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Les Mille et une nuits - Tome premier Anonymous (Traducteur: Antoine Galland) Publication: 1704 Catégorie(s): Fiction, Contes et légendes Source: http://www.ebooksgratuits.com 1

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  • Les Mille et une nuits - Tome premierAnonymous

    (Traducteur: Antoine Galland)

    Publication: 1704Catgorie(s): Fiction, Contes et lgendesSource: http://www.ebooksgratuits.com

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  • Disponible sur Feedbooks pour Anonymous: Les Mille et une nuits - Tome deuxime (1704) Les Mille et une nuits - Tome troisime (1704) Ghazels - Pomes persans (1925) Vie de Lazarille de Torms (1554)

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  • CONTES ARABES.

    Les chroniques des Sassanides, anciens rois de Perse, quiavaient tendu leur empire dans les Indes, dans les grandes etpetites les qui en dpendent, et bien loin au del du Gange,jusqu la Chine, rapportent quil y avait autrefois un roi decette puissante maison, qui tait le plus excellent prince de sontemps. Il se faisait autant aimer de ses sujets par sa sagesse etsa prudence, quil stait rendu redoutable ses voisins par lebruit de sa valeur et par la rputation de ses troupes belli-queuses et bien disciplines. Il avait deux fils : lan, appelSchahriar, digne hritier de son pre, en possdait toutes lesvertus ; et le cadet, nomm Schahzenan, navait pas moins demrite que son frre.

    Aprs un rgne aussi long que glorieux, ce roi mourut, etSchahriar monta sur le trne. Schahzenan, exclu de tout par-tage par les lois de lempire, et oblig de vivre comme un parti-culier, au lieu de souffrir impatiemment le bonheur de son a-n, mit toute son attention lui plaire. Il eut peu de peine yrussir. Schahriar, qui avait naturellement de linclination pource prince, fut charm de sa complaisance ; et par un excsdamiti, voulant partager avec lui ses tats, il lui donna leroyaume de la Grande Tartarie. Schahzenan en alla bienttprendre possession, et il tablit son sjour Samarcande, quien tait la capitale.

    Il y avait dj dix ans que ces deux rois taient spars,lorsque Schahriar, souhaitant passionnment de revoir sonfrre, rsolut de lui envoyer un ambassadeur pour linviter venir sa cour. Il choisit pour cette ambassade son premier vi-zir1, qui partit avec une suite conforme sa dignit, et fit toutela diligence possible. Quand il fut prs de Samarcande, Schah-zenan, averti de son arrive, alla au-devant de lui avec les prin-cipaux seigneurs de sa cour, qui, pour faire plus dhonneur auministre du sultan, staient tous habills magnifiquement. Leroi de Tartarie le reut avec de grandes dmonstrations dejoie, et lui demanda dabord des nouvelles du sultan son frre.Le vizir satisfit sa curiosit ; aprs quoi il exposa le sujet deson ambassade. Schahzenan en fut touch : Sage vizir, dit-il,

    1.Premier ministre. La marque de sa dignit est le cachet de l'empire,que le sultan lui remet en linvestissant de sa charge.

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  • le sultan mon frre me fait trop dhonneur, et il ne pouvait rienme proposer qui me ft plus agrable. Sil souhaite de me voir,je suis press de la mme envie : le temps, qui na point dimi-nu son amiti, na point affaibli la mienne. Mon royaume esttranquille, et je ne veux que dix jours pour me mettre en tatde partir avec vous. Ainsi il nest pas ncessaire que vous en-triez dans la ville pour si peu de temps. Je vous prie de vous ar-rter dans cet endroit et dy faire dresser vos tentes. Je vais or-donner quon vous apporte des rafrachissements en abon-dance, pour vous et pour toutes les personnes de votre suite. Cela fut excut sur-le-champ : le roi fut peine rentr dansSamarcande, que le vizir vit arriver une prodigieuse quantitde toutes sortes de provisions, accompagnes de rgals et deprsents dun trs-grand prix.

    Cependant Schahzenan, se disposant partir, rgla les af-faires les plus pressantes, tablit un conseil pour gouvernerson royaume pendant son absence, et mit la tte de ceconseil un ministre dont la sagesse lui tait connue et en qui ilavait une entire confiance. Au bout de dix jours, ses qui-pages tant prts, il dit adieu la reine sa femme, sortit sur lesoir de Samarcande, et, suivi des officiers qui devaient tre duvoyage, il se rendit au pavillon royal quil avait fait dresser au-prs des tentes du vizir. Il sentretint avec cet ambassadeurjusqu minuit. Alors, voulant encore une fois embrasser lareine, quil aimait beaucoup, il retourna seul dans son palais. Ilalla droit lappartement de cette princesse, qui, ne satten-dant pas le revoir, avait reu dans son lit un des derniers offi-ciers de sa maison. Il y avait dj longtemps quils taient cou-chs et ils dormaient dun profond sommeil.

    Le roi entra sans bruit, se faisant un plaisir de surprendrepar son retour une pouse dont il se croyait tendrement aim.Mais quelle fut sa surprise, lorsqu la clart des flambeaux,qui ne steignent jamais la nuit dans les appartements desprinces et des princesses, il aperut un homme dans ses bras !Il demeura immobile durant quelques moments, ne sachant sildevait croire ce quil voyait. Mais nen pouvant douter : Quoi ! dit-il en lui-mme, je suis peine hors de mon palais,je suis encore sous les murs de Samarcande, et lon mose ou-trager ! Ah ! perfide, votre crime ne sera pas impuni ! Commeroi, je dois punir les forfaits qui se commettent dans mes

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  • tats ; comme poux offens, il faut que je vous immole monjuste ressentiment. Enfin ce malheureux prince, cdant sonpremier transport, tira son sabre, sapprocha du lit, et dunseul coup fit passer les coupables du sommeil la mort. En-suite, les prenant lun aprs lautre, il les jeta par une fentre,dans le foss dont le palais tait environn.

    Stant veng de cette sorte, il sortit de la ville, comme il ytait venu, et se retira sous son pavillon. Il ny fut pas plus ttarriv, que, sans parler personne de ce quil venait de faire, ilordonna de plier les tentes et de partir. Tout fut bientt prt, etil ntait pas jour encore, quon se mit en marche au son destimbales et de plusieurs autres instruments qui inspiraient dela joie tout le monde, hormis au roi. Ce prince, toujours occu-p de linfidlit de la reine, tait en proie une affreuse m-lancolie, qui ne le quitta point pendant tout le voyage.

    Lorsquil fut prs de la capitale des Indes, il vit venir au-de-vant de lui le sultan2 Schahriar avec toute sa cour. Quelle joiepour ces princes de se revoir ! Ils mirent tous deux pied terrepour sembrasser ; et, aprs stre donn mille marques de ten-dresse, ils remontrent cheval, et entrrent dans la ville auxacclamations dune foule innombrable de peuple. Le sultanconduisit le roi son frre jusquau palais quil lui avait fait pr-parer : ce palais communiquait au sien par un mme jardin ; iltait dautant plus magnifique, quil tait consacr aux ftes etaux divertissements de la cour ; et on en avait encore augmen-t la magnificence par de nouveaux ameublements.

    Schahriar quitta dabord le roi de Tartarie, pour lui donner letemps dentrer au bain et de changer dhabit ; mais ds quilsut quil en tait sorti, il vint le retrouver. Ils sassirent sur unsofa, et comme les courtisans se tenaient loigns par respect,ces deux princes commencrent sentretenir de tout ce quedeux frres, encore plus unis par lamiti que par le sang, ont se dire aprs une longue absence. Lheure du souper tant ve-nue, ils mangrent ensemble ; et aprs le repas, ils reprirentleur entretien, qui dura jusqu ce que Schahriar, sapercevantque la nuit tait fort avance, se retira pour laisser reposer sonfrre.

    2.Ce mot arabe signifie empereur ou seigneur ; on donne ce titre presque tous les souverains de l'Orient.

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  • Linfortun Schahzenan se coucha ; mais si la prsence dusultan son frre avait t capable de suspendre pour quelquetemps ses chagrins, ils se rveillrent alors avec violence ; aulieu de goter le repos dont il avait besoin, il ne fit que rappe-ler dans sa mmoire les plus cruelles rflexions ; toutes les cir-constances de linfidlit de la reine se prsentaient si vive-ment son imagination, quil en tait hors de lui-mme. Enfin,ne pouvant dormir, il se leva ; et se livrant tout entier despenses si affligeantes, il parut sur son visage une impressionde tristesse que le sultan ne manqua pas de remarquer : Quadonc le roi de Tartarie ? disait-il ; qui peut causer ce chagrinque je lui vois ? Aurait-il sujet de se plaindre de la rceptionque je lui ai faite ? Non : je lai reu comme un frre quejaime, et je nai rien l-dessus me reprocher. Peut-tre sevoit-il regret loign de ses tats ou de la reine sa femme.Ah ! si cest cela qui lafflige, il faut que je lui fasse incessam-ment les prsents que je lui destine, afin quil puisse partirquand il lui plaira, pour sen retourner Samarcande. Effec-tivement, ds le lendemain il lui envoya une partie de ces pr-sents, qui taient composs de tout ce que les Indes produisentde plus rare, de plus riche et de plus singulier. Il ne laissait pasnanmoins dessayer de le divertir tous les jours par de nou-veaux plaisirs ; mais les ftes les plus agrables, au lieu de lerjouir, ne faisaient quirriter ses chagrins.

    Un jour Schahriar ayant ordonn une grande chasse deuxjournes de sa capitale, dans un pays o il y avait particulire-ment beaucoup de cerfs, Schahzenan le pria de le dispenser delaccompagner, en lui disant que ltat de sa sant ne lui per-mettait pas dtre de la partie. Le sultan ne voulut pas lecontraindre, le laissa en libert et partit avec toute sa courpour aller prendre ce divertissement. Aprs son dpart, le roide la Grande Tartarie, se voyant seul, senferma dans son ap-partement. Il sassit une fentre qui avait vue sur le jardin.Ce beau lieu et le ramage dune infinit doiseaux qui y fai-saient leur retraite, lui auraient donn du plaisir, sil et tcapable den ressentir ; mais, toujours dchir par le souvenirfuneste de laction infme de la reine, il arrtait moins souventses yeux sur le jardin, quil ne les levait au ciel pour se plaindrede son malheureux sort.

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  • Nanmoins, quelque occup quil ft de ses ennuis, il ne lais-sa pas dapercevoir un objet qui attira toute son attention. Uneporte secrte du palais du sultan souvrit tout coup, et il ensortit vingt femmes, au milieu desquelles marchait la sultane3dun air qui la faisait aisment distinguer. Cette princesse,croyant que le roi de la Grande Tartarie tait aussi la chasse,savana avec fermet jusque sous les fentres de lapparte-ment de ce prince, qui, voulant par curiosit lobserver, se pla-a de manire quil pouvait tout voir sans tre vu. Il remarquaque les personnes qui accompagnaient la sultane, pour bannirtoute contrainte, se dcouvrirent le visage quelles avaient eucouvert jusqualors, et quittrent de longs habits quellesportaient par-dessus dautres plus courts. Mais il fut dans unextrme tonnement de voir que dans cette compagnie, qui luiavait sembl toute compose de femmes, il y avait dix noirs,qui prirent chacun leur matresse. La sultane, de son ct, nedemeura pas longtemps sans amant ; elle frappa des mains encriant : Masoud ! Masoud ! et aussitt un autre noir descenditdu haut dun arbre, et courut elle avec beaucoupdempressement.

    La pudeur ne me permet pas de raconter tout ce qui se passaentre ces femmes et ces noirs, et cest un dtail quil nest pasbesoin de faire ; il suffit de dire que Schahzenan en vit assezpour juger que son frre ntait pas moins plaindre que lui.Les plaisirs de cette troupe amoureuse durrent jusqu mi-nuit. Ils se baignrent tous ensemble dans une grande picedeau qui faisait un des plus beaux ornements du jardin ; aprsquoi, ayant repris leurs habits, ils rentrrent par la porte se-crte dans le palais du sultan ; et Masoud, qui tait venu dedehors par-dessus la muraille du jardin, sen retourna par lemme endroit.

    Comme toutes ces choses staient passes sous les yeux duroi de la Grande Tartarie, elles lui donnrent lieu de faire uneinfinit de rflexions : Que javais peu raison, disait-il, decroire que mon malheur tait si singulier ! Cest sans doutelinvitable destine de tous les maris, puisque le sultan monfrre, le souverain de tant dtats, le plus grand prince du

    3.Le titre de sultane se donne toutes les femmes des princes del'Orient. Cependant le nom de sultane, tout court, dsigne ordinairementla favorite.

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  • monde, na pu lviter. Cela tant, quelle faiblesse de me lais-ser consumer de chagrin ! Cen est fait : le souvenir dun mal-heur si commun ne troublera plus dsormais le repos de mavie. En effet, ds ce moment il cessa de saffliger ; et commeil navait pas voulu souper quil net vu toute la scne qui ve-nait de se jouer sous ses fentres, il fit servir alors, mangea demeilleur apptit quil navait fait depuis son dpart de Samar-cande, et entendit mme avec quelque plaisir un concertagrable de voix et dinstruments dont on accompagna lerepas.

    Les jours suivants il fut de trs-bonne humeur ; et lorsquilsut que le sultan tait de retour, il alla au-devant de lui, et luifit son compliment dun air enjou. Schahriar dabord ne pritpas garde ce changement ; il ne songea qu se plaindre obli-geamment de ce que ce prince avait refus de laccompagner la chasse ; et sans lui donner le temps de rpondre ses re-proches, il lui parla du grand nombre de cerfs et dautres ani-maux quil avait pris, et enfin du plaisir quil avait eu. Schahze-nan, aprs lavoir cout avec attention, prit la parole sontour. Comme il navait plus de chagrin qui lempcht de faireparatre combien il avait desprit, il dit mille choses agrableset plaisantes.

    Le sultan, qui stait attendu le retrouver dans le mmetat o il lavait laiss, fut ravi de le voir si gai : Mon frre,lui dit-il, je rends grces au ciel de lheureux changement quila produit en vous pendant mon absence : jen ai une vritablejoie ; mais jai une prire vous faire, et je vous conjure demaccorder ce que je vais vous demander. Que pourrais-jevous refuser ? rpondit le roi de Tartarie. Vous pouvez tout surSchahzenan. Parlez ; je suis dans limpatience de savoir ce quevous souhaitez de moi. Depuis que vous tes dans ma cour,reprit Schahriar, je vous ai vu plong dans une noire mlanco-lie, que jai vainement tent de dissiper par toutes sortes de di-vertissements. Je me suis imagin que votre chagrin venait dece que vous tiez loign de vos tats ; jai cru mme quelamour y avait beaucoup de part, et que la reine de Samar-cande, que vous avez d choisir dune beaut acheve, en taitpeut-tre la cause. Je ne sais si je me suis tromp dans maconjecture ; mais je vous avoue que cest particulirement pourcette raison que je nai pas voulu vous importuner l-dessus, de

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  • peur de vous dplaire. Cependant, sans que jy aie contribu enaucune manire, je vous trouve mon retour de la meilleurehumeur du monde et lesprit entirement dgag de cettenoire vapeur qui en troublait tout lenjouement : dites-moi, degrce, pourquoi vous tiez si triste, et pourquoi vous ne ltesplus.

    ce discours, le roi de la Grande Tartarie demeura quelquetemps rveur, comme sil et cherch ce quil avait y r-pondre. Enfin il repartit dans ces termes : Vous tes mon sul-tan et mon matre ; mais dispensez-moi, je vous supplie, devous donner la satisfaction que vous me demandez. Non, monfrre, rpliqua le sultan ; il faut que vous me laccordiez : je lasouhaite, ne me la refusez pas. Schahzenan ne put rsisteraux instances de Schahriar : H bien ! mon frre, lui dit-il, jevais vous satisfaire, puisque vous me le commandez. Alors illui raconta linfidlit de la reine de Samarcande ; et lorsquilen eut achev le rcit : Voil, poursuivit-il, le sujet de ma tris-tesse ; jugez si javais tort de my abandonner. mon frre !scria le sultan dun ton qui marquait combien il entrait dansle ressentiment du roi de Tartarie, quelle horrible histoirevenez-vous de me raconter ! Avec quelle impatience je laicoute jusquau bout ! Je vous loue davoir puni les tratresqui vous ont fait un outrage si sensible. On ne saurait vous re-procher cette action : elle est juste ; et pour moi, javoueraiqu votre place jaurais eu peut-tre moins de modration quevous : je ne me serais pas content dter la vie une seulefemme ; je crois que jen aurais sacrifi plus de mille marage. Je ne suis pas tonn de vos chagrins : la cause en taittrop vive et trop mortifiante pour ny pas succomber. ciel,quelle aventure ! Non, je crois quil nen est jamais arriv desemblable personne qu vous. Mais enfin il faut louer Dieude ce quil vous a donn de la consolation ; et comme je nedoute pas quelle ne soit bien fonde, ayez encore la complai-sance de men instruire, et faites-moi la confidence entire.

    Schahzenan fit plus de difficult sur ce point que sur le pr-cdent, cause de lintrt que son frre y avait ; mais il fallutcder ses nouvelles instances : Je vais donc vous obir, luidit-il, puisque vous le voulez absolument. Je crains que monobissance ne vous cause plus de chagrins que je nen ai eu ;mais vous ne devez vous en prendre qu vous-mme, puisque

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  • cest vous qui me forcez vous rvler une chose que je vou-drais ensevelir dans un ternel oubli. Ce que vous me dites,interrompit Schahriar, ne fait quirriter ma curiosit ; htez-vous de me dcouvrir ce secret, de quelque nature quil puissetre. Le roi de Tartarie, ne pouvant plus sen dfendre, fitalors le dtail de tout ce quil avait vu du dguisement desnoirs, de lemportement de la sultane et de ses femmes, et ilnoublia pas Masoud : Aprs avoir t tmoin de cesinfamies, continua-t-il, je pensai que toutes les femmes ytaient naturellement portes, et quelles ne pouvaient rsister leur penchant. Prvenu de cette opinion, il me parut quectait une grande faiblesse un homme dattacher son repos leur fidlit. Cette rflexion men fit faire beaucoup dautres ;et enfin je jugeai que je ne pouvais prendre un meilleur partique de me consoler. Il men a cot quelques efforts ; mais jensuis venu bout ; et si vous men croyez, vous suivrez monexemple.

    Quoique ce conseil ft judicieux, le sultan ne put le goter. Ilentra mme en fureur : Quoi ! dit-il, la sultane des Indes estcapable de se prostituer dune manire si indigne ! Non, monfrre, ajouta-t-il, je ne puis croire ce que vous me dites, si je nele vois de mes propres yeux. Il faut que les vtres vous aienttromp ; la chose est assez importante pour mriter que jensois assur par moi-mme. Mon frre, rpondit Schahzenan,si vous voulez en tre tmoin, cela nest pas fort difficile : vousnavez qu faire une nouvelle partie de chasse ; quand nousserons hors de la ville avec votre cour et la mienne, nous nousarrterons sous nos pavillons, et la nuit nous reviendrons tousdeux seuls dans mon appartement. Je suis assur que le lende-main vous verrez ce que jai vu. Le sultan approuva le strata-gme, et ordonna aussitt une nouvelle chasse ; de sorte queds le mme jour, les pavillons furent dresss au lieu dsign.

    Le jour suivant les deux princes partirent avec toute leursuite. Ils arrivrent o ils devaient camper, et ils y demeu-rrent jusqu la nuit. Alors Schahriar appela son grand vizir,et, sans lui dcouvrir son dessein, lui commanda de tenir saplace pendant son absence, et de ne pas permettre que per-sonne sortt du camp, pour quelque sujet que ce pt tre.Dabord quil eut donn cet ordre, le roi de la Grande Tartarieet lui montrent cheval, passrent incognito au travers du

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  • camp, rentrrent dans la ville et se rendirent au palais quoccu-pait Schahzenan. Ils se couchrent ; et le lendemain, de bonmatin, ils sallrent placer la fentre do le roi de Tartarieavait vu la scne des noirs. Ils jouirent quelque temps de lafracheur ; car le soleil ntait pas encore lev ; et en sentrete-nant, ils jetaient souvent les yeux du ct de la porte secrte.Elle souvrit enfin ; et, pour dire le reste en peu de mots, la sul-tane parut avec ses femmes et les dix noirs dguiss ; elle ap-pela Masoud ; et le sultan en vit plus quil nen fallait pour trepleinement convaincu de sa honte et de son malheur : Dieu ! scria-t-il, quelle indignit ! quelle horreur ! Lpousedun souverain tel que moi peut-elle tre capable de cette infa-mie ? Aprs cela quel prince osera se vanter dtre parfaite-ment heureux ? Ah ! mon frre, poursuivit-il en embrassant leroi de Tartarie, renonons tous deux au monde ; la bonne foi enest bannie : sil flatte dun ct, il trahit de lautre. Abandon-nons nos tats et tout lclat qui nous environne. Allons dansdes royaumes trangers traner une vie obscure et cachernotre infortune. Schahzenan napprouvait pas cette rsolu-tion ; mais il nosa la combattre dans lemportement o ilvoyait Schahriar. Mon frre, lui dit-il, je nai pas dautre vo-lont que la vtre ; je suis prt vous suivre partout o il vousplaira ; mais promettez-moi que nous reviendrons, si nous pou-vons rencontrer quelquun qui soit plus malheureux que nous. Je vous le promets, rpondit le sultan ; mais je doute fort quenous trouvions personne qui le puisse tre. Je ne suis pas devotre sentiment l-dessus, rpliqua le roi de Tartarie ; peut-tre mme ne voyagerons-nous pas longtemps. En disant ce-la, ils sortirent secrtement du palais, et prirent un autre che-min que celui par o ils taient venus. Ils marchrent tantquils eurent du jour assez pour se conduire, et passrent lapremire nuit sous des arbres. Stant levs ds le point dujour, ils continurent leur marche jusqu ce quils arrivrent une belle prairie sur le bord de la mer, o il y avait, despaceen espace, de grands arbres fort touffus. Ils sassirent sous unde ces arbres pour se dlasser et pour y prendre le frais. Linfi-dlit des princesses leurs femmes fit le sujet de leurconversation.

    Il ny avait pas longtemps quils sentretenaient, lorsquils en-tendirent assez prs deux un bruit horrible du ct de la mer,

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  • et des cris effroyables qui les remplirent de crainte : alors lamer souvrit, et il sen leva comme une grosse colonne noirequi semblait saller perdre dans les nues. Cet objet redoublaleur frayeur ; ils se levrent promptement, et montrent auhaut de larbre qui leur parut le plus propre les cacher. Ils yfurent peine monts, que, regardant vers lendroit do lebruit partait et o la mer stait entrouverte, ils remarqurentque la colonne noire savanait vers le rivage en fendant leau.Ils ne purent dans le moment dmler ce que ce pouvait tre ;mais ils en furent bientt claircis.

    Ctait un de ces gnies4 qui sont malins, malfaisants, et en-nemis mortels des hommes : il tait noir et hideux, avait laforme dun gant dune hauteur prodigieuse, et portait sur satte une grande caisse de verre, ferme quatre serruresdacier fin. Il entra dans la prairie avec cette charge, quil vintposer justement au pied de larbre o taient les deux princes,qui, connaissant lextrme pril o ils se trouvaient, se crurentperdus.

    Cependant le gnie sassit auprs de la caisse ; et layant ou-verte avec quatre clefs qui taient attaches sa ceinture, il ensortit aussitt une dame trs-richement habille, dune taillemajestueuse et dune beaut parfaite. Le monstre la fit asseoir ses cts ; et la regardant amoureusement : Dame, dit-il, laplus accomplie de toutes les dames qui sont admires pour leurbeaut, charmante personne, vous que jai enleve le jour devos noces, et que jai toujours aime depuis si constamment,vous voudrez bien que je dorme quelques moments prs devous ; le sommeil, dont je me sens accabl, ma fait venir en cetendroit pour prendre un peu de repos. En disant cela, il lais-sa tomber sa grosse tte sur les genoux de la dame ; ensuite,ayant allong ses pieds, qui stendaient jusqu la mer, il netarda pas sendormir, et il ronfla bientt de manire quil fitretentir le rivage.

    La dame alors leva la vue par hasard, et apercevant lesprinces au haut de larbre, elle leur fit signe de la main de des-cendre sans faire de bruit. Leur frayeur fut extrme quand ilsse virent dcouverts. Ils supplirent la dame, par dautres

    4.Suivant les traditions des musulmans, il y a eu deux sortes de gnies :les pris et les dives. Les premiers taient bienfaisants ; les dives, froceset ennemis de l'homme.

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  • signes, de les dispenser de lui obir ; mais elle, aprs avoir tdoucement de dessus ses genoux la tte du gnie, et lavoir po-se lgrement terre, se leva et leur dit dun ton de voix bas,mais anim : Descendez, il faut absolument que vous veniez moi. Ils voulurent vainement lui faire comprendre encore parleurs gestes quils craignaient le gnie. Descendez donc, leurrpliqua-t-elle sur le mme ton ; si vous ne vous htez demobir, je vais lveiller, et je lui demanderai moi-mme votremort.

    Ces paroles intimidrent tellement les princes, quils com-mencrent descendre avec toutes les prcautions possiblespour ne pas veiller le gnie. Lorsquils furent en bas, la dameles prit par la main ; et, stant un peu loigne avec eux sousles arbres, elle leur fit librement une proposition trs-vive ; ilsla rejetrent dabord ; mais elle les obligea, par de nouvellesmenaces, laccepter. Aprs quelle eut obtenu deux cequelle souhaitait, ayant remarqu quils avaient chacun unebague au doigt, elle les leur demanda. Sitt quelle les eutentre les mains, elle alla prendre une bote du paquet o taitsa toilette ; elle en tira un fil garni dautres bagues de toutessortes de faons, et le leur montrant : Savez-vous bien, dit-elle, ce que signifient ces joyaux ? Non, rpondirent-ils ; maisil ne tiendra qu vous de nous lapprendre. Ce sont, reprit-elle, les bagues de tous les hommes qui jai fait part de mesfaveurs ; il y en a quatre-vingt-dix-huit bien comptes, que jegarde pour me souvenir deux. Je vous ai demand les vtrespour la mme raison, et afin davoir la centaine accomplie : voi-l donc, continua-t-elle, cent amants que jai eus jusqu cejour, malgr la vigilance et les prcautions de ce vilain gniequi ne me quitte pas. Il a beau menfermer dans cette caisse deverre, et me tenir cache au fond de la mer, je ne laisse pas detromper ses soins. Vous voyez par l que quand une femme aform un projet, il ny a point de mari ni damant qui puisse enempcher lexcution. Les hommes feraient mieux de ne pascontraindre les femmes ; ce serait le moyen de les rendresages. La dame, leur ayant parl de la sorte, passa leursbagues dans le mme fil o taient enfiles les autres. Ellesassit ensuite comme auparavant, souleva la tte du gnie, quine se rveilla point, la remit sur ses genoux, et fit signe auxprinces de se retirer.

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  • Ils reprirent le chemin par o ils taient venus ; et lorsquilseurent perdu de vue la dame et le gnie, Schahriar dit Schah-zenan : H bien ! mon frre, que pensez-vous de laventurequi vient de nous arriver ? Le gnie na-t-il pas une matressebien fidle ? Et ne convenez-vous pas que rien nest gal lamalice des femmes ? Oui, mon frre, rpondit le roi de laGrande Tartarie. Et vous devez aussi demeurer daccord que legnie est plus plaindre et plus malheureux que nous. Cestpourquoi, puisque nous avons trouv ce que nous cherchions,retournons dans nos tats, et que cela ne nous empche pas denous marier. Pour moi, je sais par quel moyen je prtends quela foi qui mest due me soit inviolablement conserve. Je neveux pas mexpliquer prsentement l-dessus ; mais vous enapprendrez un jour des nouvelles, et je suis sr que vous sui-vrez mon exemple. Le sultan fut de lavis de son frre ; etcontinuant tous deux de marcher, ils arrivrent au camp sur lafin de la nuit du troisime jour quils taient partis.

    La nouvelle du retour du sultan sy tant rpandue, les cour-tisans se rendirent de grand matin devant son pavillon. Il les fitentrer, les reut dun air plus riant qu lordinaire, et leur fit tous des gratifications. Aprs quoi, leur ayant dclar quil nevoulait pas aller plus loin, il leur commanda de monter che-val, et il retourna bientt son palais.

    peine fut-il arriv, quil courut lappartement de la sul-tane. Il la fit lier devant lui, et la livra son grand vizir, avecordre de la faire trangler ; ce que ce ministre excuta, sanssinformer quel crime elle avait commis. Le prince irrit nendemeura pas l : il coupa la tte de sa propre main toutes lesfemmes de la sultane. Aprs ce rigoureux chtiment, persuadquil ny avait pas une femme sage, pour prvenir les infidlitsde celles quil prendrait lavenir, il rsolut den pouser unechaque nuit, et de la faire trangler le lendemain. Stant im-pos cette loi cruelle, il jura quil lobserverait immdiatementaprs le dpart du roi de Tartarie, qui prit bientt cong de lui,et se mit en chemin, charg de prsents magnifiques.

    Schahzenan tant parti, Schahriar ne manqua pas dordon-ner son grand vizir de lui amener la fille dun de ses gn-raux darme. Le vizir obit. Le sultan coucha avec elle ; et lelendemain, en la lui remettant entre les mains pour la fairemourir, il lui commanda de lui en chercher une autre pour la

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  • nuit suivante. Quelque rpugnance quet le vizir excuter desemblables ordres, comme il devait au sultan son matre uneobissance aveugle, il tait oblig de sy soumettre. Il lui menadonc la fille dun officier subalterne, quon fit aussi mourir lelendemain. Aprs celle-l, ce fut la fille dun bourgeois de la ca-pitale ; et enfin, chaque jour ctait une fille marie et unefemme morte.

    Le bruit de cette inhumanit sans exemple causa uneconsternation gnrale dans la ville. On ny entendait que descris et des lamentations : ici ctait un pre en pleurs qui sedsesprait de la perte de sa fille ; et l ctaient de tendresmres, qui, craignant pour les leurs la mme destine, fai-saient par avance retentir lair de leurs gmissements. Ainsi,au lieu des louanges et des bndictions que le sultan staitattires jusqualors, tous ses sujets ne faisaient plus que desimprcations contre lui.

    Le grand vizir, qui, comme on la dj dit, tait malgr lui leministre dune si horrible injustice, avait deux filles, dont la-ne sappelait Scheherazade, et la cadette Dinarzade.

    Cette dernire ne manquait pas de mrite ; mais lautre avaitun courage au-dessus de son sexe, de lesprit infiniment, avecune pntration admirable. Elle avait beaucoup de lecture etune mmoire si prodigieuse, que rien ne lui avait chapp detout ce quelle avait lu. Elle stait heureusement applique la philosophie, la mdecine, lhistoire et aux arts ; et ellefaisait des vers mieux que les potes les plus clbres de sontemps. Outre cela, elle tait pourvue dune beaut extraordi-naire ; et une vertu trssolide couronnait toutes ses bellesqualits.

    Le vizir aimait passionnment une fille si digne de sa ten-dresse. Un jour quils sentretenaient tous deux ensemble, ellelui dit : Mon pre, jai une grce vous demander ; je voussupplie trs-humblement de me laccorder. Je ne vous la re-fuse pas, rpondit-il, pourvu quelle soit juste et raisonnable. Pour juste, rpliqua Scheherazade, elle ne peut ltre davan-tage, et vous en pouvez juger par le motif qui moblige vousla demander. Jai dessein darrter le cours de cette barbarieque le sultan exerce sur les familles de cette ville. Je veux dissi-per la juste crainte que tant de mres ont de perdre leurs fillesdune manire si funeste. Votre intention est fort louable, ma

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  • fille, dit le vizir ; mais le mal auquel vous voulez remdier meparat sans remde. Comment prtendez-vous en venir bout ? Mon pre, repartit Scheherazade, puisque par votre entre-mise le sultan clbre chaque jour un nouveau mariage, je vousconjure, par la tendre affection que vous avez pour moi, de meprocurer lhonneur de sa couche. Le vizir ne put entendre cediscours sans horreur : Dieu ! interrompit-il avec transport.Avez-vous perdu lesprit, ma fille ? Pouvez-vous me faire uneprire si dangereuse ? Vous savez que le sultan a fait sermentsur son me de ne coucher quune seule nuit avec la mmefemme et de lui faire ter la vie le lendemain, et vous voulezque je lui propose de vous pouser ? Songez-vous bien quoivous expose votre zle indiscret ? Oui, mon pre, rponditcette vertueuse fille, je connais tout le danger que je cours, etil ne saurait mpouvanter. Si je pris, ma mort sera glorieuse ;et si je russis dans mon entreprise, je rendrai ma patrie unservice important. Non, dit le vizir, quoi que vous puissiez mereprsenter, pour mintresser vous permettre de vous jeterdans cet affreux pril, ne vous imaginez pas que jy consente.Quand le sultan mordonnera de vous enfoncer le poignarddans le sein, hlas ! il faudra bien que je lui obisse : queltriste emploi pour un pre ! Ah ! si vous ne craignez point lamort, craignez du moins de me causer la douleur mortelle devoir ma main teinte de votre sang. Encore une fois, mon pre,dit Scheherazade, accordez-moi la grce que je vous demande. Votre opinitret, repartit le vizir, excite ma colre. Pourquoivouloir vous-mme courir votre perte ? Qui ne prvoit pas lafin dune entreprise dangereuse nen saurait sortir heureuse-ment. Je crains quil ne vous arrive ce qui arriva lne, quitait bien, et qui ne put sy tenir. Quel malheur arriva-t-il cet ne ? reprit Scheherazade. Je vais vous le dire, rponditle vizir ; coutez-moi :

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  • FABLE.

    LNE, LE BOEUF ET LE LABOUREUR.

    Un marchand trs-riche avait plusieurs maisons la cam-pagne, o il faisait nourrir une grande quantit de toute sortede btail. Il se retira avec sa femme et ses enfants une de sesterres, pour la faire valoir par lui-mme. Il avait le don den-tendre le langage des btes ; mais avec cette condition, quil nepouvait linterprter personne, sans sexposer perdre lavie ; ce qui lempchait de communiquer les choses quil avaitapprises par le moyen de ce don.

    Il y avait une mme auge un buf et un ne. Un jour quiltait assis prs deux, et quil se divertissait voir jouer devantlui ses enfants, il entendit que le buf disait lne : Lveill, que je te trouve heureux, quand je considre le re-pos dont tu jouis, et le peu de travail quon exige de toi ! Unhomme te panse avec soin, te lave, te donne de lorge bien cri-ble, et de leau frache et nette. Ta plus grande peine est deporter le marchand notre matre, lorsquil a quelque petitvoyage faire. Sans cela, toute ta vie se passerait dans loisive-t. La manire dont on me traite est bien diffrente, et macondition est aussi malheureuse que la tienne est agrable : ilest peine minuit quon mattache une charrue que lon mefait traner tout le long du jour en fendant la terre ; ce qui mefatigue un point, que les forces me manquent quelquefois.Dailleurs, le laboureur, qui est toujours derrire moi, ne cessede me frapper. force de tirer la charrue, jai le cou tout cor-ch. Enfin, aprs avoir travaill depuis le matin jusquau soir,quand je suis de retour, on me donne manger de mchantesfves sches, dont on ne sest pas mis en peine dter la terre,ou dautres choses qui ne valent pas mieux. Pour comble de mi-sre, lorsque je me suis repu dun mets si peu apptissant, jesuis oblig de passer la nuit couch dans mon ordure. Tu voisdonc que jai raison denvier ton sort.

    Lne ninterrompit pas le buf ; il lui laissa dire tout cequil voulut ; mais quand il eut achev de parler : Vous ne d-mentez pas, lui dit-il, le nom didiot quon vous a donn ; voustes trop simple, vous vous laissez mener comme lon veut, etvous ne pouvez prendre une bonne rsolution. Cependant quel

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  • avantage vous revient-il de toutes les indignits que vous souf-frez ? Vous vous tuez vous-mme pour le repos, le plaisir et leprofit de ceux qui ne vous en savent point de gr : on ne voustraiterait pas de la sorte, si vous aviez autant de courage quede force. Lorsquon vient vous attacher lauge, que ne faites-vous rsistance ? Que ne donnez-vous de bons coups decornes ? Que ne marquez-vous votre colre en frappant du piedcontre terre ? Pourquoi enfin ninspirez-vous pas la terreur pardes beuglements effroyables ? La nature vous a donn lesmoyens de vous faire respecter, et vous ne vous en servez pas.On vous apporte de mauvaises fves et de mauvaise paille, nenmangez point ; flairez-les seulement et les laissez. Si vous sui-vez les conseils que je vous donne, vous verrez bientt unchangement dont vous me remercierez.

    Le buf prit en fort bonne part les avis de lne, il lui t-moigna combien il lui tait oblig : Cher lveill, ajouta-t-il,je ne manquerai pas de faire tout ce que tu mas dit, et tu ver-ras de quelle manire je men acquitterai. Ils se turent aprscet entretien, dont le marchand ne perdit pas une parole.

    Le lendemain de bon matin, le laboureur vint prendre lebuf ; il lattacha la charrue, et le mena au travail ordinaire.Le buf, qui navait pas oubli le conseil de lne, fit fort lemchant ce jour-l ; et le soir, lorsque le laboureur, layant ra-men lauge, voulut lattacher comme de coutume, le mali-cieux animal, au lieu de prsenter ses cornes de lui-mme, semit faire le rtif, et reculer en beuglant ; il baissa mme sescornes, comme pour en frapper le laboureur. Il fit enfin tout lemange que lne lui avait enseign. Le jour suivant, le labou-reur vint le reprendre pour le ramener au labourage ; maistrouvant lauge encore remplie des fves et de la paille quil yavait mises le soir, et le buf couch par terre, les pieds ten-dus, et haletant dune trange faon, il le crut malade ; il eneut piti, et, jugeant quil serait inutile de le mener au travail,il alla aussitt en avertir le marchand.

    Le bon marchand vit bien que les mauvais conseils delveill avaient t suivis ; et pour le punir comme il le mri-tait : Va, dit-il au laboureur, prends lne la place du buf,et ne manque pas de lui donner bien de lexercice. Le labou-reur obit. Lne fut oblig de tirer la charrue tout ce jour-l ;ce qui le fatigua dautant plus, quil tait moins accoutum ce

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  • travail. Outre cela, il reut tant de coups de bton, quil nepouvait se soutenir quand il fut de retour.

    Cependant le buf tait trs-content ; il avait mang toutce quil y avait dans son auge, et stait repos toute la jour-ne ; il se rjouissait en lui-mme davoir suivi les conseils delveill ; il lui donnait mille bndictions pour le bien quil luiavait procur, et il ne manqua pas de lui en faire un nouveaucompliment lorsquil le vit arriver. Lne ne rpondit rien aubuf, tant il avait de dpit davoir t si maltrait : Cest parmon imprudence, se disait-il lui-mme, que je me suis attirce malheur ; je vivais heureux ; tout me riait ; javais tout ceque je pouvais souhaiter : cest ma faute si je suis dans ce d-plorable tat ; et si je ne trouve quelque ruse en mon espritpour men tirer, ma perte est certaine. En disant cela, sesforces se trouvrent tellement puises, quil se laissa tomber demi mort au pied de son auge.

    En cet endroit le grand vizir sadressant Scheherazade, luidit : Ma fille, vous faites comme cet ne, vous vous exposez vous perdre par votre fausse prudence. Croyez-moi, demeurezen repos, et ne cherchez point prvenir votre mort. Monpre, rpondit Scheherazade, lexemple que vous venez de rap-porter nest pas capable de me faire changer de rsolution, etje ne cesserai point de vous importuner, que je naie obtenu devous que vous me prsenterez au sultan pour tre sonpouse. Le vizir, voyant quelle persistait toujours dans sa de-mande, lui rpliqua : H bien ! puisque vous ne voulez pasquitter votre obstination, je serai oblig de vous traiter de lamme manire que le marchand dont je viens de parler traitasa femme peu de temps aprs, et voici comment :

    Ce marchand ayant appris que lne tait dans un tat pi-toyable, fut curieux de savoir ce qui se passerait entre lui et lebuf. Cest pourquoi, aprs le souper, il sortit au clair de lalune, et alla sasseoir auprs deux, accompagn de sa femme.En arrivant, il entendit lne qui disait au buf : Compre,dites-moi, je vous prie, ce que vous prtendez faire quand le la-boureur vous apportera demain manger. Ce que je ferai, r-pondit le buf, je continuerai de faire ce que tu mas enseign.Je mloignerai dabord ; je prsenterai mes cornes commehier ; je ferai le malade, et feindrai dtre aux abois. Gardez-vous-en bien, interrompit lne, ce serait le moyen de vous

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  • perdre : car, en arrivant ce soir, jai ou dire au marchand,notre matre, une chose qui ma fait trembler pour vous. H !quavez-vous entendu ? dit le buf ; ne me cachez rien, degrce, mon cher lveill. Notre matre, reprit lne, a dit aulaboureur ces tristes paroles : Puisque le buf ne mange pas,et quil ne peut se soutenir, je veux quil soit tu ds demain.Nous ferons, pour lamour de Dieu, une aumne de sa chairaux pauvres ; et quant sa peau, qui pourra nous tre utile, tula donneras au corroyeur ; ne manque donc pas de faire venirle boucher. Voil ce que javais vous apprendre, ajoutalne ; lintrt que je prends votre conservation, et lamitique jai pour vous, mobligent vous en avertir et vous don-ner un nouveau conseil : dabord quon vous apportera vosfves et votre paille, levez-vous, et vous jetez dessus avec avidi-t ; le matre jugera par l que vous tes guri, et rvoquera,sans doute, votre arrt de mort ; au lieu que si vous en usez au-trement, cest fait de vous.

    Ce discours produisit leffet quen avait attendu lne. Lebuf en fut trangement troubl et en beugla deffroi. Le mar-chand, qui les avait couts tous deux avec beaucoup datten-tion, fit alors un si grand clat de rire, que sa femme en futtrs-surprise : Apprenez-moi, lui dit-elle, pourquoi vous riezsi fort, afin que jen rie avec vous. Ma femme, lui rpondit lemarchand, contentez-vous de mentendre rire. Non, reprit-elle, jen veux savoir le sujet. Je ne puis vous donner cette sa-tisfaction, repartit le mari ; sachez seulement que je ris de ceque notre ne vient de dire notre buf ; le reste est un secretquil ne mest pas permis de vous rvler. Et qui vous em-pche de me dcouvrir ce secret ? rpliqua-t-elle. Si je vousle disais, rpondit-il, apprenez quil men coterait la vie. Vous vous moquez de moi, scria la femme ; ce que vous medites ne peut pas tre vrai. Si vous ne mavouez tout lheurepourquoi vous avez ri, si vous refusez de minstruire de ce quelne et le buf ont dit, je jure, par le grand Dieu qui est auciel, que nous ne vivrons pas davantage ensemble.

    En achevant ces mots, elle rentra dans la maison, et se mitdans un coin o elle passa la nuit pleurer de toute sa force.Le mari coucha seul ; et le lendemain, voyant quelle ne discon-tinuait pas de se lamenter : Vous ntes pas sage, lui dit-il, devous affliger de la sorte ; la chose nen vaut pas la peine ; et il

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  • vous est aussi peu important de la savoir, quil mimporte beau-coup, moi, de la tenir secrte. Ny pensez donc plus, je vousen conjure. Jy pense si bien encore, rpondit la femme, queje ne cesserai pas de pleurer, que vous nayez satisfait ma cu-riosit. Mais je vous dis fort srieusement, rpliqua-t-il, quilmen cotera la vie si je cde vos indiscrtes instances. Quil en arrive tout ce quil plaira Dieu, repartit-elle, je nendmordrai pas. Je vois bien, reprit le marchand, quil ny apas moyen de vous faire entendre raison ; et comme je prvoisque vous vous ferez mourir vous-mme par votre opinitret, jevais appeler vos enfants, afin quils aient la consolation de vousvoir avant que vous mouriez. Il fit venir ses enfants, et en-voya chercher aussi le pre, la mre et les parents de lafemme. Lorsquils furent assembls, et quil leur eut expliqude quoi il tait question, ils employrent leur loquence fairecomprendre la femme quelle avait tort de ne vouloir pas re-venir de son enttement ; mais elle les rebuta tous, et ditquelle mourrait plutt que de cder en cela son mari. Lepre et la mre eurent beau lui parler en particulier, et lui re-prsenter que la chose quelle souhaitait dapprendre ne luitait daucune importance, ils ne gagnrent rien sur son esprit,ni par leur autorit, ni par leurs discours. Quand ses enfantsvirent quelle sobstinait rejeter toujours les bonnes raisonsdont on combattait son opinitret, ils se mirent pleurer am-rement. Le marchand lui-mme ne savait plus o il en tait. As-sis seul auprs de la porte de sa maison, il dlibrait dj silsacrifierait sa vie pour sauver celle de sa femme quil aimaitbeaucoup.

    Or, ma fille, continua le vizir en parlant toujours Schehe-razade, ce marchand avait cinquante poules et un coq, avec unchien qui faisait bonne garde. Pendant quil tait assis, commeje lai dit, et quil rvait profondment au parti quil devaitprendre, il vit le chien courir vers le coq qui stait jet sur unepoule, et il entendit quil lui parla dans ces termes : coq !Dieu ne permettra pas que tu vives encore longtemps ! Nas-tupas honte de faire aujourdhui ce que tu fais ? Le coq montasur ses ergots, et se tournant du ct du chien : Pourquoi,rpondit-il firement, cela me serait-il dfendu aujourdhui plu-tt que les autres jours ? Puisque tu lignores, rpliqua lechien, apprends que notre matre est aujourdhui dans un

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  • grand deuil. Sa femme veut quil lui rvle un secret qui est detelle nature, quil perdra la vie sil le lui dcouvre. Les chosessont en cet tat ; et il est craindre quil nait pas assez de fer-met pour rsister lobstination de sa femme ; car il laime, etil est touch des larmes quelle rpand sans cesse. Il va peut-tre prir ; nous en sommes tous alarms dans ce logis. Toiseul, insultant notre tristesse, tu as limpudence de te diver-tir avec tes poules.

    Le coq repartit de cette sorte la rprimande du chien : Que notre matre est insens ! il na quune femme, et il nenpeut venir bout, pendant que jen ai cinquante qui ne fontque ce que je veux. Quil rappelle sa raison, il trouvera bienttmoyen de sortir de lembarras o il est. H ! que veux-tu quilfasse ? dit le chien. Quil entre dans la chambre o est safemme, rpondit le coq ; et quaprs stre enferm avec elle, ilprenne un bon bton, et lui en donne mille coups ; je mets enfait quelle sera sage aprs cela, et quelle ne le pressera plusde lui dire ce quil ne doit pas lui rvler. Le marchand neutpas sitt entendu ce que le coq venait de dire, quil se leva desa place, prit un gros bton, alla trouver sa femme qui pleuraitencore, senferma avec elle, et la battit si bien, quelle ne putsempcher de crier : Cest assez, mon mari, cest assez,laissez-moi ; je ne vous demanderai plus rien. ces paroles,et voyant quelle se repentait davoir t curieuse si mal pro-pos, il cessa de la maltraiter ; il ouvrit la porte, toute la parententra, se rjouit de trouver la femme revenue de son entte-ment, et fit compliment au mari sur lheureux expdient dont ilstait servi pour la mettre la raison. Ma fille, ajouta le grandvizir, vous mriteriez dtre traite de la mme manire que lafemme de ce marchand.

    Mon pre, dit alors Scheherazade, de grce, ne trouvezpoint mauvais que je persiste dans mes sentiments. Lhistoirede cette femme ne saurait mbranler. Je pourrais vous en ra-conter beaucoup dautres qui vous persuaderaient que vous nedevez pas vous opposer mon dessein. Dailleurs, pardonnez-moi si jose vous le dclarer, vous vous y opposeriez vaine-ment : quand la tendresse paternelle refuserait de souscrire la prire que je vous fais, jirais me prsenter moi-mme ausultan.

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  • Enfin, le pre, pouss bout par la fermet de sa fille, serendit ses importunits ; et quoique fort afflig de navoir pula dtourner dune si funeste rsolution, il alla ds ce momenttrouver Schahriar, pour lui annoncer que la nuit prochaine illui mnerait Scheherazade.

    Le sultan fut fort tonn du sacrifice que son grand vizir luifaisait : Comment avez-vous pu, lui dit-il, vous rsoudre melivrer votre propre fille ? Sire, lui rpondit le vizir, elle sestofferte delle-mme. La triste destine qui lattend na pulpouvanter, et elle prfre sa vie lhonneur dtre une seulenuit lpouse de votre majest. Mais ne vous trompez pas, vi-zir, reprit le sultan : demain, en vous remettant Scheherazadeentre les mains, je prtends que vous lui tiez la vie. Si vous ymanquez, je vous jure que je vous ferai mourir vous-mme. Sire, repartit le vizir, mon cur gmira, sans doute, en vousobissant ; mais la nature aura beau murmurer : quoique pre,je vous rponds dun bras fidle. Schahriar accepta loffre deson ministre, et lui dit quil navait qu lui amener sa fillequand il lui plairait.

    Le grand vizir alla porter cette nouvelle Scheherazade, quila reut avec autant de joie que si elle et t la plus agrabledu monde. Elle remercia son pre de lavoir si sensiblementoblige ; et voyant quil tait accabl de douleur, elle lui dit,pour le consoler, quelle esprait quil ne se repentirait pas delavoir marie avec le sultan, et quau contraire il aurait sujetde sen rjouir le reste de sa vie.

    Elle ne songea plus qu se mettre en tat de paratre devantle sultan ; mais avant que de partir, elle prit sa sur Dinarzadeen particulier, et lui dit : Ma chre sur, jai besoin de votresecours dans une affaire trs-importante ; je vous prie de neme le pas refuser. Mon pre va me conduire chez le sultanpour tre son pouse. Que cette nouvelle ne vous pouvantepas ; coutez-moi seulement avec patience. Ds que je serai de-vant le sultan, je le supplierai de permettre que vous couchiezdans la chambre nuptiale, afin que je jouisse cette nuit encorede votre compagnie. Si jobtiens cette grce, comme jelespre, souvenez-vous de mveiller demain matin une heureavant le jour, et de madresser ces paroles : Ma sur, si vousne dormez pas, je vous supplie, en attendant le jour qui para-tra bientt, de me raconter un de ces beaux contes que vous

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  • savez. Aussitt je vous en conterai un, et je me flatte de dli-vrer, par ce moyen, tout le peuple de la consternation o il est.Dinarzade rpondit sa sur quelle ferait avec plaisir cequelle exigeait delle.

    Lheure de se coucher tant enfin venue, le grand vizirconduisit Scheherazade au palais, et se retira aprs lavoir in-troduite dans lappartement du sultan. Ce prince ne se vit pasplutt avec elle, quil lui ordonna de se dcouvrir le visage. Il latrouva si belle, quil en fut charm ; mais sapercevant quelletait en pleurs, il lui en demanda le sujet : Sire, rponditScheherazade, jai une sur que jaime aussi tendrement quejen suis aime. Je souhaiterais quelle passt la nuit dans cettechambre, pour la voir et lui dire adieu encore une fois. Voulez-vous bien que jaie la consolation de lui donner ce dernier t-moignage de mon amiti ? Schahriar y ayant consenti, on allachercher Dinarzade, qui vint en diligence. Le sultan se couchaavec Scheherazade sur une estrade fort leve, la maniredes monarques de lOrient, et Dinarzade dans un lit quon luiavait prpar au bas de lestrade.

    Une heure avant le jour, Dinarzade, stant rveille, ne man-qua pas de faire ce que sa sur lui avait recommand : Machre sur, scria-t-elle, si vous ne dormez pas, je vous sup-plie, en attendant le jour qui paratra bientt, de me raconterun de ces contes agrables que vous savez. Hlas ! ce serapeut-tre la dernire fois que jaurai ce plaisir.

    Scheherazade, au lieu de rpondre sa sur, sadressa ausultan : Sire, dit-elle, votre majest veut-elle bien me per-mettre de donner cette satisfaction ma sur ? Trs-volon-tiers, rpondit le sultan. Alors Scheherazade dit sa surdcouter ; et puis, adressant la parole Schahriar, elle com-mena de la sorte :

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  • I NUIT.

    LE MARCHAND ET LE GNIE.

    Sire, il y avait autrefois un marchand qui possdait de grandsbiens, tant en fonds de terre quen marchandises et en argentcomptant. Il avait beaucoup de commis, de facteurs et des-claves. Comme il tait oblig de temps en temps de faire desvoyages, pour saboucher avec ses correspondants, un jourquune affaire dimportance lappelait assez loin du lieu quilhabitait, il monta cheval et partit avec une valise derrire lui,dans laquelle il avait mis une petite provision de biscuit et dedattes, parce quil avait un pays dsert passer, o il nauraitpas trouv de quoi vivre. Il arriva sans accident lendroit o ilavait affaire, et quand il eut termin la chose qui ly avait appe-l, il remonta cheval pour sen retourner chez lui.

    Le quatrime jour de sa marche, il se sentit tellement incom-mod de lardeur du soleil, et de la terre chauffe par sesrayons, quil se dtourna de son chemin pour aller se rafrachirsous des arbres quil aperut dans la campagne. Il y trouva, aupied dun grand noyer, une fontaine dune eau trs-claire etcoulante. Il mit pied terre, attacha son cheval une branchedarbre, et sassit prs de la fontaine, aprs avoir tir de sa va-lise quelques dattes et du biscuit. En mangeant les dattes, il enjetait les noyaux droite et gauche. Lorsquil eut achev cerepas frugal, comme il tait bon musulman, il se lava les mains,le visage et les pieds5, et fit sa prire.

    Il ne lavait pas finie, et il tait encore genoux, quand il vitparatre un gnie tout blanc de vieillesse et dune grandeurnorme, qui, savanant jusqu lui le sabre la main, lui ditdun ton de voix terrible : Lve-toi, que je te tue avec cesabre, comme tu as tu mon fils. Il accompagna ces motsdun cri effroyable. Le marchand, autant effray de la hideuse

    5.L'ablution avant la prire est de prcepte divin, dans la religion musul-mane : vous, croyants ! lorsque vous vous disposez la prire, lavez-vous le visage et les mains jusqu'aux coudes ; baignez-vous la tte, et lespieds jusqu' la cheville. Un musulman doit faire sa prire cinq fois parjour : 1 Une heure avant le lever du soleil ; 2 midi ; 3 trois heuresaprs midi ; 4 au coucher du soleil ; 5 une heure et demie aprs le cou-cher du soleil. En priant, le musulman se tourne toujours du ct de laMecque.

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  • figure du monstre que des paroles quil lui avait adresses, luirpondit en tremblant : Hlas ! mon bon seigneur, de quelcrime puis-je tre coupable envers vous, pour mriter que vousmtiez la vie ? Je veux, reprit le gnie, te tuer de mme quetu as tu mon fils. H ! bon Dieu, repartit le marchand,comment pourrais-je avoir tu votre fils ? Je ne le connaispoint, et je ne lai jamais vu. Ne tes-tu pas assis en arrivantici ? rpliqua le gnie ; nas-tu pas tir des dattes de la valise,et, en les mangeant, nen as-tu pas jet les noyaux droite et gauche ? Jai fait ce que vous dites, rpondit le marchand ; jene puis le nier. Cela tant, reprit le gnie, je te dis que tu astu mon fils, et voici comment : dans le temps que tu jetais tesnoyaux, mon fils passait ; il en a reu un dans lil, et il en estmort : cest pourquoi il faut que je te tue. Ah ! monseigneur,pardon, scria le marchand. Point de pardon, rpondit le g-nie, point de misricorde. Nest-il pas juste de tuer celui qui atu ? Jen demeure daccord, dit le marchand ; mais je nai as-surment pas tu votre fils ; et quand cela serait, je ne lauraisfait que fort innocemment : par consquent, je vous supplie deme pardonner et de me laisser la vie. Non, non, dit le gnie,en persistant dans sa rsolution, il faut que je te tue de mmeque tu as tu mon fils. ces mots, il prit le marchand par lebras, le jeta la face contre terre, et leva le sabre pour lui cou-per la tte.

    Cependant le marchand tout en pleurs, et protestant de soninnocence, regrettait sa femme et ses enfants, et disait leschoses du monde les plus touchantes. Le gnie, toujours lesabre haut, eut la patience dattendre que le malheureux etachev ses lamentations ; mais il nen fut nullement attendri : Tous ces regrets sont superflus, scria-t-il ; quand tes larmesseraient de sang, cela ne mempcherait pas de te tuer commetu as tu mon fils. Quoi ! rpliqua le marchand, rien ne peutvous toucher ? Vous voulez absolument ter la vie un pauvreinnocent ? Oui, repartit le gnie, jy suis rsolu. En ache-vant ces paroles

    Scheherazade, en cet endroit, sapercevant quil tait jour, etsachant que le sultan se levait de grand matin pour faire saprire et tenir son conseil, cessa de parler. Bon Dieu ! masur, dit alors Dinarzade, que votre conte est merveilleux ! La suite en est encore plus surprenante, rpondit

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  • Scheherazade ; et vous en tomberiez daccord, si le sultan vou-lait me laisser vivre encore aujourdhui, et me donner la per-mission de vous la raconter la nuit prochaine. Schahriar, quiavait cout Scheherazade avec plaisir, dit en lui-mme : Jat-tendrai jusqu demain ; je la ferai toujours bien mourir quandjaurai entendu la fin de son conte. Ayant donc pris la rsolu-tion de ne pas faire ter la vie Scheherazade ce jour-l, il seleva pour faire sa prire et aller au conseil.

    Pendant ce temps-l, le grand vizir tait dans une inquitudecruelle : au lieu de goter la douceur du sommeil, il avait passla nuit soupirer et plaindre le sort de sa fille, dont il devaittre le bourreau. Mais si dans cette triste attente il craignait lavue du sultan, il fut agrablement surpris, lorsquil vit que ceprince entrait au conseil sans lui donner lordre funeste quilen attendait.

    Le sultan, selon sa coutume, passa la journe rgler les af-faires de son empire, et quand la nuit fut venue, il coucha en-core avec Scheherazade. Le lendemain avant que le jour part,Dinarzade ne manqua pas de sadresser sa sur et de luidire : Ma sur, si vous ne dormez pas, je vous supplie, en at-tendant le jour qui paratra bientt, de continuer le contedhier. Le sultan nattendit pas que Scheherazade lui en de-mandt la permission : Achevez, lui dit-il, le conte du gnie etdu marchand ; je suis curieux den entendre la fin. Schehera-zade prit alors la parole, et continua son conte dans cestermes :

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  • II NUIT.

    Sire, quand le marchand vit que le gnie lui allait trancher latte, il fit un grand cri, et lui dit : Arrtez ; encore un mot, degrce ; ayez la bont de maccorder un dlai : donnez-moi letemps daller dire adieu ma femme et mes enfants, et deleur partager mes biens par un testament que je nai pas en-core fait, afin quils naient point de procs aprs ma mort ; ce-la tant fini, je reviendrai aussitt dans ce mme lieu me sou-mettre tout ce quil vous plaira dordonner de moi. Mais, ditle gnie, si je taccorde le dlai que tu demandes, jai peur quetu ne reviennes pas. Si vous voulez croire mon serment, r-pondit le marchand, je jure par le Dieu du ciel et de la terreque je viendrai vous retrouver ici sans y manquer. De com-bien de temps souhaites-tu que soit ce dlai ? rpliqua le gnie. Je vous demande une anne, repartit le marchand : il ne mefaut pas moins de temps pour donner ordre mes affaires, etpour me disposer renoncer sans regret au plaisir quil y a devivre. Ainsi je vous promets que de demain en un an, sansfaute, je me rendrai sous ces arbres, pour me remettre entrevos mains. Prends-tu Dieu tmoin de la promesse que tu mefais ? reprit le gnie. Oui, rpondit le marchand, je le prendsencore une fois tmoin, et vous pouvez vous reposer sur monserment. ces paroles, le gnie le laissa prs de la fontaineet disparut.

    Le marchand, stant remis de sa frayeur, remonta chevalet reprit son chemin. Mais si dun ct il avait de la joie destre tir dun si grand pril, de lautre il tait dans une tris-tesse mortelle, lorsquil songeait au serment fatal quil avaitfait. Quand il arriva chez lui, sa femme et ses enfants le re-urent avec toutes les dmonstrations dune joie parfaite ; maisau lieu de les embrasser de la mme manire, il se mit pleu-rer si amrement, quils jugrent bien quil lui tait arrivquelque chose dextraordinaire. Sa femme lui demanda lacause de ses larmes et de la vive douleur quil faisait clater : Nous nous rjouissons, disait-elle, de votre retour, et cepen-dant vous nous alarmez tous par ltat o nous vous voyons.Expliquez-nous, je vous prie, le sujet de votre tristesse. H-las ! rpondit le mari, le moyen que je sois dans une autre si-tuation ? je nai plus quun an vivre. Alors il leur raconta ce

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  • qui stait pass entre lui et le gnie, et leur apprit quil luiavait donn parole de retourner au bout de lanne recevoir lamort de sa main.

    Lorsquils entendirent cette triste nouvelle, ils commen-crent tous se dsoler. La femme poussait des cris pitoyablesen se frappant le visage et en sarrachant les cheveux ; les en-fants, fondant en pleurs, faisaient retentir la maison de leursgmissements ; et le pre, cdant la force du sang, mlait seslarmes leurs plaintes. En un mot, ctait le spectacle dumonde le plus touchant.

    Ds le lendemain, le marchand songea mettre ordre sesaffaires, et sappliqua sur toutes choses payer ses dettes. Ilfit des prsents ses amis et de grandes aumnes aux pauvres,donna la libert ses esclaves de lun et de lautre sexe, parta-gea ses biens entre ses enfants, nomma des tuteurs pour ceuxqui ntaient pas encore en ge ; et en rendant sa femme toutce qui lui appartenait, selon son contrat de mariage, il lavanta-gea de tout ce quil put lui donner suivant les lois.

    Enfin lanne scoula, et il fallut partir. Il fit sa valise, o ilmit le drap dans lequel il devait tre enseveli ; mais lorsquilvoulut dire adieu sa femme et ses enfants, on na jamais vuune douleur plus vive. Ils ne pouvaient se rsoudre leperdre ; ils voulaient tous laccompagner et aller mourir aveclui. Nanmoins, comme il fallait se faire violence, et quitter desobjets si chers :

    Mes enfants, leur dit-il, jobis lordre de Dieu en me s-parant de vous. Imitez-moi : soumettez-vous courageusement cette ncessit, et songez que la destine de lhomme est demourir. Aprs avoir dit ces paroles, il sarracha aux cris etaux regrets de sa famille, il partit et arriva au mme endroit oil avait vu le gnie, le propre jour quil avait promis de syrendre. Il mit aussitt pied terre, et sassit au bord de la fon-taine, o il attendit le gnie avec toute la tristesse quon peutsimaginer.

    Pendant quil languissait dans une si cruelle attente, un bonvieillard qui menait une biche lattache parut et sapprochade lui. Ils se salurent lun lautre ; aprs quoi le vieillard luidit : Mon frre, peut-on savoir de vous pourquoi vous tes ve-nu dans ce lieu dsert, o il ny a que des esprits malins, et olon nest pas en sret ? voir ces beaux arbres, on le croirait

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  • habit ; mais cest une vritable solitude, o il est dangereuxde sarrter trop longtemps.

    Le marchand satisfit la curiosit du vieillard, et lui contalaventure qui lobligeait se trouver l. Le vieillard lcoutaavec tonnement ; et prenant la parole : Voil, scria-t-il, lachose du monde la plus surprenante ; et vous tes li par leserment le plus inviolable. Je veux, ajouta-t-il, tre tmoin devotre entrevue avec le gnie. En disant cela, il sassit prs dumarchand, et tandis quils sentretenaient tous deux

    Mais voici le jour, dit Scheherazade en se reprenant ; cequi reste est le plus beau du conte. Le sultan, rsolu den en-tendre la fin, laissa vivre encore ce jour-l Scheherazade.

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  • III NUIT.

    La nuit suivante, Dinarzade fit sa sur la mme prire queles deux prcdentes : Ma chre sur, lui dit-elle, si vous nedormez pas, je vous supplie de me raconter un de ces contesagrables que vous savez. Mais le sultan dit quil voulait en-tendre la suite de celui du marchand et du gnie : cest pour-quoi Scheherazade le reprit ainsi :

    Sire, dans le temps que le marchand et le vieillard quiconduisait la biche sentretenaient, il arriva un autre vieillard,suivi de deux chiens noirs. Il savana jusqu eux, et les salua,en leur demandant ce quils faisaient en cet endroit. Levieillard qui conduisait la biche lui apprit laventure du mar-chand et du gnie, ce qui stait pass entre eux, et le sermentdu marchand. Il ajouta que ce jour tait celui de la parole don-ne, et quil tait rsolu de demeurer l pour voir ce qui enarriverait.

    Le second vieillard, trouvant aussi la chose digne de sa curio-sit, prit la mme rsolution. Il sassit auprs des autres ; et peine se fut-il ml leur conversation, quil survint un troi-sime vieillard, qui, sadressant aux deux premiers, leur de-manda pourquoi le marchand qui tait avec eux paraissait sitriste. On lui en dit le sujet, qui lui parut si extraordinaire, quilsouhaita aussi dtre tmoin de ce qui se passerait entre le g-nie et le marchand : pour cet effet, il se plaa parmi les autres.

    Ils aperurent bientt dans la campagne une vapeur paisse,comme un tourbillon de poussire lev par le vent ; cette va-peur savana jusqu eux, et, se dissipant tout coup, leurlaissa voir le gnie, qui, sans les saluer, sapprocha du mar-chand le sabre la main, et le prenant par le bras : Lve-toi,lui dit-il, que je te tue, comme tu as tu mon fils. Le mar-chand et les trois vieillards, effrays, se mirent pleurer et remplir lair de cris

    Scheherazade, en cet endroit apercevant le jour, cessa depoursuivre son conte, qui avait si bien piqu la curiosit du sul-tan, que ce prince, voulant absolument en savoir la fin, remitencore au lendemain la mort de la sultane.

    On ne peut exprimer quelle fut la joie du grand vizir, lorsquilvit que le sultan ne lui ordonnait pas de faire mourir

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  • Scheherazade. Sa famille, la cour, tout le monde en fut gnra-lement tonn.

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  • IV NUIT.

    Vers la fin de la nuit suivante, Dinarzade, avec la permissiondu sultan, parla dans ces termes :

    Sire, quand le vieillard qui conduisait la biche vit que le g-nie stait saisi du marchand et lallait tuer impitoyablement, ilse jeta aux pieds de ce monstre, et les lui baisant : Prince desgnies, lui dit-il, je vous supplie trs-humblement de suspendrevotre colre, et de me faire la grce de mcouter. Je vais vousraconter mon histoire et celle de cette biche que vous voyez ;mais si vous la trouvez plus merveilleuse et plus surprenanteque laventure de ce marchand qui vous voulez ter la vie,puis-je esprer que vous voudrez bien remettre ce pauvremalheureux le tiers de son crime ? Le gnie fut quelquetemps se consulter l-dessus ; mais enfin il rpondit : Hbien ! voyons, jy consens.

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  • HISTOIRE DU PREMIER VIEILLARD ET DE LABICHE.

    Je vais donc, reprit le vieillard, commencer mon rcit :coutez-moi, je vous prie, avec attention. Cette biche que vousvoyez est ma cousine, et de plus, ma femme. Elle navait quedouze ans quand je lpousai : ainsi je puis dire quelle ne de-vait pas moins me regarder comme son pre, que comme sonparent et son mari.

    Nous avons vcu ensemble trente annes sans avoir eudenfants ; mais sa strilit ne ma point empch davoir pourelle beaucoup de complaisance et damiti. Le seul dsirdavoir des enfants me fit acheter une esclave, dont jeus unfils6 qui promettait infiniment. Ma femme en conut de la jalou-sie, prit en aversion la mre et lenfant, et cacha si bien sessentiments, que je ne les connus que trop tard.

    Cependant mon fils croissait, et il avait dj dix ans,lorsque je fus oblig de faire un voyage. Avant mon dpart, jerecommandai ma femme, dont je ne me dfiais point, les-clave et son fils, et je la priai den avoir soin pendant mon ab-sence, qui dura une anne entire.

    Elle profita de ce temps-l pour contenter sa haine. Ellesattacha la magie, et quand elle sut assez de cet art diabo-lique pour excuter lhorrible dessein quelle mditait, la scl-rate mena mon fils dans un lieu cart. L, par ses enchante-ments, elle le changea en veau, et le donna mon fermier,avec ordre de le nourrir, comme un veau, disait-elle, quelleavait achet. Elle ne borna point sa fureur cette action abo-minable : elle changea lesclave en vache, et la donna aussi mon fermier.

    mon retour, je lui demandai des nouvelles de la mre etde lenfant : Votre esclave est morte, me dit-elle ; et pourvotre fils, il y a deux mois que je ne lai vu, et que je ne sais ce

    6.La loi civile chez les mahomtans reconnat pour galement lgitimesles enfants qui proviennent de trois espces de mariages permises parleur religion, suivant laquelle on peut licitement acheter, louer ou pou-ser une ou plusieurs femmes ; de faon que si un homme a de son esclaveun fils avant d'en avoir de son pouse, le fils de l'esclave est reconnu pourl'an, et jouit des droits d'anesse l'exclusion de celui de la femmelgitime.

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  • quil est devenu. Je fus touch de la mort de lesclave ; maiscomme mon fils navait fait que disparatre, je me flattai que jepourrais le revoir bientt. Nanmoins huit mois se passrentsans quil revnt, et je nen avais aucune nouvelle, lorsque lafte du grand Baram7 arriva. Pour la clbrer, je mandai mon fermier de mamener une vache des plus grasses pour enfaire un sacrifice. Il ny manqua pas. La vache quil mamenatait lesclave elle-mme, la malheureuse mre de mon fils. Jela liai ; mais dans le moment que je me prparais la sacrifier,elle se mit faire des beuglements pitoyables, et je maperusquil coulait de ses yeux des ruisseaux de larmes. Cela me pa-rut assez extraordinaire ; et me sentant, malgr moi, saisi dunmouvement de piti, je ne pus me rsoudre la frapper. Jor-donnai mon fermier de men aller prendre une autre.

    Ma femme, qui tait prsente, frmit de ma compassion ; etsopposant un ordre qui rendait sa malice inutile : Quefaites-vous, mon ami ? scria-t-elle. Immolez cette vache.Votre fermier nen a pas de plus belle, ni qui soit plus propre lusage que nous en voulons faire. Par complaisance pour mafemme, je mapprochai de la vache ; et combattant la piti quien suspendait le sacrifice, jallais porter le coup mortel, quandla victime, redoublant ses pleurs et ses beuglements, me dsar-ma une seconde fois. Alors je mis le maillet entre les mains dufermier, en lui disant : Prenez, et sacrifiez-la vous-mme ; sesbeuglements et ses larmes me fendent le cur.

    Le fermier, moins pitoyable que moi, la sacrifia. Mais enlcorchant, il se trouva quelle navait que les os, quoiquellenous et paru trs-grasse. Jen eus un vritable chagrin : Prenez-la pour vous, dis-je au fermier, je vous labandonne ;faites-en des rgals et des aumnes qui vous voudrez ; et si

    7.Nom des deux seules ftes d'obligation que les musulmans aient dansleur religion. Ce sont des ftes mobiles, qui, dans l'espace de trente-troisans, tombent dans tous les mois de l'anne, parce que l'anne musulmaneest lunaire. La premire de ces ftes arrive le premier de la lune qui suitcelle du Ramazan, ou carme des mahomtans. Ce Baram dure troisjours, et tient tout la fois de la pque des Juifs, de notre carnaval et denotre premier jour de l'an. On immole des agneaux ou des bufs, et c'est cette crmonie que la fte doit le nom de ad el courbn (fte des sa-crifices).Le petit Baram (ad saghir) est clbr le premier jour du mois de cha-wal, l'occasion de la fin des jenes du Ramazan.

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  • vous avez un veau bien gras, amenez-le moi sa place. Je neminformai pas de ce quil fit de la vache ; mais peu de tempsaprs quil leut fait enlever de devant mes yeux, je le vis arri-ver avec un veau fort gras. Quoique jignorasse que ce veau ftmon fils, je ne laissai pas de sentir mouvoir mes entrailles savue. De son ct, ds quil maperut, il fit un si grand effortpour venir moi, quil en rompit sa corde. Il se jeta mespieds, la tte contre la terre, comme sil et voulu exciter macompassion et me conjurer de navoir pas la cruaut de lui terla vie, en mavertissant, autant quil lui tait possible, quiltait mon fils.

    Je fus encore plus surpris et plus touch de cette action,que je ne lavais t des pleurs de la vache. Je sentis unetendre piti qui mintressa pour lui ; ou, pour mieux dire, lesang fit en moi son devoir. Allez, dis-je au fermier, ramenezce veau chez vous. Ayez-en un grand soin ; et sa place,amenez-en un autre incessamment.

    Ds que ma femme mentendit parler ainsi, elle ne manquapas de scrier encore : Que faites-vous, mon mari ? Croyez-moi, ne sacrifiez pas un autre veau que celui-l. Ma femme,lui rpondis-je, je nimmolerai pas celui-ci. Je veux lui fairegrce ; je vous prie de ne vous y point opposer. Elle neutgarde, la mchante femme, de se rendre ma prire ; elle has-sait trop mon fils, pour consentir que je le sauvasse. Elle mendemanda le sacrifice avec tant dopinitret, que je fus obligde le lui accorder. Je liai le veau, et prenant le couteau fu-neste Scheherazade sarrta en cet endroit, parce quelleaperut le jour : Ma sur, dit alors Dinarzade, je suis en-chante de ce conte, qui soutient si agrablement mon atten-tion. Si le sultan me laisse encore vivre aujourdhui, repartitScheherazade, vous verrez que ce que je vous raconterai de-main vous divertira beaucoup davantage. Schahriar, curieuxde savoir ce que deviendrait le fils du vieillard qui conduisait labiche, dit la sultane, quil serait bien aise dentendre la nuitprochaine la fin de ce conte.

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  • V NUIT.

    Sur la fin de la cinquime nuit, Dinarzade appela la sultane etlui dit : Ma chre sur, si vous ne dormez pas, je vous sup-plie, en attendant le jour qui paratra bientt, de reprendre lasuite de ce beau conte que vous commentes hier. Schehe-razade, aprs en avoir obtenu la permission de Schahriar,poursuivit de cette manire :

    Sire, le premier vieillard qui conduisait la biche, continuantde raconter son histoire au gnie, aux deux autres vieillards etau marchand : Je pris donc, leur dit-il, le couteau, et jallaislenfoncer dans la gorge de mon fils ; lorsque tournant vers moilanguissamment ses yeux baigns de pleurs, il mattendrit unpoint que je neus pas la force de limmoler. Je laissai tomberle couteau, et je dis ma femme que je voulais absolumenttuer un autre veau que celui-l. Elle npargna rien pour mefaire changer de rsolution ; mais quoi quelle pt me repr-senter, je demeurai ferme, et lui promis, seulement pour lapai-ser, que je le sacrifierais au Baram de lanne prochaine.

    Le lendemain matin, mon fermier demanda me parler enparticulier. Je viens, me dit-il, vous apprendre une nouvelledont jespre que vous me saurez bon gr. Jai une fille qui aquelque connaissance de la magie : Hier, comme je ramenaisau logis le veau, dont vous naviez pas voulu faire le sacrifice,je remarquai quelle rit en le voyant, et quun moment aprselle se mit pleurer. Je lui demandai pourquoi elle faisait enmme temps deux choses si contraires : Mon pre, merpondit-elle, ce veau que vous ramenez est le fils de notrematre. Jai ri de joie de le voir encore vivant ; et jai pleur enme souvenant du sacrifice quon fit hier de sa mre, qui taitchange en vache. Ces deux mtamorphoses ont t faites parles enchantements de la femme de notre matre, laquelle has-sait la mre et lenfant. Voil ce que ma dit ma fille, poursui-vit le fermier, et je viens vous apporter cette nouvelle.

    ces paroles, gnie, continua le vieillard, je vous laisse juger quelle fut ma surprise. Je partis sur-le-champ avec monfermier pour parler moi-mme sa fille. En arrivant, jallaidabord ltable o tait mon fils. Il ne put rpondre mesembrassements, mais il les reut dune manire qui acheva deme persuader quil tait mon fils.

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  • La fille du fermier arriva. Ma bonne fille, lui dis-je,pouvez-vous rendre mon fils sa premire forme ? Oui, je lepuis, me rpondit-elle. Ah ! si vous en venez bout, repris-je,je vous fais matresse de tous mes biens. Alors elle me repar-tit en souriant : Vous tes notre matre, et je sais trop bien ceque je vous dois ; mais je vous avertis que je ne puis remettrevotre fils dans son premier tat, qu deux conditions. La pre-mire, que vous me le donnerez pour poux, et la seconde,quil me sera permis de punir la personne qui la chang enveau. Pour la premire condition, lui dis-je, je laccepte debon cur ; je dis plus, je vous promets de vous donner beau-coup de bien pour vous en particulier, indpendamment de ce-lui que je destine mon fils. Enfin, vous verrez comment je re-connatrai le grand service que jattends de vous. Pour lacondition qui regarde ma femme, je veux bien laccepter en-core. Une personne qui a t capable de faire une action si cri-minelle, mrite bien den tre punie ; je vous labandonne ;faites-en ce quil vous plaira ; je vous prie seulement de ne luipas ter la vie. Je vais donc, rpliqua-t-elle, la traiter de lamme manire quelle a trait votre fils. Jy consens, luirepartis-je, mais rendez-moi mon fils auparavant.

    Alors cette fille prit un vase plein deau, pronona dessusdes paroles que je nentendis pas, et sadressant au veau : veau ! dit-elle, si tu as t cr par le Tout-Puissant et souve-rain matre du monde tel que tu parais en ce moment, demeuresous cette forme ; mais si tu es homme et que tu sois changen veau par enchantement, reprends ta figure naturelle par lapermission du souverain Crateur. En achevant ces mots, ellejeta leau sur lui, et linstant il reprit sa premire forme.

    Mon fils, mon cher fils ! mcriai-je aussitt en lembras-sant avec un transport dont je ne fus pas le matre ! cest Dieuqui nous a envoy cette jeune fille pour dtruire lhorriblecharme dont vous tiez environn, et vous venger du mal quivous a t fait, vous et votre mre. Je ne doute pas que, parreconnaissance, vous ne vouliez bien la prendre pour votrefemme, comme je my suis engag. Il y consentit avec joie ;mais avant quils se mariassent, la jeune fille changea mafemme en biche, et cest elle que vous voyez ici. Je souhaitaiquelle et cette forme, plutt quune autre moins agrable,afin que nous la vissions sans rpugnance dans la famille.

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  • Depuis ce temps-l, mon fils est devenu veuf, et est allvoyager. Comme il y a plusieurs annes que je nai eu de sesnouvelles, je me suis mis en chemin pour tcher den ap-prendre ; et nayant pas voulu confier personne le soin de mafemme, pendant que je ferais enqute de lui, jai jug proposde la mener partout avec moi. Voil donc mon histoire, et cellede cette biche : nest-elle pas des plus surprenantes et des plusmerveilleuses ? Jen demeure daccord, dit le gnie ; et en safaveur, je taccorde le tiers de la grce de ce marchand.

    Quand le premier vieillard, sire, continua la sultane, eutachev son histoire, le second qui conduisait les deux chiensnoirs, sadressa au gnie, et lui dit : Je vais vous raconter cequi mest arriv moi et ces deux chiens noirs que voici, et jesuis sr que vous trouverez mon histoire encore plus tonnanteque celle que vous venez dentendre. Mais quand je vous lau-rai conte, maccorderez-vous le second tiers de la grce de cemarchand ? Oui, rpondit le gnie, pourvu que ton histoiresurpasse celle de la biche. Aprs ce consentement, le secondvieillard commena de cette manire Mais Scheherazade enprononant ces dernires paroles, ayant vu le jour, cessa deparler.

    Bon Dieu ! ma sur, dit Dinarzade, que ces aventures sontsingulires. Ma sur, rpondit la sultane, elles ne sont pascomparables celles que jaurais vous raconter la nuit pro-chaine, si le sultan, mon seigneur et mon matre avait la bontde me laisser vivre. Schahriar ne rpondit rien cela ; mais ilse leva, fit sa prire et alla au conseil, sans donner aucun ordrecontre la vie de la charmante Scheherazade.

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  • VI NUIT.

    La sixime nuit tant venue, le sultan et son pouse se cou-chrent. Dinarzade se rveilla lheure ordinaire, et appela lasultane. Ma chre sur, lui dit-elle, si vous ne dormez pas, jevous supplie en attendant le jour qui paratra bientt, de meraconter quelquun de ces beaux contes que vous savez. Schahriar prit alors la parole ; Je souhaiterais, dit-il, entendrelhistoire du second vieillard et des deux chiens noirs. Je vaiscontenter votre curiosit, sire, rpondit Scheherazade. Le se-cond vieillard, poursuivit-elle, sadressant au gnie, commenaainsi son histoire :

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  • HISTOIRE DU SECOND VIEILLARD ET DES DEUXCHIENS NOIRS.

    Grand prince des gnies, vous saurez que nous sommes troisfrres, ces deux chiens noirs que vous voyez, et moi qui suis letroisime. Notre pre nous avait laiss, en mourant, chacunmille sequins. Avec cette somme, nous embrassmes tous troisla mme profession : nous nous fmes marchands. Peu detemps aprs que nous emes ouvert boutique, mon frre an,lun de ces deux chiens, rsolut de voyager et daller ngocierdans les pays trangers. Dans ce dessein, il vendit tout sonfonds, et en acheta des marchandises propres au ngoce quilvoulait faire.

    Il partit, et fut absent une anne entire. Au bout de cetemps-l, un pauvre qui me parut demander laumne se pr-senta ma boutique. Je lui dis : Dieu vous assiste ; Dieu vousassiste aussi ! me rpondit-il ; est-il possible que vous ne mereconnaissiez pas ? Alors lenvisageant avec attention, je lereconnus : Ah ! mon frre, mcriai-je en lembrassant, com-ment vous aurais-je pu reconnatre en cet tat ? Je le fis en-trer dans ma maison, je lui demandai des nouvelles de sa santet du succs de son voyage. Ne me faites pas cette question,me dit-il ; en me voyant, vous voyez tout. Ce serait renouvelermon affliction, que de vous faire le dtail de tous les malheursqui me sont arrivs depuis un an, et qui mont rduit ltat oje suis.

    Je fis fermer aussitt ma boutique, et abandonnant toutautre soin, je le menai au bain, et lui donnai les plus beaux ha-bits de ma garde-robe. Jexaminai mes registres de vente etdachat, et trouvant que javais doubl mon fonds, cest--dire,que jtais riche de deux mille sequins, je lui en donnai la moi-ti, avec cela, mon frre, lui dis-je, vous pourrez oublier laperte que vous avez faite. Il accepta les mille sequins avecjoie, rtablit ses affaires, et nous vcmes ensemble commenous avions vcu auparavant.

    Quelque temps aprs, mon second frre, qui est lautre deces deux chiens, voulut aussi vendre son fonds. Nous fmes,son an et moi tout ce que nous pmes pour len dtourner ;mais il ny eut pas moyen. Il le vendit, et de largent quil en fit,il acheta des marchandises propres au ngoce tranger quil

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  • voulait entreprendre. Il se joignit une caravane, et partit. Ilrevint au bout de lan dans le mme tat que son frre an ; jele fis habiller ; et comme javais encore mille sequins par-des-sus mon fonds, je les lui donnai. Il releva boutique, et continuadexercer sa profession.

    Un jour mes deux frres vinrent me trouver pour me propo-ser de faire un voyage, et daller trafiquer avec eux. Je rejetaidabord leur proposition ; Vous avez voyag, leur dis-je, quyavez-vous gagn ? Qui massurera que je serai plus heureuxque vous ? En vain ils me reprsentrent l-dessus tout cequi leur sembla devoir mblouir et mencourager tenter lafortune ; je refusai dentrer dans leur dessein. Mais ils re-vinrent tant de fois la charge, quaprs avoir pendant cinqans rsist constamment leurs sollicitations, je my rendis en-fin. Mais quand il fallut faire les prparatifs du voyage, et quilfut question dacheter les marchandises dont nous avions be-soin, il se trouva quils avaient tout mang, et quil ne leur res-tait rien des mille sequins que je leur avais donns chacun. Jene leur en fis pas le moindre reproche ; au contraire, commemon fonds tait de six mille sequins, jen partageai la moitiavec eux, en leur disant : Mes frres, il faut risquer ces troismille sequins, et cacher les autres en quelque endroit sr, afinque si notre voyage nest pas plus heureux que ceux que vousavez dj faits, nous ayons de quoi nous en consoler, et re-prendre notre ancienne profession. Je donnai donc mille se-quins chacun, jen gardai autant pour moi, et jenterrai lestrois mille autres dans un coin de ma maison. Nous achetmesdes marchandises, et aprs les avoir embarques sur un vais-seau que nous frtmes entre nous trois, nous fmes mettre la voile avec un vent favorable. Aprs un mois denavigation

    Mais je vois le jour, poursuivit Scheherazade, il faut que jendemeure-l. Ma sur, dit Dinarzade, voil un conte qui pro-met beaucoup, je mimagine que la suite en est fort extraordi-naire. Vous ne vous trompez pas, rpondit la sultane ; et si lesultan me permet de vous la conter, je suis persuade quellevous divertira fort. Schahriar se leva comme le jour prc-dent, sans sexpliquer l-dessus ; et ne donna point ordre augrand vizir de faire mourir sa fille.

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  • VII NUIT.

    Sur la fin de la septime nuit, Dinarzade ne manqua pas de r-veiller la sultane : Ma chre sur, lui dit-elle, si vous ne dor-mez pas, je vous supplie en attendant le jour qui paratra bien-tt, de me conter la suite de ce beau conte que vous ne ptesachever hier.

    Je le veux bien, rpondit Scheherazade ; et pour en re-prendre le fil, je vous dirai que le vieillard qui menait les deuxchiens noirs continuant de raconter son histoire au gnie, auxdeux autres vieillards et au marchand : Enfin, leur dit-il,aprs deux mois de navigation, nous arrivmes heureusement un port de mer, o nous dbarqumes, et fmes un trs-granddbit de nos marchandises. Moi surtout, je vendis si bien lesmiennes, que je gagnai dix pour un. Nous achetmes des mar-chandises du pays, pour les transporter et les ngocier auntre.

    Dans le temps que nous tions prts nous rembarquerpour notre retour, je rencontrai sur le bord de la mer une dameassez bien faite ; mais fort pauvrement habille. Elle maborda,me baisa la main, et me pria, avec les dernires instances, dela prendre pour femme, et de lembarquer avec moi. Je fis diffi-cult de lui accorder ce quelle demandait, mais elle me dittant de choses pour me persuader que je ne devais pas prendregarde sa pauvret, et que jaurais lieu dtre content de saconduite, que je me laissai vaincre. Je lui fis faire des habitspropres, et aprs lavoir pouse par un contrat de mariage enbonne forme, je lembarquai avec moi, et nous mmes la voile.

    Pendant notre navigation, je trouvai de si belles qualitsdans la femme que je venais de prendre, que je laimais tousles jours de plus en plus. Cependant mes deux frres, quinavaient pas si bien fait leurs affaires que moi, et qui taientjaloux de ma prosprit, me portaient envie : leur fureur allamme jusqu conspirer contre ma vie : Une nuit, dans letemps que ma femme et moi nous dormions, ils nous jetrent la mer.

    Ma femme tait fe, et par consquent gnie, vous jugezbien quelle ne se noya pas. Pour moi, il est certain que je se-rais mort sans son secours. Mais je fus peine tomb dansleau, quelle menleva, et me transporta dans une le. Quand il

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  • fut jour, la fe me dit : Vous voyez, mon mari, quen vous sau-vant la vie, je ne vous ai pas mal rcompens du bien que vousmavez fait. Vous saurez que je suis fe, et que me trouvant surle bord de la mer, lorsque vous alliez vous embarquer, je mesentis une forte inclination pour vous. Je voulus prouver labont de votre cur ; je me prsentai devant vous dguisecomme vous mavez vue. Vous en avez us avec moi gnreuse-ment. Je suis ravie davoir trouv loccasion de vous en mar-quer ma reconnaissance. Mais je suis irrite contre vos frres,et je ne serai pas satisfaite que je ne leur aie t la vie.

    Jcoutai avec admiration le discours de la fe ; je la remer-ciai le mieux quil me fut possible de la grande obligation queje lui avais : Mais, Madame, lui dis-je, pour ce qui est de mesfrres, je vous supplie de leur pardonner. Quelque sujet quejaie de me plaindre deux, je ne suis pas assez cruel pour vou-loir leur perte. Je lui racontai ce que javais fait pour lun etpour lautre ; et mon rcit augmentant son indignation contreeux : Il faut, scria-t-elle, que je vole tout lheure aprs cestratres et ces ingrats, et que jen tire une prompte vengeance.Je vais submerger leur vaisseau, et les prcipiter dans le fondde la mer. Non, ma belle dame, repris-je, au nom de Dieu,nen faites rien, modrez votre courroux, songez que ce sontmes frres ; et quil faut faire le bien pour le mal.

    Japaisai la fe par ces paroles, et lorsque je les eus pro-nonces, elle me transporta en un instant de lle o noustions sur le toit de mon logis, qui tait en terrasse, et elle dis-parut un moment aprs. Je descendis, jouvris les portes, et jedterrai les trois mille sequins que javais cachs. Jallai en-suite la place o tait ma boutique ; je louvris, et je reusdes marchands mes voisins des compliments sur mon retour.Quand je rentrai chez moi, japerus ces deux chiens noirs, quivinrent maborder dun air soumis. Je ne savais ce que cela si-gnifiait, et jen tais fort tonn ; mais la fe, qui parut bientt,men claircit. Mon mari, me dit-elle, ne soyez pas surpris devoir ces deux chiens chez vous ; ce sont vos deux frres. Jefrmis ces mots, et je lui demandai par quelle puissance ils setrouvaient en cet tat : Cest moi qui les y ai mis, merpondit-elle, au moins, cest une de mes surs, qui jen aidonn la commission, et qui en mme temps a coul fond leurvaisseau. Vous y perdez les marchandises que vous y aviez ;

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  • mais je vous rcompenserai dailleurs. lgard de vos frres,je les ai condamns demeurer dix ans sous cette forme ; leurperfidie ne les rend que trop dignes de cette pnitence. En-fin, aprs mavoir enseign o je pourrais avoir de ses nou-velles, elle disparut.

    Prsentement que les dix annes sont accomplies, je suisen chemin pour laller chercher, et comme en passant par icijai rencontr ce marchand et le bon vieillard qui mne sabiche, je me suis arrt avec eux : voil quelle est mon histoire, prince des gnies : ne vous parat-elle pas des plus extraordi-naires ? Jen conviens, rpondit le gnie, et je remets aussi ensa faveur le second tiers du crime dont ce marchand est cou-pable envers moi.

    Aussitt que le second vieillard eut achev son histoire, letroisime prit la parole, et fit au gnie la mme demande queles deux premiers, cest--dire, de remettre au marchand letroisime tiers de son crime, suppos que lhistoire quil avait lui raconter surpasst, en vnements singuliers, les deux quilvenait dentendre. Le gnie lui fit la mme promesse quauxautres. coutez donc, lui dit alors le vieillard Mais le jourparat, dit Scheherazade en se reprenant ; il faut que je mar-rte en cet endroit.

    Je ne puis assez admirer, ma sur, dit alors Dinarzade, lesaventures que vous venez de raconter : Jen sais une infinitdautres, rpondit la sultane, qui sont encore plus belles. Schahriar, voulant savoir si le conte du troisime vieillard, se-rait aussi agrable que celui du second, diffra jusquau lende-main la mort de Scheherazade.

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  • VIII NUIT.

    Ds que Dinarzade saperut quil tait temps dappeler la sul-tane , elle lui dit : Ma sur, si vous ne dormez pas, je voussupplie, en attendant le jour, qui paratra bientt, de me conterun de ces beaux contes que vous savez. Racontez-nous celuidu troisime vieillard, dit le sultan Scheherazade ; jai biende la peine croi