gangotena
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Gangotena. Poeta ecuatoriano.TRANSCRIPT
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Adriana Castillo-Berchenko, Conclusion sa thse, en trois volumes, L'itinraire d'un pote quatorien en France : Alfredo Gangotena (1920-1930), Atelier National de
reproduction des Thses, Universit de Lille III, 1992 et Alfredo Gangotena, pote
quatorien ou L'criture partage, publi dans la Collection, Presses universitaires de
Perpignan, 1992.
Si nous devions dire en peu de mots quelle est
l'importance de la place qu'Alfredo Gangotena occupe
aujourd'hui l'intrieur des espaces littrario-
potiques contemporains, nous la qualifierions simplement
d'insignifiante. Si sa position nous parat d'emble
prcaire et incertaine, aussi bien dans le contexte de la
posie franaise que dans celui de ses quivalents
quatoriens et latino-amricains, on pourra nanmoins
considrer Gangotena et sa posie comme un cas tout
fait part.
Force est de reconnatre qu'au fil des annes, le
dsintrt pour la cration gangotnienne est all
croissant, et cela malgr de rcentes tentatives de
rhabilitation, notamment du ct quatorien. Ces
efforts, bien que trs positifs, sont encore
insuffisants, car redcouvrir aujourd'hui Alfredo
Gangotena et son travail signifie avant tout pouvoir
accder sa connaissance. Qui tait-il? Qu'a-t-il crit?
Voil des questions banales qui dans son cas s'avrent
des nigmes. Les faits sont l: il ne reste que trs peu
de traces, surtout en France, de son passage. La
publication de ses uvres est rare, leur diffusion
dficiente et jusque dans les centres de documentation et
de recherche, son nom reste trop souvent inconnu.
Les mystres, les silences et les ambiguts se
multiplient. Ils entourent l'crivain et sa posie ds
que l'on s'approche d'eux. Ils s'interposent et
dclenchent une espce de jeu de cache-cache. Trs
souvent alors, l'image de l'iceberg vient l'esprit;
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dans ce cas prcis, la partie immerge gardait une
information prcieuse. Sa dcouverte rvle un grand
pote, une uvre significative et d'une trs grande
qualit. Nous pensons qu'ils mritent d'tre connus et
reconnus, et qu'il est important de situer, Gangotena et
sa posie, la place qui de droit leur appartient,
notamment dans le continent latino-amricain.
Or, le problme rside prcisment l. Comment
abattre les prjugs? Ils existent et ils sont obstins,
car Gangotena est un pote bilingue: il crit en franais
sa vrit quatorienne; il exprime haut et fort, dans une
langue d'emprunt, sa dchirure essentielle de latino-
amricain. Cela exclut. Cela marque. Et la marque fait de
lui un crateur marginal et un solitaire; mais pas
n'importe lequel. La marginalit de Gangotena est le
rsultat d'un enchanement de circonstances bien
spcifiques. Elles dterminent une place part qui
persiste travers le temps et s'tale plusieurs
niveaux. Tout cela se passe de surcrot sans qu'il y ait
apparemment de sa part de conflit particulier par rapport
aux deux langues. Au contraire, on ne constate pas de
confrontation expressive, mais des confluences, des
enrichissements, des correspondances et des
transvasements successifs d'une langue dans l'autre.
Voil ce qu'il y a de singulier dans sa posie, car,
aussi bien en franais qu'en espagnol, l'originalit, le
talent, la capacit rnovatrice sont les mmes. Les
causes de la marginalit, en consquence, il faut les
chercher ailleurs.
Si c'est bien Gangotena qui, un moment donn, a
choisi de s'exprimer dans une langue autre que sa langue
maternelle, il faut souligner pourtant que, au dbut,
cela a t le rsultat d'une classe sociale et
culturelle, puis un plaisir (du jeu et du dfi), et
finalement, une ncessit imprieuse. C'est justement ce
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processus singulier qui diffrencie Gangotena d'autres
crateurs latino-amricains bilingues car, pour certains
d'entre eux, cette exprience n'a t qu'une tape
passagre (Csar Moro, Vicente Huidobro). Tandis que pour
d'autres (Robert Ganzo) cela a signifi l'insertion
dfinitive dans le milieu littraire de la langue
d'emprunt.
Gangotena lui, a vcu l'exprience du bilinguisme
crateur - car, il s'agit bien de cela - comme une praxis
esthtique jusqu'au-boutiste et par moments mme
essentielle puisque indispensable sa survie affective
et cratrice. Or, il a t exclu justement cause de
cela. Marginalis par les siens, les Equatoriens; oubli
de ceux qui au dbut l'avaient clbr et encourag: les
intellectuels franais.
Ds lors, on se rend compte aujourd'hui que
Gangotena et son uvre ont t et restent encore victimes
de cette exclusion. Le silence et l'oubli ont pour cause
cette mise au ban et l'indiffrence qui en rsulte. Et
pourtant, au dbut, tout cela se prsentait sous un jour
si diffrent! On leur prdisait un si brillant avenir!
La destine littraire d'Alfredo Gangotena et sa
posie a t bel et bien dtermine par des vnements
extrieurs, mais aussi - comment les ignorer? - par des
causes strictement personnelles. Parmi les premires,
trs certainement, le bilinguisme est une cl
d'interprtation fondamentale. Marque d'une condition
sociale, symbole du pouvoir, le bilinguisme courant peut
la rigueur tre support par une socit aussi
hirarchise que l'quatorienne. Nanmoins, un
bilinguisme triomphant, ostentatoire parce que crateur
et reconnu, de plus, par le centre mme de l'hgmonie
culturelle, c'tait trop. Le groupe social ne l'a pas
accept. Pour des raisons diverses et mme
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contradictoires, les membres aussi bien de la classe
dirigeante que de la classe moyenne ont refus de
comprendre les options esthtiques de leur pote. Ds
lors, et pendant presque une dcennie, ils l'ont tout
simplement ignor.
Les choix crateurs d'Alfredo Gangotena se sont
dfinis progressivement au cours des annes 20 en France.
Traverse dans un premier temps par les divers courants
expressifs en vogue, sa posie tonne par sa permabilit
et provoque mme une certaine mfiance. Max Jacob,
Gonzalo Zaldumbide et Jules Supervielle orientent
discrtement et judicieusement cette priode
d'blouissement crateur. Le moment de la plus grande
plasticit lyrique o toutes les tentations et toutes les
possibilits sont offertes l'artiste s'achve avec la
rdaction de "Christophorus". "Orognie" en rvle
aujourd'hui la teneur et la saveur. C'est avec "L'orage
secret" que le grand Gangotena, celui des annes 30, se
dessine. Par le ton, par la vision d'une Nature grandiose
et complice et surtout par la prsence du thme de
"l'orage secret" -cette rvolte ardente mais silencieuse
contre son groupe social, contre les siens - ce petit
recueil constitue un moment significatif de l'itinraire
crateur gangotnien. Il est du reste le texte
annonciateur qui prpare la parution d'Absence. 1928-
1930. uvre majeure, celle-ci reflte un art mr et
original, unique mme par la composition (pomes en
franais et en espagnol) et par le discours; une
expression douloureuse, dramatique qui oscille entre la
violence et la tristesse, la colre et la tendresse. Ce
qu'il y a de remarquable dans cette criture, c'est la
conception physiologique du discours lyrique. D'une
manire trs originale et indiscutablement belle,
Gangotena potise le corps humain: les veines, les
artres, les os, la bouche, les paupires, les mains et
les genoux deviennent alors tissu potique; ils sont
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l'expression d'un lyrisme profond absolument indit dans
la posie latino-amricaine de son temps, et mme de
celle d'aujourd'hui. Absence. 1928-1930 est aussi une
uvre fondamentale parce qu'elle propose dans ses pomes
l'image salvatrice de la Femme. Femme thre intensment
idalise, elle est ici objet d'un culte presque
mystique. Cependant, la Femme gangotnienne est moins
mystique que mythique: Elle incarne la connaissance, la
voie vers l'Absolu. Lorsque la Femme se concrtise dans
la posie de Gangotena, celle-ci vit l'exprience d'un
tournant dcisif. En cela, la connaissance de la vraie
Femme (incarne dans Marie Lalou) est fondamentale.
"Jocaste" et "Cruauts" expriment ainsi potiquement
l'volution de la figure fminine o Elle se mtamorphose
progressivement en passion, mort et rdemption. Ces
uvres de l'amour fou et de la passion totale sont par
leur discours raffin, hautement mtaphoris, des chefs
d'uvres de la posie rotique, et en cela, elles sont
aussi nouvelles dans le discours amoureux latino-
amricain. Nuit expose, pour sa part, la posie la plus
pure, la plus dpouille et la plus dsespre d'Alfredo
Gangotena. Cette uvre, sa mort symbolique dans
l'expression en franais, reprsente en mme temps la
dcision de s'assumer dfinitivement comme Equatorien et
comme pote latino-amricain qui crit en espagnol.
Tormenta secreta et Tormenta secreta y otros poemas
confirment artistiquement cette prise de position qui
revendique sa condition essentielle. Le discours potique
gangotnien en espagnol est une expression de grande
richesse et haute qualit stylistique. Le complexe rseau
rhtorique que Gangotena a labor dans l'criture
d'expression franaise rapparat intgralement dans
l'expression en langue maternelle. Cela n'est ni copie,
ni traduction, mais signifie simplement que les
structures de base de son systme crateur sont
dfinitivement mises en place et qu'il y a chez lui une
conception acheve cohrente, parfaite de son discours.
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Ce discours potique de Gangotena en espagnol est
surprenant et d'un abord difficile. Il ne s'ouvre pas
la premire lecture, car les ensembles rhtoriques -
mtaphores, images, visions - dans leur extrme
complexit s'interposent et crent un effet d'hermtisme
trange et fascinant. Cette impression est de plus
renforce par un fin travail sur le smantisme du terme,
ce qui rend la phrase potique beaucoup plus mystrieuse
encore. Gangotena prouve avec son uvre en espagnol que
sa condition bilingue n'a pas t une entrave
l'volution de son systme crateur. Tormenta secreta et
Tormenta secreta y otros poemas en sont une dmonstration
indniable.
On voit bien alors que la condition bilingue est la
pierre de touche de cette qute de la place que mritent
le pote et son uvre dans l'espace littraire. En
France, et dans la posie franaise contemporaine, il est
tout simplement considr comme "un grand pote venu
d'Amrique et qu'on devrait mieux connatre" (422).
En
Equateur, par contre, les positions sont plus ambigus et
l'on constate une volution travers le temps. Si dans
les annes 30 et 40 on le traite ouvertement de
descastado, extranjerizante et afrancesado, sa condition
claire et nette est celle d'un pote que les autres n'ont
pas lu. Dans les annes 50, deux vnements significatifs
se produisent. Carrera Andrade est l'origine du premier
d'entre eux: il publie Poesa francesa contempornea.
Antologa o sans ambages, il classifie Gangotena comme
un pote d'expression franaise et situe sa posie dans
"la grande tradition franaise des potes classiques, de
(422)R. SABATIER, "Venus des Amriques" in Histoire de la
posie franaise. La posie du vingtime sicle, vol. II,
Ibid., p. 550.
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Claudel, de Rimbaud et de Jouve" (423).
Ce jugement ne
manque pas de nuire l'image quatorienne et latino-
amricaine du pote. Ce tort est nanmoins redress par
le deuxime vnement: la Casa de la Cultura Ecuatoriana
publie Poesa et Poesa completa d'Alfredo Gangotena. Ces
ditions proposent la traduction de la posie crite en
franais en mme temps que l'uvre crite en espagnol. La
parution de ces uvres est un vritable tournant dans
l'acceptation, par les Equatoriens, de leur pote.
En effet, si dans les annes 30 et 40, la critique
quatorienne ignora systmatiquement l'auteur - la
rception de l'oeuvre du pote en France n'avait pas non
plus t extraordinaire -, partir de la parution de
Poesa, ces conditions commencent changer
progressivement. Des hommages, des souvenirs, quelques
tudes critiques et une grande quantit de rfrences
bibliographiques rendent compte de la prsence de
l'auteur et de son travail dans le contexte quatorien,
car le rayonnement de Gangotena au niveau continental est
presque inexistant.
Aujourd'hui, des voix autorises se lvent en
Equateur pour revendiquer l'authenticit du chant
gangotnien, aussi bien en langue franaise qu'en
espagnol. Rodrguez Castelo affirme, par exemple: "La
posie de Gangotena est la plus libre qui ait t crite
dans sa gnration et aprs" (424)
(423)J
. CARRERA ANDRADE, "Alfredo Gangotena" in Poesa
francesa contempornea. Antologa, Ibid., p. 467.
(424)
H. RODRIGUEZ CASTELO, "Alfredo Gangotena entre la
noche, las tormentas y la luz" in H. RODRIGUEZ CASTELO et
T. RIVAS MARISCAL, Tres cumbres del postmodernismo.
Gangotena, Gonzalo Escudero, Carrera Andrade, ibid., p.
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Cette reconnaissance tardive dans son propre pays ne
signifie pas pour autant une rsonance de la production
de Gangotena niveau continental. En fait, malgr les
ditions de Poesa et Poesa completa, le crateur est
vraiment peu connu en Amrique latine, et cela peut tre
constat jusque dans les milieux littraires spcialiss.
Comme Neruda le signalait fort pertinemment, Gangotena a
t poursuivi par ce jugement svre qui affirmait son
"ddoublement culturel" et qui, selon lui, a empch la
reconnaissance de ce "merveilleux pote oubli" (425).
Pourtant cette reconnaissance continentale, on la
doit encore Alfredo Gangotena et, un jour, il faudra
bien la lui rendre. Nous avons tent dans la mesure de
nos possibilits, d'apporter notre concours cet effort,
car la posie du pote quatorien, par sa qualit, par sa
beaut, mrite d'tre lue et apprci par le public le
plus large. Elle doit un jour occuper la place qui lui
correspond. Cette place, la vraie, l'authentique se
trouve juste ct de celle qui tient la posie d'un
Neruda, d'un Vallejo, ou d'un Huidobro.
Nous avons essay, dans le prsent travail, de
dmontrer l'importance de la production lyrique
gangotnienne, notamment dans l'espace littrario-
potique latino-amricain. Cela ne semblait pas possible
au dbut. Voil pourquoi il nous a fallu commencer par
les origines et reconstituer aprs, pas pas, les
diffrentes tapes de la trajectoire potique de
l'crivain. Nous avons ainsi dcouvert que l'tape
parisienne jouait un rle dterminant dans la formation
du pote et, par voie de consquence, dans son destin
artistique. Les annes 20, les tudes, le sjour
parisien, le partage culturel dans un moment privilgi
(425)P
. NERUDA, "Con Cortzar y con Arguedas" in Para nacer
he nacido, Ibid., p. 214-215.
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de l'Histoire europenne contemporaine ont faonn la
sensibilit, la personnalit, le talent du crateur. Nous
sommes pleinement conscientes des carences qui peuvent
exister dans la prsente tude. Elles s'expliquent
parfois par les zones d'ombre qui se prsentent dans la
propre existence du pote. Nous croyons, par exemple,
qu'il faudrait tudier srieusement les rapports de
Gangotena avec le milieu littraire quitnien des annes
30. Nous avons tent de le faire, mais nous nous sommes
heurtes un mur de silences et de rticences. Aussi,
nous pensons que le travail de traduction de la posie
gangotnienne mriterait d'tre tudi, car de ce ct-
l, il y a matire fort intressante pour le chercheur
passionn. Nous sommes sres finalement que notre tude
n'est qu'un commencement, que d'autres spcialistes
s'intresseront notre pote et son oeuvre si
injustement mconnus.
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