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INECAT Formation « médiation artistique » Stagiaire : Schumacher Amélie Année 2014/2016
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Fiche de lecture « Le masque du rite
au théâtre »
Nom de l’auteur :
Etudes de O. Aslan, D. Bablet, Cheng Shui Cheng, G.
Dieterlen, B. Eruli, D. Fabre, G. Fabre, J. Fassola, F.
Frontisi-Ducroux, J. Huynen, P. Ivernel, E. –T. Kirby,
E. Konigson, J. –T. Maertens, G. Martzel, M. Nedelco-
Patureau, B. de Panafieu, B. Picon-Vallin, M. Salvini,
F. Taviani, Tran Van Khe, J.-P. Vernant.
Textes et témoignages de J.-L. Barrault, B. Besson, P. Brook, P. Hottier, T. Kantor, O. Krejca, J.
Lecoq, W. Mehring, A. Mnouchkine, D. Sandre, E. Stiefel, G. Strehler, W. Strub, M. Ulusoy.
Réunis et présentés par Odette Aslan et Denis Bablet.
Titre de l’ouvrage :
« Le masque du rite au théâtre »
Editeur :
Editions du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), Paris, 1985
15, quai Anatole- France _ 75700 Paris
Avant-propos :
Ce volume regroupe les communications présentées lors d’une table ronde internationale du CNRS :
« Le masque dans les rituels et au théâtre » du 2, 3, 4 décembre 1981 et du 28, 29, 30 avril 1982. Il
s’inscrit dans un groupe de recherches théâtrales et musicologiques du CNRS, articulés en six axes :
« Histoire du théâtre, des spectacles et des fêtes », « Théâtre du vingtième siècle », « Le Théâtre
phénomène social », « Atelier Pratiques théâtrales d’aujourd’hui », « Musicologie », et « Théâtre et
audiovisuel ».
Ce travail de recherche repose sur deux réflexions : « premièrement que le théâtre est un art, ce qui
signifie qu’il faut l’analyser dans ses processus de création comme dans ses œuvres, dans ses
matériaux et ses techniques comme dans ce qui les dépasse, chez celui qui crée comme chez celui qui
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reçoit ou participe. Deuxièmement, que comme tout art, il est un phénomène de civilisation, de
culture, de société et, comme tel, au carrefour d’influences avouées ou souterraines, de pressions et de
pulsions qui ne l’empêchent pas de manifester son autonomie même lorsqu’il ne paraît être qu’un
simple reflet, ce qu’il n’est jamais ».
Le masque est une zone frontière, un No Man’s Land
apparent entre le rite et le théâtre, entre la vie et la mort.
Le masque nous plonge dans l’en deçà et l’au-delà du
théâtre. « Pourquoi le masque d’aujourd’hui » ? Edward
Gordon Craig, metteur en scène, scénographe,
théoricien qui en 1900 a le premier de nouveau recours
au masque pour des créations modernes sans souci de se
référer à quelque pratique antique ou ancienne nous dit :
« De nos jours, l’acteur s’applique à personnifier un
caractère et à l’interpréter, demain il essaiera de le
représenter et de l’interpréter ; un jour prochain il en
créera un lui-même. Ainsi renaîtra le style. (1907) Je souhaite éloigner l’acteur et sa personnalité, mais
garder le chœur des personnages masqués ». Il se trouve qu’à la même époque naît un chœur de
personnages masqués et silencieux, celui des « demoiselles d’Avignon » de Picasso et marque les
débuts du cubisme.
Il s’agit ici d’une recherche collective où le masque prend vie par la chair et le sang des porteurs, mus
par la musique et la danse dont ils procédaient, décorés par les membres d’une société initiée allant de
la tragédie grecque, à la commedia dell’arte en passant en Orient par les représentations traditionnelles
masquées ou à peintures faciales (Kathakali, nô, opéra pékinois). Enfin, le masque n’est pas un
phénomène spécifique au théâtre, elle remonte aux cérémonies rituelles, au culte des ancêtres ou des
morts, aux rites d’initiation ou de fertilité, aux fêtes de carnaval. On peut donc se questionner sur
comme « le théâtre occidental tire-t-il parti de cet objet qui n’honore plus les dieux ? Qu’entend-on
par masque au théâtre ? Constitue-t-il lui-même un outil pédagogique, thérapeutique ou n’est-il
qu’agent d’un éphémère métamorphose ? Quelles sont les sensations du port du masque ? ».
Pourquoi cette lecture :
Plusieurs événements m’ont donné envie de lire ce livre assez volumineux de prime abord et surtout
de faire partager ma lecture au groupe en formation à l’INECAT. La première chose fut l’exposé
passionné et passionnant durant le module de lecture d’Odile Malbert stagiaire de l’INECAT, sur
la « théorie du mouvement de Doris Humphrey ». Odile a su capter mon attention, et jouer
avec mes émotions en transmettant sa joie, son expérimentation par le mouvement en
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s’essayant à la théorie de Doris Humphrey. A travers sa lecture, Odile Malbert m’a donné
l’envie de transmettre aux autres une de mes lectures sur l’anthropologie du masque.
Deuxièmement, le cours d’anthropologie organisé sur trois jours à l’INECAT est plus
particulièrement sur le sujet « façonnage et marquage du corps », dont le masque est une
étude de recherche à part entière et sur lequel je suis resté sur ma faim car nous n’avons pas
eu le temps d’aborder le thème du masque. Le cours de Véronique Duchesne m’a encouragé
dans mon choix de lecture. Enfin, le questionnement qui en découle « Constitue-t-il lui-même
un outil pédagogique, thérapeutique ou n’est-il qu’agent d’une éphémère métamorphose ?
Quelles sont les sensations du port du masque ? ». Ce sujet me renvoie à une période fragile
de ma vie, en particulier à l’image du corps et de ce que l’on donne à voir ou non avec le
masque.
La structure du livre :
Le livre se divise en trois grandes parties : du rite au carnaval, le théâtre (traditionnels, passé,
retour du masque au XXe siècle) et la pédagogie théâtrale/quête de soi. Ces trois parties nous
renvoient donc au titre du livre « du rite au théâtre », en prenant en compte le temps et la
culture d’une société dans lequel le masque s’inscrit. Pour ma part, au vu des 289 pages que
constituent cet ouvrage et des différents auteurs, intervenants j’ai effectué des regroupements
de textes en fonction des termes abordés. J’ai aussi fait des choix dans la présentation de
certain rituel et certaine civilisation basé sur mes intérêts personnels et du temps qui n’est
accordé (3 heures) en groupe lecture.
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« Tout esprit profond a besoin d’un masque » Nietzsche
Partie I : Du rite au carnaval
1. Divinités au masque dans la Grèce ancienne (Françoise Frontisi-
Ducroux et Jean-Pierre Vernant pp. 20-26)
A Athènes surtout, le théâtre s’inscrit dans la pratique religieuse, où les concours dramatique
se passent au théâtre de Dionysos, à l’occasion des fêtes du dieu, constituant des cérémonies
sacrées, part importante de la célébration du culte. En opposition au masque du héros tragique
où le temps d’une représentation on fait revivre Agamemnon ou Œdipe. Le masque ici sert à
exprimer symboliquement des aspects autres du surnaturel. On distingue trois entités,
divinités de l’au-delà : Gorgô, Artémis et Dionysos.
Gorgô
Le modèle plastique de la gorgone se présente sous une double forme : un personnage féminin
à face de monstre, Méduse, qui seule des trois gorgones est mortelle. Gorgô est un masque
aux multiples usages : aux frontons des temples, elle semble jouer un rôle apotropaïque
(dictionnaire de français Larousse : Se dit d'un objet, d'une formule servant à détourner vers
quelqu'un d'autre les influences maléfiques.)Suspendue dans l’atelier des artisans, elle veille
sur les fours des potiers et écarte des forges les démons malfaisants ou bien on la trouve
encore dans les demeures privées, les coupes et les amphores.
La gorgone marque la frontière entre la vie et la mort, « Y pénétrer c’est, sous son regard, se
transformer soi-même, à l’image de Gorgô, en ce que sont les mort, des têtes vides et sans
force, des têtes vêtues de nuit ». Sur la face de Gorgô le bestial vient se mêler à l’humain.
Mélange d’humanité et d’animalité, fusion des genres en lui dotant d’un sexe masculin alors
que cette créature est femelle. Parfois, même si Gorgô représente l’étrangeté d’un visage
bouleversé, on utilise le monstrueux en le transformant en grotesque. Tout comme le croque-
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mitaine épouvantail, elle devient objet d’exorcisation d’angoisse, la menace devient
protection.
Artémis
Artémis n’est pas figuré sous la forme d’un masque mais c’est la vierge chasseresse, belle et
sportive, en tunique courte, l’arc à la main, souvent entourée de chiens ou d’animaux. Dès lors
que cette déesse est la « maîtresse des animaux », son masque plastique prend les traits de la
nature, des animaux et est associé aux rituels initiatiques des jeunes à la bonne intégration de
la sexualité dans la culture.
« De même, dans bien des sociétés, l’ordre, pour être réaffermi, a besoin d’être
périodiquement contesté, bouleversé pendant quelques jours de carnaval où règne l’inversion :
femmes vêtues en hommes, hommes costumés en femmes ou en animaux, esclaves prenant la
place des maîtres, roi chassant symboliquement le chef de la cité. Pendant ces journées,
l’obscénité, la bestialité, le grotesque, le terrifiant et le bouffon, négation de toutes les valeurs
établies, déferlent sur le monde de la culture. Sous la protection d’Artémis, les enfants grecs
font l’apprentissage de l’identité sociale, fillettes mimant le lent trajet qui mène de la foncière
sauvagerie de leur sexe à la civilité de la bonne épouse, garçons s’initiant à repérer tous les
excès afin de reconnaître et de rejoindre, sans risque de retour ni rechute, la norme de la
citoyenneté ».
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Dionysos
Accessoires vide, le masque est barbu avec une couronne de lierre. La robe permet au fidèle
de revêtir, d’endosser, de se laisser posséder par le dieu en soi. « Devenir autre en basculant
dans le regard du dieu, ou par emprise physique, contagion mimétique avec lui, tel est le but
du dyonysisme qui met l’homme en contact immédiat avec l’altérité du divin ».
C’est un phénomène tout autre lorsqu’au v e siècle les Grecs inventent un espace irréel, une
fiction où le spectateur peut voir Agamemnon, Œdipe, Héraclès, tout en sachant que leurs
héros n’est pas présent et font partie des mythes et légendes. L’acteur en revêtant le masque
provoque l’irruption, au centre de la vie publique, d’une dimension d’existence étrangère à
l’univers quotidien.
« L’invention du théâtre, du genre littéraire qui rend réel le fictif, ne pouvait intervenir que
dans le cadre du culte de Dionysos, dieu des illusions, de la confusion et du brouillage
incessant entre réalité et les apparences ».
En conclusion dans la Grèce ancienne, Le masque de culte ou masque de mascarades
débridées a le pouvoir fascinant du regard. Il sert à traduire des émotions contraires telles que
terreur et grotesque, sauvagerie et culture, réalité et illusion. Son emploi s’accompagne et se
double du rire, qui atténue les angoisses avec un rire libérateur de l’effroi de la mort, des
angoisses du deuil, du carcan des interdits et des bienséances, mais rire aussi qui affranchit
l’humanité de ses contraintes sociales.
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2. Masques : sociétés traditionnelles d’Afrique occidentale (Germaine
Dieterlen pp.27-32)
Masque casque Bambara
Masque du Komo 1664
Origine : Mali
Matière : bois / plumes / matières sacrificielles...
Longueur : 75 cm (environ)
Largeur : 23 cm (environ)
Hauteur : 38 cm (environ)
Le masque d’Afrique occidentale dans les sociétés traditionnelles est lié à des rites agraires,
funéraires ou initiatiques. En dehors des cérémonies, les masques sont protégés des non-
initiés dans un hôtel. « Les masques sont exhibés et ont presque toujours pour but de rappeler
les événements mythiques qui se sont produits à l’origine et qui ont abouti à l’organisation de
l’univers dans sa forme actuelle ».
C’est pourquoi, lorsqu’on tente de décrire le masque dans sa cosmogonie (dictionnaire de
français Larousse ; nom féminin, grec kosmogonia : Science de la formation des objets
célestes (planètes, étoiles, galaxies, etc.). Partie des mythologies qui racontent la naissance du
monde et des hommes) nous ne pouvons pas le réduire qu’à une seule partie de celui-ci. Il est
essentiel de l’observer dans sa globalité : masque, costume et danse.
Il faut entendre quand un initié parle de la « tête du Komo » :
- La tête emprunte ses éléments morphologiques au crâne enflé de la vieille hyène
associé à la connaissance profonde,
- La bouche (gueule) de crocodile qui arrima le premier dans la mare l’arche de la
création, aux cornes de l’antilope qui symbolisent par leurs extrémités pointues l’éclair
initial de la création,
- La tunique faite de bandes de coton auxquelles on fixe des plumes de vautour,
chargées de 266 signes de la création
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- Les pattes d’éléphants, fixées à la cheville du danseur symbolisant les « piliers de
l’univers »,
- Le sifflet en cuivre ou fer évoquent par son cri strident le sifflement initial de la
création,
- Le stylet de thaumaturgie est l’instrument des exécutions rituelles.
Le terme « tête de Komo » dite « Komo kû » désigne le porteur mais aussi ces objets et la
danse qu’il effectue. Voici pourquoi, le masque du Komo symbolise « la charge de l’univers »
ou « la connaissance profonde de l’univers ».
A l’origine du « Komo » :
A l’origine de cette connaissance, dont le masque est le support, fut donné à Faro, qui est
considérés chez les Bambara et les Malinké comme l’auxiliaire de la création et le moniteur
de l’univers. L'ethnie Bambara et Malinké est la plus important du Mali, d’Afrique
occidentale subsaharienne. Les masques Bambara représentent les diverses manifestations de
Faro, le dieu créateur et le guide de l'univers, qui a donné toutes les qualités aux hommes et
qui fait pousser les fruits de la terre. Le masque participe directement aux cérémonies, et son
pouvoir est toujours en vie. On lui fait des offrandes et des sacrifices, et même on l'enterre
selon un certain rite, quand sa fonction d'intermédiaire a fini, et elle perd son caractère sacré.
Cette connaissance, comme toute chose existante à deux natures : visible, palpable et secrète,
cachée. Faro enseigna ses deux aspects à deux élus : le vautour et l’hyène. « C’est sous le
patronage de ces deux animaux que sont placés les sociétés des masques qui les représentent
chez les Bambara, les Malinké et les Minyanka. Ces sociétés sont de ce fait considérées
comme dépositaires des « vrais valeurs », « des vrais signes » et de la totalité du savoir ».
Cérémonie d’initiation du « Komo » :
Au cours des cérémonies d’initiation du « Komo », les jeunes sont rassemblés et emmené en
présence du masque dans le bois sacré où ils subissent des épreuves afin de mesurer leur
maturité physique et morale. On leur dispense un enseignement verbal de plus en plus
explicite, associées aux différentes parties du masque sur plusieurs années qui leur révèle la
connaissance de l’univers. C’est au cours des danses masqués que le sens des grandes
initiations est rappelé : l’adolescent passe ainsi de sa condition ancienne vers une naissance de
sa condition d’adulte.
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Comme dans la plupart des régions d’Afrique, le masque est le point d’articulation entre la vie
et la mort. C’est pour cette raison que les femmes sont exclues de tout ce qui touche aux
activités où interviennent les masques. Celui-ci étant associé à la mort, il porte atteinte à la
fécondité. Au commencement, ce sont les femmes qui ont créés les masques, que l’homme a
pris par la suite. G. Dieterlen souligne que : « D’après les récits mythiques, les femmes ont
ramassé les fibres rouges et l’une d’elles s’en est masquée pour effrayer les hommes. Ensuite
ceux-ci s’en sont emparés ». De plus les Hogon, chef religieux de la tribu et prêtres
totémiques dont leur caractère essentiellement « vivant » les exclus aussi des rites de levée de
deuil.
Deux cérémonies annuelles publiques :
« il existe chez les Bambara, les Bozo, les Soninké ou Marka, deux cérémonies annuelles
publiques au cours desquelles sortent de très nombreux masques : l’une d’elles est diurne au
moment de la pêche collective qui réunit les riverains relevant du même bief(le dictionnaire
français Larousse : Secteur d'un cours d'eau compris entre deux chutes ou deux rapides
successifs.) ; l’autre, nocturne, a lieu lors de la récolte du fonio (Dictionnaire de français
Larousse : Céréale à cycle végétatif court, cultivée dans le Sahel, qui donne un grain très
menu, utilisé pour la préparation des couscous ou des bouillies) ». La morphologie de chaque
masque est différente ainsi que la danse et le chant qui l’accompagne. « Sa place dans le
défilé connotent la personnalité ou l’événement mythique qu’il évoque ».
Le silence du masque
Il est important de connaître la signification du silence ou des cris associé au masque. Pour G.
Dieterlen : « Le silence des masques est lié à la figuration de la mort. La mort est arrivée à
cause de la révélation de la parole « orale ». Tout langage évoque la mort de la parole. Donc,
si le masque ne parle plus, c’est qu’il est devenu vivant. Les masques qui défilent émettent
deux cris : une onomatopée, le cri du renard poursuivi tel que oua/oua, oua/oua, et le cri de
l’ancêtre ressuscité a-a-a-a-a, mais ce n’est pas de la parole, ce n’est pas du discours ».
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Masque Bozo Masque Bambara
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3. Carnaval de Binche : Les morts et les vivants à l’équinoxe de
printemps. (Jacques Huynen pp. 51-54)
Le Carnaval de Binche en Belgique demeure un patrimoine vivant exceptionnel, humain et
social. Il a d’ailleurs été reconnu Patrimoine Oral et Immatériel de l’Humanité par l’UNESCO
en 2003.Cette manifestation folklorique complexe, issue d’une longue tradition orale,
constitue un véritable rite. Pour les Binchois et selon l’expression consacrée, « Il n’y a qu’un
Binche au monde ».
Quand et qui peut être Binchois ?
Durant le Mardi-gras, la date de Mardi gras est mobile par rapport au calendrier grégorien
(calendrier usuel qui suit le mouvement du Soleil et les saisons).
Elle est associée à la date de Pâques, située le premier dimanche qui suit la pleine lune après
le 21 mars, toujours comprise entre le 22 mars et le 25 avril. Ainsi, le Mardi Gras est toujours
fixé entre le 3 février et le 9 mars ; soit juste avant la période de Carême, c'est-à-dire 41 jours
+ 6 dimanches, soit finalement 47 jours avant Pâques. En ce jour festif, 1000 Gilles costumés
avec un masque silencieux défilent au rythme lancinant du tambour dans la ville de Binche.
Or pour être Gilles, il faut être un homme, né à Binche, de parents binchois, et assez valide
pour parcourir en une journée, en dansant, une trentaine de kilomètres. Toutes les catégories
sociales et politiques sont confondues dans les sociétés de Gilles.
Binche
Belgique
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Le rôle des femmes
La tradition se perpétue grâce à la femme du gille. Ce sont elles qui éduquent les enfants,
garçons et filles, dans l’esprit des traditions binchoises. Elles transmettent le rythme de la
danse, les comportements admis et interdits, le cérémoniel de l’habillage du gille et surtout
l’amour des traditions et du rituel carnavalesque. Devenir gille ou femme de gille relève de
l’éducation
Il s’agit ici d’un rituel, d’une danse agricole qui
trouve ses origines au moment de l’équinoxe de
printemps. Les traditions carnavalesques binchoises
sont plus anciennes et remontent au XIVème siècle.
Durant les jours gras qui précédaient le carême,
période d’abstinence totale, l’Eglise catholique
permettait, sous réserve, une débauche quasiment
totale. Cette fête traditionnelle est venue jusque chez nous et a subi une évolution.
En 1395, on mentionne déjà un Carnaval de Binche que l’on nommait Quaresmiaux ou
Caresmiaux et on évoquait déjà le CrasDimence. Symboliquement, les sociétés
carnavalesques dansent dans les rues de la ville pour chasser le bonhomme hiver. On rit, on
chante et on danse en martelant le sol des pieds pour réveiller la terre endormie en songeant
déjà aux beaux jours qui tendent les bras.
« L’équinoxe est le moment où il y a un équilibre entre l’hiver et le renouveau, entre le noir et
la lumière, le froid et la chaleur et, au-delà, entre la mort et la vie, cosmologiquement, entre la
part féminine et la part masculine de l’Univers ? ». Dans le carnaval, seul moment en Europe
où nous nous masquons, le port de celui-ci traduit un équilibre et une confusion momentanée.
Confusion car symboliquement les vivants s’identifie au royaume des morts (masque neutre)
et les morts peuvent se régénérer au royaume des vivants. Par ce rituel, nous prenons
conscience de notre immortalité.
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Le personnage du Gilles
Devenu plus luxueux depuis le XIX e siècle le costume du Gilles n’a rien perdu de son aspect
symbolique :
- Il chausse les sabots pour fouler et marteler le sol,
- Met l’apertintaille de grelots, élément viril qui le fait ressembler au danseur de
chevaux de Corrèze,
- Le costume jaune, rouge et noir représente le Lion symbole de la masculinité créatrice,
- La coiffe de plumes d’autruche (autrefois le Gilles ne portait qu’une ou deux plumes)
l’associe à l’homme-oiseau.
Le masque est réalisé en cire, donc très chaud. Les plumes d’autruche n’apparaissent que
durant le deuxième et troisième voyage. Le port du masque, du costume, de la coiffe, de
maintenir le rythme représente un effort surhumain car on est Gilles adulte jusqu’à ce
qu’on soit impotent. Les lunettes vertes sont là pour accentuer le regard.
Le voyage du Gilles
Le mardi-gras, le Gilles accomplit trois voyages : une sortie du chaos pour tendre
progressivement vers une reconstruction commune organisée.
- Le premier voyage se déroule le matin vers 3 h00 lorsqu’il fait encore noir. Le
tambour, voix du masque et sans lequel il ne peut se déplacer, vient chez lui. Les
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Gilles se regroupent à l’extérieur de la ville. Théoriquement seules les femmes restent
à l’intérieur du centre sacré. Au petit matin, le Gilles revient, le visage couvert du
masque avec à la main un Ramon (petit fagot de noisetier et de saule), emblème
phallique. L’homme revient au centre du féminin réconcilier les deux principes. Avec
cet aspect fécondant, on sort du chaos, de l’orgie, c’est le moment où la récréation
devient re-création.
- Le deuxième voyage : le Gilles ressort de l’enceinte de la
ville, puis revient avec une orange. Autrefois, il offrait le pain mais
depuis la fin du XIX e siècle l’orange produit du luxe est apparu.
L’orange (petit soleil) ne diminue en rien le coté symbolique de
l’offrande. Elle est porteuse de fécondité et de lumière. « Dans le
deuxième voyage, c’est la part de lumière qui vient se réconcilier
avec le monde de la nuit pour retrouver un nouvel équilibre sur
lequel on pourra fonder une nouvelle année ».
- Le troisième voyage : a lieu le soir. Après une nouvelle
sortie, le Gilles effectue un nouveau tour de la ville pour se
retrouver sur la Grand-Place où il entame le rondeau final
tandis que s’allume des feux de Bengale et des feux d’artifice.
Ainsi le Gilles est porteur de feu, qui envahit la communauté.
Peu à peu le Gilles redevient homme normal, mortel.
« Ainsi le carnaval de Binche accomplit-il le scénario de toutes les notions mythologiques et
cosmologiques qui sont liées aux rituels les plus anciens de civilisations nées de l’agriculture
sédentaire ». Par l’initiation ou le rituel l’homme le temps d’un moment touche à
l’immortalité. Selon J. Huynen : « lorsqu’on fige un rituel, on le détruit. Il faut que les choses
restent authentiques. Je crois que la meilleure manière de détruire le carnaval de Binche est de
le codifier ».
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Partie II : théâtre traditionnels, théâtre du passé et retour
du masque au XX ème siècle.
1. Théâtre traditionnel du japon
Fêtes rituelles et de danses masquées de l’ancien Japon (Gérard Martzel
pp.71-81)
Le théâtre Nô est le plus ancien du théâtre japonais et trouve son origine dans la célébration
de fêtes religieuses dans les campagnes afin d’égayer les divinités, et ce faisant, s’assurer de
leur bienveillance pour les récoltes. Ces danses avec costumes et masque caractérisent des
spectacles sacrés ou profanes et sont connues sous le nom de Kabuki. Au fil du temps le
masque sera abandonné au profit du maquillage. Le masque qu’il soit objet sacré ou d’art sera
un accessoire obligatoire aux spectacles rituels, aux divertissements profanes, ou aux
représentations théâtrales jusqu’au 17 e siècle.
C’est à l’époque Muromachi, sous l’autorité des Shoguns Ashikaga que deux acteurs, père et
fils, établirent les règles de ce qui allait devenir le Nô. Kanami et Zeami gardèrent les grandes
lignes du Sangaku, mais en changèrent totalement la forme. Inspirés par la religion Zen, ils
écrivirent de nouveaux textes et imposèrent des règles strictes pour les kimonos, les masques,
la musique, la scène. Le Kabuki deviendra un art raffiné et esthétisé destiné à l’élite militaire,
politique et aristocratique japonaise.
La scène du théâtre Nô
La scène n’est apparue que plusieurs siècles après la mort de Zeami. Le spectacle était joué en
plein air séparé du public par une simple estrade
surélevée. A partir du XVII ème siècle, on prit
l’habitude d’assister aux représentations dans un
bâtiment en bois dont la scène devait refléter l’esprit
de cette forme théâtrale si raffinée.
La scène du théâtre Nô (Butai) s’étend sur 6 mètres
de côté, et est surplombée d’un toit traditionnel
Shintô, soutenu par 5 piliers de bois. Les pas des
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danseurs vont être frappés symboliquement dans les trois mondes : le pilier avant gauche de la
scène représente le ciel, le pilier avant droit la terre et la société humaine se positionne au
centre du bord antérieur du plateau.
Un couloir ouvert de bois laqué (Hashi-Gakari) relie la scène aux coulisses (Kagami No Ma).
Un rideau tendu sur une partie de ce couloir permet l’apparition feutrée des acteurs sur scène.
La décoration du fond est souvent une représentation d’un pin japonais. Au fond de la scène
se place aussi quatre musiciens (une flûte, deux tambours moyens et un grand tambour). Le
chœur des récitants se positionne à droite de la scène. Enfin, le franchissement d’un espace
rempli de pierre crée une barrière symbolique entre le monde imaginaire des acteurs et celui
réel des spectateurs.
Le masque
Les masques présentent un caractère
réalisteet son sculptés dans le bois.
Hommes et femmes d’âges diverses
prennent vie sous les traits peints et enduit
de poudre de coquillage fixé par une couche
de laque transparente d’un grand maître
sculpteur, Les yeux sont d'étroites ouvertures, rendant difficile la vision de l'acteur.« La
personnalité est tout entière enfermée dans le visage de bois avec une vie quasi indépendante
de l’acteur ». Le danseur, le temps d’une cérémonie sacrée peut incarner des dieux et des
démons en ressentant la puissance divine, le pouvoir magique.
La prise du masque fait aussi l’objet d’une cérémonie sacrée : « habillé dans les coulisses, il
passe en dernier lieu dans une sorte d’antichambre appelée Kagami No Ma (la chambre du
miroir); un grand miroir y est installé. Le masque est remis à l’acteur une fois la perruque
fixée ; il saisit l’objet à deux mains et le contemple longuement ; quand l’habilleur a noué les
cordons sur la nuque, l’acteur se campe devant le miroir et contemple plus ou moins
longtemps son personnage, jusqu’à ce qu’il sente monter en lui la force intérieure qui le
poussera à réclamer la levée du rideau et à s’avancer sur la passerelle (barrière symbolique de
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pierre) ». Dans le théâtre Nô, création du XIV ème siècle, tous les personnages ne sont pas
masqués : Le Waki qui représente un jeune homme de notre monde joue toujours à visage
découvert. En revanche le Shité, personnage principal et les personnages féminins jouent
masqués (par souci de réalisme pour les personnages féminins car les rôles étaient joués par
des hommes).
Le masque a gardé une essence magique mais a subi une mutation passant d’un plan religieux
à un plan esthétique. Toutefois le Shikisamba a su garder ses origines religieuses est ouvre
une journée de Nô. Son but est d’attirer la faveur divine sur la représentation. Le shikisamba
est une suite de trois danses liturgiques à trois personnages, comportant un dialogue des
danseurs avec le chœur :
- L’Okina blanc« le vieil homme », dès le XIII ème siècle
n’est plus représenté que sous un masque blanc, vieillard au
visage épanoui par un large sourire avec une mâchoire inférieure
indépendante et possédant une barbiche et sourcils en crin.
- l’Okina noir (le kyôgensambasô), masque noir y jouent
un rôle capital. Ces deux masques sacrés sont exposés la veille
d’une représentation sur un autel où les acteurs viennent faire des
offrandes de saké et de riz. On les range ensuite, peu avant la
représentation dans une grosse boite de laque.
- Le Chitosé est non masqué et a un rôle de jeune homme. Il
est généralement un compagnon pour l’Okina.
Déroulement d’une transformation en divinité dans le Nô
- Première partie : le Shité (masqué) se
présente sous l’aspect emprunté d’un homme
de ce monde, paysan ou bûcheron. Rencontre
avec le Waki, souvent un moine en
pèlerinage.
- Deuxième partie : Le shité apparaît sous son
véritable jour : divinité, spectre guerrier,
démon.
Tout comme le déroulement de transformation en Nô, le shikisamba suggère de par son rituel
se changement : « chaque danseur se présente d’abord sans masque, comme sambasô, il peut
danser et semble représenter l’exorciste qui rentrait ensuite dans sa cabane où s’opérait sa
transformation en divinité par l’entremise du masque ; il devait s’y livrer à des exercices de
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mise en transe dont la contemplation de l’acteur devant le miroir garde le souvenir et une fois
masqué, revenait exécuter devant le peuple la danse extatique du dieu dont le pouvoir
magique se répandait sur l’assistance ».
Conclusion :
Enfin, retenons que le théâtre Nôgaku a connu son âge d’or aux XIV et XV ème siècle,
époque à laquelle le Sangaku est passé de la Chine au japon. Le théâtre Nôgaku inclut deux
types de théâtre : le Nô et le Kyôgen, représentés dans le même espace. Dans le théâtre Nô,
les émotions sont exprimées par des gestes stylisés conventionnels où y sont répartis deux
grandes catégories d’acteurs : l’acteur principal (shite – fait progresser l’intrigue par ses
danses), puis pour dialoguer avec le shite, le rôle du Waki- permet aux spectateurs de
comprendre à la fois le lieu et le rôle de chaque personnage. Les autres personnages sont
moins importants dans la représentation.
Il existe quatre familles de masque :
- hommes âgés (Jô),
- femmes (Onna),
- hommes (Otoko)
- démons (Oni).
Chacune de ces catégories comprend elle-même 4 ou 5 variantes différents permettant de
représenter la quasi-totalité du répertoire du Nô. Il est à noter que traditionnellement, seul le
personnage principal de la représentation (Shite) porte un masque. Le héros dans le théâtre
Nô est souvent un être surnaturel qui prend la forme d’un être humain (vieillard, enfant,
femme, fantôme) pour raconter une histoire.
Contrairement au théâtre Nô, le Kyôgen, fait moins usage de masques. Il est issu des pièces
comiques du Sangaku. Les textes décrivent la façon de vivre du petit peuple de l’époque.
Quel que soit le personnage interprété, les acteurs du théâtre Nô sont tous des hommes. Les
masques ont toujours joué un rôle prédominant dans la culture Japonaise. En 1957, le
gouvernement japonais a déclaré le théâtre Nôgaku « bien culturel immatériel important »,
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garantissant ainsi une protection juridique à cette tradition et à ses praticiens les plus
accomplis.
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2. Théâtre du passé d’Italie
« Commedia Dell’arte, le jeu de masque », Michèle Clavilier et Danielle
Duchefdelaville, édition PUG, juin 2013.
Histoire
La commedia dell’arte remonte au III ème siècle avant JC où elle était généralement jouée à
la suite des combats de gladiateurs à Rome. Les quatre personnages qui composaient le jeu
burlesque étaient masqués. De par la décadence de l’empire romain, le jeu masqué va s’avilir
pour renaître le 5 février 1545 à Padoue, en Italie, où huit hommes vont signer un contrat afin
de n’être plus des dilettanti (comédiens amateurs) mais de vrais acteurs professionnels
formant une troupe avec un canevas de jeu et une part importante d’improvisation.
L’acteur se place au centre de son art pour divertir mais aussi gagner de l’argent. Cette liberté
de jeu qui s’appuie sur des acquis et sur l’actualité quotidienne va leur permettre de nourrir
des intrigues, des personnages qui deviendront éternels tel que « le maître imbus de leur
autorité », « des vieillards amoureux de jeunes femmes », « la jalousie de deux rivaux »,
etc.…
Carlo Goldoni est né en 1707 à Venise, arrivera en France en 1762
pour y passer ses trente dernières années. Sa carrière de juriste sera
vite éclipsée par sa passion du théâtre. Mais il rêve d'une grande
"réforme". En effet, seule la Commedia dell'arte règne encore en
maître dans les théâtres italiens et fait figure de tradition nationale.
Or, il critique avec virulence ce théâtre, comme l'illustre sa phrase qui
suit : "il ne passait sur les scènes publiques que de dégradantes
arlequinades, de honteuses et scandaleuses galanteries, d'immondes
jeux de mots, des intrigues mal venues et, de plus, malmenées, sans mœurs, sans ordre..." (A
noter toutefois qu'il parle ici de la Commedia dell'arte française en pleine décadence à son
arrivé en 1762 au pays de Molière.)
Carlo Goldoni fidèle à la tradition, va petit à petit parvenir à supplanter les pièces à canevas
par des pièces écrites de bout en bout, à retirer les masques des acteurs et composer de
véritables "comédies de caractère". En 1750, dans la pièce "Pamela", pour la première fois, les
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acteurs jouent à visage découvert. Admirateur et ami de Molière, il est également fasciné par
la société et ses travers. Selon lui, le 18ème siècle est celui de la femme, régnant
incontestablement dans tous les domaines, que ce soit des arts, de la politique et des relations
sociales. Son Arlequin déclare d'ailleurs, dans "Femminepuntigliose" : "Le sexe triomphe et
les hommes sont réduits au rang d'esclaves enchaînés." Ses héroïnes de caractère sont
nombreuses. Elles incarnent le charme et la vivacité de la pièce, et aussi une nouvelle
conception de la vie, par les héroïnes, qui, cette fois, ne repose pas uniquement sur le mariage.
Les héroïnes de Goldoni annoncent l'émancipation et le réveil de la femme : elle a une
situation sociale, sait diriger les affaires et prend en main son avenir. Goldoni ne tue pas pour
autant la Commedia dell'arte. Il apporte un nouveau théâtre en Italie, comme Molière l'a fait
en France.
NB : "Mémoires de M. Goldoni : pour servir à l'histoire de sa vie et à celle de son théâtre.", de
Goldoni, édition Mercure de France, collection "Le temps retrouvé", dernière édition de mars
2003. ISBN 2-7152-2380-3 (9,20€, 665 pages)
Carlo Goldoni est perçu comme le Molière italien. Il viendra à la
cour de Louis XV présenter sa réforme sur le théâtre et ses
œuvres en créant d’authentique canevas comme « Pamela »,
« Arlequin serviteur de deux maîtres », « la jalousie d’Arlequin ».
Puis, peu à peu la commedia dell’arte sera délaissé par les
écrivains jusqu’au XX e siècle. Contre toute attente, la commedia
dell’arte retrouvera en France un second souffle après la première
guerre mondiale. Ainsi le rôle du public provincial n’est pas à
négliger car ils accueilleront et accepteront des troupes de théâtre
masqué à la gestuelle étrange dirigé par Charles Dullin, Jacques
Copeau, ainsi que Jacques Lecoq.
Dans les années 60, Ariane Mnouchkine avec la troupe « le théâtre du soleil » connaîtra des
débuts difficile mais dont le projet audacieux sera trouver son public. En effet, met en scène
des canevas écrits par les comédiens eux-mêmes sur des événements, les problèmes de leur
époque (1973) avec des personnages types comme Arlequin, Pantalon, polichinelle qui même
en ayant changé de noms sont reconnaissables. Arlequin par exemple, se trouve un héritier
moderne en la personne d’Abdallah, ouvrier algérien émigré qui porte comme ses
compagnons un masque.
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Il est évident que la naissance du cinéma sonore en 1930 a donné à la commedia dell’arte le
pouvoir de croître et de s’exporter, elle qui repose sur l’expression physique et orale, ainsi que
la vivacité des répliques de par le jeu d’acteur. De plus « Chaplin redécouvre cette forme de
comique en créant le personnage de Charlot, personnage fixe du pauvre diable en butte aux
vicissitudes de la vie, toujours poursuivi par l’autorité, mais qui conserve son sourire ».
Les personnages
Goldoni dans ses mémoires présente lui-même les quatre personnages principaux de la
commedia dell’arte. Au travers de ses mémoires, il écrit en français un petit dialogue comique
sur la bêtise humaine. Alors qu’il est lui-même invité dans un salon, son hôte, le sachant
italien, s’adresse à lui en ces termes : « Monsieur, vous êtes auteur, vous êtes italien, vous
devez connaître une pièce italienne…une pièce que je vais vous nommer. C’est …c’est …j’ai
oublié le titre….Mais c’est égal, il y a dans cette pièce un Pantalon, il y a …un Arlequin, ….il
y a un Docteur, un Brighella. Vous devez savoir ce que c’est ». Et Goldoni de répondre : « Si
monsieur n’a pas d’autres renseignement à me donner… ! » (Mémoires, Goldoni, éd. Du
Verger, p.113).
Pantalon
- Personnage pivot de la commedia dell’arte
- Pouvoir financier
- Place au milieu de la scène : celui qui dirige
- Anciennement appelait « El magnifico »
- Il est vénitien
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- Costume : robe noire, bonnet de laine, gilet rouge, culotte coupée en caleçon, bas
rouge et pantoufles, manteau le Zimara noir (rouge à l’origine) représentent
l’habillement des premiers habitant des lagunes adriatiques
- Personnage masculin masqué correspondant à un animal l’aigle (sévère et solennelle)
- Vieillard courbé devenu avare au fils du temps qui inspire de la pitié
- Il peut devenir vif et méchant, parfois cultivé tout en se faisant tromper par quelqu’un.
- Caractère du masque : masque brun avec un nez fortement busqué et proéminent. Il est
le symbole de la rapacité du personnage et de sa forte sensualité. Il porte des
moustaches grises, une barbe blanche lui part des oreilles et s’allonge en pointe en
avant du menton.
Docteur
- Pouvoir intellectuel
- Personnage qui s’affirme à la fin du XV e siècle suite à des discordes entre les
universités de Bologne.
- Il est masqué
- Modification en 1653 du costume qui tend vers le ridicule : culotte courte, large fraise,
veste et feutre extravagant
- Il est gros, gras avec des difficultés à se mouvoir avec aisance
- Son savoir est plus apparent que réel, et ses grands discours lui permettent de masquer
son ignorance.
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- Caractère du masque : masque très particulier car il ne cache que le front, les yeux et
le nez qui sont noirs. Les jouent attirent l’attention car elles sont peintes de couleur lie-
de-vin, allusion à quelque vice caché du docteur.
Arlequin
- Personnage très remuant qui occupe le devant de la scène
- Il est un zanni (valet) originaire de Bergame
- Appartient à la ville basse « dont on disait que les habitants étaient des sots »
- Masque noir en cuir (origine probable géographique où les charbonniers se
barbouillaient le visage de noir).
- Costume : petit chapeau qui couvre une partie du crâne rasé (tradition des mimes
antiques). Petite toque ornée d’une queue de lièvre (lapin ou renard) pour le tourner en
ridicule. Costume haut en couleur (loque modeste de trous rapiécé par d’autres tissus à
l’origine) et de chaussures plates. Enfin, une bourse et une batte est attachée à sa taille
et qui sert de gourdin, et dont la signification a probablement une connotation
érotique.
- Il est rusé, vif, cynique, se moque de la morale et de la mort, use d’un langage
scatologique, de nature optimiste.
- Souvent à court d’argent, paresseux, gourmand, grand amateur de femmes mais peut
être gentil et fidèle.
- Personnage complexe et enfantin qui représente la fantaisie, le mouvement et la vie.
- Caractère du masque : le masque évoque : « un nègre de bergamasque » ou que sa
noirceur est l’héritage des charbonniers. Le masque d’arlequin se compose d’un demi-
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masque et d’une mentonnière noire. Le front est plissé de deux arcs de rides fortes et
régulières. Les sourcils sont arqués et se rejoignent sur l’arête nasale. Les yeux sont
constitués de deux trous ronds qui expriment la ruse, l’étonnement et la gourmandise.
On peut observer aussi une énorme verrue sur le côté droit du front, est-elle une
blessure ancienne, un coup reçu ou bien l’ébauche d’une corne, marque du diable ?
Brighella
- Il est aussi un valet qui vient de bergame mais de la haute ville, où les gens se
pensaient plus intelligents.
- Il est conscient de sa valeur et arrive avec assurance et dignité sur scène.
- Goldoni le décrit ainsi : « valet intrigant, fourbe, fripon. Son habit est une espèce de
livrée, son masque basané marque en charge la couleur des habitants de ces hautes
montagnes brûlées par le soleil ».
- Costume : redingote blanche à collets, gilet et pantalon à galons verts, bourse et
poignard à la ceinture, toque bordée de vert.
- Serviteur malhonnête, paresseux, rusé, aime le sexe féminin mais n’a pas le côté
enfant comme arlequin
- Caractère du masque : l’ensemble du masque donne l’impression d’être aplati, comme
étiré vers l’extérieur : en témoigne les orbites et les lignes figurant les joues, ainsi que
le nez épaté aux narines largement ouvertes, proche du museau de singe. Avec son
masque aux sourcils et à la barbe touffus, brighella prend une allure plus bestiale et
plus rusée.
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Partie III : XXe siècle : retour au masque ?
Edward Gordon Craig au Bauhaus par Denis Bablet P. 137-146
Edward Gordon Craig, né à Londres le 16 janvier 1872
et mort à Vence le 29 juillet 1966, est un acteur, metteur
en scène, théoricien et décorateur de théâtre britannique
influent. En 1913, Craig ouvre une « école de l'art théâtral
» à Florence. Il met en place la réflexion, menée depuis
1905, sur la surmarionnette: il juge que l'humain est trop
soumis au flux d'émotions changeantes. Comme les
symbolistes, il pense que la solution réside dans la
marionnette. Dans ce centre, les élèves « doivent
apprendre à la manipuler, mais aussi à la sculpter, afin
d'analyser la source du mouvement et de trouver dans leur
propre corps cette même fluidité». La première guerre
mondiale ruine ce projet et Craig se lance dans l'écriture d'un cycle de pièces pour
marionnettes. Il s'installe en France en 1936 et y restera jusqu'à sa mort en 1966.
Dans l’exposition internationale de théâtre présentée au kunstgewerbemuseum de Zurich en
1914, Adolphe Appia et Edward Gordon Craig occupent la place d’honneur où Craig a tenu à
y montrer des pièces de sa collection, de la collection théâtrale de son école de l’Arena
Goldoni à Florence. On peut y découvrir des marionnettes mais aussi des masques du Congo,
du Japon et trois masques Ashanti (Le groupe ashanti (ou Asante) forment l'un des groupes de
l'ensemble akan au Ghana. Le peuple Ashanti s’est installé au sud de l’actuel Ghana entre le
18 et 19 ème siècle).
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Edward Gordon Craig axe l’exposition sur une citation de Friedrich Nietzche « Tout ce qui est
profond aime le masque. Tout esprit profond a besoin d’un masque ».
Pour lui le masque n’est pas simplement une œuvre d’art mais le témoignage d’une
civilisation.
Edward Gordon Craig regarde et voit le masque sous un autre angle. Concernant les trois
masques funéraires Ashanti, il écrit : « Ces masques sont mis lors de cérémonies funéraires
par ceux qui portent le deuil, de manière à ce que l’esprit du mort ne puisse les reconnaître et
plus tard chercher refuge en eux. Bien qu’il ne s’agisse pas de masques tels qu’on en connaît
en Europe ce sont cependant de véritables masques de théâtre. Un seul mètre carré d’Afrique
présente plus de vrai théâtre que toutes les villes en Europe réunies. Leur théâtre est une
partie de leur vie quotidienne, de ce qu’ils éprouvent chaque jour. Chacun prend part à leur
théâtre. Leur théâtre est leur vie et leur vie est le théâtre. Si quelqu’un naît, c’est leur drame
est ils le célèbrent. Quelqu’un meurt-il, c’est leur drame et ils le conduisent. Ils ne pourraient
partir en guerre sans organiser un drame auparavant et ensuite la guerre présentera toutes
les caractéristiques d’un vrai drame. Combien de temps s’écoulera-t-il encore avant que
l’Europe comprenne qu’un drame n’est pas à être placé sur scène pour qu’on l’éloigne au
matin, mais qu’il doit être vécu par tout le peuple ».
Au sujet du masque Nô, il écrit : « C’est dans une grande mesure un art du drame symbolique
et transmis par la tradition, la personnalité de l’acteur se cache toujours derrière un masque,
et très souvent ces masques sont l’œuvre d’un grands artistes ».
Pour Edward Gordon Craig, on aurait tort de considérer le retour du masque uniquement lié
au théâtre. Le retour du masque doit être replacé dans l’évolution générale d’une civilisation,
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en se posant certaine question tel que : « Quel est la manière dont nous regardons notre
corps ? Comment le voit-on ? Et quel est le statut du visage dans les arts plastiques ? ».
De part ces expériences, Craig en tire la conclusion suivante que la théorie du masque est
directement liée à celle de l’acteur et la surmarionnette. En fait, Craig est proche d’Appia
lorsque celui-ci demande dans la Musique et la mise en scène que l’acteur parvienne au
maximum possible de « dépersonnalisation » rythmique et passionnelle. Mais Appia
n’envisage pas l’emploi du masque contrairement à Craig : il est pour lui l’un des instruments
de cette « dépersonnalisation ».
Craig refuse la frivolité du visage de l’acteur qui est l’esclave émotionnel de celui-ci, saturé
d’expression flottantes, éphémères, inquiètes, troublées et tremblante. Il faut limiter à l’acteur
un nombre de traits et l’obliger à mieux se servir de son corps. Pour cela, le masque est une
garantie contre la mainmise naturaliste et oblige le comédien à développer son jeu corporel.
Craig nous dit que lorsque nous aurons appris comment faire un masque nous aurons
probablement appris comment faire une pièce.
- Le masque : quelques morceaux de carton peints et assemblés, un homme pour y
dissimuler son visage et le porter. On dirait que soudain un phénomène magnétiques
produit, que se sculpte un verre grossissant qui nous donne à voir la civilisation qui l’a
produit.
- Voulant résumer la théorie de son maître Oskar Schlemmer, Hans Fieschi l’a
condensée ainsi :
Au lieu du mot parlé _ le mouvement,
Au lieu de la physionomie _ le masque,
Au lieu de la figure humaine _ la sculpture,
Au lieu de la musique _ le rythme,
Au lieu de l’action devant un arrière-plan scénique _ tout dans une image.
Néanmoins un terme manque dans ce résumé : l’espace.
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Les années 10 à Petersburg. Meyerhold, la commedia dell’arte et
le bal masqué, Béatrice Picon-Vallin. P. 147-158
Dans son livre « L’emploi de l’acteur », écrit sur le théâtre, op.
Cit. Tome II, p. 85, Karl Kasimir Theodor Meyerhold dit
Vsevolod Emilievitch Meyerhold affirme que le masque est à
la fois symbole et outil du théâtre. Rituel, il est placé par le
metteur en scène aux origines mêmes du théâtre. « Le masque
est symbole de la forme au théâtre et moyen de rompre
définitivement l’illusion du quotidien en scène ».
Les masques permettent à Meyerhold de mener une recherche
sur un théâtre radicalement autre destiné à un public populaire
suite aux événements de 1914. Ainsi, le masque est le lien unissant deux extrêmes : le
carnaval aristocratique et la commedia dell’arte. Le masque devient un leitmotiv de l’œuvre
de Meyerhold, où la vie est vue à travers une mascarade, où le masque, forme construite,
cache et révèle tout à la fois l’ambivalence, l’essence profonde des êtres et des faits portés au
théâtre.
Dans les années 10, Meyerhold s’identifie à Hoffmann et Gozzi.
En écho au projet d’école de Craig à Florence, Meyerhold ouvre en 1913 un lieu de
recherches théoriques et pratiques sur quatre années, un studio ouvert à des acteurs, des
danseurs et amateurs. La problématique et les résultats des recherches sont publiés dans une
revue et dans des spectacles.
A partir du support de la comédie de masques qui pour V. Solioviov (historien de la technique
scénique de la commedia dell’arte) présente l’avantage de « concentrer tous les éléments de
l’art scénique », le studio de Meyerhold veut éveiller le théâtre amnésique, lui rendre la
mémoire collective dont la particularité est de toucher au corporel, non à l’affectif et de
trouver un langage spécifique dont le théâtre contemporain est privé. Pour Meyerhold, le
mouvement scénique est l’élément qui permettrait au théâtre de retrouver cette mémoire « il
nous faut perfectionner le corps de l’homme », faire naître un mouvement libre. Meyerhold et
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Soloviov proposent à partir de l’étude de la commedia de masque une nouvelle pédagogie
théâtrale « biomécanique » et une méthode scénique.
L’objet-masque de Meyerhold au studio ne sera jamais copié à la commedia dell’arte mais
sous ou sans le masque, le travail corporel au studio fait constamment référence au jeu
masqué comme par exemple la recherche de l’animalité en nous en marchant comme un tigre
ou bien comme un singe afin de ressentir corporellement la physiologie, le mouvement
d’Arlequin.
Enfin, le masque introduit au théâtre la notion de fantastique et permet de décoller du
quotidien. Le masque donne naissance à un acteur-portée et poète. Il donne à l’acteur un cadre
à partir duquel il peut imaginer, développer, improviser, c’est-à-dire, « être » à travers un
pouvoir magique.
L’arlequin serviteur de deux maîtres. Odette Aslan. P.173-178
Giorgio Strehler (1921-1997) Metteur en scène
italien parmi les plus importants du théâtre
contemporain et qui a exercé une influence non
négligeable sur l'évolution de l'écriture scénique,
Giorgio Strehler, né à Barcola, près de Trieste, a
été le réformateur de la scène italienne, dont il est
devenu la figure de proue. Diplômé de
l'Accademia dei Filodrammatici en 1940, Strehler
commence sa carrière comme acteur et travaille dans plusieurs compagnies itinérantes. Il
signe sa première mise en scène (trois actes uniques de Pirandello) à Novara en 1943.
Après le retour du masque préconisé par Edward Gordon Craig, une nouvelle filière se
dessina à partir d’émules de Copeau, à travers le mime, l’expression corporelle, la quête d’un
jeu de comédien rafraîchi par l’improvisation et l’admiration pour le Nô japonais.
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En Italie, Giorgio Strehler voulait quant à lui promouvoir au Piccolo Teatro de Milan avec
Paolo Grassi en 1947, les grands auteurs du répertoire national et international dont Goldoni.
Pour L’arlequin serviteur de deux maîtres de Goldoni, les acteurs de Strehler se retrouvent
face à une difficulté car en 1947 ils portent des masques grossiers en papier mâché,
confectionnés maladroitement par eux-mêmes. Les masques s’imbibent de sueur durant le jeu
et à l’issu de la représentation, ils doivent les faire sécher, en espérant qu’ils reprennent une
forme normale pour le lendemain. Par la suite Strehler sera aidé par le sculpteur Amleto
Sartori.
Parallèlement aux recherches de fabrication afin de diminuer les contraintes liées aux
masques qui sur le modèle des anciens masques de commedia dell’arte ayant de très petits
trous pour les yeux, réduisant le champ de vision des acteurs les obligeant à se diriger
perpendiculairement ou à bien calculer ses sauts, il convenaient aussi d’entraîner le corps des
acteurs masqués à bouger, à trouver l’expression adéquate.
Strehler passa des nuits à apprivoiser le masque, à voir comment devait intervenir le cou,
quelle inclinaison donner à la tête, comment éclairer le masque pour qu’il s’anime, quel
timbre de voix, quelle intonations pouvaient lui correspondre, quel rythme adopter. Les
acteurs s’exerçaient à acquérir l’agilité nécessaire pour exécuter les cabrioles que l’on voit
reproduites dans des documents d’époque et à se mettre « dans l’état » qui les justifie de
l’intérieur.
Strehler et ses acteurs cherchaient à construire des personnages qui, s’inspirant de la tradition,
puissent s’inscrire également dans le théâtre et le monde contemporains. Arlequin devient
donc la victime du conflit entre deux mondes, celui des maîtres et celui des serviteurs, celui
du traditionnel et celui du moderne.
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Le masque au théâtre de la Mandragore. Wolfram Mehring.
P. 183-187
Wolfram Mehring, fondateur du théâtre de la Mandragore,
comédien et metteur en scène international, a publié aux
éditions Cesare Rancilio un ouvrage d’aphorismes sur le
théâtre, le jeu, la vie et la mort : « masques brûlés ».
Dans la Marmite de Plaute, tous les personnages étaient
masqués. Il s’agit de personnages sans évolution
psychologique, prisonniers d’un certain était d’esprit. Mehring
choisit de masquer ses comédiens pour deux raisons :
- Découvrir le corps de l’acteur que le théâtre littéraire avait oublié. Le masque force le
comédien à se dépasser, à trouver d’autres modes d’expression sans passer par le
visage. Il doit rechercher un nouveau langage autre que le mime.
- Obtenir une vérité artistique plus grande par une épuration du jeu. Il s’agit de trouver
en nous-même une dimension archétypique.
Sur le sujet de l’archétype du jeu masqué, Mehring explique qu’il a pu développer une
troisième conception du masque sur des thèmes mythiques. En masquant Créon et Antigone
dans l’Antigone de Sophocle, les personnages sont dépersonnalisés, faisant d’eux des
représentants de principes, de lois opposées. Ils portaient des masques entiers, tandis que les
guerriers, les gens du peuple, plus près d’une réalité au premier degré, avaient des demi-
masques.
L’art de faire vivre et revivre le masque : Mehring nous dit que pour l’acteur occidental, le
masque est un objet culturel et non magique. Mettre un masque fera prendre à l’acteur, s’il
n’est pas initié au jeu corporel, des attitudes extérieures sans l’influencer plus profondément.
Mettre un Kimono transforme peut-être le comportement extérieur d’un européen, mais ne fait
pas de lui un samouraï. Si, dans certaines peuplades naturelles, le porteur du masque peut-être
transformé par lui, l’acteur occidental doit au contraire donner la vie au masque et ceux qui
l’ignore font de l’exotisme, s’inspirant de toutes sortes de techniques. Enfin, le masque mal
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employé devient vite un objet de mort si l’acteur ne possède pas l’art de la faire vivre et
revivre à chaque instant de la représentation.
Concernant la question : qui peut être initié au masque ? Mehring y répond dans ses termes :
« Le masque produit un effet de distanciation entre l’acteur et le masque, entre l’acteur et le
public car le public regarde mais ne participe pas. Le jeu masqué doit être clair, lisible et
épuré pour recréer du lien, de la communication entre lui et le public. Pour ce faire, l’acteur
qui possède de l’intérieur la sémantique de toutes les parties de son corps, celle de ses lignes
dans l’espace des oppositions et confirmations d’organes, des impulsions dynamiques, des
mouvements d’énergie qui traverse le corps, dirigeant le masque par rapport au corps ou le
corps par rapport au masque animera chaque masque selon le personnage, la situation, l’esprit
qu’il trouve au fond de lui-même ». De plus « pour que le corps laisse transparaître les
intentions intérieures, il faut un travail préalable d’exercices pratiques. Puisque l’expression
facile de la physionomie est supprimée, ce sont les relations entre la tête et le tronc avec ses
différents organes expressifs qui décident du jeu de l’acteur et de sa capacité de donner au
masque une expression toujours différente. Tout le reste change aussi : le costume, la voix
doivent devenir masque. La transformation de la voix, proscrite au théâtre naturaliste, devient
une nécessité et exige une conscience plus approfondi du son à produire et de la respiration ».
Mensonge et superbe adjectif. Peter Brook. P. 193-207
Né à Londres en 1925, Peter Brook s’est
distingué, tout au long de sa carrière, dans
différents genres : théâtre, opéra, cinéma et
écriture. Il met en scène de nombreux textes
de Shakespeare pour la Royal Shakespeare
Company. Ses principaux livres sont
L’Espace vide (1968), Points de Suspension
(1987), Le Diable c’est l’Ennui (1991), Avec
Shakespeare (1998), Oublier le Temps (2003) et Avec Grotowski (2009
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À Paris en 1971, Peter Brook fonde avec Micheline Rozan le Centre International de
Recherche Théâtrale (CIRT), lequel devient, lors de l’ouverture des Bouffes du Nord, le
Centre International de Créations Théâtrales (CICT).
Deux sortes de masque :
Pour Peter Brook, il y a deux sortes de masque, l’un naturel de quotidien qui se voit à travers
le regard d’autrui, l’autre est objet-masque. Il nous dit « Le masque un même mot pour
désigner deux objets différents. L’un très noble, mystérieux ; l’autre dégoûtant, sordide. Ils
sont semblables. On les met tous les deux sur le visage mais il différent autant que santé et
maladie. L’un donne la vie, affecte le porteur et l’observateur de manière très positive ;
l’autre, posé sur le visage d’un humain déformé, peut le rendre plus déformé encore et donner
à un observateur déformé l’impression d’une réalité plus déformé encore que celle qu’il voit
d’ordinaire ». L’un comme l’autre sont appelé des masques. Objet-masque de papier mâché
ou de cuir et visage-masque fait de cher, de sang, de tissu lorsque celui dissimule ce qui se
passe réellement à l’intérieur de nous ou bien enjolive mettant en lumière nos processus
interne pour les rendre plus flatteuse donnant une version mensongère de nous-mêmes.
Réveil de la conscience du corps avec le masque neutre :
Pour Peter Brook, au moment où l’on pose le masque neutre, blanc, vide, notre visage est
effacé et l’on est soudain stupéfait de prendre conscience que ce visage avec lequel on vit et
qui transmet nos émotions interne a disparu, laissant libre court à une sensation de libération
par un réveil de la conscience du corps. Peter Brook nous dit : « si vous voulez rendre un
acteur conscient de son corps, au lieu de le lui expliquer et de lui dire « tu as un corps et tu
dois en être conscient », posez simplement un morceau de papier blanc sur le visage et dites-
lui : « maintenant, regarde autour de toi ». Il ne peut manquer d’être instantanément
conscient de tout ce qu’il oublie habituellement, parce que toute son attention, habituellement
concentrée dans son mental, a été déconnectée ».
Le masque Balinais : loi de l’écho, rencontre et transformation :
Le masque Balinais est un objet sacré qui doit être respecté et manipulé avec soin. Il
fonctionne en deux sens : il envoie un message au-dedans et il projette un au dehors. Il
fonctionne selon la loi de l’écho. Si la chambre d’écho est parfaite, le son qui y arrive et celui
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qui en sort se renvoient, il y a parfaite relation entre la chambre d’écho et le son, entre le
masque et initié. Sinon, c’est comme un miroir déformant.
A Bali, l’acteur prend le masque en mains et le regarde tout d’abord. Il s’agit d’un temps
nécessaire presque magique à la rencontre du masque. Il l’examine un long moment, jusqu’à
ce que le masque et lui commencent à devenir une sorte de reflet l’un de l’autre ; il commence
à le sentir comme son propre visage mais pas entièrement, car l’acteur se rapproche par
ailleurs de la vie indépendante du masque. Et graduellement, il commence à faire bouger sa
main, le masque prend vie et l’acteur le regarde, dans une sorte de communion. Alors peut
advenir ce qu’aucun de nos acteurs ne pourrait tenter : la respiration se modifie ; il se met à
respirer différemment avec chaque masque. Car chaque masque, c’est évident, représente un
certain type, avec un certain corps, avec un certain tempo et un rythme intérieur, donc une
certaine respiration ; à mesure que l’acteur commence à le ressentir et que sa main éprouve
une tension correspondante, sa respiration change jusqu’à ce qu’un certain volume de souffle
envahisse tout son corps ; après cette préparation, il chausse le masque. Et la forme entière est
là, en vie.
Pour Peter Brook, il est donc essentiel de se débarrasser des masques superficiels pour cela il
faut reconnaître et éliminer les stéréotypes, les mimiques par une techniques ou une autre de
sorte à polir le visage pour qu’il devient un miroir meilleur reflétant les émotions internes.
Sensation de sécurité derrière le masque :
Enfin selon Peter Brook, le masque a un effet sur le porteur, une sorte d’agent de
transformation, de dissimulation, du moins lorsqu’il est porté. Selon lui « le fait que le
masque vous absolve de cette manière, qu’il vous donne de quoi vous abriter derrière lui,
vous dispense de vous cacher. C’est un paradoxe fondamental que l’on retrouve au théâtre :
parce qu’en sécurité, vous pouvez vous exposer au danger. C’est très bizarre mais tout le
théâtre est basé là-dessus. Là où il y a davantage de sécurité, il est possible de plus gros
risques ; et parce que ce n’est pas vous, donc tout ce qui vous concerne est caché, vous
pouvez laisser apparaître votre vraie nature. Voilà ce que fait le masque : ce que vous avez le
plus peur de perdre, vous le perdez tout de suite. Vos défenses habituelles, vos expressions,
votre visage que vous dissimulez et maintenant vous êtes caché à 100%, parce que vous savez
que la personne qui vous regarde ne pense pas que c’est vous ; ce qui vous permet de sortir
de votre coquille ».
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Le masque : une discipline de base au théâtre du soleil. Ariane
Mnouchkine. P. 231-234
Ariane Mnouchkine, née le 3 mars 1939 à
Boulogne-Billancourt, est metteur en scène de
théâtre. Elle est également scénariste et
réalisatrice de films. En 1964, Ariane
Mnouchkine, avec un groupe d’amis, fonde le
Théâtre du Soleil, qui occupe depuis lors une
place très particulière dans le paysage théâtral
français et international.
Pour Ariane Mnouchkine, le masque demande une discipline de base car c’est une forme et
que toute forme est contrainte à une discipline. En effet, « l’acteur produit dans l’air une
écriture, il écrit avec son corps dans l’espace, c’est donc un écrivain dans l’espace ». Comme
aucun contenu ne peut s’exprime sans forme. Il existe plusieurs formes différentes mais pour
n’en faire ressortir qu’une seule, il faut une discipline. Elle ajoute : « je crois que le théâtre
est un va-et-vient entre ce qui existe au plus profond de nous, au plus ignoré, et sa projection,
son extériorisation maximale vers le public. Le masque requiert précisément cette
intériorisation et cette extériorisation maximales ».
Le masque est une forme d’art qui crée son univers à chaque instant. Dès qu’un comédien
« trouve » son masque où que le masque « trouve » son comédien, il crée sur lui une
transformation proche de la possession. Certains peuvent étouffer, restent sans voix, sans
yeux, sans corps, annihilés par lui. Les autres le traversent et ce voyage initiatique est
douloureux. « On leur demande d’être des « visionnaires », de donner chair à des poèmes,
des images, des visions ; ils doivent tenir compte de deux mondes extérieurs : celui dans
lequel se passent la pièce, du spectacle et de leur monde intérieur, ainsi que de leur
personnage ».
Ariane Mnouchkine nous dit en conclusion « qu’un personnage masqué est perpétuellement
en crise, qu’il soit dramatique ou comique. Au contraire du masque de carnaval qui est
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différent. Le carnaval est transgression, il porte un germe de provocation mais doit conserver
un minimum de rituel et d’ordre ; s’il dépasse les bornes, il disparaît ».
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Partie IV : De la pédagogie théâtrale à la quête de soi
Rôle du masque dans la formation de l’acteur. Jacques Lecoq. P.
265-269
Jacques Lecoq, né le 15 décembre 1921 et meurt le 19 janvier
1999. Il était comédien, metteur en scène, chorégraphe et
pédagogue.
Jacques Lecoq est un maître pédagogue pour le comédien par ces
travaux sur le mime dramatique, le masque, le chœur des
tragédies antiques, le clown et le bouffon.
Il débute comme professeur d'éducation physique et sportive, puis
devient comédien dans la compagnie de Jean Dasté. Il découvre le
travail du masque. En 1948, il part à Padoue (au théâtre de
l'Université) à « l'assaut » de la commedia dell'arte et crée ses premières pantomimes. C'est
dans ce contexte qu'il a aussi l'opportunité de lier l’enseignement et la création. Il entreprend
des recherches sur les masques avec le sculpteur italien Amleto Sartori, d'où naîtra, entre
autres, le « masque neutre ».
En 1956, il revient à Paris pour fonder l'École internationale de théâtre et de mime où il se
consacre à la pédagogie. En 1958, il écrit la série La Belle Équipe réalisée par Ange Casta
pour l'ORTF. En 1977, il crée le Laboratoire d'étude du mouvement (LEM) dédié à une
recherche dynamique de l'espace et du rythme au service de la scénographie.
Il publie:
1997, Le Corps poétique, un enseignement de la création théâtrale, en collaboration
avec Jean-Gabriel Carasso et Jean-Claude Lallias, collection « Cahiers
Théâtre/Éducation », Anrat (Association Nationale de Recherche et d'Action
Théâtrale) ; Actes Sud - Papiers.
1987, Le Théâtre du geste, mimes et acteurs, ouvrage collectif sous la direction de
Jacques Lecoq, Bordas, Paris
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Au cours de son exposé lors de cette table ronde internationale du CNRS, jacques Lecoq y
fait une démonstration des deux fonctions du masque au théâtre : « l’une théâtrale, au service
de la représentation, l’autre pédagogique, développant un niveau de jeu chez l’acteur une fois
le masque ôté. Un même masque peut être employé pour deux raisons différentes ».
Jacques Lecoq expose sa manière de travailler avec les comédiens masqué, en expliquant
qu’au commencement, il préfère ne pas influencer les comédiens et les laissent découvrir par
eux-mêmes l’objet. Puis peu à peu il intervient comme « miroir orientable », précisant les
règles du jeu et les limites à ne pas franchir.
« Au début, l’élève fait beaucoup de mouvement avec ses yeux que l’on voit filer de droite à
gauche au travers des orifices du masque comme de petits animaux prisonniers dans une cage.
Sa tête ne bouge pas, son corps est raide, il ne sait pas encore que son œil est remplacé par sa
tête. Parfois, il y a refus, le masque est arraché et jeté par terre par des porteurs qui étouffent
alors qu’il y a suffisamment de trous pour que la respiration se fasse normalement. Ils crient
contre cet objet étranger et je crie à mon tour car dans les pays du monde, jeter un masque par
terre et surtout le voir gisant, reposant sur son nez, n’est pas supportable. C’est signe de
mort ».
Le corps : jeu masqué/ jeu en masque neutre
Jacques Lecoq souligne que le corps du comédien en jeu masqué doit être en état d’alerte,
soumis à une tension perpétuelle et qu’il ne peut pas faire une économie de mouvement
naturel comme dans la vie quotidienne. Néanmoins, en ce qui concernant le jeu en masque
neutre, les mouvements du corps se doivent d’être fluides, clairs comme disponible à
l’événement, à l’ici et maintenant. Cet état du neutre suscite une « économie des
mouvements » qui tend vers un geste pilote, comme peut l’être la marche par rapport à toutes
les démarches dans la locomotion humaine. De plus, les lèvres d’un masque neutre sont
légèrement entrouvertes, tel est l’aspect de ce masque qui ne rit ni ne pleure mais qui peut être
bienheureux ou malheureux comme tous les humains.
La pratique du masque neutre
Jacques Lecoq a approfondi et développé la pédagogie du masque neutre et de cet état de base
qui semble indispensable dans la formation de l’acteur en disant que : « La pratique du
masque neutre développe la disponibilité à saisir le dénominateur commun des êtres et des
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choses, de ce qui appartient à tous et non pas à un seul. Il est en ce sens un masque collectif
qui, dramatiquement, appelle le chœur ».
La pratique du masque : le carnaval, l’hôpital et la recherche de
soi. Bruno de Panafieu. P 271-275
Bruno de Panafieu, est né à Paris le 24/01/1932,
architecte et sociologue français.
L’architecture le conduit à la sculpture, au meuble,
puis au bijou féminin. La sociologie le conduit chez les
danseurs Dogons du Mali, puis à la recherche, dans les
hôpitaux psychiatriques français, d’une thérapie de
groupe fondée sur l’emploi des masques.
Bruno de Panafieu a publié des articles dans la revue « Psychologie médicale » 1982-85-90-
94.
Il publie aussi « Le Masque retrouvé », dans « Océanie, le masque au long cours » Ouest
France Univ. 1983. Traduction de John Bowlby, « Attachement et Perte » PUF 1978
(psychiatrie infantile) et un
ouvrage collectif sur G.I.Gurdjieff. (Philosophie) L’Age d’Homme Lausanne 1992. Il est
Membre du Centre de recherches et d’études transdisciplinaires (CIRET) et de la Société
Française de psychopathologie de l’expression et d’art thérapie.
Mode de civilisation
« Le théâtre, dans une grandes époques de culture, constitue un mode civilisé de régulation
des tensions et conflits social ». Actuellement, il fait lien entre deux mondes, celui de la vie
ordinaire et celui du théâtre. Cette articulation entre ces deux mondes oblige l’acteur à un
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certain travail de concentration, qui mène à la présence. Présence à soi, au monde et à la scène
avec en retour l’attention du spectateur.
Les étages du corps et les trois sociétés
Selon Bruno de Panafieu « le masque démasque » et lors d’une interaction avec lui, il unifie
les trois étages du corps de l’homme : le corps, le sentiment et la pensée pour tendre parfois à
un quatrième niveau non religieux, la transcendance, le sacré. On peut ainsi y associé trois
masques en lien avec les trois niveaux corporel de l’homme : le carnaval, le masque du
bouffon reste au niveau des énergies corporelles; à l’hôpital, celui du guérisseur prend en
charge la maladie psychique, les sentiments, les émotions et la relation à l’autre; à la
recherche de soi, celui du sorcier, traite de la pensée, de la conception, de la compréhension,
tendues vers la réalisation. La société du carnaval privilégiera la préparation de la fête, celui
des guérisseurs constitueront une communauté thérapeutique et les sorciers chercheront à
comprendre quelles énergies est nécessaire en fonction d’un groupe masqué.
La société du carnaval se réduit à la préparation de la fête publique, au divertissement dont
le but est le défoulement, l’excès, la libération corporelle mais aussi la dérision et satire ; ainsi
que la contestation de l’autorité qui actuellement a été perdu de vu ou censuré. Pour Bruno de
Panafieu : « la contestation est un rituel qui évite ce degré extrême de la barbarie : le passage
à l’acte. Si nous en sommes venus à Paris en mai 68 aux émeutes et jets de pavés, c’est peut-
être faute d’un théâtre de rue ou de fêtes populaires qui auraient permis l’expression de la
violence, la catharsis ». Avec le masque, les impostures sociales tombent. Il est objet de clarté
et de reconnaissance de faux masques naturels de la vie. Une fois qu’on en a porté un, on peut
repérer partout où ils se manifestent : les hypocrisies, les mensonges, les faux semblants.
Le masque assure l’anonymat du porteur qui peut formuler des critiques sans peur de
représailles. On constate aussi une détente des muscle faciaux avec une déchargée d’énergie
investie dans le corps où l’on découvre une nouvelle sensation de soi dans son corps et un
nouvel intérêt pour le corps des autres. La respiration se modifie, la voix baisse tout en
éprouvant une sensation de chaleur dans la région du diaphragme. La parole cède la place au
son, au grognement, au cri. Le masque entraîne un sentiment d’exaltation, de toute-puissante
comme à l’inverse provoque de l’angoisse.
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A l’hôpital, la finalité pour le porteur du masque est thérapeutique, « le masque agit comme
un outil de synthèse, par la position privilégiée qu’il occupe à la jonction des arts plastiques
(dessin, peinture, maquillage, sculpture en mouvement) et des arts du spectacle (théâtre,
mime, musique, danse).
Les malades psychiques qui viennent consulter en hôpital souffrent souvent d’une difficulté
au niveau de la relation et part des exercices spécifiques, intégré dans un groupe ouvert et
chaleureux, où ils peuvent partager leur souffrance, ces inconvénients en lien à la maladie
peuvent être atténué ou éliminé. Le groupe agit comme un miroir où il s’y produit une
rétroaction, une restitution au malade de son problème. En outre, les participants commencent
à faire leur masque et celui-ci agit comme un médiateur, comme un objet transactionnel. Il est
investi par la personne en création et devient objet de projection. Un contact s’opère en nous à
deux niveaux : celui des mots et celui des images.
Contrairement à la fabrication du masque, le jeu scénique permet de prendre des initiatives,
d’oser faire, de s’essayer dans différents rôles et de le rejeter sous la protection du masque.
« Parce que ce n’est pas grave, que cela ne laisse pas de trace, que l’on est au sein d’un
groupe, protégé, l’on peut oser, sortir de sa routines, aller vers l’autre, dire sa vérité sans se
sentir rejeté ».
Pour Bruno de Panafieu, la fabrication du masque à l’hôpital, qu’elle soit rapide ou élaboré,
permet la résolution de conflits qui n’ont pas eu accès au verbal de s’exprimer au travers de
l’image. Le groupe joue donc un rôle de rétroaction, de miroir où le sujet se voit restituer un
message au travers de sa création sans savoir qu’il s’agissait d’un message depuis longtemps
enfoui à l’intérieur de soi. « L’écoute attentive du groupe est très valorisante. On s’y sent
accepté tel qu’on est, entendu, en dehors de toute critique et c’est une expérience gratifiante,
source de transformation. Enfin, sur le plan scénique, le jeu des improvisations masquées
permet de tracer son chemin librement, de rompre avec la routine.
En séance le rôle du guérisseur n’est pas thérapeutique mais celui d’un maître de cérémonie,
un médiateur, une tierce personne entre le médium et la personne en création. Bruno de
Panafieu considère que le groupe est conçu comme thérapeutique.
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La recherche de soi se passe difficilement du support du groupe. La personne ne vient plus
chercher une écoute attentive et thérapeutique mais plutôt un compagnon de route pour activer
leur demande dont une relation à soi, la naissance d’une individualité. Le groupe de recherche
de soi est de formuler un langage commun sur l’apport du masque et son action dans le
domaine de la pensée.
Enfin, ces trois étages du corps de l’homme lors de l’interaction du masque s’entremêlent et
tendent à un éveil du corps, le développement d’un sentiment personnel et de groupe et le
sacré. Bruno de Panafieu résume ainsi les trois caractéristiques des groupes : « Le groupe du
quartier mène au défoulement, à la libération, il fait progresser sur le plan personnel et social.
Le groupe thérapeutique a pour but la désaliénation, il permet de réduire l’isolement et de se
relier aux autres, il ouvre l’accès à la responsabilité civique, à l’engagement dans la vie de la
cité. Quant au dernier groupe, celui de la recherche de soi, il mène, par la démystification, à la
connaissance et de là à l’action ».
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Partie V : Le Masque en médiation artistique
« Dès que l’on chausse un masque, le fantastique apparaît. La perception se modifie selon
l’inclinaison des vertèbres, tout le corps devient visage et sensibilité » Jean-Louis Barrault.
Le masque est dans certaine culture un objet sacré, archaïque qui ne peut être porté que par
des initiés. Les non-initiés, les enfants et les femmes ne peuvent porter cet objet symbolique
de lien entre deux mondes, celui de la vie et de la mort. Il doit être respecté et apprivoisé. Le
masque a pour pouvoir de dépossède son porteur pour mieux l’enrichir. Pour cela, il convient
de le respecter en ne le saisissant pas par leurs yeux creux, mais bien de se comporter avec
eux comme avec des êtres dotés d’une âme, de notre propre âme qui persiste à chaque fois
qu’on le retire de notre visage.
Le jeu masqué au théâtre oblige l’acteur à un apprivoisement corporel parfois douloureux de
celui-ci. Il permet certes de dissimuler les mimiques du visage et par la même nous procure un
sentiment de sécurité qui augmente la prise de risques mais il exige aussi un travail assidu sur
le corps. Le langage corporel se doit d’être en accord avec ce que l’on veut exprimer. Le
masque cache, révèle, fixe et donne l’illusion d’un mouvement. Il se tait s’il n’est pas en
accord avec le corps. Le masque est un double, un visage d’emprunt à la fois personnage et
objet. En effet, il n’est pas qu’un simple objet, il vit et meurt à chaque fin de représentation.
Au vu de ma lecture, je considère donc que la question sur la place du masque en médiation
artistique relève plus d’un sujet de mémoire et qu’il m’est impossible de le résumer en un seul
chapitre. J’ajouterai qu’il s’agit d’un médium à utiliser avec beaucoup précaution en fonction
des participants et de leur structure psychique, notamment avec des personnes psychotiques
qui n’ont pas une bonne maitrise de leur schéma corporel et de la corporéité. Au fur et à
mesure, je me rends compte que l’approche du masque en médiation artistique tend vers la
notion du corps et de la corporéité. Je renvoie au cours de Nicole Estrabeau sur la notion de
« Corporéité », à celui de J-M Fourcade sur la structure névrotique, psychotique et états
limites, ainsi que sur certains ouvrages qui parle de la psychopathologie du corps, tels que :
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« L’enfant du miroir », éd Rivages/poche, 1987, Françoise
Dolto fait une différenciation entre image inconsciente du
corps et schéma corporel. L’image inconsciente du corps
disparaît avec l’image spéculaire. Au stade du miroir, l’image
connu de soi prend force dans le miroir. Cette image
inconsciente du corps se prolonge dans le rêve. Toutefois, pour
les psychotiques ou les malades comateux, l’image
inconsciente du corps est présente voire omniprésente sous
forme dans affection psychosomatique. La douleur du corps
permet une élaboration d’une image de celui-ci, « L’endroit
douloureux de quelqu’un, voilà où se situe le sujet qui défend
l’articulation à son moi. La douleur fait partie de l’image du corps, comme lieu sensible où le
sujet peut tenir son moi, ou même, son corps ». De par la souffrance d’une partie du corps,
l’image inconsciente du corps permet au sujet de dire « moi, j’ai mal », et donc « Je ».
Françoise Dolto explique que les images archaïques du corps sont à la base du narcissisme.
Elle en distingue trois : le fondamental, le primaire et le secondaire. Un narcissisme fragile et
fragilisant altère la constitution d’une saine image inconsciente du corps. Françoise Dolto
nous dit en parlant du narcissisme fondamental que si celui-ci est mal amarré au corps, le moi
reste fragile et surgit la menace d’un état phobique où la personne surveille tout le temps la
maintenance de l’image de base existentielle avec un sentiment d’angoisse permanent
d’éclatement et de disparition, « La phobie, c’est la menace de dissociation qui pèse sur
l’image du corps ». Le miroir, tout comme le visage de l’autre durant les premiers moments
de vie contribuent à réfléchir l’image inconsciente du corps mais aussi le corps réel renvoyée
par la glace et le regard. Lors d’une mauvaise intégration de notre image inconsciente du
corps et de notre schéma corporel, le masque dissimule le visage et fait plus fonction de
miroir.
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« Corps et thérapie » de Paul Sivadon et Adolpho Fernandez-
Zoila_1ère édition : 1986, avril PUF.
« Les pratiques corporelles, de plus en plus fréquentes,
sollicitent un retour au corps pour que l’Homme soit davantage
lui-même. La maladie affaiblit et rend vulnérable le corps ; par-
là l’Homme est séparé de lui-même. Les thérapies affectives du
corps, les nouvelles psychothérapies visent à redonner au corps
son authenticité. Les psychanalyses du corps, les décryptages des
divers « langages du corps » aboutissent à proposer un corps
intégré dans une théorie de l’Homme : connaître, sentir, dire le
corps, autant de moyens pour incarner de manière « active » la personnalité dans son corps
propre ».
« Psychanalyse de l’informe », de Sylvie Le Poulichet, édition
Flammarion, Paris, 2003.
« L’informe désigne en psychanalyse ce qui se joue quand les
identités vacillent _un visage qui ne se reconnait plus dans le
miroir, un corps vécu comme un cadavre. Face à ces processus
limites où se brouillent les frontières entre le moi et l’objet, le
dehors et le dedans et l’inanimé, quelle sera l’écoute de
l’analyste, En vue de quel secours ? ».
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« Penser la psychose » de Sophie de Mijolla-Mellor ; édition
Dunod, Paris, 1998.
« Peut-on penser la psychose, le sens de ses symptômes, la teneur
de ses discours, les conditions de son apparition ? Cette
ambition, nécessaire pour rencontrer et entendre les
psychotiques, conduit à réinterroger et, en partie, à reformuler la
conception freudienne de la psyché ».
Temps de discussion
A la suite à notre discussion sur le masque en médiation artistique, et afin que vous puissiez
comprendre mon propos sur un atelier expérientiel du masque de Geneviève Bartoli, art-
thérapeute, vis-à-vis de la construction, de la transformation et de mon ressenti sur le poids du
masque qui fait sent avec la tension du corps, l’inconscient du corps et le schéma corporel, je
vous joins une photo de mon masque en carton de 12 pièces.
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Ci-joint, les deux livres en complément de ma lecture pour mieux comprendre le Nô et la
commedia dell’arte.