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moult oscure parleüre pups 2007 0 « METRE EN ROMAN » LES PROPHÉTIES DE MERLIN VOIES ET DÉTOURS DE L’INTERPRÉTATION DANS TROIS TRADUCTIONS DE L’HISTORIA REGUM BRITANNIE Géraldine Veysseyre Université de Nice-Sophia Antipolis Je crois, entre nous, qu’il n’était pas intelligent, mais il était plein de grandes idées et les disait avec une importance physique, d’une façon un peu confuse qui impressionnait sur le moment. On pensait au trombone et à la prophétie, à cause du décousu et du volume sonore. C’était comme un voile de théâtre, un peu déchiré par endroits, qu’il étendait sur sa pensée. Et comme il ne faisait pas de longs discours, on se figurait, et peut-être était-ce vrai – mais je penche à croire le contraire – qu’il y avait beaucoup de choses derrière tout ce qu’il disait, derrière, autour, que c’était le fruit de longues pensées, de longues expériences. Alexandre Vialatte, Les fruits du Congo, Paris, Gallimard, 1951, p. 390. L’Historia regum Britannie de Geoffroy de Monmouth fut sans conteste l’une des œuvres les plus abondamment diffusées tout au long du Moyen Âge : en témoigne notamment l’abondance des copies de ce texte . Les facteurs d’un tel succès ne peuvent qu’être multiples ; toutefois, l’engouement qu’ont suscité le personnage de Merlin et ses vaticinations n’est sans doute pas totalement étranger à la renommée médiévale de cette chronique, et même à sa célébrité postérieure . En effet, même si les prophéties de Merlin ont parfois circulé On n’en conserve pas moins de 216 copies latines (Julia Crick, The �istoria regum �ritannie of Geoffrey of Monmouth 4, Dissemination and reception in the later Middle Ages, Cambridge, D. S. �rewer, 1991, p. 9 voir la liste de ces manuscrits aux p. xi-xvi). Ces prophéties sont citées, notamment, par OrdericVital, par l’abbé Suger, par Jean de Salisbury et par Giraud le Cambrien (Jean �lacker, « Where Wace feared to tread: on Merlin’s prophecies in the reign of �enri II », Arthuriana, 6 (1996), p. 36-52, à la p. 36). Sur le succès non démenti des prophéties au-delà même du Moyen Âge, voir Michael J. Curley, « �nimal symbolism in the prophecies of Merlin », dans Beasts and birds of the Middle Ages: the bestiary and its legacy, éd. Willene �. Clark & Meradith �. McMunn, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 1989 (coll. �he Middle �ges series), p. 151-163, p. 152. propheties medievales.indb 107 24/11/06 17:09:13

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« METRE En ROMAn » LES PROPHÉTIES DE MERLIn VOIES ET DÉTOURS DE L’InTERPRÉTATIOn

DAnS TROIS TRADUCTIOnS DE L’HIstORIA REGuM BRItANNIE

Géraldine Veysseyre

université de Nice-sophia Antipolis

Je crois, entre nous, qu’il n’était pas intelligent, mais il était plein de grandes idées et les disait

avec une importance physique, d’une façon un peu confuse qui impressionnait sur le moment.

On pensait au trombone et à la prophétie, à cause du décousu et du volume sonore.

C’était comme un voile de théâtre, un peu déchiré par endroits, qu’il étendait sur sa pensée.

Et comme il ne faisait pas de longs discours, on se figurait, et peut-être était-ce vrai –

mais je penche à croire le contraire – qu’il y avait beaucoup de choses derrière tout ce qu’il

disait, derrière, autour, que c’était le fruit de longues pensées, de longues expériences.

Alexandre Vialatte, Les fruits du Congo, Paris, Gallimard, 1951, p. 390.

L’Historia regum Britannie de Geoffroy de Monmouth fut sans conteste l’une des œuvres les plus abondamment diffusées tout au long du Moyen Âge : en témoigne notamment l’abondance des copies de ce texte�. Les facteurs d’un tel succès ne peuvent qu’être multiples ; toutefois, l’engouement qu’ont suscité le personnage de Merlin et ses vaticinations n’est sans doute pas totalement étranger à la renommée médiévale de cette chronique, et même à sa célébrité postérieure�. En effet, même si les prophéties de Merlin ont parfois circulé

� Onn’enconservepasmoinsde216copieslatines(JuliaCrick,The �istoriaregum�ritannieof Geoffrey of Monmouth4,Dissemination and reception in the later Middle Ages, Cambridge,D.S.�rewer,1991,p.9��voirlalistedecesmanuscritsauxp.xi-xvi).

� Cesprophétiessontcitées,notamment,parOrdericVital,parl’abbéSuger,parJeandeSalisburyetparGiraudleCambrien(Jean�lacker,«WhereWacefearedtotread:onMerlin’spropheciesinthereignof�enriII»,Arthuriana,6(1996),p.36-52,àlap.36).Surlesuccèsnondémentidesprophétiesau-delàmêmeduMoyenÂge,voirMichaelJ.Curley,«�nimalsymbolisminthepropheciesofMerlin»,dansBeasts and birds of the Middle Ages: the bestiary and its legacy,éd.Willene�.Clark&Meradith�.McMunn,Philadelphia,UniversityofPennsylvaniaPress,1989(coll.�heMiddle�gesseries),p.151-163,p.152.

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seules�, voire ont pu servir de prête-nom à des créations littéraires totalement autonomes�, l’Historia n’en a pas moins continué à apparaître comme le texte matrice au sein duquel le prophète avait pris naissance. Les prophéties de Merlin, et plus généralement les épisodes arthuriens qui mettent en scène ce personnage, constituent donc un passage attendu de tout lecteur de l’Histoire des rois de Bretagne, et ce, qu’il découvre directement la prose latine de Geoffroy de Monmouth ou qu’il se tourne vers l’une de ses traductions vernaculaires.

En effet, si l’Historia s’est d’abord diffusée dans sa langue originelle de composition, elle a été mise par la suite à la disposition d’un public moins érudit sous forme de traductions françaises�. La première et la plus célèbre – dont les libertés prises par rapport au modèle rendent d’ailleurs son statut de translacion ambigu – est le Roman de Brut de Wace, rédigé au xiie siècle en octosyllabes�. Mais de même que la chronique latine de Geoffroy n’a pas cessé d’être copiée du xiie au xve siècle, de même le mouvement de mise en roman de son texte s’est échelonné jusqu’à la fin du Moyen Âge. La diffusion vernaculaire reste toutefois beaucoup plus limitée sur le plan quantitatif, puisqu’on n’a pu recenser jusqu’ici, outre les translacions des seules prophéties�, que quatre traductions

� �nviron25copiesautonomesdutexteontétérepéréesparCarolineD.�ckhardt��voirlalisteprécisedecesexemplairesdansCarolineD.�ckhardt,«�heProphetia Merlini ofGeoffroyofMonmouth:latinmanuscriptcopies»,Manuscripta,26(1982),p.167-176.

� Parmi les�uvresromanesquesoupolémiquesayantcirculésouscetteétiquette,oncomptenotammentlesProphesies de Merlinde«maîtreRichartd’Irlande»,rédigéesàlafinduxiiiesiècle,etdontlesrelationsavecl’HistoriadeGeoffroydeMonmouthsontplusquelointaines(surlessourcesdecetexte,quisontplutôtàrechercherducôtédesgrandessommesromanesquesarthuriennesduxiiiesièclequedelachroniquelatineduxiiesiècle,voir�athalieKoble,«Lesprophesies de Merlin,romanenproseduxiiiesiècle:éditioncritiqueetcommentairelittéraire»,École nationale des chartes. Positions des thèses soutenues par les élèves de la promotion de 1997(1997),p.193-197,(enpart.p.193).

� �uplanchronologique,sadiffusionenlatinneralentitpasjusqu’àlafinduMoyenÂge,etmêmeau-delà.Voiràcepropos,JohnS.P.�atlock,The legendary history of Britain: Geoffrey of Monmouth’s �istoriaregum�ritanniæand its early vernacular versions, �erkeley/Los�ngeles,UniversityofCaliforniaPress,1950,p.460.

� L’éditiondeceromanparIvor�rnold(Wace,Le roman de Brut,éd.IvorD.O.�rnold,2t.,Paris,Sociétédes�nciens�extesFrançais,1934),quin’étaitplusdisponible,aétérécemmentrevueettraduiteenanglais:Wace’s Romande�rut : a History of the British, text and translation,éd.ettrad.JudithWeiss,�xeter,Universityof�xeterPress,2002.

� PouruninventairedesdifférentestraductionsfrançaisesdesprophétiesdeMerlinquiontpuêtrerédigéesauMoyenÂge(qu’ellessoienttotalesoupartielles,commentéesounon),voirRichard�rachsler,«DesProphetiæ MerliniauxProphecies Merlin,oucommenttraduirelesvaticinationsdeMerlin»,dansActes du colloque “Translatio” médiévale organisé par le laboratoire d’études et travaux sur les translations européennes et le centre de philologie et de linguistique romane (Mulhouse, 11-12 mai 2000),éd.ClaudioGalderisietGilbertSalmon,Paris,Sociétédelangueetdelittératuremédiévalesd’ocetd’oïl,2000(Supplémentauvol.26dePerspectives médiévales),p.105-124.

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françaises complètes de l’Historia – dont aucune n’a été abondamment copiée�. Il s’agit de l’Estoire des Bretons, texte anonyme du xiiie siècle conservé dans le seul manuscrit Paris, bnF fr. 17177� ; de la Chronique des Bretons, traduction également anonyme et sans doute rédigée dans la première moitié du xve siècle�0 ; enfin, le Roman de Brut de Jehan Wauquelin a été composé à la cour de bourgogne dans les années 1444-1445��. Ces trois translacions sont en prose ; elles ont été rédigées indépendamment les unes des autres et, se fondant surtout sur la chronique de Geoffroy de Monmouth, elles ont fait plus ou moins d’emprunts au remaniement octosyllabique de Wace��.

C’est que le projet des traducteurs ayant travaillé après Wace est différent du sien : alors que, pour ce dernier, l’Historia n’est au fond qu’un canevas qu’il

� Leurdiffusiondoittoutefoisêtrerevuelégèrementàlahaussesil’ontientcomptedescompilationsintégrantenleurseinunetraductiontotaleoupartielledel’Historia.C’estnotammentlecasduRecueil des croniques et anciennes istoires de la Grant BretaignedeJeandeWavrin,quifondelesprémicesdesonrécitsurunetraductionfrançaisedel’Historia��cettepremièresectiondutexteestconservéedanstroismanuscrits(JehandeWavrin,Recueil des croniques et anchiennes istories de la Grant Bretaigne, a present nommé Engleterre,éd.William�ardy,Londres,Longman,1864,5t.(coll.RerumbritannicarummediiæviiscriptoresorchroniclesandmemorialsofGreat�ritainandIrelandduringtheMiddle�ges,t.XL),t.I,p.CCx-CCxi).

� Cetteuniquecopieestanoure��toutefoisl’examendumanuscritParis,�nFfr.17177suggèrequecettelacuneestaccidentelle,letextes’interrompantbrutalementaumilieud’unephrase.Qu’elleaitounonétécomposéeintégralementavantd’êtretronquée,cettetraductioncouvreunelargemajoritéduvolumetextueldel’Historia(90%deseschapitresenviron),lerécitnes’interrompantqu’aucoursdel’épisodeconsacréàlavisitedesaint�ugustinen�retagne(cequicorrespond,dansl’originallatinau§188.The �istoriaregum�ritannie of Geoffrey of Monmouth1,A single-manuscript edition from Bern, Burgerbibliothek, ms. 568,éd. �eilWright,Cambridge,D.S.�rewer,1985,§188,p.134-35��cetteéditiondelaversion«vulgate»del’HistoriaseradésormaisdésignéeparlesigleHRB1).

�0 �lleestconservéedansles4manuscrits:Paris,�nFfr.2806,fr.5621etfr.16939��Città del vaticano, �iblioteca �postolica Vaticana, Regius Latinus 871. C’est le manuscrit le plus,�iblioteca�postolicaVaticana,Regius Latinus 871. C’est le manuscrit le plusRegiusLatinus871.C’estlemanuscritleplusancien,Paris,�nF,fr.2806,qui,datantdupremierquartduxvesiècle,fournitunterminus ad quempourletexte(pourlanoticedecemanuscrit,voirGéraldineVeysseyre,« Translater » Geoffroy de Monmouth: trois traductions en prose française de l’�istoriaregum�ritannie(xiiie-xve siècle),thèsededoctorat,UniversitéParisIV-Sorbonne,2002,t.III,p.5-41��àparaîtreauxéditionsDrozen2006).Ilenconserved’ailleursuneversionplusconcisequelesautrescopies.

�� Onenpossèdedeuxcopies:lesmanuscritsBruxelles,K�R10415-10416,etLondres,�LLansdowne214(fol.85ro-193ro).

�� SeulleRoman de BrutdeJehanWauquelinestexemptdetoutcontactavecletextedeWace.L’Estoire des Bretonsenreprendquelqueséléments��encorelespassagesenquestionsont-ilstellementcirconscritsqu’ilssemblentrésulter,plutôtquedel’intentiondutraducteur,del’interventiond’uncopistequiauraitcherchéàremédierainsiàunelacunematérielle(surledétaildecesemprunts,voirVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.V,p.15-16).LesChroniques des Bretonsontfait,àlaversionoctosyllabiquedel’histoirede�retagne,desempruntsplusconsidérables,puisqueplusieursportionsdecetexteentrelacentlespropositionsdeGeoffroyetcellesdeWace,etqued’autress’inspirentexclusivementdecedernier(voirVeysseyre,« Translater »,op. cit.,t.V,p.132-139).

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utilise de manière assez libre, les trois traducteurs postérieurs font montre d’un scrupule, d’une attention au détail, qui témoignent de leur volonté véritable de donner accès à la substance du texte de Geoffroy. Leur but est clairement d’opérer une transposition de sa lettre. Le contraste entre ces deux projets se cristallise notamment face aux prophéties de Merlin : alors que Wace, dans une pirouette, renonce à les interpreter ��, les trois traducteurs ultérieurs les considèrent manifestement comme un passage obligé��. Pourtant, les transposer en français constituait une gageure : autant le reste de l’Historia est écrit dans une prose limpide, autant les prophéties de Merlin sont émaillées de difficultés de tous ordres. Et si le texte est ardu dans la version du manuscrit de berne qu’édite neil Wright��, la tradition manuscrite à laquelle fut confronté chaque traducteur multipliait sans doute les embûches. En effet, si la rouerie du narrateur a volontairement plongé les paroles du prophète dans d’épaisses ténèbres��, l’effet initialement recherché a été décuplé lors de la diffusion de

�� «DuncdistMerlinlesprophecies/Quevusavez,çocrei,oïes,/Desreiskiaveniresteient,/Kilaterretenirdeveient./�evuilsunlivretranslater/Quantjonelsaiinterpreter��/�uleriendirenenvuldreie/Quesinefustcumjodirreie.»(Wace’s Roman de Brut,éd.Weiss,p.190,v.7539-7542).Lesmotifsdecettedémissionponctuelledupoèteanglo-normandontfaitcoulerbeaucoupd’encre.VoirnotammentleshypothèsesdeJean�lacker,quiconsidèrecerefuscommelerésultatd’unecertaineprudencepolitique:«�ecauseoftheimportanceofpropheticlitteratureinthe12thcentury,andthedelicatenatureofpoliticalprophecy,itisnotsurprisingthatWacewhowhishedtoremainintheking’sfavour(...)wouldaknowledgetheexistenceofMerlin’sprophecies,yetrefrainfromtranslatingthem.�venwithoutanaccompanyingcommentary,andoftenambiguous,Merlin’spropheciescouldbepowerful»(�lacker,«WhereWacefeared»,art.cit.,p.44).

�� Cefaisant,ilsrépondentàl’attentedeslecteursmédiévaux.�neffetplusieursd’entreeux,désappointésparlalacunevolontaireduromandeWace,ontfaitinséreràlaplacevoulueunetraductionhétérogènedesprophétiesdeMerlin.Parmiles17manuscritssubsistantsduRoman de Brut(voirlalistedecesexemplairescomplétésdansJudithWeiss,«Introduction»,Wace’s Romande�rut,éd. cit.,p.xxviii),onencompteaumoinstroisquiontétéainsiinterpolés.Ils’agitdesmanuscritsDurham,CathedralChapterLibrary,MSC.IV.27(finxiie-débutxiiiesiècle),Lincoln,CathedralChapterLibrary,Ms.104(xiiiesiècle)etLondres,�L�dditional45103(xiiiesiècle)sil’onsefieauxtravauxdeJean�lacker,quienrevientàlalisteétablieparIvor�rnold(IvorD.O.�rnold,«Introduction»,Wace,Le roman de Brut,op. cit.,p.vii-xii)enrécusantlescopiesplusnombreusescitéesparJohnS.P.�atlock(�atlock,The legendary history,op. cit., p.461-62,n.37)(voirJeanBlacker,«“�evuilsunlivretranslater”:Wace’somissionofMerlin’sPropheciesfromtheRoman de Brut»,dansAnglo-norman anniversary essays,éd.IanShort,Londres,�nglo-�orman�extSociety,1993,p.49-60,àlap.56).Jean�lackeramaintenantfaitparaîtreuneéditiondelaversiondécasyllabiqued’aprèslemanuscritDurham,CathedralChapterLibrary,MSC.IV.27etdodécasyllabiqued’aprèsLincoln,CathedralChapterLibrary,MS104(Jean�lacker,«�nglo-�ormanVersepropheciesofMerlin»,Arthuriana,15(2005),p.1-125).

�� HRB1,§112(1)-§118(74),p.74-84.�� Surl’obscuritécommemarquegénériquedudiscoursprophétiqueetcommepreuvedeson

authenticité,voirRichardWilliamSouthern,«�spectsofthe�uropeantraditionofhistoricalwriting:3.�istoryasprophecy»,Transactions of the Royal Historical Society,22(1972),p.159-180,p.161.

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ces vaticinations : dans ces lignes où les méandres mêmes du texte semblent pousser chaque copiste à la faute, les bourdons commis ont manifestement été légion. Du fait même de son extrême difficulté, ce passage constitue donc un observatoire privilégié du métier de chaque traducteur, du projet qui sous-tend son travail, des modalités de sa mise en œuvre. Il fournit en outre de précieuses données sur l’exemplaire latin consulté par chaque traducteur. bref, ce passage difficile au premier abord recèle un gisement d’informations précieuses pour affiner le portrait-robot de chaque translateur.

En effet, lorsqu’ils traduisent le reste de la chronique latine, faute d’employer dans le détail les mêmes techniques, les trois traducteurs déploient des compétences comparables au service d’un projet analogue : donner à lire l’histoire de bretagne d’après les données fournies par Geoffroy de Monmouth. En revanche, le traitement des prophéties suscite des réactions contrastées : aucun n’élude la difficulté, mais chacun manifeste une idée variable de la mission dont il se sent investi. La position de Wauquelin est la plus timorée : soit prudence, soit difficulté, il se raccroche mot à mot aux vaticinations latines, aboutissant ainsi, volontairement ou non, à une version romane dont le sens est au moins aussi impénétrable que celui de son modèle latin��.

Dans les deux traductions anonymes, le zèle est poussé plus loin : non seulement le discours du prophète est transposé en français, mais il est aussi interprété, c’est-à-dire que des gloses explicatives tentent d’en débusquer le sens caché. Cette démarche identique a toutefois donné lieu, dans les deux translacions anonymes, à des réalisations dont la teneur et l’ampleur varient : le traducteur du xiiie siècle ne cherche, derrière les propos du prophète, que des événements historiques exposés de manière cryptée et ses interventions, brèves et présentées comme objectives, ont toujours un volume inférieur ou égal à celui de l’extrait commenté. En revanche, l’auteur des Chroniques de Bretons fait feu de tout bois pour étoffer ses gloses : lorsque la clé historique s’avère inadaptée, il n’hésite pas à proposer un nouveau mode d’interprétation et se tourne alors vers la morale et l’eschatologie. En conséquence, alors que les gloses du manuscrit Paris, bnF fr. 17177, plutôt lapidaires, se tarissent progressivement, ne couvrant

17 Certes,Wauquelinestfidèleaussilorsqu’iltraduitlerestedel’Historia,maisailleursquedanslesprophéties,saprosen’estpasparticulièrementservileparrapportàlalanguedumodèle,etilexploitevolontierslesressourcespropresaufrançais.Parleursyntaxeetleurvocabulairelatinisants,lesprophétiesrévèlentunvéritablerevirementdanslestechniquesemployées.D’oùunrésultattrèscontrasté:alorsqu’ailleurslatraductiondeWauquelinselitaisément,ellenécessite,aucoursdesprophéties,uneéditionsynoptique,leparallèleaveclelatins’avérantindispensablepourcomprendrebiendestours(voircetteéditionendeuxcolonnesdansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.IV,p.583-601).

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que le quart du texte environ��, les commentaires explicatifs des Chroniques des Bretons se prolongent sur l’ensemble des prophéties, devenant même de plus en plus prolixes à mesure que l’opacité du texte s’accentue : le traducteur finit par s’approprier la parole, allant jusqu’à étouffer son modèle en enserrant son discours de ses commentaire de plus en plus luxuriants.

Quels que soient le contenu et l’étendue de ces gloses se pose la question de l’auteur de ces commentaires interprétatifs : le traducteur est-il également le rédacteur de ces tentatives d’élucidation, ou bien le texte latin a-t-il été soumis à deux interprétations successives – une première, purement linguistique, puis une seconde, de type exégétique ? Il est difficile de le savoir, et cette question de la composition des gloses est rendue plus épineuse encore par le rôle éventuel qu’ont pu jouer en amont des intervenants d’un autre ordre : les commentateurs des prophéties latines. En effet, le texte des prophéties tel qu’il a été écrit par Geoffroy de Monmouth avait déjà donné lieu, dans un certain nombre de manuscrits latins, à des gloses interlinéaires ou marginales��, voire à des commentaires autonomes, plus développés�0 ; or ceux-ci peuvent avoir exercé

�� Cesgloses,presquecontinuesdel’ouverturedesprophétiesau§114(15),seraréfientensuiteetperdentenprécision��ellesdisparaissenttotalementau-delàdelaprophétie§115(23)parcequ’iln’étaitpluspossibledeparveniràunsenssatisfaisantsimplementenlisantl’Historiaelle-même.Voir,surcepoint,�rachsler,«DesProphetiæ MerliniauxProphecies Merlin»,art.cit.,p.123-124.

�� ParmilesgloseslatinesdesprophétiesdeMerlinquiadoptentunedispositionmarginale,oncomptecellesquifigurentdanslemanuscrit3514dela�ibliothèquedelaCathédraled’�xeter(n°70dansJuliaCrick,The Historia regum Britannie of Geoffrey of Monmouth3, A summary catalogue of the manuscripts,Woodbridge,D.S.�rewer,1990–désormaisHRB3–,p.114-117),quin’ontvraisemblablementétéajoutéesqu’auxivesiècledanscemanuscritcopiéauxiiesiècle(voirJacob�ammer,«�refcommentairedelaProphetia Merlinidums3514dela�ibliothèquedelaCathédraled’�xeter(GeoffreydeMonmouth,Historia regum Britanniæ, l.VIII)»,Hommages à Joseph Bidez et à Franz Cumont,�ruxelles,Latomus,s.d.(coll.Latomus,t.II),p.111-119,icip.112).LesglosesdeJeandeCornouailletellesqu’ellesfigurentdanslemanuscritCittàdelVaticano, �iblioteca �postolica Vaticana, Ottob. Lat. 1474, sont à la fois interlinéaires,�iblioteca�postolicaVaticana, Ottob. Lat. 1474, sont à la fois interlinéaires,Ottob.Lat.1474,sontàlafoisinterlinéairesetmarginales(voirlareproductiond’unfeuilletdecemanuscritdansMichaelJ.Curley,«�neweditionofJohnofCornwall’sProphetia Merlini»,Speculum,57(1982),p.217-249,àlap.230)��toutefoisletextequiyestconsigné,s’ilreprenddesmotifsdesprophétiesquifigurentauseindel’Historia,divergedecelles-ciparlefondcommeparlaforme,lesprophétiesétantversifiéeschezJeandeCornouaille(voirCurley,«�newedition»,art.cit.,p.232-236).Demêmelesglosesanonymescontenuesdanslemanuscrit�nF,lat.6233sedéploient-ellesàl’interligneetdanslesmarges(Jacob�ammer,«�commentaryontheProphetia Merlini(GeoffreyofMonmouth’sHistoria regum Britanniae,bookVII)»,Speculum,10(1935),p.3-30,icip.4).

�0 CesdifférentscommentairessontactuellementétudiésparClaraWilledanslecadred’unethèsededoctorat(jeremercied’ailleursRichard�rachslerdem’avoirpermisdefairesaconnaissance).Laplupartrestentconsultablesparlebiaisdesseulsmanuscrits��uneminoritéatoutefoisfaitl’objetd’éditions,répertoriéesdansClaraWille,«LasymboliqueanimaledelaProphetia MerlinideGeoffroydeMonmouthselonuncommentaireduxiiesiècleattribuéà�laindeLille»,Reinardus,15(2002),p.175-190,icip.180,n.13.Lecommentaireleplusdéveloppéestceluid’�laindeLille.

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une influence plus ou moins directe sur le contenu des gloses romanes, de la traduction intégrale à la lointaine inspiration en passant par la reprise ponctuelle. Quoi que le défrichement de ces commentaires latins, dont la tradition textuelle et codicologique est complexe, soit encore en cours, nous tâcherons de voir si, dans l’état actuel des connaissances, il est possible de déceler des traces de leur influence sur les traductions romanes.

Que le texte des prophéties romanes tel qu’il nous a été transmis soit ou non le fruit de plusieurs interventions successives, il est manifeste que les copistes qui en ont calligraphié les exemplaires romans ont présenté les vaticinations et leurs gloses comme des entités étroitement associées, voire indistinctes. En effet, dans l’ensemble des manuscrits conservés, contrairement à ce que l’on peut observer dans bien des bibles latines ou françaises de la même époque�� – voire dans les manuscrits latins de Geoffroy�� –, prophéties et explications cohabitent systématiquement au sein du cadre délimité par la justification ; les deux types de textes sont en outre copiés d’une même main, dans une écriture de même gabarit. La seule tentative pour distinguer les deux niveaux énonciatifs réside dans l’usage sporadique d’encre de couleur ; encore constitue-t-elle une exception, puisque tous les exemplaires des Chroniques des Bretons sont monochromes��, et que seule la copie unique de l’Estoire des Bretons fait usage de rubriques pour mettre en valeur

�� LaVulgateétantdevenue,aufilduMoyenÂge,indissociableducommentaireautorisénomméglosa ordinaria(�ndréVernet,«�ibleauMoyenÂge»,Dictionnaire des lettres françaises : le Moyen Âge,éd.revueparGeneviève�asenohretMichelZink,Paris,Fayard,1992,p.174a-179a,icip.176b),lesbibleslatinesontadoptéunemiseenpagepermettant,aupremiercoupd’�il,dedistinguerletextesacrédesdifférentsniveauxd’apparat(explicationslexicales,recoursauxautorités...)quil’accompagnent,àl’interligneetdanslesmarges.Cettemiseenpagestandards’estsibienimposéequ’onlaretrouvejusqu’àlafinduMoyenÂgeetqu’elleestreproduitesansmodificationnotabledanslesimprimés:onpeutenvoirunexempledanslaBiblia Latina cum glossa ordinaria : facsimile reprint of the editio princeps Adolph Rusch of Strassburg, 1480-81,éd.KarlfriedFroehlichetMargaret�.Gibson,�urnhout,�repols,1992,reproductiondel’impressiondeStrasbourg,1480-1481.Lestraductionsromanesdela�iblemontrentlemêmesoucidedistinguerletextetraduitdelaglose:ladivisiondelapageenespacesdistinctsyestplusrarequ’endomainelatin,maisauseindel’espacecentraldélimitéparlajustification,lescopistestententdepermettreuneidentificationvisuelleimmédiatedesdeuxniveauxtextuels,enjouantsurlecalibredescaractères,ensoulignantlesglosesàl’encrerouge,ouencoreenayantrecoursàdespiedsdemoucheouàdesmentionsrubriquéesTexte / GloseouTexte / Incidentpouvantservirdebornes(surlesdifférentessolutionsmisesen�uvre,voirGeneviève�asenohr,«�raductionsetlittératureenlanguevulgaire»,dansMise en page et mise en texte du livre manuscrit,dir.�enri-JeanMartinetJeanVezin,Paris,ÉditionsduCercledelaLibrairie-Promodis,1990,p.231-327).

�� Voir, dans le présent volume, l’étude de ClaraWille.Voir,dansleprésentvolume,l’étudedeClaraWille.�� Ilfautdireque,dufaitdelavervedel’auteur,quinecessedes’affirmeraufuretàmesure

quelecommentaireavance,ladélimitationentreprophétieetglosen’estpastoujoursfacileàpercevoir:lessigneslinguistiquespermettantdelesdistinguern’étantpastoujoursaurendez-vous,lamiseenplacedebornesmatérielleseûtétéunetâchesingulièrementdifficile,mêmepouruncopistedebonnevolonté.

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la plupart des gloses, qui y sont écrites à l’encre rouge��. Il est vrai que la glose n’est pas toujours introduite par des marqueurs linguistiques explicites, loin de là : dans la plupart des cas, elle est simplement juxtaposée à la prophétie précédente. En conséquence, le copiste a pu rubriquer à tort des extraits des prophéties�� ou, plus rarement, omettre de rubriquer quelques passages explicatifs.

LES PROPhÉTIES DE MERLIN : UN TExTE LABILE

Une structure propice aux interpolations

Les prophéties de Merlin telles que Geoffroy les a écrites ont une structure discontinue : l’ensemble, tel un collier de perles, est formé de segments disjoints, matérialisés dans l’édition de neil Wright par un découpage en courts paragraphes dont la physionomie n’est pas sans rappeler les versets bibliques��. Entre deux segments de ce type, les liens logiques ou anaphoriques sont rares��. En conséquence, les éventuelles lacunes du texte, de même que les ajouts, peuvent intervenir de

�� Cetusaged’encrerougepourtranscrirelesglosesauseinducadrejustifién’estpasmentionnéparGeneviève�asenohrparmilesprocédéspermettantdedistinguertexteetglosedanslesmanuscritsbibliquesenfrançais,oùlesexplicationssontplutôtsoulignées(�asenohr,«�raductions»,art.cit.,p.325).Pourunereproductiond’unepagedumanuscritetunecourtenotice,voir,endernierlieu,l’Album de manuscrits français du xiiie siècle. Mise en page et mise en texte,parMariaCareri,FrançoiseFéry-�ue,FrançoiseGasparri,Geneviève�asenohr,GilletteLabory,SylvieLefèvre,�nne-FrançoiseLeurquin,ChristineRuby,Roma,Viella,2001,p.151-154.

�� C’estnotammentlecasdediversesportionsdelaprophétie§112(3)(voirParis,�nF,fr.17177,fol.97a��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., p.92).

�� Contrairementàladispositionenparagraphesqui,dansl’ensembledel’édition,reproduitlastructuredumanuscritde�erne,lesunitésdégagéesauseindesprophétiesdeMerlinontétédélimitéesparl’éditeur,etceselondescritèresdecohérenceetd’autonomiesémantiques,danslebutdepermettredesrenvoispluscommodesàcepassageparticulier(«IhavesubdividedtheProphetieintosmallerandmoremanageablesubsections,numbered1-74,eachrepresenting–asfarastheobscuresubject-matterpermitsthistobedetermined–adiscreteprophecydealingwithasingleeventorcloselyrelatedgroupofevents»,�eilWright,«Introduction»,HRB1,p.liv).

�� Onenrepèrecertesquelques-uns,notammentdanslapremièresériedeprophéties,dontcertainescomportentdespronomsanaphoriquesrelayantlaprophétieprécédente:eius(HRB1,§112(3),p.74)désignel’Aper Cornubiedu§112(2)(HRB1,p.74).Demême,illum(HRB1,§112(8),p.75)désigneleGermanicus uermisduversetprécédent.�outefois,ceslienssontraresetpourraientêtreregroupésauseindumêmeparagraphepardespartisprisd’éditiondifférents.Lesconnecteurslogiquesentrelesprophétiessontencoreplusrares,dufaitmêmeducontenudutexte–onrelèvetoutefoisuntamendanslaprophétie§112(9)(HRB1,p.75)–:laplupartdesprophétiess’ouvrentsurunadverbedetempsmarquantlasimplepostériorité,exinétantdeloinleplusfréquent(voirnotammentles§112(5),112(7):HRB1,p.75)��ilssontrelayésparleverbesuccedere(«venirensuite»),d’emploirécurrent(voirnotamment§112(10),112(11):HRB1,p.75-76).Maislaplupartdesversetssontsimplementjuxtaposés.

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an»lesprophétiesdeMerlin

manière subreptice ; et ce n’est pas l’enchaînement logique du raisonnement qui pourrait faire obstacle aux éventuels remaniements. C’est pourquoi le texte, par son contenu comme par sa structure, semble se prêter à des variations infinies.

Dans ce contexte, il semble impossible d’établir une version autorisée des prophéties latines��. Si le manuscrit de berne choisi par neil Wright pour son édition est sans doute assez proche de l’état originel du texte du fait de sa date comme de sa bonne qualité��, il est indubitable qu’il présentait déjà des variations par rapport aux prophéties composées par Geoffroy. D’où, notamment, des débats concernant l’authenticité de la prophétie : « Ue tibi neustria quoniam in te cerebrum leonis effundetur et dissipatis membris a natiuo solo eliminabitur ». Absente de la copie de berne, celle-ci figure dans plusieurs manuscrits assez précoces entre les prophéties §113 (12) et §114 (13) : certains critiques y ont vu un ajout de Geoffroy, d’autres une interpolation plus tardive�0. L’incertitude sur ce point n’est qu’une preuve supplémentaire de l’élasticité des prophéties figurant dans l’Historia.

Une tradition manuscrite fluctuante

Mais s’il est impossible de reconstituer le texte originellement composé – comme c’est d’ailleurs le plus souvent le cas pour les ouvrages médiévaux, en l’absence de manuscrit autographe –, il est aisé de constater que chaque traducteur en a eu sous les yeux une version fortement individualisée. En effet, certaines variations sémantiques particulièrement flagrantes entre la version fournie par neil Wright et chacune des traductions romanes des prophéties, surprenantes à première vue, trouvent facilement une explication si l’on rétablit le maillon intermédiaire dont il est impossible de faire abstraction : l’exemplaire latin des prophéties qu’a pu consulter chaque traducteur. Faute de pouvoir le retrouver concrètement, il est très instructif de tenter d’en reconstituer un maximum de leçons, car celles-ci permettent de donner une logique à bien des traductions qui, sans cela, sembleraient totalement incohérentes. Ainsi la traduction de lux�� par lovecerviere��, ou encore

�� Cettedémarcheseraitmêmeentotaldécalageaveclesmentalitésmédiévales,la�ibleelle-mêmeayantcirculéjusqu’auConcilede�rentedansdesversionsfortdisparates(�ndréVernet,«�ibleauMoyenÂge»,art.cit.,p.175b).

�� Lemanuscritde�ernedatedesdernièresannéesduxiiesiècle(Wright,«Introduction»,HRB1,p.XX,etsurtoutp.XLIV-XLV).Surlesraisonsduchoixdecemanuscritpourélaborerl’éditiondutexte,voirWright,«Introduction»,HRB1,p.LI��l’éditeurs’appuienotamment,quantàlacirculationdel’Historiadanslesannéesquisuivirentsacomposition,surDavid�.Dumville,«�nearlytextofGeoffreyofMonmouth’sHistoria regum Britannieandthecirculationofsomelatinhistoriesintwelfth-century�ormandy»,Arthurian literature,4(1984),p.1-33.

�0 Pourplusdeprécisionsurcesdébats,voir�lacker,«WhereWace»,art.cit.,p.40.�� HRB1,§115(18),p.77:«�gredieturexeoluxpenetransomnia...».�� C’estainsiquelemotesttraduitdansl’Estoire des Bretons(Paris,�nF,fr.17177,fol.97vb��

éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.II,p.94).

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par lin ou linx��, qui peut interloquer à première lecture, devient bien naturelle si l’on rétablit, entre l’original et la translation, les variantes latines qui ont pu servir d’intermédiaire : lupa dans le premier cas, linx dans les deux autres. Et cette hypothèse concernant les leçons du (ou des) manuscrit(s) effectivement consulté(s) par chaque traducteur est en partie étayée par le fait que le second glissement, substituant linx (ou lynx) à lux, est attesté dans bien des représentants de la tradition manuscrite du texte – cette leçon est même largement majoritaire parmi les exemplaires consultés��, y compris parmi les manuscrits les plus fiables��.

De tels exemples ne sont pas rares et, en nous livrant à un exercice apparenté au thème latin sur les trois traductions, nous avons pu recenser près d’une centaine de points du texte où telle ou telle translacion permet de mettre au jour des divergences au sein de la tradition manuscrite latine. Le tableau suivant en rend compte, à partir des manuscrits subsistants que nous avons pu dépouiller jusqu’à ce jour��.

�� Lesdeuxmots,figurantrespectivementdanslesChroniques des Bretons (Paris, �nF,fr.2806,fol.42vc��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.III,p.103)etdansleRoman de BrutdeJehanWauquelin(Londres,�L,Lansdowne214,fol.148��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.IV,p.232)désignenttousdeuxle«lynx».�neffet,quoiquelemotfigureleplussouventaveclesterminaisons-sou-z,auxiiiesiècleilpeut,aucasrégime,êtregraphiélinparhypercorrection(voird’autresexemplesdecephénomènedans�dolf�obleret�rhardLommatzsch,Altfranzösisches Wörterbuch,10t.,�erlin-Wiesbaden,Steiner,1925-1976,t.V,col.493).

�� Voir,dansletableauci-après,lalignen°22.�� C’estnotammentlaversionquifiguredanslemanuscritchoisicommeexemplairedebasepar

�dmondFaralpoursonédition:Cambridge,�rinityCollege,1125(HRB3,p.66-67,n°39.Voir�dmondFaral,La Légende arthurienne : études et documents,t.III:Des origines à Geoffroy de Monmouth,Paris,Champion,1930,rééd.,Champion,1993,p.63-303,àlap.194).

�� �osdépouillementsrestentpartiels,lesmanuscritsdel’Historiaétantdisséminéstoutautourdumonde:nousavonscollationnél’ensembledesmanuscritsconservésàla�nF,soit26exemplaires(voirHRB3,p.256-261(n°164),p.262-275(n°166àn°175)etp.276-296(n°177àn°191))��27desmanuscritsactuellementconservésàCambridge(voirHRB3,p.42-43(n°26),p.44-59(n°28àn°34)etp.61-89(n°36àn°54)–dontlen°40comporteuneversionanouredesprophétiesdeMerlin–��lesdeuxmanuscritsconservésàlabibliothèquemunicipaledeDouai(voirHRB3,p.93-98(n°59etn°60))��lemanuscritLille,�M488(coteancienne533)(n°79dansHRB3,p.130)��lessixmanuscritsconservésauVatican(n°194à199dansHRB3,p.298-305)��lemanuscritdelord�arlech(désormaisAberystwyth,�ationalLibraryofWales,msPorkington17��n°10dansHRB3,p.13-14)dontlesleçonssontenregistréescommevariantesdansl’éditiond’�ctonGriscom(GeoffreyofMonmouth,The Historia regum Britanniæ, together with a literal translation of the welsh manuscript n°lxi of Jesus College, Oxford,éd.�ctonGriscom,trans.Robert�llisJones,Londres,Longmans,1929,rééd.Genève,Slatkine,1977,p.384-97)��leshuitmanuscritsdelapremièrevariantedontlalectioestpriseencomptedansl’éditionde�eilWright(voirGeoffreyofMonmouth,The Historia regum Britannie of Geoffrey of Monmouth2,The First Variant Version : a critical edition,éd.�eilWright,Cambridge,D.S.�rewer,1998–désormaisHRB2–,p.LXXVIII-XCI),sachantquelesprophétiesdeMerlinconcordentdanslaversionvulgateetlapremièrevariante(voirHRB2,p.17-19).�nfin,jetiensàremercierici�élène�iuquiaconsultépourmoilemanuscritMadrid,�iblioteca�acional,6319(F.147)(n°125dansHRB3,p.207-208).

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e veysseyre «Metreenrom

an»lesprophétiesdeMerlin

Leçon du ms. Berne Burgerbibliothek 5681��

Variantes reconstituées d’après

une ou plusieurs traductions��

Leçon des traductions��

1. �0seuicie (§112 (2)) *senicie�� a la viellesce (Brut)

2. emenso labore (§112 (4)) *immenso labore�� par son travail desmesuré (Estoire)3. ortulorum (§112 (4)) mortuorum de ses mors (Chroniques)4. sceptrigeri (§112 (4)) sceptri regii ceptres royaulx (Chroniques)5. ingens (§112 (4)) ingenuum noble (Chroniques)6. eneum uirum (§112 (4)) canum virum viellart (Chroniques)7. humabitur (§112 (7)) *humiliabitur�� sera humilié (Brut)8. ligno (§113 (9)) signo a banieres (Chroniques)9. matrem (§113 (9)) terram lor terres (Estoire)10. ligonibus (§113 (9)) ligaminibus liens (Chroniques)11. leo iusticie (§113 (11)) leo letitie le lion ou liepart de liesce (Chroniques)12. rugitum (§113 (11)) adventum ou accessum a son arivement (Estoire)13. dracones (§113 (11)) barones les barons (Chroniques)14. uaria uellera (§113 (11)) varia scellera divers crimes (Chroniques)15. Findetur (§113 (11)) *Fundetur�� sera espandue (Estoire)16. nidificabit (§113 (12)) vividabitur sera vivifiés (Chroniques)17. Deaurabitur (§114 (14)) Adorabit le amera (Brut)18. nidificatione (§114 (14)) vindicatione deffiance (Chroniques)

19. Euigilabunt (§114 (15)) Delectabunt ou gaudebunt s’esjoïront (Estoire)

20. taurorum (§114 (15)) caprorum des chevreaux (Chroniques)21. collocabitur (§114 (17)) collaudatur iert loéz (Estoire)

22. lux (§115 (18))*linx�� ou *lynx��

––lupa

le linx (Brut)le lin (Chroniques)une lovecerviere (Estoire)

23. manabunt (§115 (20)) *manebunt�� demoureront (Chroniques)24. montes (§115 (20)) fontes ou fontem les fontaines (Chroniques)25. Amne (§115 (23)) amenitatis de Doucheur (Brut)26. leenam de uado (§115 (23)) Elenam de Vado Helaine de Vado (Chroniques)

27. egentibus (§115 (26)) *gentibus��

edentibusas gens (Brut)aux mengans (Chroniques)

28. foliorum (§115 (28)) *filiorum�� des filz (Brut)29. Patriis uolatilibus (§115 (28)) *Patris volatibus�0 au volement son pere (Estoire)

30. tiliarum (§116 (30)) *olivarum�� olive (Chroniques)

31. lugebit (§116 (30)) fulgebit ou lucebit ou luxuriabit florira (Chroniques)

32. Cucullati (§116 (30)) Calamitosi ou occulcati ou calcati

ceulz qui seront oppriméz de douleur (Chroniques)

33. pallor (§116 (31)) cal(l)or chalours (Estoire)34. eliminabitur (§116 (32)) illuminabitur sera enluminee (Chroniques)

35. submarinis (§116 (33)) sub mammissub marc(h)iis

sous les mammelles (Brut)dessoubz ses marches (Chroniques)

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36. ceruus (§116 (34)) sceptrum un sceptre (Chroniques)37. cornua (§116 (34)) corpora cors (Estoire)38. nocuit (§116 (35)) docuit l’ensengnent (Chroniques)39. submarinorum (§116 (38))

marmorea ou marmorum marmoriennes (Chroniques)

40. Nocturno (§116 (39)) Octavo VIIIe (Chroniques)41. genera (§116 (39)) *grana�� les grains (Brut)42. sabrine (§116 (46)) fabri ou fabrile du fevre (Brut)43. cornu taurus (§116 (47)) *cornutus taurus�� toriaus cornu (Estoire)

44. figet (§116 (47)) *fiet��

––devenra (Estoire)sera fait (Brut)

45. Fauille rogi (§116 (48)) Familiares (ejus) ses familiers (Chroniques)46. submarini duces (§116 (48))

*marini lupi��

*submarini luces��loups maritains (Chroniques)lumiere de la marine (Estoire)

47. summergent (§116 (48))committent ou congregabunt ou colligent

assembleront (Chroniques)

48. fortes (§116 (50)) *fontes�� ou *fontem��

––la fontaine (Brut)la fontaine (Estoire)

49. bubo (§116 (51)) *bufo�� ung crapaut (Chroniques)

50. Aedificabit (§116 (51)) *Educabit�0

––il nourrira (Chroniques)le norrira (Estoire)

51. Maluernie (§116 (51)) malitia ou malitiis ou malignitate de malice (Chroniques)

52. titubabunt (§116 (52)) *titulabunt�� semondront (Chroniques)

53. turpati (§116 (53)) *turbati�� troubléz (Chroniques)54. oculorum (§116 (54)) olorum l’oudeur (Brut)55. Ascendet (§116 (54)) *Accendet�� il embrasera (Brut)56. Aper totonesius (§116 (55))

aper immanis ou aper inumanus le cruel sanglier (Chroniques)

57. Eliminabit (§116 (55)) *Eluminabit�� alumera (Brut)58. uindicabit (§116 (57)) Vincebit vainquera (Brut)59. alatus (§116 (58)) alitus le nourry (Brut)60. confringet (§116 (59)) corrumpet corrompra (Chroniques)61. transcendet (§116 (59)) transfiget ou transfodet il trespercera (Estoire)62. ascendet (§116 (59)) *Accendet�� il alumera (Brut)

63. eneruabunt (§116 (62)) *enumerabunt��

irruent ou invadentnombreront (Brut)envaïront (Estoire)

64. turgidus (§116 (62)) tinctus ou tincturus taint (Chroniques)65. corripietur (§116 (64)) corrigetur il sera corrigiet (Brut)66. uacabit (§116 (65)) *Vocabit�� appellera (Chroniques)67. stateram (§116 (66)) statuam l’estatue (Chroniques)68. maria (§116 (67)) mortui les mors (Chroniques)

69. et stateram (§116 (69)) *ad stateram��

ad sedema la poise (Estoire)au siege (Chroniques)

70. Cornubiam (§116 (70)) *cornua�� ses cornes (Brut)

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e veysseyre «Metreenrom

an»lesprophétiesdeMerlin

71. in uino (§116 (71)) *in uno�0

in vivoseront tout ung (Chroniques)en vif (Brut)

72. auri (§116 (71)) diurni dou jour (Estoire)73. celo (§117 (71)) collo leur col (Brut)74. Arebunt (§117 (72)) *Ardebunt�� arderont (Estoire)

75. electro (§117 (73)) *electus��

et astral’esleu (Chroniques)et les estoyles (Estoire)

76. Omittent (§117 (73)) admittent souffrera (Chroniques)

77. urnam (§117 (73)) caudam le queuve (Brut)

78. iam (§117 (73)) *Jani�� de Jenvier (Brut)del dieu Janus (Estoire)

79. crepidinibus (§117 (73)) credentibus es creans (Brut)

80. radii (§117 (74)) *nidi�� del ni (Estoire)

�� Danscettecolonne,lesréférencesentreparenthèsesrenvoientauxnumérosdeparagraphesetdechapitresdel’éditionde�eilWright(HRB1).

�� Danscettecolonne,cellesdenoshypothèsesquisesontvuesconfirméesparleurprésencedansteloutelreprésentantdelatraditionmanuscritelatinesontprécédéesd’unastérisqueetsuiviesd’unrenvoiàunouplusieursmanuscrits��mêmelorsquelaleçonainsirestituéefiguredansplusdedeuxmanuscrits,seulsdeuxtémoinssontcités.�outefois,sicelle-ciestparticulièrementfréquente,nousavonsindiquécombiendefoisautotalnousl’avonsrencontréeaucoursdenosdépouillements.31deceshypothèsessurles87formuléesdansletableausontreprésentéesdansunmanuscritaumoins.

�� Danscettecolonne,lesréférencesauxdiversestraductionssontabrégéessouslaformesuivante:l’Estoirepourlatraductionanonymeduxiiiesiècle,Chroniquespourlatraductionanonymeduxvesiècle,etenfin�rutpourleRoman de BrutdeJehanWauquelin.

�0 Cenuméroetlessuivantssontdesimplesrepères,quenousavonsajoutéspourlacommoditédesrenvois.

�� VoirlemanuscritParis,�nFlat.13935(HRB3,p.289-91,n°186).�� VoirlemanuscritCittàdelVaticano,�iblioteca�postolicaVaticana,Vat.lat.2005(HRB3,

p.304-305,n°199).�� VoirlesmanuscritsCambridge,GonvilleandCaiusCollege,103/55(HRB3,p.44-45,

n°28)��Cambridge,StJohn’sCollege,msG.16(184)(HRB3,p.51-66,n°32),etc.Cetteleçonestreprésentéeà30reprisesdansl’ensembledesmanuscritsconsultés.

�� VoirnotammentlesmanuscritsCambridge,UniversityLibrary,Ii.4.17(1814)(HRB3,p.82-83,n°51)etParis,�nFlat.4126(HRB3,p.256-61,n°164).

�� VoirnotammentlesmanuscritsCambridge,FitzwilliamMuseum,302(olimPhillipps203)(HRB3,p.42-43,n°26)etCambridge,GonvilleandCaiusCollege,103/55(HRB3,p.44-45,n°28).

�� Voirlanote35.C’estaussilaleçonquifiguredanslaversionimpriméeducommentairedesprophétiesattribuéà�laindeLille:Prophetia Anglicana, Merlini Ambrosii Britanni, ex Incubo olim (ut hominum fama est) ante annos mille ducentos circiter in Anglia nati, Vaticinia & prædictiones ; a Galfredo Monumetensi Latine conversæ : una cum septem libris explanationum in eandem prophetiam, excellentissimi sui temporis Oratoris, Polyhistoris & Theologi, Alani de Insulis, Germani, Doctoris (ob admirabilem & omnigenam eruditionem, cognomento) Universalis, & Parisiensis Academiæ, ante annos 300. Rectoris Amplissimi,Francofurti,�ypisIoachimi�ratheringij,1603,s.p.(éditioncitéeparClaraWilledansWille,«Lasymboliqueanimale»,art.cit.,p.178,n.10).Cetimprimé,quoiquenonexemptdedéfauts,comporteàl’ouvertureuneversiondesprophétiesdeMerlindontlaproximitéparrapportaumanuscritde�erneestremarquable:ilcoïncideavecluipourlaplupartlieuxvariantsquenostraductionspermettentdedeviner.

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��0

�� VoirnotammentlesmanuscritsCambridge,UniversityLibrary,Dd.6.7(324)(HRB 3,p.72-73,n°42)etParis,�nF,n.acqu.lat.1001(HRB3,p.295-96,n°190).

�� VoirnotammentlesmanuscritsCambridge,FitzwilliamMuseum,302(olimPhillipps203)(HRB3,p.42-43,n°26)etCambridge,�rinityCollege,R.7.28(770)(HRB3,p.62-63,n°37).

�� VoirparexemplelesmanuscritsCambridge,�rinityCollege,R.7.28(770)(HRB3,p.62-63,n°37)etCambridge,UniversityLibrary,Kk.6.16(2096)(HRB3,p.83-85,n°52).

�0 VoirparexemplelesmanuscritsCambridge,UniversityLibrary,Dd.6.7(324)(HRB3,p.72-73,n°42)etCittàdelVaticano,�iblioteca�postolicaVaticana,Pal.Lat.962(HRB3,p.301-02,n°196).

�� VoirlesmanuscritsParis,�nFlat.7531(HRB3,p.281-84,n°182)etCittadelVaticano,�iblioteca�postolicaVaticana,Vat.lat.2005(HRB3,p.304-05,n°199).

�� VoirlesmanuscritsCambridge,FitzwilliamMuseum,302(olimPhillipps203)(HRB3,p.42-43,n°26)etCambridge,GonvilleandCaiusCollege,249/277(HRB3,p.45-49,n°29).Cetteleçonestreprésentée46foisparmilesmanuscritsconsultés��elleestenoutreproposéecommealternativedanslamargedumanuscritDublin,�rinityCollege,ms515(�.5.12)(HRB3,p.110-12,n°67),voirHRB2,p.109,n.69.C’estaussilaleçonquel’onrencontredanslaversionimpriméeen1603desprophétiescommentéespar�laindeLille(Prophetia Anglicana, Merlini Ambrosii Britanni, ex Incubo olim, op. cit.,s.p.).

�� VoirparexemplelesmanuscritsCambridge,FitzwilliamMuseum,302(olimPhillipps203)(HRB3,p.42-43,n°26)etCambridge,GonvilleandCaiusCollege,249/277(HRB3,p.45-49,n°29)��cetteleçonestreprésentée12foisparmilesmanuscritsconsultés.

�� VoirparexemplelesmanuscritsCambridge,FitzwilliamMuseum,302(olimPhillipps203)(HRB3,p.42-43,n°26)etCambridge,UniversityLibrary,Mm.5.29(2434)(HRB3,p.86-89,n°54)��cetteleçonestreprésentéeà43reprisesparmilesmanuscritsconsultés.

�� Uneleçonvoisine,submarini lupi,serencontredanslesmanuscritsCambridge,StJohn’sCollege,G.16(184)(HRB3,p.51-55,n°32)etCittàdelVaticano,�iblioteca�postolicaVaticana,Vat.lat.2005(HRB3,p.304-05,n°199).

�� CetteleçonestnotammentattestéedanslesmanuscritsCambridge,GonvilleandCaiusCollege,103/55(HRB3,p.44-45,n°28)etCambridge,UniversityLibrary,Kk.6.16(2096)(HRB3,p.83-85,n°52).

�� VoirnotammentlesmanuscritsCambridge,GonvilleandCaiusCollege,406/627(HRB3,p.49-50,n°30)etCambridge,StJohn’sCollege,G.16(184)(HRB3,p.51-55,n°32).

�� VoirnotammentlesmanuscritsCambridge,FitzwilliamMuseum,302(olimPhillipps203)(HRB3,p.42-43,n°26)etCambridge,GonvilleandCaiusCollege,249/277(HRB3,p.45-49,n°29).

�� VoirlemanuscritCambridge,FitzwilliamMuseum,302(olimPhillipps203)(HRB3,p.42-43,n°26).

�0 VoirlesmanuscritsCambridge,FitzwilliamMuseum,302(olimPhillipps203)(HRB3,p.42-43,n°26)etCambridge,UniversityLibrary,Mm.5.29(2434)(HRB3,p.86-89,n°54).

�� VoirparexemplelesmanuscritsCambridge,GonvilleandCaiusCollege,450/391(HRB3,p.50-51,n°31)etCambridge,StJohn’sCollege,G.16(184)(HRB3,p.51-55,n°32).

�� VoirparexemplelesmanuscritsParis,�nFlat.6041C(HRB3,p.274,n°174)etParis,�nFlat.7531(HRB3,p.281-84,n°182).

�� Voir,parexemple,lesmanuscritsCambridge,StJohn’sCollege,G.16(184)(HRB3,p.51-55,n°32)etCambridge,�rinityCollege,R.7.6(744)(HRB3,p.62-63,n°37).

�� Voirnotamment,àtitred’exemple,lemanuscritParis,�nFlat.6232(HRB3,p.276-77,n°177).

�� Voirlanote63.�� VoirparexemplelesmanuscritsCambridge,GonvilleandCaiusCollege,103/55(HRB3,

p.44-45,n°28)etCambridge,�rinityCollege,0.2.21(1125)(HRB3,p.66-67,n°39).�� VoirnotammentlesmanuscritsCambridge,�rinityCollege,R.7.6(744)(HRB3,p.62-66,

n°37)etParis,�nFlat.13710(HRB3,p.288-89,n°185).�� VoirparexemplelesmanuscritsCambridge,FitzwilliamMuseum,302(olimPhillipps203)(HRB3,

p.42-43,n°26)etCambridge,GonvilleandCaiusCollege,249/277(HRB3,p.45-49,n°29).

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géraldin

e veysseyre «Metreenrom

an»lesprophétiesdeMerlin

La longueur de ce tableau confirme d’emblée la profusion des lieux variants au sein des copies des prophéties de Geoffroy�� : on comprend pourquoi les spécialistes ayant travaillé sur l’Historia – et notamment, à une date récente, Julia Crick – ont écarté les prophéties des passages propices pour fournir un stemma, ou du moins un schéma de circulation, de l’ensemble du texte. En effet, dans chacun des manuscrits que nous avons eu la possibilité de consulter, nous avons pu recenser une moyenne de 20 lieux variants par copie, alors même que notre collation n’a pas été effectuée en continu sur l’ensemble des prophéties, mais seulement sur moins d’une centaine de mots ou d’expressions dont la transposition nous semblait troublante dans l’une ou l’autre de nos trois translacions��. Il est donc certain que le taux de lieux variants auquel nous parvenons, qui est déjà particulièrement élevé, ne constitue qu’un chiffre plancher et doit se situer largement en deçà de la réalité.

�� Les prophéties de Merlin françaises contenues dans le manuscrit Paris, �nFLesprophétiesdeMerlinfrançaisescontenuesdanslemanuscritParis,�nF, naf 4166,etéditéesparJulien�beddanssonmémoiredemaîtrisedel’UniversitédeParisIV-Sorbonne,confirmentcetraits’ilenétaitbesoin:n’yvoit-onpasnotammentmaxillis(HRB1,§114(14),p.76)traduitparmameles,commesisonauteuravaiteusouslesyeuxlaleçonmammis?Voir,dansleprésentvolume,l’étudedeJulien�bed.

�� 93leçonsontétéexaminéesdanschaquemanuscrit,et20,5enmoyennedivergentdecellesdumanuscritéditépar�eilWright��cesontdoncenviron22%enmoyennedesleçonsquidivergentdecellesdumanuscritde�erne–seuls80lieuxvariantsfigurentdansnotretableauparcequenousn’yavonsretenuquenoshypothèseslesplusassuréesetlespluslisibles.

�� VoirnotammentlesmanuscritsCambridge,FitzwilliamMuseum,302(olimPhillipps203)(HRB3,p.42-43,n°26)etCambridge,UniversityLibrary,Mm.5.29(2434)(HRB3,p.86-89,n°54).

�0 VoirlemanuscritCittadelVaticano,�iblioteca�postolicaVaticana,Pal.Lat.962(HRB3,p.301-02,n°196).

�� VoirnotammentlesmanuscritsCambridge,FitzwilliamMuseum,302(olimPhillipps203)(HRB3,p.42-43,n°26)etCambridge,UniversityLibrary,Dd.10.32(591)(HRB3,p.76-77,n°45).

�� VoirlemanuscritParis,�nFlat.13710(HRB3,p.288-89,n°185).�� VoirparexemplelesmanuscritsCambridge,FitzwilliamMuseum,302(olimPhillipps203)

(HRB3,p.42-43,n°26)etCambridge,UniversityLibrary,Mm.1.34(2295)(HRB3,p.85-86,n°53).�outefois,les-i-n’étantpassystématiquementpointésdanslesmanuscritsmédiévaux,ilestpossibled’imaginerquelamépriseentrejam et janisoitintervenueaustadedelatraduction:certainsdenostranslateursontpuconsulterunecopieportantlamêmeleçonquecelledumanuscritde�ernetoutentraduisantcommes’ilslisaientjani.

�� Voir,parexemple,lemanuscritCambridge,�rinityCollege,R.7.28(770)(HRB3,p.62-63,n°37).

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En outre, les leçons variantes par rapport au repère retenu ici – le manuscrit de berne – se révèlent extrêmement diverses. Si, en deux ou trois points, de nombreux exemplaires partagent une leçon divergeant de celle du texte choisi comme étalon, – leçon dont, sans surprise, on retrouve alors la trace dans deux au moins de nos traductions�� –, dans la plupart des cas, au contraire, ce n’est qu’un manuscrit, ou une poignée d’exemplaires, qui possèdent telle ou telle leçon originale qui, au total, reste isolée. Aucune famille de manuscrits ne se dégage à partir des prophéties, au moins d’après les dépouillements effectués jusqu’à présent ; mais peut-être sont-ils trop partiels pour s’avérer lisibles. Tout au plus peut-on mettre au jour quelques manuscrits dont le nombre de lieux variants par rapport au manuscrit de berne est particulièrement élevé��.

De même nos traducteurs ont-ils été confrontés à des manuscrits de qualité inégale. Chacun d’entre eux a eu sous les yeux une copie plus ou moins éloignée du repère choisi : on compte au total 23 lieux variants discernables par rapport au manuscrit édité par neil Wright dans l’Estoire des Bretons, 26 dans le Roman de Brut de Jehan Wauquelin et 44 dans les Chroniques des Bretons. Il est donc manifeste que, si le traducteur anonyme du xve siècle donne, plus que ses confrères, l’impression de prendre ses distances vis-à-vis de son modèle, c’est en partie parce qu’il n’avait pas à sa disposition la même Historia que nous, particulièrement pour ce passage : les copistes du texte latin qui l’ont précédé ont joué un rôle non négligeable.

Cet éclatement de la tradition manuscrite latine a aussi contribué à démarquer nos trois traducteurs les uns des autres : aucune des variantes que nous avons pu recenser ne concerne les trois translacions, qui présentent seulement des analogies deux à deux pour une poignée de lieux variants – quatre au total��. La rareté de ces coïncidences, jointe au fait que chacune d’entre elles est abondamment répandue dans la tradition manuscrite de l’Historia, non seulement confirme l’autonomie d’exécution de chacun des remanieurs, mais suggère que chaque traducteur a travaillé dans des bibliothèques distinctes. On peut même se demander si le fait d’avoir à sa disposition une riche bibliothèque n’est pas un élément ayant favorisé la relative proximité du travail de Wauquelin par rapport à la copie de berne. Travaillant à la cour de

�� Voir,dansletableauprécédent,leslieuxvariantsn°22et44.�� C’estnotammentlecasdumanuscritParis,�nFlat.7531(HRB3,p.281-84,n°182).�� Voir,dansnotretableau,leslignesn°22,44,48et50.

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e veysseyre «Metreenrom

an»lesprophétiesdeMerlin

bourgogne�0, il a peut-être pu confronter divers exemplaires de l’Historia��, ou seulement diverses versions des prophéties de Merlin�� en vue de reconstituer un texte plus orthodoxe que son contemporain��. Faute de se livrer à un travail d’analyse textuelle qu’il serait anachronique de lui imputer, il aurait pu panacher ainsi les leçons de divers manuscrits isolés, ce qui rendrait compte du fait que sa traduction ne ressemble de près ou de loin à aucun des manuscrits survivants de l’Historia regum Britannie – mais bien entendu, il se peut aussi qu’il ait travaillé à partir d’un exemplaire aujourd’hui perdu... Quoi qu’il en soit, la qualité honorable de la ou des versions qui ont pu servir de base à son travail n’a manifestement pas suffi à lever toutes les difficultés.

TRADUIRE, C’EST DÉjÀ INTERPRÉTER

La simple transposition du latin à la langue romane implique certains choix qui engagent nécessairement le traducteur dans la voie de l’interprétation. Toutefois, face à un texte aussi ardu que les prophéties de Merlin, chacun de nos translateurs a tenté de limiter l’écart entre le texte source et sa version vulgaire. Cette attitude est révélatrice des difficultés qu’ils éprouvent.

�0 �neffet,mêmesic’estauserviced’�ntoinedeCroÿqu’atravailléWauquelinlorsqu’ilrédigeaitcettetranslacion,iln’estpasexcluqu’ilaitpuconsulter,dèscetteépoque,lesmanuscritsdelabibliothèqueducale,lesCroÿfaisantpartiedel’entourageprocheduducde�ourgogne(voirRobert�orn,Les Croÿ, une grande lignée hennuyère d’hommes de guerre, de diplomates, de conseillers secrets, dans les coulisses du pouvoir sous les ducs de Bourgogne et la maison d’Autriche (1390-1612),�ruxelles,Éditeursd’artassociés,1981��surlacarrièred’�ntoine,voirpart.p.39a-45b).

�� �outefois,lesinventairesdelabibliothèquede�ourgogneéditésparJean-�aptiste�arroisnementionnentlaprésenced’aucunexemplairedel’Historia regum Britannieenlatin,touteslesréférencesà«�rutuset(…)laGrant�retaigne»,aux«CroniquesdelaGrant�retagne»ouàune«Chroniqued’�ngleterre»correspondantàdesouvragesdontl’incipitcommel’explicitsontenfrançais.VoirJean-�aptisteJoseph �arrois,Bibliothèque protypographique, ou librairies des fils du roi Jean, Charles V, Jean de Berri, Philippe de Bourgogne et les siens, Paris,�reutteletWürtz,1830,respectivement,p.7a,p.189(n°1289)etp.275(n°1927)��p.11a,p.208(n°1436)et270(n°1892)��p.11aetp.89(n°508).

�� Labibliothèquedesducsde�ourgognecomportaitmanifestementdiversescopiesdesprophétiesdeMerlin(voir�arrois,Bibliothèque protypographique,op. cit., p.55(n°76)et63(n°185)).

�� Ilnes’agitlàqued’unehypothèse,d’autantplusfragilequ’onignoretoutdel’auteurdesChroniques des Bretons,quin’apasnécessairementtravaillédansunmilieuculturelmoinsbienapprovisionnéenmanuscritsquelabibliothèqueducale...Satraductionayantrapidementcirculéenmilieubourguignon,commeleprouvesonintégrationauseindelacompilationdeJeandeWavrin(voir,supra,lan.8),iln’estpasimpossiblequ’ilaittravailléenmilieubourguignon.IldemeuretoutefoiscertainquesatraductionetcelledeWauquelinn’ontpasétéeffectuéesàpartirdumêmeoriginal,nimêmed’originauxapparentés.

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Les indices d’une compréhension littérale délicate

Des infléchissements de la technique de traduction

Le changement d’attitude que manifestent les traducteurs à l’orée des prophéties de Merlin peut prendre diverses formes. Chez Wauquelin, ce manque d’aisance face à un modèle soudain inintelligible se traduit par une approche particulièrement méticuleuse et littérale du texte source. Alors que, face aux épisodes plus événementiels, et surtout plus limpides, de l’Historia, il ajoute volontiers son granum salis – c’est ainsi qu’il étoffe les récits ou les descriptions qui lui paraissent trop lapidaires en y insérant des précisions circonstancielles ou des explications, notamment à teneur psychologique�� –, il se garde de toute adjonction, fût-elle explicative, au sein du discours de Merlin. Mais plus encore que sa discrétion en tant que traducteur, ce qui révèle la gêne de Wauquelin, c’est la concision soudaine de son style : dans l’ensemble de son Roman de Brut, il montre une prédilection marquée pour la prose ample, voire ampoulée à nos yeux modernes, qu’affectionne à la fin du Moyen Âge le milieu bourguignon��. Or, face au « délire (...) échevelé » que constituent les vaticinations de Merlin��, Wauquelin carde brutalement les voiles et se met à suivre mot à mot chaque phrase. Les indices d’un tel revirement sont nombreux ; le plus flagrant est peut-être l’abandon soudain des couples de synonymes. Alors que, dans tout le reste du texte, Jehan Wauquelin affectionne tout particulièrement ce moyen d’amplifier la prose nerveuse de Geoffroy en lui imposant le balancement solennel de la cadence binaire��, il renonce soudain à cet ornement à l’orée des prophéties : tout au long des propos du mage de Wortigern, on n’en épingle qu’un unique spécimen, rapacité ou rapine ��.

�� Surcesajoutsd’unWauquelinquitantôttâchededéployerlesliensdecausalitéssous-entendusdanssonmodèle,tantôts’efforcederendrepluspittoresqueslesrécitsdebataille,voirVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.V,p.394-395.

�� Pourunedescriptiondestraitssaillantsdecetteécriture,communeàbiendeschroniqueursduxvesiècle, voir Jens Rasmussen,siècle,voirJensRasmussen,La prose narrative française du xve siècle, étude esthétique et stylistique,Copenhague,Munksgaard,1958.Uneégaledéperditioncaractériselatraductiondessubstantifs:auseindelaprophétiedu§115(20),lesdeuxsynonymeslatinsnomineetnuncupatiosontramenésauseulmotnomdanslatraductionanonymeduxiiiesiècle(Paris,�nFfr.17177,fol.97vb��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.II,p.95).

�� C’estletermequ’emploie�dmondFaralpourqualifierladernièrepartiedesprophéties(Faral,La légende arthurienne : études et documents2,op. cit.,p.65).

�� Oncompteenmoyenneuncoupledesynonymestousles18lexèmes(ou«motssignifiants»)danslesdixpremierschapitresduRoman de Brut,dont lateneurnarrativeestplusreprésentativedel’ensembledel’Historiaquecelledesprophéties.VoirGéraldineVeysseyre,,«L’itérationlexicaledanslaprosedeJehanWauquelin:outildetraductionouprocédéornemental?»,dansJehan Wauquelin, de Mons à la cour de Bourgogne. Actes du colloque de Tours (CESR, 20-22 septembre 2004),éd.Marie-ClaudedeCrécy,SandrineHerriché,GabriellaParussa,�urnhout,�repols,àparaître.

�� Cetteitérationlexicaletraduitlenomlatinrapacitas(HRB1,§113(11),p.76).

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e veysseyre «Metreenrom

an»lesprophétiesdeMerlin

Dans l’Estoire des Bretons, les difficultés d’analyse du traducteur se manifestent autrement ; plutôt que par un revirement de méthode, comme chez Wauquelin, sa peine à faire face aux nombreuses embûches du discours merlinien se traduit par l’accentuation de sa tendance continuelle à appauvrir, voire à gauchir, le vocabulaire du texte source��. Et comme ailleurs, c’est dans le travail de transposition des verbes que ce trait transparaît de la manière la plus accusée. Ainsi, les différents verbes qui, chez Geoffroy, expriment un changement, une arrivée, voire même les verbes d’action, tendent à converger, lors du passage au français, vers le verbe estre, seul ou étayé de quelques précisions :

« Sex posteri eius sequentur sceptrum » → « Aprés lui seront VI de sa

lignie »�0,

« Pluet sanguineus ymber » → « Pluie de sanc sera »��,

« arripiet mortalitas » → « mortalitéz iert »��,

« aree messium infructuosos saltus redibunt » → « li champ seront plain de

buison »��,

« Iugum perpetue seruitutis ferent » → « Il seront serf pardurablement »��.

Il n’est pas besoin de prolonger cette liste d’exemples pour constater que le verbe estre colonise bien des propositions au gré de la transposition du latin au français ; et cet appauvrissement du vocabulaire ne se limite pas aux verbes, mais se manifeste face à des mots de diverses natures grammaticales��.

�� SurcettetendancedutraducteuranonymeduxiiiesiècleàréduirelarichesselexicaledeGeoffroydeMonmouth,voirVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.V,p.30-33.

�0 HRB1,§112(3),p.74��Paris,�nFfr.17177,fol.97,éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.II,p.92.

�� HRB1,§112(3),p.74��Paris,�nFfr.17177,fol.97,éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.II,p.92.

�� HRB1,§112(5),p.75��Paris,�nFfr.17177,fol.97b,éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.II,p.92.

�� HRB1,§112(5),p.75��Paris,�nFfr.17177,fol.97b,éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.II,p.92.

�� HRB1,§113(9),p.75��Paris,�nFfr.17177,fol.97b,éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.II,p.93.

�� Citonsnotammentlatraductionuniformedesdeuxadjectifsniueusetcandida(HRB1,§115(19),p.77)parleseulcaractérisantfrançaisblanc(Paris,�nF,fr.17177,fol.97vb��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.II,p.94).Lemêmephénomènes’observeauseindelaprophétiedu§116(61),oùcolore niueoetcandidumsontuniformémentrenduspar«deblanchecolor»et«blanc»(�nFfr.17177,fol.99a��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.II,p.98).Paris,�nF,fr.17177,fol.97vb��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.II,p.95).

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Or la simplification du vocabulaire au profit de mots plus courants tend à modifier non seulement le registre du texte source��, mais aussi son contenu sémantique, bien des détails passant à la trappe��.

Seul le traducteur anonyme du xve siècle se garde de trahir les difficultés de son métier par un net revirement d’attitude par rapport aux méthodes qu’il emploie face au reste de l’Historia. Toutefois, d’autres indices, cette fois communs aux trois textes, permettent de deviner les écueils ponctuels auxquels nos trois remanieurs se sont heurtés.

Des expédients divers pour faire face à l’obscurité du lexique

Geoffroy de Monmouth a placé dans la bouche de son mage des prophéties à la fois animées d’un souffle poétique évident, et dénuées de tout sens clair et univoque. Parmi les procédés qui visent à construire cette rhétorique de l’obscurité inspirée, on compte le recours à un lexique riche en éléments rares, voire rarissimes. Face à ces trouvailles originales, les traducteurs sont tous dans l’embarras, mais s’orientent vers des expédients divergents.

�� C’estdansunregistreplusélevéques’exprimeenlatinleprophète,sarhétoriquecroisantl’héritagedel’�ntiquitéclassiqueetlesempruntsàla�ible(surcettedoublesourced’inspiration,voirnotammentFaral,La légende,op. cit., t.II,p.52-53��voiraussi�atlock,The legendary history,op. cit., p.405,oùlesprophétiesdeMerlinsontrapprochéesdelaPharsaledeLucain).

�� Onnoteraque,sicetteréductiondeladiversitélexicaleauprofitdemotscourantsestpatentedansl’Estoire des Bretons,ellen’estpasl’apanagedesonrédacteur.�insilestroistranslateurstendent-ilsàremettreàplatlesdifférentesdésignationsdel’eauemployéesparGeoffroydeMonmouthdanslesprophétiesdes§115(31)et§115(33)(HRB1,p.78-79):aquaetsessynonymespluspoétiques,limpha etliquor.�neffet,sicetteréalitéestdésignéedanslemodèlelatinpartroismotsdistincts,cetterecherchedevariationestramenéeauxseulesformesiaueeteve–graphiestoutesdeuxissuesd’aqua–dansl’Estoire des Bretons(Paris,�nF,fr.17177,fol.98a-98b��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.II,p.96)��quantauxdeuxtraducteursduxvesiècle,ilsnefontalternerquedeuxdésignations:yaueou(yauwe)etliqueur(Paris,�nF,fr.2806,fol.45b��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.III,p.110etLondres,�L, Lansdowne214,fol.149��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.IV,p.235).Onnoterad’ailleursquelesubstantifliqueurestsousleurplumeunnéologismedesenscar,silemotestbienattestédepuislexiiesiècle,ill’estausensde«liquide»oude«boisson»(�oblerLommatzsch,Altfranzösisches Wörterbuch,op. cit., t.V,col.404-405,art.licor)��onnerencontrel’acceptiond’«eau»,quiestlaplusprobableici,nidansledictionnairedeGodefroy(Frédéric Godefroy,Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du ixe au xve siècle, 10t.,Paris,Pannier,1881-1902��réimpr.Vaduz-�ewYork,1961,t.10,p.86a-b),nidanslabasedeslexiquesdumoyenfrançais(��ILF/Équipe«moyenfrançaisetfrançaispréclassique»,2003-2005��basedelexiquesdemoyenfrançais(DMF1),siteinternet(http://www.atilf.fr/blmf),consultéele31mai2005),nidansWalthervon Wartburg,Französisches etymologisches Wörterbuch,continuésousladir.Jean-PierreChambonetJean-PaulChauveau,�onn-Leipzig-�erlin-Paris-�âle-�übingen,endernierlieuZbinden,25t.parus,1928-–désormaisFEW –,t.V,p.371,art.«liquor»).

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an»lesprophétiesdeMerlin

C’est ainsi que le mot diuersatoria ��, absent des dictionnaires de latin classique comme de latin médiéval, a manifestement décontenancé chacun de nos trois translateurs��. En conséquence, le premier l’a omis, simplifiant ainsi une phrase qui continue d’être cohérente sans cette précision somme toute accessoire :

« Expellet illum per regni diuersatoria » → « Il le deboutera par le regne »�00.

Les deux traducteurs du xve siècle en revanche, qui semblent plus soucieux de préserver chacun des maillons du texte source, fût-il opaque, ont tenté de trouver un équivalent linguistique pour ce mot. Mais comme ils ne l’ont pas davantage compris, ils l’ont calqué sous la forme d’un néologisme : les diversores du regne chez Wauquelin�0�, les lieux diversaires du royaume dans les Chroniques des Bretons�0�.

Mais si, dans le cas précédent, le rédacteur des Chroniques des Bretons avait recours à un terme suffisamment large pour ne guère risquer le contresens, il se lance ailleurs, avec plus ou moins de bonheur, dans des devinettes plus audacieuses. Ainsi, lorsqu’il rencontre le nom calamistrati �0� – attesté en tant qu’adjectif, son sens exact est « frisé au fer »�0� –, il fait de ses référents des

�� HRB1,§116(56),p.82.�� IlnefigurenidansFélixGaffiot,Le Grand Gaffiot, dictionnaire latin-français,éd.revue

etaugmentéeparPierreFlobert,Paris,2000��nidansCharlesDufresneduCangeet al., Glossarium mediæ et infimæ latinitatis,6t.,Paris,Favre,1840-1846��nidansleThesaurus linguæ latinæ editus auctoritate et consilio academiarum quinque germanicarum, Berolinensis, Gottingensis, Lipsiensis, Monacensis, Vindobonensis,10t.parus,Leipzig,�eubner,1900-.Lemotsembled’ailleursavoiraussidésarçonnélatraductricemodernedutexte,LaurenceMathey-Maillequi,letransposanten«repaire»,sembleavoirludiversoriaaulieude diversatoria (GeoffroydeMonmouth,Histoire des rois de Bretagne,trad.LaurenceMathey-Maille,Paris,Les�elleslettres,1993,p.170��voiraussiGaffiot,Le Grand Gaffiot,op. cit., p.519a,art.«deversorium, -ii, n.»,oùfigurecommeseulevariantegraphiquediversorium).

�00 HRB1,§116(56),p.82��Paris,�nF,fr.17177,fol.98vb,éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.II,p.98.

�0� Londres,�L, Lansdowne214,fol.150v��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.IV,p.239.

�0� Paris,�nF,fr.2806,fol.48va��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.III,p.119.Lasolutionadoptéeiciparl’anonymeestpeut-êtrelaplusastucieuse:pourorientersonlecteurversunsenspossibledunomlatin,iltransformecedernierenadjectif,cequiluipermetdedonnerunevagueidéedesateneursémantique–qu’ils’estefforcédedevineràl’aideducontexte–parl’intermédiairedunomlieux.

�0� «Calamistratiuariauellerauestibunt…»(HRB1,§113(11),p.76).�0� Gaffiot,Le Grand Gaffiot,op. cit., p.244c.

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empovris�0�, ce qui semble difficile à justifier, même si l’on tente d’y voir le fruit d’une leçon latine erronée, ou bien d’une interprétation symbolique ou allégorique imprévue… Face au même écueil, ses deux collègues restent cohérents avec eux-mêmes : Wauquelin recourt au calque calamistrés�0� qui, faute de dévoiler le sens du mot, fournit au lecteur un accès indirect à la lettre de l’Historia�0�. Quant au traducteur anonyme du xiiie siècle, il manifeste le même souci qu’ailleurs de rendre ces prophéties accessibles, quitte à prendre quelques libertés vis-à-vis de leur lettre. Ainsi traduit-il calamistrati par « li noble home »�0�, expression des plus limpides, même si elle ne rend qu’imparfaitement le sens du mot source�0�.

De tels exemples pourraient être multipliés, nos trois traducteurs ayant fort à faire avec les vocables alambiqués qui fourmillent dans la bouche du prophète. Faute de les traduire toujours avec exactitude, chacun d’entre eux leur trouve une transposition conforme à ses objectifs : l’anonyme du xiiie siècle les rend compréhensibles, parfois au prix de simplifications sémantiques qui confinent à la platitude��0. Wauquelin en calque beaucoup et offre à son lecteur un texte

�0� «�tlesempovrisserontparmiserevestusdediverscrimes…»(Paris,�nF,fr.2806,fol.41vb��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.III,p.99).

�0� «Lescalamistrésvestirontviaurresvariables...»(Londres,�L,Lansdowne214,fol.147v��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.IV,p.230).

�0� Lemotcalamistrén’estattestéenfrançaisdanssonsensactuelquedepuis1762(Trésor de la langue française : dictionnaire de la langue française du xixe et du xxe siècle (1789-1960), dir.PaulImbs,16t.,Paris,C�RS-Gallimard,1971-1994,t.V,p.21b).�outefois,commec’estsouventlecaspourlespremièresattestations,cettedatenenousinformeguèresurledegréd’acclimatationdumotenmoyenfrançais,etparticulièrementdanslapremièremoitiéduxvesiècle.Les chroniques des Bretonssemblent,pourleurpart,témoignerdufaitquelenomcalamistréestinconnudeleurauteur:commentaurait-ilpufairefausseroutesurl’acceptiondesonétymonlatins’ilavaiteuconnaissancedesondérivéemprunté?�ouspouvonsdoncpostulerque(commepourdiversores)Wauquelinignore,toutcommesoncollègueetcontemporain,lesensdecemotetprocèdedonciciàunefrancisationformelleayantdonnénaissanceàunnéologisme.SurlesenspossibledupassagechezGeoffroy,voirJacob�ammer,«FoppishCoiffuresinGaufreyofMonmouth’sProphetia Merlini»,Speculum,12(1937),p.503-08.

�0� «Lorssevestirontlinoblehomedediversetoison»(Paris,�nF,fr.17177,fol.97va��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.II,p.93).

�0� Onseraitd’ailleurscurieuxdesavoiràquoicorrespond,poursonauteur,unetelletraduction:est-ceunedevinette,plusheureuseparcequemoinstéméraire,quecelledel’anonymeduxvesiècle,oubienunegloseexplicativesupposéeendébusquerlecontenusymbolique?

��0 C’estainsinotammentquecollateralibus (HRB1,§114(14),p.76)esttraduitpar«d’entor»(Paris,�nF,fr.17177,fol.97va,éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.II,p.94)��etnidificatione(HRB1,§114(14),p.76)par«ni»(Paris,�nF,fr.17177,fol.97va,éd.dans Veysseyre,« Translater »,op. cit., t.II,p.94).

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truffé de néologismes : de cucules ou cuculés��� à decimation���, en passant par les noms collaterales��� ou nidification���, etc. L’effet produit est somme toute assez semblable à celui auquel pouvaient prétendre les prophéties latines. En effet, les lecteurs du xve siècle étaient déjà accoutumés aux traductions latinisantes���, ce qui les rendait aptes à goûter la dimension savante conférée au texte par quelques calques ; en d’autres termes, le lecteur bourguignon pouvait trouver son bonheur dans cette traduction si l’on considère que les emprunts au latin

��� Londres,�L, Lansdowne214,fol.149��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.IV,p.235.Onpeuthésiter,enmatièred’édition,entrecucule(qui,àpartirdusensde«capuchedemoine»,pourraitenveniràdésigner,parmétonymie,sonpropriétaire)etcuculé(«dotéd’unecapuche»)��àl’époquedeWauquelin,tousdeuxconstitueraientdesinnovationslexicales,lepremiern’étantattestéqu’àpartirde1488(FEW,t.II2,p.1453a,art.cuculla)etlesecondétantabsentdetouteslesressourceslexicalesconsultées.Quoiqu’ilensoit,letermetraduitlelatincucullati,quiapparaîtdansl’Historiaentantqu’adjectifsubstantivé(HRB1,§116(30),p.78)aveclesensde«quiporteuncapuchon»(Gaffiot,Le Grand Gaffiot,op. cit., p.452b)

��� Londres,�L, Lansdowne214,fol.147v��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.IV,p.235.L’emploidecemotconstitue,souslaplumedeWauquelin,unnéologismedesens,letermedecimationn’étantbienattestédepuislexiiiesièclequ’ausensde«dîme»(Godefroy,Dictionnaire de l’ancienne,op. cit., t.II,p.444b),etétantinconnudetouteslessourceslexicalesconsultéesausensqueluidonnaitGeoffroydeMonmouth.�neffet,letermeromancalqueicidecimatio(HRB1,§113(9),p.75),quisignifiait«actiondedécimer»(Gaffiot,Le Grand Gaffiot,op. cit., p.478c).

��� Londres,�L, Lansdowne214,fol.148��éd.dansVeysseyre,« Translater… »,t.IV,p.232.Cemotn’estpasàproprementparlerunnéologisme,puisquelenommasculinplurielcollaterausestattestéausensde«parentsenlignecollatérale»depuislexiiiesiècle(FEW,t.V,p.205a,art.latus).�outefois,l’emploiquienestfaitdansletextedeWauquelinn’estguèreusuel,puisqu’ilyestsubstantivéauféminin.�noutre,lemotsembleassezrare,puisqu’iln’estattestéqu’uneseulefoisdanslabasetextuelleFrantextdumoyenfrançais(siteinternethttp://atilf.atilf.fr/dmf.htm)pourlapériode1300-1500(l’exemplefourniesttirédeVillon).Ils’agitsouslaplumedeWauquelind’uncalquedulatincollateralibus(HRB1,§114(14),p.76).

��� Londres,�L, Lansdowne214,fol.148��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.IV,p.232.L’entréedecemotdansnotrelangueparvoied’empruntdateraitseulementduxviiiesiècleavec�uffon(FEW,t.VII,p.122b,art.nidus).C’esticisurlelatinnidificationequ’ilestformé(HRB1,§114(14),p.76).

��� Ontrouvenotammentdanslabibliothèquedelacourde�ourgogned’asseznombreuxexemplairesdelatraductionde�ite-LiveparPierre�ersuire:«�itusLivius,enfrançois,parleprieurdeSaint-�loydeParis(...).�raductionparPierre�erceure»(�arrois,Bibliothèque protypographique,op. cit., p.40et49(n°3)��p.85(n°489),p.90(n°513),p.93(n°540),p.95(n°556),p.106(n°607),p.141-142(n°867à871),p.230(n°1624-25)etp.244(n°1703)).Celle-ciétaitcélèbre,aumilieuduxvesiècle,poursonobscurité,quiétaitdueàsaproximitélinguistiqueparrapportaumodèlelatin.�ntémoigne,en1452,cetextraitduMirouer historial abregié de France:«�le��royCharles,touteffoizqu’illisoitladictetranslation,disoitqueenlapluspartelleestoitaussiobscurecommeletextedelatin»(citédansFrédéricDuval,«Leglossairedetraduction,instrumentprivilégiédelatransmissiondusavoir:LesDecades de Tite-Live parPierre�ersuire»,dansLa Transmission du savoir au Moyen Age et à la Renaissance,vol.1,Du xiie au xve siècle,éd.Pierre�obel,��esançon��,PressesUniversitairesdeFranche-Comté,2005(coll.Littéraires),p.43-64.

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jouaient dans la traduction de Wauquelin le même rôle que dans l’Historia les raretés empruntées aux poètes antiques ou au vocabulaire spécifiquement biblique���. La traduction la plus « maladroite » à première vue n’est donc pas nécessairement la moins fidèle���… L’attitude du traducteur anonyme du xve siècle face aux mots qu’il a du mal à élucider est sujette à davantage d’oscillations, du calque à la transposition hasardeuse.

vers des prophéties dénaturées ?

Une certaine déperdition des figures de rhétorique

L’écriture de Geoffroy, digne émule de Virgile���, est fondée sur des procédés d’écriture conscients et maîtrisés. Il n’est pas question ici d’en dresser un inventaire complet ; toutefois il n’est pas inutile d’observer le devenir de certains de ces traits, et notamment des figures de répétition, au cours de la transposition romane des prophéties.

Le rythme de la prophétie composée par Geoffroy s’appuie en effet sur le retour régulier, parfois même lancinant, de certains motifs ou de certains mots���. Or, même lorsque la volonté expressive de tels procédés est évidente, et notamment lorsque la reprise intervient sur un segment textuel de dimension réduite, les traducteurs n’y sont pas attentifs – ou du moins, si, en tant que lecteurs, ils ont perçu un tel martèlement, ils ne jugent pas à propos de le reproduire dans leur propre ouvrage. Examinons, à titre d’échantillon, les diverses traductions de l’extrait suivant :

��� Surcesemprunts,voirsupralanote96.��� Maladroitestl’adjectifquitendàapparaîtreleplussouventdanslesouvragescritiques

portantsurdestraductionslatinisantes.L’undestraducteursquis’estfréquemmenttrouvéexposéàcetypedereprochesestJeandeVignay(voirnotammentlejugementdeChristineKnowles,«JeandeVignay,untraducteurduxvesiècle»,Romania,75(1954),p.353-383,àlap.372).

��� GeoffroyplacesontextedanslafiliationdeVirgile,notammentendotantl’Historia regum Britannied’unestructureanalogueàcelledel’Énéide,dontlerécitestinterrompuparlesprophétiesdelaSibylledeCumescommel’HistorialeseraparcellesdeMerlin(surcetteanalogiedestructureentrelesdeux�uvres,voir�rachsler,«DesProphetiæ Merlini»,art.cit.,p.111-12��surlesrelationscomplexesquilientl’Historia regum Britannieàl’Énéide,voirlestimulantarticledeJean-Yves �illiette:«Inventiondurécit.,La“�rutiade”deGeoffroy(Historia regum Britanniæ,§6-22)»,Cahiers de civilisation médiévale, 39(1996),p.217-33).

��� Parmicesmotifsfilés,oncomptenotammentlafaimoulastérilité(HRB1,§112(3)et(5),§115(25),§116(31),(39)et(40),p.74-80)��laruinedesÉglises,ponctuéedequelquesrestaurations(HRB1,§112(1),(3)et(8),§114(17),p.74-76)��différentesmanifestationsdeluxure(HRB1,§115(23)et§116(53),p.77et81)��enfinlemotifdesflotssangsqui,expriméleplussouventàl’aidedunomsanguis,apparaîtparfoissouslaformedusubstantifcruor(HRB1,§112(1)et(3),§113(12),§114(14),§115(20)et§116(30),(32)et(63),p.74-82).Onnoteenfinqueleverbetremereestrépétéàdiversesreprises:HRB1,§112(2),§113(11),§115(21)et§116(38),p.74-78.

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an»lesprophétiesdeMerlin

« Duas urbes duobus palliis induet et uirginea munera uirginibus donabit »��0,

qui devient :

→ « Il vestira II citéz de II pailes et establira abeïes a moynes et a nonains »

(Estoire des Bretons)���

→ « Il vestira deux citéz de pailles et leur donra dons virginaulx » (Chroniques

des Bretons)���,

→ « Il vestira II cités de II pailles et si donra aux vierges dons virginaux » (Roman

de Brut)���.

Leur diversité est caractéristique des aléas auxquels est soumise la transposition des répétitions simples (II...II) comme des répétitions à teneur étymologique avec variation de nature grammaticale (uirgineis... uirginibus). Wauquelin, dans son souci de suivre à la lettre le texte de son modèle, les conserve ; rien ne prouve toutefois qu’il y ait prêté une attention particulière, car il travaille avec un filet aux mailles si fines qu’il ne risque pas de laisser échapper quoi que ce soit, fût-ce du menu fretin���. Le traducteur anonyme du xve siècle en revanche, parce qu’il travaille à plus de distance du modèle, laisse totalement échapper ces deux répétitions���. L’auteur de l’Estoire des Bretons, quant à lui, n’a conservé que la réitération du numéral cardinal ; et plus qu’une attention au procédé de redoublement, il faut sans doute y voir chez lui une nouvelle manifestation de l’attachement qu’il porte aux chiffres, qui semblent constituer à ses yeux des précisions indispensables à tout récit historique de bonne facture���. De fait, dans ce passage où les facultés de chaque traducteur sont soumises à rude épreuve par des difficultés de tous ordres, l’obsession de chercher du sens l’emporte manifestement sur le respect de la cohérence lexicale et du rythme produit par

��0 HRB1,§114(17),p.76.��� Paris,�nF,fr.17177,fol.97vb��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.II,p.94.��� Paris,�nF,fr.2806,fol.42vc��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.III,p.103.��� Londres,�L, Lansdowne214,fol.148��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.IV,

p.232.��� D’ailleurs,ilnes’interditpasd’ajouterdesrépétitionsabsentesdesonmodèlelorsquecelles-

cisontusuelles(donra...dons).�ufond,ilsembleassezindifférentàcetypederécurrences��c’estque,parmilesprocédésquipeuventserviràornerlediscours,lesrépétitionsnesontpasl’objetd’uneattentionparticulière(surlesprocédésdestinésàélaboreruneproseouvragéequisontmentionnésdanslesartsderhétoriqueduxvesiècle,voirl’analysedeJensRasmussendansRasmussen,La prose narrative,op. cit., p.21-24).

��� �nconfrontantlesdeuxtraductionsduxvesiècle,onpeutconstaterquel’expressiondoner un don,quivientspontanémentsouslaplumedesdeuxauteurs,estassezcourantepouréliminerl’hypothèsequ’ilpuisses’agird’unetranspositionindirectedelarépétitioncontenuedanslesprophétieslatines,quiauraitconsistéàreportersurlafamilleduverbedonerlejeuquis’organisechezGeoffroyautourdevirgo.

��� Surcegoûtdesprécisionschiffrées,voirVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.V,p.65-67.

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telle ou telle répétition : si certains échos parviennent à se maintenir, surtout chez Wauquelin, aucun effort particulier ne semble à l’origine de cette fidélité somme toute fortuite. La recherche prépondérante du sens en traduction, à supposer qu’elle soit critiquable���, n’est pas l’apanage de l’époque moderne. Mais elle peut parfois mener à un appauvrissement du modèle.

Le renoncement à certaines formes de polysémie

Si toute traduction du latin au français implique irrémédiablement une perte d’élasticité par rapport à la source, c’est d’abord en vertu de certaines contraintes linguistiques. Parmi celles-ci, l’émergence de l’article joue un rôle particulièrement important dans le cas de nos prophéties. En effet, le recours au déterminant est exceptionnel en latin devant tout substantif ; or en français, il devient de plus en plus fréquent, et même obligatoire dès les xiie-xiiie siècles dans bien des contextes���. De ce fait, les traducteurs sont souvent contraints de renoncer à quelques-unes des ambiguïtés sémantiques que possédaient les substantifs latins : ils doivent désormais choisir, pour introduire la plupart des noms qu’ils emploient, un article indéfini – qui suppose que le référent du nom en question renvoie à une entité encore inconnue du lecteur – ou un article défini – qui implique, au contraire, une notoriété de la réalité évoquée��� –, et privent ainsi malgré eux certains groupes nominaux d’une part de l’ambiguïté qu’ils possédaient dans leur langue d’origine��0.

Ce choix récurrent concerne surtout les divers animaux dont l’entrée en scène ponctue la plus grande partie des prophéties, du « rubeo draconi » de la prophétie §112 (1)��� au « leonem » de la prophétie §116 (71)���. En fait, le problème ne se pose pas immédiatement, le « dragon rouge » dont il est question au départ ayant manifestement une valeur anaphorique en relation avec les premières explications du mage sur l’effondrement de la tour���. Ce n’est sans doute qu’à partir du « germanicus uermis » de la prophétie §112 (3) que l’on peut hésiter, si l’on se fonde

��� Surlescritiquesadresséesparlesrécentsthéoriciensdelatraductionauxtraducteursquineprétendenttransposerd’untextequesonsens,etqu’�enriMeschonnicqualifiede«ciblistes»,voirnotamment�enriMeschonnic,Poétique du traduire,Paris,Verdier,1999,p.22.

��� GérardMoignet,Grammaire de l’ancien français,Paris,Klincksieck,1973,p.100-105.��� Surcetteoppositionbienconnueentrelesdeuxtypesd’articles,voirnotammentClaude

�uridant,Grammaire nouvelle de l’ancien français,Paris,sedes,2000,p.120,§85.��0 �ienentendu,nostraducteurspeuventaussisetournerversd’autrestypesdedéterminants��

mais,outrequelesdémonstratifsoulesindéfiniscorrespondentdeplusloinàl’absencededéterminantsdutextelatin,ilssupposentlamêmedistinctionquel’articleentrecequiestsupposéconnuetinconnu.

��� HRB1,p.74.��� HRB1,p.83.��� HRB1,§108et§111,p.72-74.

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sur le seul texte latin, sur le caractère supposé connu ou inconnu de chacun des monstres que le prophète sort de sa manche. bien entendu, l’élasticité de la langue latine sert ici la rouerie de Geoffroy en lui permettant d’estomper la frontière entre deux séries d’animaux. Les premiers représentent tel ou tel personnage connu du narrateur (et, par suite, supposé identifiable pour ses lecteurs), soit qu’il en soit question dans le reste de l’Historia, soit qu’il s’agisse de protagonistes plus ou moins déguisés de l’histoire insulaire du xiie siècle��� ; ceux-ci seront désignés par un nom symbolique d’animal qui devra naturellement être précédé, en français, d’un article défini. La seconde série de monstres est en revanche créée de toutes pièces par un Geoffroy qui, mettant à profit sa fertile imagination, s’improvise prophète ; ceux-ci, dont le référent reste pour le narrateur purement conjectural, devraient en principe être précédés en français d’un article indéfini.

De fait, le traducteur anonyme du xiiie siècle semble se conformer tant bien que mal à ces nécessités sémantiques et linguistiques. Toutefois, comme il ne perçoit pas nettement la transition entre les prophéties post eventum et les prophéties ante eventum���, il ne passe que très progressivement de l’article défini à l’article indéfini. C’est en effet pour « une lovecerviere » que l’on rencontre la première occurrence d’indéfini devant une désignation d’animal symbolique��� ; ensuite, le traducteur oscille entre connu et inconnu pendant deux ou trois versets��� avant de systématiser son emploi de l’article indéfini���. De fait, ce passage de transition coïncide avec le lieu du texte où les gloses deviennent très générales avant de se tarir définitivement���. Si, au total, ce recours aux deux types d’articles correspond

��� SurcesréférencessuccessivesauseindelaprophétiedeGeoffroy,voir l’étudedeClaraWillevoirl’étudedeClaraWilledansleprésentvolume.

��� Surladistinctionentrelesdeux,voirWille,«Lasymboliqueanimale»,art.cit.,p.177-78.��� Paris,�nF,fr.17177,fol.97vb��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.II,p.94.Ce

groupenominaltraduitsansdoutelupaàpartird’unedéformationdeluxàlaprophétie(18)(HRB1,§115,p.77)(voirlesnotes31-32etlaligne22dutableaudesvariantes).

��� Onpeutainsiopposer«liblanzviellars»(Paris,�nF,fr.17177,fol.97vb��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.II,p.94),quitraduit«�iueus(...)senex»(HRB1,§115(19),p.77)et«Isenglersbateilleus»(Paris,�nF,fr.17177,fol.97vb��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.II,p.95)��cegroupenominaltraduit«aperbellicosus»(HRB1,§115(21),p.77).

��� Voir«unsbousdelaherbergeVenus»(Paris,�nF,fr.17177,fol.97vb��éd.dans Veysseyre,« Translater »,op. cit., t.II,p.95),quitraduitlelatin«hircusueneriicastri»(HRB1,§115(22),p.77)��«unsarbres»(Paris,�nF,fr.17177,fol.98a��éd.dansVeysseyre,«Translater »,op. cit., t.II,p.95),quitraduit«arbor»(HRB1,§115(27),p.78).�nparallèle,l’emploidel’articledéfiniseraréfie:laplupartdesoccurrencespostérieuress’expliquentsoitparlaprésence,derrièrelenomconcerné,d’uncaractérisantrestrictif–«Lisenglersdemarcheandise»(Paris,�nF,fr.17177,fol.98a��Veysseyre,« Translater »,op. cit., t.II,p.95),quitraduit«apercommertii»(HRB1,§115(26),p.77)–,soitparlavaleurgénériquedel’expression:«lesfames»(Paris,�nF,fr.17177,fol.97vb��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.II,p.95)quitraduit«Mulieres»(HRB1,§115(22),p.77),«licitien»(�nF,fr.17177,fol.98a��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.II,p.95)quitraduitlenom«ciues»(HRB1,§115(25),p.77),etc.

��� Voirsupralanote18.

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assez bien à la ligne de partage entre feinte prophétie et véritable prophétie de la part de Geoffroy de Monmouth, il n’en reste pas moins que la transposition en langue romane a rendu explicite cette coupure qui pouvait rester sous-jacente, au moins au plan linguistique, dans les prophéties latines.

L’attitude du traducteur du xve siècle est, par comparaison, symptomatique de son interprétation et trahit un profond décalage avec les intentions de Geoffroy. Chez l’auteur des Chroniques des Bretons, qui poursuit la démarche herméneutique jusqu’à la fin du texte��0, l’entrée en scène de chaque nouveau monstre donne lieu à une identification si bien que l’ensemble des prophéties devient, à vue, ante eventum���. Et si la lecture des gloses viendra confirmer ce changement important de la portée des prophéties de Merlin au sein de cette traduction, la simple transposition linguistique des groupes nominaux, faisant émerger presque partout l’article défini à valeur de notoriété, suffisait à le percevoir : même au sein des prophéties les plus obscures qui précèdent les signes avant-coureurs du Jugement Dernier, chacun des animaux évoqués est présenté comme connu, « le cruel sanglier »���, « le lion »���, « le lion fronsant par grant fierté »���, « le geant »���, et jusqu’au « loup a enseingnes ferrees »���. Comme on le voit, l’emploi de l’article défini domine jusqu’au bout, non sans être ponctué de temps à autre par d’exceptionnelles occurrences d’articles indéfinis���.

��0 Voirsupra,p.5****��� Pourdonnerdesexemplesquicoïncidentàlatransitionentreante eventumetpost eventum

danslatraductionduxiiiesiècle(voirlesnotes134-135),onrencontredanslesChroniques des Bretons:«lelin»,«leviellart»,«lebatailleursenglier»,«leboucvenerien»(Paris,�nF,fr.2806,fol.42vc,43a,43c,43va��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.III,p.103-105).Leseularticleindéfiniquicoïncideavecl’Estoire des Bretonsestceluidugroupenominal«ungarbre»(Paris,�nF,fr.2806,fol.44b��Veysseyre,« Translater »,op. cit., t.III,p.107)��encorel’animéhumainqu’ilreprésente–«leroydeLondresquiregneraapréslevertueuxsenglier»–est-ilparfaitementidentifié.

��� Paris,�nF,fr.2806,fol.48b��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.III,p.119.VoirHRB1,§116(55),p.82:«�otonesiusaper».

��� Paris,�nF,fr.2806,fol.48c��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.III,p.119.VoirHRB1,§116(55),p.82:leonem.

��� Paris,�nF,fr.2806,fol.49a��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.III,p.121.VoirHRB1,§116(60),p.82:«leorugiensimmaniferitate».

��� Paris,�nF,fr.2806,fol.49a��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.III,p.121.VoirHRB1,§116(61),p.82:gigas.

��� Paris,�nF,fr.2806,fol.49vc��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.III,p.124.VoirHRB1,§116(70),p.83:«Signiferlupus».

��� Onrelèveratoutdemême,danslederniermouvementdesprophéties,«ungpoissonmarin»ou«Maisungautrevenraaprés,ceditMerlin,quichevaucheraungserpentvolant»(Paris,�nF,fr.2806,fol.49bet49vb��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.III,p.122-123),quitraduisentrespectivement«piscis»(HRB1,§116(63),p.82)et«�duenietalterinferroetuolantemequitabitserpentem»(HRB1,§116(67),p.83).

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Curieusement Wauquelin, alors qu’il ne cherche nullement à deviner quels personnages se cachent derrière chacune de ces désignations, adopte dans sa traduction une attitude assez semblable à celle de son contemporain : l’absence d’article du latin est relayée, dans son texte, par un emploi dominant de l’article défini. Pour ne citer que les exemples étudiés dans les deux autres translacions, on trouve sous sa plume : « le sengler toteneis »���, « le lion »���, « le lyon ruyssant (...) qui sera a cremir par sa crudelité »��0, « le gayant »���, « le leu portant le signe »���, etc. La seule spécificité de Wauquelin est une forme d’archaïsme qui le pousse, lorsqu’il voit dans l’expression de Geoffroy une formule au référent indéterminé, à employer le nom sans article plutôt que de le faire précéder d’un article indéfini ; mais le cas est somme toute assez rare���. L’emploi que Wauquelin fait de l’article défini tout au long de sa traduction révèle immanquablement, de même que pour ses confrères, le regard qu’il porte sur les propos latins du mage : joint à son attention extrême à la lettre du discours de Merlin, son usage témoigne de la foi qu’il porte à la crédibilité de ce texte. S’il ne se lance pas dans la démarche interprétative qui l’amènerait à se faire exégète, il prête tout de même à chacun des animaux symboliques une identité suffisamment définie pour encourager son lecteur à la décrypter.

Ainsi la réduction de certaines ambiguïtés, notamment concernant les animaux fantastiques qui hantent les prophéties de Merlin, est-elle en partie liée à des contraintes linguistiques, et notamment au changement de statut du déterminant entre latin médiéval et langue romane. Toutefois, même lorsque nos traducteurs ont le choix, ils ne semblent pas cultiver l’ambiguïté à tout prix et, soucieux de fournir à leur public une version cohérente, voire parfois intelligible, du discours de Merlin, ils amorcent, au gré de la simple transposition linguistique des prophéties, une démarche interprétative qui prive certains extraits du texte originel d’une part de leur ambiguïté.

��� Londres,�L, Lansdowne214,fol.150v��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.IV,p.239.VoirHRB1,§116(55),p.82:«�otonesiusaper».

��� Londres,�L, Lansdowne214,fol.150v��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.IV,p.239.VoirHRB1,§116(55),p.82:leonem.

��0 Londres,�L, Lansdowne214,fol.150v��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.IV,p.240.VoirHRB1,§116(60),p.82:«leorugiensimmaniferitate».

��� Londres,�L, Lansdowne214,fol.150v��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.IV,p..240.VoirHRB1,§116(61),p.82:gigas.

��� Londres,�L, Lansdowne214,fol.151��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.IV,p.241.Voir HRB1,§116(70),p.83:«Signiferlupus».

��� Onrelèvenotamment:«Lapitiédesmauvaisnuiraaupossessantjusquesatantqueilseseravestuparengenreur»(Londres, �L, Lansdowne214,fol.148��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.IV,p.231),quitraduit«�ocebitpossidentieximpiispietasdonecsesegenitoreinduerit»(HRB1,§114(13),p.76).

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Les exemples sont multiples et concernent nos trois remanieurs. Ceux-ci font table rase de certains miroitements du texte de Geoffroy en traduisant un terme ambigu par un mot univoque, alors même que leur langue leur laissait parfois la possibilité d’entretenir la polysémie. L’exemple le plus frappant est la transposition du terme latin vermis��� : celui-ci, conformément à la représentation médiévale associant ces deux bêtes, désignait aussi bien le « ver (de terre) » que le « dragon »��� et constituait, à un moment où la prophétie est déjà fort obscure, un vague écho des dracones des premières explications de Merlin. La traduction la plus simple, ver, permettait, grâce à la large acception du terme roman���, de conserver dans le texte français l’ébauche d’une correspondance avec les premières paroles du mage que contenait la prophétie latine���. Toutefois, le traducteur du xiiie siècle, qui est déjà résolument engagé dans ce qu’il a identifié comme des prophéties au sens propre (ante eventum), supprime totalement l’écho possible aux prophéties déjà vérifiées que contenait en germe son modèle latin. Il fait en effet de vermis « uns vermissiaus »���, terme que son suffixe diminutif prive de toute polysémie puisqu’il ne peut désigner qu’un « petit ver de terre »���. Cette restriction sémantique s’est-elle opérée consciemment ou à l’insu de l’auteur de l’Estoire des Bretons ? Il est, de fait, difficile de savoir s’il a perçu l’ambiguïté de ce mot, qu’il se serait alors efforcé de résoudre, ou s’il a spontanément orienté l’animal vers la représentation univoque qui lui venait à l’esprit.

Il arrive même que la quête d’un sens limpide – ou, du moins, le plus limpide possible –, pousse nos translateurs à aller plus loin. En effet, lorsqu’ils rencontrent chez Geoffroy un terme volontairement vague, obscur ou en inadéquation avec une compréhension littérale du passage, ils rétablissent volontiers, par des glissements d’amplitude variable, une version dont le sens immédiat est plus satisfaisant, comme on peut l’observer dans les cas suivants :

��� «Superuenietnamqueuermisigneianhelitus...»(HRB1,§116(52),p.81).��� Oxford latin dictionnary,éd.P.G.W.Glare,Oxford,Clarendonpress,1982,p.2037c.��� Ildésigneeneffetdanslalanguemédiévale«toutebêtemalfaisante:dragon,serpent...»

(Godefroy,Dictionnaire,op. cit., t.VIII,p.183a).L’emploiqu’enfaitletraducteuranonymeduxvesiècleauseindelaprophétie(3)–«Maisaprésseleveraleveretledragongermanique»(Paris, �nF,fr.2806,fol.40a-40b��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.III,p.95)–,oùill’associeaunomdragondansuncoupledesynonymes,montrequecetteéquivalenceentrelesdeuxsubstantifsetleursréférentssemaintientjusqu’àlafinduMoyenÂge.

��� C’estd’ailleurslatraductionquiapparaîtchezlesdeuxauteursduxvesiècle:«�tlorssurvendraleverme»(Les Chroniques des Bretons:Paris, �nF,fr.2806,fol.47vc,éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.III,p.116)et«leveralenetdefeusourvenra»(Roman de Brut:Londres,�L, Lansdowne214,fol.150��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.IV,p.238).

��� Paris, �nF,fr.17177,fol.98vb��éd.dansveysseyre,« Translater »,op. cit., t.II,p.98.��� Godefroy,Dictionnaire de l’ancienne,op. cit., t.X,p.847c.

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a) « seuicia exterorum » → « la tirannie des Saxons » (Chroniques des

Bretons)��0,

b) « Populus namque in ligno et ferreis tunicis superueniet » → « car le peuple

sourvenra atout bastons et cotes de fer » (Roman de Brut)���,

c) « Catuli leonis in equoreos pisces transformabuntur » → « Li chaël dou lyon

seront noyé em puison de mer » (Estoire des Bretons)���,

d) « set finis ipsius ad superos conuolabit » → « mais sa fins s’atornera a Dieu »

(Estoire des Bretons)���,

e) « detestabilis ales » → « I escommeniéz oysiaus » (Estoire des Bretons)���,

f ) « Associabit sibi greges Albanorum et Kambrie que Temensem siccabunt » →

« Il assamblera les fox de Kambre et d’Albanie, qui secheront Tamise en bevant »

(Estoire des Bretons)���.

Cette rationalisation des prophéties passe par plusieurs procédés : restriction sémantique d’un mot assez vague, supplanté par un mot plus précis et mieux adapté au contexte, comme dans les exemples (b), (c) et (e), où ligno, transformabuntur et detestabilis deviennent atout bastons, seront noyé ��� et escommeniéz, voire restriction s’opérant par la transformation d’un nom commun en nom propre – voir l’exemple (a) – ; suppression d’une image – la métaphore du vol en altitude de l’exemple (d) se voit interprétée de manière abstraite pour passer à une idée de salut religieux��� – ; enfin, adjonction d’explications destinées rationaliser certains phénomènes qui pourraient paraître surprenants tels qu’ils sont narrés dans les prophéties latines (voir, dans l’exemple (f ), l’ajout

��0 HRB1,§112(2),p.74��Paris, �nF,fr.2806,fol.40a,éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.III,p.94.

��� HRB1,§113(9),p.75��Londres,�L, Lansdowne214, fol.147v,éd.dans Veysseyre,« Translater »,op. cit., t.IV,p.230.

��� HRB1,§113(12),p.76��Paris, �nF,fr.17177,fol.97va,éd.dans Veysseyre,« Translater »,op. cit., t.II,p.93.

��� HRB1,§114(17),p.76��Paris, �nF,fr.17177,fol.97vb,éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.II,p.94.

��� HRB1,§116(40),p.80��Paris, �nF,fr.17177,fol.98b,éd.dans Veysseyre,« Translater »,op. cit., t.II,p.97.

��� HRB1,§116(46),p.80��Paris, �nF,fr.17177,fol.98va,éd.dans Veysseyre,« Translater »,op. cit., t.II,p.97.

��� Cetexempleestd’autantplusremarquabledanslecasdel’anonymeduxiiiesièclequ’onapuobserversaconstantepropensionàgauchirlevocabulairelatin,notammentenremplaçantdesverbesausémantismeprécispardesverbesbeaucouppluscourants,etdoncplusvagues(voir,supra,p.19**).

��� Onnoteenoutredanscecasunnetappauvrissementsémantiquedel’expressionad superos,quipouvaitdonnerlieuchezGeoffroyàdesinterprétationsconcrètes(renvoyantàl’altitude),sociales(évoquantl’idéedesommetdelapyramidesociale),religieuses,etc.��seuleladernièredimensiondel’expressionsembleavoirtrouvégrâceauxyeuxdenotretraducteur.

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du gérondif explicatif « en bevant »���). De telles tentatives pour normaliser la parole prophétique s’observent d’un bout à l’autre de nos trois transpositions romanes ; mais c’est dans l’Estoire des Bretons qu’elles sont les plus flagrantes.

Ôtant ainsi à la parole du prophète ce qu’elle comportait d’étrangeté, nos traducteurs passent sous silence le sens littéral originel – ou, du moins, le modifient –, au profit d’une interprétation univoque de sa signification supposée. Le mécanisme s’apparente de fait à l’élaboration d’une glose in absentia qui viendrait purement et simplement se substituer aux arcanes de la parole prophétique originelle���. Mais malgré ces efforts pédagogiques des traducteurs, les coups de machette qu’ils ont pu porter aux lianes qui perturbent la perception d’un sens clair au sein des prophéties demeurent à la fois trop ponctuels et trop superficiels pour permettre un parcours aisé dans la jungle textuelle savamment entrelacée par Geoffroy de Monmouth.

Un résultat impénétrable

Pour preuve, les versions françaises des prophéties de Merlin n’ont rien à envier à leur ancêtre latin en matière d’aléas de la tradition manuscrite��0. L’opacité du texte roman qui résulte des travaux de nos trois traducteurs, a manifestement entraîné une détérioration plus rapide qu’ailleurs de la qualité des leçons transmises. En effet, même si chacune de ces translacions a connu une diffusion fort restreinte ���, les fautes se sont manifestement multipliées au sein des prophéties de Merlin beaucoup plus vite que dans le reste de ces chroniques. C’est ainsi que, pour le texte de Wauquelin comme pour la traduction anonyme

��� Iln’estpascertain,toutefois,quecedernierajoutexplicatifsoitlefaitdutraducteur,certainsmanuscritsdel’Historiadivergeanticidumanuscritde�erneetportantlaleçon:«que�amensempotandosiccabit»��c’estnotammentlecasdumanuscritCambridge,UniversityLibrary,n°1706(n°48dansHRB3,p.79-80)éditépar�ctonGriscom(GeoffroydeMonmouth,Historia regum Britanniæ,op. cit., p.393).

��� Onconstated’ailleursquelquescoïncidencesfrappantesdecontenuentretraductionetglose.�insilesubstantiftonansdelaprophétielatine(17)(HRB1,p.76)est-iltraduitpar«Dieu»danslatranslacionanonymeduxiiiesiècle(Paris, �nF,fr.17177,fol.97vb��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.II,p.94)etglosépar«DeivelPapae»,danslecommentairedeMathieuParis(MatthaeusParisiensis,Chronica majora,éd.�enryRichardsLuard,Londres-Oxford-Cambridge,Longman-PaternosterRow-Parker-MacMillen,t.I,1872(Rerumbritannicarummediiaeviiscriptores,orchroniclesandmemorialsofGreat�ritainandIrelandduringtheMiddle�ges57),p.208,n.83).Commeonlevoit,traductionetgloseoriententleursrecherchesdanslamêmedirection:versunsensreligieux.�outefois,lemécanismed’interprétationestplusautoritairedanslatranspositionromane.�neffet,ensesubstituantàlaleçonoriginelle,l’interprétationdutraducteurôteàtonanssasaveurcommesapolysémiealorsquelagloselatinelaisselaporteouverteàdeuxalternatives.

��0 Surlesmultiplesremaniementssubisparletextelatinaugrédesesnombreusescopies,voirnotretableaudelieuxvariants,suprap.10-15**.

��� Voirsupra,p.2-3**.

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du xiiie siècle, nous avons dû corriger deux fois plus souvent le contenu des prophéties que le reste de l’Histoire des rois de Bretagne ���. Face à un chiffre aussi élevé de fautes pour un nombre de copies aussi restreint, on tremble à imaginer la piètre qualité des copies qui nous seraient parvenues si ces traductions avaient connu une diffusion aussi large que la chronique de Geoffroy !

Les déboires manifestes des divers copistes ayant calligraphié nos traductions françaises constituent assurément un témoignage de l’obscurité de ces textes romans. Toutefois, il en est un autre, situé en amont même des premiers lecteurs qui nous ont transmis ces copies : la présence, dans deux des trois traductions, de gloses explicatives. Certes, le statut sacré que tendent à conserver les prophéties à la fin du Moyen Âge��� a dû inciter traducteurs ou copistes à accompagner ces vaticinations d’interprétations autorisées, au même titre que le texte biblique. Toutefois, une motivation complémentaire, encore plus élémentaire, a pu jouer un rôle non négligeable : le désir de se faire comprendre, que l’on a déjà vu à l’œuvre dans les mécanismes de transposition linguistique���. S’adressant à un public non latiniste, et donc vraisemblablement moins cultivé que celui de Geoffroy de Monmouth, deux de nos traducteurs semblent conscients du fait que leur traduction des prophéties n’est pas à la portée de leurs commanditaires ou de leurs lecteurs. Les gloses, en tentant de combler la brèche entre la curiosité de ces lecteurs et la traduction inintelligible qui leur est offerte, sont aussi l’aveu d’une certaine impuissance à exposer, par le seul moyen d’une transposition linguistique, toute la richesse sémantique des prophéties.

Seul Wauquelin ne se livre pas à l’exercice alors qu’il s’adresse lui aussi à un public curial, qui en outre ne semble guère apprécier les textes trop difficiles ou trop ambitieux, au moins sur le plan formel���. Pouvant donc escompter un

��� Dansl’Estoire des Bretons,lesprophétiesdeMerlinreprésententenviron10%duvolumetextueltotal,etplusde20%del’ensembledescorrectionsyontétéportées.DansleRoman de Brut,lesprophétiesdeMerlinontreçuplusde10%descorrectionsalorsqu’ellesnereprésententqu’unpeumoinsde4,5%duvolumetextueldel’ensemble–l’écartentrelaplaceoccupéeparlesprophétiesauseindelatraductiondeWauquelinetdecelledesonprédécesseur,estliéàdeuxfacteurs:d’unepartl’Estoire des Bretonsestanoure(voirsupra,note9)��d’autrepart,leremanieurbourguignontendlàplusqu’ailleursàl’exactitudeetàlaconcision(voirsupra,p.18-19**).Danslesdeuxcas,lesprophétiesdeMerlincomportent,proportionnellementàleurvolume,deuxfoisplusdeleçonsaberrantesquel’ensembledechaquetraduction.UntelcalculdemeureimpossiblepourlesChroniques des Bretons:n’enayantéditéquequelquesextraits,nousenignoronslevolumed’ensembleaussibienquelenombretotaldeleçonsfautives.

��� SurlesprophétiesdeMerlinperçuescommetextesacré,voiredontlarespectabilitén’acessédecroître,toutaulongduMoyenÂge,voirJuliaCrick,«GeoffreyofMonmouth:prophecyandhistory»,Journal of Medieval History,18(1992),p.357-371,part.auxp.370-371.

��� Voirsupra,p.28-29**.��� Surl’accueilmitigéquifutréservéauxtraductionslatinisantesen�ourgogneàlami-

xvesiècle,voirsupra,note115.

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enthousiasme limité face à des prophéties parsemées de vocabulaire savant���, il aurait pu tenter de préparer une réception bienveillante par quelques explications didactiques. Les raisons pour lesquelles il se lance pas dans une activité exégétique en règle restent donc assez mystérieuses : peut-être, comme il l’a annoncé dans son prologue, souhaite-t-il conserver l’histoire « au plus prés que [il] le [a] trouvee », sans rien ajouter de son cru���. À moins que, n’ayant perçu du discours du mage que son obscurité, il ne se soit pas senti lui-même inspiré pour en exposer autre chose que la lettre. Enfin, reconnaissant les multiples facettes d’un texte dont, du fait même de sa méthode, il conserve mieux la polyphonie que les deux autres traducteurs, il est possible qu’il n’ait pas voulu l’appauvrir par un commentaire qui ne l’éclairerait que partiellement. bref, il n’est pas facile de déterminer, dans l’abstention de Wauquelin, la part de rigueur, de timidité, ou d’incompétence...

LES gLOSES INTERPRÉTATIvES : ExPLICITATION ET RÉÉCRITURE

Si les prophéties de Merlin telles que les a écrites Geoffroy se prêtent aussi bien à l’activité exégétique ���, c’est que leur auteur l’a voulu ainsi : il a placé dans son texte de multiples adjuvants destinés à stimuler, chez son lecteur, l’activité herméneutique.

Une activité herméneutique habilement amorcée par le narrateur

À l’orée des prophéties, le narrateur donne l’exemple en plaçant dans la bouche du prophète une glose explicite du combat des dragons auquel la situation romanesque lui donne d’assister, et dont il dévoile la valeur symbolique à Vortigern : « albus draco (...) Saxones quos inuitasti significat »���, puis « Rubeus uero gentem disignat britannie »��0. Par ces gloses en bonne et due forme – elles emploient le vocabulaire propre aux explicitations lexicales –, non seulement le narrateur incite son lecteur à aller quérir, derrière la lettre des prophéties, un sens crypté���, mais il lui indique dans quelle direction il sera fructueux de chercher : c’est le symbolisme des animaux monstrueux et des couleurs qu’il convient d’interroger, et c’est l’histoire des nations, et particulièrement de l’île de bretagne, qui se cache derrière ces symboles.

��� SurlesnéologismesemployésparWauquelin,voirsupra,p.22**.��� Londres,�L, Lansdowne214,fol.85��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.IV,p.54.��� L’histoiredutexteleconfirme,saversionlatinecommesaversionromaneayantvolontiersdonné

lieuàdiversesformesdegloses(surlescommentaireslatins,voirsupra,lesnotes19-20).��� HRB1,§112(1),p.74.��0 HRB1,§112(1),p.74.��� Incitationd’autantplusefficacequebiendeslecteursdeGeoffroysontdéjàfamiliarisésaux

pratiquesdel’exégèsebiblique(surledynamismedel’herméneutiquemédiévaleetsesdifférentesmanifestations,voirGilbertDahan,L’exégèse chrétienne de la Bible en Occident médiéval (xiie-xive siècle),Paris,C�RF,1999(coll.Patrimoines:christianisme),part.p.445-446).

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Si, par la suite, les deux niveaux de lecture ne voisinent plus en toutes lettres au sein de la prophétie, les clés de lecture fournies par le mage en tête de son discours continuent à ouvrir bien des portes. Et elles fonctionnent d’autant mieux que Geoffroy s’est assuré de la souplesse de ces serrures en renvoyant d’abord à la fin d’une Historia qu’il a lui-même écrite : l’« aper (...) Cornubie » du §112 (2)��� annonce de manière a peine voilée le roi Arthur���. Et plus loin, le roi qui gardera les portes de Londres sur son cheval d’airain��� n’est bien sûr autre que Cadvalladrus��� ; les commentateurs médiévaux et modernes s’accordent d’ailleurs sur ce point���.

Suit une portion des prophéties au cours de laquelle la clé interprétative fournie par le narrateur fonctionne toujours, pour peu que l’on considère l’histoire anglaise du viie au xiie siècle comme la suite des événements véridiques énoncés dans l’Historia��� : de nouveau, les commentateurs médiévaux qui sont au fait de l’histoire insulaire��� s’accordent avec les critiques modernes���

��� HRB1,p.74.��� Lescommentateursmédiévauxd’expressionlatineontd’ailleursvolontiersopéréce

rapprochement.Parmieux,oncomptel’auteurdubrefcommentairemarginalquifiguredanslemanuscrit3514dela�ibliothèquecathédraled’�xeter��voirsonéditiondans�ammer,«�refcommentaire»,art.cit.,p.113:«hicostenditqualiter�rthurus,quipostquaminregemsublimatusest,subdiditillossibi,idestSaxones(...)��hicostenditqualiter�rthuruspugnavitcumFrollonetribuno,cuiGalliacommissafuerat,quointerfectosubiugavitsibiGalliam(...)��hicostenditde�rthuroqualiterpugnavitcumLucio�ibero,procuratorereipublicaeetqualitereuminterfecitinSynensavalle,interra�llobrogum��(...)nuncdubiumestutrumvivitanmortuussitinter�ritonesincredulos».Cecommentaire,brefautotal,esttropdéveloppésurcetteportionpourconstituerunesourcevraisemblabledesglosesromanesquifigurentdanslemanuscrit�nF,fr.17177.Cecommentateurn’estpasleseulàavancercetteinterprétation(voirinfra,n.207).Lescritiquesmodernessouscriventàcerapprochemententre�rthuretlesanglier��voirnotammentCrick,«GeoffreyofMonmouth»,art.cit.,p.360etFaral,La légende,op. cit., t.II,p.55.

��� «Quifaciethec(...)permultatemporasupereneumportasLondresieseruabit»(HRB1,§112(4),p.75).

��� Ils’agitdel’undesderniersroisévoquésdansl’Historia,puisqu’ilintervientau§201(HRB1,p.144).

��� Demême,l’auteurdesglosesmarginalesdumanuscrit3514dela�ibliothèquedelaCathédraled’Exeteraopérécerapprochement(voirl’éditiondesoncommentairedans�ammer,«�refcommentaire»,art.cit.,p.113).Voiraussiinfra,note208.

��� Surcettepartiedesprophétiesqui,sielleestbienante eventumpourMerlin,restepost eventumpourceluiquiluiprêtesavoix,voir�rachsler,«DesProphetiæ Merlini»,art.cit.,p.111,ainsiquesonarticle«Vaticinium ex eventu.Oucommentprédirelepassé.ObservationssurlesprophétiesdeMerlin»,Francofonia,45(2003),p.71-108.

��� Voirnotammentlesglosesmarginalesdumanuscrit3514dela�ibliothèquedelaCathédraled’Exeter:«Catuli,idestfilii�enriciregis,quileo iustitiaedicitur,sciliterWillelmusetRicardus,quidatisuntinescampiscibus,quiasubmersifuerunt»(�ammer,«�refcommentaire»,art.cit.,p.116).VoiraussilesprophétiesdeJeandeCornouaille(Curley,«�newedition»,art.cit.,p.243).

��� VoirnotammentFaral,La légende,op. cit., t.II,p.57.

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pour voir dans la prophétie du §113 (12) – « Catuli leonis in equoreos pisces transformabuntur »��0 – une annonce du naufrage de la blanche nef, dans laquelle les héritiers d’Henri Ier ont trouvé la mort���.

Et même lorsque, plus loin, la prophétie n’annonce plus rien de précis dans l’esprit de son rédacteur parce qu’elle correspond à une période qui lui est postérieure, elle est construite avec un art suffisamment consommé pour susciter toutes sortes d’interprétations. Elle continue en effet d’être parsemée de motifs qui, pour tout lecteur accoutumé à chercher au-delà de la lettre d’un texte, faisaient immanquablement signe��� : symbolique des animaux, réalistes ou monstrueux���, qui culmine avec des bêtes dont plusieurs critiques modernes ont souligné la parenté avec la bête à dix cornes de l’Apocalypse��� ; jeux de couleurs��� ; fréquentes précisions chiffrées : « sextus Hibernie »���, « tria secula »���, etc.���. Ces indices chiffrés (surtout les deux premiers), associés à la récurrence des toponymes familiers���, semblent d’abord suggérer aux lecteurs d’entreprendre un repérage précis des lieux, des règnes et des durées�00. Les données suivantes se prêtent surtout à l’interprétation symbolique des chiffres qu’affectionnent les lecteurs du Moyen Âge, notamment lorsqu’ils sont face à

��0 HRB1,p.76.��� Lanoyadedeshéritiersd’�enriIer�eauClerc–dontl’aîné,Guillaume�delin–,aularge

d’�arfleuraeulieuen1120(Dominique�arthélemy,L’ordre seigneurial : xiie-xiiie siècle,Paris,Seuil,1990,p.221).

��� Surl’élaborationprogressivedeméthodesrodéesenmatièred’exégèse,voirCrick,«GeoffreyofMonmouth»,art.cit.,p.361:«�spropheticsecretscouldonlybediscoveredbyrigorousinvestigation,anexactscienceofinterpretationdeveloped».�nconséquence,lesvoiesquevontprivilégierseslecteurssontd’autantplusprévisiblespourleruséGeoffroy...

��� Surlessourcesdusymbolismeanimaltelqu’ilestdéclinéchezGeoffroy,voirCurley,«�nimalsymbolism»,art.cit.,p.153-157.Surlesinterprétationsplusprécisesauxquellesontpudonnerlieulesanimauxdesprophéties§116(39à44)chezlecommentateur�laindeLille,voirWille,«Lasymboliqueanimale»,art.cit.,p.181-189.

��� HRB1,§116(22)et§116(34),p.77et79.VoirFaral,La légende,op. cit., t.II,p.53et�atlock,The legendary history,op. cit., p.407.

��� Surlarécurrencedelacouleurblanche,quisedéclinechezGeoffroyparl’emploideplusieursadjectifsdistincts,voirsupra,note95.

��� HRB1,§114(17),p.76.��� HRB1,§115(24),p.77.��� Pour lasuite,voirnotamment:«ceruus.x.ramorumquorum.iiii.aureadiademata

gestabunt»(HRB1,§116(34),p.79),«sex(...)residui»(HRB1,§116(34),p.79),«triaoua»(HRB1,§116(41),p.80),«.uii.leones»(HRB1,§116(53),p.81).

��� Totonesium(HRB1,§116(55),p.82), Eboracensis(HRB1,§116(63),p.82),Albanie(HRB1,§116(65),p.83),Urbs Claudii(HRB1,§116(66),p.83),Cornubiam(HRB1,§116(70),p.83),etc.��sanscompterlesdésignationstransparentesdelaGrande-�retagneparlenomcommuninsula(«superficiesinsule»,HRB1,§115(22),p.77��«totiusinsulelatitudine»,HRB1,§115(27),p.78).

�00Quelelecteuraittouteslesdonnéesnécessairespourmeneràbienl’entreprisejusqu’auboutestunautreproblème...

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des livres d’histoire�0�. Le tout se clôt sur une énumération de signes du zodiaque et de planètes qui devait particulièrement inspirer les lecteurs d’un xve siècle que l’on sait féru d’astrologie�0�. bref, c’est lorsque Geoffroy, par la bouche de Merlin, parle dans le vide, que son éloquence devient sans égale : ses propos, de plus en plus foisonnants au fur et à mesure que son feint délire s’accroît, s’enrichissent de symboles plus suggestifs les uns que les autres. Ceux-ci n’ont pas manqué de susciter, chez deux de nos trois traducteurs romans, des lectures aboutissant, comme pour l’exégèse biblique, à différents niveaux d’analyse�0�.

Une lecture historique : de l’histoire insulaire à l’histoire de France

Que la prophétie puisse fournir des indications précieuses sur le destin des peuples et les événements historiques passés, présents ou à venir, c’était déjà une évidence à l’époque où travaillent les auteurs de nos deux commentaires romans. En effet, comme le rappelle Michael Curley, la prophétie de Daniel, dans laquelle les quatre monstres émergeant de l’eau symbolisent quatre peuples antiques, est dans toutes les mémoires�0�. Dans le cas des prophéties de Merlin, outre cette familiarité certaine de Geoffroy comme de ses lecteurs avec l’Ancien Testament, le croisement de deux sources d’inspiration, la bible et la littérature classique, contribuait à orienter les exégètes potentiels vers une lecture politique des vaticinations. En effet, faisant ouvertement écho, par leur place dans l’économie du récit, aux prophéties par lesquelles la Sibylle de Cumes guidait

�0� �ernardGuenée,Histoire et culture historique dans l’Occident médiéval,Paris,�ubier,1980,p.180-181.

�0�HRB1,§116(69),p.83.Surlesmécanismesinterprétatifsquiprésidentalorsàlalecturedesmouvementsdesastres,voirSouthern,«�spectsofthe�uropeantradition»,art.cit.,p.170-172.Surl’associationfréquentedesouvragesprophétiquesetastrologiquesàlafinduMoyenÂge,voirladescriptiond’unmanuscritdela�MdeToursquiallielesdeuxtypesdelittératuresdansMatthew�obin,«Unecollectiondetextesprophétiquesduxvesiècle:lemanuscrit520dela�ibliothèquede�ours»,Les textes prophétiques et la prophétie en Occident (xiie-xve siècle). Actes de la table ronde organisée par l’URA 1011 du CNRS et le centre de recherche « Histoire sociale et culturelle de l’Occident, xiie-xviiie siècle » (Chantilly, 30-31 mai 1988),éd.�ndréVauchez,Rome,ÉcolefrançaisedeRome,1990,p.127-33,àlap.131.

�0�SurcequeGilbertDahannommel’«accumulationdesexégèses»dela�ible,voirDahan,L’exégèse chrétienne,op. cit., p.140-41.

�0�DanielVII.Cesbêtesrenverraientaux�abyloniens,auxMèdes,auxPersesetauxGrecs(Curley,«�nimalsymbolism»,art.cit.,p.152).

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Énée aux Enfers, les prophéties de Merlin assumaient volontiers la signification politique non dissimulée que comportait leur modèle�0�.

Sans surprise, ce sont donc les mouvements de l’Histoire et de ses principaux protagonistes que nos deux commentateurs ont d’abord cherché à discerner derrière les événements évoqués dans la prophétie�0�. Ayant sans peine débusqué la plupart des renvois internes à la seconde partie de l’Historia, ils s’appuient sur cette vérification des paroles du prophète au sein même de la chronique de Geoffroy pour authentifier par des indices linguistiques l’autorité du texte ; ils emploient donc à diverses reprises le passé simple pour gloser des faits qui apparaissent au futur dans les prophéties. Cet emploi du passé situe clairement le commentateur en aval des événements narrés, dans une position qui lui permet de valider les annonces spectaculaires de Merlin – ou de les invalider, le cas échéant ; mais le texte de Geoffroy est trop savant, et la foi de ses lecteurs trop inébranlable, pour qu’un tel cas se présente. Cette confirmation du commentateur, acquiesçant par le biais du passé simple aux vaticinations, est permanente dans la première section des prophéties de l’Estoire des Bretons où, conformément à l’interprétation des lecteurs, médiévaux comme

�0� SurlateneurpolitiquedesprophétiesdeMerlincontenuesdansl’Historia,voirnotamment�atlock,The legendary history,op. cit., p.414.Surledangerdetraduirecesprophétiesdansunouvragequiseveutouvertementfavorableauxnormands,voir�rachsler,«DesProphetiæ Merlini»,art.cit.,p.113,quicitenotamment�lacker,«WhereWacefeared»,art.cit.,p.44��ledangerdemeuraitdansl’�ngleterreduxviesiècle(voir�rachsler,«DesProphetiæ Merlini»,art.cit.,p.107-08).

�0� C’estletermedecommentateursquenousemploieronspourdésignerlesrédacteursdecesgloses,puisqu’ilestdifficiledesavoirs’ilsseconfondentounonaveclestraducteursdel’Historia.Lastructuredelaglose,dontlesdémarcationsaveclatraductionnesontpastoujoursnettes,suggèretoutefoisque,danslecasdesChroniques des Bretons,traducteuretcommentateursontuneseuleetmêmeentité(voirsupra,note23).

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modernes, notre glossateur a reconnu, derrière les prophéties (2) et (5), les règnes d’Arthur�0� et de Cadvalladr�0� :

§112 (1) : « Cultus religionis delebitur et ruina ecclesiarum patebit » →

« Religions iert esfaciee (li Saisne destruirrent crestienté�0�), les eglyses seront

destruites »��0,

§112 (2) : « Gallicanos saltus possidebit » → « Il tendra les landes de Gaules (il

ocist l’empereor de Roume) »���,

§112 (5) : « Rex benedictus parabit nauigium et in aula duodecimi inter beatos

annumerabitur » → « Li rois benoyt appareillera sa navie et iert nombréz ou

ciel entre les XIII sainz (ce fu Kadvalz, qui fuy l’ille de Bretaigne et s’en ala a

Rome ou il fu mis ou moustier saint Pere) »���,

�0� Lescommentateursdesmanuscritslatinssontunanimespourfairedel’Aper Cornubieunefiguresymboliqueduroi�rthur.C’estnotammentlecasdeMathieuParis(MatthaeusParisiensis,Chronica majora,op. cit., p.198-99,n.6à9)��ducommentaireanonymecontenudanslemanuscritParis, �nF,lat.6233,tantdanslesmarges(«Aper enim Cornubiae:�rthurus,filiusUther,quipraeeratinCornubia…»,éd.dans�ammer,«�commentary»,art.cit.,p.8)qu’àl’interligne(«Aper enim Cornubiae,�rturusscilicet,ferushomo,nontimensalicuiusoccursum…»,éd.dansJacob�ammer,«�commentaryontheProphetia Merlini(GeoffreyofMonmouth’sHistoria regum Britanniae,bookVII»)(continuation)»,Speculum,15(1940),p.409-31,àlap.414).Voiraussisupra,note183.

�0�Parmilescommentaireslatinsdontlesglosesopèrentunrapprochemententrele«rexbenedictus»desprophétiesetleroiCadvalladrusquireçoitlesconseilsd’unangedanslesdernierschapitresdel’Historia,oncomptelesglosesmarginalesdesmanuscritsParis, �nF,lat.6233etParis, �nF,lat.4126(voir�ammer,«�commentary»,art.cit.,p.11-12��toutefois,cecommentaireesttropdéveloppépourqu’unliendefiliationmanifestelerelieauxglosesromanesdumanuscritParis, �nF,fr.17177)ainsiquelescommentairesinterlinéairesquiserencontrentdanslepremierdecesdeuxmanuscrits:«Rex benedictus,Cadwalladrus…»(�ammer,«�commentary...(continuation)»,art.cit.,p.416).Voiraussisupra,note186.

�0�L’emploidecaractèresgrasrendcomptedel’usagedesrubriquesdanslemanuscritParis, �nF,fr.17177.

��0 HRB1,p.74��Paris, �nF,fr.17177,fol.97a,éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.II,p.91.Onpeuts’interrogericisurl’identificationdelaformeverbaleiert:s’agit-ild’unfuturoud’unimparfait?�uvudelasuitedutexte,ils’agiticiclairementd’unfutur:lesfutursrécurrentsdelaprophétieontbeletbienétéconservésparletraducteur,etcen’estquedanslecommentairequ’apparaîtlepassé(voirlesdeuxexemplessuivants).

��� HRB1,p.74��Paris, �nF,fr.17177,fol.97,éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.II,p.93.Lepronompersonnelildésigneicileroi�rthur,queletraducteuraidentifiésanspeine,commeleprouvesagloseprécédente:«carlirois�rtusvenquilesSesnes».

��� HRB1,p.75��Paris, �nF,fr.17177,fol.97b,éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.II,p.92.

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§112 (7) : « Terminus illi positus est quem transuolare nequibit » → « Ces

termes iert mis qu’il ne puet trespasser (com li Sesne venquirent les

Bretons) »���.

Elle est moins fréquente dans les Chroniques des Bretons ; on y rencontre toutefois l’exemple suivant :

« Aper enim Cornubie succursum prestabit » → « car le sanglier de Cornubie lui

prestera et donra secours – et cestui sanglier fut le noble roi Artus »���,

ainsi que quelques autres. Par leur emploi des temps du passé, les commentateurs présentent donc explicitement la prophétie comme vérifiée au moment où elle est traduite et explicitée.

��� HRB1,p.75��Paris, �nF,fr.17177,fol.97b,éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.II,p.92.Cettegloserenvoieàl’ultimepartiedel’Historia regum Britannie(HRB1,§207,p.146-147),lorsqueles�retonssontdéfinitivementdéfaitsparlesSaxons.

��� HRB1,§112(2),p.74��Paris, �nF,fr.2806,fol.40a,éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.III,p.94.

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Cette quête d’un écho aux prophéties de Merlin au sein même de l’Historia est poussée plus ou moins loin dans nos deux traductions glosées. Dans l’Estoire des Bretons, ce mode de lecture s’interrompt peu après le point que Geoffroy avait prévu��� ; dans la traduction anonyme du xve siècle au contraire, elle s’étend à des portions de texte que Geoffroy n’avait sans doute pas aménagées dans cette optique... d’où, parfois, des relations ténues entre l’événement évoqué dans la glose et la prophétie qui est censée l’annoncer. C’est notamment le cas de la prophétie suivante : « Et lors le prescheur de Hisbernie sera fait muet a cause de petit enffant qui croistra au ventre »���. Cette mention, d’après les commentateurs modernes, serait une allusion à un épisode célèbre de la vie in utero du futur saint David, que Geoffroy n’aurait pas pris la peine de faire figurer dans l’Historia parce qu’il savait l’anecdote parfaitement connue���. D’ailleurs, l’allusion à cette légende au sein des prophéties a été identifiée par bien des commentateurs médiévaux���, au nombre desquels notre anonyme du xiiie siècle, qui n’a fait que modifier le nom du prêcheur d’Irlande, puisque telle est la glose qu’il fournit pour ce passage : « Sains Patrices, qui la fu néz, ne pot parler quand il precha tant com la mere David fu devant »���. Le contraste avec les Chroniques des

��� Ladernièreglosequis’appuiesurlecontenunarratifdel’Historiasesitueencoursdeprophétie(9):«carunegentvenront,enfustetencotesdefer,quipenrontvengancedesafelonie(com li Breton vinrent arrieres en leur mansions)»(Paris, �nF,fr.17177,fol.97b��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.II,p.93).�nthéorie,celle-cinecorrespondplusaurécitdeGeoffroy,auquelseuleslesprophéties(1)à(5)fontréférence��ellepeutenrevanches’appuyersursonprolongement,c’est-à-diresurlesrécitsdesdivershistoriensquisesontattachésànarrerlasuitedel’histoireanglaiseetqueGeoffroycitedansl’épiloguedesontexte(HRB1,§208,p.147).SurlastructureinternedesprophétiesdeMerlinenrelationavecleschroniquesdeGeoffroyetdesessuccesseurs,voirletableaurécapitulatifdeClaraWilledansleprésentvolume,p.***.

��� Paris, �nF,fr.2806,fol.40b��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.III,p.95.Ils’agitd’unetraductionexactedulatin«(...)etpredicator�iberniepropterinfanteminuterocrescentemobmutescet»(HRB1,§112(3),p.74).

��� Lescritiquesmodernesvoientdanscepassagedelaprophétie(3)uneallusionà«Gildasqui,prêchant,perdlaparoleparcequelamèredufutursaintDavid,enceintedecefils,setrouveprésentedansl’église»(Faral,La légende,op. cit., t.II,p.55)���dmondFaralsignalequelerécitdecetépisodeserencontrenotammentdanslaVie de saint David.

��� VoirnotammentlesglosesquifigurentdanslaChroniquedeMathieuParis(«Idest,SanctusPatricius.�angiturquoddammiraculumdebeatoPatricioquodingredientematrebeatiDavidpregnanteobmutuit»��MatthaeusParisiensis,Chronica majora,op. cit.p.200)etdanslecommentaireinterlinéairedumanuscrit�nF,lat.6233(«et praedicator Hiberniae propter infantem, sanctumDavidscilicet,in utero,matrissuaescilicet,crescentem obmutescet»,éd.dans�ammer,«�commentary…(continuation)»,art.cit.,p.415).

��� Paris, �nF,fr.17177,fol.97a��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.II,p.92(cettegloseestrubriquéedanslemanuscrit).Ilestpossiblequelecommentateur,ouletraducteursic’estbienluiquiestl’auteurdesgloses,sesoiticiinspiréd’uncommentairelatinélaboréenGrande-�retagne(voirlanoteprécédente).

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Bretons est frappant : leur auteur, dont la culture diffère largement de celle des contemporains de Geoffroy et qui n’a manifestement pu consulter aucun des commentaires insulaires de cet épisode, a tenté de rattacher ce soudain mutisme aux chapitres 188-189 de l’Historia regum Britannie, qui narrent la visite de saint Augustin outre-Manche��0 :

« Se fut au temps saint Augustin, ou les prestres bretons denierent a lui obeïr

pour preschier la foy Jhesucrist aux Saxons pour cause de la haine qui estoit et

croissoit en leurs cuers pour la douleur du natil paÿs dont ilz estoient exilliéz.

“Hee ! disoient ilz, sera par nous espandue la semence divine a la salvacion

de noz mortelz ennemis affin de les rendre possesseurs et habituéz de nostre

paternal terre, voire et glorieux par merite envers Dieu ? Certes, nennil, ains

se Fortune nous vouloit admenistrer son suffraige, les metrions a leur fin par

tourmens intollerables !” »���.

Le rapprochement n’est pas totalement absurde : les moines de bangor du chapitre 188 (ici désignés par l’expression « les prestres bretons ») peuvent éventuellement correspondre à la désignation collective de « prescheur d’Hisbernie » si l’on suppose que leur monastère était situé en Irlande��� ; or ils ont en effet refusé de prêcher la bonne parole comme le leur demandait saint Augustin, alors chargé de rendre son lustre à une religion chrétienne désormais cantonnée à de rares centres animés par les seuls bretons. Toutefois, outre que le contenu des chapitres précédents permet de situer bangor au Pays de Galles avec une relative certitude���, la figure du fœtus qui serait responsable de leur repli sur soi, qui est tout de même celle qui frappe l’attention lorsque l’on découvre cette prophétie, n’est nullement creusée par le commentateur, qui se contente de l’associer, un peu arbitrairement, à une « haine qui estoit et croissoit en leurs cuers ». Laissant rapidement de côté cette image, le glossateur semble tenter de détourner l’attention en mettant en relief le reste de ses explications par une ébauche de théâtralisation : la réponse des bretons au style direct joue ici le rôle d’un leurre qui, donnant du poids à la portion de prophétie qui est effectivement commentée, en oblitère les

��0HRB1,p.134-136.��� Paris, �nF,fr.2806,fol.40b��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.III,p.95.��� Ledouteestpermis,plusieursmonastèresportantcenom,enIrlande,maisaussienPetite

�retagneouauPaysdeGalles(LaurenceMathey-Maille,«Indexlocorum»,GeoffroydeMonmouth,Histoire des rois de Bretagne,Paris,Les�elleslettres,1993,p.339-352,àlap.341).

��� C’estlàqueles�retons,ainsiqueleursdignitairesecclésiastiques,onttrouvérefugeaprèsleursdéboires(HRB1,§186,p.134:«�uncigiturarchipresules�eotiusLondresiensiset�adiocus�boracensis(...)diffugieruntadtutaminanemoruminGualiiscumreliquiissanctorum»).

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composantes les plus sujettes à caution. Ainsi, s’il rend ses ajouts attrayants en les dotant d’une vie, d’un rythme autonomes, le commentateur ne parvient pas parfaitement à entretenir l’illusion qu’ils sont éclairants : certaines figures de la prophétie restent mystérieuses, d’autres trouvent des correspondants plus ou moins convainquants���...

Même tirés par les cheveux, les rapprochements de la prophétie avec le contenu de l’Historia regum Britannie deviennent rapidement impossibles, y compris pour le commentateur anonyme du xve siècle dont l’activité exégétique s’orientait volontiers dans cette direction���. En conséquence, à partir de la prophétie (9), les gloses des deux commentateurs, qui se distinguaient déjà par leur contenu��� comme par leur forme���, divergent radicalement. C’est que, suivant pas à pas les pistes matérialisées par Geoffroy de Monmouth au sein de ses prophéties, le traducteur du xiiie siècle entreprend de chercher dans les paroles du mage des allusions cryptées à l’histoire insulaire contemporaine ou immédiatement antérieure à la rédaction de l’Historia. Cette période correspondant manifestement à une lacune dans la culture historique du rédacteur des commentaires insérés dans les Chroniques des Bretons, celui-ci profite de l’élasticité de toute prophétie pour tirer le texte vers une période qu’il connaît mieux parce qu’elle est plus proche de lui : la Guerre de Cent Ans. Il en profite pour reprendre à son compte les propos hostiles aux Anglais

����nmatièredeglosedontlesrelationsaveclaprophétiecommentéesontloind’êtreflagrantes,voirnotamment:«Cesteparollefutverifieeenladejectionetexpulsiondel’islede�retaignedeCadvalle,quiregnoitoultrele�ombre,parleroyde�orthanberlande,auquelilavoitdenieeslesloysetconfederacionspaternalesetmesmementycellesfaveursesquellesilavoienttoudizparseveréenleurjuvenalaaige».Lepassagecommente«�tadoncquespluiessanguinesdescendrontducieletcruellefainsitourmenteralesmortelz»(Paris, �nF,fr.2806,fol.40b-40c��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.III,p.95),quitraduit:«Pluetsanguineusymberetdirafamesmortalesafficiet»(HRB1,§112(3),p.74).

��� Soussaplume,lesallusionsaudestindupeuplebretonetàsonantagonismevis-à-visdes�nglaisoudesSaxonssetarissentaucoursdelaprophétie(8)��encoreavaient-ellesperdubeaucoupdeleurprécisionentreledébutetlafindeceverset.

���Dèsledébutdutexte,commeonapulevoir,lesglosesdumanuscritduxiiiesièclesontplussouventenadéquationaveclesproposdeGeoffroyqueceuxquifigurentdanslesChroniques des Bretons.

��� Lecontrasteestnetentrelabrièvetéetlecaractèreimpersonnel,voiretélégraphique,desglosescontenuesdanslemanuscritParis, �nF,fr.17177,etl’étendueponctuéedediscoursdirectsoud’interrogationsrhétoriquesdesChroniques des Bretons.Pourcederniercas,voirnotammentlepassagesuivant,quitraduitetexplicite«matremquesuamligonibusetaratrisuulnerabunt»(HRB1,§113(9),p.75):«etilzplaierontlamereparliensaratriens.�tquiestcellemere,forslaterre,laquellelesanciens,infectsdeserreursgentilles,deifioientcommemereetfontainedetouslesdieuxacausedecequ’elleatouslesmortelzadmenistrelacopieusefertilitédenourreturematernal?»(Paris, �nF,fr.2806,fol.41c��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.III,p.98).

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que pouvait comporter le texte de Geoffroy : d’envahisseurs païens menaçant les bretons, la figure des Anglais se prête à peu de frais à un recyclage qui en fait les ennemis héréditaires des Français���...

Le glossateur ayant officié dans l’Estoire des Bretons parvient haut la main à élucider les allusions de l’omniscient Merlin à l’histoire insulaire du xiie siècle qui s’échelonnent au cours des prophéties (10) à (15) :

§113 (10) : « Succedent duo dracones quorum alter inuidie spiculo suffocabitur,

alter uero sub umbra nominis redibit » → « Dui dragons sorvendront : li uns

iert estraiz par le dart d’envie et li autres repaira par desouz l’ombre dou non

(c’est si com li dus Robers ot comquis Jherusalem, et il repaira por estre

roys d’Engleterre par sa force, la ou ses plus josnes freres fu vaincus, et puis

fu apeléz dus Robers) »��� ;

§113 (12) : « Catuli leonis in equoreos pisces transformabuntur et aquila eius

super montem Arauium nidificabit » → « Li chaël dou lyon seront noyé em

puison de mer (Guillaumes et Richars, li fiex le roy Henri, furent noiéz en

mer, si les mengierent li poison) et l’aigle fera son nit sur le mont d’Araine

(c’est sa fille) »��0 ;

§113 (14-15) : « Deaurabitur illud aquila rupti federis et tertia nidificatione

gaudebit. Euigilabunt rugientis catuli et postpositis nemoribus infra menia

ciuitatum uenabuntur » → « L’aigle de route aliance le dorrera et ci s’esjoïra

���DanscesglosesdesprophétiesdeMerlin,lescommentairesanti-anglaiss’amorcenttrèsvite,dèsle§112(6)del’Historia:«�xurgetiterumalbusdracoetfiliamGermanieinuitabit»(HRB1,p.75).Cepassageesteneffettraduitetinterprétédelamanièresuivante:«�tlorsleblancdragondeGermanie–duquelserontdemoureesaucunespetitesreliquesenladestructionfaitteparleroyCadvallesoubzlejouctributairedeservitude–sedresceraet–enconsiderantl’isletantdesireeettantdefoistempteeestredeserteetpriveedesesproprescitoiens–inviteraetevoquerasafilledeGermanie,c’estadireleursfreresetcompaignons,lesquelzpasserontlameretususperontl’isle,desquelxleurgeneracionmauldite,portantassézensoylessimulacresetymaigesdesprodittionssaxoniques,reluitaujourd’ui��carcertesjeestimenullereligionneveu,saremensneaucunecraintedelasupernalDeïtépouoirliernecohercierlamobillitédes�ngloiz,ouestenracineelaperfidienaturelledeleursperessaxons,ausquelzseulementacommuniquévertuetdistribuéseignourieinhumainecruaultéetperfidieprodictoireintollerable»(Paris, �nF,fr.2806,fol.40vb-40vc��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.III,p.96-97).Surlesentimentanti-anglaistelqu’ils’exprimependantlapremièremoitiéduxvesiècle,voirnotamment�icolePons,«PropagandeetsentimentnationalpendantlerègnedeCharlesVI:l’exempledeJeandeMontreuil»,Francia,8(1980),p.127-45,part.p.133,et�icolePons,«Lapropagandedeguerrefrançaiseavantl’apparitiondeJeanned’�rc»,Journal des savants(1982),p.191-214,part.p.202-203.

���HRB1,p.75��Paris,�nF,fr.17177,fol.97b-97va,éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.II,p.93.

��0HRB1,p.76��Paris, �nF,fr.17177,fol.97va,éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.II,p.93-94.

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dou tiers ni. Li chaël de govrenant s’esjoïront et laisseront les bois et cacheront

dedenz les murs es citéz (l’empereris qui souvent rompi son mariage : li

premiers fu qant ele fu mariee en Alemaigne, li secons quant li barons

d’Engleterre jurerent a li par le commandement le roy Henri, li tiers quant

ele comquist la terre) »���.

Son interprétation a vraisemblablement été facilitée par le fait que les commentaires latins des xiie et xiiie siècles avaient déjà opéré les rapprochements adéquats. Au vu de la pertinence ses analyses, il n’est donc pas exclu que notre commentateur ait eu connaissances de gloses insulaires latines, avec lesquelles son texte montre certaines accointances ponctuelles. Ainsi, au verset (10), Orderic Vital avait déjà vu dans les deux dragons de Geoffroy deux des fils de Guillaume le Conquérant, Robert Courteheuse et Guillaume le Roux��� ; et la manière dont il explicite ce passage, quoique moins précise que celle qui figure dans notre traduction romane, en est proche par le contenu���. La glose française comportant quelques données supplémentaires, notamment sur la croisade, ne s’est vraisemblablement pas appuyée directement sur Orderic Vital, ni sur les autres gloses que nous avons pu consulter jusqu’ici ; elle pourrait toutefois s’être inspirée d’une glose restant à débusquer���. De même l’exégèse de la première partie de la prophétie (12) est-elle en accord avec bien des commentaires de peu

��� HRB1,p.76��Paris, �nF,fr.17177,fol.97va-97vb��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.II,p.94.

��� Pourunarbregénéalogiquedesroisetducsnormandsdecettepériode,voir�arthélemy,L’ordre seigneurial,op. cit., appendiceII,généalogieV.

���«Succedent,inquit,duodracones, domini libidinosi et feroces,quorumalterinvidiaespiculo,id est Guillelmus Rufus, in venatione sagittasuffocabitur��alter,id est Rodbertus dux,subumbracarceris,stemma pristininominis,id est ducis gerens,peribit»(citédansLewis�horpe,«OrdericVitalisandtheProphetiæ MerliniofGeoffreyofMonmouth»,Bulletin bibliographique de la Société internationale arthurienne,29(1977),p.191-208,àlap.207��lespassagesenitaliquesymatérialisentlesajoutsd’OrdericVitalautexteorigineldelaprophétietellequ’ellefigurechezGeoffroydeMonmouth).OntrouveuneinterprétationconvergentechezMathieuParis(MatthaeusParisiensis,Chronica majora,éd..cit.,p.202,n.34:«Willelmi�astardiduoscilicetfilii,RobertusCurthoseetWillelmusrexRufusfraterejus»),chezlescommentateursanonymesayantofficiédanslesmargesdesmanuscritsParis, �nF,lat.6233etParis, �nF,lat.4126(voir�ammer,«�commentary»,art.cit.,p.14-15)etchezJeandeCornouaille(voirCurley,«�newedition»,art.cit.,p.237).

���Onnoted’ailleursquel’exégètemodernedesprophétiesqueconstitue�dmondFaralsouscritparfaitementàl’interprétationdesesprédécesseursmédiévaux:«Lesdeuxdragonsquisesuccèdent,dontl’unpéritdujavelotdelahaineetl’autreneredevientquel’ombredesonnom:c’estleroiGuillaumeIIleRoux,tuéd’uneflèchedansla�ouvelle-Forêt,etc’estRobertCourteheuse,qui,aprèsavoirdisputélacouronneà�enriIer,finitsesjoursenprison»(Faral,La légende,op. cit., t.II,p.56).

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postérieurs à la composition du texte���. Enfin, l’explication de la seconde partie du verset (12), ainsi que la glose qui suit la prophétie (15) – mais se rapporte en fait à la fin de la prophétie (14) –, en rapprochant toutes deux la figure de l’aigle du symbole impérial, et donc de Mathilde, fille d’Henri Ier beauclair, qui épousa l’empereur Henri V���, rejoint les propositions d’autres commentateurs médiévaux���.

L’interprétation qui est proposée du verset (13) est plus disparate :

§113 (13) : « nitentur posteri tranuolare superna sed fauor nouorum sullimabitur.

nocebit possidenti ex impiis pietas donec sese genitore induerit. Apri igitur

dentibus accinctus cacumina montium et umbram galeati transcendet » → « Cil

aprés lui s’efforceront de sormonter et la pitiéz nuira au tenant des felons (com li

rois Estenes ne fist pas bien justice) tant qu’il se vestira de son pere (tant qu’il

sache tenir terre et estre justiciers). Quant il iert ceinz des denz de senglers, il

sormontera la hautece des monz et l’ombre dou hiaumé, (c’est les haus barons,

qu’il metra souz lui) »���.

��� Surl’interprétationdeceverset,voirsupra,p.34.�dmondFarallaprésentecommedouteuse(Faral,La légende,op. cit., t.II,p.57),maisc’estbiendecettemanièrequ’ilaétéluparplusieurscommentateursécrivantenlatin.VoirnotammentlesglosesmarginalesdesmanuscritsParis, �nF,lat.6233etParis, �nF,lat.4126(«aequoreos pisces:quiasubmerseinmaripiscibusescafientveldeeorumcadaveribuspiscesnascentur.Cumenim�ormanniamnavigopeterentinprofundoperierunt»,éd.dans�ammer,«�commentary…»,art.cit.,,p.16)ainsiquelecommentairecontenudanslemanuscrit3514dela�ibliothèquecathédraled’�xeter(voirsupra,note188).

��� LaviematrimonialetourmentéeàlaquellefaitallusionleglossateurduxiiiesièclerenvoieauxsecondesnocesdeMathildequi,unefoisveuve(en1125),épousaen1128GeoffroiPlantagenêt (�arthélemy,L’ordre seigneurial,op. cit., p.221).Leshistoriensmodernesnefontpasmentiond’untroisièmemariagedeMathilde��etlesinterprétationsqueproposentlescommentairesmédiévauxquantàcette«tertianidificatione»divergent.�neffet,�laindeLilleyvoit«areferencetoMatilda’stakingtheveilandthusbecomingtheperpetualbrideofChrist»toutenn’excluantpasqu’ilpuisses’agird’uneallusionàlanaissancedupremierdesestroisfils,�enry,en1133(Curley,«�newedition»,art.cit.,p.248):voirl’éditiondecepassagedansletableausynoptiqueproposéparJacob�ammer(�ammer,«�commentary»,art.cit.,p.29b).MathieuParissouscritàcettesecondeanalyse(voirMatthaeusParisiensis,Chronica majora,éd.cit.,p.206,n.64,gloseégalementéditéedans�ammer,«�commentary»,art.cit.,p.29c).JeandeCornouaille,poursapart,proposeuneexégèseplusprochedecelledenotrecommentateuranonymeduxiiiesiècle:«thefinal“nidum”mightbeherclaimingthecrownof�nglandin�pril1144»(Curley,«�newedition»,art.cit.,p.248).

��� Voirnotammentlaglosecontenuedanslemanuscrit3514dela�ibliothèquecathédraled’Exeter:«Aquila,idestMathildisimperatrix,filia�enriciprimiet�enriciSecundimaterfuit.Istacopula�ta��fuitimperatori,incuiusdominioeratmons Aravius»(éd.dans�ammer,«�refcommentaire»,art.cit.,p.116).�dmondFaral,enrevanche,voitdanscettemêmephraseuneallusionaumariaged’uneautreMathilde:lafilleduroid’ÉcosseMalcolm,quiépousa�enriIer(Faral,La légende,op. cit.,t.II,p.57��cerapprochementsefondesurlerécitdeGuillaumedeMalmesbury).

���HRB1,p.76��Paris, �nF,fr.17177,fol.97va,éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.II,p.94.

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En effet, certains des commentaires que nous avons pu consulter font, de même que notre glossateur, du règne d’Étienne de blois en Angleterre (1135-1154) le thème de l’ensemble de cette prophétie��� – ce qui n’est pas le cas de la critique moderne��0. Et si, sur le sens de la prophétie (13), les voies de l’interprétation divergent, ce n’est guère le cas pour la prophétie (11) dont elle constitue la suite. Le texte roman du xiiie siècle semble là plus isolé ; c’est que son auteur ne disposait pas pour cet extrait d’un commentaire qui l’aurait aidé à en comprendre les arcanes :

§113 (11) : « Succedet leo iustitie ad cuius rugitum Gallicane turres et insulani

dracones tremebunt. In diebus eius aurum ex lilio et urtica extorquebitur et

argentum ex ungulis mugientium manabit. Calamistrati uaria uellera uestibunt

et exterior habitus interiora signabit. Pedes latrantum truncabuntur. Pacem

habebunt fere, humanitas supplicium dolebit. Findetur forma commercii,

dimidium rotundum erit. Peribit miluorum rapacitas et dentes luporum

hebetabuntur » → « Aprés venra li lyons de justice et a son arivement

trambleront les tours de Gaule et li dragons des illes. Lors sera traiz ors de lis et

d’ortie (c’est des roches et des cruelz) et argenz decorra des ongles des muians.

Lors se vestiront li noble home de diverse toison et li abit defors demousterront

leur cuers dedenz. (Ce est que li chevalier se vestiront de dras de soie et de

vairs.) Li piet des abaians seront trenchiéz (c’est des chiéz selonc la terre). Les

bestes sauvaiges avront pais, l’umanitéz des soplices duera. Marcheandise sera

espandue, la moitié sera reonde. (L’en trenchera les deniers et fera maailles.)

Li escouffle periront (ce sont li robeor), les denz des lous seront rembouchiees

(des larrons et des maufaizanz) »��� ;

���DanslemanuscritParis, �nF,fr.17177,l’interprétationamorcéeci-dessussepoursuittoutaulongduversetparl’intermédiairedepronomspersonnelsanaphoriquesrenvoyantàÉtiennede�lois:«(...)tantqu’ilsevestiradesonpere(tant qu’il sache tenir terre et estre justiciers).Quantiliertceinzdesdenzdesenglers,ilsormonteralahautecedesmonzetl’ombredouhiaumé,(c’est les haus barons, qu’il metra souz lui)»(fol.97va��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.II,p.94).�lleestàrapprocherdespropositionsdeMathieuParis,quiopèrelemêmerapprochemententrele«possidenti»deGeoffroyetleroiÉtienned’�ngleterre:voirMatthaeusParisiensis,Chronica majora,op. cit., p.204-206,n.51(«(...)idest,regiStephano»)à55.

��0�dmondFaralnes’aventurepasàcommenteràtâtonscetteprophétiequ’ilsituedanslemouvementfinaloùlaparoledeMerlin«entresubitementdansuneépaisseobscurité�...��,oùildevientimpossibledesereconnaître»(Faral,La légende,op. cit., t.II,p.57).�outauplussignale-t-ilquelescommentateursmédiévauxdupassage–ilcite«�lain�deLille��,GervaisdeCantorbéry,MathieuParisetJean�romton»–,sefiantàunechronologiequ’iljugeillusoire,yontvuunesuited’allusionsqui,prenantlasuitedelaprophétie(11),serapportaientaurègned’�enriIer(Faral,La légende,op. cit., t.II,p.56-57,part.p.57,n.1).

��� HRB1,p.75-76��Paris, �nF,fr.17177,fol.97va��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.II,p.93.

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ce verset brosse en effet, selon toute apparence, un tableau assez précis de la politique d’Henri Ier beau Clerc���. Devant faire face par ses propres moyens aux difficultés de ces versets, où les allusions demeurent précises et théoriquement identifiables, notre glossateur roman élabore tant bien que mal pour le premier des explications à teneur politico-sociale, auxquelles il n’assigne pas d’ancrage géographique ou chronologique précis. Ainsi fait-il correspondre aux « noble home »��� des « chevalier », aux « abaians » des « chiéz selon la terre » et aux « escoufles » des « robeor ». Enfin, s’il ne s’avère pas en mesure de situer ou de dater l’allusion aux ordonnances d’Henri Ier ���, il a globalement débusqué le motif des mutations monétaires que recouvraient ici les propos du prophète. C’est que, bien informé et accoutumé à la rhétorique de ses vaticinations, il parvient, fût-ce à tâtons, à donner une idée de leur teneur même lorsque les connaissances historiques précises lui font défaut. Mais si, dans la présente occurrence, il est plus ou moins parvenu à maintenir le cap, c’est aussi qu’il disposait pour la prophétie (12) d’une interprétation convaincante, et pour le verset (13) d’idées de rapprochements historiques qui, faute de rejoindre l’ensemble des commentaires latins dont nous disposons, demeuraient crédibles.

Lorsque les pistes sérieuses se font plus rares, il continue un temps d’avancer quelques identifications géographiques – d’ailleurs évidentes��� –, quelques gloses à teneur sociologique���, avant de se taire définitivement, déclarant forfait devant l’obscurité croissante du texte à commenter. S’il est ainsi contraint d’abandonner en cours de route, c’est qu’il ne prétend user que de la clé historique et ne dévie guère vers l’exégèse moralisante���. Ayant doté son arc d’une seule corde, celle que lui fournissait Geoffroy de Monmouth par l’intermédiaire de la glose explicite qui ouvre les prophéties, il cesse de chasser le sens lorsque sa seule arme s’avère définitivement inefficace.

���Surlesallusionsàcerègnequerenfermeleverset(11),voirFaral,La légende,op. cit., t.II,p.56-57.

��� �ermeparlequeliltranspose,rappelons-le,lecalamistrati deGeoffroy(HRB1,§113(11),p.75).

����dmondFaralprésentecetteallusionàlapolitiquemonétaireduroi�enricommeassurée(voirsupra,note242).Pourdesdétailssurlecontenudecesordonnancesmonétairesduroi�enriIer,voirCurley,«�newedition»,art.cit.,p.242.

��� «CadoalainsapeleraConainetrecevra�lbane(c’est Escoce)encompaignie»(Paris, �nF,fr.17177,fol.97vb��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.II,p.94),quitraduit«CadualadrusuocabitConanumet�lbaniaminsocietateaccipiet»(HRB1,§115(20),p.77).

���«Iltrencheradesplusgranzchaisnes(ce sont les haus hommes)etgarderalesmenors(ce sont les povres)»(Paris, �nF,fr.17177,fol.97vb��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.II,p.94),quitraduit«�runcabitnanquequequemaiorarobora,minoribusuerotutelamprestabit»(HRB1,§115(21),p.77).

��� À�quelquesraresexceptionsprès,surlesquellesnousreviendrons.

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Si le commentateur ayant officié au sein des Chroniques des Bretons est parvenu à suivre pas à pas les prophéties jusqu’à leur terme, c’est qu’il a compris tout autrement les leçons du prophète. De l’effort d’explicitation que Merlin initie dans le premier mouvement de ses vaticinations, il semble avoir tiré une seule conclusion : il y a, derrière cette foison de symboles, un sens plus profond à chercher. Mais la méthode rigoureuse et orientée vers la seule histoire insulaire dont Merlin donne alors l’exemple apparaît à notre commentateur comme une pure contingence ; aussi se sent-il libre, lorsqu’elle ne suffit plus, d’en user à sa guise et de s’aventurer sur d’autres pistes. Contrairement au commentateur du xiiie siècle, qui semble considérer la prophétie comme un corps homogène, ou du moins continu, qui doit être glosé au fil de son déroulement comme un tout cohérent et organisé de manière globalement chronologique, le glossateur anonyme du xve siècle fragmente son commentaire et n’hésite pas, tout comme Merlin, à sauter du coq à l’âne si le besoin s’en fait sentir. La seule règle à laquelle il semble s’astreindre est celle qui le contraint à ne jamais baisser les bras et à trouver quelque chose à dire sur chacun des moments de la parole prophétique.

Pour venir à bout de cette tâche qui reste une gageure, notre commentateur s’affranchit des exigences auxquelles semblait s’astreindre son confrère du xiiie siècle : d’une part, il n’hésite pas à faire abstraction de certains éléments qui lui donnent du fil à retordre pour focaliser son attention sur les passages de la prophétie qui l’inspirent. Son commentaire, apparemment continu, est donc sélectif. D’autre part, il oublie rapidement l’origine et l’ancrage insulaires du texte pour en tirer le contenu vers la Guerre de Cent Ans : notre glossateur était manifestement un fervent partisan du camp français��� qui a rédigé son texte après 1356, date de la bataille de Poitiers, qu’il évoque dans sa glose de la prophétie §113 (11) :

« Succedet leo iusticie ad cuius rugitum Gallicane turres et insulani dracones

tremebunt » → « Et puis dist Merlin : “Et succedera le lion ou liepart de liesce,

par qui le rongement les tours galliques et les barons des isles trambleront”.

Je croy que ce fut le prince de Galles, autrement dit Pié de Plonc ; les tours

galliques, ce sont les grans seigneurs de France, lesquelz il fist tous trambler, tel

foiz fu, et par especial quant il desconfist le roy Jehan et le print en belle bataille

a Poitiers, car certainement il n’eust adont en tout le royaume de France prince

ne baron, chastiau, cité, tour, ville ne forteresse qui n’en tramblast, si comme

j’ay oÿ maintes fois dire »���.

��� Surlescommentairesanti-anglaisquiponctuentsonouvrage,voirsupra,p.38-39,enpart.note228.

���HRB1,§113(11),p.75��Paris, �nF,fr.2806,fol.41va,éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.III,p.99.

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Cette intervention semble suggérer qu’il n’a pas assisté en personne à l’événement, mais qu’il le connaît par le biais de témoignages, et pourrait nous inviter à situer la rédaction de ce commentaire dans le dernier quart du xive siècle ou le premier quart du xve siècle��0. Outre les précieuses informations chronologiques qu’elle fournit sur ce texte par ailleurs difficile à dater���, la glose qui est ici présentée fournit un bon échantillon de la méthode de son auteur : s’appuyant explicitement sur une traduction rigoureuse du texte latin, celui-ci cite plusieurs passages des propos du prophète qu’il soumet à une méthode exégétique apparemment implacable, notamment parce qu’elle s’appuie sur des marqueurs explicites d’équivalences terme à terme (ce fut..., ce sont...). Affirmatif lorsqu’il trouve convaincants les rapprochements qu’il propose (par exemple celui qui relie les « tours de Gaule » aux grands du royaume de France), il n’hésite pas à moduler ses affirmations lorsqu’il se risque à avancer des interprétations plus téméraires���. Ses précautions sont d’ailleurs justifiées dans le cas de ce « lion ou liepart de liesce », derrière lequel il croit discerner la figure du Prince noir ayant vaincu Jean le bon���, alors que commentateurs médiévaux et modernes s’accordent pour y reconnaître la figure du roi anglais Henri Ier���. De fait, son interprétation de l’ensemble de la prophétie repose sur un socle bien fragile, puisqu’elle est surtout inspirée par les souvenirs volontiers associés dans la France

��0 Cettesecondehypothèsenoussembled’ailleurslaplusvraisemblable,lesouvenirdeladéfaitede1356étantravivédanslesmémoiresparlesdébatsquesusciteenFranceleconflitavecl’�ngleterredanslesannées1407-1415(pourunrappeldesgrandsenjeuxdesrelationsfranco-anglaisesdanslesdeuxpremièresdécenniesduxvesiècle,voirPons,«Propagande»,art.cit.,p.131).Ilestmêmevraisemblablequenotrecommentaireaitétéécritavant1415,sansquoiilnemanqueraitsansdoutepasdefaireétatdelacuisantedéfaitede1415à�zincourt.

��� Voirsupra,note10.��� Voirl’emploidel’expression«Jecroyque...»entêtedelagloseprécédente.��� Ils’agitdufilsduroid’�ngleterre�douardIII,quidirigeaitlestroupesanglaisesvictorieuses

àPoitiersen1356.���Lacorrespondanceentreleleo iusticieet�enriIerapparaîtmêmesousformed’une

glosemarginaledansdesmanuscritsoùnefigurentguèred’autrescommentaires.C’estnotammentlecasdesmanuscritsParis,�ibliothèquedel’�rsenal,982(7.�.L.)etAberystwyth,�ationalLibraryofWales, 13210 (voirHRB2,p.104,n.21).Lescommentaireslatinsquisontplusdéveloppésproposentlamêmeinterprétation:voirnotammentMathieuParis(«Succeditleojusticiæ,idest,�enricusprimus»:MatthaeusParisiensis,Chronica majora,op. cit., p.203,n.45)ou lesglosesmarginalesdumanuscritParis,�nF,lat.6233(«Succedet leo iustitiae:fuit�enricus�eauclerk,quiasicutleorexestbestiarum,itaetipse�enricus,scilicetiustitiaetpotentia,praestabatuniversis»,éd.dans�ammer,«�commentary»,art.cit.,p.15).Pourlesmodernes,voirsupran.242.

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du xve siècle au verbe trambler ���. C’est à partir de cette idée de crainte, vaguement étayée par un adjectif renvoyant au Continent, que notre commentateur a construit par inductions successives et de manière de plus en plus acrobatique son rapprochement avec la défaite cuisante des troupes françaises. On notera pour finir que cette tournure d’esprit, consistant à scruter la prophétie avec des œillères pour tenter d’y discerner les tenants et les aboutissants de la guerre franco-anglaise, ne devait pas choquer des lecteurs qui, à la fin du Moyen Âge, étaient accoutumés à cet usage de bien des textes prophétiques���.

C’est donc cette démarche qui guide le commentateur anonyme du xve siècle pour plusieurs prophéties���. Pourtant, plutôt que d’utiliser la clairvoyance du mage pour tenter d’entrevoir l’issue de la guerre – la revanche des bretons sur les Saxons, annoncée par plusieurs de ses paroles���, se prêtaient à un retournement symétrique en faveur des Français –, il se contente de valider les sinistres prédictions de Merlin en trouvant matière à les illustrer dans l’état déplorable de la France dans laquelle il vit. En conséquence, la prophétie change subrepticement de statut : cessant d’être le centre du propos en tant que parole sacrée à élucider, elle devient un pur prétexte, un tremplin inspirant à notre commentateur moultes plaintes éloquentes et pittoresques, qui se répondent d’un bout à l’autre de ses gloses sans tenir compte de l’enchaînement du texte de Geoffroy. On en perçoit une manifestation dans l’écho qui relie les gloses associées aux prophéties (11) et (16) : celles-ci reprennent, dans des proportions de plus en plus hypertrophiées – malgré les protestations de retenue de leur auteur –, la plainte topique des impôts excessifs :

§113 (11) : « In diebus eius aurum ex lilio et urtica extorquebitur et argentum

ex ungulis mugientium manabit » → « Et puis s’ensuit : “Et en son temps sera

extirpé l’or du lis et de l’ortie, et l’argent fluira et decoura des ongles”. Hé, dieux,

��� Onnoteraquecelui-ci,quiapparaîtdanslatraductiondupassage,revientàdeuxreprisesdanslaglosecorrespondante.

���Voirparexemplelecasdumanuscrit520delabibliothèquemunicipalede�ours,dontl’unitéthématiques’organiseautourdecettetentatived’éclairerlaGuerredeCent�ns(voir�obin,«Unecollectiondetextesprophétiques»,art.cit.,p.127).

��� Voirnotammentlesglosesdesprophéties(8),(11),(16)et(27)(Paris, �nF,fr.2806,fol.41b-44c��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., p.98-102).

���Faral,La légende,op. cit., t.II,p.58:«Leseulpointclair,c’est,àpartird’ici,�c’est-à-direàpartirdelaprophétie(23)dansl’éditionde�eilWright��queGeoffroyprometàsescompatrioteslafindeladominationnormandeet(...)lerétablissementdel’indépendancebretonne».

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que les ongles des marchans, citoiens et bourgois de cestui royaume de France

suent au jour d’uy l’argent et le font fluer et decourir ! Comment ? Le véz cy :

ilz sont agravéz et pilléz par indeues exactions, car ilz sont souvent tondus ou

par tailles, ou par empruns »��� ;

§114 (16) : « Exin de primo in quartum, de quarto in tertium, de tertio in

secundum rotabitur pollex in oleo » → « Et puis Merlin dist : “Et de la du

premier au quart et du quart au tiers et du tiers au second sera le poulse rolé en

huille”, c’est a dire que leurs poulses et leurs mains, qui tousdiz auront rapiné

et extorqué la substance des innocens, seront reformés et oings de l’uille de

raison et de misericorde. O, beau sire Dieux, se les poulses des seigneurs terriens

et de leurs officiers plains de rapine et de larrecins, se je l’osoie dire, fussent

maintenant arouséz de cestui huille misericordiex, je croy sans plus dire que tout

en alast mieulx ! On pourroit cy asséz dire et gloser qui vouldroit, maiz je m’en

passe pour cause de briefté »��0.

notre auteur aurait sans doute pu continuer sur sa lancée jusqu’à la fin des prophéties, tant il lui suffit de l’ébauche d’un rapprochement pour échafauder ses élucubrations. Toutefois, deux facteurs l’amènent à se détacher progressivement du cadre qu’il avait d’abord élu comme écran pour projeter les péripéties merliniennes, la France du xve siècle : d’une part l’obscurité et le pessimisme croissants des paroles de Merlin, qui s’acheminent peu à peu vers les images apocalyptiques de leur dernier segment ; d’autre part sa propension spontanée à aller du particulier au général et à dégager le texte qui lui est proposé de toute

���HRB1,p.75-76��Paris, �nF,fr.2806,fol.41vb,éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.III,p.99.Lavervedenotrecommentateurnesedémentpasdanslasuitedeceverset(11),oùillitl’annoncedebiend’autresmalheursdelaFrancedesontemps:«O,commes’ilmeleustprononcerverité,jepourroyedescripreplusieurschosesquisouventmefontmalenmateste,carjenevoyaujourd’uyencestuiroyaumesenondesolacionetdesconfort,rapines,calamitéz!Justiceyestmorte,droits’enestfouiz,raisondort,nulnepensenenecuredubienpublique,senonal’extermineretdestruireparplorablesmiseres.Onqueurtsusauxeglises,etprocurentplusieurssongneusementalesdesheriterparextorsionspecunielles,adinvencionsetfrivolesillusions.�trendMerlinlacausedecesvicesetditainsi:“�tsiseronttranchiézlespiézdesabaians.”C’estvray,carchascunsetaistetfaitsilence,nuln’osemotdire,verités’enestvolee.�tquantestdemoy,jecroyfermementqueplusieursnobleschevaliers,escuiersetautresgensdeconseil,quiparleuravariceetparlesprouffisqu’ilzontduroyoud’aucunsautresn’osentouneveullentdireverité,enserontperpetuelmentdampnézoupuisd’�nferaveclesdeablesd’�nfer»(Paris, �nF,fr.2806,fol.41vb-41vc��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.III,p.102).

��0HRB1,p.76���nF,fr.2806,fol.42va-42vb,éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.III,p.102.

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précision circonstancielle���. C’est donc tout naturellement qu’en l’absence de tout indice spatio-temporel – ou bien lorsque les données de cet ordre qui lui sont fournies ne trouvent pas grâce à ses yeux –, notre commentateur s’achemine vers un second niveau de lecture : la morale, voire l’eschatologie.

Aux limites de l’intelligible : la clé morale ou eschatologique

L’obscurité de certaines prophéties – notamment dans le dernier segment – ainsi que la teneur pessimiste de l’ensemble��� ont suscité, la clé historique devenant difficile à manier, la recherche d’une dimension morale, voire eschatologique, que Geoffroy n’amorçait pas explicitement, mais qu’il n’aurait sans doute pas reniée, au vu des symboles à consonance biblique dont il a truffé son texte. Ce type d’interprétations, attendu face à la prophétie comme il peut l’être face à certaines portions de la bible, occupe une place fort différente chez nos deux commentateurs. Pour l’anonyme du xiiie siècle, il s’agit du dernier recours avant le silence, lorsqu’une portion ponctuelle de prophéties dont les autres éléments se prêtent à l’interprétation, résiste à l’analyse historique ; ou lorsque la teneur générale du texte de Geoffroy oriente de manière quasi contraignante la lecture dans cette direction, notamment lorsqu’il emploie le pluriel pour désigner les animés humains ou les monstres qui leur prêtent leur figure :

§113 (12) : « (...) omnes ad omnia prouocabuntur » → « Pour ce seront tuit

apeléz a toutes choses (li mal au mal faire) »��� ;

§115 (23) : « Mulieres incessu serpentes fient » → « Les fames iront comme

sarpenz (car eles seront orgueilleuses) »���.

��� C’estainsique,faceàdesprophétiesquicomportentdesnomspropresaiguillantlecommentaireversunelectureprécise,l’anonymeduxvesiècleparvientàfairetotalementabstractiondecesindicationspourréorienterlediscoursproposé.�insiprocède-t-ilfaceàuneportiondelaprophétie(31):«Frigebunt�adonisbalnea»→«�tadoncqueslesbaingsduroy�ladusserontrefroidisennostremesmestemps,carlescrestienscatholiques,quideussentestrechaulzetfervensparlaflambedelavievertueusedufeudecharité,sonttrebuschiésenl’oscurtéetfroiduredesvices»(HRB1,§116,p.78��Paris, �nF,fr.2806,fol.44vb,éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.III,p.405),prophétiequ’ilcommentesanstenircomptedunomproprequ’ellecontient.

���Lesprophétiessonteneffetponctuéesdecatastrophes,notammentdepluiesoudeflotsdesangrécurrents–«Pluetsanguineusymberetdirafamesmortalesafficiet»(HRB1,§112(3),p.74),«tuncfluminasanguinemanabunt»(HRB1,§115(20),p.77),«�amensisinsanguinemutabitur»(HRB1,§116(30),p.78)–,quinesontpassansrappeler,notamment,lapremièredesseptplaiesd’Égypte(ExodeVII19-20).�llescomportentaussidesréférencescollectivesauxpéchéshumains:«humanitasfornicarinondesinet»(HRB1,§115(23),p.77),«mortalesinhebriabunt»(HRB1,§117(71),p.83)...Surletonplutôtsombreetmenaçantdel’ensembledesprophéties,voirlejugementdeJohnS.P.�atlock,quiparlede«generalpessimismandmoralscolding»(�atlock,The legendary history,op. cit., p.407).

��� HRB1,p.76��Paris, �nF,fr.17177,fol.97va,éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.II,p.94.��� HRB1,p.77��Paris, �nF,fr.17177,fol.97vb,éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.II,p.95.

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��0

Au total, les gloses de ce type sont fort rares dans cette traduction, et y marquent des passages de transition : petite panne d’information entre les deux séries d’événements précisément identifiés des versets (12) et (13)���, ou dernier effort d’interprétation avant l’extinction des commentaires au verset (23). Outre la rareté des analyses de ce type, ce qui frappe dans leur contenu, c’est la tonalité volontiers sombre dans laquelle se rejoignent nos deux commentateurs même lorsque le texte de Geoffroy reste relativement neutre : si la figure du serpent correspond plutôt au vice qu’à la vertu – ne serait-ce qu’à cause du passif de la Genèse –, la prophétie du verset (12), dont la connotation était assez neutre, est infléchie dans le sens de la catastrophe���.

Cette tonalité tantôt alarmiste, tantôt réprobatrice, se retrouve dans le commentaire que comportent les Chroniques des Breton : leur auteur voit dans nombre des monstres mis en scène par le discours de Merlin des représentations figurées des vices et des vertus humains. L’interprétation qu’il propose de l’un de ces animaux est intéressante à double titre : non seulement elle permet d’observer plus amplement la méthode du rédacteur des gloses, mais elle nous renseigne sur ses lectures et sur sa culture :

§113 (12) : « Catuli leonis in equoreos pisces transformabuntur » → « Et puis dist

Merlin : “Et si seront les chas du lion transforméz en maritains poissons”. Par

les chas, qui sont malignes bestes plaines d’astucies prodittoires, car ilz festient

leurs maistres de la queue et leur groussent des dens, sont entendus les flateurs

traiteurs, qui tousjours evoquent par blandissemens prodittoires le cuer du lion

a mal faire. Si seront muéz en poissons marins, car par leurs vices ilz seront

exilliés de leur païs et devendront excumeurs de mer, c’est a dire larrons de

mer. Si seront prins et gettéz en la mer, et la seront devoréz des poissons qui les

mengeront »���.

Alors que tous les exégètes médiévaux ont reconnu là l’allusion de Geoffroy aux déboires de la lignée royale anglaise���, notre traducteur a été contraint d’avoir recours à une interprétation morale parce que ses connaissances historiques ne lui fournissaient pas matière à décrypter les sous-entendus d’un narrateur dont il ne partage pas la culture, et en particulier la connaissance de l’histoire anglaise.

��� Lepremierextraitsesitueentrel’allusionaunaufragedela�lanche�efetlesrenvoisaurègneduroiÉtienne(voirsupra,p.41**).

��� Ilfautreconnaîtreàladéchargedenotreglossateurquelesegmentdephraseprécédentétaitdetonalitéplutôtlugubre:«�octurnislacrimismadebitinsula»(HRB1,§113(12),p.76).

���HRB1,p.76��Paris,�nF,fr.2806,fol.42a,éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.III,p.100.

���Voirsupranote235.

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La méconnaissance de cet épisode, qui vient en tête de la section consacrée à l’histoire de la Grande-bretagne��� et qui est analysée de manière pertinente dans une majorité de commentaires latins, tend à prouver que la glose des prophéties qui figure dans les Chroniques des Bretons est rédigée ex ingenio, ou du moins sans recours aux différents avatars de l’exégèse latine��0. Du fait de cette relative solitude face à son texte, le glossateur oriente son commentaire vers la morale : il commence par construire entre chats et vils flatteurs un parallélisme qu’il souligne par la symétrie de sa phrase���. Toutefois, seule l’expression Catuli leones est ainsi éclairée. Alors qu’il lui arrive de laisser certains maillons du texte dans l’ombre, notre analyste fait ici l’effort de rendre compte du dernier membre de la phrase ; même si la fin de sa glose ne résout pas toutes les ambiguïtés que recelaient les mots énoncés par Merlin. En effet, le sujet de seront muéz restant sous-entendu, il est difficile de savoir si le commentateur place, derrière ce support, certains flatteurs précis, sévissant dans la France de son temps, mais dont il ne donne pas d’exemples précis pour faire bref���, ou bien s’il énonce là le châtiment – terrestre ou céleste – qui est promis à toutes les personnes entachées d’un tel vice. Une nouvelle glose venant préciser la cible de ses menaces ne serait peut-être pas superflue...

De fait, la glose moralisante telle qu’elle se développe autour des prophéties dans les Chroniques des Bretons est tellement riche et luxuriante qu’elle nécessiterait elle-même une activité exégétique linéaire dans les règles de l’art. Signalons simplement sa relative nuance : son auteur s’avère capable de faire la part du bien et du mal, et voit dans certaines des bêtes ou des végétaux mis en scène par Geoffroy l’incarnation de vertus. C’est notamment le cas du lynx (dont le portrait est totalement différent de celui du chat), du chêne et du héron femelle :

���Voir,àcetégard,letableaurécapitulatifdeClaireWilledansleprésentvolume.��0 À�moins,bienentendu,quenotreauteurn’aitutiliséuncommentairelacunairedes

prophéties,dontcettesectionseraitjustementmanquante��c’estpeuprobable,maistoujourspossible...

��� Laconnotationnégativeduchatquisedégagedecettegloseseretrouvesousuneautreformedansl’interprétationduverset(15),quifaitdescatuli rugientisde«petischatonsregens»figurantdes«tirans»(HRB1,p.76��Paris, �nF,fr.2806,fol.42va,éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.III,p.102).

��� Surletoposdecettefeinteobligation,pournotrecommentateur,d’abrégersonpropos,voirsupra,p.47,part.n.259.

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§115 (18) : « Egredietur ex eo [lynx] penetrans omnia que ruine proprie gentis

imminebit » → « Le lin est une beste asséz petite, mais elle a la veue plus soubtille

et plus aguë que nulle autre beste ; aussi aura cestui roy qui succedera au beneuré

roi par ses merites »��� ;

§116 (30) : « In diebus illis ardebunt quercus per nemora » → « Merlin dist

que “en [ces] jours les chesnes ardront parmi les bois (...)”, c’est a dire cestui

asne fera tourmenter par sa tirannie les hommes constans et vertueux, sans

pourriture de vice, comme sont les chesnes, car il ne vouldront point consentir

a sa mauvaise avarice, ains y resisteront de toute leur puissance, par quoy il les

destruira »��� ;

§116 (39) : « Post hec ex Calaterio nemore procedet ardea que insulam per

biennium circumuolabit » → « Et puis dist Merlin : “Et aprés cestes choses

l’ardeace – c’est a dire la femelle du heron, oisel volant asséz commun qui habite

sus les estangs et rivieres et vit de rapine –, ystra du bois calaterien, laquelle

souloit par l’espace de demi an aller tout a l’entour de l’isle (...)”. Ceste ardeace,

qui est oysel royal, figure la grace divine, laquelle temptera en exhortant les

cuers des bretons par plusieurs exemples et signes affin de les retraire de leurs

pechiéz. Ceste ardeace soloit aler tout entour de l’isle par l’espace de demi an,

car la devocion et purté de conscience des bons habitans lui a fait longuement

demourer »���.

On observe en outre que, dans tous les cas précédents, sa clé d’interprétation panache volontiers une lecture morale et une lecture vaguement historique – vague parce qu’elle est privée de repères spatio-temporels précis et met en scène des types humains au lieu d’acteurs individualisés et précisément identifiés.

Au total – et une telle interprétation ne serait sans doute pas reniée par Geoffroy de Monmouth –, la somme des vices l’emporte largement sur la mention de ces quelques vertus, ce qui donne lieu, de la part de notre glossateur, à divers appels aux châtiments divins et à la vengeance céleste, d’abord à la troisième personne

���HRB1,§115(18),p.77(leçonrevueetcorrigéeenfonctiondelatraduction��surcelieudutextequidivergedumanuscritde�ernedansbiendesexemplaires,voirsupraletableaudesvariantes,ligne22)��Paris, �nF,fr.2806,fol.43a,éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.III,p.103.

��� HRB1,p.78��Paris, �nF,fr.2806,fol.44va,éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.III,p.108.

��� HRB1,p.79��Paris, �nF,fr.2806,fol.45vc,éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.III,p.113.

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sous la forme d’annonces au futur���, puis par le recours à des interpellations directes de plus en plus virulentes, que le commentateur assume ou qu’il place dans la bouche de personnages allégoriques���. Cette prolifération des vices et des invocations à la justice divine, pour désordonnée qu’elle apparaisse à première lecture, ne pouvait qu’étayer la cohérence de la prophétie aux yeux des lecteurs de la fin du Moyen Âge. En effet, cette multiplication des torts et des maux était perçue comme l’un des signes avant-coureurs du Jugement dernier��� : le glossateur ne fait donc qu’anticiper, au sein de la prophétie, les indices que Geoffroy avait lui-même placés dans le tout dernier segment du texte qu’il fait prononcer à son mage.

C’est ainsi que le commentateur rejoint in extremis l’interprétation prévue par Geoffroy de Monmouth en explicitant ses allusions transparentes à la fin du monde. C’est l’un des seuls points où son exégèse concorde, sur le fond, avec celles des commentateurs, médiévaux comme modernes, de la prophétie���. Restent le ton singulier, la prolixité fréquemment entrecoupée de protestations de retenue, qui donnent à ce commentaire eschatologique sa saveur particulière :

��� «(...)maislavengenceceleste,quinulleiniquité,combienqueelleattende,nelaisseimpugnie,feraretournerlaroedeperversitésusleurschiefsplainsdevicesetleursintestinesprodittions»(Paris, �nF,fr.2806,fol.41b��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.III,p.98)��anticipationsuivie,plusloin,de«(...)Dieu,quiestdroiturier,leurenvoieraparpugnicionlevelinmorteldelaguerrecivile»(Paris, �nF,fr.2806,fol.49c��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.III,p.122).

��� Voirnotammentlesplaintesdelaterre:«Sis’enplaindralaterreauCreateurendisant:“(...)O,Sire,execute,jet’enprie,tonyreettavengancesurceulzquipourl’occasiondeleurspecchiézm’ontparpetreecesteinfametéaffinquejenedemeurepointtoutenue,despoilliedetoutemavertuetpuissance”»(Paris, �nF,fr.2806,fol.50b��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.III,p.125).

���SurlaperceptiondelabrusquemontéedesvicescommeannonceduJugementdernierauxvesiècle,voirlessermonsduprédicateuritalienMicheleCarnoco,quisontétudiésdansRosaMariaRossi,«�ntreprédicationetréception:lesthèmeseschatologiquesdanslesreportationesdessermonsdeMicheleCarnocodeMilan(Florence,1461-1466)»,Les textes prophétiques,op. cit.,p.457-479,àlap.466.

��� Parmilescommentairesmédiévauxsignalantcesindicesdel’arrivéeimminentedelafindestemps,oncomptenotammentlesglosesinterlinéairesdumanuscritParis, �nF,lat.6233:«(...)praeconfusionemarisetfluctuum(...)sideraetiamconfundentur,eritquecaelumnovumetterranova,translatohocmundo»(éd.dans�ammer,«�commentary...(continuation)»,art.cit.,p.431).VoiraussilecommentairebeaucoupplusprolixedeMathieuParis:unlargedéveloppementsurlesujetsedéploieentre«�ocest,quodetSybilladefinemundivaticinansdicit»et«�abemussanecertissimaquaedamindicia,quodnonduminstetconsummatiomundi»(MatthaeusParisiensis,Chronica majora,éd.cit.,p.250et269).Pourlesmodernes,voirFaral,La légende,op. cit., t.II,p.65:«l’auteuraclossoncycleparletintamarretraditionneldesdésordresannonciateursdelafindumondeetduJugementdernier».VoiraussiPaulZumthor,Merlin le prophète, un thème de la littérature polémique, de l’historiographie et des romans,Lausanne,Imprimeriesréunies,1943,rééd.,Genève,Slatkine,2000,p.21.

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���

§117 (74) : « Par ceste prophecie, qui bien la vouldroit epeluchier, on pourroit

clerement entendre et noter la fin de cestui monde et les signes qui avendront

devant le grant jour du Jugement, mais je m’en passe a present pour cause

de briefté (...). Qui vouldroit plus haultement carculer la sentence de ceste

prophecie, on trouveroit qu’elle aprouche moult a la lumiere du grant jour du

Jugement que tendra le glorieux resplendant souleil de justice en distribuant a

chascun selon son merite et deserte aprés la resurrection des mors, si comme

j’ay touchié devant »��0.

***

La prophétie habilement tissée par Geoffroy de Monmouth donnait à elle seule le vertige, par le déluge d’événements cryptés que ses symboles laissaient entrevoir. Sa transmission manuscrite prolifique a forcé ce trait : ayant donné naissance à un texte polymorphe, elle a accru son obscurité, mais aussi ses capacités expressives. Même si la mise en français des versions ainsi produites s’est souvent accompagnée de la réduction de certains facteurs de polysémie, les interventions des translateurs ont été tellement marginales par rapport à la masse textuelle qu’ils brassaient que leurs traductions se prêtent à des lectures aussi polyvalentes que leur modèle latin.

Pour autant, les chemins d’interprétation ainsi créés sont laissés à la discrétion de ses lecteurs par Jehan Wauquelin, qui s’abstient de gloser sa traduction. En revanche les deux autres translacions médiévales ici étudiées tentent de guider leur public vers le sens occulte de la parole sacrée et illustrent la variété des lectures possibles. L’anonyme du xiiie siècle projette les vaticinations intelligibles à ses yeux d’abord sur la fin de l’Historia regum Britannie, puis sur l’histoire insulaire du xiie siècle, suivant par là les chemins aménagés par Geoffroy lui-même au sein du feint délire de son mage ; la consultation de commentaires insulaires, sans doute latins, des prophéties semble, au moins pour certains fragments, l’avoir aidé à identifier certains des sous-entendus de Geoffroy��� – à moins que d’autres lectures, ou des témoignages, aient pu étoffer ses connaissances en matière d’histoire anglaise. Lorsque cette piste n’est plus praticable, notre glossateur ébauche quelques interprétations morales de portée plus générale ; mais au total, il s’aventure peu sur ce terrain et préfère renoncer à expliquer les trois derniers quarts du texte.

��0Paris, �nF,fr.2806,fol.50vc-51c��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.III,p.128-129.

��� �ousattendonsavecimpatiencelapublicationdestravauxdeClaraWille,quipourraientnousaideràopérerdesrapprochementspluscirconstanciésentrelesexégèteslatinsetl’Estoire des Bretons.

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���

géraldin

e veysseyre «Metreenrom

an»lesprophétiesdeMerlin

L’anonyme du xve siècle, dont le travail beaucoup plus prolixe n’est ici qu’effleuré, est moins compétent en matière d’histoire de la Grande-bretagne : sans doute n’a-t-il pas connaissance des commentaires latins des prophéties. Cela ne l’empêche pas d’entrelacer en permanence interprétations historiques et morales, ce qui lui offre la possibilité d’accompagner l’intégralité de la prophétie de ses commentaires inspirés. C’est moins par sa méthode qu’il se distingue – au fond, il dispose du même trousseau de clés que son confrère du xiiie siècle, même s’il en fait un autre usage – que par le dispositif qui lui permet de mettre en scène son entreprise exégétique. En effet, les propos de Merlin n’occupent plus seuls les feux de la rampe. Certes leur oralité, quoique fictive, est soulignée par l’usage fréquent de bornes comme « Merlin dist... », « Puis Merlin dist... »���, qui viennent régulièrement prendre le relais de la mention introductrice des prophéties, directement traduite de Geoffroy de Monmouth : « Et adonc Merlin, qui plain estoit de sapience divine, se esleva par l’esperit de prophecie a grant effusion de larmes et dist... »���. Mieux, le rythme, l’énergie, qui animaient déjà le texte que Geoffroy soufflait en latin à son prophète, sont véritablement mis en scène : « Aprés ce que Merlin ot reprinse son alaine et recouvree sa vigour, qu’il avoit lassee par sa longue parolle, il dist... »���. Mais face à ce discours éloquent par lequel sont censées fuser les intentions des puissances supérieures, le commentateur ne se veut pas seulement interprète : il n’adopte nullement l’humble posture de l’exégète qui, les yeux rivés sur la parole sacrée, mettrait à son service une science la plus objective possible. bien au contraire, il donne de la voix pour questionner, apporter son témoignage, exprimer sa réprobation sous forme d’exclamations virulentes, voire pour s’interroger ouvertement sur ses propres compétences��� ; il lui arrive même de tonner pour en appeler à la justice divine. Plus qu’à une exposition magistrale dévoilant le sens du texte, on a l’impression d’assister à l’un de ces récitatifs baroques où deux voix difficiles à démêler réjouissent l’oreille de leurs volutes. L’ordre d’enchaînement de la prophétie à proprement parler et de la glose accentue cette impression : loin de toujours suivre la translacion littérale de chaque prophétie, le commentaire peut

���Detellesmentionsfigurentnotammententêtedesversets(10),(11),(12)et(15)(Paris,�nF,fr.2806,fol.41va-42c��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.III,p.99-101).

���Paris,�nF,fr.2806,fol.30vc-40a��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.III,p.94.Cettephraseestreprisepresquelittéralementàl’Historia:«Moxilleinfletumprorumpensspiritumhausitprophetieetait:(...)»(HRB1,§111,p.74).

���Paris,�nF,fr.2806,fol.44vc��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.III,p.109.Onalàunpurajoutdutraducteur.

���«Cestuitexteestmoultdifficileetobscuramoy��toutesvoiesilm’estadvisqueMerlinveultdireque...»(Paris,�nF,fr.2806,fol.50c��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.III,p.126).

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la précéder en enchaînant avec le segment précédent, voire venir l’encadrer���. En conséquence, le sens semble comme relégué au second plan par la recherche d’une jouissance esthétique fondée sur d’autres aspects du texte.

Au fond, nos deux commentateurs se rejoignent par leur commune foi dans la capacité du discours prophétique à délivrer un message sur le monde, son histoire, son état actuel ou ses caractéristiques permanentes���. Ce qui les distingue, c’est le statut qu’ils envisagent pour leur propre intervention : le commentateur de l’Estoire des Bretons donne à ses gloses parenthétiques et sèches une forme assez similaire aux notes de bas de page dans un texte académique. L’auteur des Chroniques des Bretons – le rédacteur de la traduction et celui des gloses se confondent sans doute, tant les deux types de productions sont entremêlées au sein des prophéties – les place au premier plan et leur assigne une ambition plus esthétique ; en témoigne son travail sur la forme, qui s’avère beaucoup plus sophistiqué que celui de son prédécesseur.

���Decefait,iln’estpastoujoursfaciledediscernerquelleestlaportéeexactedechacunedesgloses,lalimiteentrelesdifférentsversetsdélimitéspar�eilWrightdanssonéditionétantfréquemmentbrouillée.

��� L’anonymeduxiiiesiècle,fauteparfoisd’avoiruneinterprétationpluspréciseàfournir,secontenteparfoisderéaffirmerexplicitementlacompétenced’unprophètecapabled’éclairerlepassécommeleprésent.Voirnotammentlaglosesdesprophéties§112(4):

«Uentresmatrumsecabunturetinfantesabortiuierunt»→«liventredesmeresseronttrenchiézetliemfantavorteront(Ainsi avint con la letre dit cy)»(HRB1,p.75��Paris,�nF,fr.17177,fol.97a��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.II,p.92)

et§112(5): «Superuenietitaqueultiotonantisquiaomnisagercolonosdecipiet»→«LavenganceDieu

vendraetlichampdecevrontlesgaaigneors(ce avient encore chascun jour)»(HRB1,p.75��Paris,�nF,fr.17177,fol.97b��éd.dansVeysseyre,« Translater »,op. cit., t.II,p.92).

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