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Dossier
Près de 2000 patients en France reçoivent chaque année une greffe de moelle osseuse. Derrière ce chiffre en augmentation constante sur la dernière décennie, se cachent de nombreux patients en attente de greffe qui ne trouvent pas de donneurs. Alors que le don de moelle osseuse permet de sauver des vies, il est encore très méconnu en France. En 2015, le registre français des donneurs de moelle compte 15 fois moins de donneurs par habitant que le registre allemand. Et plus de la moitié des donneurs pour des patients français sont des donneurs allemands. Quelles sont les raisons de ce manque de donneurs sur le registre français ? «La moelle osseuse est un organe qui produit chaque jour, tout au long de notre existence, des millions de cellules indispensables à la vie » explique le Dr Raffoux, hématologue à l’hôpital Saint Louis APHP à Paris. Véritable usine de production des éléments du sang, située principalement à l’intérieur des os longs et plats du corps (fémur, humérus, os du bassin, sternum), la moelle donne en permanence naissance à des cellules souches qui se différencient en globules rouges, en globules blancs, et en plaquettes. La greffe de moelle osseuse permet de sauver des vies Il arrive que cette moelle osseuse dysfonctionne (c’est le cas lors de cancers de la lymphe ou de la moelle), ou qu’elle s’arrête même de fonctionner (dans le cas de maladies comme les aplasies médulaires). Il devient alors indispensable, pour guérir le patient, de remplacer sa moelle osseuse déficiente par celle d’un donneur sain : c’est la greffe de moelle osseuse. Elle est également nécessaire, dans le cas des leucémies, en raison des caractéristiques spécifiques de la maladie, parce que les chimiothérapies se révèlent inefficaces ou pour limiter des risques de rechute élevés. Des chimiothérapies lourdes sont programmées pour détruire préalablement la moelle osseuse du patient et faire place nette pour le « greffon », les nouvelles cellules saines de moelle osseuse, que le patient reçoit par simple transfusion.
Coupe d’un os long montrant Os du corps contenant la moelle osseuse « Greffon », poche de cellules de l’emplacement de la moelle osseuse moelle osseuse © Agence de Biomédecine Atteint d’un cancer de la lymphe en 2011, Loïc a subi plusieurs chimiothérapies et traitements lourds avant qu’une greffe de moelle osseuse d’un donneur tiers ne soit tentée en 2012, à l’hôpital Saint Louis, pour minimiser les risques de rechute. Il sait qu’il a eu de la chance. Alors que près d’un tiers des patients en attente de greffe ne trouvent pas de donneurs, Loïc a pu bénéficier d’une greffe. De sa donneuse anonyme, il ne sait presque rien : « En France il y a très peu de donneurs, elle a peut
France recherche donneurs de moelle osseuse
être été concernée dans son entourage? Je voudrais lui dire merci parce qu’elle m’a donné trois ans de répit et que ce n’était pas gagné. Je pourrais être mort depuis trois ans et, grâce à elle, je profite depuis trois ans de la vie, des gens ». Il ajoute, un peu solennel : « Rien que pour ça je fais attention à mon hygiène de vie, par rapport à elle… J’ai une partie d’elle en moi, ce n’est plus mes cellules que je produis, c’est ses cellules, on est un peu quelque part frères de sang maintenant, et je me dois de respecter son don aussi. » « Une chance sur un million de trouver un donneur hors de la fratrie » Toute greffe est conditionnée par l’existence d’un donneur compatible avec le patient. Pour une greffe de moelle, donneur et receveur doivent présenter des caractéristiques biologiques les plus proches possibles, quasi identiques. Cette recherche de compatibilité commence systématiquement au sein de la fratrie car chacun des frères et sœurs du patient a génétiquement une chance sur quatre d’être compatible. S’ils ne le sont pas ou si le patient n’a pas de fratrie, l’équipe médicale transmet une demande de « donneur non apparenté » à l’Agence de Biomédecine, organisme relevant du Ministère de la Santé. Celle-‐ci cherche alors une compatibilité, simultanément dans le registre national et dans les registres internationaux des donneurs de moelle osseuse auxquels elle est connectée. La connexion informatique entre ces fichiers internationaux, qui regroupent en 2015 plus de 27 millions de donneurs potentiels, permet d’obtenir une réponse rapide, souvent dans les 24 heures. La vérification de compatibilité entre patient-‐receveur et donneurs potentiels s’effectue à partir des résultats d’examens génétiques, réalisés sur des prélèvements sanguins (parfois salivaires) auxquels ils se sont soumis. Ces tests, désignés sous le nom de « typage HLA » (de l’anglais : Human Leucocytes Antigenes), permettent de déterminer des groupes de marqueurs de compatibilité et d’établir une sorte de carte d’identité de leurs cellules. En raison de la très grande diversité des combinaisons de ces marqueurs, la probabilité de trouver un donneur compatible hors de la famille est d’une chance sur un million ! Ce chiffre, qui pourrait décourager, recouvre des réalités très différentes : si certains donneurs ont un profil génétique tellement rare que leur chance de trouver un donneur est infime, d’autres, au profil génétique plus répandu, voient leur probabilité remonter à une chance sur 30 000.
En France, toute personne qui souhaite devenir donneur doit prendre rendez-‐vous pour un entretien médical spécifique dans un centre des Etablissements Français du Sang (EFS), où il sera vérifié qu’elle est âgée de 18 à 50 ans et en bonne santé. A l’issue de cet entretien, le donneur potentiel se prête à une prise de sang (pour les tests de compatibilité génétiques) et le médecin inscrit informatiquement le donneur, jugé apte, sur le registre national « France Greffe de Moelle », géré par l’Agence de Biomédecine. Lorsqu’un registre trouve une compatibilité avec le donneur, celui-‐ci est contacté, un à trois mois avant le don, pour des examens complémentaires, afin de vérifier que le don peut s’effectuer en toute sécurité aussi bien pour le donneur que pour le receveur. Il existe aujourd’hui deux modes de don de moelle osseuse, choisis par les médecins en fonction du type de cellules qu’ils souhaitent transférer au patient. Le premier mode consiste à
Le don de moelle, un don particulier
Le don de moelle osseuse est, avec le don de rein, l’un des rares dons qui peut être effectué du vivant du donneur. Le donneur ne se prive pas d’un organe puisque sa moelle osseuse se reconstitue naturellement rapidement après le don. Ce don présente également la particularité d’être un engagement sur la durée car il n’est pas immédiat : En fonction de sa compatibilité avec un patient, le donneur peut être appelé à donner à tout moment entre son inscription sur le registre et ses 60 ans, tout comme il peut aussi ne jamais s’avérer compatible. C’est la loi Bioéthique qui encadre le don de moelle osseuse non apparenté : il doit être anonyme, gratuit et librement consenti. La législation prévoit notamment que le donneur a la possibilité de se rétracter et qu’il doit réitérer son consentement devant le Tribunal de Grande Instance avant le don. Il y est également prévu que le donneur ne doit pas engager de frais pour effectuer son don : Toutes les dépenses occasionnées pour la réalisation du don sont prises en charge par la Sécurité sociale, y compris, par exemple, l’indemnisation des arrêts de travail ou les frais de transport éventuels.
prélever la moelle osseuse directement dans la face postérieure de l’os du bassin du donneur. Effectuée au bloc opératoire sous anesthésie générale de courte durée, la ponction est réalisée à l’aide d’une grande seringue qui aspire, en plusieurs endroits à l’intérieur de l’os, la quantité nécessaire de moelle osseuse (entre un demi litre et un litre). L’hospitalisation dure deux jours au total. « Le donneur peut avoir dans les jours suivants quelques douleurs comme un gros hématome, comme un coup qu’on a reçu, ce sont des douleurs qui passent avec des antalgiques simples » précise le Dr Raffoux.
Ponction de la moelle osseuse Machine de prélèvement des cellules souches Fonctionnement de la machine dans l’os iliaque sous anesthésie générale dans le sang © Agence de Biomédecine Le deuxième mode de prélèvement, utilisé aujourd’hui dans plus de deux tiers des dons, consiste à faire multiplier puis migrer les cellules souches dans le sang, grâce à un médicament spécifique administré quelques jours en amont. Puis, pendant quelques heures, dans un centre habilité des Etablissements Français du Sang, une machine, dite d’aphérèse, relie les veines des deux bras du donneur, fait circuler le sang d’un bras à l’autre et prélève au passage les cellules souches. Cette méthode, que l’Agence de Biomédecine désigne sous le vocable « greffe de cellules souches hématopïétiques» (GSH), est indolore, la sensation de pose de l’aiguille est identique à celle ressentie lors d’une simple prise de sang. Christian, donneur par prélèvement dans l’os iliaque
Christian a fait les démarches d’inscription sur le registre des donneurs en 2009. Trois ans après, il a été prélevé d’une partie de sa moelle osseuse par ponction dans l’os du bassin. Une démarche qu’il a trouvée simple : un jour et demi d’hospitalisation au total, une anesthésie courte, dont il a facilement récupéré : « Il n’y a pas eu de douleurs, au réveil, peut être juste une petite ecchymose, de l’ordre du bleu, je n’ai rien senti ». Il n’a eu aucun frais à sa charge, même le trajet en taxi pour retourner à son domicile a été pris en charge. La loi française prévoit qu’un donneur est « réservé à un patient » et peut effectuer deux dons au bénéfice de ce même patient, en cas de besoin. C’est ce qui est arrivé à Christian puisqu’en 2013, les médecins ont décidé de renforcer les traitements de sa receveuse, en rémission, par une deuxième greffe de moelle, réalisée par prélèvement dans le sang. Lors de ce deuxième don, Christian a souhaité, par l’intermédiaire de l’établissement français du sang, échanger un petit mot écrit anonyme avec sa donneuse. Elle lui a répondu que « désormais, elle pouvait continuer de vivre ». Christian souhaite partager son expérience : « ça ne fait pas mal, c’est riche en émotions. Il y a quelque chose qui se passe entre avant et après le don : on ne se transforme pas mais on en sort avec quelque chose de plus… C’est une des rares maladies où l’homme peut sauver son semblable donc il ne faut pas se priver. »
Laurène, donneuse par prélèvement dans le sang
La loi Bioéthique établit le principe de l’anonymat du don de moelle osseuse, tant
du coté du donneur que du coté du receveur. D’autres pays ne posent pas ce principe, certains l’assouplissent et permettent après au donneur et au receveur, après un laps de temps donné, de se rencontrer. En France, les pouvoirs publics permettent l’envoi anonyme de courriers courts ou de petits objets, ce qui donne souvent lieu à de beaux échanges symboliques entre donneurs et receveurs. Laurène, inscrite à 18 ans sur le registre France Greffe de Moelle, est appelée pour donner sa moelle osseuse en 2006, à l’âge de 20 ans. Elle effectue son don par prélèvement des cellules souches dans le sang. « Je n’ai rien senti, absolument rien ». Elle se souvient encore avec émotion de son don, filmé à l’époque par des associations, parce qu’elle voulait témoigner et garder un souvenir de ce moment. Elle ne sait rien de son donneur mais, pour donner un supplément d’humanité à son geste, elle décide de lui faire parvenir anonymement, par l’intermédiaire du Centre EFS, deux petits cadeaux symbolisant l’importance de son engagement. Alors qu’elle n’attendait rien en retour, elle a la surprise de recevoir 6 mois plus tard une statuette symbolique, un œil protecteur, qu’elle garde depuis près d’elle au quotidien. Une expérience dont elle s’est sentie grandie : « Il n’y a rien qui puisse égaler l’émotion que j’ai ressentie ce jour là et ça a donné un sens à ma vie ».
Malgré l’utilité du don de moelle osseuse et les témoignages souvent très positifs des volontaires qui ont effectué un don de moelle, les donneurs ne sont pas assez nombreux. Les associations témoignent régulièrement de familles qui s’adressent à elles, désespérées, parce que leurs proches ne trouvent pas de donneurs. « Il y aura toujours des patients qui ne trouveront pas de donneurs soit parce qu’ils ont un typage génétique trop rare soit parce qu’effectivement il n’y a pas assez d’inscrits. Nous sommes convaincus que, plus il y aura de donneurs inscrits sur le fichier français, plus les patients auront une chance de trouver un donneur compatible » déclare Delphine Hoffmann, Responsable de l’association Laurette Fugain, qui lutte contre la leucémie.
Statistiques Patients en attente d’un donneur
Source France Moelle Espoir La France cherche des donneurs jeunes, masculins et d’origines ethniques variées A ce nombre de donneurs estimé insuffisant, s’ajoute la nécessité d’enrichir la variété des profils génétiques des donneurs potentiels. L’amélioration de la diversité du registre est d’ailleurs l’un des objectifs fixés à l’Agence de Biomédecine par le Plan Greffe de Moelle 2012/2016. « Aujourd’hui, ce dont on a besoin, c’est de donneurs jeunes, âgés de moins de 40 ans, si possible d’hommes. » énonce le Dr Evelyne Marry, Directrice du registre France Greffe de Moelle. Une volonté de rajeunir et de renouveler le fichier que le Dr E.Rafoux explique ainsi : « Trouver un donneur est un vrai challenge et une fois qu’on a trouvé un donneur, il faut qu’il puisse donner. Quand est ce qu’on peut donner ? Quand on est en bonne santé ! Quand est-‐on en bonne santé ? Surtout quand on est jeune ! Il me paraît important de mobiliser au maximum la population des jeunes de 18 à 25/30 ans pour qu’elle puisse être donneur de moelle. » Par ailleurs, près de deux tiers des inscrits sur le registre français sont des femmes. Même s’il importe peu pour la réussite de la greffe que donneur et receveur soient ou non de même sexe, les donneurs masculins sont recherchés car ils ne présentent pas le même risque potentiel de complication que les femmes ayant eu des enfants (qui peuvent avoir développé pendant leur grossesse des anticorps pouvant compliquer la greffe). « On cherche également la diversité d’origines » rajoute le Dr E. Marry. Une orientation prise suite aux grandes difficultés rencontrées par les patients français, d’origines africaines ou maghrébines, pour trouver un donneur que ce soit dans le registre français ou au niveau international. D’une part le registre français actuel regroupe essentiellement des donneurs au profil génétique indo-‐européen avec très peu de volontaires issus de l’immigration, et, d’autre part, les profils africains sont fortement sous-‐représentés dans les fichiers internationaux quand très peu de pays d’Afrique ont développé un registre de donneurs. Or, un donneur au profil indoeuropéen ne peut pas être compatible avec un donneur au profil africain ou asiatique car leurs cartes d’identité génétiques sont trop différentes. Pour s’adapter au métissage ethnique dont est issue une grande partie de la population française, le registre France Greffe de Moelle doit donc obligatoirement s’enrichir de personnes issues de ce même métissage. Un manque d’ambition dans les objectifs ? Face à l’ampleur de ces besoins, les associations déplorent le manque d’ambition de la stratégie française de recrutement de donneurs. Le Dr Evelyne Marry, directrice du registre France Greffe de Moelle, expose que « L’objectif de l’agence est d’avoir au moins un accroissement du registre de 10 000 nouveaux donneurs nets » et précise que l’inscription de 15 à 20 000 nouveaux donneurs par an permet ce résultat, tout en remplaçant les 5000 inscrits qui sortent du registre chaque année principalement pour raison de limite d’âge. Cet objectif annuel est la mise en application du Plan Greffe 2012-‐2016, qui fixe un objectif global pour 2015 de 240 000 donneurs inscrits sur le registre.
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Sur 10 patients en attente d’une greffe de moelle osseuse
7 trouvent un donneur
3 ne trouvent
pas de donneur
4!parmi!les!frères!et!
soeurs!
3!dans!les!registres!de!donneurs!volontaires!!
dont!2!sur!le!registre!allemand!
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Cela représente 15 fois moins de donneurs par habitant qu’en Allemagne ! Un pays qui peut être comparé à la France car le nombre de patients qui y reçoivent une greffe en provenance de leur fratrie y est quasi identique à celui de la France. L’objectif paraît d’autant plus faible que l’Agence de Biomédecine communique pourtant sur la nécessité « mathématique » d’augmenter le nombre de donneur pour donner davantage de chances de guérison aux patients.
Affiche de l’Agence de Biomédecine reconnaissant la
nécessité d’augmenter le nombre de donneurs
« La principale raison du faible nombre de donneurs en France tient au rythme de recrutement de ces donneurs » insiste Philippe Hidden, Président de la Coordination France Moelle Espoir. Selon le Dr Colette Raffoux, fondatrice en 1986 du registre français des donneurs, cet objectif de 240 000 inscrits, établi à une période où il y avait beaucoup moins de greffes, doit être réévalué. Pour ce faire, elle préconise la réalisation d’une étude économico-‐scientifique d’ampleur, qui prendrait en compte tant les besoins que la comparaison des coûts de greffe en provenance de donneurs français ou étrangers. Un manque de volonté politique Pourquoi la France s’est-‐elle fixée des objectifs si peu ambitieux par rapport à son voisin européen? La réponse se trouve du coté du manque d’ampleur du budget accordé à l’Agence de Biomédecine pour le développement de son registre. En effet, le budget d’environ 3,5 millions d’euros, attribué par l’Etat à l’Agence pour le « recrutement et la fidélisation de nouveaux donneurs » ne permettrait pas de financer l’inscription de plus de 20 000 nouveaux donneurs par an. La raison ? Le coût élevé de la procédure française d’inscription des nouveaux donneurs qui comprend, pour tous les donneurs potentiels, un entretien médical obligatoire et des examens génétiques de grande précision. « Vraisemblablement, le budget a d’ailleurs été calculé d’après le coût des typages génétiques », observe Philippe Hidden. Dans d’autres pays, comme l’Allemagne, la procédure de recrutement est simplifiée : les volontaires au don remplissent en ligne un questionnaire médical assez sommaire et reçoivent un kit de prélèvement salivaire qu’ils renvoient pour premier test génétique. Les entretiens médicaux poussés et les examens de grande précision ne sont pratiqués que lorsqu’un donneur s’avère compatible, ce qui entraine une différence importante dans le coût du recrutement. Pour la fondatrice du Registre français de donneurs de moelle, le Dr Colette Raffoux, ce choix d’une procédure de recrutement plus complexe, et plus chère qu’en Allemagne, découle directement de l’insuffisance du budget de l’Agence de Biomédecine: « En France, on a si peu d’argent qu’on ne peut pas se permettre cette méthode, …il faut qu’on sache que le donneur s’est engagé, qu’il a été bien informé et qu’il va rester sur le fichier jusqu’à l’âge de 60 ans ». Ainsi, apparaît un cercle de raisonnement vicieux qui justifie à rebours les objectifs fixés : Comme le coût de recrutement est élevé, la France sélectionne de manière drastique les donneurs potentiels dès leur inscription sur le registre, de peur qu’ils ne se révèlent inaptes par la suite et que l’investissement n’ait, en quelque sorte, été effectué à perte. Cette nécessité de sélection en amont impose en retour de recourir à une méthode couteuse, ce qui empêche de fixer des objectifs de taille de registre plus important faute de budget. De plus, pour les associations, cette stratégie de recrutement française n’est pas fondée : « Il n’y a pas de bénéfice pour les malades d’avoir un processus de recrutement aussi sélectif et strict que celui qu’on développe en France, puisque de toute façon, la plus grande majorité des donneurs sont recrutés sur des fichiers internationaux qui ne suivent pas ces recommandations », expose Philippe Hidden. En
effet, 53% de donneurs pour des patients français sont des donneurs allemands qui n’ont pas été soumis à la procédure de recrutement choisie par la France. Cette approche globale peut dissuader les volontaires au don d’aller au bout de leur inscription : « On observe parfois une tendance à décourager les donneurs, ou en tout cas à mettre en avant toutes les contre-‐indications et à tester leur motivation un peu à l’extrême plutôt qu’à les inciter » regrette Delphine Hoffmann, de l’association Laurette Fugain. L’Agence de Biomédecine travaille à la réduction des coûts des analyses de compatibilité, mais sans augmentation de budget conséquente, il semble difficile que la stratégie française évolue. L’insuffisance du budget global de l’Agence de Biomédecine et l’absence de visibilité financière pour développer ses projets ont d’ailleurs été soulignées dans l’Avis pour la loi de Finances 2015, partie Santé. Un véritable engagement politique à propos du don de moelle osseuse est nécessaire, comme le rappelle la fondatrice du registre, le Dr Colette Raffoux : « L’argent qui est octroyé à l’Agence de Biomédecine est utilisé aujourd’hui de façon optimum mais la somme donnée à l’Agence de Biomédecine pour développer ses fichiers est avant tout un choix politique ». Au delà du manque d’ambition des objectifs et d’implication politique, y–aurait-‐il d’autres raisons pour lesquelles les français seraient moins volontaires pour devenir donneurs que leurs voisins allemands ? Le fait de devoir se déplacer dans un centre EFS parfois éloigné de son domicile ou de son lieu de travail et de devoir dégager du temps pour l’entretien médical est un frein à l’inscription bien identifié, y compris par l’Agence de Biomédecine. Impliquer les médecins généralistes dans le recrutement L’Agence de Biomédecine réfléchit à l’utilisation d’internet mais elle reste attachée à l’entretien médical obligatoire qui lui paraît plus fiable que l’autoévaluation médicale en ligne des donneurs. A nouveau, cette crainte de donneurs inscrits qui pourraient ne plus être aptes ensuite, freine la simplification de la procédure. Pourtant, selon Brigitte Eluard, Présidente de l’association Capucine, un des axes d’amélioration possible est là : « Il faut vraiment faciliter le parcours d’inscription. Il semblerait que les centres EFS n’aient pas les équipes suffisantes pour pouvoir se déplacer. Il faut donc aller vers les gens. Il faut des médecins supplémentaires et peut être aller vers des médecins qui ne sont pas de l’EFS, en retraite ou généralistes ». Cette dernière piste est étudiée par l’Agence de Biomédecine : «Nous avons l’objectif de sensibiliser et de former les médecins généralistes aux contre-‐indications du don de moelle. Nous sommes en train de développer un module d’e-‐learning » annonce en avant-‐première le Dr Evelyne Marry. Cette e-‐formation, prévue pour le premier trimestre 2016, devrait permettre l’implication des généralistes, qui ont une bonne connaissance du dossier médical de leurs patients, dans l’inscription des nouveaux donneurs. En appui des ressources existantes, ils fourniraient des capacités supplémentaires pour recruter des donneurs. Mais, les médecins déjà surchargés seront-‐ils disponibles pour ces entretiens ? Comment seront-‐ils rémunérés ? De nombreux points restent à éclaircir d’ici au lancement de ce projet. « Continuer à éduquer » Les associations ne manquent pas de propositions pour inciter toujours plus de personnes à devenir donneurs : «Pour augmenter le nombre de donneurs, il faudrait continuer à éduquer, à faire passer le message, à faire toucher du doigt l’importance des enjeux du don de vie. Et enfin, faciliter ce passage à l’acte » énonce Delphine Hoffmann, de l’association Laurette Fugain. L’information et l’éducation sont des axes clés, car si une information complète et de qualité existe sur les sites des associations concernées ou de l’agence de Biomédecine, encore faut-‐il que les personnes s’intéressent au don de moelle osseuse pour s’orienter vers ces sites. Comme le rappelle Marie-‐Claire Paulet, Présidente de l’association France ADOT (Fédération des Associations pour le Don d'Organes et de Tissus humains) : « Le don de moelle osseuse est méconnu. Il est surtout connu par les familles touchées par la maladie, des enfants, des adultes, de leurs proches. Il est méconnu et confondu. » Une étude a mis en avant que 72% des français méconnaissent le don de moelle osseuse, confondant à tort la moelle osseuse et la moelle épinière, ce cordon fait de racines nerveuses qui conduit l’information donnée par le cerveau jusqu’au muscle et passe par l’intérieur de la colonne vertébrale. « En Allemagne, bien que les deux expressions utilisent un terme identique, comme dans le langage français, cette confusion
n’existe pas » relève Philippe Hidden, ce qui démontre l’importance de l’éducation. Ajoutée à une méconnaissance des modes de prélèvement, cette confusion est source d’appréhension fortes et génère des craintes erronées de paralysie ou de douleur. « Il faut évoluer dans la culture du don en France. Il y a trop de peurs» insiste Brigitte Eluard, de l’association Capucine. D’où l’importance de faire comprendre que moelle osseuse et moelle épinière ne sont pas de même nature et ne se trouvent pas au même endroit. « Quand on a compris que c’était deux choses différentes, bien évidemment, le frein tombe puisque entre la colonne vertébrale et l’os iliaque où on va aller prélever, il y a une distance qui, pour un chirurgien, équivaut à la distance Paris-‐Marseille » conclut Delphine Hoffmann.
différence moelle épinière et moelle osseuse
Dans le parcours scolaire français, seul le cours de Sciences et Vie de la classe de 3ème aborde la notion de moelle osseuse, précise le Dr Evelyne Marry, qui suggère : « Il faudrait également y expliquer comment on peut être utile en donnant sa moelle osseuse à un patient ». Elle reconnaît toutefois qu’aucun partenariat ou projet spécifique n’existe encore à ce jour entre l’Agence de Biomédecine et l’éducation nationale sur ce sujet. Dans ce domaine, l’Agence se repose sur les initiatives locales de parents ou d’associations comme Laurette Fugain, qui mène des actions de sensibilisation et d’information auprès des futurs majeurs, dans les collèges et lycées, ou auprès des étudiants, dans les universités et les écoles. Le chemin semble encore long avant que les jeunes français ne se mobilisent autour de ce don, à l’instar des jeunes allemands, pour lesquels le pic de recrutement des donneurs se situe à 18 ans en 2014.
Différence de popularité du don de moelle osseuse entre la France et l’Allemagne : Comparaison entre les 3400 likes de la page FB officielle sur le don de moelle osseuse et les 672 000 likes de la page FB de l’organisme officiel en charge du don en Allemagne
« Favoriser le passage à l’acte » Mener régulièrement des actions sur le terrain, aller à la rencontre des gens sont des leviers efficaces pour favoriser le passage à l’acte de démarche d’inscription sur le registre. «Nous avons déjà mis en place des projets pilotes de recrutement des donneurs de moelle osseuse au sein même des entreprises avec l’intégralité des process qui se déroulaient sur le site de l’entreprise. C’est vraiment le type d’initiative qu’il faut encourager aujourd’hui » insiste Delphine Hoffmann. Aller vers le donneur et ne pas attendre qu’il vienne vers la collecte : un principe qui fonctionne pour le don de sang, avec les unités mobiles, mais difficilement transposable à l’inscription sur le registre (en raison de la confidentialité de l’entretien médical, un seul volontaire pourrait être reçu dans une unité mobile par demi-‐heure). Pourtant les choses bougent. Il y a désormais, en mars, une semaine nationale d’information, et, en septembre une journée mondiale du don de moelle osseuse, avec des actions de recrutement de terrain et une communication importante, relayée sur internet pour toucher la jeunesse. Mais en dehors de ces actions ponctuelles, les campagnes de communication de l’Agence de Biomédecine privilégient en général la réflexion sur le don plus que le passage à l’acte. « Le don de moelle osseuse
est un engagement sur la durée... Il faut y réfléchir le temps qu’il faut, ce n’est pas un engagement qui doit être impulsif…. C’est pour cela que dans nos campagnes de communication, le but est d’en entendre parler, d’amener un an plus tard, lors d’une autre campagne, les gens à se dire : ‘ça y est, cette fois, je m’inscris’ » explique Evelyne Marry. Une orientation pleinement assumée mais qui peut à nouveau être reliée à cette même crainte de ne pas fidéliser suffisamment les donneurs sur le registre. Les associations souhaitent donner davantage la parole aux malades car cela permet à la fois d’informer et de persuader le donneur de l’importance de son don. « Ma conviction, insiste Philippe Hidden, c’est qu’il faut inciter les malades à communiquer sur le besoin, comme c’est fait en Allemagne. Les seuls pays qui recrutent massivement de nouveaux donneurs sont les pays dans lesquels les malades prennent la parole. » En Allemagne, de telles actions permettent de recruter plusieurs milliers de nouveaux donneurs en un jour sur un seul endroit, loin devant les résultats français. En France, en application du principe d’anonymat, la publicité au profit d’un malade identifié n’est pas autorisée. L’Agence de Biomédecine, qui redoute d’éventuels dérapages, argue d’une différence de culture et d’une exigence éthique de protection du malade. Mais, si la parole ne peut pas être donnée à un malade en attente de greffe, elle pourrait être davantage donnée aux malades qui ont reçu une greffe de moelle osseuse, comme Loïc qui lance cet appel : « Demain ça peut tous vous concerner, ça peut être votre frère, votre sœur, votre mère, votre enfant, la maladie peut frapper tout le monde à tout moment… Quand on donne sa moelle, ça ne fait pas mal, c’est indolore…Donc, arrêtons d’être égoïstes et de ne penser qu’à soi alors que ça va prendre une journée, une demi journée et qu’on va rendre une famille heureuse, qui allait peut être perdre son enfant, un frère qui allait perdre sa sœur. ..C’est bien de donner de l’argent aux associations, c’est très bien, mais il existe des traitements et le don de moelle en fait partie, donner une partie de soi-‐même peut sauver une vie.» Pour le prochain plan greffe, nos politiques entendront-‐ils la voix des patients et des associations ? Décideront-‐ils d’attribuer un vrai budget pour le recrutement des donneurs ? Les français auront-‐ils à l’avenir à cœur d’être aussi solidaires que leurs voisins allemands ? La science avance et de nouvelles solutions médicales alternatives au don de moelle d’un donneur non apparenté sont prometteuses, comme le don de sang de cordon ou la possibilité, grâce à certains médicaments, de pouvoir recourir à des donneurs de compatibilité bien moindre. Ces nouvelles méthodes permettront d’élargir l’éventail des solutions thérapeutiques au bénéfice des patients, mais elles doivent encore faire leurs preuves. Une chose est sûre : pour au moins les 15 années à venir, le don de moelle osseuse en provenance de donneurs inscrits sur les registres sera encore indispensable pour sauver la vie de milliers de malades.