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Full text of "Lecons professees a l'Ecole du Louvre (1887-1896)"

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LEONS PROFESSES A L'COLE DU LOUVRE

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POUR PARAITRE DANS LE COURANT DE L'ANNE 1899-1900

Tome II. Origines de la Renaissance Histoire de Tart au xiv sicle. tude compare de cet art en France, en Italie. Intervention et rle des^ artistes septentrionaux. L'cole de Bourgogne. L'art au xv* sicle. La pntration italienne. La formation de Tcole de Touraine.

Tome IL Origines de lart moderne Origines de l'art acadmique. L'influence italienne. L'art Jsuite. Le Baroque et le Rococo. Le monopole acadmique dans l'Art et dans l'Enseignement. L'antiquit et le classicisme, de la Renaissance Le Brun, David, Quatremre de Quincy. tude des rsistances de l'art national franais depuis le xvie sicle. Quelques sculpteurs des xyii* et xviiie sicles.

MACO.V, PHOTAT FKKHK8, IMPKIMKl'RS

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LOUIS GOURAJOD

LEONS PROFESSES A L'COLE DU LOUVRE (1887-1886) Publies sous la direclion de MM. Henhy LEMONNIER et Andr MICHEL

ORIGINES DE L'ART ROMAN ET GOTHIQUE (Leons dites avec le concours du R. P. DE LA CROIX, s. j.)

PARIS ALPHONSE PICARD ET FILS, DITEURS Libraires des Archives Nationales el de la Socit de rKcoIe des Chartes 82, rue Bonaparte ^ Ht 1899

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AVERTISSEMENT

Quelques semaines avant sa mort, comme je le pressais de mettre au point et de publier ses leons de Tcole du Louvre, Courajod me rpondit : O voulez-vous que j'en prenne le temps ? C'est vous, avec Lemonnier, qui vous en chargerez aprs ma mort. Tmoin quotidien de sa dvorante activit, tromp, comme tous ses amis, par cette vitalit puissante qui dbordait de toute sa personne, je le plaisantais sur ses ides funbres. Je vous parle trs srieusement, dit-il avec une sorte de solennit. Vous me permettrez mme de prendre ce sujet des dispositions testamentaires. La mort Ta foudroy avant qu'il ait eu le loisir d'crire ses dernires volonts. Il nous a sembl pourtant que nous avions le devoir de remplir le mandat que notre ami avait eu un moment la pense de nous confier, et c'est pour accomplir son vu, confirm par sa famille, que nous publions ses manuscrits. Si nombreuses et irrparables qu'en soient les lacunes, si videntes en beaucoup d'endroits les traces de l'improvisation

dans la forme, il nous a paru que ces pages conservaient sa ressemblance tonnamment vivante, qu'on l'y retrouvait tout entier avec l'allure imptueuse de sa pense, et nous avons voulu le rendre ses lves et ses auditeurs, tel qu'ils

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VIII

AVERTISSEMENT

l*ont connu et aiui, dans la spontanit et la vivacit de sa parole et presque de son geste. Le lecteur est donc averti qu'il ne doit pas plus chercher, ici Toeuvre dfinitive de Gourajod que l'intervention personnelle et critique de ses diteurs. Ces leons, telles que nous les publions, ne sont que des fragments. Il en avait crit de sa main, sinon dfinitivement rdig souvent la teneur entire, toujours des morceaux plus ou moins importants. Il est certain qu'il y et apport, s'il et pu les publier lui-mme, beaucoup de modifications, tantt ajout et tantt retranch, supprim les rptitions invitables dans un cours oraP, mond quelques redondances de style, corrig quelques expressions, plus intimement fondu dans la trame de ses leons du matin la substance de ces entretiens supplmentaires de l'aprs-midi o il commentait, avec quelle verve et quelles trouvailles de mots pittoresques, les monuments et documents qui circulaient entre les mains de ses lves. Il ne nous appartenait pas d'essayer ce travail dont lui seul et pu se charger. L'et-il jamais entrepris ? Il est permis d'en douter. Des recherches nouvelles l'entranaient sans cesse. Le temps lui et manqu sans doute pour revenir en arrire, rdiger et refaire k tte repose ce qu'il avait bauch dans les esquisses puissantes que nous avons recueillies et qu'il improvisait* la plume la main, le plus souvent la nuit, en pensant ses auditeurs et comme s'il leur et parl, a Quand je recommence crire mes dmonstrations, je suis moins persuasif , dit-il lui-mme dans une de ses leons. Tous ceux qui ne s'attacheront pas mesquinement ce qu'il y a fatalement d'incomplet ou d'excessif dans le premier jet d'une pense aussi ardente que celle de Gourajod pren1. On ienconlrera mme quelques fragments de leons d'ouvertures, inlgralement reproduits et l au cours des leons de Tanne. Comme ils faisaient corps avec les dveloppements au milieu desquels ils taient inter-

cals, nous n'avons pas cru devoir les supprimer.

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AVERTISSEMENT

IX

dront la lecture de ces pages ingales, mais si vivantes et souvent suprieures, un trs vif intrt. Ils y trouveront, leur date, beaucoup d'ides qui, violemment discutes et encore controverses, n'ont pas laiss pourtant de se rpandre et d'agir sur ceux-l mmes qui les avaient combattues. Il n'entre pas dans le plan de ce simple avertissement de caractriser la doctrine et l'enseignement de Louis Courajod. Cette tude, crite par M. Andr Michel, trouvera sa place en tte d'un des prochains volumes de cette publication. Il suffit d'indiquer aujourd'hui dans quelles conditions ces Leons ont t dites. Il a paru d'abord qu'il convenait de rtablir Tordre historique des matires, et de rserver pour le second volume les tudes sur les origines de la Renaissance, qui remplirent en ralit les trois premires annes du cours de l'cole du Louvre *. L'unit de pense et la composition gnrale, si ferme dans ses grandes lignes en dpit de quelques indcisions de dtail, en seront ainsi plus nettement dgages. Comme plusieurs dossiers des leons sur les origines de l'art roman et gothique portaient, crite de la main de Courajod, cette mention : Communiquer au Pre de La Croix , nous les avons remis leur destinataire, en le priant de vouloir bien se charger de dpouiller et de classer tous les manuscrits de cette partie du cours et d'en prparer la publication. Nous lui exprimons ici notre vive gratitude pour le concours qu'il nous a donn. Nous nous sommes, d'un commun accord, appliqus ne rien changer au texte ; tout au plus avons-nous fait disparatre et l quelques exagrations de langage ou quelques rptitions. Mais tout ce qui est affirmation de fait ou de doctrine a t scrupuleusement respect. Il en est de mme pour les citations, rfrences et notes bibliographiques que nous avons laisses telles que nous les 1. Le second volume comprendra : Les Origines de U Renaissance. Le troisime : L'Ecole acadmique et les origines de Vart moderne.

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AVERTISSEMENT rouves. Malheureusement, de nombreuses lacunes, pour la dernire partie du cours, existaient dans les de Courajod. Nous nous sommes borns les combler, impies rsums, d'aprs les notes de quelques-uns de 3S. d'entre eux, M. Brire, a bien voulu se charger de la bibliographie des crits de Courajod, qui paratra des volumes subsquents, et M. L. Ghrion a excut, [nande du R. P. de La Croix, les dessins trop rares qui illustrent quelques-unes de ces leons. Andk MICHEL, Henry LEMONNIER.

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AVANT-PROPOS

A Vpoque o il prparait son cours sur les origines de Vart gothique^ Courajod vint frquemment Poitiers. Il considrait cette ville comme le centre des tudes mrovingiennes^ en raison de V Hypoge, du baptistre Saint-Jean, du muse lapidaire que renferme cet difice et des autres muses de la Socit des Antiquaires de V Ouest, Pour faciliter sa besogne je lui ouvris mes cartons; il y rcolta une ample moisson de documents barbares, pour la plupart indits. C^est ainsi que se forma la vive amiti qui nous unissait. A maintes reprises, Courajod promit de m'envoyer tout ce quil avait pu recueillir de matriaux sur la priode franque. Il savait que je prparais une espce de Corpus des monuments mrovingiens, et il voulait m'aider dans mon travail comme je l'avais aid modestement dans le sien. Il neut pas le temps de tenir sa promesse; mais il ne

V avait pas oublie, puisqu'il avait eu la pense dlicate, hant sans doute par de funbres pressentiments, d* inscrire mon nom sur les dossiers quil me destinait. Aussi, lorsque MM. Andr Michel et Henry Lemonnier me demandrent de collaborer au premier volume de la publication des leons de Courajod, les remerciai-je profondment de vouloir bien m'associer cette uvre pieuse. La tche que nous avons entreprise tait difficile. Les lecteurs diront si nous i avons mene bien. En tout cas ils nous rendront cette justice, que nous avons apport toute notre conscience .servir la mmoire de Louis Courajod. C. DE LA CHOIX, s. j.

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LES ORIGINES DE L'ART GOTHIQUE

LEON D'OUVERTURE DU COURS D'HISTOIRE DE LA SCULPTURE FRANAISE. iO dcembre 1890,

Messieurs, Dans renseignement historique des sicles passs, rien n'tait plus facile expliquer que la gense de notre art contemporain. On parlait longuement de l'antiquit classique, surtout de l'antiquit romaine, source unique, croyait-on, de toute culture, et, en tout -cas, de la culture spciale reue immdiatement et en dernier lieu par l'Europe, la fin des temps paens. Puis, de ce point de dpart, on faisait purement et simplement sortir et dcouler l'art moderne comme le produit d'une opration de bouture ou de semis, sans tenir aucun compte des plantes antrieures sur lesquelles la greffe classique avait t ente, sans tenir compte non plus des greffes diverses et successives qui ont si profondment modifi le germe apport par la conqute romaine, au monde occidental, dans les premires annes de notre re. On attribuait ainsi l'art moderne une filiation directe venue de Rome, une simplicit de composition absolue, une unit de substance et d'essence indivisible. Qu'en rsulta-t-il ? On ne comprit rien l'avnement du style gothique, qui fut jug comme une anoCouRAJOD. Leons. 1

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2 LES ORIGINES DE L ART GOTHIQUE malie surgie tout coup, spcKits^iineat et accidentellement ; ou bien, on suppose que ce style otait le produit ncessaire de la dcadence et le fruit de la dcomposition. On crut sincrement que son panouissement inopin tait une simple interruption dans la suite rgulire des volutions normales du dveloppement de Tart antique. On parla du long sommeil et du cauchemar du moyen ge, de ses ttonnements dans les tnbres, de ses bgaiements infantiles, de Tarrt de la circulation du sang dans le cerveau de TEurope. On en parle encore. On accusa le monde d'avoir eu une inconscience de cinq sicles, et, durant cette clipse prolonge de la raison antique,, pendant cette oblitration, disait-on, du critrium classique, la manifestation d'instincts particuliers qu'on appelait la folie gothique fut regarde comme une atfection, comme un tat morbide de l'esprit humain n sans causes apprciables, sans hrdit de famille, gurissable uniquement par le retour aux lois de l'esthtique mditerranenne, c'est--dire aux lois de l'art tel que l'avaient pratiqu lesvainqueurs de l'ancien monde. On n'oubliait qu'une chose dans cette thorie, c'est que les vainqueurs de l'ancien monde sont devenus, un certain moment, les vaincus du monde nouveau. Dans cette foi aveugle aux rgles ternelles d'une esthtique unique, suppos^ primordiale, rpute ncessaire, on crut pouvoir ngliger, comme insignifiants, les accidents

qui, disait-on, ont troubl, seulement en apparence, le rayonnement et le fonctionnement des principes de l'art romain au dbut des temps modernes. Or, ces accidents, dont l'valuation a t nglige, ne sont rien moins que l'apparition du christianisme et l'invasion des barbares. On ne comprenait pas alors qu'une couche de populations encore inconnues tait passe sur l'Europe, que la face du monde avait t renouvele, que des dplacements ethnographiques considrables avaient modiQ le temprament de l'Occident et que la formation d'un art nouveau ou tout au moins renouvel, conformment certaines lois, et naturellement complexe, avait t la consquence de ce changement d'tat dans Tnie occidentale. On crut qu'il suffisait de qualifier les populations envahissantes de barbares, pour se dispenser d'apprcier l'importance du coefficient qu'elles taient venues fournir la composition de l'art des temps postrieurs. D'autre

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tES ORIGtNBS PB L^ART GOTHIQUE 3 part, comme les textes d'histoire n'avaient enregistr aucune mtamorphose ni aucune modification de la pense europenne, on pensa qu'il serait impossible de se livrer jamais l'tude des volutions de cette pense. Nous raisonnmes toujours comme si les Gallo- Romains avaient t des Romains d'origine et de race, comme si l'art galloromain avait pu maintenir son empire indfiniment indiscut sur un sol et sous un ciel si diffrents des milieux o s'tait trouv son berceau; comme si les populations innombrables venues de TEst et du Nord n'avaient rien apport avec elles de leurs murs, de leurs civilisations, quelque rudimentaires que ces civilisations parussent aux peuples envahis ; enfin, comme si cette dose d'lments envahisseurs n'avait pas t toujours en augmentant jusqu' la fin du X* sicle. Plus tard, quaod des travaux srieux commencrent tre consacrs aux origines de notre art moderne, l'archologie n'avait pas encore prodigu toutes les rvlations dont nous bnficions aujourd'hui. Les lits successifs, les alluvions de races multiples verses par rOrient sur les terres occidentales n'apparaissaient pas encore bien nettement. Les cimetires gardaient encore jalousement leurs secrets. De toutes ces considrations, il rsulte qu'une seule des sources de l'art moderne a pu tre tudie peu prs compltement, c'est la source si abondante de l'art classique. Ne devons-nous pas chercher rtablir l'quilibre au profit des autres sources? C'est ce que j'essaierai de faire cette anne devant vous. Car c'est le seul moyen d'expliquer les origines de l'art gothique. La premire question que nous devions nous poser est celle-ci : Qu'est-ce que l'art roman, c'est--dire qu'est-ce que la premire

manifestation personnelle, originale et complte de ce style occidental d'o sont sortis l'art gothique et par suite l'art moderne ? On ne peut rpondre cette question que par une svre et rigoureuse analyse comme celle que vous avez l'habitude, depuis quatre ans, de faire ici subir aux objets d'art. Cette analyse, je l'ai poursuivie par de longues exprimentations. Je la rsumerai sommairement devant vous en la faisant porter sur quelques types choisis qui serviront de spcimens. Mais, je suis oblig d'en ajourner la dmonstration par figures, pour ne pas dbuter, dans mon rcit, par la communication

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4 LES ORIGINES DE L ART GOTHIQUE des preuves et des pices justifcalives, et pour pouvoir vous exposer tout d'abord, dans cette sance, le programme de l'enseignemer^t de Tanne. Je me bornerai donc prsenta vous livrer les rsultats principaux de Fanalyse prliminaire, en vous priant d'accepter provisoirement les conclusions de mon enqute. Voici ce que j'ai trouv dans le creuset : . Le style roman, avec d'innombrables modalits de temps, de lieux et de proportions, se compose d'lments emprunts aux arts suivants : Tart gaulois ou celtique, l'art gallo-romain, l'art latin, l'art byzantin, l'art barbare et l'art arabe.

I

Nous savons pertinemment aujourd'hui que nous ne descendons pas exclusivement des Gaulois romaniss. Le premier de nos devoirs en mme temps que )e premier de nos droits est donc de nous demander ce qui, dans l'art moderne europen, a pu survivre de notre temprament national originel. Nous tcherons d'isoler et de dfinir quelques-uns des caractres de ce temprament. M. Alex. Bertrand nous apprend que la Gaule, l'origine, a t peuple par des races trs distinctes, et que les types les plus divers coexistaient dans la population, sur notre sol, ds les temps les plus reculs. Sur l'ensemble cependant un type gnral se dtache avec une certaine nettet au milieu des autres, celui des Galls ou Gaulois. C'est le groupe la fois le plus compact, le plus homogne, le plus clbre de l'ancienne Celtique. C'est celui dont le nom a fini par prdominer des Apennins la mer du Nord. C'est celui que, sous le bnfice des observations exprimes par M. Bertrand dans son Archologie celtique et gauloise^, nous considrons comme l'auteur ou comme l'un des principaux auteurs, ou comme l'hritier immdiat de la civilisation dont la Gaule fut le thtre au dbut des temps historiques ^ .

1. P. 376. 2. Cf., au point de vue des renseignements fournis par la langue, Gaston Paris, La littraiure franaise au moyen ge^ Introduction, p. 8.

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LES ORIGINES DE L ART GOTHIQUE 3 Au lieii d*une race unique , dit M. Alexandre Bertrand, les Gails ou Celtes, plus ou moins mlangs de Ligures et d'Ibres, nous apportant d'Orient, quinze ou seize cents ans avant notre re, une organisation sociale toute faite, de source aryenne ou iranienne, nous nous trouvons en prsence de deux ou trois couches, au moins, de populations primitives antrieures aux immigrations des Aryas en Occident: Au nombre de ces premiers occupants du sol se rencontre la race puissante qUi a lev les dolmens et dont les descendants forment encore trs probablement la majorit des populations rurales du centre et de l'ouest de la France. On croit gnralement et Ton enseigne encore que les germes de la grande civilisation nous ont t apports par la colonie phocenne de Marseille. L'archologie dmontre que la Gaule n'a rien d aux colonies grecques de la Mditerrane en dehors de la monnaie et de l'alphabet. Le progrs nous est venu par la voie du Danube, la suite d'immigrants et de conqurants de race celtique, Celtes et Gaulois. Le foyer de lumire a t, pour nous, non la Grce o l'Italie, mais le fond del mer Noire et, dans le lointain, la Perse et l'Assyrie. VioUet-le-Duc a galement affirm que certains lments, que certains principes d'art qu'on aperoit aux hautes poques dans la Russie mridionale ont coexist ou survcu dans l'art celtique. Retenez bien cette constatation du point de dpart de la civilisation celtique. Ce serait l'Asie ou TOrient de l'Europe ^ Rappelez-vous aussi que la transmission s'est faite alors directement de l'Est rOuest, par le Nord, sans l'intermdiaire du bassin mditerranen. Y a-t-il eu un art gaulois ? Peut-on parvenir dfinir quelquesuns de ses caractres? Je rpondrai affirmativement. Les monuments de Tart gaulois sont rares. Il n'existe pas, comme Jules Quicherat l'enseignait, de sculpture gauloise (Mlanges^ t. I, p. 402), attendu que les Gaulois, tant que dura leur indpendance, ne sculptrent point la pierre. Ils ne se mirent ce genre de travail que lorsqu'ils eurent contract les murs romaines et ils tendirent en perdre l'habitude lorsqu'ils commencrent se convertir au chris-

* 1 . Voyez aussi sur ce sujet : Schrader, Sprachvergleichung und Urgeschichie, p. ei*? 640; Questions aryennes, par M. de Lapoue, dans la Revue d'AnIkropologie de M. Topinard, xvui* anne, t. IV, 15 mars 1889.

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6 LES ORIGINES DE L^ART GOTHIQUE iianisme et se laisser pntrer des premiers lments barbares * . Cependant certains monuments de pierre, comme ceux de Gavrinnis, avaient reu des populations indignes de la Gaule, une poque indtermine, mais bien antrieure toutes les pntrations mridio* nalee, une ornementation dessine et grave dont le sentiment, qui ne s'teignit pas compltement ni aux temps gallo-romains, ni mme aux temps mrovingiens, peut tre parfaitement apprci. En dehors mme de ces timides manifestations d'un premier temprament national, en dehors mme de la monnaie gauloise, imite de la monnaie grecque, il existe quelques monuments figurs, en pierre, trs remarquables, qui sont ns, avant la conqute romaine, du contact momentan de la civilisation gauloise et de la civilisation grecque. Je vous parlerai des sculptures d'ntremont, conserves au muse d'Aix en Provence. Je vous montrerai aussi que dans toutes les provinces de la Gaule pendant la priode de la domination de Rome, des relations directes se nourent entre notre pays et la Grce ^ ou avec Tcole grecque, et qu'il se rencontre, comme Ta fait voir M. Heuzey^, des preuves d'un commerce indiscutable et assez actif, entre nos anctres et les Grecs. C'est l'aide de l'ornementation de certains ustensileset de quelques objets d'orfvrerie que nous essaierons de vous faire sentir quelle a t l'esseiice de l'art gaulois primitif. Elle n'tait pas en somme extrmement diffrente du caractre affect par ]es arts imports plus tard en Gaule, aprs le passage des Romains, par les invasions barbares et pratiqus par d'innombrables tribus germaniques. C'tait un compos de dessins gomtriques, puis d'enroulements, de mandres compliqus, de spirales, qui ne sont pas sans analogie avec ce que nous savons de la dcoration des meubles contenus dans les ncropoles mycniennes et avec ce que Ton connat d'une civilisation primordiale et universelle laquelle TOrient et le centre de l'Europe auraient t soumis^ . L'image seule peut donner l'ide de l'esprit de l'art gaulois. 1. Ds Tapparition du christianisme, dit Ruprich-Robert {Archii. norm., p. 221), Tari de la statuaire fut abandonn, et il en fut de mme en Occident. 2. Gaston Paris, La. Littrature franAise au moyen ge^ Introduction, p. 8. 3. Quelques observations sur la sculpture grecque en Gaule. Mcm. de la Socit des Antiq. de France, t. XXXVII, 1877. 4. Sur la parent des races celtiques et germaniques, voyei H. d'Arbois de

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LES ORIGINES DK l'aRT GOTHIQUE 7 Quand, plus tard, Tart des lgions romaines s'appesantit sur la Gaule, on peut rclamer encore une certaine part d'originalit relative pour la sculpture gauloise tombe sous le joug de Tuniformit et inspire uniquement par les monuments de la civilisation mridionale. La sculpture dans les Gaules, dit Viollet-le-Duc \ au moment des grandes invasions, c'est--dire au iv sicle, n'tait plus un art, c'tait un mtier, s'abtardissant chaque jour. Au point de vue de l'excution seule, rien n'est plus plat, plus vulgaire, plus nglig. Mais, comme composition, comme invention, on trouve encore dans ces fragments une sorte de libert, d'originalit qui n'existe plus dans les tristes monuments levs en Italie, depuis Constantin jusqu' la chute de l'Empire d'Occident. L'esprit gaulois laisse percer quelque chose qui lui est particulier dans cette sculpture. Je vous prouverai par des exemples combien est juste l'observation de Viollet-le-Duc. Vous pourrez ainsi avoir une ide de la dose trs relative d'indpendance que Tart celtique conserva pendant son long esclavage romain. Je vous ferai, en outre, remarquer certains retours furtifs du temprament national qui se trahirent, mme pendant la priode romaine, et que Jules Quicherat a si habilement surpris au vol, en quelque sorte, et fixs pour notre dification. Vous verrez enfin que, quand disparait le poids qui oppressait la Gaule, il se fait, pendant la priode mrovingienne, dans la dcoration et dans la sculpture d'ornement, comme une explosion du sentiment personnel celtique. On sent que les instincts primitifs de la race, refouls par l'art officiel, par l'art urbain et aristocratique de l'poque gallo-romaine, n'ont pas t compltement anantis dans les masses profondes du peuple. Quelques monuments chrtiens et mrovingiens trahissent une vritable barbarie, si on compare l'tat de civilisation qu'ils reprsentent, la culture de Rome, encore bien suprieure, mme dans sa dcadence, tous ces essais. Mas cette barbarie, dont ces essais sont les tmoignages, n'est pas une Jubainville, Les Celles et les langues celtiques^ leon d'ouverture du cour de lan{^e et littrature celtiques fait au Collpe de France, 1882, in-8", et Celles et Germains^ tude grammaticale Extrait des comptes rendus des sances de TAcadmie des Inscriptions, 1886. p. 316-325V, Gaston Paris, Littrature franaise du moyen ge, p. 8; Ernest Lavisae, tudes sur Vhistoire dWUewagne .Revue des Deux-Mondes^ juillet. 1885, p. 390 et suivantcs\ 1. Dictionnaire raisonn d'architecture, t. VIII.

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8 LES ORIGINES DE L*ART GOTHIQUE

barbarie quelconque. C'est toujours celle que les Romains avaient rencontre en Gaule au moment de leur arrive, qu'ils avaient contenue et qui reparaissait au moment de leur retraite. Elle a laiss son empreinte sur de nombreux monuments de Tpoque mrovingienne et mme carolingienne ; et c'est ainsi que les principes primordiaux de Tart gaulois, mlangs aux principes de Tart germanique, et aprs s'tre amalgams avec eux, ont pu fournir une contribution apprciable au total gnral des lments qui ont constitu le style roman en prparant la substance de l'art gothique.

II Pour apprcier, dans le caractre gnral de notre art national, la part de Rome et de la Gaule roman ise, j'emprunterai d'abord l'opinion du plus enthousiaste admirateur du gnie latin. Les droits de Rome auront donc t dfendus devant vous par le plus habile des avocats, et nul ne pourra prtendre qu'ils aient t sacrifis. L'abb Cochet, aprs avoir parl avec ddain de l'art gaulois antrieur la conqute, s'exprime ainsi dans sa Narmandie souterraine (p. 54) : a Puis, tout coup, ce peuple change ; en quelques annes, dans l'espace d'un sicle, la face du pays se renouvelle totalement. Un vrai miracle s'opre ; ces pierres brutes se changent en hommes civiliss ; une rgion inculte et forestire devient le jardin d'une riche colonie agricole. Ce monde de granit s'amollit au contact des arts, et une haute civilisation brille l o avait rgn une sauvagerie sculaire. La conqute romaine apparut dans la Gaule comme un immense bienfait. Elle fit faire ces hommes arrirs un pas de gant dans la voie du progrs ; elle avana de dix sicles la marche de l'humanit. Elle dut produire sur les rudes et agrestes populations de la Gaule l'effet que produisit l'Espagne sur les Indiens du Nouveau-Monde. Les Romains enlevrent ces peuples gnreux et sauvages leur fougueuse et indomptable libert, mais, en change, ils leur donnrent les arls, le commerce et l'industrie. Ce fut avec des chanes d'or que Rome attacha le Gaulois son char de triomphe. L'humeur chagrine de Tacite a pu fltrir les bienfaits de la conqute, mais, nous qui ne trouvons plus que les cendres refroi-

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LES ORIGINES DE l'aRT GOTHIQUE 9 dies des vainqueurs et des vaincus, nous ne savons prononcer sur leur tombe entr'ouverte que Tarrt de la justice ou Thymne de la reconnaissance. Les Romains apportrent tout avec eux dans la Gaule : architectes, sculpteurs, peintres mosastes, graveurs, potiers, verriers et crivains. Des lgions ouvrires suivaient les lgions armes.

La transformation de la Gaule fut consomme de Tan 50 avant notre re Tan 70 de Jsus-Christ. La nationalit gauloise fut dtruite^ la religion druidique abolie. Il n y eut plus de Gaulois, mais des Gallo-Romains. u La Gaule entra alors , suivant les expressions de Jules Quicherat, dans une priode de paix et de flicit qui ne s'est pas renouvele depuis, mme pour la France c< moderne. La Gaule rivalisa de splendeur avec Tltalie. Je ferai dfiler devant vos yeux, Taidede la photographie, un grand nombre de tmoignages de cette splendeur. Vous en examinerez les monuments de sculpture et vous reconnatrez que Viollet-leDuc a eu raison de se montrer svre pour eux. a Laissons de ct, dit Viollet-le-Duc, l'intrt archologique qui s'attache ces dbris; considrs comme uvres d'art, ils ne causent qu'un ennui et un dgot profonds ^ . Tout ce qu'a dit Viollet-le-Duc ce propos est trs vrai et trs juste. Il ne faudrait pas cependant exagrer ni aller plus loin. Je vous ai rappel dj que la sculpture gallo-romaine possda une certaine originalit relative et que, malgr les dfauts justement signals, malgr les erreurs d'une civilisation factice, aucun art n'eut peut-tre sur le sol de la Gaule un panouissement aussi complet que Tart romain ; aucun ne lgua la postrit de plus nombreux tmoignages de son existence, aucun n'aurait pu prtendre devenir la source principale de tout art postrieur; aucun n'tait plus dsign que lui pour tre et demeurer le fondateur d'un art occidental dfinitif, s'il avait pu s'entendre avec les nouveaux matres du territoire comme il s'tait entendu avec les propritaires prcdents. Mais un phnomne trange apparut alors. Une sorte de solution de continuit se produisit dans la tradition latine. Quelqu'abondante qu'ait t la semence laisse parle gnie gallo-romain sur la terre 1. ViolIet-lc-Duc, Dictionnaire rnisonn dWrchiteclure^ l. VIII, p. 103.

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10 LES ORIGINES DE L*ART GOTHIQUE laboure par les Barbares, on peut remarquer, qu'aprs Forage ce n est pas, parmi les plantes surgissantes, la semence romaine qui germa le plus facilement. Le monde occidental, qui s'tait endormi paen et romain^ se rveilla chrtien et barbare. Cette mtempsycose tait la consquence naturelle des fautes et des vices de la socit antique constitue par les Romains. L'art romain ne s'tait acclimat dans aucun des pays o il avait t apport par les armes. Il tait rest partout le produit d'une importation violente, d'une intrusion militaire. En particulier, il n'avait pas jet de racines dans le sol gaulois. Il ne s'tait pas ml par des alliances fcondes et de productifs croisements aux essences gauloises ni aux lments de la civilisation celtique. Il tait rest

brutalement impntrable, froidement inexorable, maintenant, comme la loi romaine, son impassible puret doctrinale au milieu des murs diffrentes et mobiles des peuples domins par lui, sans vouloir tenir compte d'aucune transformation sociale. Incapable de cette souplesse, dont l'art grec pntr par l'art oriental se montrera susceptible pour rpondre, dans les conditions les plus diverses et sous les climats les plus diffrents, tous les nouveaux besoins de l'humanit devenue chrtienne, l'art romain, mme l'poque paenne, n'avait pas su se plier aux habitudes des peuples septentrionaux, ni pntrer profondment leurs masses. C'tait un art administratif et officiel, tout conventionnel qui, des bords de la Mditerrane aux derniers rivages de la Caldonie, rptait, reproduisait partout, comme un mot d'ordre, le mme type uniforme, le mme modle rglementaire avec l'exactitude d'une machine et la puissante force d'impulsion d'une bureaucratie militaire. C'tait un art de fonctionnaires destin uniquement un milieu social trs restreint, compris par les seuls adeptes de la franc-maonnerie municipale et gouvernementale si savamment organise par les Romains avec la complicit de l'aristocratie gauloise; c'tait un art superficiel que je ne saurais mieux dfinir qu'en empruntant M. Gaston Paris ce qu'il a dit de l'panouissement littraire des Gaules, si blouissant pendant les cinq premiers sicles de notre re : Toute cette littrature d'coles, d'acadmies et de salons, ne pntrait pas dans le peuple et ne devait servir en rien l'avenir ^ Ce jugement s'ap1. G. Paris, Manuel d'ancien franais, La lillralure franaise au moyen ge, Inlroduction, p. x.

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LES ORIGINES DE l'aRT GOTHIQUE 11 plique absolument Tari de la mme poque, et plus d'un passage de la belle introduction du Manuel d'ancien franais claire par des reflets l'histoire des origines de Tart septentrional. Il est certain qu'au moment de la chute de Tempire romain, de tous les lments destins former Tart de Tavenir, le slyle galloromain tait incontestablement le plus considrable et paraissait naturellement devoir tre Tagent le plus actif de la prochaine combinaison intervenir. Il n'en fut rien cependant. Un ractif puissant changea tout coup la nature du milieu o Part gallo-romain avait vcu. Ce ractif fut, mes yeux, l'introduction de l'lment barbare, qui s'unit avec l'lment celtique, avec l'lment gaulois, et, pardessus la tte de l'cole latine, tendit la main l'cole no-grecque. Cependant, si l'esthtique et l'essence de la sculpture galloromaine sommeillrent en quelque sorte pendant le haut moyen ge et n'eurent pas une importance proportionnelle au nombre et la qualit des modles qu'elles avaient laisss, elles ne disparurent jamais entirement. Ds les premiers temps romans, sous l'influence no-latine des clotres, elles retrouvrent partiellement, pendant la

Renaissance monastique, une certaine vigueur et se ranimrent concurremment avec plusieurs autres principes tout diffrents. Dans certaines provinces, comme la Bourgogne et l'Auvergne, l'inspiration fut directement et quelquefois uniquement demande aux lments gallo-romains. Il ne faudra non plus jamais oublier que, seule, la vraie cole grco-romaine et gallo-romaine avait t sincrement et absolument dvoue la statuaire^ et que c'est vraisemblablement son influence et son patronage que nous devons d'avoir chapp en France la fureur iconoclaste de l'empire grec et quelques-unes des consquences de cette folie. Mais vous constaterez qu' toutes les poques, depuis l'entre en scne des peuples nouveaux, ces lments eurent une action beaucoup plus ngative que positive, beaucoup pluscorcitive que rnovatrice ; qu'ils professrent uniquement la discipline et n'ont jamais apport l'mancipation, ni encourag la libert, ni servi le progrs, ni prpar l'avenir, ^

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12 LES ORIGINES DE L* ART GOTHIQUE

III

On a appliqu rpithcte de latine la forme que revtit Tari romain et gallo-romain dans la premire socit chrtienne de TOccident. C'tait la pense paenne simplement baptise, reste d'essence romaine, relativement rajeunie par une interprtation timide et modeste, retrempe dans un sentiment originairement populaire et dmocratique. Le type de cet art se trouve ralis Rome, dans une partie de la dcoration des catacombes et dans celle des premires basiliques, ainsi que dans l'ornementation des plus anciens sarcophages chrtiens. N vieillot et caduc, il se dveloppa cependant assez rapidement en Italie et conserva quelque temps une personnalit relativement distincte, en concurrence avec un rival puissant, avec Tari grco-oriental, qui devait bientt s'allier lui et tendre le supplanter, mme sur la terre italienne. Ce style dit latin rgna sur tout le bassin de la Mditerrane, en Afrique, dans les Gaules. Il a laiss chez nous, surtout en sculpture, d'assez nombreux monuments pour que nous puissions Ttudier compltement. C'est lui et son inspiration immdiate et directe qu'appartiennent les innombrables sarcophages chrtiens originaires du sud-est de la France, tellement semblables ceux de Rome, qu'on distingue difficilement, Arles, ceux qui seraient le produit direct du travail romain de ceux qui proviendraient des ateliers gaulois. C'est du mme art latin plus ou moins pur que relvent quelques autels de marbre, seuls vestiges chapps la disparition des di-

fices o ils avaient t dresss. C'est lui que se rattachent quelques chapiteaux en marbre ayant survcu aux basiliques chrtiennes des v% vi*' et VII'- sicles, ainsi que quelques tombeaux mrovingiens. Il a inspir galement des uvres d'orfvrerie. Hritier direct et immdiat des principes de l'art gallo-romain, cet art dit latin a donc reu chez nous un dveloppement assez considrable qui nous permettra de lui donner, dans nos dmonstrations graphiques, une part proportionnelle son importance historique. Nous pourrions d'ailleurs, au besoin, comme on l'a essay tant de fois, clairer la priode latine de l'art des Gaules l'aide des beaux

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.ES ORIGINES DE l\\RT GOTHIQUE 13 travaux consacrs par les rudits et par les artistes la mme priode en Italie. Nous ne le ferons pas, toutefois, sans prcautions et nous nous garderons de prolonger trop tard par la pense la dure des influences purement latines sur le sol de la France, de mme que nous viterons de les y faire dbuter trop tt. La sculpture, chez nous, ds les temps mrovingiens, surtout la sculpture .d'ornements, la seule qui ft couramment pratique, tmoigne dj, par son travail, d'un sentiment particulier, mme quand elle imite le modle gallo-romain. Ce sentiment est peut-tre produit moins par une dformation inconsciente et maladroite du type gallo-romain que par une transformation volontaire et une vague orientation dans un certain sens, dans le sens de l'art grcooriental, dans le sens de cet art qui va devenir le style et le caractre byzantin de Ravenne. La feuille du chapiteau, par exemple, ne se dtache plus de la corbeille de celui-ci; elle le tapisse presque entirement et se profile, maigrement et souvent schement, suivant un contour plein de. raideur. A la place d'une excution flasque, lourde et molle, on voit apparatre le style serr, plat, en faon de gravure, de l'ornement byzantin. Cette tendance est universelle et manifeste en Gaule comme ailleurs. Vous verrez, notamment, comment toute une cole de sculpture trs considrable, celle laquelle nous devons la vaste famille des sarcophages chrtiens du sud-ouest, mane presque uniquement, ou tout au moins principalement, par l'inspiration, et j'oserai presque dire par l'excution, de l'influence no-grecque. Dans le double mouvement qui portait la fois TOrient et l'Occident vers la mme esthtique, je pense qu'il y eut plus qu'une simple simultanit fortuite de sentiments. Ce fait se produit en mme temps que les vagues instincts de l'ornementation gauloise originelle se rveillent en apparaissant sur les sarcophages de Poitiers, et que, de toutes parts, les lments de l'art barbare, c'est--dire des peuplades germaines, commencent se faire jour et taler partout leurs naves, exubrantes et fantaisistes conceptions. La sculpture, d'ailleurs, ne serait pas le seul tmoin, ni mme le tmoin principal, invoquer en

faveur de cette opinion. Dans l'architecture latine, italo-chrtienne, dont ces ornements sculpts ont d faire partie, le procd de construction, l'appareil reste latin, exclusivement latin. Mais il me

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H LES ORIGINES DE i/aRT GOTllIQl semble que, dans une certaine mesure, pour quelques difices de l'poque examine, Taspect gnral des lvations dcoule d'une pense issue d'une source diffrente. On avait dj vu quelque chose de cela Byzance et en Orient; on va le voir bientt Ravenne. Pourquoi, aprs tout, ne rencontrons-nous pas chez nous des spcimens bien nets de la basilique compltement latine ? Pourquoi sommes-nous obligs d'imaginer un type qui a exist, je veux le croire, mais qui ne s'est peut-tre pas produit dans des conditions d'identit absolue avec les monuments italiens qui nous servent le forger? Pourquoi les seuls monuments bien authentiquement mrovingiens semblent-ils, par certains cts, sensiblement trangers la forme basilicale purement romaine et paraissent-ils inspirs d'une pense parallle, mais diffrente, par exemple, de la forme orientale grco-syrienne ou de la forme byzantine qui s'en rapproche, comme, Ravenne, le tombeau de Galia Placidia. D'o donc procdent, comme forme gnrale, le temple SaintJean de Poitiers, l'hypoge de la mme ville, dcouvert par le Pre de la Croix, la crypte de Saint-Laurent de Grenoble? Est-ce du plan latin des basiliques de Rome ? Pourquoi Jules Quicherat, dans sa Restitution de Vglise de Saint-Martin de Tours^ tablit-il que, ds le \'^ sicle, la silhouette profile sur notre ciel par les monuments inspirs de l'art latin s'est dj notablement altre * ? Pourquoi la ligne horizontale unique et dominante est-elle dj abandonne ? Pourquoi la ligne verticale, qui sera plus tard si familire notre architecture franaise, commence- t-elle s'indiquer, s'affirmer et rclamer sa place au soleil et surtout la pluie? Pourquoi aperoit-on cet ctagement, cette arx, cette machina dont les textes nous avaient conserv le souvenir et dont Quicherat nous a rendu le sens graphique et l'image? Ce n'est certainement pas l'art gallo-romain, l'art exclusivement latin, sans alliage tranger, qui a inspir le procd de la tour-lanterne dont fut surmont le carr du transept de nos glises, au moins depuis la construc-

1. Restitniion de lu basilique de Sainl-Martin de Tours, d'aprs Grgoire de Tours, et les autres textes anciens. Revue archologique, 1869, et Mlangen d'Archologie et d'Histoire, t. II, 1886, p. 45.

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LES ORIGINES DE L*ART GOTHIQUE 15

lion de la basilique de Saint-Perptue *. coutez le matre : u Beaucoup d'glises de la Gaule prsentrent leur transept depuis la fin du y sicle une disposition qu'on ne retrouve pas dans les basiliques d'Italie, mais qui parat avoir t celle de certaines basiliques Constantinople et dans d'autres grandes villes de l'Orient. Saint-^ean d'phse et les Saints- Aptres de Constantinople, Tglise de Bethlem, en taient des exemples* . Je n'oublierai pas non plus les arguments que M. Albert Lenoir nous fournit dans son beau livre de V Architecture monastique, sur quelques ressemblances entre nos monuments orientaux et les conceptions de l'Orient byzantin. J'aurai bien garde surtout d'omettre les conclusions si formelles prsentes par M. le Marquis de Vogu sur l'vidence du contact plus ou moins immdiat, dans les six premiers sicles de notre re, entre la Syrie et notre Gaule, au sujet de la forme des difices et de leur dcoration sculpte. Les consquences de la dcouverte de Jules Quicherat, qui toutes n'ont pas encore t prvues, seront considrables, et je dsire faire profiter l'histoire de la sculpture du bnfice d'un raisonnement par analogie. Comprenons-nous bien, cependant. Je ne veux pas mconnatre les indiscutables liens de parent qui existent entre nos premiers difices religieux et la conception purement latine de la basilique. Je ne nie pas non plus que les matriaux latins tout travaills n'aient pass frquemment du temple paen l'glise chrtienne. J'irai mme plus loin. Je suis prt proclamer la pntration rciproque et contemporaine de l'art grco-oriental lui-mme par l'art latin, et la vulgarisation peu prs universelle, un moment donn, mme en Orient, surtout en Afrique, de la basilique dite latine.. En un mot, je reconnais que l'embryon d'o est sortie l'glise romane avant de devenir elle-mme l'glise gothique, a certainement particip du plan basilical, mais j'estime que ce fut par un effet peuttre aussi rflexe que direct. Cette communication, pour tre mora1. Mme sans tenir compte de la dcouverte de Jules Quicherat, RuprichRobert avait, lui aussi, dj entrevu cette vrit quand il a dit, dans la 12' livraison de son Architecture en Normandie : Quelle a t l'orijine des toure centrales? Elle ne peut tre latine^ car les murs des basiliques, beaucoup trop faibles pour recevoir une construction quelconque au-dessus de la croise, n'en avaient pas.

2. Jules Quicherat, Mlanges d'Arch. et d'Hist.^ t. II, p. 408.

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16 LES ORIGINES DE L ART GOTHIQCE lement indiscutable, mme chez nous, et absolument vraisemblable d'aprs les descriptions littraires d'Ausone, de Sidoine Apollinaire et de Grgoire de Tours, n'est pas, comme on Ta suppos, ce qui est le plus facile dmontrer, Taide de monuments sortis les uns des autres, par une progression continue et naturelle. Nous ne pouvons pas dire quelle poque prcise cette affirmation complte et exclusive de la pense latine s'est manifeste avec le plus d'vidence. Est-ce au dbut de la conversion de la Gaule ? Ce que M. Edmond Le Blant^ nous apprend de l'existence de certaines hypoges du m* et du iv sicle, ce qu'il nous rvle des premires influences liturgiques grecques *, ce que nous savons des innovations inaugures dj par la construction de l'vque Perptue sur le tombeau de saint Martin, tout cela n'est pas de nature nous faire rpondre affirmativement. Est-ce la fin de cette priode? Alors pourquoi plusieurs monuments immdiatement subsquents et authcntiquement carolingiens qui nous sont parvenus et qui n'ont pas cess d'tre en relations de cause et de consquence avec les monuments romans, sont-ils, eux, presque uniquement en rapports, non pas avec l'art latin, mais avec l'art grec pntr par l'art oriental, c'est-dire avec l'art byzantin? Constantin, dit Jules Quicherat ', avait fait construire en l'honneur de la Vierge, Antioche, une glise huit pans, appele le Temple d'ot\ qui parat avoir t le prototype des glises polygones de l'Occident. Le plus ancien monument de ce genre, parmi ceux qui nous intressent, est la cathdrale d'Aix-la-Chapelle, btie, 1. Inscriptions chrtiennes de la Gaule^ t. I, p. 270 et suivantes. Le mot de martyrium qui, dans les crits des saints Pres, dsigne les premiers difices du culte chrtien, n'existe plus dans la langue l'aide de laquelle Fortunat et Grgoire de Tours dcrivent les constructions nouvelles des basiliques lments latins. 2. Edm. Le Blant, Inscriptions chrtiennes de la Gaiiie, t. II, p. 164, note. La mention de double espoir dont nos marbres de la Viennoise portent l'empreinte se retrouve dans les antiques prires de l'glise grecque que nous donne saint Irnce... Je ne puis me dfendre de remarquer cette analogie d'expression qui semble concourir montrer, dans une part importante de nos formules pigraphiques, l'influence de l'vque grec qui nous apporta l'vangile. Rien ne prouve mieux l'antique possession des litui*gies orientales dans la Viennoise. 3. Mlanffes dWrchologie et d'Histoire^ t. II, p. 493. Cf. galement Albert Lenoir, Architecture monastique, t. II, p. 26, 27, 21' SUD-OUESt en forme de cur ou ier de lance. Quand cette dcoration comporte des figures, elles sont toujours circonscrites dans des compartiments, dans des encadrements. Le traitement de la sculpture dans les ateliers d'o sortent ces sarcophages est diffrent de celui qui tait en honneur dans les ateliers gallo-romains prcdents. Le 'relief est plus plat. On n'ahuse pas toujours de Temploi du trpan. La forme est celle d'un coffre. Nous examinerons ensemble, dans notre runion de cette aprs^ midi^ les planches du livre de Le Blant. Effaons Thistoire. Ignorons tout. Les monuments de Fart suffirout nous rvler la grande rvolution qui s'est faite dans Tunivers. Nous voyons tout s'orienter sur la Jude, sur TAsie hellnique. La sculpture des chapiteaux dans les basiliques de la Gaule parle la mme langue que la sculpture des chapiteaux de TOrient chrtien. Une toile mystrieuse nous guide vers la crche radieuse de Bethlem. Home n'existe plus. La capitale du monde, c'est Havenne et Constantinople. Rome est teinte. L'Orient rayonne et attire. Une force invincible m'entrane, dans un plerinage scientilique, vers les lieux prdestins o le catchisme avait autrefois agenouill la foi de mon enfance.

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DOCUMENTS COMPLMENTAIRES

Liste de quelques chapiteaux de marbre comments par le professeur au cours d'un entretien supplmentaire. Les plus importants sont ceux du baptistre de l'Eglise Saint-Sauveur Aix, d'une beaut classique, mais dont la provenance chrtienne n'est pas certaine; Du muse Saint-Jean Poitiers ; De Saint-Hilaire Poitiers ; De Saint-Germain-des-Prs, retrouv dans les chantiers de SaintDenys par M. Courajod et provenant de la basilique de Saint-Vincent construite par Childebertde 556 558; De Sainte-Genevive, provenant de l'ancienne Eglise des SaintsAptres construite par Clovis en 507; Du muse de Gluny trouvs dans les fouilles de Notre-Dame de Paris ; De l'glise de Montmartre; De Saint-Remi, Reims ; De Saint-Seurin, k Bordeaux', De Moissac; De Nantes, dont la provenance chrtienne est indubitable ; De la crypte de Jouarre ; Del crj'pte Saint- Laurent, Grenoble ;

BIBLIOGRAPHIE DE LA NEUVIME LEON. M. LE Blant, Les sarcophages chrtiens de la Gaule, cole des sarcophages du Sud-Ouest. Chanoine Reusens, Archologie chrtienne (p. 202). Description de sarcophages chrtiens.

COUHAJOD. LBO!) dit M. Alos Heiss {Description gnrale des Monnaies des rois Wisigoths d' Espagne , p. 18). Cependant saint Isidore, dans ses tyniologies, mentionne plusieurs fabriques de tissus de fil, de laine et de soie, de verre de diffrentes couleurs et d'ouvrages en or, en argent et en acier. La dcouverte du trsor de Guarrazar, en 1860, a prouv Texistence d'un art propre aux Wisigoths, plus rude dans ses dtails que Tart byzantin contemporain, mais plus pur de forme et non moins lgant.

Pendant prs d'un sicle, de 418 507, Toulouse a t la capitale du royaume des Wisigoths, c'est--dire d'un territoire comprenant la pninsule ibrique et un tiers de la France. Tandis que les Syriens nous apportaient directement les lments de Tart judo-grec, de Tirt grco-macdonien comme le comput qui se lit sur leur tombe ; tandis que les Syriens nous amenaient certains principes que vous avez reconnus sur la petite chsse de Tabbaye de Fleury-sur-Loire et que je vous montrerai sur la petite chsse du muse de Poitiers que je viens de revoir, les Wisigoths nous lanaient dans la culture de Tart byzantin de Ravenne. L'examen des monuments d'architecture est loin de dmentir les conclusions auxquelles nous a mens l'examen des monuments de sculpture. Qu'il y ait eu des basiliques bties en Gaule, le fait n'est pas douteux. Les descriptions littraires d'Ausone, de Sidoine Apollinaire, les renseignements de Grgoire de Tours et de Fortunat nous l'ont appris. Mais rien n'tablit que ces difices aient t plus purement latins, plus exempts de toute influence grco-orientale que les difices de Ravenne connus de nous actuellement : tombeau de Thodoric, tombeau de Galla-Placidia, basilique de Saint-Apollinaire in classe, basilique de Saint-Apollinaire nuovo^ glise de SainlVital. Au contraire, tout concourt nous faire croire que I

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LES INFLUENCES NO-GRECQUES ET ORIENTALES 135 mouvement universel qui portait l'Europe vers la Palestine et vers Byzance a t suivi par la Gaule aussi bien en architecture qu'en sculpture. Que nous reste-t-il des basiliques de Paris et de Nantes dont nous connaissons la date (vi sicle ; 1" moiti du vu sicle) ? Ce qui nous reste, ce sont quelques chapiteaux : ces chapiteaux, vous les connaissez, ils nous renseignent sur le caractre gnral de Tuvre. Les seuls monuments, ou du moins les principaux monuments architectoniques qui subsistent et qui soient encore debout sont : le Baptistre ou Temple Saint-Jean de Poitiers, et la crypte de Saint-Laurent de Grenoble. Regardez le temple Saint-Jean. Son aspect ne rappelle en rien une construction paenne. Il a, au contraire, une certaine vagu ressemblance de masse gnrale et de silhouette avec le tombeau de Galla-Placidia (450 environ). J'aurais parler de la socit mrovingienne et surtout de Tours

et de Poitiers. Mais je crois qu'il faut attendre que vous connaissiez l'art mrovingien dans tous ses lments, et notamment avec l'appoint des lments barbares.

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DOCUMENTS COMPLMENTAIUES

BIBLIOGHAPHIE DE LA ONZIME LEON

r-LE-Duc, Dictionnaire raisonn d'architecture (t. VIII, p. 174). de l'art oriental. clature des principaux historiens des Wisigoths : Paul Orose; vque de Galice; Jean de Biclard, vque de Pronne ; Julien, tain de Tolde; Maxime, vque de Saragosse ; Isidore deSville.

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DOUZIEME LEON 11 MABS 1891

L'ART BYZANTIN

Messieurs, Aujourd'hui et mercredi prochain nous tudierons les principales sources mridionales du style roman, au sige mme de leur dveloppement )e plus considrable : en Asie Mineure, Constantinople et Jiavenne. C'est l'histoire de la formation et de la, divulgation de Part byzantin que nous essaierons d'esquisser. La dmonstration embrassera les deux entretiens du 11 et du 18 mars, sans qu'il soit possible de les sparer nettement. Vous me verrez passer continuellement de l'art de la Syrie l'art

de Constantinople et celai de Ravenne. Une fois pour toutes, je dclare que ces trois arts sont des manifestations particulires d'un principe unique, savoir, l'art n en Orient sur le vaste territoire la fois asiatique et europen dont Byzance a t le centre politique et intellectuel partir du iv*' sicle. Il faut se rendre compte d'abord de ce qu'tait l'art grco-oriental dans son berceau, en Orient ; il faut se faire une ide juste de ses principes et de ses tendances, des vieilles civilisations dont il tait l'expression collective, mlange, complexe, altre et renouvele. Si vous y parvenez, plus tard vous comprendrez quoi je me rfre quand je vous entretiendrai des rapports continuels de

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J38 i/art bvzaxtin l'Orient avec FOccideiiL Tout Tart de l'poque carolingienne et une partie de Tart de Tpoque romane primitive se trouveront expliqus. C'est une convention, un contrat que je dsire former entre nous pour n'tre pas accus de manquer de suite dans les ides et dans la marche de mon exposition. Les mots : Art grco-oriental ; Art byzantin ; Art de Raveiine, sont trois termes peu prs synonymes dans ma bouche, partir du v sicle de notre re. Dans nos entretiens supplmentaires, je vous ai dj dmontr et je vous dmontrerai encore leur identit. Vous verrez aussi que cette opinion est partage par tous ceux qui en' ont parl. Monuments de Jrusalem et de la Jude. Vous savez, par mes prcdents entretiens, queis ont t les rapports, frquents^ directs et intimes^ qui existrent entre la Syrie et la Gaule, ds le v*' et le VI sicle de notre ^re. Il est indispensable que nous connaissions quel a t le style des monuments de Jrusalem^ dont Tinfluence morale quelle qu'ait t Topinion vraie ou fausse qu'on s'en ft a d ncessairement tre trs grande dans tous les pays o la foi chrtienne s'est rpandue. L'tude vraiment archologique de ces monuments ne date que d'une vingtaine d'annes et elle n'a pas encore exerc sur les ides la lgitime action qu'elle doit avoir et qu'elle aura. Autrefois tous les monuments de la Palestine passaient pour tre juifs ou hbraques et pour dater au moins du temps de Salomon. C'tait un peu la doctrine des premiers travaux de M. de Saulcy. M. de Vogi a renvers cette lgende. 11 a dmontr que les tombeaux antiques qui entourent Jrusalem et les grands soubassements du Temple appartiennent l'poque hellnique et non ceMe de Jude. Le Temple de Jrusalem, c'est non pas le temple de Salomon, mais le temple d'Hrode. Ce temple d'Hrode qui avait succd au temple de Salomon, la France en a possd des morceaux et elle les a laiss perdre. Je

l'ai prouv l'aide d'un texte de Sauvai. Il y en a eu au Louvre sous Louis XIV. On ne saurait, dit M. de Vogu, hsiter longtemps sur la date du tombeau des Rois. C'est un monument d'imitation grecque, judaque si l'on veut d'aprs notre dfinition, comme le tombeau de Scipion est romain par l'excution beaucoup plus que par la

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L* ART BYZANTIN 139 composition. Tous les lments principaux sont emprunts Tarchi lecture dorique du i^*" au n^ sicle avant J.-G. Le tombeau des Rois a donc tous les caractres d'une uvre d*imitation et d'un monument relativement moderne. Le tympan qui surmonte l'entre du tombeau des juges est le spcimen le plus complet de Tart judaque dans le sens que nous avons attache cette dfinition, c'est--dire de Tart n de la fusion de i'art grec et des anciennes traditions, ou plutt de la traduction des formes grecques par des ouvriers indignes. La seule sculpture d'ornement qui ait quelque analogie avec celle qui nous occupe, est celle des monuments chrtiens levs en Syrie du iv au vu** sicle * . M. de Vogu a tabli premptoirement la preuve du contact et, par moments, de l'identit du style byzantin avec Tart grco-oriental de la Syrie. Quel est l'apport prcis? Quelle est la contribution de l'art de la Palestine et de la Jude(et par extension de la Syrie) la composition de l'art byzantin, et, par suite, celle de l'art roman? M. Auguste Choisy, dans VArt de btir chez les Byzantins (p. 161), s*est charg de rpondre cette question. Il faut distinguer les lments de construction de ceux qui touchent l'ornement. Si on admet que l'art byzantin rsulte d'lments asiatiques incorpors l'architecture romaine, la cte syrienne qui est, aprs celle d'Ionie, le grand entrept du commerce de l'Orient avec Rome, se prsente, elle aussi, dans une situation topographique qui fait prsumer une influence. Cette influence est relle. Mais elle porte avant tout sur le ct dcoratif de l'art. On a, ds longtemps, rapproch de la sculpture byzantine la sculpture juive du tombeau des Rois ou des portes du Temple ou mme la sculpture grco-syrienne des villes du Haut Oronte *. La dcoration sculpte, voil l'apport probable des influences syriennes dans l'architecture byzantine.

M, Choisy pense donc comme M. de Vogu. La dcoration 1. De Vopiic, Le temple de Jrusalem, p. 66 et suivantes. 2. Cf. De Saulcy, Histoire de Vart judaque ; Viollet-le-Duc, Entretiens fur Varchitecture {6* enttien) ; De Vogu, Syrie centrale,

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J40 L*ART BYZANTIN byzantine et par consquence la sculpture mrovingienne qui lui ressemble, tirrent leur origine de Jrusalem et de la Jude, au moins comme inspiration, comme direction de got. Pour des observateurs superficiels, pour les personnes qui appliquent en rudition et en matire d'histoire de Tart Tinterprtalion judaque^ l'interprtation troite et littrale, pour les personnes qui ne font pas appel la comparaison, la vrit n'a pas t entrevue du premier coup. On a ni les rapports et les communications directes de l'Orient avec l'Occident, parce que les procds de construction n'taient pas les mmes dans les deux contres. Mais il faut rflchir et on comprendra que c'est Vesprii de l'art oriental, le dcor ^ la silhouette qui s'est communique de bonne heure l'Occident, et que les moyens matriels, les procds pratiques inhrents au personnel des ouvriers ont continu de subsister sous les diffrents climats, avec leurs diversits respectivement nationales. Partout les manuvres restaient les mmes, en dclinant seulement; les programmes, le style, les tendances avaient seuls chang, et avaient chang en suivant la direction donne par l'Orient; mais, ne l'oublions pas, cette direction n'tait qu'une direction thorique. Il faut comprendre qu' un certain moment Rome ayant moralement disparu, le style latin, part ce que l'art byzantin en avait recueilli pour le transmettre la postrit, Tart latin ne survcut que dans la main d'uvre du dernier chelon et dans l'emploi de la construction par agglomration de petits matriaux. De cet art romain qui avait couvert le monde, il ne resta plus, un beau jour, que l'humble survivant des corporations obligatoires dont je vous ai fait le portrait l'aide du beau livre de M. Ghoisy, Vart de btir chez les Romains. Il ne resta plus que cet hritier dgnr de la pratique officielle de la construction organise militairement et socialement par les Romains. Ce n'tait l qu'un instrument, instrument romain sans doute, mais au service d'une pense qui n'tait plus romaine. A ce moment, une seule chose de l'antique art romain survivait dans le monde : le ciment et son emploi.

M. Ghoisy a parfaitement compris cet tat psychologique par o

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L*ART BYZANTIN l4l dent, savoir : la grve ou plull la disparition involonniane de tous les producteurs romains. t, au contraire, sous l'impulsion du christianisme, tout artistes grecs crent un style nouveau ; ils ont conrocds antiques et savent construire avec la pierre en ns joints vifs, tailler des colonnes monolithes. Le me temps se transforme, c'est Torigine de Tart byzantin. ) nglig cette civilisation de Syrie qui a eu une grande , un grand dveloppement Antioche et dans le Haouys qui, ds le premier sicle, avait acquis la scurit se dment; sur un espace de 30 40 lieues, on comptait ts formant un ensemble o tout appartenait la civiliLienne primitive. >nstantin fonde Gonslantinople, les Romains n'ont plus >s. Au contraire, tout vit, tout germe et se dveloppe en Test de ce ct que l'Occident se tourne.

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DOCUMENTS COMPLMENTAIRES

te leon a t consacre en grande partie la lecture et au comlir des ouvrages de M. de Vogft, la Syrie centrale et le Temple de ilem. Nous avons rencontr aussi des citations du livre de M. de y. Nous en avons intercal quelques-unes dans la leon; nous rons les autres ci-dessous. de VoGii, Le Temple de Jsusalem, Prface, p. viii et p. 44 ivantes; p. 66 et suivantes.

de VogO, Syrie centrale. Introduct., p. 6 et suiv. (Groupe du 'an). []HOisY, Art de btir chez les Romains^ p. 180. Transformation rt partir du jour o Rome perdant la prpondrance politique i Byzance Thritage de ses antiques privilges.

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TREIZIME LEON 18 MARS 1891

LES INFLUENCES BYZANTINES

Messieur), La leon se passera aujourd'hui principalement dans Texamen de nombreuses photographies. Cependant, rappelez-vous ce qui a t dit mercredi dernier. Nous avons expos ce ]qu'tait Tart byzantin dans ses origines asiatiques et surtout de la Syrie et de Constantinople. Aujourd'hui nous le verrons principalement Ravenne, dont M. Bayet a dit qu'elle tait comme un coin de TOrient transport en Occident . Ravenne, mme avant la domination byzantine^ subit Fintluence de la Grce ; elle nous offre, au bord de l'Adriatique, une image rduite, mais fidle, de Byzance. C'est aux mosaques de ses glises, aux sarcophages pars et l qu'il faut souvent demander rhistoire de Fart qui vient de natre en Occident. Il rsulte des plus rcents ouvrages sur l'architecture que Rome et rOccident latin furent pntrs, ds les premiers sicles de l're chrtienne, des lments de l'art grec apparaissant sous sa forme orientale. Les Thermes de Diocltien Rome et le palais du mme empe-

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14i LES INFLUENCES BYZANTNES reur Spalatro (Dalmatie), levs vers la fin du m sicle, trahissent une influence orientale venue probablement de Syrie. L'architecture orientale, a dit un architecte, M. de Darlein, en parlant de rinlluence exerce en Italie au m* et au iv* sicle par les

constructions syriennes, parait avoir, par Texemple de ses monuments, contribu beaucoup introduire et rpandre en Italie, depuis la fin du m* sicle, le got de plusieurs formes nouvelles, trangres Tart classique de TOccident. La principale de ces innovations consiste dans les applications trs tendues et trs varies de Tarcade, soit comme lment essentiel de la construction, soit comme figure dcorative (tudes sur Varchilecture lombarde^ 1 partie, p. 24). coutez maintenant M. Ruprich Robert : Quelle a t Torigine des tours centrales en Normandie? Elle ne peut tre latine, car les murs des basiliques, beaucoup trop faibles pour 'recevoir une construction au-dessus de la croise, n'en avaient pas; elle ne peut donc tre due qu' la Renaissance carlovingienne. La petite glise de Germigny-des-Prs (Loiret), du L\ sicle, est en effet dispose de la sorte. Or, qu'est-ce que c'est que la Renaissance carlovingienne ? C'est, comme je vous le montrerai, la Renaissance grecque. Donc M. Ruprich-Robert constate que les tours centrales viennent de l'Orient. Eh bien, Quicherat avait t bien plus loin. Il a dmontr qu'il y avait des tours centrales ds le v sicle en France, Tours. 11 n'a oubli qu'une chose, c'est de dire que cela venait d'Orient. A mesure que j'avancerai, j'aurai de plus en plus signaler, dans l'art mrovingien et carolingien, l'iniluence byzantine. Il faut que vous voyiez comment cette influence s'est exerce ds le iv sicle. Rome sera toujours le centre et comme la grande cole de l'archologie chrtienne ; c'est l seulement qu'on pourra se former l'tude et la critique des monuments. Mais il serait injuste de ne point appliquer d'autres pays l'exprience que Rome seule peut donner; l'examen mme des catacombes doit apprendre tendre le champ des recherches du ct de l'Orient. Que de traces n'y rencontre-t-on pas des influences orientales, depuis la forme des tombes dont on retrouve le modle dans les ncropoles hbraques

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LES INFLUENCES BYZANTINES l45 el hellniques, jusque dans ces pitaphes rdiges en langue grecque, si nombreuses jusqu'au iv sicle I et si Ton examine ensuite Thistoire, la liturgie, les usages religieux, partout encore apparat la mme loi. N'est-il pas naturel de se demander aussi quel rle a jou TOrient dans la formation de Fart chrtien ? Ce qui se dgage d'abord avec nettet de cette tude, c'est l'unit gnrale de l'art. Quand on cherche dmler dans ce fond commun la part de l'Orient, il semble que le plus souvent ce fut de lui

que vint l'initiative. Byzance tait l'arche de No destine sauver ce qui pouvait survivre de la primitive civilisation grco-romaine, telle que cette civilisation avait t exploite par Rome et impose par elle l'univers. Mais en allant Byzance, l'art latin abdiquait toute prtention la direction intellectuelle. Il se rsorbait dans l'art grec, dans cet art que M. de Vogu vous a dcrit, et se fojidait aux multiples influences orientales que vous connaissez. Qu'on ne nous parle donc plus de l'art latin pur aprs le iv" sicle I C'est une erreur que de croire la survivance de sa direction morale aprs le triomphe du Christianisme. Depuis cinq cents ans, nous avons la maladie de la monomanie romaine . Bossuet, cependant, en jugeant de haut, avait vu clair. Il avait compris qu'il y avait eu un interrgne dans la tyrannie italienne et il l'avait expliqu dans son Discours sur V histoire universelle comme un chtiment de la Providence. Mais le pdantisme a cr une lgende. Et la ville qui se prtend ternelle ne veut pas admettre que son influence ait t un seul moment clipse. Examinons prsent les monuments de Ravenne au v^ et au VI" sicle : Tombeau de Galla Placidia, de 440 450 ; Baptistre des Orthodoxes construit entre 449 et 452 ; Ces deux monuments sont antrieurs d'environ quatre-vingts ans Sainte-Sophie de Constant irnople et contiennent dj les principes del construction byzantine. M. Choisy, dans Vart de htirchez les Byzantins^ dit que, dans le tombeau de Placidia, qui appartient sans conteste au v^ sicle, tout est byzantin ; Palais de Thodoric, (in du v sicle ; CoVRAJCftO. LbO?(8. 10

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146 LES INFLUENCES BYZANTINES Tombeau de Thodoric, commencement du vi sicle. Basilique de Saint- Apollinaire m classe (534-549) ; Basilique de Saint-Apollinaire in cittk^ avant 550 ; Octogone de Saint-Vitale, avant 545. Dans plusieurs de nos runions supplmentaires, j'ai fait voir que, jusqu' une poque assez avance de la priode romane, l'influence du style byzantin, c'est--dire l'influence d'une partie trs

considrable du style mrovingien, s'tait fait sentir non seulement dans rinspiration mais encore dans l'excution. On a pu constater, et on constatera encore que, dans plus d'un cas, des chapiteaux du XI'- sicle, voire mme du xii*, rappelaient exactement par la composition et surtout par l'excution ceux du vi sicle. Il faut remarquer^ en elTet, que jusqu' l'absorption, jusqu' l'assimilation complte et totale des lments septentrionaux, l'art byzantin , ses drivs et ses dveloppements en Occident n'ont pas t trop vite dans leur marche en avant. j Sans doute Tart byzantin n'a pas t stationnaire comme l'art gallo-romain ; sans doute il a su se prter la civilisation nouvelle ne du Christianisme. Mais il faut bien comprendre qu'imbu comme il l'tait d'influences mridionales et orientales, essentiellement conservatrices, il ne s'est pas lanc toute vitesse dans la voie des incessantes transformations. Cette attitude, cette manire d'tre tait rserve exclusivement l'art gothique, ds que, dans le mlange des lments divers dont tait compos le style roman et dans l'quilibre entre les principes mridionaux et les principes septentrionaux, les seconds l'emportrent sur les premiers. Du VI au XI sicle, la source des inspirations mridionales a t constamment la mme, sans se renouveler beaucoup. De l une longue succession d'uvres dans lesquelles l'ornement s'est reproduit avec une imperturbable rgularit. 11 faut donc procder avec beaucoup de prudence dans les attributions des monuments o dominent les lments mridionaux de la dcoration et qui nous arrivent sans attache historique et sans provenance srement tablies. On sera guid soit par Tintervention de quelque lment provenant d'une autre source plus facile circonscrire dans des limites

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LES INFLUENCES BYZANTINES 147 certaines^ soit par rinterprtation de certains dtails relevant de la forme gnrale, comme Tabsence ou la prsence de Tastragale sur le chapiteaju, comme les dimensions et les proportions, comme la matire employe. Ainsi, au vi sicle, Tastragale fait partie de la colonne et non du chapiteau ; c'est gnralement le contraire qui a lieu au xi* et au XII* sicle. Au vi*' sicle, les chapiteaux, le mobilier architectonique, plaques de revtement, balustrades, etc., seront surtout en marbre. La pierre

domine, au contraire, aux temps romans Au VI* sicle, les proportions du chapiteau et des parties en quelque sorte mobilires de la dcoration architectonique seront restreintes. Aux temps romans les mmes proportions deviennent plus grandes. Enfin^ si le travail du ciseau semble s'inspirer aux deux poques du mme principe, savoir un aplatissement gnral de la forme et surtout de la feuille ornementale, la fatigue d'une longue tradition se trahira ordinairement aux temps romans par un certain avachissement de la ligne. La fermet grco-orientale de l'origine sera souvent remplace par la simple expression de la brutalit d'une main ignorante ou par la mollesse d'interprtation d'un copiste sans convictions. Conformment aux habitudes mrovingiennes, les sculptures de la faade de Saint-Mexme de Ghinon sont plutt graves que sculptes, quoiqu'elles ne soient pas mrovingiennes, je le crois. M. Choisy a trs bien expliqu quel fut l'cueil rencontr par l'art byzantin : u Au VI* sicle, dit-iP, l'volution est accomplie. Toutes les mthodes de construction se sont fixes, tous les types d'difices se sont produits et tous se montrent appliqus la fois, sans exclusion, sans parti pris : le plan polygonal, ds longtemps indiqu dans les crits d'Eusbe et de saint Grgoire de Nazianze, se renouvelle Saint-Serge et Saint- Vital; le plan en basilique se retrouve l'glise de la Mre de Dieu Jrusalem ; le plan en croix cinq coupoles apparat lors de la reconstruction de l'glise des Saints i. A. Choisy, Varl de btir chez les ByzantinB^ p. 164.

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LES INFLUENCES BYZANTINES

Aptres ; la belle disposition de Sainte-Sophie se rvle, et enfin Sainte-Sophie de Salonique nous offre le type de ces glises coupole centrale dont toutes celles de TAthos et de la Grce ne sont que des variantes : jamais Tart ne s'tait montr plus libre, plus vari et plus fcond. Mais cette fcondit dura peu, et Tart, comme puis par ce grand essor du sicle de Justinien, s'endormit bientt dans le formalisme,

cause de Timmobilisation du style no-grec ou byzantin. M Bientt intervient une autre influence, celle mme qui avait autrefois frapp de strilit Tarchitecture de Tgypte, Tinfluence hiratique : ds le vni** sicle, on voit se produire, au second concile de Nice, la doctrine de la soumission absolue de Tartiste aux types traditionnels. Et enfin, Tart subit le contre-coup des misres de TEmpire grec. Nous sommes au temps o Tislamisme le menace, o les bandes occidentales des Croiss vont le ravager, soit comme allies, soit comme ennemies *. Entrel^a^cs et ENROULEMENTS. I^ur cxistcuce remonte la haute antiquit orientale et leur importation en Occident s'est faite par la voie mridionale de Tart no-grec, byzantin, gothique et wisigothique, tout aussi bien que par la voie septentrionale, comme nous le verrons plus tard, et par l'apport des Barbares non encore romaniss ou grciss. Ds qu'on remonte un peu haut, on retrouve fatalement les origines de tout en Orient. L'enroulement vgtal histori d'animaux est d'origine asiatique, dit Linas {Revue de Vart chrtien^ 1885, 2 livraison), on le rencontre Rome au iv** sicle (E. Q. Visconti, Anlico suppellet ilo (Targento scoperto in Roma^ pi. XV, figure 2). Les Byzantins aussi bien que les Barbares septentrionaux l'appliqurent avec un gal succs l'ornementation de leurs uvres d'art. Il est quelquefois diflcile de dcouvrir par quelle voie ce systme d'ornement d'origine orientale nous est parvenu. Je tcherai de vous dmontrer, plus tard, quels moyens on reconnat la transmission septentrionale de la transmission mridionale. La transmission septentrionale, comme l'a trs bien vu Viollet-leDuc, a gard l'arrire-got de l'art hindou. 1. Choisy, Vari de hlir chez les Byzantins, p. 165.

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LES INFLUENCES BYZANTINES l49 La transmission mridionale a gard au contraire Tarri re-got de Tart assyrien ou perse, ou, en dernier lieu, byzantin. Quant Ventrelac pur, il se trouve galement dans les sources mridionales et dans les sources septentrionales, quoique plus forte dose dans ces dernires^ comme vous le verrez. On en voit un exemple en Syrie dans Toavrage du duc de Luynes. Il y en a de nombreux exemples dans Touvrage de M. de Vogi. VioUet-le-Duc a affirm le fait *. Le muse de Toulouse est rempli de ces bandeaux ressemblant

fort de la passementerie byzantine, d'une finesse d'excution toute particulire, et de ces entrelacs rectilignes ou curvilignes, de ces rinceaux perls, emprunts des menus objets rapports d*Orient, et aussi au gnie local qui, par les migrations des Wisigoths, a bien quelques rapports avec celui des peuplades indo-europennes du Nord. Les figures 28, 28 his et 28 ter donnent des exemples de ces ornements o le byzantin se mle cet art que nos voisins d'Angleterre appellent Saxon. M. de Vogu fait remarquer, dans son livre Le Temple de Jrusalem, qu'en Occident les procds romains ont rapidement touff le gnie grec. La sculpture perd de bonne heure son caractre ; elle devient lourde, molle, plate de style, quoique matriellement saillante et arrondie. En Syrie, au contraire, les traditions se conservent plus longtemps. Viollet-le-Duc, comme je tcherai de vous l'expliquer en commentant son texte, a trs bien compris Tessence de Tart byzantin n, sur les confins de TAsie, du mlange de Tart grec s'ouvrant aux arts orientaux et pntr par un choc en retour de Tart romain, devenant une doctrine universelle comme le christianisme et ouvrant ses bras Tunivers. Les considrations que Texamen des monuments m'a inspires n'ont rien qui puisse choquer personne. M. Bayet ne pense pas autrement dans maint endroit de son livre : Uart byzantin, quand il dit, p. 291, pour expliquer les influences byzantines subies par rOccident : Pendant le Moyen ge, l'Orient et l'Occident n'ont jamais vcu isols Tun de l'autre. 1. Dictionnaire raisonn, tome VIII, p. 177.

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150 LES INFLUENCES BYZANTINES Les lments particuliers de Tarchitecture mrovingienne, les tours de la faade, la tour du carr du transept dont l'existence a t prouve par Quicherat, tout cela se voit dj avant le vu* sicle en Orient. Le plus ancien monument de Tarchitecture franaise, Saint-Martin de Tours, a un embryon de coupole ou de dme. Le symbolisme est inhrent au caractre de Tart oriental. Dans la plus haute antiquit, les ornements taient des emblmes. Les joyaux dont se paraient les hommes et les femmes portaient l'empreinte d'un sentiment profond ou bien contenaient une allusion quelque ide religieuse^. A l'poque byzantine, la superstition chrtienne ramne les amulettes. Une signification mystique s'attache aux anneaux et

certains bijoux peu apparents et faciles cacher en temps de perscution. L'interprtation reprend son empire et l'imitation redevient plus conventionnelle. Le symbolisme se rfugie ensuite dans le blason qui prte un langage aux maux, c'est--dire aux couleurs, et dont toutes les figures sont des emblmes. Mais la Renaissance le symbolisme est dcri, il dcline, il dgnre et peu peu il tombe en dsutude ^, L'industrie du verre cloisonn tait pratique Byzance vers la fin du IV sicle. M. Charles de Linas le prouve par la description des pices du trsor d'Athanaric, roi des Wisigoths, mort le 25 janvier 383, Constantinople : Une fibule reprsente un aigle de face, le bec entr'ouvert, les ailes replies sur le corps, la queue dploye en ventail par des cercles et des curs dcoups dans la masse du mtal et rgulirement disposs en ligne parallle. c( Il semble diilicile de contester le cachet byzantin empreint sur ces traits. Les curs taient frquemment employs comme mode de dcoration par les artistes byzantins. Outre ceux dont parle ci-dessus M. de Linas, on en trouve sur un ornement du mausole deThodoric Ravenne. Or, un sarcophage recueilli Antigny par le Pre de la Croix est orn d'une bordure de curs qui rappelle absolument la dcoration byzantine.

1. Gazette des Beaux-Arts, 2 priode, tome 9, p. 410. 2. Ibid.

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LES INFLUENCES BYZANTINES 151 C'est une preuve de plus du contact immdiat de TOrient avec la Gaule. L'opinion de Viollet-le-Duc sur la formation de Tart byzantin est intressante citer : Voir dans Fart de Byzance un compromis entre le style adopt par les Romains du Bas-Empire et quelques traditions de Fart grec, ce n'est pas se tromper, mais c'est considrer d'une manire un peu trop sommaire un phnomne complexe. Il faudrait, Fart admis par les Romains bien connu savoir ce qu'taient ces traditions de l'art grec sur le Bosphore, au iv sicle. Cet art grec tait roma-

nis dj avant l'tablissement de la capitale de l'Empire Constantinople ; mais il s'tait romanis en passant par des filires diverses. Or, comme les Romains, en fait de sculpture, n'avaient point un art qui leur ft propre, ils trouvaient Constantinople l'art grec modifi par l'lment latin et tel, tout prendre, qu'ils l'avaient admis partout o ils pouvaient employer des artistes grecs. Les Romains apportaient donc Byzance leur gnie organisateur en fait de grands travaux publics, leur structure^ leur got pour le faste et la grandeur, mais ils n'ajoutaient rien l'lment artiste du Grec. Mais ces Grecs de l'Asie, qu'taient-ils au iv'' sicle? Avaientils suivi rigoureusement les belles traditions de FAttique ou mme celles des colonies Ioniennes, Cariennes? Rappelaient-ils par quelques cts ces petites rpubliques de FAttique et du Ploponse qui considraient comme des barbares tous les trangers? Non certes, ces populations, au milieu desquelles s'implantait la capitale de l'Empire, taient un mlange confus d'lments qui, pendant des sicles, avaient t diviss et mme ennemis, mais qui avaient fini par se fondre. Le gnie grec dominait encore, au sein de ce mlange, assez pour l'utiliser, pas assez pour l'purer * . Vous voyez bien le vide qui se forme dans Fart au iv sicle. Vous connaissez le passage du Code Thodosien. Il n'y a plus d'architectes latins en Italie ds la premire moiti du rv^ sicle. C'est un fait patent, tabli par des textes d'histoire et un article de loi. Le sol intellectuel italien tait puis. A tous les points de vue le dplacement de la apitale du Monde 1. Dictionnaire raisonn^ lome VIII, p. 192 et suivantes.

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152 LES INFLUENCES BYZANTINES tait ncessaire. Le foyer oriental et grec tait le seul qui et conserv quelque chaleur. On ne sait plus sculpter honorablement en Italie non plus. Pour dcorer Tare de triomphe lev Rome Tempereur Constantin,

on fut oblig de dpouiller un difice antrieur lev en Thonneur de Trajan. On peut voir encore Rome Tare de Constantin. Les moulages sont Saint-Germain. C'est la fin du monde antique qui s'croule sur lui-mme.

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DOCUMENTS COMPLMENTAIRE'

BIBLIOGRAPHIE DE LA TREIZIME LEON

Charles de Linas, Orfvrerie mrovingienne, p. 82. Desc trois pices du trsor d'Athanaric. Gailhabaud, V Architecture du V/e au XVIb sicle, t. II, p Charles de Linas, Revue de Vart chrtien, 1885, 2 livrais cifix de la cathdrale de Lon au muse de Madrid. Le Blant, Inscriptions chrtiennes de la Gaule, t. II, p. Preuves du caractre grec de Tglise de Lyon.

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QUATORZIME LEON

8 AvaiL 1891

LE COEFFICIENT BA.RBARE

Messieurs^ J'ai vous prparer aujourd'hui, par Texposition de quelques ides gnrales, Ttude et au dgagement du coeficient barbare dans le total et Tensemble du style roman. Avant de vous prsenter les monuments, j'appellerai votre attention sur quelques livres que je vous prierai de lire et de mditer pour ne pas tre surpris par les conclusions que nous serons forcs de tirer des pices qui seront produites. Jusqu' prsent, limitant mes recherches l'tude du contingent mridional des sources de l'art mrovingien, je ne vous ai fait entrevoir qu'une partie, qu'un coin du tableau. Si tout s'tait pass en Occident, uniquement comme vous l'avez remarqu, si les bouleversements s'taient borns la pntration des lments golhs et aux consquences gnrales de cette pntration, au point de vue architectonique, il est probable que l'art byzantin, de source mridionale la fois grecque, orientale et syrienne, marchant vers l'Ouest dans le mme sens que le Christianisme et port par lui, il est probable, dis-je, que l'art byzantin aurait rgn indfiniment et despotiquement sur le monde, comme avait rgn l'art grco-romain

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156 LE COEFFICIENT BARBARE prcdemment impos et implant partout par les armes de la Rome impriale. Voyez le beau livre de M. Geffroy, Borne et les Barbares^ et vous comprendrez la justesse de cette pense. Alors le monde serait retomb bien vite dans la lthargie, dans Timmobilii, dans l'assoupissement intellectuel qu'il avait connu dj pendant la priode de la Paix romaine. Il serait tomb dans Tembrigadement administratif, dans un style obligatoire et rglementaire, dans un moule officiel qui, pour avoir cess d'tre romain et tre devenu byzantin, n'en aurait pas moins toujours t un moule. Un moule unique pour tous les peuples, pour tous les climats, pour tous les besoins ; un moule passe-partout ; un moule omnibus. Il existe une preuve de l'assimilation immdiate des Goths que j'ai oubli de vous donner et que voici : Astaulfe, roi des Wisigoths et successeur d'Alaric, n'tait pas

plus un barbare que Thodoric. Je me souviens, dit un crivain, Paul Orose {Historarum^ libr. VII, ch. XLIII), d'avoir entendu Bethlem saint Jrme raconter qu'il avait vu un certain habitant de Narbonne lev de hautes fonctions sous l'empereur Thodose, et d'ailleurs religieux, sage et grave, qui avait joui dans sa ville natale (Narbonne, la ville des sarcophages du sud-ouest) de la familiarit d'Ataulfe. Il rptait souvent que le roi des Goths, homme d'un cur et d'un esprit magnanimes, avait coutume de dire que son ambition la plus ardente avait d'abord t d'anantir le nom romain et de faire de toute l'tendue des terres romaines un nouvel empire appel Gothique^ de sorte que pour parler vulgairement, tout^ce qui tait Bomanie devnt Goihie^ et qu'Ataulfe remplt le mme rle qu'autrefois Auguste; mais qu'aprs s'tre assur par l'exprience que les Goths taient incapables d'obissance aux lois cause de leur barbarie indisciplinable, jugeant qu'il ne fallait point toucher aux institutions sans lesquelles la rpublique cesserait d'tre rpublique, il avait pris le parti de chercher la gloire en consacrant les forces des Goths rtablir dans son intgrit, augmenter mme la puissance du nom romain, afin qu'au moins la postrit le regardt comme le restaurateur de l'Empire qu'il ne pouvait changer. Ataulfe avait fait comme firent tous les conqurants et comme

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LE COEFFICIENT BARBARE 157 Feront toujours tous les gouvernements tablis. Il n'avait pas voulu lcher la bride des instincts qu'il savait terribles et qu'il craignait de ne pouvoir rfrner. Il avait recul devant les dangers d'une crise sociale immdiate. II fut conservateur avant tout et fatalement. C'est ainsi que les plus clairs, les plus civiliss des Barbares ne sont pas devenus les premiers et les plus importants des facteurs de la civilisation moderne. Ce rle a t rserv prcisment ceilx de leurs frres qui taient rests les plus radicalement, les plus rudement attachs leur culture originelle. Le Monde avait tant besoin d'tre renouvel I II ne demandait qu'une chose au barbare, c'tait d'tre barbare avec conviction et d'avoir une personnalit. Oui, avec les Goths seuls, rien n'aurait t chang. L'art serait tomb bref dlai dans cette impuissance caractristique dont Constantinople nous donnera, au point de vue politique d'abord, et ensuite au point de vue intellectuel, l'affligeant spectacle. Le malheureux Orient, n'ayant pas bnfici comme nous du rajeunissement par la barbarie du Nord, le malheureux Orient, victime promise l'Islamisme, le paresseux et le rtrograde Midi,

avaient perdu tous les deux le droit et l'espoir d'tre les pres de la civilisation moderne. Tous les deux, ils pensrent s'tre assur la succession de Rome ; tous les deux ils crurent leur suprmatie indfinie, grce ce palladium. Ils s'taient simplement constitus les esclaves d'un ftiche impuissant, la tradition tant la pire des conseillres quand elle n'est pas stimule, surveille et contrebalance par la concurrence de Tesprit rformateur, de l'esprit d'initiative. Mais la culture traditionnelle des vieilles civilisations mridionales, momentanment renouvele et rajeunie par la naissante socit chrtienne, ce courant si puissant de murs, d'instincts et de gots dont je vous ai montr la marche rapide et les envahissements imprvus, la cu