour a noteacute que les infractions avaient

eacuteteacute examineacutees par diffeacuterentes autoriteacutes et juridictions sans que les

proceacutedures ne soient lieacutees les deux instances suivant leur propre cours et

eacutetant devenues deacutefinitives agrave des moments diffeacuterents Enfin dans tous ces

cas la responsabiliteacute peacutenale du requeacuterant et sa responsabiliteacute de payer les

majorations drsquoimpocirct fixeacutees par la leacutegislation fiscale pertinente eacutetaient

deacutetermineacutes dans des proceacutedures totalement indeacutependantes les unes des

autres Dans lrsquoaffaire Lucky Dev la Cour administrative suprecircme nrsquoavait pas

pris en consideacuteration le fait que la requeacuterante avait eacuteteacute acquitteacutee de

lrsquoinfraction fiscale lorsqursquoelle a refuseacute de faire appel et a imposeacute en

conseacutequence des majorations deacutefinitives136 Dans les affaires Nykaumlnen et

Haumlkkauml ni les sanctions administratives ni les sanctions peacutenales nrsquoont eacuteteacute

prises en consideacuteration par lrsquoautre juridiction ou autoriteacute lorsque celles-ci se

sont prononceacutees sur la seacuteveacuteriteacute de la sanction il nrsquoy a drsquoailleurs eu aucune

interaction entre les autoriteacutes concerneacutees137

48 Avant de discuter les deacutetails de ce raisonnement deux arguments

fallacieux doivent ecirctre eacutecarteacutes drsquoembleacutee Lrsquoun veut que si lrsquoarticle 4 du

132 RT c Suisse (deacutec) ndeg 3198296 30 mai 2000

133 Nilsson preacuteciteacute

134 Dans lrsquoaffaire RT c Suisse la proceacutedure administrative avait deacutebuteacute le 11 mai 1993

et avait eacuteteacute conclue avec la deacutecision du Tribunal feacutedeacuteral du 5 deacutecembre 1995 alors que la

proceacutedure peacutenale avait eacuteteacute conclue par la deacutelivrance de lrsquoordonnance peacutenale du 9 juin 1993

qui nrsquoavait pas fait lrsquoobjet drsquoun recours Dans lrsquoaffaire Nilsson la proceacutedure peacutenale avait

eacuteteacute conclue le 24 juin 1999 puisque le jugement du tribunal deacutepartemental de Mora nrsquoavait

pas fait lrsquoobjet drsquoun recours alors que la proceacutedure administrative avait commenceacute le 5 mai

1999 et srsquoeacutetait acheveacutee le 11 novembre 1999 Dans le dernier cas la sanction administrative

a eacuteteacute imposeacutee apregraves que la sanction peacutenale eacutetait devenue deacutefinitive Dans le premier cas la

sanction administrative a eacuteteacute imposeacutee avant la sanction peacutenale Ces affaires ne sont pas

similaires Pourtant la majoriteacute les a traiteacutees comme si elles lrsquoeacutetaient

135 Lucky Dev preacuteciteacute sect 54 et Nykaumlnen preacuteciteacute sect 43 et Haumlkkauml preacuteciteacute sectsect 50-52

136 Lucky Dev preacuteciteacute sect 62 Oumlsterlund preacuteciteacute sectsect 50 et 51 et Rinas preacuteciteacute sectsect 55 et

56

137 Nykaumlnen preacuteciteacute sectsect 51 et 52 Haumlkkauml preacuteciteacute sectsect 50 et 52

82 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

Protocole no 7 devait ecirctre interpreacuteteacute comme prohibant la clocircture de

proceacutedures en cours agrave partir du moment ougrave soit la proceacutedure peacutenale soit la

proceacutedure administrative est conclue par une deacutecision deacutefinitive cela

implique des laquo conseacutequences lourdes neacutegatives et impreacutevisibles dans un

certain nombre de domaines relevant du droit administratif raquo138 Cet

argumentum ad terrorem lequel joue la carte de lrsquoappel agrave la peur nrsquoest pas

un argument juridique et ne devrait degraves lors beacuteneacuteficier drsquoaucun creacutedit devant

une juridiction Lrsquoautre exemple drsquoargument fallacieux inadmissible est

celui selon lequel plusieurs Eacutetats europeacuteens qui connaissent un double

systegraveme de sanction ont plaideacute pour son maintien devant la Cour exprimant

des opinions et preacuteoccupations similaires agrave celles du gouvernement

deacutefendeur139 Il srsquoagit drsquoun argumentum ad nauseam jouant sur la reacutepeacutetition

de lrsquoargument et non sur ses meacuterites Il ne devrait pas qua tale avoir sa place

dans une deacutecision de la Cour

49 Deux postulats geacuteneacuteraux erroneacutes doivent eacutegalement ecirctre deacutenonceacutes Il

est faut drsquoarguer sur le terrain de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 que les Eacutetats

doivent beacuteneacuteficier drsquoune large marge drsquoappreacuteciation agrave cet eacutegard tant que le

systegraveme de double sanction poursuit un but leacutegitime et ne fait pas peser un

fardeau excessif ou disproportionneacute sur lrsquoaccuseacute Il srsquoagit drsquoun droit non

susceptible de deacuterogation et par conseacutequent les Eacutetats ne beacuteneacuteficient

drsquoaucune marge drsquoappreacuteciation140

Il nrsquoest pas davantage permis drsquoarguer que la question de savoir laquelle

des deux proceacutedures parallegraveles devient deacutefinitive relegraveve de la coiumlncidence

ni que si les autoriteacutes eacutetaient obligeacutees drsquointerrompre la premiegravere lorsque la

deuxiegraveme devient deacutefinitive lrsquoissue des proceacutedures combineacutees pourrait srsquoen

trouver arbitraire Cette argumentation est circulaire parce qursquoelle

preacutesuppose qursquoil devrait y avoir plus drsquoune proceacutedure pour les mecircmes faits

De plus elle implique que lrsquoaccuseacute puisse utiliser le principe ne bis in idem

agrave des fins de laquo manipulation et drsquoimpuniteacute raquo141 comme si lrsquoaccuseacute eacutetait

toujours en mesure de controcircler le rythme des proceacutedures Une telle vision

de lrsquoeacutequilibre des pouvoirs dans les proceacutedures administratives est

deacuteconnecteacutee de la reacutealiteacute142 Enfin la supposition sous-jacente du

raisonnement de la majoriteacute est la suivante le principe ne bis in idem nrsquoest

pas lrsquoexpression drsquoun droit subjectif de lrsquoaccuseacute mais une simple regravegle

visant agrave garantie lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee avec pour seul but la

138 Voir lrsquoargument du Gouvernement au paragraphe 84 de lrsquoarrecirct

139 Voir cet argument au paragraphe 119 de lrsquoarrecirct

140 Voir de maniegravere similaire le Rapport explicatif sur lrsquoAvis de lrsquoAssembleacutee

Parlementaire du Conseil de lrsquoEurope sur le Projet de Protocole ndeg 15 agrave la Convention de

sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales doc 13154 28 mars 2013

sect 8

141 Voir paragraphe 127 de lrsquoarrecirct

142 Voir comme exemple du deacuteseacutequilibre des pouvoirs entre les autoriteacutes administratives

et le justiciable dans des proceacutedures administratives mon opinion jointe agrave lrsquoarrecirct Grande

Stevens et autres preacuteciteacute

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 83

satisfaction de lrsquointeacuterecirct punitif de lrsquoEacutetat et de lrsquoincontestabiliteacute des deacutecisions

de justice Les reacuteflexions suivantes mettront en eacutevidence de maniegravere plus

deacutetailleacutee cette posture pro auctoritate de la majoriteacute

V - La reacutevision de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine

A La restriction de lrsquoidem factum par le critegravere du bis

a) La poursuite de buts diffeacuterents traitant drsquoaspects diffeacuterents de lrsquoacte

preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute

50 Drsquoapregraves la majoriteacute quatre conditions de fond doivent ecirctre reacuteunies

pour que puisse ecirctre accepteacute le cumul des sanctions administratives et

peacutenales des proceacutedures poursuivant des buts compleacutementaires et traitant

drsquoaspects diffeacuterents de lrsquoacte preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute en cause la

preacutevisibiliteacute du cumul des sanctions la non-reacutepeacutetition de la collecte et de

lrsquoappreacuteciation des preuves et le meacutecanisme de compensation entre les

sanctions administrative et peacutenale

51 La premiegravere condition fixeacutee par la majoriteacute se reacutefegravere agrave diffeacuterentes

proceacutedures poursuivant des buts compleacutementaires et traitant drsquoaspects

diffeacuterents de lrsquoacte en cause La majoriteacute identifie au paragraphe 144 les

diffeacuterents buts poursuivis par les majorations drsquoimpocirct sur le fondement de

lrsquoarticle 10 du chapitre 10 (dissuasion geacuteneacuterale et compensation pour le

travail et les coucircts supporteacutes par les autoriteacutes fiscales pour identifier les

deacuteclarations frauduleuses) et par la condamnation peacutenale sur le fondement

de lrsquoarticle 12 du chapitre 12 de la loi fiscale de 1980 (but punitif) La

majoriteacute souligne eacutegalement au paragraphe 123 lrsquolaquo eacuteleacutement additionnel raquo de

lrsquoinfraction peacutenale (la conduite frauduleuse) qui nrsquoest pas supposeacutement

traiteacute par lrsquoinfraction fiscale En drsquoautres termes la majoriteacute se range du

cocircteacute du Gouvernement qui preacutetend que les majorations drsquoimpocirct ordinaires

sont laquo infligeacutees objectivement sans consideacuteration de la faute dans le but

drsquooffrir agrave lrsquoEacutetat une compensation pour les coucircts associeacutes raquo au processus de

controcircle143

52 Cette thegravese ne tient pas pour deux raisons juridiques de principe

Premiegraverement il nrsquoy a aucune disposition ni instrument obligatoire de droit

interne qui requerrait un rapport de proportionnaliteacute entre les majorations

drsquoimpocirct et les coucircts engageacutes par lrsquoadministration pour deacutetecter investiguer

poursuivre et reacuteparer lrsquoinfraction fiscale imputeacutee au coupable Une telle

exigence serait simplement irreacutealiste puisqursquoelle ne pourrait ecirctre baseacutee que

sur une estimation virtuelle et approximative des coucircts per capita de

lrsquoadministration fiscale avec son systegraveme de controcircles et drsquoaudits reacutealiseacutes

pour identifier les deacuteclarations frauduleuses Ainsi lrsquoexistence drsquoune finaliteacute

compensatoire pour les majorations drsquoimpocirct impliquerait un eacuteleacutement

143 Voir les observations du Gouvernement du 11 novembre 2015 p 29

84 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

inadmissible de culpabiliteacute collective faisant peser sur certains

contribuables le coucirct du systegraveme de controcircle des deacuteclarations fiscales tout

entier

53 Ensuite la position de la majoriteacute neacuteglige le fait que les majorations

drsquoimpocirct en cause ne peuvent ecirctre consideacutereacutees comme simplement

compensatoires Des majorations jusqursquoagrave 30 voire mecircme 60 sont si

lourdes qursquoelles incluent manifestement une dimension punitive Dans

lrsquoaffaire Janosevic des majorations normalement fixeacutees agrave 20 ou 40 de

lrsquoimpocirct eacuteviteacute sans plafond et non convertible en peine de prison en cas de

non-paiement ont eacuteteacute consideacutereacutees comme relevant du volet peacutenal de

lrsquoarticle 6144 Enfin la majoriteacute nrsquoest pas consciente du but intrinsegravequement

punitif de toute majoration fiscale quel que soit son montant ainsi que

lrsquoaffaire Jussila lrsquoavait eacutetabli longtemps auparavant srsquoagissant drsquoune

majoration fiscale de 10 pouvant aller jusqursquoagrave 20 145 Il est difficile de

comprendre pourquoi la Cour a soudainement abandonneacute dans la preacutesente

affaire ces normes bien eacutetablies sans explication

En reacutesumeacute dans le cadre du droit norveacutegien les majorations drsquoimpocirct

visent agrave dissuader les fraudeurs potentiels et les reacutecidivistes La preacutevention

geacuteneacuterale est le but admis des majorations drsquoimpocirct en question146 Cet

objectif de preacutevention geacuteneacuterale a laquo neacutecessairement raquo des effets secondaires

punitifs et de preacutevention speacuteciale concernant le deacutelinquant condamneacute et ces

effets secondaires sont eacutevidemment voulus par la politique de lrsquoEacutetat147 La

Cour suprecircme a fait un effort louable pour limiter ces effets exemplaires et

punitifs par le principe de proportionnaliteacute148 Mais la Cour ne devrait pas se

livrer agrave un jeu seacutemantique Elle devrait plutocirct eacutevaluer drsquoune maniegravere

reacutealiste et terre agrave terre les sanctions fiscales et leur impact sur la vie des

contribuables Sous cet angle la preacutevention geacuteneacuterale par le biais drsquoune

punition proportionneacutee nrsquoest rien de plus qursquoune laquo theacuteorie punitive

deacuteguiseacutee raquo (verkappte Vergeltungstheorie)149

144 Janosevic preacuteciteacute sect 69

145 Jussila preacuteciteacute sect 38

146 Voir paragraphe 47 de lrsquoarrecirct

147 Ainsi que la Cour lrsquoa dit elle-mecircme dans lrsquoarrecirct Kurdov et Ivanov (preacuteciteacute sect 40)

mentionnant le but neacutecessairement reacutepressif des sanctions administratives de nature

peacutecuniaire

148 Voir le paragraphe 50 de lrsquoarrecirct

149 Il est impossible dans les limites de cette opinion drsquoentrer dans le grand deacutebat

doctrinal relatif aux objectifs des infractions administratives et en particulier de leurs

objectifs laquo deacuteguiseacutes raquo Comme introduction agrave cette discussion voir James Goldschmidt

Das Verwaltungsstrafrecht Eine Untersuchung der Grenzgebiete zwischen Strafrecht und

Verwaltungsrecht auf rechtsgeschichtlicher und rechtsvergleichender Grundlage Berlin

1902 Erik Wolf Die Stellung der Verwaltungsdelikte im Strafrechtssystem in Beitraumlge

zur Strafrechtswissenschaft Festgabe fuumlr Reinhard von Frank II Tuumlbingen 1930

Schmidt Straftaten und Ordnungswidrigkeiten in Juristen Zeitung 1951 Mattes

Untersuchungen zur Lehre von den Ordnungswidrigkeiten Berlin 1972 Paliero Minima

non curat praetor Ipertrofia del diritto penale e decriminalizzazione dei reatti bagatellari

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 85

54 Lrsquoargumentation du Gouvernement ne peut pas non plus ecirctre

accueillie concernant laquo lrsquoeacuteleacutement additionnel raquo de lrsquoinfraction peacutenale le

preacutetendu eacuteleacutement intentionnel frauduleux Lrsquoaccepter irait agrave lrsquoencontre de

lrsquoarrecirct Ruotsalainen150 Dans cette affaire lrsquoEacutetat deacutefendeur arguait que la

fraude fiscale incluait un eacuteleacutement laquo drsquointentionnaliteacute raquo alors que lrsquoinfraction

administrative ne pouvait reposer que sur des motifs objectifs La reacuteponse

de la Cour est eacuteloquente les faits dans les deux instances se distinguaient agrave

peine bien que la proceacutedure peacutenale requicirct une intention mais cela nrsquoeacutetait pas

pertinent aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Les eacuteleacutements des deux

infractions devaient donc ecirctre regardeacutes comme eacutetant substantiellement les

mecircmes agrave ces fins Il devrait en aller de mecircme dans la preacutesente affaire

55 En outre la majoriteacute ne compare pas les eacuteleacutements subjectifs de

lrsquoinfraction fiscale administrative passible de majoration drsquoimpocirct et

lrsquoinfraction fiscale de nature peacutenale passible drsquoemprisonnement ou

drsquoamende En conseacutequence elle meacuteconnaicirct la critique drsquoordre moral que

lrsquoon peut intrinsegravequement tirer de la lettre et de lrsquoesprit des provisions

pertinentes de la loi fiscale de 1980 (article 10-2 agrave 4 du chapitre 10)

Lrsquoarticle 10-3 emploie les expressions laquo excusable raquo et laquo raison qui ne peut

lui ecirctre reprocheacutee raquo pour deacutesigner les causes de remises fiscales

Lrsquoinexcusabiliteacute et le caractegravere blacircmable sont des notions intrinsegravequement

morales de lrsquoinfraction administrative qui caracteacuterisent la mens rea du

coupable On les trouve dans les infractions peacutenales aussi La modification

de cette disposition en 2010 ne renvoie plus agrave ces deux notions mais ajoute

la notion drsquolaquo erreur manifestement commise par inadvertance raquo qui

comporte de toute eacutevidence un eacuteleacutement de critique morale pour les erreurs

non commises laquo par inadvertance raquo ou intentionnelles

De plus les majorations drsquoimpocirct jusqursquoagrave un maximum de 60 peuvent

ecirctre imposeacutees quand des actes sont commis volontairement ou par

neacutegligence grossiegravere Ainsi ils requiegraverent lrsquoeacutetablissement drsquoune mens rea et

drsquoune culpabiliteacute comme en matiegravere peacutenale Les eacuteleacutements subjectifs de la

fraude eacutenonceacutes dans les dispositions peacutenales de lrsquoarticle 12-1 du chapitre 12

ndash laquo tout en sachant ou tout en eacutetant censeacutee savoir qursquoelle peut en tirer des

avantages fiscaux raquo ndash recoupe lrsquoeacuteleacutement subjectif de la majoration fiscale

aggraveacutee pouvant aller jusqursquoagrave 60 (neacutegligence grossiegravere ou intentionnelle

ndash article 10-4 du chapitre 10) Autrement dit les eacuteleacutements subjectifs des

sanctions peacutenales et administratives coiumlncident Les proceacutedures peacutenale et

administrative en cause ne visent pas tel ou tel aspect diffeacuterent de lrsquoacte

preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute

56 Une remarque pour finir la premiegravere condition fixeacutee par la majoriteacute

relegraveve en derniegravere analyse de la deacutetermination de lrsquoidem Lrsquoeacutetablissement

des laquo buts diffeacuterents raquo poursuivis par les infractions administratives et

Padoue 1985 et Delmas-Marty et autres Punir sans juger De la reacutepression administrative

au droit administratif peacutenal Paris 1992

150 Ruotsalainen preacuteciteacute sect 56

86 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

peacutenales et des laquo diffeacuterents aspects de lrsquoacte preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute raquo viseacutes

par chacune de ces infractions est intrinsegravequement une question de fond qui

touche agrave la deacutefinition de lrsquoidem Ces questions doivent ecirctre consideacutereacutees

comme se rattachant davantage agrave la notion drsquoidem plutocirct qursquoagrave celle de bis

contrairement au raisonnement theacuteorique de la majoriteacute En deacutepit de cette

confusion theacuteorique le but de la majoriteacute est tregraves clair elle veut limiter la

porteacutee de lrsquoidem factum En agissant de la sorte elle inflige un camouflet

conseacutequent agrave la jurisprudence Sergueiuml Zolotoukhine

b) La preacutevisibiliteacute du cumul des diffeacuterentes sanctions

57 La seconde condition fixeacutee par la majoriteacute se rapporte agrave la

preacutevisibiliteacute de la mixiteacute des proceacutedures administratives et peacutenales comme

conseacutequence agrave la fois en droit et en pratique du mecircme acte Une telle

preacutevisibiliteacute est affirmeacutee aux paragraphes 146 et 152 de lrsquoarrecirct sans le

moindre effort pour deacutevelopper la question tregraves deacutelicate du degreacute de

connaissance requis pour engager la responsabiliteacute administrative Une

probleacutematique qui a captiveacute lrsquoattention de la doctrine depuis des deacutecennies a

eacuteteacute tout simplement eacutecarteacutee151 La majoriteacute suppose simplement que les

citoyens en geacuteneacuteral et les contribuables en particulier connaissent ou

devraient connaicirctre lrsquointeacutegraliteacute du cadre juridique administratif y compris

les sanctions et ainsi pourraient ecirctre responsables de toute faute ou conduite

abusive agrave lrsquoaune de ce cadre juridique

58 La majoriteacute ne consacre pas une seule ligne de son raisonnement agrave

lrsquoargument des requeacuterants selon lequel les sanctions qui leur ont eacuteteacute

imposeacutees eacutetaient discriminatoires discreacutetionnaires et non preacutevisibles

puisque quatre coaccuseacutes (GA TF KB et GN) impliqueacutes dans les mecircmes

faits ne se sont pas vu imposer de majorations drsquoimpocirct alors que les

requeacuterants ont ducirc subir des peines de prison et des majorations drsquoimpocirct152

Cet argument va droit au cœur de la seconde condition fixeacutee par la majoriteacute

Les faits de la preacutesente affaire montrent que les Instructions du Procureur

geacuteneacuteral du 3 avril 2009 nrsquoont pas eacuteteacute appliqueacutees aux requeacuterants ni agrave A dont

la condamnation peacutenale date du 2 mars 2009 ni agrave B dont la condamnation

date du 30 novembre 2009 La Cour suprecircme en a pris note mais sans en

tirer de conseacutequence en en se justifiant ainsi laquo le parquet srsquoest reacuteserveacute le

droit drsquoouvrir des poursuites peacutenales sur la base drsquoune appreacuteciation

individuelle au cas ougrave serait en cours une proceacutedure parallegravele non contraire

[agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7] Il a eacuteteacute indiqueacute que le procegraves de [A] srsquoeacutetait

poursuivi au motif qursquoune juste sanction srsquoimposait agrave lrsquoaune drsquoautres

151 Voir comme introduction agrave cette probleacutematique les annotations aux paragraphes 10

et 11 in Rebman et autres Gesetz uumlber Ordnungswidrigkeiten Kommentar troisiegraveme

eacutedition Stuttgart 2016 et Karlsruher Kommentar zum Gesetz uumlber Ordnungswidrigkeiten

quatriegraveme eacutedition Munich 2014

152 Voir paragraphe 64 de lrsquoarrecirct

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 87

affaires connexes () Degraves lors le fondement de la deacutecision eacutetait le principe

drsquoeacutegaliteacute de traitement par rapport agrave des affaires connexes raquo Les requeacuterants

ont rejeteacute cet argument en soulignant que au regard des Instructions de

2009 les majorations drsquoimpocirct nrsquoavaient pas eacuteteacute imposeacutees agrave quatre autres

accuseacutes impliqueacutes dans les mecircmes faits Le Gouvernement nrsquoa pas

speacutecifiquement contesteacute cette thegravese La majoriteacute nrsquoa rien agrave reacutepondre agrave cette

thegravese majeure des requeacuterants

59 Quoi qursquoil en soit la latitude offerte par les Instructions est

inacceptable agrave la lumiegravere de la jurisprudence Camilleri153 Une telle latitude

pose problegraveme sous lrsquoangle de la seacutecuriteacute juridique Les Instructions avaient

fait naicirctre lrsquoespoir que lrsquoEacutetat ne consideacutererait plus le systegraveme norveacutegien de

reacutepression des fraudes fiscales agrave double voie comme eacutetant leacutegal et conforme

agrave la Convention et ainsi que le Procureur aurait lrsquoobligation drsquoattaquer les

condamnations et avant que celles-ci ne soient prononceacutees drsquoabandonner

les poursuites154 Dans le cas des requeacuterants la deacutecision par le parquet de

proceacuteder diffeacuteremment nrsquoeacutetait pas preacutevisible Le traitement preacutefeacuterentiel

accordeacute aux quatre autres accuseacutes impliqueacutes dans les mecircmes faits qui ont

eacuteteacute exempteacutes de toute majoration fiscale (GA TF KB et GN) ne fait que

prouver le caractegravere discreacutetionnaire et donc impreacutevisible du choix des

autoriteacutes nationales

B La conception pro auctoritate du ne bis in idem de la majoriteacute

a) Absence de reacutepeacutetition de la collecte et de lrsquoappreacuteciation des preuves

60 La troisiegraveme condition fixeacutee par la majoriteacute consiste en une

prohibition souple (laquo autant que possible raquo) de la reacutepeacutetition de la collecte et

de lrsquoappreacuteciation des preuves agrave partir drsquoun exemple (laquo notamment raquo)

lrsquointeraction entre diffeacuterentes autoriteacutes administrative et judiciaire pour

aboutir agrave lrsquoeacutetablissement des faits dans une proceacutedure est eacutegalement utiliseacutee

dans lrsquoautre proceacutedure155 Pour moi cette condition est tregraves probleacutematique

61 Par principe les conditions de la protection drsquoun droit individuel non

susceptible de deacuterogation tel que le ne bis in idem ne doivent pas ecirctre

laisseacutees au pouvoir discreacutetionnaire de lrsquoEacutetat Puisque la troisiegraveme condition

de la majoriteacute est une simple recommandation de iure condendo ce nrsquoest

pas une exigence conventionnelle Elle a le mecircme effet que lrsquoeacutenonceacute

eacutegalement de iure condendo selon lequel laquo la maniegravere la plus sucircre de veiller

153 Camilleri c Malte ndeg 4293110 22 janvier 2013

154 La position du Procureur Geacuteneacuteral norveacutegien ne pourrait ecirctre plus claire apregraves lrsquoarrecirct

Sergueiuml Zolotoukhine laquo Depuis le revirement opeacutereacute dans la jurisprudence de la Cour il

faut appliquer un systegraveme laquo agrave un niveau raquo eacutegalement pour les majorations drsquoimpocirct

ordinaires raquo Voir paragraphes 48 et 64 de lrsquoarrecirct

155 Voir paragraphe 132 de lrsquoarrecirct La majoriteacute ne dit pas un mot agrave propos de la solution

existant dans certains Eacutetats drsquoune coopeacuteration entre lrsquoadministration et le parquet pour

deacuteterminer la marche agrave suivre

88 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

au respect de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 consiste agrave preacutevoir agrave un stade

opportun une proceacutedure agrave un seul niveau raquo156 Tous deux sont des dicta non

contraignants qui nrsquoajoutent rien agrave la jurisprudence contraignante de la

Cour

62 En outre cette recommandation ne fait qursquoeffleurer en surface un

problegraveme tregraves seacuterieux Lrsquoexistence de diffeacuterentes deacuteclarations par les

autoriteacutes administratives et judiciaires sur les mecircmes faits sur la base drsquoune

appreacuteciation diffeacuterentes des mecircmes faits met en question lrsquoautoriteacute de

lrsquoEacutetat Pire encore une appreacuteciation diffeacuterente des preuves dans une

proceacutedure administrative et une proceacutedure peacutenale permet le deacutetournement

insidieux de la proceacutedure administrative aux fins de la proceacutedure peacutenale Ce

deacutetournement est encore plus inquieacutetant que le risque pour lrsquoautoriteacute de

lrsquoEacutetat dans la mesure ougrave il laisse lrsquoaccuseacute sans deacutefense En drsquoautres termes

la condamnation peacutenale est presque courue drsquoavance lorsque lrsquoinfraction

administrative commise par le contribuable a deacutejagrave eacuteteacute eacutetablie sur la base de

regravegles de preuve moins strictes Lrsquoobligation de coopeacuteration avec le fisc qui

pegravese sur le contribuable dans les proceacutedures administratives aggrave encore

cette conclusion

63 La majoriteacute ne confronte pas les regravegles de preuve en matiegravere

administrative et peacutenale en Norvegravege pour veacuterifier srsquoil existe un danger de

reacutepeacutetition dans la collecte et lrsquoappreacuteciation des preuves dans les deux

proceacutedures Elle nrsquoanalyse pas non plus le cadre juridique reacutegissant les

interactions entre les diffeacuterentes autoriteacutes judiciaires et administratives pour

deacuteterminer si lrsquoeacutetablissement des faits dans la proceacutedure administrative

influence la proceacutedure peacutenale et vice versa Aux paragraphes 145 et 150 de

lrsquoarrecirct la majoriteacute se contente drsquoeacutevoquer quelques exemples ad hoc

drsquoeacutechange drsquoinformations entre les autoriteacutes administratives et judiciaires

Rien de plus

64 Or les parties ont acircprement discuteacute cette question Le Gouvernement

reconnait que les regravegles de preuve sont diffeacuterentes dans les proceacutedures

fiscales dans lesquelles le critegravere de la laquo cause probable qualifieacutee raquo

srsquoapplique par rapport aux proceacutedures peacutenales dans lesquelles un laquo standard

de preuve strict raquo srsquoapplique En reacutealiteacute il srsquoagit selon le Gouvernement de

lrsquoun des laquo avantages majeurs raquo qursquooffrent les proceacutedures administratives157

Si crsquoest le cas la troisiegraveme condition de la majoriteacute nrsquoest pas respecteacutee en

droit norveacutegien pour la simple raison que puisque diffeacuterentes regravegles de

preuves sont applicables les preuves doivent ecirctre appreacutecieacutees diffeacuteremment

dans la proceacutedure administrative et la proceacutedure peacutenale avec le risque

eacutevident drsquoaboutir agrave des conclusions diffeacuterentes agrave propos des mecircmes faits

156 Voir paragraphe 130 de lrsquoarrecirct

157 Voir les observations du Gouvernement du 11 novembre 2015 page 8 Le

Gouvernement ajoute que les proceacutedures administratives ont lrsquoavantage de comporter des

phases drsquoinstruction et de jugement plus rapides

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 89

Entre le Charybde du risque de conclusions contradictoires dans les

proceacutedures peacutenales et administratives dues aux diffeacuterentes regravegles de preuve

(deux poids deux mesures) et le Scylla du deacutetournement des preuves

administratives agrave des fins peacutenales lrsquoaccuseacute se trouve dans tous les cas placeacute

dans une situation ineacutequitable dans le systegraveme norveacutegien agrave double voie

b) Meacutecanisme de compensation entre les sanctions administratives et peacutenales

65 La quatriegraveme condition fixeacutee par la majoriteacute exige la mise en place

drsquoun laquo meacutecanisme compensatoire conccedilu pour assurer que le montant global

de toutes les peines peacutecuniaires prononceacutees est proportionneacutee raquo158 Sans

aucune explication preacutealable de la raison pour laquelle cette alternative est

retenue la majoriteacute nrsquoenvisage pas drsquoautres solutions proceacutedurales bien

connues telles que la suspension de lrsquoune des proceacutedures pendant que

lrsquoautre est pendante159 ou des solutions de fond telles que le principe de

speacutecialiteacute ou la mise en place de limites pour la sanction du concours

drsquoinfractions peacutenale et administrative comme la regravegle selon laquelle le

montant total de la sanction ne doit pas exceacuteder le montant le plus eacuteleveacute de

lrsquoune des deux sanctions encourues ou le plafonnement de la sanction

fiscale au minimum de la sanction peacutenale La porteacutee et les caracteacuteristiques

du meacutecanisme de compensation proposeacute sont pour le moins tregraves

probleacutematiques

66 Le raisonnement de la majoriteacute entre en conflit frontal avec la

position reacutecente de la Cour dans lrsquoaffaire Grande Stevens et autres qui

concerne des proceacutedures administratives et peacutenales parallegraveles Le

gouvernement italien avait alleacutegueacute sans succegraves dans cette affaire que pour

assurer la proportionnaliteacute de la sanction aux accusations la juridiction

peacutenale italienne avait pris en consideacuteration lrsquoimposition preacutealable drsquoune

sanction administrative et reacuteduit la sanction peacutenale Plus preacuteciseacutement le

montant de lrsquoamende administrative avait eacuteteacute deacuteduit de la sanction peacutenale

financiegravere (article 187 terdecies du Deacutecret Leacutegislatif no 58 de 1998) et les

avoirs deacutejagrave saisis dans le contexte de la proceacutedure administrative ne

pouvaient pas ecirctre confisqueacutes160 Cet argument auquel la Cour nrsquoa pas

accordeacute de creacutedit dans Grande Stevens et autres est agrave preacutesent mis en avant

dans le contexte norveacutegien sans aucune justification de la part de la

majoriteacute quant agrave ce revirement soudain La majoriteacute semble avoir oublieacute

que dans lrsquoarrecirct Grande Stevens la Cour avait deacutecideacute que lrsquoEacutetat deacutefendeur

devait srsquoassurer que les nouvelles proceacutedures peacutenales entameacutees agrave lrsquoencontre

158 Voir le paragraphe 132 de lrsquoarrecirct

159 Crsquoest ce qui eacutetait proposeacute dans les arrecircts Kapetanios et autres (preacuteciteacute sect 72) et

Sismanidis et Sitaridis (preacuteciteacute sect 72)

160 Grande Stevens et autres preacuteciteacute sect 218

90 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

des requeacuterants en violation du ne bis in idem seraient clocirctureacutees aussi

rapidement que possible et sans effets indeacutesirables pour eux161

67 Le gouvernement italien avait aussi alleacutegueacute que le systegraveme agrave double

voie eacutetait requis par la Directive 20036CE du 28 janvier 2003 sur les

opeacuterations drsquoinitieacute et les manipulations de marcheacutes pour lutter contre les

manipulations et les abus plus efficacement invoquant les conclusions de

lrsquoAvocat Geacuteneacuteral dans lrsquoaffaire Hans Aringkerberg Fransson162 La Cour a

facilement eacutecarteacute cet argument comme eacutetant inopeacuterant163 Dans ce contexte

il est troublant que la Cour cite agrave preacutesent les conclusions de lrsquoAvocat

Geacuteneacuteral dans lrsquoaffaire Fransson agrave lrsquoappui de ses arguments164 En deacutepit du

fait que la CJUE ait deacutesapprouveacute la vision de lrsquoAvocat Geacuteneacuteral la majoriteacute

dans lrsquoaffaire A et B fait sienne sa position La Cour de Strasbourg prend

volontairement ses distances par rapport agrave la Cour de Luxembourg qui avait

fait un effort pour aligner les deux jurisprudences dans son arrecirct Fransson

Les juges de la Cour ont preacutefeacutereacute se ranger du cocircteacute de la seule voix de

lrsquoAvocat Geacuteneacuteral qui avait fortement critiqueacute la jurisprudence de la Cour

accuseacutee drsquoecirctre en contradiction avec les traditions constitutionnelles

europeacuteennes Le revirement inexpliqueacute de Strasbourg constitue un seacuterieux

revers pour la relation entre les deux cours europeacuteennes

68 En outre le meacutecanisme compensatoire de la majoriteacute ne srsquoapplique

qursquoaux deacuteductions de sanctions imposeacutees dans la proceacutedure deacutefinitivement

close en premier Il ne srsquoapplique pas si cette proceacutedure connaicirct une autre

issue crsquoest-agrave-dire si la juridiction prononce lrsquoacquittement ou le non-lieu

La raison est eacutevidente Dans ces cas de figure il nrsquoy a litteacuteralement rien agrave

compenser crsquoest-agrave-dire agrave contrebalancer ou agrave deacuteduire dans une proceacutedure

administrative subseacutequente ou parallegravele

69 La question est eacutevidemment cruciale agrave la lumiegravere des affaires

grecques reacutecentes dans lesquelles les juridictions administratives qui

avaient imposeacute des amendes administratives nrsquoavaient pas pris en

consideacuteration lrsquoacquittement des requeacuterants dans des proceacutedures peacutenales

parallegraveles (requecirctes nos 345312 et 4294112) ou subseacutequentes (requecircte no

161 Ibidem sect 237 Il est utile de rappeler les conclusions de lrsquoAIDP de 2004 preacuteciteacutees

laquo Le laquo bis raquo crsquoest-agrave-dire le cumul qui doit ecirctre eacuteviteacute ne se rapporte pas simplement aux

sanctions toute nouvelle poursuite doit ecirctre empecirccheacutee raquo

162 Grande Stevens et autres preacuteciteacute sect 216

163 Ibidem preacuteciteacute sect 229

164 Voir paragraphe 118 du preacutesent arrecirct La Directive 201457UE du16 avril 2014

relative aux sanctions peacutenales applicables aux abus de marcheacute qui admet le systegraveme mixte

(preacuteambule sect 23) doit srsquoarticuler avec le Regraveglement (UE) 5962014 du 16 avril 2014

(preacuteambule sect 72) Le leacutegislateur europeacuteen nrsquoa pas reacutesolu le problegraveme du ne bis in idem

preacutefeacuterant renvoyer la patate chaude aux Eacutetats Neacuteanmoins lrsquoimposition de sanctions

peacutenales sur la base drsquoune infraction obligatoire eacutetablie par la nouvelle Directive et de

sanctions administratives conformeacutement avec les infractions optionnelles preacutevues par le

nouveau Regraveglement (article 30 sect 1) laquo peuvent deacutecider de ne pas raquo) ne devrait pas conduire

agrave la violation du ne bis in idem

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 91

902913) ayant pour objet le mecircme acte165 Suivant le principe de lrsquoarrecirct

Kapetanios et autres tout acquittement ou non-lieu dans lrsquoaffaire peacutenale

aurait un Sperrwirkung sur une autre proceacutedure administrative parallegravele ou

subseacutequente ainsi que lrsquoa conclu la Cour dans lrsquoaffaire Sismanidis et

Sitaridis qui eacutegalement concernait deux cas (requecirctes nos 6660409 et

7187912) de proceacutedures administrative et peacutenale parallegraveles166 Lrsquoaccuseacute

acquitteacute a droit agrave ne pas ecirctre troubleacute une nouvelle fois pour les mecircmes faits

ce qui inclut le risque de nouvelles poursuites en deacutepit de la nature

diffeacuterente (judiciaire et administrative) des organes en cause167 En drsquoautres

termes il existe une prohibition absolue de se prononcer de nouveau sur les

mecircmes faits En outre les juridictions et lrsquoadministration doivent tenir

compte drsquooffice de la force de chose jugeacutee de lrsquoacquittement les droits de

lrsquoaccuseacute eacutetant absolus et non susceptibles de deacuterogation168

70 La jurisprudence grecque srsquoinscrit eacutegalement dans la ligneacutee du

principe eacutetabli au paragraphe 60 de Lucky Dev soulignant le fait que

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 serait violeacute si lrsquoune des deux proceacutedures se

poursuivait apregraves la date de clocircture de la premiegravere par une deacutecision

deacutefinitive Dans lrsquoaffaire Lucky Dev les majorations drsquoimpocirct avaient eacuteteacute

appliqueacutees apregraves un acquittement deacutefinitif agrave lrsquoissue de la proceacutedure peacutenale

parallegravele et la formulation du principe par la Cour est limpide laquo cette

deacutecision deacutefinitive appellerait la clocircture de lrsquoautre instance raquo169

71 Pour reacutesumer le preacutesent arrecirct contredit lrsquoessence des jurisprudences

Kapetanios et autres Sismanidis et Sitaridis et Lucky Dev Pour la majoriteacute

165 Dans Kapetanios et autres (preacuteciteacute) voir la requecircte ndeg 345312 avec une proceacutedure

administrative pendante entre novembre 1989 et juin 2011 et une proceacutedure peacutenale

pendante entre 1986 et novembre 1992 la requecircte ndeg 4294112 avec une proceacutedure

administrative pendante entre septembre 1996 et novembre 2011 et une proceacutedure peacutenale

pendante entre 1988 et juin 2000 et enfin la requecircte ndeg 902813 avec une proceacutedure

administrative pendante entre 2011 et feacutevrier 2012 et une proceacutedure peacutenale acheveacutee en mai

1998

166 Sismanidis et Sitaridis (preacuteciteacute) voir la requecircte ndeg 6660209 avec une proceacutedure

administrative pendante entre septembre 1996 et mai 2009 et une proceacutedure peacutenale

pendante entre deacutecembre 1994 et avril 1997 et la requecircte ndeg 7187912 avec une proceacutedure

administrative pendante entre novembre 1996 et feacutevrier 2012 et une proceacutedure peacutenale

pendante entre 1998 et feacutevrier 1999

167 Kapetanios et autres preacuteciteacute sectsect 71 et 72 La version franccedilaise de lrsquoarrecirct Sergueiuml

Zolotoukhine est plus expressive lorsqursquoelle parle au paragraphe 83 de laquo risque de

nouvelles poursuites raquo en plus des nouveaux procegraves Voir eacutegalement le paragraphe 59 de

lrsquoarrecirct Van Straaten rendu par la CJUE preacuteciteacute laquo lrsquoouverture drsquoune proceacutedure peacutenale dans

un autre Eacutetat contractant pour les mecircmes faits compromettrait dans le cas drsquoun

acquittement deacutefinitif pour insuffisance de preuves les principes de la seacutecuriteacute juridique et

de la confiance leacutegitime raquo

168 Kapetanios et autres preacuteciteacute sect 66 Crsquoest preacuteciseacutement la conclusion de lrsquoarrecirct Melo

Tadeu c Portugal (ndeg 2778510 sect 64 23 octobre 2014) laquo La Cour estime qursquoun

acquittement au peacutenal doit ecirctre pris en compte dans toute proceacutedure ulteacuterieure peacutenale ou

non peacutenale raquo

169 Lucky Dev preacuteciteacute sect 60

92 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

lrsquoacquittement de lrsquoaccuseacute que ce soit parce que les actes ne sont pas

constitutifs drsquoune infraction peacutenale parce que lrsquoaccuseacute ne les a pas commis

ou parce qursquoil nrsquoa pas eacuteteacute prouveacute qursquoil les ait commis nrsquoa pas agrave ecirctre pris en

consideacuteration dans des proceacutedures administratives parallegraveles Cela soulegraveve

aussi bien eacutevidemment un problegraveme au regard de lrsquoarticle 6 sect 2 de la

Convention Toute nouvelle conclusion sur le fond remettrait en question la

preacutesomption drsquoinnocence reacutesultant de lrsquoacquittement170

72 Le meacutecanisme compensatoire de la majoriteacute nrsquoest eacutegalement pas

applicable dans lrsquohypothegravese ougrave la proceacutedure administrative serait la

premiegravere agrave devenir deacutefinitive et ougrave aucune majoration fiscale ne serait

imposeacutee parce que la responsabiliteacute administrative nrsquoa pas pu ecirctre prouveacutee

Pour la majoriteacute dans cette hypothegravese le contribuable peut encore ecirctre

condamneacute pour les mecircmes faits dans une proceacutedure peacutenale

73 Agrave ce stade il est clair que la quatriegraveme condition est un chegraveque en

blanc pour les Eacutetats leur permettant drsquoagir agrave leur guise Pire encore la

majoriteacute nrsquoexplique pas comment le meacutecanisme compensatoire fonctionne

en droit norveacutegien Le seul paragraphe 50 de lrsquoarrecirct est un reacutesumeacute de la

jurisprudence qui laisse au lecteur lrsquoimpression que les juridictions peacutenales

deacutecident comme bon leur semble de parfois prendre en consideacuteration les

sanctions administratives anteacuterieures et parfois de ne pas le faire Cette

impression est justifieacutee dans lrsquoaffaire en cause ainsi qursquoil sera deacutemontreacute ci-

dessous En outre il nrsquoy a aucune indication dans lrsquoarrecirct quant agrave savoir si un

meacutecanisme similaire de compensation existe dans la proceacutedure fiscale par

lequel les sanctions peacutenales anteacuterieures seraient prises en consideacuteration

lorsque sont imposeacutees des majorations peacutenales

74 Le Gouvernement dit que laquo les condamnations agrave des majorations

drsquoimpocircts sont prises en compte lorsque les tribunaux deacuteterminent la bonne

et juste sanction pour une socieacuteteacute (voir article 28 lettre g du code peacutenal de

2005) Lorsque crsquoest une personne physique qui est condamneacutee ils tiennent

compte de toute majoration drsquoimpocirct infligeacutee sur la base de lrsquoarticle 27 du

code peacutenal de 1902 transposeacute agrave lrsquoarticle 53 du code peacutenal de 2005 raquo171

Lrsquoarticle 27 dispose laquo Lorsqursquoune amende est imposeacutee il faut ducircment tenir

compte non seulement de la nature de lrsquoinfraction mais aussi et surtout de la

situation peacutecuniaire de la personne condamneacutee et de ce que celle-ci peut

vraisemblablement se permettre de payer au vu des circonstances raquo Aucune

mention nrsquoest faite des sanctions dans les proceacutedures parallegraveles ou

anteacuterieures en relation avec les mecircmes faits et encore moins aux

majorations peacutenales Aucune mention nrsquoest faite non plus de la limite du

cumul des sanctions par exemple lrsquoexigence voulant que le montant total

des sanctions imposeacutees ne doive pas exceacuteder le montant le plus eacuteleveacute qui

pourrait ecirctre imposeacute pour lrsquoune ou lrsquoautre des sanctions En reacutealiteacute la prise

170 Kapetanios et autres preacuteciteacute sect 88 et Sismanidis et Sitaridis preacuteciteacute sect 58

171 Voir les observations du Gouvernement du 11 novembre 2015 page 8

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 93

en consideacuteration des autres sanctions nrsquoest mecircme pas mentionneacutee

lorsqursquoune peine drsquoemprisonnement a eacuteteacute ordonneacutee

Pour le dire en peu de mots il nrsquoexiste tout simplement pas de

meacutecanisme de compensation en droit norveacutegien il nrsquoy a qursquoune indication

geacuteneacuterale indiffeacuterencieacutee donneacutee par le leacutegislateur au juge selon laquelle la

situation financiegravere de la personne accuseacutee doit ecirctre prise en consideacuteration

dans sa condamnation agrave une amende Ni plus ni moins

75 La jurisprudence de la Cour suprecircme fondeacutee sur les dispositions du

Code Peacutenal susmentionneacutees pour autant que les juges de la Grande

Chambre en ont eu connaissance est peut-ecirctre creacuteative mais elle nrsquoest

certainement pas preacutevisible Elle est formuleacutee si extensivement que mecircme le

juriste le plus expeacuterimenteacute ne saurait anticiper si et selon quelles modaliteacutes

des majorations drsquoimpocirct seront prises en consideacuteration dans des amendes

peacutenales De plus sa porteacutee est tregraves limiteacutee en pratique Puisqursquoelle

nrsquoautorise aucun meacutecanisme compensatoire dans les cas drsquoemprisonnement

elle limite lrsquoimpact alleacutegueacute de lrsquoeffet compensatoire aux affaires moins

graves mais en prive les affaires plus graves

Conscients des faiblesses du systegraveme juridique national les juges

norveacutegiens ont fait un effort louable pour combler le trou noir juridique et

introduire une certaine proportionnaliteacute dans un systegraveme arbitraire excessif

et ineacutequitable arbitraire dans le choix pour un systegraveme agrave une seule ou deux

voies excessif dans les sanctions appliqueacutees et ineacutequitable drsquoun point de

vue proceacutedural dans la maniegravere dont il traite les accuseacutes Mais le principe ne

bis in idem laquo nrsquoest pas une regravegle de proceacutedure agissant comme un agent

leacutenitif au service de la proportionnaliteacute lorsqursquoune personne est doublement

jugeacutee et condamneacutee pour un mecircme comportement mais bien une garantie

fondamentale des droits des citoyens raquo172

76 Comme le Gouvernement la majoriteacute est seacuteduite par un laquo souci

drsquoefficaciteacute raquo173 selon lequel la logique du principe ne bis in idem

srsquoapplique laquo dans une moindre mesure aux sanctions ne relevant pas du

laquo noyau dur raquo du droit peacutenal comme les majorations drsquoimpocirct raquo174 Elle a

neacutegligeacute le fait qursquoun droit conventionnel non susceptible de deacuterogation tel

172 Affaire C-21300 P Italcementi SpA c Commission des Communauteacutes europeacuteennes

conclusions de lrsquoAvocat Geacuteneacuteral Ruiz-Jarabo Colomer preacutesenteacutees le 11 feacutevrier 2003 sect 96

et Affaire C-15005 preacuteciteacutee conclusions du mecircme Avocat Geacuteneacuteral preacutesenteacutees le 8 juin

2006 sect 58 Partant lrsquoopinion exprimeacute au paragraphe 107 du preacutesent arrecirct selon laquelle ne

bis in idem vise principalement une question proceacutedurale (laquo lrsquoeacutequiteacute proceacutedurale raquo) et non

une question de fond (laquo srsquointeacuteresse moins au droit peacutenal mateacuteriel que lrsquoarticle 7 raquo) est

fondamentalement erroneacutee

173 Les mots laquo soucis drsquoefficaciteacute raquo sont ceux choisi par la majoriteacute elle-mecircme

(paragraphe 134 de lrsquoarrecirct)

174 Voir paragraphe 85 de lrsquoarrecirct ougrave il est fait reacutefeacuterence agrave lrsquoargument du Gouvernement

selon lequel le raisonnement dans lrsquoarrecirct Jussila concernant lrsquoarticle 6 est transposable agrave

lrsquoarticle 4 du Protocole ndeg 7 Lrsquoargument fait fi de la nature absolue et non susceptible de

deacuterogation du second article

94 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

que ne bis in idem ne doit pas ecirctre substantiellement diffeacuterent en fonction

du domaine du droit concerneacute Lrsquoarticle 4 sect 3 du Protocole no 7 ne laisse pas

de marge de manœuvre pour cela

77 Enfin et surtout dans la preacutesente affaire la juridiction nationale a

pris en compte de la maniegravere suivante la majoration drsquoimpocircts infligeacutee au

premier requeacuterant laquo une sanction notable a deacutejagrave eacuteteacute imposeacutee agrave lrsquoaccuseacute

dans la deacutecision sur la majoration fiscale La plus grande partie des impocircts a

deacutejagrave eacuteteacute payeacutee raquo La prise en compte de la majoration agrave lrsquoeacutegard du second

requeacuterant est encore plus succincte laquo Le fait qursquoune majoration fiscale de

30 a eacuteteacute imposeacutee agrave lrsquoaccuseacute doit ecirctre pris en consideacuteration raquo175 Dans

aucun de ces cas les juridictions nationales ne se sont donneacute la peine

drsquoexpliquer de quelle maniegravere les majorations administratives anteacuterieures

avaient influenceacute les sanctions peacutenales La reacutefeacuterence de pure forme aux

majorations drsquoimpocirct preacuteceacutedemment imposeacutees pourrait apaiser des

consciences moins exigeantes mais ce nrsquoest certainement pas une deacutemarche

juridique preacutevisible et controcirclable Degraves lors les conditions le degreacute et les

limites de lrsquoimpact des majorations drsquoimpocirct sur les sanctions peacutenales ne

peuvent qursquoecirctre lrsquoobjet de pures speacuteculations dans le domaine inconnu et

inaccessible aux accuseacutes de la conviction intime des juges

VI ndash Conclusion

78 En deacutepit de sa logique axeacutee sur les droits de lrsquohomme lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk

ne fournit pas un cadre conceptuel clair permettant de deacutefinir la ligne de

deacutemarcation entre les infractions administratives et peacutenales Au milieu des

incertitudes de la jurisprudence de la Cour lrsquoarrecirct Jussila offre une solution

restrictive qui cherche agrave distinguer les affaires relevant du noyau dur du

droit peacutenal qui comportent un caractegravere infamant de celles qui nrsquoen

comportent pas limitant lrsquoapplicabiliteacute des garanties peacutenales dans les

affaires relevant de la seconde cateacutegorie La jurisprudence subseacutequente nrsquoa

clarifieacute ni le critegravere de fond du caractegravere infamant ni la distinction entre les

garanties proceacutedurales disponibles et indisponibles

79 Tout comme lrsquoarrecirct Jussila avait nuanceacute et limiteacute la porteacutee de lrsquoarrecirct

Oumlztuumlrk lrsquoarrecirct A et B c Norvegravege nuance et limite la porteacutee de lrsquoarrecirct

Sergueiuml Zolotoukhine La position ancienne et geacuteneacutereuse en matiegravere drsquoidem

factum est significativement limiteacutee par la nouvelle camisole proposeacutee pour

le bis Meacutefiante agrave lrsquoeacutegard des accuseacutes la majoriteacute a deacutecideacute drsquoabandonner le

principe fondamental dans la culture juridique europeacuteenne qui veut que nul

ne puisse ecirctre poursuivi plus drsquoune fois pour les mecircmes faits (principe de

lrsquouniteacute de lrsquoaction reacutepressive ou Einmaligkeit der Strafverfolgung) Le

principe ne bis in idem perd son caractegravere pro persona mineacute par la posture

175 Voir les jugements du tribunal de Follo du 2 mars 2009 et du tribunal drsquoOslo du

30 septembre 2009

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 95

strictement pro auctoritate de la Cour Il nrsquoest plus une garantie

individuelle mais un outil permettant drsquoeacuteviter toute laquo manipulation et

impuniteacute raquo dont profiteraient les accuseacutes176 Apregraves avoir renverseacute la logique

du principe ne bis in idem le preacutesent arrecirct ouvre la porte agrave une politique

reacutepressive sans preacuteceacutedent digne drsquoun Leacuteviathan baseacutee sur lrsquoouverture par

lrsquoEacutetat de proceacutedures multiples strateacutegiquement articuleacutees et mises en place

en vue drsquoatteindre lrsquoeffet reacutepressif maximal Cette politique pourrait devenir

lrsquohistoire sans fin vindicative de deux ou plusieurs proceacutedures conduites

parallegravelement ou successivement agrave lrsquoencontre du mecircme accuseacute pour les

mecircmes faits qui risqueraient mecircme de punir celui-ci en repreacutesailles pour

avoir exerceacute ses droits proceacuteduraux leacutegitimes et notamment son droit de

recours

80 La seule veacuteritable condition dont est assortie cette approche de la

majoriteacute orienteacutee vers lrsquolaquo efficaciteacute raquo177 est un simulacre de

proportionnaliteacute limiteacutee agrave la vague indication de prendre en consideacuteration

les sanctions administratives anteacuterieures dans lrsquoamende infligeacutee agrave lrsquoissue de

la proceacutedure peacutenale une approche bien eacuteloigneacutee des racines historiques et

du principe du droit international coutumier du ne bis in idem Le cumul des

sanctions peacutenales et administratives de nature peacutenale a eacuteteacute speacutecifiquement

rejeteacute par la Cour dans lrsquoaffaire Grande Stevens de mecircme que par la CJUE

dans lrsquoarrecirct Hans Aringkeberg Fransson Apregraves la deacutelivrance de son certificat de

deacutecegraves dans lrsquoaffaire italienne une telle approche est aujourdrsquohui ressusciteacutee

en tant qursquoapproche laquo calibreacutee raquo178 La collaboration progressive et mutuelle

entre les deux cours europeacuteennes va de toute eacutevidence ecirctre encore une fois

profondeacutement perturbeacutee Strasbourg allant dans la mauvaise direction quand

Luxembourg prend la bonne La Grande Chambre saisie de lrsquoaffaire Sergueiuml

Zolotoukhine nrsquoaurait pas accepteacute une reacutetrogradation du droit individuel

inalieacutenable au ne bis in idem vers un droit aussi fluide eacutetroitement

interpreacuteteacute en un mot illusoire Moi non plus

176 Voir paragraphe 127 de lrsquoarrecirct

177 Voir paragraphe 134 de lrsquoarrecirct

178 Voir paragraphe 124 de lrsquoarrecirct

Page 5: GRANDE CHAMBRE · 2016. 11. 18. · 5. Le 26 novembre 2013, la chambre a décidé de joindre les deux requêtes et de les communiquer au Gouvernement. 6. Le 7 juillet 2015, une chambre

4 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

13 En 2005 le fisc entama le controcircle fiscal de Software Innovation AS

et srsquointeacuteressa aux actionnaires de Wnet AS Le 25 octobre 2007 il deacuteposa

une plainte peacutenale contre TF aupregraves drsquoOslashkokrim (acronyme de lrsquoAutoriteacute

nationale norveacutegienne drsquoenquecirctes et de poursuites pour les deacutelits

eacuteconomiques et eacutecologiques) au sujet drsquoeacuteleacutements qui ulteacuterieurement

conduisirent agrave lrsquoinculpation du premier requeacuterant ainsi que des autres

personnes susmentionneacutees et du second requeacuterant pour fraude fiscale

aggraveacutee

Les personnes citeacutees au paragraphe 12 ci-dessus furent par la suite

poursuivies reconnues coupables et condamneacutees agrave des peines de prison

pour fraude fiscale en matiegravere peacutenale Signalons aussi ceci

ndash la peine de prison infligeacutee agrave M EK en premiegravere instance fut

confirmeacutee en deuxiegraveme instance bien que la juridiction de deuxiegraveme

instance eucirct jugeacute cette peine leacutegegravere parallegravelement une majoration drsquoimpocirct

de 30 lui fut infligeacutee

ndash la dureacutee de la peine de prison infligeacutee agrave M BL fut fixeacutee compte tenu

de ce qursquoune majoration drsquoimpocirct de 30 lui avait deacutejagrave eacuteteacute imposeacutee

ndash M GA nrsquoa eacuteteacute condamneacute agrave aucune amende ni agrave aucune majoration

drsquoimpocirct

ndash M TF a eacuteteacute condamneacute en outre agrave une amende correspondant agrave une

majoration drsquoimpocirct de 30

ndash MM KB et GN furent chacun condamneacutes agrave une amende

conformeacutement au raisonnement exposeacute par la Cour suprecircme dans sa

deacutecision publieacutee au Rt 2011 p 1509 qui renvoyait au Rt 2005 p 129 et a

eacuteteacute reacutesumeacutee au paragraphe 50 ci-dessous

Les circonstances particuliegraveres relatives au premier et au second

requeacuterants sont exposeacutees ci-dessous

A Le premier requeacuterant

14 Le premier requeacuterant fut tout drsquoabord interrogeacute en qualiteacute de teacutemoin

le 6 deacutecembre 2007 puis le 14 deacutecembre 2007 il fut arrecircteacute et deacuteposa en

qualiteacute drsquoaccuseacute (laquo siktet raquo) Il reconnut les faits mais nia toute

responsabiliteacute peacutenale Il fut eacutelargi quatre jours plus tard

15 Le 14 octobre 2008 le premier requeacuterant fut inculpeacute de violations

des articles 12-1 1) a) cf 12-2 de la loi fiscale de 1980 (ligningsloven voir

au paragraphe 43 ci-dessous le texte de ces dispositions)

16 Le 24 novembre 2008 le bureau des impocircts (skattekontoret) redressa

le premier requeacuterant pour les anneacutees fiscales 2002 agrave 2007 apregraves lui avoir

communiqueacute agrave cette fin le 26 aoucirct 2008 un avis qui renvoyait notamment

au controcircle fiscal agrave lrsquoenquecircte peacutenale et agrave la deacuteposition faite par lui eacutevoqueacutes

au paragraphe 13 ci-dessus ainsi qursquoaux documents saisis par Oslashkokrim lors

de lrsquoenquecircte Pour lrsquoanneacutee 2002 le redressement eacutetait fondeacute sur le deacutefaut de

deacuteclaration par lrsquointeacuteresseacute de 3 259 341 NOK (soit environ 360 000 EUR)

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 5

de revenus geacuteneacuteraux ce dernier ayant au lieu de cela deacuteclareacute 65 655 NOK

de pertes De plus sur la base des articles 10-2 1) et 10-4 1) de la loi fiscale

(voir au paragraphe 42 ci-dessous le texte de ces dispositions) le bureau des

impocircts lui appliqua une majoration drsquoimpocirct de 30 calculeacutee sur la base

des impocircts dont il eacutetait redevable au titre des montants non deacuteclareacutes Cette

deacutecision tenait compte notamment des deacutepositions faites par les premier et

second requeacuterants pendant leurs interrogatoires conduits lors de lrsquoenquecircte

peacutenale Le premier requeacuterant ne la contesta pas et srsquoacquitta des sommes

dues ainsi que de la majoration drsquoimpocirct avant lrsquoexpiration du deacutelai de

recours drsquoune dureacutee de trois semaines

17 Le 2 mars 2009 le tribunal (tingrett) de Follo reconnut le premier

requeacuterant coupable de fraude fiscale aggraveacutee et le condamna agrave un an

drsquoemprisonnement pour avoir omis de mentionner dans sa deacuteclaration

fiscale pour lrsquoanneacutee 2002 3 259 341 NOK de revenus perccedilus agrave lrsquoeacutetranger Il

fixa la peine en tenant compte de ce que lrsquointeacuteresseacute avait deacutejagrave eacuteteacute

lourdement sanctionneacute par lrsquoapplication de la majoration drsquoimpocirct

18 Le premier requeacuterant fit appel estimant avoir eacuteteacute jugeacute et puni deux

fois en violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 agrave la Convention Il

soutenait que pour la mecircme infraction relevant de lrsquoarticle 12-1 il avait

drsquoabord eacuteteacute accuseacute et inculpeacute par le parquet puis frappeacute par le fisc drsquoune

majoration drsquoimpocirct qursquoil aurait payeacutee apregraves quoi il avait eacuteteacute reconnu

coupable et sanctionneacute

19 Par un arrecirct rendu le 12 avril 2010 agrave lrsquounanimiteacute la cour drsquoappel

(lagmannsrett) Borgarting (laquo la cour drsquoappel raquo) le deacutebouta et par un arrecirct du

27 septembre 2010 la Cour suprecircme (Hoslashyesterett) fit de mecircme en se

fondant sur un raisonnement similaire reacutesumeacute ci-dessous

20 Dans son arrecirct du 27 septembre 2010 la Cour suprecircme rechercha

tout drsquoabord si les deux proceacutedures en question se rapportaient aux mecircmes

circonstances factuelles (samme forhold) Agrave cet eacutegard elle prit note des

deacuteveloppements de la jurisprudence relative agrave la Convention exposeacutes dans

lrsquoarrecirct de Grande Chambre Sergueiuml Zolotoukhine c Russie ([GC]

no 1493903 sectsect 52 53 80-82 et 84 CEDH 2009) et de la tentative

drsquoharmonisation y opeacutereacutee par le constat suivant

laquo () lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 doit ecirctre compris comme interdisant de poursuivre

ou de juger une personne pour une seconde laquo infraction raquo pour autant que celle-ci a

pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance les mecircmes () La

Cour doit donc faire porter son examen sur ces faits qui constituent un ensemble de

circonstances factuelles concregravetes impliquant le mecircme contrevenant et

indissociablement lieacutees entre elles dans le temps et lrsquoespace () raquo

21 En lrsquoespegravece la Cour suprecircme observa qursquoil ne faisait aucun doute

que les circonstances factuelles agrave lrsquoorigine de la deacutecision drsquoinfliger une

majoration drsquoimpocirct et des poursuites peacutenales avaient suffisamment de points

communs pour satisfaire agrave ces critegraveres Elle releva que dans le cadre des

deux proceacutedures la base factuelle eacutetait lrsquoomission de revenus dans la

6 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

deacuteclaration fiscale du premier requeacuterant Selon elle les proceacutedures portaient

sur les mecircmes faits et satisfaisaient donc agrave la condition requise agrave cet eacutegard

22 La Cour suprecircme rechercha ensuite si les deux proceacutedures avaient

pour objet une laquo infraction raquo au sens de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Agrave cet

eacutegard elle rappela son arrecirct publieacute au Norsk Retstidende (laquo le Rt raquo) 2002

p 509 (paragraphe 45 ci-dessous) qualifiant une majoration drsquoimpocirct au taux

ordinaire (30 ) de compatible avec la notion drsquolaquo accusation en matiegravere

peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 sect 1 Cette conclusion anteacuterieure agrave lrsquoespegravece

srsquoappuyait sur ce qursquoil est convenu drsquoappeler les trois laquo critegraveres Engel raquo (la

qualification juridique de lrsquoinfraction en droit interne la nature de celle-ci et

le degreacute de seacuteveacuteriteacute de la sanction encourue) eacutenonceacutes dans lrsquoarrecirct rendu par

la Cour en lrsquoaffaire Engel et autres c Pays-Bas (8 juin 1976 sect 82 seacuterie A

no 22) La Cour suprecircme jugea importantes dans son analyse la finaliteacute

geacuteneacuterale de preacutevention poursuivie par la majoration drsquoimpocirct et la possibiliteacute

que 30 eacutetant un taux eacuteleveacute des sommes consideacuterables fussent en jeu

Elle rappela en outre son arrecirct publieacute au Rt 2004 p 645 dans lequel elle

avait jugeacute agrave la lumiegravere de la jurisprudence de la Cour (selon laquelle la

notion de laquo peine raquo ne doit pas revecirctir des sens diffeacuterents selon la

disposition de la Convention en cause) qursquoune majoration drsquoimpocirct de 30

revecirctait aussi un caractegravere peacutenal sur le terrain de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 ce qursquoelle confirma sans autre deacutebat dans une deacutecision

publieacutee au Rt 2006 p 1409

23 La Cour suprecircme constata par ailleurs que la Direction des impocircts

(Skattedirektoratet) comme le Procureur geacuteneacuteral (Riksadvokaten) estimaient

peu probable qursquoune majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire ne fucirct pas

qualifieacutee de sanction peacutenale aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

24 La Cour suprecircme consideacutera eacutegalement la jurisprudence plus reacutecente

de la Cour (Mjelde c Norvegravege (deacutec) no 1114304 1er feacutevrier 2007

Storbraringten c Norvegravege (deacutec) no 1227704 1er feacutevrier 2007 Haarvig

c Norvegravege (deacutec) no 1118705 11 deacutecembre 2007 avec des reacutefeacuterences agrave

Malige c France 23 septembre 1998 sect 35 Recueil des arrecircts et deacutecisions

1998-VII et Nilsson c Suegravede (deacutec) no 7366101 CEDH 2005-XIII) dont il

ressortait selon elle qursquoun groupe plus large de critegraveres que ceux retenus

dans la jurisprudence Engel srsquoappliquaient pour effectuer une analyse sous

lrsquoangle de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Elle trouva dans lrsquoarrecirct preacuteciteacute

Sergueiuml Zolotoukhine (sectsect 52-57) suivi par lrsquoarrecirct Ruotsalainen c Finlande

(no 1307903 sectsect 41-47 16 juin 2009) la confirmation que les trois critegraveres

Engel sur la base desquels devait ecirctre eacutetablie lrsquoexistence drsquoune laquo accusation

en matiegravere peacutenale raquo sur le terrain de lrsquoarticle 6 srsquoappliquaient tout autant agrave

la notion de sanction peacutenale figurant agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

25 La Cour suprecircme en conclut qursquoil nrsquoy avait pas lieu pour elle de

srsquoeacutecarter de ses deacutecisions preacuteciteacutees rendues en 2004 et 2006 selon

lesquelles une majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire srsquoanalysait en une

laquo sanction peacutenale raquo (straff) pour les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 7

26 Elle observa ensuite que lrsquoune des conditions pour beacuteneacuteficier de la

protection offerte par cette disposition eacutetait que la deacutecision faisant obstacle agrave

drsquoautres poursuites ndash en lrsquoespegravece la deacutecision du 24 novembre 2008 portant

application drsquoune majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire ndash fucirct deacutefinitive Elle

constata que nrsquoayant pas fait lrsquoobjet drsquoun recours aupregraves de la plus haute

juridiction administrative dans le deacutelai prescrit de trois semaines lequel

avait pris fin le 15 deacutecembre 2008 ladite deacutecision eacutetait agrave cet eacutegard devenue

deacutefinitive Elle estima que si en revanche il fallait prendre en compte le

deacutelai de recours en justice de six mois fixeacute par lrsquoarticle 11-1 4) de la loi

fiscale la deacutecision nrsquoeacutetait pas encore devenue deacutefinitive agrave la date du

prononceacute du jugement du tribunal de Follo agrave savoir le 2 mars 2009

27 La Cour suprecircme dit que lrsquoexpression laquo acquitteacute ou condamneacute par un

jugement deacutefinitif raquo employeacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 avait eacuteteacute

conccedilue pour viser les situations ougrave la deacutecision faisant obstacle agrave drsquoautres

poursuites eacutetait un jugement au peacutenal Elle constata que la Cour avait eacutetabli

qursquoune deacutecision eacutetait deacutefinitive une fois passeacutee en force de chose jugeacutee

crsquoest-agrave-dire lorsqursquoaucun autre recours ordinaire nrsquoeacutetait ouvert et que en

cela la date agrave partir de laquelle en droit interne la deacutecision passait en force

de chose jugeacutee eacutetait deacuteterminante Elle consideacutera que ni le texte de la

disposition elle-mecircme ni les travaux preacuteparatoires de celle-ci ni la

jurisprudence ne donnaient la moindre indication pour le cas ougrave la deacutecision

faisant obstacle agrave drsquoautres poursuites eacutetait de nature administrative Elle

rappela que dans son arrecirct de principe publieacute au Rt 2002 p 557 elle avait

dit qursquoil fallait regarder comme deacutefinitive une deacutecision finale de

redressement fiscal y compris assortie drsquoune majoration drsquoimpocirct degraves lors

que le contribuable en question ne pouvait plus la contester (p 570) sans

toutefois preacuteciser si crsquoeacutetait le deacutelai de recours administratif ou le deacutelai de

recours judiciaire qui eacutetait deacuteterminant En lrsquoespegravece elle dit que la meilleure

solution eacutetait de consideacuterer que crsquoeacutetait le deacutelai de recours administratif

drsquoune dureacutee de trois semaines qui eacutetait deacuteterminant au regard de lrsquoarticle 4

du Protocole no 7 car sinon la situation ne serait eacuteclaircie qursquoau bout de six

mois dans lrsquohypothegravese ougrave le contribuable ne saisirait pas les tribunaux ou

qursquoune fois rendu un jugement leacutegalement exeacutecutoire dans lrsquohypothegravese

inverse au bout drsquoun laps de temps dont la dureacutee pouvait varier et ecirctre

longue Il fallait donc selon elle consideacuterer que la deacutecision du 24 novembre

2008 eacutetait deacutefinitive aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

28 La Cour suprecircme constata que le premier requeacuterant avait acquis la

qualiteacute drsquoaccuseacute le 14 deacutecembre 2007 et que lrsquoavis de redressement lui avait

eacuteteacute signifieacute le 26 aoucirct 2008 Elle releva que par la suite la proceacutedure fiscale

et la proceacutedure peacutenale srsquoeacutetaient deacuterouleacutees en parallegravele jusqursquoagrave ce qursquoune

deacutecision du 24 novembre 2008 et un jugement du 2 mars 2009

respectivement y mettent un terme Elle estima que lrsquoune des questions

essentielles dans cette affaire eacutetait de savoir si les poursuites avaient eacuteteacute

conseacutecutives ce qui aurait eacuteteacute contraire agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 ou

8 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

parallegraveles ce qui aurait eacuteteacute permis dans une certaine mesure Agrave cet eacutegard

elle prit en consideacuteration deux deacutecisions drsquoirrecevabiliteacute RT c Suisse

((deacutec) no 3198296 30 mai 2000) et Nilsson c Suegravede (deacutecision preacuteciteacutee) et

en particulier le passage suivant de cette derniegravere deacutecision

laquo Toutefois la Cour ne saurait accueillir la thegravese du requeacuterant selon laquelle les

autoriteacutes ont deacuteclencheacute contre lui de nouvelles poursuites peacutenales en mettant en œuvre

la proceacutedure de retrait litigieuse Si les diverses sanctions infligeacutees agrave lrsquointeacuteresseacute ont eacuteteacute

prononceacutees par deux autoriteacutes diffeacuterentes agrave lrsquoissue de proceacutedures distinctes il existait

entre elles un lien mateacuteriel et temporel suffisamment eacutetroit pour que lrsquoon puisse

consideacuterer le retrait de permis comme lrsquoune des mesures preacutevues par le droit sueacutedois

pour la reacutepression des deacutelits de conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute avanceacute et de conduite sans

permis (voir RT c Suisse deacutecision preacuteciteacutee et mutatis mutandis Phillips

c Royaume-Uni no 4108798 sect 34 CEDH 2001-VII) En drsquoautres termes on ne

saurait deacuteduire du retrait litigieux que lrsquointeacuteresseacute a eacuteteacute laquo poursuivi ou puni () en

raison drsquoune infraction pour laquelle il a[vait] deacutejagrave eacuteteacute () condamneacute par un jugement

deacutefinitif raquo au meacutepris de lrsquoarticle 4 sect 1 du Protocole no 7 raquo

29 La Cour suprecircme jugea que en lrsquoespegravece lrsquoexistence drsquoun lien

mateacuteriel et temporel suffisant ne pouvait faire de doute Elle estima que les

deux affaires reposaient sur les mecircmes circonstances factuelles agrave savoir une

omission drsquoinformations dans la deacuteclaration fiscale qui avait causeacute une

erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct Elle conclut que la proceacutedure peacutenale et la

proceacutedure administrative avaient eacuteteacute conduites en parallegravele Elle releva que

apregraves que le premier requeacuterant eut deacuteposeacute en qualiteacute drsquoaccuseacute le

14 deacutecembre 2007 un avis de redressement avait suivi le 26 aoucirct 2008 puis

une inculpation le 14 octobre 2008 la deacutecision de redressement prise par le

fisc le 24 novembre 2008 et le jugement du tribunal de Follo le 2 mars

2009 Selon elle la proceacutedure administrative et la proceacutedure peacutenale eacutetaient

ainsi dans une large mesure imbriqueacutees

30 La Cour suprecircme estima que la finaliteacute de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 qui eacutetait drsquooffrir une protection contre le fardeau que

repreacutesente un nouveau procegraves eacutetait moins pertinente en lrsquoespegravece dans la

mesure ougrave le premier requeacuterant nrsquoavait aucune espeacuterance leacutegitime de nrsquoecirctre

lrsquoobjet que drsquoune seule proceacutedure Dans ces conditions selon elle

lrsquoeffectiviteacute de la reacutepression revecirctait un caractegravere preacutepondeacuterant

B Le second requeacuterant

31 Agrave lrsquoautomne 2007 agrave la suite du controcircle fiscal conduit en 2005

eacutevoqueacute au paragraphe 13 ci-dessus le fisc signala agrave Oslashkokrim que dans sa

deacuteclaration fiscale pour lrsquoanneacutee fiscale 2002 le second requeacuterant avait omis

de mentionner 4 561 881 NOK (soit environ 500 000 EUR) de revenus tireacutes

de la vente par lui de certaines actions

32 Le 16 octobre 2008 le bureau des impocircts avisa le second requeacuterant

qursquoil envisageait de le redresser fiscalement et de lui appliquer une

majoration drsquoimpocirct Il srsquoappuyait notamment sur le controcircle fiscal sur

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 9

lrsquoenquecircte peacutenale et sur la deacuteposition faite par lrsquointeacuteresseacute eacutevoqueacutes au

paragraphe 13 ci-dessus ainsi que sur des documents saisis par Oslashkokrim

lors de lrsquoenquecircte Le 5 deacutecembre 2008 il effectua le redressement preacutecisant

que le second requeacuterant devait 1 302 526 NOK (soit environ 143 400 EUR)

drsquoimpocircts au titre des revenus non deacuteclareacutes De plus se fondant sur les

articles 10-2 1) et 10-4 1) de la loi fiscale il deacutecida drsquoappliquer une

majoration drsquoimpocirct de 30 en tenant notamment compte des deacutepositions

faites par les premier et second requeacuterants agrave lrsquooccasion de leurs

interrogatoires conduits lors de lrsquoenquecircte peacutenale Le second requeacuterant

srsquoacquitta des impocircts dus et de la majoration drsquoimpocirct et ne contesta pas

ladite deacutecision qui devint deacutefinitive le 26 deacutecembre 2008

33 Parallegravelement le 11 novembre 2008 le parquet avait inculpeacute le

second requeacuterant drsquoune violation de lrsquoarticle 12-1 1) a) cf article 12-2 de la

loi fiscale au motif que pour les anneacutees fiscales 2001 etou 2002 celui-ci

avait omis dans sa deacuteclaration fiscale 4 651 881 NOK de revenus ce qui

repreacutesentait 1 302 526 NOK drsquoimpocircts agrave verser Il pria le tribunal (tingrett)

drsquoOslo de rendre un jugement sommaire fondeacute sur les aveux

(tilstaringelsesdom) de lrsquointeacuteresseacute De plus MM EK BL et GA plaidegraverent

coupable et acceptegraverent de passer en jugement sommaire sur la base de la

reconnaissance par eux de leur culpabiliteacute

34 Le 10 feacutevrier 2009 le second requeacuterant (agrave lrsquoinverse de MM EK

BL et GA) revint sur ses aveux agrave la suite de quoi le procureur deacutelivra le

29 mai 2009 un acte drsquoinculpation reacuteviseacute qui reprenait les mecircmes chefs

35 Le 30 septembre 2009 agrave lrsquoissue drsquoun procegraves contradictoire le

tribunal drsquoOslo deacuteclara le second requeacuterant coupable des chefs de fraude

fiscale aggraveacutee et le condamna agrave un an drsquoemprisonnement peine qui tenait

compte de ce qursquoune majoration drsquoimpocirct lui avait deacutejagrave eacuteteacute appliqueacutee

36 Le second requeacuterant contesta devant la cour drsquoappel la proceacutedure

conduite devant le tribunal drsquoOslo soutenant en particulier que en vertu du

principe non bis in idem consacreacute agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

lrsquoapplication dans son cas drsquoune majoration drsquoimpocirct faisait obstacle agrave sa

condamnation peacutenale Il demanda donc agrave la cour drsquoappel lrsquoannulation

(opphevet) du jugement dudit tribunal et le rejet (avvist) de lrsquoaction dirigeacutee

contre lui

37 Par un arrecirct rendu le 8 juillet 2010 qui reprenait pour lrsquoessentiel le

raisonnement suivi par elle dans son arrecirct concernant le premier requeacuterant

lequel raisonnement eacutetait similaire agrave celui de la Cour suprecircme reacutesumeacute plus

haut (paragraphes 20 agrave 30 ci-dessus) la cour drsquoappel deacutebouta le second

requeacuterant Elle jugea ainsi que la deacutecision du 5 deacutecembre 2008 par laquelle

le fisc avait ordonneacute au second requeacuterant de payer une majoration drsquoimpocirct

de 30 srsquoanalysait bien en une sanction peacutenale (straff) que cette deacutecision

eacutetait devenue laquo deacutefinitive raquo agrave la date drsquoexpiration du deacutelai de recours soit le

26 deacutecembre 2008 et que ladite deacutecision et la condamnation peacutenale

posteacuterieure portaient sur les mecircmes faits

10 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

38 Par ailleurs comme dans le cas du premier requeacuterant la cour drsquoappel

jugea que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 permettait dans une certaine mesure

la conduite de proceacutedures parallegraveles ndash lrsquoune administrative et lrsquoautre

peacutenale ndash pourvu que la seconde commence avant que la premiegravere ne se

conclue par une deacutecision deacutefinitive Elle estima que une fois satisfaite cette

exigence minimale il fallait appreacutecier lrsquoeacutetat drsquoavancement de la seconde

proceacutedure et surtout rechercher srsquoil existait ou non un lien mateacuteriel et

temporel suffisant entre la premiegravere deacutecision et la seconde

39 Quant agrave lrsquoexamen concret des circonstances propres agrave lrsquoaffaire du

second requeacuterant la cour drsquoappel constata que la proceacutedure peacutenale et la

proceacutedure fiscale avaient en reacutealiteacute eacuteteacute conduites en parallegravele et ce depuis la

plainte dont le fisc avait saisi la police agrave lrsquoautomne 2007 jusqursquoagrave la deacutecision

de majoration drsquoimpocirct prise en deacutecembre 2008 Elle jugea la situation

similaire agrave celle du premier requeacuterant Elle releva que le second requeacuterant

avait eacuteteacute inculpeacute et que le dossier avait eacuteteacute transmis au tribunal drsquoOslo

assorti drsquoune demande de jugement sommaire sur la base des aveux

auxquels lrsquointeacuteresseacute srsquoeacutetait livreacute le 11 novembre 2008 anteacuterieurement agrave la

deacutecision de majoration drsquoimpocirct Elle estima donc que agrave la date de cette

deacutecision la proceacutedure peacutenale avait deacutejagrave atteint un stade relativement avanceacute

Elle admit que la peacuteriode de neuf mois ndash courant de la date agrave laquelle la

deacutecision du fisc du 5 deacutecembre 2008 eacutetait devenue deacutefinitive au

30 septembre 2009 date de la condamnation du second requeacuterant par le

tribunal drsquoOslo ndash eacutetait un peu plus longue que la peacuteriode de deux mois et

demi eacutecouleacutee dans le cas du premier requeacuterant Elle consideacutera neacuteanmoins

que cet eacutecart pouvait srsquoexpliquer par la reacutetractation du second requeacuterant en

feacutevrier 2009 en conseacutequence de laquelle il avait fallu lrsquoinculper de nouveau

le 29 mai 2009 et le juger dans le cadre drsquoun procegraves ordinaire Elle en

conclut agrave lrsquoinstar du tribunal drsquoOslo qursquoil existait manifestement un lien

mateacuteriel et temporel suffisant entre la deacutecision de majoration drsquoimpocirct et la

condamnation peacutenale ulteacuterieure

40 Le 29 octobre 2010 le Comiteacute de seacutelection des recours de la Cour

suprecircme refusa au second requeacuterant lrsquoautorisation de former un pourvoi

aupregraves de celle-ci au motif que cela ne se justifiait ni par lrsquoimportance

geacuteneacuterale de lrsquoaffaire ni par aucune autre raison

II LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

41 Aux termes de lrsquoarticle 10-2 1) de la loi fiscale de 1980 qui figure

dans le chapitre 10 consacreacute aux majorations drsquoimpocirct (Tilleggsskatt) est

passible drsquoune majoration drsquoimpocirct tout contribuable qui aura fourni au fisc

des informations inexactes ou incomplegravetes ayant ou risquant drsquoavoir pour

conseacutequence une erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct Conformeacutement agrave

lrsquoarticle 10-4 1) les majorations drsquoimpocirct srsquoeacutelegravevent en principe agrave 30 des

impocircts qui ont eacuteteacute ou risquaient drsquoecirctre soustraits

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 11

42 Agrave lrsquoeacutepoque ougrave les requeacuterants ont commis leurs infractions les

articles 10-2 10-3 et 10-4 de cette loi disposaient

Article 10-2 (majorations drsquoimpocirct)

laquo 1 Si le fisc srsquoaperccediloit qursquoun contribuable lui a communiqueacute dans une deacuteclaration

de revenus une deacuteclaration drsquoactifs une eacutecriture ou toute autre deacuteclaration verbale ou

eacutecrite des informations inexactes ou incomplegravetes qui conduisent ou risquent de

conduire agrave une erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct il lui est infligeacute une majoration

drsquoimpocirct correspondant agrave un pourcentage des impocircts qui ont eacuteteacute ou risquaient drsquoecirctre

soustraits

Les cotisations agrave la seacutecuriteacute sociale sont assimilables agrave des impocircts agrave cet eacutegard

2 Si le contribuable nrsquoa pas produit la deacuteclaration de revenus ou la deacuteclaration

drsquoactifs requise la majoration drsquoimpocirct est calculeacutee agrave partir de lrsquoimpocirct fixeacute dans le

redressement

3 Un suppleacutement drsquoactifs ou de revenus justifiant lrsquoimposition drsquoune majoration

drsquoimpocirct est reacuteputeacute repreacutesenter la partie supeacuterieure des actifs ou revenus du

contribuable Si le contribuable doit srsquoacquitter drsquoune majoration drsquoimpocirct fixeacutee sur la

base de taux diffeacuterents pour la mecircme anneacutee les impocircts sur la base desquels cette

majoration est calculeacutee seront reacutepartis proportionnellement en fonction des actifs ou

des revenus auxquels les divers taux srsquoappliquent

4 Les obligations que le preacutesent article fait peser sur le contribuable srsquoappliquent

eacutegalement agrave sa succession et agrave ses ayants droit

5 Le contribuable pour lequel une majoration drsquoimpocirct est envisageacutee en est aviseacute au

preacutealable et un deacutelai lui est fixeacute de maniegravere agrave lui permettre de srsquoexprimer agrave ce sujet

6 Les majorations drsquoimpocirct peuvent ecirctre fixeacutees dans les deacutelais preacutevus agrave lrsquoarticle 9-6

de la preacutesente loi en mecircme temps que lrsquoeacutetablissement des impocircts sur la base desquels

elles doivent ecirctre calculeacutees ou ulteacuterieurement dans le cadre drsquoune deacutemarche

speacuteciale raquo

Article 10-3 (exemption de majoration drsquoimpocirct)

laquo Nulle majoration drsquoimpocirct ne peut ecirctre imposeacutee

a) lorsque les deacuteclarations fiscales du contribuable contiennent une erreur manifeste

de calcul ou de typographie

b) lorsque lrsquoinfraction commise par le contribuable peut ecirctre regardeacutee comme

excusable pour des raisons tenant agrave sa santeacute agrave son acircge agrave son inexpeacuterience ou pour

toute autre raison qui ne peut lui ecirctre reprocheacutee ou

c) lorsque son montant est infeacuterieur agrave 400 NOK au total raquo

Article 10-4 (taux de la majoration drsquoimpocirct)

laquo 1 Le taux de la majoration drsquoimpocirct est en principe de 30 Si les actes viseacutes agrave

lrsquoarticle 10-2 1) sont commis intentionnellement ou par neacutegligence grave le taux peut

aller jusqursquoagrave 60 Le taux est fixeacute agrave 15 si les informations inexactes ou

incomplegravetes concernent des eacuteleacutements deacuteclareacutes de leur cocircteacute par un employeur ou un

tiers conformeacutement au chapitre 6 ou si les circonstances peuvent ecirctre aiseacutement

veacuterifieacutees au moyen des informations dont le fisc dispose par ailleurs

12 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

2 Les majorations drsquoimpocirct sont fixeacutees agrave des taux eacutequivalant agrave la moitieacute de ceux

indiqueacutes dans les premiegravere et troisiegraveme phrases du paragraphe 1 du preacutesent article si

sont preacutesentes les circonstances preacutevues agrave lrsquoarticle 10-3 b) eacutetant entendu que cela ne

justifie pas drsquoeacuteliminer toute majoration

3 Les majorations drsquoimpocirct peuvent ecirctre calculeacutees avec un taux infeacuterieur agrave celui

indiqueacute au paragraphe 2 du preacutesent article voire eacutecarteacutees si le contribuable sa

succession ou ses ayants droit rectifient ou complegravetent volontairement les

informations preacuteceacutedemment communiqueacutees de sorte que le montant exact des impocircts

puisse ecirctre fixeacute Cette disposition ne srsquoapplique pas si le rectificatif peut passer pour la

conseacutequence de mesures de controcircle qui ont eacuteteacute ou seront adopteacutees ou drsquoinformations

que les autoriteacutes fiscales ont obtenues ou pouvaient obtenir de tiers raquo

43 Le chapitre 12 consacreacute aux sanctions peacutenales (straff) comporte les

dispositions suivantes pertinentes en lrsquoespegravece

Article 12-1 (fraude fiscale)

laquo 1 Doit ecirctre sanctionneacutee pour fraude fiscale toute personne qui intentionnellement

ou par neacutegligence grave

a) communique aux autoriteacutes fiscales des informations inexactes ou incomplegravetes

tout en sachant ou tout en eacutetant censeacutee savoir qursquoelle peut en tirer des avantages

fiscaux () raquo

Article 12-2 (fraude fiscale aggraveacutee)

laquo 1 La fraude fiscale aggraveacutee est punie drsquoune amende ou drsquoune peine

drsquoemprisonnement pouvant aller jusqursquoagrave six ans La compliciteacute est punissable des

mecircmes peines

2 Pour deacuteterminer si la fraude fiscale est aggraveacutee on accordera un poids

particulier au point de savoir si elle risque drsquoentraicircner la soustraction de montants tregraves

importants en impocircts si elle est exeacutecuteacutee drsquoune maniegravere qui en rend la deacutecouverte

particuliegraverement difficile si elle est le fruit drsquoun abus drsquoautoriteacute ou de confiance ou si

elle reacutesulte drsquoune compliciteacute dans lrsquoexercice de fonctions professionnelles

3 En application des critegraveres eacutenumeacutereacutes au paragraphe 2 ci-dessus plusieurs

infractions peuvent ecirctre prises en compte conjointement

4 Le preacutesent article est applicable mecircme en cas drsquoignorance des circonstances

aggravantes si celle-ci est le fruit drsquoune neacutegligence grave raquo

44 Selon la jurisprudence de la Cour suprecircme lrsquoimposition drsquoune

majoration drsquoimpocirct de 60 doit ecirctre qualifieacutee drsquolaquo accusation en matiegravere

peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 de la Convention (Rt 2000 p 996) Degraves lors

que des poursuites peacutenales ont eacuteteacute ensuite engageacutees pour le mecircme

comportement la juridiction de jugement doit prononcer leur abandon faute

de quoi il y aurait violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 (deux arrecircts en

formation pleacuteniegravere rendus le 3 mai 2002 et publieacutes au Rt 2002 p 557 et au

Rt 2002 p 497)

45 La Cour suprecircme a eacutegalement conclu que lrsquoapplication drsquoune

majoration drsquoimpocirct de 30 eacutetait constitutive drsquoune laquo accusation en matiegravere

peacutenale raquo aux fins de lrsquoarticle 6 de la Convention (troisiegraveme arrecirct rendu le

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 13

3 mai 2002 Rt 2002 p 509) Dans des arrecircts ulteacuterieurs publieacutes au Rt 2004

p 645 et au Rt 2006 p 1409 elle a dit qursquoune majoration drsquoimpocirct de 30

revecirctait eacutegalement un caractegravere peacutenal sur le terrain de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7

46 Il faut encore signaler que pour ce qui est de la nature des

majorations drsquoimpocirct ordinaires de 30 la Cour suprecircme srsquoest appuyeacutee sur

des travaux preacuteparatoires de la loi (Otprpnr 29 (1978-1979) pp 44-45)

Elle a jugeacute que le ministegravere attachait beaucoup drsquoimportance agrave des

consideacuterations de preacutevention geacuteneacuterale Un risque eacuteleveacute de sanction sous

forme de majoration drsquoimpocirct aurait eacuteteacute jugeacute plus dissuasif que des sanctions

(peacutenales) moins nombreuses et plus lourdes La majoration drsquoimpocirct serait

censeacutee ecirctre avant tout une reacuteaction agrave la communication au fisc par le

contribuable de deacuteclarations ou drsquoinformations inexactes ou incomplegravetes et

une compensation des ressources humaines et financiegraveres consideacuterables

consacreacutees par la collectiviteacute aux controcircles et enquecirctes Il aurait eacuteteacute estimeacute

que les coucircts ainsi entraicircneacutes devaient dans une certaine mesure ecirctre

supporteacutes par ceux qui fournissaient les informations inexactes ou

incomplegravetes (Rt 2002 p 520) Les buts poursuivis par le reacutegime des

majorations drsquoimpocirct ordinaires se caracteacuteriseraient avant tout par la

neacutecessiteacute de garantir le respect effectif par le contribuable de son devoir de

fournir des informations et par des consideacuterations de preacutevention geacuteneacuterale

(Rt 2006 p 1409) Le contribuable aurait le devoir de communiquer les

informations et eacuteleacutements neacutecessaires agrave lrsquoeacutetablissement de son assiette

fiscale Essentiel agrave lrsquoensemble du systegraveme fiscal national ce devoir serait

eacutetayeacute par un meacutecanisme de controcircles et de sanctions efficaces en cas de

manquement Le calcul de lrsquoimpocirct serait une opeacuteration massive faisant

intervenir des millions de citoyens La majoration drsquoimpocirct aurait pour

finaliteacute de renforcer les fondations du systegraveme fiscal national Il serait admis

qursquoun systegraveme fiscal en bon eacutetat de marche est indispensable au

fonctionnement de lrsquoEacutetat et donc de la socieacuteteacute (Rt 2002 p 525)

47 Par un arrecirct adopteacute par la formation pleacuteniegravere de la Cour suprecircme le

14 septembre 2006 agrave la suite de la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute rendue le

14 septembre 2004 par la Cour en lrsquoaffaire Rosenquist c Suegravede

(no 6061900) la haute juridiction a dit que lrsquoimposition drsquoune majoration

drsquoimpocirct de 30 et une proceacutedure peacutenale pour fraude fiscale ne

correspondaient pas agrave la mecircme infraction au sens de lrsquoarticle 4 du Protocole

no 7 (Rt 2006 p1409) Dans son arrecirct rendu en septembre 2010 concernant

le premier requeacuterant elle a opeacutereacute un revirement de cette jurisprudence

jugeant que la proceacutedure administrative et la proceacutedure peacutenale concernaient

la mecircme infraction pour les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

(paragraphe 20 ci-dessus)

48 Parallegravelement agrave la suite de lrsquoarrecirct rendu par la Cour le 10 feacutevrier

2009 dans lrsquoaffaire preacuteciteacutee Sergueiuml Zolotoukhine le procureur geacuteneacuteral

(Riksadvokaten) publia le 3 avril 2009 des instructions (RA-2009-187) avec

14 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

prise drsquoeffet immeacutediate Drsquoapregraves celles-ci lrsquoarrecirct de la Cour suprecircme de

2006 ne pouvait plus ecirctre suivi Le texte se lisait notamment comme suit

laquo 4 La mecircme infraction ndash la notion drsquoidentiteacute

Il est communeacutement admis que la notion drsquoidentiteacute drsquoinfractions (idem) contenue agrave

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 comporte deux aspects lrsquoun relatif aux circonstances

factuelles et lrsquoautre relatif au droit Selon cette interpreacutetation la seconde proceacutedure (en

pratique le procegraves peacutenal) ne porte sur la mecircme infraction que la proceacutedure anteacuterieure

(en pratique la majoration drsquoimpocirct) que si elles concernent toutes deux les mecircmes

faits ndash le laquo mecircme comportement raquo ndash et si la teneur des dispositions pertinentes est

dans une large mesure identique (crsquoest-agrave-dire si elles renferment les laquo mecircmes eacuteleacutements

essentiels raquo)

Dans son arrecirct rendu en formation pleacuteniegravere (Rt 2006 p 1409) la Cour suprecircme ndash se

reacutefeacuterant en particulier agrave la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute rendue par la Cour le 14 septembre

2004 en lrsquoaffaire Rosenquist (deacutec) no 6061900 ndash a jugeacute qursquoune deacutecision infligeant

une majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire ne faisait pas obstacle agrave lrsquoouverture

ulteacuterieure drsquoun procegraves peacutenal lrsquoune et lrsquoautre des proceacutedures ayant pour objet des

infractions diffeacuterentes au sens de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 La majoriteacute (14 voix) a

estimeacute que les dispositions reacutegissant la majoration drsquoimpocirct ordinaire eacutenonceacutees agrave

lrsquoarticle 10-2 cf article 10-4 1) premiegravere phrase de la loi fiscale ne renfermaient pas

les mecircmes eacuteleacutements essentiels que la disposition peacutenale eacutenonceacutee agrave lrsquoarticle 12-1 de

cette mecircme loi Pour la Cour suprecircme la diffeacuterence deacutecisive tenait agrave ce que si la

disposition peacutenale nrsquoeacutetait applicable que lorsqursquoil y a intention ou neacutegligence grave

les majorations drsquoimpocirct ordinaires lrsquoeacutetaient sur la base de critegraveres plus ou moins

objectifs La haute juridiction a eacutegalement eacutevoqueacute la diffeacuterence de finaliteacute de ces

sanctions

Dans son arrecirct de Grande Chambre Sergueiuml Zolotoukhine la Cour srsquoest livreacutee agrave une

analyse minutieuse de la notion drsquoidentiteacute drsquoinfractions (idem) tireacutee de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 agrave lrsquoissue de laquelle elle srsquoest eacutecarteacutee de lrsquointerpreacutetation qui avait cours

auparavant Depuis cet arrecirct il est clair que la question de savoir si lrsquoune et lrsquoautre des

proceacutedures concernaient la mecircme infraction doit ecirctre analyseacutee sur la base des seuls

faits (voir en particulier les paragraphes 82 et 84 de lrsquoarrecirct) Les deux proceacutedures

auront pour objet la mecircme infraction si elles ont pour origine laquo des faits identiques ou

des faits qui sont en substance les mecircmes raquo (sect 82) Il faut donc faire porter lrsquolaquo examen

sur ces faits qui constituent un ensemble de circonstances factuelles concregravetes

impliquant le mecircme contrevenant et indissociablement lieacutees entre elles dans le temps

et lrsquoespace raquo (sect 84)

De lrsquoavis du procureur geacuteneacuteral le jugement porteacute par la Cour suprecircme dans son arrecirct

publieacute au Rt 2006 p 1409 qui se fondait principalement sur des diffeacuterences dans les

critegraveres de culpabiliteacute ne tient plus depuis lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine Degraves lors que

lrsquoapplication de la majoration drsquoimpocirct et le procegraves peacutenal ulteacuterieur reposent sur la

mecircme action ou omission comme crsquoest normalement le cas il faut supposer que en

application de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 la majoration drsquoimpocirct ordinaire fait

eacutegalement obstacle agrave des poursuites peacutenales ulteacuterieures Le procureur geacuteneacuteral a deacuteduit

de ses entretiens avec la direction des impocircts que telle est la position de celle-ci

La nouvelle conception de la notion drsquoidentiteacute drsquoinfractions sur le terrain de

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 soulegravevera incontestablement de nouvelles questions sur

lrsquoampleur des diffeacuterences que devront avoir les circonstances factuelles pour qursquoil

puisse ecirctre conclu agrave lrsquoabsence drsquoidentiteacute Cependant il srsquoagit de questions qui devront

ecirctre trancheacutees en pratique au cas par cas Il faut noter que le raisonnement de lrsquoarrecirct

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 15

Sergueiuml Zolotoukhine montre que la Cour est moins disposeacutee que le droit interne

norveacutegien agrave consideacuterer une seacutequence drsquoeacuteveacutenements comme un tout pour ce qui est de

rechercher srsquoil y a infraction continueacutee ou non

5 Nouvelle proceacutedure

Comme on le sait les instructions anteacuterieures (voir en particulier la section 3 de la

lettre du 26 mars 2007 (RA-2007-120) adresseacutee par le procureur geacuteneacuteral aux bureaux

reacutegionaux des procureurs et aux directeurs de la police) reposaient sur la possibiliteacute

drsquoappliquer aux majorations drsquoimpocirct ordinaires le systegraveme agrave deux niveaux instaureacute par

la loi fiscale Depuis le revirement opeacutereacute dans la jurisprudence de la Cour il faut

appliquer un systegraveme laquo agrave un niveau raquo eacutegalement pour les majorations drsquoimpocirct

ordinaires

Ainsi qursquoil a deacutejagrave eacuteteacute dit le procureur geacuteneacuteral et la direction des impocircts nrsquoestiment

pas justifiable drsquoouvrir un nouveau procegraves en supposant que les tribunaux ne

concluront plus que lrsquoapplication drsquoune majoration drsquoimpocirct ordinaire constitue une

sanction peacutenale au sens de la Convention On pourrait peut-ecirctre deacutefendre cette thegravese

mais elle comporte trop drsquoincertitudes Il faut aussi tenir compte du nombre

relativement important drsquoaffaires en jeu

Quand bien mecircme la jurisprudence de la Cour en matiegravere de proceacutedures parallegraveles

nrsquoaurait pas changeacute nous estimons ndash comme auparavant ndash que si un grand nombre

drsquoactions en justice sont formeacutees ndash ce qui risque drsquoecirctre le cas ndash il sera trop compliqueacute

drsquointenter un procegraves sur la base de proceacutedures parallegraveles crsquoest-agrave-dire devant

lrsquoadministration et devant le juge Il faut signaler aussi que dans tel ou tel cas si les

circonstances le permettent des transactions peuvent ecirctre conclues en tenant compte

de lrsquoeacuteventualiteacute de proceacutedures parallegraveles

Agrave lrsquoissue des discussions le procureur geacuteneacuteral et la direction des impocircts

conviennent de la proceacutedure suivante () raquo

49 Les instructions fixent ensuite les modaliteacutes de la laquo nouvelle

proceacutedure raquo

a) Srsquoagissant des affaires nouvelles crsquoest-agrave-dire celles sur lesquelles le

fisc nrsquoa pas encore statueacute celui-ci doit examiner de maniegravere indeacutependante si

le fait punissable est drsquoune graviteacute telle qursquoil meacuterite drsquoecirctre signaleacute agrave la

police Si le fisc deacutecide drsquoen saisir la police aucune majoration drsquoimpocirct ne

peut ecirctre appliqueacutee Srsquoil faut appliquer une majoration drsquoimpocirct la police ne

peut ecirctre saisie

Srsquoagissant des affaires dont la police a eacuteteacute saisie il est souligneacute que

lrsquoimposition drsquoune amende (par le biais drsquoune notification de peine ou drsquoun

jugement au peacutenal) fait obstacle agrave lrsquoapplication ulteacuterieure drsquoune majoration

drsquoimpocirct Si le parquet estime qursquoil nrsquoy a pas lieu drsquoouvrir des poursuites

peacutenales lrsquoaffaire doit ecirctre renvoyeacutee au fisc pour que celui-ci en reprenne

lrsquoexamen et lrsquointeacuteresseacute doit en ecirctre aviseacute

Dans les affaires ougrave le fisc applique une majoration drsquoimpocirct ordinaire

tout en signalant lrsquoaffaire agrave la police mais ougrave lrsquoouverture de poursuites nrsquoest

pas encore deacutecideacutee (laquo en instance de deacutecision raquo) il faut renoncer agrave celles-ci

b) Dans les affaires ougrave une notification de peine a eacuteteacute deacutelivreacutee mais nrsquoa

pas eacuteteacute accepteacutee et ougrave le fisc a appliqueacute une majoration drsquoimpocirct avant de

signaler lrsquoaffaire agrave la police il faut clore la proceacutedure Les notifications de

16 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

peine qui ont eacuteteacute accepteacutees doivent ecirctre annuleacutees par les hautes instances du

parquet En revanche en vertu du pouvoir discreacutetionnaire confeacutereacute par

lrsquoarticle 392 1) du code de proceacutedure peacutenale reconnu par la Cour suprecircme

en formation pleacuteniegravere dans son arrecirct publieacute au Rt 2003 p 359 il nrsquoest pas

neacutecessaire drsquoannuler les notifications de peine accepteacutees avant le 10 feacutevrier

2009 date du prononceacute de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine

c) Srsquoagissant des affaires passant en jugement devant les tribunaux de

premiegravere instance ndash sur la base drsquoun acte drsquoinculpation drsquoune notification de

peine non accepteacutee ou drsquoune demande de jugement sur la base drsquoune

reconnaissance de culpabiliteacute dans le cadre drsquoune proceacutedure sommaire ndash le

parquet doit clore la proceacutedure et abandonner les poursuites si lrsquoaudience

nrsquoa pas encore eu lieu ou si celle-ci a eu lieu demander le rejet de lrsquoaffaire

Le parquet doit faire appel de toute condamnation non encore deacutefinitive et

exeacutecutoire en faveur de la personne viseacutee et quelle que soit lrsquoissue en

premiegravere instance demander lrsquoannulation du jugement de premiegravere instance

et le rejet de lrsquoaffaire par les tribunaux

d) Il nrsquoest pas question de rouvrir le procegraves lorsque le jugement est

devenu deacutefinitif et exeacutecutoire anteacuterieurement agrave la date du prononceacute de

lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine crsquoest-agrave-dire avant le 10 feacutevrier 2009 Pour ce

qui est des jugements posteacuterieurs agrave cette date la reacuteouverture pourrait ecirctre

envisageacutee dans des cas exceptionnels mais lrsquointeacuteresseacute doit ecirctre informeacute que

le parquet ne demandera pas drsquooffice la reacuteouverture

50 Pour ce qui est de lrsquoimposition de plusieurs sanctions peacutenales pour le

mecircme comportement lrsquoarticle 29 du code peacutenal (Straffeloven) de 2005

dispose que la peine globale en reacutesultant doit raisonnablement correspondre

agrave lrsquoinfraction commise Cette disposition reflegravete agrave lrsquoeacutevidence le principe

geacuteneacuteral de proportionnaliteacute applicable aussi agrave la fixation des sanctions

peacutenales en droit norveacutegien sous lrsquoempire de lrsquoancien code peacutenal de 1902

Dans un arrecirct publieacute au Rt 2009 p 14 qui concernait une proceacutedure peacutenale

pour fraude fiscale la Cour suprecircme a deacuteduit des principes eacutenonceacutes dans le

code peacutenal de 1902 qursquoil fallait tenir compte de toute sanction deacutejagrave infligeacutee

agrave lrsquoaccuseacute ndash en lrsquooccurrence une majoration drsquoimpocirct de nature

administrative ndash pour la fraude fiscale dont il eacutetait lrsquoauteur et en a conclu

qursquoil ne devait pas ecirctre traiteacute plus seacutevegraverement que si lrsquoinfraction peacutenale de

fraude fiscale avait eacuteteacute jugeacutee en mecircme temps que le comportement

sanctionneacute dans le cadre de la proceacutedure administrative Dans un arrecirct

publieacute au Rt 2011 p 1509 elle a confirmeacute ce qursquoelle avait dit dans une

deacutecision anteacuterieure publieacutee au Rt 2005 p 129 agrave savoir que le principe

(eacutenonceacute dans un arrecirct publieacute au Rt 2004 p 645) selon lequel un montant

correspondant agrave la majoration drsquoimpocirct administrative ordinaire de 30

pouvait ecirctre englobeacute dans lrsquoamende nrsquoeacutetait pas applicable aux affaires de

fraude fiscale agrave caractegravere peacutenal ougrave il y avait lieu de prononcer des peines

drsquoemprisonnement en plus des amendes Elle a eacutegalement confirmeacute que

comme elle lrsquoavait dit dans sa deacutecision de 2005 si une majoration drsquoimpocirct

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 17

administrative ne pouvait plus ecirctre imposeacutee lrsquoamende de nature peacutenale

devait ecirctre plus lourde

III LrsquoAFFAIRE HANS AringKEBERG FRANSSON (C-61710) DEVANT LA

COUR DE JUSTICE DE LrsquoUNION EUROPEacuteENNE

51 Dans ses conclusions preacutesenteacutees le 12 juin 2012 en lrsquoaffaire

susmentionneacutee porteacutee devant la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne (laquo la

CJUE raquo) lrsquoavocat geacuteneacuteral Cruz Villaloacuten a dit ceci

laquo 2 Analyse des deuxiegraveme troisiegraveme et quatriegraveme questions preacutejudicielles

70 La question poseacutee par le [tribunal de] Haparanda () est particuliegraverement

complexe et srsquoavegravere tout aussi deacutelicate que la question qui vient drsquoecirctre traiteacutee Drsquoun

cocircteacute la double sanction administrative et peacutenale est une pratique tregraves reacutepandue dans

les Eacutetats membres surtout dans des domaines tels que ceux de la fiscaliteacute des

politiques environnementales ou de la seacutecuriteacute publique Toutefois les modaliteacutes

relatives au cumul des sanctions varient eacutenormeacutement entre les ordres juridiques et

revecirctent des caracteacuteristiques speacutecifiques et propres agrave chaque Eacutetat membre Dans la

plupart des cas ces speacutecificiteacutes visent agrave atteacutenuer les effets drsquoune double reacuteaction

punitive de la part des pouvoirs publics Drsquoun autre cocircteacute comme nous le verrons par

la suite la Cour de Strasbourg srsquoest prononceacutee reacutecemment agrave ce sujet et a confirmeacute

que contrairement agrave ce qursquoil semblait au deacutebut ces pratiques eacutetaient contraires au

droit fondamental ne bis in idem figurant agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 de la CEDH

Cependant il srsquoavegravere que tous les Eacutetats membres nrsquoont pas ratifieacute cette disposition

puisqursquoils ont introduit dans certains cas des reacuteserves ou des deacuteclarations

interpreacutetatives agrave ce sujet Il srsquoensuit que lrsquoobligation drsquointerpreacuteter la charte agrave la lumiegravere

de la CEDH et de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg (article 52 paragraphe 3

de la charte) devient en quelque sorte asymeacutetrique en ce qursquoelle pose de gros

problegravemes dans son application au cas particulier

a) Lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 de la CEDH et la jurisprudence de la Cour de

Strasbourg y affeacuterente

i) Signature et ratification de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 de la CEDH

71 Le principe ne bis in idem ne fait pas expresseacutement partie de la CEDH depuis le

deacutebut Son incorporation agrave la convention a eu lieu comme on le sait par le biais de

son Protocole no 7 ouvert agrave la signature le 22 novembre 1984 et entreacute en vigueur le

1er novembre 1988 Entre autres droits lrsquoarticle 4 eacutenonce la garantie du ne bis in idem

dans le but selon les explications sur le protocole fournies par le Conseil de lrsquoEurope

de concreacutetiser le principe en vertu duquel nul ne peut ecirctre poursuivi ou puni

peacutenalement en raison drsquoune infraction pour laquelle il a deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute ou condamneacute

par un jugement deacutefinitif

72 Agrave la diffeacuterence drsquoautres droits contenus dans la CEDH le droit preacutevu agrave

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 de la CEDH nrsquoa pas eacuteteacute unanimement accepteacute par les

Eacutetats signataires de la convention dont diffeacuterents Eacutetats membres de lrsquoUnion Au jour

de la lecture des preacutesentes conclusions le Protocole no 7 nrsquoest pas encore ratifieacute par la

Reacutepublique feacutedeacuterale drsquoAllemagne le Royaume de Belgique le Royaume des

Pays-Bas et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et drsquoIrlande du Nord Parmi les

Eacutetats qui lrsquoont ratifieacutee la Reacutepublique franccedilaise a formuleacute une reacuteserve agrave lrsquoarticle 4

dudit protocole en limitant son application aux seules infractions de nature

peacutenale () De mecircme agrave lrsquooccasion de la signature la Reacutepublique feacutedeacuterale

18 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

drsquoAllemagne la Reacutepublique drsquoAutriche la Reacutepublique italienne et la Reacutepublique

portugaise ont formuleacute diffeacuterentes deacuteclarations contenant la mecircme indication la

porteacutee limiteacutee de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 dont la protection ne concerne que la

double sanction laquo peacutenale raquo au sens ougrave lrsquoentend lrsquoordre juridique interne ()

73 Les eacuteleacutements qui preacutecegravedent montrent clairement et sans eacutequivoque que les

problegravemes que pose la double sanction administrative et peacutenale sont marqueacutes par un

grave deacutefaut de consensus entre les Eacutetats membres de lrsquoUnion Le caractegravere

probleacutematique du contexte est patent agrave en juger par les neacutegociations sur la future

adheacutesion de lrsquoUnion agrave la CEDH au cours desquelles les Eacutetats et lrsquoUnion ont deacutecideacute

drsquoexclure pour le moment les protocoles de la CEDH y compris celui en cause dans

cette affaire ()

74 Ce deacutefaut de consensus peut srsquoexpliquer par lrsquoimportance que revecirctent les

instruments de reacutepression administrative dans bon nombre drsquoEacutetats membres ainsi que

par lrsquoaccent particulier qui est mis dans ces Eacutetats membres agrave la fois sur la proceacutedure

et sur la sanction peacutenales Drsquoun cocircteacute les Eacutetats ne veulent pas renoncer agrave lrsquoefficaciteacute

qui caracteacuterise la sanction administrative en particulier dans des domaines ougrave les

pouvoirs publics tiennent agrave srsquoassurer du strict respect de la leacutegaliteacute tels que le droit

fiscal ou le droit de la seacutecuriteacute publique Drsquoun autre cocircteacute le caractegravere exceptionnel de

lrsquointervention peacutenale ainsi que les garanties dont lrsquoaccuseacute beacuteneacuteficie pendant le procegraves

incitent les Eacutetats agrave se reacuteserver une marge drsquoappreacuteciation pour deacuteterminer les

comportements qui doivent faire lrsquoobjet de poursuites peacutenales Ce double inteacuterecirct agrave

conserver un pouvoir de sanction agrave la fois administrative et peacutenale explique pourquoi

un grand nombre drsquoEacutetats membres refusent actuellement drsquoune maniegravere ou drsquoune

autre de se soumettre agrave la jurisprudence de la Cour de Strasbourg laquelle comme

nous allons le voir maintenant a eacutevolueacute dans un sens qui exclut pratiquement cette

dualiteacute raquo

52 Dans son arrecirct du 26 feacutevrier 2013 la CJUE (grande chambre) a

notamment dit ceci

laquo Sur les questions preacutejudicielles

Sur les deuxiegraveme troisiegraveme et quatriegraveme questions

32 Par ces questions auxquelles il convient de reacutepondre de maniegravere conjointe le

[tribunal de] Haparanda () demande en substance agrave la Cour srsquoil convient

drsquointerpreacuteter le principe ne bis in idem eacutenonceacute agrave lrsquoarticle 50 de la Charte en ce sens

qursquoil srsquooppose agrave ce que des poursuites peacutenales pour fraude fiscale soient diligenteacutees

contre un preacutevenu degraves lors que ce dernier a deacutejagrave fait lrsquoobjet drsquoune sanction fiscale

pour les mecircmes faits de fausse deacuteclaration

33 Srsquoagissant de lrsquoapplication du principe ne bis in idem eacutenonceacute agrave lrsquoarticle 50 de la

Charte agrave des poursuites peacutenales pour fraude fiscale telles que celles qui sont lrsquoobjet du

litige au principal elle suppose que les mesures qui ont deacutejagrave eacuteteacute adopteacutees agrave lrsquoencontre

du preacutevenu au moyen drsquoune deacutecision devenue deacutefinitive revecirctent un caractegravere peacutenal

34 Agrave cet eacutegard il convient de relever tout drsquoabord que lrsquoarticle 50 de la Charte ne

srsquooppose pas agrave ce qursquoun Eacutetat membre impose pour les mecircmes faits de non-respect

drsquoobligations deacuteclaratives dans le domaine de la TVA une combinaison de sanctions

fiscales et peacutenales En effet afin de garantir la perception de lrsquointeacutegraliteacute des recettes

provenant de la TVA et ce faisant la protection des inteacuterecircts financiers de lrsquoUnion les

Eacutetats membres disposent drsquoune liberteacute de choix des sanctions applicables (voir en ce

sens arrecircts du 21 septembre 1989 CommissionGregravece 68frasl88 Rec p 2965 point 24

du 7 deacutecembre 2000 de Andrade C-213frasl99 Rec p I-11083 point 19 et du

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 19

16 octobre 2003 Hannl-Hofstetter C-91frasl02 Rec p I-12077 point 17) Celles-ci

peuvent donc prendre la forme de sanctions administratives de sanctions peacutenales ou

drsquoune combinaison des deux Ce nrsquoest que lorsque la sanction fiscale revecirct un

caractegravere peacutenal au sens de lrsquoarticle 50 de la Charte et est devenue deacutefinitive que

ladite disposition srsquooppose agrave ce que des poursuites peacutenales pour les mecircmes faits soient

diligenteacutees contre une mecircme personne

35 Ensuite il y a lieu de rappeler que aux fins de lrsquoappreacuteciation de la nature peacutenale

de sanctions fiscales trois critegraveres sont pertinents Le premier est la qualification

juridique de lrsquoinfraction en droit interne le deuxiegraveme la nature mecircme de lrsquoinfraction et

le troisiegraveme la nature ainsi que le degreacute de seacuteveacuteriteacute de la sanction que risque de subir

lrsquointeacuteresseacute (arrecirct du 5 juin 2012 Bonda C-489frasl10 point 37)

36 Il appartient agrave la juridiction de renvoi drsquoappreacutecier agrave la lumiegravere de ces critegraveres

srsquoil y a lieu de proceacuteder agrave un examen du cumul de sanctions fiscales et peacutenales preacutevu

par la leacutegislation nationale par rapport aux standards nationaux au sens du point 29 du

preacutesent arrecirct ce qui pourrait lrsquoamener le cas eacutecheacuteant agrave consideacuterer ce cumul comme

contraire auxdits standards agrave condition que les sanctions restantes soient effectives

proportionneacutees et dissuasives (voir en ce sens notamment arrecircts CommissionGregravece

preacuteciteacute point 24 du 10 juillet 1990 Hansen C-326frasl88 Rec p I-2911 point 17 du

30 septembre 2003 Inspire Art C-167frasl01 Rec p I-10155 point 62 du 15 janvier

2004 Penycoed C-230frasl01 Rec p I-937 point 36 ainsi que du 3 mai 2005

Berlusconi ea C-387frasl02 C-391frasl02 et C-403frasl02 Rec p I-3565 point 65)

37 Il deacutecoule des consideacuterations qui preacutecegravedent qursquoil convient de reacutepondre aux

deuxiegraveme troisiegraveme et quatriegraveme questions que le principe ne bis in idem eacutenonceacute agrave

lrsquoarticle 50 de la Charte ne srsquooppose pas agrave ce qursquoun Eacutetat membre impose pour les

mecircmes faits de non-respect drsquoobligations deacuteclaratives dans le domaine de la TVA

successivement une sanction fiscale et une sanction peacutenale dans la mesure ougrave la

premiegravere sanction ne revecirct pas un caractegravere peacutenal ce qursquoil appartient agrave la juridiction

nationale de veacuterifier raquo

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 4 DU

PROTOCOLE No 7 Agrave LA CONVENTION

53 Les requeacuterants soutiennent tous deux avoir eacuteteacute poursuivis et

sanctionneacutes deux fois pour la mecircme infraction relevant de lrsquoarticle 12-1

(chapitre 12) de la loi fiscale en violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 agrave

la Convention ils allegraveguent avoir eacuteteacute interrogeacutes en tant qursquoaccuseacutes et

inculpeacutes par le parquet frappeacutes de majorations drsquoimpocirct par le fisc payeacutees

par eux puis reconnus coupables et sanctionneacutes au peacutenal Lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 est ainsi libelleacute

laquo 1 Nul ne peut ecirctre poursuivi ou puni peacutenalement par les juridictions du mecircme

Eacutetat en raison drsquoune infraction pour laquelle il a deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute ou condamneacute par un

jugement deacutefinitif conformeacutement agrave la loi et agrave la proceacutedure peacutenale de cet Eacutetat

20 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

2 Les dispositions du paragraphe preacuteceacutedent nrsquoempecircchent pas la reacuteouverture du

procegraves conformeacutement agrave la loi et agrave la proceacutedure peacutenale de lrsquoEacutetat concerneacute si des faits

nouveaux ou nouvellement reacuteveacuteleacutes ou un vice fondamental dans la proceacutedure

preacuteceacutedente sont de nature agrave affecter le jugement intervenu

3 Aucune deacuterogation nrsquoest autoriseacutee au preacutesent article au titre de lrsquoarticle 15 de la

Convention raquo

54 Le Gouvernement reacutecuse cette thegravese

A Sur la recevabiliteacute

55 La Cour estime que les requecirctes soulegravevent des questions complexes

du point de vue des faits et du droit de la Convention de sorte qursquoelle ne

saurait les rejeter pour deacutefaut manifeste de fondement au sens de lrsquoarticle 35

sect 3 a) de la Convention Constatant par ailleurs qursquoelles ne se heurtent agrave

aucun autre motif drsquoirrecevabiliteacute elle les deacuteclare recevables

B Sur le fond

1 Les requeacuterants

56 Les requeacuterants soutiennent que au meacutepris de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 ils ont fait lrsquoobjet drsquoune double incrimination pour le mecircme

motif agrave savoir une infraction relevant de lrsquoarticle 12-1 1) de la loi fiscale Ils

disent en effet avoir eacuteteacute drsquoabord interrogeacutes comme accuseacutes et inculpeacutes par le

parquet et frappeacutes de majorations drsquoimpocirct par le fisc accepteacutees et payeacutees

par chacun drsquoeux puis condamneacutes peacutenalement Se reacutefeacuterant agrave la chronologie

des proceacutedures deacutenonceacutees le premier requeacuterant ajoute qursquoil a fait lrsquoobjet de

doubles poursuites pendant un laps de temps important ce qui aurait fait

peser sur lui un fardeau excessivement lourd tant physiquement que

psychologiquement en conseacutequence de quoi il aurait eacuteteacute victime drsquoun

infarctus et aurait ducirc ecirctre hospitaliseacute

a) Les premiegraveres proceacutedures revecirctaient-elles un caractegravere peacutenal

57 Partageant lrsquoanalyse de la Cour suprecircme fondeacutee sur les critegraveres Engel

et sur drsquoautres eacuteleacutements pertinents de jurisprudence interne concernant la

majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire de 30 les requeacuterants jugent

manifeste que non seulement la proceacutedure pour fraude fiscale mais aussi la

proceacutedure de majoration drsquoimpocirct eacutetaient de nature laquo peacutenale raquo et que ces

deux proceacutedures doivent donc ecirctre qualifieacutees de laquo peacutenales raquo pour les besoins

de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

b) Les infractions eacutetaient-elles les mecircmes (idem)

58 Les requeacuterants souscrivent eacutegalement agrave lrsquoavis de la Cour suprecircme

lorsqursquoelle a dit qursquoil ne faisait aucun doute que les circonstances factuelles

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 21

agrave lrsquoorigine des majorations drsquoimpocirct et des poursuites peacutenales avaient

suffisamment de points communs pour ecirctre consideacutereacutees comme

constitutives de la mecircme infraction Ils estiment en effet que dans un cas

comme dans lrsquoautre la base factuelle eacutetait lrsquoomission de revenus dans leur

deacuteclaration fiscale

c) Les proceacutedures fiscales ont-elles fait lrsquoobjet de deacutecisions deacutefinitives et dans

lrsquoaffirmative agrave quel moment

59 Les requeacuterants soutiennent que les deacutecisions par lesquelles le fisc

leur a appliqueacute des majorations drsquoimpocirct eacutetaient devenues deacutefinitives et

passeacutees en force de chose jugeacutee le 15 deacutecembre 2008 srsquoagissant du premier

requeacuterant et le 26 deacutecembre 2008 srsquoagissant du second requeacuterant soit

anteacuterieurement agrave leur condamnation pour les mecircmes comportements

intervenue le 2 mars 2009 pour le premier requeacuterant et le 30 septembre 2009

pour le second requeacuterant Qursquoil faille regarder ou non ces sanctions comme

issues de proceacutedures dites parallegraveles les deacutecisions de majoration drsquoimpocirct

prises contre eux seraient devenues deacutefinitives et exeacutecutoires avant qursquoils ne

fussent reconnus coupables agrave raison drsquoun comportement strictement

identique respectivement par le tribunal de Follo et par le tribunal drsquoOslo

Les sanctionner peacutenalement aurait donc emporteacute violation du principe non

bis in idem consacreacute agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

d) Y a-t-il eu reacutepeacutetition des poursuites (bis)

60 Les requeacuterants se disent victimes drsquoune reacutepeacutetition des poursuites

proscrite par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Les proceacutedures administratives de

majoration drsquoimpocirct revecirctant effectivement selon eux un caractegravere peacutenal le

parquet aurait eacuteteacute tenu par cette disposition de mettre fin aux poursuites

peacutenales degraves que lrsquoissue de ces proceacutedures administratives eacutetait devenue

deacutefinitive Or il ne lrsquoaurait pas fait

61 Pour les requeacuterants si le droit norveacutegien autorise la conduite de

proceacutedures parallegraveles le recours agrave ce proceacutedeacute par les autoriteacutes internes a

permis agrave ces derniegraveres de coordonner leurs deacutemarches de maniegravere agrave

contourner lrsquointerdiction poseacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 et agrave rendre

ainsi illusoire la protection offerte par cette disposition Dans le cas du

premier requeacuterant en particulier lrsquoouverture de proceacutedures parallegraveles

semblerait avoir eacuteteacute une manœuvre organiseacutee de concert par le parquet et le

fisc

62 Les requeacuterants affirment que en lrsquoespegravece le parquet a simplement

attendu que le fisc deacutecide drsquoappliquer des majorations drsquoimpocirct pour

renvoyer les affaires en jugement Les proceacutedures peacutenale et administrative

auraient ainsi eacuteteacute coordonneacutees de faccedilon agrave les pieacuteger au moyen de deux corps

diffeacuterents de regravegles peacutenales et ainsi agrave leur faire payer des impocircts

suppleacutementaires et des majorations drsquoimpocirct et agrave les faire condamner pour le

mecircme comportement autrement dit agrave les soumettre agrave une double

22 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

incrimination Du point de vue de la seacutecuriteacute juridique la possibiliteacute de

conduire des proceacutedures parallegraveles poserait problegraveme Lrsquoimportante finaliteacute

de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 agrave savoir empecirccher que le justiciable soit

contraint de supporter un fardeau excessif militerait en faveur drsquoune

limitation de la faculteacute pour les autoriteacutes de mener des proceacutedures parallegraveles

63 Les requeacuterants considegraverent que sous lrsquoangle des garanties

proceacutedurales cette faculteacute pour le fisc et le parquet drsquoorganiser de concert la

conduite de proceacutedures parallegraveles est contraire agrave lrsquointerdiction de la double

incrimination poseacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 et agrave la jurisprudence

reacutecente de la Cour ainsi qursquoagrave certains jugements nationaux Ils estiment degraves

lors que ce proceacutedeacute qui a permis en lrsquoespegravece agrave des autoriteacutes diffeacuterentes de

mettre sur pied des proceacutedures parallegraveles semble assez contestable et ne

tient pas ducircment compte des pressions ainsi exerceacutees sur le justiciable pas

plus que des principaux inteacuterecircts proteacutegeacutes par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

64 Au cours du cauchemar qursquoils disent avoir veacutecu en lrsquoespegravece les

requeacuterants auraient eacuteteacute rassureacutes lorsque le premier drsquoentre eux aurait appris

par lrsquoagent des impocircts qursquoil pouvait deacutesormais laquo pousser un soupir de

soulagement raquo en raison de lrsquoadoption de nouvelles instructions eacutecrites par

le service du procureur geacuteneacuteral le 3 avril 2009 lesquelles auraient interdit la

reacutepeacutetition des poursuites et les doubles incriminations dans les cas comme le

sien Srsquoappuyant sur lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine ces nouvelles instructions

auraient notamment disposeacute que en appel ndash qursquoil y ait eu condamnation ou

acquittement en premiegravere instance ndash le parquet devait requeacuterir lrsquoannulation

du jugement et la clocircture de la proceacutedure Les requeacuterants preacutecisent que en

conseacutequence de ces nouvelles instructions et de la qualification de sanction

peacutenale donneacutee aux majorations drsquoimpocirct et puisque les deacutecisions appliquant

celles-ci eacutetaient devenues deacutefinitives et passeacutees en force de chose jugeacutee agrave

leur eacutegard il eacutetait raisonnable qursquoils srsquoattendent agrave lrsquoabandon des poursuites

peacutenales dirigeacutees contre eux par lrsquoeffet de lrsquointerdiction de la double

incrimination poseacutee par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 De plus en vertu de

ces instructions drsquoautres personnes accuseacutees des mecircmes infractions dans le

mecircme groupe drsquoaffaires ne se seraient pas vu appliquer de majorations

drsquoimpocirct parce qursquoelles avaient deacutejagrave eacuteteacute reconnues coupables et condamneacutees

agrave une peine drsquoemprisonnement pour violation de lrsquoarticle 12-2 de la loi

fiscale Or agrave lrsquoinverse de ces autres personnes les requeacuterants auraient eacuteteacute

reconnus coupables et frappeacutes de peines drsquoemprisonnement alors qursquoils

avaient ducirc verser un suppleacutement drsquoimpocirct et une majoration drsquoimpocirct agrave raison

du mecircme comportement La thegravese du Gouvernement soulignant la neacutecessiteacute

drsquoassurer une eacutegaliteacute de traitement avec les autres personnes inculpeacutees de la

mecircme infraction de fraude fiscale ne serait donc pas convaincante

65 Les requeacuterants se disent drsquoautant plus gravement affecteacutes sur le plan

psychologique que malgreacute les instructions susmentionneacutees le parquet a

poursuivi leur procegraves en invoquant la leacutegaliteacute des proceacutedures parallegraveles et a

rejeteacute leurs demandes tendant agrave lrsquoannulation de leur condamnation en

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 23

premiegravere instance et au rejet par les tribunaux des proceacutedures peacutenales Agrave cet

effet le premier requeacuterant produit divers certificats meacutedicaux dont un

deacutelivreacute par une clinique pour une intervention de chirurgie cardiaque

2 Le Gouvernement

a) Les premiegraveres proceacutedures revecirctaient-elles un caractegravere peacutenal

66 Le Gouvernement invite la Grande Chambre agrave confirmer lrsquoapproche

suivie dans une seacuterie drsquoaffaires anteacuterieures agrave lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine

selon laquelle le caractegravere laquo peacutenal raquo drsquoune sanction pour les besoins de

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 srsquoappreacutecie sur la base drsquoun groupe plus large de

facteurs que les critegraveres Engel (formuleacutes sur le terrain de lrsquoarticle 6) Selon

lui il faut tenir compte de la qualification juridique de lrsquoinfraction en droit

interne de la nature de celle-ci de la qualification de la sanction en droit

interne et de son but de sa nature et de son degreacute de seacuteveacuteriteacute ainsi que de

la question de savoir si elle a eacuteteacute imposeacutee agrave la suite drsquoune condamnation

pour une infraction peacutenale et des proceacutedures associeacutees agrave son adoption et agrave

son exeacutecution (le Gouvernement cite les affaires Malige c France

23 septembre 1998 sect 35 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1998-VII et

Nilsson c Suegravede (deacutec) no 7366101 CEDH 2005-XIII Haarvig c Norvegravege

(deacutec) no 1118705 11 deacutecembre 2007 Storbraringten c Norvegravege (deacutec)

no 1227704 1er feacutevrier 2007 et Mjelde c Norvegravege (deacutec) no 1114304

1er feacutevrier 2007)

67 Le Gouvernement soutient entre autres que les diffeacuterences dans le

libelleacute et lrsquoobjet de ces dispositions montrent clairement que le mot

laquo peacutenalement raquo employeacute agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 srsquoentend en un sens

plus eacutetroit que lrsquoexpression laquo en matiegravere peacutenale raquo figurant agrave lrsquoarticle 6 Il

ressortirait du rapport explicatif du Protocole no 7 que le libelleacute de lrsquoarticle 4

a eacuteteacute conccedilu pour viser les proceacutedures peacutenales stricto sensu Ce rapport

indiquerait en son paragraphe 28 qursquoil nrsquoeacutetait pas apparu neacutecessaire de

qualifier lrsquoinfraction de laquo peacutenale raquo car le libelleacute de lrsquoarticle 4 laquo qui contient

deacutejagrave les termes laquo peacutenalement raquo et laquo proceacutedure peacutenale raquo rendait cette

preacutecision inutile dans le texte mecircme de lrsquoarticle raquo Il soulignerait en son

paragraphe 32 que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 nrsquointerdit pas les proceacutedures

laquo drsquoun caractegravere diffeacuterent (par exemple une proceacutedure disciplinaire dans le

cas drsquoun fonctionnaire) raquo De plus lrsquoarticle 6 et lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

poursuivraient des fins diffeacuterentes voire parfois opposeacutees le premier ayant

pour but de renforcer les garanties proceacutedurales en matiegravere peacutenale

68 Le Gouvernement met eacutegalement en avant un certain nombre de

diffeacuterences suppleacutementaires dans la maniegravere dont ces deux dispositions ont

eacuteteacute interpreacuteteacutees et appliqueacutees dans la jurisprudence de la Cour notamment

le caractegravere absolu de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 (non susceptible de

deacuterogation au titre de lrsquoarticle 15) par opposition agrave lrsquoapproche nuanceacutee

suivie par la Cour sur le terrain de lrsquoarticle 6 Il cite lrsquoarrecirct Jussila

24 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

c Finlande ([GC] no 7305301 sect 43 CEDH 2006-XIV) ougrave la Grande

Chambre de la Cour a dit laquo il va de soi que () les laquo accusations en

matiegravere peacutenale raquo nrsquoont pas toutes le mecircme poids raquo et que laquo [l]es majorations

drsquoimpocirct ne faisant pas partie du noyau dur du droit peacutenal les garanties

offertes par le volet peacutenal de lrsquoarticle 6 ne doivent pas neacutecessairement

srsquoappliquer dans toute leur rigueur raquo

69 Se fondant sur le groupe plus large de critegraveres susmentionneacute le

Gouvernement prie la Cour de dire que les majorations drsquoimpocirct au taux

ordinaire ne revecirctent pas un caractegravere laquo peacutenal raquo aux fins de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7

70 Le Gouvernement avance toutefois les arguments exposeacutes ci-dessous

pour le cas ougrave la Grande Chambre viendrait agrave adopter lrsquoautre approche

baseacutee sur les seuls critegraveres Engel et agrave conclure que la deacutecision de

majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire eacutetait laquo peacutenale raquo au sens autonome

donneacute agrave ce terme sur le terrain de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

b) Les infractions eacutetaient-elles les mecircmes (idem)

71 Partageant le raisonnement et les conclusions adopteacutes par la Cour

suprecircme dans le procegraves du premier requeacuterant (paragraphes 20 agrave 30

ci-dessus) et repris par la cour drsquoappel dans le procegraves du second requeacuterant

(paragraphe 37 ci-dessus) le Gouvernement admet que les circonstances

factuelles agrave lrsquoorigine des proceacutedures de majoration drsquoimpocirct et des procegraves

pour fraude fiscale visaient les mecircmes contrevenants et eacutetaient

indissociablement lieacutees entre elles dans le temps et dans lrsquoespace

c) Les proceacutedures fiscales ont-elles fait lrsquoobjet de deacutecisions deacutefinitives

72 Le Gouvernement rappelle que dans un souci de protection effective

et de clarteacute de la jurisprudence la Cour suprecircme a conclu que la deacutecision de

redressement eacutetait devenue deacutefinitive agrave lrsquoexpiration du deacutelai de recours

administratif de trois semaines (soit le 15 deacutecembre 2008 pour le premier

requeacuterant et le 26 deacutecembre 2008 pour le second) alors mecircme que le deacutelai

de recours en justice de six mois preacutevu agrave lrsquoarticle 11-1 4) du chapitre 11 de

la loi fiscale nrsquoavait pas encore expireacute Srsquoil estime que ce point nrsquoest guegravere

deacuteterminant en lrsquoespegravece (le deacutelai de recours en justice ayant lui aussi pris fin

anteacuterieurement agrave la date de clocircture de la proceacutedure peacutenale alors pendante agrave

savoir le 24 mai 2009 pour le premier requeacuterant et le 5 juin 2009 pour le

second) il ne srsquointerroge pas moins sur la neacutecessiteacute drsquoune interpreacutetation

aussi stricte de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Srsquoappuyant sur lrsquoarrecirct Sergueiuml

Zolotoukhine (preacuteciteacute sect 108) il soutient que la jurisprudence de la Cour

semble confirmer que laquo [l]es deacutecisions susceptibles drsquoun recours ordinaire

ne beacuteneacuteficient pas de la garantie que renferme lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

tant que le deacutelai drsquoappel nrsquoest pas expireacute raquo Agrave son avis les requeacuterants

avaient toujours la faculteacute de former des recours ordinaires sous la forme

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 25

drsquoun recours judiciaire dans les six mois agrave compter de la date des deacutecisions

en cause

d) Y a-t-il eu reacutepeacutetition des poursuites (bis)

73 En revanche srsquoappuyant lagrave encore sur lrsquoanalyse de la Cour suprecircme

le Gouvernement souligne que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 permet dans

certaines conditions ce qursquoil est convenu drsquoappeler des laquo proceacutedures

parallegraveles raquo Le libelleacute de cette disposition indiquerait clairement qursquoelle

interdit la reacutepeacutetition des poursuites une fois passeacutee en force de chose jugeacutee

la deacutecision rendue agrave lrsquoissue de la premiegravere proceacutedure (laquo poursuivi ou puni

peacutenalement () en raison drsquoune infraction pour laquelle il a deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute

ou condamneacute par un jugement deacutefinitif raquo) Le rapport explicatif du

Protocole no 7 confirmerait que le principe non bis in idem est

drsquointerpreacutetation relativement eacutetroite Crsquoest ce qui ressortirait de lrsquoarrecirct

Sergueiuml Zolotoukhine (preacuteciteacute sect 83) dans lequel la Grande Chambre a

deacutefini plus preacuteciseacutement la porteacutee de la disposition en cause en la limitant agrave

la situation suivante

laquo La garantie consacreacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 entre en jeu lorsque de

nouvelles poursuites sont engageacutees et que la deacutecision anteacuterieure drsquoacquittement ou de

condamnation est deacutejagrave passeacutee en force de chose jugeacutee raquo

74 Le Gouvernement en deacuteduit a contrario que les proceacutedures

parallegraveles ndash crsquoest-agrave-dire des sanctions diffeacuterentes imposeacutees par deux

autoriteacutes diffeacuterentes dans des proceacutedures diffeacuterentes eacutetroitement lieacutees sur les

plans mateacuteriel et temporel ndash sortent du champ drsquoapplication de cette

disposition Le lancement drsquoune proceacutedure parallegravele ne srsquoanalyserait pas en

lrsquoouverture de nouvelles poursuites degraves lors que lrsquoacquittement ou la

condamnation anteacuterieurs seraient deacutejagrave passeacutes en force de chose jugeacutee Les

deacutecisions preacuteciteacutees RT c Suisse et Nilsson c Suegravede preacuteciseraient les

conditions dans lesquelles des proceacutedures peuvent passer pour parallegraveles et

donc ecirctre permises au regard de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

75 Or selon le Gouvernement la Cour srsquoest eacutecarteacutee de lrsquoapproche

suivie dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine dans un certain nombre drsquoarrecircts

plus reacutecents dont quatre concernant la Finlande rendus le 20 mai 2014 (en

particulier Nykaumlnen c Finlande no 1182811 sect 48 et Glantz c Finlande

no 3739411 sect 57) dans lesquels le paragraphe 83 de lrsquoarrecirct Sergueiuml

Zolotoukhine nrsquoaurait servi que de point de deacutepart et qui auraient dit que

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 laquo interdisait clairement les proceacutedures

conseacutecutives si la premiegravere avait deacutejagrave deacuteboucheacute sur une deacutecision deacutefinitive agrave

la date de lrsquoouverture de la seconde (voir par exemple Sergueiuml

Zolotoukhine preacuteciteacute) raquo

76 Pour le Gouvernement cette interpreacutetation extensive de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 livreacutee notamment dans lrsquoarrecirct Nykaumlnen et qui semble

incompatible avec lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine apparaicirct preacutesupposer que

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 impose lrsquoextinction de toute proceacutedure peacutenale si

26 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

une autre proceacutedure de nature administrative et conduite en parallegravele srsquoest

soldeacutee par une deacutecision deacutefinitive ou vice versa Elle reposerait sur une

deacutecision sur la recevabiliteacute (Zigarella c Italie (deacutec) no 4815499

CEDH 2002-IX (extraits)) et sur deux arrecircts de chambre (Tomasović

c Croatie no 5378509 18 octobre 2011 et Muslija c Bosnie-Herzeacutegovine

no 3204211 14 janvier 2014) Or aucune de ces affaires ne permettrait de

fonder solidement un tel revirement

La premiegravere affaire Zigarella aurait concerneacute des proceacutedures non pas

parallegraveles mais conseacutecutives contrairement agrave ce qursquoaurait supposeacute la

chambre La clocircture de la proceacutedure peacutenale ulteacuterieure ouverte alors que les

autoriteacutes ignoraient lrsquoexistence drsquoune proceacutedure (peacutenale elle aussi) objet

drsquoune deacutecision deacutefinitive aurait eacuteteacute prononceacutee une fois le juge aviseacute de

lrsquoacquittement deacutefinitif dans le premier procegraves La Cour nrsquoaurait alors fait

qursquoappliquer le volet mateacuteriel neacutegatif du principe non bis in idem qui relegraveve

de la regravegle de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee puisqursquoil srsquoagissait de deux

proceacutedures peacutenales ordinaires conseacutecutives concernant la mecircme infraction

Les deux autres affaires Tomasović et Muslija auraient eu pour objet des

proceacutedures se rapportant agrave des infractions relevant du laquo noyau dur raquo du droit

peacutenal agrave savoir respectivement possession de drogues dures et violences

domestiques (le Gouvernement invoque lrsquoarrecirct Jussila preacuteciteacute sect 43) Il y

aurait clairement eu dans ces affaires deux proceacutedures peacutenales visant un

mecircme acte Chacune des deux proceacutedures aurait eacuteteacute ouverte sur la base du

mecircme rapport de police De telles situations ne se produiraient a priori pas

en droit peacutenal norveacutegien et elles seraient en tout eacutetat de cause bien eacuteloigneacutees

du systegraveme traditionnel bien ancreacute dans ce pays de mixiteacute des poursuites

administratives et peacutenales pour les majorations drsquoimpocirct et fraudes fiscales

du type ici en cause

77 Exiger la clocircture de toute proceacutedure parallegravele en cours agrave la date ougrave

lrsquoautre proceacutedure relative aux mecircmes faits a donneacute lieu agrave une deacutecision

deacutefinitive srsquoanalyserait en une exception proceacutedurale de litispendance de

facto Il nrsquoaurait en effet guegravere de sens drsquoouvrir une proceacutedure parallegravele srsquoil

faut clore lrsquoune au seul motif que lrsquoautre a fait lrsquoobjet drsquoune deacutecision

deacutefinitive avant la premiegravere

78 Dans ce contexte drsquoincoheacuterences reacutepeacuteteacutees de la jurisprudence

relative agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 le Gouvernement estime qursquoil est

particuliegraverement important que la Grande Chambre reacuteaffirme lrsquoapproche

suivie par elle dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine qui considegravere cette

disposition comme un aspect du principe de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee et

rejette lrsquoapproche divergente retenue dans lrsquoarrecirct Nykaumlnen

79 Le Gouvernement ne voit pas quelles consideacuterations drsquoopportuniteacute

sous-tendent lrsquoarrecirct Nykaumlnen Le principe non bis in idem repose sur lrsquoideacutee

drsquooffrir une protection contre le risque drsquoecirctre exposeacute agrave des poursuites

reacutepeacutetitives (il mentionne lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sect 107) Le

justiciable devrait avoir la certitude que une fois son acquittement ou sa

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 27

condamnation passeacutes en force de chose jugeacutee il sera proteacutegeacute contre

lrsquoouverture de toute nouvelle proceacutedure fondeacutee sur les mecircmes faits Cela ne

vaudrait pas si la personne est passible de proceacutedures peacutenales et

administratives preacutevisibles conduites parallegravelement comme preacutevu par la loi

et encore moins si la premiegravere sanction (la majoration drsquoimpocirct) a eacuteteacute prise

en compte de maniegravere preacutevisible dans la deacutecision imposant la seconde

sanction (lrsquoemprisonnement)

80 Par ailleurs le Gouvernement nrsquoestime guegravere conciliables lrsquoideacutee que

des proceacutedures parallegraveles ne posent pas le moindre problegraveme sous lrsquoangle du

Protocole no 7 quand elles sont en cours et lrsquoideacutee que degraves que lrsquoune a

atteint sa conclusion deacutefinitive lrsquoexistence de lrsquoautre emporte violation et

ce que ce soit la proceacutedure administrative passible de sanctions plus

douces ou la proceacutedure peacutenale passible de sanctions plus seacutevegraveres qui ait

pris fin la premiegravere et quelle que soit celle entameacutee en premier

81 Le Gouvernement ajoute que lrsquoarrecirct Nykaumlnen meacuteconnaicirct eacutegalement

les principes fondamentaux de la preacutevisibiliteacute et de lrsquoeacutegaliteacute de traitement Il

expose que si crsquoest la proceacutedure peacutenale qui fait lrsquoobjet drsquoune deacutecision

passeacutee en force de chose jugeacutee avant la fin de la proceacutedure administrative

une personne peut se retrouver incarceacutereacutee tandis que dans lrsquohypothegravese

inverse un individu ayant commis la mecircme infraction aurait simplement agrave

payer une amende administrative modeacutereacutee Le point de savoir quelle

proceacutedure prend fin la premiegravere deacutependrait de la maniegravere dont le fisc la

police le parquet ou les tribunaux progressent et de lrsquoouverture ou non par

le contribuable drsquoun recours administratif etou drsquoun recours judiciaire

Lrsquoarrecirct Nykaumlnen commanderait donc agrave lrsquoEacutetat de traiter ineacutegalement des

personnes dans la mecircme situation en fonction de simples coiumlncidences

Comme cet arrecirct le reconnaicirctrait laquo savoir laquelle des proceacutedures parallegraveles

se clocirct la premiegravere par une deacutecision deacutefinitive relegraveve parfois de la

coiumlncidence ce qui pourrait poser problegraveme au regard de lrsquoeacutegaliteacute de

traitement raquo

82 Le Gouvernement dit que lrsquoimpeacuteratif drsquoefficaciteacute dans le traitement

des affaires milite souvent en faveur de la conduite de proceacutedures parallegraveles

Drsquoune part gracircce agrave leurs connaissances speacutecialiseacutees et agrave leurs moyens les

autoriteacutes administratives seraient souvent agrave mecircme drsquoimposer des sanctions

plus rapidement que le parquet et les tribunaux dans le cadre drsquoune

proceacutedure peacutenale Vu que leur action englobe lrsquoensemble des administreacutes

elles seraient en outre mieux placeacutees pour veiller agrave lrsquoeacutegaliteacute dans la sanction

des infractions La preacutevention des infractions graves en revanche

imposerait de ne pas interdire agrave lrsquoEacutetat drsquoen poursuivre et punir les auteurs

dans le cadre traditionnel et formel drsquoun procegraves peacutenal degraves lors que les

proceacutedures administratives et peacutenales mettent au jour des infractions plus

graves et plus complexes que celles qui ont motiveacute agrave lrsquoorigine la proceacutedure

et la sanction administratives Les cas des requeacuterants en seraient

drsquoexcellents exemples

28 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

83 Le Gouvernement constate que plusieurs Eacutetats europeacuteens sont doteacutes

drsquoun systegraveme mixte de sanctions dans des domaines tels que le droit fiscal et

la sucircreteacute publique Sur ce point il se reacutefegravere aux conclusions du 12 juin 2012

produites par lrsquoavocat geacuteneacuteral pregraves la CJUE dans lrsquoaffaire preacuteciteacutee Fransson

(paragraphe 51 ci-dessus)

84 Le Gouvernement dit que en Norvegravege la question de la poursuite de

proceacutedures parallegraveles ne se limite pas agrave la fiscaliteacute Il soutient qursquoune

interpreacutetation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 qui interdirait agrave une proceacutedure

parallegravele en cours drsquoaller jusqursquoagrave son terme degraves lors que lrsquoautre proceacutedure

administrative ou peacutenale a eacuteteacute clocirctureacutee par une deacutecision deacutefinitive aurait

des conseacutequences lourdes neacutegatives et impreacutevisibles dans un certain

nombre de domaines relevant du droit administratif La prudence serait donc

de mise Des questions similaires se poseraient au sein de certains Eacutetats

europeacuteens connaissant depuis longtemps des systegravemes de proceacutedures

administratives et peacutenales parallegraveles dans des domaines essentiels du droit

dont celui de la fiscaliteacute

85 Le Gouvernement estime que les consideacuterations qui sont agrave lrsquoorigine

de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 sont moins pertinentes lorsque les

proceacutedures en cause sont parallegraveles et simultaneacutees Un accuseacute sachant

pertinemment que des autoriteacutes diffeacuterentes ont ouvert contre lui deux

proceacutedures diffeacuterentes eacutetroitement lieacutees sur les plans mateacuteriel et temporel

risquerait moins de srsquoattendre agrave ce que la premiegravere sanction imposeacutee soit

deacutefinitive et exclue toute autre sanction Enfin la logique du principe non

bis in idem srsquoappliquerait dans une moindre mesure aux sanctions ne

relevant pas du laquo noyau dur raquo du droit peacutenal comme les majorations

drsquoimpocirct (voir le raisonnement exposeacute dans lrsquoarrecirct preacuteciteacute Jussila sect 43

relatif agrave lrsquoarticle 6 et transposable agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7)

86 Pour ce qui est des circonstances propres au cas drsquoespegravece le

Gouvernement fait sien sur tous les points le raisonnement exposeacute par la

Cour suprecircme dans lrsquoarrecirct concernant le premier requeacuterant (paragraphe 29

ci-dessus) et celui suivi par la cour drsquoappel dans lrsquoarrecirct concernant le second

requeacuterant (paragraphe 39 ci-dessus) agrave savoir qursquoil existait un lien temporel

et mateacuteriel suffisamment eacutetroit entre les proceacutedures Il dit que ni lrsquoun ni

lrsquoautre des requeacuterants ne pouvaient leacutegitimement srsquoattendre agrave ne faire lrsquoobjet

que drsquoune proceacutedure et drsquoune sanction administratives Il explique que de

maniegravere agrave ne pas aboutir agrave un reacutesultat qui aurait heurteacute le principe

fondamental de lrsquoeacutegaliteacute de traitement les requeacuterants laquo sur un pied

drsquoeacutegaliteacute avec raquo EK et BL coaccuseacutes dans le mecircme groupe drsquoaffaires

(paragraphes 12 et 13 ci-dessus) ont chacun eacuteteacute condamneacutes agrave des peines

drsquoemprisonnement agrave lrsquoissue de procegraves peacutenaux apregraves srsquoecirctre vu appliquer des

majorations drsquoimpocirct administratives de 30

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 29

3 Les tiers intervenants

87 Les tierces interventions sont principalement axeacutees sur deux points

premiegraverement lrsquointerpreacutetation du mot laquo peacutenalement raquo employeacute agrave lrsquoarticle 4

du Protocole no 7 et lrsquoarticulation entre cette disposition et les articles 6

(volet peacutenal) et 7 de la Convention et deuxiegravemement la mesure dans

laquelle le Protocole no 7 permet les proceacutedures parallegraveles (ces deux points

sont examineacutes respectivement dans les parties a) et b) ci-dessous)

a) Les premiegraveres proceacutedures revecirctaient-elles un caractegravere laquo peacutenal raquo

88 Les gouvernements tchegraveque et franccedilais pensent comme le

gouvernement deacutefendeur que lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine nrsquoa pas

explicitement rejeteacute lrsquoideacutee de recourir agrave un groupe plus large de critegraveres pour

deacuteterminer la nature de la proceacutedure agrave examiner sur le terrain de lrsquoarticle 4

du Protocole no 7 et que la Cour a elle-mecircme jugeacute notamment que les

proceacutedures de majoration drsquoimpocirct ne relevaient pas du noyau dur du droit

peacutenal et nrsquoa donc pas appliqueacute dans toute leur rigueur les garanties de

lrsquoarticle 6 (Jussila preacuteciteacute sect 43 in fine) Le gouvernement tchegraveque invite la

Cour agrave preacuteciser principalement si et dans lrsquoaffirmative sous quelles

conditions crsquoest-agrave-dire dans quel type drsquoaffaires il convient drsquoappliquer un

plus grand eacuteventail de critegraveres

89 Srsquoappuyant sur le libelleacute et le but de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 le

gouvernement bulgare soutient que seules les infractions peacutenales classiques

relegravevent du champ drsquoapplication de cette disposition Il estime que si

eacutetendre la porteacutee de lrsquoarticle 6 est essentiel agrave la protection du droit agrave un

procegraves eacutequitable lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 a une autre finaliteacute Se reacutefeacuterant

agrave lrsquoarrecirct rendu par la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis drsquoAmeacuterique dans

lrsquoaffaire Green v United States (355 US 194 (1957)) il souligne que

lrsquointerdiction de la double incrimination protegravege le justiciable du risque de

faire lrsquoobjet drsquoune multipliciteacute de procegraves et de condamnations eacuteventuelles

pour une mecircme infraction La logique de cette interdiction est selon lui qursquoil

ne faut pas que lrsquoEacutetat avec toutes ses ressources et tout son pouvoir puisse

se livrer agrave des tentatives reacutepeacuteteacutees tendant agrave faire condamner un individu

pour la mecircme infraction ce qui pour ce dernier serait source drsquoembarras de

frais et drsquoeacutepreuves et le forcerait agrave vivre dans un eacutetat permanent drsquoanxieacuteteacute et

drsquoinseacutecuriteacute tout en aggravant le risque que mecircme innocent il soit reconnu

coupable Un second impeacuteratif vital serait de preacuteserver le caractegravere deacutefinitif

des deacutecisions de justice

90 Le gouvernement franccedilais consacre drsquoamples deacuteveloppements

(paragraphes 10 agrave 26 de ses observations) agrave lrsquointerpreacutetation des articles 6 et

7 de la Convention et de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Srsquoappuyant sur lrsquoarrecirct

Perinccedilek c Suisse ([GC] no 2751008 sect 146 CEDH 2015 (extraits)) il

soutient que les termes employeacutes agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 diffeacuterents

de ceux figurant agrave lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention doivent conduire agrave

30 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

retenir des critegraveres plus eacutetroits reacutepondant aux objectifs du principe non bis in

idem garanti par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Lrsquoarticle 7 de la Convention

utiliserait les termes de condamnation (laquo condamneacute raquo en franccedilais et laquo held

guilty raquo en anglais) drsquoinfraction (laquo criminal offence raquo en anglais) et de peine

(laquo penalty raquo en anglais) qui seraient preacutesents aussi dans lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 De plus les garanties offertes par lrsquoarticle 7 de la

Convention comme celles de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 seraient des

eacuteleacutements essentiels de la proceacutedure peacutenale entendue strictement comme

lrsquoattesterait le fait que lrsquoarticle 15 de la Convention nrsquoy autorise aucune

deacuterogation alors qursquoil autoriserait une deacuterogation agrave lrsquoarticle 6 de la

Convention

91 Aussi et dans un souci de coheacuterence la Cour pour lrsquoapplication de

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 devrait-elle se reacutefeacuterer aux seuls critegraveres qursquoelle

a pu deacutevelopper dans le cadre de lrsquoarticle 7 de la Convention tout en les

preacutecisant afin de donner au terme laquo peacutenalement raquo aux fins de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 le sens strict qui devrait ecirctre le sien Pour deacuteterminer si une

mesure relegraveve du champ de cette disposition elle devrait se reacutefeacuterer agrave la

qualification juridique de lrsquoinfraction litigieuse en droit interne agrave la nature

et au but de la mesure en cause agrave la question de savoir si la mesure a eacuteteacute

imposeacutee agrave la suite drsquoune condamnation pour une infraction peacutenale agrave la

graviteacute de la sanction ndash cet eacuteleacutement nrsquoeacutetant pas deacuteterminant ndash et aux

proceacutedures associeacutees agrave lrsquoadoption de celle-ci et plus preacuteciseacutement agrave la

question de savoir si la mesure a eacuteteacute adopteacutee par un organe que lrsquoon peut

qualifier de juridiction et qui srsquoest prononceacute sur les eacuteleacutements drsquoune

infraction regardeacutee comme peacutenale au sens de lrsquoarticle 6 de la Convention

Le dernier de ces critegraveres revecirctirait une importance preacutepondeacuterante au regard

des termes mecircmes de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 et de lrsquoobjectif poursuivi

par cette disposition

92 Le gouvernement franccedilais conclut que au regard de ces critegraveres des

peacutenaliteacutes fiscales qui ne seraient pas qualifieacutees de peacutenales en droit interne

qui auraient une nature administrative et viseraient seulement agrave sanctionner

le non-respect par le contribuable de ses obligations fiscales qui ne seraient

pas imposeacutees agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale et qui ne seraient pas

prononceacutees par un organe juridictionnel ne pourraient ecirctre regardeacutees

comme relevant du champ de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

93 Le gouvernement suisse soutient que la seule exception admise ndash le

paragraphe 2 de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 ndash est la reacuteouverture du procegraves

laquo conformeacutement agrave la loi et agrave la proceacutedure peacutenale de lrsquoEacutetat concerneacute raquo Il

relegraveve que au moment de lrsquoadoption du Protocole en 1984 drsquoautres

exceptions telles qursquoadmises par la suite par la jurisprudence pertinente

nrsquoeacutetaient pas preacutevues ndash et nrsquoavaient pas besoin de lrsquoecirctre vu la conception

intrinsegravequement peacutenale de la garantie Le concept eacutetroit qui serait agrave lrsquoorigine

de la garantie trouverait une confirmation solide au paragraphe 3 de lrsquoarticle

4 du Protocole no 7 qui exclurait toute deacuterogation au titre de lrsquoarticle 15 de

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 31

la Convention agrave la protection offerte au paragraphe 1 Ainsi la garantie non

bis in idem serait mise sur un pied drsquoeacutegaliteacute avec le droit agrave la vie (article 2

article 3 du Protocole no 6 et article 2 du Protocole no 13) lrsquointerdiction de

la torture (article 3) lrsquointerdiction de lrsquoesclavage (article 4) et le principe

laquo pas de peine sans loi raquo (article 7) Ces eacuteleacutements militeraient en faveur

drsquoune interpreacutetation restrictive de la garantie Une telle approche

srsquoimposerait drsquoautant plus si la Grande Chambre devait maintenir la pratique

selon laquelle toute laquo accusation en matiegravere peacutenale raquo au sens autonome de

lrsquoarticle 6 sect 1 est susceptible de faire eacutegalement entrer en jeu lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 (paragraphe 100 ci-dessous)

b) Y a-t-il eu reacutepeacutetition des poursuites (bis)

94 Le gouvernement bulgare ne voit aucune raison de srsquoeacutecarter de

lrsquoapproche suivie dans les deacutecisions RT c Suisse et Nilsson c Suegravede

(preacuteciteacutees) dans le contexte des infractions routiegraveres et dans drsquoimportants

domaines se rattachant au fonctionnement de lrsquoEacutetat tels que la fiscaliteacute Une

proceacutedure fiscale aboutissant agrave lrsquoapplication drsquoune majoration drsquoimpocirct et

une proceacutedure peacutenale portant sur une fraude fiscale conduites

parallegravelement seraient eacutetroitement lieacutees sur les plans mateacuteriel et temporel

De plus la Cour reconnaicirctrait que les Eacutetats contractants jouissent drsquoune

marge drsquoappreacuteciation eacutetendue dans lrsquoeacutelaboration et la mise en œuvre de

leurs politiques en matiegravere fiscale et elle respecterait les choix du leacutegislateur

dans ces domaines sauf srsquoils se reacutevegravelent manifestement deacutepourvus de base

raisonnable Un systegraveme qui permettrait la conduite de proceacutedures parallegraveles

en matiegravere fiscale semblerait relever de la marge drsquoappreacuteciation de lrsquoEacutetat et

nrsquoapparaicirctrait pas contraire en soi agrave lrsquoun quelconque des principes eacutenonceacutes

dans la Convention y compris la garantie contre les doubles incriminations

95 Le gouvernement tchegraveque avance quatre arguments en faveur du

maintien de systegravemes mixtes de sanctions 1) chaque type de sanction

poursuit des buts diffeacuterents 2) alors que la proceacutedure peacutenale stricto sensu

doit respecter des garanties rigoureuses en matiegravere drsquoeacutequiteacute du procegraves dont

lrsquoapplication est souvent synonyme de lenteurs les sanctions

administratives doivent reacutepondre agrave des exigences de ceacuteleacuteriteacute et permettre

drsquoassurer lrsquoefficaciteacute et la peacuterenniteacute du systegraveme fiscal et du budget de

lrsquoEacutetat 3) la stricte application du principe non bis in idem agrave des proceacutedures

fiscales et peacutenales meneacutees en parallegravele pourrait faire eacutechouer la lutte contre

la criminaliteacute organiseacutee agrave grande eacutechelle si la premiegravere deacutecision en geacuteneacuteral

administrative devait empecirccher la tenue drsquoune enquecircte peacutenale de nature agrave

conduire agrave la deacutecouverte de reacuteseaux de fraude organiseacutee de blanchiment

drsquoargent et de deacutetournement de fonds ainsi que drsquoautres infractions graves

4) lrsquoordre dans lequel les autoriteacutes statuent dans tel ou tel cas Enfin il

signale qursquoil y a des cas ougrave plusieurs proceacutedures administratives sont

conduites en mecircme temps

32 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

96 Le gouvernement franccedilais estime que le raisonnement adopteacute dans

les deacutecisions R T c Suisse et Nilsson c Suegravede (preacuteciteacutees) peut ecirctre

transposeacute en matiegravere fiscale au regard des objectifs poursuivis par les Eacutetats

en ce domaine objectifs qui drsquoapregraves lui diffegraverent selon qursquoil srsquoagit de

poursuites peacutenales ou de lrsquoapplication de peacutenaliteacutes fiscales (i)) et degraves lors

qursquoil existe un lien suffisant entre les proceacutedures fiscale et peacutenale (ii))

i) Les poursuites peacutenales pour fraude fiscale devraient constituer une

reacuteponse adapteacutee et homogegravene agrave des comportements reacutepreacutehensibles Elles

auraient comme objectif principal de sanctionner les comportements les plus

graves Dans sa deacutecision Rosenquist c Suegravede (deacutec) no 6061900

14 septembre 2004 la Cour aurait releveacute que lrsquoobjectif poursuivi par

lrsquoinfraction criminelle de fraude fiscale eacutetait diffeacuterent de celui de

lrsquoimposition drsquoune peacutenaliteacute fiscale qui elle aurait pour but de renforcer les

fondations du systegraveme fiscal national

Les poursuites pour fraude fiscale auraient eacutegalement une finaliteacute

drsquoexemplariteacute en particulier lorsque de nouvelles typologies de fraudes sont

mises au jour afin de dissuader les fraudeurs potentiels drsquoy recourir Ne

plus poursuivre peacutenalement les fraudes les plus graves degraves lors qursquoune

peacutenaliteacute fiscale a eacuteteacute appliqueacutee priverait lrsquoEacutetat de lrsquoexemplariteacute et de la

publiciteacute rechercheacutees agrave travers les condamnations peacutenales prononceacutees dans

les plus grandes affaires de fraude fiscale

Dans lrsquohypothegravese ougrave une proceacutedure judiciaire drsquoenquecircte en matiegravere

fiscale preacuteceacutederait le controcircle fiscal meneacute par lrsquoadministration fiscale

lrsquoobligation drsquoabandonner la seconde proceacutedure degraves lors que la premiegravere est

devenue deacutefinitive conduirait le contribuable agrave laisser la proceacutedure peacutenale se

terminer rapidement en ne la contestant pas afin que cette derniegravere

srsquoachegraveve avant la proceacutedure fiscale et ainsi agrave eacutechapper aux sanctions

administratives geacuteneacuteralement beaucoup plus significatives en termes

peacutecuniaires

Dans une telle hypothegravese le contribuable mis en cause serait en position

drsquoarbitrer en faveur de la proceacutedure qui lui serait la plus favorable ce qui

porterait indeacuteniablement atteinte au caractegravere dissuasif de lrsquoaction meneacutee

par lrsquoEacutetat pour reacuteprimer les actes les plus reacutepreacutehensibles dans ce domaine Il

serait ainsi paradoxal que les contribuables ayant commis les fraudes les

plus graves et poursuivis peacutenalement pour cela soient sanctionneacutes moins

seacutevegraverement

En conclusion selon le gouvernement franccedilais la compleacutementariteacute entre

les proceacutedures peacutenales et les proceacutedures fiscales est essentielle pour la

reacutepression des fraudes les plus graves et il serait artificiel de consideacuterer

qursquoen raison de lrsquointervention de deux proceacutedures et de deux autoriteacutes ces

sanctions ne forment pas un tout coheacuterent destineacute agrave reacutepondre agrave ce type

drsquoinfraction En effet ces proceacutedures seraient eacutetroitement lieacutees et devraient

degraves lors pouvoir ecirctre cumuleacutees

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 33

ii) Dans les arrecircts rendus contre la Finlande le 20 mai 2014 le critegravere

principal retenu par la Cour pour ne pas accepter la reacutepeacutetition des

proceacutedures aurait eacuteteacute lrsquoindeacutependance totale des proceacutedures fiscale et peacutenale

lrsquoune par rapport agrave lrsquoautre Or ces deux types de proceacutedures devraient ecirctre

regardeacutes comme ayant un lien mateacuteriel et temporel degraves lors qursquoil existe un

eacutechange drsquoinformations entre les deux autoriteacutes et que les proceacutedures sont

conduites simultaneacutement Les eacuteleacutements factuels devraient deacutemontrer une

compleacutementariteacute entre ces proceacutedures

Agrave titre drsquoillustration le gouvernement franccedilais analyse de faccedilon deacutetailleacutee

comment dans le systegraveme national les proceacutedures peacutenale et fiscale sont

imbriqueacutees se chevauchent en droit et en pratique et sont conduites

simultaneacutement Le principe de proportionnaliteacute impliquerait que le montant

global des sanctions eacuteventuellement prononceacutees ne deacutepasse pas le montant

le plus eacuteleveacute encouru au titre de lrsquoune ou lrsquoautre des sanctions

Pour deacuteterminer si les proceacutedures peacutenales et fiscales peuvent passer pour

suffisamment lieacutees dans le temps seules devraient ecirctre consideacutereacutees les

phases de controcircle par lrsquoadministration fiscale et drsquoenquecircte judiciaire Ces

deux phases devraient ecirctre meneacutees simultaneacutement ou dans un deacutelai tregraves

rapprocheacute En revanche il nrsquoapparaicirctrait pas pertinent pour appreacutecier si le

lien temporel entre les proceacutedures est suffisamment eacutetroit de prendre en

compte la dureacutee de la proceacutedure judiciaire devant les tribunaux appeleacutes agrave

statuer sur lrsquoaction peacutenale et sur le bien-fondeacute des peacutenaliteacutes fiscales En

effet la dureacutee de reacuteponse des diffeacuterentes juridictions deacutependrait drsquoeacuteleacutements

exteacuterieurs et parfois propres au contribuable Ainsi ce dernier pourrait

choisir de ralentir deacutelibeacutereacutement la dureacutee de la proceacutedure devant lrsquoune des

juridictions par la multiplication de demandes ou la production drsquoeacutecritures

nombreuses qui devraient ecirctre soumises au contradictoire ou encore par

lrsquoexercice de recours

LrsquoEacutetat devrait disposer drsquoune marge drsquoappreacuteciation pour deacutefinir les

sanctions approprieacutees agrave certains comportements qui peuvent causer des

preacutejudices distincts Ainsi il devrait pouvoir faire face agrave une telle situation

tout en apportant une reacuteponse unique en confiant agrave plusieurs autoriteacutes ndash

judiciaires et administratives ndash le soin drsquoapporter une reacuteponse adapteacutee

97 Le gouvernement grec soutient que lrsquoexistence de proceacutedures

seacutepareacutees et conseacutecutives au cours desquelles des mesures drsquoordre peacutenal

identiques ou non sont imposeacutees agrave un requeacuterant est lrsquoeacuteleacutement deacuteterminant et

crucial pour qursquoil y ait laquo reacutepeacutetition raquo (laquo bis raquo) Pour lui le principe non bis

in idem nrsquoest pas meacuteconnu si diverses mesures drsquoordre laquo peacutenal raquo mecircme

distinctes les unes des autres venaient agrave ecirctre imposeacutees par diffeacuterentes

juridictions peacutenales et administratives degraves lors que les sanctions sont toutes

consideacutereacutees dans leur globaliteacute pour fixer le quantum de la peine (RT

c Suisse deacutecision preacuteciteacutee)

98 Cependant le gouvernement grec signale lrsquoarrecirct Kapetanios et

autres c Gregravece (nos 345312 4294112 et 902813 sect 72 30 avril 2015)

34 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

dans lequel la Cour a jugeacute que la regravegle non bis in idem ne serait pas

enfreinte en principe si les deux sanctions agrave savoir une privation de liberteacute

et une condamnation peacutecuniaire eacutetaient imposeacutees dans le cadre drsquoune seule

et mecircme proceacutedure judiciaire Selon lui nonobstant cet exemple il est

eacutevident que la Cour attache une grande importance agrave ce que lrsquoimposition de

sanctions peacutenales et administratives ait eacuteteacute lrsquoobjet drsquoun examen judiciaire

global

99 Le gouvernement grec ne se dissocie pas pour autant de lrsquoavis de la

Cour suprecircme norveacutegienne qui a dit en lrsquoespegravece que lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 permettait au moins dans une certaine mesure la conduite de

proceacutedures parallegraveles Crsquoest ce que confirmerait sans ambiguiumlteacute lrsquoarrecirct rendu

par la CJUE dans lrsquoaffaire Fransson (paragraphe 34 de cet arrecirct reproduit

au paragraphe 52 ci-dessus)

La CJUE aurait preacuteciseacute que crsquoest agrave la juridiction de renvoi qursquoil

appartient drsquoappreacutecier agrave la lumiegravere des critegraveres eacutenonceacutes srsquoil y a lieu de

proceacuteder agrave un examen du cumul de sanctions fiscales et peacutenales preacutevu par la

leacutegislation nationale par rapport aux standards nationaux crsquoest-agrave-dire ceux

applicables aux violations du droit national de nature et drsquoimportance

similaires degraves lors que le choix des sanctions relegraveve de la marge

drsquoappreacuteciation de lrsquoEacutetat membre elle aurait ainsi estimeacute que crsquoeacutetait au juge

national de dire si le cumul des sanctions eacutetait contraire agrave ces standards

pourvu que les sanctions restantes fussent effectives proportionneacutees et

dissuasives (paragraphe 37 de cet arrecirct reproduit au paragraphe 52

ci-dessus)

Le gouvernement grec juge pertinent en lrsquoespegravece cet arrecirct de la CJUE

Plus preacuteciseacutement on pourrait deacuteduire mutatis mutandis de lrsquointerpreacutetation

qui y est livreacutee que le juge national avait conclu agrave bon droit en vertu de sa

marge drsquoappreacuteciation comme constateacute par la CJUE que le cumul des

sanctions en cause imposeacutees agrave lrsquoissue de proceacutedures dites laquo parallegraveles raquo

dans le cadre drsquoune collaboration eacutetroite entre deux autoriteacutes distinctes

nrsquoavait pas enfreint les standards nationaux alors mecircme qursquoil avait estimeacute

pour lrsquoessentiel que les sanctions fiscales eacutetaient laquo de nature peacutenale raquo Au vu

des arguments exposeacutes au paragraphe 97 ci-dessus on pourrait

raisonnablement conclure que des proceacutedures parallegraveles qui conduiraient agrave

lrsquoimposition de sanctions diffeacuterentes par des autoriteacutes diffeacuterentes nettement

distinctes en droit ne seraient pas interdites par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

degraves lors que ces proceacutedures satisferaient au critegravere du lien temporel et

mateacuteriel eacutetroit Ce critegravere permettrait de reacutepondre agrave la question

fondamentale de lrsquoexistence ou non drsquoune reacutepeacutetition

100 Srsquoappuyant sur le paragraphe 83 de lrsquoarrecirct preacuteciteacute Sergueiuml

Zolotoukhine le gouvernement suisse soutient que la garantie eacutenonceacutee agrave

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 entre en jeu agrave lrsquoouverture de nouvelles

poursuites lorsque la deacutecision anteacuterieure drsquoacquittement ou de

condamnation est deacutejagrave passeacutee en force de chose jugeacutee Le fait qursquoune

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 35

proceacutedure peacutenale nrsquoeacutetait pas encore acheveacutee agrave lrsquoouverture drsquoune proceacutedure

administrative ne serait donc en soi pas probleacutematique agrave lrsquoeacutegard du

principe non bis in idem (il mentionne mutatis mutandis Kapetanios et

autres preacuteciteacute sect 72) Par conseacutequent des proceacutedures parallegraveles seraient

admissibles au titre de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 La preacutesente affaire

donnerait agrave la Grande Chambre lrsquooccasion de confirmer cette jurisprudence

La justification drsquoun systegraveme mixte reacutesiderait principalement dans le fait

que le droit administratif et le droit peacutenal sont de nature diffeacuterente et visent

des buts distincts fonction preacuteventive et eacuteducative pour le premier et

fonction reacutepressive pour le second

Le gouvernement suisse estime que si agrave la lumiegravere des critegraveres Engel la

notion drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo a eacuteteacute eacutelargie au-delagrave des

cateacutegories traditionnelles du droit peacutenal (malum in se) agrave drsquoautres domaines

(malum quia prohibitum) les accusations en matiegravere peacutenale nrsquoont pas toutes

le mecircme poids Srsquoagissant par exemple des majorations drsquoimpocirct ndash qui ne

feraient pas partie du noyau dur du droit peacutenal ndash les garanties offertes par le

volet peacutenal de lrsquoarticle 6 ne devraient pas neacutecessairement srsquoappliquer dans

toute leur rigueur (il mentionne lrsquoarrecirct Jussila preacuteciteacute sect 43) Il ne faudrait

pas lrsquooublier lorsqursquoil srsquoagit de deacuteterminer le champ drsquoapplication de

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

La preacutevisibiliteacute du cumul de sanctions administratives et de sanctions

peacutenales constituerait un autre facteur agrave prendre en compte dans

lrsquoappreacuteciation du systegraveme mixte en cause (il eacutevoque lrsquoarrecirct Maszni

c Roumanie no 5989200 sect 68 21 septembre 2006)

Selon le gouvernement suisse la jurisprudence Sergueiuml Zolotoukhine ne

doit pas ecirctre interpreacuteteacutee ou deacuteveloppeacutee de maniegravere agrave couvrir lrsquoensemble des

systegravemes preacutevoyant de sanctionner par les voies administrative et peacutenale les

infractions peacutenales indeacutependamment du fait que des autoriteacutes distinctes

disposant de compeacutetences distinctes et poursuivant des buts distincts

rendent des deacutecisions sur le mecircme ensemble de faits Cette conclusion

srsquoimposerait en tout cas dans les affaires preacutesentant un lien mateacuteriel et

temporel suffisamment eacutetroit entre les proceacutedures peacutenale et administrative

tel que requis par la Cour (il srsquoappuie sur les affaires suivantes ougrave la Cour a

conclu que cette condition avait eacuteteacute satisfaite Boman c Finlande

no 4160411 sect 41 17 feacutevrier 2015 avec une reacutefeacuterence aux deacutecisions

preacuteciteacutees RT c Suisse et Nilsson c Suegravede et agrave lrsquoarrecirct preacuteciteacute Maszni) Le

gouvernement suisse invite la Grande Chambre agrave saisir lrsquooccasion de la

preacutesente affaire pour confirmer cette approche qui nrsquoest pas selon lui

proscrite en elle-mecircme en lrsquoeacutetat de la jurisprudence

4 Appreacuteciation de la Cour

101 La Cour passera tout drsquoabord en revue sa jurisprudence pertinente

pour lrsquointerpreacutetation et lrsquoapplication du principe non bis in idem eacutenonceacute agrave

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 (parties a) agrave c) ci-dessous) Elle srsquoattachera agrave en

36 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

tirer les conclusions et critegraveres utiles et agrave apporter les eacuteclaircissements

neacutecessaires agrave lrsquoanalyse de la preacutesente affaire (partie d) ci-dessous) Enfin

elle appliquera ce principe dans lrsquointerpreacutetation qursquoelle aura deacutegageacutee aux

faits deacutenonceacutes par les requeacuterants (partie e) ci-dessous)

a) Questions geacuteneacuterales drsquointerpreacutetation

102 La Cour constate que dans les observations des parties et des tiers

intervenants il nrsquoy a guegravere de deacutesaccord quant agrave la principale contribution

qursquoapporte lrsquoarrecirct de Grande Chambre Sergueiuml Zolotoukhine agrave savoir la

clarification des critegraveres agrave lrsquoaune desquels il faut eacutevaluer si lrsquoinfraction pour

laquelle un requeacuterant a eacuteteacute jugeacute ou puni au cours de la seconde proceacutedure

eacutetait la mecircme (idem) que celle pour laquelle une deacutecision avait eacuteteacute rendue au

cours de la premiegravere proceacutedure (voir les paragraphes 70 agrave 84 de cet arrecirct) Il

nrsquoy a pas non plus de deacutesaccord majeur quant aux critegraveres permettant de

deacuteterminer quand une deacutecision laquo deacutefinitive raquo a eacuteteacute rendue qui sont eacutenonceacutes

dans cet arrecirct

103 En revanche les avis divergent quant agrave la meacutethode agrave employer afin

de deacuteterminer si la proceacutedure se rapportant agrave lrsquoapplication de majorations

drsquoimpocirct eacutetait laquo peacutenale raquo aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 sachant que

cette question est susceptible drsquoavoir une incidence sur lrsquoapplicabiliteacute de

lrsquointerdiction poseacutee par cette disposition de la double incrimination

104 En outre il y a des divergences drsquoapproche (notamment entre

drsquoune part les requeacuterants et drsquoautre part le gouvernement deacutefendeur et les

gouvernements intervenants) sur la question de la reacutepeacutetition des poursuites

en particulier sur la mesure dans laquelle les proceacutedures parallegraveles ou mixtes

sont permises au titre de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

b) Critegraveres pertinents pour deacuteterminer si la premiegravere proceacutedure est

laquo peacutenale raquo divergences drsquoapproche dans la jurisprudence

105 Dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine (preacuteciteacute) la Cour a appliqueacute afin

de deacuteterminer si les proceacutedures en question pouvaient ecirctre regardeacutees comme

laquo peacutenales raquo sur le terrain de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 les trois critegraveres

Engel preacuteceacutedemment eacutelaboreacutes pour les besoins de lrsquoarticle 6 de la

Convention agrave savoir 1) laquo la qualification juridique de lrsquoinfraction en droit

interne raquo 2) laquo la nature mecircme de lrsquoinfraction raquo et 3) le degreacute de seacuteveacuteriteacute de

la sanction dont lrsquointeacuteresseacute est passible les deuxiegraveme et troisiegraveme critegraveres

eacutetant alternatifs et pas neacutecessairement cumulatifs mais sans exclure une

approche cumulative Lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine nrsquoa donc pas repris ndash

alors qursquoil aurait pu le faire ndash le raisonnement suivi dans une seacuterie drsquoaffaires

anteacuterieures (voir par exemple la deacutecision preacuteciteacutee Storbraringten) ougrave avait eacuteteacute

retenue une liste plus large et non exhaustive de facteurs sans que la Cour

ait preacuteciseacute quel eacutetait leur poids respectif ni srsquoil fallait les appliquer

alternativement ou cumulativement Les gouvernements franccedilais et

norveacutegien invitent agrave preacutesent la Cour agrave saisir cette occasion pour dire si ce

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 37

sont ces derniers critegraveres plus nombreux qui srsquoappliquent (paragraphes 66 agrave

68 et 90-91 ci-dessus)

106 Il existe un certain nombre drsquoarguments en faveur drsquoune telle

interpreacutetation en particulier le fait que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 a

apparemment eacuteteacute conccedilu par ses auteurs pour viser les proceacutedures peacutenales au

sens strict et la circonstance que ndash agrave lrsquoinverse de lrsquoarticle 6 mais agrave lrsquoinstar de

lrsquoarticle 7 ndash il nrsquoest pas susceptible de deacuterogation au titre de lrsquoarticle 15 Si

lrsquoarticle 6 se contente drsquoeacutenoncer des garanties drsquoeacutequiteacute proceacutedurales

notamment en matiegravere peacutenale lrsquointerdiction de la double incrimination

poseacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 a certaines conseacutequences ndash qui peuvent

ecirctre importantes ndash sur les modaliteacutes drsquoapplication des regravegles de droit

national reacutegissant les sanctions peacutenales et administratives dans de nombreux

domaines Cette derniegravere disposition implique une analyse plus pousseacutee du

droit peacutenal mateacuteriel puisqursquoil srsquoagit drsquoeacutetablir si les infractions respectives

visent le mecircme comportement (idem) Ces diffeacuterences ainsi que lrsquoabsence

de convergence entre les systegravemes nationaux des Eacutetats contractants le degreacute

variable de volonteacute de la part desdits Eacutetats drsquoecirctre tenus par le Protocole no 7

et la marge drsquoappreacuteciation eacutetendue dont ils jouissent geacuteneacuteralement dans le

choix de leurs systegravemes et politiques en matiegravere peacutenale (Nykaumlnen preacuteciteacute

sect 48 et mutatis mutandis Achour c France [GC] no 6733501 sect 44

CEDH 2006-IV) sont tout agrave fait propres agrave justifier un groupe plus vaste de

critegraveres drsquoapplicabiliteacute davantage axeacutes sur le droit national sur le modegravele

de ceux retenus pour les besoins de lrsquoarticle 7 et auparavant de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 (crsquoest-agrave-dire avant lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine) et donc un

champ drsquoapplication plus eacutetroit que sous lrsquoempire de lrsquoarticle 6

107 Cependant si ainsi qursquoil a eacuteteacute souligneacute lrsquoarrecirct Sergueiuml

Zolotoukhine nrsquoest pas explicite sur ce point il faut supposer que la Cour a

deacutelibeacutereacutement choisi dans cet arrecirct de retenir les critegraveres Engel comme le

modegravele agrave suivre pour deacuteterminer si la proceacutedure en cause est laquo peacutenale raquo pour

les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Aux yeux de la Cour il ne paraicirct

pas justifieacute qursquoelle srsquoeacutecarte de cette analyse en lrsquoespegravece car des

consideacuterations de poids militent vraiment en faveur drsquoun tel choix Le

principe non bis in idem vise principalement lrsquoeacutequiteacute proceacutedurale qui est

lrsquoobjet de lrsquoarticle 6 et srsquointeacuteresse moins au droit peacutenal mateacuteriel que

lrsquoarticle 7 La Cour estime preacutefeacuterable dans un souci de coheacuterence de

lrsquointerpreacutetation de la Convention consideacutereacutee globalement que lrsquoapplicabiliteacute

de ce principe soit reacutegie par les critegraveres plus preacutecis deacutefinis dans lrsquoarrecirct

Engel Cela eacutetant dit ainsi qursquoil a deacutejagrave eacuteteacute admis ci-dessus degraves lors que le

principe non bis in idem est jugeacute applicable une approche moduleacutee

srsquoimpose agrave lrsquoeacutevidence pour eacutevaluer la maniegravere dont il est mis en œuvre

srsquoagissant de proceacutedures mecirclant sanctions administratives et sanctions

peacutenales

38 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

c) Jurisprudence de la Convention en matiegravere de proceacutedures mixtes

i Lrsquoapport de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine

108 Lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine concernait deux proceacutedures qui

avaient chacune pour objet des actes perturbateurs agrave lrsquoencontre drsquoun agent

public et dans le cadre desquelles lrsquoissue de la proceacutedure administrative eacutetait

devenue deacutefinitive avant mecircme le deacutebut de la proceacutedure peacutenale (Sergueiuml

Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 18 agrave 20 et 109) Lrsquoapport le plus notable de lrsquoarrecirct

Sergueiuml Zolotoukhine est drsquoavoir dit que le point de savoir si les infractions

en question eacutetaient les mecircmes (idem) deacutependait drsquoune analyse axeacutee sur les

faits (ibidem sect 84) plutocirct que par exemple drsquoun examen formel consistant agrave

comparer les laquo eacuteleacutements essentiels raquo des infractions Lrsquointerdiction vise

lrsquoinculpation ou le jugement pour une seconde laquo infraction raquo pour autant que

celle-ci a pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance

les mecircmes (ibidem sect 82)

109 De plus en rappelant que le but de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 eacutetait

drsquointerdire la reacutepeacutetition de proceacutedures peacutenales trancheacutees par une deacutecision

laquo deacutefinitive raquo crsquoest-agrave-dire laquo passeacutee en force de chose jugeacutee raquo lrsquoarrecirct Sergueiuml

Zolotoukhine a preacuteciseacute que les deacutecisions susceptibles drsquoun recours ordinaire

ne beacuteneacuteficiaient pas de la garantie que renfermait cette disposition tant que

le deacutelai de recours nrsquoeacutetait pas expireacute

110 En outre la Cour a dit sans ambiguiumlteacute que lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 visait non pas seulement le cas drsquoune double condamnation

mais aussi celui des doubles poursuites et que dans le cas contraire il

nrsquoaurait pas eacuteteacute neacutecessaire de mettre le terme laquo poursuivi raquo avant le terme

laquo puni raquo car il ne pourrait qursquoen constituer un doublon La Cour a ajouteacute

que cette disposition srsquoappliquait mecircme si lrsquoindividu concerneacute nrsquoavait fait

lrsquoobjet que de simples poursuites nrsquoayant pas abouti agrave une condamnation

Elle a souligneacute que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 renfermait trois garanties

distinctes et disposait que nul i ne pouvait ecirctre poursuivi ii jugeacute ou

iii puni deux fois pour les mecircmes faits (ibidem sect 110)

111 Il faut toutefois souligner que lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine ne

donne guegravere drsquoindications lorsque les proceacutedures en reacutealiteacute ne se reacutepegravetent

pas mais sont plutocirct combineacutees et inteacutegreacutees de maniegravere agrave former un tout

coheacuterent

ii La jurisprudence sur les proceacutedures mixtes anteacuterieurement et

posteacuterieurement agrave lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine

112 Depuis lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine et comme crsquoeacutetait deacutejagrave le cas

auparavant il est admis par la Cour que lrsquoimposition par des autoriteacutes

diffeacuterentes de sanctions diffeacuterentes pour le mecircme comportement est permise

dans une certaine mesure au titre de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 nonobstant

lrsquoexistence drsquoune deacutecision deacutefinitive Cette conclusion peut se comprendre

comme eacutetant fondeacutee sur lrsquoideacutee que le cumul de sanctions dans les affaires de

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 39

ce genre doit srsquoanalyser comme un tout en conseacutequence de quoi il serait

artificiel drsquoy voir une reacutepeacutetition de proceacutedures impliquant que lrsquointeacuteresseacute a

eacuteteacute laquo poursuivi ou puni peacutenalement () en raison drsquoune infraction pour

laquelle il a[vait] deacutejagrave eacuteteacute () condamneacute par un jugement deacutefinitif raquo au

meacutepris de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 La question srsquoest poseacutee dans quatre

types de situations

113 Agrave lrsquoorigine de cette analyse interpreacutetative de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 se trouve une premiegravere cateacutegorie drsquoaffaires qui remonte agrave la

deacutecision RT c Suisse (deacutecision preacuteciteacutee) Dans cette affaire lrsquoOffice

feacutedeacuteral suisse des routes avait retireacute son permis de conduire au requeacuterant en

mai 1993 pour une dureacutee de quatre mois pour conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute

Cette mesure avait finalement eacuteteacute confirmeacutee par la Commission des recours

administratifs puis par le Tribunal feacutedeacuteral (en deacutecembre 1995)

Parallegravelement en juin 1993 les autoriteacutes cantonales de Gossau avaient

deacutelivreacute agrave lrsquoencontre du requeacuterant une ordonnance peacutenale qui le condamnait agrave

une peine drsquoemprisonnement avec sursis et agrave une amende de 1 100 francs

suisses Nrsquoayant pas fait lrsquoobjet de recours cette ordonnance passa en force

de chose jugeacutee

La Cour a conclu que les autoriteacutes suisses nrsquoavaient fait que retenir les

trois types de sanctions cumulables preacutevues par la loi pour une telle

infraction agrave savoir une peine drsquoemprisonnement une amende et le retrait du

permis de conduire Elle a constateacute que ces sanctions avaient eacuteteacute prononceacutees

parallegravelement par deux autoriteacutes diffeacuterentes lrsquoune administrative et lrsquoautre

peacutenale Selon elle on ne pouvait donc pas y voir eu eacutegard agrave sa

jurisprudence une reacutepeacutetition de poursuites peacutenales contraire agrave lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7

De la mecircme maniegravere si la deacutecision Nilsson (preacuteciteacutee) concernait elle

aussi une sanction peacutenale (50 heures de travail drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral) et le retrait

du permis de conduire (pour une dureacutee de dix-huit mois) agrave raison drsquoune

infraction routiegravere le grief a eacuteteacute rejeteacute sur la base drsquoun raisonnement plus

eacutelaboreacute qui a introduit pour la premiegravere fois le critegravere du laquo lien mateacuteriel et

temporel suffisamment eacutetroit raquo

La Cour a jugeacute que le retrait du permis de conduire eacutetait une conseacutequence

directe et preacutevisible de la condamnation anteacuterieure du requeacuterant pour les

mecircmes deacutelits de conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute avanceacute et de conduite sans permis

et que faisant suite agrave une condamnation peacutenale il relevait de la matiegravere

laquo peacutenale raquo pour les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Elle a ajouteacute

que indeacutependamment de la condamnation peacutenale anteacuterieure un retrait de

permis drsquoune dureacutee de dix-huit mois constituait en soi par sa seacuteveacuteriteacute une

mesure pouvant ordinairement passer pour une sanction peacutenale Elle a

conclu que quand bien mecircme les diffeacuterentes sanctions avaient eacuteteacute

prononceacutees par deux autoriteacutes diffeacuterentes agrave lrsquoissue de proceacutedures diffeacuterentes

il existait entre ces sanctions un lien mateacuteriel et temporel suffisamment

eacutetroit pour que lrsquoon pucirct consideacuterer le retrait de permis comme lrsquoune des

40 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

mesures preacutevues par le droit sueacutedois pour la reacutepression des deacutelits de

conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute avanceacute et de conduite sans permis On ne pouvait

donc pas selon elle deacuteduire du retrait litigieux que le requeacuterant avait eacuteteacute

laquo poursuivi ou puni peacutenalement () en raison drsquoune infraction pour laquelle

il a[vait] deacutejagrave eacuteteacute () condamneacute par un jugement deacutefinitif raquo au meacutepris de

lrsquoarticle 4 sect 1 du Protocole no 7

De mecircme dans lrsquoarrecirct Boman (preacuteciteacute) la Cour a jugeacute qursquoil existait un

lien mateacuteriel et temporel suffisant entre drsquoune part la proceacutedure peacutenale agrave

lrsquoissue de laquelle le requeacuterant avait eacuteteacute reconnu coupable et condamneacute agrave

75 jours-amende (soit 450 EUR) ainsi qursquoagrave une interdiction de conduire

(drsquoune dureacutee de quatre mois et trois semaines) et drsquoautre part la proceacutedure

administrative ulteacuterieure qui srsquoeacutetait soldeacutee par la prolongation de

lrsquointerdiction de conduire (drsquoune dureacutee drsquoun mois)

114 Dans une deuxiegraveme seacuterie drsquoaffaires la Cour a confirmeacute que les

proceacutedures parallegraveles ne sont pas exclues dans les affaires combinant

majorations drsquoimpocirct dans une proceacutedure administrative et poursuites

condamnations et sanctions pour fraude fiscale dans une proceacutedure peacutenale

tout en concluant qursquoil nrsquoavait pas eacuteteacute satisfait au critegravere du laquo lien mateacuteriel et

temporel suffisamment eacutetroit raquo au vu des circonstances particuliegraveres propres

agrave chaque cas Il srsquoagit drsquoaffaires concernant la Finlande (notamment Glantz

preacuteciteacute sect 57 et Nykaumlnen preacuteciteacute sect 47) et la Suegravede (Lucky Dev c Suegravede

no 735610 sect 58 27 novembre 2014) Dans lrsquoarrecirct Nykaumlnen ougrave est exposeacutee

lrsquoapproche suivie dans les autres affaires dirigeacutees contre la Finlande et la

Suegravede la Cour a conclu au vu du dossier que dans le systegraveme finlandais les

sanctions peacutenales et administratives avaient eacuteteacute infligeacutees par des autoriteacutes

diffeacuterentes sans que les proceacutedures aient le moindre lien entre elles elles

avaient chacune suivi leur propre cheminement et avaient pris fin

indeacutependamment lrsquoune de lrsquoautre De plus chaque juridiction ou autoriteacute

avait fixeacute le quantum de la peine sans tenir compte de la sanction prononceacutee

par lrsquoautre et elles nrsquoavaient eu aucun eacutechange entre elles Surtout dans le

systegraveme finlandais les majorations drsquoimpocirct eacutetaient appliqueacutees agrave lrsquoissue drsquoun

examen du comportement du contrevenant et de lrsquoapplicabiliteacute agrave son eacutegard

de la leacutegislation fiscale pertinente indeacutependamment de lrsquoappreacuteciation au

peacutenal La Cour a donc conclu agrave la violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

au motif que le requeacuterant avait eacuteteacute condamneacute deux fois pour les mecircmes faits

dans le cadre de deux proceacutedures distinctes

On peut trouver un raisonnement et des conclusions identiques (ou

quasiment identiques) agrave propos de faits analogues dans les arrecircts Rinas

c Finlande (no 1703913 27 janvier 2015) et Oumlsterlund c Finlande

(no 5319713 10 feacutevrier 2015)

Il faut noter que si dans certaines de ces affaires (Nykaumlnen Glantz

Lucky Dev Rinas Oumlsterlund) les deux proceacutedures avaient eacuteteacute conduites

dans une large mesure simultaneacutement le lien temporel a eacuteteacute manifestement

jugeacute insuffisant agrave lui seul pour exclure lrsquoapplication de la regravegle non bis in

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 41

idem Il ne semble pas deacuteraisonnable de deacuteduire de ces arrecircts concernant la

Finlande et la Suegravede que les deux proceacutedures ayant agrave chaque fois eacuteteacute

meneacutees dans une large mesure simultaneacutement crsquoest lrsquoabsence de lien

mateacuteriel qui au vu des circonstances propres agrave chaque affaire a provoqueacute la

violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

115 Dans une troisiegraveme seacuterie drsquoaffaires ougrave les proceacutedures avaient eacuteteacute

conduites en parallegravele pendant un certain temps la Cour a conclu agrave la

violation mais sans se reacutefeacuterer au critegravere tireacute de la deacutecision Nilsson du laquo lien

mateacuteriel et temporel suffisamment eacutetroit raquo

Dans lrsquoaffaire preacuteciteacutee Tomasović (sectsect 5-10 et 30-32) le requeacuterant avait

eacuteteacute poursuivi et condamneacute deux fois pour la mecircme infraction de possession

de stupeacutefiants drsquoabord en tant qursquolaquo infraction mineure raquo (jugeacutee laquo peacutenale raquo

au vu des deuxiegraveme et troisiegraveme critegraveres Engel ndash ibidem sectsect 22-25) puis en

tant qursquolaquo infraction peacutenale raquo Faute pour la seconde proceacutedure drsquoavoir eacuteteacute

abandonneacutee agrave la conclusion de la premiegravere la Cour a estimeacute eacutevident qursquoil y

avait eu une reacutepeacutetition de proceacutedures peacutenales contraire agrave lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 (voir de la mecircme maniegravere Muslija preacuteciteacute sectsect 28-32 et 37

srsquoagissant de coups et blessures aggraveacutes)

De mecircme dans lrsquoaffaire Grande Stevens et autres c Italie (nos 1864010

1864710 1866310 1866810 et 1869810 4 mars 2014) la Cour a

constateacute qursquoil y avait eu une double proceacutedure relative au mecircme

comportement frauduleux en lrsquooccurrence une manipulation du marcheacute par

la diffusion de fausses informations drsquoune part une proceacutedure

administrative (du 9 feacutevrier 2007 au 23 juin 2009) qualifieacutee de laquo peacutenale raquo agrave

lrsquoaune des critegraveres Engel conduite devant la Commission nationale des

socieacuteteacutes et de la bourse (Commissione Nazionale per le Societa e la Borsa)

puis devant la cour drsquoappel et la Cour de cassation conclue par lrsquoimposition

drsquoune amende de 3 000 000 EUR assortie drsquoune interdiction drsquoexercer

certaines activiteacutes professionnelles et drsquoautre part une proceacutedure peacutenale (du

7 novembre 2008 au 28 feacutevrier 2013 et au-delagrave toujours en cours agrave la date

de lrsquoarrecirct) conduite devant le tribunal de premiegravere instance la Cour de

cassation et la cour drsquoappel Son constat que la nouvelle instance concernait

une seconde laquo infraction raquo neacutee de faits identiques agrave ceux qui avaient donneacute

lieu agrave la premiegravere condamnation devenue deacutefinitive lui a suffi agrave conclure agrave

la violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

116 Quatriegravemement lrsquoarrecirct Kapetanios et autres (preacuteciteacute) confirmeacute par

lrsquoarrecirct Sismanidis et Sitaridis c Gregravece nos 6660209 et 7187912 9 juin

2016 constitue un autre exemple distinct drsquoabsence de lien mateacuteriel ne

faisant pas explicitement reacutefeacuterence agrave ce critegravere tireacute de la deacutecision Nilsson

(preacuteciteacutee) Dans ces affaires les requeacuterants furent tout drsquoabord acquitteacutes

drsquoinfractions douaniegraveres agrave lrsquoissue de proceacutedures peacutenales Par la suite malgreacute

les acquittements les juridictions administratives leur infligegraverent de lourdes

amendes administratives pour le mecircme comportement Convaincue que ces

derniegraveres proceacutedures eacutetaient laquo peacutenales raquo pour les besoins de lrsquoarticle 4 du

42 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

Protocole no 7 la Cour a conclu agrave la violation de cette disposition (voir les

paragraphes 73 et 47 de ces arrecircts respectivement)

d) Conclusions agrave tirer de la jurisprudence

117 Si les Eacutetats contractants ont le devoir particulier de proteacuteger les

inteacuterecircts speacutecifiques du justiciable que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 entend

sauvegarder il est aussi neacutecessaire ainsi que cela a deacutejagrave eacuteteacute indiqueacute au

paragraphe 106 ci-dessus de laisser aux autoriteacutes nationales le choix des

moyens agrave utiliser pour y parvenir Il ne faut pas oublier agrave cet eacutegard que le

droit de ne pas ecirctre jugeacute ou puni deux fois nrsquoeacutetait pas inscrit dans la

Convention adopteacutee en 1950 mais qursquoil a eacuteteacute ajouteacute dans un septiegraveme

protocole adopteacute en 1984 et entreacute en vigueur en 1988 soit pregraves de

40 anneacutees plus tard Quatre Eacutetats (lrsquoAllemagne les Pays-Bas le Royaume-

Uni et la Turquie) nrsquoont pas ratifieacute le Protocole no 7 et lrsquoun drsquoentre eux

(lrsquoAllemagne) ainsi que quatre Eacutetats qui lrsquoont ratifieacute (lrsquoAutriche la France

lrsquoItalie et le Portugal) ont eacutemis des reacuteserves ou des deacuteclarations

interpreacutetatives preacutecisant que le mot laquo peacutenalement raquo devait leur ecirctre appliqueacute

selon le sens donneacute agrave cette notion dans leurs lois nationales respectives

(Signalons que les reacuteserves formuleacutees par lrsquoAutriche et lrsquoItalie ont eacuteteacute jugeacutees

non valables parce qursquoelles nrsquoeacutetaient pas accompagneacutees drsquoun bref exposeacute de

la loi en cause comme le veut lrsquoarticle 57 sect 2 (voir respectivement

Gradinger c Autriche 23 octobre 1995 sect 51 seacuterie A no 328-C et Grande

Stevens preacuteciteacute sectsect 204-211) contrairement agrave la reacuteserve eacutemise par la France

(Goumlktan c France no 3340296 sect 51 CEDH 2002-V))

118 La Cour souligne eacutegalement lrsquoobservation formuleacutee par lrsquoavocat

geacuteneacuteral pregraves la CJUE dans lrsquoaffaire Fransson (paragraphe 51 ci-dessus)

selon laquelle lrsquoimposition de sanctions sur la base tant du droit

administratif que du droit peacutenal pour la mecircme infraction est une pratique

tregraves reacutepandue dans les Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne surtout dans

des domaines tels que la fiscaliteacute les politiques environnementales ou la

seacutecuriteacute publique Lrsquoavocat geacuteneacuteral a ajouteacute que les modaliteacutes relatives au

cumul des sanctions variaient eacutenormeacutement selon les ordres juridiques et

revecirctaient des caracteacuteristiques speacutecifiques propres agrave chaque Eacutetat membre et

que dans la plupart des cas ces speacutecificiteacutes visaient agrave atteacutenuer les effets

drsquoune double reacuteaction punitive de la part des pouvoirs publics

119 Par ailleurs pas moins de six Eacutetats parties au Protocole no 7 sont

intervenus en la preacutesente instance exprimant surtout des opinions et des

preacuteoccupations sur des points drsquointerpreacutetation que partage aussi dans une

large mesure le gouvernement deacutefendeur

120 Dans ces conditions il faut souligner agrave titre liminaire que comme

la Cour le reconnaicirct dans une jurisprudence constante crsquoest aux Eacutetats

contractants qursquoil revient au premier chef de deacutecider de lrsquoorganisation de

leur systegraveme juridique y compris de leurs proceacutedures peacutenales (voir par

exemple Taxquet c Belgique [GC] no 92605 sect 83 CEDH 2010) Par

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 43

exemple rien dans la Convention nrsquointerdit dans tel ou tel cas de seacuteparer en

diffeacuterentes phases ou parties le processus de fixation de la peine de sorte

que diffeacuterentes peines peuvent ecirctre prononceacutees successivement ou

parallegravelement pour une infraction qursquoil convient de qualifier de laquo peacutenale raquo

au sens autonome que revecirct ce mot sur le terrain de la Convention (voir par

exemple Phillips c Royaume-Uni no 4108798 sect 34 CEDH 2001-VII

affaire qui concernait des griefs tireacutes sur le terrain de lrsquoarticle 6 drsquoune

proceacutedure de confiscation des recettes issues drsquoinfractions agrave la leacutegislation

sur les stupeacutefiants dirigeacutee contre un individu et intervenant agrave la suite drsquoune

condamnation du mecircme individu pour ces mecircmes infractions)

121 Aux yeux de la Cour les Eacutetats devraient pouvoir leacutegitimement

opter pour des reacuteponses juridiques compleacutementaires face agrave certains

comportements dangereux pour la socieacuteteacute (par exemple le non-respect du

code de la route le non-paiement des impocircts ou lrsquoeacutevasion fiscale) au moyen

de diffeacuterentes proceacutedures formant un tout coheacuterent de maniegravere agrave traiter sous

ses diffeacuterents aspects le problegraveme social en question pourvu que ces

reacuteponses juridiques combineacutees ne repreacutesentent pas une charge excessive

pour la personne en cause

122 Dans les affaires ougrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 entre en jeu la

Cour a pour tacircche de deacuteterminer si la mesure nationale speacutecifique deacutenonceacutee

constitue dans sa substance ou dans ses effets une double incrimination

portant preacutejudice au justiciable ou si au contraire elle est le fruit drsquoun

systegraveme inteacutegreacute permettant de reacuteprimer un meacutefait sous ses diffeacuterents aspects

de maniegravere preacutevisible et proportionneacutee et formant un tout coheacuterent en sorte

de ne causer aucune injustice agrave lrsquointeacuteresseacute

123 Lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 ne saurait avoir pour effet drsquointerdire

aux Eacutetats contractants drsquoorganiser leur systegraveme juridique de maniegravere agrave

permettre la majoration agrave un taux standard drsquoimpocircts illeacutegalement impayeacutes ndash

quand bien mecircme une telle mesure serait qualifieacutee en elle-mecircme de

laquo peacutenale raquo pour les besoins des garanties drsquoeacutequiteacute du procegraves preacutevues dans la

Convention ndash aussi dans les cas plus graves ougrave il y aurait peut-ecirctre lieu de

poursuivre lrsquoauteur du meacutefait parce qursquoun eacuteleacutement non retenu dans la

proceacutedure laquo administrative raquo en recouvrement des impocircts par exemple un

comportement frauduleux srsquoajouterait au deacutefaut de paiement Lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 a pour objet drsquoempecirccher lrsquoinjustice que repreacutesenterait pour

une personne le fait drsquoecirctre poursuivie ou punie deux fois pour le mecircme

comportement deacutelictueux Il ne bannit toutefois pas les systegravemes juridiques

qui traitent de maniegravere laquo inteacutegreacutee raquo le meacutefait neacutefaste pour la socieacuteteacute en

question notamment en reacuteprimant celui-ci dans le cadre de phases parallegraveles

meneacutees par des autoriteacutes diffeacuterentes agrave des fins diffeacuterentes

124 La Cour estime que la jurisprudence preacuteciteacutee portant sur les

proceacutedures parallegraveles ou mixtes creacuteeacutee avec les deacutecisions RT c Suisse et

Nilsson c Suegravede puis reprise dans lrsquoarrecirct Nykaumlnen et une seacuterie drsquoautres

affaires donne des indications utiles qui aident agrave deacutefinir ougrave se trouve le juste

44 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

eacutequilibre entre la preacuteservation neacutecessaire des inteacuterecircts de lrsquoindividu proteacutegeacutes

par le principe non bis in idem drsquoune part et la prise en compte de lrsquointeacuterecirct

particulier pour la socieacuteteacute de pouvoir reacuteglementer de maniegravere calibreacutee le

domaine en question drsquoautre part Cela dit avant de se pencher plus avant

sur les critegraveres pertinents agrave lrsquoaune desquels lrsquoeacutequilibre voulu peut ecirctre

meacutenageacute la Cour juge souhaitable de preacuteciser les conclusions agrave tirer de la

jurisprudence existante

125 Premiegraverement il faut conclure de lrsquoapplication du critegravere du laquo lien

mateacuteriel et temporel suffisamment eacutetroit raquo dans les affaires finlandaises et

sueacutedoises reacutecentes qursquoil ne sera pas satisfait agrave ce critegravere si lrsquoun ou lrsquoautre des

deux eacuteleacutements ndash mateacuteriel ou temporel ndash fait deacutefaut (paragraphe 114

ci-dessus)

126 Deuxiegravemement dans certaines affaires la Cour a drsquoabord rechercheacute

si et dans lrsquoaffirmative agrave quel moment lrsquoune des proceacutedures avait fait

lrsquoobjet drsquoune deacutecision laquo deacutefinitive raquo (faisant potentiellement obstacle agrave la

poursuite de lrsquoautre proceacutedure) avant drsquoappliquer le critegravere du laquo lien

suffisamment eacutetroit raquo et de reacutepondre par la neacutegative agrave la question du respect

de la condition de laquo bis raquo crsquoest-agrave-dire de conclure agrave lrsquoabsence de reacutepeacutetition

(Boman preacuteciteacute sectsect 36 agrave 38) Pour la Cour cependant la question du

caractegravere laquo deacutefinitif raquo ou non drsquoune deacutecision ne se pose pas degraves lors qursquoil y a

non pas une reacutepeacutetition des poursuites agrave proprement parler mais plutocirct une

combinaison de proceacutedures dont on peut consideacuterer qursquoelles forment un tout

inteacutegreacute

127 Troisiegravemement le point preacuteceacutedent a aussi une incidence sur les

preacuteoccupations exprimeacutees par certains des gouvernements intervenants agrave

savoir qursquoil ne faudrait pas exiger que les proceacutedures connexes deviennent

laquo deacutefinitives raquo au mecircme moment faute de quoi la personne concerneacutee

pourrait utiliser le principe non bis in idem agrave des fins de manipulation et

drsquoimpuniteacute Sur ce point la conclusion figurant au paragraphe 51 de lrsquoarrecirct

Nykaumlnen (preacuteciteacute) et dans un certain nombre drsquoarrecircts posteacuterieurs agrave savoir

que laquo lrsquoune et lrsquoautre des proceacutedures suivent leur propre cheminement et

prennent fin indeacutependamment lrsquoune de lrsquoautre raquo doit ecirctre consideacutereacutee comme

un constat de fait dans le reacutegime finlandais examineacute il nrsquoexistait pas de

lien suffisant drsquoun point de vue mateacuteriel entre la proceacutedure administrative et

la proceacutedure peacutenale alors qursquoelles avaient eacuteteacute conduites de maniegravere plus ou

moins simultaneacutee Lrsquoarrecirct Nykaumlnen est un exemple de cas ougrave lrsquoapplication

du critegravere du laquo lien mateacuteriel et temporel suffisant raquo va dans une certaine

direction en fonction des faits

128 Quatriegravemement pour des raisons similaires agrave celles exposeacutees

ci-dessus lrsquoordre dans lequel les proceacutedures sont conduites ne saurait ecirctre

un eacuteleacutement deacutecisif pour se prononcer sur le point de savoir si lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 permet des proceacutedures mixtes ou multiples (comparer avec

les deacutecisions preacuteciteacutees RT c Suisse ougrave un permis de conduire avait eacuteteacute

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 45

retireacute avant lrsquoouverture du procegraves peacutenal et Nilsson c Suegravede ougrave le retrait

eacutetait intervenu apregraves)

129 Enfin il ressort de certaines des affaires susmentionneacutees (Sergueiuml

Zolotoukhine Tomasović et Muslija eacutevoqueacutees au paragraphes 108 et 115

ci-dessus) pour autant que celles-ci concernaient une reacutepeacutetition de

proceacutedures dans lesquelles les objectifs et moyens employeacutes nrsquoeacutetaient pas

compleacutementaires (paragraphe 130 ci-dessous) que la Cour nrsquoeacutetait pas

disposeacutee agrave les examiner comme si elles avaient concerneacute des proceacutedures

parallegraveles ou mixtes susceptibles drsquoecirctre compatibles avec le principe ne bis

in idem comme dans les affaires RT c Suisse Nilsson et Boman

(paragraphe 113 ci-dessus)

130 Il ressort agrave lrsquoeacutevidence de cette analyse de la jurisprudence de la

Cour que srsquoagissant de faits punissables aussi bien sur le terrain du droit

peacutenal que sur celui du droit administratif la maniegravere la plus sucircre de veiller

au respect de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 consiste agrave preacutevoir agrave un stade

opportun une proceacutedure agrave un seul niveau permettant la reacuteunion des

branches parallegraveles du reacutegime leacutegal reacutegissant lrsquoactiviteacute en cause de faccedilon agrave

satisfaire dans le cadre drsquoun seul et mecircme processus aux diffeacuterents

impeacuteratifs poursuivis par la socieacuteteacute dans sa reacuteaction face agrave lrsquoinfraction

Toutefois ainsi qursquoil a eacuteteacute expliqueacute ci-dessus (notamment aux paragraphes

111 et 117 agrave 120) lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 nrsquoexclut pas la conduite de

proceacutedures mixtes mecircme jusqursquoagrave leur terme pourvu que certaines

conditions soient remplies En particulier pour convaincre la Cour de

lrsquoabsence de reacutepeacutetition de procegraves ou de peines (bis) proscrite par lrsquoarticle 4

du Protocole no 7 lrsquoEacutetat deacutefendeur doit eacutetablir de maniegravere probante que les

proceacutedures mixtes en question eacutetaient unies par un laquo lien mateacuteriel et

temporel suffisamment eacutetroit raquo Autrement dit il doit ecirctre deacutemontreacute que

celles-ci se combinaient de maniegravere agrave ecirctre inteacutegreacutees dans un tout coheacuterent

Cela signifie non seulement que les buts poursuivis et les moyens utiliseacutes

pour y parvenir doivent ecirctre en substance compleacutementaires et preacutesenter un

lien temporel mais aussi que les eacuteventuelles conseacutequences deacutecoulant drsquoune

telle organisation du traitement juridique du comportement en question

doivent ecirctre proportionneacutees et preacutevisibles pour le justiciable

131 Srsquoagissant des conditions agrave satisfaire pour que des proceacutedures

mixtes administratives et peacutenales puissent ecirctre regardeacutees comme preacutesentant

un lien mateacuteriel et temporel suffisant et donc comme compatibles avec le

critegravere de laquo bis raquo deacutecoulant de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 la Cour reacutesume

de la maniegravere suivante les consideacuterations pertinentes tireacutees de sa

jurisprudence telle qursquoexamineacutee ci-dessus

132 Les eacuteleacutements pertinents pour statuer sur lrsquoexistence drsquoun lien

suffisamment eacutetroit du point de vue mateacuteriel sont notamment les suivants

ndash le point de savoir si les diffeacuterentes proceacutedures visent des buts

compleacutementaires et concernent ainsi non seulement in abstracto mais aussi

46 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

in concreto des aspects diffeacuterents de lrsquoacte preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute en

cause

ndash le point de savoir si la mixiteacute des proceacutedures en question est une

conseacutequence preacutevisible aussi bien en droit qursquoen pratique du mecircme

comportement reacuteprimeacute (idem)

ndash le point de savoir si les proceacutedures en question ont eacuteteacute conduites drsquoune

maniegravere qui eacutevite autant que possible toute reacutepeacutetition dans le recueil et dans

lrsquoappreacuteciation des eacuteleacutements de preuve notamment gracircce agrave une interaction

adeacutequate entre les diverses autoriteacutes compeacutetentes faisant apparaicirctre que

lrsquoeacutetablissement des faits effectueacute dans lrsquoune des proceacutedures a eacuteteacute repris dans

lrsquoautre

ndash et surtout le point de savoir si la sanction imposeacutee agrave lrsquoissue de la

proceacutedure arriveacutee agrave son terme en premier a eacuteteacute prise en compte dans la

proceacutedure qui a pris fin en dernier de maniegravere agrave ne pas faire porter pour

finir agrave lrsquointeacuteresseacute un fardeau excessif ce dernier risque eacutetant moins

susceptible de se preacutesenter srsquoil existe un meacutecanisme compensatoire conccedilu

pour assurer que le montant global de toutes les peines prononceacutees est

proportionneacute

133 Agrave cet eacutegard il est eacutegalement instructif de tenir compte de la

maniegravere dont lrsquoarticle 6 de la Convention est appliqueacute dans le type drsquoaffaire

aujourdrsquohui examineacutee (Jussila preacuteciteacute sect 43)

laquo () il va de soi que certaines [proceacutedures peacutenales] ne comportent aucun caractegravere

infamant pour ceux qursquoelles visent et que les laquo accusations en matiegravere peacutenale raquo nrsquoont

pas toutes le mecircme poids De surcroicirct en adoptant une interpreacutetation autonome de la

notion drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo par application des critegraveres Engel les

organes de la Convention ont jeteacute les bases drsquoune extension progressive de

lrsquoapplication du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 agrave des domaines qui ne relegravevent pas

formellement des cateacutegories traditionnelles du droit peacutenal telles que les

contraventions administratives () les punitions pour manquement agrave la discipline

peacutenitentiaire () les infractions douaniegraveres () les sanctions peacutecuniaires infligeacutees

pour violation du droit de la concurrence () et les amendes infligeacutees par des

juridictions financiegraveres () Les majorations drsquoimpocirct ne faisant pas partie du noyau

dur du droit peacutenal les garanties offertes par le volet peacutenal de lrsquoarticle 6 ne doivent pas

neacutecessairement srsquoappliquer dans toute leur rigueur () raquo

Le raisonnement ci-dessus permet de deacutegager les eacuteleacutements pertinents

lorsqursquoil faut deacuteterminer si lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 a eacuteteacute respecteacute dans

les affaires de proceacutedures mixtes (administratives et peacutenales) De plus

comme la Cour lrsquoa deacutejagrave dit agrave de nombreuses reprises la Convention doit se

lire comme un tout et srsquointerpreacuteter de maniegravere agrave promouvoir sa coheacuterence

interne et lrsquoharmonie entre ses diverses dispositions (Klass et autres

c Allemagne 6 septembre 1978 sect 68 seacuterie A no 28 voir aussi Maaouia

c France [GC] no 3965298 sect 36 CEDH 2000-X Kudła c Pologne [GC]

no 3021096 sect 152 CEDH 2000-XI et Stec et autres c Royaume-Uni (deacutec)

[GC] nos 6573101 et 6590001 sect 48 CEDH 2005-X)

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 47

La mesure dans laquelle la proceacutedure administrative preacutesente les

caracteacuteristiques drsquoune proceacutedure peacutenale ordinaire est un eacuteleacutement important

Des proceacutedures mixtes satisferont plus vraisemblablement aux critegraveres de

compleacutementariteacute et de coheacuterence si les sanctions imposables dans la

proceacutedure non formellement qualifieacutee de laquo peacutenale raquo sont speacutecifiques au

comportement en question et ne font donc pas partie du laquo noyau dur du droit

peacutenal raquo (pour reprendre les termes de lrsquoarrecirct Jussila preacuteciteacute) Si agrave titre

additionnel cette proceacutedure nrsquoa pas de caractegravere veacuteritablement infamant il y

a moins de chances qursquoelle fasse peser une charge disproportionneacutee sur

lrsquoaccuseacute Agrave lrsquoinverse plus la proceacutedure administrative preacutesente de

caracteacuteristiques infamantes la rapprochant dans une large mesure drsquoune

proceacutedure peacutenale ordinaire plus les finaliteacutes sociales poursuivies par la

punition du comportement fautif dans des proceacutedures diffeacuterentes risquent de

se reacutepeacuteter (bis) au lieu de se compleacuteter Lrsquoissue des affaires mentionneacutees au

paragraphe 129 ci-dessus peut passer pour des illustrations de la

concreacutetisation drsquoun tel risque

134 De plus ainsi qursquoil a deacutejagrave eacuteteacute dit implicitement ci-dessus mecircme

lorsque le lien mateacuteriel est suffisamment solide la condition du lien

temporel demeure et doit ecirctre satisfaite Il ne faut pas en conclure pour

autant que les deux proceacutedures doivent ecirctre meneacutees simultaneacutement du deacutebut

agrave la fin LrsquoEacutetat doit avoir la faculteacute drsquoopter pour la conduite des proceacutedures

progressivement si ce proceacutedeacute se justifie par un souci drsquoefficaciteacute et de

bonne administration de la justice poursuit des finaliteacutes sociales diffeacuterentes

et ne cause pas un preacutejudice disproportionneacute agrave lrsquointeacuteresseacute Toutefois ainsi

qursquoil a deacutejagrave eacuteteacute preacuteciseacute il doit toujours y avoir un lien temporel Ce lien doit

ecirctre suffisamment eacutetroit pour que le justiciable ne soit pas en proie agrave

lrsquoincertitude et agrave des lenteurs et pour que les proceacutedures ne srsquoeacutetalent pas

trop dans le temps (voir comme exemple de lacune de ce type Kapetanios

et autres preacuteciteacute sect 67) mecircme dans lrsquohypothegravese ougrave le reacutegime national

pertinent preacutevoit un meacutecanisme laquo inteacutegreacute raquo comportant un volet

administratif et un volet peacutenal distincts Plus le lien temporel est teacutenu plus il

faudra que lrsquoEacutetat explique et justifie les lenteurs dont il pourrait ecirctre

responsable dans la conduite des proceacutedures

e) Sur le respect en lrsquoespegravece de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

i Le premier requeacuterant

135 Srsquoagissant du premier requeacuterant le bureau des impocircts lui appliqua

le 24 novembre 2008 une majoration drsquoimpocirct de 30 en vertu des

articles 10-2 1) et 10-4 1) de la loi fiscale au motif qursquoil avait omis dans sa

deacuteclaration fiscale pour lrsquoanneacutee 2002 3 259 342 NOK de revenus perccedilus agrave

lrsquoeacutetranger (paragraphe 16 ci-dessus) Le premier requeacuterant nrsquoayant pas

attaqueacute cette deacutecision celle-ci devint deacutefinitive au plus tocirct au bout de trois

semaines agrave lrsquoexpiration du deacutelai de recours (paragraphe 143 ci-dessous) Il

48 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

fut aussi poursuivi peacutenalement pour la mecircme omission dans sa deacuteclaration

fiscale pour 2002 le 14 octobre 2008 il fut inculpeacute et le 2 mars 2009 le

tribunal de Follo le reconnut coupable de fraude fiscale aggraveacutee et le

condamna agrave un an drsquoemprisonnement pour violation de lrsquoarticle 12-1 1)a)

cf section 12-2 de la loi fiscale (paragraphes 15 et 17 ci-dessus) La cour

drsquoappel le deacutebouta (paragraphe 19 ci-dessus) de mecircme que le 27 novembre

2010 la Cour suprecircme (paragraphes 20 agrave 30 ci-dessus)

α) Lrsquoapplication drsquoune majoration drsquoimpocirct eacutetait-elle de nature peacutenale

136 Dans le droit fil de ce qursquoelle a dit au paragraphe 107 ci-dessus la

Cour recherchera si la proceacutedure drsquoapplication de la majoration drsquoimpocirct de

30 pouvait sur la base des critegraveres Engel ecirctre qualifieacutee de laquo peacutenale raquo

pour les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

137 Agrave cet eacutegard la Cour note que la Cour suprecircme a eacuteteacute attentive agrave

lrsquoeacutevolution progressive du droit de la Convention dans ce domaine et srsquoest

efforceacutee de tenir compte des eacutevolutions de la jurisprudence de la Cour dans

ses propres deacutecisions en matiegravere de leacutegislation fiscale (paragraphes 44-47

ci-dessus) Ainsi en 2002 la Cour suprecircme a dit pour la premiegravere fois

qursquoune majoration drsquoimpocirct de 30 constituait une laquo accusation en matiegravere

peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 de la Convention Elle a eacutegalement jugeacute

contrairement agrave ses deacutecisions anteacuterieures qursquoune majoration drsquoimpocirct de

60 revecirctait un caractegravere peacutenal aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 En

2004 et en 2006 elle a estimeacute qursquoil en allait de mecircme de la majoration

drsquoimpocirct de 30

138 Dans des affaires comparables concernant la Suegravede (majorations

drsquoimpocirct agrave des taux de 40 et 20 ) la Cour a jugeacute que les proceacutedures en

question eacutetaient laquo peacutenales raquo pour les besoins non seulement de lrsquoarticle 6 de

la Convention (Janosevic c Suegravede no 3461997 sectsect 68-71 CEDH 2002-VII

et Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic c Suegravede no 3698597 sectsect 79-82

23 juillet 2002) mais aussi de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 (Manasson

c Suegravede (deacutec) no 4126598 8 avril 2003 Rosenquist deacutecision preacuteciteacutee

Synnelius et Edsbergs Taxi AB c Suegravede (deacutec) no 4429802 17 juin 2008

Carlberg c Suegravede (deacutec) no 963104 27 janvier 2009 et Lucky Dev preacuteciteacute

sectsect 6 et 51)

139 Dans ces conditions la Cour ne voit aucune raison de revenir sur la

conclusion de la Cour suprecircme (paragraphes 22 agrave 25 ci-dessus) selon

laquelle la proceacutedure qui a conduit agrave lrsquoimposition au premier requeacuterant

drsquoune majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire de 30 revecirctait un caractegravere

laquo peacutenal raquo au sens autonome donneacute agrave ce terme sur le terrain de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 49

β) Les infractions peacutenales pour lesquelles le premier requeacuterant a eacuteteacute poursuivi

eacutetaient-elles les mecircmes que celles pour lesquelles une majoration drsquoimpocirct

lui a eacuteteacute appliqueacutee (idem)

140 Ainsi qursquoil a eacuteteacute dit ci-dessus (paragraphe 128) la protection

qursquooffre le principe non bis in idem ne deacutepend pas de lrsquoordre dans lequel les

proceacutedures sont respectivement conduites crsquoest le lien entre les deux

infractions qui compte (Franz Fischer c Autriche no 3795097 sect 29

29 mai 2001 et les arrecircts et deacutecisions preacuteciteacutes Storbraringten Mjelde ainsi que

Haarvig Ruotsalainen et Kapetanios et autres)

141 Appliquant aux faits de lrsquoespegravece lrsquoapproche harmoniseacutee exposeacutee

dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine (preacuteciteacute sectsect 82-84) la Cour suprecircme a

conclu que les circonstances factuelles sur lesquelles reposaient la

majoration drsquoimpocirct et la condamnation peacutenale ndash crsquoest-agrave-dire dans les deux

cas lrsquoomission dans la deacuteclaration fiscale de certaines informations

concernant des revenus ndash eacutetaient suffisamment similaires pour satisfaire agrave la

condition susmentionneacutee (paragraphe 21 ci-dessus) Les parties ne le

contestent pas et malgreacute lrsquoeacuteleacutement factuel suppleacutementaire de fraude qui

caracteacuterise lrsquoinfraction peacutenale la Cour ne voit aucune raison de conclure

autrement

γ) Y a-t-il eu une deacutecision deacutefinitive

142 Pour ce qui est de savoir si au cours de la proceacutedure de majoration

drsquoimpocirct une deacutecision laquo deacutefinitive raquo susceptible de faire obstacle agrave des

poursuites peacutenales a eacuteteacute prise (Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 107-108)

la Cour renvoie agrave son analyse ci-dessus Eacutetant convaincue agrave lrsquoissue de son

examen ci-dessous de lrsquoexistence drsquoun lien mateacuteriel et temporel suffisant

entre la proceacutedure fiscale et la proceacutedure peacutenale pour que celles-ci puissent

ecirctre regardeacutees comme formant une solution juridique inteacutegreacutee reacutepondant au

comportement du premier requeacuterant elle nrsquoestime pas neacutecessaire

drsquoexaminer plus avant la question du caractegravere deacutefinitif de la proceacutedure

fiscale en elle-mecircme Agrave ses yeux la circonstance que la premiegravere proceacutedure

a eacuteteacute clocirctureacutee de maniegravere laquo deacutefinitive raquo avant la seconde nrsquoa aucune

incidence sur lrsquoexamen ci-dessous de lrsquoarticulation entre elles deux

(paragraphe 126 ci-dessus)

143 Point nrsquoest donc besoin pour la Cour de donner son avis sur

lrsquoanalyse faite par la Cour suprecircme de la question de savoir si la premiegravere

deacutecision du 24 novembre 2008 eacutetait devenue deacutefinitive agrave lrsquoexpiration du

deacutelai de recours administratif de trois semaines ou agrave celle du deacutelai de

recours judiciaire de six mois (paragraphe 27 ci-dessus)

δ) Y a-t-il eu reacutepeacutetition de poursuites (bis)

144 Les autoriteacutes nationales compeacutetentes ont jugeacute que le comportement

reacutepreacutehensible du premier requeacuterant appelait deux reacuteponses une sanction

administrative au titre du chapitre 10 de la loi fiscale consacreacute aux

50 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

majorations drsquoimpocirct et une sanction peacutenale au titre du chapitre 12 de cette

mecircme loi (paragraphes 15 16 et 41-43 ci-dessus) chacune ayant une

finaliteacute diffeacuterente Comme la Cour suprecircme lrsquoa expliqueacute dans ses arrecircts

rendus en mai 2002 (paragraphe 46 ci-dessus) la sanction administrative

que constitue la majoration drsquoimpocirct a une finaliteacute geacuteneacuterale de dissuasion en

reacuteaction agrave la communication par le contribuable peut-ecirctre innocemment de

deacuteclarations ou informations inexactes ou incomplegravetes et elle vise aussi agrave

compenser les ressources humaines et financiegraveres consideacuterables consacreacutees

par les autoriteacutes fiscales pour le compte de la collectiviteacute aux controcircles et

veacuterifications destineacutes agrave repeacuterer les deacuteclarations erroneacutees Lrsquoobjectif est que

les personnes ayant communiqueacute des informations incomplegravetes ou inexactes

supportent ces coucircts dans une certaine mesure Le calcul de lrsquoimpocirct est une

opeacuteration massive qui fait intervenir des millions de citoyens Pour la Cour

suprecircme la majoration drsquoimpocirct ordinaire a avant tout pour but drsquoinciter le

contribuable agrave respecter son obligation de fournir des informations

complegravetes et exactes et de renforcer les fondations du systegraveme fiscal

national condition indispensable au bon fonctionnement de lrsquoEacutetat et

partant de la socieacuteteacute Comme lrsquoa dit la Cour suprecircme une condamnation

peacutenale au titre du chapitre 12 en revanche poursuit des fins non seulement

dissuasives mais aussi reacutepressives srsquoagissant de la mecircme omission

preacutejudiciable pour la socieacuteteacute et comporte un eacuteleacutement additionnel de fraude

deacutelictueuse

145 Crsquoest ainsi que agrave la suite drsquoun controcircle fiscal conduit en 2005 le

fisc porta plainte au peacutenal contre le premier requeacuterant et drsquoautres personnes

agrave lrsquoautomne 2007 (paragraphe 13 ci-dessus) En deacutecembre 2007 lrsquointeacuteresseacute

fut interrogeacute en tant qursquoaccuseacute et deacutetenu pendant quatre jours

(paragraphe 14 ci-dessus) En aoucirct 2008 srsquoappuyant notamment sur les

conclusions de lrsquoenquecircte peacutenale le fisc lrsquoavisa qursquoil allait le redresser

notamment pour lrsquoanneacutee 2002 au motif qursquoil avait omis de deacuteclarer

3 259 341 NOK Cet avis reposait sur les conclusions du controcircle fiscal de

la socieacuteteacute Software Innovation AS meneacute par le fisc sur lrsquoenquecircte peacutenale

conseacutecutive et sur la deacuteposition faite par le premier requeacuterant au cours de

cette enquecircte (paragraphe 16 ci-dessus) En octobre 2008 le premier

requeacuterant fut inculpeacute drsquoinfractions fiscales par Oslashkokrim Par une deacutecision du

24 novembre 2008 le fisc ordonna son redressement et le versement par lui

de la majoration drsquoimpocirct en question Cette deacutecision eacutetait notamment fondeacutee

sur les deacutepositions faites par les premier et second requeacuterants lors

drsquointerrogatoires meneacutes au cours de lrsquoenquecircte peacutenale Un peu plus de deux

mois plus tard le 2 mars 2009 le tribunal de Follo condamna lrsquointeacuteresseacute

pour fraude fiscale au motif qursquoil avait omis le montant susmentionneacute dans

sa deacuteclaration fiscale pour lrsquoanneacutee 2002 Pour la Cour il est

particuliegraverement important de constater que conformeacutement aux principes

geacuteneacuteraux du droit national en matiegravere de fixation des peines (paragraphe 50

ci-dessus) ledit tribunal a prononceacute la peine drsquoun an drsquoemprisonnement en

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 51

tenant compte de ce que le premier requeacuterant avait deacutejagrave eacuteteacute lourdement

sanctionneacute par lrsquoapplication de la majoration drsquoimpocirct (paragraphe 17 ci-

dessus comparer avec les arrecircts preacuteciteacutes Kapetanios et autres sect 66 ougrave les

juridictions administratives avaient imposeacute des amendes administratives

sans tenir compte de lrsquoacquittement des requeacuterants agrave lrsquoissue des proceacutedures

peacutenales anteacuterieures relatives au mecircme comportement et Nykaumlnen ougrave la

Cour a conclu agrave lrsquoabsence de lien mateacuteriel suffisant entre les deux

proceacutedures)

146 Dans ces conditions la Cour conclut premiegraverement qursquoelle nrsquoa

aucune raison de mettre en doute les motifs pour lesquels le leacutegislateur

norveacutegien a choisi de reacuteprimer au moyen drsquoune proceacutedure mixte

(administrative et peacutenale) inteacutegreacutee le comportement preacutejudiciable agrave la

socieacuteteacute consistant agrave ne pas payer ses impocircts non plus que ceux pour

lesquels les autoriteacutes norveacutegiennes compeacutetentes ont deacutecideacute agrave lrsquoeacutegard du

premier requeacuterant de traiter seacutepareacutement lrsquoeacuteleacutement de fraude plus grave et

plus reacutepreacutehensible socialement dans le cadre drsquoune proceacutedure peacutenale plutocirct

que dans celui drsquoune proceacutedure administrative ordinaire

Deuxiegravemement la conduite de proceacutedures mixtes avec une possibiliteacute de

cumul de diffeacuterentes peines eacutetait preacutevisible par le premier requeacuterant qui

degraves le deacutebut nrsquoeacutetait pas censeacute ignorer que des poursuites peacutenales srsquoajoutant agrave

une majoration drsquoimpocirct eacutetaient de lrsquoordre du possible voire du probable

compte tenu du dossier (paragraphes 13 et 16 ci-dessus)

Troisiegravemement il semble clair que comme lrsquoa dit la Cour suprecircme les

proceacutedures administrative et peacutenale ont eacuteteacute conduites en parallegravele et eacutetaient

imbriqueacutees (paragraphe 29 ci-dessus) Les faits eacutetablis dans le cadre de

lrsquoune de ces proceacutedures ont eacuteteacute repris dans lrsquoautre et pour ce qui est de la

proportionnaliteacute de la peine globale la sanction peacutenale a tenu compte de la

majoration drsquoimpocirct (paragraphe 17 ci-dessus)

147 Compte tenu des faits porteacutes agrave sa connaissance la Cour conclut que

rien nrsquoindique que le premier requeacuterant ait subi un preacutejudice disproportionneacute

ou une injustice en conseacutequence de la reacuteponse juridique inteacutegreacutee deacutenonceacutee

par lui apporteacutee agrave son absence de deacuteclaration de certains revenus et au

non-paiement de certains de ses impocircts Aussi eu eacutegard aux consideacuterations

exposeacutees ci-dessus (et notamment celles reacutesumeacutees aux

paragraphes 132-134) la Cour est-elle convaincue que si des sanctions

diffeacuterentes ont eacuteteacute imposeacutees par deux autoriteacutes diffeacuterentes lors de

proceacutedures diffeacuterentes il existait neacuteanmoins entre celles-ci un lien tant

mateacuteriel que temporel suffisamment eacutetroit pour les consideacuterer comme

srsquoinscrivant dans le meacutecanisme inteacutegreacute de sanctions preacutevu par le droit

norveacutegien dans le cas ougrave une omission drsquoinformations sur certains revenus

dans une deacuteclaration fiscale conduit agrave une erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct

(paragraphe 21 ci-dessus)

52 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

ii Le second requeacuterant

148 Pour ce qui est du second requeacuterant reprenant le raisonnement

suivi par la Cour suprecircme dans lrsquoarrecirct concernant le premier requeacuterant la

cour drsquoappel jugea premiegraverement que la deacutecision prise le 5 deacutecembre 2008

par le fisc ordonnant agrave lrsquointeacuteresseacute de payer une majoration drsquoimpocirct de 30

srsquoanalysait bien en lrsquoimposition drsquoune sanction laquo peacutenale raquo au sens de

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 elle dit deuxiegravemement que la deacutecision eacutetait

devenue laquo deacutefinitive raquo le 26 deacutecembre 2008 date drsquoexpiration du deacutelai de

recours et troisiegravemement que la deacutecision de majoration drsquoimpocirct et la

condamnation peacutenale ulteacuterieure se rapportaient aux mecircmes faits (paragraphe

37 ci-dessus) Comme dans le cas du premier requeacuterant la Cour ne voit

aucune raison de conclure autrement sur les premier et troisiegraveme points non

plus que la neacutecessiteacute de se prononcer sur le deuxiegraveme

149 Srsquoagissant de la question qui se pose ensuite crsquoest-agrave-dire celle de

savoir srsquoil y a eu ou non une reacutepeacutetition des poursuites (bis) incompatible

avec le Protocole no 7 la Cour relegraveve que comme agrave lrsquoeacutegard du premier

requeacuterant (paragraphe 144 ci-dessus) les autoriteacutes compeacutetentes ont jugeacute

qursquoune proceacutedure mixte se justifiait dans le cas du second requeacuterant

150 Quant au deacuteroulement preacutecis des proceacutedures en cause agrave la suite du

controcircle conduit par lui en 2005 le fisc porta plainte au peacutenal aupregraves

drsquoOslashkokrim agrave lrsquoautomne 2007 contre le second requeacuterant (comme il lrsquoavait

fait contre le premier requeacuterant et drsquoautres personnes) au motif que

lrsquointeacuteresseacute nrsquoavait pas deacuteclareacute 4 561 881 NOK (soit environ 500 000 EUR)

de revenus pour lrsquoanneacutee fiscale 2002 (paragraphe 31 ci-dessus) Le

16 octobre 2008 srsquoappuyant en particulier sur le controcircle fiscal sur la

deacuteposition faite par le second requeacuterant au cours de lrsquoenquecircte peacutenale en

question ainsi que sur les documents saisis par Oslashkokrim lors de lrsquoenquecircte le

bureau des impocircts avisa lrsquointeacuteresseacute qursquoil envisageait de le redresser

fiscalement au motif que celui-ci avait omis de deacuteclarer lesdits revenus et

drsquoappliquer agrave son eacutegard une majoration drsquoimpocirct (paragraphe 32 ci-dessus)

Le 11 novembre 2008 le parquet inculpa le second requeacuterant de fraude

fiscale pour lrsquoomission par celui-ci du montant susmentionneacute ce qui

repreacutesentait 1 302 526 NOK drsquoimpocircts agrave payer et pria le tribunal drsquoOslo de

rendre un jugement sommaire fondeacute sur ses aveux (paragraphe 33

ci-dessus) Le 5 deacutecembre 2008 date agrave laquelle le bureau des impocircts

ordonna au second requeacuterant au titre du redressement de verser ce montant

ainsi que la majoration drsquoimpocirct en question la proceacutedure peacutenale eacutetait deacutejagrave

bien avanceacutee (paragraphe 32 ci-dessus)

Ainsi il ressort des eacuteleacutements ci-dessus que depuis la plainte dont le fisc

avait saisi la police agrave lrsquoautomne 2007 et jusqursquoagrave la deacutecision de majoration

drsquoimpocirct prise le 5 deacutecembre 2008 la proceacutedure peacutenale et la proceacutedure

fiscale ont eacuteteacute conduites en parallegravele et eacutetaient imbriqueacutees Cette situation

est similaire agrave celle du premier requeacuterant

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 53

151 Il est vrai que comme lrsquoa releveacute la cour drsquoappel la peacuteriode de neuf

mois seacuteparant la date agrave laquelle la deacutecision prise par le fisc le 5 deacutecembre

2008 eacutetait devenue deacutefinitive et la date de la condamnation du second

requeacuterant par le tribunal drsquoOslo (le 30 septembre 2009) ndash eacutetait un peu plus

longue que la peacuteriode de deux mois et demi eacutecouleacutee dans le procegraves du

premier requeacuterant Toutefois comme la cour drsquoappel lrsquoa eacutegalement indiqueacute

(paragraphe 39 ci-dessus) cela srsquoexpliquait par la reacutetractation du second

requeacuterant en feacutevrier 2009 en conseacutequence de laquelle il avait fallu

lrsquoinculper de nouveau le 29 mai 2009 et le juger dans le cadre drsquoun procegraves

contradictoire ordinaire (paragraphes 34 et 35 ci-dessus) Cette circonstance

reacutesultat drsquoun revirement du second requeacuterant ne saurait suffire en

elle-mecircme agrave rompre le lien temporel unissant la proceacutedure fiscale et la

proceacutedure peacutenale En particulier le laps de temps suppleacutementaire qui srsquoeacutetait

eacutecouleacute avant lrsquoaudience au peacutenal ne saurait passer pour disproportionneacute ou

deacuteraisonnable agrave en juger par sa cause Il demeure et crsquoest ce qui importe

que comme dans le cas du premier requeacuterant la juridiction de jugement a

fixeacute la peine lors du procegraves peacutenal en tenant effectivement compte de la

majoration drsquoimpocirct (paragraphe 35 ci-dessus)

152 Degraves lors srsquoagissant du second requeacuterant la Cour ne voit pas non

plus de raison de mettre en doute les motifs pour lesquels les autoriteacutes

norveacutegiennes ont choisi de reacuteprimer au moyen drsquoune proceacutedure mixte

(administrative et peacutenale) inteacutegreacutee le comportement reacutepreacutehensible en cause

La possibiliteacute drsquoun cumul de diffeacuterentes peines eacutetait forceacutement preacutevisible au

vu des circonstances (paragraphes 13 et 32 ci-dessus) La proceacutedure

administrative et la proceacutedure peacutenale ont eacuteteacute conduites dans une large

mesure en parallegravele et elles eacutetaient imbriqueacutees (paragraphe 39 ci-dessus) Lagrave

encore les faits eacutetablis dans le cadre de lrsquoune de ces proceacutedures ont eacuteteacute

repris dans lrsquoautre et pour ce qui est de la proportionnaliteacute de la peine

globale la sanction peacutenale a eacuteteacute fixeacutee en tenant compte de la sanction

administrative (paragraphes 33 et 35 ci-dessus)

153 Compte tenu des faits porteacutes agrave sa connaissance la Cour conclut que

rien nrsquoindique que le second requeacuterant ait subi un preacutejudice disproportionneacute

ou une injustice en conseacutequence de la reacuteponse juridique inteacutegreacutee deacutenonceacutee

par lui apporteacutee agrave son absence de deacuteclaration de certains revenus et au non-

paiement de certains de ses impocircts Aussi eu eacutegard aux consideacuterations

exposeacutees ci-dessus (et notamment celles reacutesumeacutees aux

paragraphes 132-134) la Cour conclut-elle qursquoil existait entre la deacutecision de

majoration drsquoimpocirct et la condamnation peacutenale ulteacuterieure un lien tant

mateacuteriel que temporel suffisamment eacutetroit pour consideacuterer que ces mesures

srsquoinscrivaient dans le meacutecanisme inteacutegreacute de sanctions preacutevu par le droit

norveacutegien dans le cas ougrave une omission drsquoinformations dans une deacuteclaration

fiscale conduit agrave une erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct

54 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

iii Conclusion geacuteneacuterale

154 Au vu de ce qui preacutecegravede aucun des deux requeacuterants ne peut passer

pour avoir eacuteteacute laquo poursuivi ou puni peacutenalement () en raison drsquoune

infraction pour laquelle il a[vait] deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute ou condamneacute par un

jugement deacutefinitif raquo au meacutepris de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 La Cour

conclut degraves lors agrave la non-violation de cette disposition en lrsquoespegravece et ce agrave

lrsquoeacutegard du premier requeacuterant comme du second

PAR CES MOTIFS LA COUR

1 Deacuteclare agrave lrsquounanimiteacute les requecirctes recevables

2 Dit par seize voix contre une qursquoil nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 4

du Protocole no 7 agrave la Convention dans le chef du premier et du second

requeacuterant

Fait en franccedilais et en anglais puis prononceacute en audience publique au

Palais des droits de lrsquohomme agrave Strasbourg le 15 novembre 2016

Lawrence Early Guido Raimondi

Jurisconsulte Preacutesident

Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la

Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute de lrsquoopinion seacutepareacutee du juge

Pinto de Albuquerque

GR

TLE

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 55

OPINION DISSIDENTE

DU JUGE PINTO DE ALBUQUERQUE

Table des matiegraveres

I ndash Introduction

Premiegravere partie

II - Fondements du principe ne bis in idem

A Bref rappel historique

a) Lrsquoeacutepoque romaine

b) Les Lumiegraveres

B Un principe de droit international coutumier

a) La consolidation universelle du principe

b) La consolidation europeacuteenne du principe

III - Les deacutefis contemporains du ne bis in idem

A Infractions administratives et politique peacutenale agrave deux vitesses

a) La tendance vers la politique de deacutepeacutenalisation

b) Lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk et la laquo peacutenalisation raquo des infractions mineures

B Les majorations drsquoimpocirct comme instrument de politique peacutenale

a) La nature peacutenale des majorations drsquoimpocirct

b) Lrsquoarrecirct Jussila et la ligne de deacutemarcation entre malum in se et

malum quia prohibitum

Seconde Partie

IV - Lrsquoheacuteritage pro persona de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine

A Le cumul des sanctions administratives et peacutenales

a) Lrsquoidem factum dans les proceacutedures administratives et peacutenales

b) La deacutecision deacutefinitive dans les proceacutedures administratives

B Les proceacutedures parallegraveles administratives et peacutenales (bis)

a) Un lien temporel suffisant

b) Un lien mateacuteriel suffisant

V - La reacutevision de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine

A La restriction de lrsquoidem factum par le critegravere du bis

a) La poursuite de buts diffeacuterents traitant drsquoaspects diffeacuterents de lrsquoacte

preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute

b) La preacutevisibiliteacute du cumul des diffeacuterentes sanctions

B La conception pro auctoritate du ne bis in idem de la majoriteacute

a) Absence de reacutepeacutetition de la collecte et de lrsquoappreacuteciation des preuves

b) Meacutecanisme de compensation entre les sanctions administratives et

peacutenales

VI ndash Conclusion

56 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

I ndash Introduction

1 Je ne peux souscrire ni au raisonnement ni aux conclusions de la

majoriteacute dans la preacutesente affaire Bien que cette affaire concerne

speacutecifiquement le cumul de majorations drsquoimpocirct appliqueacutees dans des

proceacutedures fiscales et de sanctions appliqueacutees en parallegraveles dans des

proceacutedures peacutenales la Grande Chambre a deacutelibeacutereacutement eacutetendu la porteacutee de

lrsquoespegravece au problegraveme juridique plus geacuteneacuteral des laquo proceacutedures peacutenales et

administratives mixtes raquo1 Le but eacutevident de la Grande Chambre est drsquoeacutetablir

un principe de droit europeacuteen des droits de lrsquohomme applicable agrave toutes les

affaires de cumul de proceacutedures peacutenale et administrative Le problegraveme est

que le raisonnement de la Grande Chambre est bacirccleacute La description

impreacutecise des conditions requises pour le cumul des sanctions

administrative et peacutenale et lrsquoapplication superficielle de ces conditions au

cadre juridique et agrave la pratique norveacutegiens laissent une impression

persistante de leacutegegravereteacute dans la motivation

2 Dans la premiegravere partie de cette opinion je traiterai des fondements

oublieacutes du principe ne bis in idem crsquoest-agrave-dire ses racines historiques en

tant que garantie individuelle et sa reconnaissance progressive comme

principe de droit international coutumier Par la suite je preacutesenterai les deacutefis

contemporains auxquels fait face ce principe dans le champ des infractions

administratives et particuliegraverement des infractions fiscales et la reacuteponse

heacutesitante de la part de la Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme (laquo la

Cour raquo) Dans la seconde partie de lrsquoopinion jrsquoeacutevaluerai lrsquoheacuteritage pro

persona de lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine2 et confronterai la posture pro

auctoritate de la majoriteacute dans la preacutesente affaire avec les solutions reacutecentes

de la Cour et de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne dans le champ des

infractions fiscales3 des infractions boursiegraveres4 et des infractions

douaniegraveres5 Enfin je deacutemontrerai les lacunes de la solution de la majoriteacute

en me fondant sur une discussion en profondeur des buts et des eacuteleacutements des

infractions peacutenales et administratives en jeu des diffeacuterentes regravegles de

preuve applicables en droit administratif et en droit peacutenal norveacutegien et des

traits speacutecifiques du meacutecanisme de compensation que fourniraient le droit

interne substantiel et la jurisprudence Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede je

conclurai qursquoil y a eu une violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

1 Voir le paragraphe 132 crucial de lrsquoarrecirct

2 Sergueiuml Zolotoukhine c Russie [GC] ndeg 1493903 sectsect 82 et 84 CEDH 2009

3 Hans Aringkeberg Fransson (C-617frasl10 arrecirct de la Grande Chambre de la CJUE 26 feacutevrier

2013 et Lucky Dev c Suegravede ndeg 735610 sect 58 27 novembre 2014

4 Grande Stevens et autres c Italie nos 1864010 1864710 1866310 1866810 et

1869810 4 mars 2014

5 Kapetanios et autres c Gregravece nos 345312 4294112 et 902813 sect72 30 avril 2015 et

Sismanidis et Sitaridis c Gregravece nos 6660209 et 7187912 9 juin 2016

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 57

Premiegravere partie

II - Fondements du principe ne bis in idem

A Bref rappel historique

a) Lrsquoeacutepoque romaine

3 La maxime ne bis in idem eacutetait respecteacutee durant la Reacutepublique

romaine et le Principat bien que fussent preacutevues certaines exceptions tireacutees

de nouvelles proceacutedures pour les mecircmes crimes contre des accuseacutes deacutejagrave

acquitteacutes6 Initialement durant la peacuteriode des legis actiones la maxime

signifiait que bis de eadem res ne sic actio agrave savoir que le deacuteclenchement

drsquoune certaine action avait pour conseacutequence lrsquoextinction du droit respectif

qui entravait le deacuteclenchement de nouvelles actiones mecircme lorsqursquoaucune

deacutecision sur le fond nrsquoavait eacuteteacute rendue Pour limiter lrsquoimpact de cette

maxime lrsquoexceptio rei judiciatae fut introduite qui eacutetait deacutependante drsquoune

deacutecision preacutealable sur le fond Lrsquoexceptio faisait obstacle au bis in eadem

sans consideacuteration pour le fait que le jugement preacutealable ait abouti agrave un

acquittement ou une condamnation Dans les deux cas lrsquoautoritas rerum

judicatarum emportait extinction de lrsquoaction peacutenale La porteacutee de cette

maxime eacutetait limiteacutee par lrsquoobjet de lrsquoaction peacutenale preacutealable tantum

consumptum quantum judiciatum tantum judiciatum quantum litigatum

Lrsquoeadem quaestio eacutetait deacutefinie par le mecircme fait idem factum7

4 Dans le droit justinien la preacutesomption de veacuteriteacute des deacutecisions des

juridictions devint la nouvelle logique de la maxime Ulpien fut le premier agrave

formuler la maxime res iudicata pro veritate accipitur (D 50 17 207)

Avec lrsquoeacutemergence de la proceacutedure inquisitoire et du raisonnement juridique

syllogistique la logique de la codification impeacuteriale ndash lrsquoautoriteacute de la

juridiction et lrsquoinfaillibiliteacute de ses conclusions ndash eut un impact neacutegatif sur la

dimension individuelle de la maxime Dans la logique de la nouvelle

proceacutedure inquisitoire la reacuteouverture autrefois exceptionnelle drsquoune

proceacutedure peacutenale pour les mecircmes faits en droit romain devint un simple

exemple de la maxime absolutio pro nunc rebus sic stantibus qui en fait

reconnaissait la nature transitoire du jugement peacutenal dans la poursuite de la

6 Sur le deacutebat historique voir Laurens De lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee consideacutereacutee comme

mode drsquoextinction de lrsquoaction publique Paris 1885 Mommsen Roumlmisches Strafrecht

Aaalen 1899 Arturo Rocco Trattato della Cosa Giudicata Come Causa di Estinzione

dellrsquoAzione Penale Rome 1900 Danan La regravegle non bis in idem en droit peacutenal franccedilais

Rennes 1971 Spinellis Die materielle Rechtskraft des Strafurteils Munich 1962

Mansdoumlrfer Das Prinzip des ne bis in idem im europaumlischen Strafrecht Berlin 2004 et

Lelieur-Fischer La regravegle ne bis in idem Du principe de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee au

principe drsquouniciteacute drsquoaction reacutepressive Eacutetude agrave la lumiegravere des droits franccedilais allemand et

europeacuteen Paris 2005

7 Laurens preacuteciteacute p 50-51 Arturo Rocco preacuteciteacute p 76 et Mommsen preacuteciteacute p 450

58 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

veacuteriteacute Par exemple en France drsquoapregraves la regravegle du laquo plus amplement

informeacute raquo en lrsquoabsence de preuve empiriques de lrsquoinnocence de lrsquoaccuseacute

lrsquoacquittement avait une nature transitoire et pouvait ecirctre renverseacute agrave tout

moment par une nouvelle preuve incriminante La mecircme chose est apparue

en Italie ougrave lrsquoaccuseacute eacutetait acquitteacute de lrsquoobservation du tribunal (At in casu

quo reus absoluendus est ab observatione iudici) sous la reacuteserve laquo tant que

les choses restent telles qursquoelles sont raquo (stantibus rebus prout stant) la

proceacutedure pouvant ecirctre rouverte degraves lors que de nouvelles preuves

apparaissaient (supervenient nova indicia)

b) Les Lumiegraveres

5 Les Lumiegraveres renouvelegraverent la dimension individuelle du ne bis in

eadem qui fut incluse agrave lrsquoarticle 8 du chapitre V du titre II de la

Constitution franccedilaise de 1791 (laquo tout homme acquitteacute par un jury leacutegal ne

peut plus ecirctre repris ni accuseacute agrave raison du mecircme fait raquo) et aux articles 246 et

360 du Code drsquoinstruction criminelle de 1808 La conseacutequence pratique de

ces dispositions fut la suppression de la tristement ceacutelegravebre regravegle du laquo plus

amplement informeacute raquo De lrsquoautre cocircteacute de lrsquooceacutean Atlantique la mecircme anneacutee

le Cinquiegraveme Amendement agrave la Constitution des Eacutetats-Unis introduisit une

prohibition de la double incrimination dans la proceacutedure peacutenale (laquo nor shall

any person be subject for the same offense to be twice put in jeopardy of life

or limb raquo) qui comprend lrsquointerdiction des poursuites subseacutequentes agrave un

acquittement ou agrave une condamnation et des peines multiples pour la mecircme

infraction8 Lrsquoamendement visait agrave empecirccher un criminel aussi bien drsquoecirctre

puni deux fois pour la mecircme infraction que drsquoecirctre deux fois traduit en

justice pour celle-ci Lorsque la condamnation eacutetait invalideacutee pour une

erreur la peine deacutejagrave effectueacutee devait ecirctre entiegraverement laquo creacutediteacutee raquo agrave la peine

relative agrave une nouvelle condamnation pour la mecircme infraction9

B Un principe de droit international coutumier

a) La consolidation universelle du principe

6 Ainsi que le montre la pratique bien eacutetablie et quasi-universelle des

Eacutetats le fait que la preacuterogative eacutetatique de poursuivre juger et punir lrsquoauteur

drsquoun fait deacutelictueux srsquoeacuteteint (Strafklageverbrauch) lorsque celui-ci a eacuteteacute

acquitteacute ou reconnu coupable de lrsquoinfraction par une deacutecision deacutefinitive

adopteacutee dans une proceacutedure peacutenale (le principe de lrsquoeacutepuisement de la

proceacutedure ou Erledigungsprinzip) est un principe de droit international

coutumier10 Le principe est indeacutependant de toute condition relative agrave

8 North Carolina c Pearce 395 US 711 p 717 (1969)

9 Ibidem p 718

10 Pour la pratique constitutionnelle voir Bassiouni Human Rights in the Context of

Criminal Justice Identifying International Procedural Protection and Equivalent

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 59

lrsquoimposition de la peine ou agrave son exeacutecution Lorsque ce principe ne

srsquoapplique pas comme dans le cas de lrsquointerdiction du double chacirctiment

sans interdiction de nouvelles poursuites ou de nouveau jugement toute

sanction anteacuterieure doit ecirctre prise en consideacuteration dans lrsquoimposition de la

peine subseacutequente pour le mecircme fait (principe de deacuteduction ou

Anrechnungprinzip)

7 Le principe de lrsquoeacutepuisement de la proceacutedure (Erledigungsprinzip) est

affirmeacute par lrsquoarticle 14 (7) du Pacte international relatif aux droits civils et

politiques de 1966 (laquo poursuivi ou puni raquo) (laquo le PIDCP raquo)11 lrsquoarticle 8 (4)

de la Convention ameacutericaine relative aux droits de lrsquohomme de 1969 (laquo agrave

nouveau poursuivi raquo) lrsquoarticle 75 (4) h) du Protocole additionnel de 1977

aux Conventions de Genegraveve du 12 aoucirct 1949 relatif agrave la protection des

victimes des conflits armeacutes internationaux (laquo poursuivie ou punie raquo)

lrsquoarticle 10 (1) du Statut du Tribunal peacutenal international pour

lrsquoex-Yougoslavie de 1993 (laquo traduit raquo)12 lrsquoarticle 9 (1) du Statut du Tribunal

peacutenal international pour le Rwanda de 1994 (laquo traduit raquo)13 lrsquoarticle 20 (2)

du Statut de la Cour peacutenale internationale de 1998 (laquo condamneacute ou

acquitteacute raquo) et lrsquoarticle 9 (1) du Statut du Tribunal speacutecial pour la Sierra

Leone (laquo traduit raquo) de 200214 et lrsquoarticle 19 (1) de la Chartre Arabe des

droits de lrsquohomme de 2004 Lrsquoarticle 86 de la Troisiegraveme Convention de

Genegraveve de 1949 (laquo puni raquo) et lrsquoarticle 117 (3) de la Quatriegraveme Convention

de Genegraveve de 1949 (laquo puni raquo) ne vont pas aussi loin puisqursquoils nrsquointerdisent

qursquoune nouvelle peine mais ils ne font aucune reacutefeacuterence au principe de

deacuteduction

b) La consolidation europeacuteenne du principe

8 Au sein du Conseil de lrsquoEurope le principe ne bis in idem est

initialement apparu comme motif drsquoexclusion obligatoire ou optionnelle de

la coopeacuteration en matiegravere peacutenale entre Eacutetats Constituent des exemples de

Protections in National Constitutions 1993 3 Duke Journal of Comparative amp

International Law p 247

11 Voir lrsquoObservation Geacuteneacuterale du Comiteacute des droits de lrsquohomme ndeg32 article 14 Droit agrave

lrsquoeacutegaliteacute devant les tribunaux et les cours de justice et agrave un procegraves eacutequitable 23 aoucirct 2007

CCPRCGC32 sectsect 54-57

12 laquo Pour deacutecider de la peine agrave infliger agrave une personne condamneacutee pour un crime viseacute par

le preacutesent statut le Tribunal international tient compte de la mesure dans laquelle cette

personne a deacutejagrave purgeacute toute peine qui pourrait lui avoir eacuteteacute infligeacutee par une juridiction

nationale pour le mecircme fait raquo

13 laquo Pour deacutecider de la peine agrave infliger agrave une personne condamneacutee pour un crime viseacute par

le preacutesent statut le Tribunal international pour le Rwanda tient compte de la mesure dans

laquelle cette personne a deacutejagrave purgeacute toute peine qui pourrait lui avoir eacuteteacute infligeacutee par une

juridiction nationale pour le mecircme fait raquo

14 laquo Pour deacutecider de la peine agrave infliger agrave une personne condamneacutee pour un crime viseacute par

le preacutesent Statut le Tribunal speacutecial tient compte de la mesure dans laquelle cette personne

a deacutejagrave purgeacute une peine qui pourrait lui avoir eacuteteacute infligeacutee par une juridiction nationale pour

le mecircme fait raquo

60 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

cette approche limiteacutee lrsquoarticle 9 de la Convention europeacuteenne drsquoextradition

de 195715 lrsquoarticle 9 de la Convention europeacuteenne pour la reacutepression des

infractions routiegraveres de 196216 lrsquoarticle 2 du Protocole additionnel agrave la

Convention europeacuteenne drsquoextradition de 197517 lrsquoarticle 8 de la Convention

sur le transfegraverement des personnes condamneacutees de 198318 lrsquoarticle 2 (4) de

lrsquoAccord relatif au trafic illicite par mer de 1995 mettant en œuvre lrsquoarticle

17 de la Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupeacutefiants

et de substances psychotropes19 et lrsquoarticle 28 (1) f) de la Convention du

Conseil de lrsquoEurope relative au blanchiment au deacutepistage agrave la saisie et agrave la

confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme de

200520

9 Plus reacutecemment le principe de lrsquoeacutepuisement de la proceacutedure

(Erledigungsprinzip) a eacuteteacute affirmeacute par lrsquoarticle 53 de la Convention

europeacuteenne sur la valeur internationale des jugements reacutepressifs de 1970

(laquo ne peut pour le mecircme fait ecirctre poursuivie condamneacutee ou soumise agrave

lrsquoexeacutecution drsquoune sanction raquo)21 lrsquoarticle 35 de la Convention europeacuteenne sur

la transmission des proceacutedures reacutepressives de 1972 (laquo ne peut pour le mecircme

fait ecirctre poursuivie condamneacutee ou soumise agrave lrsquoexeacutecution drsquoune sanction raquo)

22 et lrsquoarticle 17 de la Convention europeacuteenne sur les infractions visant des

biens culturels de 1985 (laquo ne peut pour le mecircme fait ecirctre poursuivie

condamneacutee ou soumise agrave lrsquoexeacutecution drsquoune sanction raquo) 23 Dans ces cas de

figure lorsque le ne bis in idem ne srsquoapplique pas le principe de deacuteduction

doit ecirctre proteacutegeacute en tant que garantie de dernier ressort Lrsquoarticle 25 de la

Convention du Conseil de lrsquoEurope de 2005 sur la lutte contre la traite des

ecirctres humains eacutetablit seulement le principe de deacuteduction24

10 La Recommandation 791 (1976) de lrsquoAssembleacutee Parlementaire du

Conseil de lrsquoEurope sur la protection des droits de lrsquohomme en Europe

exhortait le Comiteacute des Ministres agrave laquo srsquoefforcer drsquoinseacuterer le plus grand

nombre possible de dispositions positives du Pacte des Nations Unies dans

la Convention europeacuteenne des Droits de lrsquoHomme raquo Lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 a ainsi eacuteteacute approuveacute en 198425 sous lrsquoinfluence directe de

15 STE ndeg 24

16 STE ndeg 52

17 STE ndeg 86

18 STE ndeg 112

19 STE ndeg 156

20 STCE ndeg 198

21 STE ndeg 70 Lorsque ce principe ne srsquoapplique pas lrsquoarticle 54 preacutevoit lrsquoapplication du

principe de deacuteduction pour les peines de prison

22 STE ndeg 73 Lorsque ce principe ne srsquoapplique pas lrsquoarticle 36 preacutevoit lrsquoapplication du

principe de deacuteduction pour les peines de prison

23 STE ndeg 119 Lorsque ce principe ne srsquoapplique pas lrsquoarticle 18 preacutevoit lrsquoapplication du

principe de deacuteduction pour les peines de prison

24 STCE ndeg 197

25 STE ndeg 117 Il est entreacute en vigueur le 1er novembre 1988

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 61

lrsquoarticle 17 (7) du PIDCP La nouveauteacute majeure eacutetait la nature non

susceptible de deacuterogation du principe europeacuteen

11 Au sein de lrsquoUnion europeacuteenne le principe de lrsquoeacutepuisement de la

proceacutedure (Erledigungsprinzip) est affirmeacute agrave lrsquoarticle 1 de la Convention

entre les Eacutetats membres des communauteacutes europeacuteennes relative agrave

lrsquoapplication du principe ne bis in idem de 1987 (laquo ne peut pour les mecircmes

faits ecirctre poursuivie raquo)26 lrsquoarticle 54 de la Convention drsquoapplication de

lrsquoAccord de Schengen (laquo la CAAS raquo) de 1990 (laquo ne peut pour les mecircmes

faits ecirctre poursuivie raquo)27 lrsquoarticle 7 de la Convention relative agrave la protection

des inteacuterecircts financiers des Communauteacutes europeacuteennes de 1995 (laquo ne peut

ecirctre poursuivie raquo)28 lrsquoarticle 10 de la Convention contre la corruption

impliquant des fonctionnaires communautaires ou nationaux de 1997 (laquo ne

peut ecirctre poursuivie raquo) 29 lrsquoarticle 2(1) du regraveglement de la Banque centrale

europeacuteenne no 21571999 concernant les pouvoirs de la Banque centrale

europeacuteenne en matiegravere de sanctions (laquo Il nrsquoy a lieu drsquoengager qursquoune seule

proceacutedure drsquoinfraction contre une mecircme entreprise sur la base des mecircmes

faits raquo) lrsquoarticle 50 de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion

europeacuteenne (laquo la Charte raquo) de 2000 (laquo poursuivi ou puni raquo) et lrsquoinitiative de

la Reacutepublique helleacutenique concernant lrsquoadoption par le Conseil drsquoun projet de

deacutecision-cadre relative agrave lrsquoapplication du principe non bis in idem de 2003

(laquo nul ne peut ecirctre poursuivi ou jugeacute deux fois pour les mecircmes actes raquo)30

12 La Charte a changeacute radicalement les obligations juridiques des Eacutetats

membres de lrsquoUnion europeacuteenne auxquels elle srsquoapplique Puisque le droit

de ne pas ecirctre poursuivi ou puni peacutenalement deux fois pour une mecircme

infraction est eacutetabli agrave lrsquoarticle 54 de la CAAS et agrave lrsquoarticle 50 de la Charte

lrsquoarticle 54 doit ecirctre interpreacuteteacute agrave la lumiegravere de lrsquoarticle 5031 Agrave la lumiegravere de

26 Lrsquoarticle 3 eacutetablit un principe de deacuteduction pour les peines de prison ainsi que pour les

peines non privatives de liberteacute

27 Lorsque ce principe ne srsquoapplique pas lrsquoarticle 56 preacutevoit lrsquoapplication du principe de

deacuteduction pour les peines de prison ainsi que pour les peines non privatives de liberteacute Les

articles 54 et 57 de la Convention drsquoapplication de lrsquoAccord de Schengen ont repris la

Convention entre les Eacutetats membres des communauteacutes europeacuteennes relative agrave lrsquoapplication

du principe ne bis in idem Le Traiteacute drsquoAmsterdam a incorporeacute le ne bis in idem dans le

troisiegraveme pilier Agrave partir de ce moment le principe est devenu lrsquoun des objectifs de lrsquoespace

commun de liberteacute seacutecuriteacute et justice Voir eacutegalement le Programme de mesures destineacute agrave

mettre en œuvre le principe de reconnaissance mutuelle des deacutecisions peacutenales

(2001C 12frasl02) et le Livre vert de la Commission sur les conflits de compeacutetences et le

principe ne bis in idem dans le cadre des proceacutedures peacutenales (COM(2005) 696 final)

28 Acte du Conseil du 26 juillet 1995

29 Acte du Conseil du 26 mai 1997 Lrsquoarticle 10 preacutevoit lrsquoapplication du principe de

deacuteduction pour les peines de prison ainsi que pour les peines non privatives de liberteacute

30 Lrsquoarticle 3 contient des regravegles de lis pendens Lrsquoarticle 5 preacutevoit lrsquoapplication du

principe de deacuteduction incluant toutes les sanctions autres que la privation de liberteacute qui

pourraient ecirctre imposeacutees et les sanctions imposeacutees dans le cadre des proceacutedures

administratives

31 Voir paragraphe 35 de lrsquoarrecirct du 5 juin 2014 dans lrsquoaffaire M (C‑398frasl12)

62 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

lrsquoarticle 52 (3) de la Charte dans la mise en œuvre des droits et liberteacutes

issus de la Charte qui correspondent aux droits et liberteacutes garantis par la

Convention europeacuteenne des droits de lrsquoHomme (laquo la Convention raquo) et ses

Protocoles les Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne sont tenus par le sens

et la porteacutee de ces droits et liberteacutes eacutetablis par ladite Convention et ses

Protocoles tels qursquointerpreacuteteacutes par la Cour32 quand bien mecircme ils nrsquoauraient

pas ratifieacute ces protocoles Crsquoest eacutegalement le cas pour lrsquoarticle 50 de la

Charte et en conseacutequence lrsquoarticle 54 de la CAAS qui eacutevidemment doit ecirctre

interpreacuteteacute agrave la lumiegravere de la jurisprudence de la Cour relative agrave lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 mecircme agrave lrsquoeacutegard des Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne

qui ne lrsquoauraient pas ratifieacute

13 En outre le principe ne bis in idem a eacuteteacute instaureacute comme un motif

drsquoexclusion de la coopeacuteration en matiegravere peacutenale dans plusieurs instruments

tels que lrsquoarticle 3(2) de la Deacutecision-cadre relative au mandat drsquoarrecirct

europeacuteen de 200233 lrsquoarticle 7 (1) c) de la Deacutecision-cadre relative agrave

lrsquoexeacutecution dans lrsquoUnion europeacuteenne des deacutecisions de gel de biens ou

drsquoeacuteleacutements de preuve de 200334 lrsquoarticle 8 (2) b) de la Deacutecision-cadre

relative agrave lrsquoapplication du principe de reconnaissance mutuelle aux

deacutecisions de confiscation de 200635 lrsquoarticle 11 (1) c) de la Deacutecision-cadre

concernant lrsquoapplication du principe de reconnaissance mutuelle aux

jugements et aux deacutecisions de probation aux fins de la surveillance des

mesures de probation et des peines de substitution de 200836

lrsquoarticle 13 (1) a) de la Deacutecision-cadre relative au mandat europeacuteen

drsquoobtention de preuves visant agrave recueillir des objets des documents et des

donneacutees en vue de leur utilisation dans le cadre de proceacutedures peacutenales de

200837 lrsquoarticle 15 (1) c) de la Deacutecision-cadre concernant lrsquoapplication

entre les Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne du principe de

reconnaissance mutuelle aux deacutecisions relatives agrave des mesures de controcircle

en tant qursquoalternative agrave la deacutetention provisoire de 200938 et lrsquoarticle 1 (2) a)

de la Deacutecision-cadre relative agrave la preacutevention et au regraveglement des conflits en

matiegravere drsquoexercice de la compeacutetence dans le cadre des proceacutedures peacutenales

de 200939

32 Voir Note du Praesidium de la Convention Explications relatives agrave la Charte des

droits fondamentaux (Bruxelles 11 octobre 2000) laquo La reacutefeacuterence agrave la CEDH vise agrave la fois

la Convention et ses Protocoles Le sens et la porteacutee des droits garantis sont deacutetermineacutes non

seulement par le texte de ces instruments mais aussi par la jurisprudence de la Cour

europeacuteenne des droits de lrsquohomme et par la Cour de justice des Communauteacutes

europeacuteennes raquo

33 Deacutecision-cadre du Conseil 2002584JAI du 13 juin 2002

34 Deacutecision-cadre du Conseil 2003577JAI du 22 juillet 2003

35 Deacutecision-cadre du Conseil 2006783JAI du 6 octobre 2006

36 Deacutecision-cadre du Conseil 2008947JAI du 27 novembre 2008

37 Deacutecision-cadre du Conseil 2008978JAI du 18 deacutecembre 2008

38 Deacutecision-cadre du Conseil 2009829JAI du 23 octobre 2009

39 Deacutecision-cadre du Conseil 2009948JAI du 30 novembre 2009

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 63

Enfin lrsquoarticle 6 du Regraveglement no 298895 relatif agrave la protection des

inteacuterecircts financiers des Communauteacutes europeacuteennes eacutetablit le principe selon

lequel le peacutenal tient lrsquoadministratif coupleacute au principe de deacuteduction

14 Dans lrsquoaregravene judiciaire la Cour de Justice de lrsquoUnion europeacuteenne

(laquo la CJUE raquo) a dit dans lrsquoaffaire Walt Wilhelm et autres

c Bundeskartellamt que des sanctions concurrentes pouvaient ecirctre

imposeacutees dans deux proceacutedures parallegraveles poursuivant des objectifs

diffeacuterents En droit de la concurrence la possibiliteacute qursquoun ensemble de faits

soit soumise agrave deux proceacutedures parallegraveles lrsquoune communautaire et lrsquoautre

nationale deacuterive du systegraveme speacutecifique de reacutepartition des compeacutetences entre

les Communauteacutes et les Eacutetats membres agrave lrsquoeacutegard des ententes Si cependant

la possibiliteacute que deux proceacutedures se deacuteroulent seacutepareacutement devait conduire agrave

lrsquoimposition de sanctions conseacutecutives une exigence geacuteneacuterale de justice

naturelle demanderait que toute deacutecision punitive anteacuterieure soit prise en

compte dans la deacutetermination de toute sanction imposeacutee40

Par la suite la CJUE a deacuteveloppeacute plus avant sa jurisprudence dans le

cadre du troisiegraveme pilier sur le bis (Goumlzuumltok et Bruumlgge41 Miraglia42

Van Straaten43 Turanskyacute44 M45 Kussowski46) sur lrsquoidem (Van Esbroeck47

Van Straaten48 Gasparini49 Kretzinger50 Kraaijenbrink51 et Gasparini52)

et sur la clause drsquoexeacutecution (Klaus Bourquain53 Kretzinger54 et Spasic55)

Dans le domaine du droit fiscal lrsquoarrecirct fondamental est celui rendu dans

lrsquoaffaire Hans Aringkeberg Fransson qui est parvenu agrave la conclusion suivante

laquo Ce nrsquoest que lorsque la sanction fiscale revecirct un caractegravere peacutenal au sens

de lrsquoarticle 50 de la Charte et est devenue deacutefinitive que ladite disposition

srsquooppose agrave ce que des poursuites peacutenales pour les mecircmes faits soient

diligenteacutees contre une mecircme personne raquo56 En refusant la thegravese de lrsquoAvocat

Geacuteneacuteral baseacutee sur le principe de deacuteduction57 la Cour de Luxembourg a

40 Affaire 14frasl68 13 feacutevrier 1969 sect 11

41 Affaire C-187frasl01 et Affaire C-38501 11 feacutevrier 2003

42 Affaire C-469frasl03 10 mars 2005

43 Affaire C-150frasl05 28 septembre 2006

44 Affaire C-491frasl07 22 deacutecembre 2008

45 Affaire C‑398frasl12 5 juin 2014

46 Affaire C-486frasl14 29 juin 2016

47 Affaire C-436frasl04 9 mars 2006

48 Affaire preacuteciteacutee

49 Affaire C-467frasl04 28 septembre 2006

50 Affaire C-288frasl05 18 juillet 2007

51 Affaire C-367frasl05 18 juillet 2007

52 Affaire preacuteciteacutee

53 Affaire C-297frasl07 11 deacutecembre 2008

54 Affaire C-288frasl05 18 juillet 2007

55 Affaire C-129frasl14 PPU 27 mai 2014

56 Hans Aringkeberg Fransson preacuteciteacute sectsect 34 et 37

57 Aux paragraphes 86 et 87 de ses conclusions lrsquoAvocat Geacuteneacuteral plaidait pour une

laquo interpreacutetation partiellement autonome raquo de lrsquoarticle 50 arguant qursquoil existait une tradition

64 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

deacutecideacute dans un remarquable mouvement de convergence avec la Cour de

Strasbourg que la combinaison de sanctions fiscales de nature peacutenale

conformeacutement aux critegraveres Engel et de sanctions peacutenales constituerait une

violation de lrsquoarticle 50 de la Charte58

15 En reacutesumeacute la reacutecurrence de la preacutesence du principe ne bis in idem agrave

la fois en droit international et interne et dans la jurisprudence teacutemoigne de

la reconnaissance drsquoun principe de droit international coutumier59 Le

principe de lrsquoeacutepuisement de la proceacutedure (Erledigungsprinzip) est largement

preacutedominant en droit international au niveau universel comme europeacuteen

mais le principe de deacuteduction trouve eacutegalement une reconnaissance dans

une conception eacutetroite au sein du Conseil de lrsquoEurope (deacuteduction des peines

de prison) et dans une conception plus large au sein de lrsquoUnion europeacuteenne

(deacuteduction des peines de prison et prise en compte des sanctions non

privatives de liberteacute)

III - Les deacutefis contemporains du ne bis in idem

A Infractions administratives et politique peacutenale agrave deux vitesses

a) La tendance vers la politique de deacutepeacutenalisation

16 La deacutepeacutenalisation est une tendance plus que bienvenue du droit peacutenal

en Europe depuis les anneacutees 196060 Les infractions administratives sont un

instrument rationnel de deacutesencombrement en politique peacutenale Cette

tendance se caracteacuterise freacutequemment par le transfert drsquoinfractions peacutenales

moins preacutejudiciables agrave la socieacuteteacute telles que les infractions routiegraveres dans le

champ du droit administratif dans lequel les garanties substantielles et

proceacutedurales ne sont pas les mecircmes que dans le droit peacutenal et la proceacutedure

constitutionnelle commune aux Eacutetats membres opposeacutee agrave la lecture actuelle de lrsquoarticle 4

du Protocole ndeg 7 par la Cour de Strasbourg qui laquo se heurte agrave la forte preacutesence et agrave

lrsquoenracinement des systegravemes de double sanction administrative et peacutenale des Eacutetats

membres raquo

58 Crsquoest exactement la lecture de lrsquoarrecirct Fransson faite par la Cour dans les arrecircts preacuteciteacutes

Grande Stevens et autres sect 229 Kapetanios et autres sect 73 et Sismanidis et Sitaridis sect 73

59 Voir parmi de multiples sources drsquoopinio iuris agrave cet eacutegard les conclusions de

lrsquoAssociation internationale de droit peacutenal (laquo lrsquoAIDP raquo) XIVe Congregraves international de droit

peacutenal octobre 1989 (laquo Dans le cas ougrave un acte relegraveve des deux qualifications peacutenale et

administrative le deacutelinquant ne devrait pas ecirctre puni deux fois En cas de poursuites

successives il devrait ecirctre pleinement tenu compte de toute sanction deacutejagrave prononceacutee pour le

mecircme acte raquo et XVIIe Congregraves international de droit peacutenal septembre 2004 (laquo Le cumul

des proceacutedures et des sanctions de nature peacutenale doit ecirctre eacuteviteacute dans tous les cas raquo)

Principe 9 des Principes de Princeton sur la compeacutetence universelle de 2001 et Anke

Biehler et autres (dir de publ) Freiburg Proposal on Concurrent Jurisdictions and the

Prohibition of Multiple Prosecutions in the European Union 2003

60 AIDP XIVe Congregraves international preacuteciteacute laquo Cette deacutepeacutenalisation est souhaitable dans

la mesure ougrave elle est en harmonie avec le principe de subsidiariteacute de la loi peacutenale raquo

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 65

peacutenale classiques Les infractions administratives sont freacutequemment

formuleacutees en des termes larges et ouverts et les amendes administratives

(Geldbusse) en sont la forme privileacutegieacutee de sanction Lrsquoemprisonnement

nrsquoest pas une alternative agrave lrsquoamende (Ersatzfreiheitsstrafe) comme crsquoest le

cas en droit peacutenal et aucune contrainte par corps (Erzwingungshaft) ne peut

ecirctre ordonneacutee agrave moins que la personne concerneacutee nrsquoait manqueacute agrave son

obligation de paiement des sommes dues sans avoir fait eacutetablir son

incapaciteacute agrave srsquoen acquitter Les sanctions administratives ne sont pas

enregistreacutees au casier judiciaire national mais seulement dans certaines

circonstances dans certains dossiers administratifs sectoriels tel que le

registre des infractions routiegraveres Normalement les infractions

administratives font lrsquoobjet drsquoune proceacutedure simplifieacutee et drsquoune sanction

prononceacutee par des autoriteacutes administratives sauf si elles donnent

ulteacuterieurement lieu agrave un recours en justice Dans de nombreux cas la

poursuite des infractions administratives relegraveve du pouvoir discreacutetionnaire

des autoriteacutes administratives compeacutetentes Les regravegles geacuteneacuterales de la

proceacutedure peacutenale ne sont en principe applicables que par analogie De plus

courts deacutelais de prescriptions srsquoappliquent aux infractions administratives

par rapports aux infractions peacutenales

17 Le brouillage de la ligne de deacutemarcation entre droit peacutenal et droit

administrative a ses propres risques Des comportements gravement

preacutejudiciables agrave la socieacuteteacute sont eux aussi devenus lrsquoobjet du droit

administratif particuliegraverement lorsqursquoils impliquent le traitement massif de

donneacutees agrave lrsquoinstar du droit fiscal ou un niveau drsquoexpertise hautement

qualifieacutee comme en droit de la concurrence61 et en droit boursier ou des

valeurs mobiliegraveres62

b) Lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk et la laquo peacutenalisation raquo des infractions mineures

18 Depuis longtemps la jurisprudence de la Cour indique que les

infractions administratives entrent dans le champ de son controcircle sous

lrsquoeacutegide des garanties de lrsquoarticle 6 Sur la base des critegraveres Engel63 la Cour a

reacuteaffirmeacute maintes et maintes fois qursquoune conduite passible de sanctions

administratives devait beacuteneacuteficier des garanties proceacutedurales de lrsquoarticle 6

indiffeacuteremment de la nature personnelle ou collective de lrsquointeacuterecirct juridique

proteacutegeacute par la norme violeacutee64 du relatif manque de graviteacute de la peine65 et

61 A Menarini Diagnostics SRL c Italie ndeg 4350908 27 septembre 2011

62 Grande Stevens et autres preacuteciteacute

63 Engel et autres c Pays-Bas 8 juin 1976 seacuterie A ndeg 22

64 Oumlztuumlrk c Allemagne 21 feacutevrier 1984 sect 53 seacuterie A ndeg 73 laquo Il importe peu de savoir si

la disposition leacutegale meacuteconnue par M Oumlztuumlrk vise agrave proteacuteger les droits et inteacuterecircts drsquoautrui

ou seulement agrave satisfaire aux exigences de la circulation raquo

65 Ibidem sect 54 laquo La faiblesse relative de lrsquoenjeu (hellip) ne saurait retirer agrave une infraction

son caractegravere peacutenal intrinsegraveque raquo Voir aussi Lutz c Allemagne 25 aoucirct 1987 sect 55 seacuterie A

ndeg 123 et Jussila c Finlande [GC] ndeg 7305301 sect 31 CEDH 2006-XIII

66 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

du fait que la peine nrsquoait que peu de chance de leacuteser la reacuteputation du

coupable66 Sinon une telle privation de garanties proceacutedurales contredirait

le but de lrsquoarticle 667

19 Dans lrsquoaffaire Oumlztuumlrk68 la Cour a invoqueacute trois arguments cruciaux

pour se placer agrave contre-courant de la deacutepeacutenalisation et faire droit agrave la thegravese

selon laquelle lrsquoinfraction administrative en cause une infraction routiegravere

eacutetait de nature laquo peacutenale raquo aux fins de lrsquoarticle 6 le sens ordinaire des

termes la punition de la conduite incrimineacutee par le droit peacutenal dans laquo une

large majoriteacute des Eacutetats contractants raquo et la porteacutee geacuteneacuterale de la norme

violeacutee une norme de circulation routiegravere69 Agrave y regarder de plus pregraves aucun

de ces arguments nrsquoest convaincant Il est difficile drsquoeacutetablir une ligne de

deacutemarcation entre les infractions administratives et peacutenales sur la base du

laquo sens ordinaire des termes raquo quoique la Cour veuille dire par cela En

outre srsquoil est vrai que le consensus europeacuteen est certainement un argument

deacutecisif pour la peacutenalisation drsquoun acte gravement preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute il

est difficilement concevable que la Cour puisse argumenter sur la base du

consensus europeacuteen contre la deacutepeacutenalisation des infractions mineures qui

beacuteneacuteficie non seulement agrave lrsquoindividu qui ne pourrait plus rendre de comptes

en termes peacutenaux pour sa conduite et qui pourrait mecircme eacuteviter les

proceacutedures judiciaires mais eacutegalement le fonctionnement effectif de la

justice deacutesormais soulageacutee du traitement de la grande majoriteacute de ces

infractions Par-dessus tout la Cour se meacuteprend dans lrsquoassimilation des

infractions peacutenales aux normes de porteacutee personnelle geacuteneacuterale De maniegravere

assez surprenante elle semble ignorer la tradition europeacuteenne ancienne des

infractions peacutenales agrave porteacutee personnelle limiteacutee crsquoest-agrave-dire des normes

applicables agrave certaines cateacutegories de citoyens deacutefinissables par des traits

personnels ou professionnels (Sonderdelikte ou Pflichtendelikte)70 Ainsi

66 Oumlztuumlrk preacuteciteacute sect 53 laquo Sans doute srsquoagissait-il drsquoune infraction leacutegegravere ne risquant

guegravere de nuire agrave la reacuteputation de son auteur mais elle ne sortait pas pour autant du champ

drsquoapplication de lrsquoarticle 6 Rien ne donne en effet agrave penser que lrsquoinfraction peacutenale

(criminal offence) au sens de la Convention implique neacutecessairement un certain degreacute de

graviteacute raquo

67 Ibidem laquo il serait contraire agrave lrsquoobjet et au but de lrsquoarticle 6 qui garantit aux accuseacutes

le droit agrave un tribunal et agrave un procegraves eacutequitable de permettre agrave lrsquoEacutetat de soustraire agrave lrsquoempire

de ce texte toute une cateacutegorie drsquoinfractions pour peu qursquoil les juge leacutegegraveres raquo

68 Ibidem

69 Ibidem

70 Sur ce type drsquoinfractions peacutenales voir Roxin Taumlterschaft und Tatherrschaft Berlin

9e eacutedition 2015 et Langer Das Sonderverbrechen Berlin 1972 La doctrine distingue

entre les laquo veacuteritables infractions speacuteciales raquo (echte Sonderdelikte) qui peuvent seulement

ecirctre commise par une personne deacutetenant une certaine qualiteacute des laquo fausses infractions

speacuteciales raquo (unechte Sonderdelikte) qui peuvent ecirctre commises par nrsquoimporte qui mais

dont la sanction est aggraveacutee si elle est commise pas une personne deacutetenant une certaine

qualiteacute ou dans une situation particuliegravere La Cour dans lrsquoaffaire Oumlztuumlrk nrsquoest pas au fait de

cette distinction

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 67

les infractions peacutenales et les normes agrave porteacutee personnelle limiteacutee ne sont pas

incompatibles les unes avec les autres

20 Si la deacutepeacutenalisation nrsquoest pas sans poser problegraveme au regard des

garanties deacutecoulant des articles 6 et 7 de la Convention et de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 lorsqursquoil srsquoagit drsquoinfractions mineures reacuteprimant des actes

moins preacutejudiciables agrave la socieacuteteacute71 elle creacutee manifestement de seacuterieuses

difficulteacutes sur le terrain de ces articles lorsqursquoil srsquoagit drsquoactes plus

preacutejudiciables agrave la socieacuteteacute qui sont deacuteclasseacutes dans le domaine du droit

administratif agrave des fins politiques Elle en creacutee drsquoautant plus lorsque des

infractions administratives incluant celles commises par neacutegligence sont

passibles de sanctions financiegraveres amendes ou majorations astronomiques

parfois mecircme illimiteacutees freacutequemment associeacutees agrave la suspension la

restriction voire mecircme le retrait de certains droits tels que les droits

professionnels Des reacutegimes speacutecialement cleacutements sont proposeacutes aux

lanceurs drsquoalerte et autre collaborateurs de la justice Certaines infractions

administratives conduisent mecircme agrave des sanctions plus seacutevegraveres en cas de

reacutecidive En outre les proceacutedures administratives peuvent inclure des

mesures drsquoenquecirctes aussi intrusives que lrsquointerception de communication et

les perquisitions de domiciles qui peuvent porter atteinte agrave la vie priveacutee du

suspect tout autant que les proceacutedures peacutenales les plus seacuterieuses

21 En reacutealiteacute ce droit peacutenal agrave deux vitesses masque une politique

reacutepressive expansionniste qui vise agrave punir de maniegravere plus expeacuteditive et

plus seacutevegraverement avec moins de garanties mateacuterielles et proceacutedurales Dans

le contexte de ce nouveau Leacuteviathan les infractions de droit administratif ne

sont rien de plus qursquoune appellation trompeuse drsquoune strateacutegie punitive

ferme et le droit administratif devient un raccourci permettant de contourner

les garanties ordinaires du droit peacutenal et de la proceacutedure peacutenale72

22 La Convention nrsquoest pas indiffeacuterente agrave cette politique peacutenale Au

contraire elle ne saurait laisser des probleacutematiques relatives aux droits de

lrsquohomme de cette ampleur au seul pouvoir discreacutetionnaire de chaque Eacutetat

Aucune marge drsquoappreacuteciation nrsquoest accordeacutee aux Eacutetats par lrsquoarticle 7 de la

Convention et lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 qui sont des dispositions non

susceptibles de deacuterogation La deacutefinition des frontiegraveres du droit peacutenal et

lrsquoapplication des principes de leacutegaliteacute et du non bis in idem ne sont pas

deacutependantes des particulariteacutes de chaque systegraveme juridique national Au

contraire elles sont soumises agrave un controcircle europeacuteen strict reacutealiseacute par la

Cour ainsi que cela sera deacutemontreacute ci-dessous

71 Pour la Cour il est clair que la deacutepeacutenalisation est lieacutee aux infractions mineures non

infamantes drsquoun point de vue social (Lutz preacuteciteacute sect 57)

72 Jrsquoai deacutejagrave critiqueacute cette tendance dans mes opinions jointes aux arrecircts A Menarini

Diagnostics SRL preacuteciteacute et Grande Stevens et autres preacuteciteacute

68 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

B Les majorations drsquoimpocirct comme instrument de politique peacutenale

a) La nature peacutenale des majorations drsquoimpocirct

23 Tout comme les termes des articles 6 et 7 de la Convention la notion

de laquo proceacutedure peacutenale raquo doit ecirctre interpreacuteteacutee de maniegravere autonome En outre

par principe la Convention et ses Protocoles doivent ecirctre envisageacutes comme

un tout73 Ainsi lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 doit ecirctre interpreacuteteacute agrave la lumiegravere

des principes geacuteneacuteraux concernant les notions drsquolaquo accusation en matiegravere

peacutenale raquo et de laquo peine raquo eacutenonceacutees respectivement aux articles 6 et 7 de la

Convention74 De plus la qualification juridique de la proceacutedure en droit

national ne peut ecirctre le seul critegravere pertinent pour deacuteterminer lrsquoapplicabiliteacute

du principe ne bis in idem sur le terrain de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

Autrement lrsquoapplication de cette disposition serait laisseacutee au pouvoir

discreacutetionnaire des Eacutetats contractants agrave un degreacute conduisant agrave des reacutesultats

incompatibles avec lrsquoobjet et le but de la Convention Preacuteciseacutement pour

eacuteviter un tel pouvoir discreacutetionnaire il peut exister des cas dans lesquels ni

un acquittement deacutefinitif75 ni une condamnation deacutefinitive76 ne sont

capables de deacuteclencher les effets du ne bis in idem

24 Dans lrsquoaffaire en cause la premiegravere proceacutedure visait agrave lrsquoimposition

de majorations drsquoimpocirct La Cour a pris clairement position en faveur de la

nature peacutenale des sanctions administratives sur le terrain de lrsquoarticle 6 de la

Convention Dans lrsquoaffaire Bendenoun77 qui concernait lrsquoimposition de

majorations drsquoimpocirct pour eacutevasion fiscale la Cour ne srsquoest pas reacutefeacutereacutee

expresseacutement aux critegraveres Engel elle a eacutenumeacutereacute quatre eacuteleacutements qursquoelle

estimait pertinents dans la deacutetermination de lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 en

lrsquoespegravece que la loi eacutetablissant les sanctions concerne tous les citoyens en

leur qualiteacute de contribuables que la majoration ne tende pas agrave la reacuteparation

peacutecuniaire drsquoun preacutejudice mais vise pour lrsquoessentiel agrave punir pour empecirccher

la reacuteiteacuteration drsquoagissements semblables qursquoelle se fonde sur une norme de

caractegravere geacuteneacuteral dont le but est agrave la fois preacuteventif et reacutepressif et qursquoelle

revecircte une ampleur consideacuterable La Cour a consideacutereacute cependant qursquoun Eacutetat

contractant devait avoir la liberteacute de confier au fisc la tacircche drsquoimposer des

sanctions telles que des majorations drsquoimpocirct mecircme si elles atteignent des

sommes eacuteleveacutees Pareil systegraveme nrsquoest pas incompatible avec lrsquoarticle 6 sect 1

tant que le contribuable peut soumettre toute deacutecision lui faisant grief agrave un

73 Voir parmi drsquoautres Hirsi Jamaa et autres c Italie [GC] ndeg 2776509 sect 178

CEDH 2012 et Ferrazzini c Italie [GC] ndeg 4475998 sect 29 CEDH 2001-VII

74 Nykaumlnen c Finlande ndeg 1182811 sect 38 20 mai 2014 Haarvig c Norvegravege (deacutec)

ndeg 1118705 11 deacutecembre 2007 Nilsson c Suegravede (deacutec) ndeg 7366101 CEDH 2005-XIII

Rosenquist c Suegravede (deacutec) ndeg 6061900 14 septembre 2004 Manasson c Suegravede (deacutec)

ndeg 4126598 8 avril 2003 Goumlktan c France ndeg 3340296 sect 48 CEDH 2002-V et Malige

c France 23 septembre 1998 sect 35 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1998-VII

75 Marguš c Croatie [GC] ndeg 445510 sect 139 CEDH 2014

76 Kurdov et Ivanov c Bulgarie ndeg 1613704 sect 44 31 mai 2011

77 Bendenoun c France 24 feacutevrier 1994 seacuterie A ndeg 284

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 69

organe judiciaire jouissant de la pleine juridiction incluant le pouvoir

drsquoannuler sur tous les points que ce soit de droit ou de fait la deacutecision

contesteacutee78

25 Dans les affaires Janosevic79 et Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic80

la Cour nrsquoa fait aucune reacutefeacuterence agrave lrsquoaffaire Bendenoun ou agrave lrsquoapproche

particuliegravere y suivie par elle mais elle a proceacutedeacute strictement sur la base des

critegraveres Engel81 Apregraves avoir confirmeacute que les proceacutedures administratives

avaient abouti agrave une laquo accusation en matiegravere peacutenale raquo agrave lrsquoencontre du

requeacuterant la Cour a consideacutereacute que les proceacutedures judiciaires en lrsquoespegravece

avaient eacuteteacute conduites par des tribunaux soumis aux garanties requises par

lrsquoarticle 6 sect 1 puisque les juridictions administratives avaient compeacutetence

pour examiner tous les aspects de la question qui leur eacutetait adresseacutee Leur

examen nrsquoeacutetait pas limiteacute agrave des points de droit mais pouvait eacutegalement ecirctre

eacutetendu agrave des questions de faits incluant lrsquoappreacuteciation des preuves Si elles

eacutetaient en deacutesaccord avec lrsquoautoriteacute fiscale ces juridictions avaient le

pouvoir drsquoannuler la deacutecision objet drsquoun recours La Cour a ajouteacute que le

point de deacutepart pour les autoriteacutes fiscales et les juridictions devait reacutesider

dans le fait que les inexactitudes releveacutees dans la deacuteclaration fiscale

relevaient drsquoun acte inexcusable imputable au contribuable et qursquoil nrsquoeacutetait

pas manifestement deacuteraisonnable drsquoimposer une majoration drsquoimpocirct comme

sanction de ce comportement Les autoriteacutes fiscales et les juridictions

devraient eacutevaluer srsquoil existe des motifs de dispense mecircme si le contribuable

nrsquoa rien dit agrave cet eacutegard Cependant alors que le devoir drsquoeacutevaluer srsquoil existe

des motifs de dispense nrsquoexiste que lorsque les faits de lrsquoespegravece le justifient

la charge de prouver qursquoil existe des raisons de dispenser un contribuable

drsquoune majoration repose en effet sur celui-ci La Cour a conclu qursquoun

systegraveme fiscal opeacuterant sur une telle preacutesomption qursquoil appartient au

contribuable de renverser eacutetait compatible avec lrsquoarticle 6 sect 2 de la

Convention

b) Lrsquoarrecirct Jussila et la ligne de deacutemarcation entre malum in se et malum quia

prohibitum

26 Dans lrsquoaffaire Jussila82 la Cour a confirmeacute lrsquoapproche retenue dans

lrsquoaffaire Janosevic et souligneacute qursquolaquo Il nrsquoexiste donc pas dans la

jurisprudence de la Cour de preacuteceacutedent faisant autoriteacute qui permette de dire

78 Ibidem sect 46

79 Janosevic c Suegravede ndeg 3461997 CEDH 2002‑VII

80 Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic c Suegravede ndeg 3698597 23 juillet 2002

81 La Cour a souligneacute le mauvais argument laquo Les majorations drsquoimpocirct infligeacutees en

conseacutequence lrsquoont eacuteteacute au titre de la leacutegislation fiscale [hellip] qui vise toutes les personnes

assujetties agrave lrsquoimpocirct en Suegravede et non un groupe donneacute doteacute drsquoun statut particulier raquo

(Janosevic preacuteciteacute sect 68 Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic preacuteciteacute sect 79 voir aussi par

exemple SC IMH Suceava SRL c Roumanie ndeg 2493504 sect 51 29 octobre 2013)

82 Jussila preacuteciteacute sect 41

70 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

que la leacutegegravereteacute de la sanction constituerait en matiegravere fiscale ou autre un

facteur deacutecisif pour exclure du champ drsquoapplication de lrsquoarticle 6 une

infraction revecirctant par ailleurs un caractegravere peacutenal raquo 83 De plus comme un

signal clair de son intention de ne pas priver les contribuables de leur

garanties fondamentales opposables agrave lrsquoEacutetat la Cour a ajouteacute que si elle laquo ne

dout[ait] pas de lrsquoimportance de lrsquoimpocirct pour le bon fonctionnement de

lrsquoEacutetat elle nrsquo[eacutetait] pas convaincue qursquoil faille affranchir les sanctions

fiscales des garanties proceacutedurales contenues dans lrsquoarticle 6 pour preacuteserver

lrsquoefficaciteacute du systegraveme fiscal ni drsquoailleurs que pareille deacutemarche puisse se

concilier avec lrsquoesprit et le but de la Convention raquo84 En agissant de la sorte

la Cour a abandonneacute laquo peu ou prou raquo 85 la logique de lrsquoaffaire Ferrazzini86

puisqursquoelle a admis que les questions drsquoimposition ne sortaient pas du

champ mateacuteriel de la Convention Drsquoun point de vue ratione materiae les

questions se rapportant aux majorations drsquoimpocirct peuvent impliquer une

appreacuteciation par la Cour du pouvoir souverain des Eacutetats en matiegravere fiscale

La neutralisation des preacuterogatives de puissance publiques dans lrsquoaffaire

Jussila a conduit la Cour agrave un recadrage apparent des speacutecificiteacutes des

obligations fiscales dans le contexte du droit europeacuteen des droits de

lrsquohomme

27 Mecircme lorsque les majorations drsquoimpocirct ne sont pas qualifieacutees de

peacutenales en droit national ce seul fait nrsquoest pas deacutecisif pour la Cour Le fait

que les majorations drsquoimpocirct soient imposeacutees par des dispositions leacutegales

srsquoappliquant aux contribuables de maniegravere geacuteneacuterale avec une viseacutee

dissuasive est jugeacute plus pertinent En principe les majorations drsquoimpocirct sont

conccedilues non pas comme une compensation peacutecuniaire pour un dommage

causeacute agrave lrsquoEacutetat mais comme une forme de sanction des coupables et comme

un moyen de dissuader les reacutecidivistes et les nouveaux deacutelinquants

potentiels Aux yeux de la Cour les majorations drsquoimpocirct sont ainsi

imposeacutees par une regravegle dont le but est simultaneacutement dissuasif et punitif

mecircme dans le cas de lrsquoimposition drsquoune majoration fiscale de 10 avec un

maximum fixeacute agrave 2087 Pour la Cour dans lrsquoaffaire Jussila la nature

reacutepressive de la majoration fiscale surpasse la consideacuteration de minimis de

lrsquoarrecirct Bendenoun En conseacutequence les proceacutedures impliquant des

majorations drsquoimpocirct ont eacutegalement eacuteteacute consideacutereacutees comme des laquo proceacutedures

peacutenales raquo au regard de lrsquoarticle 6 de la Convention

83 Ibidem sect 35

84 Ibidem sect 36

85 Ibidem sect 45

86 Ferrazzini preacuteciteacute sect 29 En reacutealiteacute la Cour a eacutevalueacute agrave plusieurs reprises la

compatibiliteacute des mesures de politiques fiscales agrave lrsquoaune de lrsquoarticle 1 du Protocole ndeg 1

(parmi les affaires les plus significatives voir NKM c Hongrie ndeg 6652911 14 mai 2013

Koufaki et ADEDY c Gregravece (deacutec) nos 5766512 et 5765712 7 mai 2013 Da Conceiccedilatildeo

Mateus c Portugal (deacutec) nos 6223512 et 5772512 8 octobre 2013 et Da Silva Carvalho

Rico c Portugal (deacutec) ndeg 1334114 1er septembre 2014)

87 Jussila preacuteciteacute sect 38

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 71

28 Si la Cour srsquoeacutetait arrecircteacutee lagrave lrsquoarrecirct Jussila aurait eacuteteacute une simple

extension de lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk au domaine des majorations drsquoimpocirct Mais la

Cour ne srsquoest pas arrecircteacutee lagrave Elle a consideacutereacute ensuite qursquolaquo il [allait] de soi

que certaines [proceacutedures peacutenales] ne comportent aucun caractegravere infamant

pour ceux qursquoelles visent raquo En conseacutequence dans lrsquoarrecirct de la Cour les

garanties peacutenales ne srsquoappliquent pas avec toute leur rigueur aux accusations

peacutenales deacutepourvues de caractegravere infamant88 En appliquant lrsquoarticle 6 de

maniegravere diffeacuterencieacutee en fonction de la nature du sujet et du caractegravere

infamant que certaines accusations peacutenales comportent la Cour a opeacutereacute une

distinction entre les garanties proceacutedurales conventionnelles disponibles et

indisponibles le droit de lrsquoaccuseacute agrave un procegraves public appartenant agrave la

premiegravere cateacutegorie Dans la mesure ougrave elles nrsquoont pas de caractegravere infamant

les infractions administratives peuvent se distinguer du noyau dur du droit

peacutenal et ainsi les garanties peacutenales de lrsquoarticle 6 peuvent ne pas srsquoy

appliquer dans leur totaliteacute Une seconde cateacutegorie drsquoinfractions peacutenales qui

ne beacuteneacuteficie que de certaines des garanties de lrsquoarticle 6 a vu le jour dans

lrsquoaffaire Jussila

29 Malheureusement ni dans lrsquoarrecirct Jussila ni ulteacuterieurement la Cour

nrsquoa fait le moindre effort drsquoeacutelaborer une approche coheacuterente de la magna

quaestio relative agrave la ligne de deacutemarcation entre le laquo noyau dur du droit

peacutenal raquo et le reste du droit peacutenal qui fait eacutecho agrave la distinction entre mala in

se et mala prohibita La distinction de la Grande Chambre nrsquoest pas

seulement trop simpliste elle semble aussi assez artificielle Dans lrsquoarrecirct

Jussila comme dans quelques autres cas le critegravere du caractegravere infamant

ressemble agrave un argument purement theacuteorique que la Cour nrsquoutilise pas

veacuteritablement pour reacutesoudre lrsquoaffaire89 En reacutealiteacute la Cour a trancheacute lrsquoaffaire

88 Ibidem sect 43 Grande Stevens et autres preacuteciteacute sect 120 Kammerer c Autriche

ndeg 3243506 sect 26 12 mai 2010 et Flisar c Sloveacutenie ndeg 312709 sect 36 29 septembre 2011

La conclusion de lrsquoaffaire Jussila selon laquelle le procegraves public nrsquoeacutetait pas neacutecessaire dans

le cas des infractions administratives a eacuteteacute eacutetendue agrave drsquoautres questions proceacutedurales

couvertes par lrsquoarticle 6 telle que dans les affaires Kammerer et Flisar la preacutesence drsquoun

accuseacute agrave une audience

89 En reacutealiteacute lrsquoapplication du critegravere du caractegravere infamant dans la jurisprudence de la

Cour a eacuteteacute tregraves limiteacutee Il est vrai que la Cour a constateacute agrave maintes reprises le caractegravere

infamant que revecirct implicitement la torture (voir parmi de nombreuses affaires Irlande

c Royaume-Uni 18 janvier 1978 sect 167 seacuterie A ndeg 25 Aksoy c Turquie 18 deacutecembre

1996 sect 64 Recueil 1996-VI Aydın c Turquie 25 septembre 1997 sectsect 83-84 et 86

Recueil 1997-VI Selmouni c France [GC] ndeg 2580394 sect 74 CEDH 1999-V Dikme

c Turquie ndeg 2086992 sectsect 94-96 CEDH 2000-VIII et Batı et autres c Turquie

nos 3309796 et 5783400 sect 116 CEDH 2004-IV) Mais en dehors de ces affaires

lrsquoutilisation du critegravere est rare Parfois la Cour se reacutefegravere au caractegravere infamant de la

condamnation comme facteur pour deacuteterminer la neacutecessiteacute drsquoune comparution personnelle

de lrsquoaccuseacute dans une proceacutedure (dans une affaire de meurtre Chopenko c Ukraine

ndeg 1773506 sect 64 15 janvier 2015 dans une affaire de corruption Suuripaumlauml c Finlande

ndeg 4315102 sect 45 12 janvier 2010) ou pour deacuteterminer si la situation du requeacuterant doit

ecirctre deacutejagrave substantiellement affecteacutee par les mesures prises par la police dans les proceacutedures

preacuteliminaires (dans une affaire drsquoabus sexuel sur mineur Subinski c Sloveacutenie ndeg 1961104

72 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

Jussila de maniegravere tregraves pragmatique sur la base du fait que le requeacuterant avait

largement eu lrsquoopportuniteacute de se deacutefendre par eacutecrit et de commenter les

arguments des autoriteacutes fiscales

30 Le manque de clarteacute conceptuelle de la deacutefinition du laquo noyau dur du

droit peacutenal raquo au titre de lrsquoarticle 6 est encore aggraveacute par le fait que

normalement lrsquoapplication des critegraveres Engel est davantage une question de

degreacute deacutependant du poids des sanctions appliqueacutees et applicables qursquoune

question de nature des accusations qui pegravesent sur lrsquoaccuseacute La Cour preacutefegravere

le plus souvent reacutesoudre la question de lrsquoapplicabiliteacute des critegraveres Engel en

se reacutefeacuterant agrave une appreacuteciation purement quantitative plutocirct que qualitative

de lrsquoinfraction en cause Lorsqursquoelle se lance dans une analyse sur le fond de

la nature de lrsquoinfraction elle utilise freacutequemment lrsquoargument erroneacute tireacute de

lrsquoaffaire Oumlztuumlrk90 de la porteacutee personnelle limiteacutee de la norme

sect 68 18 janvier 2007) Le raisonnement de lrsquoarrecirct Suuripaumlauml a eacuteteacute eacutetendu agrave des infractions

administratives fiscales dans lrsquoaffaire Paacutekozdi c Hongrie (ndeg 5126907 sect 39 25 novembre

2014 Dans drsquoautres cas la Cour a dit que des infractions peacutenales passibles

drsquoemprisonnement impliquaient un caractegravere infamant suffisant lorsque la personne

condamneacutee se voit infliger une peine de sept ans (Popa et Tănăsescu c Roumanie

no 1994604 sect 46 10 avril 2012) une peine de quatre ans (Saacutendor Lajos Kiss c Hongrie

ndeg 2695805 sect 24 29 septembre 2009) ou une peine avec sursis (Goldmann et Szeacutenaacuteszky

c Hongrie ndeg 1760405 sect 20 30 novembre 2010) ou mecircme une amende (Talaacuteber

c Hongrie ndeg 3737605 sect 27 29 septembre 2009) En drsquoautres occasions la Cour a

simplement affirmeacute que certains inteacuterecircts juridiques tels que le respect des regravegles de seacutecuriteacute

incendie de protection des consommateurs ou des politiques drsquourbanisme nrsquoentraient pas

dans le champ du droit peacutenal sans mentionner le deacutefaut de caractegravere infamant (Kurdov et

Ivanov preacuteciteacute sect 43 SC IMH Suceava SRL preacuteciteacute sect 51 et Inocecircncio c Portugal

(deacutec) no 4386298 CEDH 2001ndashI) Dans lrsquoaffaire Segame SA c France (ndeg 483706

sect 59 7 juin 2012) la Cour a consideacutereacute qursquoun impocirct suppleacutementaire sur les œuvres drsquoart et

les sanctions correspondantes laquo ne [faisait] pas partie du noyau dur du droit peacutenal au sens

de la Convention raquo Dans lrsquoaffaire Grande Stevens et autres (preacuteciteacutee sect 122) la Cour a

noteacute que mis agrave part leur seacuteveacuteriteacute financiegravere les sanctions que certains des requeacuterants

encourraient avaient un laquo caractegravere infamant raquo et risquaient drsquoaffecter neacutegativement

lrsquohonneur professionnel et la reacuteputation des personnes concerneacutees Ainsi le critegravere

substantiel du caractegravere infamant est parfois lieacute aux sanctions applicables agrave lrsquoinfraction

alors que dans les cas de meurtre torture corruption ou abus sexuel de mineur il est lieacute agrave la

nature-mecircme du comportement En deacutefinitive la Cour a rejeteacute eacutegalement le critegravere

organique et tautologique selon lequel les infractions traiteacutees par les juridictions

administratives ou les juridictions compeacutetentes agrave lrsquoeacutegard des laquo infractions mineures raquo sont

administratives et qursquoen conseacutequence leur qualification de laquo peacutenale raquo serait exclue

(Tomasović c Croatie ndeg 5378509 sect 22 18 octobre 2011)

90 Lrsquoapplication de ce critegravere a produit des deacutecisions malheureuses telle que celle

deacutelibeacutereacutee dans lrsquoaffaire Inocecircncio (preacuteciteacutee) qui a consideacutereacute les infractions administratives

(contraordenaccedilotildees) en jeu comme non peacutenales bien que les contraordenaccedilotildees portugais

soient modeleacutees exactement agrave lrsquoimage des Ordnungswidrigkeiten allemandes qui avaient

eacuteteacute qualifieacutees de laquo peacutenales raquo dans lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk (agrave titre de comparaison voir la Loi

allemande sur les infractions administratives de 1968 Gesetz uumlber Ordnungswidrigkeiten

et la Loi portugaise sur les infractions administratives de 1982 Regime Geral das

Contraordenaccedilotildees)

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 73

31 En reacutesumeacute le choix politique de lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk de laquo peacutenaliser raquo les

infractions mineures aux fins de lrsquoarticle 6 est fondamentalement reacuteeacutevalueacute

dans lrsquoarrecirct Jussila Lrsquoextension apparente de ce choix politique aux

majorations drsquoimpocirct est dilueacutee en finaliteacute par lrsquoapproche pragmatique et

tourneacutee vers lrsquoefficaciteacute de la Cour qui eacutetiquette ces infractions mineures

comme eacutetant bien que laquo peacutenales raquo exclues du laquo noyau dur du droit peacutenal raquo

ne meacuteritant ainsi pas la protection pleine et entiegravere du volet peacutenal de

lrsquoarticle 6 Les inteacuterecircts drsquoune proceacutedure fiscale efficace et massive ont peseacute

plus lourd que toute autre consideacuteration

32 Quoiqursquoil en soit le message de la Cour dans lrsquoaffaire Jussila vaut

eacutegalement pour la Norvegravege Les majorations drsquoimpocirct imposeacutees dans la

preacutesente affaire sont de nature peacutenale et les proceacutedures fiscales respectives

sont peacutenales aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Les majorations

drsquoimpocirct de 30 imposeacutees par la Norvegravege pouvant aller jusqursquoagrave 60 en

cas de neacutegligence grossiegravere ou volontaire sont bien supeacuterieures en

comparaison de lrsquoaffaire Jussila

Crsquoest eacutegalement la position de la majoriteacute de la Grande Chambre dans la

preacutesente affaire qui confirme contrairement agrave lrsquoargumentation du

Gouvernement91 qursquoil nrsquoexiste pas de notion peacutenale plus restrictive agrave

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Ainsi la majoriteacute rejette lrsquoapproche des affaires

Storbraringten92 Mjelde93 et Haarvig94 dans lesquelles la Cour avait accepteacute un

eacuteventail de critegraveres plus large que les critegraveres Engel aux fins de deacuteterminer

si une proceacutedure revecirctait un caractegravere peacutenal au sens de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7

Seconde Partie

IV - Lrsquoheacuteritage pro persona de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine

A Le cumul des sanctions administratives et peacutenales

a) Lrsquoidem factum dans les proceacutedures administratives et peacutenales

33 Lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 prohibe la poursuite ou le jugement de

lrsquoauteur drsquoune infraction deacutejagrave acquitteacute ou condamneacute pour celle-ci Une

approche centreacutee sur la qualification juridique de lrsquoinfraction (idem crimen)

serait trop restrictive Si la Cour se bornait agrave accepter qursquoune personne soit

poursuivie pour des infractions qualifieacutees diffeacuteremment elle risquerait

91 Voir paragraphes 66 et 67 de lrsquoarrecirct

92 Storbraringten c Norvegravege (deacutec) ndeg 1227704 11 feacutevrier 2007

93 Mjelde c Norvegravege (deacutec) ndeg 1114304 11 feacutevrier 2007

94 Haarvig preacuteciteacute

74 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

drsquoamoindrir les garanties contenues agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 et ce pour

deux raisons Drsquoabord le mecircme fait peut ecirctre qualifieacute drsquoinfraction peacutenale

dans diffeacuterents Eacutetats mais les eacuteleacutements constitutifs de lrsquoinfraction peuvent

ecirctre significativement diffeacuterents Ensuite certains Eacutetats peuvent qualifier

diffeacuteremment le mecircme fait drsquoinfraction peacutenale ou drsquoinfraction

administrative crsquoest-agrave-dire non peacutenale95

34 Par conseacutequent lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 doit ecirctre interpreacuteteacute

comme prohibant la poursuite ou le jugement de novo drsquoune infraction dans

la mesure ougrave elle reacutesulte de faits identiques ou de faits similaires en

substance (idem factum)96 Il est donc important aux yeux de la Cour de

srsquoattacher aux faits qui constituent les circonstances factuelles concregravetes

impliquant le mecircme accuseacute et inextricablement lieacutes les uns aux autres dans

le temps et lrsquoespace dont lrsquoexistence doit ecirctre deacutemontreacutee pour garantir une

condamnation ou entamer des proceacutedures peacutenales97 Cela signifie que le

champ de la prohibition comprend la poursuite de nouvelles infractions en

relation de concours apparent (concorso apparente Gesetzeskonkurrenz) ou

de concours ideacuteal drsquoinfractions (concorso ideale di reati Idealkonkurrenz)98

avec lrsquoinfraction ou les infractions deacutejagrave jugeacutees La mecircme prohibition est

valable pour le concours reacuteel drsquoinfractions (concorso materiale di reati

Realkonkurrenz) lorsqursquoelles appartiennent agrave la mecircme uniteacute temporelle et

spatiale Cela signifie eacutegalement que lrsquoeffet ne bis idem drsquoun jugement

constatant une infraction continueacutee fait obstacle agrave la tenue drsquoun nouveau

procegraves pour des chefs drsquoaccusation se rapportant agrave tout nouveau fait distinct

srsquoinscrivant dans la continuiteacute du comportement deacutelictueux en cause99

35 En reacutesumeacute lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine affirme en droit europeacuteen

des droits de lrsquohomme le principe ne bis in idem en tant que droit individuel

de mecircme porteacutee que le principe classique drsquoeacutepuisement de la proceacutedure

95 Par exemple lrsquoarticle 4 du Protocole ndeg 7 a eacuteteacute eacutetendu aux sanctions administratives

telles que des majorations de 40 et 80 des impocircts dus (Ponsetti et Chesnell c France

(deacutec) nos 3685597 et 4173198 CEDH 1999-VI) aux sanctions administratives

compleacutementaires des peines peacutenales (Maszni c Roumanie ndeg 5989200 21 septembre

2006) et aux sanctions civiles (Storbraringten deacutecision preacuteciteacutee)

96 La Cour a deacutefini lrsquoidem factum comme laquo une seule et mecircme conduite de la part des

mecircmes personnes agrave la mecircme date raquo (Maresti c Croatie no 5575907 sect 63 25 juin 2009 et

Muslija c Bosnie‑Herzeacutegovine ndeg 3204211 sect 34 14 janvier 2014) La jurisprudence de la

Cour de Luxembourg concernant lrsquoarticle 54 de la CAAS est similaire (Van Esbroeck

preacuteciteacute sectsect 27 32 et 36 Kretzinger preacuteciteacute sectsect 33 et 34 Van Straaten preacuteciteacute sectsect 41 47 et

48 et Norma Kraaijenbrink preacuteciteacute sect 30)

97 Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 82 et 84 Lagrave nrsquoest pas le lieu ni lrsquoendroit pour

analyser le caractegravere artificiel de la summa divisio entre lrsquoidem factum et lrsquoidem legem

Lrsquoidem factum est conditionneacute dans une certaine mesure par lrsquoappreacutehension a priori des

faits pertinents agrave la lumiegravere du droit peacutenal Crsquoest particuliegraverement vrai dans le cas des

infractions continueacutees

98 Oliveira c Suisse ndeg 2571194 30 juillet 1998 Recueil 1998-V

99 Voir mon opinion seacutepareacutee dans lrsquoarrecirct Rohlena c Reacutepublique Tchegraveque [GC]

ndeg 5955208 sect 9 CEDH 2015

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 75

(Erledigungsprinzip)100 La garantie srsquoeacutetend au droit de ne pas ecirctre poursuivi

ou jugeacute deux fois101 Ce principe en son sens europeacuteen va bien plus loin

que la maxime res judicata pro veritate habetur qui vise fondamentalement

agrave proteacuteger lrsquoeacutenonceacute final public et faisant autoriteacute sur le crimen et ainsi agrave

assurer la seacutecuriteacute juridique et eacuteviter les jugements contradictoires En outre

lrsquointerpreacutetation europeacuteenne du principe ne bis in idem vise agrave proteacuteger le

suspect des faits alleacutegueacutes drsquoune double incrimination lorsque son

acquittement ou sa condamnation preacutealables sont deacutejagrave passeacutes en force de

chose jugeacutee102

Neacuteanmoins la Cour dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine exige une

comparaison entre la deacutecision par laquelle la premiegravere laquo proceacutedure peacutenale raquo

a eacuteteacute conclue et la liste des accusations dirigeacutees contre le requeacuterant dans les

nouvelles proceacutedures Puisque les faits dans les deux proceacutedures se

distinguaient au niveau drsquoun seul eacuteleacutement la menace de violence qui

nrsquoavait pas eacuteteacute mentionneacutee dans les premiegraveres proceacutedures la Cour considegravere

que les accusations peacutenales au titre de lrsquoarticle 213 sect 2 b) du Code Peacutenal

englobent les faits de lrsquoinfraction reacuteprimeacutee par lrsquoarticle 158 du Code des

infractions administrative dans leur totaliteacute et que inversement lrsquoinfraction

drsquolaquo actes perturbateurs mineurs raquo ne renfermait aucun eacuteleacutement qui nrsquoeacutetait

contenu dans lrsquoinfraction drsquolaquo actes perturbateurs raquo et laquo concernait

essentiellement la mecircme infraction raquo 103

36 Au regard de ce qui preacutecegravede je partage lrsquoopinion de la majoriteacute de la

Grande Chambre dans la preacutesente affaire selon laquelle lrsquoinfraction peacutenale

pour laquelle les requeacuterants ont eacuteteacute poursuivis condamneacutes et punis eacutetait

baseacutee sur le mecircme ensemble de faits que ceux pour lesquels les majorations

drsquoimpocirct leur ont eacuteteacute infligeacutees

b) La deacutecision deacutefinitive dans les proceacutedures administratives

37 Le but de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 est de prohiber la reacutepeacutetition

des proceacutedures conclues par une deacutecision laquo deacutefinitive raquo Drsquoapregraves le Rapport

explicatif du Protocole no 7 qui se reacutefegravere lui-mecircme agrave la Convention

europeacuteenne sur la valeur internationale des jugements reacutepressifs une

100 Se reacutefeacuterant litteacuteralement agrave la nature individuelle du droit Sergueiuml Zolotoukhine

preacuteciteacute sect 81

101 Ibidem sect 110 et auparavant Franz Fischer c Autriche ndeg 3795097 sect 29 29 mai

2001

102 Ainsi qursquoil a eacuteteacute deacutemontreacute ci-dessus il srsquoagit de lrsquoideacuteologie sous-jacente au septiegraveme

amendement agrave la Constitution des Eacutetats-Unis et agrave lrsquoarticle 8 du chapitre V du titre II de la

Constitution franccedilaise de 1791 montrant que lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine est conforme agrave la

compreacutehension historique et pro persona de ce principe agrave lrsquoeacutepoque moderne

103 Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 97 et 121 Peut-ecirctre est-ce involontaire mais dans

drsquoautres cas la Cour compare les laquo eacuteleacutements essentiels raquo de lrsquoinfraction pour eacutetablis lrsquoidem

(voir les exemples post-Sergueiuml Zolotoukhine Muslija preacuteciteacute sect 34 Asadbeyli et autres

c Azerbaiumldjan nos 365305 1472905 2090805 2624205 3608305 et 1651906 sect 157

11 deacutecembre 2012 et Ruotsalainen c Finlande no 1307903 sect 56 16 juin 2009)

76 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

deacutecision est deacutefinitive laquo si elle est selon lrsquoexpression consacreacutee passeacutee en

force de chose jugeacutee Tel est le cas lorsqursquoelle est irreacutevocable crsquoest-agrave-dire

lorsqursquoelle nrsquoest pas susceptible de voies de recours ordinaires ou que les

parties ont eacutepuiseacute ces voies ou laisseacute passer les deacutelais sans les exercer raquo104

Dans lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine la Cour a rappeleacute que les deacutecisions agrave

lrsquoencontre desquelles existe une possibiliteacute de recours ordinaire eacutetaient

exclues du champ de la garantie contenue agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 tant

que le deacutelai pour interjeter un tel appel nrsquoa pas expireacute Drsquoun autre cocircteacute les

recours extraordinaires tels qursquoune requecircte en reacuteouverture des proceacutedures ou

une demande drsquoextension du deacutelai expireacute ne sont pas pris en consideacuteration

aux fins de deacuteterminer si les proceacutedures ont atteint une conclusion

deacutefinitive

38 Agrave lrsquoinverse de la majoriteacute de la Grande Chambre je ne peux suivre

le raisonnement de la Cour suprecircme et la position des requeacuterants quant agrave

lrsquoargument selon lequel les deacutecisions de majorations drsquoimpocirct eacutetaient

devenues deacutefinitives le 15 deacutecembre 2008 pour M A et le 26 deacutecembre

2008 pour M B crsquoest-agrave-dire avant qursquoils ne soient condamneacutes pour les

mecircmes faits par la Cour de district bien que le deacutelai de 6 mois pour entamer

des proceacutedures judiciaires fixeacute par lrsquoarticle 11-1(4) de la loi fiscale nrsquoavait

pas encore expireacute Puisque les requeacuterants avaient toujours le droit drsquoacceacuteder

agrave une voie de recours jrsquoai du mal agrave consideacuterer les deacutecisions imposant les

majorations drsquoimpocirct comme irreacutevocables105 Cette conclusion srsquoimpose

drsquoautant plus si lrsquoon tient compte du fait que puisque les organes

administratifs en questions ne sont ni indeacutependants ni juridictionnels le

droit drsquoaccegraves agrave une proceacutedure judiciaire est neacutecessaire pour que les sanctions

administratives soient compatibles avec lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention106

39 La date exacte agrave laquelle la deacutecision administrative est devenue

deacutefinitive nrsquoest de toute eacutevidence pas anodine Lrsquohypothegravese juridique selon

laquelle la deacutecision administrative drsquoimposition des majorations devient

deacutefinitive en premier lieu pourrait ecirctre diffeacuterent de celui dans lequel la

condamnation peacutenale pour fraude fiscale devient deacutefinitive la premiegravere

Bien que la Cour ait consideacutereacute que laquo la question de savoir si le principe non

bis in idem a eacuteteacute enfreint se rapporte agrave la relation entre les deux infractions

et ne peut donc deacutependre de lrsquoordre dans lequel les proceacutedures sont

conduites raquo107 lrsquoimpact juridique drsquoune condamnation peacutenale deacutefinitive sur

une proceacutedure administrative peut se distinguer de maniegravere significative de

lrsquoimpact juridique drsquoune deacutecision administrative finale sur une proceacutedure

peacutenale La majoriteacute a fermeacute les yeux sur ce distinguo sans eacutevaluer les

diffeacuterentes conseacutequences en droit norveacutegien de ces diffeacuterentes hypothegraveses

Elle a simplement supposeacute que les proceacutedures administratives et peacutenales

104 Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 107 et 108

105 Crsquoest eacutegalement lrsquoargument du Gouvernement (voir paragraphe 72 de lrsquoarrecirct)

106 Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic preacuteciteacute sect 93

107 Franz Fischer preacuteciteacute sect 29

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 77

srsquoinscrivaient dans une laquo approche inteacutegreacutee raquo108 en concluant qursquoil nrsquoeacutetait

pas neacutecessaire de traiter de la question du caractegravere deacutefinitif des proceacutedures

administratives Je deacutemontrerai par la suite les effets neacutegatifs de cette

position

B Les proceacutedures parallegraveles administratives et peacutenales (bis)

a) Un lien temporel suffisant

40 Bien que la Cour dans lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine ne traite pas du

cas des proceacutedures parallegraveles ex professo109 elle eacutecarte bel et bien la

condition suppleacutementaire et inexacte que lrsquoaffaire Zigarella avait ajouteacutee au

bis en lrsquoabsence de tout dommage deacutemontreacute par le requeacuterant seules de

nouvelles proceacutedures entameacutees en connaissance du fait que lrsquoaccuseacute avait

deacutejagrave eacuteteacute jugeacute dans des proceacutedures anteacuterieures violeraient le principe ne bis in

idem110

41 Drsquoun point de vue litteacuteral rien dans la formulation de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 nrsquoindique qursquoune distinction doive ecirctre opeacutereacutee entre des

proceacutedures parallegraveles ou conseacutecutives entre la reprise de poursuites en

attente et le deacuteclenchement de nouvelles poursuites Agrave proprement parler la

disposition nrsquoempecircche pas que plusieurs proceacutedures parallegraveles soient

meneacutees avant qursquoune deacutecision deacutefinitive ne soit adopteacutee agrave lrsquoissue de lrsquoune

drsquoentre elles Dans une telle situation il ne peut ecirctre consideacutereacute que

lrsquoindividu a eacuteteacute poursuivi plusieurs fois laquo en raison drsquoune infraction pour

laquelle il a deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute ou condamneacute par un jugement deacutefinitif raquo111

Dans le cas de deux proceacutedures parallegraveles la Convention exige que la

108 Voir le paragraphe 141 de lrsquoarrecirct

109 Lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine traite de deux proceacutedures conseacutecutives la proceacutedure

administrative srsquoest acheveacutee le 4 janvier 2002 et la proceacutedure peacutenale ouverte le 23 janvier

2002 srsquoest acheveacutee le 15 avril 2003

110 Zigarella c Italie (deacutec) ndeg 4815499 CEDH 2002-IX (extraits) et Falkner

c Autriche (deacutec) ndeg 607202 30 septembre 2004 Au paragraphe 36 de lrsquoarrecirct de chambre

dans lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine la mecircme position est adopteacutee mais le paragraphe 115

de lrsquoarrecirct de la Grande Chambre srsquoabstient de reacutepeacuteter la mecircme phrase La Grande Chambre

admet seulement qursquoelle peut consideacuterer que le requeacuterant a perdu sa qualiteacute de victime

lorsque les autoriteacutes nationales entament deux seacuteries de proceacutedures mais par la suite

reconnaissent la violation du ne bis in idem et offrent la reacuteparation adeacutequate par exemple

en clocircturant ou en annulant la deuxiegraveme proceacutedure et en en supprimant les effets Ainsi la

Cour ne se reacutefegravere pas au caractegravere volontaire de lrsquoouverture de la seconde proceacutedure comme

condition de la violation du ne bis in idem et requiert seulement qursquoil y ait reconnaissance

explicite de la violation au niveau interne pour conclure agrave la non-recevabiliteacute du grief du

requeacuterant Ulteacuterieurement la Cour est malheureusement revenue agrave la formulation de lrsquoarrecirct

Zigarella dans les arrecircts Maresti (preacuteciteacute sect 66) et Tomasovic (preacuteciteacute sect 29) mais voir

lrsquoimportante opinion seacutepareacutee du juge Sicilianos jointe agrave ce dernier arrecirct

111 Garaudy c France (deacutec) ndeg 6583101 CEDH 2003-IX (extraits)

78 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

seconde soit interrompue aussitocirct que la premiegravere devient deacutefinitive112 En

lrsquoabsence drsquoune telle interruption la Cour conclut agrave une violation113

42 Cependant dans un certain nombre drsquoaffaires la Cour a eacutetabli des

regravegles diffeacuterentes pour certaines proceacutedures peacutenales et administratives

parallegraveles Dans la deacutecision Nilsson la Cour a consideacutereacute pour la premiegravere

fois que laquo si les diverses sanctions infligeacutees agrave lrsquointeacuteresseacute ont eacuteteacute prononceacutees

par deux autoriteacutes diffeacuterentes agrave lrsquoissue de proceacutedures distinctes il existait

entre elles un lien mateacuteriel et temporel suffisamment eacutetroit pour que lrsquoon

puisse consideacuterer le retrait de permis comme lrsquoune des mesures preacutevues par

le droit sueacutedois pour la reacutepression des deacutelits de conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute

avanceacute et de conduite sans permis raquo 114 Ce que la Cour envisage comme un

laquo lien temporel suffisamment eacutetroit raquo nrsquoest pas clair puisqursquoelle ne se reacutefegravere

pas explicitement agrave la peacuteriode entre la deacutecision devenue deacutefinitive en

premier lieu (la condamnation du requeacuterant par le tribunal de district de

Mora le 24 juin 1999) et la deacutecision devenue ensuite deacutefinitive (la deacutecision

de la Cour suprecircme du 18 deacutecembre 2000 deacuteboutant le requeacuterant) ou entre

la premiegravere deacutecision administrative (lrsquoavis deacutelivreacute par la preacutefecture le 5 mai

1999) et la premiegravere deacutecision peacutenale (la condamnation du requeacuterant par le

tribunal de district de Mora le 24 juin 1999) ou entre la premiegravere deacutecision

peacutenale (la deacutecision du tribunal de district de Mora du 24 juin 1999) et la

premiegravere deacutecision administrative de retrait du permis de conduire (lrsquoavis de

la preacutefecture du 5 aoucirct 1999) En reacutealiteacute il existe un tregraves bref

chevauchement entre les proceacutedures administratives qui ont deacutebuteacute le 5 mai

1999 et ont pris fin le 18 deacutecembre 2000 et les proceacutedures peacutenales qui ont

pris fin le 24 juin 1999

Dans lrsquoaffaire Boman115 la Cour a eacutegalement consideacutereacute qursquoil existait

pareil lien temporel puisque la deacutecision de la police du 28 mai 2010

drsquoimposer une seconde interdiction de conduite eacutetait directement baseacutee sur

la condamnation finale du requeacuterant par le tribunal deacutepartemental des

infractions routiegraveres du 22 avril 2010 et ainsi ne contenait pas drsquoexamen

propre de lrsquoinfraction ou de la conduite en cause Le lien temporel suffisant

eacutetait lieacute agrave lrsquoabsence drsquoappreacuteciation autonome des preuves comme si lrsquoun et

lrsquoautre eacutetaient eacutetroitement associeacutes

43 Agrave lrsquoinverse dans les affaires Glantz116 Nykaumlnen117 Lucky Dev118

Rinas119 et Oumlsterlund120 la Cour a pris en consideacuteration les dates auxquelles

112 Zigarella preacuteciteacute Il pourrait exister une difficulteacute au regard de la Convention lorsque

deux ou plusieurs proceacutedures peacutenales sont meneacutees en parallegravele contre le mecircme accuseacute pour

les mecircmes faits avant mecircme qursquoune deacutecision deacutefinitive nrsquoait eacuteteacute rendue dans lrsquoune drsquoentre

elles La situation de lis pendens forccedilant lrsquoaccuseacute agrave preacutesenter plusieurs strateacutegies de

deacutefense en mecircme temps devant plusieurs autoriteacutes soulegraveve un problegraveme drsquoinjustice

113 Tomasović preacuteciteacute sectsect 30 et 32 Muslija preacuteciteacute sect 37 et Milenković c Serbie

ndeg 5012413 sect 46 1 mars 2016

114 Nilsson preacuteciteacute

115 Boman c Finlande ndeg 4160411 17 feacutevrier 2015

116 Glantz c Finlande ndeg 3739411 20 mai 2014

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 79

les deacutecisions administratives et peacutenales eacutetaient devenues deacutefinitives Dans

toutes ces affaires la Cour a constateacute une violation Dans lrsquoarrecirct Glantz121

la proceacutedure administrative avait eacuteteacute initieacutee le 18 deacutecembre 2006 et a eacuteteacute

deacutefinitivement close le 11 janvier 2010 alors que la proceacutedure peacutenale avait

eacuteteacute initieacutee le 15 deacutecembre 2008 Les deux instances eacutetaient donc en cours de

maniegravere concurrente jusqursquoau 11 janvier 2010 lorsque la premiegravere a eacuteteacute

deacutefinitivement close Dans la mesure ougrave la proceacutedure peacutenale nrsquoavait pas eacuteteacute

interrompue apregraves que la premiegravere proceacutedure avait eacuteteacute deacutefinitivement close

mais srsquoeacutetait poursuivie jusqursquoagrave une deacutecision deacutefinitive le 18 mai 2011 la

Cour a consideacutereacute que le requeacuterant avait eacuteteacute condamneacute deux fois dans la

mecircme affaire dans instances devenues deacutefinitivement closes le 11 janvier

2010 et le 18 mai 2011122

Dans lrsquoarrecirct Rinas123 la Cour a noteacute que lorsque la proceacutedure peacutenale a

eacuteteacute deacutefinitivement close le 31 mai 2012 le recours formeacute par le requeacuterant

contre la deacutecision de majoration fiscale eacutetait toujours pendant devant la

Cour administrative suprecircme Dans la mesure ougrave la proceacutedure

administrative devant la Cour administrative suprecircme nrsquoavait pas eacuteteacute

interrompue apregraves que la proceacutedure peacutenale avait eacuteteacute deacutefinitivement close

mais srsquoeacutetait poursuivie jusqursquoagrave une deacutecision deacutefinitive du 13 septembre

2012 le requeacuterant a eacuteteacute condamneacute deux fois dans la mecircme affaire

concernant les anneacutees fiscales 2002 agrave 2004 dans deux instances closes

respectivement le 31 mai 2012 et le 13 septembre 2012124

44 La Cour est arriveacutee agrave une conclusion diffeacuterente dans lrsquoarrecirct Haumlkkauml125

La proceacutedure administrative avait deacutebuteacute en 2007 lorsque des majorations

drsquoimpocirct avaient eacuteteacute imposeacutees au requeacuterant Il nrsquoavait apparemment jamais

chercheacute agrave obtenir une rectification ni agrave former un recours et en

conseacutequence cette proceacutedure a eacuteteacute deacutefinitivement close le 31 deacutecembre

2010 et le 31 deacutecembre 2011 agrave lrsquoexpiration des deacutelais de rectification et

drsquoappel La proceacutedure peacutenale avait eacuteteacute initieacutee le 3 avril 2008 et srsquoeacutetait

acheveacutee le 29 juin 2010 lorsque la Cour suprecircme a rendu son arrecirct deacutefinitif

Les deux instances eacutetaient ainsi pendantes de maniegravere concurrente jusqursquoau

117 Nykaumlnen preacuteciteacute

118 Lucky Dev preacuteciteacute

119 Rinas c Finlande ndeg 1703913 27 janvier 2015

120 Oumlsterlund c Finlande ndeg 5319713 10 feacutevrier 2015

121 Glantz preacuteciteacute sect 62

122 Le mecircme raisonnement a eacuteteacute suivi dans Nykaumlnen (preacuteciteacute sect 52 ndash les proceacutedures

fiscales avaient commenceacute le 28 novembre 2005 et srsquoeacutetaient acheveacutees le 1er avril 2009

alors que les proceacutedures peacutenales avaient eacuteteacute initieacutees le 19 aoucirct 2008 et srsquoeacutetaient acheveacutees le

1er septembre 2010) et Lucky Dev (preacuteciteacute sect 63 ndash les proceacutedures fiscales avaient

commenceacute le 1er juin 2004 et srsquoeacutetaient acheveacutees le 20 octobre 2009 et les proceacutedures

peacutenales initieacutees le 5 aoucirct 2005 ont eacuteteacute deacutefinitivement closes le 8 janvier 2009)

123 Rinas preacuteciteacute sect 56

124 La situation eacutetait similaire dans lrsquoaffaire Oumlsterlund (preacuteciteacute sect 51)

125 Haumlkkauml c Finlande ndeg 75811 sectsect 50-52 20 mai 2014

80 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

29 juin 2010 quand la seconde devint deacutefinitive La Cour nrsquoa pas conclu agrave

la violation dans la mesure ougrave laquo le requeacuterant avait une possibiliteacute reacuteelle

drsquoempecirccher une double incrimination tout drsquoabord en demandant la

rectification puis en formant un recours dans le deacutelai qui nrsquoeacutetait pas encore

expireacute raquo126 Ainsi pour la Cour dans lrsquoarrecirct Haumlkkauml si lrsquoaccuseacute ne forme

aucun recours administratif le principe ne bis in idem ne trouve pas agrave

srsquoappliquer quand bien mecircme lrsquoaccuseacute aurait deacutejagrave fait lrsquoobjet drsquoune

condamnation deacutefinitive dans la proceacutedure peacutenale

45 Enfin dans lrsquoarrecirct Kiiveri127 la Cour a consideacutereacute que le requeacuterant ne

pouvait plus se plaindre drsquoune double incrimination pour lrsquoanneacutee fiscale

2002 preacuteciseacutement parce que la Cour suprecircme avait conclu que lrsquoaffaire

avait eacuteteacute deacutefinitivement trancheacutee dans la proceacutedure fiscale administrative et

avait rejeteacute les accusations peacutenales de fraude fiscale aggraveacutee laquo sans

examiner le fond raquo128 concernant lrsquoanneacutee 2002 sur la base du principe ne

bis in idem

46 Les exemples ci-dessus suffisent agrave montrer que le laquo lien temporel

suffisamment eacutetroit raquo est totalement arbitraire Crsquoest preacuteciseacutement la raison

pour laquelle la Cour srsquoen est dispenseacutee dans les affaires italiennes et

grecques129

Contrairement agrave la position du gouvernement franccedilais qui avait identifieacute

une phase drsquoappreacuteciation par les autoriteacutes fiscales et une autre drsquoenquecircte

judiciaire lesquelles devaient ecirctre meneacutees simultaneacutement ou nrsquoecirctre seacutepareacutees

que par un bref intervalle130 la majoriteacute dans la preacutesente affaire a choisi de

consideacuterer pertinente une peacuteriode de neuf mois entre le moment ougrave la

deacutecision des autoriteacutes fiscales du 5 deacutecembre 2008 eacutetait devenue deacutefinitive

et la date de la condamnation du second requeacuterant le 30 septembre 2009

Bien que cette peacuteriode soit laquo plus longue raquo131 que la peacuteriode de deux mois et

demi dans le cas du premier requeacuterant la majoriteacute impute ce laps de temps

additionnel au retrait par le second requeacuterant de ses aveux Selon ce

raisonnement la garantie du ne bis idem devient flexible avec une porteacutee

plus eacutetroite lorsque lrsquoaccuseacute exerce ses droits proceacuteduraux et plus large

lorsqursquoil ne le fait pas La posture punitive de la majoriteacute ne pouvait pas ecirctre

illustreacutee de maniegravere plus eacuteloquente

126 Ibidem sect 52

127 Kiiveri c Finlande ndeg 5375312 10 feacutevrier 2015

128 Ibidem sect 36

129 Je me reacutefegravere aux arrecircts Grande Stevens et autres (preacuteciteacute) Kapetanios et autres

(preacuteciteacute) et Sismanidis et Sitaridis (preacuteciteacute) dans lesquels la Cour a eacuteteacute unanime

130 Voir paragraphe 96 de lrsquoarrecirct

131 Voir paragraphe 150 de lrsquoarrecirct

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 81

b) Un lien mateacuteriel suffisant

47 La majoriteacute suit explicitement le raisonnement eacutetabli dans les

affaires RT c Suisse132 et Nilsson c Suegravede133 concernant les doubles

proceacutedures peacutenales et administratives lorsque les deacutecisions de retrait de

permis de conduire eacutetaient directement baseacutees sur une condamnation peacutenale

attendue ou finale pour infraction routiegravere et ainsi ne contenaient pas

drsquoexamen seacutepareacute de lrsquoinfraction ou de la conduite en cause134 Cette

jurisprudence a eacuteteacute deacuteveloppeacutee plus avant dans les affaires Lucky Dev

Nykaumlnen et Haumlkkauml135 ougrave il nrsquoexistait preacutetendument aucun lien suffisant

mateacuteriel et temporel entre les proceacutedures peacutenales et fiscales Dans les trois

affaires susmentionneacutees les proceacutedures peacutenales et fiscales eacutetaient parallegraveles

et concernaient la mecircme peacuteriode et essentiellement le mecircme montant

soustrait au fisc Dans celles-ci la Cour a noteacute que les infractions avaient

eacuteteacute examineacutees par diffeacuterentes autoriteacutes et juridictions sans que les

proceacutedures ne soient lieacutees les deux instances suivant leur propre cours et

eacutetant devenues deacutefinitives agrave des moments diffeacuterents Enfin dans tous ces

cas la responsabiliteacute peacutenale du requeacuterant et sa responsabiliteacute de payer les

majorations drsquoimpocirct fixeacutees par la leacutegislation fiscale pertinente eacutetaient

deacutetermineacutes dans des proceacutedures totalement indeacutependantes les unes des

autres Dans lrsquoaffaire Lucky Dev la Cour administrative suprecircme nrsquoavait pas

pris en consideacuteration le fait que la requeacuterante avait eacuteteacute acquitteacutee de

lrsquoinfraction fiscale lorsqursquoelle a refuseacute de faire appel et a imposeacute en

conseacutequence des majorations deacutefinitives136 Dans les affaires Nykaumlnen et

Haumlkkauml ni les sanctions administratives ni les sanctions peacutenales nrsquoont eacuteteacute

prises en consideacuteration par lrsquoautre juridiction ou autoriteacute lorsque celles-ci se

sont prononceacutees sur la seacuteveacuteriteacute de la sanction il nrsquoy a drsquoailleurs eu aucune

interaction entre les autoriteacutes concerneacutees137

48 Avant de discuter les deacutetails de ce raisonnement deux arguments

fallacieux doivent ecirctre eacutecarteacutes drsquoembleacutee Lrsquoun veut que si lrsquoarticle 4 du

132 RT c Suisse (deacutec) ndeg 3198296 30 mai 2000

133 Nilsson preacuteciteacute

134 Dans lrsquoaffaire RT c Suisse la proceacutedure administrative avait deacutebuteacute le 11 mai 1993

et avait eacuteteacute conclue avec la deacutecision du Tribunal feacutedeacuteral du 5 deacutecembre 1995 alors que la

proceacutedure peacutenale avait eacuteteacute conclue par la deacutelivrance de lrsquoordonnance peacutenale du 9 juin 1993

qui nrsquoavait pas fait lrsquoobjet drsquoun recours Dans lrsquoaffaire Nilsson la proceacutedure peacutenale avait

eacuteteacute conclue le 24 juin 1999 puisque le jugement du tribunal deacutepartemental de Mora nrsquoavait

pas fait lrsquoobjet drsquoun recours alors que la proceacutedure administrative avait commenceacute le 5 mai

1999 et srsquoeacutetait acheveacutee le 11 novembre 1999 Dans le dernier cas la sanction administrative

a eacuteteacute imposeacutee apregraves que la sanction peacutenale eacutetait devenue deacutefinitive Dans le premier cas la

sanction administrative a eacuteteacute imposeacutee avant la sanction peacutenale Ces affaires ne sont pas

similaires Pourtant la majoriteacute les a traiteacutees comme si elles lrsquoeacutetaient

135 Lucky Dev preacuteciteacute sect 54 et Nykaumlnen preacuteciteacute sect 43 et Haumlkkauml preacuteciteacute sectsect 50-52

136 Lucky Dev preacuteciteacute sect 62 Oumlsterlund preacuteciteacute sectsect 50 et 51 et Rinas preacuteciteacute sectsect 55 et

56

137 Nykaumlnen preacuteciteacute sectsect 51 et 52 Haumlkkauml preacuteciteacute sectsect 50 et 52

82 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

Protocole no 7 devait ecirctre interpreacuteteacute comme prohibant la clocircture de

proceacutedures en cours agrave partir du moment ougrave soit la proceacutedure peacutenale soit la

proceacutedure administrative est conclue par une deacutecision deacutefinitive cela

implique des laquo conseacutequences lourdes neacutegatives et impreacutevisibles dans un

certain nombre de domaines relevant du droit administratif raquo138 Cet

argumentum ad terrorem lequel joue la carte de lrsquoappel agrave la peur nrsquoest pas

un argument juridique et ne devrait degraves lors beacuteneacuteficier drsquoaucun creacutedit devant

une juridiction Lrsquoautre exemple drsquoargument fallacieux inadmissible est

celui selon lequel plusieurs Eacutetats europeacuteens qui connaissent un double

systegraveme de sanction ont plaideacute pour son maintien devant la Cour exprimant

des opinions et preacuteoccupations similaires agrave celles du gouvernement

deacutefendeur139 Il srsquoagit drsquoun argumentum ad nauseam jouant sur la reacutepeacutetition

de lrsquoargument et non sur ses meacuterites Il ne devrait pas qua tale avoir sa place

dans une deacutecision de la Cour

49 Deux postulats geacuteneacuteraux erroneacutes doivent eacutegalement ecirctre deacutenonceacutes Il

est faut drsquoarguer sur le terrain de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 que les Eacutetats

doivent beacuteneacuteficier drsquoune large marge drsquoappreacuteciation agrave cet eacutegard tant que le

systegraveme de double sanction poursuit un but leacutegitime et ne fait pas peser un

fardeau excessif ou disproportionneacute sur lrsquoaccuseacute Il srsquoagit drsquoun droit non

susceptible de deacuterogation et par conseacutequent les Eacutetats ne beacuteneacuteficient

drsquoaucune marge drsquoappreacuteciation140

Il nrsquoest pas davantage permis drsquoarguer que la question de savoir laquelle

des deux proceacutedures parallegraveles devient deacutefinitive relegraveve de la coiumlncidence

ni que si les autoriteacutes eacutetaient obligeacutees drsquointerrompre la premiegravere lorsque la

deuxiegraveme devient deacutefinitive lrsquoissue des proceacutedures combineacutees pourrait srsquoen

trouver arbitraire Cette argumentation est circulaire parce qursquoelle

preacutesuppose qursquoil devrait y avoir plus drsquoune proceacutedure pour les mecircmes faits

De plus elle implique que lrsquoaccuseacute puisse utiliser le principe ne bis in idem

agrave des fins de laquo manipulation et drsquoimpuniteacute raquo141 comme si lrsquoaccuseacute eacutetait

toujours en mesure de controcircler le rythme des proceacutedures Une telle vision

de lrsquoeacutequilibre des pouvoirs dans les proceacutedures administratives est

deacuteconnecteacutee de la reacutealiteacute142 Enfin la supposition sous-jacente du

raisonnement de la majoriteacute est la suivante le principe ne bis in idem nrsquoest

pas lrsquoexpression drsquoun droit subjectif de lrsquoaccuseacute mais une simple regravegle

visant agrave garantie lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee avec pour seul but la

138 Voir lrsquoargument du Gouvernement au paragraphe 84 de lrsquoarrecirct

139 Voir cet argument au paragraphe 119 de lrsquoarrecirct

140 Voir de maniegravere similaire le Rapport explicatif sur lrsquoAvis de lrsquoAssembleacutee

Parlementaire du Conseil de lrsquoEurope sur le Projet de Protocole ndeg 15 agrave la Convention de

sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales doc 13154 28 mars 2013

sect 8

141 Voir paragraphe 127 de lrsquoarrecirct

142 Voir comme exemple du deacuteseacutequilibre des pouvoirs entre les autoriteacutes administratives

et le justiciable dans des proceacutedures administratives mon opinion jointe agrave lrsquoarrecirct Grande

Stevens et autres preacuteciteacute

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 83

satisfaction de lrsquointeacuterecirct punitif de lrsquoEacutetat et de lrsquoincontestabiliteacute des deacutecisions

de justice Les reacuteflexions suivantes mettront en eacutevidence de maniegravere plus

deacutetailleacutee cette posture pro auctoritate de la majoriteacute

V - La reacutevision de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine

A La restriction de lrsquoidem factum par le critegravere du bis

a) La poursuite de buts diffeacuterents traitant drsquoaspects diffeacuterents de lrsquoacte

preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute

50 Drsquoapregraves la majoriteacute quatre conditions de fond doivent ecirctre reacuteunies

pour que puisse ecirctre accepteacute le cumul des sanctions administratives et

peacutenales des proceacutedures poursuivant des buts compleacutementaires et traitant

drsquoaspects diffeacuterents de lrsquoacte preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute en cause la

preacutevisibiliteacute du cumul des sanctions la non-reacutepeacutetition de la collecte et de

lrsquoappreacuteciation des preuves et le meacutecanisme de compensation entre les

sanctions administrative et peacutenale

51 La premiegravere condition fixeacutee par la majoriteacute se reacutefegravere agrave diffeacuterentes

proceacutedures poursuivant des buts compleacutementaires et traitant drsquoaspects

diffeacuterents de lrsquoacte en cause La majoriteacute identifie au paragraphe 144 les

diffeacuterents buts poursuivis par les majorations drsquoimpocirct sur le fondement de

lrsquoarticle 10 du chapitre 10 (dissuasion geacuteneacuterale et compensation pour le

travail et les coucircts supporteacutes par les autoriteacutes fiscales pour identifier les

deacuteclarations frauduleuses) et par la condamnation peacutenale sur le fondement

de lrsquoarticle 12 du chapitre 12 de la loi fiscale de 1980 (but punitif) La

majoriteacute souligne eacutegalement au paragraphe 123 lrsquolaquo eacuteleacutement additionnel raquo de

lrsquoinfraction peacutenale (la conduite frauduleuse) qui nrsquoest pas supposeacutement

traiteacute par lrsquoinfraction fiscale En drsquoautres termes la majoriteacute se range du

cocircteacute du Gouvernement qui preacutetend que les majorations drsquoimpocirct ordinaires

sont laquo infligeacutees objectivement sans consideacuteration de la faute dans le but

drsquooffrir agrave lrsquoEacutetat une compensation pour les coucircts associeacutes raquo au processus de

controcircle143

52 Cette thegravese ne tient pas pour deux raisons juridiques de principe

Premiegraverement il nrsquoy a aucune disposition ni instrument obligatoire de droit

interne qui requerrait un rapport de proportionnaliteacute entre les majorations

drsquoimpocirct et les coucircts engageacutes par lrsquoadministration pour deacutetecter investiguer

poursuivre et reacuteparer lrsquoinfraction fiscale imputeacutee au coupable Une telle

exigence serait simplement irreacutealiste puisqursquoelle ne pourrait ecirctre baseacutee que

sur une estimation virtuelle et approximative des coucircts per capita de

lrsquoadministration fiscale avec son systegraveme de controcircles et drsquoaudits reacutealiseacutes

pour identifier les deacuteclarations frauduleuses Ainsi lrsquoexistence drsquoune finaliteacute

compensatoire pour les majorations drsquoimpocirct impliquerait un eacuteleacutement

143 Voir les observations du Gouvernement du 11 novembre 2015 p 29

84 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

inadmissible de culpabiliteacute collective faisant peser sur certains

contribuables le coucirct du systegraveme de controcircle des deacuteclarations fiscales tout

entier

53 Ensuite la position de la majoriteacute neacuteglige le fait que les majorations

drsquoimpocirct en cause ne peuvent ecirctre consideacutereacutees comme simplement

compensatoires Des majorations jusqursquoagrave 30 voire mecircme 60 sont si

lourdes qursquoelles incluent manifestement une dimension punitive Dans

lrsquoaffaire Janosevic des majorations normalement fixeacutees agrave 20 ou 40 de

lrsquoimpocirct eacuteviteacute sans plafond et non convertible en peine de prison en cas de

non-paiement ont eacuteteacute consideacutereacutees comme relevant du volet peacutenal de

lrsquoarticle 6144 Enfin la majoriteacute nrsquoest pas consciente du but intrinsegravequement

punitif de toute majoration fiscale quel que soit son montant ainsi que

lrsquoaffaire Jussila lrsquoavait eacutetabli longtemps auparavant srsquoagissant drsquoune

majoration fiscale de 10 pouvant aller jusqursquoagrave 20 145 Il est difficile de

comprendre pourquoi la Cour a soudainement abandonneacute dans la preacutesente

affaire ces normes bien eacutetablies sans explication

En reacutesumeacute dans le cadre du droit norveacutegien les majorations drsquoimpocirct

visent agrave dissuader les fraudeurs potentiels et les reacutecidivistes La preacutevention

geacuteneacuterale est le but admis des majorations drsquoimpocirct en question146 Cet

objectif de preacutevention geacuteneacuterale a laquo neacutecessairement raquo des effets secondaires

punitifs et de preacutevention speacuteciale concernant le deacutelinquant condamneacute et ces

effets secondaires sont eacutevidemment voulus par la politique de lrsquoEacutetat147 La

Cour suprecircme a fait un effort louable pour limiter ces effets exemplaires et

punitifs par le principe de proportionnaliteacute148 Mais la Cour ne devrait pas se

livrer agrave un jeu seacutemantique Elle devrait plutocirct eacutevaluer drsquoune maniegravere

reacutealiste et terre agrave terre les sanctions fiscales et leur impact sur la vie des

contribuables Sous cet angle la preacutevention geacuteneacuterale par le biais drsquoune

punition proportionneacutee nrsquoest rien de plus qursquoune laquo theacuteorie punitive

deacuteguiseacutee raquo (verkappte Vergeltungstheorie)149

144 Janosevic preacuteciteacute sect 69

145 Jussila preacuteciteacute sect 38

146 Voir paragraphe 47 de lrsquoarrecirct

147 Ainsi que la Cour lrsquoa dit elle-mecircme dans lrsquoarrecirct Kurdov et Ivanov (preacuteciteacute sect 40)

mentionnant le but neacutecessairement reacutepressif des sanctions administratives de nature

peacutecuniaire

148 Voir le paragraphe 50 de lrsquoarrecirct

149 Il est impossible dans les limites de cette opinion drsquoentrer dans le grand deacutebat

doctrinal relatif aux objectifs des infractions administratives et en particulier de leurs

objectifs laquo deacuteguiseacutes raquo Comme introduction agrave cette discussion voir James Goldschmidt

Das Verwaltungsstrafrecht Eine Untersuchung der Grenzgebiete zwischen Strafrecht und

Verwaltungsrecht auf rechtsgeschichtlicher und rechtsvergleichender Grundlage Berlin

1902 Erik Wolf Die Stellung der Verwaltungsdelikte im Strafrechtssystem in Beitraumlge

zur Strafrechtswissenschaft Festgabe fuumlr Reinhard von Frank II Tuumlbingen 1930

Schmidt Straftaten und Ordnungswidrigkeiten in Juristen Zeitung 1951 Mattes

Untersuchungen zur Lehre von den Ordnungswidrigkeiten Berlin 1972 Paliero Minima

non curat praetor Ipertrofia del diritto penale e decriminalizzazione dei reatti bagatellari

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 85

54 Lrsquoargumentation du Gouvernement ne peut pas non plus ecirctre

accueillie concernant laquo lrsquoeacuteleacutement additionnel raquo de lrsquoinfraction peacutenale le

preacutetendu eacuteleacutement intentionnel frauduleux Lrsquoaccepter irait agrave lrsquoencontre de

lrsquoarrecirct Ruotsalainen150 Dans cette affaire lrsquoEacutetat deacutefendeur arguait que la

fraude fiscale incluait un eacuteleacutement laquo drsquointentionnaliteacute raquo alors que lrsquoinfraction

administrative ne pouvait reposer que sur des motifs objectifs La reacuteponse

de la Cour est eacuteloquente les faits dans les deux instances se distinguaient agrave

peine bien que la proceacutedure peacutenale requicirct une intention mais cela nrsquoeacutetait pas

pertinent aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Les eacuteleacutements des deux

infractions devaient donc ecirctre regardeacutes comme eacutetant substantiellement les

mecircmes agrave ces fins Il devrait en aller de mecircme dans la preacutesente affaire

55 En outre la majoriteacute ne compare pas les eacuteleacutements subjectifs de

lrsquoinfraction fiscale administrative passible de majoration drsquoimpocirct et

lrsquoinfraction fiscale de nature peacutenale passible drsquoemprisonnement ou

drsquoamende En conseacutequence elle meacuteconnaicirct la critique drsquoordre moral que

lrsquoon peut intrinsegravequement tirer de la lettre et de lrsquoesprit des provisions

pertinentes de la loi fiscale de 1980 (article 10-2 agrave 4 du chapitre 10)

Lrsquoarticle 10-3 emploie les expressions laquo excusable raquo et laquo raison qui ne peut

lui ecirctre reprocheacutee raquo pour deacutesigner les causes de remises fiscales

Lrsquoinexcusabiliteacute et le caractegravere blacircmable sont des notions intrinsegravequement

morales de lrsquoinfraction administrative qui caracteacuterisent la mens rea du

coupable On les trouve dans les infractions peacutenales aussi La modification

de cette disposition en 2010 ne renvoie plus agrave ces deux notions mais ajoute

la notion drsquolaquo erreur manifestement commise par inadvertance raquo qui

comporte de toute eacutevidence un eacuteleacutement de critique morale pour les erreurs

non commises laquo par inadvertance raquo ou intentionnelles

De plus les majorations drsquoimpocirct jusqursquoagrave un maximum de 60 peuvent

ecirctre imposeacutees quand des actes sont commis volontairement ou par

neacutegligence grossiegravere Ainsi ils requiegraverent lrsquoeacutetablissement drsquoune mens rea et

drsquoune culpabiliteacute comme en matiegravere peacutenale Les eacuteleacutements subjectifs de la

fraude eacutenonceacutes dans les dispositions peacutenales de lrsquoarticle 12-1 du chapitre 12

ndash laquo tout en sachant ou tout en eacutetant censeacutee savoir qursquoelle peut en tirer des

avantages fiscaux raquo ndash recoupe lrsquoeacuteleacutement subjectif de la majoration fiscale

aggraveacutee pouvant aller jusqursquoagrave 60 (neacutegligence grossiegravere ou intentionnelle

ndash article 10-4 du chapitre 10) Autrement dit les eacuteleacutements subjectifs des

sanctions peacutenales et administratives coiumlncident Les proceacutedures peacutenale et

administrative en cause ne visent pas tel ou tel aspect diffeacuterent de lrsquoacte

preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute

56 Une remarque pour finir la premiegravere condition fixeacutee par la majoriteacute

relegraveve en derniegravere analyse de la deacutetermination de lrsquoidem Lrsquoeacutetablissement

des laquo buts diffeacuterents raquo poursuivis par les infractions administratives et

Padoue 1985 et Delmas-Marty et autres Punir sans juger De la reacutepression administrative

au droit administratif peacutenal Paris 1992

150 Ruotsalainen preacuteciteacute sect 56

86 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

peacutenales et des laquo diffeacuterents aspects de lrsquoacte preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute raquo viseacutes

par chacune de ces infractions est intrinsegravequement une question de fond qui

touche agrave la deacutefinition de lrsquoidem Ces questions doivent ecirctre consideacutereacutees

comme se rattachant davantage agrave la notion drsquoidem plutocirct qursquoagrave celle de bis

contrairement au raisonnement theacuteorique de la majoriteacute En deacutepit de cette

confusion theacuteorique le but de la majoriteacute est tregraves clair elle veut limiter la

porteacutee de lrsquoidem factum En agissant de la sorte elle inflige un camouflet

conseacutequent agrave la jurisprudence Sergueiuml Zolotoukhine

b) La preacutevisibiliteacute du cumul des diffeacuterentes sanctions

57 La seconde condition fixeacutee par la majoriteacute se rapporte agrave la

preacutevisibiliteacute de la mixiteacute des proceacutedures administratives et peacutenales comme

conseacutequence agrave la fois en droit et en pratique du mecircme acte Une telle

preacutevisibiliteacute est affirmeacutee aux paragraphes 146 et 152 de lrsquoarrecirct sans le

moindre effort pour deacutevelopper la question tregraves deacutelicate du degreacute de

connaissance requis pour engager la responsabiliteacute administrative Une

probleacutematique qui a captiveacute lrsquoattention de la doctrine depuis des deacutecennies a

eacuteteacute tout simplement eacutecarteacutee151 La majoriteacute suppose simplement que les

citoyens en geacuteneacuteral et les contribuables en particulier connaissent ou

devraient connaicirctre lrsquointeacutegraliteacute du cadre juridique administratif y compris

les sanctions et ainsi pourraient ecirctre responsables de toute faute ou conduite

abusive agrave lrsquoaune de ce cadre juridique

58 La majoriteacute ne consacre pas une seule ligne de son raisonnement agrave

lrsquoargument des requeacuterants selon lequel les sanctions qui leur ont eacuteteacute

imposeacutees eacutetaient discriminatoires discreacutetionnaires et non preacutevisibles

puisque quatre coaccuseacutes (GA TF KB et GN) impliqueacutes dans les mecircmes

faits ne se sont pas vu imposer de majorations drsquoimpocirct alors que les

requeacuterants ont ducirc subir des peines de prison et des majorations drsquoimpocirct152

Cet argument va droit au cœur de la seconde condition fixeacutee par la majoriteacute

Les faits de la preacutesente affaire montrent que les Instructions du Procureur

geacuteneacuteral du 3 avril 2009 nrsquoont pas eacuteteacute appliqueacutees aux requeacuterants ni agrave A dont

la condamnation peacutenale date du 2 mars 2009 ni agrave B dont la condamnation

date du 30 novembre 2009 La Cour suprecircme en a pris note mais sans en

tirer de conseacutequence en en se justifiant ainsi laquo le parquet srsquoest reacuteserveacute le

droit drsquoouvrir des poursuites peacutenales sur la base drsquoune appreacuteciation

individuelle au cas ougrave serait en cours une proceacutedure parallegravele non contraire

[agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7] Il a eacuteteacute indiqueacute que le procegraves de [A] srsquoeacutetait

poursuivi au motif qursquoune juste sanction srsquoimposait agrave lrsquoaune drsquoautres

151 Voir comme introduction agrave cette probleacutematique les annotations aux paragraphes 10

et 11 in Rebman et autres Gesetz uumlber Ordnungswidrigkeiten Kommentar troisiegraveme

eacutedition Stuttgart 2016 et Karlsruher Kommentar zum Gesetz uumlber Ordnungswidrigkeiten

quatriegraveme eacutedition Munich 2014

152 Voir paragraphe 64 de lrsquoarrecirct

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 87

affaires connexes () Degraves lors le fondement de la deacutecision eacutetait le principe

drsquoeacutegaliteacute de traitement par rapport agrave des affaires connexes raquo Les requeacuterants

ont rejeteacute cet argument en soulignant que au regard des Instructions de

2009 les majorations drsquoimpocirct nrsquoavaient pas eacuteteacute imposeacutees agrave quatre autres

accuseacutes impliqueacutes dans les mecircmes faits Le Gouvernement nrsquoa pas

speacutecifiquement contesteacute cette thegravese La majoriteacute nrsquoa rien agrave reacutepondre agrave cette

thegravese majeure des requeacuterants

59 Quoi qursquoil en soit la latitude offerte par les Instructions est

inacceptable agrave la lumiegravere de la jurisprudence Camilleri153 Une telle latitude

pose problegraveme sous lrsquoangle de la seacutecuriteacute juridique Les Instructions avaient

fait naicirctre lrsquoespoir que lrsquoEacutetat ne consideacutererait plus le systegraveme norveacutegien de

reacutepression des fraudes fiscales agrave double voie comme eacutetant leacutegal et conforme

agrave la Convention et ainsi que le Procureur aurait lrsquoobligation drsquoattaquer les

condamnations et avant que celles-ci ne soient prononceacutees drsquoabandonner

les poursuites154 Dans le cas des requeacuterants la deacutecision par le parquet de

proceacuteder diffeacuteremment nrsquoeacutetait pas preacutevisible Le traitement preacutefeacuterentiel

accordeacute aux quatre autres accuseacutes impliqueacutes dans les mecircmes faits qui ont

eacuteteacute exempteacutes de toute majoration fiscale (GA TF KB et GN) ne fait que

prouver le caractegravere discreacutetionnaire et donc impreacutevisible du choix des

autoriteacutes nationales

B La conception pro auctoritate du ne bis in idem de la majoriteacute

a) Absence de reacutepeacutetition de la collecte et de lrsquoappreacuteciation des preuves

60 La troisiegraveme condition fixeacutee par la majoriteacute consiste en une

prohibition souple (laquo autant que possible raquo) de la reacutepeacutetition de la collecte et

de lrsquoappreacuteciation des preuves agrave partir drsquoun exemple (laquo notamment raquo)

lrsquointeraction entre diffeacuterentes autoriteacutes administrative et judiciaire pour

aboutir agrave lrsquoeacutetablissement des faits dans une proceacutedure est eacutegalement utiliseacutee

dans lrsquoautre proceacutedure155 Pour moi cette condition est tregraves probleacutematique

61 Par principe les conditions de la protection drsquoun droit individuel non

susceptible de deacuterogation tel que le ne bis in idem ne doivent pas ecirctre

laisseacutees au pouvoir discreacutetionnaire de lrsquoEacutetat Puisque la troisiegraveme condition

de la majoriteacute est une simple recommandation de iure condendo ce nrsquoest

pas une exigence conventionnelle Elle a le mecircme effet que lrsquoeacutenonceacute

eacutegalement de iure condendo selon lequel laquo la maniegravere la plus sucircre de veiller

153 Camilleri c Malte ndeg 4293110 22 janvier 2013

154 La position du Procureur Geacuteneacuteral norveacutegien ne pourrait ecirctre plus claire apregraves lrsquoarrecirct

Sergueiuml Zolotoukhine laquo Depuis le revirement opeacutereacute dans la jurisprudence de la Cour il

faut appliquer un systegraveme laquo agrave un niveau raquo eacutegalement pour les majorations drsquoimpocirct

ordinaires raquo Voir paragraphes 48 et 64 de lrsquoarrecirct

155 Voir paragraphe 132 de lrsquoarrecirct La majoriteacute ne dit pas un mot agrave propos de la solution

existant dans certains Eacutetats drsquoune coopeacuteration entre lrsquoadministration et le parquet pour

deacuteterminer la marche agrave suivre

88 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

au respect de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 consiste agrave preacutevoir agrave un stade

opportun une proceacutedure agrave un seul niveau raquo156 Tous deux sont des dicta non

contraignants qui nrsquoajoutent rien agrave la jurisprudence contraignante de la

Cour

62 En outre cette recommandation ne fait qursquoeffleurer en surface un

problegraveme tregraves seacuterieux Lrsquoexistence de diffeacuterentes deacuteclarations par les

autoriteacutes administratives et judiciaires sur les mecircmes faits sur la base drsquoune

appreacuteciation diffeacuterentes des mecircmes faits met en question lrsquoautoriteacute de

lrsquoEacutetat Pire encore une appreacuteciation diffeacuterente des preuves dans une

proceacutedure administrative et une proceacutedure peacutenale permet le deacutetournement

insidieux de la proceacutedure administrative aux fins de la proceacutedure peacutenale Ce

deacutetournement est encore plus inquieacutetant que le risque pour lrsquoautoriteacute de

lrsquoEacutetat dans la mesure ougrave il laisse lrsquoaccuseacute sans deacutefense En drsquoautres termes

la condamnation peacutenale est presque courue drsquoavance lorsque lrsquoinfraction

administrative commise par le contribuable a deacutejagrave eacuteteacute eacutetablie sur la base de

regravegles de preuve moins strictes Lrsquoobligation de coopeacuteration avec le fisc qui

pegravese sur le contribuable dans les proceacutedures administratives aggrave encore

cette conclusion

63 La majoriteacute ne confronte pas les regravegles de preuve en matiegravere

administrative et peacutenale en Norvegravege pour veacuterifier srsquoil existe un danger de

reacutepeacutetition dans la collecte et lrsquoappreacuteciation des preuves dans les deux

proceacutedures Elle nrsquoanalyse pas non plus le cadre juridique reacutegissant les

interactions entre les diffeacuterentes autoriteacutes judiciaires et administratives pour

deacuteterminer si lrsquoeacutetablissement des faits dans la proceacutedure administrative

influence la proceacutedure peacutenale et vice versa Aux paragraphes 145 et 150 de

lrsquoarrecirct la majoriteacute se contente drsquoeacutevoquer quelques exemples ad hoc

drsquoeacutechange drsquoinformations entre les autoriteacutes administratives et judiciaires

Rien de plus

64 Or les parties ont acircprement discuteacute cette question Le Gouvernement

reconnait que les regravegles de preuve sont diffeacuterentes dans les proceacutedures

fiscales dans lesquelles le critegravere de la laquo cause probable qualifieacutee raquo

srsquoapplique par rapport aux proceacutedures peacutenales dans lesquelles un laquo standard

de preuve strict raquo srsquoapplique En reacutealiteacute il srsquoagit selon le Gouvernement de

lrsquoun des laquo avantages majeurs raquo qursquooffrent les proceacutedures administratives157

Si crsquoest le cas la troisiegraveme condition de la majoriteacute nrsquoest pas respecteacutee en

droit norveacutegien pour la simple raison que puisque diffeacuterentes regravegles de

preuves sont applicables les preuves doivent ecirctre appreacutecieacutees diffeacuteremment

dans la proceacutedure administrative et la proceacutedure peacutenale avec le risque

eacutevident drsquoaboutir agrave des conclusions diffeacuterentes agrave propos des mecircmes faits

156 Voir paragraphe 130 de lrsquoarrecirct

157 Voir les observations du Gouvernement du 11 novembre 2015 page 8 Le

Gouvernement ajoute que les proceacutedures administratives ont lrsquoavantage de comporter des

phases drsquoinstruction et de jugement plus rapides

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 89

Entre le Charybde du risque de conclusions contradictoires dans les

proceacutedures peacutenales et administratives dues aux diffeacuterentes regravegles de preuve

(deux poids deux mesures) et le Scylla du deacutetournement des preuves

administratives agrave des fins peacutenales lrsquoaccuseacute se trouve dans tous les cas placeacute

dans une situation ineacutequitable dans le systegraveme norveacutegien agrave double voie

b) Meacutecanisme de compensation entre les sanctions administratives et peacutenales

65 La quatriegraveme condition fixeacutee par la majoriteacute exige la mise en place

drsquoun laquo meacutecanisme compensatoire conccedilu pour assurer que le montant global

de toutes les peines peacutecuniaires prononceacutees est proportionneacutee raquo158 Sans

aucune explication preacutealable de la raison pour laquelle cette alternative est

retenue la majoriteacute nrsquoenvisage pas drsquoautres solutions proceacutedurales bien

connues telles que la suspension de lrsquoune des proceacutedures pendant que

lrsquoautre est pendante159 ou des solutions de fond telles que le principe de

speacutecialiteacute ou la mise en place de limites pour la sanction du concours

drsquoinfractions peacutenale et administrative comme la regravegle selon laquelle le

montant total de la sanction ne doit pas exceacuteder le montant le plus eacuteleveacute de

lrsquoune des deux sanctions encourues ou le plafonnement de la sanction

fiscale au minimum de la sanction peacutenale La porteacutee et les caracteacuteristiques

du meacutecanisme de compensation proposeacute sont pour le moins tregraves

probleacutematiques

66 Le raisonnement de la majoriteacute entre en conflit frontal avec la

position reacutecente de la Cour dans lrsquoaffaire Grande Stevens et autres qui

concerne des proceacutedures administratives et peacutenales parallegraveles Le

gouvernement italien avait alleacutegueacute sans succegraves dans cette affaire que pour

assurer la proportionnaliteacute de la sanction aux accusations la juridiction

peacutenale italienne avait pris en consideacuteration lrsquoimposition preacutealable drsquoune

sanction administrative et reacuteduit la sanction peacutenale Plus preacuteciseacutement le

montant de lrsquoamende administrative avait eacuteteacute deacuteduit de la sanction peacutenale

financiegravere (article 187 terdecies du Deacutecret Leacutegislatif no 58 de 1998) et les

avoirs deacutejagrave saisis dans le contexte de la proceacutedure administrative ne

pouvaient pas ecirctre confisqueacutes160 Cet argument auquel la Cour nrsquoa pas

accordeacute de creacutedit dans Grande Stevens et autres est agrave preacutesent mis en avant

dans le contexte norveacutegien sans aucune justification de la part de la

majoriteacute quant agrave ce revirement soudain La majoriteacute semble avoir oublieacute

que dans lrsquoarrecirct Grande Stevens la Cour avait deacutecideacute que lrsquoEacutetat deacutefendeur

devait srsquoassurer que les nouvelles proceacutedures peacutenales entameacutees agrave lrsquoencontre

158 Voir le paragraphe 132 de lrsquoarrecirct

159 Crsquoest ce qui eacutetait proposeacute dans les arrecircts Kapetanios et autres (preacuteciteacute sect 72) et

Sismanidis et Sitaridis (preacuteciteacute sect 72)

160 Grande Stevens et autres preacuteciteacute sect 218

90 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

des requeacuterants en violation du ne bis in idem seraient clocirctureacutees aussi

rapidement que possible et sans effets indeacutesirables pour eux161

67 Le gouvernement italien avait aussi alleacutegueacute que le systegraveme agrave double

voie eacutetait requis par la Directive 20036CE du 28 janvier 2003 sur les

opeacuterations drsquoinitieacute et les manipulations de marcheacutes pour lutter contre les

manipulations et les abus plus efficacement invoquant les conclusions de

lrsquoAvocat Geacuteneacuteral dans lrsquoaffaire Hans Aringkerberg Fransson162 La Cour a

facilement eacutecarteacute cet argument comme eacutetant inopeacuterant163 Dans ce contexte

il est troublant que la Cour cite agrave preacutesent les conclusions de lrsquoAvocat

Geacuteneacuteral dans lrsquoaffaire Fransson agrave lrsquoappui de ses arguments164 En deacutepit du

fait que la CJUE ait deacutesapprouveacute la vision de lrsquoAvocat Geacuteneacuteral la majoriteacute

dans lrsquoaffaire A et B fait sienne sa position La Cour de Strasbourg prend

volontairement ses distances par rapport agrave la Cour de Luxembourg qui avait

fait un effort pour aligner les deux jurisprudences dans son arrecirct Fransson

Les juges de la Cour ont preacutefeacutereacute se ranger du cocircteacute de la seule voix de

lrsquoAvocat Geacuteneacuteral qui avait fortement critiqueacute la jurisprudence de la Cour

accuseacutee drsquoecirctre en contradiction avec les traditions constitutionnelles

europeacuteennes Le revirement inexpliqueacute de Strasbourg constitue un seacuterieux

revers pour la relation entre les deux cours europeacuteennes

68 En outre le meacutecanisme compensatoire de la majoriteacute ne srsquoapplique

qursquoaux deacuteductions de sanctions imposeacutees dans la proceacutedure deacutefinitivement

close en premier Il ne srsquoapplique pas si cette proceacutedure connaicirct une autre

issue crsquoest-agrave-dire si la juridiction prononce lrsquoacquittement ou le non-lieu

La raison est eacutevidente Dans ces cas de figure il nrsquoy a litteacuteralement rien agrave

compenser crsquoest-agrave-dire agrave contrebalancer ou agrave deacuteduire dans une proceacutedure

administrative subseacutequente ou parallegravele

69 La question est eacutevidemment cruciale agrave la lumiegravere des affaires

grecques reacutecentes dans lesquelles les juridictions administratives qui

avaient imposeacute des amendes administratives nrsquoavaient pas pris en

consideacuteration lrsquoacquittement des requeacuterants dans des proceacutedures peacutenales

parallegraveles (requecirctes nos 345312 et 4294112) ou subseacutequentes (requecircte no

161 Ibidem sect 237 Il est utile de rappeler les conclusions de lrsquoAIDP de 2004 preacuteciteacutees

laquo Le laquo bis raquo crsquoest-agrave-dire le cumul qui doit ecirctre eacuteviteacute ne se rapporte pas simplement aux

sanctions toute nouvelle poursuite doit ecirctre empecirccheacutee raquo

162 Grande Stevens et autres preacuteciteacute sect 216

163 Ibidem preacuteciteacute sect 229

164 Voir paragraphe 118 du preacutesent arrecirct La Directive 201457UE du16 avril 2014

relative aux sanctions peacutenales applicables aux abus de marcheacute qui admet le systegraveme mixte

(preacuteambule sect 23) doit srsquoarticuler avec le Regraveglement (UE) 5962014 du 16 avril 2014

(preacuteambule sect 72) Le leacutegislateur europeacuteen nrsquoa pas reacutesolu le problegraveme du ne bis in idem

preacutefeacuterant renvoyer la patate chaude aux Eacutetats Neacuteanmoins lrsquoimposition de sanctions

peacutenales sur la base drsquoune infraction obligatoire eacutetablie par la nouvelle Directive et de

sanctions administratives conformeacutement avec les infractions optionnelles preacutevues par le

nouveau Regraveglement (article 30 sect 1) laquo peuvent deacutecider de ne pas raquo) ne devrait pas conduire

agrave la violation du ne bis in idem

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 91

902913) ayant pour objet le mecircme acte165 Suivant le principe de lrsquoarrecirct

Kapetanios et autres tout acquittement ou non-lieu dans lrsquoaffaire peacutenale

aurait un Sperrwirkung sur une autre proceacutedure administrative parallegravele ou

subseacutequente ainsi que lrsquoa conclu la Cour dans lrsquoaffaire Sismanidis et

Sitaridis qui eacutegalement concernait deux cas (requecirctes nos 6660409 et

7187912) de proceacutedures administrative et peacutenale parallegraveles166 Lrsquoaccuseacute

acquitteacute a droit agrave ne pas ecirctre troubleacute une nouvelle fois pour les mecircmes faits

ce qui inclut le risque de nouvelles poursuites en deacutepit de la nature

diffeacuterente (judiciaire et administrative) des organes en cause167 En drsquoautres

termes il existe une prohibition absolue de se prononcer de nouveau sur les

mecircmes faits En outre les juridictions et lrsquoadministration doivent tenir

compte drsquooffice de la force de chose jugeacutee de lrsquoacquittement les droits de

lrsquoaccuseacute eacutetant absolus et non susceptibles de deacuterogation168

70 La jurisprudence grecque srsquoinscrit eacutegalement dans la ligneacutee du

principe eacutetabli au paragraphe 60 de Lucky Dev soulignant le fait que

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 serait violeacute si lrsquoune des deux proceacutedures se

poursuivait apregraves la date de clocircture de la premiegravere par une deacutecision

deacutefinitive Dans lrsquoaffaire Lucky Dev les majorations drsquoimpocirct avaient eacuteteacute

appliqueacutees apregraves un acquittement deacutefinitif agrave lrsquoissue de la proceacutedure peacutenale

parallegravele et la formulation du principe par la Cour est limpide laquo cette

deacutecision deacutefinitive appellerait la clocircture de lrsquoautre instance raquo169

71 Pour reacutesumer le preacutesent arrecirct contredit lrsquoessence des jurisprudences

Kapetanios et autres Sismanidis et Sitaridis et Lucky Dev Pour la majoriteacute

165 Dans Kapetanios et autres (preacuteciteacute) voir la requecircte ndeg 345312 avec une proceacutedure

administrative pendante entre novembre 1989 et juin 2011 et une proceacutedure peacutenale

pendante entre 1986 et novembre 1992 la requecircte ndeg 4294112 avec une proceacutedure

administrative pendante entre septembre 1996 et novembre 2011 et une proceacutedure peacutenale

pendante entre 1988 et juin 2000 et enfin la requecircte ndeg 902813 avec une proceacutedure

administrative pendante entre 2011 et feacutevrier 2012 et une proceacutedure peacutenale acheveacutee en mai

1998

166 Sismanidis et Sitaridis (preacuteciteacute) voir la requecircte ndeg 6660209 avec une proceacutedure

administrative pendante entre septembre 1996 et mai 2009 et une proceacutedure peacutenale

pendante entre deacutecembre 1994 et avril 1997 et la requecircte ndeg 7187912 avec une proceacutedure

administrative pendante entre novembre 1996 et feacutevrier 2012 et une proceacutedure peacutenale

pendante entre 1998 et feacutevrier 1999

167 Kapetanios et autres preacuteciteacute sectsect 71 et 72 La version franccedilaise de lrsquoarrecirct Sergueiuml

Zolotoukhine est plus expressive lorsqursquoelle parle au paragraphe 83 de laquo risque de

nouvelles poursuites raquo en plus des nouveaux procegraves Voir eacutegalement le paragraphe 59 de

lrsquoarrecirct Van Straaten rendu par la CJUE preacuteciteacute laquo lrsquoouverture drsquoune proceacutedure peacutenale dans

un autre Eacutetat contractant pour les mecircmes faits compromettrait dans le cas drsquoun

acquittement deacutefinitif pour insuffisance de preuves les principes de la seacutecuriteacute juridique et

de la confiance leacutegitime raquo

168 Kapetanios et autres preacuteciteacute sect 66 Crsquoest preacuteciseacutement la conclusion de lrsquoarrecirct Melo

Tadeu c Portugal (ndeg 2778510 sect 64 23 octobre 2014) laquo La Cour estime qursquoun

acquittement au peacutenal doit ecirctre pris en compte dans toute proceacutedure ulteacuterieure peacutenale ou

non peacutenale raquo

169 Lucky Dev preacuteciteacute sect 60

92 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

lrsquoacquittement de lrsquoaccuseacute que ce soit parce que les actes ne sont pas

constitutifs drsquoune infraction peacutenale parce que lrsquoaccuseacute ne les a pas commis

ou parce qursquoil nrsquoa pas eacuteteacute prouveacute qursquoil les ait commis nrsquoa pas agrave ecirctre pris en

consideacuteration dans des proceacutedures administratives parallegraveles Cela soulegraveve

aussi bien eacutevidemment un problegraveme au regard de lrsquoarticle 6 sect 2 de la

Convention Toute nouvelle conclusion sur le fond remettrait en question la

preacutesomption drsquoinnocence reacutesultant de lrsquoacquittement170

72 Le meacutecanisme compensatoire de la majoriteacute nrsquoest eacutegalement pas

applicable dans lrsquohypothegravese ougrave la proceacutedure administrative serait la

premiegravere agrave devenir deacutefinitive et ougrave aucune majoration fiscale ne serait

imposeacutee parce que la responsabiliteacute administrative nrsquoa pas pu ecirctre prouveacutee

Pour la majoriteacute dans cette hypothegravese le contribuable peut encore ecirctre

condamneacute pour les mecircmes faits dans une proceacutedure peacutenale

73 Agrave ce stade il est clair que la quatriegraveme condition est un chegraveque en

blanc pour les Eacutetats leur permettant drsquoagir agrave leur guise Pire encore la

majoriteacute nrsquoexplique pas comment le meacutecanisme compensatoire fonctionne

en droit norveacutegien Le seul paragraphe 50 de lrsquoarrecirct est un reacutesumeacute de la

jurisprudence qui laisse au lecteur lrsquoimpression que les juridictions peacutenales

deacutecident comme bon leur semble de parfois prendre en consideacuteration les

sanctions administratives anteacuterieures et parfois de ne pas le faire Cette

impression est justifieacutee dans lrsquoaffaire en cause ainsi qursquoil sera deacutemontreacute ci-

dessous En outre il nrsquoy a aucune indication dans lrsquoarrecirct quant agrave savoir si un

meacutecanisme similaire de compensation existe dans la proceacutedure fiscale par

lequel les sanctions peacutenales anteacuterieures seraient prises en consideacuteration

lorsque sont imposeacutees des majorations peacutenales

74 Le Gouvernement dit que laquo les condamnations agrave des majorations

drsquoimpocircts sont prises en compte lorsque les tribunaux deacuteterminent la bonne

et juste sanction pour une socieacuteteacute (voir article 28 lettre g du code peacutenal de

2005) Lorsque crsquoest une personne physique qui est condamneacutee ils tiennent

compte de toute majoration drsquoimpocirct infligeacutee sur la base de lrsquoarticle 27 du

code peacutenal de 1902 transposeacute agrave lrsquoarticle 53 du code peacutenal de 2005 raquo171

Lrsquoarticle 27 dispose laquo Lorsqursquoune amende est imposeacutee il faut ducircment tenir

compte non seulement de la nature de lrsquoinfraction mais aussi et surtout de la

situation peacutecuniaire de la personne condamneacutee et de ce que celle-ci peut

vraisemblablement se permettre de payer au vu des circonstances raquo Aucune

mention nrsquoest faite des sanctions dans les proceacutedures parallegraveles ou

anteacuterieures en relation avec les mecircmes faits et encore moins aux

majorations peacutenales Aucune mention nrsquoest faite non plus de la limite du

cumul des sanctions par exemple lrsquoexigence voulant que le montant total

des sanctions imposeacutees ne doive pas exceacuteder le montant le plus eacuteleveacute qui

pourrait ecirctre imposeacute pour lrsquoune ou lrsquoautre des sanctions En reacutealiteacute la prise

170 Kapetanios et autres preacuteciteacute sect 88 et Sismanidis et Sitaridis preacuteciteacute sect 58

171 Voir les observations du Gouvernement du 11 novembre 2015 page 8

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 93

en consideacuteration des autres sanctions nrsquoest mecircme pas mentionneacutee

lorsqursquoune peine drsquoemprisonnement a eacuteteacute ordonneacutee

Pour le dire en peu de mots il nrsquoexiste tout simplement pas de

meacutecanisme de compensation en droit norveacutegien il nrsquoy a qursquoune indication

geacuteneacuterale indiffeacuterencieacutee donneacutee par le leacutegislateur au juge selon laquelle la

situation financiegravere de la personne accuseacutee doit ecirctre prise en consideacuteration

dans sa condamnation agrave une amende Ni plus ni moins

75 La jurisprudence de la Cour suprecircme fondeacutee sur les dispositions du

Code Peacutenal susmentionneacutees pour autant que les juges de la Grande

Chambre en ont eu connaissance est peut-ecirctre creacuteative mais elle nrsquoest

certainement pas preacutevisible Elle est formuleacutee si extensivement que mecircme le

juriste le plus expeacuterimenteacute ne saurait anticiper si et selon quelles modaliteacutes

des majorations drsquoimpocirct seront prises en consideacuteration dans des amendes

peacutenales De plus sa porteacutee est tregraves limiteacutee en pratique Puisqursquoelle

nrsquoautorise aucun meacutecanisme compensatoire dans les cas drsquoemprisonnement

elle limite lrsquoimpact alleacutegueacute de lrsquoeffet compensatoire aux affaires moins

graves mais en prive les affaires plus graves

Conscients des faiblesses du systegraveme juridique national les juges

norveacutegiens ont fait un effort louable pour combler le trou noir juridique et

introduire une certaine proportionnaliteacute dans un systegraveme arbitraire excessif

et ineacutequitable arbitraire dans le choix pour un systegraveme agrave une seule ou deux

voies excessif dans les sanctions appliqueacutees et ineacutequitable drsquoun point de

vue proceacutedural dans la maniegravere dont il traite les accuseacutes Mais le principe ne

bis in idem laquo nrsquoest pas une regravegle de proceacutedure agissant comme un agent

leacutenitif au service de la proportionnaliteacute lorsqursquoune personne est doublement

jugeacutee et condamneacutee pour un mecircme comportement mais bien une garantie

fondamentale des droits des citoyens raquo172

76 Comme le Gouvernement la majoriteacute est seacuteduite par un laquo souci

drsquoefficaciteacute raquo173 selon lequel la logique du principe ne bis in idem

srsquoapplique laquo dans une moindre mesure aux sanctions ne relevant pas du

laquo noyau dur raquo du droit peacutenal comme les majorations drsquoimpocirct raquo174 Elle a

neacutegligeacute le fait qursquoun droit conventionnel non susceptible de deacuterogation tel

172 Affaire C-21300 P Italcementi SpA c Commission des Communauteacutes europeacuteennes

conclusions de lrsquoAvocat Geacuteneacuteral Ruiz-Jarabo Colomer preacutesenteacutees le 11 feacutevrier 2003 sect 96

et Affaire C-15005 preacuteciteacutee conclusions du mecircme Avocat Geacuteneacuteral preacutesenteacutees le 8 juin

2006 sect 58 Partant lrsquoopinion exprimeacute au paragraphe 107 du preacutesent arrecirct selon laquelle ne

bis in idem vise principalement une question proceacutedurale (laquo lrsquoeacutequiteacute proceacutedurale raquo) et non

une question de fond (laquo srsquointeacuteresse moins au droit peacutenal mateacuteriel que lrsquoarticle 7 raquo) est

fondamentalement erroneacutee

173 Les mots laquo soucis drsquoefficaciteacute raquo sont ceux choisi par la majoriteacute elle-mecircme

(paragraphe 134 de lrsquoarrecirct)

174 Voir paragraphe 85 de lrsquoarrecirct ougrave il est fait reacutefeacuterence agrave lrsquoargument du Gouvernement

selon lequel le raisonnement dans lrsquoarrecirct Jussila concernant lrsquoarticle 6 est transposable agrave

lrsquoarticle 4 du Protocole ndeg 7 Lrsquoargument fait fi de la nature absolue et non susceptible de

deacuterogation du second article

94 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

que ne bis in idem ne doit pas ecirctre substantiellement diffeacuterent en fonction

du domaine du droit concerneacute Lrsquoarticle 4 sect 3 du Protocole no 7 ne laisse pas

de marge de manœuvre pour cela

77 Enfin et surtout dans la preacutesente affaire la juridiction nationale a

pris en compte de la maniegravere suivante la majoration drsquoimpocircts infligeacutee au

premier requeacuterant laquo une sanction notable a deacutejagrave eacuteteacute imposeacutee agrave lrsquoaccuseacute

dans la deacutecision sur la majoration fiscale La plus grande partie des impocircts a

deacutejagrave eacuteteacute payeacutee raquo La prise en compte de la majoration agrave lrsquoeacutegard du second

requeacuterant est encore plus succincte laquo Le fait qursquoune majoration fiscale de

30 a eacuteteacute imposeacutee agrave lrsquoaccuseacute doit ecirctre pris en consideacuteration raquo175 Dans

aucun de ces cas les juridictions nationales ne se sont donneacute la peine

drsquoexpliquer de quelle maniegravere les majorations administratives anteacuterieures

avaient influenceacute les sanctions peacutenales La reacutefeacuterence de pure forme aux

majorations drsquoimpocirct preacuteceacutedemment imposeacutees pourrait apaiser des

consciences moins exigeantes mais ce nrsquoest certainement pas une deacutemarche

juridique preacutevisible et controcirclable Degraves lors les conditions le degreacute et les

limites de lrsquoimpact des majorations drsquoimpocirct sur les sanctions peacutenales ne

peuvent qursquoecirctre lrsquoobjet de pures speacuteculations dans le domaine inconnu et

inaccessible aux accuseacutes de la conviction intime des juges

VI ndash Conclusion

78 En deacutepit de sa logique axeacutee sur les droits de lrsquohomme lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk

ne fournit pas un cadre conceptuel clair permettant de deacutefinir la ligne de

deacutemarcation entre les infractions administratives et peacutenales Au milieu des

incertitudes de la jurisprudence de la Cour lrsquoarrecirct Jussila offre une solution

restrictive qui cherche agrave distinguer les affaires relevant du noyau dur du

droit peacutenal qui comportent un caractegravere infamant de celles qui nrsquoen

comportent pas limitant lrsquoapplicabiliteacute des garanties peacutenales dans les

affaires relevant de la seconde cateacutegorie La jurisprudence subseacutequente nrsquoa

clarifieacute ni le critegravere de fond du caractegravere infamant ni la distinction entre les

garanties proceacutedurales disponibles et indisponibles

79 Tout comme lrsquoarrecirct Jussila avait nuanceacute et limiteacute la porteacutee de lrsquoarrecirct

Oumlztuumlrk lrsquoarrecirct A et B c Norvegravege nuance et limite la porteacutee de lrsquoarrecirct

Sergueiuml Zolotoukhine La position ancienne et geacuteneacutereuse en matiegravere drsquoidem

factum est significativement limiteacutee par la nouvelle camisole proposeacutee pour

le bis Meacutefiante agrave lrsquoeacutegard des accuseacutes la majoriteacute a deacutecideacute drsquoabandonner le

principe fondamental dans la culture juridique europeacuteenne qui veut que nul

ne puisse ecirctre poursuivi plus drsquoune fois pour les mecircmes faits (principe de

lrsquouniteacute de lrsquoaction reacutepressive ou Einmaligkeit der Strafverfolgung) Le

principe ne bis in idem perd son caractegravere pro persona mineacute par la posture

175 Voir les jugements du tribunal de Follo du 2 mars 2009 et du tribunal drsquoOslo du

30 septembre 2009

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 95

strictement pro auctoritate de la Cour Il nrsquoest plus une garantie

individuelle mais un outil permettant drsquoeacuteviter toute laquo manipulation et

impuniteacute raquo dont profiteraient les accuseacutes176 Apregraves avoir renverseacute la logique

du principe ne bis in idem le preacutesent arrecirct ouvre la porte agrave une politique

reacutepressive sans preacuteceacutedent digne drsquoun Leacuteviathan baseacutee sur lrsquoouverture par

lrsquoEacutetat de proceacutedures multiples strateacutegiquement articuleacutees et mises en place

en vue drsquoatteindre lrsquoeffet reacutepressif maximal Cette politique pourrait devenir

lrsquohistoire sans fin vindicative de deux ou plusieurs proceacutedures conduites

parallegravelement ou successivement agrave lrsquoencontre du mecircme accuseacute pour les

mecircmes faits qui risqueraient mecircme de punir celui-ci en repreacutesailles pour

avoir exerceacute ses droits proceacuteduraux leacutegitimes et notamment son droit de

recours

80 La seule veacuteritable condition dont est assortie cette approche de la

majoriteacute orienteacutee vers lrsquolaquo efficaciteacute raquo177 est un simulacre de

proportionnaliteacute limiteacutee agrave la vague indication de prendre en consideacuteration

les sanctions administratives anteacuterieures dans lrsquoamende infligeacutee agrave lrsquoissue de

la proceacutedure peacutenale une approche bien eacuteloigneacutee des racines historiques et

du principe du droit international coutumier du ne bis in idem Le cumul des

sanctions peacutenales et administratives de nature peacutenale a eacuteteacute speacutecifiquement

rejeteacute par la Cour dans lrsquoaffaire Grande Stevens de mecircme que par la CJUE

dans lrsquoarrecirct Hans Aringkeberg Fransson Apregraves la deacutelivrance de son certificat de

deacutecegraves dans lrsquoaffaire italienne une telle approche est aujourdrsquohui ressusciteacutee

en tant qursquoapproche laquo calibreacutee raquo178 La collaboration progressive et mutuelle

entre les deux cours europeacuteennes va de toute eacutevidence ecirctre encore une fois

profondeacutement perturbeacutee Strasbourg allant dans la mauvaise direction quand

Luxembourg prend la bonne La Grande Chambre saisie de lrsquoaffaire Sergueiuml

Zolotoukhine nrsquoaurait pas accepteacute une reacutetrogradation du droit individuel

inalieacutenable au ne bis in idem vers un droit aussi fluide eacutetroitement

interpreacuteteacute en un mot illusoire Moi non plus

176 Voir paragraphe 127 de lrsquoarrecirct

177 Voir paragraphe 134 de lrsquoarrecirct

178 Voir paragraphe 124 de lrsquoarrecirct

Page 6: GRANDE CHAMBRE · 2016. 11. 18. · 5. Le 26 novembre 2013, la chambre a décidé de joindre les deux requêtes et de les communiquer au Gouvernement. 6. Le 7 juillet 2015, une chambre

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 5

de revenus geacuteneacuteraux ce dernier ayant au lieu de cela deacuteclareacute 65 655 NOK

de pertes De plus sur la base des articles 10-2 1) et 10-4 1) de la loi fiscale

(voir au paragraphe 42 ci-dessous le texte de ces dispositions) le bureau des

impocircts lui appliqua une majoration drsquoimpocirct de 30 calculeacutee sur la base

des impocircts dont il eacutetait redevable au titre des montants non deacuteclareacutes Cette

deacutecision tenait compte notamment des deacutepositions faites par les premier et

second requeacuterants pendant leurs interrogatoires conduits lors de lrsquoenquecircte

peacutenale Le premier requeacuterant ne la contesta pas et srsquoacquitta des sommes

dues ainsi que de la majoration drsquoimpocirct avant lrsquoexpiration du deacutelai de

recours drsquoune dureacutee de trois semaines

17 Le 2 mars 2009 le tribunal (tingrett) de Follo reconnut le premier

requeacuterant coupable de fraude fiscale aggraveacutee et le condamna agrave un an

drsquoemprisonnement pour avoir omis de mentionner dans sa deacuteclaration

fiscale pour lrsquoanneacutee 2002 3 259 341 NOK de revenus perccedilus agrave lrsquoeacutetranger Il

fixa la peine en tenant compte de ce que lrsquointeacuteresseacute avait deacutejagrave eacuteteacute

lourdement sanctionneacute par lrsquoapplication de la majoration drsquoimpocirct

18 Le premier requeacuterant fit appel estimant avoir eacuteteacute jugeacute et puni deux

fois en violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 agrave la Convention Il

soutenait que pour la mecircme infraction relevant de lrsquoarticle 12-1 il avait

drsquoabord eacuteteacute accuseacute et inculpeacute par le parquet puis frappeacute par le fisc drsquoune

majoration drsquoimpocirct qursquoil aurait payeacutee apregraves quoi il avait eacuteteacute reconnu

coupable et sanctionneacute

19 Par un arrecirct rendu le 12 avril 2010 agrave lrsquounanimiteacute la cour drsquoappel

(lagmannsrett) Borgarting (laquo la cour drsquoappel raquo) le deacutebouta et par un arrecirct du

27 septembre 2010 la Cour suprecircme (Hoslashyesterett) fit de mecircme en se

fondant sur un raisonnement similaire reacutesumeacute ci-dessous

20 Dans son arrecirct du 27 septembre 2010 la Cour suprecircme rechercha

tout drsquoabord si les deux proceacutedures en question se rapportaient aux mecircmes

circonstances factuelles (samme forhold) Agrave cet eacutegard elle prit note des

deacuteveloppements de la jurisprudence relative agrave la Convention exposeacutes dans

lrsquoarrecirct de Grande Chambre Sergueiuml Zolotoukhine c Russie ([GC]

no 1493903 sectsect 52 53 80-82 et 84 CEDH 2009) et de la tentative

drsquoharmonisation y opeacutereacutee par le constat suivant

laquo () lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 doit ecirctre compris comme interdisant de poursuivre

ou de juger une personne pour une seconde laquo infraction raquo pour autant que celle-ci a

pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance les mecircmes () La

Cour doit donc faire porter son examen sur ces faits qui constituent un ensemble de

circonstances factuelles concregravetes impliquant le mecircme contrevenant et

indissociablement lieacutees entre elles dans le temps et lrsquoespace () raquo

21 En lrsquoespegravece la Cour suprecircme observa qursquoil ne faisait aucun doute

que les circonstances factuelles agrave lrsquoorigine de la deacutecision drsquoinfliger une

majoration drsquoimpocirct et des poursuites peacutenales avaient suffisamment de points

communs pour satisfaire agrave ces critegraveres Elle releva que dans le cadre des

deux proceacutedures la base factuelle eacutetait lrsquoomission de revenus dans la

6 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

deacuteclaration fiscale du premier requeacuterant Selon elle les proceacutedures portaient

sur les mecircmes faits et satisfaisaient donc agrave la condition requise agrave cet eacutegard

22 La Cour suprecircme rechercha ensuite si les deux proceacutedures avaient

pour objet une laquo infraction raquo au sens de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Agrave cet

eacutegard elle rappela son arrecirct publieacute au Norsk Retstidende (laquo le Rt raquo) 2002

p 509 (paragraphe 45 ci-dessous) qualifiant une majoration drsquoimpocirct au taux

ordinaire (30 ) de compatible avec la notion drsquolaquo accusation en matiegravere

peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 sect 1 Cette conclusion anteacuterieure agrave lrsquoespegravece

srsquoappuyait sur ce qursquoil est convenu drsquoappeler les trois laquo critegraveres Engel raquo (la

qualification juridique de lrsquoinfraction en droit interne la nature de celle-ci et

le degreacute de seacuteveacuteriteacute de la sanction encourue) eacutenonceacutes dans lrsquoarrecirct rendu par

la Cour en lrsquoaffaire Engel et autres c Pays-Bas (8 juin 1976 sect 82 seacuterie A

no 22) La Cour suprecircme jugea importantes dans son analyse la finaliteacute

geacuteneacuterale de preacutevention poursuivie par la majoration drsquoimpocirct et la possibiliteacute

que 30 eacutetant un taux eacuteleveacute des sommes consideacuterables fussent en jeu

Elle rappela en outre son arrecirct publieacute au Rt 2004 p 645 dans lequel elle

avait jugeacute agrave la lumiegravere de la jurisprudence de la Cour (selon laquelle la

notion de laquo peine raquo ne doit pas revecirctir des sens diffeacuterents selon la

disposition de la Convention en cause) qursquoune majoration drsquoimpocirct de 30

revecirctait aussi un caractegravere peacutenal sur le terrain de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 ce qursquoelle confirma sans autre deacutebat dans une deacutecision

publieacutee au Rt 2006 p 1409

23 La Cour suprecircme constata par ailleurs que la Direction des impocircts

(Skattedirektoratet) comme le Procureur geacuteneacuteral (Riksadvokaten) estimaient

peu probable qursquoune majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire ne fucirct pas

qualifieacutee de sanction peacutenale aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

24 La Cour suprecircme consideacutera eacutegalement la jurisprudence plus reacutecente

de la Cour (Mjelde c Norvegravege (deacutec) no 1114304 1er feacutevrier 2007

Storbraringten c Norvegravege (deacutec) no 1227704 1er feacutevrier 2007 Haarvig

c Norvegravege (deacutec) no 1118705 11 deacutecembre 2007 avec des reacutefeacuterences agrave

Malige c France 23 septembre 1998 sect 35 Recueil des arrecircts et deacutecisions

1998-VII et Nilsson c Suegravede (deacutec) no 7366101 CEDH 2005-XIII) dont il

ressortait selon elle qursquoun groupe plus large de critegraveres que ceux retenus

dans la jurisprudence Engel srsquoappliquaient pour effectuer une analyse sous

lrsquoangle de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Elle trouva dans lrsquoarrecirct preacuteciteacute

Sergueiuml Zolotoukhine (sectsect 52-57) suivi par lrsquoarrecirct Ruotsalainen c Finlande

(no 1307903 sectsect 41-47 16 juin 2009) la confirmation que les trois critegraveres

Engel sur la base desquels devait ecirctre eacutetablie lrsquoexistence drsquoune laquo accusation

en matiegravere peacutenale raquo sur le terrain de lrsquoarticle 6 srsquoappliquaient tout autant agrave

la notion de sanction peacutenale figurant agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

25 La Cour suprecircme en conclut qursquoil nrsquoy avait pas lieu pour elle de

srsquoeacutecarter de ses deacutecisions preacuteciteacutees rendues en 2004 et 2006 selon

lesquelles une majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire srsquoanalysait en une

laquo sanction peacutenale raquo (straff) pour les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 7

26 Elle observa ensuite que lrsquoune des conditions pour beacuteneacuteficier de la

protection offerte par cette disposition eacutetait que la deacutecision faisant obstacle agrave

drsquoautres poursuites ndash en lrsquoespegravece la deacutecision du 24 novembre 2008 portant

application drsquoune majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire ndash fucirct deacutefinitive Elle

constata que nrsquoayant pas fait lrsquoobjet drsquoun recours aupregraves de la plus haute

juridiction administrative dans le deacutelai prescrit de trois semaines lequel

avait pris fin le 15 deacutecembre 2008 ladite deacutecision eacutetait agrave cet eacutegard devenue

deacutefinitive Elle estima que si en revanche il fallait prendre en compte le

deacutelai de recours en justice de six mois fixeacute par lrsquoarticle 11-1 4) de la loi

fiscale la deacutecision nrsquoeacutetait pas encore devenue deacutefinitive agrave la date du

prononceacute du jugement du tribunal de Follo agrave savoir le 2 mars 2009

27 La Cour suprecircme dit que lrsquoexpression laquo acquitteacute ou condamneacute par un

jugement deacutefinitif raquo employeacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 avait eacuteteacute

conccedilue pour viser les situations ougrave la deacutecision faisant obstacle agrave drsquoautres

poursuites eacutetait un jugement au peacutenal Elle constata que la Cour avait eacutetabli

qursquoune deacutecision eacutetait deacutefinitive une fois passeacutee en force de chose jugeacutee

crsquoest-agrave-dire lorsqursquoaucun autre recours ordinaire nrsquoeacutetait ouvert et que en

cela la date agrave partir de laquelle en droit interne la deacutecision passait en force

de chose jugeacutee eacutetait deacuteterminante Elle consideacutera que ni le texte de la

disposition elle-mecircme ni les travaux preacuteparatoires de celle-ci ni la

jurisprudence ne donnaient la moindre indication pour le cas ougrave la deacutecision

faisant obstacle agrave drsquoautres poursuites eacutetait de nature administrative Elle

rappela que dans son arrecirct de principe publieacute au Rt 2002 p 557 elle avait

dit qursquoil fallait regarder comme deacutefinitive une deacutecision finale de

redressement fiscal y compris assortie drsquoune majoration drsquoimpocirct degraves lors

que le contribuable en question ne pouvait plus la contester (p 570) sans

toutefois preacuteciser si crsquoeacutetait le deacutelai de recours administratif ou le deacutelai de

recours judiciaire qui eacutetait deacuteterminant En lrsquoespegravece elle dit que la meilleure

solution eacutetait de consideacuterer que crsquoeacutetait le deacutelai de recours administratif

drsquoune dureacutee de trois semaines qui eacutetait deacuteterminant au regard de lrsquoarticle 4

du Protocole no 7 car sinon la situation ne serait eacuteclaircie qursquoau bout de six

mois dans lrsquohypothegravese ougrave le contribuable ne saisirait pas les tribunaux ou

qursquoune fois rendu un jugement leacutegalement exeacutecutoire dans lrsquohypothegravese

inverse au bout drsquoun laps de temps dont la dureacutee pouvait varier et ecirctre

longue Il fallait donc selon elle consideacuterer que la deacutecision du 24 novembre

2008 eacutetait deacutefinitive aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

28 La Cour suprecircme constata que le premier requeacuterant avait acquis la

qualiteacute drsquoaccuseacute le 14 deacutecembre 2007 et que lrsquoavis de redressement lui avait

eacuteteacute signifieacute le 26 aoucirct 2008 Elle releva que par la suite la proceacutedure fiscale

et la proceacutedure peacutenale srsquoeacutetaient deacuterouleacutees en parallegravele jusqursquoagrave ce qursquoune

deacutecision du 24 novembre 2008 et un jugement du 2 mars 2009

respectivement y mettent un terme Elle estima que lrsquoune des questions

essentielles dans cette affaire eacutetait de savoir si les poursuites avaient eacuteteacute

conseacutecutives ce qui aurait eacuteteacute contraire agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 ou

8 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

parallegraveles ce qui aurait eacuteteacute permis dans une certaine mesure Agrave cet eacutegard

elle prit en consideacuteration deux deacutecisions drsquoirrecevabiliteacute RT c Suisse

((deacutec) no 3198296 30 mai 2000) et Nilsson c Suegravede (deacutecision preacuteciteacutee) et

en particulier le passage suivant de cette derniegravere deacutecision

laquo Toutefois la Cour ne saurait accueillir la thegravese du requeacuterant selon laquelle les

autoriteacutes ont deacuteclencheacute contre lui de nouvelles poursuites peacutenales en mettant en œuvre

la proceacutedure de retrait litigieuse Si les diverses sanctions infligeacutees agrave lrsquointeacuteresseacute ont eacuteteacute

prononceacutees par deux autoriteacutes diffeacuterentes agrave lrsquoissue de proceacutedures distinctes il existait

entre elles un lien mateacuteriel et temporel suffisamment eacutetroit pour que lrsquoon puisse

consideacuterer le retrait de permis comme lrsquoune des mesures preacutevues par le droit sueacutedois

pour la reacutepression des deacutelits de conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute avanceacute et de conduite sans

permis (voir RT c Suisse deacutecision preacuteciteacutee et mutatis mutandis Phillips

c Royaume-Uni no 4108798 sect 34 CEDH 2001-VII) En drsquoautres termes on ne

saurait deacuteduire du retrait litigieux que lrsquointeacuteresseacute a eacuteteacute laquo poursuivi ou puni () en

raison drsquoune infraction pour laquelle il a[vait] deacutejagrave eacuteteacute () condamneacute par un jugement

deacutefinitif raquo au meacutepris de lrsquoarticle 4 sect 1 du Protocole no 7 raquo

29 La Cour suprecircme jugea que en lrsquoespegravece lrsquoexistence drsquoun lien

mateacuteriel et temporel suffisant ne pouvait faire de doute Elle estima que les

deux affaires reposaient sur les mecircmes circonstances factuelles agrave savoir une

omission drsquoinformations dans la deacuteclaration fiscale qui avait causeacute une

erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct Elle conclut que la proceacutedure peacutenale et la

proceacutedure administrative avaient eacuteteacute conduites en parallegravele Elle releva que

apregraves que le premier requeacuterant eut deacuteposeacute en qualiteacute drsquoaccuseacute le

14 deacutecembre 2007 un avis de redressement avait suivi le 26 aoucirct 2008 puis

une inculpation le 14 octobre 2008 la deacutecision de redressement prise par le

fisc le 24 novembre 2008 et le jugement du tribunal de Follo le 2 mars

2009 Selon elle la proceacutedure administrative et la proceacutedure peacutenale eacutetaient

ainsi dans une large mesure imbriqueacutees

30 La Cour suprecircme estima que la finaliteacute de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 qui eacutetait drsquooffrir une protection contre le fardeau que

repreacutesente un nouveau procegraves eacutetait moins pertinente en lrsquoespegravece dans la

mesure ougrave le premier requeacuterant nrsquoavait aucune espeacuterance leacutegitime de nrsquoecirctre

lrsquoobjet que drsquoune seule proceacutedure Dans ces conditions selon elle

lrsquoeffectiviteacute de la reacutepression revecirctait un caractegravere preacutepondeacuterant

B Le second requeacuterant

31 Agrave lrsquoautomne 2007 agrave la suite du controcircle fiscal conduit en 2005

eacutevoqueacute au paragraphe 13 ci-dessus le fisc signala agrave Oslashkokrim que dans sa

deacuteclaration fiscale pour lrsquoanneacutee fiscale 2002 le second requeacuterant avait omis

de mentionner 4 561 881 NOK (soit environ 500 000 EUR) de revenus tireacutes

de la vente par lui de certaines actions

32 Le 16 octobre 2008 le bureau des impocircts avisa le second requeacuterant

qursquoil envisageait de le redresser fiscalement et de lui appliquer une

majoration drsquoimpocirct Il srsquoappuyait notamment sur le controcircle fiscal sur

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 9

lrsquoenquecircte peacutenale et sur la deacuteposition faite par lrsquointeacuteresseacute eacutevoqueacutes au

paragraphe 13 ci-dessus ainsi que sur des documents saisis par Oslashkokrim

lors de lrsquoenquecircte Le 5 deacutecembre 2008 il effectua le redressement preacutecisant

que le second requeacuterant devait 1 302 526 NOK (soit environ 143 400 EUR)

drsquoimpocircts au titre des revenus non deacuteclareacutes De plus se fondant sur les

articles 10-2 1) et 10-4 1) de la loi fiscale il deacutecida drsquoappliquer une

majoration drsquoimpocirct de 30 en tenant notamment compte des deacutepositions

faites par les premier et second requeacuterants agrave lrsquooccasion de leurs

interrogatoires conduits lors de lrsquoenquecircte peacutenale Le second requeacuterant

srsquoacquitta des impocircts dus et de la majoration drsquoimpocirct et ne contesta pas

ladite deacutecision qui devint deacutefinitive le 26 deacutecembre 2008

33 Parallegravelement le 11 novembre 2008 le parquet avait inculpeacute le

second requeacuterant drsquoune violation de lrsquoarticle 12-1 1) a) cf article 12-2 de la

loi fiscale au motif que pour les anneacutees fiscales 2001 etou 2002 celui-ci

avait omis dans sa deacuteclaration fiscale 4 651 881 NOK de revenus ce qui

repreacutesentait 1 302 526 NOK drsquoimpocircts agrave verser Il pria le tribunal (tingrett)

drsquoOslo de rendre un jugement sommaire fondeacute sur les aveux

(tilstaringelsesdom) de lrsquointeacuteresseacute De plus MM EK BL et GA plaidegraverent

coupable et acceptegraverent de passer en jugement sommaire sur la base de la

reconnaissance par eux de leur culpabiliteacute

34 Le 10 feacutevrier 2009 le second requeacuterant (agrave lrsquoinverse de MM EK

BL et GA) revint sur ses aveux agrave la suite de quoi le procureur deacutelivra le

29 mai 2009 un acte drsquoinculpation reacuteviseacute qui reprenait les mecircmes chefs

35 Le 30 septembre 2009 agrave lrsquoissue drsquoun procegraves contradictoire le

tribunal drsquoOslo deacuteclara le second requeacuterant coupable des chefs de fraude

fiscale aggraveacutee et le condamna agrave un an drsquoemprisonnement peine qui tenait

compte de ce qursquoune majoration drsquoimpocirct lui avait deacutejagrave eacuteteacute appliqueacutee

36 Le second requeacuterant contesta devant la cour drsquoappel la proceacutedure

conduite devant le tribunal drsquoOslo soutenant en particulier que en vertu du

principe non bis in idem consacreacute agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

lrsquoapplication dans son cas drsquoune majoration drsquoimpocirct faisait obstacle agrave sa

condamnation peacutenale Il demanda donc agrave la cour drsquoappel lrsquoannulation

(opphevet) du jugement dudit tribunal et le rejet (avvist) de lrsquoaction dirigeacutee

contre lui

37 Par un arrecirct rendu le 8 juillet 2010 qui reprenait pour lrsquoessentiel le

raisonnement suivi par elle dans son arrecirct concernant le premier requeacuterant

lequel raisonnement eacutetait similaire agrave celui de la Cour suprecircme reacutesumeacute plus

haut (paragraphes 20 agrave 30 ci-dessus) la cour drsquoappel deacutebouta le second

requeacuterant Elle jugea ainsi que la deacutecision du 5 deacutecembre 2008 par laquelle

le fisc avait ordonneacute au second requeacuterant de payer une majoration drsquoimpocirct

de 30 srsquoanalysait bien en une sanction peacutenale (straff) que cette deacutecision

eacutetait devenue laquo deacutefinitive raquo agrave la date drsquoexpiration du deacutelai de recours soit le

26 deacutecembre 2008 et que ladite deacutecision et la condamnation peacutenale

posteacuterieure portaient sur les mecircmes faits

10 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

38 Par ailleurs comme dans le cas du premier requeacuterant la cour drsquoappel

jugea que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 permettait dans une certaine mesure

la conduite de proceacutedures parallegraveles ndash lrsquoune administrative et lrsquoautre

peacutenale ndash pourvu que la seconde commence avant que la premiegravere ne se

conclue par une deacutecision deacutefinitive Elle estima que une fois satisfaite cette

exigence minimale il fallait appreacutecier lrsquoeacutetat drsquoavancement de la seconde

proceacutedure et surtout rechercher srsquoil existait ou non un lien mateacuteriel et

temporel suffisant entre la premiegravere deacutecision et la seconde

39 Quant agrave lrsquoexamen concret des circonstances propres agrave lrsquoaffaire du

second requeacuterant la cour drsquoappel constata que la proceacutedure peacutenale et la

proceacutedure fiscale avaient en reacutealiteacute eacuteteacute conduites en parallegravele et ce depuis la

plainte dont le fisc avait saisi la police agrave lrsquoautomne 2007 jusqursquoagrave la deacutecision

de majoration drsquoimpocirct prise en deacutecembre 2008 Elle jugea la situation

similaire agrave celle du premier requeacuterant Elle releva que le second requeacuterant

avait eacuteteacute inculpeacute et que le dossier avait eacuteteacute transmis au tribunal drsquoOslo

assorti drsquoune demande de jugement sommaire sur la base des aveux

auxquels lrsquointeacuteresseacute srsquoeacutetait livreacute le 11 novembre 2008 anteacuterieurement agrave la

deacutecision de majoration drsquoimpocirct Elle estima donc que agrave la date de cette

deacutecision la proceacutedure peacutenale avait deacutejagrave atteint un stade relativement avanceacute

Elle admit que la peacuteriode de neuf mois ndash courant de la date agrave laquelle la

deacutecision du fisc du 5 deacutecembre 2008 eacutetait devenue deacutefinitive au

30 septembre 2009 date de la condamnation du second requeacuterant par le

tribunal drsquoOslo ndash eacutetait un peu plus longue que la peacuteriode de deux mois et

demi eacutecouleacutee dans le cas du premier requeacuterant Elle consideacutera neacuteanmoins

que cet eacutecart pouvait srsquoexpliquer par la reacutetractation du second requeacuterant en

feacutevrier 2009 en conseacutequence de laquelle il avait fallu lrsquoinculper de nouveau

le 29 mai 2009 et le juger dans le cadre drsquoun procegraves ordinaire Elle en

conclut agrave lrsquoinstar du tribunal drsquoOslo qursquoil existait manifestement un lien

mateacuteriel et temporel suffisant entre la deacutecision de majoration drsquoimpocirct et la

condamnation peacutenale ulteacuterieure

40 Le 29 octobre 2010 le Comiteacute de seacutelection des recours de la Cour

suprecircme refusa au second requeacuterant lrsquoautorisation de former un pourvoi

aupregraves de celle-ci au motif que cela ne se justifiait ni par lrsquoimportance

geacuteneacuterale de lrsquoaffaire ni par aucune autre raison

II LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

41 Aux termes de lrsquoarticle 10-2 1) de la loi fiscale de 1980 qui figure

dans le chapitre 10 consacreacute aux majorations drsquoimpocirct (Tilleggsskatt) est

passible drsquoune majoration drsquoimpocirct tout contribuable qui aura fourni au fisc

des informations inexactes ou incomplegravetes ayant ou risquant drsquoavoir pour

conseacutequence une erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct Conformeacutement agrave

lrsquoarticle 10-4 1) les majorations drsquoimpocirct srsquoeacutelegravevent en principe agrave 30 des

impocircts qui ont eacuteteacute ou risquaient drsquoecirctre soustraits

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 11

42 Agrave lrsquoeacutepoque ougrave les requeacuterants ont commis leurs infractions les

articles 10-2 10-3 et 10-4 de cette loi disposaient

Article 10-2 (majorations drsquoimpocirct)

laquo 1 Si le fisc srsquoaperccediloit qursquoun contribuable lui a communiqueacute dans une deacuteclaration

de revenus une deacuteclaration drsquoactifs une eacutecriture ou toute autre deacuteclaration verbale ou

eacutecrite des informations inexactes ou incomplegravetes qui conduisent ou risquent de

conduire agrave une erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct il lui est infligeacute une majoration

drsquoimpocirct correspondant agrave un pourcentage des impocircts qui ont eacuteteacute ou risquaient drsquoecirctre

soustraits

Les cotisations agrave la seacutecuriteacute sociale sont assimilables agrave des impocircts agrave cet eacutegard

2 Si le contribuable nrsquoa pas produit la deacuteclaration de revenus ou la deacuteclaration

drsquoactifs requise la majoration drsquoimpocirct est calculeacutee agrave partir de lrsquoimpocirct fixeacute dans le

redressement

3 Un suppleacutement drsquoactifs ou de revenus justifiant lrsquoimposition drsquoune majoration

drsquoimpocirct est reacuteputeacute repreacutesenter la partie supeacuterieure des actifs ou revenus du

contribuable Si le contribuable doit srsquoacquitter drsquoune majoration drsquoimpocirct fixeacutee sur la

base de taux diffeacuterents pour la mecircme anneacutee les impocircts sur la base desquels cette

majoration est calculeacutee seront reacutepartis proportionnellement en fonction des actifs ou

des revenus auxquels les divers taux srsquoappliquent

4 Les obligations que le preacutesent article fait peser sur le contribuable srsquoappliquent

eacutegalement agrave sa succession et agrave ses ayants droit

5 Le contribuable pour lequel une majoration drsquoimpocirct est envisageacutee en est aviseacute au

preacutealable et un deacutelai lui est fixeacute de maniegravere agrave lui permettre de srsquoexprimer agrave ce sujet

6 Les majorations drsquoimpocirct peuvent ecirctre fixeacutees dans les deacutelais preacutevus agrave lrsquoarticle 9-6

de la preacutesente loi en mecircme temps que lrsquoeacutetablissement des impocircts sur la base desquels

elles doivent ecirctre calculeacutees ou ulteacuterieurement dans le cadre drsquoune deacutemarche

speacuteciale raquo

Article 10-3 (exemption de majoration drsquoimpocirct)

laquo Nulle majoration drsquoimpocirct ne peut ecirctre imposeacutee

a) lorsque les deacuteclarations fiscales du contribuable contiennent une erreur manifeste

de calcul ou de typographie

b) lorsque lrsquoinfraction commise par le contribuable peut ecirctre regardeacutee comme

excusable pour des raisons tenant agrave sa santeacute agrave son acircge agrave son inexpeacuterience ou pour

toute autre raison qui ne peut lui ecirctre reprocheacutee ou

c) lorsque son montant est infeacuterieur agrave 400 NOK au total raquo

Article 10-4 (taux de la majoration drsquoimpocirct)

laquo 1 Le taux de la majoration drsquoimpocirct est en principe de 30 Si les actes viseacutes agrave

lrsquoarticle 10-2 1) sont commis intentionnellement ou par neacutegligence grave le taux peut

aller jusqursquoagrave 60 Le taux est fixeacute agrave 15 si les informations inexactes ou

incomplegravetes concernent des eacuteleacutements deacuteclareacutes de leur cocircteacute par un employeur ou un

tiers conformeacutement au chapitre 6 ou si les circonstances peuvent ecirctre aiseacutement

veacuterifieacutees au moyen des informations dont le fisc dispose par ailleurs

12 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

2 Les majorations drsquoimpocirct sont fixeacutees agrave des taux eacutequivalant agrave la moitieacute de ceux

indiqueacutes dans les premiegravere et troisiegraveme phrases du paragraphe 1 du preacutesent article si

sont preacutesentes les circonstances preacutevues agrave lrsquoarticle 10-3 b) eacutetant entendu que cela ne

justifie pas drsquoeacuteliminer toute majoration

3 Les majorations drsquoimpocirct peuvent ecirctre calculeacutees avec un taux infeacuterieur agrave celui

indiqueacute au paragraphe 2 du preacutesent article voire eacutecarteacutees si le contribuable sa

succession ou ses ayants droit rectifient ou complegravetent volontairement les

informations preacuteceacutedemment communiqueacutees de sorte que le montant exact des impocircts

puisse ecirctre fixeacute Cette disposition ne srsquoapplique pas si le rectificatif peut passer pour la

conseacutequence de mesures de controcircle qui ont eacuteteacute ou seront adopteacutees ou drsquoinformations

que les autoriteacutes fiscales ont obtenues ou pouvaient obtenir de tiers raquo

43 Le chapitre 12 consacreacute aux sanctions peacutenales (straff) comporte les

dispositions suivantes pertinentes en lrsquoespegravece

Article 12-1 (fraude fiscale)

laquo 1 Doit ecirctre sanctionneacutee pour fraude fiscale toute personne qui intentionnellement

ou par neacutegligence grave

a) communique aux autoriteacutes fiscales des informations inexactes ou incomplegravetes

tout en sachant ou tout en eacutetant censeacutee savoir qursquoelle peut en tirer des avantages

fiscaux () raquo

Article 12-2 (fraude fiscale aggraveacutee)

laquo 1 La fraude fiscale aggraveacutee est punie drsquoune amende ou drsquoune peine

drsquoemprisonnement pouvant aller jusqursquoagrave six ans La compliciteacute est punissable des

mecircmes peines

2 Pour deacuteterminer si la fraude fiscale est aggraveacutee on accordera un poids

particulier au point de savoir si elle risque drsquoentraicircner la soustraction de montants tregraves

importants en impocircts si elle est exeacutecuteacutee drsquoune maniegravere qui en rend la deacutecouverte

particuliegraverement difficile si elle est le fruit drsquoun abus drsquoautoriteacute ou de confiance ou si

elle reacutesulte drsquoune compliciteacute dans lrsquoexercice de fonctions professionnelles

3 En application des critegraveres eacutenumeacutereacutes au paragraphe 2 ci-dessus plusieurs

infractions peuvent ecirctre prises en compte conjointement

4 Le preacutesent article est applicable mecircme en cas drsquoignorance des circonstances

aggravantes si celle-ci est le fruit drsquoune neacutegligence grave raquo

44 Selon la jurisprudence de la Cour suprecircme lrsquoimposition drsquoune

majoration drsquoimpocirct de 60 doit ecirctre qualifieacutee drsquolaquo accusation en matiegravere

peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 de la Convention (Rt 2000 p 996) Degraves lors

que des poursuites peacutenales ont eacuteteacute ensuite engageacutees pour le mecircme

comportement la juridiction de jugement doit prononcer leur abandon faute

de quoi il y aurait violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 (deux arrecircts en

formation pleacuteniegravere rendus le 3 mai 2002 et publieacutes au Rt 2002 p 557 et au

Rt 2002 p 497)

45 La Cour suprecircme a eacutegalement conclu que lrsquoapplication drsquoune

majoration drsquoimpocirct de 30 eacutetait constitutive drsquoune laquo accusation en matiegravere

peacutenale raquo aux fins de lrsquoarticle 6 de la Convention (troisiegraveme arrecirct rendu le

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 13

3 mai 2002 Rt 2002 p 509) Dans des arrecircts ulteacuterieurs publieacutes au Rt 2004

p 645 et au Rt 2006 p 1409 elle a dit qursquoune majoration drsquoimpocirct de 30

revecirctait eacutegalement un caractegravere peacutenal sur le terrain de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7

46 Il faut encore signaler que pour ce qui est de la nature des

majorations drsquoimpocirct ordinaires de 30 la Cour suprecircme srsquoest appuyeacutee sur

des travaux preacuteparatoires de la loi (Otprpnr 29 (1978-1979) pp 44-45)

Elle a jugeacute que le ministegravere attachait beaucoup drsquoimportance agrave des

consideacuterations de preacutevention geacuteneacuterale Un risque eacuteleveacute de sanction sous

forme de majoration drsquoimpocirct aurait eacuteteacute jugeacute plus dissuasif que des sanctions

(peacutenales) moins nombreuses et plus lourdes La majoration drsquoimpocirct serait

censeacutee ecirctre avant tout une reacuteaction agrave la communication au fisc par le

contribuable de deacuteclarations ou drsquoinformations inexactes ou incomplegravetes et

une compensation des ressources humaines et financiegraveres consideacuterables

consacreacutees par la collectiviteacute aux controcircles et enquecirctes Il aurait eacuteteacute estimeacute

que les coucircts ainsi entraicircneacutes devaient dans une certaine mesure ecirctre

supporteacutes par ceux qui fournissaient les informations inexactes ou

incomplegravetes (Rt 2002 p 520) Les buts poursuivis par le reacutegime des

majorations drsquoimpocirct ordinaires se caracteacuteriseraient avant tout par la

neacutecessiteacute de garantir le respect effectif par le contribuable de son devoir de

fournir des informations et par des consideacuterations de preacutevention geacuteneacuterale

(Rt 2006 p 1409) Le contribuable aurait le devoir de communiquer les

informations et eacuteleacutements neacutecessaires agrave lrsquoeacutetablissement de son assiette

fiscale Essentiel agrave lrsquoensemble du systegraveme fiscal national ce devoir serait

eacutetayeacute par un meacutecanisme de controcircles et de sanctions efficaces en cas de

manquement Le calcul de lrsquoimpocirct serait une opeacuteration massive faisant

intervenir des millions de citoyens La majoration drsquoimpocirct aurait pour

finaliteacute de renforcer les fondations du systegraveme fiscal national Il serait admis

qursquoun systegraveme fiscal en bon eacutetat de marche est indispensable au

fonctionnement de lrsquoEacutetat et donc de la socieacuteteacute (Rt 2002 p 525)

47 Par un arrecirct adopteacute par la formation pleacuteniegravere de la Cour suprecircme le

14 septembre 2006 agrave la suite de la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute rendue le

14 septembre 2004 par la Cour en lrsquoaffaire Rosenquist c Suegravede

(no 6061900) la haute juridiction a dit que lrsquoimposition drsquoune majoration

drsquoimpocirct de 30 et une proceacutedure peacutenale pour fraude fiscale ne

correspondaient pas agrave la mecircme infraction au sens de lrsquoarticle 4 du Protocole

no 7 (Rt 2006 p1409) Dans son arrecirct rendu en septembre 2010 concernant

le premier requeacuterant elle a opeacutereacute un revirement de cette jurisprudence

jugeant que la proceacutedure administrative et la proceacutedure peacutenale concernaient

la mecircme infraction pour les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

(paragraphe 20 ci-dessus)

48 Parallegravelement agrave la suite de lrsquoarrecirct rendu par la Cour le 10 feacutevrier

2009 dans lrsquoaffaire preacuteciteacutee Sergueiuml Zolotoukhine le procureur geacuteneacuteral

(Riksadvokaten) publia le 3 avril 2009 des instructions (RA-2009-187) avec

14 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

prise drsquoeffet immeacutediate Drsquoapregraves celles-ci lrsquoarrecirct de la Cour suprecircme de

2006 ne pouvait plus ecirctre suivi Le texte se lisait notamment comme suit

laquo 4 La mecircme infraction ndash la notion drsquoidentiteacute

Il est communeacutement admis que la notion drsquoidentiteacute drsquoinfractions (idem) contenue agrave

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 comporte deux aspects lrsquoun relatif aux circonstances

factuelles et lrsquoautre relatif au droit Selon cette interpreacutetation la seconde proceacutedure (en

pratique le procegraves peacutenal) ne porte sur la mecircme infraction que la proceacutedure anteacuterieure

(en pratique la majoration drsquoimpocirct) que si elles concernent toutes deux les mecircmes

faits ndash le laquo mecircme comportement raquo ndash et si la teneur des dispositions pertinentes est

dans une large mesure identique (crsquoest-agrave-dire si elles renferment les laquo mecircmes eacuteleacutements

essentiels raquo)

Dans son arrecirct rendu en formation pleacuteniegravere (Rt 2006 p 1409) la Cour suprecircme ndash se

reacutefeacuterant en particulier agrave la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute rendue par la Cour le 14 septembre

2004 en lrsquoaffaire Rosenquist (deacutec) no 6061900 ndash a jugeacute qursquoune deacutecision infligeant

une majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire ne faisait pas obstacle agrave lrsquoouverture

ulteacuterieure drsquoun procegraves peacutenal lrsquoune et lrsquoautre des proceacutedures ayant pour objet des

infractions diffeacuterentes au sens de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 La majoriteacute (14 voix) a

estimeacute que les dispositions reacutegissant la majoration drsquoimpocirct ordinaire eacutenonceacutees agrave

lrsquoarticle 10-2 cf article 10-4 1) premiegravere phrase de la loi fiscale ne renfermaient pas

les mecircmes eacuteleacutements essentiels que la disposition peacutenale eacutenonceacutee agrave lrsquoarticle 12-1 de

cette mecircme loi Pour la Cour suprecircme la diffeacuterence deacutecisive tenait agrave ce que si la

disposition peacutenale nrsquoeacutetait applicable que lorsqursquoil y a intention ou neacutegligence grave

les majorations drsquoimpocirct ordinaires lrsquoeacutetaient sur la base de critegraveres plus ou moins

objectifs La haute juridiction a eacutegalement eacutevoqueacute la diffeacuterence de finaliteacute de ces

sanctions

Dans son arrecirct de Grande Chambre Sergueiuml Zolotoukhine la Cour srsquoest livreacutee agrave une

analyse minutieuse de la notion drsquoidentiteacute drsquoinfractions (idem) tireacutee de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 agrave lrsquoissue de laquelle elle srsquoest eacutecarteacutee de lrsquointerpreacutetation qui avait cours

auparavant Depuis cet arrecirct il est clair que la question de savoir si lrsquoune et lrsquoautre des

proceacutedures concernaient la mecircme infraction doit ecirctre analyseacutee sur la base des seuls

faits (voir en particulier les paragraphes 82 et 84 de lrsquoarrecirct) Les deux proceacutedures

auront pour objet la mecircme infraction si elles ont pour origine laquo des faits identiques ou

des faits qui sont en substance les mecircmes raquo (sect 82) Il faut donc faire porter lrsquolaquo examen

sur ces faits qui constituent un ensemble de circonstances factuelles concregravetes

impliquant le mecircme contrevenant et indissociablement lieacutees entre elles dans le temps

et lrsquoespace raquo (sect 84)

De lrsquoavis du procureur geacuteneacuteral le jugement porteacute par la Cour suprecircme dans son arrecirct

publieacute au Rt 2006 p 1409 qui se fondait principalement sur des diffeacuterences dans les

critegraveres de culpabiliteacute ne tient plus depuis lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine Degraves lors que

lrsquoapplication de la majoration drsquoimpocirct et le procegraves peacutenal ulteacuterieur reposent sur la

mecircme action ou omission comme crsquoest normalement le cas il faut supposer que en

application de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 la majoration drsquoimpocirct ordinaire fait

eacutegalement obstacle agrave des poursuites peacutenales ulteacuterieures Le procureur geacuteneacuteral a deacuteduit

de ses entretiens avec la direction des impocircts que telle est la position de celle-ci

La nouvelle conception de la notion drsquoidentiteacute drsquoinfractions sur le terrain de

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 soulegravevera incontestablement de nouvelles questions sur

lrsquoampleur des diffeacuterences que devront avoir les circonstances factuelles pour qursquoil

puisse ecirctre conclu agrave lrsquoabsence drsquoidentiteacute Cependant il srsquoagit de questions qui devront

ecirctre trancheacutees en pratique au cas par cas Il faut noter que le raisonnement de lrsquoarrecirct

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 15

Sergueiuml Zolotoukhine montre que la Cour est moins disposeacutee que le droit interne

norveacutegien agrave consideacuterer une seacutequence drsquoeacuteveacutenements comme un tout pour ce qui est de

rechercher srsquoil y a infraction continueacutee ou non

5 Nouvelle proceacutedure

Comme on le sait les instructions anteacuterieures (voir en particulier la section 3 de la

lettre du 26 mars 2007 (RA-2007-120) adresseacutee par le procureur geacuteneacuteral aux bureaux

reacutegionaux des procureurs et aux directeurs de la police) reposaient sur la possibiliteacute

drsquoappliquer aux majorations drsquoimpocirct ordinaires le systegraveme agrave deux niveaux instaureacute par

la loi fiscale Depuis le revirement opeacutereacute dans la jurisprudence de la Cour il faut

appliquer un systegraveme laquo agrave un niveau raquo eacutegalement pour les majorations drsquoimpocirct

ordinaires

Ainsi qursquoil a deacutejagrave eacuteteacute dit le procureur geacuteneacuteral et la direction des impocircts nrsquoestiment

pas justifiable drsquoouvrir un nouveau procegraves en supposant que les tribunaux ne

concluront plus que lrsquoapplication drsquoune majoration drsquoimpocirct ordinaire constitue une

sanction peacutenale au sens de la Convention On pourrait peut-ecirctre deacutefendre cette thegravese

mais elle comporte trop drsquoincertitudes Il faut aussi tenir compte du nombre

relativement important drsquoaffaires en jeu

Quand bien mecircme la jurisprudence de la Cour en matiegravere de proceacutedures parallegraveles

nrsquoaurait pas changeacute nous estimons ndash comme auparavant ndash que si un grand nombre

drsquoactions en justice sont formeacutees ndash ce qui risque drsquoecirctre le cas ndash il sera trop compliqueacute

drsquointenter un procegraves sur la base de proceacutedures parallegraveles crsquoest-agrave-dire devant

lrsquoadministration et devant le juge Il faut signaler aussi que dans tel ou tel cas si les

circonstances le permettent des transactions peuvent ecirctre conclues en tenant compte

de lrsquoeacuteventualiteacute de proceacutedures parallegraveles

Agrave lrsquoissue des discussions le procureur geacuteneacuteral et la direction des impocircts

conviennent de la proceacutedure suivante () raquo

49 Les instructions fixent ensuite les modaliteacutes de la laquo nouvelle

proceacutedure raquo

a) Srsquoagissant des affaires nouvelles crsquoest-agrave-dire celles sur lesquelles le

fisc nrsquoa pas encore statueacute celui-ci doit examiner de maniegravere indeacutependante si

le fait punissable est drsquoune graviteacute telle qursquoil meacuterite drsquoecirctre signaleacute agrave la

police Si le fisc deacutecide drsquoen saisir la police aucune majoration drsquoimpocirct ne

peut ecirctre appliqueacutee Srsquoil faut appliquer une majoration drsquoimpocirct la police ne

peut ecirctre saisie

Srsquoagissant des affaires dont la police a eacuteteacute saisie il est souligneacute que

lrsquoimposition drsquoune amende (par le biais drsquoune notification de peine ou drsquoun

jugement au peacutenal) fait obstacle agrave lrsquoapplication ulteacuterieure drsquoune majoration

drsquoimpocirct Si le parquet estime qursquoil nrsquoy a pas lieu drsquoouvrir des poursuites

peacutenales lrsquoaffaire doit ecirctre renvoyeacutee au fisc pour que celui-ci en reprenne

lrsquoexamen et lrsquointeacuteresseacute doit en ecirctre aviseacute

Dans les affaires ougrave le fisc applique une majoration drsquoimpocirct ordinaire

tout en signalant lrsquoaffaire agrave la police mais ougrave lrsquoouverture de poursuites nrsquoest

pas encore deacutecideacutee (laquo en instance de deacutecision raquo) il faut renoncer agrave celles-ci

b) Dans les affaires ougrave une notification de peine a eacuteteacute deacutelivreacutee mais nrsquoa

pas eacuteteacute accepteacutee et ougrave le fisc a appliqueacute une majoration drsquoimpocirct avant de

signaler lrsquoaffaire agrave la police il faut clore la proceacutedure Les notifications de

16 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

peine qui ont eacuteteacute accepteacutees doivent ecirctre annuleacutees par les hautes instances du

parquet En revanche en vertu du pouvoir discreacutetionnaire confeacutereacute par

lrsquoarticle 392 1) du code de proceacutedure peacutenale reconnu par la Cour suprecircme

en formation pleacuteniegravere dans son arrecirct publieacute au Rt 2003 p 359 il nrsquoest pas

neacutecessaire drsquoannuler les notifications de peine accepteacutees avant le 10 feacutevrier

2009 date du prononceacute de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine

c) Srsquoagissant des affaires passant en jugement devant les tribunaux de

premiegravere instance ndash sur la base drsquoun acte drsquoinculpation drsquoune notification de

peine non accepteacutee ou drsquoune demande de jugement sur la base drsquoune

reconnaissance de culpabiliteacute dans le cadre drsquoune proceacutedure sommaire ndash le

parquet doit clore la proceacutedure et abandonner les poursuites si lrsquoaudience

nrsquoa pas encore eu lieu ou si celle-ci a eu lieu demander le rejet de lrsquoaffaire

Le parquet doit faire appel de toute condamnation non encore deacutefinitive et

exeacutecutoire en faveur de la personne viseacutee et quelle que soit lrsquoissue en

premiegravere instance demander lrsquoannulation du jugement de premiegravere instance

et le rejet de lrsquoaffaire par les tribunaux

d) Il nrsquoest pas question de rouvrir le procegraves lorsque le jugement est

devenu deacutefinitif et exeacutecutoire anteacuterieurement agrave la date du prononceacute de

lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine crsquoest-agrave-dire avant le 10 feacutevrier 2009 Pour ce

qui est des jugements posteacuterieurs agrave cette date la reacuteouverture pourrait ecirctre

envisageacutee dans des cas exceptionnels mais lrsquointeacuteresseacute doit ecirctre informeacute que

le parquet ne demandera pas drsquooffice la reacuteouverture

50 Pour ce qui est de lrsquoimposition de plusieurs sanctions peacutenales pour le

mecircme comportement lrsquoarticle 29 du code peacutenal (Straffeloven) de 2005

dispose que la peine globale en reacutesultant doit raisonnablement correspondre

agrave lrsquoinfraction commise Cette disposition reflegravete agrave lrsquoeacutevidence le principe

geacuteneacuteral de proportionnaliteacute applicable aussi agrave la fixation des sanctions

peacutenales en droit norveacutegien sous lrsquoempire de lrsquoancien code peacutenal de 1902

Dans un arrecirct publieacute au Rt 2009 p 14 qui concernait une proceacutedure peacutenale

pour fraude fiscale la Cour suprecircme a deacuteduit des principes eacutenonceacutes dans le

code peacutenal de 1902 qursquoil fallait tenir compte de toute sanction deacutejagrave infligeacutee

agrave lrsquoaccuseacute ndash en lrsquooccurrence une majoration drsquoimpocirct de nature

administrative ndash pour la fraude fiscale dont il eacutetait lrsquoauteur et en a conclu

qursquoil ne devait pas ecirctre traiteacute plus seacutevegraverement que si lrsquoinfraction peacutenale de

fraude fiscale avait eacuteteacute jugeacutee en mecircme temps que le comportement

sanctionneacute dans le cadre de la proceacutedure administrative Dans un arrecirct

publieacute au Rt 2011 p 1509 elle a confirmeacute ce qursquoelle avait dit dans une

deacutecision anteacuterieure publieacutee au Rt 2005 p 129 agrave savoir que le principe

(eacutenonceacute dans un arrecirct publieacute au Rt 2004 p 645) selon lequel un montant

correspondant agrave la majoration drsquoimpocirct administrative ordinaire de 30

pouvait ecirctre englobeacute dans lrsquoamende nrsquoeacutetait pas applicable aux affaires de

fraude fiscale agrave caractegravere peacutenal ougrave il y avait lieu de prononcer des peines

drsquoemprisonnement en plus des amendes Elle a eacutegalement confirmeacute que

comme elle lrsquoavait dit dans sa deacutecision de 2005 si une majoration drsquoimpocirct

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 17

administrative ne pouvait plus ecirctre imposeacutee lrsquoamende de nature peacutenale

devait ecirctre plus lourde

III LrsquoAFFAIRE HANS AringKEBERG FRANSSON (C-61710) DEVANT LA

COUR DE JUSTICE DE LrsquoUNION EUROPEacuteENNE

51 Dans ses conclusions preacutesenteacutees le 12 juin 2012 en lrsquoaffaire

susmentionneacutee porteacutee devant la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne (laquo la

CJUE raquo) lrsquoavocat geacuteneacuteral Cruz Villaloacuten a dit ceci

laquo 2 Analyse des deuxiegraveme troisiegraveme et quatriegraveme questions preacutejudicielles

70 La question poseacutee par le [tribunal de] Haparanda () est particuliegraverement

complexe et srsquoavegravere tout aussi deacutelicate que la question qui vient drsquoecirctre traiteacutee Drsquoun

cocircteacute la double sanction administrative et peacutenale est une pratique tregraves reacutepandue dans

les Eacutetats membres surtout dans des domaines tels que ceux de la fiscaliteacute des

politiques environnementales ou de la seacutecuriteacute publique Toutefois les modaliteacutes

relatives au cumul des sanctions varient eacutenormeacutement entre les ordres juridiques et

revecirctent des caracteacuteristiques speacutecifiques et propres agrave chaque Eacutetat membre Dans la

plupart des cas ces speacutecificiteacutes visent agrave atteacutenuer les effets drsquoune double reacuteaction

punitive de la part des pouvoirs publics Drsquoun autre cocircteacute comme nous le verrons par

la suite la Cour de Strasbourg srsquoest prononceacutee reacutecemment agrave ce sujet et a confirmeacute

que contrairement agrave ce qursquoil semblait au deacutebut ces pratiques eacutetaient contraires au

droit fondamental ne bis in idem figurant agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 de la CEDH

Cependant il srsquoavegravere que tous les Eacutetats membres nrsquoont pas ratifieacute cette disposition

puisqursquoils ont introduit dans certains cas des reacuteserves ou des deacuteclarations

interpreacutetatives agrave ce sujet Il srsquoensuit que lrsquoobligation drsquointerpreacuteter la charte agrave la lumiegravere

de la CEDH et de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg (article 52 paragraphe 3

de la charte) devient en quelque sorte asymeacutetrique en ce qursquoelle pose de gros

problegravemes dans son application au cas particulier

a) Lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 de la CEDH et la jurisprudence de la Cour de

Strasbourg y affeacuterente

i) Signature et ratification de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 de la CEDH

71 Le principe ne bis in idem ne fait pas expresseacutement partie de la CEDH depuis le

deacutebut Son incorporation agrave la convention a eu lieu comme on le sait par le biais de

son Protocole no 7 ouvert agrave la signature le 22 novembre 1984 et entreacute en vigueur le

1er novembre 1988 Entre autres droits lrsquoarticle 4 eacutenonce la garantie du ne bis in idem

dans le but selon les explications sur le protocole fournies par le Conseil de lrsquoEurope

de concreacutetiser le principe en vertu duquel nul ne peut ecirctre poursuivi ou puni

peacutenalement en raison drsquoune infraction pour laquelle il a deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute ou condamneacute

par un jugement deacutefinitif

72 Agrave la diffeacuterence drsquoautres droits contenus dans la CEDH le droit preacutevu agrave

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 de la CEDH nrsquoa pas eacuteteacute unanimement accepteacute par les

Eacutetats signataires de la convention dont diffeacuterents Eacutetats membres de lrsquoUnion Au jour

de la lecture des preacutesentes conclusions le Protocole no 7 nrsquoest pas encore ratifieacute par la

Reacutepublique feacutedeacuterale drsquoAllemagne le Royaume de Belgique le Royaume des

Pays-Bas et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et drsquoIrlande du Nord Parmi les

Eacutetats qui lrsquoont ratifieacutee la Reacutepublique franccedilaise a formuleacute une reacuteserve agrave lrsquoarticle 4

dudit protocole en limitant son application aux seules infractions de nature

peacutenale () De mecircme agrave lrsquooccasion de la signature la Reacutepublique feacutedeacuterale

18 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

drsquoAllemagne la Reacutepublique drsquoAutriche la Reacutepublique italienne et la Reacutepublique

portugaise ont formuleacute diffeacuterentes deacuteclarations contenant la mecircme indication la

porteacutee limiteacutee de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 dont la protection ne concerne que la

double sanction laquo peacutenale raquo au sens ougrave lrsquoentend lrsquoordre juridique interne ()

73 Les eacuteleacutements qui preacutecegravedent montrent clairement et sans eacutequivoque que les

problegravemes que pose la double sanction administrative et peacutenale sont marqueacutes par un

grave deacutefaut de consensus entre les Eacutetats membres de lrsquoUnion Le caractegravere

probleacutematique du contexte est patent agrave en juger par les neacutegociations sur la future

adheacutesion de lrsquoUnion agrave la CEDH au cours desquelles les Eacutetats et lrsquoUnion ont deacutecideacute

drsquoexclure pour le moment les protocoles de la CEDH y compris celui en cause dans

cette affaire ()

74 Ce deacutefaut de consensus peut srsquoexpliquer par lrsquoimportance que revecirctent les

instruments de reacutepression administrative dans bon nombre drsquoEacutetats membres ainsi que

par lrsquoaccent particulier qui est mis dans ces Eacutetats membres agrave la fois sur la proceacutedure

et sur la sanction peacutenales Drsquoun cocircteacute les Eacutetats ne veulent pas renoncer agrave lrsquoefficaciteacute

qui caracteacuterise la sanction administrative en particulier dans des domaines ougrave les

pouvoirs publics tiennent agrave srsquoassurer du strict respect de la leacutegaliteacute tels que le droit

fiscal ou le droit de la seacutecuriteacute publique Drsquoun autre cocircteacute le caractegravere exceptionnel de

lrsquointervention peacutenale ainsi que les garanties dont lrsquoaccuseacute beacuteneacuteficie pendant le procegraves

incitent les Eacutetats agrave se reacuteserver une marge drsquoappreacuteciation pour deacuteterminer les

comportements qui doivent faire lrsquoobjet de poursuites peacutenales Ce double inteacuterecirct agrave

conserver un pouvoir de sanction agrave la fois administrative et peacutenale explique pourquoi

un grand nombre drsquoEacutetats membres refusent actuellement drsquoune maniegravere ou drsquoune

autre de se soumettre agrave la jurisprudence de la Cour de Strasbourg laquelle comme

nous allons le voir maintenant a eacutevolueacute dans un sens qui exclut pratiquement cette

dualiteacute raquo

52 Dans son arrecirct du 26 feacutevrier 2013 la CJUE (grande chambre) a

notamment dit ceci

laquo Sur les questions preacutejudicielles

Sur les deuxiegraveme troisiegraveme et quatriegraveme questions

32 Par ces questions auxquelles il convient de reacutepondre de maniegravere conjointe le

[tribunal de] Haparanda () demande en substance agrave la Cour srsquoil convient

drsquointerpreacuteter le principe ne bis in idem eacutenonceacute agrave lrsquoarticle 50 de la Charte en ce sens

qursquoil srsquooppose agrave ce que des poursuites peacutenales pour fraude fiscale soient diligenteacutees

contre un preacutevenu degraves lors que ce dernier a deacutejagrave fait lrsquoobjet drsquoune sanction fiscale

pour les mecircmes faits de fausse deacuteclaration

33 Srsquoagissant de lrsquoapplication du principe ne bis in idem eacutenonceacute agrave lrsquoarticle 50 de la

Charte agrave des poursuites peacutenales pour fraude fiscale telles que celles qui sont lrsquoobjet du

litige au principal elle suppose que les mesures qui ont deacutejagrave eacuteteacute adopteacutees agrave lrsquoencontre

du preacutevenu au moyen drsquoune deacutecision devenue deacutefinitive revecirctent un caractegravere peacutenal

34 Agrave cet eacutegard il convient de relever tout drsquoabord que lrsquoarticle 50 de la Charte ne

srsquooppose pas agrave ce qursquoun Eacutetat membre impose pour les mecircmes faits de non-respect

drsquoobligations deacuteclaratives dans le domaine de la TVA une combinaison de sanctions

fiscales et peacutenales En effet afin de garantir la perception de lrsquointeacutegraliteacute des recettes

provenant de la TVA et ce faisant la protection des inteacuterecircts financiers de lrsquoUnion les

Eacutetats membres disposent drsquoune liberteacute de choix des sanctions applicables (voir en ce

sens arrecircts du 21 septembre 1989 CommissionGregravece 68frasl88 Rec p 2965 point 24

du 7 deacutecembre 2000 de Andrade C-213frasl99 Rec p I-11083 point 19 et du

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 19

16 octobre 2003 Hannl-Hofstetter C-91frasl02 Rec p I-12077 point 17) Celles-ci

peuvent donc prendre la forme de sanctions administratives de sanctions peacutenales ou

drsquoune combinaison des deux Ce nrsquoest que lorsque la sanction fiscale revecirct un

caractegravere peacutenal au sens de lrsquoarticle 50 de la Charte et est devenue deacutefinitive que

ladite disposition srsquooppose agrave ce que des poursuites peacutenales pour les mecircmes faits soient

diligenteacutees contre une mecircme personne

35 Ensuite il y a lieu de rappeler que aux fins de lrsquoappreacuteciation de la nature peacutenale

de sanctions fiscales trois critegraveres sont pertinents Le premier est la qualification

juridique de lrsquoinfraction en droit interne le deuxiegraveme la nature mecircme de lrsquoinfraction et

le troisiegraveme la nature ainsi que le degreacute de seacuteveacuteriteacute de la sanction que risque de subir

lrsquointeacuteresseacute (arrecirct du 5 juin 2012 Bonda C-489frasl10 point 37)

36 Il appartient agrave la juridiction de renvoi drsquoappreacutecier agrave la lumiegravere de ces critegraveres

srsquoil y a lieu de proceacuteder agrave un examen du cumul de sanctions fiscales et peacutenales preacutevu

par la leacutegislation nationale par rapport aux standards nationaux au sens du point 29 du

preacutesent arrecirct ce qui pourrait lrsquoamener le cas eacutecheacuteant agrave consideacuterer ce cumul comme

contraire auxdits standards agrave condition que les sanctions restantes soient effectives

proportionneacutees et dissuasives (voir en ce sens notamment arrecircts CommissionGregravece

preacuteciteacute point 24 du 10 juillet 1990 Hansen C-326frasl88 Rec p I-2911 point 17 du

30 septembre 2003 Inspire Art C-167frasl01 Rec p I-10155 point 62 du 15 janvier

2004 Penycoed C-230frasl01 Rec p I-937 point 36 ainsi que du 3 mai 2005

Berlusconi ea C-387frasl02 C-391frasl02 et C-403frasl02 Rec p I-3565 point 65)

37 Il deacutecoule des consideacuterations qui preacutecegravedent qursquoil convient de reacutepondre aux

deuxiegraveme troisiegraveme et quatriegraveme questions que le principe ne bis in idem eacutenonceacute agrave

lrsquoarticle 50 de la Charte ne srsquooppose pas agrave ce qursquoun Eacutetat membre impose pour les

mecircmes faits de non-respect drsquoobligations deacuteclaratives dans le domaine de la TVA

successivement une sanction fiscale et une sanction peacutenale dans la mesure ougrave la

premiegravere sanction ne revecirct pas un caractegravere peacutenal ce qursquoil appartient agrave la juridiction

nationale de veacuterifier raquo

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 4 DU

PROTOCOLE No 7 Agrave LA CONVENTION

53 Les requeacuterants soutiennent tous deux avoir eacuteteacute poursuivis et

sanctionneacutes deux fois pour la mecircme infraction relevant de lrsquoarticle 12-1

(chapitre 12) de la loi fiscale en violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 agrave

la Convention ils allegraveguent avoir eacuteteacute interrogeacutes en tant qursquoaccuseacutes et

inculpeacutes par le parquet frappeacutes de majorations drsquoimpocirct par le fisc payeacutees

par eux puis reconnus coupables et sanctionneacutes au peacutenal Lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 est ainsi libelleacute

laquo 1 Nul ne peut ecirctre poursuivi ou puni peacutenalement par les juridictions du mecircme

Eacutetat en raison drsquoune infraction pour laquelle il a deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute ou condamneacute par un

jugement deacutefinitif conformeacutement agrave la loi et agrave la proceacutedure peacutenale de cet Eacutetat

20 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

2 Les dispositions du paragraphe preacuteceacutedent nrsquoempecircchent pas la reacuteouverture du

procegraves conformeacutement agrave la loi et agrave la proceacutedure peacutenale de lrsquoEacutetat concerneacute si des faits

nouveaux ou nouvellement reacuteveacuteleacutes ou un vice fondamental dans la proceacutedure

preacuteceacutedente sont de nature agrave affecter le jugement intervenu

3 Aucune deacuterogation nrsquoest autoriseacutee au preacutesent article au titre de lrsquoarticle 15 de la

Convention raquo

54 Le Gouvernement reacutecuse cette thegravese

A Sur la recevabiliteacute

55 La Cour estime que les requecirctes soulegravevent des questions complexes

du point de vue des faits et du droit de la Convention de sorte qursquoelle ne

saurait les rejeter pour deacutefaut manifeste de fondement au sens de lrsquoarticle 35

sect 3 a) de la Convention Constatant par ailleurs qursquoelles ne se heurtent agrave

aucun autre motif drsquoirrecevabiliteacute elle les deacuteclare recevables

B Sur le fond

1 Les requeacuterants

56 Les requeacuterants soutiennent que au meacutepris de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 ils ont fait lrsquoobjet drsquoune double incrimination pour le mecircme

motif agrave savoir une infraction relevant de lrsquoarticle 12-1 1) de la loi fiscale Ils

disent en effet avoir eacuteteacute drsquoabord interrogeacutes comme accuseacutes et inculpeacutes par le

parquet et frappeacutes de majorations drsquoimpocirct par le fisc accepteacutees et payeacutees

par chacun drsquoeux puis condamneacutes peacutenalement Se reacutefeacuterant agrave la chronologie

des proceacutedures deacutenonceacutees le premier requeacuterant ajoute qursquoil a fait lrsquoobjet de

doubles poursuites pendant un laps de temps important ce qui aurait fait

peser sur lui un fardeau excessivement lourd tant physiquement que

psychologiquement en conseacutequence de quoi il aurait eacuteteacute victime drsquoun

infarctus et aurait ducirc ecirctre hospitaliseacute

a) Les premiegraveres proceacutedures revecirctaient-elles un caractegravere peacutenal

57 Partageant lrsquoanalyse de la Cour suprecircme fondeacutee sur les critegraveres Engel

et sur drsquoautres eacuteleacutements pertinents de jurisprudence interne concernant la

majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire de 30 les requeacuterants jugent

manifeste que non seulement la proceacutedure pour fraude fiscale mais aussi la

proceacutedure de majoration drsquoimpocirct eacutetaient de nature laquo peacutenale raquo et que ces

deux proceacutedures doivent donc ecirctre qualifieacutees de laquo peacutenales raquo pour les besoins

de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

b) Les infractions eacutetaient-elles les mecircmes (idem)

58 Les requeacuterants souscrivent eacutegalement agrave lrsquoavis de la Cour suprecircme

lorsqursquoelle a dit qursquoil ne faisait aucun doute que les circonstances factuelles

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 21

agrave lrsquoorigine des majorations drsquoimpocirct et des poursuites peacutenales avaient

suffisamment de points communs pour ecirctre consideacutereacutees comme

constitutives de la mecircme infraction Ils estiment en effet que dans un cas

comme dans lrsquoautre la base factuelle eacutetait lrsquoomission de revenus dans leur

deacuteclaration fiscale

c) Les proceacutedures fiscales ont-elles fait lrsquoobjet de deacutecisions deacutefinitives et dans

lrsquoaffirmative agrave quel moment

59 Les requeacuterants soutiennent que les deacutecisions par lesquelles le fisc

leur a appliqueacute des majorations drsquoimpocirct eacutetaient devenues deacutefinitives et

passeacutees en force de chose jugeacutee le 15 deacutecembre 2008 srsquoagissant du premier

requeacuterant et le 26 deacutecembre 2008 srsquoagissant du second requeacuterant soit

anteacuterieurement agrave leur condamnation pour les mecircmes comportements

intervenue le 2 mars 2009 pour le premier requeacuterant et le 30 septembre 2009

pour le second requeacuterant Qursquoil faille regarder ou non ces sanctions comme

issues de proceacutedures dites parallegraveles les deacutecisions de majoration drsquoimpocirct

prises contre eux seraient devenues deacutefinitives et exeacutecutoires avant qursquoils ne

fussent reconnus coupables agrave raison drsquoun comportement strictement

identique respectivement par le tribunal de Follo et par le tribunal drsquoOslo

Les sanctionner peacutenalement aurait donc emporteacute violation du principe non

bis in idem consacreacute agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

d) Y a-t-il eu reacutepeacutetition des poursuites (bis)

60 Les requeacuterants se disent victimes drsquoune reacutepeacutetition des poursuites

proscrite par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Les proceacutedures administratives de

majoration drsquoimpocirct revecirctant effectivement selon eux un caractegravere peacutenal le

parquet aurait eacuteteacute tenu par cette disposition de mettre fin aux poursuites

peacutenales degraves que lrsquoissue de ces proceacutedures administratives eacutetait devenue

deacutefinitive Or il ne lrsquoaurait pas fait

61 Pour les requeacuterants si le droit norveacutegien autorise la conduite de

proceacutedures parallegraveles le recours agrave ce proceacutedeacute par les autoriteacutes internes a

permis agrave ces derniegraveres de coordonner leurs deacutemarches de maniegravere agrave

contourner lrsquointerdiction poseacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 et agrave rendre

ainsi illusoire la protection offerte par cette disposition Dans le cas du

premier requeacuterant en particulier lrsquoouverture de proceacutedures parallegraveles

semblerait avoir eacuteteacute une manœuvre organiseacutee de concert par le parquet et le

fisc

62 Les requeacuterants affirment que en lrsquoespegravece le parquet a simplement

attendu que le fisc deacutecide drsquoappliquer des majorations drsquoimpocirct pour

renvoyer les affaires en jugement Les proceacutedures peacutenale et administrative

auraient ainsi eacuteteacute coordonneacutees de faccedilon agrave les pieacuteger au moyen de deux corps

diffeacuterents de regravegles peacutenales et ainsi agrave leur faire payer des impocircts

suppleacutementaires et des majorations drsquoimpocirct et agrave les faire condamner pour le

mecircme comportement autrement dit agrave les soumettre agrave une double

22 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

incrimination Du point de vue de la seacutecuriteacute juridique la possibiliteacute de

conduire des proceacutedures parallegraveles poserait problegraveme Lrsquoimportante finaliteacute

de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 agrave savoir empecirccher que le justiciable soit

contraint de supporter un fardeau excessif militerait en faveur drsquoune

limitation de la faculteacute pour les autoriteacutes de mener des proceacutedures parallegraveles

63 Les requeacuterants considegraverent que sous lrsquoangle des garanties

proceacutedurales cette faculteacute pour le fisc et le parquet drsquoorganiser de concert la

conduite de proceacutedures parallegraveles est contraire agrave lrsquointerdiction de la double

incrimination poseacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 et agrave la jurisprudence

reacutecente de la Cour ainsi qursquoagrave certains jugements nationaux Ils estiment degraves

lors que ce proceacutedeacute qui a permis en lrsquoespegravece agrave des autoriteacutes diffeacuterentes de

mettre sur pied des proceacutedures parallegraveles semble assez contestable et ne

tient pas ducircment compte des pressions ainsi exerceacutees sur le justiciable pas

plus que des principaux inteacuterecircts proteacutegeacutes par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

64 Au cours du cauchemar qursquoils disent avoir veacutecu en lrsquoespegravece les

requeacuterants auraient eacuteteacute rassureacutes lorsque le premier drsquoentre eux aurait appris

par lrsquoagent des impocircts qursquoil pouvait deacutesormais laquo pousser un soupir de

soulagement raquo en raison de lrsquoadoption de nouvelles instructions eacutecrites par

le service du procureur geacuteneacuteral le 3 avril 2009 lesquelles auraient interdit la

reacutepeacutetition des poursuites et les doubles incriminations dans les cas comme le

sien Srsquoappuyant sur lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine ces nouvelles instructions

auraient notamment disposeacute que en appel ndash qursquoil y ait eu condamnation ou

acquittement en premiegravere instance ndash le parquet devait requeacuterir lrsquoannulation

du jugement et la clocircture de la proceacutedure Les requeacuterants preacutecisent que en

conseacutequence de ces nouvelles instructions et de la qualification de sanction

peacutenale donneacutee aux majorations drsquoimpocirct et puisque les deacutecisions appliquant

celles-ci eacutetaient devenues deacutefinitives et passeacutees en force de chose jugeacutee agrave

leur eacutegard il eacutetait raisonnable qursquoils srsquoattendent agrave lrsquoabandon des poursuites

peacutenales dirigeacutees contre eux par lrsquoeffet de lrsquointerdiction de la double

incrimination poseacutee par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 De plus en vertu de

ces instructions drsquoautres personnes accuseacutees des mecircmes infractions dans le

mecircme groupe drsquoaffaires ne se seraient pas vu appliquer de majorations

drsquoimpocirct parce qursquoelles avaient deacutejagrave eacuteteacute reconnues coupables et condamneacutees

agrave une peine drsquoemprisonnement pour violation de lrsquoarticle 12-2 de la loi

fiscale Or agrave lrsquoinverse de ces autres personnes les requeacuterants auraient eacuteteacute

reconnus coupables et frappeacutes de peines drsquoemprisonnement alors qursquoils

avaient ducirc verser un suppleacutement drsquoimpocirct et une majoration drsquoimpocirct agrave raison

du mecircme comportement La thegravese du Gouvernement soulignant la neacutecessiteacute

drsquoassurer une eacutegaliteacute de traitement avec les autres personnes inculpeacutees de la

mecircme infraction de fraude fiscale ne serait donc pas convaincante

65 Les requeacuterants se disent drsquoautant plus gravement affecteacutes sur le plan

psychologique que malgreacute les instructions susmentionneacutees le parquet a

poursuivi leur procegraves en invoquant la leacutegaliteacute des proceacutedures parallegraveles et a

rejeteacute leurs demandes tendant agrave lrsquoannulation de leur condamnation en

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 23

premiegravere instance et au rejet par les tribunaux des proceacutedures peacutenales Agrave cet

effet le premier requeacuterant produit divers certificats meacutedicaux dont un

deacutelivreacute par une clinique pour une intervention de chirurgie cardiaque

2 Le Gouvernement

a) Les premiegraveres proceacutedures revecirctaient-elles un caractegravere peacutenal

66 Le Gouvernement invite la Grande Chambre agrave confirmer lrsquoapproche

suivie dans une seacuterie drsquoaffaires anteacuterieures agrave lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine

selon laquelle le caractegravere laquo peacutenal raquo drsquoune sanction pour les besoins de

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 srsquoappreacutecie sur la base drsquoun groupe plus large de

facteurs que les critegraveres Engel (formuleacutes sur le terrain de lrsquoarticle 6) Selon

lui il faut tenir compte de la qualification juridique de lrsquoinfraction en droit

interne de la nature de celle-ci de la qualification de la sanction en droit

interne et de son but de sa nature et de son degreacute de seacuteveacuteriteacute ainsi que de

la question de savoir si elle a eacuteteacute imposeacutee agrave la suite drsquoune condamnation

pour une infraction peacutenale et des proceacutedures associeacutees agrave son adoption et agrave

son exeacutecution (le Gouvernement cite les affaires Malige c France

23 septembre 1998 sect 35 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1998-VII et

Nilsson c Suegravede (deacutec) no 7366101 CEDH 2005-XIII Haarvig c Norvegravege

(deacutec) no 1118705 11 deacutecembre 2007 Storbraringten c Norvegravege (deacutec)

no 1227704 1er feacutevrier 2007 et Mjelde c Norvegravege (deacutec) no 1114304

1er feacutevrier 2007)

67 Le Gouvernement soutient entre autres que les diffeacuterences dans le

libelleacute et lrsquoobjet de ces dispositions montrent clairement que le mot

laquo peacutenalement raquo employeacute agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 srsquoentend en un sens

plus eacutetroit que lrsquoexpression laquo en matiegravere peacutenale raquo figurant agrave lrsquoarticle 6 Il

ressortirait du rapport explicatif du Protocole no 7 que le libelleacute de lrsquoarticle 4

a eacuteteacute conccedilu pour viser les proceacutedures peacutenales stricto sensu Ce rapport

indiquerait en son paragraphe 28 qursquoil nrsquoeacutetait pas apparu neacutecessaire de

qualifier lrsquoinfraction de laquo peacutenale raquo car le libelleacute de lrsquoarticle 4 laquo qui contient

deacutejagrave les termes laquo peacutenalement raquo et laquo proceacutedure peacutenale raquo rendait cette

preacutecision inutile dans le texte mecircme de lrsquoarticle raquo Il soulignerait en son

paragraphe 32 que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 nrsquointerdit pas les proceacutedures

laquo drsquoun caractegravere diffeacuterent (par exemple une proceacutedure disciplinaire dans le

cas drsquoun fonctionnaire) raquo De plus lrsquoarticle 6 et lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

poursuivraient des fins diffeacuterentes voire parfois opposeacutees le premier ayant

pour but de renforcer les garanties proceacutedurales en matiegravere peacutenale

68 Le Gouvernement met eacutegalement en avant un certain nombre de

diffeacuterences suppleacutementaires dans la maniegravere dont ces deux dispositions ont

eacuteteacute interpreacuteteacutees et appliqueacutees dans la jurisprudence de la Cour notamment

le caractegravere absolu de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 (non susceptible de

deacuterogation au titre de lrsquoarticle 15) par opposition agrave lrsquoapproche nuanceacutee

suivie par la Cour sur le terrain de lrsquoarticle 6 Il cite lrsquoarrecirct Jussila

24 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

c Finlande ([GC] no 7305301 sect 43 CEDH 2006-XIV) ougrave la Grande

Chambre de la Cour a dit laquo il va de soi que () les laquo accusations en

matiegravere peacutenale raquo nrsquoont pas toutes le mecircme poids raquo et que laquo [l]es majorations

drsquoimpocirct ne faisant pas partie du noyau dur du droit peacutenal les garanties

offertes par le volet peacutenal de lrsquoarticle 6 ne doivent pas neacutecessairement

srsquoappliquer dans toute leur rigueur raquo

69 Se fondant sur le groupe plus large de critegraveres susmentionneacute le

Gouvernement prie la Cour de dire que les majorations drsquoimpocirct au taux

ordinaire ne revecirctent pas un caractegravere laquo peacutenal raquo aux fins de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7

70 Le Gouvernement avance toutefois les arguments exposeacutes ci-dessous

pour le cas ougrave la Grande Chambre viendrait agrave adopter lrsquoautre approche

baseacutee sur les seuls critegraveres Engel et agrave conclure que la deacutecision de

majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire eacutetait laquo peacutenale raquo au sens autonome

donneacute agrave ce terme sur le terrain de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

b) Les infractions eacutetaient-elles les mecircmes (idem)

71 Partageant le raisonnement et les conclusions adopteacutes par la Cour

suprecircme dans le procegraves du premier requeacuterant (paragraphes 20 agrave 30

ci-dessus) et repris par la cour drsquoappel dans le procegraves du second requeacuterant

(paragraphe 37 ci-dessus) le Gouvernement admet que les circonstances

factuelles agrave lrsquoorigine des proceacutedures de majoration drsquoimpocirct et des procegraves

pour fraude fiscale visaient les mecircmes contrevenants et eacutetaient

indissociablement lieacutees entre elles dans le temps et dans lrsquoespace

c) Les proceacutedures fiscales ont-elles fait lrsquoobjet de deacutecisions deacutefinitives

72 Le Gouvernement rappelle que dans un souci de protection effective

et de clarteacute de la jurisprudence la Cour suprecircme a conclu que la deacutecision de

redressement eacutetait devenue deacutefinitive agrave lrsquoexpiration du deacutelai de recours

administratif de trois semaines (soit le 15 deacutecembre 2008 pour le premier

requeacuterant et le 26 deacutecembre 2008 pour le second) alors mecircme que le deacutelai

de recours en justice de six mois preacutevu agrave lrsquoarticle 11-1 4) du chapitre 11 de

la loi fiscale nrsquoavait pas encore expireacute Srsquoil estime que ce point nrsquoest guegravere

deacuteterminant en lrsquoespegravece (le deacutelai de recours en justice ayant lui aussi pris fin

anteacuterieurement agrave la date de clocircture de la proceacutedure peacutenale alors pendante agrave

savoir le 24 mai 2009 pour le premier requeacuterant et le 5 juin 2009 pour le

second) il ne srsquointerroge pas moins sur la neacutecessiteacute drsquoune interpreacutetation

aussi stricte de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Srsquoappuyant sur lrsquoarrecirct Sergueiuml

Zolotoukhine (preacuteciteacute sect 108) il soutient que la jurisprudence de la Cour

semble confirmer que laquo [l]es deacutecisions susceptibles drsquoun recours ordinaire

ne beacuteneacuteficient pas de la garantie que renferme lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

tant que le deacutelai drsquoappel nrsquoest pas expireacute raquo Agrave son avis les requeacuterants

avaient toujours la faculteacute de former des recours ordinaires sous la forme

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 25

drsquoun recours judiciaire dans les six mois agrave compter de la date des deacutecisions

en cause

d) Y a-t-il eu reacutepeacutetition des poursuites (bis)

73 En revanche srsquoappuyant lagrave encore sur lrsquoanalyse de la Cour suprecircme

le Gouvernement souligne que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 permet dans

certaines conditions ce qursquoil est convenu drsquoappeler des laquo proceacutedures

parallegraveles raquo Le libelleacute de cette disposition indiquerait clairement qursquoelle

interdit la reacutepeacutetition des poursuites une fois passeacutee en force de chose jugeacutee

la deacutecision rendue agrave lrsquoissue de la premiegravere proceacutedure (laquo poursuivi ou puni

peacutenalement () en raison drsquoune infraction pour laquelle il a deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute

ou condamneacute par un jugement deacutefinitif raquo) Le rapport explicatif du

Protocole no 7 confirmerait que le principe non bis in idem est

drsquointerpreacutetation relativement eacutetroite Crsquoest ce qui ressortirait de lrsquoarrecirct

Sergueiuml Zolotoukhine (preacuteciteacute sect 83) dans lequel la Grande Chambre a

deacutefini plus preacuteciseacutement la porteacutee de la disposition en cause en la limitant agrave

la situation suivante

laquo La garantie consacreacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 entre en jeu lorsque de

nouvelles poursuites sont engageacutees et que la deacutecision anteacuterieure drsquoacquittement ou de

condamnation est deacutejagrave passeacutee en force de chose jugeacutee raquo

74 Le Gouvernement en deacuteduit a contrario que les proceacutedures

parallegraveles ndash crsquoest-agrave-dire des sanctions diffeacuterentes imposeacutees par deux

autoriteacutes diffeacuterentes dans des proceacutedures diffeacuterentes eacutetroitement lieacutees sur les

plans mateacuteriel et temporel ndash sortent du champ drsquoapplication de cette

disposition Le lancement drsquoune proceacutedure parallegravele ne srsquoanalyserait pas en

lrsquoouverture de nouvelles poursuites degraves lors que lrsquoacquittement ou la

condamnation anteacuterieurs seraient deacutejagrave passeacutes en force de chose jugeacutee Les

deacutecisions preacuteciteacutees RT c Suisse et Nilsson c Suegravede preacuteciseraient les

conditions dans lesquelles des proceacutedures peuvent passer pour parallegraveles et

donc ecirctre permises au regard de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

75 Or selon le Gouvernement la Cour srsquoest eacutecarteacutee de lrsquoapproche

suivie dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine dans un certain nombre drsquoarrecircts

plus reacutecents dont quatre concernant la Finlande rendus le 20 mai 2014 (en

particulier Nykaumlnen c Finlande no 1182811 sect 48 et Glantz c Finlande

no 3739411 sect 57) dans lesquels le paragraphe 83 de lrsquoarrecirct Sergueiuml

Zolotoukhine nrsquoaurait servi que de point de deacutepart et qui auraient dit que

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 laquo interdisait clairement les proceacutedures

conseacutecutives si la premiegravere avait deacutejagrave deacuteboucheacute sur une deacutecision deacutefinitive agrave

la date de lrsquoouverture de la seconde (voir par exemple Sergueiuml

Zolotoukhine preacuteciteacute) raquo

76 Pour le Gouvernement cette interpreacutetation extensive de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 livreacutee notamment dans lrsquoarrecirct Nykaumlnen et qui semble

incompatible avec lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine apparaicirct preacutesupposer que

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 impose lrsquoextinction de toute proceacutedure peacutenale si

26 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

une autre proceacutedure de nature administrative et conduite en parallegravele srsquoest

soldeacutee par une deacutecision deacutefinitive ou vice versa Elle reposerait sur une

deacutecision sur la recevabiliteacute (Zigarella c Italie (deacutec) no 4815499

CEDH 2002-IX (extraits)) et sur deux arrecircts de chambre (Tomasović

c Croatie no 5378509 18 octobre 2011 et Muslija c Bosnie-Herzeacutegovine

no 3204211 14 janvier 2014) Or aucune de ces affaires ne permettrait de

fonder solidement un tel revirement

La premiegravere affaire Zigarella aurait concerneacute des proceacutedures non pas

parallegraveles mais conseacutecutives contrairement agrave ce qursquoaurait supposeacute la

chambre La clocircture de la proceacutedure peacutenale ulteacuterieure ouverte alors que les

autoriteacutes ignoraient lrsquoexistence drsquoune proceacutedure (peacutenale elle aussi) objet

drsquoune deacutecision deacutefinitive aurait eacuteteacute prononceacutee une fois le juge aviseacute de

lrsquoacquittement deacutefinitif dans le premier procegraves La Cour nrsquoaurait alors fait

qursquoappliquer le volet mateacuteriel neacutegatif du principe non bis in idem qui relegraveve

de la regravegle de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee puisqursquoil srsquoagissait de deux

proceacutedures peacutenales ordinaires conseacutecutives concernant la mecircme infraction

Les deux autres affaires Tomasović et Muslija auraient eu pour objet des

proceacutedures se rapportant agrave des infractions relevant du laquo noyau dur raquo du droit

peacutenal agrave savoir respectivement possession de drogues dures et violences

domestiques (le Gouvernement invoque lrsquoarrecirct Jussila preacuteciteacute sect 43) Il y

aurait clairement eu dans ces affaires deux proceacutedures peacutenales visant un

mecircme acte Chacune des deux proceacutedures aurait eacuteteacute ouverte sur la base du

mecircme rapport de police De telles situations ne se produiraient a priori pas

en droit peacutenal norveacutegien et elles seraient en tout eacutetat de cause bien eacuteloigneacutees

du systegraveme traditionnel bien ancreacute dans ce pays de mixiteacute des poursuites

administratives et peacutenales pour les majorations drsquoimpocirct et fraudes fiscales

du type ici en cause

77 Exiger la clocircture de toute proceacutedure parallegravele en cours agrave la date ougrave

lrsquoautre proceacutedure relative aux mecircmes faits a donneacute lieu agrave une deacutecision

deacutefinitive srsquoanalyserait en une exception proceacutedurale de litispendance de

facto Il nrsquoaurait en effet guegravere de sens drsquoouvrir une proceacutedure parallegravele srsquoil

faut clore lrsquoune au seul motif que lrsquoautre a fait lrsquoobjet drsquoune deacutecision

deacutefinitive avant la premiegravere

78 Dans ce contexte drsquoincoheacuterences reacutepeacuteteacutees de la jurisprudence

relative agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 le Gouvernement estime qursquoil est

particuliegraverement important que la Grande Chambre reacuteaffirme lrsquoapproche

suivie par elle dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine qui considegravere cette

disposition comme un aspect du principe de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee et

rejette lrsquoapproche divergente retenue dans lrsquoarrecirct Nykaumlnen

79 Le Gouvernement ne voit pas quelles consideacuterations drsquoopportuniteacute

sous-tendent lrsquoarrecirct Nykaumlnen Le principe non bis in idem repose sur lrsquoideacutee

drsquooffrir une protection contre le risque drsquoecirctre exposeacute agrave des poursuites

reacutepeacutetitives (il mentionne lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sect 107) Le

justiciable devrait avoir la certitude que une fois son acquittement ou sa

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 27

condamnation passeacutes en force de chose jugeacutee il sera proteacutegeacute contre

lrsquoouverture de toute nouvelle proceacutedure fondeacutee sur les mecircmes faits Cela ne

vaudrait pas si la personne est passible de proceacutedures peacutenales et

administratives preacutevisibles conduites parallegravelement comme preacutevu par la loi

et encore moins si la premiegravere sanction (la majoration drsquoimpocirct) a eacuteteacute prise

en compte de maniegravere preacutevisible dans la deacutecision imposant la seconde

sanction (lrsquoemprisonnement)

80 Par ailleurs le Gouvernement nrsquoestime guegravere conciliables lrsquoideacutee que

des proceacutedures parallegraveles ne posent pas le moindre problegraveme sous lrsquoangle du

Protocole no 7 quand elles sont en cours et lrsquoideacutee que degraves que lrsquoune a

atteint sa conclusion deacutefinitive lrsquoexistence de lrsquoautre emporte violation et

ce que ce soit la proceacutedure administrative passible de sanctions plus

douces ou la proceacutedure peacutenale passible de sanctions plus seacutevegraveres qui ait

pris fin la premiegravere et quelle que soit celle entameacutee en premier

81 Le Gouvernement ajoute que lrsquoarrecirct Nykaumlnen meacuteconnaicirct eacutegalement

les principes fondamentaux de la preacutevisibiliteacute et de lrsquoeacutegaliteacute de traitement Il

expose que si crsquoest la proceacutedure peacutenale qui fait lrsquoobjet drsquoune deacutecision

passeacutee en force de chose jugeacutee avant la fin de la proceacutedure administrative

une personne peut se retrouver incarceacutereacutee tandis que dans lrsquohypothegravese

inverse un individu ayant commis la mecircme infraction aurait simplement agrave

payer une amende administrative modeacutereacutee Le point de savoir quelle

proceacutedure prend fin la premiegravere deacutependrait de la maniegravere dont le fisc la

police le parquet ou les tribunaux progressent et de lrsquoouverture ou non par

le contribuable drsquoun recours administratif etou drsquoun recours judiciaire

Lrsquoarrecirct Nykaumlnen commanderait donc agrave lrsquoEacutetat de traiter ineacutegalement des

personnes dans la mecircme situation en fonction de simples coiumlncidences

Comme cet arrecirct le reconnaicirctrait laquo savoir laquelle des proceacutedures parallegraveles

se clocirct la premiegravere par une deacutecision deacutefinitive relegraveve parfois de la

coiumlncidence ce qui pourrait poser problegraveme au regard de lrsquoeacutegaliteacute de

traitement raquo

82 Le Gouvernement dit que lrsquoimpeacuteratif drsquoefficaciteacute dans le traitement

des affaires milite souvent en faveur de la conduite de proceacutedures parallegraveles

Drsquoune part gracircce agrave leurs connaissances speacutecialiseacutees et agrave leurs moyens les

autoriteacutes administratives seraient souvent agrave mecircme drsquoimposer des sanctions

plus rapidement que le parquet et les tribunaux dans le cadre drsquoune

proceacutedure peacutenale Vu que leur action englobe lrsquoensemble des administreacutes

elles seraient en outre mieux placeacutees pour veiller agrave lrsquoeacutegaliteacute dans la sanction

des infractions La preacutevention des infractions graves en revanche

imposerait de ne pas interdire agrave lrsquoEacutetat drsquoen poursuivre et punir les auteurs

dans le cadre traditionnel et formel drsquoun procegraves peacutenal degraves lors que les

proceacutedures administratives et peacutenales mettent au jour des infractions plus

graves et plus complexes que celles qui ont motiveacute agrave lrsquoorigine la proceacutedure

et la sanction administratives Les cas des requeacuterants en seraient

drsquoexcellents exemples

28 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

83 Le Gouvernement constate que plusieurs Eacutetats europeacuteens sont doteacutes

drsquoun systegraveme mixte de sanctions dans des domaines tels que le droit fiscal et

la sucircreteacute publique Sur ce point il se reacutefegravere aux conclusions du 12 juin 2012

produites par lrsquoavocat geacuteneacuteral pregraves la CJUE dans lrsquoaffaire preacuteciteacutee Fransson

(paragraphe 51 ci-dessus)

84 Le Gouvernement dit que en Norvegravege la question de la poursuite de

proceacutedures parallegraveles ne se limite pas agrave la fiscaliteacute Il soutient qursquoune

interpreacutetation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 qui interdirait agrave une proceacutedure

parallegravele en cours drsquoaller jusqursquoagrave son terme degraves lors que lrsquoautre proceacutedure

administrative ou peacutenale a eacuteteacute clocirctureacutee par une deacutecision deacutefinitive aurait

des conseacutequences lourdes neacutegatives et impreacutevisibles dans un certain

nombre de domaines relevant du droit administratif La prudence serait donc

de mise Des questions similaires se poseraient au sein de certains Eacutetats

europeacuteens connaissant depuis longtemps des systegravemes de proceacutedures

administratives et peacutenales parallegraveles dans des domaines essentiels du droit

dont celui de la fiscaliteacute

85 Le Gouvernement estime que les consideacuterations qui sont agrave lrsquoorigine

de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 sont moins pertinentes lorsque les

proceacutedures en cause sont parallegraveles et simultaneacutees Un accuseacute sachant

pertinemment que des autoriteacutes diffeacuterentes ont ouvert contre lui deux

proceacutedures diffeacuterentes eacutetroitement lieacutees sur les plans mateacuteriel et temporel

risquerait moins de srsquoattendre agrave ce que la premiegravere sanction imposeacutee soit

deacutefinitive et exclue toute autre sanction Enfin la logique du principe non

bis in idem srsquoappliquerait dans une moindre mesure aux sanctions ne

relevant pas du laquo noyau dur raquo du droit peacutenal comme les majorations

drsquoimpocirct (voir le raisonnement exposeacute dans lrsquoarrecirct preacuteciteacute Jussila sect 43

relatif agrave lrsquoarticle 6 et transposable agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7)

86 Pour ce qui est des circonstances propres au cas drsquoespegravece le

Gouvernement fait sien sur tous les points le raisonnement exposeacute par la

Cour suprecircme dans lrsquoarrecirct concernant le premier requeacuterant (paragraphe 29

ci-dessus) et celui suivi par la cour drsquoappel dans lrsquoarrecirct concernant le second

requeacuterant (paragraphe 39 ci-dessus) agrave savoir qursquoil existait un lien temporel

et mateacuteriel suffisamment eacutetroit entre les proceacutedures Il dit que ni lrsquoun ni

lrsquoautre des requeacuterants ne pouvaient leacutegitimement srsquoattendre agrave ne faire lrsquoobjet

que drsquoune proceacutedure et drsquoune sanction administratives Il explique que de

maniegravere agrave ne pas aboutir agrave un reacutesultat qui aurait heurteacute le principe

fondamental de lrsquoeacutegaliteacute de traitement les requeacuterants laquo sur un pied

drsquoeacutegaliteacute avec raquo EK et BL coaccuseacutes dans le mecircme groupe drsquoaffaires

(paragraphes 12 et 13 ci-dessus) ont chacun eacuteteacute condamneacutes agrave des peines

drsquoemprisonnement agrave lrsquoissue de procegraves peacutenaux apregraves srsquoecirctre vu appliquer des

majorations drsquoimpocirct administratives de 30

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 29

3 Les tiers intervenants

87 Les tierces interventions sont principalement axeacutees sur deux points

premiegraverement lrsquointerpreacutetation du mot laquo peacutenalement raquo employeacute agrave lrsquoarticle 4

du Protocole no 7 et lrsquoarticulation entre cette disposition et les articles 6

(volet peacutenal) et 7 de la Convention et deuxiegravemement la mesure dans

laquelle le Protocole no 7 permet les proceacutedures parallegraveles (ces deux points

sont examineacutes respectivement dans les parties a) et b) ci-dessous)

a) Les premiegraveres proceacutedures revecirctaient-elles un caractegravere laquo peacutenal raquo

88 Les gouvernements tchegraveque et franccedilais pensent comme le

gouvernement deacutefendeur que lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine nrsquoa pas

explicitement rejeteacute lrsquoideacutee de recourir agrave un groupe plus large de critegraveres pour

deacuteterminer la nature de la proceacutedure agrave examiner sur le terrain de lrsquoarticle 4

du Protocole no 7 et que la Cour a elle-mecircme jugeacute notamment que les

proceacutedures de majoration drsquoimpocirct ne relevaient pas du noyau dur du droit

peacutenal et nrsquoa donc pas appliqueacute dans toute leur rigueur les garanties de

lrsquoarticle 6 (Jussila preacuteciteacute sect 43 in fine) Le gouvernement tchegraveque invite la

Cour agrave preacuteciser principalement si et dans lrsquoaffirmative sous quelles

conditions crsquoest-agrave-dire dans quel type drsquoaffaires il convient drsquoappliquer un

plus grand eacuteventail de critegraveres

89 Srsquoappuyant sur le libelleacute et le but de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 le

gouvernement bulgare soutient que seules les infractions peacutenales classiques

relegravevent du champ drsquoapplication de cette disposition Il estime que si

eacutetendre la porteacutee de lrsquoarticle 6 est essentiel agrave la protection du droit agrave un

procegraves eacutequitable lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 a une autre finaliteacute Se reacutefeacuterant

agrave lrsquoarrecirct rendu par la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis drsquoAmeacuterique dans

lrsquoaffaire Green v United States (355 US 194 (1957)) il souligne que

lrsquointerdiction de la double incrimination protegravege le justiciable du risque de

faire lrsquoobjet drsquoune multipliciteacute de procegraves et de condamnations eacuteventuelles

pour une mecircme infraction La logique de cette interdiction est selon lui qursquoil

ne faut pas que lrsquoEacutetat avec toutes ses ressources et tout son pouvoir puisse

se livrer agrave des tentatives reacutepeacuteteacutees tendant agrave faire condamner un individu

pour la mecircme infraction ce qui pour ce dernier serait source drsquoembarras de

frais et drsquoeacutepreuves et le forcerait agrave vivre dans un eacutetat permanent drsquoanxieacuteteacute et

drsquoinseacutecuriteacute tout en aggravant le risque que mecircme innocent il soit reconnu

coupable Un second impeacuteratif vital serait de preacuteserver le caractegravere deacutefinitif

des deacutecisions de justice

90 Le gouvernement franccedilais consacre drsquoamples deacuteveloppements

(paragraphes 10 agrave 26 de ses observations) agrave lrsquointerpreacutetation des articles 6 et

7 de la Convention et de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Srsquoappuyant sur lrsquoarrecirct

Perinccedilek c Suisse ([GC] no 2751008 sect 146 CEDH 2015 (extraits)) il

soutient que les termes employeacutes agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 diffeacuterents

de ceux figurant agrave lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention doivent conduire agrave

30 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

retenir des critegraveres plus eacutetroits reacutepondant aux objectifs du principe non bis in

idem garanti par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Lrsquoarticle 7 de la Convention

utiliserait les termes de condamnation (laquo condamneacute raquo en franccedilais et laquo held

guilty raquo en anglais) drsquoinfraction (laquo criminal offence raquo en anglais) et de peine

(laquo penalty raquo en anglais) qui seraient preacutesents aussi dans lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 De plus les garanties offertes par lrsquoarticle 7 de la

Convention comme celles de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 seraient des

eacuteleacutements essentiels de la proceacutedure peacutenale entendue strictement comme

lrsquoattesterait le fait que lrsquoarticle 15 de la Convention nrsquoy autorise aucune

deacuterogation alors qursquoil autoriserait une deacuterogation agrave lrsquoarticle 6 de la

Convention

91 Aussi et dans un souci de coheacuterence la Cour pour lrsquoapplication de

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 devrait-elle se reacutefeacuterer aux seuls critegraveres qursquoelle

a pu deacutevelopper dans le cadre de lrsquoarticle 7 de la Convention tout en les

preacutecisant afin de donner au terme laquo peacutenalement raquo aux fins de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 le sens strict qui devrait ecirctre le sien Pour deacuteterminer si une

mesure relegraveve du champ de cette disposition elle devrait se reacutefeacuterer agrave la

qualification juridique de lrsquoinfraction litigieuse en droit interne agrave la nature

et au but de la mesure en cause agrave la question de savoir si la mesure a eacuteteacute

imposeacutee agrave la suite drsquoune condamnation pour une infraction peacutenale agrave la

graviteacute de la sanction ndash cet eacuteleacutement nrsquoeacutetant pas deacuteterminant ndash et aux

proceacutedures associeacutees agrave lrsquoadoption de celle-ci et plus preacuteciseacutement agrave la

question de savoir si la mesure a eacuteteacute adopteacutee par un organe que lrsquoon peut

qualifier de juridiction et qui srsquoest prononceacute sur les eacuteleacutements drsquoune

infraction regardeacutee comme peacutenale au sens de lrsquoarticle 6 de la Convention

Le dernier de ces critegraveres revecirctirait une importance preacutepondeacuterante au regard

des termes mecircmes de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 et de lrsquoobjectif poursuivi

par cette disposition

92 Le gouvernement franccedilais conclut que au regard de ces critegraveres des

peacutenaliteacutes fiscales qui ne seraient pas qualifieacutees de peacutenales en droit interne

qui auraient une nature administrative et viseraient seulement agrave sanctionner

le non-respect par le contribuable de ses obligations fiscales qui ne seraient

pas imposeacutees agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale et qui ne seraient pas

prononceacutees par un organe juridictionnel ne pourraient ecirctre regardeacutees

comme relevant du champ de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

93 Le gouvernement suisse soutient que la seule exception admise ndash le

paragraphe 2 de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 ndash est la reacuteouverture du procegraves

laquo conformeacutement agrave la loi et agrave la proceacutedure peacutenale de lrsquoEacutetat concerneacute raquo Il

relegraveve que au moment de lrsquoadoption du Protocole en 1984 drsquoautres

exceptions telles qursquoadmises par la suite par la jurisprudence pertinente

nrsquoeacutetaient pas preacutevues ndash et nrsquoavaient pas besoin de lrsquoecirctre vu la conception

intrinsegravequement peacutenale de la garantie Le concept eacutetroit qui serait agrave lrsquoorigine

de la garantie trouverait une confirmation solide au paragraphe 3 de lrsquoarticle

4 du Protocole no 7 qui exclurait toute deacuterogation au titre de lrsquoarticle 15 de

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 31

la Convention agrave la protection offerte au paragraphe 1 Ainsi la garantie non

bis in idem serait mise sur un pied drsquoeacutegaliteacute avec le droit agrave la vie (article 2

article 3 du Protocole no 6 et article 2 du Protocole no 13) lrsquointerdiction de

la torture (article 3) lrsquointerdiction de lrsquoesclavage (article 4) et le principe

laquo pas de peine sans loi raquo (article 7) Ces eacuteleacutements militeraient en faveur

drsquoune interpreacutetation restrictive de la garantie Une telle approche

srsquoimposerait drsquoautant plus si la Grande Chambre devait maintenir la pratique

selon laquelle toute laquo accusation en matiegravere peacutenale raquo au sens autonome de

lrsquoarticle 6 sect 1 est susceptible de faire eacutegalement entrer en jeu lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 (paragraphe 100 ci-dessous)

b) Y a-t-il eu reacutepeacutetition des poursuites (bis)

94 Le gouvernement bulgare ne voit aucune raison de srsquoeacutecarter de

lrsquoapproche suivie dans les deacutecisions RT c Suisse et Nilsson c Suegravede

(preacuteciteacutees) dans le contexte des infractions routiegraveres et dans drsquoimportants

domaines se rattachant au fonctionnement de lrsquoEacutetat tels que la fiscaliteacute Une

proceacutedure fiscale aboutissant agrave lrsquoapplication drsquoune majoration drsquoimpocirct et

une proceacutedure peacutenale portant sur une fraude fiscale conduites

parallegravelement seraient eacutetroitement lieacutees sur les plans mateacuteriel et temporel

De plus la Cour reconnaicirctrait que les Eacutetats contractants jouissent drsquoune

marge drsquoappreacuteciation eacutetendue dans lrsquoeacutelaboration et la mise en œuvre de

leurs politiques en matiegravere fiscale et elle respecterait les choix du leacutegislateur

dans ces domaines sauf srsquoils se reacutevegravelent manifestement deacutepourvus de base

raisonnable Un systegraveme qui permettrait la conduite de proceacutedures parallegraveles

en matiegravere fiscale semblerait relever de la marge drsquoappreacuteciation de lrsquoEacutetat et

nrsquoapparaicirctrait pas contraire en soi agrave lrsquoun quelconque des principes eacutenonceacutes

dans la Convention y compris la garantie contre les doubles incriminations

95 Le gouvernement tchegraveque avance quatre arguments en faveur du

maintien de systegravemes mixtes de sanctions 1) chaque type de sanction

poursuit des buts diffeacuterents 2) alors que la proceacutedure peacutenale stricto sensu

doit respecter des garanties rigoureuses en matiegravere drsquoeacutequiteacute du procegraves dont

lrsquoapplication est souvent synonyme de lenteurs les sanctions

administratives doivent reacutepondre agrave des exigences de ceacuteleacuteriteacute et permettre

drsquoassurer lrsquoefficaciteacute et la peacuterenniteacute du systegraveme fiscal et du budget de

lrsquoEacutetat 3) la stricte application du principe non bis in idem agrave des proceacutedures

fiscales et peacutenales meneacutees en parallegravele pourrait faire eacutechouer la lutte contre

la criminaliteacute organiseacutee agrave grande eacutechelle si la premiegravere deacutecision en geacuteneacuteral

administrative devait empecirccher la tenue drsquoune enquecircte peacutenale de nature agrave

conduire agrave la deacutecouverte de reacuteseaux de fraude organiseacutee de blanchiment

drsquoargent et de deacutetournement de fonds ainsi que drsquoautres infractions graves

4) lrsquoordre dans lequel les autoriteacutes statuent dans tel ou tel cas Enfin il

signale qursquoil y a des cas ougrave plusieurs proceacutedures administratives sont

conduites en mecircme temps

32 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

96 Le gouvernement franccedilais estime que le raisonnement adopteacute dans

les deacutecisions R T c Suisse et Nilsson c Suegravede (preacuteciteacutees) peut ecirctre

transposeacute en matiegravere fiscale au regard des objectifs poursuivis par les Eacutetats

en ce domaine objectifs qui drsquoapregraves lui diffegraverent selon qursquoil srsquoagit de

poursuites peacutenales ou de lrsquoapplication de peacutenaliteacutes fiscales (i)) et degraves lors

qursquoil existe un lien suffisant entre les proceacutedures fiscale et peacutenale (ii))

i) Les poursuites peacutenales pour fraude fiscale devraient constituer une

reacuteponse adapteacutee et homogegravene agrave des comportements reacutepreacutehensibles Elles

auraient comme objectif principal de sanctionner les comportements les plus

graves Dans sa deacutecision Rosenquist c Suegravede (deacutec) no 6061900

14 septembre 2004 la Cour aurait releveacute que lrsquoobjectif poursuivi par

lrsquoinfraction criminelle de fraude fiscale eacutetait diffeacuterent de celui de

lrsquoimposition drsquoune peacutenaliteacute fiscale qui elle aurait pour but de renforcer les

fondations du systegraveme fiscal national

Les poursuites pour fraude fiscale auraient eacutegalement une finaliteacute

drsquoexemplariteacute en particulier lorsque de nouvelles typologies de fraudes sont

mises au jour afin de dissuader les fraudeurs potentiels drsquoy recourir Ne

plus poursuivre peacutenalement les fraudes les plus graves degraves lors qursquoune

peacutenaliteacute fiscale a eacuteteacute appliqueacutee priverait lrsquoEacutetat de lrsquoexemplariteacute et de la

publiciteacute rechercheacutees agrave travers les condamnations peacutenales prononceacutees dans

les plus grandes affaires de fraude fiscale

Dans lrsquohypothegravese ougrave une proceacutedure judiciaire drsquoenquecircte en matiegravere

fiscale preacuteceacutederait le controcircle fiscal meneacute par lrsquoadministration fiscale

lrsquoobligation drsquoabandonner la seconde proceacutedure degraves lors que la premiegravere est

devenue deacutefinitive conduirait le contribuable agrave laisser la proceacutedure peacutenale se

terminer rapidement en ne la contestant pas afin que cette derniegravere

srsquoachegraveve avant la proceacutedure fiscale et ainsi agrave eacutechapper aux sanctions

administratives geacuteneacuteralement beaucoup plus significatives en termes

peacutecuniaires

Dans une telle hypothegravese le contribuable mis en cause serait en position

drsquoarbitrer en faveur de la proceacutedure qui lui serait la plus favorable ce qui

porterait indeacuteniablement atteinte au caractegravere dissuasif de lrsquoaction meneacutee

par lrsquoEacutetat pour reacuteprimer les actes les plus reacutepreacutehensibles dans ce domaine Il

serait ainsi paradoxal que les contribuables ayant commis les fraudes les

plus graves et poursuivis peacutenalement pour cela soient sanctionneacutes moins

seacutevegraverement

En conclusion selon le gouvernement franccedilais la compleacutementariteacute entre

les proceacutedures peacutenales et les proceacutedures fiscales est essentielle pour la

reacutepression des fraudes les plus graves et il serait artificiel de consideacuterer

qursquoen raison de lrsquointervention de deux proceacutedures et de deux autoriteacutes ces

sanctions ne forment pas un tout coheacuterent destineacute agrave reacutepondre agrave ce type

drsquoinfraction En effet ces proceacutedures seraient eacutetroitement lieacutees et devraient

degraves lors pouvoir ecirctre cumuleacutees

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 33

ii) Dans les arrecircts rendus contre la Finlande le 20 mai 2014 le critegravere

principal retenu par la Cour pour ne pas accepter la reacutepeacutetition des

proceacutedures aurait eacuteteacute lrsquoindeacutependance totale des proceacutedures fiscale et peacutenale

lrsquoune par rapport agrave lrsquoautre Or ces deux types de proceacutedures devraient ecirctre

regardeacutes comme ayant un lien mateacuteriel et temporel degraves lors qursquoil existe un

eacutechange drsquoinformations entre les deux autoriteacutes et que les proceacutedures sont

conduites simultaneacutement Les eacuteleacutements factuels devraient deacutemontrer une

compleacutementariteacute entre ces proceacutedures

Agrave titre drsquoillustration le gouvernement franccedilais analyse de faccedilon deacutetailleacutee

comment dans le systegraveme national les proceacutedures peacutenale et fiscale sont

imbriqueacutees se chevauchent en droit et en pratique et sont conduites

simultaneacutement Le principe de proportionnaliteacute impliquerait que le montant

global des sanctions eacuteventuellement prononceacutees ne deacutepasse pas le montant

le plus eacuteleveacute encouru au titre de lrsquoune ou lrsquoautre des sanctions

Pour deacuteterminer si les proceacutedures peacutenales et fiscales peuvent passer pour

suffisamment lieacutees dans le temps seules devraient ecirctre consideacutereacutees les

phases de controcircle par lrsquoadministration fiscale et drsquoenquecircte judiciaire Ces

deux phases devraient ecirctre meneacutees simultaneacutement ou dans un deacutelai tregraves

rapprocheacute En revanche il nrsquoapparaicirctrait pas pertinent pour appreacutecier si le

lien temporel entre les proceacutedures est suffisamment eacutetroit de prendre en

compte la dureacutee de la proceacutedure judiciaire devant les tribunaux appeleacutes agrave

statuer sur lrsquoaction peacutenale et sur le bien-fondeacute des peacutenaliteacutes fiscales En

effet la dureacutee de reacuteponse des diffeacuterentes juridictions deacutependrait drsquoeacuteleacutements

exteacuterieurs et parfois propres au contribuable Ainsi ce dernier pourrait

choisir de ralentir deacutelibeacutereacutement la dureacutee de la proceacutedure devant lrsquoune des

juridictions par la multiplication de demandes ou la production drsquoeacutecritures

nombreuses qui devraient ecirctre soumises au contradictoire ou encore par

lrsquoexercice de recours

LrsquoEacutetat devrait disposer drsquoune marge drsquoappreacuteciation pour deacutefinir les

sanctions approprieacutees agrave certains comportements qui peuvent causer des

preacutejudices distincts Ainsi il devrait pouvoir faire face agrave une telle situation

tout en apportant une reacuteponse unique en confiant agrave plusieurs autoriteacutes ndash

judiciaires et administratives ndash le soin drsquoapporter une reacuteponse adapteacutee

97 Le gouvernement grec soutient que lrsquoexistence de proceacutedures

seacutepareacutees et conseacutecutives au cours desquelles des mesures drsquoordre peacutenal

identiques ou non sont imposeacutees agrave un requeacuterant est lrsquoeacuteleacutement deacuteterminant et

crucial pour qursquoil y ait laquo reacutepeacutetition raquo (laquo bis raquo) Pour lui le principe non bis

in idem nrsquoest pas meacuteconnu si diverses mesures drsquoordre laquo peacutenal raquo mecircme

distinctes les unes des autres venaient agrave ecirctre imposeacutees par diffeacuterentes

juridictions peacutenales et administratives degraves lors que les sanctions sont toutes

consideacutereacutees dans leur globaliteacute pour fixer le quantum de la peine (RT

c Suisse deacutecision preacuteciteacutee)

98 Cependant le gouvernement grec signale lrsquoarrecirct Kapetanios et

autres c Gregravece (nos 345312 4294112 et 902813 sect 72 30 avril 2015)

34 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

dans lequel la Cour a jugeacute que la regravegle non bis in idem ne serait pas

enfreinte en principe si les deux sanctions agrave savoir une privation de liberteacute

et une condamnation peacutecuniaire eacutetaient imposeacutees dans le cadre drsquoune seule

et mecircme proceacutedure judiciaire Selon lui nonobstant cet exemple il est

eacutevident que la Cour attache une grande importance agrave ce que lrsquoimposition de

sanctions peacutenales et administratives ait eacuteteacute lrsquoobjet drsquoun examen judiciaire

global

99 Le gouvernement grec ne se dissocie pas pour autant de lrsquoavis de la

Cour suprecircme norveacutegienne qui a dit en lrsquoespegravece que lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 permettait au moins dans une certaine mesure la conduite de

proceacutedures parallegraveles Crsquoest ce que confirmerait sans ambiguiumlteacute lrsquoarrecirct rendu

par la CJUE dans lrsquoaffaire Fransson (paragraphe 34 de cet arrecirct reproduit

au paragraphe 52 ci-dessus)

La CJUE aurait preacuteciseacute que crsquoest agrave la juridiction de renvoi qursquoil

appartient drsquoappreacutecier agrave la lumiegravere des critegraveres eacutenonceacutes srsquoil y a lieu de

proceacuteder agrave un examen du cumul de sanctions fiscales et peacutenales preacutevu par la

leacutegislation nationale par rapport aux standards nationaux crsquoest-agrave-dire ceux

applicables aux violations du droit national de nature et drsquoimportance

similaires degraves lors que le choix des sanctions relegraveve de la marge

drsquoappreacuteciation de lrsquoEacutetat membre elle aurait ainsi estimeacute que crsquoeacutetait au juge

national de dire si le cumul des sanctions eacutetait contraire agrave ces standards

pourvu que les sanctions restantes fussent effectives proportionneacutees et

dissuasives (paragraphe 37 de cet arrecirct reproduit au paragraphe 52

ci-dessus)

Le gouvernement grec juge pertinent en lrsquoespegravece cet arrecirct de la CJUE

Plus preacuteciseacutement on pourrait deacuteduire mutatis mutandis de lrsquointerpreacutetation

qui y est livreacutee que le juge national avait conclu agrave bon droit en vertu de sa

marge drsquoappreacuteciation comme constateacute par la CJUE que le cumul des

sanctions en cause imposeacutees agrave lrsquoissue de proceacutedures dites laquo parallegraveles raquo

dans le cadre drsquoune collaboration eacutetroite entre deux autoriteacutes distinctes

nrsquoavait pas enfreint les standards nationaux alors mecircme qursquoil avait estimeacute

pour lrsquoessentiel que les sanctions fiscales eacutetaient laquo de nature peacutenale raquo Au vu

des arguments exposeacutes au paragraphe 97 ci-dessus on pourrait

raisonnablement conclure que des proceacutedures parallegraveles qui conduiraient agrave

lrsquoimposition de sanctions diffeacuterentes par des autoriteacutes diffeacuterentes nettement

distinctes en droit ne seraient pas interdites par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

degraves lors que ces proceacutedures satisferaient au critegravere du lien temporel et

mateacuteriel eacutetroit Ce critegravere permettrait de reacutepondre agrave la question

fondamentale de lrsquoexistence ou non drsquoune reacutepeacutetition

100 Srsquoappuyant sur le paragraphe 83 de lrsquoarrecirct preacuteciteacute Sergueiuml

Zolotoukhine le gouvernement suisse soutient que la garantie eacutenonceacutee agrave

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 entre en jeu agrave lrsquoouverture de nouvelles

poursuites lorsque la deacutecision anteacuterieure drsquoacquittement ou de

condamnation est deacutejagrave passeacutee en force de chose jugeacutee Le fait qursquoune

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 35

proceacutedure peacutenale nrsquoeacutetait pas encore acheveacutee agrave lrsquoouverture drsquoune proceacutedure

administrative ne serait donc en soi pas probleacutematique agrave lrsquoeacutegard du

principe non bis in idem (il mentionne mutatis mutandis Kapetanios et

autres preacuteciteacute sect 72) Par conseacutequent des proceacutedures parallegraveles seraient

admissibles au titre de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 La preacutesente affaire

donnerait agrave la Grande Chambre lrsquooccasion de confirmer cette jurisprudence

La justification drsquoun systegraveme mixte reacutesiderait principalement dans le fait

que le droit administratif et le droit peacutenal sont de nature diffeacuterente et visent

des buts distincts fonction preacuteventive et eacuteducative pour le premier et

fonction reacutepressive pour le second

Le gouvernement suisse estime que si agrave la lumiegravere des critegraveres Engel la

notion drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo a eacuteteacute eacutelargie au-delagrave des

cateacutegories traditionnelles du droit peacutenal (malum in se) agrave drsquoautres domaines

(malum quia prohibitum) les accusations en matiegravere peacutenale nrsquoont pas toutes

le mecircme poids Srsquoagissant par exemple des majorations drsquoimpocirct ndash qui ne

feraient pas partie du noyau dur du droit peacutenal ndash les garanties offertes par le

volet peacutenal de lrsquoarticle 6 ne devraient pas neacutecessairement srsquoappliquer dans

toute leur rigueur (il mentionne lrsquoarrecirct Jussila preacuteciteacute sect 43) Il ne faudrait

pas lrsquooublier lorsqursquoil srsquoagit de deacuteterminer le champ drsquoapplication de

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

La preacutevisibiliteacute du cumul de sanctions administratives et de sanctions

peacutenales constituerait un autre facteur agrave prendre en compte dans

lrsquoappreacuteciation du systegraveme mixte en cause (il eacutevoque lrsquoarrecirct Maszni

c Roumanie no 5989200 sect 68 21 septembre 2006)

Selon le gouvernement suisse la jurisprudence Sergueiuml Zolotoukhine ne

doit pas ecirctre interpreacuteteacutee ou deacuteveloppeacutee de maniegravere agrave couvrir lrsquoensemble des

systegravemes preacutevoyant de sanctionner par les voies administrative et peacutenale les

infractions peacutenales indeacutependamment du fait que des autoriteacutes distinctes

disposant de compeacutetences distinctes et poursuivant des buts distincts

rendent des deacutecisions sur le mecircme ensemble de faits Cette conclusion

srsquoimposerait en tout cas dans les affaires preacutesentant un lien mateacuteriel et

temporel suffisamment eacutetroit entre les proceacutedures peacutenale et administrative

tel que requis par la Cour (il srsquoappuie sur les affaires suivantes ougrave la Cour a

conclu que cette condition avait eacuteteacute satisfaite Boman c Finlande

no 4160411 sect 41 17 feacutevrier 2015 avec une reacutefeacuterence aux deacutecisions

preacuteciteacutees RT c Suisse et Nilsson c Suegravede et agrave lrsquoarrecirct preacuteciteacute Maszni) Le

gouvernement suisse invite la Grande Chambre agrave saisir lrsquooccasion de la

preacutesente affaire pour confirmer cette approche qui nrsquoest pas selon lui

proscrite en elle-mecircme en lrsquoeacutetat de la jurisprudence

4 Appreacuteciation de la Cour

101 La Cour passera tout drsquoabord en revue sa jurisprudence pertinente

pour lrsquointerpreacutetation et lrsquoapplication du principe non bis in idem eacutenonceacute agrave

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 (parties a) agrave c) ci-dessous) Elle srsquoattachera agrave en

36 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

tirer les conclusions et critegraveres utiles et agrave apporter les eacuteclaircissements

neacutecessaires agrave lrsquoanalyse de la preacutesente affaire (partie d) ci-dessous) Enfin

elle appliquera ce principe dans lrsquointerpreacutetation qursquoelle aura deacutegageacutee aux

faits deacutenonceacutes par les requeacuterants (partie e) ci-dessous)

a) Questions geacuteneacuterales drsquointerpreacutetation

102 La Cour constate que dans les observations des parties et des tiers

intervenants il nrsquoy a guegravere de deacutesaccord quant agrave la principale contribution

qursquoapporte lrsquoarrecirct de Grande Chambre Sergueiuml Zolotoukhine agrave savoir la

clarification des critegraveres agrave lrsquoaune desquels il faut eacutevaluer si lrsquoinfraction pour

laquelle un requeacuterant a eacuteteacute jugeacute ou puni au cours de la seconde proceacutedure

eacutetait la mecircme (idem) que celle pour laquelle une deacutecision avait eacuteteacute rendue au

cours de la premiegravere proceacutedure (voir les paragraphes 70 agrave 84 de cet arrecirct) Il

nrsquoy a pas non plus de deacutesaccord majeur quant aux critegraveres permettant de

deacuteterminer quand une deacutecision laquo deacutefinitive raquo a eacuteteacute rendue qui sont eacutenonceacutes

dans cet arrecirct

103 En revanche les avis divergent quant agrave la meacutethode agrave employer afin

de deacuteterminer si la proceacutedure se rapportant agrave lrsquoapplication de majorations

drsquoimpocirct eacutetait laquo peacutenale raquo aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 sachant que

cette question est susceptible drsquoavoir une incidence sur lrsquoapplicabiliteacute de

lrsquointerdiction poseacutee par cette disposition de la double incrimination

104 En outre il y a des divergences drsquoapproche (notamment entre

drsquoune part les requeacuterants et drsquoautre part le gouvernement deacutefendeur et les

gouvernements intervenants) sur la question de la reacutepeacutetition des poursuites

en particulier sur la mesure dans laquelle les proceacutedures parallegraveles ou mixtes

sont permises au titre de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

b) Critegraveres pertinents pour deacuteterminer si la premiegravere proceacutedure est

laquo peacutenale raquo divergences drsquoapproche dans la jurisprudence

105 Dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine (preacuteciteacute) la Cour a appliqueacute afin

de deacuteterminer si les proceacutedures en question pouvaient ecirctre regardeacutees comme

laquo peacutenales raquo sur le terrain de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 les trois critegraveres

Engel preacuteceacutedemment eacutelaboreacutes pour les besoins de lrsquoarticle 6 de la

Convention agrave savoir 1) laquo la qualification juridique de lrsquoinfraction en droit

interne raquo 2) laquo la nature mecircme de lrsquoinfraction raquo et 3) le degreacute de seacuteveacuteriteacute de

la sanction dont lrsquointeacuteresseacute est passible les deuxiegraveme et troisiegraveme critegraveres

eacutetant alternatifs et pas neacutecessairement cumulatifs mais sans exclure une

approche cumulative Lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine nrsquoa donc pas repris ndash

alors qursquoil aurait pu le faire ndash le raisonnement suivi dans une seacuterie drsquoaffaires

anteacuterieures (voir par exemple la deacutecision preacuteciteacutee Storbraringten) ougrave avait eacuteteacute

retenue une liste plus large et non exhaustive de facteurs sans que la Cour

ait preacuteciseacute quel eacutetait leur poids respectif ni srsquoil fallait les appliquer

alternativement ou cumulativement Les gouvernements franccedilais et

norveacutegien invitent agrave preacutesent la Cour agrave saisir cette occasion pour dire si ce

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 37

sont ces derniers critegraveres plus nombreux qui srsquoappliquent (paragraphes 66 agrave

68 et 90-91 ci-dessus)

106 Il existe un certain nombre drsquoarguments en faveur drsquoune telle

interpreacutetation en particulier le fait que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 a

apparemment eacuteteacute conccedilu par ses auteurs pour viser les proceacutedures peacutenales au

sens strict et la circonstance que ndash agrave lrsquoinverse de lrsquoarticle 6 mais agrave lrsquoinstar de

lrsquoarticle 7 ndash il nrsquoest pas susceptible de deacuterogation au titre de lrsquoarticle 15 Si

lrsquoarticle 6 se contente drsquoeacutenoncer des garanties drsquoeacutequiteacute proceacutedurales

notamment en matiegravere peacutenale lrsquointerdiction de la double incrimination

poseacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 a certaines conseacutequences ndash qui peuvent

ecirctre importantes ndash sur les modaliteacutes drsquoapplication des regravegles de droit

national reacutegissant les sanctions peacutenales et administratives dans de nombreux

domaines Cette derniegravere disposition implique une analyse plus pousseacutee du

droit peacutenal mateacuteriel puisqursquoil srsquoagit drsquoeacutetablir si les infractions respectives

visent le mecircme comportement (idem) Ces diffeacuterences ainsi que lrsquoabsence

de convergence entre les systegravemes nationaux des Eacutetats contractants le degreacute

variable de volonteacute de la part desdits Eacutetats drsquoecirctre tenus par le Protocole no 7

et la marge drsquoappreacuteciation eacutetendue dont ils jouissent geacuteneacuteralement dans le

choix de leurs systegravemes et politiques en matiegravere peacutenale (Nykaumlnen preacuteciteacute

sect 48 et mutatis mutandis Achour c France [GC] no 6733501 sect 44

CEDH 2006-IV) sont tout agrave fait propres agrave justifier un groupe plus vaste de

critegraveres drsquoapplicabiliteacute davantage axeacutes sur le droit national sur le modegravele

de ceux retenus pour les besoins de lrsquoarticle 7 et auparavant de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 (crsquoest-agrave-dire avant lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine) et donc un

champ drsquoapplication plus eacutetroit que sous lrsquoempire de lrsquoarticle 6

107 Cependant si ainsi qursquoil a eacuteteacute souligneacute lrsquoarrecirct Sergueiuml

Zolotoukhine nrsquoest pas explicite sur ce point il faut supposer que la Cour a

deacutelibeacutereacutement choisi dans cet arrecirct de retenir les critegraveres Engel comme le

modegravele agrave suivre pour deacuteterminer si la proceacutedure en cause est laquo peacutenale raquo pour

les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Aux yeux de la Cour il ne paraicirct

pas justifieacute qursquoelle srsquoeacutecarte de cette analyse en lrsquoespegravece car des

consideacuterations de poids militent vraiment en faveur drsquoun tel choix Le

principe non bis in idem vise principalement lrsquoeacutequiteacute proceacutedurale qui est

lrsquoobjet de lrsquoarticle 6 et srsquointeacuteresse moins au droit peacutenal mateacuteriel que

lrsquoarticle 7 La Cour estime preacutefeacuterable dans un souci de coheacuterence de

lrsquointerpreacutetation de la Convention consideacutereacutee globalement que lrsquoapplicabiliteacute

de ce principe soit reacutegie par les critegraveres plus preacutecis deacutefinis dans lrsquoarrecirct

Engel Cela eacutetant dit ainsi qursquoil a deacutejagrave eacuteteacute admis ci-dessus degraves lors que le

principe non bis in idem est jugeacute applicable une approche moduleacutee

srsquoimpose agrave lrsquoeacutevidence pour eacutevaluer la maniegravere dont il est mis en œuvre

srsquoagissant de proceacutedures mecirclant sanctions administratives et sanctions

peacutenales

38 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

c) Jurisprudence de la Convention en matiegravere de proceacutedures mixtes

i Lrsquoapport de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine

108 Lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine concernait deux proceacutedures qui

avaient chacune pour objet des actes perturbateurs agrave lrsquoencontre drsquoun agent

public et dans le cadre desquelles lrsquoissue de la proceacutedure administrative eacutetait

devenue deacutefinitive avant mecircme le deacutebut de la proceacutedure peacutenale (Sergueiuml

Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 18 agrave 20 et 109) Lrsquoapport le plus notable de lrsquoarrecirct

Sergueiuml Zolotoukhine est drsquoavoir dit que le point de savoir si les infractions

en question eacutetaient les mecircmes (idem) deacutependait drsquoune analyse axeacutee sur les

faits (ibidem sect 84) plutocirct que par exemple drsquoun examen formel consistant agrave

comparer les laquo eacuteleacutements essentiels raquo des infractions Lrsquointerdiction vise

lrsquoinculpation ou le jugement pour une seconde laquo infraction raquo pour autant que

celle-ci a pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance

les mecircmes (ibidem sect 82)

109 De plus en rappelant que le but de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 eacutetait

drsquointerdire la reacutepeacutetition de proceacutedures peacutenales trancheacutees par une deacutecision

laquo deacutefinitive raquo crsquoest-agrave-dire laquo passeacutee en force de chose jugeacutee raquo lrsquoarrecirct Sergueiuml

Zolotoukhine a preacuteciseacute que les deacutecisions susceptibles drsquoun recours ordinaire

ne beacuteneacuteficiaient pas de la garantie que renfermait cette disposition tant que

le deacutelai de recours nrsquoeacutetait pas expireacute

110 En outre la Cour a dit sans ambiguiumlteacute que lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 visait non pas seulement le cas drsquoune double condamnation

mais aussi celui des doubles poursuites et que dans le cas contraire il

nrsquoaurait pas eacuteteacute neacutecessaire de mettre le terme laquo poursuivi raquo avant le terme

laquo puni raquo car il ne pourrait qursquoen constituer un doublon La Cour a ajouteacute

que cette disposition srsquoappliquait mecircme si lrsquoindividu concerneacute nrsquoavait fait

lrsquoobjet que de simples poursuites nrsquoayant pas abouti agrave une condamnation

Elle a souligneacute que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 renfermait trois garanties

distinctes et disposait que nul i ne pouvait ecirctre poursuivi ii jugeacute ou

iii puni deux fois pour les mecircmes faits (ibidem sect 110)

111 Il faut toutefois souligner que lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine ne

donne guegravere drsquoindications lorsque les proceacutedures en reacutealiteacute ne se reacutepegravetent

pas mais sont plutocirct combineacutees et inteacutegreacutees de maniegravere agrave former un tout

coheacuterent

ii La jurisprudence sur les proceacutedures mixtes anteacuterieurement et

posteacuterieurement agrave lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine

112 Depuis lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine et comme crsquoeacutetait deacutejagrave le cas

auparavant il est admis par la Cour que lrsquoimposition par des autoriteacutes

diffeacuterentes de sanctions diffeacuterentes pour le mecircme comportement est permise

dans une certaine mesure au titre de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 nonobstant

lrsquoexistence drsquoune deacutecision deacutefinitive Cette conclusion peut se comprendre

comme eacutetant fondeacutee sur lrsquoideacutee que le cumul de sanctions dans les affaires de

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 39

ce genre doit srsquoanalyser comme un tout en conseacutequence de quoi il serait

artificiel drsquoy voir une reacutepeacutetition de proceacutedures impliquant que lrsquointeacuteresseacute a

eacuteteacute laquo poursuivi ou puni peacutenalement () en raison drsquoune infraction pour

laquelle il a[vait] deacutejagrave eacuteteacute () condamneacute par un jugement deacutefinitif raquo au

meacutepris de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 La question srsquoest poseacutee dans quatre

types de situations

113 Agrave lrsquoorigine de cette analyse interpreacutetative de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 se trouve une premiegravere cateacutegorie drsquoaffaires qui remonte agrave la

deacutecision RT c Suisse (deacutecision preacuteciteacutee) Dans cette affaire lrsquoOffice

feacutedeacuteral suisse des routes avait retireacute son permis de conduire au requeacuterant en

mai 1993 pour une dureacutee de quatre mois pour conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute

Cette mesure avait finalement eacuteteacute confirmeacutee par la Commission des recours

administratifs puis par le Tribunal feacutedeacuteral (en deacutecembre 1995)

Parallegravelement en juin 1993 les autoriteacutes cantonales de Gossau avaient

deacutelivreacute agrave lrsquoencontre du requeacuterant une ordonnance peacutenale qui le condamnait agrave

une peine drsquoemprisonnement avec sursis et agrave une amende de 1 100 francs

suisses Nrsquoayant pas fait lrsquoobjet de recours cette ordonnance passa en force

de chose jugeacutee

La Cour a conclu que les autoriteacutes suisses nrsquoavaient fait que retenir les

trois types de sanctions cumulables preacutevues par la loi pour une telle

infraction agrave savoir une peine drsquoemprisonnement une amende et le retrait du

permis de conduire Elle a constateacute que ces sanctions avaient eacuteteacute prononceacutees

parallegravelement par deux autoriteacutes diffeacuterentes lrsquoune administrative et lrsquoautre

peacutenale Selon elle on ne pouvait donc pas y voir eu eacutegard agrave sa

jurisprudence une reacutepeacutetition de poursuites peacutenales contraire agrave lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7

De la mecircme maniegravere si la deacutecision Nilsson (preacuteciteacutee) concernait elle

aussi une sanction peacutenale (50 heures de travail drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral) et le retrait

du permis de conduire (pour une dureacutee de dix-huit mois) agrave raison drsquoune

infraction routiegravere le grief a eacuteteacute rejeteacute sur la base drsquoun raisonnement plus

eacutelaboreacute qui a introduit pour la premiegravere fois le critegravere du laquo lien mateacuteriel et

temporel suffisamment eacutetroit raquo

La Cour a jugeacute que le retrait du permis de conduire eacutetait une conseacutequence

directe et preacutevisible de la condamnation anteacuterieure du requeacuterant pour les

mecircmes deacutelits de conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute avanceacute et de conduite sans permis

et que faisant suite agrave une condamnation peacutenale il relevait de la matiegravere

laquo peacutenale raquo pour les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Elle a ajouteacute

que indeacutependamment de la condamnation peacutenale anteacuterieure un retrait de

permis drsquoune dureacutee de dix-huit mois constituait en soi par sa seacuteveacuteriteacute une

mesure pouvant ordinairement passer pour une sanction peacutenale Elle a

conclu que quand bien mecircme les diffeacuterentes sanctions avaient eacuteteacute

prononceacutees par deux autoriteacutes diffeacuterentes agrave lrsquoissue de proceacutedures diffeacuterentes

il existait entre ces sanctions un lien mateacuteriel et temporel suffisamment

eacutetroit pour que lrsquoon pucirct consideacuterer le retrait de permis comme lrsquoune des

40 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

mesures preacutevues par le droit sueacutedois pour la reacutepression des deacutelits de

conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute avanceacute et de conduite sans permis On ne pouvait

donc pas selon elle deacuteduire du retrait litigieux que le requeacuterant avait eacuteteacute

laquo poursuivi ou puni peacutenalement () en raison drsquoune infraction pour laquelle

il a[vait] deacutejagrave eacuteteacute () condamneacute par un jugement deacutefinitif raquo au meacutepris de

lrsquoarticle 4 sect 1 du Protocole no 7

De mecircme dans lrsquoarrecirct Boman (preacuteciteacute) la Cour a jugeacute qursquoil existait un

lien mateacuteriel et temporel suffisant entre drsquoune part la proceacutedure peacutenale agrave

lrsquoissue de laquelle le requeacuterant avait eacuteteacute reconnu coupable et condamneacute agrave

75 jours-amende (soit 450 EUR) ainsi qursquoagrave une interdiction de conduire

(drsquoune dureacutee de quatre mois et trois semaines) et drsquoautre part la proceacutedure

administrative ulteacuterieure qui srsquoeacutetait soldeacutee par la prolongation de

lrsquointerdiction de conduire (drsquoune dureacutee drsquoun mois)

114 Dans une deuxiegraveme seacuterie drsquoaffaires la Cour a confirmeacute que les

proceacutedures parallegraveles ne sont pas exclues dans les affaires combinant

majorations drsquoimpocirct dans une proceacutedure administrative et poursuites

condamnations et sanctions pour fraude fiscale dans une proceacutedure peacutenale

tout en concluant qursquoil nrsquoavait pas eacuteteacute satisfait au critegravere du laquo lien mateacuteriel et

temporel suffisamment eacutetroit raquo au vu des circonstances particuliegraveres propres

agrave chaque cas Il srsquoagit drsquoaffaires concernant la Finlande (notamment Glantz

preacuteciteacute sect 57 et Nykaumlnen preacuteciteacute sect 47) et la Suegravede (Lucky Dev c Suegravede

no 735610 sect 58 27 novembre 2014) Dans lrsquoarrecirct Nykaumlnen ougrave est exposeacutee

lrsquoapproche suivie dans les autres affaires dirigeacutees contre la Finlande et la

Suegravede la Cour a conclu au vu du dossier que dans le systegraveme finlandais les

sanctions peacutenales et administratives avaient eacuteteacute infligeacutees par des autoriteacutes

diffeacuterentes sans que les proceacutedures aient le moindre lien entre elles elles

avaient chacune suivi leur propre cheminement et avaient pris fin

indeacutependamment lrsquoune de lrsquoautre De plus chaque juridiction ou autoriteacute

avait fixeacute le quantum de la peine sans tenir compte de la sanction prononceacutee

par lrsquoautre et elles nrsquoavaient eu aucun eacutechange entre elles Surtout dans le

systegraveme finlandais les majorations drsquoimpocirct eacutetaient appliqueacutees agrave lrsquoissue drsquoun

examen du comportement du contrevenant et de lrsquoapplicabiliteacute agrave son eacutegard

de la leacutegislation fiscale pertinente indeacutependamment de lrsquoappreacuteciation au

peacutenal La Cour a donc conclu agrave la violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

au motif que le requeacuterant avait eacuteteacute condamneacute deux fois pour les mecircmes faits

dans le cadre de deux proceacutedures distinctes

On peut trouver un raisonnement et des conclusions identiques (ou

quasiment identiques) agrave propos de faits analogues dans les arrecircts Rinas

c Finlande (no 1703913 27 janvier 2015) et Oumlsterlund c Finlande

(no 5319713 10 feacutevrier 2015)

Il faut noter que si dans certaines de ces affaires (Nykaumlnen Glantz

Lucky Dev Rinas Oumlsterlund) les deux proceacutedures avaient eacuteteacute conduites

dans une large mesure simultaneacutement le lien temporel a eacuteteacute manifestement

jugeacute insuffisant agrave lui seul pour exclure lrsquoapplication de la regravegle non bis in

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 41

idem Il ne semble pas deacuteraisonnable de deacuteduire de ces arrecircts concernant la

Finlande et la Suegravede que les deux proceacutedures ayant agrave chaque fois eacuteteacute

meneacutees dans une large mesure simultaneacutement crsquoest lrsquoabsence de lien

mateacuteriel qui au vu des circonstances propres agrave chaque affaire a provoqueacute la

violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

115 Dans une troisiegraveme seacuterie drsquoaffaires ougrave les proceacutedures avaient eacuteteacute

conduites en parallegravele pendant un certain temps la Cour a conclu agrave la

violation mais sans se reacutefeacuterer au critegravere tireacute de la deacutecision Nilsson du laquo lien

mateacuteriel et temporel suffisamment eacutetroit raquo

Dans lrsquoaffaire preacuteciteacutee Tomasović (sectsect 5-10 et 30-32) le requeacuterant avait

eacuteteacute poursuivi et condamneacute deux fois pour la mecircme infraction de possession

de stupeacutefiants drsquoabord en tant qursquolaquo infraction mineure raquo (jugeacutee laquo peacutenale raquo

au vu des deuxiegraveme et troisiegraveme critegraveres Engel ndash ibidem sectsect 22-25) puis en

tant qursquolaquo infraction peacutenale raquo Faute pour la seconde proceacutedure drsquoavoir eacuteteacute

abandonneacutee agrave la conclusion de la premiegravere la Cour a estimeacute eacutevident qursquoil y

avait eu une reacutepeacutetition de proceacutedures peacutenales contraire agrave lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 (voir de la mecircme maniegravere Muslija preacuteciteacute sectsect 28-32 et 37

srsquoagissant de coups et blessures aggraveacutes)

De mecircme dans lrsquoaffaire Grande Stevens et autres c Italie (nos 1864010

1864710 1866310 1866810 et 1869810 4 mars 2014) la Cour a

constateacute qursquoil y avait eu une double proceacutedure relative au mecircme

comportement frauduleux en lrsquooccurrence une manipulation du marcheacute par

la diffusion de fausses informations drsquoune part une proceacutedure

administrative (du 9 feacutevrier 2007 au 23 juin 2009) qualifieacutee de laquo peacutenale raquo agrave

lrsquoaune des critegraveres Engel conduite devant la Commission nationale des

socieacuteteacutes et de la bourse (Commissione Nazionale per le Societa e la Borsa)

puis devant la cour drsquoappel et la Cour de cassation conclue par lrsquoimposition

drsquoune amende de 3 000 000 EUR assortie drsquoune interdiction drsquoexercer

certaines activiteacutes professionnelles et drsquoautre part une proceacutedure peacutenale (du

7 novembre 2008 au 28 feacutevrier 2013 et au-delagrave toujours en cours agrave la date

de lrsquoarrecirct) conduite devant le tribunal de premiegravere instance la Cour de

cassation et la cour drsquoappel Son constat que la nouvelle instance concernait

une seconde laquo infraction raquo neacutee de faits identiques agrave ceux qui avaient donneacute

lieu agrave la premiegravere condamnation devenue deacutefinitive lui a suffi agrave conclure agrave

la violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

116 Quatriegravemement lrsquoarrecirct Kapetanios et autres (preacuteciteacute) confirmeacute par

lrsquoarrecirct Sismanidis et Sitaridis c Gregravece nos 6660209 et 7187912 9 juin

2016 constitue un autre exemple distinct drsquoabsence de lien mateacuteriel ne

faisant pas explicitement reacutefeacuterence agrave ce critegravere tireacute de la deacutecision Nilsson

(preacuteciteacutee) Dans ces affaires les requeacuterants furent tout drsquoabord acquitteacutes

drsquoinfractions douaniegraveres agrave lrsquoissue de proceacutedures peacutenales Par la suite malgreacute

les acquittements les juridictions administratives leur infligegraverent de lourdes

amendes administratives pour le mecircme comportement Convaincue que ces

derniegraveres proceacutedures eacutetaient laquo peacutenales raquo pour les besoins de lrsquoarticle 4 du

42 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

Protocole no 7 la Cour a conclu agrave la violation de cette disposition (voir les

paragraphes 73 et 47 de ces arrecircts respectivement)

d) Conclusions agrave tirer de la jurisprudence

117 Si les Eacutetats contractants ont le devoir particulier de proteacuteger les

inteacuterecircts speacutecifiques du justiciable que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 entend

sauvegarder il est aussi neacutecessaire ainsi que cela a deacutejagrave eacuteteacute indiqueacute au

paragraphe 106 ci-dessus de laisser aux autoriteacutes nationales le choix des

moyens agrave utiliser pour y parvenir Il ne faut pas oublier agrave cet eacutegard que le

droit de ne pas ecirctre jugeacute ou puni deux fois nrsquoeacutetait pas inscrit dans la

Convention adopteacutee en 1950 mais qursquoil a eacuteteacute ajouteacute dans un septiegraveme

protocole adopteacute en 1984 et entreacute en vigueur en 1988 soit pregraves de

40 anneacutees plus tard Quatre Eacutetats (lrsquoAllemagne les Pays-Bas le Royaume-

Uni et la Turquie) nrsquoont pas ratifieacute le Protocole no 7 et lrsquoun drsquoentre eux

(lrsquoAllemagne) ainsi que quatre Eacutetats qui lrsquoont ratifieacute (lrsquoAutriche la France

lrsquoItalie et le Portugal) ont eacutemis des reacuteserves ou des deacuteclarations

interpreacutetatives preacutecisant que le mot laquo peacutenalement raquo devait leur ecirctre appliqueacute

selon le sens donneacute agrave cette notion dans leurs lois nationales respectives

(Signalons que les reacuteserves formuleacutees par lrsquoAutriche et lrsquoItalie ont eacuteteacute jugeacutees

non valables parce qursquoelles nrsquoeacutetaient pas accompagneacutees drsquoun bref exposeacute de

la loi en cause comme le veut lrsquoarticle 57 sect 2 (voir respectivement

Gradinger c Autriche 23 octobre 1995 sect 51 seacuterie A no 328-C et Grande

Stevens preacuteciteacute sectsect 204-211) contrairement agrave la reacuteserve eacutemise par la France

(Goumlktan c France no 3340296 sect 51 CEDH 2002-V))

118 La Cour souligne eacutegalement lrsquoobservation formuleacutee par lrsquoavocat

geacuteneacuteral pregraves la CJUE dans lrsquoaffaire Fransson (paragraphe 51 ci-dessus)

selon laquelle lrsquoimposition de sanctions sur la base tant du droit

administratif que du droit peacutenal pour la mecircme infraction est une pratique

tregraves reacutepandue dans les Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne surtout dans

des domaines tels que la fiscaliteacute les politiques environnementales ou la

seacutecuriteacute publique Lrsquoavocat geacuteneacuteral a ajouteacute que les modaliteacutes relatives au

cumul des sanctions variaient eacutenormeacutement selon les ordres juridiques et

revecirctaient des caracteacuteristiques speacutecifiques propres agrave chaque Eacutetat membre et

que dans la plupart des cas ces speacutecificiteacutes visaient agrave atteacutenuer les effets

drsquoune double reacuteaction punitive de la part des pouvoirs publics

119 Par ailleurs pas moins de six Eacutetats parties au Protocole no 7 sont

intervenus en la preacutesente instance exprimant surtout des opinions et des

preacuteoccupations sur des points drsquointerpreacutetation que partage aussi dans une

large mesure le gouvernement deacutefendeur

120 Dans ces conditions il faut souligner agrave titre liminaire que comme

la Cour le reconnaicirct dans une jurisprudence constante crsquoest aux Eacutetats

contractants qursquoil revient au premier chef de deacutecider de lrsquoorganisation de

leur systegraveme juridique y compris de leurs proceacutedures peacutenales (voir par

exemple Taxquet c Belgique [GC] no 92605 sect 83 CEDH 2010) Par

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 43

exemple rien dans la Convention nrsquointerdit dans tel ou tel cas de seacuteparer en

diffeacuterentes phases ou parties le processus de fixation de la peine de sorte

que diffeacuterentes peines peuvent ecirctre prononceacutees successivement ou

parallegravelement pour une infraction qursquoil convient de qualifier de laquo peacutenale raquo

au sens autonome que revecirct ce mot sur le terrain de la Convention (voir par

exemple Phillips c Royaume-Uni no 4108798 sect 34 CEDH 2001-VII

affaire qui concernait des griefs tireacutes sur le terrain de lrsquoarticle 6 drsquoune

proceacutedure de confiscation des recettes issues drsquoinfractions agrave la leacutegislation

sur les stupeacutefiants dirigeacutee contre un individu et intervenant agrave la suite drsquoune

condamnation du mecircme individu pour ces mecircmes infractions)

121 Aux yeux de la Cour les Eacutetats devraient pouvoir leacutegitimement

opter pour des reacuteponses juridiques compleacutementaires face agrave certains

comportements dangereux pour la socieacuteteacute (par exemple le non-respect du

code de la route le non-paiement des impocircts ou lrsquoeacutevasion fiscale) au moyen

de diffeacuterentes proceacutedures formant un tout coheacuterent de maniegravere agrave traiter sous

ses diffeacuterents aspects le problegraveme social en question pourvu que ces

reacuteponses juridiques combineacutees ne repreacutesentent pas une charge excessive

pour la personne en cause

122 Dans les affaires ougrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 entre en jeu la

Cour a pour tacircche de deacuteterminer si la mesure nationale speacutecifique deacutenonceacutee

constitue dans sa substance ou dans ses effets une double incrimination

portant preacutejudice au justiciable ou si au contraire elle est le fruit drsquoun

systegraveme inteacutegreacute permettant de reacuteprimer un meacutefait sous ses diffeacuterents aspects

de maniegravere preacutevisible et proportionneacutee et formant un tout coheacuterent en sorte

de ne causer aucune injustice agrave lrsquointeacuteresseacute

123 Lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 ne saurait avoir pour effet drsquointerdire

aux Eacutetats contractants drsquoorganiser leur systegraveme juridique de maniegravere agrave

permettre la majoration agrave un taux standard drsquoimpocircts illeacutegalement impayeacutes ndash

quand bien mecircme une telle mesure serait qualifieacutee en elle-mecircme de

laquo peacutenale raquo pour les besoins des garanties drsquoeacutequiteacute du procegraves preacutevues dans la

Convention ndash aussi dans les cas plus graves ougrave il y aurait peut-ecirctre lieu de

poursuivre lrsquoauteur du meacutefait parce qursquoun eacuteleacutement non retenu dans la

proceacutedure laquo administrative raquo en recouvrement des impocircts par exemple un

comportement frauduleux srsquoajouterait au deacutefaut de paiement Lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 a pour objet drsquoempecirccher lrsquoinjustice que repreacutesenterait pour

une personne le fait drsquoecirctre poursuivie ou punie deux fois pour le mecircme

comportement deacutelictueux Il ne bannit toutefois pas les systegravemes juridiques

qui traitent de maniegravere laquo inteacutegreacutee raquo le meacutefait neacutefaste pour la socieacuteteacute en

question notamment en reacuteprimant celui-ci dans le cadre de phases parallegraveles

meneacutees par des autoriteacutes diffeacuterentes agrave des fins diffeacuterentes

124 La Cour estime que la jurisprudence preacuteciteacutee portant sur les

proceacutedures parallegraveles ou mixtes creacuteeacutee avec les deacutecisions RT c Suisse et

Nilsson c Suegravede puis reprise dans lrsquoarrecirct Nykaumlnen et une seacuterie drsquoautres

affaires donne des indications utiles qui aident agrave deacutefinir ougrave se trouve le juste

44 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

eacutequilibre entre la preacuteservation neacutecessaire des inteacuterecircts de lrsquoindividu proteacutegeacutes

par le principe non bis in idem drsquoune part et la prise en compte de lrsquointeacuterecirct

particulier pour la socieacuteteacute de pouvoir reacuteglementer de maniegravere calibreacutee le

domaine en question drsquoautre part Cela dit avant de se pencher plus avant

sur les critegraveres pertinents agrave lrsquoaune desquels lrsquoeacutequilibre voulu peut ecirctre

meacutenageacute la Cour juge souhaitable de preacuteciser les conclusions agrave tirer de la

jurisprudence existante

125 Premiegraverement il faut conclure de lrsquoapplication du critegravere du laquo lien

mateacuteriel et temporel suffisamment eacutetroit raquo dans les affaires finlandaises et

sueacutedoises reacutecentes qursquoil ne sera pas satisfait agrave ce critegravere si lrsquoun ou lrsquoautre des

deux eacuteleacutements ndash mateacuteriel ou temporel ndash fait deacutefaut (paragraphe 114

ci-dessus)

126 Deuxiegravemement dans certaines affaires la Cour a drsquoabord rechercheacute

si et dans lrsquoaffirmative agrave quel moment lrsquoune des proceacutedures avait fait

lrsquoobjet drsquoune deacutecision laquo deacutefinitive raquo (faisant potentiellement obstacle agrave la

poursuite de lrsquoautre proceacutedure) avant drsquoappliquer le critegravere du laquo lien

suffisamment eacutetroit raquo et de reacutepondre par la neacutegative agrave la question du respect

de la condition de laquo bis raquo crsquoest-agrave-dire de conclure agrave lrsquoabsence de reacutepeacutetition

(Boman preacuteciteacute sectsect 36 agrave 38) Pour la Cour cependant la question du

caractegravere laquo deacutefinitif raquo ou non drsquoune deacutecision ne se pose pas degraves lors qursquoil y a

non pas une reacutepeacutetition des poursuites agrave proprement parler mais plutocirct une

combinaison de proceacutedures dont on peut consideacuterer qursquoelles forment un tout

inteacutegreacute

127 Troisiegravemement le point preacuteceacutedent a aussi une incidence sur les

preacuteoccupations exprimeacutees par certains des gouvernements intervenants agrave

savoir qursquoil ne faudrait pas exiger que les proceacutedures connexes deviennent

laquo deacutefinitives raquo au mecircme moment faute de quoi la personne concerneacutee

pourrait utiliser le principe non bis in idem agrave des fins de manipulation et

drsquoimpuniteacute Sur ce point la conclusion figurant au paragraphe 51 de lrsquoarrecirct

Nykaumlnen (preacuteciteacute) et dans un certain nombre drsquoarrecircts posteacuterieurs agrave savoir

que laquo lrsquoune et lrsquoautre des proceacutedures suivent leur propre cheminement et

prennent fin indeacutependamment lrsquoune de lrsquoautre raquo doit ecirctre consideacutereacutee comme

un constat de fait dans le reacutegime finlandais examineacute il nrsquoexistait pas de

lien suffisant drsquoun point de vue mateacuteriel entre la proceacutedure administrative et

la proceacutedure peacutenale alors qursquoelles avaient eacuteteacute conduites de maniegravere plus ou

moins simultaneacutee Lrsquoarrecirct Nykaumlnen est un exemple de cas ougrave lrsquoapplication

du critegravere du laquo lien mateacuteriel et temporel suffisant raquo va dans une certaine

direction en fonction des faits

128 Quatriegravemement pour des raisons similaires agrave celles exposeacutees

ci-dessus lrsquoordre dans lequel les proceacutedures sont conduites ne saurait ecirctre

un eacuteleacutement deacutecisif pour se prononcer sur le point de savoir si lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 permet des proceacutedures mixtes ou multiples (comparer avec

les deacutecisions preacuteciteacutees RT c Suisse ougrave un permis de conduire avait eacuteteacute

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 45

retireacute avant lrsquoouverture du procegraves peacutenal et Nilsson c Suegravede ougrave le retrait

eacutetait intervenu apregraves)

129 Enfin il ressort de certaines des affaires susmentionneacutees (Sergueiuml

Zolotoukhine Tomasović et Muslija eacutevoqueacutees au paragraphes 108 et 115

ci-dessus) pour autant que celles-ci concernaient une reacutepeacutetition de

proceacutedures dans lesquelles les objectifs et moyens employeacutes nrsquoeacutetaient pas

compleacutementaires (paragraphe 130 ci-dessous) que la Cour nrsquoeacutetait pas

disposeacutee agrave les examiner comme si elles avaient concerneacute des proceacutedures

parallegraveles ou mixtes susceptibles drsquoecirctre compatibles avec le principe ne bis

in idem comme dans les affaires RT c Suisse Nilsson et Boman

(paragraphe 113 ci-dessus)

130 Il ressort agrave lrsquoeacutevidence de cette analyse de la jurisprudence de la

Cour que srsquoagissant de faits punissables aussi bien sur le terrain du droit

peacutenal que sur celui du droit administratif la maniegravere la plus sucircre de veiller

au respect de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 consiste agrave preacutevoir agrave un stade

opportun une proceacutedure agrave un seul niveau permettant la reacuteunion des

branches parallegraveles du reacutegime leacutegal reacutegissant lrsquoactiviteacute en cause de faccedilon agrave

satisfaire dans le cadre drsquoun seul et mecircme processus aux diffeacuterents

impeacuteratifs poursuivis par la socieacuteteacute dans sa reacuteaction face agrave lrsquoinfraction

Toutefois ainsi qursquoil a eacuteteacute expliqueacute ci-dessus (notamment aux paragraphes

111 et 117 agrave 120) lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 nrsquoexclut pas la conduite de

proceacutedures mixtes mecircme jusqursquoagrave leur terme pourvu que certaines

conditions soient remplies En particulier pour convaincre la Cour de

lrsquoabsence de reacutepeacutetition de procegraves ou de peines (bis) proscrite par lrsquoarticle 4

du Protocole no 7 lrsquoEacutetat deacutefendeur doit eacutetablir de maniegravere probante que les

proceacutedures mixtes en question eacutetaient unies par un laquo lien mateacuteriel et

temporel suffisamment eacutetroit raquo Autrement dit il doit ecirctre deacutemontreacute que

celles-ci se combinaient de maniegravere agrave ecirctre inteacutegreacutees dans un tout coheacuterent

Cela signifie non seulement que les buts poursuivis et les moyens utiliseacutes

pour y parvenir doivent ecirctre en substance compleacutementaires et preacutesenter un

lien temporel mais aussi que les eacuteventuelles conseacutequences deacutecoulant drsquoune

telle organisation du traitement juridique du comportement en question

doivent ecirctre proportionneacutees et preacutevisibles pour le justiciable

131 Srsquoagissant des conditions agrave satisfaire pour que des proceacutedures

mixtes administratives et peacutenales puissent ecirctre regardeacutees comme preacutesentant

un lien mateacuteriel et temporel suffisant et donc comme compatibles avec le

critegravere de laquo bis raquo deacutecoulant de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 la Cour reacutesume

de la maniegravere suivante les consideacuterations pertinentes tireacutees de sa

jurisprudence telle qursquoexamineacutee ci-dessus

132 Les eacuteleacutements pertinents pour statuer sur lrsquoexistence drsquoun lien

suffisamment eacutetroit du point de vue mateacuteriel sont notamment les suivants

ndash le point de savoir si les diffeacuterentes proceacutedures visent des buts

compleacutementaires et concernent ainsi non seulement in abstracto mais aussi

46 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

in concreto des aspects diffeacuterents de lrsquoacte preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute en

cause

ndash le point de savoir si la mixiteacute des proceacutedures en question est une

conseacutequence preacutevisible aussi bien en droit qursquoen pratique du mecircme

comportement reacuteprimeacute (idem)

ndash le point de savoir si les proceacutedures en question ont eacuteteacute conduites drsquoune

maniegravere qui eacutevite autant que possible toute reacutepeacutetition dans le recueil et dans

lrsquoappreacuteciation des eacuteleacutements de preuve notamment gracircce agrave une interaction

adeacutequate entre les diverses autoriteacutes compeacutetentes faisant apparaicirctre que

lrsquoeacutetablissement des faits effectueacute dans lrsquoune des proceacutedures a eacuteteacute repris dans

lrsquoautre

ndash et surtout le point de savoir si la sanction imposeacutee agrave lrsquoissue de la

proceacutedure arriveacutee agrave son terme en premier a eacuteteacute prise en compte dans la

proceacutedure qui a pris fin en dernier de maniegravere agrave ne pas faire porter pour

finir agrave lrsquointeacuteresseacute un fardeau excessif ce dernier risque eacutetant moins

susceptible de se preacutesenter srsquoil existe un meacutecanisme compensatoire conccedilu

pour assurer que le montant global de toutes les peines prononceacutees est

proportionneacute

133 Agrave cet eacutegard il est eacutegalement instructif de tenir compte de la

maniegravere dont lrsquoarticle 6 de la Convention est appliqueacute dans le type drsquoaffaire

aujourdrsquohui examineacutee (Jussila preacuteciteacute sect 43)

laquo () il va de soi que certaines [proceacutedures peacutenales] ne comportent aucun caractegravere

infamant pour ceux qursquoelles visent et que les laquo accusations en matiegravere peacutenale raquo nrsquoont

pas toutes le mecircme poids De surcroicirct en adoptant une interpreacutetation autonome de la

notion drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo par application des critegraveres Engel les

organes de la Convention ont jeteacute les bases drsquoune extension progressive de

lrsquoapplication du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 agrave des domaines qui ne relegravevent pas

formellement des cateacutegories traditionnelles du droit peacutenal telles que les

contraventions administratives () les punitions pour manquement agrave la discipline

peacutenitentiaire () les infractions douaniegraveres () les sanctions peacutecuniaires infligeacutees

pour violation du droit de la concurrence () et les amendes infligeacutees par des

juridictions financiegraveres () Les majorations drsquoimpocirct ne faisant pas partie du noyau

dur du droit peacutenal les garanties offertes par le volet peacutenal de lrsquoarticle 6 ne doivent pas

neacutecessairement srsquoappliquer dans toute leur rigueur () raquo

Le raisonnement ci-dessus permet de deacutegager les eacuteleacutements pertinents

lorsqursquoil faut deacuteterminer si lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 a eacuteteacute respecteacute dans

les affaires de proceacutedures mixtes (administratives et peacutenales) De plus

comme la Cour lrsquoa deacutejagrave dit agrave de nombreuses reprises la Convention doit se

lire comme un tout et srsquointerpreacuteter de maniegravere agrave promouvoir sa coheacuterence

interne et lrsquoharmonie entre ses diverses dispositions (Klass et autres

c Allemagne 6 septembre 1978 sect 68 seacuterie A no 28 voir aussi Maaouia

c France [GC] no 3965298 sect 36 CEDH 2000-X Kudła c Pologne [GC]

no 3021096 sect 152 CEDH 2000-XI et Stec et autres c Royaume-Uni (deacutec)

[GC] nos 6573101 et 6590001 sect 48 CEDH 2005-X)

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 47

La mesure dans laquelle la proceacutedure administrative preacutesente les

caracteacuteristiques drsquoune proceacutedure peacutenale ordinaire est un eacuteleacutement important

Des proceacutedures mixtes satisferont plus vraisemblablement aux critegraveres de

compleacutementariteacute et de coheacuterence si les sanctions imposables dans la

proceacutedure non formellement qualifieacutee de laquo peacutenale raquo sont speacutecifiques au

comportement en question et ne font donc pas partie du laquo noyau dur du droit

peacutenal raquo (pour reprendre les termes de lrsquoarrecirct Jussila preacuteciteacute) Si agrave titre

additionnel cette proceacutedure nrsquoa pas de caractegravere veacuteritablement infamant il y

a moins de chances qursquoelle fasse peser une charge disproportionneacutee sur

lrsquoaccuseacute Agrave lrsquoinverse plus la proceacutedure administrative preacutesente de

caracteacuteristiques infamantes la rapprochant dans une large mesure drsquoune

proceacutedure peacutenale ordinaire plus les finaliteacutes sociales poursuivies par la

punition du comportement fautif dans des proceacutedures diffeacuterentes risquent de

se reacutepeacuteter (bis) au lieu de se compleacuteter Lrsquoissue des affaires mentionneacutees au

paragraphe 129 ci-dessus peut passer pour des illustrations de la

concreacutetisation drsquoun tel risque

134 De plus ainsi qursquoil a deacutejagrave eacuteteacute dit implicitement ci-dessus mecircme

lorsque le lien mateacuteriel est suffisamment solide la condition du lien

temporel demeure et doit ecirctre satisfaite Il ne faut pas en conclure pour

autant que les deux proceacutedures doivent ecirctre meneacutees simultaneacutement du deacutebut

agrave la fin LrsquoEacutetat doit avoir la faculteacute drsquoopter pour la conduite des proceacutedures

progressivement si ce proceacutedeacute se justifie par un souci drsquoefficaciteacute et de

bonne administration de la justice poursuit des finaliteacutes sociales diffeacuterentes

et ne cause pas un preacutejudice disproportionneacute agrave lrsquointeacuteresseacute Toutefois ainsi

qursquoil a deacutejagrave eacuteteacute preacuteciseacute il doit toujours y avoir un lien temporel Ce lien doit

ecirctre suffisamment eacutetroit pour que le justiciable ne soit pas en proie agrave

lrsquoincertitude et agrave des lenteurs et pour que les proceacutedures ne srsquoeacutetalent pas

trop dans le temps (voir comme exemple de lacune de ce type Kapetanios

et autres preacuteciteacute sect 67) mecircme dans lrsquohypothegravese ougrave le reacutegime national

pertinent preacutevoit un meacutecanisme laquo inteacutegreacute raquo comportant un volet

administratif et un volet peacutenal distincts Plus le lien temporel est teacutenu plus il

faudra que lrsquoEacutetat explique et justifie les lenteurs dont il pourrait ecirctre

responsable dans la conduite des proceacutedures

e) Sur le respect en lrsquoespegravece de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

i Le premier requeacuterant

135 Srsquoagissant du premier requeacuterant le bureau des impocircts lui appliqua

le 24 novembre 2008 une majoration drsquoimpocirct de 30 en vertu des

articles 10-2 1) et 10-4 1) de la loi fiscale au motif qursquoil avait omis dans sa

deacuteclaration fiscale pour lrsquoanneacutee 2002 3 259 342 NOK de revenus perccedilus agrave

lrsquoeacutetranger (paragraphe 16 ci-dessus) Le premier requeacuterant nrsquoayant pas

attaqueacute cette deacutecision celle-ci devint deacutefinitive au plus tocirct au bout de trois

semaines agrave lrsquoexpiration du deacutelai de recours (paragraphe 143 ci-dessous) Il

48 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

fut aussi poursuivi peacutenalement pour la mecircme omission dans sa deacuteclaration

fiscale pour 2002 le 14 octobre 2008 il fut inculpeacute et le 2 mars 2009 le

tribunal de Follo le reconnut coupable de fraude fiscale aggraveacutee et le

condamna agrave un an drsquoemprisonnement pour violation de lrsquoarticle 12-1 1)a)

cf section 12-2 de la loi fiscale (paragraphes 15 et 17 ci-dessus) La cour

drsquoappel le deacutebouta (paragraphe 19 ci-dessus) de mecircme que le 27 novembre

2010 la Cour suprecircme (paragraphes 20 agrave 30 ci-dessus)

α) Lrsquoapplication drsquoune majoration drsquoimpocirct eacutetait-elle de nature peacutenale

136 Dans le droit fil de ce qursquoelle a dit au paragraphe 107 ci-dessus la

Cour recherchera si la proceacutedure drsquoapplication de la majoration drsquoimpocirct de

30 pouvait sur la base des critegraveres Engel ecirctre qualifieacutee de laquo peacutenale raquo

pour les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

137 Agrave cet eacutegard la Cour note que la Cour suprecircme a eacuteteacute attentive agrave

lrsquoeacutevolution progressive du droit de la Convention dans ce domaine et srsquoest

efforceacutee de tenir compte des eacutevolutions de la jurisprudence de la Cour dans

ses propres deacutecisions en matiegravere de leacutegislation fiscale (paragraphes 44-47

ci-dessus) Ainsi en 2002 la Cour suprecircme a dit pour la premiegravere fois

qursquoune majoration drsquoimpocirct de 30 constituait une laquo accusation en matiegravere

peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 de la Convention Elle a eacutegalement jugeacute

contrairement agrave ses deacutecisions anteacuterieures qursquoune majoration drsquoimpocirct de

60 revecirctait un caractegravere peacutenal aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 En

2004 et en 2006 elle a estimeacute qursquoil en allait de mecircme de la majoration

drsquoimpocirct de 30

138 Dans des affaires comparables concernant la Suegravede (majorations

drsquoimpocirct agrave des taux de 40 et 20 ) la Cour a jugeacute que les proceacutedures en

question eacutetaient laquo peacutenales raquo pour les besoins non seulement de lrsquoarticle 6 de

la Convention (Janosevic c Suegravede no 3461997 sectsect 68-71 CEDH 2002-VII

et Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic c Suegravede no 3698597 sectsect 79-82

23 juillet 2002) mais aussi de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 (Manasson

c Suegravede (deacutec) no 4126598 8 avril 2003 Rosenquist deacutecision preacuteciteacutee

Synnelius et Edsbergs Taxi AB c Suegravede (deacutec) no 4429802 17 juin 2008

Carlberg c Suegravede (deacutec) no 963104 27 janvier 2009 et Lucky Dev preacuteciteacute

sectsect 6 et 51)

139 Dans ces conditions la Cour ne voit aucune raison de revenir sur la

conclusion de la Cour suprecircme (paragraphes 22 agrave 25 ci-dessus) selon

laquelle la proceacutedure qui a conduit agrave lrsquoimposition au premier requeacuterant

drsquoune majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire de 30 revecirctait un caractegravere

laquo peacutenal raquo au sens autonome donneacute agrave ce terme sur le terrain de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 49

β) Les infractions peacutenales pour lesquelles le premier requeacuterant a eacuteteacute poursuivi

eacutetaient-elles les mecircmes que celles pour lesquelles une majoration drsquoimpocirct

lui a eacuteteacute appliqueacutee (idem)

140 Ainsi qursquoil a eacuteteacute dit ci-dessus (paragraphe 128) la protection

qursquooffre le principe non bis in idem ne deacutepend pas de lrsquoordre dans lequel les

proceacutedures sont respectivement conduites crsquoest le lien entre les deux

infractions qui compte (Franz Fischer c Autriche no 3795097 sect 29

29 mai 2001 et les arrecircts et deacutecisions preacuteciteacutes Storbraringten Mjelde ainsi que

Haarvig Ruotsalainen et Kapetanios et autres)

141 Appliquant aux faits de lrsquoespegravece lrsquoapproche harmoniseacutee exposeacutee

dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine (preacuteciteacute sectsect 82-84) la Cour suprecircme a

conclu que les circonstances factuelles sur lesquelles reposaient la

majoration drsquoimpocirct et la condamnation peacutenale ndash crsquoest-agrave-dire dans les deux

cas lrsquoomission dans la deacuteclaration fiscale de certaines informations

concernant des revenus ndash eacutetaient suffisamment similaires pour satisfaire agrave la

condition susmentionneacutee (paragraphe 21 ci-dessus) Les parties ne le

contestent pas et malgreacute lrsquoeacuteleacutement factuel suppleacutementaire de fraude qui

caracteacuterise lrsquoinfraction peacutenale la Cour ne voit aucune raison de conclure

autrement

γ) Y a-t-il eu une deacutecision deacutefinitive

142 Pour ce qui est de savoir si au cours de la proceacutedure de majoration

drsquoimpocirct une deacutecision laquo deacutefinitive raquo susceptible de faire obstacle agrave des

poursuites peacutenales a eacuteteacute prise (Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 107-108)

la Cour renvoie agrave son analyse ci-dessus Eacutetant convaincue agrave lrsquoissue de son

examen ci-dessous de lrsquoexistence drsquoun lien mateacuteriel et temporel suffisant

entre la proceacutedure fiscale et la proceacutedure peacutenale pour que celles-ci puissent

ecirctre regardeacutees comme formant une solution juridique inteacutegreacutee reacutepondant au

comportement du premier requeacuterant elle nrsquoestime pas neacutecessaire

drsquoexaminer plus avant la question du caractegravere deacutefinitif de la proceacutedure

fiscale en elle-mecircme Agrave ses yeux la circonstance que la premiegravere proceacutedure

a eacuteteacute clocirctureacutee de maniegravere laquo deacutefinitive raquo avant la seconde nrsquoa aucune

incidence sur lrsquoexamen ci-dessous de lrsquoarticulation entre elles deux

(paragraphe 126 ci-dessus)

143 Point nrsquoest donc besoin pour la Cour de donner son avis sur

lrsquoanalyse faite par la Cour suprecircme de la question de savoir si la premiegravere

deacutecision du 24 novembre 2008 eacutetait devenue deacutefinitive agrave lrsquoexpiration du

deacutelai de recours administratif de trois semaines ou agrave celle du deacutelai de

recours judiciaire de six mois (paragraphe 27 ci-dessus)

δ) Y a-t-il eu reacutepeacutetition de poursuites (bis)

144 Les autoriteacutes nationales compeacutetentes ont jugeacute que le comportement

reacutepreacutehensible du premier requeacuterant appelait deux reacuteponses une sanction

administrative au titre du chapitre 10 de la loi fiscale consacreacute aux

50 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

majorations drsquoimpocirct et une sanction peacutenale au titre du chapitre 12 de cette

mecircme loi (paragraphes 15 16 et 41-43 ci-dessus) chacune ayant une

finaliteacute diffeacuterente Comme la Cour suprecircme lrsquoa expliqueacute dans ses arrecircts

rendus en mai 2002 (paragraphe 46 ci-dessus) la sanction administrative

que constitue la majoration drsquoimpocirct a une finaliteacute geacuteneacuterale de dissuasion en

reacuteaction agrave la communication par le contribuable peut-ecirctre innocemment de

deacuteclarations ou informations inexactes ou incomplegravetes et elle vise aussi agrave

compenser les ressources humaines et financiegraveres consideacuterables consacreacutees

par les autoriteacutes fiscales pour le compte de la collectiviteacute aux controcircles et

veacuterifications destineacutes agrave repeacuterer les deacuteclarations erroneacutees Lrsquoobjectif est que

les personnes ayant communiqueacute des informations incomplegravetes ou inexactes

supportent ces coucircts dans une certaine mesure Le calcul de lrsquoimpocirct est une

opeacuteration massive qui fait intervenir des millions de citoyens Pour la Cour

suprecircme la majoration drsquoimpocirct ordinaire a avant tout pour but drsquoinciter le

contribuable agrave respecter son obligation de fournir des informations

complegravetes et exactes et de renforcer les fondations du systegraveme fiscal

national condition indispensable au bon fonctionnement de lrsquoEacutetat et

partant de la socieacuteteacute Comme lrsquoa dit la Cour suprecircme une condamnation

peacutenale au titre du chapitre 12 en revanche poursuit des fins non seulement

dissuasives mais aussi reacutepressives srsquoagissant de la mecircme omission

preacutejudiciable pour la socieacuteteacute et comporte un eacuteleacutement additionnel de fraude

deacutelictueuse

145 Crsquoest ainsi que agrave la suite drsquoun controcircle fiscal conduit en 2005 le

fisc porta plainte au peacutenal contre le premier requeacuterant et drsquoautres personnes

agrave lrsquoautomne 2007 (paragraphe 13 ci-dessus) En deacutecembre 2007 lrsquointeacuteresseacute

fut interrogeacute en tant qursquoaccuseacute et deacutetenu pendant quatre jours

(paragraphe 14 ci-dessus) En aoucirct 2008 srsquoappuyant notamment sur les

conclusions de lrsquoenquecircte peacutenale le fisc lrsquoavisa qursquoil allait le redresser

notamment pour lrsquoanneacutee 2002 au motif qursquoil avait omis de deacuteclarer

3 259 341 NOK Cet avis reposait sur les conclusions du controcircle fiscal de

la socieacuteteacute Software Innovation AS meneacute par le fisc sur lrsquoenquecircte peacutenale

conseacutecutive et sur la deacuteposition faite par le premier requeacuterant au cours de

cette enquecircte (paragraphe 16 ci-dessus) En octobre 2008 le premier

requeacuterant fut inculpeacute drsquoinfractions fiscales par Oslashkokrim Par une deacutecision du

24 novembre 2008 le fisc ordonna son redressement et le versement par lui

de la majoration drsquoimpocirct en question Cette deacutecision eacutetait notamment fondeacutee

sur les deacutepositions faites par les premier et second requeacuterants lors

drsquointerrogatoires meneacutes au cours de lrsquoenquecircte peacutenale Un peu plus de deux

mois plus tard le 2 mars 2009 le tribunal de Follo condamna lrsquointeacuteresseacute

pour fraude fiscale au motif qursquoil avait omis le montant susmentionneacute dans

sa deacuteclaration fiscale pour lrsquoanneacutee 2002 Pour la Cour il est

particuliegraverement important de constater que conformeacutement aux principes

geacuteneacuteraux du droit national en matiegravere de fixation des peines (paragraphe 50

ci-dessus) ledit tribunal a prononceacute la peine drsquoun an drsquoemprisonnement en

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 51

tenant compte de ce que le premier requeacuterant avait deacutejagrave eacuteteacute lourdement

sanctionneacute par lrsquoapplication de la majoration drsquoimpocirct (paragraphe 17 ci-

dessus comparer avec les arrecircts preacuteciteacutes Kapetanios et autres sect 66 ougrave les

juridictions administratives avaient imposeacute des amendes administratives

sans tenir compte de lrsquoacquittement des requeacuterants agrave lrsquoissue des proceacutedures

peacutenales anteacuterieures relatives au mecircme comportement et Nykaumlnen ougrave la

Cour a conclu agrave lrsquoabsence de lien mateacuteriel suffisant entre les deux

proceacutedures)

146 Dans ces conditions la Cour conclut premiegraverement qursquoelle nrsquoa

aucune raison de mettre en doute les motifs pour lesquels le leacutegislateur

norveacutegien a choisi de reacuteprimer au moyen drsquoune proceacutedure mixte

(administrative et peacutenale) inteacutegreacutee le comportement preacutejudiciable agrave la

socieacuteteacute consistant agrave ne pas payer ses impocircts non plus que ceux pour

lesquels les autoriteacutes norveacutegiennes compeacutetentes ont deacutecideacute agrave lrsquoeacutegard du

premier requeacuterant de traiter seacutepareacutement lrsquoeacuteleacutement de fraude plus grave et

plus reacutepreacutehensible socialement dans le cadre drsquoune proceacutedure peacutenale plutocirct

que dans celui drsquoune proceacutedure administrative ordinaire

Deuxiegravemement la conduite de proceacutedures mixtes avec une possibiliteacute de

cumul de diffeacuterentes peines eacutetait preacutevisible par le premier requeacuterant qui

degraves le deacutebut nrsquoeacutetait pas censeacute ignorer que des poursuites peacutenales srsquoajoutant agrave

une majoration drsquoimpocirct eacutetaient de lrsquoordre du possible voire du probable

compte tenu du dossier (paragraphes 13 et 16 ci-dessus)

Troisiegravemement il semble clair que comme lrsquoa dit la Cour suprecircme les

proceacutedures administrative et peacutenale ont eacuteteacute conduites en parallegravele et eacutetaient

imbriqueacutees (paragraphe 29 ci-dessus) Les faits eacutetablis dans le cadre de

lrsquoune de ces proceacutedures ont eacuteteacute repris dans lrsquoautre et pour ce qui est de la

proportionnaliteacute de la peine globale la sanction peacutenale a tenu compte de la

majoration drsquoimpocirct (paragraphe 17 ci-dessus)

147 Compte tenu des faits porteacutes agrave sa connaissance la Cour conclut que

rien nrsquoindique que le premier requeacuterant ait subi un preacutejudice disproportionneacute

ou une injustice en conseacutequence de la reacuteponse juridique inteacutegreacutee deacutenonceacutee

par lui apporteacutee agrave son absence de deacuteclaration de certains revenus et au

non-paiement de certains de ses impocircts Aussi eu eacutegard aux consideacuterations

exposeacutees ci-dessus (et notamment celles reacutesumeacutees aux

paragraphes 132-134) la Cour est-elle convaincue que si des sanctions

diffeacuterentes ont eacuteteacute imposeacutees par deux autoriteacutes diffeacuterentes lors de

proceacutedures diffeacuterentes il existait neacuteanmoins entre celles-ci un lien tant

mateacuteriel que temporel suffisamment eacutetroit pour les consideacuterer comme

srsquoinscrivant dans le meacutecanisme inteacutegreacute de sanctions preacutevu par le droit

norveacutegien dans le cas ougrave une omission drsquoinformations sur certains revenus

dans une deacuteclaration fiscale conduit agrave une erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct

(paragraphe 21 ci-dessus)

52 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

ii Le second requeacuterant

148 Pour ce qui est du second requeacuterant reprenant le raisonnement

suivi par la Cour suprecircme dans lrsquoarrecirct concernant le premier requeacuterant la

cour drsquoappel jugea premiegraverement que la deacutecision prise le 5 deacutecembre 2008

par le fisc ordonnant agrave lrsquointeacuteresseacute de payer une majoration drsquoimpocirct de 30

srsquoanalysait bien en lrsquoimposition drsquoune sanction laquo peacutenale raquo au sens de

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 elle dit deuxiegravemement que la deacutecision eacutetait

devenue laquo deacutefinitive raquo le 26 deacutecembre 2008 date drsquoexpiration du deacutelai de

recours et troisiegravemement que la deacutecision de majoration drsquoimpocirct et la

condamnation peacutenale ulteacuterieure se rapportaient aux mecircmes faits (paragraphe

37 ci-dessus) Comme dans le cas du premier requeacuterant la Cour ne voit

aucune raison de conclure autrement sur les premier et troisiegraveme points non

plus que la neacutecessiteacute de se prononcer sur le deuxiegraveme

149 Srsquoagissant de la question qui se pose ensuite crsquoest-agrave-dire celle de

savoir srsquoil y a eu ou non une reacutepeacutetition des poursuites (bis) incompatible

avec le Protocole no 7 la Cour relegraveve que comme agrave lrsquoeacutegard du premier

requeacuterant (paragraphe 144 ci-dessus) les autoriteacutes compeacutetentes ont jugeacute

qursquoune proceacutedure mixte se justifiait dans le cas du second requeacuterant

150 Quant au deacuteroulement preacutecis des proceacutedures en cause agrave la suite du

controcircle conduit par lui en 2005 le fisc porta plainte au peacutenal aupregraves

drsquoOslashkokrim agrave lrsquoautomne 2007 contre le second requeacuterant (comme il lrsquoavait

fait contre le premier requeacuterant et drsquoautres personnes) au motif que

lrsquointeacuteresseacute nrsquoavait pas deacuteclareacute 4 561 881 NOK (soit environ 500 000 EUR)

de revenus pour lrsquoanneacutee fiscale 2002 (paragraphe 31 ci-dessus) Le

16 octobre 2008 srsquoappuyant en particulier sur le controcircle fiscal sur la

deacuteposition faite par le second requeacuterant au cours de lrsquoenquecircte peacutenale en

question ainsi que sur les documents saisis par Oslashkokrim lors de lrsquoenquecircte le

bureau des impocircts avisa lrsquointeacuteresseacute qursquoil envisageait de le redresser

fiscalement au motif que celui-ci avait omis de deacuteclarer lesdits revenus et

drsquoappliquer agrave son eacutegard une majoration drsquoimpocirct (paragraphe 32 ci-dessus)

Le 11 novembre 2008 le parquet inculpa le second requeacuterant de fraude

fiscale pour lrsquoomission par celui-ci du montant susmentionneacute ce qui

repreacutesentait 1 302 526 NOK drsquoimpocircts agrave payer et pria le tribunal drsquoOslo de

rendre un jugement sommaire fondeacute sur ses aveux (paragraphe 33

ci-dessus) Le 5 deacutecembre 2008 date agrave laquelle le bureau des impocircts

ordonna au second requeacuterant au titre du redressement de verser ce montant

ainsi que la majoration drsquoimpocirct en question la proceacutedure peacutenale eacutetait deacutejagrave

bien avanceacutee (paragraphe 32 ci-dessus)

Ainsi il ressort des eacuteleacutements ci-dessus que depuis la plainte dont le fisc

avait saisi la police agrave lrsquoautomne 2007 et jusqursquoagrave la deacutecision de majoration

drsquoimpocirct prise le 5 deacutecembre 2008 la proceacutedure peacutenale et la proceacutedure

fiscale ont eacuteteacute conduites en parallegravele et eacutetaient imbriqueacutees Cette situation

est similaire agrave celle du premier requeacuterant

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 53

151 Il est vrai que comme lrsquoa releveacute la cour drsquoappel la peacuteriode de neuf

mois seacuteparant la date agrave laquelle la deacutecision prise par le fisc le 5 deacutecembre

2008 eacutetait devenue deacutefinitive et la date de la condamnation du second

requeacuterant par le tribunal drsquoOslo (le 30 septembre 2009) ndash eacutetait un peu plus

longue que la peacuteriode de deux mois et demi eacutecouleacutee dans le procegraves du

premier requeacuterant Toutefois comme la cour drsquoappel lrsquoa eacutegalement indiqueacute

(paragraphe 39 ci-dessus) cela srsquoexpliquait par la reacutetractation du second

requeacuterant en feacutevrier 2009 en conseacutequence de laquelle il avait fallu

lrsquoinculper de nouveau le 29 mai 2009 et le juger dans le cadre drsquoun procegraves

contradictoire ordinaire (paragraphes 34 et 35 ci-dessus) Cette circonstance

reacutesultat drsquoun revirement du second requeacuterant ne saurait suffire en

elle-mecircme agrave rompre le lien temporel unissant la proceacutedure fiscale et la

proceacutedure peacutenale En particulier le laps de temps suppleacutementaire qui srsquoeacutetait

eacutecouleacute avant lrsquoaudience au peacutenal ne saurait passer pour disproportionneacute ou

deacuteraisonnable agrave en juger par sa cause Il demeure et crsquoest ce qui importe

que comme dans le cas du premier requeacuterant la juridiction de jugement a

fixeacute la peine lors du procegraves peacutenal en tenant effectivement compte de la

majoration drsquoimpocirct (paragraphe 35 ci-dessus)

152 Degraves lors srsquoagissant du second requeacuterant la Cour ne voit pas non

plus de raison de mettre en doute les motifs pour lesquels les autoriteacutes

norveacutegiennes ont choisi de reacuteprimer au moyen drsquoune proceacutedure mixte

(administrative et peacutenale) inteacutegreacutee le comportement reacutepreacutehensible en cause

La possibiliteacute drsquoun cumul de diffeacuterentes peines eacutetait forceacutement preacutevisible au

vu des circonstances (paragraphes 13 et 32 ci-dessus) La proceacutedure

administrative et la proceacutedure peacutenale ont eacuteteacute conduites dans une large

mesure en parallegravele et elles eacutetaient imbriqueacutees (paragraphe 39 ci-dessus) Lagrave

encore les faits eacutetablis dans le cadre de lrsquoune de ces proceacutedures ont eacuteteacute

repris dans lrsquoautre et pour ce qui est de la proportionnaliteacute de la peine

globale la sanction peacutenale a eacuteteacute fixeacutee en tenant compte de la sanction

administrative (paragraphes 33 et 35 ci-dessus)

153 Compte tenu des faits porteacutes agrave sa connaissance la Cour conclut que

rien nrsquoindique que le second requeacuterant ait subi un preacutejudice disproportionneacute

ou une injustice en conseacutequence de la reacuteponse juridique inteacutegreacutee deacutenonceacutee

par lui apporteacutee agrave son absence de deacuteclaration de certains revenus et au non-

paiement de certains de ses impocircts Aussi eu eacutegard aux consideacuterations

exposeacutees ci-dessus (et notamment celles reacutesumeacutees aux

paragraphes 132-134) la Cour conclut-elle qursquoil existait entre la deacutecision de

majoration drsquoimpocirct et la condamnation peacutenale ulteacuterieure un lien tant

mateacuteriel que temporel suffisamment eacutetroit pour consideacuterer que ces mesures

srsquoinscrivaient dans le meacutecanisme inteacutegreacute de sanctions preacutevu par le droit

norveacutegien dans le cas ougrave une omission drsquoinformations dans une deacuteclaration

fiscale conduit agrave une erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct

54 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE

iii Conclusion geacuteneacuterale

154 Au vu de ce qui preacutecegravede aucun des deux requeacuterants ne peut passer

pour avoir eacuteteacute laquo poursuivi ou puni peacutenalement () en raison drsquoune

infraction pour laquelle il a[vait] deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute ou condamneacute par un

jugement deacutefinitif raquo au meacutepris de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 La Cour

conclut degraves lors agrave la non-violation de cette disposition en lrsquoespegravece et ce agrave

lrsquoeacutegard du premier requeacuterant comme du second

PAR CES MOTIFS LA COUR

1 Deacuteclare agrave lrsquounanimiteacute les requecirctes recevables

2 Dit par seize voix contre une qursquoil nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 4

du Protocole no 7 agrave la Convention dans le chef du premier et du second

requeacuterant

Fait en franccedilais et en anglais puis prononceacute en audience publique au

Palais des droits de lrsquohomme agrave Strasbourg le 15 novembre 2016

Lawrence Early Guido Raimondi

Jurisconsulte Preacutesident

Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la

Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute de lrsquoopinion seacutepareacutee du juge

Pinto de Albuquerque

GR

TLE

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 55

OPINION DISSIDENTE

DU JUGE PINTO DE ALBUQUERQUE

Table des matiegraveres

I ndash Introduction

Premiegravere partie

II - Fondements du principe ne bis in idem

A Bref rappel historique

a) Lrsquoeacutepoque romaine

b) Les Lumiegraveres

B Un principe de droit international coutumier

a) La consolidation universelle du principe

b) La consolidation europeacuteenne du principe

III - Les deacutefis contemporains du ne bis in idem

A Infractions administratives et politique peacutenale agrave deux vitesses

a) La tendance vers la politique de deacutepeacutenalisation

b) Lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk et la laquo peacutenalisation raquo des infractions mineures

B Les majorations drsquoimpocirct comme instrument de politique peacutenale

a) La nature peacutenale des majorations drsquoimpocirct

b) Lrsquoarrecirct Jussila et la ligne de deacutemarcation entre malum in se et

malum quia prohibitum

Seconde Partie

IV - Lrsquoheacuteritage pro persona de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine

A Le cumul des sanctions administratives et peacutenales

a) Lrsquoidem factum dans les proceacutedures administratives et peacutenales

b) La deacutecision deacutefinitive dans les proceacutedures administratives

B Les proceacutedures parallegraveles administratives et peacutenales (bis)

a) Un lien temporel suffisant

b) Un lien mateacuteriel suffisant

V - La reacutevision de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine

A La restriction de lrsquoidem factum par le critegravere du bis

a) La poursuite de buts diffeacuterents traitant drsquoaspects diffeacuterents de lrsquoacte

preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute

b) La preacutevisibiliteacute du cumul des diffeacuterentes sanctions

B La conception pro auctoritate du ne bis in idem de la majoriteacute

a) Absence de reacutepeacutetition de la collecte et de lrsquoappreacuteciation des preuves

b) Meacutecanisme de compensation entre les sanctions administratives et

peacutenales

VI ndash Conclusion

56 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

I ndash Introduction

1 Je ne peux souscrire ni au raisonnement ni aux conclusions de la

majoriteacute dans la preacutesente affaire Bien que cette affaire concerne

speacutecifiquement le cumul de majorations drsquoimpocirct appliqueacutees dans des

proceacutedures fiscales et de sanctions appliqueacutees en parallegraveles dans des

proceacutedures peacutenales la Grande Chambre a deacutelibeacutereacutement eacutetendu la porteacutee de

lrsquoespegravece au problegraveme juridique plus geacuteneacuteral des laquo proceacutedures peacutenales et

administratives mixtes raquo1 Le but eacutevident de la Grande Chambre est drsquoeacutetablir

un principe de droit europeacuteen des droits de lrsquohomme applicable agrave toutes les

affaires de cumul de proceacutedures peacutenale et administrative Le problegraveme est

que le raisonnement de la Grande Chambre est bacirccleacute La description

impreacutecise des conditions requises pour le cumul des sanctions

administrative et peacutenale et lrsquoapplication superficielle de ces conditions au

cadre juridique et agrave la pratique norveacutegiens laissent une impression

persistante de leacutegegravereteacute dans la motivation

2 Dans la premiegravere partie de cette opinion je traiterai des fondements

oublieacutes du principe ne bis in idem crsquoest-agrave-dire ses racines historiques en

tant que garantie individuelle et sa reconnaissance progressive comme

principe de droit international coutumier Par la suite je preacutesenterai les deacutefis

contemporains auxquels fait face ce principe dans le champ des infractions

administratives et particuliegraverement des infractions fiscales et la reacuteponse

heacutesitante de la part de la Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme (laquo la

Cour raquo) Dans la seconde partie de lrsquoopinion jrsquoeacutevaluerai lrsquoheacuteritage pro

persona de lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine2 et confronterai la posture pro

auctoritate de la majoriteacute dans la preacutesente affaire avec les solutions reacutecentes

de la Cour et de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne dans le champ des

infractions fiscales3 des infractions boursiegraveres4 et des infractions

douaniegraveres5 Enfin je deacutemontrerai les lacunes de la solution de la majoriteacute

en me fondant sur une discussion en profondeur des buts et des eacuteleacutements des

infractions peacutenales et administratives en jeu des diffeacuterentes regravegles de

preuve applicables en droit administratif et en droit peacutenal norveacutegien et des

traits speacutecifiques du meacutecanisme de compensation que fourniraient le droit

interne substantiel et la jurisprudence Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede je

conclurai qursquoil y a eu une violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

1 Voir le paragraphe 132 crucial de lrsquoarrecirct

2 Sergueiuml Zolotoukhine c Russie [GC] ndeg 1493903 sectsect 82 et 84 CEDH 2009

3 Hans Aringkeberg Fransson (C-617frasl10 arrecirct de la Grande Chambre de la CJUE 26 feacutevrier

2013 et Lucky Dev c Suegravede ndeg 735610 sect 58 27 novembre 2014

4 Grande Stevens et autres c Italie nos 1864010 1864710 1866310 1866810 et

1869810 4 mars 2014

5 Kapetanios et autres c Gregravece nos 345312 4294112 et 902813 sect72 30 avril 2015 et

Sismanidis et Sitaridis c Gregravece nos 6660209 et 7187912 9 juin 2016

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 57

Premiegravere partie

II - Fondements du principe ne bis in idem

A Bref rappel historique

a) Lrsquoeacutepoque romaine

3 La maxime ne bis in idem eacutetait respecteacutee durant la Reacutepublique

romaine et le Principat bien que fussent preacutevues certaines exceptions tireacutees

de nouvelles proceacutedures pour les mecircmes crimes contre des accuseacutes deacutejagrave

acquitteacutes6 Initialement durant la peacuteriode des legis actiones la maxime

signifiait que bis de eadem res ne sic actio agrave savoir que le deacuteclenchement

drsquoune certaine action avait pour conseacutequence lrsquoextinction du droit respectif

qui entravait le deacuteclenchement de nouvelles actiones mecircme lorsqursquoaucune

deacutecision sur le fond nrsquoavait eacuteteacute rendue Pour limiter lrsquoimpact de cette

maxime lrsquoexceptio rei judiciatae fut introduite qui eacutetait deacutependante drsquoune

deacutecision preacutealable sur le fond Lrsquoexceptio faisait obstacle au bis in eadem

sans consideacuteration pour le fait que le jugement preacutealable ait abouti agrave un

acquittement ou une condamnation Dans les deux cas lrsquoautoritas rerum

judicatarum emportait extinction de lrsquoaction peacutenale La porteacutee de cette

maxime eacutetait limiteacutee par lrsquoobjet de lrsquoaction peacutenale preacutealable tantum

consumptum quantum judiciatum tantum judiciatum quantum litigatum

Lrsquoeadem quaestio eacutetait deacutefinie par le mecircme fait idem factum7

4 Dans le droit justinien la preacutesomption de veacuteriteacute des deacutecisions des

juridictions devint la nouvelle logique de la maxime Ulpien fut le premier agrave

formuler la maxime res iudicata pro veritate accipitur (D 50 17 207)

Avec lrsquoeacutemergence de la proceacutedure inquisitoire et du raisonnement juridique

syllogistique la logique de la codification impeacuteriale ndash lrsquoautoriteacute de la

juridiction et lrsquoinfaillibiliteacute de ses conclusions ndash eut un impact neacutegatif sur la

dimension individuelle de la maxime Dans la logique de la nouvelle

proceacutedure inquisitoire la reacuteouverture autrefois exceptionnelle drsquoune

proceacutedure peacutenale pour les mecircmes faits en droit romain devint un simple

exemple de la maxime absolutio pro nunc rebus sic stantibus qui en fait

reconnaissait la nature transitoire du jugement peacutenal dans la poursuite de la

6 Sur le deacutebat historique voir Laurens De lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee consideacutereacutee comme

mode drsquoextinction de lrsquoaction publique Paris 1885 Mommsen Roumlmisches Strafrecht

Aaalen 1899 Arturo Rocco Trattato della Cosa Giudicata Come Causa di Estinzione

dellrsquoAzione Penale Rome 1900 Danan La regravegle non bis in idem en droit peacutenal franccedilais

Rennes 1971 Spinellis Die materielle Rechtskraft des Strafurteils Munich 1962

Mansdoumlrfer Das Prinzip des ne bis in idem im europaumlischen Strafrecht Berlin 2004 et

Lelieur-Fischer La regravegle ne bis in idem Du principe de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee au

principe drsquouniciteacute drsquoaction reacutepressive Eacutetude agrave la lumiegravere des droits franccedilais allemand et

europeacuteen Paris 2005

7 Laurens preacuteciteacute p 50-51 Arturo Rocco preacuteciteacute p 76 et Mommsen preacuteciteacute p 450

58 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

veacuteriteacute Par exemple en France drsquoapregraves la regravegle du laquo plus amplement

informeacute raquo en lrsquoabsence de preuve empiriques de lrsquoinnocence de lrsquoaccuseacute

lrsquoacquittement avait une nature transitoire et pouvait ecirctre renverseacute agrave tout

moment par une nouvelle preuve incriminante La mecircme chose est apparue

en Italie ougrave lrsquoaccuseacute eacutetait acquitteacute de lrsquoobservation du tribunal (At in casu

quo reus absoluendus est ab observatione iudici) sous la reacuteserve laquo tant que

les choses restent telles qursquoelles sont raquo (stantibus rebus prout stant) la

proceacutedure pouvant ecirctre rouverte degraves lors que de nouvelles preuves

apparaissaient (supervenient nova indicia)

b) Les Lumiegraveres

5 Les Lumiegraveres renouvelegraverent la dimension individuelle du ne bis in

eadem qui fut incluse agrave lrsquoarticle 8 du chapitre V du titre II de la

Constitution franccedilaise de 1791 (laquo tout homme acquitteacute par un jury leacutegal ne

peut plus ecirctre repris ni accuseacute agrave raison du mecircme fait raquo) et aux articles 246 et

360 du Code drsquoinstruction criminelle de 1808 La conseacutequence pratique de

ces dispositions fut la suppression de la tristement ceacutelegravebre regravegle du laquo plus

amplement informeacute raquo De lrsquoautre cocircteacute de lrsquooceacutean Atlantique la mecircme anneacutee

le Cinquiegraveme Amendement agrave la Constitution des Eacutetats-Unis introduisit une

prohibition de la double incrimination dans la proceacutedure peacutenale (laquo nor shall

any person be subject for the same offense to be twice put in jeopardy of life

or limb raquo) qui comprend lrsquointerdiction des poursuites subseacutequentes agrave un

acquittement ou agrave une condamnation et des peines multiples pour la mecircme

infraction8 Lrsquoamendement visait agrave empecirccher un criminel aussi bien drsquoecirctre

puni deux fois pour la mecircme infraction que drsquoecirctre deux fois traduit en

justice pour celle-ci Lorsque la condamnation eacutetait invalideacutee pour une

erreur la peine deacutejagrave effectueacutee devait ecirctre entiegraverement laquo creacutediteacutee raquo agrave la peine

relative agrave une nouvelle condamnation pour la mecircme infraction9

B Un principe de droit international coutumier

a) La consolidation universelle du principe

6 Ainsi que le montre la pratique bien eacutetablie et quasi-universelle des

Eacutetats le fait que la preacuterogative eacutetatique de poursuivre juger et punir lrsquoauteur

drsquoun fait deacutelictueux srsquoeacuteteint (Strafklageverbrauch) lorsque celui-ci a eacuteteacute

acquitteacute ou reconnu coupable de lrsquoinfraction par une deacutecision deacutefinitive

adopteacutee dans une proceacutedure peacutenale (le principe de lrsquoeacutepuisement de la

proceacutedure ou Erledigungsprinzip) est un principe de droit international

coutumier10 Le principe est indeacutependant de toute condition relative agrave

8 North Carolina c Pearce 395 US 711 p 717 (1969)

9 Ibidem p 718

10 Pour la pratique constitutionnelle voir Bassiouni Human Rights in the Context of

Criminal Justice Identifying International Procedural Protection and Equivalent

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 59

lrsquoimposition de la peine ou agrave son exeacutecution Lorsque ce principe ne

srsquoapplique pas comme dans le cas de lrsquointerdiction du double chacirctiment

sans interdiction de nouvelles poursuites ou de nouveau jugement toute

sanction anteacuterieure doit ecirctre prise en consideacuteration dans lrsquoimposition de la

peine subseacutequente pour le mecircme fait (principe de deacuteduction ou

Anrechnungprinzip)

7 Le principe de lrsquoeacutepuisement de la proceacutedure (Erledigungsprinzip) est

affirmeacute par lrsquoarticle 14 (7) du Pacte international relatif aux droits civils et

politiques de 1966 (laquo poursuivi ou puni raquo) (laquo le PIDCP raquo)11 lrsquoarticle 8 (4)

de la Convention ameacutericaine relative aux droits de lrsquohomme de 1969 (laquo agrave

nouveau poursuivi raquo) lrsquoarticle 75 (4) h) du Protocole additionnel de 1977

aux Conventions de Genegraveve du 12 aoucirct 1949 relatif agrave la protection des

victimes des conflits armeacutes internationaux (laquo poursuivie ou punie raquo)

lrsquoarticle 10 (1) du Statut du Tribunal peacutenal international pour

lrsquoex-Yougoslavie de 1993 (laquo traduit raquo)12 lrsquoarticle 9 (1) du Statut du Tribunal

peacutenal international pour le Rwanda de 1994 (laquo traduit raquo)13 lrsquoarticle 20 (2)

du Statut de la Cour peacutenale internationale de 1998 (laquo condamneacute ou

acquitteacute raquo) et lrsquoarticle 9 (1) du Statut du Tribunal speacutecial pour la Sierra

Leone (laquo traduit raquo) de 200214 et lrsquoarticle 19 (1) de la Chartre Arabe des

droits de lrsquohomme de 2004 Lrsquoarticle 86 de la Troisiegraveme Convention de

Genegraveve de 1949 (laquo puni raquo) et lrsquoarticle 117 (3) de la Quatriegraveme Convention

de Genegraveve de 1949 (laquo puni raquo) ne vont pas aussi loin puisqursquoils nrsquointerdisent

qursquoune nouvelle peine mais ils ne font aucune reacutefeacuterence au principe de

deacuteduction

b) La consolidation europeacuteenne du principe

8 Au sein du Conseil de lrsquoEurope le principe ne bis in idem est

initialement apparu comme motif drsquoexclusion obligatoire ou optionnelle de

la coopeacuteration en matiegravere peacutenale entre Eacutetats Constituent des exemples de

Protections in National Constitutions 1993 3 Duke Journal of Comparative amp

International Law p 247

11 Voir lrsquoObservation Geacuteneacuterale du Comiteacute des droits de lrsquohomme ndeg32 article 14 Droit agrave

lrsquoeacutegaliteacute devant les tribunaux et les cours de justice et agrave un procegraves eacutequitable 23 aoucirct 2007

CCPRCGC32 sectsect 54-57

12 laquo Pour deacutecider de la peine agrave infliger agrave une personne condamneacutee pour un crime viseacute par

le preacutesent statut le Tribunal international tient compte de la mesure dans laquelle cette

personne a deacutejagrave purgeacute toute peine qui pourrait lui avoir eacuteteacute infligeacutee par une juridiction

nationale pour le mecircme fait raquo

13 laquo Pour deacutecider de la peine agrave infliger agrave une personne condamneacutee pour un crime viseacute par

le preacutesent statut le Tribunal international pour le Rwanda tient compte de la mesure dans

laquelle cette personne a deacutejagrave purgeacute toute peine qui pourrait lui avoir eacuteteacute infligeacutee par une

juridiction nationale pour le mecircme fait raquo

14 laquo Pour deacutecider de la peine agrave infliger agrave une personne condamneacutee pour un crime viseacute par

le preacutesent Statut le Tribunal speacutecial tient compte de la mesure dans laquelle cette personne

a deacutejagrave purgeacute une peine qui pourrait lui avoir eacuteteacute infligeacutee par une juridiction nationale pour

le mecircme fait raquo

60 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

cette approche limiteacutee lrsquoarticle 9 de la Convention europeacuteenne drsquoextradition

de 195715 lrsquoarticle 9 de la Convention europeacuteenne pour la reacutepression des

infractions routiegraveres de 196216 lrsquoarticle 2 du Protocole additionnel agrave la

Convention europeacuteenne drsquoextradition de 197517 lrsquoarticle 8 de la Convention

sur le transfegraverement des personnes condamneacutees de 198318 lrsquoarticle 2 (4) de

lrsquoAccord relatif au trafic illicite par mer de 1995 mettant en œuvre lrsquoarticle

17 de la Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupeacutefiants

et de substances psychotropes19 et lrsquoarticle 28 (1) f) de la Convention du

Conseil de lrsquoEurope relative au blanchiment au deacutepistage agrave la saisie et agrave la

confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme de

200520

9 Plus reacutecemment le principe de lrsquoeacutepuisement de la proceacutedure

(Erledigungsprinzip) a eacuteteacute affirmeacute par lrsquoarticle 53 de la Convention

europeacuteenne sur la valeur internationale des jugements reacutepressifs de 1970

(laquo ne peut pour le mecircme fait ecirctre poursuivie condamneacutee ou soumise agrave

lrsquoexeacutecution drsquoune sanction raquo)21 lrsquoarticle 35 de la Convention europeacuteenne sur

la transmission des proceacutedures reacutepressives de 1972 (laquo ne peut pour le mecircme

fait ecirctre poursuivie condamneacutee ou soumise agrave lrsquoexeacutecution drsquoune sanction raquo)

22 et lrsquoarticle 17 de la Convention europeacuteenne sur les infractions visant des

biens culturels de 1985 (laquo ne peut pour le mecircme fait ecirctre poursuivie

condamneacutee ou soumise agrave lrsquoexeacutecution drsquoune sanction raquo) 23 Dans ces cas de

figure lorsque le ne bis in idem ne srsquoapplique pas le principe de deacuteduction

doit ecirctre proteacutegeacute en tant que garantie de dernier ressort Lrsquoarticle 25 de la

Convention du Conseil de lrsquoEurope de 2005 sur la lutte contre la traite des

ecirctres humains eacutetablit seulement le principe de deacuteduction24

10 La Recommandation 791 (1976) de lrsquoAssembleacutee Parlementaire du

Conseil de lrsquoEurope sur la protection des droits de lrsquohomme en Europe

exhortait le Comiteacute des Ministres agrave laquo srsquoefforcer drsquoinseacuterer le plus grand

nombre possible de dispositions positives du Pacte des Nations Unies dans

la Convention europeacuteenne des Droits de lrsquoHomme raquo Lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 a ainsi eacuteteacute approuveacute en 198425 sous lrsquoinfluence directe de

15 STE ndeg 24

16 STE ndeg 52

17 STE ndeg 86

18 STE ndeg 112

19 STE ndeg 156

20 STCE ndeg 198

21 STE ndeg 70 Lorsque ce principe ne srsquoapplique pas lrsquoarticle 54 preacutevoit lrsquoapplication du

principe de deacuteduction pour les peines de prison

22 STE ndeg 73 Lorsque ce principe ne srsquoapplique pas lrsquoarticle 36 preacutevoit lrsquoapplication du

principe de deacuteduction pour les peines de prison

23 STE ndeg 119 Lorsque ce principe ne srsquoapplique pas lrsquoarticle 18 preacutevoit lrsquoapplication du

principe de deacuteduction pour les peines de prison

24 STCE ndeg 197

25 STE ndeg 117 Il est entreacute en vigueur le 1er novembre 1988

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 61

lrsquoarticle 17 (7) du PIDCP La nouveauteacute majeure eacutetait la nature non

susceptible de deacuterogation du principe europeacuteen

11 Au sein de lrsquoUnion europeacuteenne le principe de lrsquoeacutepuisement de la

proceacutedure (Erledigungsprinzip) est affirmeacute agrave lrsquoarticle 1 de la Convention

entre les Eacutetats membres des communauteacutes europeacuteennes relative agrave

lrsquoapplication du principe ne bis in idem de 1987 (laquo ne peut pour les mecircmes

faits ecirctre poursuivie raquo)26 lrsquoarticle 54 de la Convention drsquoapplication de

lrsquoAccord de Schengen (laquo la CAAS raquo) de 1990 (laquo ne peut pour les mecircmes

faits ecirctre poursuivie raquo)27 lrsquoarticle 7 de la Convention relative agrave la protection

des inteacuterecircts financiers des Communauteacutes europeacuteennes de 1995 (laquo ne peut

ecirctre poursuivie raquo)28 lrsquoarticle 10 de la Convention contre la corruption

impliquant des fonctionnaires communautaires ou nationaux de 1997 (laquo ne

peut ecirctre poursuivie raquo) 29 lrsquoarticle 2(1) du regraveglement de la Banque centrale

europeacuteenne no 21571999 concernant les pouvoirs de la Banque centrale

europeacuteenne en matiegravere de sanctions (laquo Il nrsquoy a lieu drsquoengager qursquoune seule

proceacutedure drsquoinfraction contre une mecircme entreprise sur la base des mecircmes

faits raquo) lrsquoarticle 50 de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion

europeacuteenne (laquo la Charte raquo) de 2000 (laquo poursuivi ou puni raquo) et lrsquoinitiative de

la Reacutepublique helleacutenique concernant lrsquoadoption par le Conseil drsquoun projet de

deacutecision-cadre relative agrave lrsquoapplication du principe non bis in idem de 2003

(laquo nul ne peut ecirctre poursuivi ou jugeacute deux fois pour les mecircmes actes raquo)30

12 La Charte a changeacute radicalement les obligations juridiques des Eacutetats

membres de lrsquoUnion europeacuteenne auxquels elle srsquoapplique Puisque le droit

de ne pas ecirctre poursuivi ou puni peacutenalement deux fois pour une mecircme

infraction est eacutetabli agrave lrsquoarticle 54 de la CAAS et agrave lrsquoarticle 50 de la Charte

lrsquoarticle 54 doit ecirctre interpreacuteteacute agrave la lumiegravere de lrsquoarticle 5031 Agrave la lumiegravere de

26 Lrsquoarticle 3 eacutetablit un principe de deacuteduction pour les peines de prison ainsi que pour les

peines non privatives de liberteacute

27 Lorsque ce principe ne srsquoapplique pas lrsquoarticle 56 preacutevoit lrsquoapplication du principe de

deacuteduction pour les peines de prison ainsi que pour les peines non privatives de liberteacute Les

articles 54 et 57 de la Convention drsquoapplication de lrsquoAccord de Schengen ont repris la

Convention entre les Eacutetats membres des communauteacutes europeacuteennes relative agrave lrsquoapplication

du principe ne bis in idem Le Traiteacute drsquoAmsterdam a incorporeacute le ne bis in idem dans le

troisiegraveme pilier Agrave partir de ce moment le principe est devenu lrsquoun des objectifs de lrsquoespace

commun de liberteacute seacutecuriteacute et justice Voir eacutegalement le Programme de mesures destineacute agrave

mettre en œuvre le principe de reconnaissance mutuelle des deacutecisions peacutenales

(2001C 12frasl02) et le Livre vert de la Commission sur les conflits de compeacutetences et le

principe ne bis in idem dans le cadre des proceacutedures peacutenales (COM(2005) 696 final)

28 Acte du Conseil du 26 juillet 1995

29 Acte du Conseil du 26 mai 1997 Lrsquoarticle 10 preacutevoit lrsquoapplication du principe de

deacuteduction pour les peines de prison ainsi que pour les peines non privatives de liberteacute

30 Lrsquoarticle 3 contient des regravegles de lis pendens Lrsquoarticle 5 preacutevoit lrsquoapplication du

principe de deacuteduction incluant toutes les sanctions autres que la privation de liberteacute qui

pourraient ecirctre imposeacutees et les sanctions imposeacutees dans le cadre des proceacutedures

administratives

31 Voir paragraphe 35 de lrsquoarrecirct du 5 juin 2014 dans lrsquoaffaire M (C‑398frasl12)

62 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

lrsquoarticle 52 (3) de la Charte dans la mise en œuvre des droits et liberteacutes

issus de la Charte qui correspondent aux droits et liberteacutes garantis par la

Convention europeacuteenne des droits de lrsquoHomme (laquo la Convention raquo) et ses

Protocoles les Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne sont tenus par le sens

et la porteacutee de ces droits et liberteacutes eacutetablis par ladite Convention et ses

Protocoles tels qursquointerpreacuteteacutes par la Cour32 quand bien mecircme ils nrsquoauraient

pas ratifieacute ces protocoles Crsquoest eacutegalement le cas pour lrsquoarticle 50 de la

Charte et en conseacutequence lrsquoarticle 54 de la CAAS qui eacutevidemment doit ecirctre

interpreacuteteacute agrave la lumiegravere de la jurisprudence de la Cour relative agrave lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 mecircme agrave lrsquoeacutegard des Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne

qui ne lrsquoauraient pas ratifieacute

13 En outre le principe ne bis in idem a eacuteteacute instaureacute comme un motif

drsquoexclusion de la coopeacuteration en matiegravere peacutenale dans plusieurs instruments

tels que lrsquoarticle 3(2) de la Deacutecision-cadre relative au mandat drsquoarrecirct

europeacuteen de 200233 lrsquoarticle 7 (1) c) de la Deacutecision-cadre relative agrave

lrsquoexeacutecution dans lrsquoUnion europeacuteenne des deacutecisions de gel de biens ou

drsquoeacuteleacutements de preuve de 200334 lrsquoarticle 8 (2) b) de la Deacutecision-cadre

relative agrave lrsquoapplication du principe de reconnaissance mutuelle aux

deacutecisions de confiscation de 200635 lrsquoarticle 11 (1) c) de la Deacutecision-cadre

concernant lrsquoapplication du principe de reconnaissance mutuelle aux

jugements et aux deacutecisions de probation aux fins de la surveillance des

mesures de probation et des peines de substitution de 200836

lrsquoarticle 13 (1) a) de la Deacutecision-cadre relative au mandat europeacuteen

drsquoobtention de preuves visant agrave recueillir des objets des documents et des

donneacutees en vue de leur utilisation dans le cadre de proceacutedures peacutenales de

200837 lrsquoarticle 15 (1) c) de la Deacutecision-cadre concernant lrsquoapplication

entre les Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne du principe de

reconnaissance mutuelle aux deacutecisions relatives agrave des mesures de controcircle

en tant qursquoalternative agrave la deacutetention provisoire de 200938 et lrsquoarticle 1 (2) a)

de la Deacutecision-cadre relative agrave la preacutevention et au regraveglement des conflits en

matiegravere drsquoexercice de la compeacutetence dans le cadre des proceacutedures peacutenales

de 200939

32 Voir Note du Praesidium de la Convention Explications relatives agrave la Charte des

droits fondamentaux (Bruxelles 11 octobre 2000) laquo La reacutefeacuterence agrave la CEDH vise agrave la fois

la Convention et ses Protocoles Le sens et la porteacutee des droits garantis sont deacutetermineacutes non

seulement par le texte de ces instruments mais aussi par la jurisprudence de la Cour

europeacuteenne des droits de lrsquohomme et par la Cour de justice des Communauteacutes

europeacuteennes raquo

33 Deacutecision-cadre du Conseil 2002584JAI du 13 juin 2002

34 Deacutecision-cadre du Conseil 2003577JAI du 22 juillet 2003

35 Deacutecision-cadre du Conseil 2006783JAI du 6 octobre 2006

36 Deacutecision-cadre du Conseil 2008947JAI du 27 novembre 2008

37 Deacutecision-cadre du Conseil 2008978JAI du 18 deacutecembre 2008

38 Deacutecision-cadre du Conseil 2009829JAI du 23 octobre 2009

39 Deacutecision-cadre du Conseil 2009948JAI du 30 novembre 2009

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 63

Enfin lrsquoarticle 6 du Regraveglement no 298895 relatif agrave la protection des

inteacuterecircts financiers des Communauteacutes europeacuteennes eacutetablit le principe selon

lequel le peacutenal tient lrsquoadministratif coupleacute au principe de deacuteduction

14 Dans lrsquoaregravene judiciaire la Cour de Justice de lrsquoUnion europeacuteenne

(laquo la CJUE raquo) a dit dans lrsquoaffaire Walt Wilhelm et autres

c Bundeskartellamt que des sanctions concurrentes pouvaient ecirctre

imposeacutees dans deux proceacutedures parallegraveles poursuivant des objectifs

diffeacuterents En droit de la concurrence la possibiliteacute qursquoun ensemble de faits

soit soumise agrave deux proceacutedures parallegraveles lrsquoune communautaire et lrsquoautre

nationale deacuterive du systegraveme speacutecifique de reacutepartition des compeacutetences entre

les Communauteacutes et les Eacutetats membres agrave lrsquoeacutegard des ententes Si cependant

la possibiliteacute que deux proceacutedures se deacuteroulent seacutepareacutement devait conduire agrave

lrsquoimposition de sanctions conseacutecutives une exigence geacuteneacuterale de justice

naturelle demanderait que toute deacutecision punitive anteacuterieure soit prise en

compte dans la deacutetermination de toute sanction imposeacutee40

Par la suite la CJUE a deacuteveloppeacute plus avant sa jurisprudence dans le

cadre du troisiegraveme pilier sur le bis (Goumlzuumltok et Bruumlgge41 Miraglia42

Van Straaten43 Turanskyacute44 M45 Kussowski46) sur lrsquoidem (Van Esbroeck47

Van Straaten48 Gasparini49 Kretzinger50 Kraaijenbrink51 et Gasparini52)

et sur la clause drsquoexeacutecution (Klaus Bourquain53 Kretzinger54 et Spasic55)

Dans le domaine du droit fiscal lrsquoarrecirct fondamental est celui rendu dans

lrsquoaffaire Hans Aringkeberg Fransson qui est parvenu agrave la conclusion suivante

laquo Ce nrsquoest que lorsque la sanction fiscale revecirct un caractegravere peacutenal au sens

de lrsquoarticle 50 de la Charte et est devenue deacutefinitive que ladite disposition

srsquooppose agrave ce que des poursuites peacutenales pour les mecircmes faits soient

diligenteacutees contre une mecircme personne raquo56 En refusant la thegravese de lrsquoAvocat

Geacuteneacuteral baseacutee sur le principe de deacuteduction57 la Cour de Luxembourg a

40 Affaire 14frasl68 13 feacutevrier 1969 sect 11

41 Affaire C-187frasl01 et Affaire C-38501 11 feacutevrier 2003

42 Affaire C-469frasl03 10 mars 2005

43 Affaire C-150frasl05 28 septembre 2006

44 Affaire C-491frasl07 22 deacutecembre 2008

45 Affaire C‑398frasl12 5 juin 2014

46 Affaire C-486frasl14 29 juin 2016

47 Affaire C-436frasl04 9 mars 2006

48 Affaire preacuteciteacutee

49 Affaire C-467frasl04 28 septembre 2006

50 Affaire C-288frasl05 18 juillet 2007

51 Affaire C-367frasl05 18 juillet 2007

52 Affaire preacuteciteacutee

53 Affaire C-297frasl07 11 deacutecembre 2008

54 Affaire C-288frasl05 18 juillet 2007

55 Affaire C-129frasl14 PPU 27 mai 2014

56 Hans Aringkeberg Fransson preacuteciteacute sectsect 34 et 37

57 Aux paragraphes 86 et 87 de ses conclusions lrsquoAvocat Geacuteneacuteral plaidait pour une

laquo interpreacutetation partiellement autonome raquo de lrsquoarticle 50 arguant qursquoil existait une tradition

64 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

deacutecideacute dans un remarquable mouvement de convergence avec la Cour de

Strasbourg que la combinaison de sanctions fiscales de nature peacutenale

conformeacutement aux critegraveres Engel et de sanctions peacutenales constituerait une

violation de lrsquoarticle 50 de la Charte58

15 En reacutesumeacute la reacutecurrence de la preacutesence du principe ne bis in idem agrave

la fois en droit international et interne et dans la jurisprudence teacutemoigne de

la reconnaissance drsquoun principe de droit international coutumier59 Le

principe de lrsquoeacutepuisement de la proceacutedure (Erledigungsprinzip) est largement

preacutedominant en droit international au niveau universel comme europeacuteen

mais le principe de deacuteduction trouve eacutegalement une reconnaissance dans

une conception eacutetroite au sein du Conseil de lrsquoEurope (deacuteduction des peines

de prison) et dans une conception plus large au sein de lrsquoUnion europeacuteenne

(deacuteduction des peines de prison et prise en compte des sanctions non

privatives de liberteacute)

III - Les deacutefis contemporains du ne bis in idem

A Infractions administratives et politique peacutenale agrave deux vitesses

a) La tendance vers la politique de deacutepeacutenalisation

16 La deacutepeacutenalisation est une tendance plus que bienvenue du droit peacutenal

en Europe depuis les anneacutees 196060 Les infractions administratives sont un

instrument rationnel de deacutesencombrement en politique peacutenale Cette

tendance se caracteacuterise freacutequemment par le transfert drsquoinfractions peacutenales

moins preacutejudiciables agrave la socieacuteteacute telles que les infractions routiegraveres dans le

champ du droit administratif dans lequel les garanties substantielles et

proceacutedurales ne sont pas les mecircmes que dans le droit peacutenal et la proceacutedure

constitutionnelle commune aux Eacutetats membres opposeacutee agrave la lecture actuelle de lrsquoarticle 4

du Protocole ndeg 7 par la Cour de Strasbourg qui laquo se heurte agrave la forte preacutesence et agrave

lrsquoenracinement des systegravemes de double sanction administrative et peacutenale des Eacutetats

membres raquo

58 Crsquoest exactement la lecture de lrsquoarrecirct Fransson faite par la Cour dans les arrecircts preacuteciteacutes

Grande Stevens et autres sect 229 Kapetanios et autres sect 73 et Sismanidis et Sitaridis sect 73

59 Voir parmi de multiples sources drsquoopinio iuris agrave cet eacutegard les conclusions de

lrsquoAssociation internationale de droit peacutenal (laquo lrsquoAIDP raquo) XIVe Congregraves international de droit

peacutenal octobre 1989 (laquo Dans le cas ougrave un acte relegraveve des deux qualifications peacutenale et

administrative le deacutelinquant ne devrait pas ecirctre puni deux fois En cas de poursuites

successives il devrait ecirctre pleinement tenu compte de toute sanction deacutejagrave prononceacutee pour le

mecircme acte raquo et XVIIe Congregraves international de droit peacutenal septembre 2004 (laquo Le cumul

des proceacutedures et des sanctions de nature peacutenale doit ecirctre eacuteviteacute dans tous les cas raquo)

Principe 9 des Principes de Princeton sur la compeacutetence universelle de 2001 et Anke

Biehler et autres (dir de publ) Freiburg Proposal on Concurrent Jurisdictions and the

Prohibition of Multiple Prosecutions in the European Union 2003

60 AIDP XIVe Congregraves international preacuteciteacute laquo Cette deacutepeacutenalisation est souhaitable dans

la mesure ougrave elle est en harmonie avec le principe de subsidiariteacute de la loi peacutenale raquo

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 65

peacutenale classiques Les infractions administratives sont freacutequemment

formuleacutees en des termes larges et ouverts et les amendes administratives

(Geldbusse) en sont la forme privileacutegieacutee de sanction Lrsquoemprisonnement

nrsquoest pas une alternative agrave lrsquoamende (Ersatzfreiheitsstrafe) comme crsquoest le

cas en droit peacutenal et aucune contrainte par corps (Erzwingungshaft) ne peut

ecirctre ordonneacutee agrave moins que la personne concerneacutee nrsquoait manqueacute agrave son

obligation de paiement des sommes dues sans avoir fait eacutetablir son

incapaciteacute agrave srsquoen acquitter Les sanctions administratives ne sont pas

enregistreacutees au casier judiciaire national mais seulement dans certaines

circonstances dans certains dossiers administratifs sectoriels tel que le

registre des infractions routiegraveres Normalement les infractions

administratives font lrsquoobjet drsquoune proceacutedure simplifieacutee et drsquoune sanction

prononceacutee par des autoriteacutes administratives sauf si elles donnent

ulteacuterieurement lieu agrave un recours en justice Dans de nombreux cas la

poursuite des infractions administratives relegraveve du pouvoir discreacutetionnaire

des autoriteacutes administratives compeacutetentes Les regravegles geacuteneacuterales de la

proceacutedure peacutenale ne sont en principe applicables que par analogie De plus

courts deacutelais de prescriptions srsquoappliquent aux infractions administratives

par rapports aux infractions peacutenales

17 Le brouillage de la ligne de deacutemarcation entre droit peacutenal et droit

administrative a ses propres risques Des comportements gravement

preacutejudiciables agrave la socieacuteteacute sont eux aussi devenus lrsquoobjet du droit

administratif particuliegraverement lorsqursquoils impliquent le traitement massif de

donneacutees agrave lrsquoinstar du droit fiscal ou un niveau drsquoexpertise hautement

qualifieacutee comme en droit de la concurrence61 et en droit boursier ou des

valeurs mobiliegraveres62

b) Lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk et la laquo peacutenalisation raquo des infractions mineures

18 Depuis longtemps la jurisprudence de la Cour indique que les

infractions administratives entrent dans le champ de son controcircle sous

lrsquoeacutegide des garanties de lrsquoarticle 6 Sur la base des critegraveres Engel63 la Cour a

reacuteaffirmeacute maintes et maintes fois qursquoune conduite passible de sanctions

administratives devait beacuteneacuteficier des garanties proceacutedurales de lrsquoarticle 6

indiffeacuteremment de la nature personnelle ou collective de lrsquointeacuterecirct juridique

proteacutegeacute par la norme violeacutee64 du relatif manque de graviteacute de la peine65 et

61 A Menarini Diagnostics SRL c Italie ndeg 4350908 27 septembre 2011

62 Grande Stevens et autres preacuteciteacute

63 Engel et autres c Pays-Bas 8 juin 1976 seacuterie A ndeg 22

64 Oumlztuumlrk c Allemagne 21 feacutevrier 1984 sect 53 seacuterie A ndeg 73 laquo Il importe peu de savoir si

la disposition leacutegale meacuteconnue par M Oumlztuumlrk vise agrave proteacuteger les droits et inteacuterecircts drsquoautrui

ou seulement agrave satisfaire aux exigences de la circulation raquo

65 Ibidem sect 54 laquo La faiblesse relative de lrsquoenjeu (hellip) ne saurait retirer agrave une infraction

son caractegravere peacutenal intrinsegraveque raquo Voir aussi Lutz c Allemagne 25 aoucirct 1987 sect 55 seacuterie A

ndeg 123 et Jussila c Finlande [GC] ndeg 7305301 sect 31 CEDH 2006-XIII

66 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

du fait que la peine nrsquoait que peu de chance de leacuteser la reacuteputation du

coupable66 Sinon une telle privation de garanties proceacutedurales contredirait

le but de lrsquoarticle 667

19 Dans lrsquoaffaire Oumlztuumlrk68 la Cour a invoqueacute trois arguments cruciaux

pour se placer agrave contre-courant de la deacutepeacutenalisation et faire droit agrave la thegravese

selon laquelle lrsquoinfraction administrative en cause une infraction routiegravere

eacutetait de nature laquo peacutenale raquo aux fins de lrsquoarticle 6 le sens ordinaire des

termes la punition de la conduite incrimineacutee par le droit peacutenal dans laquo une

large majoriteacute des Eacutetats contractants raquo et la porteacutee geacuteneacuterale de la norme

violeacutee une norme de circulation routiegravere69 Agrave y regarder de plus pregraves aucun

de ces arguments nrsquoest convaincant Il est difficile drsquoeacutetablir une ligne de

deacutemarcation entre les infractions administratives et peacutenales sur la base du

laquo sens ordinaire des termes raquo quoique la Cour veuille dire par cela En

outre srsquoil est vrai que le consensus europeacuteen est certainement un argument

deacutecisif pour la peacutenalisation drsquoun acte gravement preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute il

est difficilement concevable que la Cour puisse argumenter sur la base du

consensus europeacuteen contre la deacutepeacutenalisation des infractions mineures qui

beacuteneacuteficie non seulement agrave lrsquoindividu qui ne pourrait plus rendre de comptes

en termes peacutenaux pour sa conduite et qui pourrait mecircme eacuteviter les

proceacutedures judiciaires mais eacutegalement le fonctionnement effectif de la

justice deacutesormais soulageacutee du traitement de la grande majoriteacute de ces

infractions Par-dessus tout la Cour se meacuteprend dans lrsquoassimilation des

infractions peacutenales aux normes de porteacutee personnelle geacuteneacuterale De maniegravere

assez surprenante elle semble ignorer la tradition europeacuteenne ancienne des

infractions peacutenales agrave porteacutee personnelle limiteacutee crsquoest-agrave-dire des normes

applicables agrave certaines cateacutegories de citoyens deacutefinissables par des traits

personnels ou professionnels (Sonderdelikte ou Pflichtendelikte)70 Ainsi

66 Oumlztuumlrk preacuteciteacute sect 53 laquo Sans doute srsquoagissait-il drsquoune infraction leacutegegravere ne risquant

guegravere de nuire agrave la reacuteputation de son auteur mais elle ne sortait pas pour autant du champ

drsquoapplication de lrsquoarticle 6 Rien ne donne en effet agrave penser que lrsquoinfraction peacutenale

(criminal offence) au sens de la Convention implique neacutecessairement un certain degreacute de

graviteacute raquo

67 Ibidem laquo il serait contraire agrave lrsquoobjet et au but de lrsquoarticle 6 qui garantit aux accuseacutes

le droit agrave un tribunal et agrave un procegraves eacutequitable de permettre agrave lrsquoEacutetat de soustraire agrave lrsquoempire

de ce texte toute une cateacutegorie drsquoinfractions pour peu qursquoil les juge leacutegegraveres raquo

68 Ibidem

69 Ibidem

70 Sur ce type drsquoinfractions peacutenales voir Roxin Taumlterschaft und Tatherrschaft Berlin

9e eacutedition 2015 et Langer Das Sonderverbrechen Berlin 1972 La doctrine distingue

entre les laquo veacuteritables infractions speacuteciales raquo (echte Sonderdelikte) qui peuvent seulement

ecirctre commise par une personne deacutetenant une certaine qualiteacute des laquo fausses infractions

speacuteciales raquo (unechte Sonderdelikte) qui peuvent ecirctre commises par nrsquoimporte qui mais

dont la sanction est aggraveacutee si elle est commise pas une personne deacutetenant une certaine

qualiteacute ou dans une situation particuliegravere La Cour dans lrsquoaffaire Oumlztuumlrk nrsquoest pas au fait de

cette distinction

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 67

les infractions peacutenales et les normes agrave porteacutee personnelle limiteacutee ne sont pas

incompatibles les unes avec les autres

20 Si la deacutepeacutenalisation nrsquoest pas sans poser problegraveme au regard des

garanties deacutecoulant des articles 6 et 7 de la Convention et de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 lorsqursquoil srsquoagit drsquoinfractions mineures reacuteprimant des actes

moins preacutejudiciables agrave la socieacuteteacute71 elle creacutee manifestement de seacuterieuses

difficulteacutes sur le terrain de ces articles lorsqursquoil srsquoagit drsquoactes plus

preacutejudiciables agrave la socieacuteteacute qui sont deacuteclasseacutes dans le domaine du droit

administratif agrave des fins politiques Elle en creacutee drsquoautant plus lorsque des

infractions administratives incluant celles commises par neacutegligence sont

passibles de sanctions financiegraveres amendes ou majorations astronomiques

parfois mecircme illimiteacutees freacutequemment associeacutees agrave la suspension la

restriction voire mecircme le retrait de certains droits tels que les droits

professionnels Des reacutegimes speacutecialement cleacutements sont proposeacutes aux

lanceurs drsquoalerte et autre collaborateurs de la justice Certaines infractions

administratives conduisent mecircme agrave des sanctions plus seacutevegraveres en cas de

reacutecidive En outre les proceacutedures administratives peuvent inclure des

mesures drsquoenquecirctes aussi intrusives que lrsquointerception de communication et

les perquisitions de domiciles qui peuvent porter atteinte agrave la vie priveacutee du

suspect tout autant que les proceacutedures peacutenales les plus seacuterieuses

21 En reacutealiteacute ce droit peacutenal agrave deux vitesses masque une politique

reacutepressive expansionniste qui vise agrave punir de maniegravere plus expeacuteditive et

plus seacutevegraverement avec moins de garanties mateacuterielles et proceacutedurales Dans

le contexte de ce nouveau Leacuteviathan les infractions de droit administratif ne

sont rien de plus qursquoune appellation trompeuse drsquoune strateacutegie punitive

ferme et le droit administratif devient un raccourci permettant de contourner

les garanties ordinaires du droit peacutenal et de la proceacutedure peacutenale72

22 La Convention nrsquoest pas indiffeacuterente agrave cette politique peacutenale Au

contraire elle ne saurait laisser des probleacutematiques relatives aux droits de

lrsquohomme de cette ampleur au seul pouvoir discreacutetionnaire de chaque Eacutetat

Aucune marge drsquoappreacuteciation nrsquoest accordeacutee aux Eacutetats par lrsquoarticle 7 de la

Convention et lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 qui sont des dispositions non

susceptibles de deacuterogation La deacutefinition des frontiegraveres du droit peacutenal et

lrsquoapplication des principes de leacutegaliteacute et du non bis in idem ne sont pas

deacutependantes des particulariteacutes de chaque systegraveme juridique national Au

contraire elles sont soumises agrave un controcircle europeacuteen strict reacutealiseacute par la

Cour ainsi que cela sera deacutemontreacute ci-dessous

71 Pour la Cour il est clair que la deacutepeacutenalisation est lieacutee aux infractions mineures non

infamantes drsquoun point de vue social (Lutz preacuteciteacute sect 57)

72 Jrsquoai deacutejagrave critiqueacute cette tendance dans mes opinions jointes aux arrecircts A Menarini

Diagnostics SRL preacuteciteacute et Grande Stevens et autres preacuteciteacute

68 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

B Les majorations drsquoimpocirct comme instrument de politique peacutenale

a) La nature peacutenale des majorations drsquoimpocirct

23 Tout comme les termes des articles 6 et 7 de la Convention la notion

de laquo proceacutedure peacutenale raquo doit ecirctre interpreacuteteacutee de maniegravere autonome En outre

par principe la Convention et ses Protocoles doivent ecirctre envisageacutes comme

un tout73 Ainsi lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 doit ecirctre interpreacuteteacute agrave la lumiegravere

des principes geacuteneacuteraux concernant les notions drsquolaquo accusation en matiegravere

peacutenale raquo et de laquo peine raquo eacutenonceacutees respectivement aux articles 6 et 7 de la

Convention74 De plus la qualification juridique de la proceacutedure en droit

national ne peut ecirctre le seul critegravere pertinent pour deacuteterminer lrsquoapplicabiliteacute

du principe ne bis in idem sur le terrain de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7

Autrement lrsquoapplication de cette disposition serait laisseacutee au pouvoir

discreacutetionnaire des Eacutetats contractants agrave un degreacute conduisant agrave des reacutesultats

incompatibles avec lrsquoobjet et le but de la Convention Preacuteciseacutement pour

eacuteviter un tel pouvoir discreacutetionnaire il peut exister des cas dans lesquels ni

un acquittement deacutefinitif75 ni une condamnation deacutefinitive76 ne sont

capables de deacuteclencher les effets du ne bis in idem

24 Dans lrsquoaffaire en cause la premiegravere proceacutedure visait agrave lrsquoimposition

de majorations drsquoimpocirct La Cour a pris clairement position en faveur de la

nature peacutenale des sanctions administratives sur le terrain de lrsquoarticle 6 de la

Convention Dans lrsquoaffaire Bendenoun77 qui concernait lrsquoimposition de

majorations drsquoimpocirct pour eacutevasion fiscale la Cour ne srsquoest pas reacutefeacutereacutee

expresseacutement aux critegraveres Engel elle a eacutenumeacutereacute quatre eacuteleacutements qursquoelle

estimait pertinents dans la deacutetermination de lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 en

lrsquoespegravece que la loi eacutetablissant les sanctions concerne tous les citoyens en

leur qualiteacute de contribuables que la majoration ne tende pas agrave la reacuteparation

peacutecuniaire drsquoun preacutejudice mais vise pour lrsquoessentiel agrave punir pour empecirccher

la reacuteiteacuteration drsquoagissements semblables qursquoelle se fonde sur une norme de

caractegravere geacuteneacuteral dont le but est agrave la fois preacuteventif et reacutepressif et qursquoelle

revecircte une ampleur consideacuterable La Cour a consideacutereacute cependant qursquoun Eacutetat

contractant devait avoir la liberteacute de confier au fisc la tacircche drsquoimposer des

sanctions telles que des majorations drsquoimpocirct mecircme si elles atteignent des

sommes eacuteleveacutees Pareil systegraveme nrsquoest pas incompatible avec lrsquoarticle 6 sect 1

tant que le contribuable peut soumettre toute deacutecision lui faisant grief agrave un

73 Voir parmi drsquoautres Hirsi Jamaa et autres c Italie [GC] ndeg 2776509 sect 178

CEDH 2012 et Ferrazzini c Italie [GC] ndeg 4475998 sect 29 CEDH 2001-VII

74 Nykaumlnen c Finlande ndeg 1182811 sect 38 20 mai 2014 Haarvig c Norvegravege (deacutec)

ndeg 1118705 11 deacutecembre 2007 Nilsson c Suegravede (deacutec) ndeg 7366101 CEDH 2005-XIII

Rosenquist c Suegravede (deacutec) ndeg 6061900 14 septembre 2004 Manasson c Suegravede (deacutec)

ndeg 4126598 8 avril 2003 Goumlktan c France ndeg 3340296 sect 48 CEDH 2002-V et Malige

c France 23 septembre 1998 sect 35 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1998-VII

75 Marguš c Croatie [GC] ndeg 445510 sect 139 CEDH 2014

76 Kurdov et Ivanov c Bulgarie ndeg 1613704 sect 44 31 mai 2011

77 Bendenoun c France 24 feacutevrier 1994 seacuterie A ndeg 284

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 69

organe judiciaire jouissant de la pleine juridiction incluant le pouvoir

drsquoannuler sur tous les points que ce soit de droit ou de fait la deacutecision

contesteacutee78

25 Dans les affaires Janosevic79 et Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic80

la Cour nrsquoa fait aucune reacutefeacuterence agrave lrsquoaffaire Bendenoun ou agrave lrsquoapproche

particuliegravere y suivie par elle mais elle a proceacutedeacute strictement sur la base des

critegraveres Engel81 Apregraves avoir confirmeacute que les proceacutedures administratives

avaient abouti agrave une laquo accusation en matiegravere peacutenale raquo agrave lrsquoencontre du

requeacuterant la Cour a consideacutereacute que les proceacutedures judiciaires en lrsquoespegravece

avaient eacuteteacute conduites par des tribunaux soumis aux garanties requises par

lrsquoarticle 6 sect 1 puisque les juridictions administratives avaient compeacutetence

pour examiner tous les aspects de la question qui leur eacutetait adresseacutee Leur

examen nrsquoeacutetait pas limiteacute agrave des points de droit mais pouvait eacutegalement ecirctre

eacutetendu agrave des questions de faits incluant lrsquoappreacuteciation des preuves Si elles

eacutetaient en deacutesaccord avec lrsquoautoriteacute fiscale ces juridictions avaient le

pouvoir drsquoannuler la deacutecision objet drsquoun recours La Cour a ajouteacute que le

point de deacutepart pour les autoriteacutes fiscales et les juridictions devait reacutesider

dans le fait que les inexactitudes releveacutees dans la deacuteclaration fiscale

relevaient drsquoun acte inexcusable imputable au contribuable et qursquoil nrsquoeacutetait

pas manifestement deacuteraisonnable drsquoimposer une majoration drsquoimpocirct comme

sanction de ce comportement Les autoriteacutes fiscales et les juridictions

devraient eacutevaluer srsquoil existe des motifs de dispense mecircme si le contribuable

nrsquoa rien dit agrave cet eacutegard Cependant alors que le devoir drsquoeacutevaluer srsquoil existe

des motifs de dispense nrsquoexiste que lorsque les faits de lrsquoespegravece le justifient

la charge de prouver qursquoil existe des raisons de dispenser un contribuable

drsquoune majoration repose en effet sur celui-ci La Cour a conclu qursquoun

systegraveme fiscal opeacuterant sur une telle preacutesomption qursquoil appartient au

contribuable de renverser eacutetait compatible avec lrsquoarticle 6 sect 2 de la

Convention

b) Lrsquoarrecirct Jussila et la ligne de deacutemarcation entre malum in se et malum quia

prohibitum

26 Dans lrsquoaffaire Jussila82 la Cour a confirmeacute lrsquoapproche retenue dans

lrsquoaffaire Janosevic et souligneacute qursquolaquo Il nrsquoexiste donc pas dans la

jurisprudence de la Cour de preacuteceacutedent faisant autoriteacute qui permette de dire

78 Ibidem sect 46

79 Janosevic c Suegravede ndeg 3461997 CEDH 2002‑VII

80 Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic c Suegravede ndeg 3698597 23 juillet 2002

81 La Cour a souligneacute le mauvais argument laquo Les majorations drsquoimpocirct infligeacutees en

conseacutequence lrsquoont eacuteteacute au titre de la leacutegislation fiscale [hellip] qui vise toutes les personnes

assujetties agrave lrsquoimpocirct en Suegravede et non un groupe donneacute doteacute drsquoun statut particulier raquo

(Janosevic preacuteciteacute sect 68 Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic preacuteciteacute sect 79 voir aussi par

exemple SC IMH Suceava SRL c Roumanie ndeg 2493504 sect 51 29 octobre 2013)

82 Jussila preacuteciteacute sect 41

70 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

que la leacutegegravereteacute de la sanction constituerait en matiegravere fiscale ou autre un

facteur deacutecisif pour exclure du champ drsquoapplication de lrsquoarticle 6 une

infraction revecirctant par ailleurs un caractegravere peacutenal raquo 83 De plus comme un

signal clair de son intention de ne pas priver les contribuables de leur

garanties fondamentales opposables agrave lrsquoEacutetat la Cour a ajouteacute que si elle laquo ne

dout[ait] pas de lrsquoimportance de lrsquoimpocirct pour le bon fonctionnement de

lrsquoEacutetat elle nrsquo[eacutetait] pas convaincue qursquoil faille affranchir les sanctions

fiscales des garanties proceacutedurales contenues dans lrsquoarticle 6 pour preacuteserver

lrsquoefficaciteacute du systegraveme fiscal ni drsquoailleurs que pareille deacutemarche puisse se

concilier avec lrsquoesprit et le but de la Convention raquo84 En agissant de la sorte

la Cour a abandonneacute laquo peu ou prou raquo 85 la logique de lrsquoaffaire Ferrazzini86

puisqursquoelle a admis que les questions drsquoimposition ne sortaient pas du

champ mateacuteriel de la Convention Drsquoun point de vue ratione materiae les

questions se rapportant aux majorations drsquoimpocirct peuvent impliquer une

appreacuteciation par la Cour du pouvoir souverain des Eacutetats en matiegravere fiscale

La neutralisation des preacuterogatives de puissance publiques dans lrsquoaffaire

Jussila a conduit la Cour agrave un recadrage apparent des speacutecificiteacutes des

obligations fiscales dans le contexte du droit europeacuteen des droits de

lrsquohomme

27 Mecircme lorsque les majorations drsquoimpocirct ne sont pas qualifieacutees de

peacutenales en droit national ce seul fait nrsquoest pas deacutecisif pour la Cour Le fait

que les majorations drsquoimpocirct soient imposeacutees par des dispositions leacutegales

srsquoappliquant aux contribuables de maniegravere geacuteneacuterale avec une viseacutee

dissuasive est jugeacute plus pertinent En principe les majorations drsquoimpocirct sont

conccedilues non pas comme une compensation peacutecuniaire pour un dommage

causeacute agrave lrsquoEacutetat mais comme une forme de sanction des coupables et comme

un moyen de dissuader les reacutecidivistes et les nouveaux deacutelinquants

potentiels Aux yeux de la Cour les majorations drsquoimpocirct sont ainsi

imposeacutees par une regravegle dont le but est simultaneacutement dissuasif et punitif

mecircme dans le cas de lrsquoimposition drsquoune majoration fiscale de 10 avec un

maximum fixeacute agrave 2087 Pour la Cour dans lrsquoaffaire Jussila la nature

reacutepressive de la majoration fiscale surpasse la consideacuteration de minimis de

lrsquoarrecirct Bendenoun En conseacutequence les proceacutedures impliquant des

majorations drsquoimpocirct ont eacutegalement eacuteteacute consideacutereacutees comme des laquo proceacutedures

peacutenales raquo au regard de lrsquoarticle 6 de la Convention

83 Ibidem sect 35

84 Ibidem sect 36

85 Ibidem sect 45

86 Ferrazzini preacuteciteacute sect 29 En reacutealiteacute la Cour a eacutevalueacute agrave plusieurs reprises la

compatibiliteacute des mesures de politiques fiscales agrave lrsquoaune de lrsquoarticle 1 du Protocole ndeg 1

(parmi les affaires les plus significatives voir NKM c Hongrie ndeg 6652911 14 mai 2013

Koufaki et ADEDY c Gregravece (deacutec) nos 5766512 et 5765712 7 mai 2013 Da Conceiccedilatildeo

Mateus c Portugal (deacutec) nos 6223512 et 5772512 8 octobre 2013 et Da Silva Carvalho

Rico c Portugal (deacutec) ndeg 1334114 1er septembre 2014)

87 Jussila preacuteciteacute sect 38

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 71

28 Si la Cour srsquoeacutetait arrecircteacutee lagrave lrsquoarrecirct Jussila aurait eacuteteacute une simple

extension de lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk au domaine des majorations drsquoimpocirct Mais la

Cour ne srsquoest pas arrecircteacutee lagrave Elle a consideacutereacute ensuite qursquolaquo il [allait] de soi

que certaines [proceacutedures peacutenales] ne comportent aucun caractegravere infamant

pour ceux qursquoelles visent raquo En conseacutequence dans lrsquoarrecirct de la Cour les

garanties peacutenales ne srsquoappliquent pas avec toute leur rigueur aux accusations

peacutenales deacutepourvues de caractegravere infamant88 En appliquant lrsquoarticle 6 de

maniegravere diffeacuterencieacutee en fonction de la nature du sujet et du caractegravere

infamant que certaines accusations peacutenales comportent la Cour a opeacutereacute une

distinction entre les garanties proceacutedurales conventionnelles disponibles et

indisponibles le droit de lrsquoaccuseacute agrave un procegraves public appartenant agrave la

premiegravere cateacutegorie Dans la mesure ougrave elles nrsquoont pas de caractegravere infamant

les infractions administratives peuvent se distinguer du noyau dur du droit

peacutenal et ainsi les garanties peacutenales de lrsquoarticle 6 peuvent ne pas srsquoy

appliquer dans leur totaliteacute Une seconde cateacutegorie drsquoinfractions peacutenales qui

ne beacuteneacuteficie que de certaines des garanties de lrsquoarticle 6 a vu le jour dans

lrsquoaffaire Jussila

29 Malheureusement ni dans lrsquoarrecirct Jussila ni ulteacuterieurement la Cour

nrsquoa fait le moindre effort drsquoeacutelaborer une approche coheacuterente de la magna

quaestio relative agrave la ligne de deacutemarcation entre le laquo noyau dur du droit

peacutenal raquo et le reste du droit peacutenal qui fait eacutecho agrave la distinction entre mala in

se et mala prohibita La distinction de la Grande Chambre nrsquoest pas

seulement trop simpliste elle semble aussi assez artificielle Dans lrsquoarrecirct

Jussila comme dans quelques autres cas le critegravere du caractegravere infamant

ressemble agrave un argument purement theacuteorique que la Cour nrsquoutilise pas

veacuteritablement pour reacutesoudre lrsquoaffaire89 En reacutealiteacute la Cour a trancheacute lrsquoaffaire

88 Ibidem sect 43 Grande Stevens et autres preacuteciteacute sect 120 Kammerer c Autriche

ndeg 3243506 sect 26 12 mai 2010 et Flisar c Sloveacutenie ndeg 312709 sect 36 29 septembre 2011

La conclusion de lrsquoaffaire Jussila selon laquelle le procegraves public nrsquoeacutetait pas neacutecessaire dans

le cas des infractions administratives a eacuteteacute eacutetendue agrave drsquoautres questions proceacutedurales

couvertes par lrsquoarticle 6 telle que dans les affaires Kammerer et Flisar la preacutesence drsquoun

accuseacute agrave une audience

89 En reacutealiteacute lrsquoapplication du critegravere du caractegravere infamant dans la jurisprudence de la

Cour a eacuteteacute tregraves limiteacutee Il est vrai que la Cour a constateacute agrave maintes reprises le caractegravere

infamant que revecirct implicitement la torture (voir parmi de nombreuses affaires Irlande

c Royaume-Uni 18 janvier 1978 sect 167 seacuterie A ndeg 25 Aksoy c Turquie 18 deacutecembre

1996 sect 64 Recueil 1996-VI Aydın c Turquie 25 septembre 1997 sectsect 83-84 et 86

Recueil 1997-VI Selmouni c France [GC] ndeg 2580394 sect 74 CEDH 1999-V Dikme

c Turquie ndeg 2086992 sectsect 94-96 CEDH 2000-VIII et Batı et autres c Turquie

nos 3309796 et 5783400 sect 116 CEDH 2004-IV) Mais en dehors de ces affaires

lrsquoutilisation du critegravere est rare Parfois la Cour se reacutefegravere au caractegravere infamant de la

condamnation comme facteur pour deacuteterminer la neacutecessiteacute drsquoune comparution personnelle

de lrsquoaccuseacute dans une proceacutedure (dans une affaire de meurtre Chopenko c Ukraine

ndeg 1773506 sect 64 15 janvier 2015 dans une affaire de corruption Suuripaumlauml c Finlande

ndeg 4315102 sect 45 12 janvier 2010) ou pour deacuteterminer si la situation du requeacuterant doit

ecirctre deacutejagrave substantiellement affecteacutee par les mesures prises par la police dans les proceacutedures

preacuteliminaires (dans une affaire drsquoabus sexuel sur mineur Subinski c Sloveacutenie ndeg 1961104

72 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

Jussila de maniegravere tregraves pragmatique sur la base du fait que le requeacuterant avait

largement eu lrsquoopportuniteacute de se deacutefendre par eacutecrit et de commenter les

arguments des autoriteacutes fiscales

30 Le manque de clarteacute conceptuelle de la deacutefinition du laquo noyau dur du

droit peacutenal raquo au titre de lrsquoarticle 6 est encore aggraveacute par le fait que

normalement lrsquoapplication des critegraveres Engel est davantage une question de

degreacute deacutependant du poids des sanctions appliqueacutees et applicables qursquoune

question de nature des accusations qui pegravesent sur lrsquoaccuseacute La Cour preacutefegravere

le plus souvent reacutesoudre la question de lrsquoapplicabiliteacute des critegraveres Engel en

se reacutefeacuterant agrave une appreacuteciation purement quantitative plutocirct que qualitative

de lrsquoinfraction en cause Lorsqursquoelle se lance dans une analyse sur le fond de

la nature de lrsquoinfraction elle utilise freacutequemment lrsquoargument erroneacute tireacute de

lrsquoaffaire Oumlztuumlrk90 de la porteacutee personnelle limiteacutee de la norme

sect 68 18 janvier 2007) Le raisonnement de lrsquoarrecirct Suuripaumlauml a eacuteteacute eacutetendu agrave des infractions

administratives fiscales dans lrsquoaffaire Paacutekozdi c Hongrie (ndeg 5126907 sect 39 25 novembre

2014 Dans drsquoautres cas la Cour a dit que des infractions peacutenales passibles

drsquoemprisonnement impliquaient un caractegravere infamant suffisant lorsque la personne

condamneacutee se voit infliger une peine de sept ans (Popa et Tănăsescu c Roumanie

no 1994604 sect 46 10 avril 2012) une peine de quatre ans (Saacutendor Lajos Kiss c Hongrie

ndeg 2695805 sect 24 29 septembre 2009) ou une peine avec sursis (Goldmann et Szeacutenaacuteszky

c Hongrie ndeg 1760405 sect 20 30 novembre 2010) ou mecircme une amende (Talaacuteber

c Hongrie ndeg 3737605 sect 27 29 septembre 2009) En drsquoautres occasions la Cour a

simplement affirmeacute que certains inteacuterecircts juridiques tels que le respect des regravegles de seacutecuriteacute

incendie de protection des consommateurs ou des politiques drsquourbanisme nrsquoentraient pas

dans le champ du droit peacutenal sans mentionner le deacutefaut de caractegravere infamant (Kurdov et

Ivanov preacuteciteacute sect 43 SC IMH Suceava SRL preacuteciteacute sect 51 et Inocecircncio c Portugal

(deacutec) no 4386298 CEDH 2001ndashI) Dans lrsquoaffaire Segame SA c France (ndeg 483706

sect 59 7 juin 2012) la Cour a consideacutereacute qursquoun impocirct suppleacutementaire sur les œuvres drsquoart et

les sanctions correspondantes laquo ne [faisait] pas partie du noyau dur du droit peacutenal au sens

de la Convention raquo Dans lrsquoaffaire Grande Stevens et autres (preacuteciteacutee sect 122) la Cour a

noteacute que mis agrave part leur seacuteveacuteriteacute financiegravere les sanctions que certains des requeacuterants

encourraient avaient un laquo caractegravere infamant raquo et risquaient drsquoaffecter neacutegativement

lrsquohonneur professionnel et la reacuteputation des personnes concerneacutees Ainsi le critegravere

substantiel du caractegravere infamant est parfois lieacute aux sanctions applicables agrave lrsquoinfraction

alors que dans les cas de meurtre torture corruption ou abus sexuel de mineur il est lieacute agrave la

nature-mecircme du comportement En deacutefinitive la Cour a rejeteacute eacutegalement le critegravere

organique et tautologique selon lequel les infractions traiteacutees par les juridictions

administratives ou les juridictions compeacutetentes agrave lrsquoeacutegard des laquo infractions mineures raquo sont

administratives et qursquoen conseacutequence leur qualification de laquo peacutenale raquo serait exclue

(Tomasović c Croatie ndeg 5378509 sect 22 18 octobre 2011)

90 Lrsquoapplication de ce critegravere a produit des deacutecisions malheureuses telle que celle

deacutelibeacutereacutee dans lrsquoaffaire Inocecircncio (preacuteciteacutee) qui a consideacutereacute les infractions administratives

(contraordenaccedilotildees) en jeu comme non peacutenales bien que les contraordenaccedilotildees portugais

soient modeleacutees exactement agrave lrsquoimage des Ordnungswidrigkeiten allemandes qui avaient

eacuteteacute qualifieacutees de laquo peacutenales raquo dans lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk (agrave titre de comparaison voir la Loi

allemande sur les infractions administratives de 1968 Gesetz uumlber Ordnungswidrigkeiten

et la Loi portugaise sur les infractions administratives de 1982 Regime Geral das

Contraordenaccedilotildees)

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 73

31 En reacutesumeacute le choix politique de lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk de laquo peacutenaliser raquo les

infractions mineures aux fins de lrsquoarticle 6 est fondamentalement reacuteeacutevalueacute

dans lrsquoarrecirct Jussila Lrsquoextension apparente de ce choix politique aux

majorations drsquoimpocirct est dilueacutee en finaliteacute par lrsquoapproche pragmatique et

tourneacutee vers lrsquoefficaciteacute de la Cour qui eacutetiquette ces infractions mineures

comme eacutetant bien que laquo peacutenales raquo exclues du laquo noyau dur du droit peacutenal raquo

ne meacuteritant ainsi pas la protection pleine et entiegravere du volet peacutenal de

lrsquoarticle 6 Les inteacuterecircts drsquoune proceacutedure fiscale efficace et massive ont peseacute

plus lourd que toute autre consideacuteration

32 Quoiqursquoil en soit le message de la Cour dans lrsquoaffaire Jussila vaut

eacutegalement pour la Norvegravege Les majorations drsquoimpocirct imposeacutees dans la

preacutesente affaire sont de nature peacutenale et les proceacutedures fiscales respectives

sont peacutenales aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Les majorations

drsquoimpocirct de 30 imposeacutees par la Norvegravege pouvant aller jusqursquoagrave 60 en

cas de neacutegligence grossiegravere ou volontaire sont bien supeacuterieures en

comparaison de lrsquoaffaire Jussila

Crsquoest eacutegalement la position de la majoriteacute de la Grande Chambre dans la

preacutesente affaire qui confirme contrairement agrave lrsquoargumentation du

Gouvernement91 qursquoil nrsquoexiste pas de notion peacutenale plus restrictive agrave

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Ainsi la majoriteacute rejette lrsquoapproche des affaires

Storbraringten92 Mjelde93 et Haarvig94 dans lesquelles la Cour avait accepteacute un

eacuteventail de critegraveres plus large que les critegraveres Engel aux fins de deacuteterminer

si une proceacutedure revecirctait un caractegravere peacutenal au sens de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7

Seconde Partie

IV - Lrsquoheacuteritage pro persona de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine

A Le cumul des sanctions administratives et peacutenales

a) Lrsquoidem factum dans les proceacutedures administratives et peacutenales

33 Lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 prohibe la poursuite ou le jugement de

lrsquoauteur drsquoune infraction deacutejagrave acquitteacute ou condamneacute pour celle-ci Une

approche centreacutee sur la qualification juridique de lrsquoinfraction (idem crimen)

serait trop restrictive Si la Cour se bornait agrave accepter qursquoune personne soit

poursuivie pour des infractions qualifieacutees diffeacuteremment elle risquerait

91 Voir paragraphes 66 et 67 de lrsquoarrecirct

92 Storbraringten c Norvegravege (deacutec) ndeg 1227704 11 feacutevrier 2007

93 Mjelde c Norvegravege (deacutec) ndeg 1114304 11 feacutevrier 2007

94 Haarvig preacuteciteacute

74 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

drsquoamoindrir les garanties contenues agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 et ce pour

deux raisons Drsquoabord le mecircme fait peut ecirctre qualifieacute drsquoinfraction peacutenale

dans diffeacuterents Eacutetats mais les eacuteleacutements constitutifs de lrsquoinfraction peuvent

ecirctre significativement diffeacuterents Ensuite certains Eacutetats peuvent qualifier

diffeacuteremment le mecircme fait drsquoinfraction peacutenale ou drsquoinfraction

administrative crsquoest-agrave-dire non peacutenale95

34 Par conseacutequent lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 doit ecirctre interpreacuteteacute

comme prohibant la poursuite ou le jugement de novo drsquoune infraction dans

la mesure ougrave elle reacutesulte de faits identiques ou de faits similaires en

substance (idem factum)96 Il est donc important aux yeux de la Cour de

srsquoattacher aux faits qui constituent les circonstances factuelles concregravetes

impliquant le mecircme accuseacute et inextricablement lieacutes les uns aux autres dans

le temps et lrsquoespace dont lrsquoexistence doit ecirctre deacutemontreacutee pour garantir une

condamnation ou entamer des proceacutedures peacutenales97 Cela signifie que le

champ de la prohibition comprend la poursuite de nouvelles infractions en

relation de concours apparent (concorso apparente Gesetzeskonkurrenz) ou

de concours ideacuteal drsquoinfractions (concorso ideale di reati Idealkonkurrenz)98

avec lrsquoinfraction ou les infractions deacutejagrave jugeacutees La mecircme prohibition est

valable pour le concours reacuteel drsquoinfractions (concorso materiale di reati

Realkonkurrenz) lorsqursquoelles appartiennent agrave la mecircme uniteacute temporelle et

spatiale Cela signifie eacutegalement que lrsquoeffet ne bis idem drsquoun jugement

constatant une infraction continueacutee fait obstacle agrave la tenue drsquoun nouveau

procegraves pour des chefs drsquoaccusation se rapportant agrave tout nouveau fait distinct

srsquoinscrivant dans la continuiteacute du comportement deacutelictueux en cause99

35 En reacutesumeacute lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine affirme en droit europeacuteen

des droits de lrsquohomme le principe ne bis in idem en tant que droit individuel

de mecircme porteacutee que le principe classique drsquoeacutepuisement de la proceacutedure

95 Par exemple lrsquoarticle 4 du Protocole ndeg 7 a eacuteteacute eacutetendu aux sanctions administratives

telles que des majorations de 40 et 80 des impocircts dus (Ponsetti et Chesnell c France

(deacutec) nos 3685597 et 4173198 CEDH 1999-VI) aux sanctions administratives

compleacutementaires des peines peacutenales (Maszni c Roumanie ndeg 5989200 21 septembre

2006) et aux sanctions civiles (Storbraringten deacutecision preacuteciteacutee)

96 La Cour a deacutefini lrsquoidem factum comme laquo une seule et mecircme conduite de la part des

mecircmes personnes agrave la mecircme date raquo (Maresti c Croatie no 5575907 sect 63 25 juin 2009 et

Muslija c Bosnie‑Herzeacutegovine ndeg 3204211 sect 34 14 janvier 2014) La jurisprudence de la

Cour de Luxembourg concernant lrsquoarticle 54 de la CAAS est similaire (Van Esbroeck

preacuteciteacute sectsect 27 32 et 36 Kretzinger preacuteciteacute sectsect 33 et 34 Van Straaten preacuteciteacute sectsect 41 47 et

48 et Norma Kraaijenbrink preacuteciteacute sect 30)

97 Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 82 et 84 Lagrave nrsquoest pas le lieu ni lrsquoendroit pour

analyser le caractegravere artificiel de la summa divisio entre lrsquoidem factum et lrsquoidem legem

Lrsquoidem factum est conditionneacute dans une certaine mesure par lrsquoappreacutehension a priori des

faits pertinents agrave la lumiegravere du droit peacutenal Crsquoest particuliegraverement vrai dans le cas des

infractions continueacutees

98 Oliveira c Suisse ndeg 2571194 30 juillet 1998 Recueil 1998-V

99 Voir mon opinion seacutepareacutee dans lrsquoarrecirct Rohlena c Reacutepublique Tchegraveque [GC]

ndeg 5955208 sect 9 CEDH 2015

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 75

(Erledigungsprinzip)100 La garantie srsquoeacutetend au droit de ne pas ecirctre poursuivi

ou jugeacute deux fois101 Ce principe en son sens europeacuteen va bien plus loin

que la maxime res judicata pro veritate habetur qui vise fondamentalement

agrave proteacuteger lrsquoeacutenonceacute final public et faisant autoriteacute sur le crimen et ainsi agrave

assurer la seacutecuriteacute juridique et eacuteviter les jugements contradictoires En outre

lrsquointerpreacutetation europeacuteenne du principe ne bis in idem vise agrave proteacuteger le

suspect des faits alleacutegueacutes drsquoune double incrimination lorsque son

acquittement ou sa condamnation preacutealables sont deacutejagrave passeacutes en force de

chose jugeacutee102

Neacuteanmoins la Cour dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine exige une

comparaison entre la deacutecision par laquelle la premiegravere laquo proceacutedure peacutenale raquo

a eacuteteacute conclue et la liste des accusations dirigeacutees contre le requeacuterant dans les

nouvelles proceacutedures Puisque les faits dans les deux proceacutedures se

distinguaient au niveau drsquoun seul eacuteleacutement la menace de violence qui

nrsquoavait pas eacuteteacute mentionneacutee dans les premiegraveres proceacutedures la Cour considegravere

que les accusations peacutenales au titre de lrsquoarticle 213 sect 2 b) du Code Peacutenal

englobent les faits de lrsquoinfraction reacuteprimeacutee par lrsquoarticle 158 du Code des

infractions administrative dans leur totaliteacute et que inversement lrsquoinfraction

drsquolaquo actes perturbateurs mineurs raquo ne renfermait aucun eacuteleacutement qui nrsquoeacutetait

contenu dans lrsquoinfraction drsquolaquo actes perturbateurs raquo et laquo concernait

essentiellement la mecircme infraction raquo 103

36 Au regard de ce qui preacutecegravede je partage lrsquoopinion de la majoriteacute de la

Grande Chambre dans la preacutesente affaire selon laquelle lrsquoinfraction peacutenale

pour laquelle les requeacuterants ont eacuteteacute poursuivis condamneacutes et punis eacutetait

baseacutee sur le mecircme ensemble de faits que ceux pour lesquels les majorations

drsquoimpocirct leur ont eacuteteacute infligeacutees

b) La deacutecision deacutefinitive dans les proceacutedures administratives

37 Le but de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 est de prohiber la reacutepeacutetition

des proceacutedures conclues par une deacutecision laquo deacutefinitive raquo Drsquoapregraves le Rapport

explicatif du Protocole no 7 qui se reacutefegravere lui-mecircme agrave la Convention

europeacuteenne sur la valeur internationale des jugements reacutepressifs une

100 Se reacutefeacuterant litteacuteralement agrave la nature individuelle du droit Sergueiuml Zolotoukhine

preacuteciteacute sect 81

101 Ibidem sect 110 et auparavant Franz Fischer c Autriche ndeg 3795097 sect 29 29 mai

2001

102 Ainsi qursquoil a eacuteteacute deacutemontreacute ci-dessus il srsquoagit de lrsquoideacuteologie sous-jacente au septiegraveme

amendement agrave la Constitution des Eacutetats-Unis et agrave lrsquoarticle 8 du chapitre V du titre II de la

Constitution franccedilaise de 1791 montrant que lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine est conforme agrave la

compreacutehension historique et pro persona de ce principe agrave lrsquoeacutepoque moderne

103 Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 97 et 121 Peut-ecirctre est-ce involontaire mais dans

drsquoautres cas la Cour compare les laquo eacuteleacutements essentiels raquo de lrsquoinfraction pour eacutetablis lrsquoidem

(voir les exemples post-Sergueiuml Zolotoukhine Muslija preacuteciteacute sect 34 Asadbeyli et autres

c Azerbaiumldjan nos 365305 1472905 2090805 2624205 3608305 et 1651906 sect 157

11 deacutecembre 2012 et Ruotsalainen c Finlande no 1307903 sect 56 16 juin 2009)

76 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

deacutecision est deacutefinitive laquo si elle est selon lrsquoexpression consacreacutee passeacutee en

force de chose jugeacutee Tel est le cas lorsqursquoelle est irreacutevocable crsquoest-agrave-dire

lorsqursquoelle nrsquoest pas susceptible de voies de recours ordinaires ou que les

parties ont eacutepuiseacute ces voies ou laisseacute passer les deacutelais sans les exercer raquo104

Dans lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine la Cour a rappeleacute que les deacutecisions agrave

lrsquoencontre desquelles existe une possibiliteacute de recours ordinaire eacutetaient

exclues du champ de la garantie contenue agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 tant

que le deacutelai pour interjeter un tel appel nrsquoa pas expireacute Drsquoun autre cocircteacute les

recours extraordinaires tels qursquoune requecircte en reacuteouverture des proceacutedures ou

une demande drsquoextension du deacutelai expireacute ne sont pas pris en consideacuteration

aux fins de deacuteterminer si les proceacutedures ont atteint une conclusion

deacutefinitive

38 Agrave lrsquoinverse de la majoriteacute de la Grande Chambre je ne peux suivre

le raisonnement de la Cour suprecircme et la position des requeacuterants quant agrave

lrsquoargument selon lequel les deacutecisions de majorations drsquoimpocirct eacutetaient

devenues deacutefinitives le 15 deacutecembre 2008 pour M A et le 26 deacutecembre

2008 pour M B crsquoest-agrave-dire avant qursquoils ne soient condamneacutes pour les

mecircmes faits par la Cour de district bien que le deacutelai de 6 mois pour entamer

des proceacutedures judiciaires fixeacute par lrsquoarticle 11-1(4) de la loi fiscale nrsquoavait

pas encore expireacute Puisque les requeacuterants avaient toujours le droit drsquoacceacuteder

agrave une voie de recours jrsquoai du mal agrave consideacuterer les deacutecisions imposant les

majorations drsquoimpocirct comme irreacutevocables105 Cette conclusion srsquoimpose

drsquoautant plus si lrsquoon tient compte du fait que puisque les organes

administratifs en questions ne sont ni indeacutependants ni juridictionnels le

droit drsquoaccegraves agrave une proceacutedure judiciaire est neacutecessaire pour que les sanctions

administratives soient compatibles avec lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention106

39 La date exacte agrave laquelle la deacutecision administrative est devenue

deacutefinitive nrsquoest de toute eacutevidence pas anodine Lrsquohypothegravese juridique selon

laquelle la deacutecision administrative drsquoimposition des majorations devient

deacutefinitive en premier lieu pourrait ecirctre diffeacuterent de celui dans lequel la

condamnation peacutenale pour fraude fiscale devient deacutefinitive la premiegravere

Bien que la Cour ait consideacutereacute que laquo la question de savoir si le principe non

bis in idem a eacuteteacute enfreint se rapporte agrave la relation entre les deux infractions

et ne peut donc deacutependre de lrsquoordre dans lequel les proceacutedures sont

conduites raquo107 lrsquoimpact juridique drsquoune condamnation peacutenale deacutefinitive sur

une proceacutedure administrative peut se distinguer de maniegravere significative de

lrsquoimpact juridique drsquoune deacutecision administrative finale sur une proceacutedure

peacutenale La majoriteacute a fermeacute les yeux sur ce distinguo sans eacutevaluer les

diffeacuterentes conseacutequences en droit norveacutegien de ces diffeacuterentes hypothegraveses

Elle a simplement supposeacute que les proceacutedures administratives et peacutenales

104 Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 107 et 108

105 Crsquoest eacutegalement lrsquoargument du Gouvernement (voir paragraphe 72 de lrsquoarrecirct)

106 Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic preacuteciteacute sect 93

107 Franz Fischer preacuteciteacute sect 29

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 77

srsquoinscrivaient dans une laquo approche inteacutegreacutee raquo108 en concluant qursquoil nrsquoeacutetait

pas neacutecessaire de traiter de la question du caractegravere deacutefinitif des proceacutedures

administratives Je deacutemontrerai par la suite les effets neacutegatifs de cette

position

B Les proceacutedures parallegraveles administratives et peacutenales (bis)

a) Un lien temporel suffisant

40 Bien que la Cour dans lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine ne traite pas du

cas des proceacutedures parallegraveles ex professo109 elle eacutecarte bel et bien la

condition suppleacutementaire et inexacte que lrsquoaffaire Zigarella avait ajouteacutee au

bis en lrsquoabsence de tout dommage deacutemontreacute par le requeacuterant seules de

nouvelles proceacutedures entameacutees en connaissance du fait que lrsquoaccuseacute avait

deacutejagrave eacuteteacute jugeacute dans des proceacutedures anteacuterieures violeraient le principe ne bis in

idem110

41 Drsquoun point de vue litteacuteral rien dans la formulation de lrsquoarticle 4 du

Protocole no 7 nrsquoindique qursquoune distinction doive ecirctre opeacutereacutee entre des

proceacutedures parallegraveles ou conseacutecutives entre la reprise de poursuites en

attente et le deacuteclenchement de nouvelles poursuites Agrave proprement parler la

disposition nrsquoempecircche pas que plusieurs proceacutedures parallegraveles soient

meneacutees avant qursquoune deacutecision deacutefinitive ne soit adopteacutee agrave lrsquoissue de lrsquoune

drsquoentre elles Dans une telle situation il ne peut ecirctre consideacutereacute que

lrsquoindividu a eacuteteacute poursuivi plusieurs fois laquo en raison drsquoune infraction pour

laquelle il a deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute ou condamneacute par un jugement deacutefinitif raquo111

Dans le cas de deux proceacutedures parallegraveles la Convention exige que la

108 Voir le paragraphe 141 de lrsquoarrecirct

109 Lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine traite de deux proceacutedures conseacutecutives la proceacutedure

administrative srsquoest acheveacutee le 4 janvier 2002 et la proceacutedure peacutenale ouverte le 23 janvier

2002 srsquoest acheveacutee le 15 avril 2003

110 Zigarella c Italie (deacutec) ndeg 4815499 CEDH 2002-IX (extraits) et Falkner

c Autriche (deacutec) ndeg 607202 30 septembre 2004 Au paragraphe 36 de lrsquoarrecirct de chambre

dans lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine la mecircme position est adopteacutee mais le paragraphe 115

de lrsquoarrecirct de la Grande Chambre srsquoabstient de reacutepeacuteter la mecircme phrase La Grande Chambre

admet seulement qursquoelle peut consideacuterer que le requeacuterant a perdu sa qualiteacute de victime

lorsque les autoriteacutes nationales entament deux seacuteries de proceacutedures mais par la suite

reconnaissent la violation du ne bis in idem et offrent la reacuteparation adeacutequate par exemple

en clocircturant ou en annulant la deuxiegraveme proceacutedure et en en supprimant les effets Ainsi la

Cour ne se reacutefegravere pas au caractegravere volontaire de lrsquoouverture de la seconde proceacutedure comme

condition de la violation du ne bis in idem et requiert seulement qursquoil y ait reconnaissance

explicite de la violation au niveau interne pour conclure agrave la non-recevabiliteacute du grief du

requeacuterant Ulteacuterieurement la Cour est malheureusement revenue agrave la formulation de lrsquoarrecirct

Zigarella dans les arrecircts Maresti (preacuteciteacute sect 66) et Tomasovic (preacuteciteacute sect 29) mais voir

lrsquoimportante opinion seacutepareacutee du juge Sicilianos jointe agrave ce dernier arrecirct

111 Garaudy c France (deacutec) ndeg 6583101 CEDH 2003-IX (extraits)

78 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

seconde soit interrompue aussitocirct que la premiegravere devient deacutefinitive112 En

lrsquoabsence drsquoune telle interruption la Cour conclut agrave une violation113

42 Cependant dans un certain nombre drsquoaffaires la Cour a eacutetabli des

regravegles diffeacuterentes pour certaines proceacutedures peacutenales et administratives

parallegraveles Dans la deacutecision Nilsson la Cour a consideacutereacute pour la premiegravere

fois que laquo si les diverses sanctions infligeacutees agrave lrsquointeacuteresseacute ont eacuteteacute prononceacutees

par deux autoriteacutes diffeacuterentes agrave lrsquoissue de proceacutedures distinctes il existait

entre elles un lien mateacuteriel et temporel suffisamment eacutetroit pour que lrsquoon

puisse consideacuterer le retrait de permis comme lrsquoune des mesures preacutevues par

le droit sueacutedois pour la reacutepression des deacutelits de conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute

avanceacute et de conduite sans permis raquo 114 Ce que la Cour envisage comme un

laquo lien temporel suffisamment eacutetroit raquo nrsquoest pas clair puisqursquoelle ne se reacutefegravere

pas explicitement agrave la peacuteriode entre la deacutecision devenue deacutefinitive en

premier lieu (la condamnation du requeacuterant par le tribunal de district de

Mora le 24 juin 1999) et la deacutecision devenue ensuite deacutefinitive (la deacutecision

de la Cour suprecircme du 18 deacutecembre 2000 deacuteboutant le requeacuterant) ou entre

la premiegravere deacutecision administrative (lrsquoavis deacutelivreacute par la preacutefecture le 5 mai

1999) et la premiegravere deacutecision peacutenale (la condamnation du requeacuterant par le

tribunal de district de Mora le 24 juin 1999) ou entre la premiegravere deacutecision

peacutenale (la deacutecision du tribunal de district de Mora du 24 juin 1999) et la

premiegravere deacutecision administrative de retrait du permis de conduire (lrsquoavis de

la preacutefecture du 5 aoucirct 1999) En reacutealiteacute il existe un tregraves bref

chevauchement entre les proceacutedures administratives qui ont deacutebuteacute le 5 mai

1999 et ont pris fin le 18 deacutecembre 2000 et les proceacutedures peacutenales qui ont

pris fin le 24 juin 1999

Dans lrsquoaffaire Boman115 la Cour a eacutegalement consideacutereacute qursquoil existait

pareil lien temporel puisque la deacutecision de la police du 28 mai 2010

drsquoimposer une seconde interdiction de conduite eacutetait directement baseacutee sur

la condamnation finale du requeacuterant par le tribunal deacutepartemental des

infractions routiegraveres du 22 avril 2010 et ainsi ne contenait pas drsquoexamen

propre de lrsquoinfraction ou de la conduite en cause Le lien temporel suffisant

eacutetait lieacute agrave lrsquoabsence drsquoappreacuteciation autonome des preuves comme si lrsquoun et

lrsquoautre eacutetaient eacutetroitement associeacutes

43 Agrave lrsquoinverse dans les affaires Glantz116 Nykaumlnen117 Lucky Dev118

Rinas119 et Oumlsterlund120 la Cour a pris en consideacuteration les dates auxquelles

112 Zigarella preacuteciteacute Il pourrait exister une difficulteacute au regard de la Convention lorsque

deux ou plusieurs proceacutedures peacutenales sont meneacutees en parallegravele contre le mecircme accuseacute pour

les mecircmes faits avant mecircme qursquoune deacutecision deacutefinitive nrsquoait eacuteteacute rendue dans lrsquoune drsquoentre

elles La situation de lis pendens forccedilant lrsquoaccuseacute agrave preacutesenter plusieurs strateacutegies de

deacutefense en mecircme temps devant plusieurs autoriteacutes soulegraveve un problegraveme drsquoinjustice

113 Tomasović preacuteciteacute sectsect 30 et 32 Muslija preacuteciteacute sect 37 et Milenković c Serbie

ndeg 5012413 sect 46 1 mars 2016

114 Nilsson preacuteciteacute

115 Boman c Finlande ndeg 4160411 17 feacutevrier 2015

116 Glantz c Finlande ndeg 3739411 20 mai 2014

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 79

les deacutecisions administratives et peacutenales eacutetaient devenues deacutefinitives Dans

toutes ces affaires la Cour a constateacute une violation Dans lrsquoarrecirct Glantz121

la proceacutedure administrative avait eacuteteacute initieacutee le 18 deacutecembre 2006 et a eacuteteacute

deacutefinitivement close le 11 janvier 2010 alors que la proceacutedure peacutenale avait

eacuteteacute initieacutee le 15 deacutecembre 2008 Les deux instances eacutetaient donc en cours de

maniegravere concurrente jusqursquoau 11 janvier 2010 lorsque la premiegravere a eacuteteacute

deacutefinitivement close Dans la mesure ougrave la proceacutedure peacutenale nrsquoavait pas eacuteteacute

interrompue apregraves que la premiegravere proceacutedure avait eacuteteacute deacutefinitivement close

mais srsquoeacutetait poursuivie jusqursquoagrave une deacutecision deacutefinitive le 18 mai 2011 la

Cour a consideacutereacute que le requeacuterant avait eacuteteacute condamneacute deux fois dans la

mecircme affaire dans instances devenues deacutefinitivement closes le 11 janvier

2010 et le 18 mai 2011122

Dans lrsquoarrecirct Rinas123 la Cour a noteacute que lorsque la proceacutedure peacutenale a

eacuteteacute deacutefinitivement close le 31 mai 2012 le recours formeacute par le requeacuterant

contre la deacutecision de majoration fiscale eacutetait toujours pendant devant la

Cour administrative suprecircme Dans la mesure ougrave la proceacutedure

administrative devant la Cour administrative suprecircme nrsquoavait pas eacuteteacute

interrompue apregraves que la proceacutedure peacutenale avait eacuteteacute deacutefinitivement close

mais srsquoeacutetait poursuivie jusqursquoagrave une deacutecision deacutefinitive du 13 septembre

2012 le requeacuterant a eacuteteacute condamneacute deux fois dans la mecircme affaire

concernant les anneacutees fiscales 2002 agrave 2004 dans deux instances closes

respectivement le 31 mai 2012 et le 13 septembre 2012124

44 La Cour est arriveacutee agrave une conclusion diffeacuterente dans lrsquoarrecirct Haumlkkauml125

La proceacutedure administrative avait deacutebuteacute en 2007 lorsque des majorations

drsquoimpocirct avaient eacuteteacute imposeacutees au requeacuterant Il nrsquoavait apparemment jamais

chercheacute agrave obtenir une rectification ni agrave former un recours et en

conseacutequence cette proceacutedure a eacuteteacute deacutefinitivement close le 31 deacutecembre

2010 et le 31 deacutecembre 2011 agrave lrsquoexpiration des deacutelais de rectification et

drsquoappel La proceacutedure peacutenale avait eacuteteacute initieacutee le 3 avril 2008 et srsquoeacutetait

acheveacutee le 29 juin 2010 lorsque la Cour suprecircme a rendu son arrecirct deacutefinitif

Les deux instances eacutetaient ainsi pendantes de maniegravere concurrente jusqursquoau

117 Nykaumlnen preacuteciteacute

118 Lucky Dev preacuteciteacute

119 Rinas c Finlande ndeg 1703913 27 janvier 2015

120 Oumlsterlund c Finlande ndeg 5319713 10 feacutevrier 2015

121 Glantz preacuteciteacute sect 62

122 Le mecircme raisonnement a eacuteteacute suivi dans Nykaumlnen (preacuteciteacute sect 52 ndash les proceacutedures

fiscales avaient commenceacute le 28 novembre 2005 et srsquoeacutetaient acheveacutees le 1er avril 2009

alors que les proceacutedures peacutenales avaient eacuteteacute initieacutees le 19 aoucirct 2008 et srsquoeacutetaient acheveacutees le

1er septembre 2010) et Lucky Dev (preacuteciteacute sect 63 ndash les proceacutedures fiscales avaient

commenceacute le 1er juin 2004 et srsquoeacutetaient acheveacutees le 20 octobre 2009 et les proceacutedures

peacutenales initieacutees le 5 aoucirct 2005 ont eacuteteacute deacutefinitivement closes le 8 janvier 2009)

123 Rinas preacuteciteacute sect 56

124 La situation eacutetait similaire dans lrsquoaffaire Oumlsterlund (preacuteciteacute sect 51)

125 Haumlkkauml c Finlande ndeg 75811 sectsect 50-52 20 mai 2014

80 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

29 juin 2010 quand la seconde devint deacutefinitive La Cour nrsquoa pas conclu agrave

la violation dans la mesure ougrave laquo le requeacuterant avait une possibiliteacute reacuteelle

drsquoempecirccher une double incrimination tout drsquoabord en demandant la

rectification puis en formant un recours dans le deacutelai qui nrsquoeacutetait pas encore

expireacute raquo126 Ainsi pour la Cour dans lrsquoarrecirct Haumlkkauml si lrsquoaccuseacute ne forme

aucun recours administratif le principe ne bis in idem ne trouve pas agrave

srsquoappliquer quand bien mecircme lrsquoaccuseacute aurait deacutejagrave fait lrsquoobjet drsquoune

condamnation deacutefinitive dans la proceacutedure peacutenale

45 Enfin dans lrsquoarrecirct Kiiveri127 la Cour a consideacutereacute que le requeacuterant ne

pouvait plus se plaindre drsquoune double incrimination pour lrsquoanneacutee fiscale

2002 preacuteciseacutement parce que la Cour suprecircme avait conclu que lrsquoaffaire

avait eacuteteacute deacutefinitivement trancheacutee dans la proceacutedure fiscale administrative et

avait rejeteacute les accusations peacutenales de fraude fiscale aggraveacutee laquo sans

examiner le fond raquo128 concernant lrsquoanneacutee 2002 sur la base du principe ne

bis in idem

46 Les exemples ci-dessus suffisent agrave montrer que le laquo lien temporel

suffisamment eacutetroit raquo est totalement arbitraire Crsquoest preacuteciseacutement la raison

pour laquelle la Cour srsquoen est dispenseacutee dans les affaires italiennes et

grecques129

Contrairement agrave la position du gouvernement franccedilais qui avait identifieacute

une phase drsquoappreacuteciation par les autoriteacutes fiscales et une autre drsquoenquecircte

judiciaire lesquelles devaient ecirctre meneacutees simultaneacutement ou nrsquoecirctre seacutepareacutees

que par un bref intervalle130 la majoriteacute dans la preacutesente affaire a choisi de

consideacuterer pertinente une peacuteriode de neuf mois entre le moment ougrave la

deacutecision des autoriteacutes fiscales du 5 deacutecembre 2008 eacutetait devenue deacutefinitive

et la date de la condamnation du second requeacuterant le 30 septembre 2009

Bien que cette peacuteriode soit laquo plus longue raquo131 que la peacuteriode de deux mois et

demi dans le cas du premier requeacuterant la majoriteacute impute ce laps de temps

additionnel au retrait par le second requeacuterant de ses aveux Selon ce

raisonnement la garantie du ne bis idem devient flexible avec une porteacutee

plus eacutetroite lorsque lrsquoaccuseacute exerce ses droits proceacuteduraux et plus large

lorsqursquoil ne le fait pas La posture punitive de la majoriteacute ne pouvait pas ecirctre

illustreacutee de maniegravere plus eacuteloquente

126 Ibidem sect 52

127 Kiiveri c Finlande ndeg 5375312 10 feacutevrier 2015

128 Ibidem sect 36

129 Je me reacutefegravere aux arrecircts Grande Stevens et autres (preacuteciteacute) Kapetanios et autres

(preacuteciteacute) et Sismanidis et Sitaridis (preacuteciteacute) dans lesquels la Cour a eacuteteacute unanime

130 Voir paragraphe 96 de lrsquoarrecirct

131 Voir paragraphe 150 de lrsquoarrecirct

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 81

b) Un lien mateacuteriel suffisant

47 La majoriteacute suit explicitement le raisonnement eacutetabli dans les

affaires RT c Suisse132 et Nilsson c Suegravede133 concernant les doubles

proceacutedures peacutenales et administratives lorsque les deacutecisions de retrait de

permis de conduire eacutetaient directement baseacutees sur une condamnation peacutenale

attendue ou finale pour infraction routiegravere et ainsi ne contenaient pas

drsquoexamen seacutepareacute de lrsquoinfraction ou de la conduite en cause134 Cette

jurisprudence a eacuteteacute deacuteveloppeacutee plus avant dans les affaires Lucky Dev

Nykaumlnen et Haumlkkauml135 ougrave il nrsquoexistait preacutetendument aucun lien suffisant

mateacuteriel et temporel entre les proceacutedures peacutenales et fiscales Dans les trois

affaires susmentionneacutees les proceacutedures peacutenales et fiscales eacutetaient parallegraveles

et concernaient la mecircme peacuteriode et essentiellement le mecircme montant

soustrait au fisc Dans celles-ci la Cour a noteacute que les infractions avaient

eacuteteacute examineacutees par diffeacuterentes autoriteacutes et juridictions sans que les

proceacutedures ne soient lieacutees les deux instances suivant leur propre cours et

eacutetant devenues deacutefinitives agrave des moments diffeacuterents Enfin dans tous ces

cas la responsabiliteacute peacutenale du requeacuterant et sa responsabiliteacute de payer les

majorations drsquoimpocirct fixeacutees par la leacutegislation fiscale pertinente eacutetaient

deacutetermineacutes dans des proceacutedures totalement indeacutependantes les unes des

autres Dans lrsquoaffaire Lucky Dev la Cour administrative suprecircme nrsquoavait pas

pris en consideacuteration le fait que la requeacuterante avait eacuteteacute acquitteacutee de

lrsquoinfraction fiscale lorsqursquoelle a refuseacute de faire appel et a imposeacute en

conseacutequence des majorations deacutefinitives136 Dans les affaires Nykaumlnen et

Haumlkkauml ni les sanctions administratives ni les sanctions peacutenales nrsquoont eacuteteacute

prises en consideacuteration par lrsquoautre juridiction ou autoriteacute lorsque celles-ci se

sont prononceacutees sur la seacuteveacuteriteacute de la sanction il nrsquoy a drsquoailleurs eu aucune

interaction entre les autoriteacutes concerneacutees137

48 Avant de discuter les deacutetails de ce raisonnement deux arguments

fallacieux doivent ecirctre eacutecarteacutes drsquoembleacutee Lrsquoun veut que si lrsquoarticle 4 du

132 RT c Suisse (deacutec) ndeg 3198296 30 mai 2000

133 Nilsson preacuteciteacute

134 Dans lrsquoaffaire RT c Suisse la proceacutedure administrative avait deacutebuteacute le 11 mai 1993

et avait eacuteteacute conclue avec la deacutecision du Tribunal feacutedeacuteral du 5 deacutecembre 1995 alors que la

proceacutedure peacutenale avait eacuteteacute conclue par la deacutelivrance de lrsquoordonnance peacutenale du 9 juin 1993

qui nrsquoavait pas fait lrsquoobjet drsquoun recours Dans lrsquoaffaire Nilsson la proceacutedure peacutenale avait

eacuteteacute conclue le 24 juin 1999 puisque le jugement du tribunal deacutepartemental de Mora nrsquoavait

pas fait lrsquoobjet drsquoun recours alors que la proceacutedure administrative avait commenceacute le 5 mai

1999 et srsquoeacutetait acheveacutee le 11 novembre 1999 Dans le dernier cas la sanction administrative

a eacuteteacute imposeacutee apregraves que la sanction peacutenale eacutetait devenue deacutefinitive Dans le premier cas la

sanction administrative a eacuteteacute imposeacutee avant la sanction peacutenale Ces affaires ne sont pas

similaires Pourtant la majoriteacute les a traiteacutees comme si elles lrsquoeacutetaient

135 Lucky Dev preacuteciteacute sect 54 et Nykaumlnen preacuteciteacute sect 43 et Haumlkkauml preacuteciteacute sectsect 50-52

136 Lucky Dev preacuteciteacute sect 62 Oumlsterlund preacuteciteacute sectsect 50 et 51 et Rinas preacuteciteacute sectsect 55 et

56

137 Nykaumlnen preacuteciteacute sectsect 51 et 52 Haumlkkauml preacuteciteacute sectsect 50 et 52

82 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

Protocole no 7 devait ecirctre interpreacuteteacute comme prohibant la clocircture de

proceacutedures en cours agrave partir du moment ougrave soit la proceacutedure peacutenale soit la

proceacutedure administrative est conclue par une deacutecision deacutefinitive cela

implique des laquo conseacutequences lourdes neacutegatives et impreacutevisibles dans un

certain nombre de domaines relevant du droit administratif raquo138 Cet

argumentum ad terrorem lequel joue la carte de lrsquoappel agrave la peur nrsquoest pas

un argument juridique et ne devrait degraves lors beacuteneacuteficier drsquoaucun creacutedit devant

une juridiction Lrsquoautre exemple drsquoargument fallacieux inadmissible est

celui selon lequel plusieurs Eacutetats europeacuteens qui connaissent un double

systegraveme de sanction ont plaideacute pour son maintien devant la Cour exprimant

des opinions et preacuteoccupations similaires agrave celles du gouvernement

deacutefendeur139 Il srsquoagit drsquoun argumentum ad nauseam jouant sur la reacutepeacutetition

de lrsquoargument et non sur ses meacuterites Il ne devrait pas qua tale avoir sa place

dans une deacutecision de la Cour

49 Deux postulats geacuteneacuteraux erroneacutes doivent eacutegalement ecirctre deacutenonceacutes Il

est faut drsquoarguer sur le terrain de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 que les Eacutetats

doivent beacuteneacuteficier drsquoune large marge drsquoappreacuteciation agrave cet eacutegard tant que le

systegraveme de double sanction poursuit un but leacutegitime et ne fait pas peser un

fardeau excessif ou disproportionneacute sur lrsquoaccuseacute Il srsquoagit drsquoun droit non

susceptible de deacuterogation et par conseacutequent les Eacutetats ne beacuteneacuteficient

drsquoaucune marge drsquoappreacuteciation140

Il nrsquoest pas davantage permis drsquoarguer que la question de savoir laquelle

des deux proceacutedures parallegraveles devient deacutefinitive relegraveve de la coiumlncidence

ni que si les autoriteacutes eacutetaient obligeacutees drsquointerrompre la premiegravere lorsque la

deuxiegraveme devient deacutefinitive lrsquoissue des proceacutedures combineacutees pourrait srsquoen

trouver arbitraire Cette argumentation est circulaire parce qursquoelle

preacutesuppose qursquoil devrait y avoir plus drsquoune proceacutedure pour les mecircmes faits

De plus elle implique que lrsquoaccuseacute puisse utiliser le principe ne bis in idem

agrave des fins de laquo manipulation et drsquoimpuniteacute raquo141 comme si lrsquoaccuseacute eacutetait

toujours en mesure de controcircler le rythme des proceacutedures Une telle vision

de lrsquoeacutequilibre des pouvoirs dans les proceacutedures administratives est

deacuteconnecteacutee de la reacutealiteacute142 Enfin la supposition sous-jacente du

raisonnement de la majoriteacute est la suivante le principe ne bis in idem nrsquoest

pas lrsquoexpression drsquoun droit subjectif de lrsquoaccuseacute mais une simple regravegle

visant agrave garantie lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee avec pour seul but la

138 Voir lrsquoargument du Gouvernement au paragraphe 84 de lrsquoarrecirct

139 Voir cet argument au paragraphe 119 de lrsquoarrecirct

140 Voir de maniegravere similaire le Rapport explicatif sur lrsquoAvis de lrsquoAssembleacutee

Parlementaire du Conseil de lrsquoEurope sur le Projet de Protocole ndeg 15 agrave la Convention de

sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales doc 13154 28 mars 2013

sect 8

141 Voir paragraphe 127 de lrsquoarrecirct

142 Voir comme exemple du deacuteseacutequilibre des pouvoirs entre les autoriteacutes administratives

et le justiciable dans des proceacutedures administratives mon opinion jointe agrave lrsquoarrecirct Grande

Stevens et autres preacuteciteacute

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 83

satisfaction de lrsquointeacuterecirct punitif de lrsquoEacutetat et de lrsquoincontestabiliteacute des deacutecisions

de justice Les reacuteflexions suivantes mettront en eacutevidence de maniegravere plus

deacutetailleacutee cette posture pro auctoritate de la majoriteacute

V - La reacutevision de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine

A La restriction de lrsquoidem factum par le critegravere du bis

a) La poursuite de buts diffeacuterents traitant drsquoaspects diffeacuterents de lrsquoacte

preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute

50 Drsquoapregraves la majoriteacute quatre conditions de fond doivent ecirctre reacuteunies

pour que puisse ecirctre accepteacute le cumul des sanctions administratives et

peacutenales des proceacutedures poursuivant des buts compleacutementaires et traitant

drsquoaspects diffeacuterents de lrsquoacte preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute en cause la

preacutevisibiliteacute du cumul des sanctions la non-reacutepeacutetition de la collecte et de

lrsquoappreacuteciation des preuves et le meacutecanisme de compensation entre les

sanctions administrative et peacutenale

51 La premiegravere condition fixeacutee par la majoriteacute se reacutefegravere agrave diffeacuterentes

proceacutedures poursuivant des buts compleacutementaires et traitant drsquoaspects

diffeacuterents de lrsquoacte en cause La majoriteacute identifie au paragraphe 144 les

diffeacuterents buts poursuivis par les majorations drsquoimpocirct sur le fondement de

lrsquoarticle 10 du chapitre 10 (dissuasion geacuteneacuterale et compensation pour le

travail et les coucircts supporteacutes par les autoriteacutes fiscales pour identifier les

deacuteclarations frauduleuses) et par la condamnation peacutenale sur le fondement

de lrsquoarticle 12 du chapitre 12 de la loi fiscale de 1980 (but punitif) La

majoriteacute souligne eacutegalement au paragraphe 123 lrsquolaquo eacuteleacutement additionnel raquo de

lrsquoinfraction peacutenale (la conduite frauduleuse) qui nrsquoest pas supposeacutement

traiteacute par lrsquoinfraction fiscale En drsquoautres termes la majoriteacute se range du

cocircteacute du Gouvernement qui preacutetend que les majorations drsquoimpocirct ordinaires

sont laquo infligeacutees objectivement sans consideacuteration de la faute dans le but

drsquooffrir agrave lrsquoEacutetat une compensation pour les coucircts associeacutes raquo au processus de

controcircle143

52 Cette thegravese ne tient pas pour deux raisons juridiques de principe

Premiegraverement il nrsquoy a aucune disposition ni instrument obligatoire de droit

interne qui requerrait un rapport de proportionnaliteacute entre les majorations

drsquoimpocirct et les coucircts engageacutes par lrsquoadministration pour deacutetecter investiguer

poursuivre et reacuteparer lrsquoinfraction fiscale imputeacutee au coupable Une telle

exigence serait simplement irreacutealiste puisqursquoelle ne pourrait ecirctre baseacutee que

sur une estimation virtuelle et approximative des coucircts per capita de

lrsquoadministration fiscale avec son systegraveme de controcircles et drsquoaudits reacutealiseacutes

pour identifier les deacuteclarations frauduleuses Ainsi lrsquoexistence drsquoune finaliteacute

compensatoire pour les majorations drsquoimpocirct impliquerait un eacuteleacutement

143 Voir les observations du Gouvernement du 11 novembre 2015 p 29

84 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

inadmissible de culpabiliteacute collective faisant peser sur certains

contribuables le coucirct du systegraveme de controcircle des deacuteclarations fiscales tout

entier

53 Ensuite la position de la majoriteacute neacuteglige le fait que les majorations

drsquoimpocirct en cause ne peuvent ecirctre consideacutereacutees comme simplement

compensatoires Des majorations jusqursquoagrave 30 voire mecircme 60 sont si

lourdes qursquoelles incluent manifestement une dimension punitive Dans

lrsquoaffaire Janosevic des majorations normalement fixeacutees agrave 20 ou 40 de

lrsquoimpocirct eacuteviteacute sans plafond et non convertible en peine de prison en cas de

non-paiement ont eacuteteacute consideacutereacutees comme relevant du volet peacutenal de

lrsquoarticle 6144 Enfin la majoriteacute nrsquoest pas consciente du but intrinsegravequement

punitif de toute majoration fiscale quel que soit son montant ainsi que

lrsquoaffaire Jussila lrsquoavait eacutetabli longtemps auparavant srsquoagissant drsquoune

majoration fiscale de 10 pouvant aller jusqursquoagrave 20 145 Il est difficile de

comprendre pourquoi la Cour a soudainement abandonneacute dans la preacutesente

affaire ces normes bien eacutetablies sans explication

En reacutesumeacute dans le cadre du droit norveacutegien les majorations drsquoimpocirct

visent agrave dissuader les fraudeurs potentiels et les reacutecidivistes La preacutevention

geacuteneacuterale est le but admis des majorations drsquoimpocirct en question146 Cet

objectif de preacutevention geacuteneacuterale a laquo neacutecessairement raquo des effets secondaires

punitifs et de preacutevention speacuteciale concernant le deacutelinquant condamneacute et ces

effets secondaires sont eacutevidemment voulus par la politique de lrsquoEacutetat147 La

Cour suprecircme a fait un effort louable pour limiter ces effets exemplaires et

punitifs par le principe de proportionnaliteacute148 Mais la Cour ne devrait pas se

livrer agrave un jeu seacutemantique Elle devrait plutocirct eacutevaluer drsquoune maniegravere

reacutealiste et terre agrave terre les sanctions fiscales et leur impact sur la vie des

contribuables Sous cet angle la preacutevention geacuteneacuterale par le biais drsquoune

punition proportionneacutee nrsquoest rien de plus qursquoune laquo theacuteorie punitive

deacuteguiseacutee raquo (verkappte Vergeltungstheorie)149

144 Janosevic preacuteciteacute sect 69

145 Jussila preacuteciteacute sect 38

146 Voir paragraphe 47 de lrsquoarrecirct

147 Ainsi que la Cour lrsquoa dit elle-mecircme dans lrsquoarrecirct Kurdov et Ivanov (preacuteciteacute sect 40)

mentionnant le but neacutecessairement reacutepressif des sanctions administratives de nature

peacutecuniaire

148 Voir le paragraphe 50 de lrsquoarrecirct

149 Il est impossible dans les limites de cette opinion drsquoentrer dans le grand deacutebat

doctrinal relatif aux objectifs des infractions administratives et en particulier de leurs

objectifs laquo deacuteguiseacutes raquo Comme introduction agrave cette discussion voir James Goldschmidt

Das Verwaltungsstrafrecht Eine Untersuchung der Grenzgebiete zwischen Strafrecht und

Verwaltungsrecht auf rechtsgeschichtlicher und rechtsvergleichender Grundlage Berlin

1902 Erik Wolf Die Stellung der Verwaltungsdelikte im Strafrechtssystem in Beitraumlge

zur Strafrechtswissenschaft Festgabe fuumlr Reinhard von Frank II Tuumlbingen 1930

Schmidt Straftaten und Ordnungswidrigkeiten in Juristen Zeitung 1951 Mattes

Untersuchungen zur Lehre von den Ordnungswidrigkeiten Berlin 1972 Paliero Minima

non curat praetor Ipertrofia del diritto penale e decriminalizzazione dei reatti bagatellari

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 85

54 Lrsquoargumentation du Gouvernement ne peut pas non plus ecirctre

accueillie concernant laquo lrsquoeacuteleacutement additionnel raquo de lrsquoinfraction peacutenale le

preacutetendu eacuteleacutement intentionnel frauduleux Lrsquoaccepter irait agrave lrsquoencontre de

lrsquoarrecirct Ruotsalainen150 Dans cette affaire lrsquoEacutetat deacutefendeur arguait que la

fraude fiscale incluait un eacuteleacutement laquo drsquointentionnaliteacute raquo alors que lrsquoinfraction

administrative ne pouvait reposer que sur des motifs objectifs La reacuteponse

de la Cour est eacuteloquente les faits dans les deux instances se distinguaient agrave

peine bien que la proceacutedure peacutenale requicirct une intention mais cela nrsquoeacutetait pas

pertinent aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Les eacuteleacutements des deux

infractions devaient donc ecirctre regardeacutes comme eacutetant substantiellement les

mecircmes agrave ces fins Il devrait en aller de mecircme dans la preacutesente affaire

55 En outre la majoriteacute ne compare pas les eacuteleacutements subjectifs de

lrsquoinfraction fiscale administrative passible de majoration drsquoimpocirct et

lrsquoinfraction fiscale de nature peacutenale passible drsquoemprisonnement ou

drsquoamende En conseacutequence elle meacuteconnaicirct la critique drsquoordre moral que

lrsquoon peut intrinsegravequement tirer de la lettre et de lrsquoesprit des provisions

pertinentes de la loi fiscale de 1980 (article 10-2 agrave 4 du chapitre 10)

Lrsquoarticle 10-3 emploie les expressions laquo excusable raquo et laquo raison qui ne peut

lui ecirctre reprocheacutee raquo pour deacutesigner les causes de remises fiscales

Lrsquoinexcusabiliteacute et le caractegravere blacircmable sont des notions intrinsegravequement

morales de lrsquoinfraction administrative qui caracteacuterisent la mens rea du

coupable On les trouve dans les infractions peacutenales aussi La modification

de cette disposition en 2010 ne renvoie plus agrave ces deux notions mais ajoute

la notion drsquolaquo erreur manifestement commise par inadvertance raquo qui

comporte de toute eacutevidence un eacuteleacutement de critique morale pour les erreurs

non commises laquo par inadvertance raquo ou intentionnelles

De plus les majorations drsquoimpocirct jusqursquoagrave un maximum de 60 peuvent

ecirctre imposeacutees quand des actes sont commis volontairement ou par

neacutegligence grossiegravere Ainsi ils requiegraverent lrsquoeacutetablissement drsquoune mens rea et

drsquoune culpabiliteacute comme en matiegravere peacutenale Les eacuteleacutements subjectifs de la

fraude eacutenonceacutes dans les dispositions peacutenales de lrsquoarticle 12-1 du chapitre 12

ndash laquo tout en sachant ou tout en eacutetant censeacutee savoir qursquoelle peut en tirer des

avantages fiscaux raquo ndash recoupe lrsquoeacuteleacutement subjectif de la majoration fiscale

aggraveacutee pouvant aller jusqursquoagrave 60 (neacutegligence grossiegravere ou intentionnelle

ndash article 10-4 du chapitre 10) Autrement dit les eacuteleacutements subjectifs des

sanctions peacutenales et administratives coiumlncident Les proceacutedures peacutenale et

administrative en cause ne visent pas tel ou tel aspect diffeacuterent de lrsquoacte

preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute

56 Une remarque pour finir la premiegravere condition fixeacutee par la majoriteacute

relegraveve en derniegravere analyse de la deacutetermination de lrsquoidem Lrsquoeacutetablissement

des laquo buts diffeacuterents raquo poursuivis par les infractions administratives et

Padoue 1985 et Delmas-Marty et autres Punir sans juger De la reacutepression administrative

au droit administratif peacutenal Paris 1992

150 Ruotsalainen preacuteciteacute sect 56

86 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

peacutenales et des laquo diffeacuterents aspects de lrsquoacte preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute raquo viseacutes

par chacune de ces infractions est intrinsegravequement une question de fond qui

touche agrave la deacutefinition de lrsquoidem Ces questions doivent ecirctre consideacutereacutees

comme se rattachant davantage agrave la notion drsquoidem plutocirct qursquoagrave celle de bis

contrairement au raisonnement theacuteorique de la majoriteacute En deacutepit de cette

confusion theacuteorique le but de la majoriteacute est tregraves clair elle veut limiter la

porteacutee de lrsquoidem factum En agissant de la sorte elle inflige un camouflet

conseacutequent agrave la jurisprudence Sergueiuml Zolotoukhine

b) La preacutevisibiliteacute du cumul des diffeacuterentes sanctions

57 La seconde condition fixeacutee par la majoriteacute se rapporte agrave la

preacutevisibiliteacute de la mixiteacute des proceacutedures administratives et peacutenales comme

conseacutequence agrave la fois en droit et en pratique du mecircme acte Une telle

preacutevisibiliteacute est affirmeacutee aux paragraphes 146 et 152 de lrsquoarrecirct sans le

moindre effort pour deacutevelopper la question tregraves deacutelicate du degreacute de

connaissance requis pour engager la responsabiliteacute administrative Une

probleacutematique qui a captiveacute lrsquoattention de la doctrine depuis des deacutecennies a

eacuteteacute tout simplement eacutecarteacutee151 La majoriteacute suppose simplement que les

citoyens en geacuteneacuteral et les contribuables en particulier connaissent ou

devraient connaicirctre lrsquointeacutegraliteacute du cadre juridique administratif y compris

les sanctions et ainsi pourraient ecirctre responsables de toute faute ou conduite

abusive agrave lrsquoaune de ce cadre juridique

58 La majoriteacute ne consacre pas une seule ligne de son raisonnement agrave

lrsquoargument des requeacuterants selon lequel les sanctions qui leur ont eacuteteacute

imposeacutees eacutetaient discriminatoires discreacutetionnaires et non preacutevisibles

puisque quatre coaccuseacutes (GA TF KB et GN) impliqueacutes dans les mecircmes

faits ne se sont pas vu imposer de majorations drsquoimpocirct alors que les

requeacuterants ont ducirc subir des peines de prison et des majorations drsquoimpocirct152

Cet argument va droit au cœur de la seconde condition fixeacutee par la majoriteacute

Les faits de la preacutesente affaire montrent que les Instructions du Procureur

geacuteneacuteral du 3 avril 2009 nrsquoont pas eacuteteacute appliqueacutees aux requeacuterants ni agrave A dont

la condamnation peacutenale date du 2 mars 2009 ni agrave B dont la condamnation

date du 30 novembre 2009 La Cour suprecircme en a pris note mais sans en

tirer de conseacutequence en en se justifiant ainsi laquo le parquet srsquoest reacuteserveacute le

droit drsquoouvrir des poursuites peacutenales sur la base drsquoune appreacuteciation

individuelle au cas ougrave serait en cours une proceacutedure parallegravele non contraire

[agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7] Il a eacuteteacute indiqueacute que le procegraves de [A] srsquoeacutetait

poursuivi au motif qursquoune juste sanction srsquoimposait agrave lrsquoaune drsquoautres

151 Voir comme introduction agrave cette probleacutematique les annotations aux paragraphes 10

et 11 in Rebman et autres Gesetz uumlber Ordnungswidrigkeiten Kommentar troisiegraveme

eacutedition Stuttgart 2016 et Karlsruher Kommentar zum Gesetz uumlber Ordnungswidrigkeiten

quatriegraveme eacutedition Munich 2014

152 Voir paragraphe 64 de lrsquoarrecirct

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 87

affaires connexes () Degraves lors le fondement de la deacutecision eacutetait le principe

drsquoeacutegaliteacute de traitement par rapport agrave des affaires connexes raquo Les requeacuterants

ont rejeteacute cet argument en soulignant que au regard des Instructions de

2009 les majorations drsquoimpocirct nrsquoavaient pas eacuteteacute imposeacutees agrave quatre autres

accuseacutes impliqueacutes dans les mecircmes faits Le Gouvernement nrsquoa pas

speacutecifiquement contesteacute cette thegravese La majoriteacute nrsquoa rien agrave reacutepondre agrave cette

thegravese majeure des requeacuterants

59 Quoi qursquoil en soit la latitude offerte par les Instructions est

inacceptable agrave la lumiegravere de la jurisprudence Camilleri153 Une telle latitude

pose problegraveme sous lrsquoangle de la seacutecuriteacute juridique Les Instructions avaient

fait naicirctre lrsquoespoir que lrsquoEacutetat ne consideacutererait plus le systegraveme norveacutegien de

reacutepression des fraudes fiscales agrave double voie comme eacutetant leacutegal et conforme

agrave la Convention et ainsi que le Procureur aurait lrsquoobligation drsquoattaquer les

condamnations et avant que celles-ci ne soient prononceacutees drsquoabandonner

les poursuites154 Dans le cas des requeacuterants la deacutecision par le parquet de

proceacuteder diffeacuteremment nrsquoeacutetait pas preacutevisible Le traitement preacutefeacuterentiel

accordeacute aux quatre autres accuseacutes impliqueacutes dans les mecircmes faits qui ont

eacuteteacute exempteacutes de toute majoration fiscale (GA TF KB et GN) ne fait que

prouver le caractegravere discreacutetionnaire et donc impreacutevisible du choix des

autoriteacutes nationales

B La conception pro auctoritate du ne bis in idem de la majoriteacute

a) Absence de reacutepeacutetition de la collecte et de lrsquoappreacuteciation des preuves

60 La troisiegraveme condition fixeacutee par la majoriteacute consiste en une

prohibition souple (laquo autant que possible raquo) de la reacutepeacutetition de la collecte et

de lrsquoappreacuteciation des preuves agrave partir drsquoun exemple (laquo notamment raquo)

lrsquointeraction entre diffeacuterentes autoriteacutes administrative et judiciaire pour

aboutir agrave lrsquoeacutetablissement des faits dans une proceacutedure est eacutegalement utiliseacutee

dans lrsquoautre proceacutedure155 Pour moi cette condition est tregraves probleacutematique

61 Par principe les conditions de la protection drsquoun droit individuel non

susceptible de deacuterogation tel que le ne bis in idem ne doivent pas ecirctre

laisseacutees au pouvoir discreacutetionnaire de lrsquoEacutetat Puisque la troisiegraveme condition

de la majoriteacute est une simple recommandation de iure condendo ce nrsquoest

pas une exigence conventionnelle Elle a le mecircme effet que lrsquoeacutenonceacute

eacutegalement de iure condendo selon lequel laquo la maniegravere la plus sucircre de veiller

153 Camilleri c Malte ndeg 4293110 22 janvier 2013

154 La position du Procureur Geacuteneacuteral norveacutegien ne pourrait ecirctre plus claire apregraves lrsquoarrecirct

Sergueiuml Zolotoukhine laquo Depuis le revirement opeacutereacute dans la jurisprudence de la Cour il

faut appliquer un systegraveme laquo agrave un niveau raquo eacutegalement pour les majorations drsquoimpocirct

ordinaires raquo Voir paragraphes 48 et 64 de lrsquoarrecirct

155 Voir paragraphe 132 de lrsquoarrecirct La majoriteacute ne dit pas un mot agrave propos de la solution

existant dans certains Eacutetats drsquoune coopeacuteration entre lrsquoadministration et le parquet pour

deacuteterminer la marche agrave suivre

88 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

au respect de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 consiste agrave preacutevoir agrave un stade

opportun une proceacutedure agrave un seul niveau raquo156 Tous deux sont des dicta non

contraignants qui nrsquoajoutent rien agrave la jurisprudence contraignante de la

Cour

62 En outre cette recommandation ne fait qursquoeffleurer en surface un

problegraveme tregraves seacuterieux Lrsquoexistence de diffeacuterentes deacuteclarations par les

autoriteacutes administratives et judiciaires sur les mecircmes faits sur la base drsquoune

appreacuteciation diffeacuterentes des mecircmes faits met en question lrsquoautoriteacute de

lrsquoEacutetat Pire encore une appreacuteciation diffeacuterente des preuves dans une

proceacutedure administrative et une proceacutedure peacutenale permet le deacutetournement

insidieux de la proceacutedure administrative aux fins de la proceacutedure peacutenale Ce

deacutetournement est encore plus inquieacutetant que le risque pour lrsquoautoriteacute de

lrsquoEacutetat dans la mesure ougrave il laisse lrsquoaccuseacute sans deacutefense En drsquoautres termes

la condamnation peacutenale est presque courue drsquoavance lorsque lrsquoinfraction

administrative commise par le contribuable a deacutejagrave eacuteteacute eacutetablie sur la base de

regravegles de preuve moins strictes Lrsquoobligation de coopeacuteration avec le fisc qui

pegravese sur le contribuable dans les proceacutedures administratives aggrave encore

cette conclusion

63 La majoriteacute ne confronte pas les regravegles de preuve en matiegravere

administrative et peacutenale en Norvegravege pour veacuterifier srsquoil existe un danger de

reacutepeacutetition dans la collecte et lrsquoappreacuteciation des preuves dans les deux

proceacutedures Elle nrsquoanalyse pas non plus le cadre juridique reacutegissant les

interactions entre les diffeacuterentes autoriteacutes judiciaires et administratives pour

deacuteterminer si lrsquoeacutetablissement des faits dans la proceacutedure administrative

influence la proceacutedure peacutenale et vice versa Aux paragraphes 145 et 150 de

lrsquoarrecirct la majoriteacute se contente drsquoeacutevoquer quelques exemples ad hoc

drsquoeacutechange drsquoinformations entre les autoriteacutes administratives et judiciaires

Rien de plus

64 Or les parties ont acircprement discuteacute cette question Le Gouvernement

reconnait que les regravegles de preuve sont diffeacuterentes dans les proceacutedures

fiscales dans lesquelles le critegravere de la laquo cause probable qualifieacutee raquo

srsquoapplique par rapport aux proceacutedures peacutenales dans lesquelles un laquo standard

de preuve strict raquo srsquoapplique En reacutealiteacute il srsquoagit selon le Gouvernement de

lrsquoun des laquo avantages majeurs raquo qursquooffrent les proceacutedures administratives157

Si crsquoest le cas la troisiegraveme condition de la majoriteacute nrsquoest pas respecteacutee en

droit norveacutegien pour la simple raison que puisque diffeacuterentes regravegles de

preuves sont applicables les preuves doivent ecirctre appreacutecieacutees diffeacuteremment

dans la proceacutedure administrative et la proceacutedure peacutenale avec le risque

eacutevident drsquoaboutir agrave des conclusions diffeacuterentes agrave propos des mecircmes faits

156 Voir paragraphe 130 de lrsquoarrecirct

157 Voir les observations du Gouvernement du 11 novembre 2015 page 8 Le

Gouvernement ajoute que les proceacutedures administratives ont lrsquoavantage de comporter des

phases drsquoinstruction et de jugement plus rapides

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 89

Entre le Charybde du risque de conclusions contradictoires dans les

proceacutedures peacutenales et administratives dues aux diffeacuterentes regravegles de preuve

(deux poids deux mesures) et le Scylla du deacutetournement des preuves

administratives agrave des fins peacutenales lrsquoaccuseacute se trouve dans tous les cas placeacute

dans une situation ineacutequitable dans le systegraveme norveacutegien agrave double voie

b) Meacutecanisme de compensation entre les sanctions administratives et peacutenales

65 La quatriegraveme condition fixeacutee par la majoriteacute exige la mise en place

drsquoun laquo meacutecanisme compensatoire conccedilu pour assurer que le montant global

de toutes les peines peacutecuniaires prononceacutees est proportionneacutee raquo158 Sans

aucune explication preacutealable de la raison pour laquelle cette alternative est

retenue la majoriteacute nrsquoenvisage pas drsquoautres solutions proceacutedurales bien

connues telles que la suspension de lrsquoune des proceacutedures pendant que

lrsquoautre est pendante159 ou des solutions de fond telles que le principe de

speacutecialiteacute ou la mise en place de limites pour la sanction du concours

drsquoinfractions peacutenale et administrative comme la regravegle selon laquelle le

montant total de la sanction ne doit pas exceacuteder le montant le plus eacuteleveacute de

lrsquoune des deux sanctions encourues ou le plafonnement de la sanction

fiscale au minimum de la sanction peacutenale La porteacutee et les caracteacuteristiques

du meacutecanisme de compensation proposeacute sont pour le moins tregraves

probleacutematiques

66 Le raisonnement de la majoriteacute entre en conflit frontal avec la

position reacutecente de la Cour dans lrsquoaffaire Grande Stevens et autres qui

concerne des proceacutedures administratives et peacutenales parallegraveles Le

gouvernement italien avait alleacutegueacute sans succegraves dans cette affaire que pour

assurer la proportionnaliteacute de la sanction aux accusations la juridiction

peacutenale italienne avait pris en consideacuteration lrsquoimposition preacutealable drsquoune

sanction administrative et reacuteduit la sanction peacutenale Plus preacuteciseacutement le

montant de lrsquoamende administrative avait eacuteteacute deacuteduit de la sanction peacutenale

financiegravere (article 187 terdecies du Deacutecret Leacutegislatif no 58 de 1998) et les

avoirs deacutejagrave saisis dans le contexte de la proceacutedure administrative ne

pouvaient pas ecirctre confisqueacutes160 Cet argument auquel la Cour nrsquoa pas

accordeacute de creacutedit dans Grande Stevens et autres est agrave preacutesent mis en avant

dans le contexte norveacutegien sans aucune justification de la part de la

majoriteacute quant agrave ce revirement soudain La majoriteacute semble avoir oublieacute

que dans lrsquoarrecirct Grande Stevens la Cour avait deacutecideacute que lrsquoEacutetat deacutefendeur

devait srsquoassurer que les nouvelles proceacutedures peacutenales entameacutees agrave lrsquoencontre

158 Voir le paragraphe 132 de lrsquoarrecirct

159 Crsquoest ce qui eacutetait proposeacute dans les arrecircts Kapetanios et autres (preacuteciteacute sect 72) et

Sismanidis et Sitaridis (preacuteciteacute sect 72)

160 Grande Stevens et autres preacuteciteacute sect 218

90 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

des requeacuterants en violation du ne bis in idem seraient clocirctureacutees aussi

rapidement que possible et sans effets indeacutesirables pour eux161

67 Le gouvernement italien avait aussi alleacutegueacute que le systegraveme agrave double

voie eacutetait requis par la Directive 20036CE du 28 janvier 2003 sur les

opeacuterations drsquoinitieacute et les manipulations de marcheacutes pour lutter contre les

manipulations et les abus plus efficacement invoquant les conclusions de

lrsquoAvocat Geacuteneacuteral dans lrsquoaffaire Hans Aringkerberg Fransson162 La Cour a

facilement eacutecarteacute cet argument comme eacutetant inopeacuterant163 Dans ce contexte

il est troublant que la Cour cite agrave preacutesent les conclusions de lrsquoAvocat

Geacuteneacuteral dans lrsquoaffaire Fransson agrave lrsquoappui de ses arguments164 En deacutepit du

fait que la CJUE ait deacutesapprouveacute la vision de lrsquoAvocat Geacuteneacuteral la majoriteacute

dans lrsquoaffaire A et B fait sienne sa position La Cour de Strasbourg prend

volontairement ses distances par rapport agrave la Cour de Luxembourg qui avait

fait un effort pour aligner les deux jurisprudences dans son arrecirct Fransson

Les juges de la Cour ont preacutefeacutereacute se ranger du cocircteacute de la seule voix de

lrsquoAvocat Geacuteneacuteral qui avait fortement critiqueacute la jurisprudence de la Cour

accuseacutee drsquoecirctre en contradiction avec les traditions constitutionnelles

europeacuteennes Le revirement inexpliqueacute de Strasbourg constitue un seacuterieux

revers pour la relation entre les deux cours europeacuteennes

68 En outre le meacutecanisme compensatoire de la majoriteacute ne srsquoapplique

qursquoaux deacuteductions de sanctions imposeacutees dans la proceacutedure deacutefinitivement

close en premier Il ne srsquoapplique pas si cette proceacutedure connaicirct une autre

issue crsquoest-agrave-dire si la juridiction prononce lrsquoacquittement ou le non-lieu

La raison est eacutevidente Dans ces cas de figure il nrsquoy a litteacuteralement rien agrave

compenser crsquoest-agrave-dire agrave contrebalancer ou agrave deacuteduire dans une proceacutedure

administrative subseacutequente ou parallegravele

69 La question est eacutevidemment cruciale agrave la lumiegravere des affaires

grecques reacutecentes dans lesquelles les juridictions administratives qui

avaient imposeacute des amendes administratives nrsquoavaient pas pris en

consideacuteration lrsquoacquittement des requeacuterants dans des proceacutedures peacutenales

parallegraveles (requecirctes nos 345312 et 4294112) ou subseacutequentes (requecircte no

161 Ibidem sect 237 Il est utile de rappeler les conclusions de lrsquoAIDP de 2004 preacuteciteacutees

laquo Le laquo bis raquo crsquoest-agrave-dire le cumul qui doit ecirctre eacuteviteacute ne se rapporte pas simplement aux

sanctions toute nouvelle poursuite doit ecirctre empecirccheacutee raquo

162 Grande Stevens et autres preacuteciteacute sect 216

163 Ibidem preacuteciteacute sect 229

164 Voir paragraphe 118 du preacutesent arrecirct La Directive 201457UE du16 avril 2014

relative aux sanctions peacutenales applicables aux abus de marcheacute qui admet le systegraveme mixte

(preacuteambule sect 23) doit srsquoarticuler avec le Regraveglement (UE) 5962014 du 16 avril 2014

(preacuteambule sect 72) Le leacutegislateur europeacuteen nrsquoa pas reacutesolu le problegraveme du ne bis in idem

preacutefeacuterant renvoyer la patate chaude aux Eacutetats Neacuteanmoins lrsquoimposition de sanctions

peacutenales sur la base drsquoune infraction obligatoire eacutetablie par la nouvelle Directive et de

sanctions administratives conformeacutement avec les infractions optionnelles preacutevues par le

nouveau Regraveglement (article 30 sect 1) laquo peuvent deacutecider de ne pas raquo) ne devrait pas conduire

agrave la violation du ne bis in idem

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 91

902913) ayant pour objet le mecircme acte165 Suivant le principe de lrsquoarrecirct

Kapetanios et autres tout acquittement ou non-lieu dans lrsquoaffaire peacutenale

aurait un Sperrwirkung sur une autre proceacutedure administrative parallegravele ou

subseacutequente ainsi que lrsquoa conclu la Cour dans lrsquoaffaire Sismanidis et

Sitaridis qui eacutegalement concernait deux cas (requecirctes nos 6660409 et

7187912) de proceacutedures administrative et peacutenale parallegraveles166 Lrsquoaccuseacute

acquitteacute a droit agrave ne pas ecirctre troubleacute une nouvelle fois pour les mecircmes faits

ce qui inclut le risque de nouvelles poursuites en deacutepit de la nature

diffeacuterente (judiciaire et administrative) des organes en cause167 En drsquoautres

termes il existe une prohibition absolue de se prononcer de nouveau sur les

mecircmes faits En outre les juridictions et lrsquoadministration doivent tenir

compte drsquooffice de la force de chose jugeacutee de lrsquoacquittement les droits de

lrsquoaccuseacute eacutetant absolus et non susceptibles de deacuterogation168

70 La jurisprudence grecque srsquoinscrit eacutegalement dans la ligneacutee du

principe eacutetabli au paragraphe 60 de Lucky Dev soulignant le fait que

lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 serait violeacute si lrsquoune des deux proceacutedures se

poursuivait apregraves la date de clocircture de la premiegravere par une deacutecision

deacutefinitive Dans lrsquoaffaire Lucky Dev les majorations drsquoimpocirct avaient eacuteteacute

appliqueacutees apregraves un acquittement deacutefinitif agrave lrsquoissue de la proceacutedure peacutenale

parallegravele et la formulation du principe par la Cour est limpide laquo cette

deacutecision deacutefinitive appellerait la clocircture de lrsquoautre instance raquo169

71 Pour reacutesumer le preacutesent arrecirct contredit lrsquoessence des jurisprudences

Kapetanios et autres Sismanidis et Sitaridis et Lucky Dev Pour la majoriteacute

165 Dans Kapetanios et autres (preacuteciteacute) voir la requecircte ndeg 345312 avec une proceacutedure

administrative pendante entre novembre 1989 et juin 2011 et une proceacutedure peacutenale

pendante entre 1986 et novembre 1992 la requecircte ndeg 4294112 avec une proceacutedure

administrative pendante entre septembre 1996 et novembre 2011 et une proceacutedure peacutenale

pendante entre 1988 et juin 2000 et enfin la requecircte ndeg 902813 avec une proceacutedure

administrative pendante entre 2011 et feacutevrier 2012 et une proceacutedure peacutenale acheveacutee en mai

1998

166 Sismanidis et Sitaridis (preacuteciteacute) voir la requecircte ndeg 6660209 avec une proceacutedure

administrative pendante entre septembre 1996 et mai 2009 et une proceacutedure peacutenale

pendante entre deacutecembre 1994 et avril 1997 et la requecircte ndeg 7187912 avec une proceacutedure

administrative pendante entre novembre 1996 et feacutevrier 2012 et une proceacutedure peacutenale

pendante entre 1998 et feacutevrier 1999

167 Kapetanios et autres preacuteciteacute sectsect 71 et 72 La version franccedilaise de lrsquoarrecirct Sergueiuml

Zolotoukhine est plus expressive lorsqursquoelle parle au paragraphe 83 de laquo risque de

nouvelles poursuites raquo en plus des nouveaux procegraves Voir eacutegalement le paragraphe 59 de

lrsquoarrecirct Van Straaten rendu par la CJUE preacuteciteacute laquo lrsquoouverture drsquoune proceacutedure peacutenale dans

un autre Eacutetat contractant pour les mecircmes faits compromettrait dans le cas drsquoun

acquittement deacutefinitif pour insuffisance de preuves les principes de la seacutecuriteacute juridique et

de la confiance leacutegitime raquo

168 Kapetanios et autres preacuteciteacute sect 66 Crsquoest preacuteciseacutement la conclusion de lrsquoarrecirct Melo

Tadeu c Portugal (ndeg 2778510 sect 64 23 octobre 2014) laquo La Cour estime qursquoun

acquittement au peacutenal doit ecirctre pris en compte dans toute proceacutedure ulteacuterieure peacutenale ou

non peacutenale raquo

169 Lucky Dev preacuteciteacute sect 60

92 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

lrsquoacquittement de lrsquoaccuseacute que ce soit parce que les actes ne sont pas

constitutifs drsquoune infraction peacutenale parce que lrsquoaccuseacute ne les a pas commis

ou parce qursquoil nrsquoa pas eacuteteacute prouveacute qursquoil les ait commis nrsquoa pas agrave ecirctre pris en

consideacuteration dans des proceacutedures administratives parallegraveles Cela soulegraveve

aussi bien eacutevidemment un problegraveme au regard de lrsquoarticle 6 sect 2 de la

Convention Toute nouvelle conclusion sur le fond remettrait en question la

preacutesomption drsquoinnocence reacutesultant de lrsquoacquittement170

72 Le meacutecanisme compensatoire de la majoriteacute nrsquoest eacutegalement pas

applicable dans lrsquohypothegravese ougrave la proceacutedure administrative serait la

premiegravere agrave devenir deacutefinitive et ougrave aucune majoration fiscale ne serait

imposeacutee parce que la responsabiliteacute administrative nrsquoa pas pu ecirctre prouveacutee

Pour la majoriteacute dans cette hypothegravese le contribuable peut encore ecirctre

condamneacute pour les mecircmes faits dans une proceacutedure peacutenale

73 Agrave ce stade il est clair que la quatriegraveme condition est un chegraveque en

blanc pour les Eacutetats leur permettant drsquoagir agrave leur guise Pire encore la

majoriteacute nrsquoexplique pas comment le meacutecanisme compensatoire fonctionne

en droit norveacutegien Le seul paragraphe 50 de lrsquoarrecirct est un reacutesumeacute de la

jurisprudence qui laisse au lecteur lrsquoimpression que les juridictions peacutenales

deacutecident comme bon leur semble de parfois prendre en consideacuteration les

sanctions administratives anteacuterieures et parfois de ne pas le faire Cette

impression est justifieacutee dans lrsquoaffaire en cause ainsi qursquoil sera deacutemontreacute ci-

dessous En outre il nrsquoy a aucune indication dans lrsquoarrecirct quant agrave savoir si un

meacutecanisme similaire de compensation existe dans la proceacutedure fiscale par

lequel les sanctions peacutenales anteacuterieures seraient prises en consideacuteration

lorsque sont imposeacutees des majorations peacutenales

74 Le Gouvernement dit que laquo les condamnations agrave des majorations

drsquoimpocircts sont prises en compte lorsque les tribunaux deacuteterminent la bonne

et juste sanction pour une socieacuteteacute (voir article 28 lettre g du code peacutenal de

2005) Lorsque crsquoest une personne physique qui est condamneacutee ils tiennent

compte de toute majoration drsquoimpocirct infligeacutee sur la base de lrsquoarticle 27 du

code peacutenal de 1902 transposeacute agrave lrsquoarticle 53 du code peacutenal de 2005 raquo171

Lrsquoarticle 27 dispose laquo Lorsqursquoune amende est imposeacutee il faut ducircment tenir

compte non seulement de la nature de lrsquoinfraction mais aussi et surtout de la

situation peacutecuniaire de la personne condamneacutee et de ce que celle-ci peut

vraisemblablement se permettre de payer au vu des circonstances raquo Aucune

mention nrsquoest faite des sanctions dans les proceacutedures parallegraveles ou

anteacuterieures en relation avec les mecircmes faits et encore moins aux

majorations peacutenales Aucune mention nrsquoest faite non plus de la limite du

cumul des sanctions par exemple lrsquoexigence voulant que le montant total

des sanctions imposeacutees ne doive pas exceacuteder le montant le plus eacuteleveacute qui

pourrait ecirctre imposeacute pour lrsquoune ou lrsquoautre des sanctions En reacutealiteacute la prise

170 Kapetanios et autres preacuteciteacute sect 88 et Sismanidis et Sitaridis preacuteciteacute sect 58

171 Voir les observations du Gouvernement du 11 novembre 2015 page 8

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 93

en consideacuteration des autres sanctions nrsquoest mecircme pas mentionneacutee

lorsqursquoune peine drsquoemprisonnement a eacuteteacute ordonneacutee

Pour le dire en peu de mots il nrsquoexiste tout simplement pas de

meacutecanisme de compensation en droit norveacutegien il nrsquoy a qursquoune indication

geacuteneacuterale indiffeacuterencieacutee donneacutee par le leacutegislateur au juge selon laquelle la

situation financiegravere de la personne accuseacutee doit ecirctre prise en consideacuteration

dans sa condamnation agrave une amende Ni plus ni moins

75 La jurisprudence de la Cour suprecircme fondeacutee sur les dispositions du

Code Peacutenal susmentionneacutees pour autant que les juges de la Grande

Chambre en ont eu connaissance est peut-ecirctre creacuteative mais elle nrsquoest

certainement pas preacutevisible Elle est formuleacutee si extensivement que mecircme le

juriste le plus expeacuterimenteacute ne saurait anticiper si et selon quelles modaliteacutes

des majorations drsquoimpocirct seront prises en consideacuteration dans des amendes

peacutenales De plus sa porteacutee est tregraves limiteacutee en pratique Puisqursquoelle

nrsquoautorise aucun meacutecanisme compensatoire dans les cas drsquoemprisonnement

elle limite lrsquoimpact alleacutegueacute de lrsquoeffet compensatoire aux affaires moins

graves mais en prive les affaires plus graves

Conscients des faiblesses du systegraveme juridique national les juges

norveacutegiens ont fait un effort louable pour combler le trou noir juridique et

introduire une certaine proportionnaliteacute dans un systegraveme arbitraire excessif

et ineacutequitable arbitraire dans le choix pour un systegraveme agrave une seule ou deux

voies excessif dans les sanctions appliqueacutees et ineacutequitable drsquoun point de

vue proceacutedural dans la maniegravere dont il traite les accuseacutes Mais le principe ne

bis in idem laquo nrsquoest pas une regravegle de proceacutedure agissant comme un agent

leacutenitif au service de la proportionnaliteacute lorsqursquoune personne est doublement

jugeacutee et condamneacutee pour un mecircme comportement mais bien une garantie

fondamentale des droits des citoyens raquo172

76 Comme le Gouvernement la majoriteacute est seacuteduite par un laquo souci

drsquoefficaciteacute raquo173 selon lequel la logique du principe ne bis in idem

srsquoapplique laquo dans une moindre mesure aux sanctions ne relevant pas du

laquo noyau dur raquo du droit peacutenal comme les majorations drsquoimpocirct raquo174 Elle a

neacutegligeacute le fait qursquoun droit conventionnel non susceptible de deacuterogation tel

172 Affaire C-21300 P Italcementi SpA c Commission des Communauteacutes europeacuteennes

conclusions de lrsquoAvocat Geacuteneacuteral Ruiz-Jarabo Colomer preacutesenteacutees le 11 feacutevrier 2003 sect 96

et Affaire C-15005 preacuteciteacutee conclusions du mecircme Avocat Geacuteneacuteral preacutesenteacutees le 8 juin

2006 sect 58 Partant lrsquoopinion exprimeacute au paragraphe 107 du preacutesent arrecirct selon laquelle ne

bis in idem vise principalement une question proceacutedurale (laquo lrsquoeacutequiteacute proceacutedurale raquo) et non

une question de fond (laquo srsquointeacuteresse moins au droit peacutenal mateacuteriel que lrsquoarticle 7 raquo) est

fondamentalement erroneacutee

173 Les mots laquo soucis drsquoefficaciteacute raquo sont ceux choisi par la majoriteacute elle-mecircme

(paragraphe 134 de lrsquoarrecirct)

174 Voir paragraphe 85 de lrsquoarrecirct ougrave il est fait reacutefeacuterence agrave lrsquoargument du Gouvernement

selon lequel le raisonnement dans lrsquoarrecirct Jussila concernant lrsquoarticle 6 est transposable agrave

lrsquoarticle 4 du Protocole ndeg 7 Lrsquoargument fait fi de la nature absolue et non susceptible de

deacuterogation du second article

94 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE

que ne bis in idem ne doit pas ecirctre substantiellement diffeacuterent en fonction

du domaine du droit concerneacute Lrsquoarticle 4 sect 3 du Protocole no 7 ne laisse pas

de marge de manœuvre pour cela

77 Enfin et surtout dans la preacutesente affaire la juridiction nationale a

pris en compte de la maniegravere suivante la majoration drsquoimpocircts infligeacutee au

premier requeacuterant laquo une sanction notable a deacutejagrave eacuteteacute imposeacutee agrave lrsquoaccuseacute

dans la deacutecision sur la majoration fiscale La plus grande partie des impocircts a

deacutejagrave eacuteteacute payeacutee raquo La prise en compte de la majoration agrave lrsquoeacutegard du second

requeacuterant est encore plus succincte laquo Le fait qursquoune majoration fiscale de

30 a eacuteteacute imposeacutee agrave lrsquoaccuseacute doit ecirctre pris en consideacuteration raquo175 Dans

aucun de ces cas les juridictions nationales ne se sont donneacute la peine

drsquoexpliquer de quelle maniegravere les majorations administratives anteacuterieures

avaient influenceacute les sanctions peacutenales La reacutefeacuterence de pure forme aux

majorations drsquoimpocirct preacuteceacutedemment imposeacutees pourrait apaiser des

consciences moins exigeantes mais ce nrsquoest certainement pas une deacutemarche

juridique preacutevisible et controcirclable Degraves lors les conditions le degreacute et les

limites de lrsquoimpact des majorations drsquoimpocirct sur les sanctions peacutenales ne

peuvent qursquoecirctre lrsquoobjet de pures speacuteculations dans le domaine inconnu et

inaccessible aux accuseacutes de la conviction intime des juges

VI ndash Conclusion

78 En deacutepit de sa logique axeacutee sur les droits de lrsquohomme lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk

ne fournit pas un cadre conceptuel clair permettant de deacutefinir la ligne de

deacutemarcation entre les infractions administratives et peacutenales Au milieu des

incertitudes de la jurisprudence de la Cour lrsquoarrecirct Jussila offre une solution

restrictive qui cherche agrave distinguer les affaires relevant du noyau dur du

droit peacutenal qui comportent un caractegravere infamant de celles qui nrsquoen

comportent pas limitant lrsquoapplicabiliteacute des garanties peacutenales dans les

affaires relevant de la seconde cateacutegorie La jurisprudence subseacutequente nrsquoa

clarifieacute ni le critegravere de fond du caractegravere infamant ni la distinction entre les

garanties proceacutedurales disponibles et indisponibles

79 Tout comme lrsquoarrecirct Jussila avait nuanceacute et limiteacute la porteacutee de lrsquoarrecirct

Oumlztuumlrk lrsquoarrecirct A et B c Norvegravege nuance et limite la porteacutee de lrsquoarrecirct

Sergueiuml Zolotoukhine La position ancienne et geacuteneacutereuse en matiegravere drsquoidem

factum est significativement limiteacutee par la nouvelle camisole proposeacutee pour

le bis Meacutefiante agrave lrsquoeacutegard des accuseacutes la majoriteacute a deacutecideacute drsquoabandonner le

principe fondamental dans la culture juridique europeacuteenne qui veut que nul

ne puisse ecirctre poursuivi plus drsquoune fois pour les mecircmes faits (principe de

lrsquouniteacute de lrsquoaction reacutepressive ou Einmaligkeit der Strafverfolgung) Le

principe ne bis in idem perd son caractegravere pro persona mineacute par la posture

175 Voir les jugements du tribunal de Follo du 2 mars 2009 et du tribunal drsquoOslo du

30 septembre 2009

ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 95

strictement pro auctoritate de la Cour Il nrsquoest plus une garantie

individuelle mais un outil permettant drsquoeacuteviter toute laquo manipulation et

impuniteacute raquo dont profiteraient les accuseacutes176 Apregraves avoir renverseacute la logique

du principe ne bis in idem le preacutesent arrecirct ouvre la porte agrave une politique

reacutepressive sans preacuteceacutedent digne drsquoun Leacuteviathan baseacutee sur lrsquoouverture par

lrsquoEacutetat de proceacutedures multiples strateacutegiquement articuleacutees et mises en place

en vue drsquoatteindre lrsquoeffet reacutepressif maximal Cette politique pourrait devenir

lrsquohistoire sans fin vindicative de deux ou plusieurs proceacutedures conduites

parallegravelement ou successivement agrave lrsquoencontre du mecircme accuseacute pour les

mecircmes faits qui risqueraient mecircme de punir celui-ci en repreacutesailles pour

avoir exerceacute ses droits proceacuteduraux leacutegitimes et notamment son droit de

recours

80 La seule veacuteritable condition dont est assortie cette approche de la

majoriteacute orienteacutee vers lrsquolaquo efficaciteacute raquo177 est un simulacre de

proportionnaliteacute limiteacutee agrave la vague indication de prendre en consideacuteration

les sanctions administratives anteacuterieures dans lrsquoamende infligeacutee agrave lrsquoissue de

la proceacutedure peacutenale une approche bien eacuteloigneacutee des racines historiques et

du principe du droit international coutumier du ne bis in idem Le cumul des

sanctions peacutenales et administratives de nature peacutenale a eacuteteacute speacutecifiquement

rejeteacute par la Cour dans lrsquoaffaire Grande Stevens de mecircme que par la CJUE

dans lrsquoarrecirct Hans Aringkeberg Fransson Apregraves la deacutelivrance de son certificat de

deacutecegraves dans lrsquoaffaire italienne une telle approche est aujourdrsquohui ressusciteacutee

en tant qursquoapproche laquo calibreacutee raquo178 La collaboration progressive et mutuelle

entre les deux cours europeacuteennes va de toute eacutevidence ecirctre encore une fois

profondeacutement perturbeacutee Strasbourg allant dans la mauvaise direction quand

Luxembourg prend la bonne La Grande Chambre saisie de lrsquoaffaire Sergueiuml

Zolotoukhine nrsquoaurait pas accepteacute une reacutetrogradation du droit individuel

inalieacutenable au ne bis in idem vers un droit aussi fluide eacutetroitement

interpreacuteteacute en un mot illusoire Moi non plus

176 Voir paragraphe 127 de lrsquoarrecirct

177 Voir paragraphe 134 de lrsquoarrecirct

178 Voir paragraphe 124 de lrsquoarrecirct

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