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Études Économiques Groupe http://etudes-economiques.credit-agricole.com Trimestriel n°41 Octobre 2014 France : peu de risques de spirale déflationniste La crainte de voir la zone euro sombrer en déflation, le spectre de l’exemple japonais en toile de fond, a mis l’inflation au cœur des préoccupations. La France n’échappe pas au ralentissement généralisé des prix. L’inflation s’est fortement tassée sur la période récente, et les prix ne progressent plus que de +0,3% sur un an en septembre (l’inflation sous-jacente est même nulle, c’est le niveau le plus bas de la série calculée depuis 1990). Nous vous proposons, dans ce numéro, de revenir sur les causes de ce ralentissement des prix ; ou plutôt sur le cumul de facteurs ayant entraîné la forte désinflation actuelle. Quel scénario retenir pour les prochains mois ? La France va-t-elle plonger dans une spirale déflationniste ? Les anticipations des agents sont, pour l’instant, bien ancrées (et elles sont déterminantes dans l’évolution des prix). Comme eux, nous écartons le scénario déflationniste, pour plusieurs raisons. D’une part, les facteurs expliquant la désinflation actuelle ne sont pas tous durables. D’autre part, il existe des facteurs structurels de résistance des prix, permettant de repousser la menace déflationniste. Ainsi, notre scénario table sur une inflation durablement faible, mais écarte l’hypothèse d’une spirale baissière des prix. Synthèse Pourquoi l’inflation est-elle si faible en France ? En 2013, comme depuis le début de l’année 2014, le freinage des prix s’explique principalement par le repli des prix des produits manufacturés, dans un contexte de croissance contrainte. Mais d’autres facteurs ont accentué le mouvement désinflationniste (euro fort, repli des prix du pétrole notamment). Le risque d’une déflation est toutefois modéré. Il existe des facteurs limitant le risque déflationniste. Les anticipations des agents sont bien ancrées. Les salaires sont en hausse. Les prix de certains produits, à l’instar des services, sont structurellement rigides. Enfin, les prix des actifs, notamment immobiliers, ne marquent que peu d’inflexion. Quel est notre scénario d’inflation à moyen terme ? L’inflation, notamment sous-jacente, restera faible, compte tenu du contexte macro-économique peu porteur. Mais elle sera tirée vers le haut par la dépréciation de l’euro et la dissipation de certains facteurs temporaires ayant pesé sur les prix sur la période récente. Quel impact a la faiblesse de l’inflation actuelle sur les comportements d’épargne ? La désinflation s’accompagne d’une baisse des taux d’intérêt nominaux et se traduit par une réduction des montants nouveaux épargnés chaque année par les ménages. Néanmoins, si à court terme les arbitrages entre produits vont être influés par la faiblesse des taux nominaux, à plus long terme l’impact de la désinflation est neutre. En effet, les ménages s’adaptent à l’envi - ronnement de taux bas et retrouvent progressivement les critères de choix traditionnels pour leurs place- ments : rendement, risque et liquidité. Les arbitrages ne seront bouleversés de manière durable qu’en cas d’anticipation par les ménages d’une déflation (à caractère alors auto-entretenu). Ce scénario n’est pas le nôtre, les facteurs de résistance des prix étant nombreux pour la France. Zoom vidéo France : quel risque de déflation ? Notre zoom vidéo s’intéresse au risque déflationniste. Pour- quoi l'inflation est-elle si faible en France ? Comment qualifier le risque de déflation ? Quel est le scénario retenu ? + d’info : France point mensuel inflation : 11 N° par an Consultez le dernier numéro prochaine parution en novembre 2014

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Études Économiques Groupe http://etudes-economiques.credit-agricole.com

Trimestriel – n°41 – Octobre 2014

France : peu de risques de spirale déflationniste

La crainte de voir la zone euro sombrer en déflation, le spectre de l’exemple japonais en toile de fond, a mis l’inflation au cœur des préoccupations. La France n’échappe pas au ralentissement généralisé des prix. L’inflation s’est fortement tassée sur la période récente, et les prix ne progressent plus que de +0,3% sur un an en septembre (l’inflation sous-jacente est même nulle, c’est le niveau le plus bas de la série calculée depuis 1990). Nous vous proposons, dans ce numéro, de revenir sur les causes de ce ralentissement des prix ; ou plutôt sur le cumul de facteurs ayant entraîné la forte désinflation actuelle.

Quel scénario retenir pour les prochains mois ? La France va-t-elle plonger dans une spirale déflationniste ? Les anticipations des agents sont, pour l’instant, bien ancrées (et elles sont déterminantes dans l’évolution des prix). Comme eux, nous écartons le scénario déflationniste, pour plusieurs raisons. D’une part, les facteurs expliquant la désinflation actuelle ne sont pas tous durables. D’autre part, il existe des facteurs structurels de résistance des prix, permettant de repousser la menace déflationniste. Ainsi, notre scénario table sur une inflation durablement faible, mais écarte l’hypothèse d’une spirale baissière des prix.

Synthèse Pourquoi l’inflation est-elle si faible en France ? En 2013, comme depuis le début de l’année 2014, le freinage des prix s’explique principalement par le repli des prix des produits manufacturés, dans un contexte de croissance contrainte. Mais d’autres facteurs ont accentué le mouvement désinflationniste (euro fort, repli des prix du pétrole notamment).

Le risque d’une déflation est toutefois modéré. Il existe des facteurs limitant le risque déflationniste. Les anticipations des agents sont bien ancrées. Les salaires sont en hausse. Les prix de certains produits, à l’instar des services, sont structurellement rigides. Enfin, les prix des actifs, notamment immobiliers, ne marquent que peu d’inflexion.

Quel est notre scénario d’inflation à moyen terme ? L’inflation, notamment sous-jacente, restera faible, compte tenu du contexte macro-économique peu porteur. Mais elle sera tirée vers le haut par la dépréciation de l’euro et la dissipation de certains facteurs temporaires ayant pesé sur les prix sur la période récente.

Quel impact a la faiblesse de l’inflation actuelle sur les comportements d’épargne ? La désinflation s’accompagne d’une baisse des taux d’intérêt nominaux et se traduit par une réduction des montants nouveaux épargnés chaque année par les ménages. Néanmoins, si à court terme les arbitrages entre produits vont être influés par la faiblesse des taux nominaux, à plus long terme l’impact de la désinflation

est neutre. En effet, les ménages s’adaptent à l’envi-ronnement de taux bas et retrouvent progressivement les critères de choix traditionnels pour leurs place-ments : rendement, risque et liquidité. Les arbitrages ne seront bouleversés de manière durable qu’en cas d’anticipation par les ménages d’une déflation (à caractère alors auto-entretenu). Ce scénario n’est pas le nôtre, les facteurs de résistance des prix étant nombreux pour la France.

Zoom vidéo

France : quel risque de

déflation ?

Notre zoom vidéo s’intéresse

au risque déflationniste. Pour-

quoi l'inflation est-elle si faible

en France ? Comment qualifier

le risque de déflation ? Quel est

le scénario retenu ?

+ d’info :

France – point mensuel inflation : 11 N° par an

Consultez le dernier numéro – prochaine parution en novembre 2014

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Introduction : retour sur la notion de déflation

La déflation correspond à une baisse des prix généralisée et durable, alimentée par des anticipations auto-réalisatrices.

La question des anticipations des agents est fondamentale. Si un ménage ou une entreprise anticipe une baisse de prix, il va reporter dans le temps sa décision de consommation ou d’investissement, pour profiter de coûts plus faibles. De tels comportements, à l’échelle collective, vont peser sur la conjoncture et alimenter le mouvement de baisse de prix. La spirale déflationniste est alors en place.

Un autre canal menant à la déflation est l’apurement des bilans privés, avec, en retour, un effet négatif sur l’activité et donc un impact désinflationniste sur l’ensemble des actifs, entraînant à son tour une nouvelle fragilisation de la situation financière des agents. Nous verrons que la solidité du système bancaire français est un rempart efficace, permettant de « bloquer » ce canal de transmission de baisse des prix.

De ces quelques rappels ressortent deux points essentiels :

Un repli des prix observé pendant quelques mois n’équivaut pas forcément à une entrée dans une spirale déflationniste, surtout si les anticipations des agents restent bien ancrées.

Notre analyse ne peut se restreindre à celle de l’indice des prix à la consommation, puisque, notamment dans le cas d’une déflation par la dette, l’ensemble des actifs voit leur prix se contracter.

Quelques définitions clés

L'indice des prix à la consommation (IPC) est l'instrument de mesure de l'inflation. Il permet d'estimer, entre deux périodes données, la variation moyenne des prix des produits consommés par les ménages. C'est une mesure synthétique de l'évolution de prix des produits, à qualité constante.

L'inflation est la perte du pouvoir d'achat de la monnaie, qui se traduit par une augmentation générale et durable des prix.

L'indice d'inflation sous-jacente est un indice désaisonnalisé qui permet de dégager une tendance de fond de l'évolution des prix. Il traduit l'évolution profonde des coûts de production et la confrontation de l'offre et de la demande. Il exclut les prix soumis à l'intervention de l'État (électricité, gaz, tabac...) et les produits à prix volatils (produits pétroliers, produits frais,...) qui subissent des mouvements très variables dus à des facteurs climatiques ou à des tensions sur les marchés mondiaux. L'indice d'inflation sous-jacente est corrigé des mesures fiscales (hausse ou baisse de la TVA...) de façon à neutraliser les effets sur l'indice des prix de la variation de la fiscalité indirecte ou des mesures gouvernementales affectant directement les prix à la consommation. L'inflation sous-jacente est ainsi plus adaptée à une analyse des tensions inflationnistes, car moins perturbée par des phénomènes exogènes.

La désinflation est une baisse de l’inflation, c’est-à-dire un ralentissement du rythme de hausse des prix. Elle ne doit pas être confondue avec la déflation (ou encore inflation négative), qui se traduit par une diminution générale et durable des prix.

Source : INSEE

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Pourquoi l’inflation est-elle si faible ?

Au mois de septembre, l’inflation a légèrement ralenti, à +0,3% en glissement annuel (après +0,4% a/a en août). C’est un niveau très faible, bien inférieur à celui observé en moyenne sur longue période (+1,6% depuis 2000). Tandis que les prix des services progressent encore de +1,5% a/a, les prix des produits manufacturés se contractent de 0,7% a/a. Les prix des produits pétroliers sont, quant à eux, en repli de 4,8% a/a et ceux des produits frais de 2,1% a/a en raison d’un excès d’offre, stimulée par les températures douces du début d’année.

Ce mouvement de désinflation est commun à l’ensemble des grands pays de la zone euro. L’évolution des prix est même devenue négative, sur la période récente, en Espagne et en Italie.

Quels sont les facteurs explicatifs de la faiblesse de l’inflation actuelle ? Certains facteurs sont communs à l’ensemble des pays. D’autres sont spécifiques à l’activité française. Afin de déterminer l’importance des différents facteurs dans l’explication de l’évolution récente de l’inflation (depuis 2013), nous avons calculé les contributions des différences composantes aux variations de l’indice des prix à la consommation.

En 2013, comme depuis le début de l’année 2014, le freinage des prix s’explique principalement par le repli des prix des produits manufacturés. L’environnement économique est en cause, avec une demande affaiblie et un euro fort, ayant pesé sur les prix des produits importés. En 2014, s’ajoute l’effet potentiellement désinflationniste du CICE.

Le repli des prix énergétiques a également été un facteur déterminant en 2013.

Depuis le début de l’année 2014, si les prix énergétiques ont, par effet de base, un impact plutôt haussier (notamment lorsque, sur certains mois de l’année 2014, les baisses observées en variations mensuelles sont moins fortes qu’en 2013), le repli des prix alimentaires a pris le relais comme facteur explicatif de la désinflation.

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Une désinflation commune aux grands pays de la zone euro

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Source : Datastream, Credit Agricole S.A.

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Contributions aux variationsde l'IPC en 2014

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Une inflation plus faible que la moyenne de long terme

Inflation totale Inflation sous-jacente

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Source : Insee, Crédit Agricole S.A.

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Contributions aux variations de l'IPC

Services Energie

Produits manufacturés Tabac

Alimentation IPC (moyenne annuelle)

Source : Insee, Crédit Agricole S.A.

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D’autres évolutions de prix spécifiques (télécommunications, médicaments), avec un impact moins important sur le plan macro-économique, ont accentué le mouvement désinflationniste actuel.

Les facteurs explicatifs du repli des prix des produits manufacturés

Une contrainte de demande, pas d’offre

L’affaiblissement de la demande a un effet baissier sur l’ensemble des composantes de l’indice des prix à la consommation. Toutefois, compte tenu de certaines spécificités du secteur des services (cf. partie 2, relative aux facteurs de résistance), cet impact est plus significatif sur les prix des produits manufacturés.

La stagnation de l’activité dure depuis maintenant six mois en France. La demande, tant domestique qu’étrangère, reste notamment très affaiblie :

La contribution de la demande intérieure totale à l’activité est restée quasiment nulle depuis le début d’année (+0,1 point à chaque trimestre, contre une moyenne de long terme de +0,5 point), résultat de la forte correction de l’investissement total, ajustement toutefois en partie compensé par la résistance de la consommation des ménages.

La demande extérieure adressée à la France progresse également modérément. Les importations des pays partenaires ont été faibles, notamment celles à destination de nos principaux partenaires commer-ciaux (et notamment l’Allemagne), compte tenu d’une reprise toujours fragile en zone euro

Cette progression très limitée de la demande totale est à l’origine du tassement de l’inflation totale, et plus particulièrement de l’inflation sous-jacente, observé globalement depuis fin 2012 (de +1,5% a/a en juillet 2012 à 0% a/a en septembre).

Les pressions inflationnistes sont en fait limitées par des capacités de production excédentaires.

Même si la crise a vraisemblablement eu un impact défavorable sur le niveau du PIB potentiel français

1, un

écart de production négatif non négligeable semble persister aujourd’hui. Les enquêtes menées auprès des chefs d’entreprise confirment l’existence de capacités de production inutilisées. Dans l’enquête trimestrielle dans l’industrie, 40% des chefs d’entreprise interrogés déclarent éprouver uniquement des difficultés de demande pour accroître leur production. Ils ne sont que 15% à évoquer uniquement des difficultés d’offre. Le taux d’utilisation des capacités de production est également un bon indicateur de la position de l’économie dans le cycle. Malgré son redressement sur la période récente, il reste inférieur à sa moyenne de long terme, à 81 contre 85).

1Cf. Perspectives France – Novembre 2013 –France : quelle croissance aujourd'hui ? Et demain ?

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Fragilité de la reprise en zone euro

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Source : Eurostat, Crédit Agricole S.A.

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Des difficultés davantage de demande que d'offre

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Difficultés de demande seulement

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Un TUC inférieurà son niveau moyen

TUCs (enquête INSEE trimestrielle dans l'industrie)

solde de réponses, cvs, en %

Source : Insee, Crédit Agricole SA

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Le taux de chômage actuel limite également les pressions inflationnistes. Il atteint 9,7% de la population active en France métropolitaine au deuxième trimestre 2014. Ce taux de chômage élevé (nettement supérieur au NAIRU ou taux de chômage d’équilibre), conséquence d’une activité dégradée, réduit le pouvoir de négociation des salariés et limite la progression des hausses salariales, nourrissant à son tour le mouvement désinflationniste (cette relation inverse entre taux de chômage et taux de variation des salaires a été mise en évidence par Phillips).

Or, rappelons que la production potentielle corres-

pond au niveau maximal estimé de production qui

puisse être obtenu grâce aux facteurs de pro-

duction disponibles (capital et travail), sans géné-

rer de tensions inflationnistes. Ainsi, un output gap non fermé a un

puissant effet désinflationniste.

Ces éléments sont amplifiés par une concurrence très forte dans

certains secteurs, notamment dans la grande distribution.

Un euro fort, exacerbant le déficit de compétitivité

Le mouvement désinflationniste récent a été accentué par un euro fort. De mi-2013 à mi-2014, le taux de change de l’euro par rapport au dollar a notamment augmenté presque continûment : l’euro s’est ainsi apprécié, passant de 1,28 dollar pour un euro en juillet 2013 à une parité de 1,38 en avril 2014. Plus globalement, le taux de change effectif de la France, qui pondère les différents taux de change en fonction de la structure du commerce français, s’est apprécié depuis le troisième trimestre 2012 Notons que ce mouvement s’est retourné récemment (comme nous pouvons le voir sur le graphique ci-contre).

Les effets d’une appréciation de l’euro sur l’économie sont multiples.

À très court terme, l’impact le plus direct est une diminution des prix des importations, (et symétri-

quement une hausse des prix des exportations). Cet impact est notamment très significatif pour les matières premières telles que le pétrole. Il alimente auto-matiquement le freinage des prix.

Ces évolutions différenciées des prix des importations et des exportations entraînent une dégradation de la compétitivité-prix des produits français, à la fois par rapport aux concurrents sur les marchés étrangers et face à ceux qui exportent sur le marché français. La sensibilité des exportations à la compétitivité-prix est toutefois différente en fonction des pays (on parle « d’élasticité-prix » des exportations). Elle dépend notamment de la compétitivité-qualité des produits commercialisés. Cette dernière doit précisément être améliorée dans le cas français. Les exportateurs français n’ont ainsi d’autres choix que d’ajuster leurs prix pour maintenir leur compétitivité-prix, sur leur marché comme à l’exportation, aux dépens de leur marge. Toutefois, au regard du niveau déjà très faible du taux de marge des sociétés non financières françaises (29,8% en moyenne en 2013), on peut penser que ce type d’amortissement est resté partiel. Ainsi, l’appréciation de l’euro entre juillet 2013 et avril 2014 aura bien limité le volume des exportations et inversement accru celui des importations, avec finalement un impact négatif sur la croissance, et donc en retour un effet baissier sur les prix.

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Taux de change euro/dollar

Source : Bloomberg, Crédit Agricole SA

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France : taux de chômage

Nombre de chômeurs (dr.)

Taux de chomageSource : Insee,Crédit Agricole SA

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Le CICE

Le CICE2 est un crédit d’impôt accordé aux entreprises, calculé en

proportion de la masse salariale brute (salariés du secteur privé), hors cotisations patronales, pour les salaires compris entre 1 et 2,5 SMIC (avantage perceptible dès 2014, calculé sur les revenus de 2013).

Les choix d’affectation des montants perçus par les entreprises dans le cadre du CICE peuvent être divers : hausse de l’emploi, augmentations salariales, augmentation des dépenses d’investissement, ou encore baisses des prix de vente. L’objectif initialement visé est de permettre un redressement des profits, de l’investissement et de la compétitivité qualité.

Toutefois, d’après une enquête INSEE publiée en septembre, environ 30% des entreprises, quel que soit le secteur considéré, estiment que le CICE aura un effet baissier sur les prix.

Ce choix de maintenir sous pression les prix de vente peut être fait, par les entreprises, dans une optique d’amélioration de leur compétitivité prix, au moment où les débouchés restent médiocres au niveau national et où l’euro fort les pénalise sur les marchés extérieurs. Toutefois, il peut également leur être imposé par leurs clients. Ce serait parfois le cas, notamment pour les sous-traitants.

Par ailleurs, le CICE pourrait également créer un effet de seuil autour des salaires proches de 2,5 SMIC. Les entreprises pourraient être réticentes à aug-menter les salaires au-delà de ce seuil, pour continuer à bénéficier de l’avantage fiscal. Cet effet de modération salariale resterait toutefois modeste, compte tenu de la forte part des entreprises déclarant un impact haussier du CICE sur les salaires dans l’enquête INSEE (26% dans le secteur de l’industrie, 41% dans celui des services).

Un tassement des prix du pétrole

Depuis mi-2011, les prix des produits pétroliers en dollars suivent une tendance baissière. Dans un contexte économique international peu porteur, avec notamment un essoufflement de l’économie chinoise (deuxième pays consommateur de pétrole), la de-mande mondiale de pétrole reste contenue. À l’inverse, l’offre est plutôt abondante, profitant, notamment en provenance de Lybie.

En conséquence, le prix du Brent a reculé sur la période récente, pour atteindre 92 USD en octobre, tirant vers le bas l’inflation énergétique française (de 12% a/a mi-2011, à 1% a/a en décembre 2013, puis -2,5% a/a en septembre 2014). Notons que par

2 Pour plus d’information sur le CICE, cf. ECO Focus du 9 octobre 2014 : France - CICE : impact positif,

mais pas de changement de modèle

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Devrait avoir uneffet sur l'emploi

Devrait avoir uneffet sur les salaires

Devrait avoir uneffet sur les prix de

vente

Devrait être destinéà accroitre le

résultatd'exploitation

Devrait être destinéà investir

France : part des entreprises estimant que le CICE…

Industrie ServicesSource : INSEE, Crédit Agricole SA

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Désinflation énergétique

Prix des produits pétroliers

Energie (ech. dr.)

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Source : Insee, Crédit Agricole S.A.

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Evolution des prix alimentaires

Prix alimentairesPrix des produits fraisPrix des autres produits alimentaires

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Source : Insee, CA S.A.

effet de base, la contribution des prix énergétiques à l’IPC est positive en 2014.

Un freinage des prix alimentaires

Le freinage de l’inflation totale française en 2014 s’explique également par le tassement très marqué des prix alimentaires, notamment des produits frais.

Ce fort recul s’explique par des conditions climatiques plus favorables en début d’année, comparativement à l'année précédente, d’où une offre de produits frais plus abondante. Le recul des prix des produits frais atteint ainsi 2,1% sur un an en septembre, les prix alimentaires dans leur ensemble se repliant de 0,6% sur un an.

Des évolutions de prix spécifiques dans certains secteurs

Une évolution heurtée des prix des télécommunications

Suite à une plus grande ouverture du marché à la concurrence, et notamment avec l’entrée de Free début 2012, les prix des télécommunications ont fortement reculé, en particulier en 2013, où le glissement annuel a même atteint -15%

en début d’année. La composante « télécommu-nications » représente une part peu significative du total de l’indice des prix à la consommation de l’INSEE (environ 2,5%). La contribution de ce poste à l’inflation totale est en moyenne de -5% sur les deux dernières années.

Un repli tendanciel des prix des produits de santé

Dans le contexte actuel de consolidation budgétaire, et afin d’atteindre les objectifs qu’il s’est fixés en termes d’économies en dépenses, le gouvernement a mis en place un plan d’économies sur les dépenses de santé et d’assurance-maladie, totalisant 3 milliards d’euros dans la loi de Finances 2014 et 10 milliards d’euros sur les années 2015-2017.

Ceci sera notamment permis via le respect de l’objectif de hausse des dépenses d’assurance-maladie (ONDAM), fixé à 2,4% en valeur en 2014, puis 2% en valeur par an entre 2015 et 2017. Ces rythmes de croissance sont inférieurs à la croissance tendancielle des dépenses de santé, estimée à 3,9% par an en valeur. Les efforts d’économies portent sur une meilleure organisation des parcours de soins, une réduction du nombre d’actes médicaux et de moindres dépenses de médicaments, à travers notamment des baisses de prix des médicaments et le développement des génériques.

La baisse des prix des produits de santé est également accentuée par les effets de la loi dite « consommation », votée en mars 2014, qui facilite entre autres la vente de lunettes et de lentilles par internet. Le repli des prix des produits de santé atteint -2,9% a/a en septembre.

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Une baisse des prix des communications

Source : Insee, Crédit Agricole SA

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Repli tendanciel des prix des produits de santé

Prix des produits de santé

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Source : Insee, Crédit Agricole S.A.

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N°41 – Octobre 2014 8

Comme nous l’avons vu en première partie, le caractère détérioré de l’activité explique en grande partie la désinflation récente, même si d’autres facteurs cumulatifs ont accentué ce mouvement.

Or, le redressement de l’activité devrait rester très poussif, compte tenu des contraintes structurelles existantes et des cicatrices laissées par la crise sur l’activité. La question qui vient naturellement après ce rapide bilan est la suivante : dans cet environnement de croissance molle, la tendance baissière des prix va-t-elle se poursuivre et conduire à une entrée en déflation ? Rappelons que cette dernière est caractérisée par une baisse durable et généralisée des prix, alimentée par des anticipations auto-réalisatrices.

Pour évaluer le risque d’une déflation française, il convient donc de vérifier l’ancrage des anticipations des agents ; de comprendre quels facteurs seraient susceptibles de limiter la baisse des prix (hausse des salaires, rigidités de certains prix) et d’analyser l’évolution probable des prix des actifs, tant financiers qu’im-mobiliers.

Les obstacles à la déflation

Pas d’anticipations déflationnistes

Les anticipations des agents sont décisives pour déterminer s’il existe ou non un risque d’entrée en déflation. Plusieurs indicateurs permettent d’en rendre compte.

Une bonne tenue des composantes « prix » des enquêtes

L’INSEE publie mensuellement des enquêtes de conjoncture, notamment secto-rielles. Dans chacune de ces enquêtes, les chefs d’entreprise et ménages sont amenés à se prononcer sur l’évolution qu’ils attendent des prix. Globalement, on constate que quel que soit le secteur, les anticipations restent assez bien ancrées. Notons que, sur le graphique ci-dessous, les composantes-prix ont été centrées-réduites, pour faciliter l’analyse comparative. Ainsi, un passage de la courbe en territoire négatif ne signifie pas une attente de déflation, mais une composante en-deçà de son niveau moyen. Malgré la rapide désinflation récente, il n y a pas eu de forte révision à la baisse des attentes, qui restent d’ailleurs plus favorables qu’en 2009 (l’indice des prix n’avait alors progressé que de 0,1% en moyenne annuelle).

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5

07 08 09 10 11 12 13 14

Des anticipations assez bien ancrées

Industrie Bâtiment Commerce Services Ménages IPC (éch. dr.)

Source : Insee, Crédit Agricole SA

Composante "prix" des enquêtes, centrée réduite a/a, %

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N°41 – Octobre 2014 9

Des prévisionnistes confiants

Le « consensus forecasts » publié au mois de septembre suggère une inflation faible en 2014 et en 2015, mais pas d’entrée en déflation. La moyenne des prévisionnistes interrogés table sur une progression des prix de 0,7% en moyenne en 2014, puis 1% en 2015. Aucun d’entre eux ne prévoit un repli de l’indice des prix au cours des deux prochaines années.

Des anticipations de marché également positives

Les anticipations des marchés, tirées des produits financiers, suggèrent quant à elles une inflation positive à cinq ou dix ans :

L’analyse des obligations d’État, à travers le calcul du « point mort », est instructive. En France, le point mort d’inflation à six ans est actuellement de 0,8% et celui à dix ans à 1,1%. À titre de comparaison, en Allemagne, le point mort à dix ans ressort à 1,05%, et aux États-Unis, à 1,96%.

L’étude des swaps indexés sur l’inflation suggère également une inflation faible, mais positive. Le swap inflation de maturité cinq ans affiche un taux de 1,1%, alors que celui d’une maturité dix ans est à 1,47%, soit un niveau bien au-dessus du point mort. L’utilisation des taux forward à cinq ans donne une mesure de l’inflation moyenne anticipée à cinq ans, à 1,99% en France.

Des salaires toujours en hausse

L’indexation automatique des salaires à l’inflation est propice à l’enclenchement d’une dynamique déflationniste. En effet, un repli des prix entraîne alors un tassement des salaires, qui a un effet défavorable sur le pouvoir d’achat des ménages, et donc sur leur consommation, ce qui pèse in fine sur les prix.

Cette pratique est peu développée en France. Dans une étude de la BCE (WDN - Wage Dynamics Network), 17 000 entreprises ont été interrogées sur leur politique salariale. Deux questions portaient sur l’indexation des salaires sur l’inflation. Les entreprises devaient indiquer si elles adaptaient leurs salaires de base à l’inflation. Si tel était le cas, elles devaient indiquer si cet ajustement était automatique ou non et s’il était basé sur l’inflation passée ou sur l’inflation anticipée. D’après les résultats obtenus, 9% des entreprises françaises ont recours à des politiques d’ajustement automatique des salaires à l’inflation passée ; elles sont 16,3% en moyenne en zone euro. Seules 2% ajustent leur salaires automatiquement à l’inflation anticipée ; elles sont le double en zone euro. La pratique d’indexation des salaires aux prix est donc peu développée en France, ce qui est un rempart efficace contre la déflation.

L’évolution des salaires sur la période récente reste d’ailleurs positive, malgré un taux de chômage élevé qui limite le pouvoir de négociation des salariés. Le salaire par tête a progressé de 0,4% t/t au deuxième trimestre, soit une hausse de 1,6% sur un an. Les salaires réels ont finalement progressé plus vite que la productivité, avec un effet défavorable sur les marges des entreprises.

Estimation de l’inflation anticipée par les marchés via les obligations d’État

Le point mort représente la différence de rendement entre une obligation classique et son équivalente (même émetteur, même échéance…) indexée sur l’inflation. Sur une période donnée, si l’inflation réalisée est supérieure au point mort (inflation anti-cipée), l’obligation indexée générera une meilleure performance que son équivalent classique.

6

7

8

9

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0

1

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5

00 02 04 06 08 10 12 14

Des salaires par têtetoujours en hausse

Salaire par tête Taux de chômage (éch. dr.)

Source : Insee, Crédit Agricole SA

a/a, % %, population active

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N°41 – Octobre 2014 10

L’existence du SMIC est un des facteurs limitant les pressions baissières sur les salaires. Depuis 2013, le SMIC est revalorisé :

Chaque 1er

janvier, en tenant compte de l'évolution de l'indice mensuel des prix à la consommation hors tabac des ménages du premier quintile de la distribution des niveaux de vie, augmentée de la moitié du gain de pouvoir d'achat du salaire horaire moyen des ouvriers et des employés ;

En cours d'année, lorsque cet indice des prix à la consommation atteint un niveau correspondant à une hausse d'au moins 2% par rapport à l'indice constaté lors de l'établissement du SMIC immédiatement antérieur.

Le gouvernement peut également décider de revalorisations supplémentaires. En 2014, la revalorisation du SMIC s’est élevée à +1,1%, supérieure à celle observée en 2013 (+0,3%). De nombreuses publications démontrent l’impact des revalorisations du SMIC sur le salaire moyen

3.

Une revalorisation du SMIC a un effet direct sur l’ensemble des salariés rémunérés au SMIC (12,3% de l’ensemble des salariés pour la revalorisation de janvier 2013), mais également sur ceux dont la rémunération est comprise entre les valeurs du SMIC pré et post revalorisation.

De plus, elle implique des effets d’entraînement sur l’ensemble des bas salaires, effets d’autant plus importants que la distribution des salaires en France est très concentrée autour du SMIC (près de la moitié des salariés ont une rémunération comprise entre 1 et 1,5 SMIC).

Des rigidités de certains prix

Les prix des services

Les prix des services (46% de l’indice des prix total en 2013) affichent une certaine rigidité en France. Même lors du choc de 2009, leur ajustement est resté relativement modéré (leur glissement annuel a toujours été positif, et supérieur à +1,2% a/a).

D’une part, les prix des services administrés (tarifs publics types transports, services postaux, ...) s’accroissent, indépen-damment du contexte conjoncturel.

D’autre part, le secteur des services est davantage orienté vers le marché domestique. Or, si la capacité de rebond de l’activité française peut être remise en question, sa résistance aux chocs a été démontrée. La consommation des ménages est particulièrement résiliente (grâce aux prestations sociales et à la progression des salaires, soutenant le pouvoir d’achat), notam-ment par rapport aux autres grands pays européens, ce qui protège le secteur des services français, et limite ainsi l’effet baissier sur les prix pratiqués.

La comparaison de l’évolution de la valeur ajoutée produite dans les secteurs des services et industriel lors des chocs de 1992, 2001 et 2008 est une bonne illustration de cette résistance des services. Rappelons que la part de la valeur ajoutée produite dans ce secteur représente près de 80% de la valeur ajoutée totale.

3 Bazen et Martin en 1991 ; Koubi et Lhommeau en 2007 ; Goaran et Muller en 2011 ; Gilbert Cette,

Valérie Chouard et Grégory Verdugo en 2012.

2%14%

6%

78%

Valeur ajoutée brute par branche d'activité en 2013

Agriculture,sylviculture et pêche

Industriemanufacturière,industries extractiveset autresConstruction

Services

Source : Insee, Crédit Agricole S.A.

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N°41 – Octobre 2014 11

Les prix de l’essence

L’affaiblissement des prix du pétrole brut a été relativement marqué sur la période récente. Notre scénario table sur une poursuite de cette baisse, mais à un rythme plus graduel.

Ce repli des prix des produits pétroliers se diffusera aux prix à la consommation des produits pétroliers. Toutefois, les variations des prix dits « à la pompe » sont moins fortes en tendance que celles des prix du brut.

Cet écart s’explique par des facteurs propres à la France. Le calcul de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE, anciennement « taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers » ou TIPP) limite l’impact d’une variation du prix du pétrole sur le prix TTC du carburant.

En effet, si la taxe sur la valeur ajoutée – également appliquée sur les produits pétroliers – l’est sur une valeur, le calcul de la TICPE s’effectue sur un volume. Ainsi, une baisse de prix hors taxes n’est pas intégralement reflétée par le prix toutes taxes.

15-oct T1 T2 T3 T4 T1 T2 T3 T4

Brent $/BBL 84 107 110 100 90 90 90 92 92

Source : CA CIB

Prix fin de trimestre

2014 2015

-1

-1

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07 08 09 10 11 12 13 14

Des prix des services rigides

Inflation totale Services

a/a, %

Source : Insee, Crédit Agricole S.A.

80

85

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105

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08 09 10 11 12 13 14

IndiceRésistance de la

consommation privée

Allemagne FranceItalie Espagne

Source : Eurostat, Crédit Agricole S.A.

Base 100 = T1 2008

90

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100

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0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

Evolution de la valeur ajoutée dans le secteur industriel lors de chocs

Réaction au choc du T2 1992Réaction au choc du T2 2001Réaction au choc du T2 2008

100 = pic d'activité

Source : Insee, CA SA

Nbre de trim. post choc

90

95

100

105

0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

Evolution de la valeur ajoutée dans le secteur des services lors de chocs

Réaction au choc du T2 1992

Réaction au choc du T2 2001

Réaction au choc du T2 2008

100 = pic d'activité

Source :Insee, CA SA

Nbre de trim. post choc

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N°41 – Octobre 2014 12

Une certaine résistance des prix des actifs

Pas de chute des prix immobiliers

Certains pays européens ont connu une forte progression de leurs prix immobiliers entre 1998 et fin 2007, puis un ajustement brutal concomitant à la crise (c’est le cas de l’Irlande ou encore de l’Espagne). En France, le mouvement haussier a été plus modéré entre 1998 et 2007, et la correction qui a suivi a également été de plus faible ampleur. Entre 2007 et 2013, les prix n’ont que modestement reculé.

Cette résistance des prix immobiliers en France4

s’explique d’une part par l’absence d’excès d’offre et d’autre part, par le maintien de la demande de logements, résultat de la faiblesse des taux, de fac-teurs structurels (effet valeur refuge, désir d’accession à la propriété, démographie plutôt dynamique, phéno-mènes de décohabitation, préparation de la retraite) et d’une bonne tenue du crédit habitat (pas d’excès passé, les critères d’octroi de crédit étant fondés sur la

solvabilité de l’emprunteur, et non sur la valeur de l’actif). Même sur le segment du neuf (pourtant pénalisé par les mesures fiscales, les contraintes sur le PTZ+, et le poids des normes), les prix des logements s’ajustent peu, compte tenu du nécessaire amortissement des hausses de coûts de production.

Notre scénario table sur une poursuite de l’ajustement graduel, sans chute donc des prix sur notre horizon de prévision. En 2014, les prix de l’ancien baisseraient de 2,5 % en glissement annuel, après -1,4% fin 2013, soit un repli cumulé de 6% entre fin 2011 et fin 2014. En 2015, les volumes seraient stables dans l’ancien et en léger rebond dans le neuf. Les prix baisseraient de 2 % dans l’ancien. Au-delà, ils s’ajusteraient encore pendant deux à trois ans, étant surévalués d’environ 15%.

Pas de chute des prix des actifs financiers, mais un CAC-40 toujours

fragile

Le taux de rendement des obligations publiques n’a cessé de diminuer depuis 2008, la France bénéficiant, tout comme en Allemagne, d’une fuite vers la qualité.

Si le CAC-40 a chuté de plus de 50% entre janvier 2008 et mars 2009 (un repli comparable à celui observé dans les autres pays de la zone euro), il a fortement augmenté à compter de 2012, affichant une progression de près de 50% sur les trois dernières années. Les dernières évolutions sur les marchés montrent toutefois que le CAC 40 reste fragile et qu’il est à même de connaître des variations marquées.

4 Pour plus d’information sur l’immobilier en France, consulter notre publication ECO Immobilier.

1

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6

7

07 08 09 10 11 12 13 14

%

Rendement des titres souverains

Allemagne France Italie Espagne

Source : Eurostat, Crédit Agricole S.A.

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50

70

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110

130

08 09 10 12 13

Indices boursiers des grands pays de la zone euro

Allemagne (DAX 30) France (CAC 40)

Italie (FTSE MIB) Espagne (IBEX 35)

Source : Deutsche Börse, Euronext, FTSE, BME, CA S.A.

base 100 = T1 2008

50

100

150

200

250

300

98 99 01 02 04 05 07 08 10 11 13

Une bonne tenue des prix immobiliers en France

Allemagne Italie Espagne France

Source : Eurostat, Crédit Agricole S.A.

IndiceBase 100 = 1996

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N°41 – Octobre 2014 13

En s’appuyant sur l’ensemble de ces éléments, notre scénario écarte le risque déflationniste en scénario central. C’est également ce qui ressort de l’analyse des « indicateurs de déflation » tels que défi-nis par le FMI (« Deflation, Determinants, Risks, Policy Options – Findings of an InterdependantTask Force » de Kumar et al.). Trois catégories d’indicateurs avan-cés ont été identifiées pour détecter la déflation résultant d’un choc négatif de demande :

Les indices des prix : IPC, déflateur du PIB et indice boursier ;

L’évolution du crédit et des agrégats monétaires (M0, M3) ;

Les mesures d’excès de capacité (ou output gap).

Sur un total de 10, la France obtient un indicateur de « vulnérabilité à la défla-tion » égal à 6. On peut donc qualifier le risque déflationniste en France de « modéré ». L’output gap ouvert est un frein puissant à la hausse des prix. Il conviendra d’être vigilant sur ce point, d’autant que la fermeture de l’output gap est prévue de manière très graduelle, compte tenu des contraintes à l’œuvre.

Indicateurs Conditions ValeurPériode

étudiée

"1" si oui,

"-" si non

Inflation totale < 0,5 % 0,44% août-14 1

Inflation sous-jacente < 0,5

%0,38% août-14 1

Déflateur du PIB < 0,5 % 0,87% août-14 -

Marché actions en baisse

de plus de 30 % sur 3 ans52%

sept-11 /

sept-14-

Croiss.crédit < croiss. du

PIB nominal

2,1%

(vs. 0,7%)

du T3

2013 au

T2 2014

-

Croissance crédit sur 3 ans

< 10 %5,30%

T2 2014 /

T2 20111

Agrégats

monétaires

Croiss. M1 - croiss. M3 > 2

points3,4 pp

T2 2014 /

T2 20131

Output gap < -2 % du PIB-1% du

PIB2013 1

Outgup gap élargi de plus

de 2 pts-1,9% 2013 -

Croissance PIB réel sur 3

ans < moy. décennie

0,9%

(vs. 1,1%)

2010/

20131

6

Source : Insee, Banque de France, FMI, Crédit Agricole SA

Lecture : un indicateur de vulnérabilité compris entre 1 et 4 suggère un

risque de déflation "faible"; entre 4 et 7, un risque "modéré" et entre 7 et

10, un risque "élevé".

Vulnérabilité

Indicateurs de risque de déflation

Crédit au

secteur

privé

Excès de

capacité

Indicateurs

de prix

-4

-3

-2

-1

0

1

2

3

4

07 08 09 10 11 12 13

a/a, % Un output gap non fermé

Croissance du PIB

Croissance du PIB potentiel

Output gap

Source : Eurostat, Crédit Agricole SA

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N°41 – Octobre 2014 14

Notre scénario 2015 en quelques mots

L’inflation devrait accélérer très graduellement, atteignant 0,7% en moyenne annuelle en 2015, contre 0,6% prévu en 2014.

Faiblesse persistante de l’inflation...

L’analyse des facteurs expliquant l’actuelle désinflation et l’évaluation du risque déflationniste témoignent de l’importance de l’environnement macroéconomique dans l’évolution des prix. Un modèle économétrique autorégressif permet d’affiner nos prévisions d’inflation sous-jacente. Ce modèle repose sur différentes variables retardées (toutes significatives au seuil de 5%) : l’inflation sous-jacente passée, le taux d’utilisation des capacités de production (TUC), le taux de chômage, le coût salarial unitaire, le taux de change et enfin, le prix du pétrole. La sélection des variables a été réalisée par une procédure backward qui donne des résultats économiquement plus pertinents que les méthodes de sélection alternatives. Notre modèle a un pouvoir explicatif élevé. Il explique 90% de la variance de l’inflation sous-jacente. Il conduit à une prévision d’inflation sous-jacente de 0,5% a/a en décembre (après 0 % en septembre), et de 0,5% en moyenne annuelle en 2015.

Ces estimations d’inflation sous-jacente sont cohérentes avec notre scénario d’une reprise tardant à se consolider, à la fois :

En zone euro, où les freins sont puissants : poursuite des ajustements bilanciels, impacts persistants de la crise, fragmentation financière et poids encore important du coût du risque dans les secteurs bancaires des pays du Sud ;

Et en France, où les contraintes restent de taille : contraintes, à la fois conjoncturelles (demande européenne affaiblie, euro fort, confiance dégradée notamment), structurelles (déficit de compétitivité, ajustement budgétaire) et issues de la crise (taux de chômage élevé, fermetures d’unités de production).

... Mais quelques facteurs haussiers

L’inflation restera donc faible en tendance. Elle sera toutefois tirée vers le haut par différents facteurs :

La dépréciation de l’euro, vis-à-vis du dollar notamment (notre scénario table sur un euro à 1,23 dollar fin 2015), renchérirait le prix des importa-tions. Notre modèle prend cet effet en compte pour l’inflation sous-jacente. L’impact sera également visible sur d’autres composantes, notamment sur les prix énergétiques avec un effet haussier sur l’inflation totale.

La transmission des hausses de taux de TVA devrait également se poursuivre.

Certains des effets temporaires ayant pesé sur les prix devraient se dissiper. On constaterait ainsi une remontée des prix alimentaires, alors que les températures anormalement douces en début d’année 2014 avaient fait chuter les prix des produits frais en début d’année.

-4

0

4

8

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16

-2

-1

0

1

2

3

4

12 13 14 15

Remontée de l'inflation, tirée par l'alimentation et l'énergie

Inflation totale Alimentation

Prod. Manuf. Services

Energie (ech. dr.)

a/a, %

Source : Insee, CA S.A.

a/a, %

Prévisions

-1

0

1

2

3

4

-1

0

1

2

3

4

91 93 95 97 99 01 03 05 07 09 11 13

Pdba/a, %

Pouvoir prédicitif du modèle d'inflation sous-jacente

Valeurs observées Valeurs prédites

Résidus Source : Eviews, CA S.A.

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N°41 – Octobre 2014 15

Désinflation et environnement de faible inflation : quel impact sur le comportement d’épargne des ménages ?

Les impacts de l’inflation sur les comportements d’épargne des ménages ont fait l’objet d’une abondante littérature économique. La question reste cependant complexe et difficile à trancher : les conclusions reposent souvent sur des hypothèses fortes (rationalité des agents économiques, élasticité-intérêt de l’épargne, degré d’aversion au risque des ménages, préférence temporelle des individus, système fiscal, démographie, etc.) et les effets décrits peuvent se révéler contradictoires.

Néanmoins, les dernières observations disponibles concernant le flux nets de placements des ménages en France et le taux d’intérêt réel associé à ces placements sont porteuses d’enseignements.

Les flux de placements des ménages ralentissent dans un environnement de désinflation

La baisse de l’inflation (ou désinflation) entamée en France début 2012 dans un environnement macro-économique morose (cf. partie 1) s’accompagne d’une bais-se des taux d’intérêt nominaux et se traduit par une baisse des montants nouveaux épargnés chaque année par les ménages (les flux nets de placements, qui comprennent les intérêts capitalisés, mais pas les effets de valorisation du stock de placements). Cette évolution s’explique principalement par trois facteurs : la baisse des revenus des ménages, la faiblesse de l’activité de crédit et l’effet de richesse.

Revenu disponible brut

(R)

Consommation(C)

InvestissementsÉpargne brute (EB)

Flux nets de crédits

Flux nets de placements

Épargne financière

Ressources Emplois

Revenu – Consommation

=

Épargne brute - Investissements

=

=Flux nets de placements –

Flux nets de crédits

Flux net de placements = revenu + flux nets de crédits – consommation – investissement

=

Taux d’épargne =EB / R

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N°41 – Octobre 2014 16

Baisse des revenus des ménages

En période de faible inflation et d’une progression modérée de l’activité, les revenus des ménages connaissent une croissance limitée. De plus, la baisse des taux d’intérêt nominaux se traduit par une réduction des intérêts perçus par les ménages. En parallèle, l’impôt sur le revenu étant assis sur le revenu de l’année précédente, il s’alourdit en période de réduction du rythme de l’inflation.

Au total, la désinflation impacte négativement la crois-sance des revenus des ménages.

À noter, la part de la consommation dans les revenus est stable dans le temps et influe donc peu sur le flux net de placements : le taux d’épargne des ménages (qui rapporte l’épargne brute au revenu, cf. schéma supra) évolue entre 14% et 17% en France depuis 1992.

Autrement dit, toutes choses égales par ailleurs, le flux net de placements des ménages se réduit avec la baisse de l’inflation.

Faiblesse de l’activité de crédit

Côté crédits, une désinflation et un contexte économique défavorable se traduisent par une baisse des besoins de financement donc par une réduction de la demande de crédit.

De plus, la période de désinflation se matérialisant en France par une légère baisse des prix immobiliers, le montant moyen des crédits octroyés diminue.

Enfin, la désinflation est dépressive pour les ménages emprunteurs : le poids de leur dette augmente avec la réduction de l’inflation ; les remboursements de crédits pèsent plus lourdement dans le revenu des ménages.

Comme indiqué dans le schéma ci-dessus, une réduction du flux net de crédits correspond à une baisse des ressources disponibles pour les ménages et donc, toutes choses égales par ailleurs, se traduit par une baisse des montants nouveaux épargnés.

Effet de richesse et « d’encaisses réelles »

Enfin, la baisse de l’inflation fait entrer en jeu deux effets communément étudiés en théorie économique : l’effet de richesse et l’effet d’encaisses réelles.

Les ménages s’enrichissent lorsque la valeur des titres qu’ils détiennent en portefeuille s’accroît. En période de désinflation et donc de baisse des taux nominaux, la valeur des obligations augmente, mais dans le même temps la valeur des actions peut avoir des évolutions différentes suivant les anticipations et les arbitrages des investisseurs. En France, sur les deux dernières années la bourse a gagné plus de 27%, ce qui a eu un effet favorable sur les actions détenues par les ménages. Un effet de richesse positif correspond à une hausse anticipée des revenus futurs qui peut se traduire par une hausse de la consommation actuelle. Cela occasionne mécaniquement une réduction parallèle des montants épargnés. L’effet de richesse joue toutefois peu dans le cas français, notamment parce que la part des valeurs mobilières dans le patrimoine des ménages est faible.

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93 95 97 99 01 03 05 07 09 11 13

% Taux d'épargne des ménages

Source : INSEE, Crédit Agricole S.A .

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Crédits aux ménages et inflation

Crédits aux ménages Inflation (dr.)

Source : INSEE, BdF, Crédit Agricole S.A.

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Lucie ROUSSIN

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N°41 – Octobre 2014 17

La baisse de l’inflation a par ailleurs un effet lié à l’évolution de la valeur réelle du patrimoine des ménages. On peut en effet supposer que ces derniers ont pour objectif le maintien de cette valeur réelle. Si la hausse des prix ralentit (désinflation), le pouvoir d’achat des actifs monétaires dont disposent les ménages augmente relativement. En conséquence, l’épargne nécessaire pour maintenir la valeur réelle du patrimoine diminue. Cet effet est toutefois difficile à mesurer isolément.

En synthèse, la désinflation, via la baisse des taux d’intérêt nominaux et son impact sur les ressources des ménages (revenus et flux nets de crédits) se traduit par une baisse du flux net de placements. D’après les données de la Banque de France, le flux net de placements des ménages (y compris intérêts capitalisés) est passé de 77 Mds€ sur l’année 2011 à 46 Mds€ en 2013. La collecte nette, hors intérêts capitalisés, ne dépasse ainsi pas 10 Mds€.

Le contexte de taux nominaux bas influe sur les arbitrages des ménages

Au sein d’un montant plus faible de placements nouveaux, la désinflation et la baisse des taux d’intérêt nominaux qui en découle jouent sur les arbitrages des ménages, en particulier à court terme.

Dans ce cas, le coût d’opportunité de la détention de la monnaie est faible et joue un rôle important. En effet, l’inflation peut être assimilée à une taxation des encaisses non rémunérées, dont la valeur s’érode avec le temps : les ménages placent alors leur épargne sur des actifs rémunérés pour compenser la taxe inflationniste. En période de désinflation, cet impôt implicite diminue jusqu’à être proche de zéro en cas d’inflation nulle.

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Flux de placements des ménages et inflation

Inflation Flux de placements des ménages (dr.)

Source : INSEE, BdF, Crédit Agricole S.A.

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% Produits de placements : taux nominaux

DAT > 2 ans DAT ≤ 2 ans PEL Assurance-vie

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Source : BdF, FFSA, Crédit Agricole S.A.

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N°41 – Octobre 2014 18

Ainsi, dans la décision de placements des ménages, plus l’inflation est faible, moins la recherche de rendement nominal va importer. Cela se traduit concrètement par une croissance des encours laissés sur les dépôts à vue (DAV).

En France, les DAV des ménages ont en effet nettement accéléré leur croissance depuis début 2013, lorsque le rythme d’inflation est descendu en dessous de 1%. Dans le même temps, la croissance des dépôts des ménages hors DAV ralentit, sous l’effet notamment de la baisse du taux du Livret A.

Passée l’illusion monétaire, les ménages retrouvent leur rationalité

À court terme, les ménages prennent principalement en compte les taux nominaux pour déterminer leur stratégie de placements. La faiblesse de l’inflation entraîne alors une diminution des flux de placements et un arbitrage en faveur des dépôts à vue, les taux nominaux étant considérés comme trop faibles.

Pourtant, en termes réels (taux d’intérêt déflaté), ce comportement n’est pas rationnel : c’est ce qu’on appelle l’illusion monétaire. En effet, les taux d’intérêt nominaux ne sont pas parfaitement indexés sur l’inflation, mais réagissent avec un décalage. Autrement dit, quand le processus de désinflation s’engage, les taux d’intérêt réels augmentent. C’est ce qu’on observe en France depuis début 2012.

L’illusion monétaire est toutefois très transitoire. Les ménages se replacent ensuite dans ce nouvel environnement de taux nominaux faibles et vont alors davantage prendre en compte les taux réels pour leurs choix de placements. Ils retrouvent en effet les critères « traditionnels » qui conduisent à leurs arbitrages dont notamment :

Le rendement attendu du placement (par rapport au rendement offert par d’autres placements),

Le degré de risque attaché à ce rendement,

Le degré de liquidité du placement.

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% Produits de placements : taux réels

DAT > 2 ans DAT ≤ 2 ans PEL Assurance-vie

DAV Livret A Livrets ordinaires

Source : BdF, FFSA, Crédit Agricole S.A .

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Dépôts des ménages et inflation

DAV ménages

Dépôts des ménages hors DAV

Inflation (dr.)

Source : BdF, INSEE, Crédit Agricole S.A .

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N°41 – Octobre 2014 19

Dans ce cadre, les écarts de rémunérations entre les différents produits sont déterminants. S’agissant des dépôts bancaires, le taux du Livret A est la référence autour de laquelle s’ajustent les taux des produits.

Ainsi, la réduction de l’écart de rémunération réelle entre les DAV et le Livret A explique en partie la croissance toujours rapide des DAV. En effet, la rémunération nominale des DAV étant rigide à la baisse, car voisine de zéro, une inflation de plus en plus faible et aujourd’hui quasi nulle est très favorable, car elle réduit mécani-quement le désavantage relatif du DAV en termes de rendement réel.

Bien que le rendement constitue le critère le plus « lisible » des choix de placements des ménages, d’autres facteurs s’y ajoutent comme notamment l’aversion au risque des agents économiques et la fiscalité de l’épargne. La bonne tenue de l’assurance-vie et du PEL peut se lire à la lumière de leur avantage relatif sur ces trois critères combinés : rendement, risque et fiscalité.

Pour rappel, la loi de Finances 2013 a considérablement modifié la fiscalité de l’épargne des ménages en France en prévoyant un alignement avec l’imposition sur les revenus du travail. La loi de Finances a ainsi fortement alourdi la fiscalité des comptes à termes, comptes titres et livrets soumis à l’impôt. Au contraire, les avantages relatifs en termes de fiscalité pour les livrets réglementés, l’assurance-vie, le PEA et le PEL s’en trouvent renforcés. C’est cet alourdissement de la fiscalité qui explique pour une grande part la décollecte enregistrée depuis fin 2012 sur les livrets soumis à l’impôt, les comptes à terme et les comptes titres (les derniers souffrant de surcroît d’une aversion au risque persistante de la part des ménages).

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Flux de placements des ménages

DAV Livrets CAT PEL OPC AV Titres Total

Source : BdF, Crédit Agricole S.A.

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Source : BdF, INSEE, Crédit Agricole S.A.

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Produits de placements : écart de rémunération avec le Livret A

DAT > 2 ans - LA PEL - LA

Assurance-vie - LA Source : BdF, CA S.A.

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N°41 – Octobre 2014 20

En résumé, si la désinflation a un effet négatif sur le flux net de placements des ménages, son impact à long terme en termes d’arbitrage entre les différents produits est neutre. À court terme, la faiblesse des taux nominaux prévaut dans les comportements d’épargne des ménages. Ces derniers évoluent et s’adaptent pourtant rapidement au nouvel environnement. À ce stade, les critères de choix « traditionnels » priment alors à nouveau.

Les arbitrages en matière de placements ne pourront être bouleversés de manière durable qu’en cas d’anticipation, par les ménages, d’une déflation (à caractère alors auto-entretenu). Ce scénario n’est pas le nôtre, les facteurs de résistance des prix étant nombreux pour la France (cf. partie 2).

Achevé de rédiger le 17 octobre 2014

Crédit Agricole S.A. — Études Économiques Groupe 12 place des États-Unis – 92127 Montrouge Cedex

Directeur de la Publication : Isabelle JOB-BAZILLE

Rédacteurs en chef : Jean-Louis MARTIN, Armelle SARDA Comité de Rédaction : Axelle LACAN, Lucie ROUSSIN, Laetitia FRANÇOIS

Documentation : Dominique Petit – Statistiques : Robin Mourier

Réalisation & secrétariat de rédaction : Fabienne PESTY Contact : [email protected] Copyright Crédit Agricole S.A. — ISSN : 1768 - 9538

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%Fiscalité des produits de placements (yc prélèvements sociaux)

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Source : Crédit Agricole S.A. *hors PEA