glycémie et coronaires : l’étude digami 2
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Ann. Endocrinol., 2006 ; 67, 1 : 72-73 © Masson, Paris, 2006
SEPTIÈMES RENCONTRES NATIONALESDES INTERNES EN ENDOCRINOLOGIE
GLYCÉMIE ET CORONAIRES : L’ÉTUDE DIGAMI 2
Olivier Bourron
Service de Diabétologie du Dr Grimaldi, La Pitié-Salpêtrière, Paris.
D’après les présentations de A. Grimaldi (« Lecture critique du diabétologue ») et N. Danchin (« Lecture critique du cardiologue ») lorsdu Symposium ALFEDIAM — Société Française de Cardiologie, animé par G. Slama et J.-C. Daubert — Congrès annuel de l’ALFEDIAM« Diabète-Lyon 2005 », 22-26 mars 2005.
L’intérêt d’aboutir à une prise en charge optimale enUnités de Soins Intensifs Cardiologiques des patientsdiabétiques présentant un syndrome coronaire aigusemble indispensable. En effet, les prévalences des dia-bètes et des dysglycémies chez les patients hospitaliséspour infarctus du myocarde représentent respective-ment 20 % et 35 % des patients. Au total, 60 % despatients hospitalisés pour infarctus du myocarde sansdiabète connu, ont un trouble du métabolisme glucidique(diabète vrai non diagnostiqué, intolérance au glucoseou hyperglycémie modérée à jeun). La prise en chargedu patient diabétique à la phase aiguë de l’infarctus dumyocarde est un enjeu majeur de santé publique au vudes données des registres RIKS et GRACE. En effet, cesdeux registres de grande ampleur, retrouvent une mor-talité hospitalière des patients diabétiques hospitaliséspour syndrome coronaire aigu, supérieure à celle des su-jets non diabétiques. Ainsi, une mortalité augmentée deplus de 50 % chez les patients diabétiques par rapportaux patients non diabétiques a été retrouvée dans le re-gistre suédois RIKS.
Ces résultats s’expliquent par l’effet délétère de l’hyper-glycémie aiguë chez un patient présentant un syndromecoronaire aigu. En effet, l’hyperglycémie est tout d’abordune conséquence d’une carence en insuline, qui est as-sociée à une augmentation de la lipolyse et donc à unexcès d’acides gras libres circulants. Or, les effets desacides gras libres sur la fonction myocardique sont bienconnus (diminution de la contractilité myocardique, alté-ration de la membrane myocardique, surcharge calcique,augmentation de la consommation myocardique enoxygène, risque accru de troubles du rythme ventricu-laire…). Par ailleurs, la carence insulinique limite letransport du glucose intra-myocardique et donc sonutilisation par le métabolisme anaérobique du musclecardiaque. Or, celui-ci permet une moindre consomma-tion d’oxygène par le muscle myocardique et donc limitel’importance de l’ischémie. Enfin, l’insuline a des propriétésentraînant des effets anti-apoptotiques, fibrinolytiques,anti-inflammatoires et vasodilatateurs, bien connus, quipourraient faire défaut en cas de situation hyper-glycémique. Par ailleurs, l’hyperglycémie joue un rôleimportant, lors de la phase aiguë de l’infarctus du myo-carde, par la production de molécules pro-inflammatoires(TNF
α
, TGF
β
…) responsables de l’apoptose cellulaire et
de la fibrose myocardique. De plus, l’hyperglycémie estresponsable de la baisse de synthèse de l’oxyde nitriqueNO (diminution de la vasodilatation du réseau collatéralaggravant ainsi l’ischémie), de la fermeture des ca-naux potassiques (jouant un rôle dans le phénomènede pré-conditionnement ischémique) et enfin, d’uneaugmentation du stress oxydant.
De multiples études ont donc été menées pour établirun protocole thérapeutique chez le patient diabétiquelors du syndrome coronaire aigu. L’une d’elle, l’étudemulticentrique DIGAMI (
Diabetes and insulin-glucose in-fusion in acute myocardial infarction
), avait comparé en1995, chez 620 patients diabétiques à la phase aiguëd’un infarctus du myocarde, une insulinothérapie inten-sifiée (perfusion IV insulinique pendant 24 heures, suivied’un schéma à multi-injections pendant au moins troismois) à un traitement conventionnel. Les résultats del’étude avaient permis de mettre en évidence un béné-fice sur l’équilibre glycémique dans le groupe traitéintensivement par rapport au groupe contrôle (HbA1cdiminué de 1,2 % à 3 mois et de 1 % à 1 an) et sur lamortalité à un an (18 % de mortalité à un an
vs
26 %dans le groupe contrôle).
Se posait alors la question de savoir quel était le mé-canisme responsable de ce bénéfice. Était-ce l’insuline ?L’amélioration glycémique ? Le retrait des antidiabétiquesoraux ? La phase précoce ou tardive de l’insulinothérapie ?
Pour compléter cette étude, une étude, DIGAMI 2, adonc été menée. Trois stratégies thérapeutiques ont étécomparées dans cette étude multicentrique randomisée,soit Groupe 1 : perfusion d’insuline-glucose sur 24 heures,puis schéma à multi-injections avec objectifs glycémiquesstricts ; Groupe 2 : perfusion d’insuline-glucose sur 24 heu-res, puis traitement conventionnel ; Groupe 3 : traitementconventionnel selon les pratiques locales. Le critère dejugement principal était la mortalité, le critère de juge-ment secondaire était la mortalité cardiovasculaire. Lebénéfice du traitement insulinique sur l’équilibre glycémi-que n’a été retrouvé qu’à trois mois et non au longcours. Par ailleurs, il n’a pas été retrouvé d’écart de mor-talité entre les trois groupes, avec au contraire unetendance à la surmortalité dans le groupe traité intensive-ment (prévalence augmentée des récidives d’infarctus etdes accidents vasculaires cérébraux, mais non significative-ment). Les résultats de cette étude sont donc négatifs
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sur les critères de jugements principal et secondaire.En revanche, cette étude a permis de démasquer lesmédiateurs indépendants de mortalité chez les patientsdiabétiques à la phase aiguë de l’infarctus du myo-carde : 1. la glycémie à jeun moyennée (lorsque laglycémie augmente de 3 mM, le risque augmente de20 %) ; 2. l’HbA1c (une augmentation de 2 % del’HbA1c augmente la mortalité de 20 %) ; 3. l’âge (lamortalité double par tranche de 10 ans) ; 4. la créatini-némie.
Comment expliquer les résultats de DIGAMI 2 ? Sansdoute la prise en charge cardiologique et globale despatients diabétiques a fait des progrès ainsi qu’entémoignent les données du registre munichois (mortalitédes patients diabétiques semblable à celle des sujets nondiabétiques en 2004, alors qu’une surmortalité chez lesdiabétiques était retrouvée en 1999). D’autre part, cetteétude DIGAMI 2 présente de nombreuses limites : 1. re-crutement inférieur aux prévisions, amenant à une pertede puissance de l’étude de 50 % ; 2. risque coronairethéorique du groupe témoin surestimé ; 3. faible pour-centage de mortalité globale ; 4. les écarts aux protocoles,avec une part non négligeable de patients sans insulinedans le groupe intensif (15 % sont sortis de l’hôpital sansinsuline), des patients des Groupes 1 et 2 qui n’ont pasbénéficié d’une perfusion d’insuline (10 %), ou aucontraire de patients du Groupe 3 qui en ont bénéficié(14 %) ou qui sont sortis de l’hôpital sous un schéma in-sulinique à multi-injections (20 %).
Ce qu’a montré DIGAMI 2, c’est que l’hyperglycé-mie est un facteur prédictif de mortalité de l’infarctusdu myocarde, que le contrôle glycémique strict estnécessaire et ce quels qu’en soient les moyens (pas desupériorité démontrée de l’insuline pour un mêmeniveau glycémique).
La question de l’avenir du GIK (glucose-insuline-potas-sium) se pose donc devant ces résultats. Lorsque l’onfait une revue des études ayant évalué les bénéfices du
GIK, on aboutit à la conclusion que la perfusion deglucose-insuline à la phase aiguë de l’infarctus du myo-carde n’apporte pas de bénéfice sur la mortalité, voiremême peut aggraver le pronostic (cf. les résultats del’étude CREAT-ECLA). Dans DIGAMI 1, c’est le contrôleglycémique qui explique les résultats, mais en aucunefaçon la surcharge insulinique perfusée.
Les recommandations sur la prise en charge du pa-tient diabétique à la phase aiguë de l’infarctus dumyocarde que l’on peut tirer de ces deux étudesDIGAMI 1 et 2 sont :1. atteindre un objectif glycémique situé entre 1 et1,6 g/l ;2. l’insulinothérapie SANS glucose par voie intraveineuse,de maniement simple et efficace en terme de vitesse denormalisation glycémique, sera à privilégier dans les situa-tions de déséquilibre glycémique important ;3. il n’existe plus d’argument pour arrêter les sulfonulu-rées, avec une réserve pour le glibenclamide qui inhiberaitle pré-conditionnement ischémique ;4. 4. il convient d’arrêter la metformine compte tenudes interactions potentiellement dangereuses avec lesproduits de contraste iodés ;5. la place des thiazolidinediones sera à préciser (pasd’AMM dans cette indication, mais certaines étudeslaissent présager des effets bénéfiques au cours de lapathologie coronarienne).
Ainsi, de nouvelles études randomisées utilisant l’in-suline sans glucose, les sulfonylurées (et notamment leglibenclamide) sont à réaliser.
Enfin pour conclure, il faut insister sur le fait que lespatients diabétiques, comme tous les autres patients,doivent bénéficier des traitements de l’infarctus dumyocarde dont l’efficacité (basée sur des preuves) a étédémontrée :
β−
bloquants, aspirine, statines, inhibiteursde l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IEC), hépa-rine, thrombolyse, angioplastie…